A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
JAA JAS. m. (Bot. exotiq.) arbrisseau de la contrée des noirs. Les Hollandois l'appellent maugelaar. Il croît aux lieux marécageux & aux bords des rivieres. Il pousse un si grand nombre de tiges, qu'on a peine à discerner la principale. Le Jaa-ja croît dans l'eau, & l'on y trouve souvent des huitres attachées. Dict. de Trevoux.


JAA-BACHIS. m. (Hist. mod.) capitaine de gens de pié chez les Turcs. C'est aussi un officier des janissaires chargé de lever les enfans de tribut. Il est accompagné dans ses fonctions d'un écrivain ou secrétaire qui tient le rôle des provinces, des lieux, & du nombre d'enfans qui doivent être fournis.


JAAROBAS. m. (Bot. exotiq.) espece de feve du Brésil ; elle est semblable à la cuiette, seulement plus petite. On mange les racines de la plante qui la porte.


JAATZDES. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un arbrisseau du Japon, à feuilles de ricin commun ; ses fleurs sont blanches, à cinq pétales. Ses baies sont moins grosses qu'un grain de poivre. Elles ont à leur sommet une espece d'aigrette formée par les cinq étamines de la fleur.


JABATOPETAvoyez JABOTAPITA.


JABAYAHITES. m. (Hist. mod.) nom de secte parmi les Musulmans, qui suivant Ricaut, enseignent que la science de Dieu ne s'étend point à toutes choses ; que le tems & l'expérience lui ont appris plusieurs choses qu'il ignoroit auparavant. Dieu, disent-ils, n'ayant point eu de toute éternité une connoissance exacte de tous les évenemens particuliers qui doivent arriver dans le monde, il est obligé de le gouverner selon les occurrences. Voyez PROVIDENCE, PRESCIENCE, CONTINGENT. Diction. de Trévoux.


JABES. m. (Hist. anc.) l'acception de ce mot est incertaine. C'est ou le nom de Dieu chez les Samaritains, ou un terme correspondant au Jas des Juifs, ou une corruption de Juba, ou de Jesora.


JABI(Géog.) petit royaume d'Afrique en Guinée, sur la côte d'or, derriere le fort de Saint Georges de la Mine. Bosman dans sa description de la Guinée, dit que le roi de ce canton est un si petit seigneur, qu'il auroit peine à lui donner à credit pour cent florins de marchandise, de peur de n'en être jamais payé, vû sa pauvreté. Ce pays est arrosé par la riviere de Rio de Saint-Jean, que les negres appellent Bossumpra, à cause qu'ils le tiennent pour être un dieu. Voilà donc enfin une riviere divinisée par des Maures. (D.J.)


JABIRUS. m. (Hist. nat. Zoologie) grand oiseau de riviere de l'Amérique, qui a du rapport avec la grue ; il est plus grand qu'un cigne, son col est gros comme le bras, sa tête est fort grande, son bec est droit, & a environ dix à onze pouces de long, il est un peu recourbé par le bout ; ses jambes ont environ deux piés de longueur, & sont couvertes d'écailles. Il est tout blanc comme un cigne ou une oie. Le cou n'est point garni de plumes, & n'est couvert que d'une peau noire & dure. On conjecture que cela vient de ce que les plumes étoient tombées, & que l'on n'a vû cet oiseau que mort. Voyez Marggrave, hist. Brasiliensis.


JABIRUGUACUS. m. (Ornithol. exot.) nom d'un oiseau du Brésil, appellé par quelques-uns nanduapoa, & par les Hollandois scheurvogel ; cet oiseau tient beaucoup au genre des grues ; il a un bec large, long de sept à huit pouces, arrondi, & un peu élevé à l'extrémité. Il porte sur le sommet de la tête une espece de couronne osseuse, d'un gris blanc ; son long col & sa tête sont revêtus de peau écailleuse, sans aucunes plumes ; le reste du corps est couvert de plumes blanches ; mais les grosses plumes des aîles sont noirâtres avec une teinte pourpre. Il passe pour un manger délicieux. Rey, Ornitholog. pag. 202. (D.J.)


JABLES. m. terme de Tonnelier, c'est la partie des douves d'un tonneau qui excede les fonds des deux côtés, & qui forme en quelque façon la circonférence extérieure de chacune de ses extrémités.

Le jable se prend depuis l'entaille ou rainure dans laquelle sont enfoncées & assujetties les douves du fond de la futaille, jusqu'au bout des douves de longueur. Cette entaille ou rainure se nomme aussi quelquefois le jable.

Pour jauger les tonneaux, il faut d'abord appuyer un des bouts du bâton de jauge sur le jable du tonneau ou futaille qu'on se propose de jauger, faisant attention cependant que quand le jable d'une piece est plus court qu'il ne doit l'être, cette diminution du jable donne nécessairement un excédent de jauge. Voyez JAUGE & TONNELIER.

On appelle peignes de jable de petits morceaux de douves taillés exprès, qu'on fait entrer par force sous les cerceaux pour rétablir les jables rompus.


JABLERc'est faire des jables aux tonneaux & aux douves.


JABLOIRES. f. (Tonnelier) c'est un instrument dont les Tonneliers se servent pour faire le jable des tonneaux, ou la rainure où on fait entrer les fonds. Cet outil est composé de deux pieces de bois, l'une cilindrique & l'autre quarrée ; au bout de celle-ci est un morceau d'acier dentelé comme une scie. Le tonnelier qui s'en sert appuie la partie cilindrique de plat sur les bords des tonneaux qu'il a assemblés, & conduisant l'outil tout autour, il y forme avec le morceau d'acier une rainure qu'on appelle le jable. Voyez nos Planches de Tonnellerie.


JABORANDES. m. (Bot. exot.) plante haute de deux piés, qui a ses tiges ligneuses, grandes, noueuses, tortues & inégales ; sa racine fort grosse, & divisée en un grand nombre de parcelles & de filamens ; ses fleurs blanches, & à quatre feuilles, & ses graines renfermées sous une double cosse, brunes, applaties, & de la figure à peu-près d'un coeur tronqué par la pointe. On ne sait où croît le jaborande ; sa racine passe pour alexipharmaque. Dict. de Trévoux.


JABOTS. m. (Ornithol.) ingluvies, colum, poche membraneuse située près du cou des oiseaux, & au bas de leur oesophage.

Tous les oiseaux ont un élargissement au bas de l'oesophage, qu'on appelle le jabot, qui leur sert pour garder quelque tems la nourriture qu'ils ont avalée sans mâcher, avant que de la laisser entrer dans le ventricule.

Les Physiologistes donnent trois usages apparens à ce sac ; le premier de disposer la nourriture à la digestion ; le second de la serrer quelque tems, afin que le ventricule ne s'emplisse pas trop, dans les occasions où les oiseaux trouvent & amassent plus de nourriture que leur estomac n'en doit tenir pour la pouvoir bien digérer ; le troisieme de réserver cette nourriture pour la porter à leurs petits.

Les pigeons ont ce jabot fort ample ; ils l'enflent & l'élargissent extraordinairement, pour un autre usage que celui de réserver une grande quantité de nourriture ; car l'air qu'ils attirent pour la respiration, entre aussi dans le jabot, & gonflant cette partie, produit la grosse gorge, qui est particuliere aux pigeons. Quelques anatomistes prétendent avoir trouvé dans la trachée artere des pigeons, le conduit par lequel l'air entre dans leur jabot.

L'onocrotale a un grand sac fait par l'élargissement de son oesophage, qu'on lui voit pendu en-devant, depuis le dessous du bec, jusqu'au bas du col ; en cet endroit la peau n'est point garnie de plumes, mais seulement d'un duvet très-court, arrangé en long sur l'éminence de chacune des rides que ce sac fait en se pliant comme une bourse.

Le jabot du coroman, dont l'oesophage souffre une dilatation pareille à celle de l'oesophage de l'onocrotale, est plus caché, étant recouvert de plumes à l'ordinaire ; ces sacs servent à l'un & à l'autre de ces deux especes d'oiseaux, à recevoir les poissons qu'ils avalent fort grands, & tout entiers.

Quand les hérons veulent manger des moules, ils les avalent avec leurs coquilles ; & lorsqu'ils sentent qu'elles sont ouvertes, par la chaleur qui a relâché les ressorts de leurs muscles, ils les vomissent pour en manger la chair. Il y a apparence que c'est le jabot qui leur sert à cet usage, sa chaleur étant suffisante pour faire ouvrir les moules.

Les singes ont dans la bouche des poches aux deux côtés de la mâchoire où ils serrent tout ce qu'ils veulent garder ; on dit aussi qu'il y a un poisson qui a comme le singe, ce sac dans la gueule, où ses petits viennent se jetter quand ils ont peur. (D.J.)


JABOTAPITAS. m. (Botan. exot.) arbre d'une hauteur médiocre du Brésil, & du genre des ochna de Linnaeus ; voyez OCHNA.

Marggrave & Pison l'appellent, arbor baccifera racemosa, Brasiliensis, baccâ trigonâ, proliferâ. Il se plait sur les rivages de la mer ; son écorce est inégale, de couleur grisâtre ; ses branches sont molles & pliantes, ses feuilles sont alternes, vertes, oblongues, pointues ; ses fleurs sont petites, en bouquets, à cinq pétales jaunes, & d'une odeur très-agréable. Après qu'elles sont passées, il leur succede un fruit qui vient en grappes, c'est-à-dire que chaque pédicule porte une baie de la grosseur d'un noyau de cerise, de figure presque triangulaire, à laquelle sont attachées trois ou quatre autres baies sans pédicule, ovoïdes, de la même grosseur, de couleur noire comme nos myrtiles, & donnant la même teinture ; leur goût est stiptique ; on en tire de l'huile par expression. Ces baies servent encore aux mêmes usages que nos baies de myrthe, pour arrêter le cours de ventre, resserrer, & fortifier les intestins. (D.J.)


JABOTIS. m. (Hist. nat. Zool.) nom qu'on donne en Amérique à une espece de tortue qui s'y trouve ; son écaille est noire, & l'on y remarque plusieurs figures hexagones comme en relief. La tête & les piés sont bruns, mouchetés de taches verdâtres. Ray, Synops. quadruped.


JABURANDIBAS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre du Brésil, dont les voyageurs ne nous ont point donné la description ; ils se sont contentés de dire que ses feuilles sont un spécifique contre toutes les maladies du foie. Il y en a une autre espece à feuilles rondes, moins grandes que les premieres ; ce dernier a des racines dont le goût est aussi fort que le gingembre, & qui appliquées sur les gencives, dissipent tous leurs maux.


JABUTICABAS. m. (Hist. nat. Bot.) grand arbre qui croît au Brésil. Il porte des fruits qui le couvrent depuis le bas du pié jusqu'au sommet, ensorte qu'on apperçoit à peine l'arbre. Ce fruit est noir, rond, de la grosseur d'un petit limon, d'un suc doux comme celui du raisin mûr, & salutaire aux fiévreux. Il y a beaucoup de ces arbres dans le territoire de Saint-Vincent. Dict. de Trévoux.


JACou JACHT, (Marine) Voyez YACHT.


JACAS. m. (Botan. exot.) arbre des Indes orientales, de la grandeur du laurier. C'est le joaca de Parkinson, le tijaca-marum, Hort. Malab. palma, fructu aculeato, ex trunco prodeunte, de C. Bauh. le papa d'Acosta, & le jaqua ou jaaca de nos voyageurs, Acosta, Garcias, Fragoso, Linschoot, & autres.

Cet arbre a la feuille large comme la main, d'un verd clair, & nerveuse. Il croît le long des eaux, & porte le plus gros fruit qui soit connu dans le monde. Il sort du tronc, ainsi que des principales branches, & est souvent enseveli dans la terre avec le bas du tronc, auquel il est adhérant. Il est de figure conique, d'une palme de large sur deux de longueur, & pese ordinairement quinze à vingt livres ; il est couvert d'une coque verte, épaisse, & parsemée d'une infinité de tubercules écailleux, piquans, mais blancs & laiteux en-dedans. Ce fruit en contient une infinité d'autres plus petits, oblongs & enveloppés d'une écorce commune ; leur pulpe est épaisse, jaunâtre, d'un goût & d'une odeur agréable. Chacun de ces fruits renferme une amande placée dans sa chair, comme dans un sac ; ces amandes sont couvertes d'une peau mince, cartilagineuse, blanchâtre & transparente ; sous cette pellicule extérieure, on en trouve une autre rougeâtre, qui contient une seconde amande, dont le goût approche beaucoup de celui de nos chataignes.

Il s'éleve du milieu de ce cône un pistil épais, cendré, semblable à une colonne, autour duquel les plus petits fruits sont disposés circulairement ; une de leurs extrémités pénetre dans le pistil, & l'autre aboutit diamétralement à l'écorce : on observe entre ces fruits, une infinité de ligamens membraneux, blanchâtres, jaunâtres, qui tiennent au pistil & à l'écorce, & qui rendent, après qu'on a coupé le fruit, le pistil & l'écorce, un suc gluant & laiteux.

Le jaca vient dans toutes les Indes orientales. Il y en a plusieurs especes, que l'on distingue par leurs fruits, qui sont plus ou moins gros, succulens & savoureux. (D.J.)


JACAMACIRIS. m. (Ornith. exot.) oiseau très-remarquable du Brésil, qu'on peut ranger parmi les pies, ayant les piés faits de même, deux orteils devant, & deux derriere. Il est de la grosseur de l'alouette ; ses piés sont jaunes ; sa tête, son dos, & ses aîles sont d'un verd gai, mêlangé de jaune & de rouge ; son ventre & sa poitrine sont d'un cendré sale ; mais comme toutes ses couleurs sont très-éclatantes au soleil, on ne peut s'empêcher d'en admirer le lustre & la beauté, selon Marggrave Hist. Bras. (D.J.)


JACANAS. m. (Ornith. exot.) belle espece de colombe du Brésil, qui aime les lieux humides ; ses jambes d'un jaune verd, sont plus élevées que celles de nos pigeons, & ses orteils, principalement ceux de derriere, sont plus longs ; sa couleur du dos, du ventre & des aîles, est nuée de verd & de noir ; son col & sa poitrine jettent toutes les couleurs changeantes de nos plus beaux pigeons ; sa tête est petite, & couverte d'une coeffe colorée comme la turquoise orientale ; son bec a la forme de celui de nos poules, petit, en partie d'un jaune verdâtre, & en partie d'un rouge éclatant. Marggrave, hist. Bras. (D.J.)


JACAPÉS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de jonc du Brésil, qui ne porte ni semence ni fleurs. On le met au-dessus de la plaie de la morsure d'un serpent, & il soulage. Pison dit avoir fait usage avec succès de la décoction de sa racine contre le poison. Ray.


JACAPUS. m. (Ornithol. exot.) oiseau du Brésil qu'on doit ranger dans la classe des merles, puisqu'il en a la figure, la grosseur & la noirceur, à l'exception que sa poitrine est d'un très-beau rouge. Ray, Ornith. pag. 143. (D.J.)


JACAPUCAIOS. m. (Botan. exot.) Pison caractérise cet arbre en ces termes, arbor nucifera, Brasiliensis, cortice, fructu ligneo, quatuor nuces continente. C'est un grand arbre du Brésil, qui se plait dans les lieux marécageux du coeur du pays ; son bois est très-compact ; son écorce est grise, dure, inégale, telle que celle d'un vieux chêne ; ses feuilles ressemblent à celles du meurier, dentelées en leurs bords, & en quelque maniere torses & recourbées ; son fruit est gros comme la tête d'un enfant, de figure ovoïde, terminé à sa partie inférieure en cône obtus, attaché & suspendu par un pédicule ligneux. Il est couvert d'une écorce jaune extrêmement dure, & au bout qui regarde la terre, il est fermé en façon de boete par un couvercle qui paroît d'un artifice admirable. Ce couvercle se détache de lui-même lors de la maturité du fruit, & en même tems qu'il tombe, il laisse tomber aussi des noix jaunes, ridées, approchant en figure des mirobolans chébules, & contenant une amande d'un goût très-savoureux, comme celui des pistaches ; on les mange roties, on en donne pour nourriture à plusieurs animaux ; on en tire beaucoup d'huile par expression. La coque des noix est employée à faire des tasses, des gobelets ; le bois de l'arbre résiste à la pourriture, & on le préfere à tout autre pour des axes de moulins à sucre ; son écorce extérieure desséchée & pilée, sert pour calfeutrer des vaisseaux. (D.J.)


JACAPUYAS. m. (Hist. nat. Bot.) grand arbre du Brésil, qui produit un fruit semblable à un gobelet garni d'un couvercle, & qui contient des especes de chataignes qui ont du rapport avec les mirobolans. Dans la maturité le couvercle de ce fruit s'ouvre de lui-même. On lui attribue la propriété singuliere de faire tomber tous les poils du corps à ceux qui en mangent avec excès, inconvénient qu'il n'a point lorsqu'on le fait rotir.


JACARANDAS. m. (Bot. exot.) arbre des Indes, dont Pison a décrit deux especes ; l'une a le bois blanc, & l'autre noir ; tous deux sont marbrés, durs, & employés dans la Marqueterie.

Le blanc est sans odeur ; ses feuilles sont petites, pointues, luisantes en-dessus, blanches en-dessous, opposées directement le long des branches ; chaque rameau pousse divers rejettons, qui portent pendant plusieurs jours des boutons gros comme des noyaux de cerises, olivâtres, & disposés en grappes ; ces boutons en s'ouvrant, se divisent chacun en cinq feuilles inclinées em-bas, & soyeuses au toucher. Il naît entre ces feuilles une fleur monopétale, presque ronde, jaune, d'une odeur suave, s'épanouissant vers le côté, & poussant au milieu plusieurs étamines blanches, terminées par des sommets jaunes, en maniere de vergettes de soie. A ces fleurs succede un fruit grand comme la paume de la main, mais d'une figure que la nature a voulu singuliere ; car il est inégal, bossu, tortueux, inclinant toujours em-bas par son poids, rempli d'une chair verte blanchâtre, dont les habitans des lieux se servent au lieu de savon ; ils l'appellent manipoy.

Le jacaranda noir differe du blanc, en ce que son bois est noir, dur, compact comme celui de campêche, & odorant. (D.J.)


JACARDS. m. (Hist. nat. Zoolog.) l'animal que les Portugais appellent adive, & les Malabares jacard, ressemble au chien en grandeur & en figure, mais il a la queue du renard & le museau du loup. Ces animaux ne sortent guere que la nuit ; ils vont en troupes ; ils ont le cri plaintif ; à les entendre de loin, on diroit que ce sont des enfans qui pleurent. Ils font la guerre aux poules & à toutes sortes de volaille. Il y a entr'eux & les chiens grande antipathie. Ils attaquent quelquefois les enfans ; mais un homme armé d'un bâton peut toujours s'en défendre. On les enfume dans leurs tanieres, qui contiendroient vingt personnes, où l'on trouve rassemblés jusqu'à trente jacards.


JACARINIS. m. (Zool. exot.) sorte de chardonneret du Brésil, pour la figure & la grosseur, mais ayant d'autres couleurs que ceux de l'Europe ; car celui du Brésil est d'un noir brillant comme l'acier poli, & a le dessous des aîles tout blanc. Marggrave, hist. Brasil. (D.J.)


JACATETS. m. (Hist. mod.) sixieme mois de l'année des Ethiopiens & des Coptes. Il répond à notre Février. On l'appelle aussi Jachathtih & Jacatrih, & non Lécatrih, comme on lit dans Kircker.


JACATIBAS. m. (Hist. nat.) arbre du Brésil, qui porte un fruit semblable au limon, dont le jus est très-acide. Ce jus se trouve aussi dans toute l'écorce de l'arbre qui est fort rare, & qui ne se trouve que dans la Capitainerie de Saint-Vincent.


JACATRA(Géog.) ancienne ville d'Asie dans l'isle de la grande Java, détruite par les Hollandois, & dont ils ont fait ensuite, sous le nom de Batavia, une des plus belles places des Indes, & la capitale de tous les pays que possede la compagnie au-delà du Cap de Bonne-Espérance. Voyez BATAVIA. (D.J.)


JACCA(Géog.) ancienne ville d'Espagne, au royaume d'Aragon, avec un évêché suffragant de Sarragosse, & une forteresse ; elle est sur la riviere d'Aragon au pié des Pyrénées, à 8 lieues N. O. d'Huesca, 10 N. E. de Sarragosse. Ptolomée en parle, & elle a conservé son nom sans aucun changement. Long. 17. 16. lat. 42, 22. (D.J.)


JACCALS. m. (Zoolog.) Dellon écrit jacard ; espece de loup jaune, nommé par les Latins lupus aureus, & par les Grecs modernes squilachi. Il est plus petit que le loup, & a la queue du renard ; on les voit presque toujours en troupe jusqu'à des centaines ensemble ; ils habitent dans des tanieres, d'où ils sortent pendant la nuit, & volent tout ce qu'ils attrapent jusqu'à des souliers. C'est un animal d'ailleurs timide, & très-commun en Cilicie ; il a un cri lugubre. C'est selon toute apparence le même que le jacard. Voyez Dellon, voyages, ou mieux encore Belon, Observ. liv. 2. chap. 108. & Ray, Synops. quad. p. 174. (D.J.)


JACCARou JACARET, s. m. (Zoolog. exot.) animal du Brésil peu différent du crocodile des autres parties du monde. Il n'a point de langue, mais seulement une espece de membrane qui l'imite, & qui est mobile ; ses yeux sont gros, ronds, brillans, gris & bleux, avec une prunelle d'un beau noir ; les jambes antérieures sont foibles & très-déliées, les postérieures sont plus longues & plus fortes ; les piés de devant ont chacun cinq orteils, trois au milieu plus longs & armés d'ongles pointus, & les deux autres en sont dénués ; les piés de derriere ont chacun quatre orteils, dont l'un d'eux n'a point d'ongles. Il a, sur une moitié de sa queue, une forte nageoire, à la faveur de laquelle il peut nager comme les poissons. Ray. syn. quadr. p. 262. (D.J.)


JACÉEjacea, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante composée de plusieurs fleurons découpés, portés sur un embrion, & soutenus par un calice écailleux qui n'a point d'épine ; l'embrion devient dans la suite une semence qui porte une aigrette. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Quoiqu'on en compte au-delà de quarante especes, la plus commune mérite seule d'être ici décrite ; les Botanistes la nomment jacea nigra ; jacea vulgaris, jacea nigra pratensis, latifolia.

Sa racine est assez épaisse, ligneuse, vivace, fibreuse, d'une saveur astringente, & qui cause des nausées. Les premieres feuilles, qui sortent de la racine, ont quelque chose de commun avec celles de la chicorée, car elles sont longues, un peu découpées, d'un verd foncé, garnies d'un duvet court. Sa tige est quelquefois unique, quelquefois il y en a plusieurs qui sortent d'une même racine ; elle est haute d'une coudée ou d'une coudée & demie, velue, cylindrique, cannelée, ferme, roide, difficile à rompre, & remplie de moëlle. Les feuilles, placées sur la tige, sont nombreuses, sans ordre, semblables à celles qui sont vers la racine, mais plus étroites, & dentelées à leur base. Des aisselles de ces feuilles s'élevent de petits rameaux garnis de folioles semblables, plus petites, portant à leur cime une, deux, ou trois fleurs composées de plusieurs fleurons en tuyau, découpées profondement vers leur sommet en cinq parties ; ces fleurons sont purpurins, fort serrés, appuyés sur un embrion, & renfermés dans un calice ; ce calice est composé d'écailles noirâtres, disposées en maniere de tuile, & garnies de poils à leurs bords. Quand les fleurs sont seches, les embryons se changent en des semences oblongues, petites, d'un noir-gris dans la maturité, chargées d'une aigrette, & nichées dans un duvet court & épais.

Cette plante est commune dans les pâturages. Elle contient beaucoup de sel alkali, fixe ou volatil, joint à une huile bitumineuse ; ses feuilles & ses fleurs sont rarement d'usage, excepté pour déterger & résoudre les ulceres. (D.J.)


JACHALvoyez JACCAL.


JACHERES. f. (Agricult.) c'est une terre labourable, sur laquelle on ne seme rien pendant une année, & que cependant on cultive pour la disposer à produire du blé.

Les spéculateurs en agriculture ont beaucoup raisonné pour & contre ce repos périodique, qui de trois années paroît en faire perdre une. L'usage constant de cette méthode dans beaucoup de pays est une présomption qu'elle est appuyée sur des raisons très-fortes ; & le succès d'une culture différente dans d'autres lieux est une preuve que cette année de repos n'est pas par-tout d'une indispensable nécessité.

Il paroît difficile de se passer de l'année de jachere dans toutes les terres que la nature n'a pas douées d'une fertilité extraordinaire, ou dont on ne peut pas compenser la médiocrité par des engrais fort abondans. En général les terres qu'on fait rapporter sans interruption s'épuisent, à moins qu'on ne répare continuellement ce que la fécondité prend sur elles. L'année de repos est pour la plûpart une condition essentielle à la recolte du blé.

Pendant cette année la culture a deux objets ; d'ameublir la terre, & de détruire l'herbe. Ces deux objets sont remplis par les labours, lorsqu'ils sont distribués & faits avec intelligence. On donne aux terres trois ou quatre labours pendant l'année de jachere, mais il vaut toujours mieux en donner quatre, excepté dans les glaises, parce que la difficulté de saisir le moment favorable pour les labourer, est beaucoup plus grande.

On dit lever la jachere, lorsqu'on donne le premier labour. Il doit être peu profond, & fait, autant qu'il est possible, pendant les mois de Novembre & de Décembre. Les gelées qui surviennent ameublissent & façonnent la terre, lorsqu'elle est retournée. Ce labour d'hiver a beaucoup plus d'influence qu'on ne croit sur les recoltes.

Vers la fin d'Avril, lorsque les semailles de Mars sont finies, on donne le second labour aux jacheres, & les autres successivement, à mesure que l'herbe vient à croître. Voyez LABOUR. Dans les intervalles de chacun de ces labours, les troupeaux paissent sur les jacheres qui leur sont très-utiles depuis le printems jusqu'au moment où la recolte des foins leur laisse les prés libres.

La terre exposée ainsi pendant un an, dans presque toutes ses parties, aux influences de l'air, acquiert une disposition à la fécondité qui est nécessaire pour assurer une récolte abondante de blé. Mais si l'on veut rendre & le repos & les labours aussi utiles qu'ils peuvent l'être, il faut que ces labours soient toujours faits par un tems sec, & suivis, quelques jours après, d'un hersage. Sans ces deux conditions la terre n'est point suffisamment ameublie, & les herbes ne sont pas assez détruites. Dans les années pluvieuses, souvent quatre labours ne suffisent pas ; il faut les multiplier autant que les herbes qui renaissent en établissent la nécessité.

A ces préparations on joint l'engrais. C'est pendant l'année de jachere qu'on porte le fumier sur les terres. Lorsque la cour en est suffisamment fournie, on fait bien de répandre ce fumier immédiatement avant le second labour. Il se desseche moins alors, que lorsqu'il est répandu pendant les grandes chaleurs de l'été, & il est mieux mêlé avec la terre par les labours qui suivent le second.

Si une terre est dans un état habituel de bonne culture, & qu'elle ait été long-tems engraissée, on peut, sans crainte, ne pas la laisser entierement oisive pendant l'année de jachere. Alors on retourne le chaume de Mars au mois de Novembre, & on herse bien ce labour. Au mois de Mars suivant on fume bien la terre, on la laboure de nouveau, & on y seme de bonne heure des pois ou de la vesce. Dès qu'ils sont recueillis, on laboure encore pour semer le blé dont on peut se promettre une bonne recolte. Mais il est sage de ne pas toujours demander à la terre cette fécondité continue. On doit conseiller aux cultivateurs de ne traiter ainsi chaque année que la moitié de leurs jacheres, afin que leurs terres se réparent tous les six ans par un plein repos. Il y a cependant des méthodes qu'on peut tenter peut-être avec de grands succès, quoique le repos n'y entre pour rien. Telle est celle qui a été pratiquée par Patulho. Voyez l'Essai sur l'amélioration des terres.


    
    
JACHERERv. act. (Agricult.) c'est donner à un champ le premier labour.


JACI D'AQUILA(Géog.) petite ville maritime de Sicile sur la côte orientale, entre le golphe de sainteThecle & Ponta Sicca, à mi-chemin de Catane à Tavormina. Long. 33. 2. lat. 37. 42. (D.J.)


JACINTEhyacinthus, s. f. (Bot.) genre de plante à fleur liliacée, monopetale & découpée en six parties ; elle a, en quelque façon, la forme d'une cloche, & par le bas celle d'un tuyau. Le pistil sort du fond de la fleur & devient dans la suite un fruit arrondi qui a trois côtes, qui est divisé en trois loges, & qui renferme des semences quelquefois arrondies, quelquefois plates. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.


JACINTHEvoyez HYACINTHE.


JACKS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de fruit particulier à l'isle de Ceylan, & à qui les habitans donnent différens noms suivant ses différens degrés de maturité ; on le nomme polos lorsqu'il commence à pousser, cose lorsqu'il est encore verd, & ouaracha ou vellas lorsqu'il est parfaitement mûr. Ce fruit croît sur un grand arbre ; sa couleur est verdâtre ; il est hérissé de pointes & d'une grosseur prodigieuse ; il est rempli de graines comme la citrouille ; ce fruit est d'une grande ressource pour le peuple ; on le mange comme on fait les choux, & il en a le goût ; un seul jack suffit pour rassassier sept à huit personnes ; ses graines ou pepins ont la couleur & le goût des châtaignes ; on les fait cuire à l'eau ou sous les cendres.


JACKAASHAPUCKS. m. (Hist. nat. Botan.) c'est le nom que les sauvages de l'Amérique septentrionale donnent à une plante qui est connue par les Botanistes sous le nom de bousserole, vitis idaea, uva ursi, myrtillus ruber minor humi serpens. Il y a quelques années que cette plante étoit en vogue en Angleterre ; on la faisoit venir d'Amérique, & on en mêloit les feuilles sechées avec le tabac à fumer. Ces feuilles donnoient une odeur agréable à la fumée, & comme elles sont fort astringentes, elles empêchoient la trop grande abondance de salive que la fumée du tabac excite ordinairement. On n'a pas besoin de faire venir cette plante d'Amérique ; elle se trouve en très-grande quantité sur nos montagnes, & sur-tout sur les Pyrénées ; on en trouve aussi sur les Alpes & en Suéde. Voyez les Mémoires de l'Académie de Suéde, année 1743. On attribue à cette plante des vertus beaucoup plus intéressantes, & sur-tout celle d'être un puissant litontriptique, & de diviser la pierre très-promtement de la vessie. (-)


JACOBÉEjacoboea, s. f. (Bot.) genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de fleurons, & la couronne de demi-fleurons ; les fleurons & les demi-fleurons sont portés chacun sur un embryon, & tous soutenus par un calice presque cylindrique, & fendu en plusieurs pieces. Les embryons deviennent dans la suite des semences garnies d'une aigrette & attachées à la couche. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

On vient de lire les caracteres de ce genre de plante, dont on compte une vingtaine d'especes, toutes inutiles en Medecine ; ainsi nous ne décrirons que la plus commune, nommée par les Botanistes jacobaea ou jacobaea vulgaris.

Sa racine est attachée fortement en terre, & on a peine à l'en tirer, à cause du grand nombre de fibres blanchâtres qu'elle jette de toutes parts. Ses tiges sont souvent nombreuses ; quelquefois il n'y en a qu'une, cylindrique, cannelée ; quelquefois elles sont lisses, d'autres fois un peu cotonneuses, purpurines, solides, garnies de beaucoup de feuilles, placées alternativement & sans ordre, hautes d'une coudée & demie & plus, partagées à leur partie supérieure en quelques rameaux ; ses feuilles sont oblongues, divisées profondément, d'abord en quelques paires de découpures, qui vont presque jusqu'à la côte ; ensuite par d'autres découpures secondaires, lisses, d'un verd foncé, sur-tout en-dessus.

Ses fleurs naissent à la cime des tiges & des rameaux ; elles sont disposées en forme de parasols d'une grandeur médiocre, radiées de couleur jaune ; leur disque est composé de plusieurs fleurons en tuyaux, divisés en cinq segmens à leur sommet, & la couronne est de demi-fleurons pointus, portés sur des embryons, & renfermés dans un calice tubulaire, qui est partagé en plusieurs pieces. Les embryons se changent après que la fleur est séchée, en des semences très-menues, oblongues, garnies d'aigrettes rougeâtres quand elles sont mûres.

Cette plante vient par-tout dans les champs, fleurit en été, & est quelquefois d'usage pour sécher, déterger, & consolider les ulceres ; ses feuilles ameres, astringentes, & très-desagréables au goût, changent légérement la teinture de tournesol. Il paroît qu'elles contiennent un sel essentiel uni à beaucoup d'huile & de terre.

Comme les tiges de la jacobée qu'on cultive dans les jardins s'élevent à quatre, cinq, ou six piés, on lui donne des appuis pour l'empêcher de se rompre ; elle soutient le froid des plus grands hivers, & se multiplie de bouture. (D.J.)


JACOBINSS. m. (Hist. ecclés.) est le nom qu'on donne en France aux religieux & aux religieuses qui suivent la regle de S. Dominique, à cause de leur principal couvent qui est près de la porte S. Jacques, à Paris ; c'étoit auparavant un hôpital de pélerins de S. Jacques, quand ils s'y vinrent établir en 1218. Voyez DOMINICAIN.

D'autres prétendent qu'ils s'appellerent Jacobins, dès qu'ils vinrent s'établir en Italie, parce qu'ils prétendoient imiter la vie des apôtres.

On les appelle aussi les freres prêcheurs ; ils font un des corps des quatre mendians. Voyez PRECHEUR & MENDIANT. Dictionnaire de Trévoux.


JACOBITES. m. (Hist. d'Angl.) c'est ainsi qu'on nomma dans la grande Bretagne, les partisans de Jacques II. qui soutenoient le dogme de l'obéissance passive, ou pour mieux m'exprimer en d'autres termes, de l'obéissance sans bornes. Mais la plûpart des membres du parlement & de l'église anglicane, penserent avec raison, que tous les Anglois étoient tenus de s'opposer au roi, dès qu'il voudroit changer la constitution du gouvernement ; ceux donc qui persisterent dans le sentiment opposé, formerent avec les Catholiques, le parti des Jacobites.

Depuis, on a encore appellé Jacobites, ceux qui croyent que la succession du trone d'Angleterre ne devoit pas être dévolue à la maison d'Hanovre ; ce qui est une erreur née de l'ignorance de la constitution du royaume.

On peut faire actuellement aux Jacobites, soit qu'ils prêtent serment, ou n'en prêtent point, une objection particuliere, qu'on ne pouvoit pas faire à ceux qui étoient ennemis du roi régnant, dans le tems des factions d'Yorck & de Lancastre. Par exemple, un homme pouvoit être contre le prince, sans être contre la constitution de son pays. Elle transportoit alors la couronne par droit héréditaire dans la même famille ; & celui qui suivoit le parti d'Yorck, ou celui qui tenoit le parti de Lancastre, pouvoit prétendre, & je ne doute pas qu'il ne prétendît, que le droit ne fût de son côté. Aujourd'hui les descendans du duc d'Yorck sont exclus de leurs prétentions à la couronne par les lois, de l'aveu même de ceux qui reconnoissent la légitimité de leur naissance. Partant, chaque Jacobite actuellement est rebelle à la constitution sous laquelle il est né, aussi-bien qu'au prince qui est sur le trone. La loi de son pays a établi le droit de succession d'une nouvelle famille ; il s'oppose à cette loi, & soutient sur sa propre autorité, un droit contradictoire, un droit que la constitution du royaume a cru devoir nécessairement éteindre. (D.J.)


JACOBSTADT(Géog.) petite ville maritime du royaume de Suede, en Finlande, dans la province de Cajanie, sur la côte orientale du golfe de Bothnie.


JACOUTINSS. m. (Hist. nat.) espece de faisans du Brésil, dont le plumage est noir & gris ; ils different pour la grosseur : suivant les voyageurs, leur chair est si délicate, qu'elle surpasse pour le goût celles de tous nos oiseaux d'Europe.


JACou JACQUE, s. m. (Marine) on nomme ainsi le pavillon de Beaupré d'Angleterre ; il est bleu, chargé d'un sautoir d'argent & d'une croix de gueule bordée d'argent. Voyez Planche XIX. suite des pavillons, celui de Jacque. (Q)


JACQUERI(LA) s. f. Hist. de France, sobriquet qu'on s'avisa de donner à une révolte de paysans, qui maltraités, rançonnés, desolés par la noblesse, se souleverent à la fin en 1356, dans le tems que le roi Jean étoit en Angleterre. Le soulevement commença dans le Beauvoisis, & eut pour chef un nommé Caillet. On appella cette révolte la jacquerie, parce que les gentilshommes non contens de vexer ces malheureux laboureurs, se mocquoient encore d'eux, disant qu'il falloit que Jacque-bonhomme fît les frais de leurs dépenses. Les paysans réduits à l'extrémité, s'armerent ; la noblesse de Picardie, d'Artois, & de Brie, éprouva les effets de leur vengeance, de leur fureur, & de leur desespoir. Cependant au bout de quelques semaines, ils furent détruits en partie par le dauphin, & en partie par Charles-le-Mauvais, roi de Navarre, qui prit Caillet, auquel on trancha la tête ; & tout le reste se dissipa. Mais s'ils eussent été victorieux ? (D.J.)


JACQUESJACQUES

Sa fin fut d'empêcher les courses des Maures qui troubloient les pélerins de St. Jacques de Compostelle. Treize chevaliers s'obligerent par voeu à assurer les chemins.

Ils proposerent aux chanoines de St. Eloi, qui avoient un hôpital sur la voie françoise, de s'unir à leur congrégation. L'union se fit en 1170, & l'ordre fut confirmé en 1175.

La premiere dignité de l'ordre est celle de grand-maître, qui a été réunie à la couronne d'Espagne. Les chevaliers font preuve de quatre races de chaque côté. Il faut encore faire preuve que les ancêtres n'ont été ni Juifs, ni Sarrasins, ni hérétiques, ni repris en aucune maniere par l'inquisition.

Les novices sont obligés de faire le service de la Marine pendant six mois sur les galeres, & de demeurer un mois dans un monastere. Autrefois ils étoient véritablement religieux, & faisoient voeu de chasteté ; mais Alexandre III. leur permit de se marier. Ils ne font plus que les voeux de pauvreté, d'obéissance, & de chasteté conjugale, auxquels ils ajoutent celui de défendre l'immaculée conception de la Vierge, depuis l'an 1652. Leur habit de cérémonie est un manteau blanc avec une croix rouge sur la poitrine. Cet ordre est le plus considérable de tous ceux qui sont en Espagne. Le roi conserve avec soin le titre de grand-maître de S. Jacques, comme un des plus beaux droits de sa couronne, à cause des revenus, & des riches commanderies, dont il lui donne la disposition. Le nombre des chevaliers est beaucoup plus grand aujourd'hui qu'il ne l'étoit autrefois ; les grands aimant mieux y être reçûs que dans celui de la Toison d'or, parce qu'ils esperent parvenir par-là aux commanderies, & que cette dignité leur donne dans tout le royaume d'Espagne, mais particulierement en Catalogne, des priviléges considérables.

Les anciennes armes de cet ordre étoient d'or à une épée de gueules, chargée en abîme d'une coquille de même, & pour devise, rubet ensis sanguine Arabum. Aujourd'hui c'est une croix en forme d'épée, le pommeau fait en coeur, & les bouts de la garde en fleurs-de-lis. On croit que ces fleurs-de-lis qui se rencontrent dans les armes des ordres militaires d'Espagne, sont un monument de reconnoissance des secours que les François donnerent souvent aux Espagnols contre les Maures.

* JACQUES (S.) hôpital S. Jacques, Hist. mod. il a été fondé par les bourgeois de Paris vers la fin du douzieme siecle, mais n'a commencé à former un corps politique qu'en 1315, en vertu de lettres-patentes de Louis X. En 1221, le pape Jean XXII. reconnoissant le droit de patronage & d'administration laïque que les fondateurs de cette maison s'étoient réservé à eux & à leurs successeurs, voulut par une bulle donnée en faveur de cet établissement qu'on construiroit une chapelle dans cet hôpital, & que cette chapelle seroit desservie par quatre chapelains ; que l'un d'eux sous le nom de trésorier, ordonneroit de toutes les choses ecclésiastiques & autres qui concerneroient l'office divin seulement ; qu'il auroit charge d'ame des chapelains, des hôtes & des malades de l'hôpital, & qu'il leur administreroit les sacremens ; que ce trésorier rendroit compte tous les ans aux administrateurs ; que ceux-ci présenteroient au trésorier des personnes capables de remplir les chapellenies, & que la trésorerie venant à vaquer, un des chapelains seroit présenté par les administrateurs à l'évêque de Paris, pour être revêtu de l'office de trésorier. Une bulle de Clément VI. confirme celle de Jean XXII ; le nombre des chapelains n'étoit dans les commencemens que de quatre. Il a été augmenté dans la suite ; mais quatre seulement des nouveaux ont été égalés aux anciens. Le but de l'institution étoit l'hospitalité envers les pélerins de S. Jacques ; mais elle y a toûjours été exercée envers les malades de l'un & de l'autre sexe. En 1676, on tenta de réunir cette maison à l'ordre hospitalier de S. Lazare ; mais en 1698, le roi anéantit l'union faite : depuis, l'administration & l'état de l'hôpital S. Jacques ont été un sujet de contestations qui ne sont pas encore terminées. Un citoyen honnête avoit proposé de ramener cet établissement à sa premiere institution ; mais il ne paroît pas qu'on ait goûté son projet. Voyez parmi les différens mémoires qu'il a publiés sous le titre de vûes d'un citoyen, celui qui concerne l'hôpital dont il s'agit.

JACQUES, (pierre de S.) gemma divi Jacobi, nom que quelques naturalistes ont donné à une espece de quartz ou d'agate opaque, d'une couleur laiteuse. Voyez la Minéralogie de Wallerius.

JACQUES, (S.) Géog. Voyez SANT IAGO.


JACTANCES. f. (Morale) c'est le langage de la vanité qui dit d'elle le bien qu'elle pense. Ce mot a vieilli, & n'entre plus dans le style noble, parce qu'il est moins du bon ton de se louer soi-même que de dire du mal des autres. La jactance est quelquefois utile au mérite médiocre, elle seroit funeste au mérite supérieur ; je ne hais point trop la jactance, son but est de s'élever & non de s'abaisser.


JACTATIONS. f. (Méd.) c'est un symptome de maladie ; il consiste en ce que les malades étant extrêmement inquiets, ne peuvent rester au lit dans une même attitude, & en changent continuellement, parce que, comme on dit communément, ils ne trouvent point de bonne place : ils se jettent d'un côté du lit à l'autre ; ils se tournent souvent ; ils s'agitent, s'étendent, se courbent ; ils promenent leurs membres çà & là, & ne discontinuent point ces différens mouvemens du corps entier ou de ses parties, ayant la physionomie triste, & poussant souvent des soupirs, des gémissemens.

Cet état accompagne souvent les embarras douloureux d'estomac, les nausées fatigantes, la disposition au vomissement prochain, les douleurs vives, comme convulsives, qui viennent par tranchées, par redoublemens, comme dans certaines coliques, dans le travail de l'enfantement & dans les cas où les humeurs morbifiques d'un caractere délétere, portent des impressions irritantes dans le genre nerveux ; quoiqu'il y ait d'ailleurs beaucoup de foiblesse.

La jactation est toûjours un mauvais signe dans les maladies, sur-tout lorsqu'elle survient à l'abattement des forces constant & considérable ; lorsque le vice morbifique a son siége dans quelques parties nobles, lorsqu'elle est accompagnée de sueurs de mauvaise qualité, de froid aux extrémités ; mais elle est de moindre conséquence, lorsqu'elle arrive dans les tems de crise ; qu'elle ne se trouve avec aucun autre mauvais symptome, & qu'elle n'est point suivie de défaillance, de délire ou de phrénésie.

La jactation est à-peu-près la même chose que l'anxiété, l'inquiétude : on peut consulter sur ce qui y a rapport, les traités de Séméiotique dans la partie qui roule sur les prognostics : mais on trouve le précis très-bien circonstancié de tout ce qu'ont observé les anciens sur le sujet dont il s'agit, dans l'excellent ouvrage de Prosper Alpin, de praesagiendâ vitâ & morte aegrotantium, lib. III. cap. iv. &c. dans celui de Duret, in coacas praenotiones Hippocratis passim, &c.


JACUA-ACANGAS. m. (Botan. exot.) espece d'héliotrope du Brésil décrite par Pison, & que les Portugais appellent fédagoso ; sa tige rameuse & velue croît à la hauteur de deux à trois piés ; ses feuilles sont grandes comme la main, de la figure de celles de l'herbe aux chats, rudes, plus piquantes que celles de l'ortie, & repliées. Il s'éleve d'entre elle, une sorte d'épic long d'un pié, garni de grains verds comme au plantain, excepté que ces épics sont courbés en queue de scorpion, finissant par de petites fleurs bleues & jaunes, faites en forme de calice ; sa racine est longue d'un pié, presque droite, ligneuse, jettant peu ou point de filamens, brune en-dehors, blanche en-dedans, & d'un goût insipide. (D.J.)


JACULATOIRou ÉJACULATOIRE, adject. (Théolog.) par cette épithete, on désigne des prieres courtes & ferventes adressées à Dieu du fond de l'ame ; les pseaumes de David en sont remplis.


JACUPÉMAS. m. (Ornith. exot.) espece de faisan du Brésil de la grosseur de nos poules ; sa large queue est d'un pié de longueur ; ses jambes sont hautes, couvertes de plumes noirâtres ; il peut élever les plumes de sa tête en maniere de crête, qui est bordée de blanc ; sa gorge a un appendice assez semblable aux barbes du coq ; son ventre est legerement tacheté de blanc ; ses piés sont d'un beau rouge ; on apprivoise aisément cet oiseau ; il tire son nom de son cri qui est jacu, jacu, jacu. Marggrave, Hist. Brasil. (D.J.)


JACUTS. m. (Hist. nat.) on croit que les Médecins arabes désignent sous ce nom le rubis ; ils croyoient que c'étoit à l'or que cette pierre précieuse étoit redevable de sa couleur, & en conséquence la regardoient comme un excellent cordial. D'autres pensent que les arabes désignoient par ce mot général le rubis, le saphir, & l'hyacinthe ; ce qui paroît certain, c'est que rien n'est plus mal fondé que les vertus médicinales que l'on attribue à ces sortes de pierres.


JACUT-AGAS. m. (Hist. mod.) nom d'un officier à la cour du grand-seigneur. C'est le premier des deux eunuques qui ont soin du trésor ; ils sont l'un & l'autre au-dessus de l'esneder-bassi. Le jacut-aga a le tiers du deuxieme denier que l'esneder-bassi prend sur-tout ce qui se tire du trésor. Dict. de Trév. & Vegece.


JADDESESS. m. pl. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans l'isle de Ceylan des prêtres d'un ordre inférieur & obscur, qui sont chargés de desservir les chapelles ou les oratoires des génies qui forment un troisieme ordre de dieux parmi ces idolâtres. Chaque habitant a droit de faire les fonctions des jaddeses, sur-tout lorsqu'il a fait bâtir à ses dépens une chapelle, dont il devient le prêtre ; cependant le peuple a recours à eux dans les maladies & les autres calamités, & l'on croit qu'ils ont beaucoup de credit sur l'esprit des démons, qui passent chez eux pour avoir un pouvoir absolu sur les hommes, & à qui les jaddeses offrent un coq en sacrifice dans la vûe de les appaiser. Les jaddeses sont inférieurs aux gonnis & aux koppus. Voyez KOPPUS.


JADES. m. (Hist. nat. Lithologie) c'est une pierre, ou d'un verd pâle, ou olivâtre, ou grisâtre ; elle est d'une dureté extrême, au point qu'on ne peut la travailler qu'avec la poudre de diamant ; elle ne prend jamais un beau poli, mais sa surface paroît toûjours comme humide ou grasse ; elle donne des étincelles lorsqu'on la frappe avec de l'acier ; quand elle est brisée, son tissu intérieur est parfaitement semblable à celui du quartz ou du caillou ; elle n'a que très-peu de transparence, à-peu-près comme un morceau de cire blanche ; sa couleur, quoique toûjours verte, varie pour les nuances ; on en trouve d'un verd jaunâtre très-clair, & d'un verd foncé & terne comme celui de l'olive.

On a donné au jade les noms de pierre divine, à cause des propriétés merveilleuses que les Indiens lui ont attribuées ; ils croyoient que cette pierre appliquée sur les reins étoit très-propre à en soulager les douleurs, & faisoit passer le sable & la pierre par les urines ; ils la regardoient aussi comme un remede souverain contre l'épilepsie, & étoient persuadés que de la porter en amulete c'étoit un préservatif contre les morsures des bêtes venimeuses. On a un traité imprimé sous le nom de pierre divine, l'on y trouvera les détails des propriétés prétendues qu'on lui a attribuées. Il y a peu de tems que cette pierre étoit fort en vogue à Paris, ses grandes vertus la faisoient rechercher avec empressement par les dames, & elles en payoient très-cherement les plus petits morceaux ; mais il paroît que cet enthousiasme populaire est actuellement passé, & que le jade ou la pierre divine a perdu la réputation qu'on lui avoit si légerement accordée.

On a donné aussi au jade le nom de pierre néphrétique, mais il ne faut point le confondre avec d'autres pierres, à qui quelques auteurs ont aussi donné ce nom. Voyez PIERRE NEPHRETIQUE.

Les Turcs & les Polonois font avec le jade des manches de sabres & de coutelas, ainsi que d'autres ornemens.

Quelques auteurs donnent au jade le nom de pierre des Amazones, parce qu'on assure qu'il se trouve sur les bords de la riviere des Amazones, dans l'Amérique méridionale ; quelques naturalistes ont prétendu que les pierres qu'on y trouve ne sont point la même chose que le vrai jade qui vient des Indes orientales, & qui se rencontre dans l'île de Sumatra ; mais M. de la Condamine assure que la pierre des Amazones ne differe en rien du jade oriental : elle se trouve chez les Topayos, nation indienne établie sur les bords de la riviere des Amazones, plus aisément que par-tout ailleurs.

Les morceaux de jade qu'on trouve en Amérique sont très-artistement travaillés, & paroissent l'avoir été par les anciens Américains ; on en rencontre des morceaux qui sont cylindriques, & percés depuis un bout jusqu'à l'autre ; cela paroît d'autant plus surprenant, que la pierre est extrêmement dure, & que ces peuples ignoroient l'usage du touret & du fer ; cela a donné lieu de croire que cette pierre n'étoit que le limon de la riviere des Amazones, à qui on avoit donné différentes formes en le paîtrissant quand il étoit mou, & qu'il s'étoit ensuite durci à l'air, fable que l'expérience a suffisamment réfutée. Voyez le voyage de la riviere des Amazones, par M. de la Condamine, p. 140. & suiv. édit. in-8 °.

On trouve aussi des morceaux de jade creusés, & taillés en vases & en figures différentes ; d'autres sont en plaques, sur lesquelles on a gravé des figures d'animaux pour en faire des talismans, &c.

Quelques naturalistes regardent le jade comme une espece de jaspe ; mais il semble en différer par sa dureté, qui est beaucoup plus considérable que celle du jaspe ; outre cela, il a plus de transparence que le jaspe, il ne prend point le poli comme lui, puisque, comme nous l'avons déja remarqué, le jade a toûjours un air gras à sa surface. (-)

JADE, (Mat. med.) Voyez PIERRE NEPHRETIQUE.


JADÉRA(Géog. anc.) ancienne ville & colonie de la Liburnie, selon Pline & Ptolomée ; elle est appellée sur une médaille de Claudius, Col. Claudia, Augusta, Felix, Jadera ; & une médaille de Domitien porte, Col. Augusta, Jadera ; c'est aujourd'hui Zara Vecchia. (D.J.)


JADIS(adv. de tems.) Jadis est synonyme à autrefois, ils se disent l'un & l'autre d'un tems très-éloigné dans le passé ; mais autrefois est d'usage dans la prose & dans la poésie, au lieu que jadis semble réservé à la poésie : on s'en sert aussi dans le style plaisant ; on dit quelquefois une femme de jadis ; on n'aime plus comme on aimoit jadis.


JAEN(Géog.) ville d'Espagne, capitale d'un canton appellé Royaume, dans l'Andalousie, avec un évêché suffragant de Tolede, riche de 20 mille ducats de revenu fixe. Ferdinand III. roi de Castille prit Jaen sur les Maures en 1243 ; elle est dans un terrein abondant en fruits exquis, & très-riche en soie, au pié d'une montagne, à 16 lieues N. de Grenade, 6 S. O. de Baeza, 46 N. E. de Seville, 72 S. E. de Madrid. Long. 14. 55. lat. 37. 38. (D.J.)


JAFA(Géog.) autrefois dite par les étrangers Joppé, ancienne ville d'Asie dans la Palestine, & fameuse dans l'Ecriture-sainte, à 8 lieues de Jérusalem, avec un mauvais port. Saladin la ruina ; quelques années après, S. Louis tâcha de la rétablir, & y donna des exemples de sa charité ; elle est aujourd'hui si misérable, qu'on y comptoit à peine 300 pauvres habitans, au rapport de Paul Lucas, qui la vit en 1707. Le plus beau bâtiment consiste en deux vieilles tours quarrées, où demeure un aga du grand-seigneur, qui y reçoit quelque tribut des pélerins du lieu. Long. 52. 55. lat. 32. 20. (D.J.)


JAFANAPATAN(Géog.) ville forte des Indes orientales, capitale d'un royaume ou d'une presqu'île de même nom, dans l'île de Ceylan. Les Hollandois la prirent sur les Portugais le 21 Juin 1658, & depuis ce tems-là elle leur est demeurée. Long. 98. lat. 9. 30. (D.J.)


JAFISMKES. m. (Commerce) c'est ainsi que les Russes appellent les écus blancs d'Allemagne, de la figure de S. Joachim empreinte sur cette monnoie, qui fut battue en 1519 à Joachimstal, en Bohème. Les jafismkes passent en Russie sur le pié des écus de France.


JAGARAS. m. (Hist. nat.) nom que les Indiens donnent à une espece de sucre que les Indiens tirent d'une liqueur, qu'on obtient en coupant la pointe des bourgeons du tenga ou cocotier ; ce sucre est fort blanc, mais il n'a point la délicatesse de celui qu'on tire des cannes.


JAGASGIAGAS ou GIAGUES, s. m. (Hist. mod. & Géog.) peuple féroce, guerrier, & antropophage, qui habite la partie intérieure de l'Afrique méridionale, & qui s'est rendu redoutable à tous ses voisins par ses excursions & par la désolation qu'il a souvent portée dans les royaumes de Congo, d'Angola, c'est-à-dire sur les côtes occidentales & orientales de l'Afrique.

Si l'on en croit le témoignage unanime de plusieurs voyageurs & missionnaires qui ont fréquenté les Jagas, nulle nation n'a porté si loin la cruauté & la superstition : en effet, ils nous présentent le phénomene étrange de l'inhumanité la plus atroce, autorisée & même ordonnée par la religion & par la législation. Ces peuples sont noirs comme tous les habitans de cette partie de l'Afrique ; ils n'ont point de demeure fixe, mais ils forment des camps volans, appellès kilombos, à-peu-près comme les Arabes du désert ou Bédouins ; ils ne cultivent point la terre, la guerre est leur unique occupation ; nonseulement ils brûlent & détruisent tous les pays par où ils passent, mais encore ils attaquent leurs voisins, pour faire sur eux des prisonniers dont ils mangent la chair, & dont ils boivent le sang ; nourriture que leurs préjugés & leur éducation leur fait préférer à toutes les autres. Ces guerriers impitoyables ont eu plusieurs chefs fameux dans les annales africaines, sous la conduite desquels ils ont porté au loin le ravage & la desolation : ils conservent la mémoire de quelques héroïnes qui les ont gouvernés, & sous les ordres de qui ils ont marché à la victoire. La plus célebre de ces furies s'appelloit Ten-ban-dumba ; après avoir mérité par le meurtre de sa mere, par sa valeur & par ses talens militaires de commander aux Jagas, elle leur donna les lois les plus propres qu'elle put imaginer pour étouffer tous les sentimens de la nature & de l'humanité, & pour exciter une valeur féroce, & des inclinations cruelles qui font frémir la raison ; ces lois, qui s'appellent Quixillos, méritent d'être rapportées comme des chefs-d'oeuvre de la barbarie, de la dépravation, & du délire des hommes. Persuadée que la superstition seule étoit capable de faire taire la nature, Ten-ban-dumba l'appella à son secours ; elle parvint à en imposer à ses soldats par un crime si abominable, que leur raison fut reduite au silence ; elle leur fit une harangue, dans laquelle elle leur dit qu'elle vouloit les initier dans les mysteres des Jagas, leurs ancêtres, dont elle alloit leur apprendre les rites & les cérémonies, promettant par-là de les rendre riches, puissans, & invincibles. Après les avoir préparés par ce discours, elle voulut leur donner l'exemple de la barbarie la plus horrible ; elle fit apporter son fils unique, encore enfant, qu'elle mit dans un mortier, où elle le pila tout vif, de ses propres mains ; aux yeux de son armée ; après l'avoir réduit en une espece de bouillie, elle y joignit des herbes & des racines, & en fit un onguent, dont elle se fit frotter tout le corps en présence de ses soldats ; ceux-ci, sans balancer, suivirent son exemple, & massacrerent leurs enfans pour les employer aux mêmes usages. Cette pratique abominable devint pour les Jagas une loi qu'il ne fut plus permis d'enfreindre ; à chaque expédition, ils eurent recours à cet onguent détestable. Pour remédier à la destruction des mâles, causée par ces pratiques exécrables, les armées des Jagas étoient recrutées par les enfans captifs qu'on enlevoit à la guerre, & qui devenus grands & élevés dans le carnage & l'horreur, ne connoissoient d'autre patrie que leur camp, & d'autres lois que celles de leur férocité. La vue politique de cette odieuse reine, étoit, sans-doute, de rendre ses guerriers plus terribles, en détruisant en eux les liens de la nature & du sang. Une autre loi ordonnoit de préférer la chair humaine à toute autre nourriture, mais défendoit celle des femmes ; cependant on remarque que cette défense ne fit qu'exciter l'appétit exécrable des Jagas les plus distingués, pour une chair qu'ils trouvoient plus délicate que celle des hommes ; quelques-uns de ces chefs faisoient, dit-on, tuer tous les jours une femme pour leur table. Quant aux autres, on assure qu'en conséquence de leurs lois, ils mangent de la chair humaine qui se vend publiquement dans leurs boucheries. Une autre loi ordonnoit de réserver les femmes stériles, pour être tuées aux obseques des grands ; on permettoit à leurs maris de les tuer pour les manger. Après avoir ainsi rompu tous les liens les plus sacrés de la nature parmi les Jagas, leur législatrice voulut encore éteindre en eux toute pudeur ; pour cet effet elle fit une loi, qui ordonnoit aux officiers qui partoient pour une expédition, de remplir le devoir conjugal avec leurs femmes en présence de l'armée. A l'égard des lois relatives à la religion, elles consistoient à ordonner de porter dans des boëtes ou châsses les os de ses parens, & de leur offrir de tems en tems des victimes humaines, & de les arroser de leur sang, lorsqu'on vouloit les consulter. De plus, on sacrifioit des hécatombes entieres de victimes humaines aux funérailles des chefs & des rois ; on enterroit tout vifs plusieurs de ses esclaves & officiers pour lui tenir compagnie dans l'autre monde, & l'on ensevelissoit avec lui deux de ses femmes, à qui on cassoit préalablement les bras. Le reste des cérémonies religieuses étoit abandonné à la discrétion des singhillos, ou prêtres de cette nation abominable, qui multiplient les rites & les cérémonies d'un culte exécrable, dont eux seuls savent tirer parti. Quelques Jagas ont, dit-on, embrassé le christianisme, mais on a eu beaucoup de peine à les déshabituer de leurs rites infernaux, & sur-tout de leur goût pour la chair humaine. Voyez the modern. part. of an universal history, vol. XVI.


JAGERNDORFF(Géog.) ville & château de Silésie, sur l'Oppa, à 6 lieues O. de Tropaw, 26 S. E. de Breslaw. Long. 35. 22. lat. 50. 4.

C'est la patrie de Georges Frantzkius, savant jurisconsulte d'Allemagne ; il devint par son mérite chancelier d'Ernest, duc de Gotha, fut annobli, & gratifié du titre de comte Palatin par l'empereur, perdit dans une incendie sa bibliotheque & ses manuscrits, & mourut en 1659, âgé de 65 ans. La plûpart de ses ouvrages, entr'autres ses Commentarii in pandectas juris civilis, & ses Exercitationes juridicae, ont été réimprimés plusieurs fois. (D.J.)


JAGGORIS. f. (Hist. nat.) nom donné par les habitans de Ceylan à une espece de sucre, qui se tire d'un arbre appellé ketule. Voyez ce mot.


JAGIou JAQUIR, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans l'empire du mogol un domaine ou district assigné par le gouvernement, soit pour l'entretien d'un corps de troupes, soit pour les réparations où l'entretien d'une forteresse, soit pour servir de pension à quelque officier favorisé.


JAGOARUMS. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal assez mal décrit. Ce qu'on nous en dit, c'est qu'il aboie comme le chien ; qu'il se trouve au Brésil ; qu'il est comme le chien de cette contrée ; qu'il est fort vorace ; qu'il vit de fruit & de proie ; qu'il est marqueté de brun & de blanc, & qu'il a la queue fort touffue.


JAGODNA(Géog.) ville de la Turquie européenne, dans la Servie, près de la Moravie, à 25 lieues N. O. de Nissa, 38 S. E. de Belgrade. Long. 39d. 50'. lat. 44. (D.J.)


JAGOSS. m. (Géog.) nom d'un peuple d'Afrique, dont il est parlé dans Maty & de la Croix : ce sont des Arabes errans, adorateurs de la lune & du soleil, hommes agiles & robustes, & voleurs de profession. Ils sont armés d'une hache, d'arc & de fleches, & passent pour antropophages ; ils habitent la basse Ethiopie, sur-tout le royaume d'Anzico.


JAGRES. m. (Hist. nat.) espece de sucre, qu'on fait avec le tari ou vin de palmier & de cocotier. Si lorsque le tari est récemment tiré de l'arbre, on le met bouillir dans un chaudron avec un peu de chaux vive, il s'épaissit, & devient en consistance de miel ; en le laissant bouillir plus long-tems, il acquiert la solidité du sucre, moins délicat à la vérité que celui qu'on prépare avec le jus de cannes, mais cependant presqu'aussi blanc ; c'est avec ce sucre que le menu peuple des Indes orientales fait toutes ses confitures, au rapport de Dellon ; les Malabares appellent ce sucre jagara, & les Portugais jagre. Diction. de Trévoux. (D.J.)


JAGRENATou JAGANAT, (Géog.) lieu des Indes, situé à 45 milles de Ganjam, sur l'une des embouchures du Gange ; c'est-là où le grand bramine, c'est-à-dire le grand-prêtre des Indiens, fait sa résidence, à cause du pagode qu'on y a bâti, & dont nous allons parler. Long. 103d. 45'. 30''. lat. 19. 50.

L'édifice de ce temple indien, le plus célebre d'Asie, est extrêmement élevé, & renferme une vaste enceinte. Il donne son nom à la ville qui l'environne, & à toute la province ; mais la grande idole qui est sur l'autel, en fait la gloire & la richesse : cette idole, nommée Késora, a deux diamans à la place des yeux ; un troisieme diamant, attaché à son cou, lui descend sur l'estomac ; le moindre de ces diamans est d'environ 40 karats, au rapport de Tavernier ; les bras de l'idole étendus & tronçonnés un peu plus bas que le coude, sont entourés de bracelets, tantôt de perles, tantôt de rubis ; elle est couverte, depuis les épaules jusqu'aux piés, d'un grand manteau de brocard d'or ou d'argent, selon les occasions ; ses mains sont faites de petites perles, appellées perles à l'once ; sa tête & son corps sont de bois de santal.

Ce dieu, car ç'en est un dans l'esprit des Indiens, quoiqu'il soit assez semblable à un singe, est continuellement frotté avec des huiles odoriférantes qui l'ont entierement noirci ; il a sa soeur à sa main droite, & son frere à sa gauche, tous deux vêtus & debout ; devant lui paroît sa femme, qui est d'or massif : ces quatre idoles sont sur une espece d'autel, entouré de grilles, & personne ne peut les toucher que certains bramines destinés à cet honneur. Autour du dôme qui est fort élevé, & sous lequel cette famille est placée, ce ne sont, depuis le bas jusqu'au haut, que des niches remplies d'autres idoles, dont la plûpart représentent des monstres hideux, faits de pierres de différentes couleurs ; derriere la déesse Késora, est le tombeau d'un des prophetes indiens, à qui l'on rend aussi des adorations.

Il y a dans le même temple une foule d'autres idoles, où les pélerins vont faire leurs moindres offrandes ; & ceux qui dans leurs maladies, ou dans de grands évenemens, se sont voués à quelque dieu, en apportent la ressemblance dans ce lieu-là, pour reconnoître le secours qu'ils croient en avoir reçu.

Le temple de Jagrenate qui possede toutes ces idoles, est le plus fréquenté de l'Asie, à quoi contribue beaucoup sa situation sur le Gange, dont les eaux lavent de toutes souillures ; on y aborde de toutes parts, & le revenu en est si considérable, par les taxes & les aumônes, qu'il pourroit suffire à nourrir dix milles personne chaque jour : l'argent que produit le culte que l'on y vient rendre aux idoles, est un des plus grands revenus du raja de Jagrenate, qui est prince souverain, quoiqu'en apparence tributaire du grand-mogol.

En entrant dans la ville, il faut payer trois roupies, c'est pour le raja ; avant même que de mettre le pié dans le temple, il faut payer une roupie pour les bramines, & c'est la taxe des plus pauvres pélerins, car les riches donnent magnifiquement. Le grand-prêtre, qui dispose seul des revenus du temple, a soin, avant que d'accorder la permission aux pélerins de se raser, de se laver dans le Gange, & de faire les autres choses nécessaires pour s'acquiter de leurs voeux, de taxer chacun selon ses moyens, dont il s'est exactement informé ; le tout est appliqué à l'entretien du pagode, à celui des dieux du temple, à la nourriture des pauvres, & à celle des prêtres qui doivent vivre de l'autel.

Mais on a beau payer cher l'entrée du temple, & les dévotions aux idoles, le concours du monde qui y aborde de toutes les parties de l'Inde, soit en-deçà, soit en-delà du Gange, n'en est que plus grand & plus fréquent.

Il y a des pélerins qui pour être dignes d'entrer dans le temple font des deux cent lieues, en se prosternant sans-cesse sur la route, jusqu'à la fin de leur pélerinage, qui dure quelquefois plusieurs années. D'autres traînent par mortification de longues & pesantes chaînes attachées à leur ceinture ; quelques-uns marchent jour & nuit les épaules chargées d'une cage de fer, dans laquelle leur tête est enfermée : on a vû des Indiens se précipiter sous les roues du char qui portoit l'idole de Jagrenate, & se faire briser les os par piété.

Enfin, la superstition réunissant tous les contraires, on a vû d'un côté les prêtres de la grande idole amener tous les ans une fille à leur dieu, pour être honorée du titre de son épouse, comme on en présentoit une quelquefois en Egypte au dieu Anubis ; & d'un autre côté, on conduisoit au bucher de jeunes veuves, qui se jettoient gaiement dans les flammes sur les corps de leurs maris. (D.J.)


JAGSou JAXT, (Géog.) riviere de Franconie, qui prend sa source dans le comté d'Oettingen, & qui se jette dans le Necker, près de Wimpfen.


JAGUACATI-GUACUS. m. (Ornith. exot.) espece de martin-pêcheur du Bresil, nommé par les Portugais papapèéxe ; son bec est noir, long, & pointu ; ses jambes sont fort courtes, & un des orteils est placé derriere son dos ; sa tête, sa queue, & ses aîles, sont couleur de fer ; son col est entouré d'un collier de plumes d'un grand blanc ; le gosier, la poitrine, & le ventre, sont d'un blanc uniforme : il est marqueté sur chaque oeil d'une tache blanche ; sa queue & ses aîles ont aussi des mouchetures blanches, qui paroissent à découvert quand cet oiseau vole. Marggrave, Hist. Brasil. (D.J.)


JAGUACIRIS. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal du Brésil de la grosseur & de la couleur du renard ; il vit de crabe, d'écrévisse & de la canne de sucre ; il fait quelquefois un grand dégat dans ces plantations ; du reste il est innocent, il dort beaucoup, & on le prend sans peine. Dictionn. de Trévoux.


JAGUANA(Géog.) les Espagnols la nomment Santa-Maria del Puerto, fanum sanctae-Mariae ad Portum ; petite ville de l'Amérique, dans l'île Hispaniola, à soixante lieues de Saint-Domingue. Elle fut surprise par les Anglois en 1591, mais ils l'ont rendue aux Espagnols. Long. 306. 15. lat. 19. 25. (D.J.)


JAGUARAS. m. (Zoolog.) nom d'un animal du Brésil, que Marggrave regarde comme une espece de tigre ; mais il en differe en plusieurs choses, & approcheroit davantage du léopard par ses mouchetures rondes. Les Portugais appellent cet animal onça, l'once, & il paroît en effet qu'on peut assez bien le mettre dans la classe des onces ou lynx proprement ainsi nommés. Sa tête, ses oreilles, ses piés, & toutes ses autres parties, quadrent à cette espece de chat ; ses griffes sont crochues en demi-lune, & très-pointues ; ses yeux sont bleus, & brillent dans l'obscurité ; sa queue est de la longueur de celle du chat, en quoi elle differe de celle du linx ordinaire. Le jaguara est jaune sur tout le corps, avec de belles tachetures noires différemment disposées. C'est une bête sauvage, courageuse & aussi friande de chair humaine, que de celle des autres animaux. (D.J.)


JAGUARACAS. m. (Ichthyol. exot.) poisson du Brésil, semblable en plusieurs choses au scorpion de la méditerranée. Il est de la grosseur d'une perche d'eau douce, & présente une grande gueule édentée. Il n'a qu'une nageoire sur le dos ; sa queue est fourchue, ses ouies sont armées de pointes qui blessent ceux qui le prennent ; tout son corps est revêtu de petites écailles d'un brillant argentin, excepté sur le ventre qui est d'un blanc mate ; sa tête est rouge, couverte d'une espece de croute chevelue. On prend ce poisson parmi les roches, & il est excellent à manger. Marggrave, Hist. Brasil. (D.J.)


JAGUARETES. m. (Hist. nat. Zoolog.) espece de bête féroce du Brésil que Marggrave regarde comme un tigre, & que d'autres prennent pour un lynx ou un léopard. Sa peau est jaunâtre, remplie de grandes taches noires & brunes, qui sont rondes ou d'une figure indéterminée. Il ressemble au jaguara, mais il est plus grand que lui. Voyez JAGUARA. Cet animal est très cruel & avide de chair humaine. Ray, Synops. quadruped.


JAICK LE(Géog.) grande riviere de la Tartarie à son extrémité orientale. Elle la sépare du Turquestan, prend sa source au Caucase, dans la partie que les Tartares nomment Aral tag, à 53 dégrés de latit. & à 85 de longit. après un cours d'environ 80 lieues d'Allemagne, elle se jette dans la mer Caspienne, à 45 lieues à l'Est de l'embouchure du Wolga ; il y a une quantité prodigieuse de poisson, dont on transporte les oeufs salés par toute l'Europe, sous le nom de caviar. Voyez CAVIAR. (D.J.)


JAICZA(Géog.) ville forte de la Turquie européenne, dans la Bosnie, dont elle est la capitale, sur la Pliva, à 20 lieues N. O. de Bagnaluck, 52 S. O. de Bude, 54 N. O. de Belgrade. Long. 35. 10. lat. 45. 5. (D.J.)


JAIHAHS. m. (Hist. nat. Zoolog.) espece de renard de la basse Ethiopie. On dit qu'il a l'odorat très-fin, & qu'il chasse de concert avec le lion qui partage avec lui sa proie.


JAILLIRverb. & JAILLISSANT, adj. (Hydr.) se dit des eaux qui s'élevent en l'air, & qui y sont poussées avec violence. Voyez JET D'EAU. (K)


JAIou JAYET, s. m. gagates, lapis thracius, succinum nigrum. (Hist. nat. minéral.) On nomme ainsi une substance d'un noir luisant, opaque, seche, & qui a presque la dureté d'une pierre ; elle prend un poli aussi vif qu'une agate ; elle est legere au point de nager sur l'eau ; elle brûle dans le feu, répand une fumée fort épaisse, accompagnée d'une odeur semblable à celle du charbon de terre. Le jais est une substance résineuse ou bitumineuse, qui a pris de la solidité & de la consistance dans le sein de la terre ; elle est plus legere, plus pure & moins chargée des parties terrestres, que le charbon de terre ; & quand on la brûle, elle donne moins de cendres ou de terre que lui. Il y a en Angleterre une espece de charbon fossile très-pur, qu'on nomme kennel-coal, qu'il seroit aisé de confondre avec le jais. Cependant il y a des différences réelles, attendu que le jais se trouve par masses détachées, ou par morceaux de différentes grandeurs dans le sein de la terre, au lieu que le charbon de terre se trouve par couches ; joignez à cela que le jais s'allume beaucoup plus promtement que le charbon de terre.

Le jais se trouve dans beaucoup de parties de l'Europe, telles que l'Angleterre, l'Allemagne, & sur-tout dans le duché de Wirtemberg ; il y en a aussi en France dans le Dauphiné & dans les Pyrénées. Les morceaux de jais qu'on trouve sont toûjours accompagnés d'une terre argilleuse, noirâtre ; ils ont une figure qui les fait ressembler à des morceaux de bois ; & on ne peut douter que, de même que le charbon de terre, le succin & tous les bitumes, le jais ne tire son origine de bois extrêmement résineux, qui ont été enfouis dans le sein de la terre par des révolutions arrivées au globe ; la partie ligneuse s'est décomposée & a été détruite dans la terre, de maniere qu'on ne trouve plus que la partie résineuse qui, en se durcissant, a conservé la forme du bois qui lui a servi comme de moule.

Tout le monde sait qu'on fait avec le jais un grand nombre de bijoux & d'ornemens, comme des boëtes, des bracelets, des colliers, des pendants d'oreilles, & des boutons pour le deuil ; on les taille pour ces usages comme on feroit des pierres. On contrefait le jais avec du verre noir, dont on forme de petits cylindres creux que l'on coupe & que l'on enfile les uns près des autres, pour faire des ajustemens de deuil pour les femmes, & on les nomme jais artificiel. Il y en a de noir & de blanc ; ce dernier n'est appellé jais que très-improprement. (-)


JAIZIS. m. (Hist. mod.) secrétaire ou contrôleur. En Turquie toutes les dignités ont leur chécaya & leur jaizi. Le jaizi de l'imbro-orbassi est grand écuyer sur le registre ou contrôle des écuries.


JAKAN(Hist. nat. Bot.) c'est une plante du Japon, à fleur-de-lis, petite, rouge & marquetée en dedans de taches couleur de sang. Une autre espece, qui se nomme siaga, croît sur les montagnes, & porte une fleur blanche, double, quelquefois d'un bleu détrempé.


JAKSHABATS. m. (Hist. mod.) douzieme & dernier mois de l'année des Tartares orientaux, des Egyptiens & des Cataïens. Il répond à notre mois de Novembre. On l'appelle aussi jachchaban ou mois de rosées.


JAKUSIS. m. (Myth.) c'est le nom que les Japonois donnent au dieu de la medecine ; ils le représentent debout, la tête entourée de rayons ; il est porté sur une feuille de tarato ou de nymphaea.


JAKUTEou YAKUTES, s. m. pl. (Géog.) nation tartares payenne de la Sibérie orientale, qui habite les bords du fleuve Lena. Elle est divisée en dix tribus d'environ trois mille hommes chacune. Dans de certains tems, ils font des sacrifices aux dieux & aux diables ; ils consistent à jetter du lait de jument dans un grand feu, & à égorger des chevaux & des brebis qu'ils mangent, en buvant de l'eau-de-vie jusqu'à perdre la raison. Ils n'ont d'autres prêtres que des schamans, especes de sorciers en qui ils ont beaucoup de foi, qui les trompent par une infinité de tours & de supercheries, par lesquels il n'y a qu'une nation aussi grossiere qui puisse être séduite. Ils sont tributaires de l'empire de Russie, & payent leur tribut en peaux de zibelines & autres pelletteries. Un usage bien étrange des Jakutes, c'est que, lorsqu'une femme est accouchée, le pere de l'enfant s'approprie l'arrierefaix & le mange avec ses amis qu'il invite à un régal si extraordinaire. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie.


JAKUTSK(Géog.) ville de Sibérie sur les bords du grand fleuve de Lena qui va se jetter dans la mer glaciale. Il y regne un froid extraordinaire, & la terre y est toûjours gelée jusqu'à une très-grande profondeur. Les habitans déposent leur provision de poisson & de viande dans leurs caves, où étant gelées, elles se conservent très-long-tems. Les environs de cette ville sont très-stériles à cause du froid qui y regne. C'est dans son territoire qu'on trouve une très-grande quantité de dents d'élephans enfouies en terre. Voyez IVOIRE FOSSILE. Elle est placée au 58e. degré 26 minutes de latitude septentrionale. Elle est habitée par les Jakutes, nation tartare, & par les Russes. Gmelin, voyage de Sibérie.


JALA(Géog.) royaume & ville d'Asie, situés dans la partie orientale de l'isle de Ceylan. Cet état est fort dépeuplé, à cause de la mauvaise qualité de l'air.


JALAC(Géog.) ville d'Afrique, dans la Nubie, bâtie sur une isle formée par le Nil.


JALAGES. m. (Jurisprud.) est un droit que quelques seigneurs sont fondés à prendre sur chaque piece de vin vendue en détail ; c'est la même chose que ce que l'on appelle ailleurs droit de forage. Ce mot jalage vient de ce qu'on mesure le vin, dû pour ce droit, dans une jale ou vaisseau contenant un certain nombre de pintes de vin. Le jalage d'Orléans, qui paroît avoir rapport à ces termes de jale & de jalage, contient seize pintes. Voyez l'article 492 de la Coûtume d'Orléans. (A)


JALAPjalapa, s. m. (Hist. nat. Bot.) plante à fleur monopétale en forme d'entonnoir, découpée, pour l'ordinaire, très-légerement ; elle a deux calices ; l'un l'enveloppe, l'autre la soutient ; celui-ci devient dans la suite un fruit arrondi qui renferme une semence de même forme. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

M. de Tournefort compte onze especes de ce genre de plante, & nomme jalapa officinarum fructu rugoso, celle dont on emploie les racines sous le nom de jalap dans les boutiques. Voici la description de cette espece. Elle porte au Pérou de grosses racines noirâtres en dehors, blanchâtres en dedans, d'où sort une tige haute de deux coudées, ferme, noueuse & fort branchue : les feuilles naissent opposées, & se terminent en pointe d'un verd obscur, sans odeur. Les fleurs sont monopétales en forme d'entonnoir, jaunes ou panachées de blanc, de pourpre & de jaune, ayant un double calice, l'un qui les enveloppe, & l'autre qui les soutient. Le dernier devient un fruit ou une capsule à cinq angles, arrondie, noirâtre, longue de trois lignes, un peu raboteuse & chagrinée, obtuse d'un côté, & terminée de l'autre par un bord saillant en forme d'anneau. Cette capsule renferme une semence ovoïde, roussâtre : toute cette plante ne différe presque du solanum mexicanum magno flore C. B. P. que l'on a coûtume d'appeller en françois belle-de-nuit, qu'en ce qu'elle a le fruit plus ridé : ou plutôt c'est un liseron d'Amérique, convolvulus americanus, comme le prétend M. William Houston.

On cultive en Angleterre, dans les jardins des curieux, la plûpart des especes de jalap, soit par le moyen des racines qui réussissent très-bien, soit par les graines ; on seme d'abord les graines au commencement du printems dans une couche modérée pour la chaleur, & quand elles ont levé, on les transplante dans une autre couche, à six pouces de distance, pour leur faire prendre racine ; on les couvre avec des verres pendant la nuit, & on les ôte dans le jour. Dès qu'elles se sont élevées à la hauteur d'un pié, on les met dans des pots pleins de bonne terre, qu'on place dans des couches qui ne donnent point trop de chaleur, pour faciliter leur enracinement. On transporte ces pots à la fin de Mai dans des lieux à demeure, ayant soin de soutenir la tige de la plante par un petit bâton, & de l'arroser au besoin.

Les jalaps, par cette culture, montent à la hauteur de trois ou quatre piés, s'étendent au large, & donnent constamment des fleurs différentes sur un même pié, depuis le mois de Juin jusqu'à l'hiver, ce qui produit le double plaisir de la variété des fleurs & de leur durée.

Il est vrai cependant que les sleurs de jalaps se ferment pendant le jour à la chaleur du soleil ; mais le soir à son coucher, elles s'épanouissent de nouveau & continuent dans cet état jusqu'à ce que le lendemain le soleil vienne les refermer ; c'est pourquoi, sans-doute, on appelle cette plante belle-de-nuit, ou merveille du Pérou. Ainsi, toutes les fois que le ciel est couvert, ou qu'on arrive au milieu de l'automne, les fleurs de jalap restent épanouies presque tout le jour.

Comme elles naissent successivement & se succedent promtement, leurs graines qui mûrissent peu de tems après, tombent à terre. C'est-là qu'il faut les ramasser soigneusement une ou deux fois par semaine, pour les resemer ensuite. On choisit celles qui viennent de la plante qui a donné la plus grande variété de fleurs, parce qu'elles produisent toûjours cette même variété, & ne changent jamais du rouge ou du jaune au pourpre & au blanc, quoiqu'elles dégénerent quelquefois en fleurs simples, jaunes, rouges, pourpres, blanches ; mais elles retiennent constamment une ou deux de leurs couleurs primordiales.

De toutes les especes de jalap, il n'y a que le jalap à fruit ridé, fructu rugoso, espece de liseron du nouveau monde, qui donne la racine médicinale, dont on fait un si grand débit. Elle tire son nom de Xalappa, ville de la nouvelle Espagne, située à seize lieues de la Vera-Cruz, d'où elle est venue pour la premiere fois en Europe.

On compte que presque tous les deux ans, il arrive d'Amérique à Cadix environ six mille livres de cette racine. (D.J.)

JALAP, (Mat. méd.) le jalap est une racine qu'on nous apporte de l'Amérique, dans un état très-sec, & coupée en tranches. L'extérieur en est noir ou très-brun, & le dedans d'un gris foncé, & même un peu noirâtre, parsemé de petites veines blanches, ou d'un jaune très-pâle.

Il faut choisir le jalap en gros morceaux brillans ou résineux, qu'on ne puisse rompre avec les mains, mais qui se brisent facilement sous le marteau, qui s'enflamment dès qu'on les expose à la flamme, ou au charbon embrasé, & qui soient d'un goût vif & nauséeux. Il faut toûjours le demander en morceaux entiers, & non pas brisé, ou en poudre ; parce que celui qu'on trouve chez les marchands dans ce dernier état, est communément vieux, carié, sans vertu.

Le jalap contient une résine & un extrait, qu'on peut en retirer séparément par les menstrues respectives de ces substances, c'est-à-dire, par le moyen de l'esprit-de-vin, & par celui de l'eau. Selon Géoffroy, douze onces de jalap donnent trois onces de résine, & quatre onces d'extrait. Cartheuser a retiré d'une once de jalap bien choisi, environ demi-once d'extrait, & deux scrupules de résine ; ce qui donne une porportion bien différente de celle de Geoffroy. Il est vraisemblable que cette variété de résultats, est plutôt dûe dans les expériences de ces deux auteurs, à des différences dans la maniere de procéder, qu'à la diversité des sujets sur lesquels chacun a opéré : car, quoiqu'on trouve des jalaps plus ou moins résineux, il n'est pas permis de supposer qu'ils puissent tant varier à cet égard, étant observé d'ailleurs que tout bon jalap possede un degré d'activité, à-peu-près constant & uniforme.

La vertu propre du jalap entier, ou donné en substance, est de purger puissamment, & pourtant sans violence. C'est le plus doux des hydragogues, & cependant un des plus sûrs. Les expériences que Wepfer a faites avec le magistere, c'est-à-dire, la resine de jalap sur des chiens, & dont le résultat a été que cette drogue causoit sur l'estomac & les intestins de ces animaux les effets des poisons corrosifs, ces expériences, dis-je, ne pouvant rien, même contre la résine de jalap, attendu que Wepfer a employé des doses excessives, & que tous les remedes actifs, vraiment efficaces, deviennent nuisibles, mortels, lorsqu'on force leur dose jusqu'à un certain point. Elles prouvent encore moins contre les vertus du jalap entier ou en substance ; car nous observerons, tout-à-l'heure, que l'action de ces deux remedes est bien différente. Nous disons donc que l'observation constante prouve, malgré les expériences de Wepfer, que le jalap en substance est un excellent, & un très-sain, très-fidele purgatif, que les Medecins abandonnent très-mal à-propos aux gens du peuple, ou du moins qu'ils réservent dans leur pratique ordinaire, pour les cas où les plus forts hydragogues sont indiqués. Le jalap entier est, encore un coup, un purgatif qui n'est point violent, & qui ajoûté à la dose de douze, quinze & vingt grains aux medecines ordinaires, avec la manne, & au lieu du sené & de la rhubarbe, purgeroit efficacement & sans violence, le plus grand nombre des adultes. De bons auteurs le recommandent même pour les enfans ; mais il n'est pas assez démontré par l'expérience que cette derniere pratique soit louable.

Le jalap entier est, à la dose de demi-gros & d'un gros donné seul dans de l'eau ou dans du vin blanc, un excellent hydragogue, qu'on emploie utilement dans les hydropisies, les œdèmes, les queues des fievres intermittentes, certaines maladies de la peau, &c. Voyez HYDRAGOGUE.

L'extrait aqueux, ou l'extrait proprement dit de jalap ne purge presque point, & pousse seulement par les urines : ce remede n'est point d'usage.

La résine de jalap donnée seule ou nue dans de l'eau, du vin, ou du bouillon, purge quelquefois très-puissamment, mais ce n'est jamais sans exciter des tranchées cruelles ; l'irritation qu'elle cause s'oppose même assez souvent à son effet purgatif, & alors le malade est violemment tourmenté, & est peu purgé, beaucoup moins que par le jalap entier. Ce vice est commun aux résines purgatives ; voyez PURGATIF. Mais on le corrige efficacement en combinant ces substances avec le jaune d'oeuf, ou avec le sucre ; voyez CORRECTIF. C'est principalement avec la résine de jalap & le sucre qu'on prépare les émulsions purgatives, qui sont des remedes très-doux. Voyez à l'art. EMULSION. (b)


JALAVA(Hist. nat. Bot.) fruit d'un arbre des Indes orientales, qui est de la grosseur d'un gland. On nous dit que les Indiens l'emploient dans différentes potions médicinales, sans nous apprendre pour quelles maladies.


JALDABAOTHS. m. (Hist. eccles.) nom que les Nicolaïtes donnoient à une divinité qu'ils adoroient. Barbelo étoit mere de Jaldabaoth. Il avoit découvert beaucoup de choses ; il méritoit nos hommages sur-tout. On lui attribuoit des livres, ces livres étoient remplis de noms barbares de principautés & de puissances qui occupoient chaque ciel, & qui perdoient les hommes.


JALÉS. f. (Commerce) mesure de liquides qui tient environ quatre pintes de Paris. Voyez GALLON.


JALOCZINA(Géog.) riviere de Valachie, qui prend sa source sur les frontieres de la Transilvanie, & qui se jette dans le Danube.


JALOFESles, ou GELOFFES, s. m. pl. (Géog.) peuple d'Afrique dans la Nigritie. Ils occupent le bord méridional du Sénégal & les terres comprises entre cette riviere, & celle du Niger ; ce qui fait un pays de plus de cent lieues de long, sur quarante de côtes maritimes.

Les Jalofes sont tous extrêmement noirs, en général bien proportionnés, & d'une taille assez avantageuse. Leur peau est très-fine, très-douce, mais d'une odeur forte & desagréable, quand ils sont échauffés. Il y a parmi le peuple des femmes aussi-bien faites, à la couleur près, qu'en aucun autre pays du monde ; & c'est cette couleur vraiment noire qu'elles estiment le plus.

Elles sont gaies, vives, & très-portées à l'amour. Elles ont du goût pour tous les hommes, & particulierement pour les blancs, auxquels elles se livrent pour quelque présent d'Europe, dont elles sont fort curieuses ; d'ailleurs leurs maris ne s'opposent point à leur goût pour les étrangers, & même ils leur offrent leurs femmes, leurs filles & leurs soeurs, tenant à honneur de n'être pas refusés, tandis qu'ils sont fort jaloux des hommes de leur nation. Ces négresses ont presque toûjours la pipe à la bouche, se baignent très-souvent, aiment beaucoup à sauter & à danser au bruit d'une calebasse, d'un tambour ou d'un chaudron ; tous les mouvemens de leurs danses, sont autant de postures lascives, & de gestes indécens.

Le P. du Jarric dit qu'elles cherchent à se donner des vertus, comme celles de la discrétion, & de la sobriété, desorte que pour s'accoûtumer à manger & à parler peu, elles prennent de l'eau, & la tiennent dans leur bouche, pendant qu'elles s'occupent à leurs affaires domestiques, & qu'elles ne rejettent cette eau, que quand l'heure du premier repas est arrivée. Mais une chose plus vraie, c'est leur goût pour se peindre le corps de figures inéfaçables ; la plûpart des filles, avant que de se marier, se font découper & broder la peau de différentes figures d'animaux, ou de fleurs, pour paroître encore plus aimables. Ce goût regne chez presque tous les peuples d'Afrique, les Arabes, les Floridiennes, & tant d'autres. Voyez FARD.

Les Jalofes sont mahométans, mais d'une ignorance incroyable. Il ne croît ni bled ni vin dans leur pays, mais beaucoup de dattes dont ils font leur breuvage, & du mays dont ils font leur pain. On tire de ce pays des cuirs de boeufs, de la cire, de l'ivoire, de l'ambre-gris, & des esclaves. Voyez Dapper, Descrip. de l'Afrique, p. 228. & suiv. (D.J.)


JALOISS. m. (Commerce) mesure de continence dont on se sert à Guise, & aux environs, pour mesurer les grains. Le jalois de froment pese 80 livres poids de marc, de meteil, 76 ; de seigle, aussi 76 ; d'avoine, 50 livres : un jalois fait cinq boisseaux de Paris. A Riblemont vers la Ferre, le jalois comble fait quatre boisseaux mesure de Paris. Diction. de Commerce. (G)


JALONSS. m. pl. (Arpentage) ce sont des bâtons droits, longs de cinq à six piés, & unis & planés par un des bouts, qui s'appelle la tête du jalon, & aiguisés par l'autre qu'on fiche en terre. Ils servent à prendre de longs alignemens, & souvent on garnit leurs têtes de cartes, de linge, ou de papier, pour les distinguer de loin dans le nivellement ; on les arme d'un carton blanc coupé à l'équerre.

On appelle jalon d'emprunt une mesure portative, qui est la même que la hauteur des jalons qui supportent le niveau, & que l'on présente à tous les jalons d'un alignement, pour les faire buter & décharger. De jalon, on a fait jalonner.


JALOUSIES. f. (Morale) inquiétude de l'ame, qui la porte à envier la gloire, le bonheur, les talens d'autrui ; cette passion est si fort semblable par sa nature & par ses effets, à l'envie dont elle est soeur, qu'elles se confondent ensemble. Il me paroît pourtant que par l'envie, nous ne considérons le bien, qu'en ce qu'un autre en jouit, & que nous le desirons pour nous, au lieu que la jalousie est de notre bien propre, que nous appréhendons de perdre, ou auquel nous craignons qu'un autre ne participe : on envie l'autorité d'autrui, on est jaloux de celle qu'on possede.

La jalousie ne regne pas seulement entre des particuliers, mais entre des nations entieres, chez lesquelles elle éclate quelquefois avec la violence la plus funeste ; elle tient à la rivalité de la position, du commerce, des arts, des talens, & de la religion.

Pour ce qui regarde la jalousie en amour, cette fiévre ardente qui dévore les habitans des régions brûlées par les influences du soleil, & qui n'est pas inconnue dans nos climats tempérés, nous croyons qu'elle mérite un article à part. (D.J.)

* La jalousie, dans ce dernier sens, est la disposition ombrageuse d'une personne qui aime, & qui craint que l'objet aimé ne fasse part de son coeur, de ses sentimens, & de tout ce qu'elle prétend lui devoir être reservé, s'allarme de ses moindres démarches, voit dans ses actions les plus indifférentes, des indices certains du malheur qu'elle redoute, vit en soupçons, & fait vivre un autre dans la contrainte & dans le tourment.

Cette passion cruelle & petite marque la défiance de son propre mérite, est un aveu de la supériorité d'un rival, & hâte communément le mal qu'elle appréhende.

Peu d'hommes & peu de femmes sont exempts de la jalousie ; les amans délicats craignent de l'avouer, & les époux en rougissent.

C'est sur-tout la folie des vieillards, qui avouent leur insuffisance, & celle des habitans des climats chauds, qui connoissent le tempérament ardent de leurs femmes.

La jalousie écrase les piés des femmes à la Chine, & elle immole leur liberté presque dans toutes les contrées de l'orient.

JALOUSIE, (Architecture) c'est une fermeture de fenêtre, faite de petites tringles de bois croisées diagonalement, qui laissent des vuides en losange, par lesquelles on peut voir sans être apperçu. Les plus belles jalousies se font de panneaux d'ornemens de sculpture évidés, & servent dans les églises, aux jubés, tribunes & confessionnaux, aux écoutes, lanternes, & ailleurs.


JALOUXadjectif (Grammaire) celui qui a le vice de la jalousie. Voyez JALOUSIE.


JAou JEM, (Hist. mod.) la troisieme partie du cycle duodénaire des Cathaïens & des Turcs orientaux. Ce cycle comprend les vingt-quatre heures du jour & de la nuit. Ils ont un autre cycle de douze ans dont le jam ou jem est aussi la troisieme partie. Jam ou jem signifie léopard. Les autres parties du cycle portent chacune le nom d'un animal. D'Herbelot, Biblioth. orientale.


JAMA(Géog.) ville de l'empire russien, sur la riviere de même nom, dans l'Ingrie, à deux milles géographiques, N. E. de Narva. Longitude 47. lat. 59. 15. (D.J.)


JAMA-JURIS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de lis ainsi nommé par les habitans du Japon ; elle a beaucoup de ressemblance avec celle qu'ils nomment kanako-juri, excepté que ses feuilles sont minces & plus longues, & la semence très-dure ; elle croît sur les montagnes. Voyez ephemerid. nat. curios. decur. II anno 8. obs. 191.


JAMACAIIS. m. (Ornith. exot.) oiseau très-joli du Brésil, & de la grosseur d'une alouette. Son bec est un peu courbé en bas ; sa jolie petite tête est noire, ainsi que son gosier. Le dessus du cou, la poitrine, & le ventre sont jaunes ; ses aîles sont noires, & ont chacune une grande moucheture blanche ; sa queue qui égale en longueur celle de nos hochequeues, est toute noire ; ses jambes & ses piés sont rembrunis. Marggrave Hist. Brasil. (D.J.)


JAMACARUS. m. (Hist. nat. Bot.) il y a en Amérique plusieurs especes de figuiers sous ce nom. Ray en compte six, toutes rafraichissantes, à l'exception de la semence qui est astringente & dessicative. La gomme, le fruit, la feuille & la racine en est conseillée dans les fievres, de quelque maniere qu'on en use. Dictionnaire de Trévoux.


JAMAGOROD(Géogr.) place importante & forteresse de l'Ingrie, vers la Finlande, sur la riviere de Laga, à trois milles de Narva ; elle a été prise en 1703 par les Russes sur les Suédois.


JAMAIQUES. f. la, (Géog.) grande île de l'Amérique septentrionale, découverte par Christophe Colomb, en 1494. Elle est à 15 lieues de Cuba, à 20 lieues de Saint-Domingue, à 116 de Porto-belo & à 114 de Carthagène.

Sa figure tient un peu de l'ovale ; c'est un sommet continu de hautes montagnes, courant de l'E. à l'O. remplies de sources fraîches, qui fournissent l'île de rivieres agréables & utiles ; cette île a 20 lieues de large du N. au S. 50 de long de l'E. à l'O. & 150 de circuit.

Le terroir s'y trouve d'une fertilité admirable en tout ce qui est nécessaire à la vie. Les rivieres & la mer sont fort poissonneuses ; la verdure y est perpétuelle, l'air sain, & les jours & les nuits y sont à peu près d'égale longueur pendant tout le cours de l'année. Elle a plusieurs bons ports, baies & havres, un nombre incroyable d'oiseaux sauvages, des plantes très-curieuses, peu d'animaux mal-faisans, excepté l'alligador, qui même attaque rarement les hommes.

Toute l'histoire naturelle de cette île a été donnée en Anglois par le chevalier Hans-Sloane, qui y a longtems séjourné. Son ouvrage qu'il fit imprimer à ses dépens, forme deux volumes in-folio, pleins de tailles-douces. Le premier volume parut à Londres en 1707, & le second en 1725 ; cet ouvrage vaut une dixaine de guinées, & l'on ne le trouve que dans des ventes de bibliotheques de curieux.

L'Amiral Pen, sous le regne de Cromwel, prit la Jamaïque sur les Espagnols en 1655 ; depuis ce tems là elle est restée aux Anglois, qui l'ont soigneusement cultivée, & l'ont rendue une des plus florissantes plantations du monde. On y compte aujourd'hui près de soixante mille Anglois, & plus de cent mille Negres ; enfin son importance pour la nation britannique, fait qu'on n'en confie le gouvernement qu'à des gens du premier rang : elle est divisée en quatorze paroisses ou jurisdictions.

Cette île produit du sucre, du cacao, de l'indigo, du coton, du tabac, des écailles de tortues, dont on fait de fort beaux ouvrages en Angleterre ; les cuirs, le bois pour la teinture, le sel, le gingembre, le piment, & autres épiceries : les drogues, comme le gayac, les racines de squine, la salsepareille, la casse, entrent encore dans le commerce des habitans. Long. selon Harvis, 301d 33' 45''. lat. méridionale 17. 40. lat. septentrionale 18. 45. (D.J.)


JAMAISadv. de tems. (Gramm.) Il se dit par négation de tous les périodes de la durée, du passé, du présent, de l'avenir. Il est impossible que l'ordre de la nature soit jamais suspendu. De quelque phénomene que les tems passés ayent été témoins, & quelque phénomene qui frappe les yeux des hommes à venir, il a la raison de son existence, de sa durée, & de toutes ses circonstances dans l'enchaînement universel des causes qui comprend l'homme, ainsi que tous les autres êtres sensibles, ou non.


JAMBA(Géog.) petit royaume de l'Indoustan, sur le Gange, qui le traverse du N. au S. On n'y connoît qu'une seule ville du même nom. (D.J.)


JAMBAGES. m. (Maçonnerie) se dit d'un pilier entre deux arcades. Toutes sortes de jambages, piliers quarrés, & piés-droits, sont appellés orthostatae par Vitruve.

JAMBAGES de cheminée, sont les deux petits murs qu'on éleve de chaque côté d'une cheminée pour en porter le manteau, & former la largeur de l'âtre.

Les Tourneurs appellent les jambages d'un tour deux grosses pieces de bois d'équarrissage posées à plomb sur des semelles, & assujetties par les côtés avec des liens en contre-fiches ; dans ces deux jambages sont emboîtées les deux autres longues pieces de bois paralleles à l'horison, & appellées les jumelles, entre lesquelles sont placées les poupées. Voyez TOUR.

JAMBAGE, en Ecriture, se dit en général d'une partie de lettre, & particulierement des pleins droits.

Il y a deux sortes de jambages, des jambages obliques droits, des jambages obliques gauches. Voyez le volume des Planches, à la table de l'Ecriture, Pl. des principes.


JAMBELa, s. f. (Anat. Chir. Médec. Orthoped.) en grec , en latin crus ou tibia, seconde partie de l'extrémité inférieure du corps humain, qui s'étend depuis le genou jusqu'au pié ; elle est composée de deux os, dont l'un se nomme le tibia, & l'autre le péroné ; on pourroit fort bien ajouter à ces deux os la rotule, qui a beaucoup d'analogie avec l'olécrane, ou la grande apophyse supérieure du cubitus ; quoi qu'il en soit, voyez ROTULE, TIBIA, PERONE.

Continuons la description générale de la jambe, ensuite nous parlerons des principaux accidens, & des défauts auxquels cette partie est exposée ; la Chirurgie, la Medecine, & l'Orthopédie, s'unissent pour y porter une main secourable.

La premiere chose qui frappe nos yeux dans l'administration anatomique de la jambe, c'est la forte articulation du tibia avec le fémur, par plusieurs ligamens nerveux qui se croisent en sautoir. De la seule articulation du tibia avec le fémur dépendent les mouvemens de flexion, d'extension, de demi-rotation que la jambe fait, soit en-dedans, soit en-dehors ; car le péroné immobile par lui-même, obéit toujours au tibia.

Les mouvemens de flexion, d'extension, de demi-rotation de la jambe, s'exécutent par l'action de plusieurs muscles : on en fixe ordinairement le nombre à celui de dix, qui sont ; 1°. le droit antérieur, ou grêle antérieur ; 2°. le vaste externe ; 3°. le vaste interne ; 4°. le crural ; 5°. le couturier ; 6°. le droit interne, ou grêle interne ; 7°. le biceps ; 8°. le demi nerveux ; 9°. le demi membraneux ; 10°. le poplité. Quelques-uns y joignent le fascia-lata ; on peut lire les articles particuliers de chacun de ces muscles, car nous ne parlerons ici que de leurs usages en général.

On attribue communément l'extension de la jambe, à l'action du droit antérieur, des deux vastes & du crural ; l'on regarde le biceps, le demi nerveux, le grêle interne, le couturier, & le poplité, comme fléchisseurs. L'on croit que les mouvemens de demi-rotation que fait la jambe à-demi fléchie ; dépendent uniquement de l'action alternative du biceps & du poplité, le biceps tournant la jambe de devant en-dehors, & le poplité la tournant de devant en-dedans.

Mais si l'on considere attentivement les attaches de presque tous les muscles de la jambe, & leur direction, on évitera de borner leur action aux simples fonctions qu'on vient de rapporter. En effet, il paroît que le grêle antérieur, par exemple, vû son attache à l'os des îles, peut fléchir la cuisse, indépendamment de son usage pour l'extension de la jambe. Le muscle couturier, outre la flexion de la jambe, à laquelle il contribue, sert encore sûrement à faire la rotation de la cuisse de devant en-dehors, soit qu'elle soit étendue ou flechie ; il fait croiser cette jambe avec l'autre, on le voit dans les tailleurs d'habits, lorsqu'ils travaillent étant assis.

La plûpart des autres muscles, comme le fascialata, sont communs à la cuisse & à la jambe, qu'ils meuvent l'une sur l'autre, les élevent, ou les éloignent. Ils ne sont pas même les seuls moteurs de la jambe sur la cuisse, & de la cuisse sur la jambe ; car ces mouvemens réciproques peuvent encore s'exécuter par les muscles jumeaux, dont l'on borne le service à l'extension du pié.

De plus, quelques-uns des muscles de la jambe, comme le grêle antérieur, le couturier, le grêle interne, le demi-nerveux, & le demi-membraneux, meuvent encore la cuisse sur le bassin, & le bassin sur la cuisse.

En un mot, presque tous les muscles de la jambe sont auxiliaires les uns des autres, & à peine y en a-t-il un, qui, outre son usage principal, ne concoure à d'autres fonctions particulieres.

Remarquez enfin, que tous ces muscles sont très-longs, & situés les uns près des autres, ce qui produit la multiplication de leurs usages. Il n'y a que le poplité qui soit un petit muscle ; il est même comme hors de rang, étant placé au-dessus de la cuisse.

Parlons maintenant des principales difformités, auxquelles les jambes sont exposées, car nous n'avons rien à dire de nouveau sur les arteres, les veines, & les nerfs de cette partie ; on en a déja fait mention à l'article CRURAL, Anatomie.

Quelques enfans viennent au monde avec les jambes tortues, mais le plus souvent ils ne contractent cette difformité que par la faute des nourrices qui les ont mal soignés, mal emmaillottés, ou qui les ont fait marcher trop-tôt ; de-là, les uns ont le tibia tortu, d'autres les genoux, d'autres les piés tournés en-dedans, à l'endroit de l'articulation du tibia avec le tarse ; l'on appelle en latin ces derniers vari : il y en a d'autres, au contraire, dont les piés sont tournés en-dehors, & ceux-ci sont nommés valgi, en françois cagneux. Enfin, il y a des enfans qui ont une jambe plus longue que l'autre, soit par maladie, soit par conformation naturelle, soit par des tiraillemens violens lors de leur naissance.

Tous ces divers états, & le degré où ils peuvent être portés, demandent différens traitemens, pour lesquels il faut s'addresser aux maîtres de l'art ; les bornes de cet ouvrage ne nous permettent que quelques remarques générales.

1°. Le moyen le plus sûr pour prévenir ces sortes de difformités, est de veiller à ce que les enfans soient emmaillotés soigneusement, avec intelligence, & de les empêcher, sur-tout ceux qui ont de la disposition au rachitis, de marcher trop-tôt, ou de demeurer debout ; il faut au contraire les tenir couchés, ou assis ayant les piés appuyés ; les porter dans les bras, & les traîner dans un chariot, jusqu'à ce que leurs jambes aient acquis une force suffisante.

2°. Supposé que l'enfant ait apporté la difformité de naissance, ou qu'elle paroisse se former, il faut se servir de machines faites exprès, de cuir, de carton, de lames de fer fort minces, que l'enfant gardera nuit & jour. Si l'inflexibilité de la partie s'oppose à la guérison, on joindra les bains, les linimens, les fomentations émollientes, aux machines qu'on vient de recommander.

3°. Il est des moyens très-simples, qui suffisent souvent pour corriger la difformité. Si, par exemple, l'enfant a les piés tournés en-dedans, on peut se servir des marche-piés de bois en usage chez les religieuses pour leurs jeunes pensionnaires. Ces marche-piés ont deux enfoncemens séparés pour y mettre les piés, & ces deux enfoncemens sont creusés de maniere, que les piés y étant engagés se trouvent nécessairement tournés en-dehors. Si c'est ce dernier défaut qu'il s'agit de rectifier dans l'enfant, on fera faire les enfoncemens des marche-piés contournés en-dedans ; un peu d'art, de soins, & d'attention, operent des miracles dans cet âge tendre.

4°. Quelquefois les jambes d'un enfant deviennent tortues par la faute de la nourrice, qui le tient toûjours entre ses bras sur le même côté ; engagez-la de changer sa méthode de porter votre enfant, & de la varier cette méthode, les jambes de l'enfant n'en recevront aucun dommage.

5°. Lorsque la courbure des jambes vient du rachitisme, il s'agit de guérir la cause du mal, & après cela de redresser la jambe, comme on s'y prend pour redresser la tige courbe d'un jeune arbre.

6°. Si les jambes panchent plus d'un côté que de l'autre, on peut essayer d'y remédier, en donnant à l'enfant des souliers plus hauts de semelles & de talons du côté que les jambes panchent.

7°. Il faut donner aux enfans des souliers fermes & qui ne tournent point, sur-tout en-dehors, parce qu'alors ils font sans-cesse tourner la pointe du pié en-dedans.

8°. Les jambes peuvent devenir paralytiques par toutes sortes d'efforts. Salzman rapporte le cas d'un enfant à qui ce malheur arriva, pour avoir été souvent porté à califourchon sur les épaules de son frere aîné ; il est vraisemblable que la cause de cet accident provenoit de la violente tension que les muscles des jambes souffrirent, étant long-tems & souvent pendantes sans avoir eu de points d'appui.

9°. Quelquefois une jambe ou un bras se retire par maladie ou par accident. Si la maladie procede du roidissement des muscles, il faut les assouplir par des bains, des douches, des linimens ; si elle est produite par le desséchement, on tâchera de ramener la nourriture à la partie, par des frictions & des onctions convenables ; si c'est l'effet d'un accident, comme d'une luxation, le remede est entierement du ressort de la Chirurgie.

10°. Enfin, quelquefois une jambe excede la longueur de l'autre, soit par conformation naturelle, accident qui est incurable, soit par des tiraillemens faits à la jambe, ou à la cuisse de l'enfant, lors de sa naissance ; dans ce dernier cas on trouvera le bassin de travers, & panché du côté de la jambe qui paroît trop longue. Comme d'heureux succès ont justifié qu'on pouvoir remédier à ce malheur, les gens de l'art conseillent de s'y prendre de la maniere suivante.

Après avoir couché l'enfant sur le dos, on lui liera légerement, au genou de la jambe qui paroît trop longue, un mouchoir en plusieurs doubles, & en façon de jarretiere ; attachez à ce mouchoir, vers la partie antérieure du genou, une large bande de toile, longue d'environ deux aunes ; liez cette bande le plus court que vous pourrez, néanmoins sans violence, sur l'épaule de l'enfant, du même côté ; assujettissez-l'y, de maniere qu'elle ne puisse glisser ; ensuite, vous emmaillotterez l'enfant avec adresse. La compression que le bandage du maillot fait sur la bande, qui est tendue depuis le genou de l'enfant jusques sur son épaule, oblige cette bande à se tendre encore davantage, détermine la partie trop inclinée du bassin à remonter & à se remettre dans sa situation naturelle.

Pour ce qui regarde les malheureux cas de fracture & d'amputation de jambe, on en fera deux articles séparés ; savoir, JAMBE amputation, & JAMBE fracture, Chirurg. (D.J.)

JAMBES antérieures & postérieures de la moëlle allongée, (Anat.) Voyez BRANCHE & MOELLE ALLONGEE.

JAMBE, s. f. (Hist. des Insectes) partie du corps des insectes qui leur sert à se soûtenir, à marcher, & à d'autres usages.

Les insectes aîlés connus ont tous des jambes, sans exception, mais ils n'ont pas tous les jambes de la même longueur ; quelques-uns les ont très-courtes, avec une seule articulation ; de ce nombre sont les chenilles, dont les jambes antérieures se terminent par un crochet pointu. L'on trouve aussi des insectes à jambes longues, & qui ont trois, quatre, cinq, six, & même jusqu'à huit articulations. Les jambes d'un même insecte ne sont pas toutes égales en longueur ; les postérieures du plus grand nombre sont plus longues que les antérieures, & principalement dans les abeilles ; cette regle n'est cependant pas si générale, qu'il n'y en ait dont les jambes antérieures surpassent les postérieures en longueur.

Les jambes des insectes sont ordinairement composées de trois parties ; la premiere est une espece de cuisse, elle tient immédiatement au ventre, & est plus grosse vers son origine, quoiqu'il y ait des insectes dont la cuisse est moins grosse en-haut qu'embas ; la seconde est la jambe, proprement dite ; les articulations de l'une & de l'autre de ces parties sont revêtues chez quelques insectes de poils forts & pointus, qu'on pourroit fort bien appeller pointes articulaires ; la troisieme partie de la jambe est le pié, qui mérite une plus grande attention que les deux autres parties. Voyez PIE.

Les insectes ne font pas tous le même usage de leurs jambes ; elles leur servent principalement pour marcher, mais il y en a à qui elles servent encore de crampons pour s'attacher fortement ; quelques-uns en font usage pour sauter, & les sauts qu'ils font sont si grands, qu'on dit qu'une puce saute deux cent fois plus loin que la longueur de son corps. Pour cet effet, ces insectes ont non-seulement des jambes, des cuisses fortes & souples, mais encore des muscles vigoureux, & doués d'une vertu élastique, par laquelle l'animal peut s'élever assez haut en l'air.

Les jambes servent de gouvernail aux insectes qui nagent, & c'est par la direction du mouvement de ces membres, qu'ils arrivent précisément au point où ils veulent aller ; elles tiennent en équilibre le corps des insectes qui volent, & le dirigent selon la volonté de l'animal ; elles leur procurent le même avantage qu'aux cigognes, & leur servent de gouvernail, pour se tourner du côté qu'il leur plaît. D'autres, qui ont la vûe courte, s'en servent pour sonder le terrein, devant ou derriere eux. Quelques-uns les emploient à nettoyer leurs yeux, leurs antennes, & leur corps, & à en ôter la poussiere qui pourroit les incommoder.

Ceux qui fouissent la terre, se servent de leurs jambes en guise de bêche ; car la force que la nature a donnée aux jambes de plusieurs insectes, qui l'emploient à cet usage, est prodigieuse, si on la compare avec leur petitesse. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à serrer dans la main quelque scarabée, on sera surpris des efforts qu'il faut faire pour les retenir. C'est encore avec ce secours qu'ils font des creux dans la terre & des routes souterraines. Comme quelques animaux usent de leurs jambes pour se défendre, l'on trouve aussi des insectes qui en font le même usage ; il y en a qui s'en servent pour saisir leur proie, & la tenir serrée.

Enfin, la construction des jambes des insectes est souvent une marque pour distinguer les especes ressemblantes les unes des autres ; c'est ainsi qu'on peut distinguer les mouches carnassieres des autres mouches, comme on connoît le faucon & le vautour à leurs serres.

Quelques naturalistes modernes prétendent qu'il y a des insectes qui ont d'abord les jambes sur le dos, & qui, après leur transformation, les ont ensuite sous le ventre ; c'est ce que M. de Réaumur semble dire de l'insecte singulier dont il a fait la description dans les Mém. de l'acad. des sciences, année 1714 ; mais, outre qu'il n'avance pas ce fait comme certain, si l'animal avoit par hazard la tête & l'anus un peu différemment placés du commun des insectes, ce qui n'est pas sans exemple, il se pourroit que, malgré les apparences du contraire, l'insecte de M. de Réaumur eût les jambes à l'opposite de son dos. (D.J.)

JAMBE DE BOIS, membre artificiel, qu'on met à la place de celui qu'on a perdu par accident, ou par une opération de chirurgie. La construction de ces sortes d'instrumens, doit être dirigée par le chirurgien intelligent, afin d'imiter la nature autant qu'on le peut, & suppléer aux fonctions dont on est privé par la perte d'un membre. La nature du moignon plus ou moins court dans l'amputation de la cuisse, ou dans celle de la jambe ; les difformités naturelles ou accidentelles de la partie ; les complications permanentes de certains accidens incurables, telles que des tumeurs, des cicatrices, &c. toutes ces choses présentent des variations, qui obligent à chercher des points d'appui variés pour l'usage libre & commode d'une jambe de bois. Il faut choisir un ouvrier ingénieux, qui sache saisir les vûes qu'on lui donne, & qui puisse les rectifier en cas de besoin. Ambroise Paré a recueilli dans ses oeuvres la figure de diverses inventions de jambes, de bras, & de mains artificielles, qui réparent les difformités que cause la perte des membres, & qui servent à remplir l'action qu'ils exerçoient, & il en fait honneur à un serrurier de Paris, homme de bon esprit, nommé le petit Lorrain. La jambe de bois dont les pauvres se servent est assez connue ; mais il y en a d'autres qu'on modele sur la jambe saine, qu'on chausse comme elle, qui par des charnieres & ressorts artistement placés dans le pié facilitent la progression. Lorsque la personne veut s'asseoir, elle tire un petit verrou, qui donne la liberté de fléchir le genou. Cette jambe est gravée dans Ambroise Paré, & la description est faite dans les termes connus des ouvriers, pour qu'on puisse la leur faire exécuter sans difficulté. Ce grand chirurgien, dont les écrits ne respirent que l'amour de l'humanité & le bien public, donne pour ceux qui ont la jambe courte, après quelque accident, une béquille très-utile, inventée par Nicolas Picard, chirurgien du duc de Lorraine. Il y a un étrier de fer pour soûtenir le pié, & un arc boutant qui embrasse le moignon de la fesse, & qui fait que l'homme en marchant est comme assis du côté dont il boite. On ne peut trop faire connoître les ressources que l'on a dans la multitude des maux qui affligent l'humanité. L'Histoire de l'académie royale des sciences nous apprend dans l'éloge du P. Sébastien, carme, & grand mécanicien, que sur sa réputation un gentilhomme suédois vint à Paris lui redemander, pour ainsi dire, ses deux mains, qu'un coup de canon lui avoit emportées ; il ne lui restoit que deux moignons au-dessus des coudes. Il s'agissoit, dit M. de Fontenelle, de faire deux mains artificielles, qui n'auroient eu pour principe de leur mouvement que celui de ces moignons, distribués par des fils à des doigts qui seroient fléxibles. Pour peu qu'on fasse attention à ce projet, on sentira qu'il n'étoit pas raisonnable, & qu'il n'est pas possible de faire agir la puissance motrice au gré de la volonté, par le principe intérieur, sur les ressorts d'une machine. On dit cependant que le P. Sébastien ne s'effraya pas de l'entreprise, & qu'il présenta ses essais à l'académie des Sciences. Ambroise Paré donne la figure de mains & de bras artificiels, qui paroissent remplir toutes les intentions qu'on peut se proposer dans les cas où ils sont nécessaires. Voyez PROTHESE.

JAMBES DE HUNE. (Marine) Voyez GAMBES.

JAMBE, (Maréchallerie) partie des deux trains du cheval, qui prend au train de devant depuis le genouil jusqu'au sabot, & au train de derriere depuis le jarret jusqu'au même endroit. Lorsqu'on veut exprimer simplement la partie des jambes qui va jusqu'aux boulets, on l'appelle le canon de la jambe. Voyez CANON. Les bonnes qualités des jambes du cheval sont d'être larges, plates & seches ; c'est-à-dire, que quand on les regarde de côté, elles montrent une surface large & applatie ; nerveuses, c'est-à-dire, qu'on voie distinctement le tendon qui cotoye l'os, & qui du genouil & du jarret va se rendre dans le boulet. Voyez BOULET. Leurs mauvaises qualités sont d'être fines, c'est-à-dire étroites & menues, on les appelle aussi jambes de cerf ; d'être rondes, qui est le contraire des plates, les jambes du montoir & les jambes hors du montoir. Voyez MONTOIR. Avoir bien de la jambe & avoir peu de jambe, se dit du cheval selon qu'il a les jambes larges ou fines. N'avoir point de jambes, se dit d'un cheval qui bronche à tout moment. Les jambes gorgées. Voyez GORGE. Les jambes ruinées & travaillées. Voyez RUINE & travaillé. Les jambes roides. Voyez ROIDE. La jambe de veau est celle qui au lieu de descendre droit du genouil au boulet, plie en devant ; c'est le contraire d'une jambe arquée. Aller à trois jambes, est la même chose que boiter ; chercher la cinquieme jambe se dit d'un cheval qui pese à la main du cavalier, & qui s'appuie sur le mors pour se reposer la tête en cheminant ou en courant. Un cheval se soulage sur une jambe, quand il a mal à l'autre. Rassembler ses quatre jambes. Voyez RASSEMBLER. Droit sur ses jambes. Voyez DROIT. Faire trouver des jambes à son cheval, c'est le faire courir vîte & très-long-tems. Comme les jambes du cavalier sont une des aides, voyez AIDES. Jambe dedans, jambe dehors sont des expressions qui servent à distinguer à quelle main ou de quel côté il faut donner des aides au cheval qui manie ou qui travaille le long d'une muraille ou d'une haie. Le long d'une muraille, la jambe de dehors sera celle du côté de la muraille, & l'autre celle de dedans. Sur les voltes, si le cheval manie à droite, le talon droit sera le talon de dedans, & de même la jambe droite sera celle de dedans. Par conséquent la jambe & le talon gauches seront pris pour la jambe & le talon de dehors. Le contraire arrivera si le cheval manie à gauche. Soûtenir un cheval d'une ou de deux jambes. Voyez SOUTENIR. Laisser tomber ses jambes. Voyez TOMBER. Approcher les gras des jambes. Voyez APPROCHER. On dit du cheval qui devient sensible à l'approche des jambes de l'homme, qu'il commence à prendre les aides des jambes. Connoître, obéir, répondre aux jambes, se dit du cheval. Voyez ces termes à leurs lettres. Courir à toutes jambes. Voyez COURIR.

JAMBES de filleu, (terme de riviere) c'est la partie d'un bateau foncet, servant à retenir les rubans du mât.


JAMBÉadj. f. (Maréchallerie) bien jambé, ou bien de la jambe ; bien dans les talons, dans la main. Voyez TALONS & MAIN ; bien en selle, voyez SELLE.


JAMBEIROS. m. (Bot. exot.) nom que les Portugais donnent à l'arbre des Indes orientales, qui porte le jambos, fruit de la grosseur d'une poire, rouge-obscur en couleur, sans noyau, & très-agréable au goût. Le jambeiro croît à la hauteur d'un prunier, jette nombre de branches, qui s'étendent au long & au large, forment un grand ombrage & un bel aspect ; son écorce est lisse, de couleur grise-cendrée ; son bois est cassant ; sa feuille ressemble de figure au fer d'une lance ; elle est unie, d'un verd-brun par le haut, & d'un verd-clair par le bas ; ses fleurs sont rouges-purpurines, odorantes, d'un goût aigrelet, & ont au milieu plusieurs étamines. Cet arbre fournit toute l'année des fleurs & des fruits verds ou mûrs ; on les confit avec du sucre. (D.J.)


JAMBETTES. f. (Charpenterie) est une piece de bois, qui se met au pié des chevrons & sur les enrayures. Voyez nos Planches de Charpente.

* JAMBETTE, (Pelletterie) c'est la seconde espece de Pelletterie, que les Turcs tirent de la peau des martres-zibelines ; elle est fort inférieure à la martre proprement dite, ou celle de l'échine, & fort supérieure au samoul-bacha ou celle du col. On en pourroit avoir encore une quatrieme espece, du ventre ; mais on n'en fait aucun cas, sur-tout à Constantinople.


JAMBI(Géog.) royaume des Indes sur la côte de l'île de Sumatra ; on n'y connoît qu'une seule ville située sur une riviere qui forme un assez beau golfe. (D.J.)


JAMBIERS. m. en Anatomie, est un nom que l'on donne à deux muscles de la jambe, dont l'un s'appelle antérieur, & l'autre postérieur.

Le jambier antérieur vient de la partie inférieure antérieure du condile externe du tibia, & s'avance le long de la partie antérieure de cet os, devient peu-à-peu large & charnu vers son milieu ; ensuite il se retrécit & forme un tendon grêle & uni qui passe sous le ligament annulaire, & va s'insérer au grand os cunéiforme à l'os du métatarse qui soûtient le gros orteil. La fonction de ce muscle est de tirer le pié en-haut. Voyez nos Planches d'Anatomie.

Le jambier postérieur vient du tibia & du péroné, & du ligament interosseux ; son tendon qui est fort & uni passe sous le ligament annulaire par le sinus qui est derriere la malléole interne, & va s'insérer à la partie interne de l'os scaphoïde. Voyez nos Planches anat.

Petit jambier postérieur, voyez PLANTAIRE.


JAMBLIQUEJAMBLIQUE


JAMBOS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre de l'île de Ceylan, dont on dit que les fruits ressemblent à des pommes, & qu'il porte des fleurs jaunes d'une odeur très-agréable.


JAMBOLI LE(Géog.) contrée de la Macédoine moderne aux confins de la Romanie, de la Bulgarie & de la Macédoine propre. (D.J.)


JAMBOLONES. m. (Hist. nat. Bot.) arbuste des Indes, qui est à-peu-près comme le myrthe, mais dont la feuille ressemble à celle du fraisier & le fruit aux grosses olives ; son fruit se confit dans le vinaigre & on le mange, il excite l'appétit.


JAMBONS. m. (Hist. nat. Conchyliol.) nom que quelques auteurs donnent à une coquille de mer bivalve, parce que par sa forme elle ressemble à un jambon ; c'est une espece de pinne marine.

JAMBON, en terme de Cuisinier, c'est la cuisse ou l'épaule du porc ou du sanglier, sechée & assaisonnée pour être gardée plus long-tems, & mangée avec plus de goût. On prépare de la maniere qui suit les jambons de Westphalie qui sont si fort en vogue : on les sale avec du salpêtre, on les met en presse pendant huit ou dix jours, on les fait tremper dans de l'eau de genievre, & ensuite on les fait sécher à la fumée de bois de genévrier.

Les meilleurs jambons que nous ayons en France sont ceux qui nous viennent de Bayonne ; on appelle jambonneau ou un petit jambon, la partie inférieure détachée d'un gros jambon.


JAMBOSS. m. (Hist. nat. Bot.) fruit des Indes qui est de la grosseur d'une poire ; il y en a deux especes, l'une est d'un rouge obscur sans noyau, & qui est d'un goût très-agréable ; l'autre est d'un rouge-clair à un noyau aussi gros que celui d'une pêche. Les Malabares nomment ce fruit jomboli, les Persans tuphat, & les Portugais jambos. L'arbre qui produit ce fruit est très-touffu, & donne beaucoup d'ombre ; il est grand comme un prunier, sa fleur est d'un rouge vif tirant sur le pourpre, l'odeur en est très-agréable, il sort de son calice un grand nombre de petits filets qui ont un goût aigrelet. La racine est forte & va profondément en terre. Cet arbre porte des fleurs & du fruit plusieurs fois dans l'année, les Chinois le nomment ven-ku, & les Portugais jamboa. On est dans l'usage d'en manger le fruit au commencement du repas, on le confit dans du sucre aussi-bien que la fleur, on les regarde comme bonnes pour les fievres bilieuses.


JAMBUS. m. (Ornithol. exot.) espece de perdrix du Brésil, d'un jaune-brun, & d'une délicatesse de goût qui ne le cede point à nos perdrix européennes. Marggrave, Hist. Brasil. (D.J.)


JAMES-BOROUGH(Géog.) ville d'Irlande sur la riviere de l'Hannon, dans la province de Leinster.

JAMES-ISLE, (Géog.) grande île des terres arctiques, ou plutôt vaste pays peu connu, mais que l'on a pris d'abord pour une seule île. Il est borné au nord par la mer Christiane, à l'orient par le détroit de Davis, au sud-ouest par le détroit d'Hudson, & à l'occident par un bras de mer, qui joint ce dernier détroit à la baie de Baffin ; on le croit partagé en trois îles, mais ce ne sont que des conjectures, puisque les navigateurs n'y ont point encore abordé ; en un mot, tout ce pays nous est inconnu. (D.J.)

JAMES-RIVER, (Géog.) grande riviere de l'Amérique septentrionale en Virginie ; elle arrose divers cantons, & se décharge finalement à l'entrée de la baie de Chesapeack. (D.J.)

JAMES sainte, (Géog.) petite ville de France en Normandie, au diocèse d'Avranches, à 3 lieues de Pontorson, 67 S. O. de Paris. Long. 16d. 28'. 1''. lat. 48d. 29'. 22''. (D.J.)

JAMES-TOWN, (Géog.) ville de l'Amérique septentrionale, capitale de la Virginie, sur la riviere de Powatan, dans une contrée nommée James-Land ; elle est sur une presqu'île au nord de la riviere, à environ 40 milles au-dessus de son embouchure ; elle a été bâtie par les Anglois en 1607. Long. 300. 5. lat. 37. (D.J.)


JAMETSGemmatium, (Géog.) petite ville de France au Barrois, sur les frontieres du Luxembourg & du Verdunois, à 2 lieues S. de Montmedi, & à 3 E. de Stenay. Long. 23. 5. lat. 49. 25. (D.J.)


JAMIS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Turcs nomment un temple privilégié pour les dévotions du vendredi, qu'ils appellent jumanamazi ; & qu'il n'est pas permis de faire dans les petites mosquées appellées meschids. Un jami bâti par quelque sultan est appellé jami-selatyn ou royal. Voyez Cantemir, Hist. Ottomane.


JAMIDESS. m. pl. (Hist. anc.) nom d'une des deux familles spécialement destinées dans la Grece à la fonction d'augures ; l'autre étoit des Clytides.


JAMIS TOILE A(Commerce) espece de toile de coton, qui se tire du levant par la voie d'Alep.


JAMMA-BUDO(Hist. nat. Bot.) c'est une vigne sauvage du Japon, dont les grappes sont petites, & les grains de la grosseur des raisins de Corinthe sans pepins ; elle sert à garnir les berceaux.


JAMMABOSS. m. (Hist. mod.) ce sont des moines japonois, qui font profession de renoncer à tous les biens de ce monde, & vivent d'une très-grande austérité ; ils passent leur tems à voyager dans les montagnes ; & l'hiver ils se baignent dans l'eau froide. Il y en a de deux especes ; les uns se nomment Tosanfa, & les autres Fonsanfa. Les premiers sont obligés de monter une fois en leur vie au haut d'une haute montagne bordée de précipices, & dont le sommet est d'un froid excessif, nommée Ficoosan ; ils disent que s'ils étoient souillés lorsqu'ils y montent, le renard, c'est-à-dire, le diable les saisiroit. Quand ils sont revenus de cette entreprise périlleuse, ils vont payer un tribut des aumônes qu'ils ont amassées au général de leur ordre, qui en échange leur donne un titre plus relevé, & le droit de porter quelques ornemens à leurs habits.

Ces moines prétendent avoir beaucoup de secrets pour découvrir la vérité, & ils font le métier de sorciers. Ils font un grand mystere de leurs prétendus secrets, & n'admettent personne dans leur ordre sans avoir passé par de très-rudes épreuves, comme de les faire abstenir de tout ce qui a eu vie, de les faire laver sept fois le jour dans l'eau froide, de les faire asseoir les fesses sur les talons, de frapper dans cette posture les mains au-dessus de la tête, & de se lever sept cent quatre-vingt fois par jour. Voyez Kempfer, Voyage du Japon.


JAMNA(Géog. anc.) ancienne ville de la petite île Baléare, c'est-à-dire de l'île Minorque ; on croit communément que c'est Citadella sur la côte occidentale de l'île. (D.J.)


JANS. m. (jeu) au trictrac se dit de la disposition du jeu, lorsqu'il y a douze dames abattues deux à deux, qui font le plein d'un des côtés du trictrac. Il y en a qui font dériver ce mot de Janus, auquel les Romains donnoient plusieurs faces, & disent qu'on l'a mis en usage dans le jeu du trictrac pour marquer la diversité des faces ; il y a plusieurs sortes de jans, comme le grand & le petit jan, le jan de trois coups, le jan de deux tables, le contre jan de deux tables, jan de Mézéas, contre jan de Mézéas, jan de retour, jan de récompense, jan qui ne peut. Voyez tous ces termes expliqués à leur article.

Quelques-uns définissent encore le jan en général un coup de trictrac qui apporte du profit ou de la perte aux joueurs, quelquefois l'un & l'autre ensemble.

Jan de Mézéas, au trictrac, est un coup qui se fait quand au commencement d'une partie, on se saisit de son coin de repos sans avoir aucune autre dame abattue dans tout son jeu. Ce jan vaut quatre points lorsqu'on amene un as, & six, si l'on en amene deux.

Jan qui ne peut, au trictrac, se fait toutes les fois que les nombres de points qu'on amene tombent sur une dame découverte de l'adversaire, & que les cases ferment les passages ; & il se fait encore au jan de retour, lorsque vous ne pouvez jouer les nombres que vous avez amenés.

Jan de récompense. On fait un jan de récompense au trictrac, lorsque le nombre de points produits par les dés jettés, tombe en les comptant sur une dame découverte de son adversaire ; le gain qu'on fait dans la table du coin de repos, & celle du petit jan, sont différens. Dans la premiere on ne gagne sur chaque dame découverte que deux points par simples pour chaque moyen, & quatre points par doubles ; au lieu que dans la derniere on profite de quatre points par simples, & de six par double. Mais si on bat par deux manieres simples, on gagne huit points, & douze par trois.

Le jan de récompense arrive quantité de fois dans le jeu de trictrac, comme on vient de le voir, & il se fait encore, quand s'étant saisi de son coin de repos, on bat celui de son adversaire qui est vuide, & pour lors on gagne quatre points par simples, & six par doubles.

Jan de retour, au trictrac, est un jeu qu'on ne peut faire sans avoir rompu son grand jan, parce qu'il faut se servir des mêmes dames qui le composoient. Pour y parvenir, on passe les dames dans la premiere table de son adversaire, & on les conduit dans la seconde qui est celle où étoient d'abord les tas de bois ou de dames de celui contre qui l'on joue ; & si-tôt que les cases de cette derniere table sont remplies, le jan de retour est fait. On ne sauroit passer que la fleche sur laquelle on prend passage, ne soit absolument nue, autrement le passage est fermé : c'est un passage pour la battre, & même une autre qui seroit plus loin ; mais on ne pourroit pas passer pour cela ; tant qu'on garde son jan de retour, & lorsqu'on le fait, on gagne autant qu'au grand & petit jan. On saura pour regle générale, que qui ne peut jouer tous les nombres qu'il a faits au jan de retour, perd deux points pour chaque dame qu'il ne peut jouer, soit qu'il ait joué par simples ou par doubles ; quand le jan de retour est rompu, on leve à chaque coup, selon les dés, les dames du trictrac ; & celui qui a plutôt fait, gagne quatre points par simples, & six par doubles. Après quoi on empile de nouveau le bois pour recommencer à abattre les dames, & faire de nouveaux plains jusqu'à ce qu'on ait gagné les douze trous qui sont le tout ou la partie complete du trictrac.

Jan de deux tables au trictrac, est celui qui se fait quand au commencement d'une partie on n'a que deux dames abattues, & placées de sorte que de votre dé vous pouvez mettre une de ces dames dans votre coin de repos, & l'autre dans celui de votre adverse partie. Jan de deux tables est un hasard du jeu du trictrac qui tourne à l'avantage de celui qui le fait. Il vaut quatre points par simple & six par double, qu'il faut marquer, quoiqu'on ne puisse pas placer ses dames dans l'un ni dans l'autre de ses coins, ne pouvant être pris que par deux dames à-la-fois ; cependant, parce qu'on a la puissance de les y mettre on en tire le profit.

Jan de trois coups, au trictrac, se dit d'un joueur qui au commencement d'une partie abat en trois coups six dames de suite depuis la pile jusqu'où est comprise la case de sannes. Le jan de trois coups vaut ordinairement quatre points à celui qui le fait, & pas plus, parce qu'il ne peut se faire par doublets. Pour que ce jan profite, les regles du jeu n'obligent point à jouer le dernier coup ; on peut seulement marquer quatre points pour son jan, & faire une case dans son grand jan, avec le bois battu dans le petit.

Il y a encore d'autres jans, tels que jan de courtes chausses, ou celui où par un coup de dés fâcheux on ne peut achever son jan de retour ; jan de rencontre ou celui où en commençant la partie, les deux joueurs amenent les mêmes dés, &c. On néglige aujourd'hui dans la pratique du jeu la plûpart de ces jans.


JAN-RAIAS. f. (Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; son calice devient dans la suite un fruit aîlé, qui n'a qu'une seule capsule, & qui renferme une semence arrondie. Plumier.


JANAS. f. (Mytholog.) nom de Diane, qui fut changé en celui de Diana, par l'addition du D, que l'J consonne entraîne dans plusieurs langues. Varron appelle la lune dans ses différentes phases, Jane croissante & décroissante. D'autres prétendent que Diana a été fait de diva Jana, ou dia Jana ; le soleil s'est appellé aussi divos Janos, dieu Janus.


JANACAS. m. (Hist. nat. Zoologie) animal quadrupede qui se trouve en Afrique dans la Nigritie ; il est aussi haut qu'un cheval, mais il n'est point si long ; ses jambes sont menues, son cou est long, sa peau est rousse ou jaunâtre avec des raies blanches ; son front est armé de cornes comme les boeufs.


JANACIS. m. (Hist. mod.) jeunes hommes courageux, ainsi appellés chez les Turcs de leur vertu guerriere.


JANACONAS(Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans la nouvelle Espagne un droit que les Indiens soumis aux Espagnols sont obligés de payer pour leur sortie, lorsqu'ils quittent leurs bourgs ou leurs villages.


JANCAMS. m. (Hist. mod.) petit fourneau de terre à l'usage des Chinois qui s'en servent pour faire le thé & pour cuire le jancam.


JANCOMA(Géog.) royaume d'Asie, dans les Indes orientales, au royaume de Pégu, dans la partie de la peninsule de l'Inde, qui est au-delà du Gange.


JANÉIRO RIO(Géog.) riviere de l'Amérique méridionale sur la côte du Brésil ; elle donne son nom à une province ou capitainerie où est St. Sébastien. Elle fut découverte par François Villegagnon protestant, en 1515 ; mais les Portugais s'emparerent du pays en 1558. Le Rio Janéiro que j'ai qualifié de riviere, est plutôt un golfe, puisque l'eau en est salée, & que l'on y trouve des poissons de mer, des requins, des raies, des marsouins, & même jusqu'à des baleines. (D.J.)


JANGOMASS. m. (Botan. exot.) arbre de la côte de Malabar, nommé par C. B. aubius arbor pruno similis, spinosa. Il vient sans culture dans les champs, s'éleve à la hauteur du prunier ordinaire, & est tout hérissé d'épines ; sa fleur est blanche ; son fruit ressemble à celui du sorbier, jaune quand il est mûr, d'un goût de prune sauvage, stiptique, & acerbe ; on l'emploie dans les remedes astringens, pour arrêter le cours de ventre. (D.J.)


JANICULE(Géog. anc. & Littérat.) montagne ou plutôt colline de la ville de Rome, quoiqu'elle ne soit pas comprise dans le nombre des sept, qui ont fait donner à cette capitale le nom de la ville aux sept montagnes, urbs septicollis.

Le Janicule avoit tiré sa dénomination de Janus qui y demeuroit vis-à-vis du Capitole, lequel étoit alors occupé par Saturne ; ils possédoient chacun une petite ville ; & quoique ni l'une ni l'autre ne subsistassent plus après la guerre de Troie, Virgile n'a pas laissé d'orner l'Eneïde de cette tradition populaire. Voyez, dit Evandre au héros troyen, ces deux villes dont les murs sont renversés ; leurs ruines même vous rappellent le regne de deux anciens monarques ; celle-ci fut bâtie par Janus, & celle-là par Saturne : l'une fut nommée Janicule, & l'autre fut appellée Saturnie.

Haec duo praetere à disjectis oppida muris,

Reliquias, veterumque vides monimenta virorum,

Hanc Janus pater, hanc Saturnus condidit urbem

Janiculum huic, illi fuerat Saturnia nomen.

Aenéïd. liv. VIII. v. 355.

Cette opposition de deux villes, donna lieu au nom d'Antipolis, dont Pline se sert pour désigner le Janicule. Ancus Martius le joignit à la ville de Rome par un pont qu'il fit bâtir sur le Tibre. Numa Pompilius y fut enterré, selon Denys d'Halicarnasse, Tite-Live, Pline, & Solin. Eusebe dans sa chronique y met aussi la sépulture du poëte Stace ; Victoré place au Janicule les jardins de Géta, que le Nardini & le Donati croient avoir été formés près de la porte Septinienne.

On posoit au Janicule un corps-de-garde dans le tems des Comices, & on y montoit la garde pour la sûreté de la ville & de la riviere qui coule au bas. Aujourd'hui cette colline comprend sous elle le Vatican, & se termine à l'église de SantoSpirito in Sassia. On l'appelle communément Montorio, à cause de la couleur de son sable qui est jaunâtre : c'est un des endroits de Rome des moins habités.

Pour ce qui regarde le pont du Janicule, que les Romains appelloient pons Janiculensis, Antonin l'avoit rebâti de marbre. Il se rompit par la suite des tems, & demeura dans un triste état de décombres, jusqu'à ce que Sixte IV. en ait construit un autre à la place : c'est de-là que lui vient son nom moderne, ponte Sisto. (D.J.)


JANIPABAS. m. ganipa, fructu ovato, (Botan. exot.) Plum. espece de genipa du Brésil, & des îles de l'Amérique, dont il est un des plus grands arbres, ressemblant au hêtre ; son écorce est grise ou blanche ; son bois est moëlleux & fragile ; ses rameaux sont revétus de feuilles longues de plus d'un pié, de couleur verte, luisantes, & en forme de langue de boeuf ; sa fleur est petite, d'une seule piece, en cloche, approchante de celle du narcisse, blanche, tachetée de jaune en-dedans, répandant une odeur de girofle ; son fruit est plus gros qu'une orange, rond, couvert d'une écorce tendre, & cendrée ; sa chair solide, jaunâtre, visqueuse, s'amollit en mûrissant, & donne un suc aigrelet, d'un parfum assez agréable : on trouve au milieu de ce fruit, qui est partagé en deux, des semences comprimées, presque orbiculaires ; on mange le fruit quand il est mûr ; on en tire par expression une liqueur vineuse, qui dans le commencement est astringente & rafraîchissante, mais qui étant gardée, perd son astriction, & devient échauffante. (D.J.)


JANISARKIS. m. (Commerce) on nomme ainsi à Constantinople le basar couvert, où l'on vend les drogues & les toiles. C'est un vaste bâtiment fermé par deux grandes voutes, sous l'une desquelles sont toutes les boutiques de Droguerie, & sous l'autre celles des Marchands de toile. Dictionnaire de Commerce.


JANISSAIRES. m. (Hist. turq.) soldat d'infanterie turque, qui forme un corps formidable en lui-même, & sur-tout à celui qui le paye.

Les gen-y-céris, c'est-à-dire, nouveaux soldats, que nous nommons janissaires, se montrerent chez les Turcs (quand ils eurent vaincu les Grecs) dans toute leur vigueur, au nombre d'environ 45 mille, conformément à leur établissement, dont nous ignorons l'époque. Quelques historiens prétendent que c'est le sultan Amurath II, fils d'Orcan, qui a donné en 1372, à cette milice déja instituée, la forme qu'on voit subsister encore.

L'officier qui commande cette milice, s'appelle jen-y-céris aghasi ; nous disons en françois l'aga des janissaires ; & c'est un des premiers officiers de l'empire.

Comme on distingue dans les armées de sa hautesse les troupes d'Europe, & les troupes d'Asie, les janissaires se divisent aussi en janissaires de Constantinople, & janissaires de Damas. Leur paye est depuis deux aspres jusqu'à douze ; l'aspre vaut environ six liards de notre monnoie actuelle.

Leur habit est de drap de Salonique, que le grand-seigneur leur fait donner toutes les années, le jour de Ramazan. Sous cet habit ils mettent une surveste de drap bleu ; ils portent d'ordinaire un bonnet de feutre, qu'ils appellent un zarcola, & un long chaperon de même étoffe qui pend sur les épaules.

Leurs armes sont en tems de guerre un sabre, un mousquet, & un fourniment qui leur pend du côté gauche. Quant à leur nourriture, ce sont les soldats du monde qui ont toûjours été le mieux alimentés ; chaque oda de janissaires avoit jadis, & a encore, un pourvoyeur qui lui fournit du mouton, du ris, du beurre, des légumes, & du pain en abondance.

Mais entrons dans quelques détails, qu'on sera peut-être bien aise de trouverici, & dont nous avons M. de Tournefort pour garant ; les choses à cet égard, n'ont point changé depuis son voyage en Turquie.

Les janissaires vivent honnêtement dans Constantinople ; cependant ils sont bien déchus de cette haute estime où étoient leurs prédécesseurs, qui ont tant contribué à l'établissement de l'empire turc. Quelques précautions qu'ayent pris autrefois les empereurs, pour rendre ces troupes incorruptibles ; elles ont dégénéré. Il semble même qu'on soit bien-aise depuis plus d'un siecle, de les voir moins respectées, de crainte qu'elles ne se rendent plus redoutables.

Quoique la plus grande partie de l'infanterie turque s'arroge le nom de janissaires, il est pourtant sûr que dans tout ce vaste empire, il n'y en a pas plus de 25 mille qui soient vrais janissaires, ou janissaires de la Porte : autrefois cette milice n'étoit composée que des enfans de tribut, que l'on instruisoit dans le Mahométisme. Présentement cela ne se pratique plus, depuis que les officiers prennent de l'argent des Turcs, pour les recevoir dans ce corps. Il n'étoit pas permis autrefois aux janissaires de se marier, les Musulmans étant persuadés que les soins du ménage rendent les soldats moins propres à la profession des armes : aujourd'hui se marie qui veut avec le consentement des chefs, qui ne le donnent pourtant pas sans argent ; mais la principale raison qui détourne les janissaires du mariage, c'est qu'il n'y a que les garçons qui parviennent aux charges, dont les plus recherchées sont d'être chefs de leur oda.

Toute cette milice loge dans de grandes casernes, distribuées en plusieurs chambres : chaque chambre a son chef qui y commande. Il reçoit ses ordres des capitaines, au-dessus desquels il y a le lieutenant-général, qui obéit à l'aga seul.

Le bonnet de cérémonie des janissaires est fait comme la manche d'une casaque ; l'un des bouts sert à couvrir leur tête, & l'autre tombe sur leurs épaules ; on attache à ce bonnet sur le front, une espece de tuyau d'argent doré, long de demi-pié, garni de fausses pierreries. Quand les janissaires marchent à l'armée, le sultan leur fournit des chevaux pour porter leur bagage, & des chameaux pour porter leurs tentes ; savoir un cheval pour 10 soldats, & un chameau pour 20. A l'avénement de chaque sultan sur le trone, on augmente leur paye pendant quelque tems d'un aspre par jour.

Les chambres héritent de la dépouille de ceux qui meurent sans enfans ; & les autres, quoiqu'ils ayent des enfans, ne laissent pas de léguer quelque chose à leur chambre. Parmi les janissaires, il n'y a que les solacs & les peyes qui soient de la garde de l'empereur ; les autres ne vont au serrail, que pour accompagner leurs commandans les jours de divan, & pour empêcher les desordres. Ordinairement on les met en sentinelle aux portes & aux carrefours de la ville : tout le monde les craint & les respecte, quoiqu'ils n'ayent qu'une canne à la main, car on ne leur donne leurs armes, que lorsqu'ils vont en campagne.

Plusieurs d'entr'eux ne manquent pas d'éducation, étant en partie tirés du corps des amazoglans, parmi lesquels leur impatience, ou quelqu'autre défaut, ne leur a pas permis de rester : ceux qui doivent être reçûs, passent en revûe devant le commissaire, & chacun tient le bas de la veste de son compagnon. On écrit leurs noms sur le registre du grand-seigneur ; après quoi ils courent tous vers leurs maîtres de chambre, qui pour leur apprendre qu'ils sont sous sa jurisdiction, leur donne à chacun en passant, un coup de main derriere l'oreille.

On leur fait faire deux sermens dans leur enrôlement ; le premier, de servir fidelement le grand-seigneur ; le second, de suivre la volonté de leurs camarades. En effet, il n'y a point de corps plus uni que celui des janissaires, & cette grande union soutient singulierement leur autorité ; car quoiqu'ils ne soient que 12 à 13 mille dans Constantinople, ils sont sûrs que leurs camarades ne manqueront pas d'approuver leur conduite.

De-là vient leur force, qui est telle, que le grand-seigneur n'a rien au monde de plus à craindre que leurs caprices. Celui qui se dit l'invincible sultan, doit trembler au premier signal de la mutinerie d'un misérable janissaire.

Combien de fois n'ont-ils pas fait changer à leur fantaisie la face de l'empire ? les plus fiers empereurs, & les plus habiles ministres, ont souvent éprouvé qu'il étoit pour eux du dernier danger d'entretenir en tems de paix, une milice si redoutable. Elle déposa Bajazet II. en 1512 ; elle avança la mort d'Amurat III. en 1595 ; elle menaça Mahomet III. de le détrôner. Osman II. qui avoit juré leur perte, ayant imprudemment fait éclater son dessein, en fut indignement traité, puisqu'ils le firent marcher à coups de piés depuis le serrail jusques au château des sept tours, où il fut étranglé l'an 1622. Mustapha que cette insolente milice mit à la place d'Osman, fut détrôné au bout de deux mois, par ceux-là même qui l'avoient élevé au faîte des grandeurs. Ils firent aussi mourir le sultan Ibrahim en 1649, après l'avoir traîné ignominieusement aux sept tours ; ils renverserent du trone son fils Mahomet IV. à cause du malheureux succès du siége de Vienne, lequel pourtant n'échoua que par la faute de Cara-Mustapha, premier visir. Ils préférerent à cet habile sultan son frere Soliman III. prince sans mérite, & le déposerent à son tour quelque tems après. Enfin, en 1730, non-contens d'avoir obtenu qu'on leur sacrifiât le grand visir, le rei-Effendi, & le capitan bacha ; ils déposerent Achmet III. l'enfermerent dans la prison, d'où ils tirerent sultan Mahomet, fils de Mustapha II. & le proclamerent à sa place. Voilà comme les successions à l'empire sont réglées en Turquie. (D.J.)


JANJA(Géog.) fleuve de la Sibérie septentrionale, qui se jette dans la mer glaciale.


JANN(LA), Géog. contrée de la Turquie européenne dans la Macédoine, sur l'Archipel, bornée N. par le Comenolitari, S. par la Livadie, O. par l'Albanie, & E. par l'Archipel. Elle répond à la Thessalie des anciens ; Larisse en est la capitale ; ses principales rivieres sont le Sélampria, le Pénée des Grecs, l'Epidêne qui est leur Apidanus, & l'Agrioméla, qui est leur Sperchius. (D.J.)


JANNANINSS. m. pl. (Hist. mod. superstit.) c'est le nom que les Negres de quelques parties intérieures de l'Afrique donnent à des esprits qu'ils croient être les ombres ou les ames de leurs ancêtres, & qu'ils vont consulter ou adorer dans les tombeaux. Quoique ces peuples reconnoissent un dieu suprême nommé Kanno, leur principal culte est réservé pour ces prétendus esprits. Chaque négre a son jannanin tutélaire, à qui il s'adresse dans ses besoins, il va le consulter dans son tombeau, & regle sa conduite sur les réponses qu'il croit en avoir reçûes. Ils vont sur-tout les interroger sur l'arrivée des vaisseaux européens, dont les marchandises leur plaisent autant qu'aux habitans des côtes. Chaque village a un jannanin protecteur, à qui l'on rend un culte public, auquel les femmes, les enfans & les esclaves ne sont point admis : on croiroit s'attirer la colere du génie, si on permettoit la violation de cette regle.


JANOUARES. m. (Hist. nat.) animal quadrupede du Brésil, monté sur des jambes hautes & seches comme un lévrier, ce qui le rend très-léger à la course. Il est de la grandeur d'un chien, sa peau est tachetée comme celle d'un tigre. Cet animal, qui est très-agile & très-vorace, cause beaucoup de frayeur aux habitans.


JANOW(Géog.) il y a trois villes de ce nom en Pologne. La premiere est dans la haute Podolie ; la seconde dans la province de Mazovie, sur les frontieres de la Prusse ; & la troisieme est en Lithuanie, dans la province de Briescia.


JANOWECZ(Géog.) ville de la petite Pologne, située dans le Palatinat de Sendomir.


JANOWITZ(Géog.) petite ville de Bohème au cercle de Kaurschim, fameuse par la bataille de 1645, où le général suédois Torstenson défit les Impériaux. Elle est à six milles de Prague, en allant vers la Moravie. Long. 32. 28. latit. 5. 12. (D.J.)


JANSÉNISMES. m. (Hist. ecclés.) dispute sur la grace, & sur différens autres points de la doctrine chrétienne, à laquelle un ouvrage de Corneille Jansénius a donné lieu.

Corneille Jansénius naquit de parens catholiques à Laerdam en Hollande. Il étudia à Utrecht, à Louvain & à Paris. Le fameux Jean du Verger de Hauranne, abbé de S. Cyran, son ami, le mena à Bayonne, où il passa douze ans en qualité de principal du collége. Ce fut-là qu'il ébaucha l'ouvrage qui parut après sa mort sous le titre d'Augustinus. De retour à Louvain, il y prit le bonnet de docteur, obtint une chaire de professeur pour l'Ecriture-sainte, & fut nommé à l'évêché d'Ypres qu'il ne posséda pas long-tems. Il mourut de peste quelques années après sa nomination.

Il avoit travaillé vingt-ans à son ouvrage. Il y mit la derniere main avant sa mort, & laissa à quelques amis le soin de le publier.

Ce livre le fut en effet en 1640 à Louvain en un volume in-folio, divisé en trois parties, qui traitent principalement de la grace.

On trouve dans l'ouvrage de Jansénius, & dans son testament, diverses protestations de sa soûmission au S. Siége.

Le pape Urbain VIII. proscrivit en 1649 l'Augustinus de Corneille Jansénius, comme renouvellant les erreurs du Bayanisme. Cornet, syndic de la faculté, en tira quelques propositions qu'il déféra à la Sorbonne, qui les condamna. Le docteur Saint-Amour & soixante & dix autres appellerent de cette décision au parlement. La faculté porta l'affaire devant le clergé. Les prélats, dit M. Godeau, voyant les esprits trop échauffés, craignirent de prononcer, & renvoyerent la chose au pape Innocent X. Cinq cardinaux & treize consulteurs tinrent par l'ordre d'Innocent, dans l'espace de deux ans & quelques mois, trente-six congrégations. Le pape présida en personne aux dix dernieres. Les propositions y furent discutées. Le docteur Saint-Amour, l'abbé de Bourzeis, & quelques autres qui défendoient la cause de Jansénius, furent entendus ; & l'on vit paroître en 1653 le jugement de Rome qui censure & qualifie les propositions suivantes.

Premiere proposition. Aliqua Dei precepta hominibus justis volentibus & conantibus, secundùm praesentes quas habent vires, sunt impossibilia. Deest quoque illis gratia quâ possibilia sunt. Quelques commandemens de Dieu sont impossibles à des hommes justes qui veulent les accomplir, & qui font à cet effet des efforts selon les forces présentes qu'ils ont. La grace même qui les leur rendroit possibles, leur manque.

Cette proposition qui se trouve mot pour mot dans Jansénius, fut déclarée téméraire, impie, blasphématoire, frappée d'anathème, & hérétique.

Calvin avoit prétendu que tous les commandemens sont impossibles à tous les justes, même avec la grace efficace, & cette erreur avoit été proscrite dans la sixieme session du concile de Trente.

La doctrine de l'Eglise est que Deus impossibilia non jubet, sed jubendo monet & facere quod possis, & petere quod non possis ; que Dieu n'ordonne rien d'impossible, mais avertit en ordonnant & de faire ce que l'on peut, & de demander ce que l'on ne peut pas.

Seconde proposition : interiori gratiae in statu naturae lapsae nunquam resistitur. Dans l'état de nature tombé, on ne résiste jamais à la grace intérieure.

Cette proposition n'est pas mot à mot dans l'ouvrage de Jansénius ; mais la doctrine qu'elle présente fut notée d'hérésie, parce qu'elle parut opposée à ces paroles de J. C. Jerusalem, quoties volui congregare filios tuos, sicut gallina congregat pullos suos sub alis, & noluisti. Jérusalem, combien de fois n'ai-je pas voulu rassembler tes enfans, comme la poule rassemble ses petits sous ses aîles, & tu ne l'as pas voulu ? & à celles-ci que S. Etienne adresse aux Juifs : durâ cervice & incircumcisis cordibus, vos semper Spiritui sancto resistitis. Têtes dures, coeurs incirconcis, vous résistez toûjours à l'Esprit saint ; & à ce passage de S. Paul, videte ne quis vestrûm desit gratiae Dei. Faites qu'aucun de vous ne résiste à la grace de Dieu.

Troisieme proposition : ad merendum vel demerendum in statu naturae lapsae, non requiritur in homine libertas a necessitate, sed sufficit libertas a coactione. Dans l'état de nature tombée, l'homme pour mériter ou pour démériter n'a pas besoin d'une liberté exemte de nécessité, il lui suffit d'une liberté exemte de contrainte.

On ne lit pas cette proposition dans Jansénius, mais celle-ci : l'homme est libre, dès qu'il n'est pas contraint. La nécessité simple, c'est-à-dire la détermination invincible qui part d'un principe extérieur, ne répugne point à la liberté. Une oeuvre est méritoire ou déméritoire, lorsqu'on la fait sans contrainte, quoi qu'on ne la fasse pas sans nécessité. Voyez lib. VI. de grat. Christ. C'est la suite du penchant de la délectation victorieuse ; où l'homme mérite & démérite, quoique son action exemte de contrainte ne le soit pas de nécessité.

La proposition troisieme fut déclarée hérétique ; car il est de foi que le mouvement de la grace efficace même n'emporte point de nécessité.

Luther & Calvin n'avoient admis dans l'homme de liberté que pour le physique des actions. Quant au moral, ils prétendoient que l'exemtion de contrainte suffisoit ; & que quoique nécessité, on pourroit mériter ou démériter ; le concile de Trente avoit anathématisé ces erreurs.

Quatrieme proposition : semi-pelagiani admittebant praevenientis gratiae necessitatem ad singulos actus, etiam ad initium fidei ; & in hoc erant haeretici quod vellent eam gratiam talem esse cui posset humana voluntas resistere vel obtemperare. Les semi-pélagiens admettoient la nécessité d'une grace prévenante pour toutes les bonnes oeuvres, même pour le commencement de la foi ; & ils étoient hérétiques, en ce qu'ils pensoient que cette grace étoit telle que la volonté de l'homme pouvoit s'y soumettre ou y résister.

La premiere partie de cette proposition est un fait, & on lit dans Jansénius, liv. VII. & VIII. de l'hérés. pélag. il n'est pas douteux que les demi-Pélagiens n'ayent admis la nécessité d'une grace actuelle & intérieure pour les premieres volontés de croire, d'espérer, &c.

Cette opinion de Jansénius sur le sémi-pélagianisme est regardée par tous les Théologiens comme contraire à la vérité & à l'autorité de S. Augustin, & la qualité de fausse de la censure tombe là-dessus.

Quant à la seconde partie qui concerne le dogme, elle a été qualifiée d'hérétique. Ainsi il paroit qu'il falloit dire, 1°. que les sémi-Pélagiens n'ont point admis la nécessité d'une grace intérieure pour le commencement de la foi ; 2°. que quand ils l'auroient admise, ils n'auroient point erré en prétendant que cette grace étoit telle que la volonté pût y consentir ou la rejetter.

Cinquieme proposition : semi-Pelagianum est dicere Christum pro omnibus hominibus mortuum esse aut sanguinem fudisse. C'est une erreur demi-pélagienne que Jesus-Christ est mort pour tous les hommes, ou qu'il ait répandu son sang pour eux.

Jansénius dit, de grat. Christ. lib. III. cap. ij. que les peres, bien loin de penser que Jesus-Christ soit mort pour le salut de tous les hommes, ont regardé cette opinion comme une erreur contraire à la foi catholique, & que le sentiment de S. Augustin est, qu'il n'est mort que pour les prédestinés, & qu'il n'a pas plus prié son Pere pour le salut des réprouvés que pour le salut des démons.

Le symbole de Nicée a dit, qui propter nos homines & propter nostram salutem descendit de coelis... incarnatus est... passus est... & la cinquieme proposition fut condamnée comme impie, blasphématoire & hérétique.

Cependant M. Bossuet dit, justif. des réfl. moral. p. 67. qu'il ne faut pas faire un point de foi également décidé de la volonté de sauver tous les justifiés, & de celle de sauver tous les hommes.

Telles sont les cinq fameuses propositions qui donnerent lieu à la bulle d'Innocent X. à laquelle on objecta que les cinq propositions n'étoient pas dans le livre de Jansénius, & qu'elles n'avoient pas été condamnées dans le sens de cet auteur, & l'on vit naître la fameuse distinction du fait & du droit.

Diverses assemblées du clergé de France tenues en 1654, 5, 6, & 7, statuerent, 1°. que les cinq propositions étoient dans le livre de Jansénius ; 2°. qu'elles avoient été condamnées dans le sens propre & naturel de l'auteur.

Innocent X. adressa à ce sujet un bref en 1654. Alexandre VII. son successeur, dit dans sa constitution de 1656, que les cinq propositions extraites de l'Augustinus, ont été condamnées dans le sens de l'auteur.

Cependant M. Arnauld, lett. à un duc & pair, soûtint que les propositions n'étoient point dans Jansénius ; qu'elles n'avoient point été condamnées dans son sens, & que toute la soûmission qu'on pouvoit exiger des fideles à cet égard, se réduisoit au silence respectueux. Il prétendit encore que la grace manque au juste dans des occasions où l'on ne peut pas dire qu'il ne peche pas ; qu'elle avoit manqué à Pierre en pareil cas, & que cette doctrine étoit celle de l'Ecriture & de la tradition.

La Sorbonne censura en 1656 ces deux propositions ; & M. Arnauld ayant refusé de se soûmettre à sa décision, fut exclus du nombre des docteurs. Les candidats signent encore cette censure.

Cependant les disputes continuoient. Pour les étouffer, le clergé, dans différentes assemblées tenues depuis 1655 jusqu'en 1661, dressa une formule de foi que les uns souscrivirent, & que d'autres rejetterent. Les évêques s'adresserent à Rome, & il en vint en 1665 une bulle qui enjoignit la signature du formulaire, appellé communément d'Alexandre VII. dont voici la teneur.

Ego N. constitutioni apostolicae Innocent. X. datae die tertia Maii, an. 1653, & constitutioni Alex. VII. datae die sexta Octob. an. 1656. summorum pontificum, me subjicio, & quinque propositiones ex Cornelii Jansenii libro cui nomen est Augustinus excerptas, & in sensu ab eodem autore intento, prout illas praedictas propositiones sedes apostolica damnavit, sincero animo damno ac rejicio, & ita juro. Sic me Deus adjuvet, & haec sancta Evangelia.

Louis XIV. donna en 1665 une déclaration qui fut enregistrée au parlement, & qui confirma la signature du formulaire sous des peines grieves. Le formulaire devint ainsi une loi de l'Eglise & de l'Etat.

Les défenseurs du formulaire disent que les cinq propositions ont été condamnées dans le sens de Jansénius, car elles ont été déférées & discutées à Rome dans ce sens.

Ce sens est clair ou obscur. S'il est clair, le pape, les évêques & tout le Clergé est donc bien aveugle. S'il est obscur, les Jansénistes sont donc bien éclairés.

Le jugement d'Innocent X. est irréformable, parce qu'il a été porté par un juge compétent, après une mûre délibération, & accepté par l'Eglise. Personne ne doute, dit M. Bossuet, lett. aux relig. de P. R. que la condamnation des propositions ne soit canonique.

Cependant MM. Pavillon évêque d'Aleth, Choart de Buzenval évêque d'Amiens, Caulet évêque de Pamiers & Arnauld évêque d'Angers distinguerent expressément dans leurs mandemens la question de fait & celle de droit.

Le pape irrité voulut leur faire faire leur procès, & nomma des commissaires. Il s'éleva une contestation sur le nombre des juges. Le roi en vouloit douze. Le pape n'en vouloit que dix. Celui-ci mourut, & sous son successeur Clément IX. MM. d'Estrées, alors évêque de Laon & depuis cardinal, de Gondrin archevêque de Sens, & Vialart évêque de Châlons, proposerent un accommodement, dont les termes étoient, que les quatre évêques donneroient & feroient donner dans leurs diocèses une nouvelle signature de formulaire, par laquelle on condamneroit les propositions de Jansénius sans aucune restriction, la premiere ayant été jugée insuffisante.

Les quatre évêques y consentirent. Cependant dans les procès verbaux des synodes diocésains qu'ils tinrent pour cette nouvelle signature, on fit la distinction du fait & du droit, & l'on inséra la clause du silence respectueux sur le fait. La volonté du pape fut-elle ou ne fut-elle pas éludée ? C'est une grande question entre les Jansénistes & leurs adversaires.

Il est certain que la question de fait peut être prise en divers sens. 1°. Pour le fait personnel, c'est-à-dire quelle a été l'intention personnelle de Jansénius. 2°. Pour le fait grammatical, savoir si les propositions se trouvent mot pour mot dans Jansénius. 3°. Pour le fait dogmatique, ou l'attribution des propositions à Jansénius, & leur liaison avec le dogme.

On convient que la décision de l'Eglise ne peut s'étendre au fait pris soit au premier soit au second sens. Mais est-ce du fait pris dans ces deux sens, ou du fait pris au troisieme qu'il faut entendre la distinction dans laquelle persisterent les quatre évêques & les dix-neuf autres qui se joignirent à eux ? C'est une difficulté que nous laissons à examiner à ceux qui se chargeront de l'histoire ecclésiastique de ces tems.

Quoi qu'il en soit, voilà ce qu'on appelle la paix de Clement IX.

Les évêques de Flandres ayant fait quelque altération à la souscription du formulaire, quelques docteurs de Louvain dépêcherent à Rome un des leurs, appellé Hennebel, pour se plaindre de cette témérité ; & Innocent XII. donna en 1694 & 1696 deux brefs, dans l'un desquels il dit : " Nous attachant inviolablement aux constitutions de nos prédécesseurs Innocent X. & Aléxandre VII. nous déclarons que nous ne leur avons donné ni ne donnons aucune atteinte, qu'elles ont demeuré & demeurent encore dans toute leur force ". Il ajoûte dans l'autre : " Nous avons appris avec étonnement que certaines gens ont osé avancer que dans notre premier bref, nous avions altéré & réformé la constitution d'Alexandre VII. & le formulaire dont il a prescrit la signature. Rien de plus faux, puisque par ledit bref nous avons confirmé l'un & l'autre, que nous y adhérons constamment, que telle est & a toûjours été notre intention ".

Le pape, dans un de ces brefs, dit des Jansénistes, les prétendus Jansénistes. Ce mot de prétendus diversement interprété par les deux partis, acheve d'obscurcir la question de la signature pure & simple du formulaire.

Depuis la paix de Clément IX. les esprits avoient été assez tranquilles, lorsqu'en 1702 on vit patoître le fameux cas de conscience. Voici ce que c'est.

On supposoit un ecclésiastique qui condamnoit les cinq propositions dans tous les sens que l'Eglise les avoit condamnées, même dans le sens de Jansénius de la maniere qu'Innocent XII. l'avoit entendu dans ses brefs aux évêques de Flandres, & auquel cependant on avoit refusé l'absolution, parce que, quant à la question de fait, c'est-à-dire, à l'attribution des propositions au livre de Jansénius, il croyoit que le silence respectueux suffisoit ; & l'on demandoit à la Sorbonne ce qu'elle pensoit de ce refus d'absolution.

Il parut une décision signée de quarante docteurs, dont l'avis étoit que le sentiment de l'ecclésiastique n'étoit ni nouveau ni singulier, qu'il n'avoit jamais été condamné par l'Eglise, & qu'on ne devoit point pour ce sujet lui refuser l'absolution.

Cette piece ralluma l'incendie. Le cas de conscience occasionna plusieurs mandemens. Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, exigea & obtint des docteurs qui l'avoient signé une rétractation. Un seul tint ferme, & fut exclus de la Sorbonne.

Cependant les disputes renouvellées ne finissant point, Clement XI. qui occupoit alors la chaire de S. Pierre, après plusieurs brefs, publia sa bulle, Vineam Domini sabaoth. Elle est du 15. Juillet 1705. Et il paroît que son objet est de déclarer que le silence respectueux sur le fait ne suffit pas pour rendre à l'Eglise la pleine & entiere obeissance qu'elle exige des fideles.

La question étoit devenue si embarrassée, si subtile, qu'on dispute encore sur cette bulle. Mais il faut avouer qu'elle fut regardée dans les premiers momens comme une autorité contraire au silence respectueux.

M. l'évêque de Montpellier, qui l'avoit d'abord acceptée, se retracta dans la suite.

Jamais les hommes n'ont peut-être montré tant de dialectique & de finesse que dans toute cette affaire.

Ce fut alors qu'on fit la distinction du double sens des propositions de Jansénius, l'un qui est le sens vrai, naturel & propre de Jansénius, & l'autre qui est un sens putatif & imaginé. On convint que les propositions étoient hérétiques dans le sens putatif & imaginé par le souverain pontife, mais non dans leur sens vrai, propre & naturel.

Voilà où la question du Jansenisme & du formulaire en est venue.

Les disputes occasionnées par le livre de Quesnel & par sa condamnation, ayant commencé précisément lorsque celles que l'ouvrage de Jansénius avoit excitées, alloient peut-être s'éteindre, on a donné le nom de Jansénistes aux défenseurs de Quesnel & aux adversaires de la bulle Unigenitus. Voyez les articles QUESNELISTES, UNIGENITUS, &c.


JANSENISTES. m. (Mode) c'est un petit panier à l'usage des femmes modestes, & c'est la raison pour laquelle on l'a appellé janséniste. Voyez l'article PANIER.


JANTES. f. (Arts méchan.) piece de bois de charronage de deux à trois piés de long, courbée, & qui fait une partie du cercle de la roue d'un moulin, d'un carrosse, d'une charrette & autres voitures.

Il faut 1°. remarquer sur les jantes des roues, qu'elles doivent être bien chantournées : 2°. que quoiqu'elles n'aient pas besoin d'une épaisseur considérable, cependant il est nécessaire de leur en donner une d'autant plus grande, que les tenons des rais seront forts : 3°. il faut encore avoir attention que les jantes soient faites de courbes naturelles, afin que leurs fibres ne soient point coupées : 4°. il ne faut laisser aux jantes aucun aubier, car si l'aubier est dans la partie concave de la jante, le tenon du rais fera éclater l'aubier, & ce rais sera comme inutile ; si au contraire l'aubier est dans la partie convexe de la jante, les bandes, & particulierement les bouts des bandes, seront forcés par la charge de la voiture, à entrer dans la jante ; pour lors la roue perdant sa rondeur, aura plus de peine à rouler, ira par sauts & par secousses, qui contribueront beaucoup à sa destruction entiere, & à casser la bande qui porteroit à faux. Voyez nos Planches de Charron. (D.J.)

JANTES, dans l'Artillerie, ce sont six pieces de bois d'orme dont chacune forme un arc de cercle, & qui jointes ensemble par les extrémités, font cercle entier, qui avec un moyeu & douze rais, composent les roues de l'affut du canon.

L'épaisseur des jantes varie suivant la piece à laquelle le rouage qu'elles forment est destiné. Aux pieces de vingt-quatre les jantes ont six pouces de haut, & quatre pouces d'épaisseur ; à celles de seize, cinq pouces de haut, & trois pouces & demi d'épaisseur ; aux pieces de douze, quatre pouces huit lignes de haut, & trois pouces trois lignes d'épaisseur ; à celles de huit, quatre pouces & demi de haut, & trois pouces & demi d'épaisseur ; enfin aux pieces de quatre, quatre pouces de haut, & deux pouces & demi d'épaisseur.


JANTILLES. f. (Art méchaniq.) gros ais qu'on applique autour des jantes & des aubes de la roue d'un moulin, pour recevoir la chûte de l'eau, & accélérer son mouvement. Elle sert aussi à élever les eaux à l'aide des roues disposées à cet effet. De jantille on a fait le verbe jantiller.


JANUALS. m. (Littérat.) sorte de gâteau que les Romains offroient à Janus le premier jour du mois qui lui étoit consacré ; ce gâteau étoit fait de farine nouvelle, de sel nouveau, d'encens & de vin. (D.J.)


JANUALE PORTE(Antiq.) porte de Rome située sur le mont Viminal, & qui fut appellée porte januale, à l'occasion d'un prétendu miracle que Janus opéra dans cet endroit, en faveur des Romains contre les Sabins. Ovide embellit ce conte populaire de toutes les graces de la Poésie ; voyez-le. (D.J.)


JANUALESS. f. (Hist. anc.) fête de Janus qu'on célébroit à Rome le premier de Janvier par des danses & d'autres marques de réjouissances publiques. En ce jour les citoyens revêtus de leurs plus beaux habits, les consuls à la tête en robe de cérémonie, alloient au capitole faire des sacrifices à Jupiter. Alors comme aujourd'hui, on se saisoit des présens & d'heureux souhaits les uns aux autres, & l'on avoit grande attention, selon Ovide, à ne rien dire qui ne fût de bon augure pour tout le reste de l'année. On offroit à Janus des figues, des dattes & du miel ; la douceur de ces fruits étant regardée comme le symbole de présages favorables pour l'année. (G)


JANUS, TEMPLE DE(Hist. rom. Médaill. Littér.) temple que Janus avoit à Rome, & qui avoit été bâti par Romulus ; Numa son successeur lui donna des portes, que l'on n'ouvroit qu'en tems de guerre, & que l'on tenoit fermées pendant la paix. De là cette inscription que l'on voit au revers de plusieurs médailles de Néron, avec le temple de Janus ; pace terrâ marique partâ, Janum clausit ; & cette inscription trouvée à Mérida en Espagne : Imp. Caesar. Divi F. Augustus, Pont. Max. Cos XI. Tribunic. Pot. X. Imp. VIII. Orbe, mari & terra pacato, templo Jani clauso, &c. De-là les surnoms de Patuleius, & de Clusius, comme qui diroit l'ouvert & le fermé.

Il paroît par le plus grand nombre des inscriptions, que ce temple se nommoit tout court Janus ; Janum clausit. Horace l'appelle Janum Quirini, c'est-à-dire Janum Romuli, ce qui ne pouvoit pas s'appliquer aux autres temples que Janus avoit à Rome, & dont nous parlerons tout à l'heure.

On remarque que ce temple ne fut fermé que deux fois depuis la fondation de Rome, jusqu'au regne d'Auguste, & huit fois pendant tout le cours de la royauté, de la république & de l'empire. La premiere fois qu'on le ferma fut sous le regne de Numa, l'instituteur de cette cérémonie ; la seconde fois, à la fin de la premiere guerre punique, l'an 519 de Rome ; la troisieme fois, après la bataille d'Actium, qui rendit Auguste le maître du monde, l'an 725 de Rome ; la quatrieme fois, cinq ans après, au retour de la guerre des Cantabres en Espagne, l'an 730 ; la cinquieme fois, sous le regne du même empereur, l'an 744 de Rome, environ cinq ans avant la naissance de Jesus-Christ ; & la paix générale qui régnoit alors dans l'empire romain, dura douze ans ; la sixieme fois, sous Néron, l'an 811 ; la septieme fois, sous Vespasien, l'an 824 ; la huitieme fois enfin, sous Gordien le jeune, à peu-près vers l'an 994 de Rome.

Il n'est pas bien sûr que les premiers empereurs chrétiens ayent observé cette cérémonie. Il est vrai qu'Ammian Marcellin dans son hist. liv. XVI. ch. x. semble dire positivement, que Constance II. après ses victoires, vint à Rome l'an 1105 de sa fondation, & ferma le temple de Janus, concluso Jani templo, stratisque hostibus cunctis ; mais comme on assure que ce passage se lit différemment dans les manuscrits, & assez obscurément, il faudroit encore quelque autre autorité pour rendre le fait plus certain.

Je ne trouve que de mauvaises raisons sur l'institution de l'ouverture du temple de Janus en tems de guerre, & de sa clôture en tems de paix. Les uns nous disent que dans un combat de Romulus avec les Sabins, la victoire penchant du côté de ces derniers, un prodige parut sur le champ de bataille, qui les mit en fuite, & Romulus bâtit un temple dans le même lieu, que l'on ouvroit en tems de guerre, afin de tirer toujours du secours de ce temple. D'autres prétendent que Tatius & Romulus bâtirent un temple à frais communs, en mémoire de leur alliance, & que l'usage de l'ouvrir en tems de guerre marquoit l'union des deux rois. J'aime tout autant la pensée d'Ovide : pourquoi, demande le poëte à Janus, ferme-t-on votre temple en tems de paix, & l'ouvre-t-on en tems de guerre ? J'ouvre les portes de mon temple, répond le dieu, pour le retour des soldats romains quand ils sont une fois partis pour l'armée ; & je le ferme en tems de paix, afin que la paix y étant rentrée, elle n'en sorte plus.

Il y avoit à Rome plusieurs autres temples de Janus, outre celui dont nous venons de parler ; les uns portoient le nom de Janus bifrons, ou à deux faces ; les autres de Janus quadrifrons, ou quatre faces : ces derniers étoient à quatre faces égales, avec une porte & trois fenêtres à chaque face. Les quatre côtés & les quatre portes marquoient, dit-on, les quatre saisons de l'année, & les trois fenêtres de chaque côté désignoient les trois mois de chaque saison, ce qui faisoit les douze mois de l'an. Varron nous assure que par rapport à ces douze mois, on avoit érigé douze autels à Janus ; ces autels étoient hors de Rome au-delà de la porte du janicule.

La Fable & les historiens ne connoissent point de plus ancien roi, ni de plus ancien dieu d'Italie que Janus. On le suppose communément originaire de Grece, équipant une flotte, abordant en Italie, où il bâtit une ville qu'il appella de son nom Janicule. Il régna 1330 ans avant l'ere chrétienne, & eut Saturne pour successeur, après un regne de trente-trois ans. Ovide au premier livre de ses Fastes, lui fait raconter ingénieusement les merveilles de son histoire, de son culte, & de sa souveraine puissance. Ce sont du moins des fictions plus amusantes que celles de nos chrétiens modernes, qui retrouvent Noé dans Janus, & qui forment son nom de l'hébreu jaïn, du vin.

Macrobe croit avoir découvert la raison historique, pourquoi les Romains invoquoient Janus, le premier des dieux, dans leurs sacrifices & leurs prieres ; c'est, dit-il, parce qu'il fut le premier qui bâtit des temples, & qui institua des rites sacrés. " Le seul nom de Janus, suivant le récit de ce mythologue, indique qu'il préside sur toutes les portes qui s'appellent januae. On le peint tenant d'une main une clé, & de l'autre une baguette, pour marquer qu'il est le gardien des portes, & qu'il préside aux chemins ; quelques-uns prétendent que Janus est le soleil maître des portes du ciel, qu'il ouvre le jour en se levant, & qu'il le ferme en se couchant. Ses statues le représentent offrant de la main droite le nombre de CCC, & de la main gauche celui de LXV, parce qu'il est le dieu de l'année. Dans le culte que nous lui rendons, continue Macrobe, nous invoquons Janus geminus, Janus pater, Janus junonius, Janus consivius, Janus Quirinus, Janus Patuleius, & Janus Clusivius ". Tous ces noms s'entendent d'eux-mêmes.

Comme Janus passa pour un roi sage, prudent & éclairé, on supposa qu'il savoit le passé, & qu'il prévoyoit l'avenir, & en conséquence de cette idée, on le peignit avec une tête à deux visages, l'une devant, l'autre derriere.

Plutarque dans ses questions romaines, rapporte deux opinions différentes sur les deux têtes adossées de Janus ; c'est, dit-il, ou parce que ce prince étant grec & natif de Perrhebe, il vint en Italie, s'établit parmi des Barbares, & changea de langue & de genre de vie ; ou parce qu'il persuada au peuple grossier du Latium, de s'appliquer à l'Agriculture, & de se policer. Quoi qu'il en soit, on représentoit presque toujours Janus avec deux visages ; d'où vient qu'Ovide le félicite fort plaisamment d'avoir seul le privilege de se voir par-devant & par-derriere, solus de superis qui tua terga vides.

Sa monnoie étoit de l'espece que l'on appelloit ratita, parce qu'elle portoit d'un côté sa tête, & au revers un navire, ou la proue d'un vaisseau. Cette monnoie désignoit apparemment l'arrivée de Saturne en Italie, quand il se réfugia dans les états de Janus, après avoir été détrôné par son fils Jupiter. On trouve encore aujourd'hui de cette ancienne monnoie dans les cabinets des curieux. (D.J.)

JANUS, (Littérat. rom.) les Latins ont donné quelquefois le nom de janus à de grandes arcades fort exhaussées, qui traversent une rue d'un côté à l'autre, comme des arcs de triomphe, & sous lesquelles on passe. Ces janus étoient pour la plûpart incrustés & ornés de statues ; Suetone & Publius Victor le disent expressément. Il y avoit plusieurs de ces sortes d'arcades dites janus, dans différentes rues de Rome. La seule place romaine, cette place qui formoit le quartier des banquiers, des marchands & des usuriers, avoit trois janus ou arcades, au rapport de Tite-Live, liv. XLI. savoir une à chaque bout & une troisieme au milieu : forum porticibus, tabernisque claudendum, & Janos tres faciendos locavere ; ce sont les paroles de cet historien, qui signifient que Flavius Flaccus enferma la place romaine de portiques & de boutiques, & y fit faire trois janus. Le troisieme de ces janus nommé janus medius, étoit célebre ; Horace en parle dans une de ses satyres, & Cicéron en plusieurs endroits de ses offices. Le janus medius, dit ce dernier dans sa VI. Philippique, est sous la protection d'Antoine, Antonius jani medii patronus est. On peut voir si l'on juge à propos, l'ancienne Rome du Nardini. (D.J.)


JANVIER(Astron. & Hist. anc.) mois que les Romains dédierent à Janus, & que Numa mit au solstice d'hiver.

Quoique les calendes de ce mois fussent sous la protection de Junon, comme tous les premiers jours des autres mois, celui-ci se trouvoit consacré particuliérement au dieu Janus, à qui l'on offroit ce jour-là le gâteau nommé janual, ainsi que des dattes, des figues & du miel, fruits dont la douceur faisoit tirer d'heureux prognostics pour le cours de l'année. Voy. JANUAL, NUALESALES.

Ce même jour tous les artistes & artisans ébauchoient la matiere de leurs ouvrages, dans l'opinion que pour avoir une année favorable, il falloit la commencer par le travail. C'est, dit Ovide, le dieu Janus qui le prescrivoit en ces termes :

Tempora commisi nascentia rebus agendis,

Totus ab auspicio, ne foret annus iners.

Cette idée étoit bien plus raisonnable que celle des anciens chrétiens, qui jeûnoient le premier de Janvier pour se distinguer des Romains, parce que ceux-ci se régaloient le soir en l'honneur de Janus.

Les consuls désignés prenoient possession ce jour-là de leur dignité, depuis le consulat de Quintus Fulvius Nobilior, & de Titus Annius Luscus, l'an de la fondation de Rome 601. Ils montoient au capitole accompagnés d'une grande foule de peuple, tous habillés de neuf, & là au milieu des parfums, ils immoloient à Jupiter Capitolin deux taureaux blancs, qui n'avoient pas été mis sous le joug.

Les flamines faisoient des voeux pendant ce sacrifice pour la prospérité de l'empire & pour le salut de l'empereur, après lui avoir prêté le serment de fidélité. Ces voeux & ce serment étoient faits pareillement par tous les autres magistrats. Tacite nous dit dans ses annales, liv. XVI. qu'on fit un crime à Thrasea d'avoir manqué de se trouver au serment & aux voeux de la magistrature, pour le salut de l'empereur. Ovide vous dira plus distinctement toutes ces cérémonies.

Dans ce même jour les Romains se souhaitoient une heureuse année, & prenoient garde de laisser échapper quelque propos qui fût de mauvais augure. Enfin les amis avoient soin d'envoyer des présens à leurs amis, qu'on appelloit strenae, des étrennes. Voyez ETRENNES.

Parcourons maintenant les autres jours de ce mois, & ses diverses fêtes.

Le second jour étoit estimé malheureux pour la guerre, & appellé par cette raison dies ater, jour funeste.

Le troisieme & le quatrieme étoient jours comitiaux.

Le cinquieme jour des nones étoit jour plaidoyable.

Le sixieme passoit pour malheureux.

Le septieme on célébroit la venue d'Isis chez les Romains.

Le huitieme étoit d'assemblée.

Le neuvieme des ides de ce mois, on fêtoit les agonales en l'honneur de Janus.

Le dixieme étoit un jour mi-parti, marqué ainsi dans l'ancien calendrier, E. N.

L'onzieme, ou le iij. des ides, arrivoient les carmentales pour honorer la déesse Carmenta, mere d'Evandre. Voyez CARMENTALES. On célébroit ce même jour la dédicace du temple de Juturne dans le champ de Mars.

Le douzieme étoit jour d'assemblée, quelquefois on y faisoit la fête des compitales ou des carrefours.

Le treizieme jour des ides, consacré à Jupiter, se marquoit dans le calendrier par ces deux lettres, N. P.

Nefastus primâ parte diei, pour dire qu'il étoit seulement fête le matin ; on sacrifioit au souverain des dieux une brebis appellée ovis idulis.

Le quatorzieme semblable au dixieme, étoit coupé moitié fête moitié jour ouvrier.

Le quinzieme on solemnisoit pour la seconde fois les carmentales, nommées par cette raison carmentalia secunda.

Au seizieme arrivoit la dédicace de ce grand & superbe temple de la Concorde, qui fut voué & dédié par Camille, & que Livia Drusilla décora de plusieurs statues, & d'un autel magnifique.

Depuis le seize jusqu'au premier Février, étoient des jours comitiaux, ou d'assemblée, si vous en exceptez le dix-sept, où l'on donnoit les jeux palatins ; le vingt-quatre, où l'on célébroit les féries sémentines pour les semailles ; le vingt-sept, où l'on fêtoit la dédicace du temple de Castor & de Pollux à l'étang de Juturna, soeur de Turnus, le vingt-neuvieme, où se donnoient les équiries, equiria, c'est-à-dire les jeux de courses de chevaux dans le champ de Mars ; & finalement le trentieme, qui étoit la fête de la paix, où l'on sacrifioit une victime blanche, & où l'on brûloit quantité d'encens.

Dans ce mois de Janvier, que les Grecs appelloient ; ils solemnisoient la fête des gamélies, en l'honneur de Junon, fête instituée par Cécrops, au dire de Favorin. Voyez GAMELIES.

Les Ioniens célébroient aussi dans ce mois, les lénées. Voyez LENEES. Et les Egyptiens fêtoient la sortie d'Isis de Phénicie.

Si l'on vouloit des preuves de tout ceci, ou de plus grands détails encore, on pourroit consulter Ovide dans ses fastes, Varron, Festus, Hospinien de origine festorum, Meursius, Pitiscus, Danet, & les antiquités greq. & romaines. Le soleil entre dans ce mois au signe du verseau. (D.J.)


JANVILLE(Géog.) petite ville de France dans la haute Beauce, élection d'Orléans, à une lieue de Toury ; quelques-uns écrivent Genville, d'autres Yenville. Long. 19. 40. lat. 48. 16. (D.J.)


JAOCHEU(Géog.) ville de la Chine dans la province de Kiangsi, dont elle est la seconde métropole. Son territoire fournit presque toute la vaisselle de porcelaine dont se servent les Chinois. Elle est plus occidentale que Pékin de 32d & est à 29. 40. de latitude. (D.J.)


JAPACANIsubst. masc. (Ornitholog. exot.) oiseau du Brésil de la plus petite espece ; son bec noir, est long, pointu, un peu courbé en bas ; son dos & sa tête sont noirs ; le cou & les aîles sont d'un verd brun ; sa queue en-dessus est toute noire, & toute tachetée de blanc en-dessous ; sa gorge, son ventre & ses cuisses sont mélangées de blanc & de jaune, avec des bandes noires transversales. Marggrave, hist. Brasil. (D.J.)


JAPARANDIBAS. m. (Botan. exot.) arbre du Brésil, arbor pomifera Brasiliensis, flore rosaceo, fructu rotundo, segmento superiùs velut ablato, de Marggrave & Pison. Son écorce est cendrée, son bois est dur & moëlleux ; ses feuilles nombreuses, oblongues, pointues, nerveuses, naissent sans ordre, sur les rameaux. Ses fleurs semblables en grandeur, en couleur & en odeur à celles de la rose, sont polypétales, & soutenues trois à trois par un même pédicule ; elles ont au milieu plusieurs petites étamines, disposées en rond, avec un sommet jaune & tremblant. Il leur succede des fruits gris en dehors, jaunes en dedans, faits comme des pommes orbiculaires, mais applatis au-dessus, comme si on en avoit coupé une tranche. Ils contiennent chacun un noyau de la grosseur d'une aveline, anguleux, cordiforme, & de couleur de foie luisante. (D.J.)


JAPARE(Géog.) ville des Indes orientales, dans l'île de Java, sur la côte septentrionale, avec un bon port. Il s'y fait un très-grand commerce, & l'on y voit aborder de toutes les nations des Indes, Javanois, Persans, Arabes, Guzarates, Chinois, Malais, Péguans, &c. Les femmes y sont également laides, & portées à l'amour. Voyez les recits des voyages de la Compagnie hollandoise. Long. 128. 40. latit. méridionale. 6. 45. (D.J.)


JAPODESles, (Géog. an.) les Japodes, selon Strabon, ou JAPIDES selon Ptolomée, étoient un ancien peuple de l'Illyrie, dont le pays s'étendoit en deçà & au-de-là des Alpes, jusqu'auprès de la mer. Strabon, l. IV. nous dit que cette nation étoit en partie originaire des Gaules, & en partie de l'Illyrie ; qu'elle possédoit quatre villes, Metulum, Arupinum, Monetium, & Vendum ; qu'elle étoit très-belliqueuse, quoiqu'elle vécût pauvrement de miel & d'épautre ; & qu'enfin le pays qu'elle habitoit, faisoit partie des Alpes. Comme ils s'étoient adonnés au brigandage, Auguste lassé des plaintes qui lui en revenoient, entreprit de les réduire, & y réussit. Dion Cassius, l. XLIX de son Histoire, parle de cette conquête d'Auguste. Le P. Briet croit que le pays des anciens Japides, répond à la Croatie, & à une partie de l'Istrie, & du Vendismark. Il est très-vraisemblable que les Japodes sont les Jaunthalers de nos jours, habitans de cette vallée d'Allemagne, dans la Carinthie & la Carniole, au midi de la Draye. Les Arupini auront fondé Aversperg, les Monetii, Mansperg, les Metuli, Medaitz, & les Vendi, Windischgratz. (D.J.)


JAPONle, (Géog.) grand pays de la partie la plus orientale de l'Asie. C'est un composé de quantité d'îles, dont les trois principales sont celles de Niphon, de Saikokf, & de Sikokf ; ces trois îles sont entourées d'un nombre prodigieux d'autres îles ; les unes petites, pleines de rochers stériles, les autres grandes, riches & fertiles. Toutes ces îles & terres qui forment le Japon, ont été divisées l'an 590 de J. C. en sept principales contrées, qui sont partagées en quarante-huit provinces, & subdivisées en plusieurs moindres districts.

Le revenu de toutes les îles & provinces, qui appartiennent à l'empire du Japon, monte tous les ans à 3228 mans, & 6200 kokfs de riz ; car au Japon, tous les revenus sont reduits à ces deux mesures en riz ; un mans contient dix mille kokfs ; & un kokf trois mille balles ou sacs de riz.

Le tems est fort inconstant dans cette vaste contrée ; l'hiver est sujet à des froids rudes, & l'été à des chaleurs excessives. Il pleut beaucoup pendant le cours de l'année, & sur-tout dans les mois de Juin & de Juillet, mais sans cette régularité qu'on remarque dans les pays plus chauds des Indes orientales. Le tonnerre & les éclairs sont très-fréquens. La mer qui environne le Japon, est fort orageuse, & d'une navigation périlleuse, par le grand nombre de rochers, de bas fonds & d'écueils, qu'il y a au-dessus & au-dessous de l'eau.

Le terroir est en général montagneux, pierreux, & stérile ; mais l'industrie & les travaux infatigables des habitans, qui d'ailleurs vivent avec une extrême frugalité, l'ont rendu fertile, & propre à se passer des pays voisins. Toute la nation se nourrit de riz, de légumes & de fruits, sobriété qui semble en elle une vertu plutôt qu'une superstition. L'eau douce ne manque pas, car il y a un grand nombre de lacs, de rivieres, & de fontaines froides, chaudes & minérales ; les tremblemens de terre n'y sont pas rares, & détruisent quelquefois des villes entieres par leurs violentes & longues secousses.

La plus grande richesse du Japon consiste en toutes sortes de minéraux & de métaux, particulierement en or, en argent, & en cuivre admirable. Il y a quantité de soufrieres, entr'autres une île entiere qui n'est que soufre. La province de Bungo produit de l'étain si fin & si blanc, qu'il vaut presque l'argent. On trouve ailleurs le fer en abondance ; d'autres provinces fournissent des pierres précieuses, jaspes, agathes, cornalines, des perles dans les huitres, & dans plusieurs autres coquillages de mer. L'ambre gris se recueille sur les côtes, & chacun peut l'y ramasser. Les coquillages de la mer, dont les habitans ne font aucun cas, ne cedent point en beauté à ceux d'Amboine & des îles Moluques. Le Japon possede aussi des drogues estimées, qui servent à la Teinture & à la Médecine. On n'y a point encore découvert l'antimoine, & le sel ammoniac ; le vif-argent & le borax y sont portés par les Chinois.

L'empire du Japon est situé entre le 31 & le 42d de latitude septentrionale. Les Jesuites, dans une carte corrigée sur leurs observations astronomiques, le placent entre le 157 & le 175d 30' de longitude. Il s'étend au nord-est, & à l'est-nord-est ; sa largeur est très-irréguliere, & étroite en comparaison de sa longueur, qui prise en droite ligne, & sans y comprendre toutes les côtes, a au moins 200 milles d'Allemagne. Il est comme le royaume de la Grande-Bretagne, haché & coupé, mais dans un plus haut degré, par des caps, des bras de mer, des anses & des baies. Il se trouve un bras de mer entre les côtes les plus septentrionales du Japon, & un continent voisin ; c'est un fait confirmé par les découvertes récentes des Russes ; Jedo est aujourd'hui la capitale de cet empire ; c'étoit autrefois Meaco, Voyez JEDO & MEACO.

Si le Japon exerce la curiosité des Géographes, il est encore plus digne des regards d'un philosophe. Nous fixerons ici les yeux du lecteur, sur le tableau intéressant qu'en a fait l'historien philosophe de nos jours. Il nous peint avec fidélité ce peuple étonnant, le seul de l'Asie qui n'a jamais été vaincu, qui paroît invincible ; qui n'est point, comme tant d'autres, un mélange de différentes nations, mais qui semble aborigene ; & au cas qu'il descende d'anciens Tartares, 1200 ans avant J. C. suivant l'opinion du P. Couplet, toujours est-il sûr qu'il ne tient rien des peuples voisins. Il a quelque chose de l'Angleterre, par la fierté insulaire qui leur est commune, & par le suicide qu'on croit si fréquent dans ces deux extrémités de notre hémisphere ; mais son gouvernement ne ressemble point à l'heureux gouvernement de la Grande-Bretagne ; il ne tient pas de celui des Germains, son système n'a pas été trouvé dans leurs bois.

Nous aurions dû connoître ce pays dès le xiij. siecle, par le recit du celebre Marco Paolo. Cet illustre vénitien avoit voyagé par terre à la Chine ; & ayant servi long-tems sous un des fils de Gengis-Kan, il eut les premieres notions de ces îles, que nous nommons Japon, & qu'il appelle Zipangri ; mais ses contemporains qui admettoient les fables les plus grossieres, ne crurent point les vérités que Marc Paul annonçoit : son manuscrit resta long-tems ignoré. Il tomba enfin entre les mains de Christophe Colomb, & ne servit pas peu à le confirmer dans son espérance, de trouver un monde nouveau, qui pouvoit rejoindre l'orient & l'occident. Colomb ne se trompa que dans l'opinion, que le Japon touchoit à l'hémisphere qu'il découvrit ; il en étoit si convaincu, qu'étant abordé à Hispaniola, il se crut dans le Zipangri de Marco Paolo.

Cependant, pendant qu'il ajoûtoit un nouveau monde à la monarchie d'éspagne, les Portugais de leur côté s'aggrandissoient avec le même bonheur dans les Indes orientales. La découverte du Japon leur est dûe, & ce fut l'effet d'un naufrage. En 1542, lorsque Martin Alphonse de Souza étoit viceroi des Indes orientales, trois portugais, Antoine de Mota, François Zeimoto, & Antoine Peixota, dont les noms méritoient de passer à la postérité, furent jettés par une tempête sur les côtes du Japon ; ils étoient à bord d'une jonque chargée de cuir, qui alloit de Siam à la Chine : voilà l'origine de la premiere connoissance qui se répandit du Japon en Europe.

Le gouvernement du Japon a été pendant deux mille quatre cent ans assez semblable à celui du calife des Musulmans, & de Rome moderne. Les chefs de la religion ont été, chez les Japonois, les chefs de l'empire plus long-tems qu'en aucune autre nation du monde. La succession de leurs pontifes rois, & de leurs pontifes reines (car dans ce pays-là les femmes ne sont point exclues du trône pontifical) remonte 660 ans avant notre ere vulgaire.

Mais les princes séculiers s'étant rendus insensiblement indépendans & souverains dans les provinces, dont l'empereur ecclésiastique leur avoit donné l'administration, la fortune disposa de tout l'empire en faveur d'un homme courageux, & d'une habileté consommée, qui d'une condition basse & servile, devint un des plus puissans monarques de l'univers ; on l'appella Taïco.

Il ne détruisit, en montant sur le trône, ni le nom, ni la race des pontifes, dont il envahit le pouvoir, mais depuis lors l'empereur ecclésiastique, nommé Dairi ou Dairo, ne fut plus qu'une idole révérée, avec l'apanage imposant d'une cour magnifique ; voyez DAIRO. Ce que les Turcs ont fait à Bagdad, ce que les Allemands ont voulu faire à Rome, Taïco l'a fait au Japon, & ses successeurs l'ont confirmé.

Ce fut sur la fin du xvj siecle, vers l'an 1583 de J. C. qu'arriva cette révolution. Taïco instruit de l'état de l'empire, & des vûes ambitieuses des princes & des grands, qui avoient si longtems pris les armes les uns contre les autres, trouva le secret de les abaisser & de les dompter. Ils sont aujourd'hui tellement dans la dépendance du Kubo, c'est-à-dire, de l'empereur séculier, qu'il peut les disgracier, les exiler, les dépouiller de leurs possessions, & les faire mourir quand il lui plaît, sans en rendre compte à personne. Il ne leur est pas permis de demeurer plus de six mois dans leurs biens héréditaires ; il faut qu'ils passent les autres six mois dans la capitale, où l'on garde leurs femmes & leurs enfans pour gage de leur fidélité. Les plus grandes terres de la couronne sont gouvernées par des lieutenans, & par des receveurs ; tous les revenus de ces terres doivent être portés dans les coffres de l'empire ; il semble que quelques ministres qu'on a eus en Europe ayent été instruits par le grand Taïco.

Ce prince, pour mettre ensuite son autorité à couvert de la fureur du peuple, qui sortoit des guerres civiles, fit un nouveau corps de lois, si rigoureuses, qu'elles ne semblent pas être écrites, comme celles de Dracon, avec de l'encre, mais avec du sang. Elles ne parlent que de peines corporelles, ou de mort, sans espoir de pardon, ni de surséances pour toutes les contraventions faites aux ordonnances de l'empereur. Il est vrai, dit M. de Montesquieu, que le caractere étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre, & qui brave tous les périls & tous les malheurs, semble à la premiere vûe, absoudre ce législateur de l'atrocité de ses lois ; mais des gens, qui naturellement méprisent la mort, & qui s'ouvrent le ventre par la moindre fantaisie, sont-ils corrigés ou arrêtés par la vûe des supplices, & ne peuvent-ils pas s'y familiariser ?

En même tems que l'empereur dont je parle tâchoit, par des lois atroces, de pourvoir à la tranquillité de l'état, il ne changea rien aux diverses religions établies de tems immémorial, dans le pays, & laissa à tous ses sujets la liberté de penser comme ils voudroient sur cette matiere.

Entre ces religions, celle qui est la plus étendue au Japon, admet des récompenses & des peines après la vie, & même celle de Sinto qui a tant de sectateurs, reconnoît des lieux de délices pour les gens de bien, quoiqu'elle n'admette point de lieu de tourmens pour les méchans ; mais ces deux sectes s'accordent dans la morale. Leur principaux commandemens qu'ils appellent divins, sont les nôtres ; le mensonge, l'incontinence, le larcin, le meurtre, sont défendus ; c'est la loi naturelle réduite en préceptes positifs. Ils y ajoûtent le précepte de la tempérance, qui défend jusqu'aux liqueurs fortes, de quelque nature qu'elles soient, & ils étendent la défense du meurtre jusqu'aux animaux ; Siaka qui leur donna cette loi, vivoit environ mille ans avant notre ere vulgaire. Ils ne different donc de nous en morale, que dans le précepte d'épargner les bêtes, & cette différence n'est pas à leur honte. Il est vrai qu'ils ont beaucoup de fables dans leur religion, en quoi ils ressemblent à tous les peuples, & à nous en particulier, qui n'avons connu que des fables grossieres avant le Christianisme.

La nature humaine a établi d'autres ressemblances entre ces peuples & nous. Ils ont la superstition des sortileges que nous avons eu si long-tems. On retrouve chez eux les pélerinages, les épreuves de feu, qui faisoient autrefois une partie de notre jurisprudence ; enfin ils placent leurs grands hommes dans le ciel, comme les Grecs & les Romains. Leur pontife (s'il est permis de parler ainsi) a seul, comme celui de Rome moderne, le droit de faire des apothéoses, & de consacrer des temples aux hommes qu'il en juge dignes. Ils ont aussi depuis très-long-tems des religieux, des hermites, des instituts même, qui ne sont pas fort éloignés de nos ordres guerriers ; car il y avoit une ancienne société de solitaires, qui faisoient voeu de combattre pour la religion.

Le Japon étoit également partagé entre plusieurs sectes sous un pontife roi, comme il l'est sous un empereur séculier ; mais toutes les sectes se réunissoient dans les mêmes points de morale. Ceux qui croyoient la métempsycose & ceux qui n'y croyoient pas, s'abstenoient & s'abstiennent encore aujourd'hui de manger la chair des animaux qui rendent service à l'homme ; tous s'accordent à les laisser vivre, & à regarder leur meurtre comme une action d'ingratitude & de cruauté. La loi de Moyse tue & mange, n'est pas dans leurs principes, & vraisemblablement le Christianisme adopta ceux de ce peuple, quand il s'établit au Japon.

La doctrine de Confucius a fait beaucoup de progrès dans cet empire ; comme elle se réduit toute à la simple morale, elle a charmé tous les esprits de ceux qui ne sont pas attachés aux bonzes, & c'est toujours la saine partie de la na tion. On croit que le progrès de cette philosophie, n'a pas peu contribué à ruiner la puissance du Dairi : l'empereur qui régnoit en 1700, n'avoit pas d'autre religion.

Il semble qu'on abuse plus au Japon qu'à la Chine de cette doctrine de Confucius. Les philosophes japonois regardent l'homicide de soi-même, comme une action vertueuse, quand elle ne blesse pas la société ; le naturel fier & violent de ces insulaires met souvent cette théorie en pratique, & rend l'homicide beaucoup plus commun encore au Japon, qu'il ne l'est en Angleterre.

La liberté de conscience ayant toujours été accordée dans cet empire, ainsi que dans presque tout le reste de l'Orient, plusieurs religions étrangeres s'étoient paisiblement introduites au Japon. Dieu permettoit ainsi que la voie fut ouverte à l'évangile dans ces vastes contrées ; personne n'ignore qu'il fit des progrès prodigieux sur la fin du seizieme siecle, dans la moitié de cet empire. La célebre ambassade de trois princes chrétiens Japonois au pape Grégoire XIII, est, ce me semble, l'hommage le plus flateur que le saint-siege ait jamais reçu. Tout ce grand pays, où il faut aujourd'hui abjurer l'évangile, & dont aucun sujet ne peut sortir, a été sur le point d'être un royaume chrétien, & peut-être un royaume portugais. Nos prêtres y étoient honorés plus que parmi nous ; à présent leur tête y est à prix, & ce prix même y est fort considérable : il est d'environ douze mille livres.

L'indiscrétion d'un prêtre portugais, qui refusa de céder le pas à un des officiers de l'empereur, fut la premiere cause de cette révolution. La seconde, fut l'obstination de quelques jésuites, qui soutinrent trop leurs droits, en ne voulant pas rendre une maison qu'un seigneur japonois leur avoit donnée, & que le fils de ce seigneur leur redemandoit. La troisieme, fut la crainte d'être subjugués par les chrétiens. Les bonzes appréhenderent d'être dépouillés de leurs anciennes possessions, & l'empereur enfin craignit pour l'état. Les Espagnols s'étoient rendus maîtres des Philippines voisines du Japon ; on savoit ce qu'ils avoient fait en Amérique, il n'est pas étonnant que les Japonois fussent allarmés.

L'empereur séculier du Japon proscrivit donc la religion chrétienne en 1586 ; l'exercice en fut défendu à ses sujets sous peine de mort ; mais comme on permettoit toujours le commerce aux Portugais & aux Espagnols, leurs missionnaires faisoient dans le peuple autant de prosélytes, qu'on en condamnoit au supplice. Le monarque défendit à tous les habitans d'introduire aucun prêtre chrétien dans le pays ; malgré cette défense, le gouverneur des îles Philippines fit passer des Cordeliers en ambassade à l'empereur du Japon. Ces ambassadeurs commencerent par bâtir une chapelle publique dans la ville capitale ; ils furent chassés, & la persécution redoubla. Il y eut longtems des alternatives de cruautés & d'indulgences. Enfin arriva la fameuse rébellion des chrétiens, qui se retirerent en force & en armes en 1637, dans une ville de l'empire ; alors ils furent poursuivis, attaqués, & massacrés au nombre de trente-sept mille l'année suivante 1638, sous le regne de l'impératrice Mikaddo. Ce massacre affreux étouffa la révolte, & abolit entierement au Japon la religion chrétienne, qui avoit commencé de s'y introduire dès l'an 1549.

Si les Portugais & les Espagnols s'étoient contentés de la tolérance dont ils jouissoient, ils auroient été aussi paisibles dans cet empire, que les douze sectes établies à Méaco, & qui composoient ensemble dans cette seule ville, au-delà de quatre cent mille ames.

Jamais commerce ne fut plus avantageux aux Portugais que celui du Japon. Il paroît assez, par les soins qu'ont les Hollandois de se le conserver, à l'exclusion des autres peuples, que ce commerce produisoit, sur-tout dans les commencemens, des profits immenses. Les Portugais y achetoient le meilleur thé de l'Asie, les plus belles porcelaines, ces bois peints, laqués, vernissés, comme paravents, tables, coffres, boëtes, cabarets, & autres semblables, dont notre luxe s'appauvrit tous les jours ; de l'ambre gris, du cuivre d'une espece supérieure au nôtre ; enfin l'argent & l'or, objet principal de toutes les entreprises de négoce.

Le Japon, aussi peuplé que la Chine à proportion, & non moins industrieux, tandis que la nation y est plus fiere & plus brave, possede presque tout ce que nous avons, & presque tout ce qui nous manque. Les peuples de l'Orient étoient autrefois bien supérieurs à nos peuples occidentaux, dans tous les arts de l'esprit & de la main. Mais que nous avons regagné le tems perdu, ajoûte M. de Voltaire ! les pays où le Bramante & Michel Ange ont bâti Saint Pierre de Rome, où Raphaël a peint, où Newton a calculé l'infini, où Leibnitz partagea cette gloire, où Huyghens appliqua la cycloïde aux pendules à secondes, où Jean de Bruges trouva la peinture à l'huile, où Cinna & Athalie ont été écrits ; ces pays, dis-je, sont devenus les premiers pays de la terre. Les peuples orientaux ne sont à présent dans les beaux arts, que des barbares, ou des enfans, malgré leur antiquité, & tout ce que la nature a fait pour eux. (D.J.)


JAPONNERv. act. (Poterie) c'est donner une nouvelle cuisson aux porcelaines de la Chine, pour les faire passer pour porcelaines du Japon. Par cette manoeuvre pratiquée en Angleterre & en Hollande, on colore en rouge & l'on ajoûte des fleurs & des filets d'or aux pieces de la Chine, qui sont toutes bleues & blanches ; mais ces ornemens ajoûtés, ayant trop d'éclat, on les affoiblit par le feu : avec toutes ces précautions, les connoisseurs ne sont pas trompés.


JAPONOISPHILOSOPHIE DES (Hist. de la Philosophie.) Les Japonois ont reçu des Chinois presque tout ce qu'ils ont de connoissances philosophiques, politiques & superstitieuses, s'il en faut croire les Portugais, les premiers d'entre les Européens qui aient abordé au Japon, & qui nous aient entretenus de cette contrée. François Xavier, de la Compagnie de Jésus, y fut conduit en 1549 par un ardent & beau zele d'étendre la religion chrétienne : il y prêcha ; il y fut écouté ; & le Christ seroit peut-être adoré dans toute l'étendue du Japon, si l'on n'eût point allarmé les Peuples par une conduite imprudente qui leur fit soupçonner qu'on en vouloit plus à la perte de leur liberté qu'au salut de leurs ames. Le rôle d'apôtre n'en souffre point d'autre : on ne l'eut pas plutôt deshonoré au Japon en lui associant celui d'intérêt & de politique, que les persécutions s'éleverent, que les échaffauds se dresserent, & que le sang coula de toutes parts. La haine du nom chrétien est telle au Japon, qu'on n'en approche point aujourd'hui sans fouler le Christ aux pieds ; cérémonie ignominieuse à laquelle on dit que quelques Européens plus attachés à l'argent qu'à leur Dieu, se soumettent sans répugnance.

Les fables que les Japonois & les Chinois débitent sur l'antiquité de leur origine, sont presque les mêmes ; il résulte de la comparaison qu'on en fait, que ces sociétés d'hommes se formoient & se polissoient sous une ere peu différente. Le célebre Kempfer qui a parcouru le Japon en naturaliste, géographe, politique & théologien, & dont le voyage tient un rang distingué parmi nos meilleurs livres, divise l'histoire japonoise en fabuleuse, incertaine & vraie. La période fabuleuse commence long-tems avant la création du monde, selon la chronologie sacrée. Ces peuples ont eu aussi la manie de reculer leur origine. Si on les en croit, leur premier gouvernement fut théocratique ; il faut entendre les merveilles qu'ils racontent de son bonheur & de sa durée. Le tems du mariage du dieu Isanagi Mikotto & de la déesse Isanami Mikotto, fut l'âge d'or pour eux. Allez d'un pole à l'autre ; interrogez les peuples, & vous y verrez par-tout l'idolatrie & la superstition s'établir par les mêmes moyens. Par-tout ce sont des hommes qui se rendent respectables à leurs semblables, en se donnant ou pour des dieux ou pour des descendans des dieux. Trouvez un peuple sauvage ; faites du bien ; dites que vous êtes un dieu, & l'on vous croira, & vous serez adoré pendant votre vie & après votre mort.

Le regne d'un certain nombre de rois dont on ne peut fixer l'ere, remplit la période incertaine. Ils y succedent aux premiers fondateurs, & s'occupent à dépouiller leurs sujets d'un reste de férocité naturelle, par l'institution des lois & l'invention des arts, l'invention des arts qui fait la douceur de la vie, l'institution des loix qui en fait la sécurité.

Fohi, le premier législateur des Chinois, est aussi le premier législateur des Japonois, & ce nom n'est pas moins célebre dans l'une de ces contrées que dans l'autre. On le représente tantôt sous la figure d'un serpent, tantôt sous la figure d'un homme à tête sans corps, deux symboles de la science & de la sagesse. C'est à lui que les Japonois attribuent la connoissance des mouvemens célestes, des signes du zodiaque, des révolutions de l'année, de son partage en mois, & d'une infinité de découvertes utiles. Ils disent qu'il vivoit l'an 396 de la création, ce qui est faux, puisque l'histoire du déluge universel est vraie.

Les premiers Chinois & les premiers Japonois instruits par un même homme, n'ont pas eu vraisemblablement un culte fort différent. Le Xékia des premiers est le Siaka des seconds. Il est de la même période ; mais les Siamois, les Japonois & les chinois qui le réverent également, ne s'accordent pas sur le tems précis où il a vécu.

L'histoire vraie du Japon ne commence guere que 660 avant la naissance de J. C. c'est la date du regne de Syn-mu ; Syn-mu qui fut si cher à ses peuples qu'ils le surnommerent Nin-O, le très-grand, le très-bon, optimus, maximus ; ils lui font honneur des mêmes découvertes qu'à Fohi.

Ce fut sous ce prince que vécut le philosophe Roosi, c'est-à-dire le vieillard enfant. Koosi ou Confucius naquit 50 ans après Roosi. Confucius a des temples au Japon, & le culte qu'on lui rend differe peu des honneurs divins. Entre les disciples les plus illustres de Confucius, on nomme au Japon Ganquai, autre vieillard enfant. L'ame de Ganquai qui mourut à 33 ans fut transmise à Kossobosati, disciple de Xékia ; d'où il est évident que le Japon n'avoit dans les commencemens d'autres notions de philosophie, de morale & de religion, que celles de Xékia, de Confucius & des Chinois, quelle que soit la diversité que le tems y ait introduite.

La doctrine de Siaka & de Confucius n'est pas la même. Celle de Confucius a prévalu à la Chine, & le Japon a préféré celle de Siaka ou Xékia.

Sous le regne de Synin, Kobote, philosophe de la secte de Xékia, porta au Japon le livre kio. Ce sont proprement des pandectes de la doctrine de son maître. Cette philosophie fut connue dans le même tems à la Chine. Quelle différence entre nos philosophes & ceux-ci ! Les réveries d'un Xékia se répandent dans l'Inde, la Chine & le Japon, & deviennent la loi de cent millions d'hommes. Un homme naît quelquefois parmi nous avec les talens les plus sublimes, écrit les choses les plus sages, ne change pas le moindre usage, vit obscur, & meurt ignoré.

Il paroît que les premieres étincelles de lumiere qui aient éclairé la Chine & le Japon, sont parties de l'Inde & du Brachmanisme.

Kobote établit au Japon la doctrine ésotérique & exotérique de Fohi. A peine y fut-il arrivé, qu'on lui éleva le Fakubasi, ou le temple du cheval blanc ; ce temple subsiste encore. Il fut appellé du cheval blanc, parce que Kobote parut au Japon monté sur un cheval de cette couleur.

La doctrine de Siaka ne fut pas tout-à-coup celle du peuple. Elle étoit encore particuliere & secrette lorsque Darma, le vingt-huitieme disciple de Xékia, passa de l'Inde au Japon.

Mokuris suivit les traces de Darma. Il se montra d'abord dans le Tinsiku, sur les côtes du Malabar & de Coromandel. Ce fut là qu'il annonça la doctrine d'un dieu ordonnateur du monde & protecteur des hommes, sous le nom d'Amida. Cette idée fit fortune, & se répandit dans les contrées voisines, d'où elle parvint à la Chine & au Japon. Cet évenement fait date dans la chronologie des Japonois. Le prince Tonda Josimits porta la connoissance d'Amida dans la contrée de Sinano. C'est au dieu Amida que le temple Sinquosi fut élevé, & sa statue ne tarda pas à y opérer des miracles, car il en faut aux peuples. Mêmes impostures en Egypte, dans l'Inde, à la Chine, au Japon. Dieu a permis cette ressemblance entre la vraie religion & les fausses, pour que notre foi nous fût méritoire ; car il n'y a que la vraie religion qui ait de vrais miracles. Nous avons été éclairés par les moyens qu'il fut permis au diable d'employer pour précipiter dans la perdition les nations sur lesquelles Dieu n'avoit point résolu dans ses decrets éternels d'ouvrir l'oeil de sa miséricorde.

Voilà donc la superstition & l'idolatrie s'échappant des sanctuaires égyptiens, & allant infecter au loin l'Inde, la Chine & le Japon, sous le nom de doctrine xékienne, Voyons maintenant les révolutions que cette doctrine éprouva ; car il n'est pas donné aux opinions des hommes de rester les mêmes en traversant le tems & l'espace.

Nous observons d'abord que le Japon entier ne suit pas le dogme de Xékia. Le mensonge national est tolérant chez ces peuples ; il permet à une infinité de mensonges étrangers de subsister paisiblement à ses côtés.

Après que le Christianisme eût été extirpé par un massacre de trente-sept mille hommes, exécuté presqu'en un moment, la nation se partagea en trois sectes. Les uns s'attacherent au sintos ou à la vieille religion ; d'autres embrasserent le budso ou la doctrine de Budda, ou de Siaka, ou de Xékia, & le reste s'en tint au sindo, ou au code des philosophes moraux.

Du Sintos, du Budso, & du Sindo. Le sintos qu'on appelle aussi sinsin & kammitsi, le culte le plus ancien du Japon, est celui des idoles. L'idolatrie est le premier pas de l'esprit humain dans l'histoire naturelle de la religion ; c'est de-là qu'il s'avance au manichéisme, du manichéisme à l'unité de Dieu, pour revenir à l'idolatrie, & tourner dans le même cercle. Sin & Kami sont les deux idoles du Japon. Tous les dogmes de cette théologie se rapportent au bonheur actuel. La notion que les Sintoistes paroissent avoir de l'immortalité de l'ame, est fort obscure ; ils s'inquietent peu de l'avenir : rendez-nous heureux aujourd'hui, disent-ils à leurs dieux, & nous vous tenons quittes du reste. Ils reconnoissent cependant un grand dieu qui habite au haut des cieux, des dieux subalternes qu'ils ont placés dans les étoiles ; mais ils ne les honorent ni par des sacrifices ni par des fêtes. Ils sont trop loin d'eux pour en attendre du bien ou en craindre du mal. Ils jurent par ces dieux inutiles, & ils invoquent ceux qu'ils imaginent présider aux élémens, aux plantes, aux animaux & aux évenemens importans de la vie.

Ils ont un souverain pontife qui se prétend descendu en droite ligne des dieux qui ont anciennement gouverné la nation. Ces dieux ont même encore une assemblée générale chez lui le dixieme mois de chaque année. Il a le droit d'installer parmi eux ceux qu'il en juge dignes, & l'on pense bien qu'il n'est pas assez mal-adroit pour oublier le prédécesseur du prince régnant, & que le prince régnant ne manque pas d'égard pour un homme dont il espere un jour les honneurs divins. C'est ainsi que le despotisme & la superstition se prêtent la main.

Rien de si mystérieux & de si misérable que la physcologie de cette secte. C'est la fable du chaos défigurée. A l'origine des choses le chaos étoit ; il en sortit je ne sais quoi qui ressembloit à une épine : cette épine se mut, se transforma, & le Kunitokhodatsno micotto ou l'esprit parut. Du reste, rien dans les livres sur la nature des dieux ni sur leurs attributs, qui ait l'ombre du sens commun.

Les Sentoistes qui ont senti la pauvreté de leur systême, ont emprunté des Budsoïstes quelques opinions. Quelques-uns d'entr'eux qui font secte, croyent que l'ame d'Amida a passé par métempsycose dans le Tin-sio-dai-sin, & a donné naissance au premier des dieux ; que les ames des gens de bien s'élevent dans un lieu fortuné au-dessus du trente-troisieme ciel ; que celles des méchans sont errantes jusqu'à ce qu'elles ayent expié leurs crimes, & qu'on obtient le bonheur avenir par l'abstinence de tout ce qui peut souiller l'ame, la sanctification des fêtes, les pélerinages religieux, & les macérations de la chair.

Tout chez ce peuple est rappellé à l'honnêteté civile & à la politique, & il n'en est ni moins heureux ni plus méchant.

Ses hermites, car il en a, sont des ignorans & des ambitieux ; & le peu de cérémonies religieuses auxquelles le peuple est assujetti, est conforme à son caractere mol & voluptueux.

Les Budsoïstes adorent les dieux étrangers Budso & Fotoke : leur religion est celle de Xekia. Le nom Budso est indien, & non japonois. Il vient de Budda ou Budha, qui est synonyme à Hermès.

Siaka ou Xékia s'étoit donné pour un dieu. Les Indiens le regardent encore comme une émanation divine. C'est sous la forme de cet homme que Wisthnou s'incarna pour la neuvieme fois ; & les mots Budda & Siaka désignent au Japon les dieux étrangers, quels qu'ils soient, sans excepter les saints & les philosophes qui ont prêché la doctrine xékienne.

Cette doctrine eut de la peine à prendre à la Chine & au Japon où les esprits étoient prévenus de celle de Confucius qui avoient en mépris les idoles ; mais de quoi ne viennent point à bout l'enthousiasme & l'opiniatreté aidés de l'inconstance des peuples & de leur goût pour le nouveau & le merveilleux ! Darma attaqua avec ces avantages la sagesse de Confucius. On dit qu'il se coupa les paupieres de peur que la méditation ne le conduisît au sommeil. Au reste les Japonois furent enchantés d'un dogme qui leur promettoit l'immortalité & les récompenses à venir ; & une multitude de disciples de Confucius passerent dans la secte de Xékia, prêchée par un homme qui avoit commencé de se rendre vénérable par la sainteté de ses moeurs. La premiere idole publique de Xékia fut élevée chez les Japonois l'an de J. C. 543. Bientôt on vit à ses côtés la statue d'Amida, & les miracles d'Amida entraînerent la ville & la cour.

Amida est regardé par les disciples de Xékia comme le dieu suprème des demeures heureuses que les bons vont habiter après leur mort. C'est lui qui les rejette ou les admet. Voila la base de la doctrine exotérique. Le grand principe de la doctrine exotérique, c'est que tout n'est rien, & que c'est de ce rien que tout dépend. De-là le distique qu'un enthousiaste xékien écrivit après trente ans de méditations, au pied d'un arbre sec qu'il avoit dessiné : arbre, dis-moi qui t'a planté ? Moi dont le principe n'est rien, & la fin rien ; ce qui revient à cette autre inscription d'un philosophe de la même secte : mon coeur n'a ni être ni non-être ; il ne va point, il ne revient point, il n'est retenu nulle part. Ces folies paroissent bien étranges ; cependant qu'on essaye, & l'on verra qu'en suivant la subtilité de la métaphysique aussi loin qu'elle peut aller, on aboutira à d'autres folies qui ne seront guere moins ridicules.

Au reste, les Xékiens négligent l'extérieur, s'appliquent uniquement à méditer, méprisent toute discipline qui consiste en paroles, & ne s'attachent qu'à l'exercice qu'ils appellent soquxin, soqubut, ou du coeur.

Il n'y a, selon eux, qu'un principe de toutes choses, & ce principe est par-tout.

Tous les êtres en émanent & y retournent.

Il existe de toute éternité ; il est unique, clair, lumineux, sans figure, sans raison, sans mouvement, sans action, sans accroissement ni décroissement.

Ceux qui l'ont bien connu dans ce monde acquierent la gloire parfaite de Fotoque & de ses successeurs.

Les autres errent & erreront jusqu'à la fin du monde : alors le principe commun absorbera tout.

Il n'y a ni peines ni récompenses à venir.

Nulle différence réelle entre la science & l'ignorance, entre le bien & le mal.

Le repos qu'on acquiert par la méditation est le souverain bien, & l'état le plus voisin du principe général, commun & parfait.

Quant à leur vie ils forment des communautés, se levent à minuit pour chanter des hymnes, & le soir ils se rassemblent autour d'un supérieur qui traite en leur présence quelque point de morale, & leur en propose à méditer.

Quelles que soient leurs opinions particulieres, ils s'aiment & se cultivent. Les entendemens, disent-ils, ne sont pas unis de parentés comme les corps.

Il faut convenir que si ces gens ont des choses en quoi ils valent moins que nous, ils en ont aussi en quoi nous ne les valons pas.

La troisieme secte des Japonois est celle des Sendosivistes ou de ceux qui se dirigent par le sicuto ou la voie philosophique. Ceux-ci sont proprement sans religion. Leur unique principe est qu'il faut pratiquer la vertu, parce que la vertu seule peut nous rendre aussi heureux que notre nature le comporte. Selon eux le méchant est assez à plaindre en ce monde, sans lui préparer un avenir fâcheux ; & le bon assez heureux sans qu'il lui faille encore une récompense future. Ils exigent de l'homme qu'il soit vertueux, parce qu'il est raisonnable, & qu'il soit raisonnable parce qu'il n'est ni une pierre ni une brute. Ce sont les vrais principes de la morale de Confucius & de son disciple japonois Moosi. Les ouvrages de Moosi jouissent au Japon de la plus grande autorité.

La morale des Sendosivistes ou philosophes Japonois se réduit à quatre points principaux.

Le premier ou dsin est de la maniere de conformer ses actions à la vertu.

Le second gi, de rendre la justice à tous les hommes.

Le troisieme re, de la décence & de l'honnêteté des moeurs.

Le quatrieme tsi, des regles de la prudence.

Le cinquieme sin, de la pureté de la conscience & de la rectitude de la volonté.

Selon eux, point de métempsycose ; il y a une ame universelle qui anime tout, dont tout émane, & qui absorbe tout ; ils ont quelques notions de spiritualité ; ils croient l'éternité du monde ; ils célebrent la mémoire de leurs parens par des sacrifices ; ils ne reconnoissent point de dieux nationaux ; ils n'ont ni temple ni cérémonies religieuses : s'ils se prêtent au culte public, c'est par esprit d'obéissance aux loix ; ils usent d'ablutions & s'abstiennent du commerce des femmes dans les jours qui précedent leurs fêtes commémoratives ; ils ne brûlent point les corps des morts, mais ils les enterrent comme nous ; ils ne permettent pas seulement le suicide, ils y exhortent : ce qui prouve le peu de cas qu'ils font de la vie. L'image de Confucius est dans leurs écoles. On exigea d'eux au temps de l'extirpation du Christianisme, qu'ils eussent une idole ; elle est placée dans leurs foyers, couronnée de fleurs & parfumée d'encens. Leur secte souffrit beaucoup de la persécution des chrétiens, & ils furent obligés de cacher leurs livres. Il n'y a pas long-tems qu'un prince japonois, appellé Sisen, qui avoit pris du goût pour les Sciences & pour la Philosophie, fonda une académie dans ses domaines, y appella les hommes les plus instruits, les encouragea à l'étude par des récompenses ; & la raison commençoit à faire des progrès dans un canton de l'empire, lorsque de vils petits sacrificateurs qui vivoient de la superstition & de la crédulité des peuples, fachés du discrédit de leurs rêveries, porterent des plaintes à l'empereur & au dairo, & menacerent la nation des plus grands desastres, si l'on ne se hâtoit d'étouffer cette race naissante d'impies. Sisen vit tout-à-coup la tyrannie ecclésiastique & civile conjurée contre lui, & ne trouva d'autre moyen d'échapper au péril qui l'environnoit, qu'en renonçant à ses projets, & en cédant ses livres & ses dignités à son fils. C'est Kempfer même qui nous raconte ce fait, bien propre à nous instruire sur l'espece d'obstacles que les progrès de la raison doivent rencontrer par-tout. Voyez Bayle, Brucker, Possevin, &c. Voyez aussi les articles INDIENS, CHINOIS & EGYPTIENS.


JAPPERv. n. (Gramm.) C'est le cri des petits chiens. Les gros chiens aboient, les petits chiens jappent, le renard jappe.


JAPUou JUPUJUBA, s. m. (Ornithol. exot.) oiseau du Brésil de la classe des pic-verds. Tout son corps est d'un noir luisant, avec une grande moucheture jaune sur le milieu de chaque aîle, & une rayure semblable près du croupion. On admire l'adresse & la délicatesse avec laquelle il forme son nid qui pend à l'extrémité des branches d'arbres. Ray, Ornitholog. p. 98. (D.J.)


JAPYGIES. f. Japygia, (Géog. ancienne) ancienne contrée d'Italie dans la grande Grece. Elle est nommée indifféremment par les Auteurs, Japygie, Messapie, Pincétie, Salentine, Pouille, & Calabre. Voyez Hérodote, lib. III. cap. cxxxviij. lib. IIII. cap. lxxxxjx. lib. VIII. cap. clxx. Strabon, lib. VI. & Pline, lib. V. cap. xj. La terre d'Otrante fait une partie de l'ancienne Japygie.

Japyx, fils de Dédale, donna son nom à ce canton de l'Italie méridionale qui formoit proprement l'ancienne Pouille & la Messapie. M. Delisle dans sa carte de l'ancienne Italie, compte pour la Japygie les deux parties de la Pouille, savoir la Daunienne & la Pencétienne. Antoine Galatoeus, medecin, a publié un livre exprès, fort rare & fort savant, de la situation de la Japygie, de situ Japygiae. Basileae, 1558, in-12. (D.J.)


JAPYX(Géog. anc.) c'est-là le nom de l'ouest-nord-ouest, quand il souffle de la pointe orientale de l'Italie. On l'a confondu mal-à-propos, & M. Dacier entr'autres, avec le corus des Latins & l'argestés des Grecs. Le vent régionnaire, nommé japyx, étoit favorable à ceux qui s'embarquoient à Brindes pour la Grece ou pour l'Egypte, parce qu'il souffloit toujours en poupe jusqu'au dessous du Péloponese ; voilà pourquoi Horace, liv. I. ode 3, le souhaite au vaisseau qui devoit porter Virgile sur les côtes de l'Attique :

Ventorumque regat pater

Obstrictis aliis, praeter japyga,

Navis, quae tibi creditum

Debes Virgilium ; finibus Atticis

Reddas incolumem, precor,

Et serves animae dimidium meae. (D.J.)


JAQUE LEou LA JAQUE, (Art milit.) étoit autrefois une espece de juste-au-corps qui venoit au moins jusqu'aux genoux, que Nicot définit ainsi : JAQUE, habillement de guerre renflé de coton.

Ces jacques étoient bourés entre les toiles ou l'étoffe dont ils étoient composés. Ils s'appelloient aussi gambessons ou gambeson. Voyez GAMBESON.


JAQUEMARS. m. (ancien terme de monnoyage) c'étoit un ressort placé au premier balancier ; on le croyoit capable de relever la vis du balancier. C'est ce que l'expérience a démontré faux.

On a donné le même nom à ces figures placées à certaines horloges, où elles frappent les heures avec un marteau qu'elles ont à la main.


JAQUETTES. f. (Gram. mod.) c'est le vêtement des enfans ; il consiste en un jupon attaché à un corps. On dit aussi la jaquette d'un capucin. En général on appelle jaquette tout vêtement d'enfant ou de religieux, qui descend jusqu'aux piés, sous lequel le corps est nud, & qui ne couvre pas un autre vêtement.


JAou JIAR, s. m. (Hist. anc.) mois des Hébreux qui répond à notre mois d'Avril. Il étoit le huitieme de l'année civile, & le second de l'année sainte, & n'avoit que vingt-neuf jours.

Le dixieme de ce mois les juifs font le deuil de la mort du grand-prêtre Heli & de ses deux fils Ophni & Phinées. Ceux qui n'ont pu faire la pâque dans le mois de Mian, la font dans le mois de Jar, & de plus on y jeûne trois jours pour l'expiation des péchés commis pendant la pâque.

Le dix-huitieme jour les Juifs commençoient la moisson du froment trente-trois jours après la pâque. Le vingt-troisieme ils célebrent une fête en mémoire de la purification du temple fait par Judas Macchabée, après qu'il en eut chassé les Syriens. Le vingt-neuvieme ils font mémoire de la mort du prophete Samuel. Diction. de la Bib. (G)


JARANNA(Géog.) forteresse de l'empire russien dans la province de Daurie, habitée par les Tonguses, nation tartare. C'est près de cet endroit qu'on prend les plus belles zibelines.


JARARAS. m. coaypitinga, (Ophiolog. exot.) serpent d'Amérique assez semblable à notre vipere européenne, & non moins dangereuse par son venin. (D.J.)

JARARA, EPHEBA, s. m. (Ophiol. exot.) nom d'une espece de serpent d'Amérique, de couleur brune marquetée d'une belle rayure rouge, ondée, & qui décourt en forme de chaîne sur toute l'étendue du dos. Ray, Syn. Anim. pag. 330. (D.J.)


JARARACou JARACUCU, s. m. (Hist. nat.) espece de serpent d'Amérique ; il est vivipare & produit un très-grand nombre de petits ; on en a trouvé treize dans le corps d'une femelle. Il a entre deux & trois piés de longueur ; ses dents sont très-grandes & longues comme celles des autres serpens venimeux ; elles sont cachées dans les gencives, & contiennent une liqueur jaunâtre qui ne sort que lorsqu'il mord. Sa morsure est si dangereuse, qu'on en meurt en vingt-quatre heures. Ray, Synopsis anim.


JARDINS. m. (Arts) lieu artistement planté & cultivé, soit pour nos besoins, soit pour nos plaisirs.

On a composé les jardins, suivant leur étendue, de potagers pour les légumes, de vergers pour les arbres fruitiers, de parterres pour les fleurs, de bois de haute-futaie pour le couvert. On les a embellis de terrasses, d'allées, de bosquets, de jets-d'eau, de statues, de boulingrins, pour les promenades, la fraîcheur, & les autres apanages du luxe ou du goût. Aussi le nom de jardin se prend en hébreu pour un lieu délicieux, planté d'arbres ; c'est ce que désigne le mot de jardin d'Eden. Le terme grec , paradis, signifie la même chose. Delà vient encore que le nom de jardin a été appliqué à des pays fertiles, agréables & bien cultivés ; c'est ainsi qu'Athénée donne ce nom à une contrée de la Sicile auprès de Palerme ; la Touraine est nommée le jardin de la France par la même raison.

Il est quelquefois parlé, dans l'Ecriture-sainte, des jardins du roi, situés au pié des murs de Jérusalem. Il y avoit chez les Juifs des jardins consacrés à Vénus, à Adonis. Isaïe, chap. j, vers. 29, reproche à ce peuple les scandales & les actes d'idolatrie qu'il y commettoit.

L'antiquité vante comme une des merveilles du monde, les jardins suspendus de Sémiramis ou de Babylone. Voyez JARDIN DE BABYLONE.

Les rois de Perse se plaisoient fort à briller par la dépense de leurs jardins ; & les satrapes, à l'imitation de leurs maîtres, en avoient dans les provinces de leur district, d'une étendue prodigieuse, clos de murs, en forme de parcs, dans lesquels ils enfermoient toutes sortes de bêtes pour la chasse. Xénophon nous parle de la beauté des jardins que Pharnabase fit à Dascyle.

Ammien Marcellin rapporte que ceux des Romains, dans le tems de leur opulence, étoient, pour me servir de ses expressions, instar villarum, quibus vivaria includi solebant. On y prisoit entr'autres pour leur magnificence, les jardins de Pompée, de Luculle, & de Mecene. Ils n'offroient pas seulement en spectacle au milieu de Rome des terres labourables, des viviers, des vergers, des potagers, des parterres, mais de superbes palais & de grands lieux de plaisance, ou maisons champêtres faites pour s'y reposer agréablement du tumulte des affaires. Jamquidem, dit Pline, liv. 29. ch. 4. hortorum nomine, in ipsâ urbe, delicias, agros, villasque possident. Le même goût continue de regner dans Rome moderne, appauvrie & dépeuplée.

Ce fut Cn. Marius, dont il reste quelques lettres à Ciceron, & qu'on nommoit par excellence l'ami d'Auguste, qui enseigna le premier aux Romains le raffinement du jardinage, l'art de greffer & de multiplier quelques uns des fruits étrangers des plus recherchés & des plus curieux. Il introduisit aussi la méthode de tailler les arbres & les bosquets dans des formes régulieres. Il passa la fin de ses jours dans un de ces lieux de plaisance de Rome, dont nous venons de parler, où il employoit son tems & ses études au progrès des plantations, aussi bien qu'à raffiner sur la délicatesse d'une vie splendide & luxurieuse, qui étoit le goût général de son siecle. Enfin il écrivit, sur les jardins & l'agriculture, plusieurs livres mentionnés par Columelle & autres auteurs de la vie rustique qui parurent après lui.

Les François si long-tems plongés dans la barbarie, n'ont point eu d'idées de la décoration des jardins ni du jardinage, avant le siecle de Louis XIV. C'est sous ce prince que cet art fut d'un côté créé, perfectionné par la Quintinie pour l'utile, & par le Nôtre pour l'agréable. Arrêtons-nous à faire connoître ces deux hommes rares.

Jean de la Quintinie, né près de Poitiers en 1626, vint à Paris s'attacher au barreau, & s'y distingua ; mais sa passion pour l'Agriculture l'emporta sur toute autre étude ; après avoir acquis la théorie de l'art, il fit un voyage en Italie pour s'y perfectionner, & de retour il ne songea plus qu'à joindre la pratique aux préceptes. Il trouva, par ses expériences, ce qu'on ne savoit pas encore en France, qu'un arbre transplanté ne prend de nourriture que par les racines qu'il a poussées depuis qu'il est replanté, & qui sont comme autant de bouches par lesquelles il reçoit l'humeur nourriciere de la terre. Il suit delà qu'au lieu de conserver les anciennes petites racines, quand on transplante un arbre, il faut les couper, parce qu'ordinairement elles se sechent & se moisissent.

La Quintinie découvrit encore la méthode de tailler fructueusement les arbres. Avant lui nous ne songions, en taillant un arbre, qu'à lui donner une belle forme, & le dégager des branches qui l'offusquent. Il a su, il nous a enseigné ce qu'il falloit faire pour contraindre un arbre à donner du fruit, & à en donner aux endroits où l'on veut qu'il en vienne, même à le répandre également sur toutes ses branches.

Il prétendoit, & l'expérience le confirme, qu'un arbre qui a trop de vigueur ne pousse ordinairement que des rameaux & des feuilles ; qu'il faut réprimer avec adresse la forte pente qu'il a à ne travailler que pour sa propre utilité ; qu'il faut lui couper de certaines grosses branches, où il porte presque toute sa séve, & l'obliger par ce moyen à nourrir les autres branches foibles & comme délaissées, parce que ce sont les seules qui fournissent du fruit en abondance.

Ainsi la Quintinie apprit de la nature,

Des utiles jardins l'agréable culture.

Charles II. roi d'Angleterre, lui donna beaucoup de marques de son estime dans des voyages qu'il fit à Londres. Il lui offrit une pension très-considérable pour se l'attacher ; mais l'espérance de s'avancer pour le moins autant dans son pays, l'empêcha d'accepter ces offres avantageuses. Il ne se trompa pas ; M. Colbert le nomma directeur des jardins fruitiers & potagers de toutes les maisons royales ; & cette nouvelle charge fut créée en sa faveur.

André le Nôtre, né à Paris en 1625, mort en 1700, étoit un de ces génies créateurs, doué par la nature d'un goût & d'une sagacité singuliere, pour la distribution & l'embellissement des jardins. Il n'a jamais eu d'égal en cette partie, & n'a point encore trouvé de maître. On vit sans-cesse éclorre, sous le crayon de cet homme unique en son genre, mille compositions admirables, & nous devons à lui seul toutes les merveilles qui font les délices de nos maisons royales & de plaisance.

Cependant depuis la mort de ce célebre artiste, l'art de son invention a étrangement dégénéré parmi nous, & de tous les arts de goût, c'est peut-être celui qui a le plus perdu de nos jours. Loin d'avoir enchéri sur ses grandes & belles idées, nous avons laissé tomber absolument le bon goût, dont il nous avoit donné l'exemple & les principes, nous ne savons plus faire aucune de ces choses, dans lesquelles il excelloit, des jardins tels que celui des Tuileries, des terrasses comme celle de Saint-Germain en Laye, des boulingrins comme à Trianon, des portiques naturels comme à Marly, des treillages comme à Chantilly, des promenades comme celles de Meudon, des parterres du Tibre, ni finalement des parterres d'eau comme ceux de Versailles.

Qu'on blâme, si l'on veut, la situation de ce dernier château, ce n'est point la faute de le Nôtre ; il ne s'agit ici que de ses jardins. Qu'on dise que les richesses prodiguées dans cet endroit stérile y siéent aussi mal que la frisure & les pompons à un visage laid ; il sera toujours vrai qu'il a fallu beaucoup d'art, de génie & d'intelligence, pour embellir, à un point singulier de perfection, un des plus incultes lieux du royaume.

Jettons sans partialité les yeux sur notre siecle. Comment décorons-nous aujourd'hui les plus belles situations de notre choix, & dont le Nôtre auroit su tirer des merveilles ? Nous y employons un goût ridicule & mesquin. Les grandes allées droites nous paroissent insipides ; les palissades, froides & uniformes ; nous aimons à pratiquer des allées tortueuses, des parterres chantournés, & des bosquets découpés en pompons ; les plus grands lieux sont occupés par de petites parties toujours ornées sans grace, sans noblesse & sans simplicité. Les corbeilles de fleurs, fanées au bout de quelques jours, ont pris la place des parterres durables ; l'on voit par-tout des vases de terre cuite, des magots chinois, des bambochades, & autres pareils ouvrages de sculpture d'une exécution médiocre, qui nous prouvent assez clairement que la frivolité a étendu son empire sur toutes nos productions en ce genre.

Il n'en est pas de même d'une nation voisine, chez qui les jardins de bon goût sont aussi communs, que les magnifiques palais y sont rares. En Angleterre, ces sortes de promenades, pratiquables en tout tems, semblent faites pour être l'asyle d'un plaisir doux & serein ; le corps s'y délasse, l'esprit s'y distrait, les yeux y sont enchantés par le verd du gazon & des boulingrins ; la variété des fleurs y flatte agréablement l'odorat & la vûe. On n'affecte point de prodiguer dans ces lieux-là, je ne dis pas les petits, mais même les plus beaux ouvrages de l'art. La seule nature modestement parée, & jamais fardée, y étale ses ornemens & ses bienfaits. Profitons de ses libéralités, & contentons-nous d'employer l'industrie à varier ses spectacles. Que les eaux fassent naître les bosquets & les embellissent ! Que les ombrages des bois endorment les ruisseaux dans un lit de verdure ! Appellons les oiseaux dans ces endroits de délices ; leurs concerts y attireront les hommes, & feront cent fois mieux l'éloge d'un goût de sentiment, que le marbre & le bronze, dont l'étalage ne produit qu'une admiration stupide. Voyez au mot JARDIN d'Eden, la charmante description de Milton ; elle s'accorde parfaitement à tout ce que nous venons de dire. (D.J.)

JARDIN d'Eden, (Géog. sacrée) nom du jardin que Dieu planta dès le commencement dans Eden, c'est-à-dire, dans un lieu de délices, comme porte le texte hébreu. Tandis que les savans recherchent sans succès la position de cette contrée (voyez EDEN & PARADIS TERRESTRE), amusons-nous de la description enchanteresse du jardin même, faite par Milton.

blisfull field, circled with groves of myrrh,

And flowing odours, cassia, nard, and balm,

A wilderners of sweets ! for nature here

Wantonn'd as in prime, and play'd at will

Her virgin fancies, pouring forth more sweet

Wild, above rule or art, enormous bliss !

Out of this fertile ground, God caused to grow

All trees of noblest Kind for sight, smell, taste,

And all amidst them, stood the Tree of life,

High eminent, blooming ambrosial fruit

Of vegetable gold ; and next to life,

Our death, the Tree of Knowledge, grew fast by.

happy rural seat, of various view !

Groves, whose rich trees wept odorous gums, and balm ;

Others whose fruit, burnish'd with golden rind,

Hung amiable ; Hesperian fable true,

If true, here only, and of delicious taste !

Betwixt them lawns, or level-downs, and flocks

Grazing the tender herb, were interpos'd ;

Or palmy hillock, or the flowry lap,

Of some irrignous valley, spread her flore ;

Flow'rs of all hew, and without thorn, the rose :

Another side, umbrageous grots, and caves

Of cool recess, o'er which the mantling vine

Lays forth her purple grappes, and gently creeps

Luxuriant. Mean while murm'ring water fall

Down the slope hills, dispers'd, or in a lake

That to the fringed bank, with myrtle crown'd,

Her crystal, mirrour holds, unite their streams.

The birds their choir apply : Airs, vernal airs,

Breathing the smell of field and grove, attune

The trembling leafs, while universal Pan,

Knit with the graces, and the Hours in dance,

Led on th'eternal spring....

Thus was this place. (D.J.)

JARDIN, s. m. (Marine) nom que quelques-uns donnent aux balcons d'un vaisseau, lorsqu'ils ne sont point couverts. (Q)

JARDIN, (Fauconnerie) on dit donner le jardin, & jardiner le lanier, le sacre, l'autour, &c. c'est l'exposer au soleil dans un jardin, ou sur la barre, ou sur le roc, ou sur la pierre froide.

JARDINS de Babylone, (Hist. anc.) les jardins de Babylone ou de Semiramis ont été mis par les anciens au rang des merveilles du monde, c'est-à-dire des beaux ouvrages de l'art. Ils étoient soûtenus en l'air par un nombre prodigieux de colonnes de pierre, sur lesquelles posoit un assemblage immense de poutres de bois de palmier ; le tout supportoit un grand poids d'excellente terre rapportée, dans laquelle on avoit planté plusieurs sortes d'arbres, de fruits & de légumes, qu'on y cultivoit soigneusement. Les arrosemens se faisoient par des pompes ou canaux, dont l'eau venoit d'endroits plus élevés. Avec la même dépense, on auroit fait dans un terrein choisi des jardins infiniment supérieurs en goût, en beauté & en étendue ; mais ils n'auroient pas frappé par le merveilleux, & l'on ne sauroit dire jusqu'à quel point les hommes en sont épris. (D.J.)


JARDINAGEle jardinage est l'art de planter, de décorer & de cultiver toutes sortes de jardins ; il fait partie de la Botanique.

Cet art est fort étendu, & a plusieurs branches, si l'on fait attention à toutes les différentes parties qui composent les jardins, voyez JARDIN. On ne peut douter que ce ne soit une occupation très-noble, dont les Grecs & les Romains faisoient leurs délices. Pline (Hist. nat. liv. XVIII. chap. iij.) nous le fait bien connoître par ces mots, imperatorum olim manibus colebantur agri. Les philosophes les plus distingués ont suivi leur exemple, & nous lisons dans Goetzius, de eruditis hortorum cultoribus dissertatio, Lubec 1706, qu'Epicure, Théophraste, Démocrite, Platon, Caton, Ciceron, Columelle, Palladius, Varron, & autres ont aimé le jardinage. Feu Gaston frere de Louis XIII. Louis XIII. Louis XIV. Monsieur frere unique de Louis XIV. les princes mêmes de nos jours n'ont pas dédaigné, après leurs travaux guerriers, de s'y appliquer.


JARDINEUXadj. terme de jouaillier, on appelle éméraude jardineuse celle dont le verd n'est pas d'une suite, qui a quelque ombre qui la rend mal nette, des nuées & veines à travers des poils, des brouillards, un air-brun entre-courant & entreluisant, un éclat engourdi, foible & plein de crasse. Voyez EMERAUDE.


JARDINIERS. m. (Art Méch.) est celui qui a l'art d'inventer, de dresser, tracer, planter, élever & cultiver toutes sortes de jardins, il doit outre cela connoître le caractere de toutes les plantes, pour leur donner à chacune la culture convenable.

Les différentes parties des jardins détaillées au mot JARDIN, font juger qu'un jardinier ne peut guere les posseder toutes ; l'inclination, le goût l'entraîne vers celle qui lui plaît davantage : ainsi on appelle celui qui cultive les fleurs un jardinier-fleuriste, celui qui prend soin des orangers un orangiste (Daviler), des fruits un fruitier, des légumes & marais un maréchais, des simples un simpliciste (Furetiere), des pépinieres un pépineriste (la Quintinie & Daviler.)

On ne donnera point le détail des travaux d'un jardinier dans chaque mois de l'année. Il suffit de dire qu'ils doivent être continuels, qu'ils se succedent, & sont presque toûjours les mêmes. La saison de l'hiver, qui en paroît exempte, peut être utilement employée à retourner les terres usées, à les améliorer, & à faire des treillages, des caisses & autres ouvrages.


JARDINIERES. f. (Brodeur) petite broderie étroite & légere en fil, exécutée à l'extrémité d'une manchette de chemise ou de quelqu'autre vêtement semblable.


JARDOou JARDE, s. m. (Maréchallerie) tumeur calleuse & dure qui vient aux jambes de derriere du cheval, & qui est située au dehors du jarret, au lieu que l'éparvin vient en-dedans. Voyez éPARVIN.

Les jardons estropient le cheval lorsqu'on n'y met pas le feu à-propos. Ce mot signifie aussi l'endroit du cheval où cette maladie vient. Soleisel.


JARGEAou GERGEAU, (Géog.) ancienne ville de France dans l'Orléanois sur le bord méridional de la Loire, avec un pont qui faisoit un passage important durant les guerres civiles. Le roi Charles VII. tint ses grands jours dans cette ville en 1430, & Louis XI. y maria sa fille Jeanne de France avec Pierre de Bourbon comte de Beaujeu, le 3 de Novembre 1473. Jargeau n'est pas le Gergovia de César, mais elle est connue sous le nom de Gergosilum dans le 9e siecle ; & dans le 10e, elle appartenoit à l'église d'Orléans ; aussi l'évêque d'Orléans en est encore le seigneur temporel ; elle est à 4 lieues S. E. d'Orléans, 28 S. O. de Paris. Long. 19. 45. lat. 47. 50. (D.J.)


JARGONS. m. (Gram.) ce mot a plusieurs acceptions. Il se dit 1°. d'un langage corrompu, tel qu'il se parle dans nos provinces. 2°. D'une langue factice, dont quelques personnes conviennent pour se parler en compagnie & n'être pas entendues. 3°. D'un certain ramage de société qui a quelquefois son agrément & sa finesse, & qui supplée à l'esprit véritable, au bon sens, au jugement, à la raison & aux connoissances dans les personnes qui ont un grand usage du monde ; celui-ci consiste dans des tours de phrase particuliers, dans un usage singulier des mots, dans l'art de relever de petites idées froides, puériles, communes, par une expression recherchée. On peut le pardonner aux femmes : il est indigne d'un homme. Plus un peuple est futile & corrompu, plus il a de jargon. Le précieux, ou cette affectation de langage si opposée à la naïveté, à la vérité, au bon goût & à la franchise dont la nation étoit infectée, & que Moliere décria en une soirée, fut une espece de jargon. On a beau corriger ce mot jargon par les épithetes de joli, d'obligeant, de délicat, d'ingénieux, il emporte toûjours avec lui une idée de frivolité. On distingue quelquefois certaines langues anciennes qu'on regarde comme simples, unies & primitives, d'autres langues modernes qu'on regarde comme composées des premieres, par le mot de jargon. Ainsi l'on dit que l'italien, l'espagnol & le françois ne sont que des jargons latins. En ce sens, le latin ne sera qu'un jargon du grec & d'une autre langue ; & il n'y en a pas une dont on n'en pût dire autant. Ainsi cette distinction des langues primitives & en jargons, est sans fondement. Voyez l'article LANGUE.

JARGONS, s. m. (Hist. nat. Litholog.) nom que donnent quelques auteurs à un diamant jaune, moins dur que le diamant véritable. On appelle aussi jargons des crystallisations d'un rouge-jaunâtre, & qui imitent un peu les hyacinthes ; elles viennent d'Espagne & d'Auvergne.


JARIBOLOSS. m. (Antiq.) divinité palmyrénienne, dont le nom se lit dans les inscriptions des ruines de Palmyre. Elle avoit, selon les apparences, les mêmes attributs que le dieu Lunus des Phéniciens, je veux dire une couronne sur la tête, & un croissant derriere les épaules ; car jari signifie le mois auquel la lune préside. Jaribolus n'est peut-être que Baal ou Belus. Le soleil qui tourne en différentes manieres, à cause de la difficulté d'exprimer les mots orientaux en caractères grecs, a été la principale divinité des Phéniciens & Palmyréniens ; de ce mot de baal ou belus ont été formés malakbelus, aglibolus, jaribolus, & autres semblables qu'on trouve dans les inscriptions. (D.J.)


JARJUNAS. m. (Bot. exotiq.) arbre qui croît dans l'île de Huaga & qui ressemble au figuier. Il porte un fruit oblong d'une palme, mou comme la figue, savonneux & vulnéraire ; on emploie sa feuille dans les luxations. Ray.


JARLOou RABLURE, (Marine) c'est une entaille faite dans la quille, dans l'étrave & dans l'étambord d'un bâtiment, pour y faire entrer une partie du bordage qui couvre les membres du vaisseau. Voyez RABLURE. (Q)


JARNAC(Géog.) bourg de France dans l'Angoumois sur la Charente, à 2 lieues de Cognac, 6 N. O. d'Angoulême, 100 S. O. de Paris. Long. 17 d. 22' lat. 45. 40.

C'est à la bataille donnée sous les murs de ce lieu en 1569, que Louis de Bourbon fut tué à la fleur de son âge, & traitreusement, par Montesquiou capitaine des gardes du duc d'Anjou, qui sous le nom d'Henri III. monta depuis sur le trône ; ainsi périt (non sans soupçon des ordres secrets de ce prince) le frere du roi de Navarre pere d'Henri IV. Il réunissoit à sa grande naissance toutes les qualités du héros & les vertus du sage, sa vie n'offre qu'un mêlange d'événemens singuliers ; la faction des Lorrains l'ayant fait condamner injustement à perdre la tête, il ne dut son salut qu'au décès de François II. qui arriva dans cette conjoncture : il fut ensuite fait prisonnier à la bataille de Dreux en changeant de cheval, & conduit au duc de Guise son ennemi mortel, mais qui le reçut avec les manieres & les procédés les plus propres à adoucir son infortune ; ils mangerent le soir à la même table, & comme il ne se trouva qu'un lit, les bagages ayant été perdus ou dispersés, ils coucherent ensemble, ce qui est, je pense, un fait unique dans l'histoire. Henri de Bourbon mort empoisonné à S. Jean d'Angely, ne dégénéra point du mérite de son illustre pere ; les malheurs qu'ils éprouverent l'un & l'autre dans l'espace d'une courte vie, & qui finirent par une mort prématurée, arrachent les larmes de ceux qui en lisent le récit dans M. de Thou, parce qu'on s'intéresse aux gens vertueux, & qu'on voudroit les voir triompher de l'injustice du sort, & des entreprises odieuses de leurs ennemis. (D.J.)


JAROMITZ(Géog.) petite ville de Bohème sur l'Elbe, à 11 lieues S. O. de Glatz, 25 N. E. de Prague. Long. 33. 55. lat. 50. 18. (D.J.)


JAROSLAW(Géog.) ville de Pologne au Palatinat de Russie, avec une bonne citadelle ; elle est remarquable par sa foire & par la bataille que les Suédois gagnerent sous ses murs en 1656 ; elle est sur la Sane, à 28 lieues N. O. de Lemberg, 50 S. E. de Cracovie. Long. 40. 58'. lat. 49. 58'. (D.J.)


JARRES. f. (Commerce) cruche de terre à deux anses, dont le ventre est fort gros. Ce mot vient de l'espagnol jarre ou jarro, qui signifie la même chose.

C'est aussi une espece de mesure : la jarre d'huile contient depuis 18 jusqu'à 26 jalons ; la jarre de gingembre pese environ cent livres.

M. Savari dit que la jarre est une mesure de continence pour les vins & les huiles dans quelques échelles du levant, particulierement à Mételin où elle est de six orques, qui font environ quarante pintes de Paris. Voyez ORQUE & PINTE. Diction. de Commerce. (G)

JARRE, terme dont les Chapeliers se servent pour désigner le poil long, dur & luisant, qui se trouve sur la superficie des peaux de castor, & qui n'étant pas propre à se feutrer, est tout-à-fait inutile, & ne peut pas entrer dans la manufacture des chapeaux.

Arracher le jarre, c'est l'ôter de dessus les peaux avec des especes de pinces. On emploie ordinairement à cet ouvrage des ouvrieres qu'on appelle arracheuses ou éplucheuses.

Les chapeliers se servent du jarre pour remplir des especes de pelotes couvertes de chifons de laine, avec lesquelles ils frottent les chapeaux, & leur donnent le lustre. Voyez CHAPEAU, voyez aussi CASTOR.

Jarre se dit aussi du poil de vigogne.

JARRES ou GIARES, plur. (Marine) ce sont de grandes cruches ou vaisseaux de terre, dans lesquels on met de l'eau douce pour la conserver meilleure que dans les futailles ; on les place ordinairement dans les galeries du vaisseau (Q)


JARREBOSSE(Marine) voyez CANDELLETTE qui est la même chose.


JARRET LES. m. (Anat.) c'est la jointure de l'os de la cuisse avec ceux de la jambe dans la partie postérieure. La jointure de l'os de la cuisse avec ceux de la jambe dans la partie antérieure se nomme le genou, au sujet duquel M. Mery rapporte un fait bien singulier dans le recueil de l'académie des Sciences, c'est l'histoire d'une exostose au genou qui pesoit vingt livres. (D.J.)

JARRET, (Maréchallerie) dans le cheval, c'est la jointure du train de derriere, qui assemble la cuisse avec la jambe. Il faut qu'un cheval ait les jarrets grands, amples, bien vuidés & sans enflure, qu'il sache bien plier les jarrets. Des jarrets gras, charnus & petits sont défectueux. Plier les jarrets, voyez PLIER ; on dit d'un cavalier qui serre les jarrets avec trop de force & sans y avoir de liant, qu'il a des jarrets de fer.

JARRET, (Hydr.) en fait de fontaines, s'entend d'une conduite d'eau qui fait un coude, & qu'on n'a pû faire aller en droite ligne à cause de la situation du terrein, ou de la disposition du jardin qui fait un angle. Cette conduite s'appelle jarrette : il faut prendre ces jarrets de loin pour éviter les frottemens. Voyez CONDUITE. (K)

JARRET, (Coupe des pierres) imperfection d'une direction de ligne ou de surface, qui fait une sinuosité ou un angle. Le jarret saillant s'appelle coude, & le rentrant s'appelle pli. Une ligne droite fait un jarret avec une ligne courbe, lorsque leur jonction ne se fait pas au point d'attouchement, ou que la ligne droite n'est pas tangente à la courbe.

JARRET, en terme d'Eperonnier, est cette partie d'un mors qui descend depuis le rouleau jusqu'aux petits tourets de la premiere chaînette. Voyez CHAINETTE & TOURETS, & nos Planches de l'Eperonnier.

JARRET, (Jardinage) se dit d'un coude ou d'une branche d'arbre très-longue, dénuée de toutes ses ramilles, & dont on ne laisse pousser que celles qui viennent à son extrémité, ce qui forme une espece de jarret.


JARRETEadj. (Maréchallerie) c'est la même chose que crochu. Voyez CROCHU.


JARRETIER(Anat.) voyez POPLITE.


JARRETIERES. f. lien avec lequel on attache ses bas.

L'ordre de la jarretiere, c'est un ordre militaire institué par Edouard III. en 1350, sous le titre des suprèmes chevaliers de l'ordre le plus noble de la jarretiere. Voyez ORDRE.

Cet ordre est composé de vingt six chevaliers ou compagnons, tous pairs, ou princes, dont le roi d'Angleterre est ou le chef, ou le grand-maître.

Ils portent à la jambe gauche une jarretiere garnie de perles & de pierres précieuses, avec cette devise, honni soit qui mal y pense. Voyez DEVISE.

Cet ordre de chevalerie forme un corps ou une société qui a son grand & son petit sceau, & pour officiers un prélat, un chancelier, un greffier, un roi d'armes & un huissier. Voyez PRELAT, CHANCELIER, &c.

Il entretient de plus un doyen & douze chanoines, des soûchanoines, des porte-verges, & vingt-six pensionnaires ou pauvres chevaliers. Voyez CHANOINES, &c.

L'ordre de la jarretiere est sous la protection de saint Georges de Cappadoce, qui est le patron tutélaire d'Angleterre. Voyez GEORGES.

L'assemblée ou chapitre des chevaliers se tient au château de Windsor dans la chapelle de saint Georges, dont on y voit le tableau peint par Rubens, sous le regne de Charles I. & dans la chambre du chapitre que le fondateur a fait construire pour cet effet.

Leurs habits de cérémonie sont la jarretiere enrichie d'or & de pierres précieuses, avec une boucle d'or qu'ils doivent porter tous les jours ; aux fêtes & aux solennités, ils ont un surtout, un manteau, un grand bonnet de velours, un collier de G G G, composé de roses émaillées, &c. Voyez MANTEAU, COLLIER, &c.

Quand ils ne portent pas leurs robes, ils doivent avoir une étoile d'argent au côté gauche, & communément ils portent le portrait de saint Georges émaillé d'or & entouré de diamans au bout d'un cordon bleu placé en baudrier qui part de l'épaule gauche. Ces chevaliers ne doivent point paroître en public sans la jarretiere, sous peine de dix sols huit deniers qu'ils sont obligés de payer au greffier de l'ordre.

Il paroît que l'ordre de la jarretiere est de tous les ordres séculiers le plus ancien & le plus illustre qu'il y ait au monde. Il a été institué 50 ans avant l'ordre de saint Michel de France, 83 ans avant celui de la toison d'or, 190 ans avant celui de saint André, & 209 ans avant celui de l'éléphant. Voyez TOISON D'OR, CHARDON, ou L'ORDRE DU CHARDON, ou de SAINT ANDRE, en Ecosse, ELEPHANT, &c.

Depuis son institution, il y a eu huit empereurs & vingt-sept ou vingt-huit rois étrangers, outre un très-grand nombre de princes souverains étrangers qui ont été de cet ordre en qualité de chevaliers compagnons.

Les auteurs varient sur son origine : on raconte communément qu'il fut institué en l'honneur d'une jarretiere de la comtesse de Salisbury, qu'elle avoit laissé tomber en dansant, & que le roi Edouard ramassa : mais les antiquaires d'Angleterre les plus estimés traitent ce récit d'historiette & de fable.

Cambden, Fern, &c. disent qu'il fut institué à l'occasion de la victoire que les Anglois remporterent sur les François à la bataille de Crécy : selon quelques historiens, Edouard fit déployer sa jarretiere comme le signal du combat, & pour conserver la mémoire d'une journée si heureuse, il institua un ordre dont il voulut qu'une jarretiere fût le principal ornement, & le symbole de l'union indissoluble des chevaliers. Mais cette origine s'accorde mal avec ce qu'on va lire ci-dessous.

Le pere Papebroke, dans ses analectes sur saint Georges, au troisieme tome des actes des Saints publiés par les Bollandistes, nous a donné une dissertation sur l'ordre de la jarretiere. Il observe que cet ordre n'est pas moins connu sous le nom de saint Georges que sous celui de la jarretiere ; & quoiqu'il n'ait été institué que par le roi Edouard III. néanmoins avant lui, Richard I. s'en étoit proposé l'institution du tems de son expédition à la terre-sainte (si l'on en croit un auteur qui a écrit sous le regne d'Henri VIII.) ; cependant Papebroke ajoute qu'il ne voit pas sur quoi cet auteur fonde son opinion, & que malgré presque tous les écrivains qui fixent l'époque de cette institution en 1350, il aime mieux la rapporter avec Froissard, à l'an 1344 ; ce qui s'accorde beaucoup mieux avec l'histoire de ce prince, dans laquelle on voit qu'il convoqua une assemblée extraordinaire de chevaliers cette même année 1344.

Si par cette assemblée extraordinaire de chevaliers, il faut entendre les chevaliers de la jarretiere, il s'ensuivra que cet ordre subsistoit dès l'an 1344 ; par conséquent l'origine que lui ont donné Cambden, Fern & d'autres, est une pure supposition, car il est constant que la bataille de Créci ne fut donnée qu'en 1346 le 26 d'Août. Comment donc Edouard auroit-il pû instituer un ordre de chevalerie en mémoire d'un événement qui n'étoit encore que dans la classe des choses possibles ? ou s'il a retardé jusqu'en 1350 à l'instituer en mémoire de la victoire de Créci, il faut avouer qu'il s'écartoit fort de l'usage commun de ces sortes d'établissemens, qui suivent toujours immédiatement les grands évenemens qui y donnent lieu. Ne seroit-il pas permis de conjecturer que les écrivains anglois ont voulu par-là sauver la gloire d'Edouard, & tourner du côté de l'honneur une action qui n'eut pour principe que la galanterie. Ce prince fut un héros, & nous le fit bien sentir ; mais comme beaucoup d'autres héros, il eut ses foiblesses. En tout cas, si la jarretiere de la comtesse de Salisbury est une fable, la jarretiere déployée à la bataille de Créci pour signal du combat, est une nouvelle historique.

En 1551 Edouard VI. fit quelques changemens au cérémonial de cet ordre. Ce prince le composa en latin, & l'on en conserve encore aujourd'hui l'original écrit de sa main ; il y ordonna que l'ordre ne seroit plus appellé l'ordre de saint Georges, mais celui de la jarretiere ; & au lieu du portrait de saint Georges suspendu ou attaché au collier, il substitua l'image d'un cavalier portant un livre sur la pointe de son épée, le mot protectio gravé sur l'épée, verbum Dei gravé sur le livre, & dans la main gauche une boucle sur laquelle est gravé le mot fides. Larrey.

On trouvera une histoire plus détaillée de l'ordre de la jarretiere dans Cambden, Dawson, Heland, Polydore Virgil, Heylin, Legar, Glover & Favyn.

Erhard, Cellius & le prince d'Orange, ajoute Papebroke, ont donné des descriptions des cérémonies usitées à l'installation ou à la réception des chevaliers. Un moine de Citeaux, nommé Mendocius Valetus, a composé un traité intitulé la jarretiere, ou speculum anglicanum, qui a été imprimé depuis sous le titre de cathéchisme de l'ordre de la jarretiere, où il explique toutes les allégories réelles ou prétendues de ces cérémonies avec leur sens moral.

JARRETIERES, (Littérature) en Italie comme en Grece les femmes galantes se piquoient d'avoir des jarretieres fort riches ; c'étoit même un ornement des filles les plus sages, parce que comme leurs jambes étoient découvertes dans les danses publiques, les jarretieres servoient à les faire paroître, & à en relever la beauté. Nos usages n'exigent pas ce genre de luxe ; c'est pourquoi les jarretieres de nos dames ne sont pas si magnifiques que celles des dames greques & romaines. (D.J.)


JARRETTA LA(Géog.) riviere de Sicile dans la vallée de Noto, ou pour mieux dire, ce sont diverses petites rivieres réunies dans un même lit, qui prennent le nom de Jaretta, laquelle va se perdre dans le golfe de Catane. (D.J.)


JARSvoyez OYE.


JAS D'ANCRES. m. (Marine) assemblage de deux pieces de bois de même forme & de même grosseur, jointes ensemble vers l'arganeau de l'ancre, & qui empêchent qu'elle ne se couche sur le fond lorsqu'on la jette en mer ; ce qui est nécessaire pour que les pattes de l'ancre puissent s'enfoncer & mordre dans le fond, soit sable ou vase. Voyez ANCRE. (Z)

JAS, s. m. (Salines) c'est, dit le dictionnaire de Trévoux, le nom qu'on donne dans le marais salans au premier réservoir de ces marais. Le jas n'est séparé de la mer que par une digue de terre revêtue de pierre seche, & on y laisse entrer l'eau salée par la varaigne, qui est une ouverture assez semblable à la bonde d'un étang, que l'on ouvre dans les grandes marées, & que l'on ferme quand on veut. Voyez MARAIS SALANS, SALINES, &c. (D.J.)


JASIDES. m. (Histoire mod.) les jasides sont des voleurs de nuit du Curdistan, bien montés, qui tiennent la campagne autour d'Erzeron, jusqu'à ce que les grandes neiges les obligent de se retirer ; & en attendant ils sont à l'affut, pour piller les foibles caravanes qui se rendent à Téflis, Tauris, Trébizonde, Alep & Tocat. On les nomme jasides parce que par tradition, ils disent qu'ils croyent en Jaside, ou Jesus ; mais ils craignent & respectent encore plus le diable.

Ces sortes de voleurs errans s'étendent depuis Monsul ou la nouvelle Ninive, jusqu'aux sources de l'Euphrate. Ils ne reconnoissent aucun maître, & les Turcs ne les punissent que de la bourse lorsqu'ils les arrêtent ; ils se contentent de leur faire racheter la vie pour de l'argent, & tout s'accommode au dépens de ceux qui ont été volés.

Il arrive d'ordinaire que les caravanes traitent de même avec eux, lorsqu'ils sont les plus forts ; on en est quitte alors pour une somme d'argent, & c'est le meilleur parti qu'on puisse prendre ; il n'en coute quelquefois que deux ou trois écus par tête.

Quand ils ont consumé les pâturages d'un quartier, ils vont camper dans un autre, suivant toujours les caravanes à la piste : pendant que leurs femmes s'occupent à faire du beurre, du fromage, à élever leurs enfans, & à avoir soin de leurs troupeaux.

On dit qu'ils descendent des anciens Chaldéens ; mais en tout cas, ils ne cultivent pas la science des astres ; ils s'attachent à celle des contributions des voyageurs, & à l'art de détourner les mulets chargés de marchandises, qu'ils dépaysent adroitement à la faveur des ténebres. (D.J.)


JASMELÉES. f. (Pharm. anc.) espece d'huile que les Perses nommoient aussi jasme ; on la préparoit par l'infusion de deux onces de fleurs blanches de violettes dans une livre d'huile de sésame ; on s'en servoit pour oindre le corps au sortir du bain, quand il s'agissoit d'échauffer ou de relâcher ; les uns en trouvoient l'odeur agréable, & d'autres difficile à supporter ; c'est tout ce qu'en dit Aëtius dans son Tétrab. I. serm. 1. (D.J.)


JASMINS. m. jasminum, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale faite en forme d'entonnoir & découpée ; il sort du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur ; il devient dans la suite un fruit mou, ou une baie qui renferme une ou deux semences. Tournefort, inst. rei. herb. Voyez PLANTE.

JASMIN, jasminum, arbrisseau dont il y a plusieurs especes qui ont entr'elles tant de différences, qu'il n'est guere possible de faire en général une description satisfaisante sur leurs qualités, leur culture, leur agrément : quelques-uns de ces arbrisseaux sont des plantes sarmenteuses & grimpantes, qui veulent un appui, tandis que les autres se soutiennent sur leurs tiges. Il y a des jasmins à fleurs blanches, à fleurs jaunes & à fleurs rouges : les uns sont toujours verds, d'autres quittent leurs feuilles : dans plusieurs especes les fleurs ont une excellente odeur, & dans d'autres elles n'en ont que peu, ou point du tout : ceux qui peuvent passer l'hiver en pleine terre, sont en petit nombre ; la plûpart exigent l'orangerie, & il faut même la serre chaude à quelques-uns. Toutes ces dissemblances exigent un détail particulier pour chaque espece.

Le jasmin blanc commun pousse de longues tiges, sarmenteuses, auxquelles il faut un soutien ; sa feuille d'un verd foncé est composée de plusieurs folioles attachées à un filet commun. Ses fleurs paroissent à la fin de Juin, & se renouvellent jusqu'aux gelées ; elles sont blanches, viennent en bouquet, & rendent une odeur agréable qui se repand au loin. Cet arbrisseau ne porte point de graines dans ce climat, mais il se multiplie aisément de boutures ou de branches couchées, qu'il faut faire au printems. De l'une ou de l'autre façon, les plants feront des racines suffisantes pour être transplantés au bout d'un an ; mais les branches couchées font toujours des plants plus forts & mieux conditionnés ; c'est la méthode la plus simple & la plus suivie. Ce jasmin réussit dans tous les terreins ; mais il lui faut l'exposition la plus chaude afin qu'il soit moins endommagé par le givre & les gelées, qui quelquefois le font périr jusque contre terre, dans les hivers trop rigoureux : cet arbrisseau pousse si vigoureusement pendant tout l'été, qu'il faut le tailler souvent pour le retenir dans la forme qu'on lui veut faire garder ; avec l'attention néanmoins de conserver & palisser les petites branches ; ce sont celles qui produisent le plus de fleurs. Si la taille d'été n'a pas été suivie, il faudra y suppléer en hiver, & ne la faire qu'après les gelées au mois de Mars ou d'Avril : si on la faisoit plus tôt les frimats venant à dessécher le bout des branches, en ôteroient l'agrément & la production. Ce jasmin sert à garnir les murailles, à couvrir des berceaux, à former des haies : c'est sur-tout à ce dernier usage qu'on peut l'employer le plus avantageusement, lorsqu'il est entremêlé de rosiers & de chevrefeuilles. La verdure égale & constante de ses feuilles, la beauté, la durée & l'excellente odeur de ses fleurs, & la qualité assez rare de n'être sujet aux attaques ni à la fréquentation d'aucun insecte, doivent engager à placer ce jasmin dans les jardins d'ornement. Cette espece de jasmin a deux variétés ; l'une a les feuilles tachées de jaune, & l'autre de blanc : elles sont plus délicates que l'espece commune, la blanche sur-tout ; il faut les tenir en pot, & les serrer pendant l'hiver. On les multiplie par la greffe en écusson, & cette greffe réussit rarement, néanmoins ce qu'il y a de singulier, c'est que le sujet greffé contracte les mêmes bigarures que celles de l'arbrisseau dont l'oeil écussonné a eté tiré, malgré qu'il n'ait pas poussé, & qu'il se soit desséché. Ce qui désigne dans le jasmin une finesse de seve très-active & très communicative.

Le jasmin jaune d'Italie, c'est un petit arbrisseau qui ne s'éleve qu'à quatre ou cinq piés. Sa tige se soutient, sa feuille est large, brillante & d'un beau verd ; sa fleur est jaune, petite & sans odeur. Il est encore plus délicat que l'espece précédente. Il faut le mettre dans un terrein léger, contre un mur de bonne exposition, & le couvrir de paillassons dans les grandes gelées. On le multiplie de boutures & de branches couchées : on peut aussi le greffer en écusson ou en approche sur le jasmin jaune commun, qui est le suivant : ce sera même un moyen de le rendre plus robuste.

Le jasmin jaune commun s'éleve à cinq ou six piés : il pousse du pié quantité de tiges minces qui se soutiennent fort droites, & dont l'écorce est verte & cannelée ; sa feuille est petite, faite en treffle, & d'un verd brun ; ses fleurs d'un jaune assez vif, viennent en petite quantité le long des nouvelles branches ; elles paroissent au mois de Mai, & elles sont sans odeur. Les baies noires qui leur succedent, peuvent servir à le multiplier ; mais il est plus court & plus aisé de le faire par les rejettons que cet arbrisseau produit dans la plus grande quantité. Il réussit dans tous les terreins ; il est très-robuste ; il fait naturellement un très-joli buisson : & comme il garde ses feuilles pendant tout l'hiver, il doit trouver place dans un bosquet d'arbres toujours verds.

Le jasmin d'Espagne est un bel arbrisseau, qui de la façon dont on le cultive, ne s'éleve dans ce climat qu'à deux ou trois piés. Il pousse des tiges minces & foibles, dont l'écorce est verte ; ses feuilles ressemblent assez à celles du jasmin commun ; mais elles les surpassent par le brillant & l'agrément de la verdure. Ses fleurs blanches en-dessus & veinées de rouge en-dessous, sont plus grandes & d'une odeur plus délicieuse ; ce jasmin est délicat, il faut le tenir en pot & lui faire passer l'hiver dans l'orangerie, où il fleurira pendant toute cette saison. Mais pour l'avoir dans toute sa beauté, il faut le mettre en pleine terre, où avec quelques précautions, il résistera aux hivers ordinaires : on pourra le planter en tournant le pot dans une terre limoneuse & fraiche contre un mur, à l'exposition la plus favorable & la plus chaude ; ce qui se doit faire au mois de Mai, afin que l'arbrisseau puisse faire de bonnes racines avant l'hiver. Il faudra palisser les rejettons à la muraille, & retrancher à deux piés ceux qui seront trop vigoureux, afin de faire de la garniture. Les fleurs commenceront à paroître au mois de Juillet, & dureront jusqu'aux gelées ; alors il faudra supprimer toutes les fleurs & couper les bouts des branches, qui étant trop tendres, occasionneroient de la moisissure en se flétrissant, & infecteroient l'arbre ; ensuite couvrir l'arbrisseau par un tems sec avec des paillassons qu'on levera dans les tems doux, & qu'on n'ôtera entierement que vers le milieu d'Avril ; alors il faudra le tailler, & réduire à deux piés les rejettons les plus vigoureux ; ce qui fera produire quantité de fleurs qui seront plus grandes & beaucoup plus belles que celles des plants que l'on tient en pot. La culture de ceux-ci consiste à couper tous les ans au mois de Mars, toutes les branches à un oeil au-dessus de la greffe. Il leur faut cette opération pour les soutenir en vigueur ; car si on les laissoit monter à leur gré, ils s'épuiseroient & dépériroient bientôt. On multiplie cet arbre par la greffe sur le jasmin blanc ordinaire. Il y a une variété de cet arbrisseau qui est à fleur double ; cette fleur est composée d'un premier rang de cinq ou six feuilles, du milieu desquelles il s'en éleve trois ou quatre, qui quand elles ne s'épanouissent pas, restent serrées dans le milieu de la fleur, où elles forment un globule : cette fleur a l'odeur plus forte que celle du jasmin d'Espagne simple, & elle se soutient plus longtems sur l'arbrisseau, où elle se desseche sans tomber ; & il arrive quelquefois que le même bouton qui a fleuri se r'ouvre, & donne une seconde fleur. On multiplie & on cultive ce jasmin comme celui à fleur simple ; l'un & l'autre sont toujours verds.

Le jasmin jaune des Indes ou le jasmin jonquille : c'est un bel arbrisseau, qui par l'éducation qu'on est forcé de lui donner, faute d'une température suffisante de ce climat, ne s'éleve qu'à quatre ou cinq piés. Il prend une tige forte & ligneuse, qui a du soutien : ses feuilles en forme de treffle, sont grandes & de la plus brillante verdure ; ses fleurs qui viennent aux extrémités des branches, sont jaunes, petites, rassemblées en bouquets d'une excellente odeur de jonquille, & de longue durée ; l'arbrisseau en fournit pendant tout l'été & une partie de l'automne. On le tient en pot, & on le met pendant l'hiver dans l'orangerie comme le jasmin d'Espagne, quoiqu'il soit moins délicat. On peut le multiplier de graines ou de branches couchées ; mais cette derniere méthode a prévalu par la longueur & la difficulté de l'autre : si on marcotte ses branches au mois de Mars, elles auront au printems suivant de bonnes racines pour la transplantation. Il faut tailler ce jasmin au printems, supprimer les branches languissantes, & n'accourcir que celles qui s'élancent trop, attendu que les fleurs ne viennent qu'à leur extrémité, & que cet arbrisseau étant plus ligneux que les autres jasmins, les nouveaux rejettons qu'il pousseroit ne seroient pas assez forts pour fleurir la même année. Il est toujours verd.

Le jasmin de Açores est un très bel arbrisseau, dont la délicatesse exige dans ce climat l'abri de l'orangerie pendant l'hiver ; aussi ne s'éleve-t-il qu'à trois ou quatre piés, parce qu'on est obligé de le tenir en pot. Ce jasmin se garnit de beaucoup de branches, ce qui permet de lui donner une forme réguliere. Sa feuille est grande, d'un verd foncé, très-brillant. Ses fleurs sont petites, blanches, d'une odeur douce, très-agréable : elles viennent en grappes & en si grande quantité que l'arbrisseau en est couvert : elles durent pendant toute l'automne. Les graines qu'elles produisent dans ce climat ne levent point. On peut le multiplier de marcotte ; mais l'usage est de le greffer comme le jasmin d'Espagne sur le jasmin blanc commun. Il lui faut la même culture qu'au jasmin jonquille, si ce n'est pour la taille, qu'il faut faire au printems, & qui doit être relative à la forme que l'on veut faire prendre à l'arbrisseau. Nul ménagement à garder pour conserver les branches à fleurs, attendu qu'elles ne viennent que sur les nouveaux rejettons. Il est toujours verd.

Le jasmin d'Arabie, c'est le plus petit & le plus délicat de tous les jasmins ; on ne peut guere le laisser en plein air que pendant trois ou quatre mois d'été ; il lui faut une serre chaude pour lui faire passer l'hiver. Ses feuilles sont entieres, arrondies, de médiocre grandeur, & placées par paires sur les branches ; ses fleurs sont purpurines en-dessous, & d'un blanc terne en-dessus, qui devient jaunâtre dans le milieu ; elles exhalent une odeur délicieuse, qui approche beaucoup de celle de la fleur d'orange. Ce jasmin fleurit au printems & pendant toute l'automne. Dans sa jeunesse la taille lui est nécessaire pour lui faire prendre de la consistance ; on doit au printems couper à moitié les jeunes rejettons jusqu'à ce que la tête de l'arbrisseau en soit suffisamment garnie, après quoi on se contente de retrancher les branches foibles, seches ou superflues. On le multiplie par la greffe sur le jasmin blanc ordinaire. Il y a une variété de ce jasmin qui est à fleur double, & c'est ce qui en fait toute la différence. L'un & l'autre sont toujours verds.

Le jasmin de Virginie, cet arbrisseau selon les méthodes de Botanique, ne devroit pas avoir place parmi les jasmins, attendu qu'il est d'un genre tout différent que l'on nomme bignone. Mais comme il est plus généralement connu sous le nom de jasmin, il est plus convenable d'en traiter à cet article. Ce jasmin pousse des tiges longues & sarmenteuses qui s'attachent d'elles-mêmes aux murailles ; à la faveur des griffes dont les rejettons sont garnis à chaque noeud. Ces griffes ressemblent à celle du lierre, & sont aussi tenaces ; l'écorce des jeunes branches est jaunâtre ; sa feuille est aussi d'un verd jaunâtre ; elle est grande, composée de plusieurs folioles qui sont profondément dentelées & attachées à un filet commun ; elle a quelque ressemblance avec celle du frêne. Ses fleurs paroissent au mois de Juillet, & elles durent jusqu'en Septembre ; elles sont rassemblées en grouppes assez gros au bout des jeunes rejettons : un grouppe contient quelquefois jusqu'à vingt-cinq fleurs, qui sont chacune de la grosseur & de la longueur du petit doigt, & d'un rouge couleur de tuile : elles fleurissent par partie ; les unes se détachent & tombent, tandis que les autres s'épanouissent ; elles n'ont point d'odeur. Ce jasmin ne donne point de graines dans ce climat. On le multiplie de branches couchées que l'on fait au printems, & qui font assez de racines pour être transplantées au bout d'un an. On peut aussi le faire venir de boutures, qui à voir les griffes qui sont attachées à chaque noeud, font présumer une grande disposition à faire des racines ; cependant ces griffes n'y contribuent en rien, & les boutures ne réussissent qu'en petit nombre : on les fait au mois de Mars ; celles qui prosperent ne sont en état d'être transplantées qu'après deux ans. La taille de cet arbrisseau demande des attentions pour lui faire produire des fleurs : il faut retrancher au printems toutes les branches foibles ou seches ; tailler celles qu'on veut conserver à trois ou quatre yeux, à peu près comme la vigne, & les palisser fort loin les unes des autres. Cet arbrisseau pousse si vigoureusement pendant tout l'été, qu'il est force d'y revenir souvent ; mais il faut se garder de le tondre au ciseau, & d'accourcir indifféremment tous les rejettons. Comme les fleurs ne viennent qu'au bout des branches, & qu'elles ne paroissent qu'au commencement de Juillet, il faut attendre ce tems pour arranger ce jasmin ; on retranche alors toutes les branches gourmandes qui ne donnent aucune apparence de fleurs, & on attache à la palissade toutes celles qui en promettent. Ce jasmin est très robuste, il croît très-promtement, & il s'éleve à une grande hauteur. Il réussit à toutes expositions & dans tous les terreins, si ce n'est pourtant que dans les terres seches & légeres son feuillage devient trop jaune, mais il y donne plus de fleurs. Il y a deux variétés de cet arbrisseau ; l'une a les feuilles plus vertes, l'autre les a plus petites ; toutes deux sont d'un moindre accroissement : elles ne s'élevent qu'à quatorze ou quinze piés. On doit les multiplier, les cultiver, & les conduire comme la grande espece. M. Miller, auteur anglois, fait encore mention dans la sixieme édition de son dictionnaire des Jardiniers, d'un jasmin de Caroline à fleur jaune ; mais cet arbrisseau est très-rare. C'est un grimpant toujours verd, ses feuilles sont étroites & brillantes, & il donne en été des fleurs jaunes en bouquets qui sont d'une odeur délicieuse. Il peut passer en pleine terre dans les hivers ordinaires : on le multiplie de branches couchées.

Dans le système botanique de Linnaeus, le jasmin est un arbrisseau qui fait un genre de plante particulier, qu'il caractérise ainsi ; le calice de la fleur est oblong, tubulaire, d'une seule piece, découpé à l'extrémité en cinq segmens. La fleur est composée semblablement d'un seul pétale, formant un long tube cylindroïde, partagé en cinq quartiers dans son extrémité supérieure. Les étamines sont deux courts filamens ; les antheres sont petites, & cachées dans le tuyau de la fleur. Le pistil est composé d'un germe arrondi. Le stile est un filet de la même longueur que les étamines. Le fruit est une baie lisse, rondelette, avec une loge qui contient deux graines ovoïdes, allongées, couvertes d'un pedicule, convexes d'un côté, & applaties de l'autre.

M. de Tournefort compte quatorze especes de jasmin, auxquelles il faut nécessairement ajoûter le caffier, ou l'arbre du caffé, nommé par Commelin jasminum arabicum, castaneae folio, flore albo, odoratissimo, cujus fructus coffy in officinis dicuntur nobis, & dont la culture intéresse tant de peuples. Mais nous ne ferons ici que la description du jasmin ordinaire de nos jardins, jasminum vulgatius, flore albo.

C'est un arbrisseau qui pousse un grand nombre de tiges longues, vertes, grêles, foibles & pliantes, lesquelles s'étendent beaucoup, & ont besoin d'être soûtenues. Elles sont couvertes de feuilles oblongues, pointues, lisses, crenelées, d'un verd obscur, rangées comme par paires le long d'une côte, qui est terminée par une seule feuille beaucoup plus grande que les autres. Les fleurs blanches, petites, agréables, d'une odeur douce, naissent d'entre les feuilles par bouquets, & en maniere d'ombelles ; elles forment un tuyau évasé par le haut, & découpé en étoile, en cinq parties, & elles sont portées sur un calice fort court, ce qui fait qu'elles sont sujettes à tomber après leur épanouissement. Chaque fleur est remplacée par une baie molle, ronde, verdâtre, contenant deux semences ovoïdes & plates. Cet arbrisseau fleurit au mois de Juin & de Juillet ; & ses charmantes fleurs, que l'air ne ternit jamais, exhalent un parfum délicieux. (D.J.)

JASMIN, (Chimie) les fleurs de jasmin sont du nombre de celles qui tiennent une partie aromatique qu'on n'en peut retirer d'aucune maniere par la distillation, mais qu'on peut fixer par le moyen des huiles auxquelles elle est réellement miscible.

On choisit pour cette espece d'extraction une huile par expression absolument inodore, & qui ne soit point sujette à rancir, telle que l'excellente huile d'olive, ou l'huile de ben. On ne sauroit se servir pour cet usage des huiles essentielles, & encore moins des empyreumatiques, parce qu'elles ont toutes de l'odeur. On y procede par l'opération décrite à l'article BEN, Hist. natur. & Botan. Voyez cet article.

L'essence de jasmin de nos Parfumeurs n'est autre chose que l'une ou l'autre de ces huiles chargées de l'aromate du jasmin.

Si l'on veut faire passer le parfum de cette essence dans l'esprit-de-vin, il n'y a qu'à les battre ensemble dans une bouteille pendant un certain tems : l'esprit de vin ne touchera point à l'huile, & s'aromatisera d'une maniere très-agréable. (b)

JASMIN, en terme de Boutonnier, c'est une chûte de différens ornemens en franges, en paquets, en sabots & en pompons, qui tombent d'une corniche, &c. Pour plus grand enjolivement, on varie les jasmins en diverses manieres, ensorte qu'une partie est en franges, une autre en assemblage de différens ouvrages brillans pour faire contraste. Voyez PAQUETS, POMPONS & SABOTS. On donne encore aux jasmins le nom de chûte, sans-doute parce qu'ils pendent de quelqu'endroit que ce soit.


JASPES. m. (Hist. nat. Litholog.) c'est le nom d'une pierre du nombre de celles qu'on appelle précieuses. Elle est très-dure, prend très-bien le poli, donne des étincelles lorsqu'on la frappe avec de l'acier ; elle est opaque à cause de la grossiereté de ses parties colorantes, sans quoi le jaspe ne différeroit en rien de l'agate, & l'on pourroit avec raison dire que le jaspe est une agate non-transparente, mêlée d'un plus grand nombre de parties terrestres & grossieres. Cependant il y a des morceaux de jaspe dans lesquels on trouve des taches ou veines transparentes ; cela vient de ce que la matiere qui lui a donné l'opacité, n'a point également pénétré dans toutes les parties de la pierre. Ce qu'il y a de certain, c'est que le quartz ou le caillou fait la base du jaspe, ainsi que celle de l'agate, & que tout caillou opaque & coloré qui prend le poli, doit être regardé comme un véritable jaspe.

Il regne une grande variété de couleur parmi les jaspes ; il y en a qui n'ont qu'une seule couleur, qui est ou blanche, ou brune, ou bleue, ou verte, ou grise, &c. le jaspe rouge est le plus rare, & cela dans différentes nuances ; d'autres sont de plusieurs couleurs différentes, tels sont ceux qu'on nomme jaspes fleuris, dans lesquels on voit des couleurs jaunes, rouges, grises, blanches, &c. confusément répandues. L'imagination des Naturalistes a travaillé sur ces sortes de jaspes, où quelques-uns ont vû ou du moins ont crû voir les figures les plus extraordinaires, qui ne sont souvent représentées que très-imparfaitement, & que l'on ne peut regarder que comme formées par le hasard pur, & par la disposition fortuite des couleurs & des veines qui s'y trouvent.

Les moindres accidens & les différentes couleurs des jaspes leur ont fait donner des noms différens par les anciens Naturalistes ; c'est ainsi qu'ils ont nommé lapis pantherinus ou pierre de panthere, un jaspe jaunâtre moucheté de rouge. Pline donne le nom de grammatias à un jaspe dans lequel on voyoit des taches ou des veines blanches, sans parler d'une infinité d'autres noms qui ont été donnés aux jaspes en faveur de différences qui ne sont qu'accidentelles, & qui ne changent rien à la nature de ces pierres. Ces noms ne sont donc propres qu'à charger inutilement la mémoire : les vrais Naturalistes ne doivent s'embarrasser que de ce qui constitue l'essence d'une pierre, sans s'arrêter à des petites variétés minucieuses. Si cependant quelqu'un vouloit un détail sur les différentes dénominations données au jaspe à cause de ses différentes couleurs, il le trouveroit dans Hill, histoire naturelle des fossiles en anglois.

Le jaspe sanguin est verd, & rempli de taches rouges comme du sang.

Le jaspe floride ou fleuri est de plusieurs couleurs différentes, comme nous l'avons déja fait remarquer.

Le lapis lazuli est un vrai jaspe d'un bleu plus ou moins vif, parsemé de petits points brillans comme de l'or. Voyez LAPIS.

Le caillou d'Egypte est un vrai jaspe d'une couleur brune, dans lequel on voit des accidens tout-à-fait singuliers.

Le caillou de Rennes ou pavé de Rennes est aussi un vrai jaspe jaunâtre, ou d'un brun clair & rougeâtre.

La pierre que les Minéralogistes allemands nomment hornstein ou pierre cornée, n'est qu'une espece de jaspe mêlé d'agate, comme on verra à la fin de cet article.

Wallerius & quelques autres auteurs mettent aussi le porphyre au rang des jaspes.

Quelques Naturalistes mettent le jade au rang des jaspes ; mais il y a des différences entre ces deux pierres. Voyez JADE.

Quelques auteurs confondent mal-à-propos le jaspe avec le marbre. La différence entr'eux est très-sensible : le premier donne des étincelles, lorsqu'on le frappe avec un briquet, & ne se dissout point dans les acides ; au lieu que le marbre s'y dissout & ne fait point feu lorsqu'on le frappe avec le briquet.

Le jaspe se trouve dans le sein de la terre par masses détachées de différentes grandeurs : des voyageurs parlent d'un morceau de jaspe de neuf piés de diametre, qui fut tiré d'une carriere de l'archevêché de Saltzbourg, & placé parmi le pavé d'une des cours du palais impérial à Vienne en Autriche.

M. Gmelin, dans son voyage de Sibérie, dit y avoir vû, dans le voisinage de la riviere d'Argun, une montagne qui est presque entierement composée d'un jaspe verd très-beau, mais extrêmement mêlé de roche brute, desorte qu'il est rare de trouver des morceaux de trois livres exemts de gersures & de défauts. Le même auteur ajoûte que quelquefois on en a tiré des masses qui pesoient un ou deux piés (le pié fait 33 livres) ; mais ils se fendoient à l'air au bout de quelques jours, desorte qu'on ne pouvoit point s'en servir pour faire des colonnes, des tables ou d'autres grands ouvrages. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie.

On trouve aussi des jaspes de différentes couleurs en Bohème, en Italie, & dans beaucoup d'autres pays de l'Europe : mais on donne la préférence à ceux des Indes orientales, parce qu'on les regarde comme plus durs, ils prennent mieux le poli, les couleurs en sont plus vives.

On ne peut se dispenser de rapporter ici l'expérience singuliere de Beccher sur le jaspe. Ce savant chimiste mit du jaspe dans un creuset avec un mêlange convenable (adhibitis requisitis) pour le faire entrer en fusion, il lutta le couvercle avec le creuset ; en donnant un feu violent, la matiere se fondit. Quand le creuset fut refroidi, il l'ouvrit, & trouva que le jaspe avoit formé une masse solide presque aussi dure que cette pierre étoit auparavant ; mais elle avoit changé de couleur, & étoit devenue laiteuse & demi-transparente, comme une agate blanche ; mais les parois supérieurs du creuset, c'est-à-dire, le couvercle & les côtés auxquels le jaspe n'avoit pu toucher pendant la fusion, étoient couverts d'une couleur de jaspe parfaite, & il ne leur manquoit que la consistance & la dureté pour ressembler parfaitement à du jaspe poli ; mais cette couleur n'étoit que légerement attachée à la superficie. De cette maniere Beccher a séparé la partie colorante du jaspe, qu'il nomme son ame, & l'a sublimée par la violence du feu. Voyez Beccher, Physica subterranea, édition de 1739, page 77. Il y a lieu de croire que Beccher joignit de l'acide vitriolique à son jaspe pulvérisé ; du-moins est-il certain qu'en versant de l'huile de vitriol sur du jaspe en poudre, & le mettant ensuite sous une moufle à un feu médiocre, toute la couleur du jaspe disparoît, & il reste sous la forme d'une poudre blanche.

M. Henckel dans sa Pyrithologie, décrit un jaspe très-singulier qui se trouve près de Freyberg en Misnie, dans un endroit qu'on nomme la carriere de jaspe, ou de corail : on trouve 1°. une couche de spath très-pesant, 2°. au-dessous est du crystal de roche ; ces deux couches n'ont qu'environ deux travers de doigt d'épaisseur ; ensuite 3°. vient de l'améthiste, 4°. une nouvelle couche de crystal, 5°. du jaspe, 6°. du crystal, 7°. du jaspe, 8°. du crystal, 9°. du jaspe, 10°. du crystal. Chacune de ces huit dernieres couches n'est souvent pas plus épaisse qu'un fil ; & toutes ensemble ont à peine trois lignes d'épaisseur, & sont cependant très-distinctes. Il vient ensuite 11°. du jaspe d'un rouge clair, 12°. un jaspe d'un rouge obscur, 13°. de la chalcédoine, 14°. du jaspe, 15°. de la chalcédoine ; enfin on voit un quarré compacte & solide. Les six ou huit dernieres couches vont en augmentant au point que dans quelques endroits le jaspe a plus d'un pouce d'épaisseur. Ces couches sont si intimement liées, que la masse de pierre où elles se trouvent se divisent plus aisément selon son épaisseur, que suivant la direction des couches. C'est ce jaspe que les ouvriers des mines & quelques naturalistes, pour se conformer à leur langage, nomment hornstein, ou pierre de corne. Voyez la Pyrithologie de Henckel. (-)

JASPE-AGATE, (Hist. nat. Lythologie) nom donné par quelques naturalistes à une espece d'agate, dans laquelle se trouvent quelques endroits entierement opaques qui sont du jaspe. On en trouve des pierres de cette espece aux Indes orientales & occidentales, ainsi qu'en différens pays de l'Europe, & sur-tout en Italie, en Allemagne, &c. On regarde celles d'Orient comme plus dures que celles d'Europe. Voyez JASPE. (-)

JASPE-CAMEE, (Hist. nat. Lythologie) nom donné par quelques auteurs à une pierre précieuse demi-transparente, connue sur-tout des Lapidaires italiens, mais qu'on ne voit guere parmi nous. Il est rare de la trouver grande ; elle est composée de zones ou de couches assez larges d'un beau blanc & d'un beau verd, qui ressemble à celui de quelques jaspes. On trouve, dit-on, cette pierre dans les Indes orientales, & dans quelques endroits de l'Amérique ; les Italiens en sont fort curieux ; ils la nomment jaspi-cames, & s'en servent comme des autres camées, pour y graver des figures en relief ou en creux, & pour contrefaire des antiques, métier qu'ils entendent parfaitement bien. Voyez Hill, Hist. nat. des fossiles. (-)

JASPE-ONYX, (Hist. nat. Lythologie) quelques naturalistes donnent ce nom à une espece de jaspe, dans lequel il se trouve des taches & des veines transparentes & de la couleur de la corne ou des ongles, telle que l'onyx ; cela vient de ce que la partie colorante qui a donné l'opacité à la pierre, n'a pas également pénétré par-tout. Voyez JASPE. (-)

JASPE, (Mat. med.) c'est un des corps dans lesquels on a trouvé des vertus médicinales annoncées par des caracteres extérieurs, ou une signature ; c'est un médicament signé. Voyez SIGNATURE. (Mat. med.) & ces vertus sont occultes, magnétiques, astrales. En un mot, le jaspe spécialement celui qu'on appelle sanguin, qui est veiné de rouge (ce qui est sa signature), a la propriété constante & infaillible d'arrêter les pertes de sang, en le portant attaché à la cuisse. Boot, Sennert, & la tourbe de pharmacologistes paracelsistes l'assurent. Boyle lui-même, qui fait profession ouverte de pyrrhonisme sur les merveilles de cet ordre, n'a pas été assez incrédule sur celle-ci. (b)


JASPERv. act. (Peint. & Reliûre) c'est peindre en jaspe. Les Relieurs jaspent la couverture & même la tranche des livres. Pour cet effet, ils ont un pinceau fait de racine de chien-dent d'une moyenne grosseur, avec lequel ils jettent la couleur qui est ou verte ou rouge, ou bleue, ou mêlée : il y a des tranches marbrées. Ce travail occupe des ouvriers qui ne font rien de plus. Voyez l'article RELIURE.


JASPRIN(Géog.) petite ville de la haute-Hongrie, dans le comté de Pest, sur la riviere de Zagiwa.


JASQUE(Géog.) petite ville maritime de Perse, sur un cap qui resserre le golfe d'Ormus, dans la province de Tubéran. Ce cap a 25d. 31'. d'élévation, & est éloigné d'Ormus de 30 lieues ; il dépend du gouverneur de Gomron. Voyez Thévenot, voyage du Levant. (D.J.)


JASSIS. m. (Hist. nat.) poisson qui, suivant M. Gmelin se trouve abondamment dans quelques rivieres de Sibérie ; il dit que c'est le même poisson que Gesner appelle rutilus ou rubellus.


JASSUSou JASUS, (Géog. anc.) ville d'Asie dans la Carie ; Polybe dit qu'elle étoit située sur la côte d'Asie, dans le golfe qui est terminé d'un côté par le temple de Neptune sur le territoire des Milésiens, & de l'autre côté par la ville des Mindiens. Pline en parle aussi deux fois, lib. IX. chap. viij. La notice de Hiéroclès qui la met entre les villes épiscopales de la Carie, l'appelle ; c'est présentement Askem-Kalési. Voyez ASKEM-KALESI.

Chérille poëte grec, étoit natif de Jase ; il se rendit célebre par son poëme sur la victoire que les Athéniens remporterent contre Xerxès ; & cet ouvrage leur parut si beau, qu'ils lui donnerent une piece d'or pour chaque vers. C'est ainsi qu'Octavie récompensa Virgile, pour l'éloge de Marcellus qu'il avoit placé avec tant d'art dans le VI. livre de l'Enéïde. Nous connoissons cet éloge de la plume du cygne de Mantoue, & nous ne cessons de l'admirer ; mais le tems nous a envié la piece de Chérille qui lui fit tant d'honneur ; il ne nous reste que quelques courts fragmens des vers du poëte de Carie. (D.J.)


JASTIENadj. (Musique) est en Musique le nom qu'Aristoxene & Alypius donnent à ce mode, que la plûpart des autres auteurs appellent ïonien. Voyez MODES. (S)


JASWA-MOREWAIA(Medecine) c'est ainsi que les Russiens nomment une maladie épidémique fort contagieuse qui paroît être la peste ; elle se fait sentir assez fréquemment en plusieurs endroits de la Sibérie, & sur-tout dans la ville de Tara, près des bords de la riviere d'Irtisch, & chez les Calmouques. Le mot russien moreswie signifie peste, & jaswa signifie bubon : cependant cette maladie differe de celle à qui nous donnons ce nom. Cette contagion attaque tout le monde sans distinction d'âge ni de sexe, les chevaux eux-mêmes n'en sont point exempts ; elle s'annonce par une tache blanche ou rouge qui se place sur une des parties du corps, & au milieu de cette tache on dit qu'il y a souvent un petit point noir. Cette tache ou tumeur est entierement dépourvûe de sentiment ; elle est dure & s'éleve un peu au-dessus du reste de la peau ; elle augmente en peu de tems, & en quatre ou cinq jours elle acquiert la grosseur du poing & a toûjours la même dureté & la même insensibilité. Le malade éprouve durant ce tems une grande lassitude, & une soif extraordinaire ; il perd entierement l'appétit, est toûjours assoupi ; il lui prend des étourdissemens aussi-tôt qu'il se tient debout ; il sent un serrement considérable de la poitrine ; enfin, il a de la difficulté à respirer ; son haleine devient puante ; il pâlit ou jaunit ; il éprouve de grandes douleurs intérieurement ; il se retourne & change perpétuellement de situation, & la soif va toûjours en augmentant. Quand tous ces symptomes sont suivis d'une sueur abondante, c'est un signe que la mort approche, & les personnes robustes périssent ordinairement le dixieme ou onzieme jour ; les plus délicates ne vont pas si loin. Ceux qui sont attaqués de cette maladie ne se plaignent que de douleurs de tête tant qu'elle dure ; on ne remarque aucun changement sur la langue, aucune constipation, ni rétention d'urine, & la tête demeure saine jusqu'au dernier moment.

Aussi-tôt qu'un tartare apperçoit une de ces taches sur son corps, il va trouver un cosaque, qui n'est ordinairement qu'un medecin de bestiaux ; il arrache la tache avec ses dents jusqu'au sang, où il enfonce dans le milieu une aiguille & la tourne en-dessous en tous sens, & continue à la détacher ainsi jusqu'à-ce que le malade sente son aiguille ; aprèquoi il acheve de l'arracher avec les dents : il mâs che ensuite du tabac, & le saupoudre d'un peu de sel ammoniac ; il applique ce mêlange sur la plaie, & recouvre le tout d'un emplâtre, ou bien il se contente de la bander ; il renouvelle le tabac & le sel ammoniac toutes les vingt-quatre heures, jusqu'à la guérison parfaite, qui se fait au bout de deux, cinq, ou sept jours, suivant le degré de dureté, & la grandeur de la tache ou du bubon : il n'y a pas lieu de craindre que les autres parties du corps prennent la contagion. La partie affligée reprend sa couleur naturelle, & la plaie se cicatrise. Le régime qu'on fait observer au malade consiste à le tenir dans un endroit obscur, à l'empêcher de boire, ou si on le lui permet, ce n'est que du petit-lait aigri ; les autres boissons lui sont interdites : on lui défend aussi les fruits à siliques, & toute nourriture sujette à fermenter ; on lui permet le pain trempé dans le petit-lait, du bouillon de poulet, des raves ; mais toute viande est regardée comme nuisible. On a remarqué que la chair qui est au-dessous de la tache qu'on a enlevée, est bleuâtre.

Cette maladie se manifeste dans les chevaux à-peu près par les mêmes symptomes, excepté que la tache ou le bubon sont beaucoup plus considérables ; souvent leur soif est si ardente, qu'ils se noyent dans les rivieres à force de boire. Quand on s'apperçoit à tems qu'ils sont attaqués de cette maladie, on ouvre le bubon avec un couteau, ou bien on y enfonce jusqu'au vif un fer rouge. Ce bubon se forme sur toutes les parties du corps du cheval, mais sur-tout sur le poitrail, & sur les parties de la génération : on laisse manger très-peu l'animal durant la cure ; les vaches sont moins sujettes à cette contagion que les chevaux, & les brebis encore moins que les vaches. M. Gmelin, dont nous avons tiré le détail qui précede, observe qu'on ne se souvient point d'avoir jamais éprouvé la vraie peste en Sibérie. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie. Ce savant voyageur dit avoir eu occasion de traiter un homme du pays attaqué de la même maladie : la tache ou la tumeur lui étoit venue au menton ; & comme après avoir eu recours au remede usité par les Cosaques, il négligea de faire autre chose ; M. Gmelin voyant que le cas étoit pressant, eut recours aux remedes les plus violens ; il commença par faire à la plaie des scarifications profondes ; il arrêta le sang avec de l'eau de-vie, faute d'autre chose ; il répandit sur la plaie du précipité rouge, & mit par-dessus un emplâtre émollient, pour exciter la suppuration, & lui fit prendre intérieurement en quatre prises quatre grains de mercure doux à trois heures de distance : de cette maniere, il le tira d'affaire & fit disparoître les symptomes qui menaçoient sa vie. Gmelin, voyage de Sibérie, tome IV. de l'édition allemande. (-)


JATTES. f. (Art méchaniq.) vaisseau rond, fait d'une piece de bois creusée au tour, qui sert à la cuisine, à la vendange, & à une infinité d'autres usages dans le domestique & dans les atteliers.

JATTE, AGATHE, GATTE, s. f. (Marine) c'est une enceinte de planches mises vers l'avant du vaisseau, qui servent à recevoir l'eau qui entre par les écubiers, lorsqu'elle est poussée par un coup de mer, ce qui donne facilité de la vuider. Voyez GATTE. (Z)

JATTE, ou GIRANDOLE POUR L'EAU, (Artificier) l'artifice dont il s'agit, est semblable aux roues de feu appellées girandoles, si on le considere seulement par son effet ; mais il en differe en plusieurs choses dans la construction.

1°. Dans sa situation qui est horisontale, au lieu que les roues à feu sont ordinairement posées verticalement, pour qu'elles soient mieux exposées à la vûe.

2°. Leur révolution ne se fait pas sur un essieu fixe, mais sur une base flottante sur l'eau.

3°. Son centre n'est pas vuide de feu comme les girandoles, mais rempli d'artifice.

4°. Ce qui tient lieu de roue n'est qu'un plateau de planche taillé en polygone, d'autant de côtés qu'on y veut mettre des fusées pour le faire tourner plus ou moins long-tems, ce qui en détermine aussi le diametre. Supposons, par exemple, qu'on veuille y employer huit fusées de la grosseur de celle qu'on appelle de partement, le plateau aura quatorze à quinze pouces de diametre, on en creusera les bords en cavet ou demi-canal d'environ un pouce de diametre, pour y attacher & arranger tout autour les fusées volantes qui doivent lui donner le mouvement, dans le même ordre & les mêmes précautions que pour les girandoles, assujettissant leurs ligatures par des clous plantés dans le bois sur lesquels on fait passer la ficelle.

Le milieu du plateau pourra être percé d'un trou assez grand pour y faire entrer un pot-à-feu, ou quelqu'autre artifice, comme on voit à la figure.

Pour supporter cet octogone ainsi équipé, & lui donner le pivot sur lequel il doit tourner ; on fait faire un plat de bois creux, rond, fait au tour, d'un diametre beaucoup plus petit que le plateau ; son fond extérieur doit être convexe en hémisphéroïde applati. Mais parce que le mouvement lui fait aussi changer de place, on peut, pour le rendre moins errant, ajouter sous le milieu un cône renversé, lequel formant un pivot plus profond dans l'eau, assujettira mieux le pirouettement de la girandole. Ce plat ou bassin sera cloué sous le plateau de rouage, & gaudronné le long de ses joints & sur toute sa surface, pour le rendre impénétrable à l'eau. Voyez nos Planches d'Artificier.

JATTE, terme de Passementier Boutonnier, est une espece de sébille à pressoir trouée par le milieu, & placée à la renverse sur quatre piés de bois. C'est sur cette jatte que les Passementiers Boutonniers fabriquent avec des fuseaux les gros cordons de soie, de fleuret, de fil, &c. qui servent à faire des guides de chevaux de carosse, à suspendre des lustres, à attacher aux bras des cochers pour les faire arrêter quand on veut, & à bien d'autres usages, &c. Voyez dans nos Planches de PASSEMENTIER BOUTONNIER un ouvrier travaillant à la jatte : la jatte en particulier, savoir la jatte nue, & la jatte chargée d'ouvrage.


JAUvoyez DOREE.


JAUFFNDEIGRAS. m. (Hist.) nom du troisieme mois des Islandois, il répond à notre Mars, c'est le mois de l'équinoxe du printems. Jauffndeigra manudar signifie mois équinoctial.


JAUGES. f. (Gram. & Art) c'est en général un instrument dont on se sert pour connoître la quantité de quelque qualité physique, telle que la longueur, la largeur, la profondeur, le nombre, la consistance, &c. d'où l'on voit qu'il doit y avoir un grand nombre de jauges. Il y a

La jauge à déterminer la capacité des vaisseaux, celle qui donne le nombre de pintes, de pouces cubes, &c. qu'un muid contient de liquide. Voyez sa construction & son usage au mot JAUGE. On dit la ligne de jauge ; c'est le trait marqué sur le bâton ou la verge de jauge. Voyez le même article.

JAUGE facile pour les vaisseaux en vuidange, tels que tonneaux, feuillettes, &c. Pour commencer l'opération, il faut avoir, indépendamment du modele qu'on voit Planche de Mathématique, une verge de fer ou de bois sur laquelle les pouces soient marqués. Cette verge sert à mettre dans la piece dont on veut savoir combien il y a de * pots débités. Pour prendre la hauteur de pouces, non-compris l'épaisseur du bois à la bonde, que la piece a de diametre, en laissant tomber perpendiculairement par le bondon cette verge dans la piece jusqu'au fond ; cette verge sert en même tems à voir combien il reste de pouces marquant mouillant dans la piece.

Cela posé & bien compris, il faut présentement tâcher de s'expliquer plus clairement sur l'usage que l'on fait du triangle de jauge. Voyez les figures.

Avant que d'aller plus avant, il faut savoir que les lignes transversales du triangle ne sont d'aucun autre usage que pour conduire l'échelle des pouces toûjours sur une ligne droite & égale, n'y ayant que les lignes diamétrales de haut en bas du triangle en le plaçant en forme d'équerre, qui comptent ; je dis, en le plaçant en forme d'équerre pour faire comprendre ce que j'entends par lignes diamétrales ; car, pour opérer, le triangle doit être couché à plat, le plus grand côté en-haut.

Je suppose à présent une piece marquée de la continence de 186 pots, telle mesure que l'on voudra, qui a 25 pouces de diametre à la bonde non-compris l'épaisseur du bois à ladite bonde ; restent à 8 pouces marquans mouillans. Il faut trouver combien ces 8 pouces forment de pots restans dans la piece.

Pour y parvenir, on cherche sur l'échelle des pouces (qui est la même que cette regle de papier divisée en trente-deux parties égales) le nombre 25, qui est la quantité de pouces, que la piece a de diametre à sa bonde ; je mets ce nombre 25 parallelement du côté vis-à-vis sa premiere ligne du triangle, & de l'autre côté qui est le nombre premier de cette échelle des pouces, vis-à-vis la derniere ligne du triangle qui est le nombre 100. Lorsque je suis parvenu à rendre ces deux nombres de pouces justes ; savoir, le nombre 25 vis-à-vis la premiere ligne, & le nombre premier vis-à-vis la derniere ligne du triangle, je vois combien de lignes sur le triangle me donne le nombre 8 de mon échelle des pouces, lequel nombre 8 est les 8 pouces restant mouillant dans la piece. Je trouve qu'il me donne 26 lignes sur le triangle, pour-lors je multiplie la continence de ma piece qui est de 186 pots, par cette quantité de lignes que donne le triangle, c'est-à-dire par 26. La multiplication faite, j'en retranche les deux dernieres figures. Les deux premieres figures sont la quantité de pots restante dans la piece, & les deux dernieres retranchées sont autant de centaines parties d'un pot en sus des entiers.

Preuve. La piece ayant 25 pouces de diametre à la bonde, & ne restant qu'à 8 pouces mouillant, il y a 17 pouces vuides.

Je pose l'échelle de pouces, comme ci-dessus, sur

* Le pot ou le lot contient à-peu-près deux bouteilles ou pintes de Paris.

le triangle, & je cherche combien de lignes sur ledit triangle, donnera le nombre 17 de l'échelle des pouces, qui sont les 17 pouces vuides. Je trouve que le triangle me donne 74 lignes. Je fais la même opération pour le vuide que j'ai faite pour le restant mouillant, en multipliant la continence de la piece qui est 186, par les 74 lignes du triangle ; & je trouve par l'addition du résultat de mes deux multiplications ensemble, la continence entiere de ma piece.

On voit par cette opération combien il reste de liqueur dans une piece, suivant la continence qui est marquée sur la piece ; mais cette opération ne prouve pas que la piece est jaugée à sa juste continence : ce qui ne se peut qu'en jaugeant la même piece à l'eau lorsqu'elle est vuide, c'est-à-dire en comptant la quantité de pots d'eau qui entreront dans la piece pour la remplir.

Dans le commerce, un muid est de bonne ou mauvaise jauge, quand il est plus ou moins grand, relativement à son espece, à son usage, aux usages & aux lieux.

La jauge en Architecture, c'est dans la tranchée qu'on a faite pour fonder un bâtiment, un bâton étalonné sur la profondeur & la largeur que doit avoir la tranchée, sur toute la largeur.

Les ouvriers en bas au métier & les ouvriers en métier à bas ont chacun leur jauge. La premiere s'appelle jauge de soie ; la seconde jauge du métier. Voyez l'article BAS AU METIER.

La jauge de l'Aiguilletier est une plaque de fer, fendue de distance en distance. Les fentes ont différens degrés de largeur, & servent à déterminer les mesures & les especes différentes d'aiguilles. Voyez nos Planches de l'Aiguilletier-bonnetier.

Les Chaînetiers, les marchands de fils de fer & de laiton ont aussi leur jauge ; c'est un composé de plusieurs s redoublées. L'intervalle qui se trouve entre deux s, sert à mesurer le fil dont la grosseur est marquée à côté par un chiffre qui la désigne. Les marchands de fer de Paris ne jaugent que les sortes dont les numeros ne sont pas fixés, tels que les fils de Bourgogne, de Champagne & de quelques lieux d'Allemagne.

Les Ceinturiers ont deux jauges, l'une à bord & l'autre du milieu. La jauge à bord leur sert à marquer sur le bord de l'ouvrage l'endroit où il faut piquer, & la jauge du milieu à marquer l'endroit du milieu. La premiere est un morceau de fer rond, de la longueur de sept à huit pouces, emmanché de bois par en-haut, un peu recourbé par en-bas, & aplati de maniere à former une surface quarrée longue qui finit en s'arrondissant ; cette surface a trois cannelures. Ces cannelures tracent trois lignes, lorsque la jauge étant chauffée, on la fait couler sur les bords de l'ouvrage à piquer, & ces lignes dirigent l'ouvrier. La seconde ne differe de celle-ci qu'en ce que le bout plat d'enbas est fendu en deux & est mobile, & qu'au milieu de cette partie ouverte, il y a une vis sur le côté qui sert à augmenter ou à retrécir l'intervalle des deux raies. On s'en sert comme dans la jauge à bord. Voyez ces jauges dans nos Planches de Ceinturier.

La jauge du Charpentier est une petite regle de bois fort mince, d'un pié de long sur un pouce de large, divisée par lignes & par pouces, & servant à tracer les mortiers, tenons, &c. Voyez nos Planches de Charpenterie.

L'Epinglier, le Cloutier d'épingle &c. ont un fil d'archal plié en s à plusieurs plis, plus ou moins serrés les uns contre les autres, & mesurent par leurs intervalles la grosseur des fils de laiton. Voyez la Planche du Cloutier d'épingle.

Voyez à l'article FAYENCE ce que c'est que la jauge du fayencier.

Les Jardiniers labourent à vive jauge, soit une terre, soit un quarré, soit un potager ; & ils entendent par-là labourer profondément ; ils ont aussi une mesure portative qui leur sert à déterminer la profondeur de chaque tranchet à placer des arbres, & qu'ils appellent jauge.

Le Tonnelier a sa jauge ; c'est un instrument qui lui sert à réduire à une mesure connue, la capacité ou continence de divers tonneaux. C'est un bâton ou une tringle de fer, quarrée, de quatre à cinq lignes d'équarrissage, & de quatre piés deux ou trois pouces de longueur. Par un des côtés, elle est divisée par pouces & piés de roi. Les quatre côtés portent encore la mesure de neuf différentes sortes de vaisseaux réguliers, marquée par deux points qui donnent la longueur & la hauteur. Sur le premier, il y a le muid & le demi-muid ; sur le second, la demi-queue & le quarteau d'Orléans ; sur le troisieme, la pipe & le bussard ; sur le quatrieme, la demi-queue, & le quarteau de Champagne & le quart de muid. Chacune de ces neuf especes de tonneaux a deux places sur la jauge, l'une pour le fond, l'autre pour la longueur. Au-dessus de chaque caractere appartenant à chaque vaisseau, des points placés d'espace en espace désignent un septier ou huit pintes de liqueur, mesure de Paris, excédant la juste continence du tonneau jaugé.

Le Fontainier a une boëte de fer blanc, percée pardevant d'autant de trous d'un pouce, demi-pouce, ligne, demi-ligne qu'il veut. Il expose cette boëte à une source, tous les trous bouchés ; elle s'emplit & se répand ; alors il débouche le plus petit, puis le suivant, & ainsi de suite, jusqu'à ce que la boëte laissant échapper par les trous ouverts autant d'eau qu'elle en reçoit de la source, & demeurant par conséquent toûjours pleine, les trous débouchés lui donnent la quantité d'eau qu'il cherche à connoître.

Les Tireurs d'or & une infinité d'ouvriers ont leurs jauges, dont il sera fait mention aux articles de leur art, & aux articles JAUGER ; voyez ce dernier.


JAUGEAGES. m. (Comm.) action de jauger les tonneaux, les navires. Cet homme entend bien le jaugeage ; on a fait le jaugeage de ce tonneau, de ce navire.

Jaugeage se dit aussi du droit que prennent les jurés-jaugeurs, ou officiers qui jaugent les vaisseaux à liqueurs.

Jaugeage signifie encore un certain droit que perçoivent les fermiers des aides sur les vins & liqueurs conjointement avec le droit de courtage. Ainsi l'on dit : " Il a été payé tant pour les droits de jaugeage & courtage de ce vin ". Dict. de Com. (G)


JAUGERv. act. (Géom.) c'est l'art de mesurer la capacité ou le contenu de toutes sortes de vaisseaux ; & de déterminer la quantité des fluides ou d'autres matieres que ces vaisseaux peuvent contenir, &c. Ainsi on trouve par la jauge combien un tonneau peut tenir ou tient de vin, d'eau-de-vie, &c. Si toutes les surfaces du tonneau étoient pleines, il n'y auroit nulle difficulté à cette détermination, il n'y en auroit pas même beaucoup pour les géometres habiles, si les surfaces courbes du tonneau avoient des courbures connues & déterminées par des équations ; car on auroit l'aire & la capacité formées par ces courbes ou exactement, ou en valeurs aussi approchées que l'on voudroit ; mais les courbures que les ouvriers donnent à ces surfaces presque au hasard, n'ont rien de régulier & sont transcendantes à la Géométrie la plus transcendante. Il faut donc renoncer à jauger les tonneaux exactement & géométriquement, & leur supposer des courbures régulieres les plus approchantes qu'il se pourra des irrégulieres qu'ils ont en effet. Et ces plus approchantes mêmes ne seront pas encore des meilleures, à moins qu'elles ne soient en même tems fort simples, & ne produisent des méthodes courtes & faciles, car le plus souvent ce ne seront pas de bons géometres ou de grands calculateurs qui jaugeront, & d'ailleurs dans l'usage cette matiere demande beaucoup d'expédition. La facilité & la promtitude méritent qu'on leur sacrifie quelque chose de la justesse. Le jaugeage le plus difficile est celui des vaisseaux de mer. Cette difficulté vient de la grande irrégularité des courbes, & du grand nombre de différentes courbes qui entrent dans la surface d'un même vaisseau, & produisent sa capacité. Comme on ne jauge les vaisseaux que pour savoir ce qu'ils peuvent contenir de marchandises, outre toutes les choses qui leur sont nécessaires pour faire voyage, parce que les souverains levent des droits sur ces marchandises, on appelle proprement jaugeage des vaisseaux la mesure, non de la capacité entiere de leur creux ou vuide, mais seulement de la partie de cette capacité que les marchandises peuvent remplir. Ainsi le vaisseau étant construit, & pourvu seulement de tout ce qui lui est nécessaire pour le voyage, il enfonce dans l'eau d'une certaine quantité & jusqu'à une ligne qu'on appelle ligne de l'eau ; si de plus on le charge de toutes les marchandises qu'il peut porter commodément ou sans péril, il enfonce beaucoup davantage & jusqu'à une ligne qu'on appelle ligne du fort, parce que la distance de cette ligne jusqu'à celle où le vaisseau seroit prêt de submerger, se prend par rapport au milieu du vaisseau qui en est la partie la plus basse, & en même tems la plus large, qu'on appelle le fort. La ligne du fort dans un vaisseau aussi chargé qu'il peut l'être, est ordinairement un pié au-dessus du fort. La ligne de l'eau & celle du fort sont toutes deux horisontales, & par conséquent paralleles, & il faut concevoir que par elles passent deux sections ou coupes du vaisseau, qui sont aussi deux plans horisontaux. Il est visible que c'est entre ces deux plans qu'est comprise toute la capacité du vaisseau que les marchandises occupent ou peuvent occuper ; c'est elle qui doit les droits, & qu'il faut jauger. Le volume d'eau qui la rempliroit, est d'un poids égal à celui des marchandises ; & si l'on sait quel est ce volume & par conséquent son poids, car un pié cube d'eau pese 72 liv. on sait le poids des marchandises du vaisseau. La difficulté de ce jaugeage consiste en ce que chacune des deux coupes horisontales du vaisseau a une circonférence, ou un contour très-bizarre formé de différentes portions de courbes différentes ; & de plus, en ce que les deux coupes ont des contours très-différens, ainsi la Géométrie doit desespérer d'en avoir les aires. Quant à la distance des deux plans, qui est la hauteur du solide qu'ils comprennent, il est très-aisé de la prendre immédiatement. La lumiere de la Géométrie manquant, les hommes ont, pour ainsi dire, été abandonnés chacun à son sens particulier ; en différentes nations, & en différens ports d'une même nation, & en différens tems, on a pris différentes manieres de jauger. Sur cela M. le comte de Toulouse, amiral de France, chef du conseil de marine, demanda à l'académie royale des Sciences de Paris son sentiment, en lui envoyant en même tems les meilleures méthodes pratiquées, soit chez les étrangers, soit en France, afin que par la préférence qu'elle donneroit à une d'entr'elles, ou par l'invention de quelqu'autre méthode, on pût établir quelque chose d'assez sûr & d'uniforme pour le royaume. MM. Varignon & de Mairan furent principalement chargés du soin de répondre aux intentions de S. A. S. On peut voir dans l'histoire de l'académie an. 1721, p. 57, ce qu'ils firent pour cet effet. M. Varignon suivit une route purement géométrique. M. de Mairan entra dans l'examen de toutes les méthodes envoyées par le conseil de la marine, & préfera celle de M. Hocquart, intendant de la marine dans le port de Toulon. Elle consiste à prendre l'aire des deux surfaces horisontales de la partie du vaisseau submergée par la charge, & à multiplier la moitié de la somme des deux aires par la hauteur de la partie submergée. Tout bien considéré (c'est la conclusion de M. de Fontenelle), il faut que la pure Géométrie se recuse elle-même de bonne grace sur le fait du jaugeage, & qu'elle en laisse le soin à la Géométrie imparfaite & tâtonneuse. M. Formey.

Le jaugeage consiste donc à réduire à quelque mesure cubique connue la capacité inconnue de vaisseaux de différentes formes, cubiques, parallelipipedes, cylindriques, sphéroïdes, coniques, &c. & à supputer, par exemple, combien ces vaisseaux peuvent contenir de quartes, de pintes, &c. d'une liqueur, comme de biere, de vin, d'eau-de-vie.

Le jaugeage est une partie de la Stéréométrie. Voy. STEREOMETRIE.

Les principaux vaisseaux, que l'on a communément à jauger, sont des tonneaux, des barrils, des barriques, des muids, &c.

Par rapport aux solidités des vases cubes, parallélipipedes, prismatiques, il est facile de les déterminer en pouces cubes, ou en autres mesures, en multipliant l'aire de leur base par leur hauteur perpendiculaire. Voyez PRISME, &c.

Quant aux vases cylindriques, on trouve la même chose, en multipliant l'aire de leur base circulaire, par leur hauteur perpendiculaire, comme ci-dessus. Voyez CYLINDRE.

Les tonneaux qui ont la forme ordinaire des muids, des demi-barrils, &c. peuvent être considérés comme des segmens d'un sphéroïde, coupé par deux plans perpendiculaires à l'axe ; ce qui les soumet au théorème d'Ougthred, qui apprend à mesurer les tonneaux : le voici. Ajoûtez le double de l'aire du cercle au bondon à l'aire du cercle du fond, multipliez la somme par le tiers de la longueur du tonneau, & ce produit donnera en pouces cubes la capacité du vaisseau.

Mais, afin de parvenir à une plus grande exactitude, Messieurs Wallis, Caswel, &c. pensent qu'il seroit mieux de considérer nos tonneaux comme des portions de fuseaux paraboliques, qui sont moindres que les portions des sphéroïdes de même base & de même hauteur. Cette maniere de les considérer donne leur capacité beaucoup plus exactement que la méthode d'Oughtred, qui les suppose des sphéroïdes, ou que celle de multiplier les cercles au bondon & au fond, par la moitié de la longueur du tonneau, qui les suppose des conoïdes paraboliques ; ou que celle de Clavius, qui les prend pour des cônes tronqués ; cette derniere méthode est la moins exacte de toutes.

La regle ordinaire, pour tous les tonneaux, est de prendre les diametres au bondon & au fond ; moyennant quoi on peut trouver les aires de ces cercles. Alors prenant les deux tiers de l'aire du cercle au bondon, & un tiers de l'aire du cercle du fond ; faisant ensuite une somme de ces tiers, que l'on multiplie par la longueur intérieure du tonneau, elle donne en pouces solides la capacité du tonneau.

Mais le jaugeage, tel qu'on le pratique aujourd'hui, s'exécute ou se fait principalement par le moyen d'instrumens, que l'on appelle verge ou regle de jauge ; avec cela l'affaire est expédiée sur le champ, & l'on sait, sans un plus long calcul, quelle est la capacité d'un vaisseau proposé ; ce qui n'est pas d'une petite considération, tant par rapport à la facilité d'opérer, qu'à la célérité avec laquelle on expédie l'ouvrage : c'est pourquoi nous allons ici nous étendre principalement sur les différens instrumens de jaugeage.

Construction d'une verge ou regle de jauge, par laquelle on trouve facilement la capacité d'un vase cylindrique quelconque, ou de tout autre vaisseau ordinaire. Prenez le diametre A B d'un vaisseau cylindrique ABDE (Pl. d'arpent. fig. 26.) qui tient une des mesures dans lesquelles on évalue le fluide ; que ce soit, par exemple, en pintes, & mettez-le à angles droits sur la ligne indéfinie A 7. depuis A jusqu'à 1 portez une ligne droite égale au diametre A B, alors B 1 sera le diametre d'un vase qui contient deux mesures, & de même hauteur que le premier.

De plus, soit A 2 = BI, alors B 2 sera le diametre d'un vase qui contient trois mesures, & de même hauteur que celui qui n'en contient qu'une. On peut trouver de la même maniere les diametres B 4, B 5, B 6, B 7, &c... d'autres vaisseaux plus grands.

Enfin mettez sur le côté d'une verge ou d'une regle, les différentes divisions A 1, A 2, A 3 &c. ainsi trouvées ; & sur l'autre côté mettez la hauteur ou la profondeur d'un cylindre, qui contient une mesure autant de fois qu'elle pourra y aller, vous aurez par ce moyen une verge, une regle, ou un bâton de jauge entierement complet.

Car, les cylindres de même hauteur sont entr'eux comme les quarrés de leurs diametres ; par conséquent le quarré du diametre qui contient 2, 3 ou 4 mesures, doit être double, triple ou quadruple de celui qui n'en contient qu'une ; & puisque dans le premier AB = A 1, le quarré de B 1 est double, celui de B 2 est triple, celui de B 3 est quadruple, &c. il est évident que les lignes droites A 2, A 3, A 4, &c. sont les diametres des vaisseaux ou des vases proposés.

Ainsi, en appliquant ces divisions sur le côté d'un vase cylindrique, on verra tout-à-coup combien de mesures contiendra un vase cylindrique d'une certaine base, & de même hauteur que celui qui contient une mesure.

C'est pourquoi, en trouvant par les divisions de l'autre côté de la verge, combien de fois la hauteur d'une est contenue dans la hauteur du vase donné, & multipliant par ce nombre le diametre que l'on a trouvé ci-devant, ce produit sera le nombre de mesure que contient le vase proposé.

Par exemple, si le diametre du vase cylindrique = 8, & la hauteur = 12, sa capacité sera = 96 mesures. Remarquez 1°. que plus petite on prend la hauteur du cylindre qui contient une mesure, plus aussi sera grand le diametre de la base ; d'où il suit que ce diametre, & les diametres des cylindres qui contiennent plusieurs mesures, seront plus facilement divisibles en petites parties.

2°. Les diametres des vases qui contiennent une, ou plusieurs parties décimales d'une mesure, se trouveront en divisant une ou plusieurs parties décimales du vase qui contient une mesure, par la hauteur de ce vase, ce qui donnera l'aire de la base circulaire ; d'où il est aisé d'en déterminer le diametre.

Et l'on trouvera de la même maniere les diametres pour les divisions des vases qui contiennent deux ou plusieurs mesures.

Usage de la verge ou du bâton de jauge. Pour trouver la capacité d'un tonneau, c'est-à-dire, pour déterminer le nombre de mesures, par exemple, le nombre de pintes qu'il contient, appliquez au vase la verge ou le bâton de jauge, ainsi qu'on l'a enseigné dans l'article précédent, & cherchez la longueur du tonneau AC fig. 27. & des diametres GH, AB. Maintenant, comme on trouve par l'expérience, quoique éloignée de la rigueur ou de l'exactitude géométrique, qu'un tonneau ordinaire de cette forme peut être pris, sans une grande erreur, pour un cylindre qui a sa hauteur égale à la longueur intérieure du tonneau, & sa base égale au cercle, dont le diametre est moyen proportionnel arithmétique entre les diametres à l'endroit des fonds, & celui du milieu sous le bondon, trouvez ce diametre que vous appellerez diametre égal ; alors multipliant ce nombre ainsi trouvé, par la longueur du tonneau A C, le produit sera le nombre des mesures contenues dans le vaisseau proposé.

Supposons, par exemple, AB = 8, GH = 12, AC = 15, le diametre d'égalité sera 10, lequel multiplié par 15 donne 150 mesures pour la capacité du tonneau.

S'il arrive que les diametres des deux bouts ou des deux fonds, ne soient point égaux, mesurez-les l'un & l'autre, & prenez la moitié de leur somme pour le diametre, qui doit vous servir à faire votre opération.

Il y a une autre méthode de connoître la capacité d'un vaisseau, sans aucun calcul absolument, & dont on fait usage en différentes parties de l'Allemagne & dans les Pays-bas ; mais comme on y suppose que tous les vaisseaux sont semblables les uns aux autres, & que leur longueur est double du diametre égalé, c'est-à-dire, double de la moitié de la somme des diametres AB, GH, on ne peut pas s'en servir par-tout avec sûreté. Cependant Kepler la préfere à toutes les autres, comme renfermant toutes les précautions, dont cette matiere est susceptible. Il voudroit même que l'on établît une loi, par laquelle il fût ordonné que l'on construisît tous les tonneaux selon cette proportion. (E)

On trouve dans les Mémoires de l'académie des Sciences 1741 un excellent mémoire de M. Camus, sur la jauge des tonneaux. Il les regarde comme des segmens d'un rhomboïde, formé par la révolution d'une parabole, qui auroit son sommet sur le bondon ; il a de plus imaginé une verge ou bâton de jauge d'une construction nouvelle.

La verge de jauge ordinaire, est un bâton quarré, de quatre à cinq lïgnes de largeur, & de quatre piés deux ou trois pouces de longueur ; une des faces est divisée en piés, pouces, &c. les autres sont marquées de divisions relatives aux différentes especes de tonneaux qu'on peut avoir à mesurer. Le bâton de jauge de M. Camus est d'une construction très-différente, & d'un usage plus sûr & plus universel. Voyez le volume cité des Mém. de l'ac. de 1741, pag. 385. Voyez aussi l'Histoire de la même année. (O)

JAUGER, (Coupe des pierres) c'est appliquer une mesure d'épaisseur ou de largeur vers les bouts d'une pierre, pour en faire les arêtes, ou les surfaces opposées paralleles.

JAUGER, (Hydr.) On connoît la quantité d'eau que fournit une source, par le moyen d'un instrument appellé jauge, construit de bois, de cuivre, ou de fer blanc. Cette jauge contient une cuvette percée par devant de plusieurs ouvertures circulaires, d'inégale grosseur, qui vont depuis un pouce jusqu'à deux lignes de diametre. Il y a souvent des tuyaux appellés canons, qui se bouchent avec des couvercles attachés à une petite chaîne, lesquels se tirent ou se bouchent suivant le besoin ; la jauge est meilleure sans canons, & il y a moins de frottement. Elle est séparée dans le milieu par une cloison de la même matiere, appellée languette de calme, servant à calmer la surface de l'eau, que le tuyau de la source amene avec impétuosité, & à empêcher qu'elle ne vienne en ondoyant vers la languette du bord, où sont percés les orifices des jauges, ce qui interromproit le niveau de l'eau, augmenteroit sa force, & par conséquent sa dépense. Les cloisons, ou languettes de calme, ne touchent point au fond des cuvettes ; elles ont environ 4 lignes de jour par em-bas, pour que l'eau puisse remonter dans l'autre partie de la cuvette, & se communiquer partout.

On fait entrer dans cette cuvette l'eau d'une source, & ensuite on la vuide par ces ouvertures ; si elle fournit un tuyau bien plein, elle donne un pouce d'eau, si elle en remplit deux, elle fournit deux pouces, ainsi des autres. Quand elle ne remplit pas entierement l'ouverture d'un pouce, on ouvre celle d'un demi-pouce, d'un quart, d'un demi-quart, & jusqu'aux plus petites, s'il s'en trouve dans la jauge ; on rebouche alors avec des tampons de bois tous les autres trous.

On tient l'eau dans la cuvette une ligne plus haute que les ouvertures de la jauge ; ainsi elle doit être 7 lignes au-dessus du centre de chaque trou ou canon. On bouche avec le doigt, ou un tampon de bois, le trou circulaire du tuyau, jusqu'à ce que l'eau soit montée une ligne au-dessus, & on la laisse couler ensuite pour juger de son effet ; alors l'eau se trouve un peu forcée, & le tuyau est entretenu bien plein. Si au lieu d'une ligne on faisoit monter l'eau de 2 ou 3 lignes au-dessus de l'orifice des jauges, elle seroit alors trop forcée, & dépenseroit beaucoup plus ; l'eau étant donc tenue une ligne audessus de l'orifice d'un pouce, ou à 7 lignes de son centre, & coulant par le trou circulaire d'un pouce, dépense pendant l'espace d'une minute 13 pintes 1/2 mesure de Paris, ce qui donne par heure deux muids 3/4 & 18 pintes ; le pié cube étant de 36 pintes, huitieme du muid, & l'on aura par jour 67 muids & demi, sur le pié de 288 pintes le muid.

Le pouce quarré qui a douze lignes en tout sens, multiplié par lui-même, produit 144 lignes quarrées. Il est constant que le pouce circulaire contient également 144 lignes circulaires, parce que les surfaces des cercles sont entr'elles comme les quarrés de leurs diametres ; cependant le pouce circulaire est toûjours plus petit que le quarré, à cause des quatre angles. L'usage est de diminuer le quart de 144 lignes, pour avoir la proportion du pouce quarré au pouce circulaire, ce qui est trop, puisque par la proportion du quarré au cercle, qui est de 14 à 11, on trouve dans la superficie du pouce quarré de 144 lignes, celle du pouce circulaire qui est de 13 lignes deux points ; au lieu qu'ôtant le quart de 144 qui est 36, il ne reste que 108. Ce même pouce circulaire qui donne en une minute 3 pintes 1/2 mesure de Paris, en donneroit, étant quarré, près de 18 pintes même mesure, ce qui est une vraie perte pour les particuliers.

Quoique l'on ait préféré de donner aux tuyaux la forme circulaire, parce que n'ayant point d'angles, elle est moins sujette aux frottemens, & moins exposée à se détruire ; on devroit donner aux jauges la forme quarrée, & il y en a plusieurs exemples dans les fontaines de Paris ; alors on auroit moins de difficulté de calculer la dépense des eaux, & de les distribuer ; les particuliers y gagneroient aussi, & ils perdroient proportionnellement, chacun suivant leurs jauges, dans les diminutions d'eau qui sont inévitables. Il est aisé de concevoir une ouverture rectangulaire, qui auroit trente-six lignes de large, sur quatre lignes de hauteur ; on voit qu'en multipliant 4 par 36, il viendra 144 lignes quarrées qui sont la valeur du pouce quarré : pour avoir de même quatre lignes d'eau qui est une des plus petites jauges, la base aura une ligne sur la même hauteur 4, ainsi des autres.

Les Fontainiers ont un instrument appellé quille, fait de cuivre ou de fer blanc en pyramide, qui diminue par étage ; sa base a 12 lignes, & elle dégrade d'une demi-ligne à chaque saut, de maniere que le plus petit terme de la division commence par une ligne 1/2, le second est 2, ensuite 2 1/2, ensorte que tous les termes ont pour différence un 1/2 ; ces nombres sont chiffrés sur 23 séparations ; les uns dénotent les diametres des jauges, les autres marquent leurs superficies. Le manche qui soutient cette quille sert à l'introduire dans l'ouverture des jauges de la cuvette, la pointe la premiere ; on bouche le trou de la jauge, de maniere qu'il n'y passe pas une goutte d'eau ; on marque avec le doigt l'endroit où on s'arrête, & retirant la quille sur le champ, on connoît si la mesure est exacte.

Cet instrument n'est point dans toute la rigueur géométrique, parce que la dépense d'une jauge qui a 3 lignes de diametre ou neuf lignes de sortie, ne donne pas précisément le quart de dépense de celle qui a 6 lignes de diametre ou 36 lignes de sortie, comme elle devroit faire, puisque la superficie de la premiere qui est 9 lignes est le quart exactement de la seconde qui est 36, & qu'on a négligé les fractions dans les rapports des superficies de jauges qui produiroient quelqu'avantage aux concessionnaires.

La quantité d'eau fournie par un ruisseau ou une petite riviere, se peut jauger en cette maniere. Arrêtez en le cours par une digue ou batardeau, construit de clayonnages avec des pierres & de la glaise, & ajustez sur le devant une planche de plusieurs trous d'un pouce de diametre, avec des tuyaux de fer blanc du même calibre, rangés sur une même ligne. Cette digue arrêtera toute l'eau du ruisseau, qui sera contrainte de passer par les trous de la planche ; & les tuyaux bien remplis vous feront connoître la quantité de pouces que le ruisseau donne en un certain tems.

On jauge l'eau que fournit une pompe à bras, à cheval, un moulin, en faisant tomber l'eau de la nappe que fournit le tuyau montant dans la cuvette de la jauge ; & la quantité de pouces qui tombera dans le reservoir pendant l'espace d'une minute, fera connoître ce que produit la machine. (K)


JAUGEURS. m. officier de ville qui sait l'art & la maniere de jauger les tonneaux ou futailles à liqueurs, ou celui qui a titre & pouvoir d'en faire le jaugeage. Voyez JAUGEAGE & JAUGER.

Chaque juré jaugeur doit avoir sa jauge juste & de bon patron, suivant l'échantillon qui est dans l'hôtel-de-ville de Paris. Il doit aussi imprimer sa marque sur l'un des fonds du tonneau ou futaille qu'il a jaugé, avec une rouanette, & y mettre la lettre B, si la jauge est bonne, la lettre M, si elle est trop foible ou moindre, & la lettre P, si elle est plus forte, avec un chiffre, pour faire connoître la quantité des pintes qui s'y sont trouvées de plus ou de moins.

Chaque jaugeur doit avoir sa marque particuliere, laquelle il doit figurer en marge du registre de sa reception, pour y avoir recours dans le besoin, en cas de fausse jauge ; le jaugeur de la marque duquel la piece se trouve marquée, demeurant responsable envers l'acheteur, si la jauge est moindre, & envers le vendeur pour l'excédent.

Il est permis à chacun de demander une nouvelle jauge, dont les frais sont payés par le premier jaugeur si la jauge se trouve défectueuse, & par celui qui s'en plaint, si elle se trouve bonne.

Nul aprentif jaugeur ne peut s'immiscer de faire aucune jauge, s'il n'a servi un maître jaugeur au moins un an, à peine d'amende ; & en cas qu'il l'ait fait par ordre du maître, celui-ci en est responsable en son nom.

Il y a eu en France des jaugeurs pour les grosses mesures de liqueurs, dès que la police a commencé à y avoir des regles certaines. Il en est parlé dans le recueil des ordonnances de Saint Louis en 1258 ; & ils étoient alors commis par le prévôt des marchands & échevins de Paris. Charles VI. en 1415, en fixa le nombre pour cette ville à six jaugeurs & six apprentifs. Henri IV, par un édit de Février 1596, les créa en titre d'office, tant pour Paris que dans les autres villes, & leur attribua douze deniers par chaque muid. Louis XIII, en 1633, créa deux nouveaux jaugeurs, & augmenta leurs droits ; en 1645, Louis XIV créa huit nouveaux jaugeurs, & les droits de tous ces officiers furent portés à cinq sols par muid de vin, cidre, biere, eau-de-vie, &c. entrant à Paris par eau ou par terre. On ajoûta encore trente-deux nouveaux jaugeurs en 1689 ; cinquante-deux en 1690, & cinquante-deux autres en 1703, sous le titre d'essayeurs & contrôleurs d'eau-de-vie. Par un édit du mois de Mai 1715, tous les nouveaux offices créés depuis 1689 ayant été supprimés, les jurés jaugeurs se trouverent réduits à leur ancien nombre de seize. Celui des commis jaugeurs nommés pour les remplacer, fut fixé à 24 par arrêt du conseil, du 12 Septembre 1719 ; enfin les officiers jaugeurs ont été rétablis par l'édit de Juin 1730. Diction. de Commerce. (G)


JAUMIERES. f. (Marine) petite ouverture à la poupe du vaisseau proche de l'étambord, par laquelle le timon passe pour se joindre au gouvernail afin de le faire jouer. Cette ouverture a ordinairement de largeur en dedans les deux tiers de l'épaisseur du gouvernail, & en dehors un tiers moins qu'en dedans ; à l'égard de sa hauteur, elle est un peu plus grande que son ouverture intérieure. Lorsqu'on est en mer, on garnit quelquefois cette ouverture de toile gaudronnée, pour empêcher que l'eau n'entre par-là dans le vaisseau ; mais si on ne veut pas prendre cette précaution, on laisse entrer l'eau qui s'écoule par les côtés, sans autre inconvénient.


JAUNEadj. (Gram. Physiq. & Teint.) couleur brillante, & celle qui réfléchit le plus de lumiere après le blanc. Voyez COULEUR & LUMIERE.

Il y a plusieurs substances jaunes qui deviennent blanches, en les mettant alternativement pendant quelque tems au soleil & à la rosée, telles sont la cire, la toile de chanvre, &c. Voyez BLANCHISSEMENT, POIL, &c.

Ces mêmes substances, quoiqu'entierement blanches, si on les laisse long-tems sans les mouiller redeviennent jaunes.

Le papier & l'ivoire présentés au feu deviennent successivement jaunes, rouges & noirs. La soie qui est devenue jaune se blanchit, par le moyen de la fumée du soufre. Voyez BLANC & BLANCHEUR.

Le jaune en teinture est une des cinq couleurs primitives. Voyez COULEUR & TEINTURE.

Pour avoir les jaunes les plus fins, on commence par faire bouillir le drap ou l'étoffe dans de l'alun & de la potasse, ensuite on lui donne la couleur avec la gaude. Voyez GAUDE.

La turmeric donne aussi un bon jaune, mais moins estimé cependant. On a encore un bois des Indes, qui donne un jaune tirant sur l'or ; & l'on fait une quatrieme espece de jaune avec de la sariette, mais c'est le moindre de tous.

Le verd se fait ordinairement avec du jaune & du bleu, mêlés l'un avec l'autre.

Avec du jaune, du rouge de garance, & du poil de chevre teint par la garance, on fait le jaune doré, l'aurore, la pensée, le nacarat, l'isabelle & la couleur de chamois, qui sont toutes des nuances du jaune.

JAUNE DE NAPLES. (Peinture) Le jaune de Naples est une pierre seche, & trouée comme nos pierres communes que l'on met dans des fondations avec la chaux & sable pour faire corps ensemble ; elle est cependant friable. Elle se tire des environs du mont Vésuve, proche Naples, & participe beaucoup du soufre ; elle a un sel très-âcre, que l'on ne peut lui ôter qu'en la faisant tremper dans de l'eau, & la changeant d'eau tous les jours ; malgré cela le sel pénetre au travers de la terrine, & paroît tout blanc au-dehors ; il faut aussi la réduire en poudre avant de la mettre tremper, & lorsqu'on la broye sur le porphyre, ne point se servir de couteau de fer pour la ramasser, parce que le fer la fait verdir & noircir ; mais on se sert pour cela de couteau de bois de châtaignier, cette couleur est très-bonne à l'huile comme à l'eau.

JAUNE des Corroyeurs, couleur que ces ouvriers donnent aux cuirs ; cette couleur se fait avec de la graine d'Avignon & de l'alun, dont ils mettent une demi-livre de chacun sur trois pintes d'eau, qu'ils font bouillir à petit feu, jusqu'à ce que le tout soit réduit aux deux tiers pour le moins. Voyez CORROYEUR.

JAUNE d'oeuf. Voyez OEUF.


JAUNIRv. act. & neut. (Gram.) on dit ce corps jaunit ; on dit aussi jaunir un corps.

JAUNIR, en terme de Doreur en bois, se dit de l'action d'enduire un ouvrage à dorer d'une couche de jaune à l'eau après la couche d'assiette, pour rendre la dorure plus belle.

JAUNIR, en terme d'Epinglier, s'entend de la premiere de toutes les façons qu'on donne au fil de laiton. On le met pour cela dans une chaudiere, où il bout pendant quelque tems dans l'eau & de la gravelle ; on bat ensuite le paquet sur un billot, à force de bras, pour en séparer la rouille & la gravelle ; on le jette ensuite dans l'eau fraîche, on le fesse encore quelque tems, voyez FESSER ; on le fait sécher au feu ou au soleil, pour le tirer ensuite. Voyez TIRER. Voyez la Planche de l'Epinglier. Voyez aussi celle du laiton, & l'art. LAITON.

JAUNIR, en terme de Cloutier d'épingle, c'est éclaircir les clous de cuivre ou de laiton, en les secouant dans un pot de grès, avec du vinaigre ou de la gravelle. Voyez GRAVELLE.


JAUNISSES. f. (Médecine) est une maladie dont le symptome caractéristique est le changement de la couleur naturelle du corps en jaune ; on l'appelle aussi en françois par pléonasme, ictere jaune, en latin icterus flavus, aurigo, morbus regius ; en grec ; l'étymologie de ce mot vient d'une espece de belette, , ou milan, qu'on appelloit aussi du même nom, & qui avoient les yeux jaunes ; ainsi ictere est synonyme à jaunisse : les anciens l'employoient aussi dans ce sens-là. Hippocr. passim, & Galien, definit. medical. n°. 276. Le nom d'aurigo lui vient de la ressemblance qu'a la couleur du corps avec celle de l'or, c'est peut-être aussi pour cette raison qu'on l'appelle morbus regius ; cette étymologie a beaucoup excité les recherches des écrivains : c'est avec plus d'esprit que de raison que Quintus Serenus Sammonicus dit,

Regius est vero signatus nomine morbus,

Molliter hic quoniam celsà curatur in aulâ.

On distingue plusieurs especes de jaunisse, par rapport à la variété des symptomes, à la différence des causes, & à la maniere de l'invasion ; on peut diviser d'abord l'ictere en chaud & en froid, cette division est assez importante en pratique, en primaire & secondaire, en critique & symptomatique ; il y en a aussi une espece qui est périodique. La décoloration jaune qui constitue cette maladie, n'est quelquefois sensible que dans les yeux & au visage ; d'autres fois on l'observe sur toute l'habitude du corps ; l'ouverture des cadavres a fait voir que les parties intérieures sont aussi dans certains cas teintes de la même couleur ; il y a même des cas où elle a infecté jusqu'aux os. Thomas Kerkringius raconte, Observat. anatom. 57, qu'une femme ictérique accoucha d'un enfant attaqué de la même maladie, dont les os étoient très-jaunes. Toutes les humeurs de notre corps reçoivent aussi quelquefois la même couleur, la salive, la transpiration, la sueur, mais plus fréquemment les urines en sont teintes. On lit dans les relations du fameux voyageur Tavernier, que chez les Persans la sueur est quelquefois tellement jaune, que non-seulement elle teint de cette couleur les linges, les habits, les couvertures, mais que les vapeurs qui s'en exhalent font une impression jaune très-sensible sur les murs & les portraits qui se trouvent dans la chambre. On a trouvé dans quelques ictériques la liqueur du péricarde extrêmement jaune ; il y a quelques observations qui prouvent, si elles sont vraies, que la couleur même du sang a été changée en jaune ; Théodore Zwingerus dit avoir vû quelquefois le sang des personnes ictériques imitant la couleur de l'urine des chevaux, & il assure qu'ayant fait saigner une femme attaquée de jaunisse, il avoit peine à distinguer son sang d'avec son urine. Quelquefois la couleur jaune du visage devient si forte, si saturée, qu'elle tire sur le verd, le livide & le noir ; on donne alors à la maladie les noms impropres d'ictere verd & noir. La couleur des yeux est quelquefois si altérée, que la vue en est affoiblie & dérangée ; les objets paroissent aux ictériques tout jaunes, de même qu'ils trouvent souvent par la même raison, c'est-à-dire par le vice de la langue, tous les alimens amers. Outre cette décoloration, on observe dans la plûpart des ictériques des vomissemens, cardialgie, anxiétés, difficulté de respirer, lassitude, défaillances ; les malades se plaignent d'une douleur compressive aux environs du coeur, & vers la région inférieure du ventricule, d'un malaise, d'un tiraillement ou déchirement obscur, quelquefois d'une douleur vive dans l'hypocondre droit ; le pouls est toûjours petit, inégal, concentré, quelquefois, & sur-tout au commencement, dur & serré ; l'inégalité de ce pouls consiste, suivant M. Bordeaux, en ce que deux ou trois pulsations inégales entr'elles succedent à deux ou trois pulsations parfaitement égales, & qui semblent naturelles. Dans l'ictere chaud, la chaleur est plus forte, elle est acre, la soif est inextinguible, le pouls est dur & un peu vîte, les diarrhées sont bilieuses, de même que les rots & vomissemens, les urines sont presque rouges couleur de feu ; dans l'ictere froid, la chaleur est souvent moindre que dans l'état naturel, le pouls est sans beaucoup d'irritation, sans roideur, le ventre est constipé, les excrémens sont blanchâtres, les vomissemens glaireux, le corps est languissant, engourdi, fainéant, &c.

Les causes qui produisent le plus constamment cette maladie, les symptomes qui la constituent, les observations anatomiques faites sur le cadavre des ictériques, les qualités & propriétés connues de la bile, sont autant de raisons de présumer que la jaunisse est formée par une pléthore de bile mêlée avec le sang, ou par un sang d'un caractere bilieux. Les ouvertures de cadavres font presque toûjours appercevoir des vices dans le foie ; le plus souvent ce sont des obstructions dans le parenchime de ce viscere, occasionnées par une bile épaissie, ou par des calculs biliaires ; il y a un nombre infini d'observations, qu'on peut voir rapportées dans la bibliotheque médicinale de Manget, dans lesquelles on voit l'ictere produit, ou du moins accompagné de pierres biliaires dans la vésicule du fiel ; on en tira jusqu'à soixante & douze de la vésicule de Rumoldus van-der-Borcht, premier medecin de l'empereur Léopold, qui étoit mort d'une jaunisse. Journal des curieux, ann. 1670. On a trouvé dans plusieurs le foie extrêmement grossi, la vésicule du fiel gorgée de bile, le canal cholidoque obstrué, rempli de calculs & de vers. Barthel. Cabrol rapporte l'observation d'une jaunisse, occasionnée par la mauvaise conformation de ce conduit, qui étoit telle que son extrémité qui est du côté du foie étoit fort évasée, tandis que son ouverture dans les intestins étoit capillaire. On a vû aussi quelquefois la ratte d'une grosseur monstrueuse, ou d'une petitesse incroyable, remplie de concrétions, pourrie, ou manquant tout-à-fait. Zacutus-Lusitanus fait mention d'un ictere noir, survenu à une personne qui n'avoit point de rate, Prax. admirand. lib. III. observ. 137. Je supprime une foule d'autres semblables observations, qui donnent lieu de penser que dans la jaunisse la bile regorge dans le sang, ce qui peut arriver de deux façons, ou si le sang trop tourné à cette excrétion d'un caractere bilieux, en fournit plus qu'il ne peut s'en séparer, sans qu'il y ait aucun vice dans le foie ; en second lieu, si cette excrétion ou sécrétion est empêchée par l'épaississement de la bile, l'atonie des vaisseaux, leur obstruction, &c. le premier cas est celui de l'ictere chaud, qui est principalement excité par les passions d'ame vive, par des travaux excessifs, des voyages longs sous un soleil brûlant, par des boissons vineuses, spiritueuses, aromatiques, par l'inflammation du foie, par les fievres ardentes inflammatoires, par un émétique placé mal-à-propos ; ou un purgatif trop fort, la bile coule plus abondamment par le foie, excite des diarrhées bilieuses, & cependant va se séparer dans les autres couloirs, sans avoir égard aux lois de l'attraction & de l'affinité qui devroient l'en empêcher.

Les passions d'ame languissantes, une vie sédentaire, méditative, triste, mélancolique, des études forcées, faites sur-tout d'abord après le repas, sont les causes les plus fréquentes de l'ictere froid ; la morsure de quelques animaux, de la vipere, des araignées, des chiens enragés, &c. les exhalaisons du crapaud, l'aconit, & quelques autres poisons, excitent aussi quelquefois à l'ictere : ces causes concourent aux obstructions du foie, aux calculs biliaires, &c. La sécrétion de la bile empêchée pour lors, fait que le sang ne peut se décharger de celle qui s'est formée déja dans ses vaisseaux ou dans le foie, & il en passe très-peu dans les intestins, ce qui rend le ventre paresseux & les excrémens blanchâtres, &c.

Lorsque la jaunisse est l'effet d'une maladie aiguë & qu'elle paroît avant le septieme jour, c'est-à-dire avant la coction, elle est censée symptomatique ; celle qui paroît après ce tems-là, & qui termine la maladie, est critique. Lorsque la jaunisse succede à l'inflammation, ou skirrhe du foie, à la colique hépatique, elle est secondaire ou deutéropathique ; si elle paroît avant aucune lésion manifeste de ce viscere, on la dit primaire ou protopathique ; celle qui est périodique, dépend ordinairement des vers ou des calculs placés dans la vésicule du fiel ou dans le canal cholidoque.

Diagnostic. La plus légere attention à la couleur jaune de tout le corps, ou d'une partie du visage, des yeux, par exemple, suffit pour s'assurer de la présence de cette maladie, & l'on peut aussi facilement, de tout ce que nous avons dit, tirer un diagnostic assuré des especes & des causes.

Prognostic. La jaunisse ne sauroit être regardée comme une maladie dangereuse ; il est rare, lorsqu'elle est simple, d'y voir succomber les malades ; lorsqu'il y a danger, il vient des accidens qui s'y rencontrent, des causes particulieres des maladies qui l'ont déterminée, &c. La jaunisse est souvent salutaire, critique ; toutes les fois qu'elle paroît dans une fievre aiguë, le 7, le 9 ou le 14e. jour, elle est d'un bon augure, pourvû qu'en même tems l'hypochondre droit ne soit pas dur, autrement elle seroit un mauvais signe. Hippocr. aphor. 64. lib. IV. L'ictere survenu à certains buveurs qui ont des langueurs d'estomac, des coliques, dissipe tous ces symptomes, & met fin à un état valétudinaire auquel ils sont fort sujets. Il est fort avantageux aussi à quelques hystériques ; il est critique dans la maladie hectique chronique.

L'ictere est prêt à guérir quand le malade sent une démangeaison par tout le corps, que les urines deviennent troubles, chargées, que le pouls conservant son inégalité particuliere devient souple & mou ; on a observé que les sueurs, le flux hémorrhoïdal, la dissenterie, ont terminé cette maladie sujette à de fréquens retours. L'hydropisie est une suite assez fréquente des jaunisses négligées ou mal traitées, alors le foie se durcit, & c'est avec raison qu'Hippocrate regarde comme pernicieuse la tumeur dure du foie dans cette maladie. Aphor. 52. lib. VI. On peut aussi craindre quelquefois qu'il ne dégénere en abscès au foie. La tension du ventre, la tympanite, le vomissement purulent, les déjections de la même nature, l'oppression, les défaillances, la consomption, &c. sont dans cette maladie des signes mortels. Si l'ictere paroît sans frisson dans une maladie aiguë, avant le septieme jour, il est un signe fâcheux. Aphor. 62. lib. IV. L'ictere chaud est accompagné d'un danger plus promt, pressant, mais moins certain que le froid ; celui qui est périodique est très-fâcheux ; celui qui succede aux fievres intermittentes, aux inflammations du foie, est plus dangereux, il désigne un dérangement ancien & considérable dans le foie.

Les différentes especes de jaunisse demandent des traitemens particuliers ; les remedes, curations, qui conviennent dans l'ictere froid, seroient pernicieux dans le chaud ; & par la même raison, ceux qui pourroient réussir dans le chaud ne feroient que blanchir dans l'ictere froid ; les uns & les autres seroient tout au moins inutiles dans la jaunisse critique, qui ne demande aucune espece de remede. Les médicamens les plus appropriés dans l'ictere chaud sont les émétiques en lavage, les rafraîchissans antibilieux, acides, le petit lait nitré ; par exemple, une légere limonade, des aposemes avec la patience, la laitue, l'oseille, la racine de fraisier, le nitre, le cristal minéral, &c. Les purgatifs légers acidules conviennent très-bien, il est bon même de les réitérer souvent ; l'ictere qui dépend d'une cacochimie bilieuse, ne se dissipe que par de fréquens purgatifs. Hippocr. Epidem. lib. VII. Les médicamens appropriés pour lors sont les tamarins, la manne, la rhubarbe, & un peu de scammonée ; mais il faut avoir attention d'assouplir, de détendre, de relâcher auparavant les vaisseaux qui sont dans l'irritation, d'appaiser l'orgasme & la fougue du sang. Le même Hippocrate nous avertit de ne pas purger, de peur d'augmenter le trouble, de loc. in homin. On peut terminer le traitement de cet ictere par le petit lait ferré, les eaux minérales acidules ; telles sont celles de Vals, de Passi, de Forges, &c.

Dans l'ictere froid, l'indication qui se présente naturellement à remplir, est de diviser & de désobstruer ; parmi les apéritifs, il y en a qui exercent plus particulierement leur action sur le foie, ceux-là sont préférables ; tels sont l'aigremoine, le fumeterre, la chélidoine, la rhubarbe, & sur-tout l'aloës, qui a cette propriété dans un degré éminent. Avant d'en venir aux remedes stomachiques, hépatiques, actifs, il faut humecter, préparer par des légers apéritifs, principalement salins, des légeres dissolutions de sel de glauber, de sel de seignette, & autres semblables, après quoi on peut en venir aux opiates apéritives un peu plus énergiques ; celle qui est composée avec l'aloës & le tartre vitriolé produit des effets admirables. J'ai éprouvé dans pareils cas l'efficacité des cloportes écrasés en vie, & mêlés avec le suc de cerfeuil ; l'élixir de propriété de Paracelse, ou l'élixir de Garus, qui n'en differe pas beaucoup, sont aussi très-convenables dans ce cas-là. Les savonneux sont très-propres pour emporter les résidus d'une jaunisse mal guérie ; ils sont particulierement indiqués dans les jaunisses périodiques qui dépendent des calculs biliaires : on ne connoît pas jusqu'ici de dissolvans, de fondans plus assurés ; il s'en faut cependant de beaucoup qu'ils soient infaillibles. Lorsque l'ictere commence à se dissiper, il faut recourir aux martiaux, & sur-tout aux eaux minérales ferrugineuses, salines, & principalement aux thermales, comme celles de balaruc, &c. Comme dans cette espece d'ictere le ventre est paresseux, les lavemens peuvent avoir quelque avantage, ou du moins de la commodité ; ne pourroit-on pas suppléer le défaut de bile naturelle en faisant avaler des pilules composées avec la bile des animaux, comme quelques auteurs ont pensé ? Article de M. MENURET.

JAUNISSE, (Maréchallerie) c'est une maladie des chevaux, qui est fort approchante de la jaunisse des hommes.

Cette maladie est de deux especes, la jaune & la noire.

La jaune est, suivant les Maréchaux, une maladie fort ordinaire, qui vient d'obstructions dans le canal du fiel, ou dans les petits conduits qui y aboutissent : ces obstructions sont occasionnées par des matieres visqueuses ou graveleuses que l'on y trouve, ou par une plénitude ou une compression des vaisseaux sanguins qui l'avoisinent, moyennant quoi la matiere qui devroit se changer en fiel enfile les veines, & est portée dans toute la masse du sang, ce qui le teint en jaune ; desorte que les yeux, le dedans des levres, & les autres parties de la bouche, capables de faire voir cette couleur, paroissent toutes jaunes.

L'effet de cette maladie consiste à rendre un cheval lâche, pesant, morne, aisément surmené par le plus petit travail ou le moindre exercice, &c.


JAUTEREAUX(Marine) voyez JOUTEREAUX.


JAVA(L'ISLE DE) Géog. nom de deux îles de la mer des Indes, dont l'une est appellée la grande Java, & l'autre la petite Java, ou Bali.

La grande Java a au N. O. l'île de Sumatra, dont elle est séparée par le détroit de la Sonde, au N. les îles de Banea & de Bornéo, au N. E. l'île de Madura, à l'E. celle de Bali, & au S. la mer des Indes, qui la sépare de la terre d'Endraght, ou de la Concorde.

Les anciens ont connu l'île de Java, c'est la , Jaba diu de Ptolomée : ce mot diu, qui dans le langage des Indiens, veut dire une île, nous fait connoître que l'île de Java portoit déjà le même nom qu'aujourd'hui du tems de cet auteur, & c'est une chose bien remarquable. Ptolomée ajoute, que Jaba diu, signifie l'île de l'Orge, & l'on sait qu'il y vient très-bien, quoique les naturels du pays y cultivent le riz par préférence, s'étant accoutumés à cette nourriture, de même que les étrangers qui viennent l'habiter.

Il semble que les habitans de Bornéo ayent les premiers découverts cette île ; du-moins ils y ont eu un grand hameau, mais elle est au pouvoir des Hollandois, qui en 1619, ont établi le centre de leur commerce à Batavia. Cependant ils ne sont pas les uniques souverains de l'île ; elle a ses rois & ses peuples qui sont alliés de la compagnie ; cette compagnie possede la côte du Nord, où elle a bâti de très-bonnes forteresses pour sa défense ; la côte méridionale est occupée par des peuples indomptés, & indépendans, dont le plus puissant est le sourapati ; l'intérieur du pays est sous la domination d'un empereur appellé le Mataram, qui fait sa résidence à Cartasoura.

L'île de Java comprend le royaume de Bantam, le royaume de Jacarra ou de Batavia, la province de Karavang qui appartient en propre à la compagnie, le royaume de Tsieribom qui est considérable : son roi est indépendant du Mataram, & allié des Hollandois. On trouve ensuite le pays de Tagal, où sont de vastes campagnes de riz, le petit royaume de Gressic qui a son roi particulier le meilleur ami des Hollandois, & le pays de Diapan.

Presque toute la côte méridionale est bornée par une chaîne de montagnes, qui enferme une vaste région presque inaccessible ; c'est entre cette chaîne & la mer, que se trouve le pays de Kadoevang, qui est soumis à l'empereur ; mais cet empereur même ne regne que par la protection que lui donne la compagnie ; à plus forte raison peut-elle compter sur les vassaux de cet empereur. De plus elle ne doit rien craindre des peuples qui sont entre la mer & les montagnes au midi de l'île ; en un mot, elle a par tout la supériorité territoriale, & finalement ce qui lui assure la possession de la grande Java, c'est la conquête qu'elle a fait de l'île de Madura, qui lui est assurée par un traité conclu en 1725, & exécuté jusqu'à ce jour.

L'île de Java en renferme plusieurs autres ; elle est traversée par diverses grandes montagnes, & coupée par quantité de rivieres ; elle produit beaucoup de riz ; on y recueille du poivre, du gingembre, des oignons, de l'ail ; elle abonde en fruits, cocos, mangues, citrons, concombres, citrouilles, bananes, pommes d'or, &c. On n'y manque ni de drogues, ni de gommes, ni d'épiceries ; on y a très-abondamment des bêtes domestiques & sauvages, des boeufs, des vaches, des brebis, des chevres, & même des chevaux ; la volaille, les paons, les pigeons, les perroquets y multiplient à souhait.

Les lieux inhabités sont peuplés de tigres, de rhinocéros, de cerfs, de bufles, de sangliers, de fouines, de chats sauvages, de civettes, de serpens ; & les rivieres ont des crocodiles très-dangereux pour ceux qui s'y baignent, ou qui se promenent sur le rivage sans précaution. Quelques montagnes de l'île ont des volcans, qui jettent bien loin des cendres, des flammes, & de la fumée.

La religion des Javans est la mahométane, que leur a porté un arabe, dont le tombeau est en grande vénération dans le pays. Les Européens y professent comme en Hollande, la religion réformée : Valentin qui a séjourné long-tems dans cette île, en a publié en hollandois la description la plus exacte, mais trop diffuse, & compilée sans ordre ; l'article qu'en a donné M. de la Martiniere, ne laisse rien à desirer.

La grande île de Java gît ès-quart de sud-est, près de l'île de Sumatra, entre le 123 & le 134d de long. & entre le sixiemed de lat. sud pour sa partie la plus septentrionale, & 8d. 30'. pour sa partie la plus méridionale.

La petite Java s'appelle autrement l'île de Bali, & est située à l'E. de l'île de Java ; elle n'a que douze lieues d'Allemagne de circuit : on remarque au sud de cette île un grand cap très-haut.

Le cap du nord gît par les 8d. 30'. de lat. sud ; l'île de Bali est très-peuplée ; ses habitans sont idolâtres, noirs, & ont des cheveux crépus ; le pays abonde en coton, en riz, en gros & menu bétail, & en chevaux de la plus petite race ; les fruits les plus communs, sont des noix de coco, des oranges, & des citrons, dont on voit des lieux incultes & des bois tous remplis ; la mer y est des plus poissonneuses ; le prince de Bali exerce sur ses sujets un empire absolu ; son île est une rade commune pour les vaisseaux qui vont aux îles Moluques, à Banda, Amboine, Macassar, Timor, & Solor ; ils viennent tous relâcher ici pour y prendre des rafaîchissemens, à cause de l'abondance & du bon marché des denrées ; la ville capitale de l'île porte aussi le nom de Bali. (D.J.)


JAVARISS. m. (Hist. nat. Zoologie) animal quadrupede assez semblable au sanglier, qui se trouve dans quelques parties de l'Amérique ; ses oreilles sont très-courtes, & il n'a presque point de queue ; son nombril est sur le dos ; il y a de ces animaux qui sont tout noirs ; d'autres sont mouchetés de blanc ; ils ont un cri plus desagréable que celui du cochon ; leur chair est assez bonne à manger ; ils sont difficiles à prendre, parce que, dit-on, ils ont sur le dos une ouverture par où l'air entre & rafraîchit leur poûmon, ce qui fait qu'ils peuvent courir long-tems sans se fatiguer ; d'ailleurs ils sont armés de fortes dents ou défenses.


JAVARTS. m. (Maréchallerie) c'est une petite tumeur qui se résoud en apostume ou bourbillon, & se forme au paturon sous le boulet, & quelquefois sous la corne : le javart nerveux est celui qui vient sur le nerf, & javart encorné, celui qui vient sous la corne. Il faut dessoler le plus souvent un cheval qui a un javart encorné, & lui couper le tendon. Voyez DESSOLER. Dictionn. de Trévoux.


JAVEAUS. m. (Jurisprud.) terme usité en matiere d'eaux & forêts, pour exprimer une île nouvellement formée au milieu d'une riviere par alluvion ou amas de limon & de sable. Voyez l'ordonnance des eaux & forêts, tit. I. art. jv. (A)


JAVELINES. f. (Art. milit.) on appelloit ainsi une espece de demi-pique dont les anciens se servoient. Elle avoit cinq piés & demi de long, & son fer avoit trois faces aboutissantes en pointe ; on s'en servoit à pié & à cheval : cette arme est encore en usage parmi les cavaliers arabes, ceux du royaume de Fez & de Maroc. Elle a environ huit piés de longueur ; le bois va un peu en diminuant depuis le milieu jusqu'au talon, où il y a une espece de rebord de plomb ou de cuivre, du poids d'une demi-livre ; la lance d'un grand pié de long très-aiguë & très-tranchante, de deux pouces ou environ dans sa plus grande largeur, avec une petite banderolle sous le fer. Les Maures se servent de cette javeline avec une adresse surprenante ; ils la tiennent à la main par les bouts des doigts & en équilibre ; & le poids qui est à l'extrémité du talon fait que le côté du fer est toûjours plus long que vers le talon ; ce qui sert à faire porter le coup plus loin.

M. le chevalier de Folard prétend qu'on ne peut rien imaginer de plus redoutable que cette arme pour la cavalerie. Le moyen, dit-il, d'aborder un escadron armé de la sorte, qui au premier choc jette un premier rang par terre, & en fait autant du second, si celui-ci veut tenter l'avanture, chaque cavalier étant comme assûré de tuer son homme ; car il porte son coup de toute la longueur de son arme, en se levant droit sur les étriers. Il se baisse & il s'étend jusques sur le cou de son cheval, & porte son coup avec tant de force & de roideur, qu'il perce un homme d'outre en outre, avant qu'il ait eu le tems de l'approcher, & il se releve avec la même légereté & la même vigueur pour redoubler encore. Le lancier n'avoit qu'un coup à donner, & ce coup n'étoit jamais sans remede, l'ennemi pouvant l'éviter en s'ouvrant ; mais rien ne sauroit résister contre la lance des Maures, qui charge par coups redoublés, comme l'on feroit avec une épée. Comment. de Polybe, par M. le chevalier Folard.


JAVELLES. f. (Econ. rustiq.) c'est la quantité de blé, d'avoine, de seigle, ou d'un autre grain qui se moissonne, que le moissonneur peut embrasser avec sa faucille & couper d'une seule fois : on ramasse les javelles, & l'on en forme des gerbes.

On appelle avoines javelées, celles dont le grain est devenu noir & pesant par la pluie qui les a mouillées en javelles. De javelle, on a fait le verbe javeller : javeller, c'est mettre le grain en javelle, pour le faire sécher ; il faut laisser javeller le blé pendant trois ou quatre jours : dans les saisons pluvieuses, le blé est plus long-tems à javeller.


JAVELOTS. m. jaculus, acontias, serpens, sagittaris, (Hist. nat.) ce serpent a été ainsi nommé, parce qu'étant monté sur les arbres, il s'élance de branche en branche, & même d'un arbre à l'autre, & qu'il tombe comme un trait sur les animaux & même sur les hommes qui sont aux alentours, il est si promt qu'on l'a aussi appellé serpent volant : on dit qu'il se porte d'un seul saut à la distance de vingt coudées ; on lui a aussi donné le nom de cenchrias, aspisacontias, &c. Il y a différentes especes d'acontias ; Belon en trouva un dans l'îsle de Rhode qui avoit trois palmes de longueur, il n'étoit pas plus gros que le petit doigt ; sa couleur étoit cendrée, tirant sur le blanc de lait ; il avoit le ventre tout blanc & le cou noir, deux bandes noires s'étendoient sur toute la longueur du dos jusqu'à la queue ; il étoit parsemé de taches noires pas plus grandes que des lentilles, & entourées d'un cercle blanc. On trouve des serpens acontias en Afrique, en Egypte, en Norvege, & dans quelques îles de la Méditerranée. Mathiole a dit qu'il y en avoit en Sicile & en Calabre, mais on en doute, il faudroit savoir si le serpent que les habitans de ces pays appellent saettone est un acontias ; on prétend que ces serpens ont un venin qui produit des effets plus violens que le venin de la vipere. Belon, Aldrovande, Jonston. Voyez SERPENT.

JAVELOT, (Art milit.) espece de dard, dont se servoient les anciens, & particulierement les vélites ou troupes légeres des Romains. Il avoit pour l'ordinaire deux coudées de long & un doigt de grosseur. La pointe étoit longue d'une grande palme, & si amenuisée, dit Polybe, qu'au premier coup elle se faussoit, ce qui empêchoit les ennemis de la renvoyer.

JAVELOT, (Art milit.) espece de petite pique qui s'élançoit sans le secours de l'arc, c'est-à-dire par la force seule du bras. Le javelot étoit plus court que la javeline ou demi-pique, dont les anciens se servoient tant à pié qu'à cheval. Voyez ARMES DES ROMAINS.

JAVELOT, (Gymnast. athlétiq.) espece de dard que l'on lançoit contre un but dans les jeux agonistiques, & celui qui le lançoit le plus près du but étoit victorieux à cet égard. Le javelot dont se servoient les Pentathles, se nommoit chez les Grecs, & l'exercice s'appelloit ; c'étoit un des cinq qui composoient le pentathle, suivant l'opinion la plus commune ; les quatre autres étoient la course, le saut, le disque & la lutte. Dans la suite des tems, on y admit le pugilat, en retenant néanmoins le nom de pentathle consacré par un long usage. Voyez PENTATHLE. (D.J.)


JAVER(Géog.) ville d'Allemagne, capitale d'une province considérable de même nom, dans la basse Silésie, avec une citadelle & une grande place environnée de portiques ; elle est à 5 lieues S. E. de Schweidnitz, 12 S. O. de Breslaw, 35 N. E. de Prague. Long. 34. 4'. lat. 50. 66. (D.J.)


JAXARTESS. m. (Géog.) riviere d'Asie qui bornoit la Sogdiane au nord, & la Scythie au midi. Alexandre & ses soldats prirent le Jaxartes pour le Tanaïs, dont ils étoient bien loin ; mais si cette erreur est excusable dans des gens de guerre désorientés, elle n'est point pardonnable à Quinte-Curce, qui, liv. VI. liv. VII. & ailleurs, appelle toûjours cette riviere le Tanaïs. Le nom moderne que les historiens lui donnent est Sihun. Voyez SIHUN.

J'ajouterai seulement ici que le Jaxartes, qui formoit autrefois une barriere entre les nations policées & les nations barbares, a été détourné comme l'Oxus par les Tartares, & ne va plus jusqu'à la mer. (D.J.)


JAYET(Chimie & Matiere médicinale) l'analyse chimique prouve clairement que le jayet est un bitume fort analogue au charbon de terre, dont il ne différe presque que par un plus grand degré de pureté, & une moindre proportion de parties terrestres. Le jayet distillé sans intermede donne d'abord un phlegme blanchâtre un peu acide, & une huile empyreumatique qui devient de plus en plus noire & épaisse. Il laisse un residu abondant très-spongieux, qui n'a pas été examiné que je sache.

Le jayet s'enflamme aisément & sans le secours des soufflets ; il brûle en repandant une fumée noire & épaisse, & il ne se fond point au feu. L'esprit-de-vin n'en tire qu'une teinture très-legere.

Quelques anciens, tels que Dioscoride & Aëtius, ont celebré dans le jayet la vertu émolliente & résolutive ; le dernier de ces auteurs dit que le vin, dans lequel on a éteint des morceaux de jayet enflammés, guérit la cardialgie. On ne fait plus d'usage, parmi nous, que de son huile, soit noire, soit rectifiée. On la fait flairer aux femmes pendant les paroxysmes de passion hystérique, & l'odeur bien forte de cette huile les soulage en effet ; on donne aussi quelquefois intérieurement cette huile rectifiée, aussi bien que l'huile de succin, contre les vapeurs hystériques, & la supression des menstrues & des vuidanges. Il regne au sujet de ce remede une erreur populaire qui n'a pas le plus leger fondement. On pense communément que l'usage intérieur de l'huile de jayet cause infailliblement la stérilité, & que les lois défendent au médecin d'en donner à une femme sans l'aveu de son mari. (b)


JAYET GAGATE(Hist. nat.) Voyez JAIS.


JAZYGES(Géog. anc.) peuples de Sarmatie en Europe, au-delà de la Germanie à l'orient. Les Jazyges Métanastes, qui furent subjugués par les Romains, mains, habitoient sur les bords de la Theisse & du Danube ; voilà tout ce que nous en savons aujourd'hui, quoique Ptolomée ait indiqué leurs bornes & leurs villes, avec les degrés de longitude & de latitude, dans un chapitre exprès qu'il leur a destiné ; c'est le chapitre vij. du livre III. de son ouvrage. (D.J.)


Jou Gé, s. m. (Commerce) mesure des longueurs dont on se sert en quelques endroits des Indes. Voyez GE.

Jé, mesure des liqueurs dont on se sert en quelques lieux d'Allemagne, particulierement à Augsbourg. Le jé est de deux muids, ou de douze besons, le beson de douze masses ; huit jé font le féoder. Voyez BESON, MASSE, FEODER. Dict. de commerce.


JEAN(Evangile de S. Jean) nom d'un des livres canoniques du Nouveau Testament, qui contient l'histoire de la vie & des miracles de Jesus-Christ, écrite par l'apôtre S. Jean, fils de Zébédée & de Salomé.

On croit que cet apôtre étoit dans une extrême vieillesse, lorsque vers l'an du salut 97 les évêques & les fideles d'Asie lui ayant demandé avec empressement qu'il leur écrivît l'histoire de ce qu'il avoit vû & oui de notre Sauveur, il se rendit à leurs desirs. Il s'appliqua principalement à y rapporter ce qui sert à établir la divinité du Verbe, contre certains hérétiques d'alors qui la nioient. La sublimité des connoissances qui regne au commencement de cet évangile, a fait donner à S. Jean le surnom de théologien.

Outre cet évangile, & l'apocalypse dont nous avons parlé sous son titre, cet apôtre a composé trois épitres, que l'Eglise reconnoît pour canoniques. On lui a supposé quelques écrits apocryphes, par exemple, un livre de ses prétendus voyages ; des actes dont se servoient les Encratites, les Manichéens & les Priscillianistes ; un livre de la mort & de l'assomption de la Vierge ; un symbole, que l'on prétendoit avoir été donné à S. Grégoire de Néocésarée par la sainte Vierge & par saint Jean. Ce symbole fut cité dans le cinquieme concile écuménique ; mais les actes & l'histoire dont nous venons de parler, ont été de tout tems généralement reconnus pour apocryphes. Calmet, Dict. de la Bible.

JEAN, S. (Hist. eccles.) il y a un grand nombre de communautés ecclésiastiques & religieuses instituées sous le nom de S. Jean. Les unes subsistent encore ; d'autres se sont éteintes. L'histoire ecclésiastique fait mention des chanoines hospitaliers de S. Jean-Baptiste de Conventry, en Angleterre. Honorius III. les approuva ; ils porterent une croix noire sur leurs robes & sur leurs manteaux, qui les fit nommer porte-croix. Il y avoit aussi des soeurs hospitalieres du même nom. Il est parlé des hospitaliers & des hospitalieres de S. Jean-Baptiste de Nottingham ; des hermites de S. Jean-Baptiste de la pénitence, établis en Navarre sous l'obéissance de l'évêque de Pampelune, & confirmés par Grégoire XIII ; des hermites de S. Jean Baptiste, fondés en France par le frere Michel de Sainte Sabine, en 1630, pour la réformation des hermites ; une congrégation de chanoines particuliers en Portugal, sous le titre de S. Jean l'évangéliste ; l'ordre de S. Jean de Jérusalem, de S. Jean de Latran, &c.

JEAN, (mal de S.) c'est une espece de maladie convulsive, qui tient de la nature de l'épilepsie, dans laquelle on tombe de son haut, après s'être fort agité, comme en dansant, en sautant, ce qui l'a fait confondre avec le mal caduc, selon le Dictionnaire de Trévoux. Elle a beaucoup de rapport avec la maladie du même genre, appellée la danse de S. Wit. Voyez EPILEPSIE, DANSE DE S. WIT.

JEAN, S. (Géog.) petite ville de France au Vasgau, aux confins de la Lorraine, sur la Sare, dans le Comté de Sarbruck ; elle est à 5 lieues O. de Deux-Ponts. Long. 25. 47. lat. 49. 16. (D.J.)

JEAN, riviere de S. (Géog.) grande riviere de l'Amérique septentrionale, dans l'Acadie, où elle coule derriere le cap Rouge, à 45 deg. 40 min. de lat. septentr. Cette riviere est fort dangereuse, si on ne reconnoît bien les basses, les rochers, & les pointes qui sont des deux côtés ; elle est renommée pour la pêche des saumons.

Il y a une autre riviere de ce nom dans la Louisiane ; cette derniere riviere a un cours d'une quarantaine de lieues d'occident en orient, & se jette dans la mer à environ dix lieues de la riviere de May. (D.J.)

JEAN D'ANGELY, S. (Géog.) Angeriacum, ancienne ville de France en Saintonge, avec une abbaye de bénédictins, fondée en 942 par Pepin, roi d'Aquitaine ; elle est sur la Boutonne, à six lieues N. E. de Saintes, 13 S. E. de la Rochelle, 92 S. O. de Paris. Long. 17. 5. lat. 45. 55.

Cette ville a été le lieu de la naissance de Priolo, & celui de la mort du premier prince de Condé.

Priolo (Benjamin) naquit en 1602 ; il est auteur d'une histoire latine de France, qui s'étend depuis 1601 jusqu'à 1664 ; il la composa dans un esprit éloigné de la flatterie, quoiqu'il eût des pensions du roi, qui l'employa à des négociations importantes. Cette histoire doit plaire à ceux qui aiment les portraits & les caracteres, car les phrases de Tacite en fournissent presque toutes les couleurs, & semblent s'y être placées d'elles-mêmes.

Henri de Bourbon, premier du nom, prince de Condé, mourut vraisemblablement de poison à S. Jean d'Angély, en 1588, âgé de 35 ans. Le roi de Navarre (Henri IV.) son cousin, n'en reçut la nouvelle qu'en versant un torrent de larmes, purpureos & ego spargam flores ; il les mérite par ses malheurs & par ses vertus. Humain, brave, affable, ferme, généreux, éloquent, il joignit, d'après l'exemple de son pere, toutes les vertus du héros à l'amour & à la pratique de sa religion ; ayant échappé comme on sait avec le roi de Navarre au massacre de la S. Barthélemi, il répondit à Charles IX. qui vouloit par la force l'engager à changer de religion, que son autorité ne s'étendoit pas sur les consciences, & en même tems il quitta la cour. Il est grand-pere du célebre prince de Condé (Louis de Bourbon, II. du nom), si fameux par les batailles de Rocroy, de Fribourg, de Nortlingue, de Lens, de Sénef, &c. (D.J.)

JEAN DE LONE, S. (Géog.) petite ville de France en Bourgogne, dans le Dijonois, chef lieu du bailliage de même nom, & la sixieme qui députe aux états. Les armées de l'empereur, du roi d'Espagne, & du duc Charles de Lorraine, formant 80 mille hommes, furent contraintes d'en lever le siege en 1635. Louis XIII. par reconnoissance lui accorda une exemption perpétuelle de tailles, taillons, & de tous autres subsides en 1636. Peut-être que le nom qu'elle porte lui vient d'un temple que Latone avoit dans l'endroit où elle est située ; c'est sur la Saône, à 6 lieues S. de Dijon, 3 d'Auxonne, 62 S. E. de Paris. Long. 22. 44. lat. 47. 10. (D.J.)

JEAN DE LUZ, S. (Géog.) Lucius Vicus ; le nom basque est Loitzun, petite ville de France en Gascogne, la deuxieme du pays de Labour, & la derniere du côté de l'Espagne, avec un port. Elle est sur une petite riviere, que Piganiol de la Force nomme la Ninette, & M. Delisle le Nivelet, à 4 lieues N. E. de Fontarabie, 4 S. O. de Bayonne, 174 S. O. de Paris. Long. 15. 59. 28. lat. 43. 23. 15. (D.J.)

JEAN DE MAURIENNE, S. (Géog.) petite ville de Savoie, sans murailles, capitale du comté de Maurienne, dans la vallée du même nom, avec un évêché suffragant de l'archevêché de Vienne ; elle est sur la riviere d'Arche, aux confins du Dauphiné, à 5 lieues S. O. de Moutiers, 10 N. E. de Grenoble, 9 S. E. de Chambéry. Long. 24. 1. lat. 45. 118. (D.J.)

JEAN-PIED-DE-PORT, S. (Géog.) ville de France en Gascogne, à une lieue des frontieres d'Espagne, autrefois capitale de la basse Navarre, avec une citadelle sur une hauteur. Antonin appelle ce lieu imus Pyrenaeus, le pié des Pyrénées, parce qu'en effet il est au pié de cette chaîne de montagnes ; dans ce pays-là on appelle port les passages ou défilés par où l'on peut traverser les Pyrénées, & comme cette ville de S. Jean est à l'entrée de ces ports ou passages, on la nomme S. Jean-pied-de-port, elle est sur la Nive, à l'entrée d'un des passages des Pyrénées, à 8 lieues S. E. de Bayonne, 12 N. E. de Pampelune, 176 S. O. de Paris. Long. 16. 22. lat. 43. 8. (D.J.)

JEAN D'ULUA, S. (Géog.) petite île de l'Amérique septentrionale sur la mer du nord, dans la nouvelle Espagne, à l'entrée du port de la Véra-Crux ; elle a été découverte vers l'an 1518, par Grijalva. Long. 280. 20. lat. 19. (D.J.)


JEAN-LE-BLANCS. m. (Hist. nat. Ornithol.) oiseau de S. Martin, pigargus, oiseau du genre des aigles. Willughbi a donné la description d'un jean-le-blanc qui étoit mâle, & de la grandeur d'un coq-d'inde, & qui pesoit huit livres & demie ; il avoit six piés quatre pouces d'envergure, & environ deux piés & demi de longueur depuis l'extrémité du bec jusqu'au bout de la queue. Le bec étoit crochu, & la membrane qui recouvroit sa base avoit une couleur jaune ; les yeux étoient grands & enfoncés, les piés avoient une couleur jaunâtre, les ongles étoient courbes, celui du doigt de derriere avoit un pouce de longueur ; la tête étoit blanche, le commencement du cou avoit une couleur roussâtre, le croupion étoit noirâtre ; au reste, le corps avoit une couleur obscure de rouille de fer. Il y avoit dans chaque aîle vingt-sept grandes plumes noirâtres, elles sont bonnes pour écrire ; les bords des petites plumes étoient de couleur cendrée ; la queue étoit composée de douze plumes, en partie noires & en partie blanches. Cet oiseau differe de celui qu'Aldrovande a décrit sous le nom de pigargus. Willugh. Ornit. Voyez OISEAU.

JEAN DE GAND, (Hist. nat.) nom donné par les navigateurs Hollandois à un oiseau qui se trouve dans le nord, sur les côtes de Spitzberg ; il a la grosseur & la forme d'une cygogne, ses plumes sont blanches & noires comme les siennes ; mais il a les pattes fort larges. Il vit de poissons, sur lesquels il s'élance avec une dextérité singuliere : cet oiseau habite les mers du nord, où se font les pêches du hareng.


JEANNEL'ILE DE SAINTE, (Géog.) île de la mer des Indes, l'une des quatre îles de Comore, proche de l'extrémité de l'île de Madagascar ; on conjecture qu'elle a environ 30 milles de longueur, & 15 de largeur ; sa fertilité engage les vaisseaux d'Europe qui vont vers Surate, & les parties septentrionales des Indes, à aller s'y rafraîchir ; elle abonde en riz, en poivre, en bananes, en oranges, en citrons, en limons, & autres fruits, dont la plûpart viennent sans culture. On y voit aussi beaucoup de miel & de cannes de sucre ; tous les fruits y sont communs, à l'exception des noix de coco. La religion des habitans est la mahométane, mêlée de superstitions ; il y a dans cette île de belles mosquées. Les femmes y sont en quelque maniere esclaves, car elles cultivent seules la terre, servent leurs maris, & leur préparent à manger : on y marie les filles à l'âge de 11 ou 12 ans, au plus tard. Lat. mérid. 12. 30. (D.J.)


JEBLEVoyez YEBLE.


JEBUSESS. f. pl. (Hist. mod. superstition) espece de prêtresse de l'île de Formosa ou de TayVan, qui est située vis-à-vis de la province de ToKyen. Ces prêtresses, qui font le métier de sorcieres & de devineresses, en imposent au peuple par des tours de force au-dessus de leur portée ; elles commencent leurs cérémonies par le sacrifice de quelques porcs ou d'autres animaux ; ensuite, à force de contorsions, de postures indécentes, de chants, de cris & de conjurations, elles parviennent à s'aliéner, & entrent dans une espece de frénésie, à la suite de laquelle elles prétendent avoir eu des visions, & être en état de prédire l'avenir, d'annoncer le tems qu'il fera, de chasser les esprits malins, &c. Une autre fonction des jébuses ou prêtresses de Formosa, est de fouler aux piés les femmes qui sont devenues grosses avant l'âge de trente-sept ans, afin de les faire avorter, parce qu'il n'est, dit-on, point permis par les lois du pays de devenir mere avant cet âge.


JÉÇO(Géog.) grande île d'Asie, au nord de la partie septentrionale de Niphon, gouvernée par un prince tributaire, & dépendant de l'empereur du Japon. Elle est remplie de bois ; les habitans ne vivent presque que de chasse & de poisson. Quelques cartes mettent ce pays d'Asie entre les 200 & 230 deg. de long. mais c'est une erreur de plus de 50 degrés. Kempfer assure que cette île est à 42 degrés de lat. sept. N. N. E. vis-à-vis la grande province d'Osin. (D.J.)


JECTIGATIONS. f. (Méd.) jectigatio, ce terme a plus d'une signification ; il est pris pour une espece de tremblement, de mouvement convulsif, de palpitation que l'on ressent dans tout le corps ou dans le coeur seulement, ou dans tout autre organe ou membre en particulier ; ensorte que, selon van Helmont (tr. de caduc.), la jectigation est une espece d'épilepsie. Voyez EPILEPSIE, PALPITATION.

Sennert emploie ce mot dans un autre sens ; selon cet auteur (oper. tom. II. lib. I. part. II. cap. xxiij.), on doit le regarder comme barbare ; il signifie la même chose qu'inquiétude, anxiété, jactation, qui sont un symptome de maladie. Voyez JACTATION.


JEDBINSK(Géog.) ville de la petite Pologne, dans le Palatinat de Sendomir.


JEDOGAWA-TSUTSUSI(Hist. nat. Botan.) c'est un cytise fort célebre au Japon ; ses rameaux sont hérissés de pointes ; sa feuille est couverte de poils, & de la figure d'un fer de lance. On en distingue un à fleurs blanches, un autre à fleurs purpurines, & un autre à fleurs incarnates.


JEGUR(Hist. nat.) C'est le nom qu'on donne en Tartarie à une espece de graine dont la tige ressemble assez à une canne de sucre, & s'éleve aussi haut qu'elle ; la graine est semblable à du riz, & forme comme une espece de grappe au sommet de la tige. Les habitans du pays la mangent ; elle croît abondamment sur les bords de la riviere d'Amon, qui est l'Oxus des anciens.


JEHOVou JEHOVAH, s. m. (Gramm. & Hist.) nom propre de Dieu dans la langue hébraïque. Son étymologie, sa force, sa signification, ses voyelles & sa prononciation ont enfanté des volumes ; il vient du mot être ; Jehovah est celui qui est.


JEJUNUMS. f. (Anat.) le second des intestins grêles, à qui l'on a donné ce nom parce qu'on le trouve toûjours moins plein que les autres. Voyez INTESTINS.


JELLES. m. (Navigation) c'est le nom que l'on donne à des bâtimens pointus par la poupe & par la proue, qui sont fort en usage en Norvege & en Russie.


JEMMou GEMENé, (Géog.) riviere de l'Indoustan, qui passe par les villes d'Agra & de Dehli, & qui se jette dans le Gange à environ 23 dégrés de latitude septentrionale.


JEMPTERLANDJemptia, (Géog.) contrée de Suede dans sa partie septentrionale, entre la Laponie, l'Angermanie, la Médelpadie, l'Helsingie, & la Dalécarlie. Elle est pauvre, dépeuplée, & n'a que quelques bourgs & quelques villages. (D.J.)


JEMSÉE(Géog.) ville du royaume de Suede, en Finlande, dans la province de Tavasthus, près d'un lac fort-poissonneux.


JEN-Y-CÉRIS-EFFENDIS. m. (Hist. Turq.) officier des janissaires, dont la charge répond à celle de prevôt d'armée dans nos régimens. Il juge des différends & de légers délits qui peuvent survenir parmi les janissaires ; s'il s'agit de délits considérables, & de choses très-graves, il en fait son rapport à l'aga qui décide en dernier ressort. Voyez JANISSAIRE. (D.J.)


JENCKAU(Géog.) ville de Bohème, dans le cercle de Czaslau, sur la route de Prague à Vienne.


JENDAYAS. m. (Ornith. exot.) espece de perroquet du Brésil, qui est de la grosseur du merle, & a comme cet oiseau le bec & les jambes noirs. Son dos, ses aîles & sa queue sont d'un verd bleuâtre ; le bout des aîles est noirâtre ; sa tête, le cou & la poitrine sont d'un jaune pâle, avec un mélange d'un jaune plus foncé en quelques endroits. Marggrave, Hist. brasil. (D.J.)


JÈNE(Géog.) ville d'Allemagne en Thuringe, dans les états de la maison de Saxe-Eisenac, avec une université qui fait tout son lustre. Elle est sur la Sala, à 2 lieues sud-est de Weimar, 4 sud-ouest de Naumbourg, 7 sud est d'Erford. Schutteus (Joh. Henr.) a donné une description de ses fossiles & de ses minéraux, sous le titre de Orychtographia Jenensis. Lipsiae, 1720, in 8°. Long. selon Cassini, 28, 55, 30, lat. 54, 25.

Entre les médecins qu'a produit Jène, car la médecine y est cultivée, je me contenterai de nommer Schelhammer (Gonthier Christophe), qui a publié plusieurs ouvrages dont les principaux sont : In physiologiam introductio, Helmstad 1681, in-4°. De auditu, Lugd. Batav. 1684. in-8°. De tumoribus, Jenae 1695, in-4°. De nitro, vitriolo, alumine & atramentis, Amstel. 1709, in-8°. (D.J.)


JENÉEN(Géog.) vieille ville d'Asie, dans la Palestine, avec un ancien château & deux mosquées. C'est le lieu de la résidence d'un émir qui leve un caphar sur tous ceux qui vont de Jérusalem à Nazareth. On seroit tenté de croire que c'est la Nain de l'Ecriture, si Maundrell ne les distinguoit dans son voyage d'Alep à Jérusalem. (D.J.)


JENIPAou JENIPAPAN, s. m. (Hist. nat. Bot.) espece de calebasse des Indes, de la grosseur d'un oeuf de canard ; l'écorce n'en est point dure, la chair qui est à l'intérieur est blanche, mêlée de petits grains applatis ; le goût en est un peu âpre, sans cependant être desagréable ; l'arbre qui porte ce fruit ressemble au frêne ; son écorce, comme celle du fruit, est d'un gris clair. Dict. de Hubner.


JÉNISESKOIautrement JÉNISCÉA, ou JÉNISEISK, (Géog.) ville assez peuplée de l'empire russien dans la Tartarie, en Sibérie, sur la riviere dont elle prend le nom, aux confins des Ostiaques & des Tunguses. On y a du bled, de la viande de boucherie, & de la volaille. Les Tunguses payens qui habitent le long de la riviere, y payent au souverain de Russie un tribut de toutes sortes de pelletteries. La grande riviere qu'on nomme la Jeniscéa, se déborde comme le Nil, l'espace de 70 milles, & fertilise les terres qu'elle inonde. Ce fleuve ne peut être navigé fort loin, à cause de neuf poroges ou chûtes d'eau qui étant à quelque distance les unes des autres, interrompent la navigation ; il forme l'isle de Gansko à son embouchure, & après un très-long cours, il se jette dans la mer Glaciale, au midi de la nouvelle Zemble. Long. de Jéniseskoi, suivant le P. Gaubil, 100. 42. 45. lat. 53.

Le froid qui y regne empêche que les arbres fruitiers n'y portent de fruit ; il n'y croît que des especes de groseilles sauvages, rouges & noires, mais ce n'est pas tout : il faut ajouter que le plus grand froid observé jusqu'à ce jour par le thermometre, l'a été dans cette ville de Sibérie, où, le 16 Janvier 1735, le mercure du thermometre baissa pendant quelques heures à 70 dégrés au dessous de la congélation.

On sait que le dégré de froid de 1709 à Paris, exprimé par 15 dégrés 1/2 au-dessous de la congélation, a passé long-tems pour le plus considérable dont on ait eu connoissance dans nos climats. On sait que MM. les académiciens qui en 1737 allerent en Laponie pour déterminer la figure de la terre, éprouverent un froid tout autrement violent, puisque lorsqu'on ouvroit la chambre chaude dans laquelle ils s'étoient enfermés, l'air du dehors convertissoit en neige la vapeur qu'on exhaloit ; le thermometre qui mesuroit ce froid descendit au trente-septieme dégré de celui de M. de Réaumur ; mais 37 dégrés comparés à 70 dégrés, font qu'on peut regarder ce terrible froid de Tornéo comme médiocre, relativement à celui de Jéniseskoi en 1735.

Cependant si l'on juge du froid par ses effets, on en trouvera peut-être d'aussi cruels rapportés dans plusieurs voyages. Quand, par exemple, les Hollandois cherchant le chemin de la Chine par la mer septentrionale, furent obligés de passer l'hyver à la nouvelle Zemble en 1596, ils ne se garantirent de la mort, qu'en s'enfermant bien couverts d'habits & de fourrures, dans une hutte qui n'avoit aucune ouverture, & dans laquelle, avec un feu continuel, ils eurent bien de la peine à s'empêcher de périr de froid ; leur vin de Xérès y étoit si parfaitement gelé en masses, qu'ils se le distribuoient par morceaux. Voyez encore l'article HUDSON, baie de (Géog.) (D.J.)


JÉNIZZAR(Géog.) ville de Grece dans la Macédoine, près du golfe de Salonique, dans le Coménolitari, bâtie sur les ruines de l'ancienne Pella, patrie d'Alexandre le Grand. Elle est à 5 lieues sud-ouest de Salonique, 7 nord-est de Caravéria. Long. 40. 12. lat. 40. 38.

Il y a une autre petite ville de ce nom dans la Janna, & qui est l'ancienne Pheroe de Thessalie. (D.J.)


JENJAPOUR(Géog.) ville de l'Indoustan, dans les états du Grand-Mogol, capitale d'une petite contrée de même nom, sur la riviere de Chaul, à 50 lieues nord ouest de Déhly, long. 49. lat. 30. 30. (D.J.)


JENKOPINGJanocopia, (Géog.) ville ouverte de Suede, dans la province de Smaland, sur le lac Water, avec une citadelle, à 22 lieues nord-ouest de Calmar, 18 sud-est de Falkoping. Long. 31. 55. lat. 57. 22. (D.J.)


JENO(Géogr.) ville & château de la haute-Hongrie, vers les frontieres de la Transylvanie, sur la riviere de Keres, entre Gyalay & Thémeswar.


JENUPAR(Géog.) royaume & ville d'Asie, dans la péninsule de l'Inde, en-deçà du Gange, sous la domination du Grand-Mogol.


JEQUITINGUACU(Hist. natur. Botan.) fruit qui croît au Brésil, & qui ressemble à nos grosses fraises ; ce fruit recouvre un noyau très-dur, noir & luisant comme du jais, & dont l'écorce est très-amere. On écrase ce noyau qui est de la grosseur d'un pois, pour en tirer une huile dont on fait du savon.


JERA(Géogr.) riviere d'Allemagne, dans le duché de Wolfembutel, qui prend sa source dans la principauté d'Halberstadt.


JÉRÉMIE(PROPHETIE DE) Théolog. livre canonique de l'ancien Testament, ainsi appellé de Jérémie son auteur, l'un des quatre grands prophetes, & fils d'Helcias, du bourg d'Anatoth, dans la tribu de Benjamin, proche de Jérusalem.

Jérémie étoit de la race sacerdotale. Il commença fort jeune à prophétiser, sur la fin du regne de Josias, & continua ses prophéties jusqu'à la captivité des Juifs en Babylone. La prophétie de Jérémie est terminée à la fin du chapitre 51 par ces mots : huc usque verba Jeremiae, . 64. Le 52 est de Baruch ou d'Esdras.

Outre la prophétie de Jérémie, nous avons encore ses lamentations, où il dépeint & déplore d'une maniere pathétique la désolation & la ruine de Jérusalem par les Chaldéens. Cet ouvrage est écrit en vers, dont les premieres lettres sont disposées suivant l'ordre de l'alphabet. Il y a une préface dans le grec & dans la vulgate, qui ne se rencontre ni dans l'hébreu, ni dans la paraphrase chaldaïque, ni dans le syrique, & qui paroît avoir été ajoutée pour servir d'argument à ce livre.

Le style de Jérémie est moins sublime & moins véhément que celui d'Isaïe ; mais il est plus tendre & plus affectueux. Il y avoit anciennement une autre prophétie de Jérémie, dont parle Origene, où l'on trouvoit ces paroles citées dans l'Evangile ; appenderunt mercedem meam triginta argenteos, &c. Mais il y a apparence que c'étoit un ouvrage apocryphe dont se servoient les Nazaréens, comme l'a remarqué S. Jérome dans son commentaire sur S. Matthieu, chap. XXVII. Dupin, dissert. prelim. sur la bib. chap. iij. liv. I. §. xviij. pag. 358. & suiv. (G)


JÈRÉPÉ-MONGAS. m. (Hist. nat. Zoolog.) serpent marin qui se trouve au Brésil ; il se tient sous l'eau immobile ; tous les animaux qui le touchent y demeurent attachés, & il s'en nourrit : il sort quelquefois & se repose sur le rivage. Si on le prend avec la main, la main s'y colle ; si l'on cherche à dégager la main prise avec l'autre, celle-ci se prend également : alors l'animal se déploie, se jette dans les eaux, & y entraîne sa proie.


JERICHAU(Géogr.) ville & bailliage d'Allemagne, dans le duché de Magdebourg, sur les frontieres de Brandebourg.


JÉRICHO(Géog. anc.) appellée par les Arabes Rihiba, ville d'Asie dans la Palestine, bâtie par les Jébuséens, à deux lieues du Jourdain, & à sept de Jérusalem ; c'est la premiere ville du pays de Chanaan, que Josué prit & saccagea ; on en rebâtit une nouvelle dans son voisinage. Vespasien la détruisit, Hadrien la répara. Cette ville fut encore relevée sous les empereurs chrétiens, & décorée d'un siége épiscopal ; mais finalement les guerres des Sarrasins dans la terre-sainte, ont détruit le siége & la ville ; on n'y voit plus que quelques huttes où demeurent des Arabes si gueux qu'à peine ont-ils de quoi couvrir leur nudité.

La rose de Jéricho louée dans l'Ecriture, est une plante qui nous est inconnue ; elle ne présente point celle à laquelle les modernes donnent vulgairement ce nom, & qui est une espece de thlaspi de Sumatra & de Syrie.

Pompée campoit à Jéricho dont il avoit dejà fait abattre deux forts, quand il apprit l'agréable nouvelle de la mort de Mithridate ; & Josephe saisit cette occasion du campement de Pompée, pour observer que le territoire de cette ville étoit fameux par l'excellence de son baume. Pline rapporte d'après Théophraste, que cet arbrisseau balsamifere ne se trouvoit que dans ce lieu-là, & qu'il n'y en avoit que dans deux jardins, dont l'un étoit de 20 arpens (il falloit dire de dix arpens, car il a mal rendu le mot grec ), & l'autre de moins encore ; mais ce n'est ni Jéricho, ni Galaad, ni la Judée, ni l'Egypte qui sont le terroir naturel de cet arbrisseau, c'est l'Arabie heureuse. Apparemment que l'on cultivoit cet arbre dans les jardins de Jéricho, & qu'il y prospéroit. En tout cas les choses ont bien changé : il n'y a plus de jardins à Jéricho, ni de baume en Judée ; tout celui que nous avons en Europe vient de la Mecque & de l'Arabie heureuse, & pour dire quelque chose de plus, le mot hébreu zori, que nous avons rendu par baume, est un mot générique qui signifie seulement toute gomme résineuse ; ainsi le baume de Jéricho, de Galaad de Chanaan, n'étoit qu'une espece de térébenthine dont on se servoit pour les blessures & quelques autres maux.

Josephe prétend encore que les environs de Jéricho ressembloient au paradis terrestre, tandis que selon Suidas ils étoient pleins de serpens & de viperes ; cependant Jéricho est très-fameuse dans l'Ecriture-sainte ; Moyse l'appelle la ville des palmiers. Notre Sauveur y fit quelques miracles, & ne dédaigna pas d'y loger chez Zachée dont la foi mérita de justes louanges ; c'est à Jéricho qu'Hérode le Grand, ou l'Iduméen, avoit fait bâtir un superbe palais dans lequel il finit ses jours l'an de Rome 750, après 37 ans d'un regne célebre par d'illustres & d'horribles actions.

Ce prince eut l'habileté de se procurer consécutivement la faveur de Sextus César, de Cassius, d'Antoine & d'Octave, qui lui firent décerner la couronne de Judée par le Sénat Romain ; il en reçut l'investiture en marchant au capitole entre les deux triumvirs ; il prit Jérusalem, se soutint auprès d'Antoine malgré Cléopatre, vainquit Antigone, Malchus, les Arabes, augmenta sans-cesse sa puissance par les bontés d'Octave, & introduisit dans son royaume des coutumes étrangeres ; il réédifia Samarie, construisit par-tout des forteresses, procura de ses propres fonds de grands secours aux Juifs pendant la famine & la peste qui les desoloit, fonda plusieurs villes, & dissipa les brigands de la Tragonite ; enfin il fut nommé Procurateur de Syrie, éleva un superbe temple en l'honneur d'Auguste, rebâtit celui de Jérusalem, rétablit les jeux olympiques dans leur ancienne splendeur, & obtint d'Agrippa toutes sortes de graces en faveur de ses sujets.

Tel a été la vie d'Hérode, d'ailleurs le plus malheureux des hommes dans son domestique ; on sait quels troubles sa soeur Salomé excita dans sa famille, & quelles en furent les tristes suites. Il fit mourir le vieillard Hircan dans sa 80e année, le grand-prêtre Aristobule son beau-frere, Joseph son propre oncle, Alexandra mere de Mariamne son épouse, cette belle & vertueuse Mariamne elle-même, dont la fin l'accabla de regrets, & le déchira de remords pendant le reste de sa vie ; alors on ne vit plus en lui qu'un furieux qui sacrifia trois fils à sa colere, Alexandre, Aristobule, & finalement Antipater ; ce cruel prince périt cinq jours après l'exécution de ce dernier, dans les plus cruels tourmens, dont Josephe vous donnera les détails. Il avoit eu neuf femmes. Trois autres fils qui lui restoient encore, Archélaus, Hérode & Philippe partagerent ses états. (D.J.)


JERKÉEN(Géogr.) ville d'Asie, capitale de la petite Tartarie, sur les bords de la riviere d'Ilac ; elle est assez grande. C'est l'entrepôt du commerce entre les Indes & la partie septentrionale de l'Asie, de la Chine, de la grande Tartarie & de la Sibérie.


JEROSLAW(Géogr.) M. Delisle écrit Yéroslawle, ville de l'empire Russien, capitale du duché de même nom, sur le Wolga. Long. 58. 30. Lat. 57. 24. (D.J.)


JERSEY(Géog.) île de la mer Britannique, sujette aux Anglois, quoique sur les côtes de France, à 10 lieues des côtes de Bretagne, & à cinq de celles de Normandie. Elle jouit d'un air sain & d'un terroir fertile ; elle est très-peuplée, défendue par deux châteaux, & dépend du comté de Hant. On croit qu'elle a fait autrefois partie du Cotentin, & qu'elle en a été séparée par la mer qui a inondé le terrein, qui la joignoit à la terre ferme. Voyez Hadrien de Valois, Notit. Gal. p. 219. Son circuit est de 21 milles ; S. Elle en est le chef-lieu. Long. 15 d. 15'. 25''. Lat. 49 d. 14'. 20''.

Saint Magloire natif du pays de Galles, établit pendant sa vie un couvent dans cette île, où il mourut fort âgé en 575. Ses reliques furent transférées au faubourg S. Jacques, dans un monastere de bénédictins, qui a été cédé aux PP. de l'Oratoire ; & c'est, aujourd'hui le séminaire de Saint Magloire.

Waice (Robert) Poëte, reçut le jour à Jersey, vers le milieu du xij siecle. Il est l'auteur du roman de Rou & des Normands, écrit en vers françois ; ce livre fort rare, est important pour ceux qui recherchent la signification de beaucoup d'anciens termes de notre langue. (D.J.)


JERTHS. m. (Hist. nat.) nom qu'on donne en Laponie à une espece de mousse qui y croît ainsi que dans d'autres pays froids. On en prend la racine dont on fait une décoction, que l'on fait avaler aux malades dans du petit lait de rennes d'heure en heure, pour les faire transpirer. Les principales maladies de ce pays sont les pleurésies & la petite vérole, & les malades s'en tirent très bien au moyen de ce seul remede. Au défaut de cette racine de jerth, on se sert de l'angélique. Voyez Scheffer, Description de la Laponie.


JÉRUSALEM(Géog.) ancienne & fameuse ville d'Asie, capitale du petit royaume d'Israël, après que David l'eut conquis sur les Jébuséens. Depuis ce tems-là Jérusalem éprouva bien des événemens, & son histoire devint celle de la nation des Juifs ; voici les principales époques des vicissitudes de cette ville, cent fois prise, détruite, & rebâtie.

David & Salomon l'embellirent ; Sesac roi d'Egypte, Hazaël roi de Syrie, Amasias roi d'Israël, enleverent consécutivement les trésors du temple ; mais Nabuchodonosor ayant pris la ville même pour la quatrieme fois, la réduisit en cendre, & emmena les Juifs captifs à Babylone. Après cette captivité, Jérusalem fut reconstruite & repeuplée de nouveau. Antiochus le Grand, ayant conquis la Célé-Syrie & la Judée, assiégea & ruina Jérusalem. Ensuite Simon Macchabée vainquit Nicanor, rétablit la ville & les sacrifices ; elle jouit d'une assez grande paix jusqu'aux démêlés d'Hircan & d'Aristobule. Pompée s'étant déclaré pour Hircan, s'empara de Jérusalem 63 ans avant J. C. & démolit ses murailles, dont Jules César permit le rétablissement 20 ans après.

A peine la Judée fut réduite en province sous l'obéissance du gouverneur de Syrie, que les Juifs se révolterent, & passerent au fil de l'épée la garnison romaine ; Alors, l'empereur Titus vint en personne dans le pays, assiégea Jérusalem, l'emporta, la brûla, & la réduisit en solitude, l'an 70 de l'ere chrétienne ; mais comme dit quelque part M. de Voltaire,

Jérusalem conquise, & ses murs abattus,

N'ont point éternisé le grand nom de Titus ;

Il fut aimé, voilà sa grandeur véritable.

Adrien fit bâtir une nouvelle ville de Jérusalem, près des ruines de l'ancienne, & la fit appeller Aelia Capitolina ; cependant elle reprit son ancien nom sous Constantin, & son évêque obtint le second rang des évêques de la Palestine, l'an 614 de J. C. La ville de Jérusalem fut brûlée par les Perses, & son patriarche Zacharie fut emmené prisonnier avec beaucoup d'autres.

Bientôt après, les Arabes soûmirent l'Asie mineure, la Perse, & la Syrie. Omar successeur de Mahomet, s'étant emparé de la contrée de la Palestine, entra victorieux dans Jérusalem, l'an 638 de J. C. Comme cette ville est une ville sainte pour les Mahométans, il l'enrichit d'une magnifique mosquée de marbre, couverte de plomb, ornée dans l'intérieur d'un nombre prodigieux de lampes d'argent, parmi lesquelles il y en avoit beaucoup d'or pur. Quand ensuite, dit M. de Voltaire, les Turcs déja Mahométans, s'emparerent du pays, vers l'an 1055, ils respecterent la mosquée, & la ville resta toujours peuplée de huit mille ames : c'étoit tout ce que son enceinte pouvoit contenir, & ce que le terroir d'alentour pouvoit nourrir. Elle n'avoit d'autres fonds de subsistance, que le pélérinage des Chrétiens & des Musulmans ; les uns alloient visiter la mosquée, les autres le saint-sépulchre. Tous payoient un léger tribut à l'émir turc qui résidoit dans la ville, & à quelques imans, qui vivoient de la curiosité des pélerins.

Dans ces conjonctures, on vit se répandre en Europe cette opinion religieuse ou fanatique, que les lieux de la naissance & de la mort de J. C. étant prophanés par les infideles, le seul moyen d'effacer les péchés des chrétiens, étoit d'exterminer ces misérables. L'Europe se trouvoit pleine de gens qui aimoient la guerre, qui avoient beaucoup de crimes à expier, & qu'on leur proposoit d'expier en suivant leur passion dominante : ils prirent la croix & les armes. Voyez CROISADES.

Les églises & les cloîtres acheterent à vil prix plusieurs terres des seigneurs, qui crurent n'avoir besoin que de leur courage, & d'un peu d'argent pour aller conquérir des royaumes en Asie ; Godefroy de Bouillon, par exemple, duc de Brabant, vendit sa terre de Bouillon au chapitre de Liége, & Stenay à l'évêque de Verdun. Les moindres seigneurs châtelains partirent à leurs frais, les pauvres gentils-hommes servirent d'écuyers aux autres. Cette foule de croisés se donna rendez-vous à Constantinople : moines, femmes, marchands, vivandiers, ouvriers partirent aussi, comptant ne trouver sur la route que des chrétiens, qui gagneroient des indulgences en les nourrissant.

La premiere expédition fut d'égorger & de piller les habitans d'une ville chrétienne en Hongrie. On s'empara de Nicée en 1097, Jérusalem fut emportée en 1099, & tout ce qui n'étoit pas chrétien fut massacré. Après ce carnage, les croisés dégouttans de sang, allerent à l'endroit qu'on leur dit être le sépulchre de J. C. & y fondirent en larmes. Godefroy de Bouillon fut élu duc de Jérusalem ; mais, comme un légat nommé d'Anberto, prétendit le royaume pour lui-même, il fallut que le duc de Bouillon cédât la ville à cet évêque, & se contentât du port de Joppé.

En peu de tems, de nouveaux états divisés & subdivisés entre les mains des chrétiens, passerent en beaucoup de mains différentes. Il s'éleva de petits seigneurs, des comtes de Joppé, des marquis de Galilée, de Sidon, d'Acre, de Césarée. Cependant la situation des croisés étoit si mal affermie, que Baudoin premier roi de Jérusalem, après la mort de Godefroy son frere, fut pris presque aux portes de la ville par un prince turc.

Les conquêtes des chrétiens alloient chaque jour en s'affoiblissant, tandis que Saladin s'élevoit pour les leur ravir. En vain Guy de Lusignan couronné roi de Jérusalem, marcha contre Saladin, il devint son captif, & fut traité comme aujourd'hui les prisonniers de guerre le sont par les généraux les plus humains. Saladin étant entré dans Jérusalem, fit laver avec de l'eau rose la mosquée qui avoit été changée en église, & fit graver sur la porte : " le roi Saladin serviteur de Dieu, mit cette inscription après que le tout-puissant eut pris Jérusalem par ses mains. " Il fonda des écoles musulmanes, & néanmoins rendit aux chrétiens orientaux l'église du saint-sépulchre.

Au bruit des victoires de Saladin toute l'Europe se troubla ; les rois suspendirent leurs querelles pour marcher au secours de l'Asie, & cependant leur armée saccagea Constantinople, au lieu d'aller reprendre Jérusalem. Saphadin frere du fameux Saladin mort à Damas, démolit en 1218, le reste des murailles de ce triste lieu.

En 1244, son territoire n'appartenoit déja plus à personne. Les Chorasmins, tous idolâtres, égorgerent ce qu'ils trouverent dans ce bourg de musulmans, de chrétiens & de Juifs. De nouveaux turcs vinrent après eux ravager les côtes de Syrie, exterminérent le reste des chrétiens, & furent eux-mêmes exterminés par les Tartares. Enfin Sélim empereur des Turcs, ayant vaincu le soudan d'Egypte en 1517, se rendît maître du Caire, de l'Egypte, de la Syrie, & par conséquent de Jérusalem, qui est demeurée jusqu'à ce jour avec tout le pays qui l'environne, sous la domination du grand-seigneur.

Elkods est son nom moderne chez les Turcs, les Arabes, & les Mahométans de ces quartiers-là. Elle est à 45 lieues S. O. de Damas, 18 de la mer Méditerranée, 100 N. O. du grand Caire. Long. suivant de la Hire 58 deg. 29 min. 30 sec. suivant Street, 55 deg. 11 min. 30 sec. suivant Cassini, 52 deg. 51 min. 30 sec. Lat. suivant la Hire 31 deg. 38 min. 30. sec. suivant Street 32. 10. suivant Cassini 31. 50. (D.J.)

JERUSALEM, temple de, (Hist. sac. & proph.) autrement nommé temple de Salomon, parce que ce prince le fonda, l'acheva & le dédia avec de grandes solemnités, plus de mille ans avant J. C.

Sa description est trop épineuse pour nous y engager, & les savans qui ont consumé leurs veilles à nous en donner le plan, ont eu le malheur de ne point s'accorder ensemble. Le lecteur peut s'en convaincre, s'il a le loisir de consulter, de confronter Villalpand dans ses commentaires sur Ezéchiel ; Louis Cappel dans son abrégé de l'histoire judaïque ; Constantin l'empereur, dans son ouvrage sur le traité du thalmud, intitulé Middotth ; Jean Lightfoot, dans le recueil de ses oeuvres ; le P. Bernard Lami, prêtre de l'Oratoire ; dom Calmet & M. Prideaux ; voilà les plus illustres d'entre les modernes, qui ont épuisé cette matiere sans beaucoup de succès.

Cependant le temple de Salomon n'étoit qu'une petite masse de bâtiment, qui n'avoit que cent cinquante piés de long & autant de large, en prenant tout le corps de l'édifice d'un bout à l'autre ; mais l'embarras de sa description consiste principalement dans ses décorations, ses ornemens, ses portes, ses portiques, ses galeries & ses cours, dont nous pouvons d'autant moins nous faire d'idées justes, que les détails de l'Ecriture sainte, de Josephe, & du thalmud sont également confus.

Personne n'ignore les tristes catastrophes que ce temple éprouva dans le cours des siecles. Après avoir subsisté 424 ans, il fut ravagé & détruit par Nabuchodonosor. Zorobabel mit pendant vingt ans tous ses soins à le rebâtir, lors du retour de la captivité, & l'on en fit la dédicace sous le regne de Darius. Mais ce nouveau temple fut pillé, souillé, & prophané par Antiochus Epiphane. Ce prince recueillit un butin sacrilege 171 ans avant J. C. qui montoit à dix-huit cent talens d'or. Le talent d'or chez les Hébreux valoit 16 fois le talent d'argent.

Judas Macchabée ayant eu le bonheur de tirer sa patrie des mains d'Antiochus, purifia le temple 165 ans avant J. C. & les richesses y coulerent avec tant d'abondance en moins d'un siecle, que le pillage qu'en fit Crassus, pendant qu'il fut gouverneur de Syrie, lui valut la somme de dix mille talens, c'est-à-dire, plus de deux millions sterlings, ou plus de quarante-deux millions de notre monnoye ; cet événement arriva 54 ans avant J. C.

Hérode néanmoins rebâtit de nouveau le temple même avec une grande magnificence, dont la splendeur fut de courte durée. Tout le monde sait qu'il subit le sort de Jérusalem, lorsque Titus assiégea cette ville, l'emporta, la brûla, & la réduisit en cendres, l'an 70 de l'ere vulgaire. (D.J.)


JERVENLAND(Géog.) Jervia ; petit canton de Livonie dans l'Estonie, sujet à la Russie ; le château de Wittentein, & le bourg d'Oberbalen, en sont les lieux principaux. (D.J.)


JÉSI(Géog.) ancienne ville de l'état de l'église ; dans la Marche d'Ancone, avec un évêché qui ne releve que du saint siege : elle est sur une montagne proche la riviere de Jési, à 7 lieues S. O. d'Ancone, 45 N. E. de Rome. Long. 30. 55. lat. 43. 30. Il y a aussi une ville de ce nom au Japon, dans l'île de Niphon, au voisinage de Méneo. Long. 157. 40. lat. (D.J.)


JESILBASCHS. m. (Hist.) terme de relation ; il signifie tête-verte, & c'est le nom que les Persans donnent aux Turcs, parce que leurs émirs portent le turban verd. Voyez TURBAN. Diction. de Trévoux.


JESNITZ(Géog.) petite ville d'Allemagne dans la principauté d'Anhalt-Dessau, sur la riviere de Muldan.


JESSELMERE(Géog.) ville de l'Indoustan, capitale d'une province de même nom, dans les états du grand Mogol, à 75 lieues N. d'Amadabad. Long. 90. 15. lat. 26. 40. (D.J.)


JESSERO(Géog.) nom d'un ruisseau de Carinthie, qui est près du fameux lac de Cirkniz, qui disparoît sous terre pour se remontrer de nouveau à quelque distance de-là, après quoi il se perd encore de nouveau dans les rochers & dans les précipices ; enfin il reparoît encore de l'autre côté des montagnes.


JÉSUAT(Géog.) contrée de l'Indoustan, dans les états du grand Mogol, sur le Gadet qui se perd dans le Gange. Elle est bornée au nord par le royaume de Néebal, à l'E. par le royaume d'Assem, au S. par le royaume de Bengale, à l'O. par la terre de Patna. Rajapour en est la capitale, & la seule ville. (D.J.)


JÉSUATESS. m. (Théolog.) nom d'une sorte de religieux, qu'on appelloit autrement clercs apostoliques, ou jésuates de S. Jérôme.

Le fondateur des jésuates est Jean Colombin. Urbain V. approuva cet institut en 1367, à Viterbe, & donna lui-même à ceux qui étoient présens l'habit qu'ils devoient porter. Ils suivoient la regle de S. Augustin, & Paul V. les mit au nombre des ordres mendians.

Le nom de jésuates leur fut donné, parce que leurs premiers fondateurs avoient toûjours le nom de Jesus à la bouche. Ils y ajouterent celui de S. Jérôme, parce qu'ils le prirent pour leur protecteur.

Pendant plus de deux siecles les jésuates n'ont été que freres lais ; Paul V. leur permit en 1606 de recevoir les ordres. Ils s'occupoient dans la plûpart de leurs maisons à la pharmacie ; d'autres faisoient le métier de distillateurs, & vendoient de l'eau-de-vie, ce qui les fit appeller en quelques endroits peres de l'eau-de-vie.

Comme ils étoient assez riches dans l'état de Venise, la république demanda leur suppression à Clement IX. pour employer leurs biens aux frais de la guerre de Candie, ce que le pape accorda en 1668. Voyez le Dict. de Trévoux.


JÉSUITES. m. (Hist. eccles.) ordre religieux, fondé par Ignace de Loyola, & connu sous le nom de compagnie ou société de Jésus.

Nous ne dirons rien ici de nous-mêmes. Cet article ne sera qu'un extrait succinct & fidele des comptes rendus par les procureurs généraux des cours de judicature, des mémoires imprimés par ordre des parlemens, des différens arrêts, des histoires, tant anciennes que modernes, & des ouvrages qu'on a publiés en si grand nombre dans ces derniers tems.

En 1521 Ignace de Loyola, après avoir donné les vingt-neuf premieres années de sa vie au métier de la guerre & aux amusemens de la galanterie, se consacra au service de la Mere de Dieu, au montserrat en Catalogne, d'où il se retira dans sa solitude de Manrese, où Dieu lui inspira certainement son ouvrage des exercices spirituels, car il ne savoit pas lire quand il l'écrivit. Abregé hist. de la C. D. J.

Décoré du titre de chevalier de Jésus-Christ & de la Vierge-Marie, il se mit à enseigner, à prêcher, & à convertir les hommes avec zele, ignorance & succès. Même ouvrage.

Ce fut en 1538, sur la fin du carême, qu'il rassembla à Rome les dix compagnons qu'il avoit choisis selon ses vûes.

Après divers plans formés & rejettés, Ignace & ses collegues se vouerent de concert à la fonction de catéchiser les enfans, d'éclairer de leurs lumieres les infideles, & de défendre la foi contre les hérétiques.

Dans ces circonstances, Jean III. roi de Portugal, prince zélé pour la propagation du Christianisme, s'adressa à Ignace pour avoir des missionnaires, qui portassent la connoissance de l'Evangile aux Japonois & aux Indiens. Ignace lui donna Rodriguès & Xavier ; mais ce dernier partit seul pour ces contrées lointaines, où il opéra une infinité de choses merveilleuses que nous croyons, & que le jésuite Acosta ne croit pas.

L'établissement de la compagnie de Jésus souffrit d'abord quelques difficultés ; mais sur la proposition d'obéir au pape seul, en toutes choses & en tous lieux, pour le salut des ames & la propagation de la foi ; le pape Paul III. conçut le projet de former, par le moyen de ces religieux, une espece de milice répandue sur la surface de la terre, & soumise sans reserve aux ordres de la cour de Rome ; & l'an 1540 les obstacles furent levés ; on approuva l'institut d'Ignace, & la compagnie de Jésus fut fondée.

Benoît XIV. qui avoit tant de vertus, & qui a dit tant de bons mots ; ce pontife, que nous regretterons long-tems encore, regardoit cette milice comme les janissaires du saint siége ; troupe indocile & dangereuse, mais qui sert bien.

Au voeu d'obéissance fait au pape & à un général, représentant de Jésus-Christ sur la terre, les Jésuites joignirent ceux de pauvreté & de chasteté, qu'ils ont observé jusqu'à ce jour, comme on sait.

Depuis la bulle qui les établit, & qui les nomma Jésuites, ils en ont obtenu quatre-vingt-douze autres qu'on connoît, & qu'ils auroient dû cacher, & peut-être autant qu'on ne connoît pas.

Ces bulles, appellées lettres apostoliques, leur accordent depuis le moindre privilege de l'état monastique, jusqu'à l'indépendance de la cour de Rome.

Outre ces prérogatives, ils ont trouvé un moyen singulier de s'en créer tous les jours. Un pape a-t-il proféré inconsidérément un mot qui soit favorable à l'ordre, on s'en fait aussitôt un titre, & il est enregistré dans les fastes de la société à un chapitre, qu'elle appelle les oracles de vive voix, vivae vocis oracula.

Si un pape ne dit rien, il est aisé de le faire parler. Ignace élu général, entra en fonction le jour de pâques de l'année 1541.

Le généralat, dignité subordonnée dans son origine, devint sous Lainèz & sous Aquaviva un despotisme illimité & permanent.

Paul III. avoit borné le nombre des profès à soixante ; trois ans après il annulla cette restriction, & l'ordre fut abandonné à tous les accroissemens qu'il pouvoit prendre & qu'il a pris.

Ceux qui prétendent en connoître l'économie & le régime, le distribuent en six classes, qu'ils appellent des profès, des coadjuteurs spirituels, des écoliers approuvés, des freres lais ou coadjuteurs temporels, des novices, des affiliés ou adjoints, ou Jésuites de robe-courte. Ils disent que cette derniere classe est nombreuse, qu'elle est incorporée dans tous les états de la société, qu'elle se déguise sous toutes sortes de vêtemens.

Outre les trois voeux solemnels de religion, les profès qui forment le corps de la société font encore un voeu d'obéissance spéciale au chef de l'église, mais seulement pour ce qui concerne les missions étrangeres.

Ceux qui n'ont pas encore prononcé ce dernier voeu d'obéissance, s'appellent coadjuteurs spirituels.

Les écoliers approuvés sont ceux qu'on a conservés dans l'ordre après deux ans de noviciat, & qui se sont liés en particulier par trois voeux non solemnels, mais toutefois déclarés voeux de religion, & portant empêchement dirimant.

C'est le tems & la volonté du général qui conduiront un jour les écoliers aux grades de profès ou de coadjuteurs spirituels.

Ces grades, sur-tout celui de profès, supposent deux ans de noviciat, sept ans d'études, qu'il n'est pas toûjours nécessaire d'avoir faites dans la société ; sept ans de régence, une troisieme année de noviciat, & l'âge de trente-trois ans, celui ou notre Seigneur Jésus-Christ fut attaché à la croix.

Il n'y a nulle réciprocité d'engagemens entre la compagnie & ses écoliers, dans les voeux qu'elle en exige ; l'écolier ne peut sortir, & il peut être chassé par le général.

Le général seul, même à l'exclusion du pape, peut admettre ou rejetter un sujet.

L'administration de l'ordre est divisée en assistances, les assistances en provinces, & les provinces en maisons.

Il y a cinq assistans ; chacun porte le nom de son département, & s'appelle l'assistant ou d'Italie, ou d'Espagne, ou d'Allemagne, ou de France, ou de Portugal.

Le devoir d'un assistant est de préparer les affaires, & d'y mettre un ordre qui en facilite l'expédition au général.

Celui qui veille sur une province porte le titre de provincial ; le chef d'une maison, celui de recteur.

Chaque province contient quatre sortes de maisons ; des maisons professes qui n'ont point de fonds, des colleges où l'on enseigne, des résidences où vont séjourner un petit nombre d'apostolizans, & des noviciats.

Les profès ont renoncé à toute dignité ecclésiastique ; ils ne peuvent accepter la crosse, la mitre, ou le rochet, que du consentement du général.

Qu'est-ce qu'un jésuite ? est-ce un prêtre séculier ? est-ce un prêtre régulier ? est-ce un laic ? est-ce un religieux ? est-ce un homme de communauté ? est-ce un moine ? c'est quelque chose de tout cela, mais ce n'est point cela.

Lorsque ces hommes se sont présentés dans les contrées où ils sollicitoient des établissemens, & qu'on leur a demandé ce qu'ils étoient, ils ont répondu, tels quels, tales quales.

Ils ont dans tous les tems fait mystere de leurs constitutions, & jamais ils n'en ont donné entiere & libre communication aux magistrats.

Leur régime est monarchique ; toute l'autorité réside dans la volonté d'un seul.

Soumis au despotisme le plus excessif dans leurs maisons, les Jésuites en sont les fauteurs les plus abjects dans l'état. Ils prêchent aux sujets une obéissance sans réserve pour leurs souverains ; aux rois, l'indépendance des loix & l'obéissance aveugle au pape ; ils accordent au pape l'infaillibilité & la domination universelle, afin que maîtres d'un seul, ils soient maîtres de tous.

Nous ne finirions point si nous entrions dans le détail de toutes les prérogatives du général. Il a le droit de faire des constitutions nouvelles, ou d'en renouveller d'anciennes, & sous telle date qu'il lui plaît ; d'admettre ou d'exclure, d'édifier ou d'anéantir, d'approuver ou d'improuver, de consulter ou d'ordonner seul, d'assembler ou de dissoudre, d'enrichir ou d'appauvrir, d'absoudre, de lier ou de délier, d'envoyer ou de retenir, de rendre innocent ou coupable, coupable d'une faute légere ou d'un crime, d'annuller ou de confirmer un contrat, de ratifier ou de commuer un legs, d'approuver ou de supprimer un ouvrage, de distribuer des indulgences ou des anathèmes, d'associer ou de retrancher ; en un mot, il possede toute la plénitude de puissance qu'on peut imaginer dans un chef sur ses sujets ; il en est la lumiere, l'ame, la volonté, le guide, & la conscience.

Si ce chef despote & machiavéliste étoit par hasard un homme violent, vindicatif, ambitieux, méchant, & que dans la multitude de ceux auxquels il commande il se trouvât un seul fanatique, où est le prince, où est le particulier qui fût en sûreté, sur son trône ou dans son foyer ?

Les provinciaux de toutes les provinces sont tenus d'écrire au général une fois chaque mois ; les recteurs, supérieurs des maisons, & les maîtres des novices, de trois mois en trois mois.

Il est enjoint à chacun des provinciaux d'entrer dans le détail le plus étendu sur les maisons, les colleges, tout ce qui peut concerner la province ; à chaque recteur d'envoyer deux catalogues, l'un de l'âge, de la patrie, du grade, des études, & de la conduite des sujets ; l'autre, de leur esprit, de leurs talens, de leurs caracteres, de leurs moeurs : en un mot, de leurs vices & de leurs vertus.

En conséquence, le général reçoit chaque année environ deux cent états circonstanciés de chaque royaume, & de chaque province d'un royaume, tant pour les choses temporelles, que pour les choses spirituelles.

Si ce général étoit par hasard un homme vendu à quelque puissance étrangere ; s'il étoit malheureusement disposé par caractere, ou entraîné par interêt à se mêler de choses politiques, quel mal ne pourroit-il pas faire ?

Centre où vont aboutir tous les secrets de l'état & des familles, & même des familles royales ; aussi instruit qu'impénétrable ; dictant des volontés absolues, & n'obéissant à personne ; prévenu d'opinions les plus dangereuses sur l'aggrandissement & la conservation de sa compagnie, & les prérogatives de la puissance spirituelle ; capable d'armer à nos côtés des mains dont on ne peut se défier, quel est l'homme sous le ciel à qui ce général ne pût susciter des embarras fâcheux, si encouragé par le silence & l'impunité il osoit oublier une fois la sainteté de son état ?

Dans les cas importans, on écrit en chiffres au général.

Mais un article bizarre du régime de la compagnie de Jésus, c'est que les hommes qui la composent sont tous rendus par serment espions & délateurs les uns des autres.

A peine fut-elle formée qu'on la vit riche, nombreuse & puissante. En un moment elle exista en Espagne, en Portugal, en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, au nord, au midi, en Afrique, en Amérique, à la Chine, aux Indes, au Japon, par-tout également ambitieuse, redoutable & turbulente ; par-tout s'affranchissant des loix, portant son caractere d'indépendance & le conservant, marchant comme si elle se sentoit destinée à commander à l'univers.

Depuis sa fondation jusqu'à ce jour, il ne s'est presque écoulé aucune année sans qu'elle se soit signalée par quelque action d'éclat. Voici l'abrégé chronologique de son histoire, tel à-peu-près qu'il a paru dans l'arrêt du parlement de Paris, 6 Août 1762, qui supprime cet ordre, comme une secte d'impies, de fanatiques, de corrupteurs, de régicides, &c..... commandés par un chef étranger & machiavéliste par institut.

En 1547, Bobadilla, un des compagnons d'Ignace, est chassé des états d'Allemagne, pour avoir écrit contre l'Interim d'Augsbourg.

En 1560, Gonzalès Silveira est supplicié au Monomotapa, comme espion du Portugal & de sa société.

En 1578, ce qu'il y a de Jésuites dans Anvers en est banni, pour s'être refusés à la pacification de Gand.

En 1581, Campian, Skerwin & Briant sont mis à mort pour avoir conspiré contre Elisabeth d'Angleterre.

Dans le cours du regne de cette grande Reine, cinq conspirations sont tramées contre sa vie, par des Jésuites.

En 1588, on les voit animer la ligue formée en France contre Henry III.

La même année, Molina publie ses pernicieuses rêveries sur la concorde de la grace & du libre arbitre.

En 1593, Barriere est armé d'un poignard contre le meilleur des rois, par le jésuite Varade.

En 1594, les Jésuites sont chassés de France, comme complices du parricide de Jean Chatel.

En 1595, leur pere Guignard, saisi d'écrits apologétiques de l'assassinat d'Henry IV. est conduit à la greve.

En 1597, les congrégations de auxiliis se tiennent, à l'occasion de la nouveauté de leur doctrine sur la grace, & Clément VIII. leur dit : brouillons, c'est vous qui troublez toute l'Eglise.

En 1598, ils corrompent un scélérat, lui administrent son Dieu d'une main, lui présentent un poignard de l'autre, lui montrent la couronne éternelle descendant du ciel sur sa tête, l'envoyent assassiner Maurice de Nassau, & se font chasser des états de Hollande.

En 1604, la clémence du cardinal Frédéric Borromée les chasse du college de Braida, pour des crimes qui auroient dû les conduire au bucher.

En 1605, Oldecorn & Garnet, auteurs de la conspiration des poudres, sont abandonnés au supplice.

En 1606, rebelles aux decrets du sénat de Venise, on est obligé de les chasser de cette ville & de cet état.

En 1610, Ravaillac assassine Henry IV. Les Jésuites restent sous le soupçon d'avoir dirigé sa main ; & comme s'ils en étoient jaloux, & que leur dessein fût de porter la terreur dans le sein des monarques, la même année Mariana publie avec son institution du prince l'apologie du meurtre des rois.

En 1618, les Jésuites sont chassés de Boheme, comme perturbateurs du repos public, gens soulevant les sujets contre leurs magistrats, infectant les esprits de la doctrine pernicieuse de l'infaillibilité & de la puissance universelle du pape, & semant par toutes sortes de voies le feu de la discorde entre les membres de l'état.

En 1619, ils sont bannis de Moravie, pour les mêmes causes.

En 1631, leurs cabales soulevent le Japon, & la terre est trempée dans toute l'étendue de l'empire de sang idolâtre & chrétien.

En 1641, ils allument en Europe la querelle absurde du jansénisme, qui a coûté le repos & la fortune à tant d'honnêtes fanatiques.

En 1643, Malte indignée de leur dépravation & de leur rapacité, les rejette loin d'elle.

En 1646, ils font à Séville une banqueroute, qui précipite dans la misere plusieurs familles. Celle de nos jours n'est pas la premiere, comme on voit.

En 1709, leur basse jalousie détruit Port-Royal, ouvre les tombeaux des morts, disperse leurs os, & renverse les murs sacrés dont les pierres leur retombent aujourd'hui si lourdement sur la tête.

En 1713, ils appellent de Rome cette bulle Unigenitus, qui leur a servi de prétexte pour causer tant de maux, au nombre desquels on peut compter quatre-vingt mille lettres de cachets décernées contre les plus honnêtes gens de l'état, sous le plus doux des ministeres.

La même année le jésuite Jouvency, dans une histoire de la société, ose installer parmi les martyrs les assassins de nos rois ; & nos magistrats attentifs font brûler son ouvrage.

En 1723, Pierre le Grand ne trouve de sûreté pour sa personne, & de moyen de tranquilliser ses états, que dans le bannissement des Jésuites.

En 1728, Berruyer travestit en roman l'histoire de Moïse, & fait parler aux patriarches la langue de la galanterie & du libertinage.

En 1730, le scandaleux Tournemine prêche à Caën dans un temple, & devant un auditoire chrêtien, qu'il est incertain que l'évangile soit Ecriture-sainte.

C'est dans ce même tems qu'Hardouin commence à infecter son ordre d'un scepticisme aussi ridicule qu'impie.

En 1731, l'autorité & l'argent dérobent aux flammes le corrupteur & sacrilege Girard.

En 1743, l'impudique Benzi suscite en Italie la secte des Mamillaires.

En 1745, Pichon prostitue les sacremens de Pénitence & d'Eucharistie, & abandonne le pain des saints à tous les chiens qui le demanderont.

En 1755, les Jésuites du Paraguay conduisent en bataille rangée les habitans de ce pays contre leurs légitimes souverains.

En 1757, un attentat parricide est commis contre Louis XV. notre monarque, & c'est par un homme qui a vécu dans les foyers de la société de Jésus, que ces peres ont protégé, qu'ils ont placé en plusieurs maisons ; & dans la même année ils publient une édition d'un de leurs auteurs classiques, où la doctrine du meurtre des rois est enseignée. C'est comme ils firent en 1610, immédiatement après l'assassinat de Henry IV. mêmes circonstances, même conduite.

En 1758, le roi de Portugal est assassiné, à la suite d'un complot formé & conduit par les Jésuites Malagrida, Mathos & Alexandre.

En 1759, toute cette troupe de religieux assassins est chassée de la domination portugaise.

En 1761, un de cette compagnie, après s'être emparé du commerce de la Martinique, menace d'une ruine totale ses correspondans. On réclame en France la justice des tribunaux contre le jésuite banqueroutier, & la société est déclarée solidaire du pere la Valette.

Elle traîne maladroitement cette affaire d'une jurisdiction à une autre. On y prend connoissance de ses constitutions ; on en reconnoît l'abus, & les suites de cet évenement amenent son extinction parmi nous.

Voilà les principales époques du Jésuitisme. Il n'y en a aucune entre lesquelles on n'en pût intercaler d'autres semblables.

Combien cette multitude de crimes connus n'en fait-elle pas présumer d'ignorés ?

Mais ce qui précede suffit pour montrer que dans un intervalle de deux cent ans, il n'y a sortes de forfaits que cette race d'hommes n'ait commis.

J'ajoute qu'il n'y a sortes de doctrines perverses qu'elle n'ait enseignées. L'Elucidarium de Posa en contient lui seul plus que n'en fourniroient cent volumes des plus distingués fanatiques. C'est-là qu'on lit entr'autre chose de la mere de Dieu, qu'elle est Dei-pater & Dei mater, & que, quoiqu'elle n'ait été sujette à aucune excrétion naturelle, cependant elle a concouru comme homme & comme femme, secundùm generalem naturae tenorem ex parte maris & ex parte feminae, à la production du corps de Jésus-Christ, & mille autres folies.

La doctrine du probabilisme est d'invention jésuitique.

La doctrine du péché philosophique est d'invention jésuitique.

Lisez l'ouvrage intitulé les Assertions, & publié cette année 1762, par arrêt du parlement de Paris, & frémissez des horreurs que les théologiens de cette société ont débitées depuis son origine, sur la simonie, le blasphème, le sacrilege, la magie, l'irreligion, l'astrologie, l'impudicité, la fornication, la pédérastie, le parjure, la fausseté, le mensonge, la direction d'intention, le faux témoignage, la prévarication des juges, le vol, la compensation occulte, l'homicide, le suicide, la prostitution, & le régicide ; ramas d'opinions, qui, comme le dit M. le procureur général du roi au parlement de Bretagne, dans son second compte rendu page 73, attaque ouvertement les principes les plus sacrés, tend à détruire la loi naturelle, à rendre la foi humaine douteuse, à rompre tous les liens de la sociéte civile, en autorisant l'infraction de ses lois ; à étouffer tout sentiment d'humanité parmi les hommes, à anéantir l'autorité royale, à porter le trouble & la désolation dans les empires, par l'enseignement du régicide ; à renverser les fondemens de la révélation, & à substituer au christianisme des superstitions de toute espece.

Lisez dans l'arrêt du parlement de Paris, publié le 6 Août 1762, la liste infamante des condamnations qu'ils ont subies à tous les tribunaux du monde chrétien, & la liste plus infamante encore des qualifications qu'on leur a données.

On s'arrêtera sans-doute ici pour se demander comment cette société s'est affermie, malgré tout ce qu'elle a fait pour se perdre ; illustrée, malgré tout ce qu'elle a fait pour s'avilir ; comment elle a obtenu la confiance des souverains en les assassinant, la protection du clergé en le dégradant, une si grande autorité dans l'Eglise en la remplissant de troubles, & en pervertissant sa morale & ses dogmes.

C'est ce qu'on a vû en même tems dans le même corps, la raison assise à côté du fanatisme, la vertu à côté du vice, la religion à côté de l'impiété, le rigorisme à côté du relâchement, la science à côté de l'ignorance, l'esprit de retraite à côté de l'esprit de cabale & d'intrigue, tous les contrastes réunis. Il n'y a que l'humilité qui n'a jamais pû trouver un asile parmi ces hommes.

Ils ont eu des poëtes, des historiens, des orateurs, des philosophes, des géometres & des érudits.

Je ne sais si ce sont les talens & la sainteté de quelques particuliers qui ont conduit la société au haut degré de considération dont elle jouissoit il n'y a qu'un moment ; mais j'assurerai sans crainte d'être contredit, que ces moyens étoient les seuls qu'elle eût de s'y conserver ; & c'est ce que ces hommes ont ignoré.

Livrés au commerce, à l'intrigue, à la politique, & à des occupations étrangeres à leur état, & indignes de leur profession, il a fallu qu'ils tombassent dans le mépris qui a suivi, & qui suivra dans tous les tems, & dans toutes les maisons religieuses, la décadence des études & la corruption des moeurs.

Ce n'étoit pas l'or, ô mes peres, ni la puissance, qui pouvoient empêcher une petite société comme la vôtre, enclavée dans la grande, d'en être étouffée. C'étoit au respect qu'on doit & qu'on rend toûjours à la science & à la vertu, à vous soutenir & à écarter les efforts de vos ennemis, comme on voit au milieu des flots tumultueux d'une populace assemblée, un homme vénérable demeurer immobile & tranquille au centre d'un espace libre & vuide que la considération forme & réserve autour de lui. Vous avez perdu ces notions si communes, & la malédiction de S. François de Borgia, le troisieme de vos généraux, s'est accomplie sur vous. Il vous disoit, ce saint & bon-homme : " Il viendra un tems où vous ne mettrez plus de bornes à votre orgueil & à votre ambition, où vous ne vous occuperez plus qu'à accumuler des richesses & à vous faire du crédit, où vous négligerez la pratique des vertus ; alors il n'y aura puissance sur la terre qui puisse vous ramener à votre premiere perfection, & s'il est possible de vous détruire, on vous détruira ".

Il falloit que ceux qui avoient fondé leur durée sur la même base qui soutient l'existence & la fortune des grands, passassent comme eux ; la prospérité des Jésuites n'a été qu'un songe un peu plus long.

Mais en quel tems le colosse s'est-il évanoui ? au moment même où il paroissoit le plus grand & le mieux affermi. Il n'y a qu'un moment que les Jésuites remplissoient les palais de nos rois ; il n'y a qu'un moment que la jeunesse, qui fait l'espérance des premieres familles de l'état, remplissoit leurs écoles ; il n'y a qu'un moment que la religion les avoit portés à la confiance la plus intime du monarque, de sa femme & de ses enfans ; moins protégés que protecteurs de notre clergé, ils étoient l'ame de ce grand corps. Que ne se croyoient-ils pas ? J'ai vû ces chênes orgueilleux toucher le ciel de leur cime ; j'ai tourné la tête, & ils n'étoient plus.

Mais tout évenement a ses causes. Quelles ont été celles de la chûte inopinée & rapide de cette société ? en voici quelques-unes, telles qu'elles se présentent à mon esprit.

L'esprit philosophique a décrié le célibat, & les Jésuites se sont ressentis, ainsi que tous les autres ordres religieux, du peu de goût qu'on a aujourd'hui pour le cloître.

Les Jésuites se sont brouillés avec les gens de lettres, au moment où ceux-ci alloient prendre parti pour eux contre leurs implacables & tristes ennemis. Qu'en est-il arrivé ? c'est qu'au lieu de couvrir leur côté foible, on l'a exposé, & qu'on a marqué du doigt aux sombres enthousiastes qui les menaçoient, l'endroit où ils devoient frapper.

Il ne s'est plus trouvé parmi eux d'homme qui se distinguât par quelque grand talent ; plus de poëtes, plus de philosophes, plus d'orateurs, plus d'érudits, aucun écrivain de marque, & on a méprisé le corps.

Une anarchie interne les divisoit depuis quelques années ; & si par hasard ils avoient un bon sujet, ils ne pouvoient le garder.

On les a reconnus pour les auteurs de tous nos troubles intérieurs, & on s'est lassé d'eux.

Leur journaliste de Trévoux, bon-homme, à ce qu'on dit, mais auteur médiocre & pauvre politique, leur a fait avec son livret bleu mille ennemis redoutables, & ne leur a pas fait un ami.

Il a bêtement irrité contre sa société notre de Voltaire, qui a fait pleuvoir sur elle & sur lui le mépris & le ridicule, le peignant lui comme un imbécille, & ses confreres, tantôt comme des gens dangereux & méchans, tantôt comme des ignorans ; donnant l'exemple & le ton à tous nos plaisans subalternes, & nous apprenant qu'on pouvoit impunément se moquer d'un jésuite, & aux gens du monde qu'ils en pouvoient rire sans conséquence.

Les Jésuites étoient mal depuis très-long-tems avec les dépositaires des lois, & ils ne songeoient pas que les magistrats, aussi durables qu'eux, seroient à la longue les plus forts.

Ils ont ignoré la différence qu'il y a entre des hommes nécessaires & des moines turbulens, & que si l'état étoit jamais dans le cas de prendre un parti, il tourneroit le dos avec dédain à des gens que rien ne recommandoit plus.

Ajoutez qu'au moment où l'orage a fondu sur eux dans cet instant où le ver de terre qu'on foule du pié montre quelque énergie, ils étoient si pauvres de talens & de ressources, que dans tout l'ordre il ne s'est pas trouvé un homme qui sût dire un mot qui fît ouvrir les oreilles. Ils n'avoient plus de voix, & ils avoient fermé d'avance toutes les bouches qui auroient pû s'ouvrir en leur faveur.

Ils étoient haïs ou enviés.

Pendant que les études se relevoient dans l'université elles achevoient de tomber dans leur college, & cela lorsqu'on étoit à demi convaincu que pour le meilleur emploi du tems, la bonne culture de l'esprit, & la conservation des moeurs & de la santé, il n'y avoit guere de comparaison à faire entre l'institution publique & l'éducation domestique.

Ces hommes se sont mêlés de trop d'affaires diverses ; ils ont eu trop de confiance en leur crédit.

Leur général s'étoit ridiculement persuadé que son bonnet à trois cornes couvroit la tête d'un potentat, & il a insulté lorsqu'il falloit demander grace.

Le procès avec les créanciers du pere la Valette les a couverts d'opprobre.

Ils furent bien imprudens, lorsqu'ils publierent leurs constitutions ; ils le furent bien davantage, lorsqu'oubliant combien leur existence étoit précaire, ils mirent des magistrats qui les haïssoient à portée de connoître de leur régime, & de comparer ce système de fanatisme, d'indépendance & de machiavélisme, avec les lois de l'état.

Et puis, cette révolte des habitans du Paraguay, ne dut-elle pas attirer l'attention des souverains, & leur donner à penser ? & ces deux parricides exécutés dans l'intervalle d'une année ?

Enfin, le moment fatal étoit venu ; le fanatisme l'a connu, & en a profité.

Qu'est ce qui auroit pû sauver l'ordre, contre tant de circonstances réunies qui l'avoient amené au bord du précipice ? un seul homme, comme Bourdaloue peut-être, s'il eût existé parmi les Jésuites ; mais il falloit en connoître le prix, laisser aux mondains le soin d'accumuler des richesses, & songer à ressusciter Cheminais de sa cendre.

Ce n'est ni par haine, ni par ressentiment contre les Jésuites, que j'ai écrit ces choses ; mon but a été de justifier le gouvernement qui les a abandonnés, les magistrats qui en ont fait justice, & d'apprendre aux religieux de cet ordre qui tenteront un jour de se rétablir dans ce royaume, s'ils y réussissent, comme je le crois, à quelles conditions ils peuvent espérer de s'y maintenir.


JÉSUITESSESS. f. (Hist. eccles.) ordre de religieuses, qui avoient des maisons en Italie & en Flandres. Elles suivoient la regle des Jésuites, & quoique leur ordre n'eût point été approuvé par le saint siege, elles avoient plusieurs maisons, auxquelles elles donnoient le nom de colleges ; d'autres qui portoient celui de noviciat, dans lesquelles il y avoit une supérieure, entre les mains de qui les religieuses faisoient leurs voeux de pauvreté, de chasteté & d'obéissance ; mais elles ne gardoient point de clôture, & se mêloient de prêcher. Ce furent deux filles angloises, nommées Warda & Tuitia, qui étoient en Flandres, lesquelles instruites & excitées par le pere Gerard, recteur du college, & quelques autres Jésuites, établirent cet ordre ; leur dessein étoit d'envoyer de ces filles prêcher en Angleterre. Warda devint bientôt supérieure générale de plus de deux cent religieuses. Le pape Urbain VIII, supprima cet ordre par une bulle du 13 Janvier 1630, adressée à son nonce de la basse Allemagne, & imprimée à Rome en 1632. Bulla Urbani VIII. Vilson, rapporté par Heidegger Hist. papatus, §. 35.


JESUPOLIS(Géog.) ville de Pologne, dans la petite Russie, au Palatinat de Lemberg.


JESURAS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un arbrisseau du Japon d'environ trois coudées de haut, qui ressemble au philirrea. Ses feuilles sont garnies de poils, longues de trois pouces, ovales, terminées par une pointe, avec un bord très-découpé. Ses baies sont de la grosseur d'un pois, rouges & charnues.


JESUS-CHRIST(Hist. & Philosoph.) fondateur de la religion chrétienne. Cette religion, qu'on peut appeller la Philosophie par excellence, si l'on veut s'en tenir à la chose sans disputer sur les mots, a beaucoup influé sur la Morale & sur la Métaphysique des anciens pour l'épurer, & la Métaphysique & la Morale des anciens sur la religion chrétienne, pour la corrompre. C'est sous ce point de vue que nous nous proposons de la considérer. Voyez ce que nous en avons déja dit à l'article CHRISTIANISME. Mais pour fermer la bouche à certains calomniateurs obscurs, qui nous accusent de traiter la doctrine de Jesus-Christ comme un système, nous ajouterons avec saint Clément d'Alexandrie, ; Philosophi apud nos dicuntur qui amant sapientiam, quae est omnium opifex & magistra, hoc filii Dei cognitionem.

A parler rigoureusement, Jesus-Christ ne fut point un philosophe ; ce fut un Dieu. Il ne vint point proposer aux hommes des opinions, mais leur annoncer des oracles ; il ne vint point faire des syllogismes, mais des miracles ; les apôtres ne furent point des philosophes, mais des inspirés. Paul cessa d'être un philosophe lorsqu'il devint un prédicateur. Fuerat Paulus Athenis, dit Tertullien, & istam sapientiam humanam, adfectatricem & interpolatricem veritatis de congressibus noverat, ipsam quoque in suas haereses multipartitam varietate sectarum invicem repugnantium. Quid ergo Athenis & Jerosolymis ? quid academiae & ecclesiae ? quid haereticis & christianis ? nobis curiositate non opus est, post Jesum Christum, nec inquisitione post evangelium. Cum credimus, nihil desideramus ultra credere. Hoc enim prius credimus, non esse quod ultrà credere debemus. Paul avoit été à Athènes ; ses disputes avec les Philosophes lui avoient appris à connoître la vanité de leur doctrine, de leurs prétentions, de leurs vérités, & toute cette multitude de sectes opposées qui les divisoit. Mais qu'y a-t-il de commun entre Athènes & Jérusalem ? entre les sectaires & des chrétiens ? il ne nous reste plus de curiosité, après avoir ouï la parole de Jesus-Christ, plus de recherches après avoir lû l'Evangile. Lorsque nous croyons, nous ne desirons point à rien croire au-delà ; nous croyons même d'abord que nous ne devons rien croire au-delà de ce que nous croyons.

Voilà la distinction d'Athènes & de Jérusalem, de l'académie & de l'Eglise, bien déterminée. Ici l'on raisonne ; là on croit. Ici l'on étudie ; là on sait tout ce qu'il importe de savoir. Ici on ne reconnoît aucune autorité ; là il en est une infaillible. Le philosophe dit amicus Plato, amicus Aristoteles, sed magis amica veritas. J'aime Platon, j'aime Aristote, mais j'aime encore davantage la vérité. Le chrétien a bien plus de droit à cet axiome, car son Dieu est pour lui la vérité même.

Cependant ce qui devoit arriver arriva ; & il faut convenir 1°. que la simplicité du Christianisme ne tarda pas à se ressentir de la diversité des opinions philosophiques qui partageoient ses premiers sectateurs. Les Egyptiens conserverent le goût de l'allégorie ; les Pythagoriciens, les Platoniciens, les Stoïciens, renoncerent à leurs erreurs, mais non à leur maniere de présenter la vérité. Ils attaquerent tous la doctrine des Juifs & des Gentils, mais avec des armes qui leur étoient propres. Le mal n'étoit pas grand, mais il en annonçoit un autre. Les opinions philosophiques ne tarderent pas à s'entrelacer avec les dogmes chrétiens, & l'on vit tout-à-coup éclorre de ce mélange une multitude incroyable d'hérésies ; la plûpart sous un faux air de philosophie. On en a un exemple frappant, entr'autres dans celle des Valentiniens. Voyez l'article VALENTINIENS. De là cette haine des Peres contre la Philosophie, avec laquelle leurs successeurs ne se sont jamais bien reconciliés. Tout système leur fut également odieux, si l'on en excepte le Platonisme. Un auteur du seizieme siecle nous a exposé cette distinction, avec son motif & ses inconvéniens, beaucoup mieux que nous ne le pourrions faire. Voici comment il s'en exprime. La citation sera longue ; mais elle est pleine d'éloquence & de vérité. Plato humaniter & plusquam par erat, benigne à nostris susceptus, cum ethnicus esset, & hostium famosissimus antesignatus, & vanis tum Graecorum, tum exterarum gentium superstitionibus apprime imbutus, & mentis acumine & variorum dogmatum cognitione, & famosâ illâ ad Aegyptum navigatione. Ingenii sui, alioqui praeclarissimi vires adeo roboraverit, & patria eloquentia usque adeo disciplinas adauxit, ut sive de Deo, & de ipsius una quadam nescio quâ trinitate, bonitate, providentia, sive de mundi creatione, de coelestibus mentibus, de daemonibus, sive de anima, sive tandem de moribus sermonem habuerit solus é Graecorum numero ad sublimem sapientiae graecae metam pervenisse videretur. Hinc nostri prima mali labes. Hinc haeretici spargere voces ambiguas in vulgus ausi sunt ; hinc superstitionum, mendaciorum, & pravitatum omne genus in Ecclesiam Dei, agmine facto, caepit irruere. Hinc Ecclesiae parietibus, tectis, columnis ac postibus sanctis horrificum quoddam & nefarium omni imbutum odio atque scelere bellum, haeretici intulerunt : & quidem tanta fuit in captivo Platone sapientia, tantaque leporis eloquentiae dulcedo, ut parum abfuerit, quin de victoribus, triumpho ipse actus, triumpharet. Nam, ut à primis nostrorum patrum proceribus exordiar, si Clementem Alexandrinum inspicimus, quanti ille Platonem fecerit, plusquam sexcentis in locis, dum libet, videre licet, & tanquam veri amatorem à primofere suorum librorum limine salutavit. Si vero etiam Origenem, quam frequenter in ejusdem sententiam iverit, magno quidem sui & christianae reipublicae documento experimur. Si Justinum, gavisus ipse olim est, se in Platonis doctrinam incidisse. Si Eusebium, nostra ille ad Platonem cuncta fere ad satietatem usque retulit. Si Theodoretum, adeo illius doctrina perculsus est, ut cum Graecos affectus curasse tentasset, medicamenta non sine Platone praeparante, illis adhibere sit ausus. Si vero tandem Augustinum, dissimulem ne pro millibus unum quod referre piget. Platonis ille quidem, jam, non dicta, verum decreta, & eadem sacro-sancta apellare non dubitavit. Vide igitur quantos, qualesque viros victus ille graecus ad sui benevolentiam de se triumphantes pellexerit ; ut nec aliis deinde artibus ipsemet Plato in multorum animis sese veluti hostis deterrimus insinuaverit ; quem tamen vel egregie corrigi, vel adhibita potius cautione legi, quam veluti captivum servari praestitisset. Joan. Bapt. Crisp.

Je ne vois pas pourquoi le Platonisme a été reproché aux premiers disciples de Jesus-Christ, & pourquoi l'on s'est donné la peine de les en défendre. Y a-t-il eu aucun système de Philosophie qui ne contînt quelques vérités ? & les Chrétiens devoient-ils les rejetter parce qu'elles avoient été connues, avancées ou prouvées par des Payens ? Ce n'étoit pas l'avis de saint Justin, qui dit des Philosophes, quaecumque apud omnes recte dicta sunt, nostra Christianorum sunt, & qui retint des idées de Platon tout ce qu'il en put concilier avec la morale & les dogmes du Christianisme. Qu'importe en effet au dogme de la Trinité, qu'un métaphysicien, à force de subtiliser ses idées, ait ou non rencontré je ne sais quelle opinion qui lui soit analogue ? Qu'en conclure, sinon que ce mystere loin d'être impossible, comme l'impie le prétend, n'est pas tout-à-fait inaccessible à la raison.

2°. Qu'emportés par la chaleur de la dispute, nos premiers docteurs se sont quelquefois embarrassés dans des parallogismes, ont mal choisi leurs argumens, & montré peu d'exactitude dans leur logique.

3°. Qu'ils ont outré le mépris de la raison & des sciences naturelles.

4°. Qu'en suivant à la rigueur quelqu'un de leurs préceptes, la religion qui doit être le lien de la société, en deviendroit la destruction.

5°. Qu'il faut attribuer ces défauts aux circonstances des tems & aux passions des hommes, & non à la religion qui est divine, & qui montre par-tout ce caractere.

Après ces observations sur la doctrine des Peres en général, nous allons parcourir leurs sentimens particuliers, selon l'ordre dans lequel l'histoire de l'Eglise nous les présente.

Saint Justin fut un des premiers Philosophes qui embrasserent la doctrine évangélique. Il reçut au commencement du second siecle, & signa de son sang la foi qu'il avoit défendue par ses écrits. Il avoit d'abord été stoïcien, ensuite péripatéticien, pythagoricien, platonicien, lorsque la constance avec laquelle les Chrétiens alloient au martyre, lui fit soupçonner l'imposture des accusations dont on les noircissoit. Telle fut l'origine de sa conversion. Sa nouvelle façon de penser ne le rendit point intolérant ; au contraire, il ne balança pas de donner le nom de Chrétiens, & de sauver tous ceux qui avant & après Jésus-Christ, avoient su faire un bon usage de leurs raisons. Quicumque, dit-il, secundum rationem & verbum vixere, Christiani sunt, quamvis athei, id est, nullius numinis cultores habiti sunt, quales inter Graecos fuere Socrates, Heraclitus, & his similes, inter barbaros autem Abraham & Ananias & Azarias & Misael & Elias, & alii complures ; & celui qui nie la conséquence que nous venons de tirer de ce passage, & que nous pourrions inférer d'un grand nombre d'autres, est, selon Brucker, d'aussi mauvaise foi que s'il disputoit en plein midi contre la lumiere du jour.

Justin pensoit encore, & cette opinion lui étoit commune avec Platon & la plûpart des peres de son tems, que les Anges avoient habité avec les filles des hommes, & qu'ils avoient des corps propres à la génération.

D'où il s'ensuit que quelques éloges qu'on puisse donner d'ailleurs à la piété & à l'érudition de Bullus, de Baltus & de le Nourri, ils nuisent plus à la religion qu'ils ne la servent, par l'importance qu'ils semblent attacher aux choses, lorsqu'on les voit occupés à obscurcir des questions fort claires. Saint Justin étoit homme, & s'il s'est trompé en quelques points, pourquoi n'en pas convenir ?

Tatien syrien d'origine, gentil de religion, sophiste de profession, fut disciple de saint Justin. Il partagea avec son maître la haine & les persécutions du cynique Crescence. Entraîné par la chaleur de son imagination, Tatien se fit un christianisme mêlé de philosophie orientale & égyptienne. Ce mélange malheureux souilla un peu l'apologie qu'il écrivit pour la vérité du Christianisme, apologie d'ailleurs pleine de vérité, de force & de sens. Celui-ci fut l'auteur de l'hérésie des Encratites. Voyez cet article. Cet exemple ne sera pas le seul d'hommes transfuges de la Philosophie que l'Eglise reçut d'abord dans son giron, & qu'elle fut ensuite obligée d'en rejetter comme hérétiques.

Sans entrer dans le détail de ses opinions, on voit qu'il étoit dans le système des émanations ; qu'il croyoit que l'ame meurt & ressuscite avec le corps ; que ce n'étoit point une substance simple, mais composée de parties ; que ce n'étoit point par la raison, qui lui étoit commune avec la bête, que l'homme en étoit distingué, mais par l'image & la ressemblance de Dieu qui lui avoit été imprimée ; que si le corps n'est pas un temple que Dieu daigne habiter, l'homme ne differe de la bête que par la parole ; que les démons ont trouvé le secret de se faire auteurs de nos maladies, en s'emparant quelquefois de nous quand elles commencent ; que c'est par le péché que l'homme a perdu la tendance qu'il avoit à Dieu, tendance qu'il doit travailler sans-cesse à recouvrer, &c.

Théophile d'Antioche eut occasion de parcourir les livres des Chrétiens chez son savant ami Antolique, & se convertit ; mais cette faveur du ciel ne le débarrassa pas entiérement de son platonisme. Il appelle le Verbe , & ce mot joue dans ses opinions le même rôle que dans Platon. Du-moins le savant Petau s'y est-il trompé.

Athenagoras fut en même tems chrétien, platonicien & éclectique. On peut conjecturer ce qu'il entendoit par ce mot , qui a causé tant de querelles ; lorsqu'il dit : a principio Deus, qui est mens aeterna, ipse in se ipso habet, cum ab aeterno rationalis sit ; & ailleurs, Plato excelso animo mentem aeternam & sola ratione comprehendendum Deum est contemplatus ; de suprema potestate optime disseruit. Le Verbe ou est en Dieu de toute éternité, parce qu'il a raisonné de toute éternité. Platon homme d'un esprit élevé & profond, a bien connu la nature divine.

Celui-ci croyoit aussi au commerce des Anges avec les filles des hommes. Ces impudiques errent à présent autour du globe, & traversent autant qu'il est en eux, les desseins de Dieu. Ils entraînent les hommes à l'idolatrie, & ils avalent la fumée des victimes ; ils jettent pendant le sommeil dans nos esprits, des songes & des images qui les souillent, &c.

Après Athénagore, on rencontre dans les fastes de l'Eglise, les noms d'Hermias & d'Irenée. L'un s'appliqua à exposer avec soin les sentimens des Philosophes payens, & l'autre à en purger le Christianisme. Il seroit seulement à souhaiter qu'Irenée eût été aussi instruit qu'Hermias fut zèlé ; il eût travaillé avec plus de succès.

Nous voici arrivés au tems de Tertullien, ce bouillant Africain qui a plus d'idée que de mots, & qui seroit peut-être à la tête de tous les docteurs du Christianisme, s'il eût pû concevoir la distinction des deux substances, & ne pas se faire un Dieu & une ame corporels. Ses expressions ne sont point équivoques. Quis negabit, dit-il, Deum corpus esse, etsi spiritus sit ?

Clément d'Alexandrie parut dans le second siecle. Il avoit été l'éleve de Pantaenus, philosophe stoïcien, avant que d'être chrétien. Si cependant on juge de sa philosophie, par les précautions qu'il exige avant que d'initier quelqu'un au Christianisme, on sera tenté de la croire un peu pythagorique ; & si l'on en juge par la diversité de ses opinions, fort éclectique. L'éclectisme ou cette philosophie qui consistoit à rechercher dans tous les systèmes ce qu'on y reconnoissoit de vérités, pour s'en composer un particulier, commençoit à se renouveller dans l'Eglise. Voyez l'article ECLECTIQUE.

L'histoire d'Origene, dont nous aurions maintenant à parler, fourniroit seule un volume considérable ; mais nous nous en tiendrons à notre objet, en exposant les principaux axiomes de sa Philosophie.

Selon Origene, Dieu dont la puissance est limitée par les choses qui sont, n'a créé de matiere qu'autant qu'il en avoit à employer ; il n'en pouvoit ni créer ni employer davantage. Dieu est un corps seulement plus subtil. Toute la matiere tend à un état plus parfait. La substance de l'homme, des Auges, de Dieu & des personnes divines est la même. Il y a trois hypostases en Dieu, & par ce mot il n'entend point des personnes. Le fils differe du pere, & il y a entr'eux quelque inégalité. Il est le ministre de son pere dans la création. Il en est la premiere émanation. Les Anges, les esprits, les ames occupent dans l'univers un rang particulier, selon leur degré de bonté. Les Anges sont corporels ; les corps des mauvais anges sont plus grossiers. Chaque homme a un ange tutélaire, auquel il est confié au moment de sa naissance ou de son baptême. Les Anges sont occupés à conduire la matiere, chacun selon son mérite. L'homme en a un bon & un mauvais. Les ames ont été créées avant les corps. Les corps sont des prisons où elles ont été renfermées pour quelques fautes commises antérieurement. Chaque homme a deux ames ; c'étoient des esprits purs qui ont dégénéré avec l'intérêt que Dieu y prenoit. Outre le corps, les ames ont encore un véhicule plus subtil qui les enveloppe. Elles passent successivement dans différens corps. L'état d'ame est moyen entre celui d'esprit & de corps. Les ames les moins coupables sont allées animer les astres. Les astres, en qualité d'êtres animés, peuvent indiquer l'avenir. Tout étant en vicissitude, la damnation n'est point éternelle ; les ames peuvent se relever & retomber. Les fautes des ames s'expient par le feu. Il y a des régions basses où les ames des pécheurs subissent des châtimens proportionnés à leurs fautes. Elles en sortent libres de souillures, & capables d'atteindre aux demeures éternelles. Voici les différens degrés du bonheur de l'homme, perdre ses erreurs, connoître la vérité, être ange, s'assimiler à Dieu, s'y unir. L'homme en jouit successivement sur la terre, dans l'air, dans le paradis. Le cours de félicité se remplit dans un espace de siecles indéfinis ; après lequel Dieu étant tout en tout, & tout étant en Dieu, il n'y aura plus de mal dans l'univers, & le bonheur sera général & parfait. A ce monde il en succédera un autre ; à celui-ci un troisieme, & ainsi de suite, jusqu'à celui où Dieu sera tout en tout, & ce monde sera le dernier. La base de ce système, c'est que Dieu produit sans cesse, & qu'il en émane des mondes qui y retournent & y retourneront jusqu'à la consommation des siecles où il n'y aura plus que lui.

Les tems de l'Eglise qui suivent, virent naître Anatolius, qui ressuscita le Péripatétisme ; Arnobe, qui mélant l'Optimisme avec le Christianisme, disoit que nous prenant pour la mesure de tout, nous faisons à la nature qui est bonne, un crime de notre ignorance ; Lactance, qui prit en une telle haine toutes les sectes philosophiques, qu'il ne put souffrir que ni Socrate ni Platon eussent dit d'eux-mêmes quelque chose de bien, & qui affectant des connoissances de toutes sortes d'especes, tomba dans un grand nombre de puérilités qui défigurent ses ouvrages d'ailleurs très-précieux ; Eufebe, qui nous auroit laissé un ouvrage incomparable dans sa préparation évangélique, s'il eût été mieux instruit des principes de la Philosophie ancienne, & qu'il n'eût pas pris les dogmes absurdes des argumentateurs de son tems pour les vrais sentimens de ceux dont ils se disoient les disciples ; Didyme d'Alexandrie, qui sut très-bien séparer d'Aristote & de Platon ce qu'ils avoient de faux & de vrai, être philosophe & chrétien, croire avec jugement, & raisonner avec sobriété ; Chalcidius, dont le Christianisme est demeuré fort suspect jusqu'à ce jour ; Augustin, qui fut d'abord manichéen ; Synesius, dont les incertitudes sont peintes dans une lettre qu'il écrivit à son frere d'une maniere naïve qui charme. La voici : ego cum me ipsum considero, omnino inferiorem sentio quam ut episcopali fastigio respondeam. Plus je m'examine moi-meme, plus je me sens au-dessous du poids & de la dignité épiscopale ; ac sane apud te de animi mei motibus disputabo ; neque enim apud alium, quam amicissimum tuum unaque mecum educatum caput, commodius istud facere possum. Je ne balancerai point à vous dévoiler mes sentimens ; & à qui pourrois-je montrer plus volontiers le fond de mon coeur, qu'à mon frere, qu'à celui avec lequel j'ai été nourri, élevé, qu'à l'homme qui m'aime le mieux, & à qui je suis le plus cher ? Te enim aequum est & earumdem curarum esse participem, & cum noctu vigilare, tum interdiu cogitare, quemadmodum aut boni mihi aliquid contingat aut mali quidpiam evitare possim. Il faut qu'il partage tous mes soins ; s'il est possible qu'en veillant avec moi la nuit, en m'entretenant le jour, je me procure quelque bien, ou que j'évite quelque mal, il ne s'y refusera pas. Audi igitur quis sit mearum rerum status, quarum plerumque, jam, opinor, tibi fuerint cognitae. Vous connoissez déja une partie de ma situation, écoutez-moi, mon frere, & sachez le reste. Cum exiguum onus suscepissem, commode mihi hactenus sustinuisse videor, philosophiam. Jusqu'à présent je me suis contenté du rôle de philosophe ; il étoit facile, & je crois m'en être assez bien acquité. Mais on a mal jugé de ma capacité ; & parce qu'on m'a vû soutenir sans peine un fardeau leger, on a cru que j'en pourrois porter un plus pesant. Pro eo vero quod non omnino ab ea aberrare videor, à nonnullius laudatus, majoribus dignus ab iis existimor, qui animi facultatem habilitatemque dignoscere nequeant. Jugeons-nous nous-mêmes, & ne nous laissons point séduire par cet éloge. Craignons que de nouveaux honneurs ne nous rendent vains, & qu'un poste plus élevé ne m'ôte le peu de mérite que j'ai dans celui que j'occupe, s'il arrive qu'après avoir pour ainsi dire, méprisé l'un, l'on me reconnoisse indigne de l'autre. Vereor autem ne arrogantior redditus, cum honorem admittent, ab utroque excidam, postquam alterum quidem contempsero, alterius vero non fuerim dignitatem assecutus. Dieu, la loi, & la main sacrée de Théophile, m'ont attaché à une femme ; il ne me convient ni de m'en séparer, ni de vivre secrettement avec elle, comme un adultere. Mihi & Deus ipse & lex & sacra Theophili manus uxorem dedit, quare hoc omnibus praedico, & testor neque me ab ea prorsus sejungi velle, neque adulteri instar cum ea clanculum consuescere. Je partage mon tems en deux portions. J'étudie ou j'enseigne. En étudiant, je suis ce qu'il me plaît. En enseignant, c'est autre chose. Duobus hisce tempus identidem distinguo ludis, atque studiis. At cum in studiis occupor, tum mihi uni deditus sum ; in ludendo vero, maximè omnibus expositus. Il est difficile, il est impossible de chasser de son esprit des opinions qui y sont entrées par la voie de la raison, & que la force de la démonstration y retient. Et vous n'ignorez pas qu'en plusieurs points, la Philosophie ne s'accorde ni avec nos dogmes, ni avec nos decrets. Difficile est, vel fieri potius nullo pacto potest ut quae dogmata scientiarum ratione ad demonstrationem perducta in animum pervenerint, convellantur. Nosti autem Philosophiam cum plerisque ex pervulgatis usu decretis pugnare. Jamais, mon frere, je ne me persuaderai que l'origine de l'ame soit postérieure au corps ; je ne prendrai jamais sur moi de dire que ce monde & ses autres parties puissent passer en même tems. J'ai une façon de penser qui n'est point celle du vulgaire, & il y a dans cette doctrine usée & rebattue de la résurrection, je ne sais quoi de ténébreux & de sacré, que je ne saurois digérer. Une ame imbue de la Philosophie, un esprit accoutumé à la recherche de la vérité, ne s'expose pas sans répugnance à la nécessité de mentir. Etenim nunquam profecto mihi persuasero animum originis esse posteriorem corpore ; mundum caeterasque ejus partes unà interire nunquam dixero ; tritam illam ac decantatam resurrectionem sacrum quidpiam atque arcanum arbitror, longeque absum à vulgi opinionibus comprobandis. Animus certè quidem Philosophia imbutus ac veritatis inspector mentiendi necessitati non nihil remittit. Il en est de la vérité comme de la lumiere. Il faut que la lumiere soit proportionnée à la force de l'organe, si l'on ne veut pas qu'il en soit blessé. Les ténebres conviennent aux ophtalmiques, & le mensonge aux peuples ; & la vérité nuit à ceux dont l'esprit ou inactif ou hébété ne peut ou n'est pas accoutumé à approfondir. Lux enim veritati, oculus vulgo proportione quadam respondent. Et oculus ipse non sine damno suo immodica luce perfruitur. Ac uti ophtalmicis caligo magis expedit, eodem modo mendacium vulgo prodesse arbitror, contra nocere veritatem iis qui in rerum perspicuitatem intendere mentis aciem nequeunt. Cependant voyez ; je ne refuse pas d'être évêque, s'il m'est permis d'allier les fonctions de cet état avec mon caractere & ma franchise, philosophant dans mon cabinet, répetant des fables en public, n'enseignant rien de nouveau, ne desabusant sur rien, & laissant les hommes dans leurs préjugés à-peu-près comme ils me viendront ; mais le croyez-vous ? Haec si mihi episcopalis nostri muneris jussa concesserint, subire hanc dignitatem possint, ita ut domi quidem philosopher, foris vero fabulas texam, ut nihil penitùs docens, sic nihil etiam dedocens atque in praesumptâ animi opinione sistens. Sans cela, s'il faut qu'un évêque soit populaire dans ses opinions, je me décélerai sur le champ. On me conférera l'épiscopat si l'on veut ; mais je ne veux pas mentir. J'en atteste Dieu & les hommes. Dieu & la vérité se touchent. Je ne veux point me rendre coupable d'un crime à ses yeux. Non, mon frere, non, je ne puis dissimuler mes sentimens. Jamais ma bouche ne proférera le contraire de ma pensée. Mon coeur est sur le bord de mes levres. C'est en pensant comme je fais, c'est en ne disant rien que je ne pense, que j'espere de plaire à Dieu. Si dixerint episcopum opinionibus popularem esse, ego me illico omnibus manifestum praebebo. Si ad episcopale munus vocer, nolo ementiri dogmata. Horum Deum, horum homines testes facio. Affinis est Deo veritas, apud quem criminis expers omnis cupio. Dogmata porro mea nunquam obtegam, neque mihi ab animo lingua dissidebit. Ita sentiens, itaque loquens placere me Deo arbitror. Voyez les ouvrages de Synésius dans la Collect. des Peres de l'Eglise.

Cette protestation ne l'empêcha point d'être consacré évêque de Ptolomaïs. Il est incroyable que Théophile n'ait point balancé à élever à cette dignité un philosophe infecté de Platonisme, & s'en faisant honneur. On eut égard, dit Photius, à la sainteté de ses moeurs, & l'on espéra de Dieu qu'il l'éclaireroit un jour sur la résurrection & sur les autres dogmes que ce philosophe rejettoit.

Denis l'Aréopagite, Claudien Mamert, Boëce, Aeneas Gazaeus, Zacharie le Scholastique, Philopon & Nemesius, ferment cette ere de la Philosophie chrétienne que nous allons suivre, dans l'Orient, dans la Grece & dans l'Occident, en exposant les révolutions depuis le septieme siecle jusqu'au douzieme.

Cette philosophie des émanations, cette chaîne d'esprits qui descendoit & qui s'élevoit, toutes ces visions platonico-origénico-alexandrines qui promettoient à l'homme un commerce plus ou moins intime avec Dieu, étoient très-propres à entretenir l'oisiveté pieuse de ces contemplateurs inutiles qui remplissoient les forêts, les monasteres & les solitudes ; aussi fit-elle fortune parmi eux. Le Péripatéticisme au contraire, dont la dialectique subtile fournissoit des armes aux hérétiques, s'accréditoit d'un autre côté. Il y en eut qui, jaloux d'un double avantage, tâcherent de concilier Aristote avec Platon ; mais celui-ci perdit de jour en jour ; Aristote gagna, & la philosophie alexandrine étoit presque oubliée, lorsque Jean Damascene parut. Il professa dans le monde le Péripatétisme qu'il ne quitta point dans son monastere. Il fut le premier qui commença à introduire l'ordre didactique dans la Théologie. Les scholastiques pourroient le regarder comme leur fondateur. Damascene fit-il bien d'associer Aristote à Jesus-Christ, & l'Eglise lui a-t-elle une grande obligation d'avoir habillé ses dogmes à la mode scholastique ? c'est ce que je laisse discuter à de plus habiles.

Les ténebres de la barbarie se répandirent en Grece au commencement du huitieme siecle. Dans le neuvieme la Philosophie y avoit subi le sort des Lettres qui y étoient dans le dernier oubli. Ce fut la suite de l'ignorance des empereurs, & des incursions des Arabes. Le jour ne reparut, mais foible, que vers le milieu du neuvieme ; sous le regne de Michel & de Bardas. Celui-ci établit des écoles, & stipendia des maîtres. Les connoissances s'étendirent un peu sous Constantin Porphyrogenete. Psillus l'ancien & Léon Allatius son disciple lutterent contre les progrès de l'ignorance, mais avec peu de succès. L'honneur de relever les Lettres & la Philosophie étoit réservé à ce Photius qui deux fois nommé patriarche, & deux fois déposé, mit toute l'Eglise d'orient en combustion. Cet homme nous a conservé dans sa bibliotheque des notices d'un grand nombre d'ouvrages qui n'existent plus. Il fit aussi l'éducation de l'empereur Léon, qu'on a surnommé le sage, & qui a passé pour un des hommes les plus instruits de son tems. On trouve sous le regne de Léon, dans la liste des restaurateurs de la Science, les noms de Nicetas David, de Michel Ephesius, de Magentinus, d'Eustratius, de Michel Anchialus, de Nicephore Blemmides, qui furent suivis de Georgius de Pachemere, de Théodore Méthochile, de Georgius de Chypre, de Georgius Lapitha, de Michel Psellius le jeune, & de quelques autres travaillans successivement à ressusciter les Lettres, la Poésie & la Philosophie aristotélique & péripatéticienne jusqu'à la prise de Constantinople, tems où les connoissances abandonnerent l'Orient, & vinrent chercher le repos en Occident, où nous allons examiner l'état de la Philosophie depuis le septieme siecle jusqu'au douzieme.

Nous avons vû les Sciences, les Lettres & la Philosophie décliner parmi les premiers Chrétiens, & s'éteindre pour ainsi dire à Boëce. La haine que Justinien portoit aux Philosophes ; la pente des esprits à l'esclavage, les miseres publiques, les incursions des Barbares, la division de l'Empire romain, l'oubli de la langue greque, même par les propres habitans de la Grece, mais sur-tout la haine que la superstition s'efforçoit à susciter contre la Philosophie, la naissance des Astrologues, des Genethliaques & de la foule des fourbes de cette espece, qui ne pouvoient espérer d'en imposer qu'à la faveur de l'ignorance, consommerent l'ouvrage ; les livres moraux de Grégoire devinrent le seul livre qu'on eût.

Cependant il y avoit encore des hommes ; & quand n'y en a-t-il plus ? mais les obstacles étoient trop difficiles à surmonter. On compte parmi ceux qui chercherent à secouer le joug de la barbarie, Capella, Cassiodore, Macrobe, Firmicus Maternus, Chalcidius, Augustin ; au commencement du septieme siecle, Isidore d'Hispale, les moines de l'ordre de S. Benoît, sur la fin de ce siecle Aldhelme, au milieu du huitieme Beda, Acca, Egbert, Alcuin, & notre Charlemagne auquel ni les tems antérieurs, ni les tems postérieurs n'auroient peut-être aucun homme à comparer, si la Providence eût placé à côté de lui des personnages dignes de cultiver les talens qu'elle lui avoit accordés. Il tendit la main à la science abattue, & la releva. On vit renaître par ses encouragemens les connoissances profanes & sacrées, les Sciences, les Arts, les Lettres & la Philosophie. Il arrachoit cette partie du monde à la barbarie, en la conquérant ; mais la superstition renversoit d'un côté ce que le prince édifioit d'un autre. Cependant les écoles qu'il forma subsisterent, & c'est de-là qu'est sortie la lumiere qui nous éclaire aujourd'hui. Qui est-ce qui écrira dignement la vie de Charlemagne ? Qui est-ce qui consacrera à l'immortalité le nom d'Alfred, à qui la Science a les mêmes obligations en Angleterre, qu'à Charlemagne en France ?

Nous n'oublierons pas ici Rabanus Maurus, qui naquit dans le huitieme siecle, & qui se fit distinguer dans le neuvieme ; Strabon, Scot, Eginhart, Ansegisus, Adelhard, Hincmar, Paule-Wenfride, Lupus-Servatus, Herric, Angilbert, Agobard, Clément, Wandalbert, Reginon, Grimbeld, Ruthard, & d'autres qui repousserent la barbarie, mais qui ne la dissiperent point. On sait quelle fut encore l'ignorance du dixieme siecle. C'étoit envain que les Ottons d'un côté, les rois de France d'un autre, les rois d'Angleterre & différens princes offroient des asyles & des secours à la Science, l'ignorance duroit. Ah, si ceux qui gouvernent, parcouroient des yeux l'histoire de ces tems, ils verroient tous les maux qui accompagnent la stupidité ; & combien il est difficile de reproduire la lumiere, lorsqu'une fois elle s'est éteinte ! Il ne faut qu'un homme & moins d'un siecle pour hébêter une nation ; il faut une multitude d'hommes & le travail de plusieurs siecles pour la ranimer.

Les écoles d'Oxford produisirent en Angleterre Bridferth, Dunstan, Alfred de Malmesburi ; celles de France, Remy, Constantin Abbon ; on vit en Allemagne Notkere, Ratbode, Nannon, Bruno, Baldric, Israel, Ratgerius, &c.... mais aucun ne se distingua plus que notre Gerbert, souverain pontife sous le nom de Sylvestre second, & notre Odon ; cependant le onzieme siecle ne fut pas fort instruit. Si Guidon Arétin composa la gamme, un moine s'avisa de composer le droit pontifical, & prépara bien du mal aux siecles suivans. Les princes occupés d'affaires politiques, cesserent de favoriser les progrès de la Science, & l'on ne rencontre dans ces tems que les noms de Fulbert, de Berenger & de Lanfranc, & des Anselmes ses disciples, qui eurent pour contemporains ou pour successeurs Léon neuf, Maurice, Franco, Willeram, Lambert, Gerard, Wilhelme, Pierre Damien, Herman Contracte, Hildebert, & quelques autres, tels que Roscelin.

La plûpart de ces hommes, nés avec un esprit très-subtil, perdirent leur tems à des questions de dialectique & de théologie scholastique ; & la seule obligation qu'on leur ait, c'est d'avoir disposé les hommes à quelque chose de mieux.

On voit les frivolités du Péripatétisme occuper toutes les têtes au commencement du douzieme siecle. Que font Constantinus Afer, Daniel Morlay, Robert, Adelard, Oton de Frisingue, &c. ils traduisent Aristote, ils disputent, ils s'anathématisent, ils se détestent, & ils arrêtent plutôt la Philosophie qu'ils ne l'avancent. Voyez dans Gerson & dans Thomasius l'histoire & les dogmes d'Alméric. Celui-ci eut pour disciple David de Dinant. David prétendit avec son maître, que tout étoit Dieu, & que Dieu étoit tout ; qu'il n'y avoit aucune différence entre le créateur & la créature ; que les idées créent & sont créées ; que Dieu étoit la fin de tout, en ce que tout en étoit émané, & y retournoit, &c. Ces opinions furent condamnées dans un concile tenu à Paris, & les livres de David de Dinant brûlés.

Ce fut alors qu'on proscrivit la doctrine d'Aristote ; mais tel est le caractere de l'esprit humain, qu'il se porte avec fureur aux choses qu'on lui défend. La proscription de l'Aristotélisme fut la date de ses progrès, & les choses en vinrent au point qu'il y eut plus encore de danger à n'être pas péripatéticien qu'il y en avoit eu à l'être. L'Aristotélisme s'étendit peu-à-peu, & ce fut la philosophie régnante pendant le treizieme & le quatorzieme siecles entiers. Elle prit alors le nom de scholastique. Voyez SCHOLASTIQUE philosophie. C'est à ce moment qu'il faut aussi rapporter l'origine du droit canonique, dont les premiers fondemens avoient été jettés dans le cours du douzieme siecle. Du droit canonique, de la théologie scholastique & de la philosophie, mêlés ensemble, il naquit une espece de monstre qui subsiste encore, & qui n'expirera pas si-tôt.

JESUS-CHRIST, ordre militaire de Portugal. Voyez CHRIST.

JESUS-CHRIST, nom d'un ordre de chevalerie, institué à Avignon par le pape Jean XXII. en 1320. Les chevaliers de cet ordre portoient une croix d'or pleine, émaillée de rouge, enfermée dans une autre croix patée d'or de même façon, mais d'émaux différens que celle de Christ en Portugal. Voy. CHRIST. Favin, théat. d'honn. & de chevalerie.

JESUS ET MARIE, ordre de chevalerie connu à Rome sous le nom de Jesus & Marie du tems du pape Paul V. qui à ce qu'on croit en forma le projet. Par les lois de cet ordre, que l'on a encore, il est ordonné que chacun des chevaliers porteroit un habit blanc dans les solemnités, & qu'il entretiendroit un cheval & un homme armé contre les ennemis de l'état ecclésiastique. Les chevaliers portoient une croix bleu-céleste, dans laquelle étoient écrits les noms de Jesus & Marie. Le grand-maître étoit pris d'entre trois chevaliers que le pape proposoit au chapitre, comme digne d'être revêtus de cette charge, & capables d'en remplir les fonctions. Ceux qui demandoient d'entrer dans l'ordre sans faire preuve de leur noblesse, étoient obligés de fonder une commanderie de deux cent écus de rente pour le moins, dont ils jouissoient eux-mêmes pendant leur vie, & qui à leur mort demeuroit à l'ordre. Bonami, catalog. ordin. equestr.


JETS. m. (Gramm.) il se dit, 1°. du mouvement d'un corps lancé avec le bras, ou avec un instrument ; le jet de la pierre avec la fronde est plus violent qu'avec le bras : 2°. de l'espace qu'il mesure ; à deux jets de pierre : 3°. de la poussée d'une branche : 4°. des essains d'abeilles : 5°. des eaux jaillissantes : 6°. du calcul par les jettons : 7°. en fauconnerie, en pêche, en fonderie, en peinture, en marine, en artifice, en plusieurs autres arts, voyez les articles suivans.

JET des bombes, (Artillerie) est le nom qu'on donne à la partie des Mathématiques qui traite du mouvement des bombes, de la ligne qu'elles décrivent dans l'air, de la maniere dont il faut disposer le mortier pour qu'elles aillent tomber à une distance donnée, &c. Voyez les articles BALISTIQUE & PROJECTILE, où sont expliquées les lois du mouvement des bombes, ou plutôt en général de tout corps pesant lancé avec une vîtesse & une direction donnée. Voyez aussi JET, Art milit. (O)

JET d'eau, (Hydraulique) est une lance ou lame d'eau qui s'éleve en l'air par un seul ajutage qui en détermine la grosseur. Les jets croisés en forme de berceaux, sont appellés jets dardans, & les droits perpendiculaires. Il y a encore des gerbes, des bouillons. Consultez ces articles à leur lettre. (K)

Mariotte démontre qu'un jet d'eau ne peut jamais monter aussi haut qu'est l'eau dans son réservoir. En effet, l'eau qui sort d'un ajutage devroit monter naturellement à la hauteur de son réservoir, si la résistance de l'air & les frottemens des tuyaux ne l'en empêchoient. Voyez l'article FLUIDE. Mais cette résistance & ces frottemens font que l'eau perd nécessairement une partie de son mouvement, & par conséquent ne remonte pas aussi haut. Ce même auteur a aussi fait voir que lorsqu'un grand jet se distribue en un grand nombre d'autres plus petits, le quarré du diametre du principal ajutage doit être proportionnel à la somme de toutes les dépenses de ses branches ; & que si le réservoir a cinquante-deux piés de haut, & l'ajutage six lignes de diametre, celui du conduit doit être de trois pouces. Les différentes regles pour les jets d'eau se trouvent renfermées dans un ouvrage exprès de M. Mariotte, imprimé dans le recueil de ses oeuvres. Chambers. (O)

JET se dit, dans l'Art militaire, des armes propres à lancer des corps avec force pour offenser l'ennemi de loin. Chez les anciens, la fronde, l'arc, la baliste, la catapulte, &c. étoient des armes de jet. Dans l'usage présent, les canons, les mortiers, les fusils, &c. sont les armes de jet qui ont été substituées aux anciennes.

Jet se dit particulierement de la bombe jettée ou lancée par le moyen du mortier. On appelle le jet des bombes, l'art ou la science de les tirer avec méthode pour les faire tomber sur des lieux déterminés. Cette science fait la principale partie de la balistique, qui traite du mouvement des corps pesans jettés ou lancés en l'air suivant une ligne de direction oblique ou parallele à l'horison. Voyez BALISTIQUE ou PROJECTILE.

On a vû au mot BOMBE quelle est à peu-près l'époque de l'invention de cette machine. Les premiers qui ont fait usage des bombes, les tiroient avec très-peu de méthode.

Ils avoient observé que le mortier, plus ou moins incliné à l'horison, portoit la bombe à des distances inégales ; qu'en éloignant la direction du mortier de la verticale, la bombe alloit tomber d'autant plus loin que l'angle formé par la verticale & la direction du mortier approchoit de 45 degrés ; & que lorsqu'il surpassoit cette valeur, les distances où la bombe étoit portée, alloient en diminuant ; ce qui leur avoit fait conclure que la plus grande portée de la bombe étoit sous l'angle de 45 degrés. Muni de cette connoissance que la théorie a depuis confirmée, lorsqu'il s'agissoit de jetter des bombes, on commençoit à s'assûrer, par quelques épreuves, de la portée sous l'angle de 45 degrés ; & lorsqu'on vouloit jetter les bombes à une distance moins grande, on faisoit faire au mortier un angle avec la verticale plus grand ou plus petit que 45 degrés. Cet angle se prenoit au hasard ; mais après avoir tiré quelques bombes, on parvenoit à trouver à peu-près la direction ou l'inclinaison qu'il falloit donner au mortier pour faire tomber les bombes sur les lieux proposés.

Telle étoit à-peu-près la science des premiers bombardiers ; elle leur servoit presque autant que si elle avoit été plus exacte, parce que la variation de l'action de la poudre, la difficulté de faire tenir fixement & solidement le mortier dans la position qu'on veut lui donner, sont des causes qui dérangent presque toûjours les effets déterminés par la théorie.

Les premiers auteurs qui ont écrit sur l'Artillerie, comme Tartaglia de Bresce, Diego Uffano, &c.... croyoient que la bombe, ainsi que le boulet, avoit trois mouvemens particuliers ; savoir, le violent ou le droit, le mixte ou le courbe, & le naturel ou perpendiculaire.

Le mouvement étoit droit, selon ces auteurs, tant que l'impulsion de la poudre l'emportoit considérablement sur la pesanteur de la bombe : aussi-tôt que cette impulsion venoit à être balancée par la pesanteur, la ligne du mouvement du mobile devenoit courbe ; elle redevenoit naturelle ou perpendiculaire, lorsque la pesanteur l'emportoit sur la force de l'impulsion de la poudre.

C'est à Galilée, mathématicien du grand duc de Florence, qu'on doit les premieres idées exactes sur ce sujet. Il considéra la bombe comme se mouvant dans un milieu non résistant ; & en supposant que la pesanteur fait tendre les corps au centre de la terre, il trouva, comme nous allons bien-tôt le faire voir, que la courbe décrite par la bombe est une parabole. Voyez PARABOLE.

Si l'on suppose qu'un corps soit poussé par une force quelconque dans une direction oblique ou parallele à l'horisontale, elle sera celle de projection de ce corps, c'est-à-dire, la ligne dans laquelle il tend à se mouvoir ; son mouvement le long de cette ligne sera appellé mouvement de projection.

Par le mouvement de projection, le corps ou le mobile avance uniformément dans la même direction (en supposant qu'il soit sans pesanteur, & que le milieu dans lequel il se meut ne résiste point), il parcourt des espaces égaux dans des tems égaux ; mais si l'on considere que la pesanteur qui agit toujours sur lui, l'approche continuellement du centre de la terre lorsqu'il se meut librement, on verra bien-tôt que son mouvement sera composé de celui de projection, & de celui que lui imprime sa tendance au centre de la terre ; qu'ainsi il doit s'écarter de la direction qui lui a d'abord été donnée.

Si le mouvement de pesanteur étoit uniforme comme celui de projection, le corps se mouvroit dans une ligne droite qui seroit la diagonale d'un parallélograme dont les deux côtés seroient entr'eux comme le mouvement de projection est à celui de la pesanteur.

Mais comme la pesanteur fait parcourir au corps des espaces inégaux dans des tems égaux, la ligne qui résulte du concours de ces deux mouvemens doit être une ligne courbe.

Pour trouver cette ligne, il faut diviser celle de projection en plusieurs parties égales ; ces parties étant parcourues dans des tems égaux, peuvent exprimer le tems de la durée du mouvement du corps : & comme les espaces que la pesanteur fait parcourir au mobile sont comme les quarrés des tems, ces espaces sont donc entr'eux comme les quarrés des parties de la ligne de projection.

Ainsi A 6 (Planc. VIII. fig. 2. de l'Art milit.) étant la ligne de projection de la bombe qui tombe en B sur le plan horisontal A B, on divisera cette ligne en plusieurs parties égales, par exemple en 6, abaissant des perpendiculaires de tous les points de division de A 6 sur A B, l'espace 6 B parcouru par la pesanteur, sera à celui qu'elle fera parcourir au mobile dans le tems exprimé par A 1, comme 36 est à 1. C'est pourquoi on prendra D I de la 36e. partie de 6 B ; par la même raison 2 E sera les 4/36 de 6 B, 3 F les 9/36, 4 G les 16/36, & 5 H les 25/36 ; faisant ensuite passer une courbe par les points D, E, F, G, H, B, elle sera celle que la bombe ou le mobile aura décrite pendant la durée de son mouvement.

Si par le point A on mene A b égale & parallele à 6 B, & que par les points D, E, F, G, H, B, on tire des paralleles à A 6, les parties de la ligne A b, A d, A e, &c. seront égales aux espaces que la pesanteur aura fait parcourir à la bombe ; elles seront les abscisses de la courbe A D E F G H B, & les ordonnées D d, E e, F f, seront égales aux divisions correspondantes de A 6. D'où il suit que les quarrés des ordonnées de cette courbe sont entr'eux comme les abscisses. Mais cette propriété appartient à la parabole : donc la courbe décrite par la bombe est une parabole.

Si le milieu dans lequel la bombe ou le mobile se meut est résistant, la courbe qu'il décrit n'est plus une parabole. Pour la déterminer, il faudroit savoir quelle est la loi suivant laquelle l'air résiste au mouvement. En supposant que cette résistance soit proportionnelle aux quarrés des vîtesses, comme on le croit communément, M. Newton a démontré que la courbe décrite par le mobile est une espece d'hyperbole dont le sommet ne répond point au milieu de la ligne tirée du mortier au lieu où tombe la bombe ; la perpendiculaire abaissée de ce point sur cette ligne, la couperoit en deux parties inégales, dont la plus grande est celle du côté du mortier. Comme plusieurs expériences ont fait voir que la résistance de l'air n'opere pas assez sensiblement sur le mouvement des bombes, pour causer des erreurs sensibles dans les calculs où l'on en fait abstraction ; nous supposerons, comme on le fait ordinairement, qu'elles se meuvent dans un milieu non résistant.

Les lignes de projection des bombes jettées parallelement ou obliquement à l'horison, sont autant de tangentes à la courbe qu'elles décrivent ; car comme la pesanteur agit toujours sur les corps qui se meuvent librement, elle doit les détacher d'abord de la ligne de projection ; par conséquent cette ligne ne doit toucher celle qu'ils décrivent que dans un point.

On sait que les bombes se tirent avec des especes de canons courts appellés mortiers. Voyez MORTIER. La poudre dont le mortier est chargé est la force qu'on emploie pour chasser la bombe. Comme il y auroit beaucoup de difficultés à calculer les différentes impressions que les bombes peuvent recevoir des différentes quantités de poudre dont on peut charger le mortier, on a trouvé le moyen de les éluder, en supposant que la force dont la poudre est capable, est acquise par la chûte de la bombe d'une hauteur verticale quelconque. Plus cette hauteur sera grande, & plus la force ou la vîtesse acquise pendant la durée de la chûte, le sera aussi. C'est pourquoi il n'y a point de charge de poudre dont la force ne puisse se considérer comme étant produite par une chûte verticale relative à la quantité de poudre de cette charge.

En supposant que les bombes décrivent des paraboles, on peut des différentes propriétés de ces courbes tirer les regles générales & particulieres du jet des bombes ; mais comme on peut aussi les déduire du mouvement des corps pesans, nous allons en donner un précis, en ne supposant que la connoissance de la théorie de ce mouvement.

Pour exprimer la vîtesse avec laquelle la bombe est poussée suivant les différentes directions qu'on peut lui donner, nous supposerons qu'elle a acquis cette vîtesse en tombant d'une hauteur déterminée B A (Fig. 1. Planc. VIII. de l'Art milit. n°. 2.)

Il est démontré que si un corps pesant qui a acquis une vîtesse en tombant d'une hauteur déterminée B A, est poussé de bas en haut avec cette vîtesse, qu'il remontera à la même hauteur d'un mouvement retardé, dans le même tems que celui de la durée de sa chûte le long de cette hauteur. Voyez MOUVEMENT DES CORPS PESANS.

Si l'on suppose qu'il se meuve d'un mouvement uniforme pendant le même tems, avec la vîtesse acquise en tombant de B en A, il parcourra un espace double de A B, c'est-à-dire A C : dans le tems qu'il employeroit à tomber d'un mouvement accéléré de B en A, & à remonter de A en B d'un mouvement retardé, il parcourra d'un mouvement uniforme A E quadruple de A B.

Si le corps pesant est poussé suivant une ligne de direction quelconque A F, (fig. 1, 2 & 3. Planc. VIII. n°. 2.) avec la vîtesse acquise par sa pesanteur en tombant librement de B en A, pour avoir la distance où ce corps ira tomber, soit sur un plan horisontal A X, ou incliné au-dessus de l'horison A Y, ou au-dessous A Z ; il faut sur A E, quadruple de A B, décrire un arc tangent au plan, qui coupera la ligne de projection en F ou f ; si l'on abaisse de ce point la verticale F f G, le point G où elle rencontrera les plans A X, A Y & A Z, sera celui où le corps ira tomber.

Pour le démontrer, tirez la corde E F. On aura les deux triangles semblables E A F, F A G ; car les angles E A F, A F G sont égaux étant alternes : de plus, l'angle F E A qui a pour mesure la moitié de l'arc F f A, est égal à F A G qui étant formé de la tangente A G & de la corde F A, a pour mesure la moitié du même arc F f A : donc les deux triangles A E F & F A G sont semblables. C'est pourquoi l'on a E A. A F : : A F. F G. Mais dans la proportion continue le premier terme est au dernier comme le quarré du premier est au quarré du second. Donc E A. F G : : . . Et E A. F G : : E A. A F. Les deux premiers termes de cette derniere proportion expriment les vitesses que le mobile acquiert en tombant librement de E en A, & de F en G ; car les vîtesses peuvent être exprimées par les racines quarrées des espaces que la pesanteur fait parcourir au mobile. Il suit de-là que les espaces E A & A F étant entr'eux comme les vîtesses précédentes, sont parcourus uniformément dans le même tems. Ainsi ils peuvent exprimer ces vîtesses, mais les espaces parcourus par la pesanteur sont entr'eux comme les quarrés des vîtesses. Donc, puisque E A & F G sont entr'eux comme les quarrés de E A & de A F, ces lignes sont celles que la pesanteur fait parcourir à la bombe ou au mobile dans le tems qu'il décriroit E A & A F uniformément, c'est-à-dire dans un tems double de celui qu'il employeroit à tomber de B en A, d'un mouvement accéléré, ou ce qui est la même chose, dans celui qu'il employeroit à monter de A en B, & à descendre de B en A.

Il est évident que cette dénomination s'applique également aux figures 1, 2 & 3 (Planc. VIII. n°. 2.) à la ligne de projection A f des mêmes figures, & à toutes les autres qu'on peut tirer de A aux différens points de l'arc A f F E ; que si le plan est horisontal comme A X (fig. 1.), l'arc A f F E est une demi-circonférence dont A E est le diametre ; mais que si le plan est élevé sur l'horison comme A Y (fig. 2.) l'arc précédent est plus petit que la demi-circonférence, & qu'il est plus grand quand le plan est abaissé sous l'horison, comme A Z (fig. 3.)

Pour décrire ces arcs dans ces deux derniers cas, il faut élever du point A sur A Y & A Z, la perpendiculaire indéfinie A N (fig. 2. & 3.) ; puis du point C milieu de A E, élever sur cette ligne une autre perpendiculaire C L, qui étant prolongée jusqu'à la rencontre de A N, la coupera dans le point O qui sera le centre de l'arc. C'est pourquoi, si de ce point pris pour centre, & de l'intervalle O A ou O E on décrit l'arc A f F N terminée en N (fig. 3.) par sa rencontre avec A N (fig. 3.) & prolongée jusqu'en E (fig. 4.) on aura l'arc demandé.

La distance A G à laquelle la bombe va tomber du mortier, se nomme la ligne du but, ou l'amplitude de la parabole ; A E quadruple de A B, la force du jet ; & F G ou f G, la ligne de chûte.

Comme il n'est point d'usage de tirer les bombes parallelement à l'horison, nous n'entrerons point dans le détail des circonstances particulieres de ce jet ; nous donnerons seulement la maniere de déterminer la hauteur le long de laquelle la bombe doit tomber pour acquérir la vîtesse nécessaire pour décrire la ligne de projection qui dans ce cas est égale à celle de but, pendant que la pesanteur lui fait décrire la ligne de chûte.

Si l'on suppose que du point B (fig. 11.), élevé sur l'horisontal A X de la quantité B A, on ait tiré une bombe avec une charge de poudre déterminée, & que la bombe ait été tomber en G sur A X, pour trouver la hauteur de laquelle elle auroit dû tomber pour acquérir la force ou la vîtesse que lui imprime la charge de poudre du mortier pour décrire la ligne de projection B F d'un mouvement uniforme, pendant que la pesanteur lui fera décrire B A ou F G d'un mouvement accéléré, il faut mener B F parallele à A X, terminée en F par sa rencontre avec G F perpendiculaire à A X. On coupera B F en deux également en D, & l'on tirera A D, sur laquelle on élevera la perpendiculaire D E, qui sera terminée en E par sa rencontre avec le prolongement de A B ; l'on aura E B pour la hauteur demandée.

La bombe en tombant de B en A acquiert une vîtesse capable de lui faire décrire cette même ligne d'un mouvement uniforme pendant la moitié du tems de la durée de sa chûte d'un mouvement accéléré ; elle doit donc décrire B D moitié de B F, dans le même tems ; comme A B & B D sont ainsi parcourus uniformément dans le même tems, ces deux lignes sont entr'elles comme les vîtesses qui les leur font parcourir. Mais à cause du triangle rectangle A D E, l'on a A B. B D : : B D. B E ; ce qui donne A B. B E : : A B. B D. Or la vîtesse par la chûte le long de A B est égale à la racine quarrée de A B ; donc la racine quarrée de E B exprime la vîtesse par B D : donc E B est la hauteur de laquelle la bombe doit tomber pour acquérir une vîtesse capable de pousser la bombe par le mouvement de projection de B en D, dans le tems de la moitié de la durée de la chûte accélérée de la bombe le long de B A. Or dans un tems double cette même vîtesse doit lui faire parcourir B F double de B D ; donc elle lui fera parcourir cet espace dans le tems que la pesanteur fera parcourir à la bombe la ligne B A ; donc, &c.

La force du jet, la ligne de projection, & la ligne de chûte sont en proportion continue, c'est-à-dire que (Planc. VIII. n°. 2. fig. 1, 2 & 3.) A E. A F : : A F. F G ; ce qui est évident, puisque les triangles semblables E A F, F A G donnent cette même proportion.

Il suit de-là que lorsqu'on connoît l'amplitude de la parabole, & l'angle de l'inclinaison du mortier, on peut trouver la force du jet. Car dans le triangle F G A on connoît A G par la supposition, ainsi que l'angle F A G. De plus l'angle A G F qui est droit fig. 1, & qui est égal à G A P, plus G P A, fig. 2, & au droit A P G moins P A G fig. 3. C'est pourquoi on viendra par la Trigonométrie à la connoissance de G F & de A F. Ces deux lignes étant connues, on trouvera A F, en cherchant une troisieme proportionnelle à G F & A F.

On voit par-là que si l'on tire une bombe avec une charge de poudre quelconque, qu'on observe l'angle d'inclinaison du mortier, & la distance où la bombe sera portée, on peut trouver la hauteur d'où elle auroit dû tomber pour acquérir une force qui agissant sur elle dans la direction du mortier, soit capable de produire le même effet que l'impulsion de la poudre dont il aura été chargé.

Si par les points f F (fig. 4.) on tire f d & F D perpendiculaire à A E, ces lignes seront égales à l'amplitude A G. Or comme tous les points de la demi-circonférence A F f E terminent les différentes lignes de projection selon lesquelles on peut tirer la bombe pour la faire tomber sur A X avec la charge de poudre exprimée par la force du jet A E, il s'ensuit que si de tous ces points on mene des perpendiculaires à A E, ou si l'on tire une infinité d'ordonnées à A E, elles exprimeront chacune la distance où la bombe ira tomber, tirée sous l'angle d'inclinaison formée par l'horisontale A X, & par les lignes de projection menées de A aux différens points ou aux ordonnées, rencontrant la demi-circonférence A f F E.

Il résulte de cette considération (Planc. VIII. n°. 2. fig. 1 & 4.), 1°. que le rayon C L étant la plus grande de ces ordonnées, exprime la plus grande distance A M où la bombe peut être chassée par la charge du mortier ; comme l'on a cette amplitude lorsque la ligne de projection est A L qui donne l'angle L A M de 45 degrés, puisque sa mesure est la moitié de l'arc A ff L de 90 degrés, il s'ensuit que pour avoir la plus grande distance où la bombe peut aller, il faut que l'angle de projection soit de 45 degrés.

2°. Que comme les ordonnées également distantes du rayon C L perpendiculaire sur A E sont égales, les inclinaisons A f, A F également au-dessus & au-dessous de 45 degrés, donnent des amplitudes égales.

Ainsi l'angle de projection étant de 30 degrés ou de 60, la bombe ira à la même distance, parce qu'ils different également de 45 degrés.

3°. Comme les ordonnées d f, d f, sont les sinus des arcs A f, A f, & que les angles f A G, f A G ont pour mesure la moitié de ces arcs, les portées A G, A G égales aux ordonnées d f, d f sont entr'elles comme les sinus des arcs A f, A f, ou ce qui est la même chose, comme les sinus des angles doubles de l'inclinaison du mortier.

Ainsi, lorsque l'angle d'inclinaison du mortier est de 15 degrés, l'arc A f est à 30 ; mais comme le sinus de cet arc est la moitié du rayon, la portée de la bombe tirée sous l'angle de 15 degrés, est la moitié de celle qu'on a sous l'angle de 45 degrés.

Si l'on veut connoître la plus grande hauteur à laquelle la bombe s'éleve sur l'horisontal A X (fig. 1. Planc. VIII. n°. 2.), il faut du point I milieu de A G, élever sur cette ligne la perpendiculaire I R, prolongée jusqu'à ce qu'elle rencontre la ligne de projection A F. On suppose qu'elle le fait en R. Si l'on coupe ensuite I R en deux également en K, ce point sera celui de la plus grande élévation de la bombe, & par conséquent I K sera la hauteur demandée.

Pour le démontrer, considérez que I R coupant A G en deux également, coupe de même A F en R, & que comme I R est la moitié de la ligne de chûte F G, I K moitié de I R est le quart de F G. Or le tems que la bombe emploie à parcourir A F par son mouvement de projection, est double de celui de A R ; mais les espaces que la pesanteur lui fait parcourir, sont entr'eux comme les quarrés des tems ; donc la ligne de chûte F G est quadruple de R K ou I K ; donc I K exprime la plus grande élévation de la bombe sur l'horisontale A X.

Les principes précédens suffisent pour la résolution des différens problèmes qui concernent le jet des bombes, lorsque le plan où elles doivent tomber est de niveau avec la batterie. On peut aussi les appliquer aux plans élevés au-dessus de l'horison, ou inclinés au-dessous, mais d'une maniere moins générale, parce que dans ces deux derniers cas les portées ne sont point entr'elles comme les sinus des angles doubles de l'inclinaison du mortier. Nous ferons voir la maniere de faire cette application dans les problèmes suivans ; mais auparavant nous allons donner le moyen de trouver l'angle de projection qui donne la plus grande portée de la bombe, soit que le plan sur lequel elle doit tomber soit élevé sur l'horison, ou incliné au-dessous.

Soient pour cet effet les figures 2 & 3. Planc. VIII. n°. 2. Nous supposerons dans la premiere que le plan A Y sur lequel la bombe doit tomber, est élevé sur l'horisontale A X de 20 degrés, & dans la seconde, que A Z est au-dessous, de la même quantité.

Cela posé, l'arc dont A E est la corde, sera de 40 degrés plus petit que la demi-circonférence ; car l'angle N A E est égal à G A X formé par le plan incliné A Y, & l'horisontale A X : or E A N a pour mesure la moitié de l'arc N E ; mais cette moitié étant de 20 degrés, par la supposition le double E N doit en avoir 49. Si l'on ôte ce nombre de 180 degrés, valeur de la demi-circonférence, il restera 140 degrés pour l'arc A L E, dont A E est la corde.

La perpendiculaire C L qui coupe la corde E A en deux également, coupe de la même maniere l'arc A L E ; c'est pourquoi dans cet exemple l'angle L A G de la plus grande portée a pour mesure le quart de 140 degrés, c'est-à-dire 35 degrés.

Il est évident que les angles également au-dessus & au-dessous de cet angle, donneront les mêmes portées, ainsi que ceux qui different également de 45 degrés, lorsque le plan sur lequel la bombe doit tomber, est horisontal ou de niveau avec la batterie.

Si le plan A Z, fig. 3, est au-dessous de l'horisontale A X de 20 degrés, l'arc A L N E en aura 180 plus 40, c'est-à-dire 220 ; le quart de ce nombre qui est 55, donnera dans cet exemple l'angle de projection de la plus grande portée de la bombe sur A Z.

Il est aisé de tirer de-là une regle générale pour avoir l'angle de la plus grande portée de la bombe sur un plan élevé sur l'horison ou incliné au-dessous d'une quantité connue.

Dans le premier cas, il faut ôter de 180 degrés le double de l'angle de l'élévation du plan, & prendre le quart du reste : dans le second, il faut ajoûter à 180 degrés le double de l'inclinaison du plan, & prendre également le quart de la somme qui en résulte ; ou bien il faut dans le premier cas, ôter de 45 degrés la moitié de l'angle de l'élévation du plan, & ajoûter dans le second à 45 degrés la moitié de l'inclinaison du plan sous l'horison.

PROBLEMES. I. Ayant tiré une bombe sous un angle de projection pris à volonté, & connoissant la distance où elle aura été tomber sur un plan horisontal, trouver la force du jet.

Soit (fig. 4. Pl. VIII. n°. 2.) l'angle de projection F A Y, & G le point où la bombe aura tombé sur le plan horisontal A Y.

Comme on suppose que A G est connue, on trouvera par la Trigonométrie F G & A F ; cherchant ensuite une troisieme proportionnelle à F G & A F, on aura la force du jet A F.

Si le plan est incliné au-dessus ou au-dessous de l'horison d'une quantité connue G A X, (fig. 5.) on connoîtra dans le triangle F A G, l'angle A G F, qui est égal à G A P, plus A P G, l'angle de projection F A G, & le côté A G ; c'est pourquoi on viendra par la Trigonométrie à la connoissance des deux autres côtés A F & F G.

Si le plan est incliné au-dessous de l'horison, (fig. 6.) on connoîtra l'angle d'inclinaison X A Z, & par conséquent A G P, qui en est le complément ; l'angle P A F formé par l'horisontale A X, & la ligne de projection A F est aussi connue. Donc G A F qui est égal à G A P, plus P A F, le sera également ; or comme le côté A G est supposé connu, on connoît dans le triangle G A F un côté & les angles ; c'est pourquoi on peut par la Trigonométrie venir à la connoissance des deux autres côtés G F & A F.

Les lignes de chûte & de projection, (fig. 5. & 6.) étant connues, on leur cherchera une troisieme proportionnelle, qui sera la force du jet E A.

II. La force du jet étant connue, trouver la plus grande distance où la bombe peut être portée sur un plan quelconque, fig. 1. 2. & 3. Pl. VIII. n°. 2.

Il est évident par tout ce que l'on a exposé précédemment, que la plus grande distance où la bombe peut être portée sur un plan quelconque avec une charge de poudre exprimée par la force du jet A E, est déterminée par la partie A M du plan, comprise entre le point A, où l'on suppose le mortier & la parallele L M, à la force du jet A E, menée de l'extrémité L de la ligne C L qui coupe l'arc A L E en deux également. C'est pourquoi il ne s'agit que de trouver la valeur de A M dans les fig. 1. 2. & 3. pour la résolution du problème proposé.

Lorsque le plan est horisontal (fig. 1.), on a déja vu que la plus grande distance où la bombe peut tomber est égale à la moitié de la force du jet A E, & qu'elle se trouve en tirant le mortier sous l'angle L A M de 45 degrés.

Si le plan A Y (fig. 2.) est incliné au-dessus de l'horison A X, d'une quantité connue Y A X, il faut d'abord trouver l'angle de projection de la plus grande portée L A M, comme on l'a enseigné ci-devant, & chercher ensuite la valeur de la ligne de projection A L.

Pour cet effet, considérez que l'angle N A Y est droit ; qu'ôtant de cet angle les angles connus N A E & L A Y, il restera l'angle E A L : or dans le triangle rectangle A C L, connoissant A C égal à la moitié de la force du jet A E, & un angle C A L, on viendra par la Trigonométrie à la connoissance de A L.

Présentement dans le triangle A M L, on connoîtra le côté A L, l'angle L A M, & A M L égal à M A X, plus l'angle droit A R M ; c'est pourquoi on viendra par la Trigonométrie à la connoissance de la plus grande distance A M, où la bombe peut être portée avec la charge du mortier exprimée par la force du jet A E.

Si le plan est incliné sous l'horison comme A Z (fig. 3.), & qu'on connoisse l'angle d'inclinaison X A Z formé par l'horisontale A X & le plan A Z, on cherchera d'abord, comme dans le cas précédent, l'angle de la projection L A M, de la plus grande portée de la bombe ; on ôtera ensuite de l'angle droit N A Z, l'angle de projection L A Z, il restera l'angle N A L, auquel ajoutant N A C égal à celui de l'inclinaison du plan X A Z, on aura E A L, ou C A L. Alors dans le triangle A C L, connoissant, outre cet angle, le côté C A, égal à la moitié de la force du jet, on viendra à la connoissance de A L.

La ligne de projection A L étant ainsi connue, de même que les angles de la base du triangle L A M, savoir L A M & A M L (ce dernier est égal à A P G, moins P A G), il sera aisé de venir par la Trigonométrie à la connoissance de A M, ou de la plus grande portée de la bombe.

III. La plus grande distance où une bombe puisse aller sur un plan quelconque étant connue, & la force du jet, trouver la distance où elle ira, tirée sous tel angle de direction que l'on voudra, le mortier étant toûjours chargé de la même quantité de poudre, ou, ce qui est la même chose, la force du jet étant toûjours la même.

Lorsque le plan est horisontal, les différentes portées sont entr'elles comme les sinus des angles doubles de l'inclinaison du mortier ; c'est pourquoi l'on trouvera la distance demandée par cette analogie.

Comme le sinus total est au sinus de l'angle double de l'inclinaison du mortier ; ainsi la plus grande distance est à la distance demandée.

Si le plan donné A Y (fig. 5.) est incliné sur l'horison A X, du centre O de l'arc A L N, on tirera le rayon O F : comme l'arc A L F est double de celui de l'inclinaison du mortier, l'angle A O F sera connu ; le rayon A O le sera aussi : car connoissant dans le triangle rectangle O C A, le côté A C égal à la moitié de la force du jet, & l'angle O A C, qui est égal à celui de l'inclinaison du plan Y A X, on viendra aisément à la connoissance de O A. Ainsi dans le triangle A O F, on connoîtra les angles & les côtés O A & O F, qui feront venir à la connoissance de la ligne de projection A F. Dans le triangle A F G, on connoîtra le côté A F ; de plus l'angle d'inclinaison donné F A G, & l'angle A G F égal à A P G, plus P A G ; par conséquent on trouvera par la Trigonométrie la distance demandée A G.

Si le plan A Z est incliné sous l'horison (fig. 6.) il est évident qu'on viendra de la même maniere à la connoissance de sa ligne de projection A F, & ensuite à celle de la distance demandée A G.

IV. La plus grande distance où une bombe puisse aller sur un plan quelconque étant connue, & la force du jet, trouver l'angle de projection ou d'inclinaison du mortier pour la faire tomber à une distance donnée.

Si le plan est horisontal, on fera cette analogie.

Comme la plus grande distance est à la distance donnée ; ainsi le sinus total est au sinus de l'angle double de celui de projection.

Ce sinus étant connu, on cherchera dans les tables de sinus l'angle auquel il appartiendra ; sa moitié sera la valeur de l'angle de projection demandé.

Si le plan est incliné au-dessus ou au-dessous de l'horison comme A Y & A Z (fig. 5. & 6.), il y a plus de difficulté à trouver l'angle dont il s'agit ; voici néanmoins une méthode assez facile pour y parvenir.

Nous supposerons d'abord (fig. 5.) que le plan A Y est élevé sur l'horison A X d'une quantité connue Y A X ; que E A est la force du jet, & l'arc A L E décrit du point O, milieu du diametre A N, renferme toutes les différentes lignes de projection que la charge de poudre de mortier, ou la force du jet peut faire décrire à la bombe. Nous supposerons aussi que A G est la distance donnée. C'est pourquoi si l'on imagine que par G, on a mené G F parallele à A E, qui coupe l'arc A L E en f, & F ; tirant du point A, les lignes de projection A f, & A F, elles donneront l'angle demandé f A G, ou F A G.

Pour venir à la connoissance de cet angle par le calcul, il faut observer que dans le triangle A G F, on connoît le côté donné A G ; de plus l'angle A G F égal à G A P plus G P A ; qu'ainsi si l'on parvient à la connoissance de G F, ou de A F, on pourra connoître par la Trigonométrie, l'angle de projection F A G.

Pour cet effet, soit tiré du centre O de l'arc A L F sur A E, la perpendiculaire O C, qui étant prolongée jusqu'à la rencontre de cet arc en L, le coupera en deux également, ainsi que A E en C, & F f en T.

On aura le triangle rectangle A C O, dans lequel le côté A C qui est égal à la moitié de la force du jet A E sera connu, ainsi que l'angle O A C, égal à celui de l'élévation du plan Y A X, ou G A P ; c'est pourquoi on viendra par la Trigonométrie à la connoissance de O C & de O A, égale à O L.

Présentement si l'on prolonge F G jusqu'à ce qu'elle rencontre l'horisontale A X dans le point P, il sera aisé, dans le triangle rectangle A P G, semblable au triangle A C O, de venir à la connoissance de A P & de P G.

Comme C T est égale à A P, à cause des paralleles A E & F P, O T qui est égal à O C plus C T sera connue ; si l'on ôte O T de O L, il restera T L.

Cette ligne étant connue, on viendra par la propriété du cercle, à la connoissance de F T ou T f, en multipliant O L plus O T par T L, & extraisant la racine quarrée du produit.

Pour déterminer F G ou f G, il faut considérer que C A moins P G est égale à T G ; ajoûtant T F à cette ligne, on a F G, & ôtant T f de cette même ligne A C, il restera f G.

G F ou G f étant connue, on connoît dans le triangle A F G ou A f G deux côtés, l'angle A G F compris par ces côtés ; c'est pourquoi on viendra par la Trigonométrie à la connoissance des angles F A G, A F G.

Lorsque le plan sur lequel la bombe doit tomber, est incliné sous l'horison A X, comme A Z fig. 6. il est clair qu'on déterminera de la même maniere la valeur de l'angle de projection F A G, pour faire tomber la bombe à la distance donnée A G.

Remarques. 1°. Il est évident que, si la distance A P, prise du point A, où l'on suppose la batterie, fig. 5 & 6. jusqu'à la rencontre de la ligne de chûte F G avec l'horisontale A X, est plus grande que C L, le problème est impossible ; car, dans ce cas la ligne de chûte ne toucheroit ni ne rencontreroit l'arc A L E dans aucun point. Et 2°. que si A P se trouve égale à C L, l'angle cherché sera celui de la plus grande portée de la bombe.

2°. On peut, par la résolution des problèmes précédens, calculer des tables pour trouver avec toutes les charges de poudre qu'on peut employer, les distances où les bombes iront tomber, soit que le plan sur lequel on les tire soit horisontal, ou incliné à l'horison, sous tel angle d'inclinaison que l'on voudra, & réciproquement pour trouver les angles d'inclinaison, lorsque les distances où les bombes doivent tomber sont données. M. Bélidor a rempli cet objet dans le Bombardier françois pour les plans horisontaux ; les deux derniers problèmes qu'on vient de résoudre, donnent les moyens de continuer ces tables pour les autres plans.

2°. Il faut observer que, comme il y a deux angles de projection pour chaque amplitude de la bombe, audessus de la plus grande portée, & que le plus grand lui donne plus d'élévation que le petit, on doit se servir du premier lorsque l'objet des bombes est de ruiner des édifices, le second & le plus petit angle doit être employé pour tirer des bombes dans les ouvrages attaqués, & sur des corps de troupes, parce que les bombes ayant alors moins d'élévation, elles s'enfoncent moins dans la terre, ce qui en rend les éclats plus dangereux.

Description & usage de l'instrument universel pour jetter les bombes. Quoique les différens calculs nécessaires pour tirer les bombes avec regle & principes soient fort simples, cependant, comme il peut arriver que tous ceux qui peuvent être chargés de la pratique du jet des bombes, n'en soient pas également capables, on a imaginé différens instrumens pour leur épargner ces calculs ou pour les abréger. On peut voir ces différens instrumens, & la maniere de s'en servir dans l'Art de jetter les bombes par M. Blondel. Nous donnerons seulement ici la construction & l'usage de celui qui peut servir le plus généralement à ce sujet, & qu'on appelle par cette raison l'instrument universel.

C'est un cercle X, fig. 7. assez grand pour être divisé en degrés ; il est d'une matiere solide, comme de cuivre ou de bois. Il a une regle A F tangente à sa circonférence, attachée fixement à l'extrémité de son diametre A B, & de pareille longueur ; elle est divisée dans un grand nombre de parties égales, comme par exemple 200.

On attache à la tangente ou à la regle A F, un filet R P, de maniere qu'on puisse le faire couler le long de A F ; ce filet est tendu par un plomb P, qui tient à son extrémité.

Pour trouver, par le moyen de cet instrument, l'inclinaison qu'il faut donner au mortier pour jetter une bombe à une distance donnée sur un plan horisontal, ou de niveau avec la batterie.

On cherchera d'abord la force du jet, en tirant le mortier avec la charge de poudre dont on veut se servir, sous un angle d'inclinaison pris à volonté.

La force du jet A E, fig. 8. étant trouvée, par exemple de 923, pour connoître l'angle d'inclinaison ou de projection F A G, on fera une regle de trois, dont les deux premiers termes seront la force du jet A E, & le diametre A B de l'instrument universel X, égal à la regle A F, divisée en 200 parties égales ; le troisieme terme de cette regle sera la distance donnée A G, que nous supposerons ici de 250 toises.

Ainsi nommant x le quatrieme terme de cette regle, l'on aura 923. 200 : : 250. x ; faisant l'opération, on trouvera 54 pour la valeur de x, ou du quatrieme terme.

On fera couler le filet R P de l'instrument universel X, fig. 7. & 8. depuis A jusqu'à la 54e. division R de la regle A F ; on mettra ensuite cet instrument dans une situation verticale, & de maniere que la regle A F soit parallele à l'horison. Alors le filet R P coupera l'instrument dans deux points d & D, qui donneront les arcs A d, A D, dont la moitié sera la valeur de l'angle cherché.

Pour le démontrer, il faut imaginer l'instrument universel X, placé immédiatement sous l'horisontale A G, fig. 8, de maniere que le diametre A B soit dans le prolongement de la force du jet A E. On verra alors que les parties A d, A d D du demi-cercle de X sont proportionnelles à A f & A f F de la demi-circonférence A f F E, ou que les triangles A R D, A G F sont semblables, ainsi que A R d, A G f ; d'où il suit que les arcs A d & A d D sont de même nombre de degrés que A f & A f F ; mais f A G & F A G sont les angles de projection pour faire tomber la bombe au point G. Donc, &c.

Remarque. Si le filet R P, au lieu de couper le demi-cercle de l'instrument ne faisoit que le toucher, l'angle de projection cherché seroit de 45 degrés, & la portée donnée seroit la plus grande. Mais s'il tomboit en dehors le problème seroit impossible, c'est-à-dire, que la charge de poudre déterminée, ne seroit pas suffisante pour chasser la bombe à la distance donnée.

Si l'angle d'inclinaison du mortier, ou de la ligne de projection est donné, & qu'on veuille savoir à quelle distance la charge du mortier portera la bombe sur un plan horisontal, supposant cette charge, ou la force du jet, la même que dans le problème précédent.

On fera couler le filet R P le long de la regle A F, fig. 7 & 8. qu'on tiendra dans une situation parallele à l'horison, jusqu'à ce qu'il coupe le demi-cercle de l'instrument dans un point d, qui donne l'arc A d double de l'inclinaison donnée : après cela on comptera exactement le nombre des parties de A F, depuis A jusqu'en R, que nous supposons être le point auquel le filet R P étant parvenu, donne l'arc A d double de l'inclinaison du mortier. Supposant que le nombre des parties de cette regle, depuis A jusqu'en R, soit 54, on fera une regle de trois, dont les deux premiers termes seront toutes les parties de la regle A E, & celle de la force du jet A E. Le troisieme sera A R, supposé de 54 parties ; ainsi l'on aura 200. 923 : : 54. x : faisant cette regle, on trouvera 250 toises pour la distance A G où la bombe ira tomber.

Si le plan sur lequel la bombe doit tomber, est plus élevé ou plus bas que la batterie, on trouvera de même avec l'instrument universel, l'angle d'inclinaison convenable pour la faire tomber à une distance donnée.

Soit le plan A Y, fig. 9. élevé sur l'horison A, & d'une quantité connue Y A M ; le point de ce plan, où l'on veut faire tomber la bombe, soit aussi A G ; la distance donnée, & la force A F décrite de 923 toises, comme dans les problèmes précédens, il s'agit de trouver l'angle d'inclinaison du mortier.

On déterminera d'abord, par la Trigonométrie, l'horisontale A M, on trouvera ensuite le nombre des parties de la regle A F de l'instrument universel, correspondant aux toises de A E, par cette regle de trois.

La partie A R de la regle A F étant connue, on placera le filet R P en R, & l'on fera ensorte qu'il y soit attaché fixement. Cela fait, on mettra l'instrument universel verticalement en A, fig. 10. on le disposera de maniere que le prolongement de la regle A F, donne sur le lieu donné G, où la bombe doit tomber. Alors le filet R P qui pend librement, coupera le demi-cercle de l'instrument dans deux points d & D, qui détermineront les arcs A d, A D, dont la moitié sera la valeur des deux inclinaisons du mortier pour jetter la bombe en G.

On opérera de la même maniere pour trouver ces mêmes angles, si le lieu où la bombe doit tomber, est au-dessus de l'horison.

Remarque. Il est évident que si le filet R P ne faisoit que toucher le demi-cercle A d D B, la distance A G seroit la plus grande où la bombe pourroit aller avec la force du jet donné, ou la charge du mortier ; & que s'il tomboit en dehors, le problème seroit impossible.

Pour démontrer cette opération, il faut, comme on l'a fait dans la précédente, supposer le demi-cercle A F f E N, fig. 9. qui termine toutes les différentes lignes de projection que la bombe peut décrire avec la force du jet A E, & imaginer que le diametre A B de l'instrument universel, est placé dans le prolongement du diametre N A de ce demi-cercle ; alors la regle A F sera dans le prolongement de A G, & l'on verra que le filet R P coupe le demi-cercle de l'instrument, de la même maniere que la ligne de chûte F G coupe A f F E N ; ainsi les angles F A G, R A D sont égaux, de même que f A G, R A D, &c.

Il est aisé d'observer que, comme le point A du diametre A B de l'instrument universel est élevé sur l'horison, la direction A G n'est pas exactement la même, que si ce point étoit immédiatement sur la ligne B M ; mais comme cette élévation est très petite, par rapport à la distance A G, la différence qui en résulte, ne peut être d'aucune considération dans la pratique du jet des bombes, & c'est par cette raison qu'on n'y a nul égard.

Pour ce qui concerne la maniere de pointer le mortier. Voyez MORTIER. Article de M. Le Blond.

JET DE VOILES, JEU DE VOILES (Marine) c'est l'appareil complet de toutes les voiles d'un vaisseau. Un vaisseau bien équipé doit avoir au moins deux jets de voiles, & de la toile pour en faire en cas de besoin.

JET DE FEU, (Artificier) on appelle ainsi certaines fusées fixes, dont les étincelles sont d'un feu clair comme les gouttes d'eau jaillissantes, éclairées le jour par le soleil, ou la nuit par une grande lumiere.

La composition des jets n'est autre chose qu'un mélange de poulverin, & de limaille de fer. Lorsqu'elle est fine, pour les petits jets, on en met le quart du poids de la poudre, & lorsqu'elle est grosse, comme pour les gros jets, dont les étincelles doivent être plus apparentes, on y en met le tiers & même davantage. On peut diminuer cette dose de force, lorsqu'on se propose d'imiter des cascades d'eau, parce qu'alors au lieu de monter, les étincelles doivent tomber, pour imiter la chûte de l'eau.

On fait des jets de toute grandeur, depuis 12 jusqu'à 20 pouces de long, & depuis six lignes jusqu'à 15 de diametre.

JET (Brasserie) c'est une espece de timbale à deux douilles, une au-dedans hachée au-devant, & une autre sur le derriere, à-travers lesquelles on passe un bâton de six à sept piés de long, dont le bout est emmanché dans la douille de devant, & à l'autre bout est un contrepoids de plomb. Cet instrument sert à jetter l'eau, ou les métiers dans les bacs. Voyez l'article BRASSERIE & ses Planches. Voyez aussi l'article JETTER.

JETS (Fonderie) Les Fondeurs appellent ainsi des tuyaux de cire que l'on pose sur une figure, après que la cire a été réparée, & qui étant par la suite enfermés dans le moule de terre, & fondus ainsi que les cires de la figure, par le moyen du feu qu'on fait pour les retirer, laissent dans le moule reposé des canaux qui servent à trois différens usages ; les uns sont les égoûts par lesquels s'écoulent toutes les cires ; les autres sont les jets qui conduisent le métal du fourneau à toutes les parties de l'ouvrage, & les évents qui laissent une issue libre à l'air renfermé dans l'espace qu'occupoient les cires, lequel, sans cette précaution, seroit comprimé par le métal à mesure qu'il descendroit, & pourroit faire fendre le moule, pour se faire une sortie, ou occuper une place où le métal ne pourroit entrer. On fait ces tuyaux creux comme un chalumeau, pour qu'ils soient plus légers, & de grosseur proportionnée à la grandeur de l'ouvrage, & aux parties où ils doivent être posés, & diminuent de grosseur depuis le haut jusqu'au bas. Voyez à l'article BRONZE, la Fonderie des statues équestres ; & dans nos Planches de Fonderie, les figures.

JET, (Fondeurs de caracteres d'Imprimerie) ce sont deux pieces du moule à fondre les caracteres d'Imprimerie, qui forment ensemble une ouverture quarrée, qui va en diminuant depuis son entrée jusqu'à l'autre bout opposé. Ce jet est la premiere chose qui se présente en fondant, & sert pour ainsi dire d'entonnoir pour faire couler la matiere dans le reste du moule, jusqu'à la matrice. Voyez MOULE, Voyez aussi nos Planches.

JET, JETTER, (Jardinage) ; on dit qu'un arbre fait de beaux jets, qu'il jette bien, quand on voit sortir des branches fortes & vigoureuses de sa tige.

On dit encore des melons, qu'ils ont jetté de grands bras.

JET DU BOIS, (Jardinage) c'est la pousse même de l'année qui forme un jet.

JET D'EAU, (Menuiserie) c'est une traverse des bas des dormans aux chassis à verre, qui rejette l'eau lorsqu'il pleut. Voyez les figures de nos Planches.

JET DE MOULE, (à la Monnoye) c'est l'action de verser le métal dans les moules, où l'on a imprimé les planches gravées.

L'or se jette dans les moules avec le creuset, en le prenant avec des happes creuses construites à cet effet. Quant à l'argent & au cuivre on se sert de cuillieres, en puisant dans le creuset le métal en bain que l'on veut mouler.

JET, PICOT, ou RET TRAVERSANT (Pêche) ces mots sont en usage dans le ressort de l'amirauté d'Abbeville, & la sorte de rets qu'ils désignent se tend en-travers de la riviere. Ses mailles ont vingt-une lignes en quarré ; sa chûte, deux brasses & demie à trois brasses, & sa longueur, 30 à 35 brasses. Son pié est garni de plaques de plomb qui le font caler, & sa tête est soutenue de flottes de liége.

Les pêcheurs sur la Somme se servent du jet autrement que ceux qui l'emploient au-de-là de S. Valery, plus avant vers la mer. Les premiers frappent sur une petite ancre le bout de leur filet, qu'ils jettent de leur bateau, au milieu de la riviere. De-là ils le filent jusqu'au bord ; à l'extrémité opposée, au bout de la piece où est frappée l'ancre, ils mettent une grosse pierre ou cabliere à une brasse au plus du rivage ; & comme il ne reste alors pas assez d'eau dans le lit pour faire flotter le filet de toute sa hauteur, il se replie & forme une espece de ventre, ou de follée, ou de poche.

Ils frappent encore & sur la tête du ret amarrée à l'ancre, & sur la cabliere une bouée ou un petit barril ; ils reconnoissent ainsi l'étendue du filet qui bat la riviere, la follée ou poche exposée au courant.

Lorsque le jet est ainsi établi, les pêcheurs au nombre de trois ou quatre dans un bateau, hommes & femmes, voguent avec leurs avirons, à quelques cent brasses au-dessus du filet, vont & viennent, refoulant la marée vers le filet, chantant, faisant le plus de bruit qu'ils peuvent, criant, sifflant, & frappant sur le bord du bateau. D'autres cependant se mettent à l'eau, la battent, l'agitent avec leurs avirons ou de petites perches. Le poisson s'éleve du fond où il est enfoui, suit le courant, & va se jetter dans la follée du filet qu'on releve de tems en tems du côté de la cabliere, par la ligne de la tête & du pié du jet, dont on n'emploie à cette pêche qu'une seule piece. Le poisson pris, on replace le filet, & l'on continue la pêche jusqu'à-ce que la marée montante la fasse cesser.

Les pêcheurs conviennent que leur pêche n'en seroit pas moins bonne, sans le fracas qu'ils font ; il est d'habitude : mais la précaution d'agiter l'eau est nécessaire pour faire sortir le poisson.

Il y a encore un filet du nom de jet, qui differe peu du coleret, sur-tout lorsqu'on le traîne. Sédentaire, il est fixé à des pieux, traversant toute une riviere, une gorge, un bras. Les pêcheurs battent l'eau, & le poisson renfermé dans l'enceinte du fer à cheval que le filet forme, va s'arrêter dans ses mailles qui sont de deux pouces. Il est, comme les autres, plombé par le bas, & garni de flottes de liége par le haut.

JET, chez le Plombier, c'est un petit entonnoir de cuivre, qui est à un des bouts du moule à fondre les tuyaux sans soudure, & par lequel on verse le métal fondu dans le moule. Voyez PLOMBIER. Voyez nos Planches de Plomberie.

JET, (Jurisprudence) sur mer se dit lorsque pour soulager le navire, on est obligé de jetter une partie de sa charge.

On entend aussi quelquefois par ce terme de jet, la contribution que chacun des intéressés au navire doit supporter pour le jet qui a été fait en mer.

Suivant l'ordonnance de la Marine, l. III. tit. 8. si par tempête, ou par chasse d'ennemis ou de pyrates, le maître du navire se croit obligé de jetter en mer une partie de son chargement, il doit prendre l'avis des marchands & principaux de son équipage ; & si les avis sont partagés, celui du maître & de l'équipage doit être suivi.

Les ustensiles du vaisseau, & autres choses les moins nécessaires, les plus pesantes & de moindre prix, doivent être jettées les premieres, & ensuite les marchandises du premier pont ; le tout cependant au choix du capitaine, & par l'avis de l'équipage.

L'écrivain doit tenir registre des choses jettées à la mer. Au premier port où le navire abordera, le maître doit déclarer devant le juge de l'amirauté, s'il y en a, sinon devant le juge ordinaire, la cause pour laquelle il aura fait le jet. Si c'est en pays étranger qu'il aborde, il doit faire sa déclaration devant le consul de la nation françoise. Après l'estimation des marchandises sauvées, & de celles qui ont été jettées, la répartition de la perte se fait sur les unes & sur les autres, & sur la moitié du navire & du fret au marc la livre.

Les munitions de guerre & de bouche, ni les loyers & hardes des matelots ne contribuent point au jet, & néanmoins ce qui en a été jetté est payé par contribution sur tous les autres effets.

On ne peut pas demander de contribution pour le payement des effets qui étoient sur le tillac, s'ils sont jettés ou endommagés par le jet, sauf au propriétaire son recours contre le maître, & néanmoins ils contribuent s'ils sont sauvés.

On ne fait pas non plus de contribution, pour raison du dommage arrivé au bâtiment, s'il n'a été fait exprès pour faciliter le jet.

Si le jet ne sauve pas le navire, il n'y a lieu à aucune contribution, & les marchandises qui peuvent être sauvées du naufrage, ne sont point tenues du payement ni du dédommagement de celles qui ont été jettées ou endommagées.

Mais si le navire ayant été sauvé par le jet, & continuant sa route vient à se perdre, les effets sauvés du naufrage, contribuent au jet sur le pié de leur valeur, en l'état qu'ils se trouvent, déduction faite des frais du sauvement.

L'ordonnance de la Marine contient encore plusieurs autres regles pour la contribution qui se fait à cause du jet. (A)

JET, terme de Fauconnerie, petite entrave que les fauconniers mettent au pié de l'oiseau ; on le nomme autrement l'attache d'envoi ou de réserve.


JETIJEUCUS. m. (Hist. nat. Bot.) plante du Brésil, dont la racine a beaucoup de rapport avec celle du Méchoacan. Sa longueur est celle d'une rave ordinaire. C'est un purgatif : écrasée & mêlée avec du vin, cette racine guérit la fievre. Les Portugais la font aussi confire avec du sucre ; on dit qu'elle a le défaut de donner une grande altération.


JETSCH(Géog.) ville de Tartarie sur les bords du Dnieper, où réside le chef des Cosaques de Zaporow.


JETTÉS. m. (Danse) c'est un pas qui ne fait que partie d'un autre. Voyez COUPE DU MOUVEMENT & TOMBE. Un jetté seul ne peut remplir une mesure ; il en faut faire deux de suite pour faire l'équivalent d'un autre pas. Il se lie aisément avec d'autres. Comme ce n'est que par le plus ou le moins de force du coup de pié que l'on s'éleve, ce pas en dépend pour le faire avec légereté.

Est-il question de le faire en avant ? je suppose que l'on ait le pié gauche devant, & le corps posé dessus, la jambe droite étant prête à partir dans le moment que l'on plie sur la jambe gauche, la droite s'en approche en se relevant ; ce qui se fait par la force du pié gauche, qui en s'étendant vigoureusement, vous rejette sur la droite ; & lorsque vous vous relevez en tombant sur la pointe du pié droit, vous finissez le pas en posant le talon. On en peut faire plusieurs de suite d'un pié comme de l'autre, en observant la même regle.

JETTES EN CHASSE, terme de Danse ; il se dit des pas formés de la maniere qui suit.

Le corps étant posé sur le pié gauche, on plie dessus ; on passe par-devant la jambe droite qui est en l'air en l'étendant ; & lorsque l'on se releve, elle se croise en se jettant dessus à la troisieme position ; ainsi le pié droit tombant devant le gauche, en prend la place, & l'obligeant de se lever derriere, le genou droit se plie aussi-tôt ; en se relevant on se jette sur le gauche, qui tombe derriere à la troisieme position ; on chasse le droit en le faisant lever ; on plie sur le pié gauche, & l'on se rejette sur le droit, comme on a fait au premier pas ; ces trois mouvemens doivent se succéder l'un à l'autre sans aucune interruption ; car dans le moment que l'on plie sur une jambe, son mouvement fait relever l'autre, & en se relevant le corps retombe dessus le pié droit en devant ; & en se rejettant dessus le gauche, le corps tombe sur ce pié. On voit par là l'équilibre qu'il faut observer dans ce pas, & la perfection qui en résulte.

JETTEE, s. f. (Architect. maritim.) digue ou muraille qu'on fait dans la mer à force d'y jetter une grande quantité de quartiers de pierres, pour servir d'entrée, de mole, d'abri, de couverture à un port, & pour le resserrer à son entrée.

Les jettées sont utiles à plusieurs usages ; 1°. à arrêter le gros galet, ou le sable, ou la vase qui pourroit entrer dans le port, & le combler peu-à-peu ; 2°. à haller les vaisseaux, qui en entrant ne peuvent se servir de leurs voiles, à cause des vents contraires ; 3°. à rompre les vagues, & à procurer la tranquillité aux vaisseaux qui sont dans le port ; 4°. souvent aussi à resserrer le lit de la riviere dont l'embouchure forme le port, & à lui ménager une profondeur d'eau suffisante pour tenir les vaisseaux à flot. La tête des jettées est souvent fortifiée d'une batterie de canon, pour protéger & la jettée, & les vaisseaux qui entrent dans le port. (D.J.)

JETTEES, en terme de Fortification, sont des especes de digues, ou larges chaussées qui avancent dans la mer, à l'extrémité desquelles on construit des forts qui défendent l'entrée du port. Voyez l'article CITADELLE.


JETTERverbe, dont jet est le substantif. Voyez l'article JET.

JETTER, (Marine) ce terme s'emploie dans différentes significations par les marins.

Jetter dehors le fond du hunier, c'est pousser dehors la voile du mât de hune.

Jetter du blé ou autres grains à la bande, c'est jetter ou pousser vers un seul côté du vaisseau les grains qui étoient chargés uniment & à plat dans le fond de cale ; ce que l'on ne fait que lorsqu'on y est contraint par la tempête ou quelque autre accident, pour alléger un côté, & faire un contre-balancement.

Jetter l'ancre, c'est laisser tomber l'ancre lorsqu'on est dans une rade pour y arrêter le vaisseau.

Jetter le plomb ou la sonde, c'est laisser tomber la sonde pour connoître la hauteur de l'eau, & s'il y a du fond pour mouiller.

Jetter un vaisseau sur des roches ou à la côte, c'est aller donner exprès contre un rocher ou sur la côte pour s'y échouer ; ce que l'on peut faire lorsqu'on espere par ce moyen sauver l'équipage ou les marchandises, dont on voit la perte certaine sans cela.

Tout pilote qui échoue par ignorance est privé pour toujours des fonctions de son état, & même suivant le cas, condamné au fouet. A l'égard de celui qui auroit méchamment & de dessein prémédité, jetté un navire sur un banc ou à la côte, il est puni de mort, & on attache son cadavre à un mât planté près du lieu du naufrage.

JETTER LES SECONDES, en termes de Brasserie ; c'est après avoir tiré les premiers métiers, jetter de l'eau une seconde fois sur la drège.

JETTER EN SOIE, en terme de Boutonnier ; c'est l'action de couvrir un moule de bouton d'une soie tournée sur la bobine en plusieurs brins. Cette bobine est montée sur un rochet (voyez ROCHET), sur lequel elle est fixe, quoiqu'en levant la bobine sur la partie moins grosse du rochet, l'ouvrier la fasse tourner à mesure qu'il emploie sa soie ; pendant ce jettage, la bobine est fixe pour que l'ouvrier puisse serrer sa soie autour du bouton ; on jette ainsi tous les moules des boutons d'or ou d'argent façonnés, afin d'asseoir les cerceaux ou les autres ornemens. Voyez CERCEAUX. On dit aussi jetter en cerceau, ce qui n'est autre chose que de les poser, de les arrêter avec de la soie ou de l'or, &c.

JETTER, en terme de Cirier, c'est verser la cire sur les meches imprimées, & attachées à un cerceau, ou pour m'exprimer plus clairement, c'est la seconde couche de cire dont on enduit les meches. Voyez IMPRIMER & CERCEAU, & nos Planches.

JETTER LES FIGURES DE PLOMB, (Fonderie) pour les figures que l'on jette en plomb, il faut bien moins de précaution que pour celles de bronze. L'on se contente de remplir les creux avec de la terre bien maniée, que l'on met de telle épaisseur que l'on veut ; puis on remplit tout le moule de plâtre, ou d'un mastic fait avec du tuileau bien pulvérisé, dont on fait l'ame ou noyau.

Lorsque l'ame est achevée, on désassemble toutes les pieces du moule pour en ôter toutes les épaisseurs de terre, & ensuite on remet le moule tout assemblé à l'entour de l'ame ou noyau ; mais ensorte pourtant qu'il en soit éloigné de quatre ou cinq pouces. On remplit cet intervalle de charbon depuis le bas jusqu'en haut. On bouche même les ouvertures qui se trouvent entre les pieces du moule, avec des briques, & mettant le feu au charbon, on l'allume par-tout. Cela sert à cuire l'ame, & à secher le plâtre que les épaisseurs de terre avoient humecté. Quand tout le charbon a été bien allumé, & qu'il s'est éteint de lui-même, on a un soufflet avec lequel on fait sortir toute la cendre qui peut être dans toutes les pieces du moule. On rejoint ces pieces autour de l'ame, comme on l'a dit ci-devant. On attache bien toutes les chapes avec des cordes, & on les couvre encore de plâtre ; ensuite on coule le plomb fondu dans le moule ; ce plomb remplit l'espace qu'occupoit la terre sans qu'il soit nécessaire d'enterrer le moule comme pour le bronze, si ce n'est pour de grandes pieces.

JETTER LE PLOMB SUR TOILE, (Plombier) c'est se servir d'une forme ou moule couvert d'un drap de laine, & doublé par-dessus pour jetter le plomb en lames très-fines. Voyez PLOMBERIE.

Cette maniere de jetter le plomb est défendue aux plombiers par leurs statuts ; cependant il y a de certains ouvrages pour lesquels ces sortes de tables de plomb jetté sur toile sont nécessaires. Voyez l'article PLOMBIER, où on a décrit la maniere de jetter le plomb sur toile.

Les facteurs d'orgue jettent ordinairement sur toile l'étain dont ils font certains tuyaux pour cet instrument de musique. La pratique en est semblable à celle qu'on met en usage pour fondre les tables de plomb. Voyez comme ci-dessus & l'article ORGUE.

JETTER EN SABLE, se dit en termes de Fonderie, de ce qui est jetté dans de petits moules faits de sable ou de poudre d'ardoise, de piés de mouton, d'os de seche, de cendres & autres choses semblables ; & on appelle pistole sablée, celle qu'on a moulée & jettée en sable, & qui n'a point été faite au moulin ni au marteau. Voyez les fig. du Fondeur en sable.

Jetter, on dit en Peinture & en Sculpture, jetter les draperies, pour en disposer les plis de façon qu'ils annoncent sans équivoque les objets qu'ils couvrent. Ces draperies sont bien jettées ; ce peintre jette bien une draperie. Ce mot de jetter, dit M. de Pile, est d'autant plus expressif, que les draperies ne doivent point être arrangées comme les habits dont on se sert dans le monde ; mais il faut que suivant le caractere de la pure nature, éloignée de toute affectation, les plis se trouvent comme par hazard, autour des membres.

JETTER SUR LA PIECE, terme de Potier d'étain : c'est jetter une anse en moule sur un pot à vin ou à l'eau, ou autre piece à qui il faut en joindre une autre ; cela se fait par le moyen d'un moule en cuivre composé de plusieurs morceaux qui s'ajustent les uns aux autres ; les moules sont percés aux endroits où l'anse doit s'attacher à la piece. Voyez la forme d'un moule d'anse & ses différens morceaux aux figures du métier.

Pour jetter sur la piece, on remplit les pots de sable ou de son, excepté la gorge ; on le foule & on l'arrête avec un linge ou papier, ensuite on met à la bouche du pot en-dedans, le linge dans lequel il y a du sable mouillé qu'on nomme drapeau à sable, puis on prend le moule d'anse dont les pieces sont jointes ensemble, & tenues par une ou deux serres de fer ; on pose le moule sur la piece qu'on tient devant soi sur les genoux ; ensuite on prend de l'étain fondu & chaud dans une cuillere qui est sur le fourneau avec une autre cuillere plus petite ; on jette de l'étain dans le moule qui se soude de lui-même à la piece, entrefondant l'endroit où il touche, après quoi on le dépouille piece à piece, & on continue de même jusqu'à-ce que tout soit jetté.

Quand on n'a pas des moules convenables aux grandeurs des pieces, on a des moules séparés dont on rapporte les anses ou autres choses qu'on veut faire tenir pour finir un ouvrage, & cela s'appelle mouler (voyez MOULER LES ANSES), ou on les joint par le moyen de la soudure légere. Voyez SOUDER A LA SOUDURE LEGERE.

JETTER SUR LE PIE, chez les Vergettiers, c'est rouler en prenant sous le pié le chiendent pour le dépouiller de son écorce, & le rendre propre à être employé à toutes sortes d'ouvrages.

JETTER, terme de Fauconnerie : on dit jetter un oiseau du poing, ou le donner du poing après la proie qui suit. Jetter sa tête, c'est mettre bas en parlant du cerf.


JETTONS. m. (Littérat. anc. & mod.) j'appelle de ce nom tout ce qui servoit chez les anciens à faire des calculs sans écriture, comme petites pierres, noyaux, coquillages, & autres choses de ce genre.

L'on a donné dans le recueil de l'acad. des Belles-Lettres, l'extrait d'un mémoire instructif dont je vais profiter, sur l'origine & l'usage des jettons. Ils sont peut-être aussi anciens que l'Arithmétique même, pourvû qu'on ne les prenne pas pour ces pieces de métal fabriquées en guise de monnoie, qui sont aujourd'hui si communes. De petites pierres, des coquillages, des noyaux, suffisoient au calcul journalier de gens qui méprisoient ou qui ne connoissoient pas l'or & l'argent. C'est ainsi qu'en usent encore aujourd'hui la plûpart des nations sauvages ; & la maniere de se servir de ces coquillages ou de ces petites pierres, est au fond trop simple & trop naturelle pour n'être pas de la premiere antiquité.

Les Egyptiens, ces grands maîtres des arts & des sciences, employoient cette sorte de calcul pour soulager leur mémoire. Hérodote nous dit, qu'outre la maniere de compter avec des caracteres, ils se servoient aussi de petites pierres d'une même couleur, comme faisoient les Grecs ; avec cette différence que ceux-ci plaçoient & leurs jettons & leurs chiffres, de la gauche à la droite, & ceux-là de la droite à la gauche. Chez les Grecs, ces petites pierres qui étoient plates, polies & arrondies, s'appelloient ; & l'art de s'en servir dans les calculs, . Ils avoient encore l'usage de l', en latin abacus. Voyez ABAQUE.

Ces petites pierres que je dis avoir été nommées par les Grecs, furent appellées calculi par les Romains. Ce qui porte à croire que ceux-ci s'en servirent long-tems, c'est que le mot lapillus est quelquefois synonyme à celui de calculus.

Lorsque le luxe s'introduisit à Rome, on commença à employer des jettons d'ivoire ; c'est pourquoi Juvenal dit sat. xj. v. 131.

Adeò nulla uncia nobis

Est eboris nec Tessalae, nec calculus ex hâc

Materiâ

Il est vrai qu'il ne reste aujourd'hui dans les cabinets des curieux, aucune piece qu'on puisse soupçonner d'avoir servi de jettons ; mais cent expressions qui tenoient lieu de proverbes, prouvent que chez les Romains, la maniere de compter avec des jettons étoit très ordinaire : de-là ces mots ponere calculos, pour désigner une suite de raisons ; hic calculus accedat, pour signifier une nouvelle preuve ajoutée à plusieurs autres ; calculum detrahere, lorsqu'il s'agissoit de la suppression de quelques articles ; voluptatum calculos subducere, calculer, considérer par déduction la valeur des voluptés ; & mille autres qui faisoient allusion à l'addition ou à la soustraction des jettons dans les comptes.

C'étoit la premiere Arithmétique qu'on apprenoit aux enfans, de quelque condition qu'ils fussent. Capitolin parlant de la jeunesse de Pertinax, dit, puer calculo imbutus. Tertullien appelle ceux qui apprenoient cet art aux enfans, primi numerorum arenarii ; les Jurisconsultes les nommoient calculones, lorsqu'ils étoient ou esclaves, ou nouvellement affranchis ; & lorsqu'ils étoient d'une condition plus relevée, on leur donnoit le nom de calculatores ou numerarii. Ordinairement il y avoit un de ces maîtres pour chaque maison considérable, & le titre de sa charge étoit a calculis, a rationibus.

On se servoit de ces sortes de jettons faits avec de petites pierres blanches ou noires, soit pour les scrutins, soit pour spécifier les jours heureux ou malheureux. De-là vient ces phrases, signare, notare aliquid albo nigrove lapillo, seu calculo, calculum album adjicere errori alterius, approuver l'erreur d'une personne.

Mais les jettons, outre la couleur, avoient d'autres marques de valeur, comme des caracteres ou des chiffres peints, imprimés, gravés ; tels étoient ceux dont la pratique avoit été établie par les loix pour la liberté des suffrages, dans les assemblées du peuple & du sénat. Ces mêmes jettons servoient aussi dans les calculs, puisque l'expression omnium calculis, pour désigner l'unanimité des suffrages, est tirée du premier emploi de ces sortes de jettons, dont la matiere étoit de bois mince, poli, & frotté de cire de la même couleur, comme Cicéron nous l'apprend.

On en voit la forme dans quelques médailles de la famille Cassia ; & la maniere dont on les jettoit dans les urnes pour le scrutin, est exprimée dans celles de la famille Licinia. Les lettres gravées sur ces jettons, étoient V. R. uti rogas, & A. antiquo. Les premieres marquoient l'approbation de la loi, & la derniere signifioit qu'on la rejettoit. Enfin, les juges qui devoient opiner dans les causes capitales, en avoient de marqués à la lettre A pour l'absolution, absolvo ; à la lettre C. pour la condamnation, condemno ; & à celles-ci N. L. non liquet, pour un plus amplement informé.

Il y avoit encore une autre espece de bulletins, qu'on peut ranger au nombre des jettons. C'étoient ceux dont on se servoit dans les jeux publics, & par lesquels on décidoit du rang auquel les athletes devoient combattre. Si par exemple ils étoient vingt, on jettoit dans une urne d'argent vingt de ces pieces, dont chaque dixaine étoit marquée de numéros depuis 1 jusqu'à 10 ; chacun de ceux qui tiroient étoit obligé de combattre contre celui qui avoit le même numéro. Ces derniers jettons étoient nommés calculi athletici.

Si nous passons maintenant aux véritables jettons, ainsi nommés proprement dans notre langue, lesquels sont d'or, d'argent, ou de quelqu'autre métal, c'est je crois en France que nous en trouverons l'origine, encore n'y remonte-t-elle pas au-delà du xiv. siecle. On n'oseroit en fixer l'époque au regne de Charles VII. quoique ce soit le nom de ce prince avec les armes de France qui se voit sur le plus ancien jetton d'argent du cabinet du roi.

Les noms qu'on leur donna d'abord, & qu'ils portent sur une de leurs faces, sont ceux de gettoirs, jettouers, getteurs, giets, gets, & giétons, & depuis plus d'un siecle & demi, celui de jettons. Or il paroît que tous ces noms, ou pour parler plus juste, ce nom, varié seulement par les changemens arrivés dans la langue & dans l'orthographe, devoit son étymologie à l'action de compter, ou de jetter, à jactu, comme le pense Ménage.

Les jettons les plus anciens de cette derniere espece, que Saumaise a latinisé en les nommant jacti, ou jaclones, n'offroient dans leurs inscriptions que le sujet pour lequel ils avoient été faits, savoir pour les comptes, pour les finances. On lit sur quelques-uns de ceux qui ont été frappés sous le regne de Charles VIII, entendez bien & loyaument aux comptes ; sous Anne de Bretagne, gardez-vous de mès-compter ; sous Louis XII, calculi ad numerandum reg. jussu Lud. XII ; & sous quelques rois suivans, qui bien jettera, son compte trouvera.

L'usage des jettons pour calculer étoit si fort établi, que nos rois en faisoient fabriquer des bourses pour être distribuées aux officiers de leur maison qui étoient chargés des états des comptes, & aux personnes qui avoient le maniement des deniers publics.

La nature de ces comptes s'exprimoit ainsi dans les légendes ; pour l'écurie de la royne, sous Anne de Bretagne ; pour l'extraordinaire de la guerre, sous François I ; pro pluteo domini Delphini, sous François II. Quelquefois ces légendes portoient le nom des cours à l'usage desquelles ces jettons étoient destinés : pour les gens des comptes de Bretagne, gettoirs aux gens de finances ; pro camerâ computorum Bressiae. Quelquefois enfin, on y lit le nom des officiers même à qui on les destinoit. Ainsi nous en avons sur lesquels se trouvent ceux de Raoul de Refuge, maître des comptes de Charles VII ; de Jean de Saint-Amadour, maître d'hôtel de Louis XII ; de Thomas Boyer, général des finances sous Charles VIII ; de Jean Testu, conseiller & argentier de François I ; & d'Antoine de Corbie, contrôleur sous Henri II.

Les villes, les compagnies & les seigneurs en firent aussi fabriquer à leur nom, & à l'usage de leurs officiers. Les jettons se multiplierent par ce moyen, & leur usage devint si nécessaire pour faire toutes sortes de comptes, qu'il n'y a guere plus d'un siecle qu'on employoit encore dans la dot d'une fille à marier, la science qu'elle avoit dans cette sorte de calcul.

Les états voisins de la France goûterent bientôt la fabrique des jettons de métal ; il en parut peu de tems après en Lorraine, dans les pays-bas, en Allemagne, & ailleurs, avec des légendes françoises, pour les gens des comptes de Bar, de Bruxelles, &c.

Dans le dernier siecle, on s'est appliqué à les perfectionner, & finalement on en a tourné l'usage à marquer les comptes du jeu. On y a mis au revers du portrait du prince, des devises de toutes especes. Les rois de France en reçoivent d'or pour leurs étrennes ; on en donne dans ce royaume aux cours supérieures & à différentes personnes qualifiées par leur naissance ou par leurs charges. Enfin le monarque en gratifie les gens de lettres dans les académies, dont il est le protecteur.

Voilà l'histoire complete des jettons, depuis que de petites pierres employées aux calculs, ils se sont métamorphosés en pieces d'or ou d'argent, de même forme que la monnoie courante ; mais de quelque nature qu'ils soient, ils peuvent également servir aux mêmes usages ; sur quoi Charron dit avec esprit, que les rois font de leurs sujets comme des jettons, & les font valoir ce qu'ils veulent, selon l'endroit où ils les placent. (D.J.)

JETTON, est un petit instrument de cuivre ou de fer mince, à l'usage des Fondeurs de caracteres d'Imprimerie, & fait partie d'un autre instrument aussi de fer ou de cuivre, appellé justification. L'un & l'autre servent à s'assurer si les lettres sont bien en ligne, c'est-à-dire de niveau les unes avec les autres, en posant le jetton horisontalement sur l'oeil des lettres ; le jetton qui a un de ses côtés bien dressé & bien droit en forme de regle, se pose aussi perpendiculairement sur plusieurs lettres qui sont dans la justification. Si ce jetton touche également toutes ces lettres, c'est une marque qu'elles sont égales en hauteur, & bien par conséquent. Le contraire se fait sentir lorsque ce jetton pose sur les unes & non sur les autres ; on s'assure également de la justesse du corps avec le même instrument. Voyez JUSTIFICATION, Planche & figures.

JETTONS, REJETTONS, (Jard.) Voyez TAILLES.


JETTONNIERSS. m. pl. (Hist. littér.) ceux qui assistent régulierement à l'académie françoise, & entre lesquels les jettons destinés aux absens se partagent. Les jettonniers sont les travailleurs de cette société littéraire, & ceux qui l'honorent.


JETZE(Géog.) riviere d'Allemagne dans la vieille marche de Brandebourg, & qui se jette dans l'Elbe au duché de Lunebourg.


JEUS. m. (Droit naturel & Morale) espece de convention fort en usage, dans laquelle l'habileté, le hasard pur, ou le hasard mêlé d'habileté, selon la diversité des jeux, décide de la perte ou du gain, stipulés par cette convention, entre deux ou plusieurs personnes.

On peut dire que dans les jeux, qui passent pour être de pur esprit, d'adresse, ou d'habileté, le hasard même y entre, en ce qu'on ne connoît pas toûjours les forces de celui contre lequel on joue, qu'il survient quelquefois des cas imprévûs, & qu'enfin l'esprit ou le corps ne se trouvent pas toûjours également bien disposés, & ne font pas toûjours leurs fonctions avec la même vigueur.

Quoi qu'il en soit, l'amour du jeu est le fruit de l'amour du plaisir, qui se varie à l'infini. De toute antiquité, les hommes ont cherché à s'amuser, à se délasser, à se récréer, par toutes sortes de jeux, suivant leur génie & leurs tempéramens. Long-tems avant les Lydiens, avant le siege de Troye & durant ce siege, les Grecs, pour en tromper la longueur, & pour adoucir leurs fatigues, s'occupoient à différens jeux, qui du camp passerent dans les villes, à l'ombre du loisir & du repos.

Les Lacédémoniens furent les seuls qui bannirent entiérement le jeu de leur république. On raconte que Chilon, un de leurs citoyens, ayant été envoyé pour conclure un traité d'alliance avec les Corinthiens, il fut tellement indigné de trouver les magistrats, les femmes, les vieux & les jeunes capitaines tous occupés au jeu, qu'il s'en retourna promtement, en leur disant que ce seroit ternir la gloire de Lacédémone, qui venoit de fonder Byzance, que de s'allier avec un peuple de joueurs.

Il ne faut pas s'étonner de voir les Corinthiens passionnés d'un plaisir qui communément regne dans les états, à proportion de l'oisiveté, du luxe & des richesses. Ce fut pour arrêter, en quelque maniere, la même fureur, que les lois romaines ne permirent de jouer que jusqu'à une certaine somme ; mais ces lois n'eurent point d'exécution, puisque parmi les excès que Juvenal reproche aux Romains, celui de mettre tout son bien au hasard du jeu est marqué précisément dans sa premiere satyre, vers 88.

.... Alea quando

Hos animos ? Neque enim loculis comitantibus

Ad casum tabulae, posita sed luditur arca.

" La phrénésie des jeux de hasard a-t-elle jamais été plus grande ? Car ne vous figurez pas qu'on se contente de risquer, dans ces académies de jeux, ce qu'on a par occasion d'argent sur soi ; on y fait porter exprès des cassettes pleines d'or, pour les jouer en un coup de dé "

Ce qui paroît plus singulier, c'est que les Germains mêmes goûterent si fortement les jeux de hasard, qu'après avoir joué tout leur bien, dit Tacite, ils finissoient par se jouer eux-mêmes, & risquoient de perdre, novissimo jactu, pour me servir de son expression, leur personne & leur liberté. Si nous regardons aujourd'hui les dettes du jeu comme les plus sacrées de toutes, c'est peut-être un héritage qui nous vient de l'ancienne exactitude des Germains à remplir ces sortes d'engagemens.

Tant de personnes de tout pays ont mis & mettent sans-cesse une partie considérable de leur bien à la merci des cartes & des dés, sans en ignorer les mauvaises suites, qu'on ne peut s'empêcher de rechercher les causes d'un attrait si puissant.

Un joueur habile, dit l'abbé du Bos, pourroit faire tous les jours un gain certain, en ne risquant son argent qu'aux jeux où le succès dépend encore plus de l'habileté des tenans que du hasard des cartes & des dés ; cependant il préfére souvent les jeux où le gain dépend entierement du caprice des dés & des cartes, & dans lesquels son talent ne lui donne point de supériorité sur les joueurs. La raison principale d'une prédilection tellement opposée à ses intérêts, procéde de l'avarice, ou de l'espoir d'augmenter promtement sa fortune.

Outre cette raison, les jeux qui laissent une grande part dans l'événement à l'habileté du joueur, exigent une contention d'esprit trop suivie, & ne tiennent pas l'ame dans une émotion continuelle, ainsi que le font le passe-dix, le lansquenet, la bassette, & les autres jeux où les événemens dépendent entierement du hasard. A ces derniers jeux, tous les coups sont décisifs, & chaque événement fait perdre ou gagner quelque chose ; ils tiennent donc l'ame dans une espece d'agitation, de mouvement, d'extase, & ils l'y tiennent encore sans qu'il soit besoin qu'elle contribue à son plaisir par une attention sérieuse, dont notre paresse naturelle est ravie de se dispenser.

M. de Montesquieu confirme tout cela par quelques courtes réflexions sur cette matiere. " Le jeu nous plait en général, dit-il, parce qu'il attache notre avarice, c'est-à-dire, l'espérance d'avoir plus. Il flatte notre vanité, par l'idée de la préférence que la fortune nous donne, & de l'attention que les autres ont sur notre bonheur. Il satisfait notre curiosité, en nous procurant un spectacle. Enfin, il nous donne les différens plaisirs de la surprise. Les jeux de hasard nous intéressent particulierement, parce qu'ils nous présentent sans cesse des événemens nouveaux, promts & inattendus. Les jeux de société nous plaisent encore, parce qu'ils sont une suite d'événemens imprévûs qui ont pour cause l'adresse jointe au hasard ".

Aussi le jeu n'est-il regardé dans la société que comme un amusement, & je lui laisse cette appellation favorable, de peur qu'une autre plus exacte ne fît rougir trop de monde. S'il y a même tant de gens sages qui jouent volontiers, c'est qu'ils ne voyent point quels sont les égaremens cachés du jeu, ses violences & ses dissipations. Ce n'est pas que je prétende que les jeux mixtes, ni même les jeux de hasard ayent rien d'injuste, à en juger par le seul droit naturel ; car outre que l'on s'engage au jeu de plein gré, chaque joueur expose son argent à un péril égal ; chacun aussi, comme nous le supposons, joue son propre bien, dont il peut par conséquent disposer. Les jeux, & autres contrats où il entre du hasard, sont légitimes dès que ce qu'on risque de perdre de part & d'autre, est égal ; & dès que le danger de perdre, & l'espérance de gagner, ont de part & d'autre une juste proportion avec la chose que l'on joue.

Cependant, cet amusement se tient rarement dans les bornes que son nom promet ; sans parler du tems précieux qu'il nous fait perdre, & qu'on pourroit mieux employer, il se change en habitude puérile, s'il ne tourne pas en passion funeste par l'amorce du gain. On connoit à ce sujet les vers si délicats & si pleins de vérité de Mde. Deshoulieres :

Le desir de gagner, qui nuit & jour occupe,

Est un dangereux aiguillon :

Souvent quoique l'esprit, quoique le coeur soit bon,

On commence par être dupe,

On finit par être fripon.

C'est en vain qu'on sait que les personnes ruinées par le jeu, passent en nombre les gens robustes que les médecins ont rendu infirmes ; on se flate qu'on sera du petit nombre de ceux que ses bienfaits ont favorisé depuis l'origine du monde.

Mais comme le souverain doit porter son attention à empêcher la ruine des citoyens dans toutes sortes de contrats, c'est à lui qu'il appartient de régler celui-ci, & de voir jusqu'où l'intérêt de l'état & des particuliers exige qu'il défende le jeu, ou souffre qu'il le permette en général. Les lois des gouvernemens sages ne sauroient trop sévir contre les académies de Philocubes (pour me servir du terme d'Aristénete) & celles de tous les jeux de hasard disproportionnés.

M. Barbeyrac a publié un traité des jeux, à Amsterdam en 1709. in-12. où cette matiere, envisagée selon les principes de Morale & de Droit naturel, est traitée à fond avec autant de lumieres que de jugement : j'y renvoie les lecteurs curieux. (D.J.)

Le jeu occupe & flate l'esprit par un usage facile de ses facultés ; il amuse par l'espérance du gain. Pour l'aimer avec passion, il faut être avare ou accablé d'ennui ; il n'y a que peu d'hommes qui ayent une aversion sincere pour le jeu. La bonne compagnie prétend que sa conversation, sans le secours du jeu, empêche de sentir le poids du desoeuvrement : on ne joue pas assez.

JEU DE LA NATURE. (Anat. Physiol.) On entend par jeu de la nature dans le corps humain, une conformation de quelques-unes, ou de plusieurs de ses parties solides, différentes de celle qui est appellée naturelle, parce qu'elle se présente ordinairement.

Si l'on ouvroit plus de cadavres, dit M. de Fontenelle, les singularités des jeux de la nature deviendroient plus communes, les différentes structures mieux connues, & par conséquent les hypothèses plus rares. Peut-être encore qu'avec le tems, on pourroit, par toutes les conformations particulieres, tirer des éclaircissemens sur la conformation générale.

Je n'examinerai point si toutes ces conséquences sont également justes ; c'est assez de remarquer qu'on peut rassembler un nombre très-considérable d'observations qui constatent les jeux de la nature à plusieurs égards, & qui sont en même tems fort singuliers. J'avois moi-même formé sur ce sujet un grand recueil, que je regrette, & qui a péri dans un naufrage. Je desire que quelqu'un plus heureux travaille un plan de cette espece, en réunissant avec choix les faits épars sur cette matiere, & sur-tout en accompagnant son ouvrage de réflexions physiologiques, dans le goût de celles que M. Hunaud nous a données sur les jeux du crâne. Ce travail ainsi digéré, répandroit, je pense, des lumieres intéressantes sur l'économie animale. Au pis aller, un tel répertoire contiendroit quantité de faits curieux ; le lecteur en jugera par un petit nombre d'exemples, qui m'ont paru dignes de lui être communiqués, & dont j'ai conservé le souvenir.

Premier exemple. Jeux variés de la nature dans un même sujet. Non-seulement l'on a découvert par l'Anatomie des jeux de la nature dans diverses personnes, sur quelques parties du corps humain en particulier ; mais il se rencontre quelquefois dans un même sujet plusieurs conformations différentes du cours ordinaire. Morgagni en a vû de pareilles dans trois ou quatre cadavres qu'il disséquoit en 1740.

Savoir, 1°. six vertebres lombaires dans un sujet qui avoit vingt-six côtes, dont la premiere soûtenoit les petites côtes surnuméraires, & la derniere étoit continuée à la premiere de l'os sacrum. 2°. Il a trouvé dans un autre sujet la veine iliaque droite revenant à son origine, après avoir fait quelque chemin au-dessous du tronc de la veine-cave, & formant une espece d'île. 3°. Dans une femme de 39 ans, il a vû quatre valvules, au lieu de trois, à l'orifice de l'artere pulmonaire. Comme les autres variétés qu'il trouva dans les mêmes sujets, portoient sur des ramifications de vaisseaux, sur des vertebres doubles, sur des os, &c. nous n'en parlerons pas.

Second exemple de semblables jeux. M. Poupart, faisant la dissection d'une fille âgée de sept ans, trouva qu'elle n'avoit du côté gauche, ni artere, ni veine émulgente, ni rein, ni uretere, ni artere ni veine spermatiques ; il ne vit même nulle apparence qu'aucune de ces parties eût jamais existé, & se fût flétrie ou détruite par quelque indisposition. Le rein & l'uretere du côté droit étoient seulement plus gros qu'ils ne sont naturellement, parce que chacun d'eux étoit seul à faire une fonction qui auroit dû être partagée. Hist. de l'acad. ann. 1700, p. 35.

Troisieme exemple. Jeux de la nature tant intérieurement qu'extérieurement. Voici un troisieme exemple de jeux de la nature, tant en-dedans qu'en-dehors, dans une petite fille qui vêcut peu de jours, & qui fut disséquée soigneusement par Saviard & Duverney.

Les mains de cette fille étoient extérieurement semblables aux mitaines que l'on met pendant l'hiver aux petits enfans, fort unies au-dehors ; elles avoient en dedans plusieurs replis à l'ordinaire ; il n'y avoit point de doigts à leurs extrémités, mais elles étoient terminées par un gros bourrelet ; les piés étoient comme les mains sans orteils, & terminés de la même maniere.

L'on remarquoit à l'extrémité de chaque os du métacarpe & du métatarse un petit allongement qui sembloit être disposé à former la phalange d'un doigt ou d'un orteil.

Quant aux vaisseaux ombilicaux, il n'y avoit qu'une seule artere, au lieu de deux, qui sont pour l'ordinaire des branches de l'iliaque ou de l'hypogastrique ; & cette artere étoit formée du tronc de l'artere, qui auroit dû produire l'iliaque gauche.

Les capsules rénales étoient trois fois plus grosses qu'elles ne le sont naturellement, & leurs vaisseaux étoient à l'ordinaire.

Il n'y avoit dans la région lombaire, tant au côté droit qu'au côté gauche, ni rein, ni vaisseaux émulgens, ni ureteres ; mais en poursuivant la dissection jusqu'à une tumeur qui s'élevoit sur l'os sacrum, à l'endroit où il commence sa courbure pour former le bassin de l'hypogastre, & ayant ouvert la membrane qui enveloppoit cette éminence, on apperçut les deux reins. Ils étoient distans l'un de l'autre de deux lignes ou environ, & cependant liés ensemble par le moyen d'un petit uretere, qui sortant du rein droit, alloit se décharger dans un canal commun qui recevoit pareillement un autre petit uretere sortant du canal gauche ; ce canal commun se portoit dans une poche commune.

Le souffle introduit dans cette poche donna lieu d'observer deux petites matrices, qui avoient chacune une veine & une artere spermatiques, lesquelles se distribuoient de leur côté à un petit testicule attaché au ligament large.

Ces deux petites matrices avoient chacune leurs ligamens larges & ronds, leurs trompes, leurs franges ou pavillons, leurs vaisseaux déférens, & leur vagin fort court ; cependant le droit un peu plus long que le gauche, tomboit un peu plus bas dans la poche commune ; & le petit vagin gauche étoit percé pour recevoir le canal commun de l'uretere, qui déchargeoit la sérosité séparée par les reins dans cette poche, laquelle n'étoit, à vrai dire, que la fin du boyau droit un peu dilaté.

Il est probable, par la description de ces organes, que si cet enfant eût vêcu jusqu'à l'âge des adultes, il eût été incapable de génération, par le mélange qu'il y auroit eu de la semence avec les excrémens, tant stercoraux qu'urinaires, outre que l'urine & les matieres stercorales seroient sorties involontairement. Saviard, observ. 94.

Quatrieme exemple de jeux de la nature dans la transposition des visceres d'un enfant. J'ai lû les observations de deux ou trois exemples bien singuliers en ce genre. Je commencerai par citer le fait communiqué en 1742 à l'académie royale des Sciences, par M. Sué, parce que ce fait exclut tout sujet de doute. L'enfant, dont il s'agit, est dans le cabinet du Roi, n°. 350. M. Daubenton en a donné la description & la figure dans l'histoire de ce cabinet, tab. iij. pag. 204. Planche VIII.

La poitrine & le bas-ventre de cet enfant, ainsi que les visceres qui y étoient renfermés, paroissent à découvert ; on voit clairement leur transposition. Voici comme ils sont situés.

La pointe du coeur est tournée à droite, & la base est inclinée à gauche. Les troncs des gros vaisseaux sont transposés d'un côté à l'autre ; ainsi la courbure de l'aorte est dirigée du côté droit, l'oesophage est placé du côté droit, la bifurcation de la trachée-artere se trouve au côté gauche de l'aorte, & le poumon a trois lobes de ce même côté.

Le foie est à l'endroit où devroit être la rate, qui est placée du côté droit ; l'orifice supérieur de l'estomac est à droite, & le pylore à gauche. La direction du canal intestinal étoit en sens contraire, à celui de l'état ordinaire. Le pancréas est placé sous la rate, & son conduit est dirigé du côté gauche, pour entrer dans le duodenum avec le canal cholidoque. Il n'avoit que le rein gauche, & il étoit plus gros qu'il ne devoit être. Les capsules atrabilaires étoient à leur place.

Les vaisseaux étoient transposés comme les visceres, & le canal thorachique s'ouvroit dans la soûclaviere du côté droit. La veine ombilicale étoit dirigée du côté gauche, pour arriver dans la scissure du foie.

L'enfant est mort cinq jours après sa naissance ; mais faut-il en attribuer la cause au dérangement de ses parties, qui étoient d'ailleurs très-bien conformées ? C'est ce dont il est permis de douter, d'autant mieux que nous avons l'exemple d'un soldat qui a vecu 70 ans, quoiqu'il eût un déplacement général de toutes les parties contenues dans la poitrine & dans le bas-ventre. On n'a connu cette singularité de déplacement de parties que par l'ouverture de son cadavre.

Cinquieme exemple de pareils jeux dans un vieillard. Le soldat dont il s'agit, étant mort âgé de 70 ans, le 23 Octobre 1688, à l'hôtel des Invalides, M. Morand fit l'ouverture de son cadavre en présence de MM. du Parc, Saviard, & autres chirurgiens.

Après avoir levé les tégumens communs, & découvert la duplicature du péritoine, on y trouva la veine ombilicale couchée au long de la ligne blanche, laquelle, au lieu de se détourner ensuite du côté droit pour entrer dans la scissure du foie, se trouvoit effectivement placée, ainsi que la rate, au côté droit, contre l'ordre naturel.

Le grand lobe du foie occupoit entierement l'hypochondre gauche, & la scissure regardoit le derriere du cartilage xiphoïde. Son petit lobe occupoit une partie de la région épigastrique, & déclinoit vers l'hypochondre droit.

On remarqua dans la poitrine, que l'oesophage y entroit par le côté droit, & passoit au-devant de l'uretere ; puis descendant & se glissant du même côté droit, y perçoit le diaphragme, & après l'avoir traversé, se glissoit entre le foie & la rate pour entrer dans le bas-ventre.

Le fond de l'estomac, suivant la même route, étoit situé du côté droit, entre le foie & la rate ; le pylore & l'intestin duodenum se trouvoient au-dessous du foie ; & ce boyau passant par-dessous la veine & l'artere mésentérique supérieure, puis faisant sa courbure, se glissoit du côté droit vers la partie lombaire, & formoit le jejunum.

Tous les intestins grêles avoient aussi changé de situation ; le coecum & le commencement du colon étoient placés dans l'île gauche, & le contour de ce dernier boyau passoit à l'ordinaire, mais de gauche à droite, sous l'extrémité du foie, du ventricule & de la rate, & descendoit ensuite dans la region iliaque droite, pour produire le rectum.

La même transposition s'étoit faite aux reins & aux parties génitales : car le rein droit se trouvant au côté gauche, & le gauche étant au côté droit, l'on voyoit la veine spermatique droite sortir de l'émulgente, & la veine spermatique gauche sortir du tronc de la cave contre l'ordre naturel.

De plus, le rein du côté droit étoit plus élevé que celui du côté gauche, & deux ureteres sortoient du rein droit, l'un du bassinet à l'ordinaire, & l'autre de sa partie inférieure.

Les capsules atrabilaires avoient aussi passé d'un côté à l'autre, ce qu'on reconnut par les veines, la capsule gauche recevant la sienne du tronc de la cave, & la droite de l'émulgente.

Le coeur lui-même prenoit part à ce changement ; sa base étoit située au milieu de la poitrine, mais sa pointe inclinoit du côté droit contre son ordinaire, qui est de se porter du côté gauche. De cette façon, le ventricule droit du coeur regardoit le côté gauche de la poitrine, & la veine-cave qui en sortoit du même côté, produisoit deux troncs à l'ordinaire ; l'inférieur perçoit le diaphragme au côté gauche du corps des vertebres, & l'artere du poumon sortoit de ce même ventricule, se glissant du côté droit, & là se partageoit en deux branches à l'ordinaire.

Le tronc de l'aorte sortant du ventricule gauche, & se trouvant placé au côté droit de la poitrine, se courboit du même côté contre la coûtume ; après quoi, perçant le diaphragme au côté droit, & descendant jusqu'à l'os sacrum, il occupoit toûjours le côté droit du corps des vertebres.

La veine du poûmon sortant du même ventricule, se courboit aussi un peu du côté droit.

Enfin, la veine azygos se trouvoit au côté droit du corps des vertebres, ensorte que la distribution des vaisseaux souffroit un changement conforme à celui qui étoit arrivé aux visceres. Voyez l'observat. 112 de Saviard, ou l'hist. de l'acad. royale des Sciences de 1686 à 1699. tom. II. p. 44.

6°. Autres exemples confirmatifs. Ce fait tout étrange, tout surprenant qu'il paroisse, n'est cependant pas unique ; on avoit déja vû à Paris en 1650 un pareil exemple dans le meurtrier qui avoit tué un gentilhomme, au lieu de M. le duc de Beaufort, & dont le corps, après avoir été roué, fut disséqué par M. Bertrand, chirurgien, qui en a publié l'histoire avec des remarques, dans un traité particulier. Cette même histoire est détaillée plus au long dans les observat. médic. de M. Cattier, docteur en Médecine. Bonet l'a inséré dans son sepulchretum, liv. IV. sect. 1. obs. 7. 5. 3. Il en est aussi fait mention dans les mémoires de Joly, qui à cette occasion rapporte qu'on avoit observé la même chose dans un chanoine de Nantes.

Un savant plein d'érudition, ce doit être M. Falconet, m'a encore indiqué le journal de dom Pierre de Saint-Romuald, imprimé à Paris en 1661, où il est dit qu'on trouva une pareille transposition de visceres en 1657, dans le cadavre du sieur Audran, commissaire des gardes françoises.

On peut joindre à tout ceci l'observation d'Hoffman, imprimée à Leipsick en 1671, in-4°. sous le titre de Cardianastrophe, seu cordis universi, memorabilis observatio, &c.

Septieme exemple de jeux de la nature sur la situation de visceres dans la poitrine. Les Transactions philosophiques de l'année 1702, n°. 275, & les acta eruditorum, même année 1702, p. 524. font le détail du cas suivant, qui est fort extraordinaire.

Charles Holt, en disséquant un enfant de deux mois, en présence de trois témoins experts en Anatomie, ne découvrit ni d'intestins hormis le rectum, ni de mésentere dans la cavité du bas-ventre ; mais ayant détaché le sternum, il les trouva dans la cavité de la poitrine, couchés sur le coeur & les poumons. Pour comble de surprise, l'omentum & le médiastin manquoient. Le pylore étoit retiré vers le fond du ventricule près des vertebres du dos : le gros boyau s'étendoit obliquement depuis l'anus vers un trou particulier du diaphragme, & étoit caché dessous avec une partie du duodenum. Il paroît que ce trou du diaphragme étoit absolument naturel, & avoit servi au passage des intestins dans la poitrine, car tout étoit entier sans aucun déchirement. On ne trouva pas la moindre communication des intestins avec aucune autre partie du corps ; cependant l'enfant avoit vêcu, prenoit tous les jours des alimens, & alloit à la selle.

Ce petit nombre de faits singuliers, tirés de bonnes sources, ne suffit que trop pour conclure qu'aujourd'hui comme du tems de Pline, nous pouvons répéter avec lui, ignotum est quo modo & per quae vivimus.

Huitieme exemple de jeux de la nature sur le manque des parties de la génération. Ces parties, qui depuis tant de siecles renouvellent continuellement la face de l'univers par un méchanisme inexplicable, sont non-seulement exposées à des vices bisarres d'origine & de conformation ; mais quelquefois même elles manquent absolument dans des enfans qui viennent au monde. Ainsi Saviard a été le témoin oculaire d'un enfant né à l'Hôtel-Dieu de Paris, manquant des parties de la génération qui appartiennent à l'un ou à l'autre sexe, & n'ayant d'autre ouverture à l'extérieur que celle du rectum.

Ainsi le docteur Barton témoigne avoir vû dans le comté d'Yorck un enfant qui ressembloit entierement à celui de Saviard. Cet enfant n'avoit aucune partie extérieure de la génération, ni mâle, ni femelle, ni aucun vestige de ces organes. Les autres parties du corps étoient conformes à l'état naturel & ordinaire, excepté que vers le milieu de l'espace qui est entre le nombril & l'os pubis, se trouvoit une substance spongieuse, nue, sans proéminence, tendre, fort sensible, percée de pores innombrables, desquels pores l'urine sortoit sans-cesse. L'enfant a vêcu cinq ans, & est mort de la petite vérole. Mém. d'Edimb. ann. 1740. tom. V. p. 428.

Exemples de jeux de la nature qui peuvent être utiles dans la pratique. Il est possible quelquefois de trouver dans les jeux de la nature des variations, dont la connoissance peut avoir quelque utilité, c'est-à-dire peut servir dans l'explication des fonctions de l'économie animale ou des maladies, & peut faire éviter quelque erreur dans la pratique. Je compte au nombre de ces variations les os triangulaires, qu'on trouve quelquefois dans les sutures du crane, & plus fréquemment dans la suture lambdoïde, que dans aucune autre ; parce que, faute de connoître ces jeux, quelqu'un pourroit se tromper à l'égard de ceux qui ont de pareils os, & prendre une légere plaie pour une fracture considérable.

Observation génerale. Enfin, personne n'ignore les jeux de la nature qui s'étendent sur les proportions des parties du corps d'un même individu, car nonseulement les mêmes parties du corps n'ont point les mêmes dimensions proportionnelles dans deux personnes différentes ; mais dans la même personne une partie n'est point exactement semblable à la partie correspondante. Par exemple, souvent le bras ou la jambe du côté droit n'a pas les mêmes dimensions que le bras ou la jambe du côté gauche. Ces variétés sont faciles à comprendre ; elles tirent leur origine de celle de l'accroissement des os, de leurs ligamens, de leur nutrition, des vaisseaux qui se distribuent à ces parties, des muscles qui les couvrent, &c. C'est à l'art du dessein qu'on doit les idées de la proportion ; le sentiment & le goût ont fait ce que la méchanique ne pouvoit faire, & comme dit encore M. de Buffon, on a mieux connu la nature par la représentation que par la nature même. (D.J.)

JEU DE LA NATURE, lusus naturae. (Hist. nat. Lithologie) Les Naturalistes nomment ainsi les pierres qui ont pris par divers accidens fortuits une forme étrangere au regne minéral, & qui ressemblent ou à des végétaux, ou à des animaux, ou à quelques-unes de leurs parties, ou à des produits de l'art, &c. sans qu'on puisse indiquer la cause qui a pû leur donner la figure qu'on y remarque. Ces pierres ainsi conformées ne different point dans leur essence des pierres ordinaires ; ce sont ou des cailloux, ou des agates, ou des pierres à chaux, ou du grès, &c. toute la différence, s'il y en a, vient de la curiosité & de l'imagination vive de ceux qui forment des cabinets d'histoire naturelle, & qui attachent souvent de la valeur à ces pierres, en raison de la bizarrerie de leurs figures. Wallerius a raison de dire que dans ces sortes de pierres la nature n'a fait qu'ébaucher des ressemblances grossieres, que l'imagination des propriétaires supplée à ce qui leur manque, & qu'on pourroit plutôt les nommer lusus lithophilorum que lusus naturae.

On doit placer parmi les jeux de la nature les pierres ou marbres de Florence sur lesquelles on voit des ruines, les priapolites, les dendrites, les agates herborisées, les agates & les jaspes, & les marbres sur lesquels on remarque différens objets, dont la ressemblance n'est formée que par l'arrangement fortuit des veines, des taches, & des couleurs de ces sortes de pierres.

Bruckmann, grand compilateur d'histoire naturelle, rapporte une dissertation, intitulée de Papatu à naturâ detestato ; l'auteur de cette ridicule dissertation est un nommé Gleichmann. Il y est question d'une pierre, sur laquelle on voyoit, ou du-moins on croyoit voir, une religieuse ayant une mitre sur sa tête, vêtue des ornemens pontificaux, & portant un enfant dans ses bras. Il dit que la papesse Jeanne se présenta aussitôt à son imagination, & il ne douta pas que la nature en formant cette pierre n'eût voulu marquer combien elle avoit d'horreur pour le papisme. Voyez Bruckmann, Epistolae itinerariae, centuriâ I. epistol. lvj. On conserve deux agates dans le cabinet d'Upsal, sur l'une desquelles on dit qu'on voit le jugement dernier, & sur l'autre le passage de la mer Rouge par les enfans d'Israël. Voyez Wallerius, Minéralogie, tome I.

Il y a des gens qui connoissant le goût de quelques collecteurs d'histoire naturelle pour le merveilleux, savent le mettre à profit, & leur font payer cherement, comme jeux de la nature, des pierres chargées d'accidens, qu'ils ont eu le secret d'y former par art, ou du-moins dans lesquelles ils ont aidé la nature, en perfectionnant des ressemblances qu'elle n'avoit fait que tracer grossierement, avec de la dissolution d'or, avec celle d'argent, &c. On peut tracer des desseins assez durables sur les agates ; il est aussi fort aisé d'en former sur le marbre, &c. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome I. page 172 de la traduction françoise, & tome II. page 128.

On ne doit point confondre avec les jeux de la nature les pierres qui doivent leurs figures à des causes connues, telles que sont celles qui ont été moulées dans des coquilles, celles qui ont pris les empreintes des corps marins qui se trouvent dans le sein de la terre, celles dans lesquelles on voit des empreintes de végétaux & de poissons, les bois pétrifiés, les crabes pétrifiés, &c. ce n'est point le hasard qui a produit les figures qu'on y remarque. Voyez FOSSILES.

Il ne faut point non plus appeller jeux de la nature les corps que la nature produit toûjours sous une forme constante & déterminée, tels que les crystallisations, les marcassites, &c. & encore moins ceux qui sont des produits de l'art des hommes. Voyez FIGUREES PIERRES. (-)

JEU DE MOTS, (Gramm.) espece d'équivoque, dont la finesse fait le prix, & dont l'usage doit être fort modéré. On peut la définir, une pointe d'esprit fondée sur l'emploi de deux mots qui s'accordent pour le son, mais qui different à l'égard du sens. Voyez POINTE.

Les jeux de mots, quand ils sont spirituels, se placent à merveille dans les cris de guerre, les devises & les symboles. Ils peuvent encore avoir lieu, lorsqu'ils sont délicats, dans la conversation, les lettres, les épigrammes, les madrigaux, les impromptus, & autres petites pieces de ce genre. Voltaire pouvoit dire à M. Destouches,

Auteur solide, ingénieux,

Qui du théatre êtes le maître,

Vous qui fites le Glorieux,

Il ne tiendroit qu'à vous de l'être.

Ces sortes de jeux de mots ne sont point interdits, lorsqu'on les donne pour un badinage qui exprime un sentiment, ou pour une idée passagere ; car si cette idée paroissoit le fruit d'une réflexion sérieuse, si on la débitoit d'un ton dogmatique, on la regarderoit avec raison comme une petitesse frivole.

Mais on ne permet jamais les jeux de mots dans le sublime, dans les ouvrages graves & sérieux, dans les oraisons funebres, & dans les discours oratoires. C'est par exemple un jeu de mots bien misérable que ces paroles de Jules Mascaron, évêque de Tulles, & puis d'Agen, dans l'oraison funebre d'Henriette d'Angleterre. " Le grand, l'invincible, le magnanime Louis, à qui l'antiquité eut donné mille coeurs, elle qui les multiplioit dans les héros, selon le nombre de leurs grandes qualités, se trouve sans coeur à ce spectacle ".

Il est certain que ce mauvais goût a paru & s'est éclipsé à plusieurs reprises dans les divers pays. Il n'y a même nul doute qu'il ne revienne dans une nation, toutes les fois que l'amour de la frivolité, de la plaisanterie, & du ridicule, succédera à l'amour du bon, du solide & du vrai. Si cette réflexion est juste, craignons le retour prochain de ce mauvais goût parmi nous. Cependant je n'appréhende pas si-tôt le retour des jeux de mots grossiers ; nous sommes encore assez délicats pour les renvoyer, je ne dirai point aux gens de robe, comme on le prétend à la cour, mais aux spectacles des farceurs, ou aux artisans qui sont les plaisans de leur voisinage. (D.J.)

JEU, lusus. (Bell. lett.) Voyez JOUER & JEUX.

JEU DE THEATRE, (en poésie) Voyez DRAME, TRAGEDIE, COMEDIE, &c.

JEUX (SALLE DE). Voyez THEATRE, AMPHITHEATRE, &c.

JEUX, s. m. pl. (Antiq. greq. & rom.) sortes de spectacles publics qu'ont eû la plûpart des peuples pour se délasser, ou pour honorer leurs dieux ; mais puisque parmi tant de nations nous ne connoissons gueres que les jeux des Grecs & des Romains, nous nous retrancherons à en parler uniquement dans cet article.

La religion consacra chez eux ces sortes de spectacles ; on n'en connoissoit point qui ne fût dédié à quelque dieu en particulier, ou même à plusieurs ensemble ; il y avoit un arrêt du sénat romain qui le portoit expressément. On commençoit toûjours à les solemniser par des sacrifices, & autres cérémonies religieuses : en un mot, leur institution avoit pour motif apparent la religion, ou quelque pieux devoir.

Les jeux publics des Grecs se divisoient en deux especes différentes ; les uns étoient compris sous le nom de gymniques, & les autres sous le nom de scéniques. Les jeux gymniques comprenoient tous les exercices du corps, la course à pié, à cheval, en char, la lutte, le saut, le javelot, le disque, le pugilat, en un mot le pentathle ; & le lieu où l'on s'exerçoit, & où l'on faisoit ces jeux, se nommoit Gymnase, Palestre, Stade, &c. selon la qualité des jeux. Voyez GYMNIQUES, GYMNASE, PALESTRE, STADE, &c.

A l'égard des jeux scéniques on les représentoit sur un théatre, ou sur la scene, qui est prise pour le théatre entier. Voyez SCENE.

Les jeux de Musique & de Poésie n'avoient point de lieux particuliers pour leurs représentations.

Dans tous ces jeux il y avoit des juges pour décider de la victoire, mais avec cette différence que dans les combats tranquilles, où il ne s'agissoit que des ouvrages d'esprit, du chant, de la musique, les juges étoient assis lorsqu'ils distribuoient les prix ; & dans les combats violens & dangereux, les juges prononçoient debout : nous ignorons la raison de cette différence. Pour ce qui regarde l'ordre, les lois, les statuts de ces derniers combats, on en trouvera le détail au mot GYMNIQUES.

Toutes ces choses présupposées connues, nous nous contenterons de remarquer, que parmi tant de jeux, les Olympiques, les Pythiens, les Néméens & les Isthmiens, ne sortiront jamais de la mémoire des hommes, tant que les écrits de l'antiquité subsisteront dans le monde.

Dans les quatre jeux solemnels qu'on vient de nommer ; dans ces jeux qu'on faisoit avec tant d'éclat, & qui attiroient de tous les endroits de la terre une si prodigieuse multitude de spectateurs & de combattans ; dans ces jeux, dis-je, à qui seuls nous devons les odes immortelles de Pindare, on ne donnoit pour toute récompense qu'une simple couronne d'herbe ; elle étoit d'olivier sauvage aux jeux Olympiques, de laurier aux jeux Pythiques, d'ache verd aux jeux Néméens, & d'ache sec aux jeux Isthmiques. La Grece voulut apprendre à ses enfans que l'honneur devoit être l'unique but de leurs actions.

Aussi lisons-nous dans Hérodote que durant la guerre de Perse, Tigrane entendant parler de ce qui constituoit le prix des jeux si fameux de la Grece, il se tourna vers Mardonius, & s'écria, frappé d'étonnement : " Ciel, avec quels hommes nous avez-vous mis aux mains ! insensibles à l'intérêt, ils ne combattent que pour la gloire ". Voyez donc JEUX OLYMPIQUES, PYTHIENS, NEMEENS, ISTHMIENS.

Il y avoit quantité d'autres jeux passagers, qu'on célébroit dans la Grece ; tels sont dans Homere ceux qui furent faits aux funérailles de Patrocle ; & dans Virgile, ceux qu'Enée fit donner pour le jour de l'anniversaire de son pere Anchise. Mais ce n'étoient-là que des jeux privés, des jeux où l'on prodiguoit pour prix des cuirasses, des boucliers, des casques, des épées, des vases, des coupes d'or, des esclaves. On n'y distribuoit point de couronnes d'ache, d'olivier, de laurier ; elles étoient reservées pour de plus grands triomphes.

Les jeux Romains ne sont pas moins fameux que ceux des Grecs, & ils furent portés à un point incroyable de grandeur & de magnificence. On les distingua par le lieu où ils étoient célébrés, ou par la qualité du dieu à qui on les avoit dédiés. Les premiers étoient compris sous le nom de jeux circenses & de jeux scéniques, parce que les uns étoient célébrés dans le cirque, & les autres sur la scene. A l'égard des jeux consacrés aux dieux, on les divisoit en jeux sacrés, en jeux votifs, parce qu'ils se faisoient pour demander quelque grace aux dieux ; en jeux funebres & en jeux divertissans, comme étoient par exemple les jeux compitaux. Voyez CIRCENSES, FUNEBRES, SACRES, VOTIFS.

Les rois réglerent les jeux Romains pendant le tems de la royauté ; mais après qu'ils eurent été chassés de Rome, dès que la république eut pris une forme réguliere, les consuls & les préteurs présiderent aux jeux Circenses, Apollinaires & Séculaires. Les édiles plébéïens eurent la direction des jeux Plébéïens ; le préteur, ou les édiles curules, celle des jeux dédiés à Cérès, à Apollon, à Jupiter, à Cybele, & aux autres grands dieux, sous le titre de jeux Mégalésiens. Voyez APOLLINAIRES, JEUX CEREAUX, CAPITOLINS, MEGALESIENS.

Dans ce nombre de spectacles publics, il y en avoit que l'on appelloit spécialement jeux Romains, & que l'on divisoit en grands, magni, & très-grands, maximi.

Le sénat & le peuple ayant été réunis l'an 387, par l'adresse & l'habileté de Camille, la joie fut si vive dans tous les ordres, que pour marquer aux dieux leur reconnoissance de la tranquillité dont ils esperoient jouir, le sénat ordonna que l'on fît de grands jeux à l'honneur des dieux, & qu'on les solemnisat pendant quatre jours, au lieu qu'auparavant les jeux publics n'avoient eû lieu que pendant trois jours, & ce fut par ce changement qu'on appella ludi maximi les jeux qu'on nommoit auparavant ludi magni.

On célébroit chez les Romains des jeux, non-seulement à l'honneur des divinités qui habitoient le ciel, mais même à l'honneur de celles qui régnoient dans les enfers ; & les jeux institués pour honorer les dieux infernaux étoient de trois sortes, connus sous le nom de Taurilia, Compitalia, & Terentini ludi. Voyez TAURILIENS, jeux, COMPITALES & TERENTINS.

Les jeux scéniques comprenoient toutes les représentations qui se faisoient sur la scene. Elles consistoient en tragédies, comédies, satyres, qu'on représentoit sur le théatre en l'honneur de Bacchus, de Vénus, & d'Apollon. Pour rendre ces divertissemens plus agréables, on les préludoit par des danseurs de corde, des voltigeurs, & autres spectacles pareils ; ensuite on introduisit sur la scene les mimes & les pantomimes, dont les Romains s'enchanterent dans les tems où la corruption chassa les moeurs & la vertu. Voyez SCENIQUES, jeux, SCHOENOBATE, MIME & PANTOMIME.

Les jeux scéniques n'avoient point de tems marqués, non plus que ceux que les consuls & les empereurs donnoient au peuple pour gagner sa bienveillance, & qu'on célébroit dans un amphithéatre environné de loges & de balcons ; là se donnoient des combats d'hommes ou d'animaux. Ces jeux étoient appellés agonales, & quand on couroit dans le cirque, équestres ou curules. Les premiers étoient consacrés à Mars & à Diane ; les autres à Neptune & au soleil. Voyez AGONALES, EQUESTRES, CIRQUE, &c.

Les jeux séculaires en particulier, ne se célébroient que de cent ans en cent ans. Voyez SECULAIRES, jeux.

On peut ajouter ici les jeux Actiaques, Augustaux & Palatins, qu'on célébroit à l'honneur d'Auguste ; les Néroniens à l'honneur de Néron, ainsi que les jeux à l'honneur de Commode, d'Adrien, d'Antinoüs, & tant d'autres imaginés sur les mêmes modeles. Voyez Jeux ACTIAQUES, AUGUSTAUX, NERONIENS, PALATINS.

Enfin, lorsque les Romains devinrent maîtres du monde, ils accorderent des jeux à la plûpart des villes qui en demanderent ; on en trouve les noms dans les marbres d'Arondel, & dans une inscription ancienne érigée à Mégare, dont parle M. Spon dans son voyage de Grece.

Comme les édiles au sortir de charge donnoient toûjours des jeux publics au peuple Romain, ce fut entre Luculle, Scaurus, Lentulus, Hortensius, C. Antonius & Murena, à qui porteroit le plus loin la magnificence ; l'un avoit fait couvrir le ciel des théatres, de voiles azurés ; l'autre avoit couvert l'amphithéatre de tuiles de cuivre surdorées, &c. Mais César les surpassa tous dans les jeux funebres qu'il fit célébrer à la mémoire de son pere ; non content de donner les vases, & toute la fourniture du théatre en argent, il fit paver l'arène entiere de lames d'argent ; desorte, dit Pline, " qu'on vit pour la premiere fois les bêtes marcher & combattre sur ce métal ". Cet excès de dépense de César, étoit proportionné à son excès d'ambition ; les édiles, qui l'avoient précédé, n'aspiroient qu'au consulat, & César aspiroit à l'empire.

C'en est assez sur les jeux de la Grece & de Rome, considérés d'une vûe générale ; mais comme ils sont une branche très-étendue de la littérature, le lecteur trouvera dans cet ouvrage les détails qui concernent chacun de ces jeux, sous leurs noms respectifs : voici la liste des principaux, dont il importe de consulter les articles.

ACTIAQUES, APOLLINAIRES, AUGUSTAUX, CAPITOLINS, CEREAUX, CIRCENSES, JEUX DE CASTOR ET DE POLLUX, COMPITALES, CONSUALES, FLORAUX, FUNEBRES, GYMNIQUES, ISTHMIENS, JEUX DE LA LIBERTE, LUCULLIENS, MARTIAUX, MEGALESIENS, NEMEENS, NERONIENS, OLYMPIQUES, PALATINS, PANHELLENIENS, PANATHENEES, PLEBEIENS, PYRRHIQUES, PYTHIENS, ROMAINS, SACRES, SCENIQUES, SECULAIRES, TAURILIENS, TERENTINS, TROYENS, VOTIFS, & quelques autres, dont les noms échappent à ma mémoire. (D.J.)

JEUX AUGUSTAUX, Augustales ludi ; (Antiq. Rom.) les jeux Augustaux ou les Augustales, étoient des jeux Romains, qui furent établis en l'honneur d'Auguste, l'an 735 de la fondation de Rome, lorsque ce prince revint de Grece. On les célébra le quatrieme avant les ides d'Octobre, c'est-à-dire le 12 de ce mois ; & le sénat par un decret solemnel, émané sous le consulat d'Aelius Tuberon, & de P. Fabius, ordonna qu'ils fussent encore représentés le même jour au bout de huit ans. (D.J.)

JEUX CARNIENS, (Antiq. greq.) fête célébrée à Sparte en l'honneur d'Apollon. Elle y fut instituée dans la xxxvj olympiade, & telle en fut l'occasion suivant Pausanias, liv. III. ch. xij.

Un Arcanien nommé Carnus, devin fameux, inspiré par Apollon même, ayant été tué par Hippotès, Apollon frappa de peste tout le camp des Doriens ; alors ils bannirent le meurtrier, & appaiserent les manes du devin par des expiations, qui furent prescrites sous le nom de fête Carniennes ; d'autres, continue Pausanias, donnent à ces fêtes une origine différente. Ils disent que les Grecs, pour construire ce cheval de bois si fatal aux Troyens, ayant coupé sur le mont Ida beaucoup de cornoüilliers (), dans un bois consacré à Apollon, irriterent ce dieu contr'eux, & que pour le fléchir ils établirent un culte en son honneur, & lui donnerent le surnom de Carnien, en lui appliquant celui de l'arbre qui faisoit le sujet de leur disgrace.

Cette fête Carnienne avoit quelque chose de militaire : on dressoit neuf loges, en maniere de tentes, que l'on appelloit ombrages, ; sous chacun de ces ombrages soupoient ensemble neuf Lacédémoniens, trois de chacune des trois tribus, conformément à la proclamation du crieur public. La fête duroit neuf jours ; on y célébroit des jeux, & l'on y proposoit un prix aux joueurs de cithare. Terpandre fut le premier qui le remporta, & Timothée y reçut un affront pour avoir multiplié les cordes de l'ancienne lyre, & avoir par conséquent introduit dans la musique le genre chromatique : les Lacédémoniens suspendirent sa lyre à la voûte d'un édifice, qu'on voyoit encore du tems de Pausanias. Mém. des Inscript. tom. XIV. (D.J.)

JEUX DE CASTOR ET DE POLLUX, (Antiq. rom.) jeux qu'on célébroit à Rome en l'honneur de ces deux héros, qui étoient comptés au nombre des grands dieux de la Grece : voici quelle fut l'occasion de ces jeux.

A. Posthumius, dictateur, voyant les affaires des Romains dans un état déplorable, s'engagea par un voeu solemnel, au cas que la victoire les rétablît, de faire représenter des jeux magnifiques en l'honneur de Castor & de Pollux. Le succès de cette guerre ayant été favorable, le sénat, pour remplir le voeu de Posthumius, ordonna qu'on célébreroit chaque année, pendant huit jours, les jeux que leur dictateur avoit voués.

Ces jeux étoient précédés du spectacle des gladiateurs, & les magistrats accompagnés de ceux de leurs enfans qui approchoient de l'âge de puberté, & suivis d'une nombreuse cavalcade, portoient les statues ou les images des dieux en procession, depuis le capitole jusques dans la place du grand cirque. Voyez les autres détails dans Hospinien, de festis Graecorum, & dans le Dict. de Pitiscus. (D.J.)

JEUX CURULES, (Antiq. Rom.) les jeux curules ou équestres consistoient en des courses de chars ou à cheval, qui se faisoient dans le cirque dédié à Neptune ou au soleil. (D.J.)

JEUX ELEUTHERIENS, voyez JEUX DE LA LIBERTE.

JEUX DES ENFANS DE ROME, (Hist. Rom.) tous les enfans ont des jeux qui ne sont pas indifférens pour faire connoître l'esprit des nations. Les jeux de nos enfans sont ceux de la toupie, de cligne-musette, de colin-maillard, &c. Les enfans de Rome représentoient dans leurs jeux des tournois sacrés, des commandemens d'armées, des triomphes, des empereurs, & autres grands objets. Nous lisons dans Suétone que Neron dit à ses gens de jetter dans la mer son beau-fils Rufinus Crispinus, fils de Poppée, & encore enfant, quia ferebatur ducatus & imperia ludere.

Un de leurs principaux jeux étoit de représenter un jugement dans toutes les formes, ce qu'ils appelloient judicia ludere. Il y avoit des juges, des accusateurs, des défendeurs, & des licteurs pour mettre en prison celui qui seroit condamné. Plutarque, dans la vie de Caton d'Utique, nous raconte qu'un de ces enfans, après le jugement, fut livré à un garçon plus grand que lui, qui le mena dans une petite chambre, où il l'enferma. L'enfant eut peur, & appella à sa défense Caton, qui étoit du jeu ; alors Caton se fit jour à-travers ses camarades, délivra son client, & l'emmena chez lui, où tous les autres enfans le suivirent.

Ce Caton, depuis si grand homme, tenoit déja dans Rome le premier rang parmi les enfans de son âge. Quand Sylla donna le tournoi sacré des enfans à cheval, il nomma Sextus, neveu du grand Pompée, pour un capitaine des deux bandes ; mais tous les enfans se mirent à crier qu'ils ne couroient point. Sylla leur demanda quel camarade ils vouloient donc avoir à leur tête ; alors tous répondirent à la fois Caton, & Sextus lui céda volontairement cet honneur, comme au plus digne. (D.J.)

JEUX DE LA LIBERTE, (Antiq. greq.) on appelloit ainsi les jeux qui se célébroient à Platée, en mémoire de la victoire remportée par les Grecs à la bataille de ce nom, dans la lxxv. olympiade, l'an de Rome 275.

Aristide établit qu'on tiendroit tous les ans dans cette ville de la Béotie une assemblée générale de la Grece, & que l'on y feroit un sacrifice à Jupiter, pour lui rendre d'éternelles actions de graces. En même tems il ordonna que de cinq ans en cinq ans on y célébreroit les jeux de la liberté, où l'on couroit tout armé autour de l'autel de Jupiter, & il y avoit de grands prix proposés pour cette course.

On célébroit encore du tems de Plutarque, & ces jeux, & la cérémonie de l'anniversaire des vaillans hommes qui périrent à la bataille de Platée. Comme dans le lieu même où les Grecs défirent Mardonius, on avoit élevé un autel à Jupiter éléuthérien, c'est-à-dire libérateur, les jeux de la liberté s'appellerent aussi eleutheria, jeux ou fêtes éléuthériennes. Voyez ELEUTHERE. (D.J.)

JEU DE FIEF, (Jurisprud.) est une aliénation des parties du corps matériel du fief, sans division de la foi dûe pour la totalité du fief. Voyez ce qui en est dit au mot FIEF. (A)

JEUX DE HASARD. Voyez l'article JOUER.

JEU, (Marine) on dit le jeu du gouvernail ; c'est son mouvement

JEU DE VOILES. Voyez JET DE VOILES.

JEU-PARTI ; on dit faire jeu-parti quand de deux ou plusieurs personnes qui ont part à un vaisseau, il y en a une qui veut rompre la société, & qui demande en jugement que le tout demeure à celui qui fera la condition des autres meilleures, ou bien que l'on fasse estimer les parts.

JEU, (terme d'Horlogerie) si l'on suppose une cheville plus petite que le trou dans lequel on la fait entrer, elle pourra se mouvoir dans ce trou de-çà & delà ; c'est l'espace qu'elle parcourt, en se mouvant ainsi, que les Horlogers appellent le jeu. Ainsi ils disent qu'un pivot a du jeu dans son trou, lorsqu'il peut s'y mouvoir de cette façon ; & qu'au contraire il n'a point de jeu, lorsqu'il ne le peut pas, & qu'il ne peut s'y mouvoir qu'en tournant. C'est encore de même qu'ils disent qu'une roue a trop de jeu dans sa cage, lorsque la distance entre ses deux parties n'est pas assez grande, & qu'elle differe trop de celle qui est entre les deux platines. Il faut que les roues ayent un certain jeu dans leur cage, & leur pivot dans leurs trous, pour qu'elles puissent se mouvoir avec liberté ; sans cela elles sont génées, défaut essentiel, dont il résulte beaucoup de frottemens, & par conséquent beaucoup d'usure. Voyez ROUE, TIGE, PORTEE, &c.

JEU, en fait d'escrime ; on entend par jeu, la position des épées de deux escrimeurs qui font assaut.

L'assaut comprend deux jeux, qui sont le sensible & l'insensible. Quelquefois on exécute ces deux jeux dans un même assaut, en passant de l'un à l'autre, & quelquefois on n'en exécute qu'un ; c'est pourquoi je les traiterai séparement. Voyez JEU sensible & insensible.

JEU INSENSIBLE, est un assaut qui se fait sans le sentiment de l'épée. Voyez ASSAUT & SENTIMENT D'EPEE.

Cet assaut s'exécute toujours sous les armes à votre égard, parce que de quelque façon que l'ennemi se mette en garde, d'abord qu'il ne souffre pas que les épées se touchent, vous tenez la garde haute.

On suppose dans ce jeu que les escrimeurs étant en garde, leurs épées ne se touchent point, mais qu'elles se rencontrent dans les parades, & dans les attaques.

De ce qu'on doit pratiquer dans l'assaut du jeu insensible. Article I. Dans ce jeu, 1°. comme on ne sent pas l'épée de l'ennemi, on se met toujours hors de mesure pour éviter d'être surpris. 2°. On tient une garde haute, le bras plus étendu que dans la garde basse, la pointe de l'épée vis-à-vis l'estomac de l'ennemi, afin de le tenir éloigné, & qu'il ne puisse faire aucune attaque sans détourner cette pointe. 3°. On regarde sa main droite, afin de s'appercevoir des mouvemens qu'il fait pour frapper votre épée avec la sienne.

Article II. Les attaques qui se font dans ce jeu, sont des feintes & doubles feintes. On les peut faire parce qu'on est hors de mesure ; d'où il suit que l'ennemi ne peut pas vous prendre sur ce tems. Si ces feintes ébranlent l'ennemi, & qu'il aille à l'épée, voyez ALLER A L'éPEE, on les entreprend ainsi.

Exemple. Lorsque vous faites le premier tems de la feinte, ou feinte droite, voyez FEINTE, si l'ennemi va à votre épée, vous profitez de son mouvement pour entrer en mesure en dégageant, & incontinent vous recommencez la feinte. Remarquez que dans cette attaque vous dégagez quatre fois par la feinte, & trois fois par la feinte droite, que le premier dégagement est volontaire, & les autres forcés (Voyez DEUXIEME DEGAGEMENT FORCE), & qu'au dernier vous détachez l'estocade.

Article III. L'ennemi qui vous attaque, est obligé, par votre position, de détourner votre épée. Voyez ENGAGEMENT. S'il la force, voyez PREMIER DEGAGEMENT FORCE. Et s'il la veut frapper, dégagez par le deuxieme dégagement forcé.

Article IV. On regarde le pié gauche de l'ennemi, & dès qu'on s'apperçoit qu'il l'avance pour entrer en mesure, on l'attaque sur ce mouvement par une estocade. Ce procédé l'oblige de parer, & on profite de ce défaut. Voyez DEFAUT.

Article V. Quand vous attaquez l'ennemi par une feinte, s'il ne va pas à l'épée, Voyez ALLER A L'éPEE, vous entrez en mesure sans dégager, en vous tenant prêt à parer. Si l'ennemi ne vous porte pas l'estocade sur le tems que vous entrez en mesure, incontinent que vous y êtes arrivé, & de la position où vous êtes, vous détachez l'estocade droite ; car il est à présumer que l'ennemi s'attend que vous allez faire une feinte. S'il n'alloit à l'épée que lorsque vous entrez en mesure, alors y étant arrivé, vous lui feriez une feinte. Voyez FEINTE.

Article VI. Dans ce jeu, on n'entreprend ni botte de passe, ni de volte, ni desarmement, excepté le desarmement en faisant tomber l'épée de l'ennemi en la frappant, quand il porte une estocade de seconde.

Article VII. Toutes les fois que l'ennemi vous parera une estocade, & que vous lui en parerez une, il faut suivre ce qui est dit aux articles 1, 2, 3 du jeu sensible. Voyez JEU SENSIBLE.

Article VIII. Si en attaquant l'ennemi il se défend par la parade du cercle, vous ferez sous les armes ce qui se pratique sur les armes au 10 article du jeu sensible. Voyez 10 article du jeu sensible.

JEU SENSIBLE, est un assaut qui se fait par le sentiment de l'épée. Voyez SENTIMENT D'éPEE, SAUTSAUT.

Cet assaut s'exécute sur les armes ou sous les armes, si les escrimeurs tiennent une garde basse ou ordinaire, & sous les armes s'ils en tiennent une haute. Voyez GARDE ORDINAIRE ou GARDE HAUTE.

Si l'ennemi tient une garde haute, il faut absolument la tenir de même ; mais s'il en tient une basse, vous pouvez tenir la même, ou bien la garder haute.

On suppose dans ce jeu que l'ennemi laisse sentir son épée.

Avertissement. Pour entendre ce que je dirai sur ce jeu, j'avertis 1°. qu'il sera toujours supposé qu'on y tiendra la garde qu'il convient. 2°. Tout ce qui se fait dans la garde haute, se peut faire dans la garde ordinaire, à moins que je ne fasse des remarques particulieres. 3°. Quand je ferai tirer de pié ferme, il sera supposé qu'on est en mesure, & qu'il ne faut pas remuer le pié gauche. 4°. Quand je parlerai d'estocade droite, il sera entendu qu'elle se portera sans dégager. 5°. Quand j'indiquerai un mouvement quelconque, de tirer quarte, ou parer quarte, ou tierce, &c. ils se feront comme il est expliqué en son lieu.

De ce qui doit se pratiquer dans l'assaut du jeu sensible sur les armes, ou sous les armes. Article I. On fait d'abord attention si l'on est en mesure ou hors de mesure. Voyez MESURE. Si l'on est en mesure, on regarde le pié droit de l'ennemi, par le mouvement duquel on connoît s'il faut parer, & l'on sent son épée, parce que ce sentiment nous en assure la position, & nous avertit s'il dégage, ou s'il porte l'estocade droite, ou s'il fait toutes autres attaques. Voyez SENTIMENT D'éPEE. Supposons maintenant que les épées soient engagées dans les armes.

La premiere attaque que l'on fait à l'ennemi, est d'opposer en quarte. Voyez OPPOSITION. Ce mouvement vous couvre tout le dedans des armes, & détermine l'ennemi ou à dégager ou à porter l'estocade en dégageant, ou à demeurer en place. 1°. S'il dégage, détachez incontinent l'estocade de tierce-droite. 2°. S'il porte l'estocade en dégageant, son pié droit vous avertit de parer, & vous tâchez de riposter. Voyez RIPOSTE. Et 3°. s'il demeure en place, vous détachez l'estocade de quarte-droite, ou vous faites un coulement d'épée. Voyez COULEMENT D'éPEE DE PIE FERME.

Article II. Si dans l'instant qu'on pare l'estocade, on ne saisit pas le tems de la riposte, voyez RIPOSTE ; on donne le tems à l'ennemi de se remetre en garde, pour le prendre dans le défaut de ce mouvement. Remarquez qu'après avoir poussé une botte, il faut absolument que l'ennemi se remette, ou qu'il le feigne, ce qu'il ne peut faire, & porter l'estocade ; donc, si on l'attaque sur ce tems, on le mettra dans la nécessité de parer, & on le prendra dans le défaut de sa parade. Voyez DEFAUT.

Exemple. Pendant que l'ennemi feint de se remettre, sans quitter son épée, & en la sentant toujours également, on lui porte une estocade droite, qu'on n'allonge qu'à demi, c'est-à-dire, qu'on ne porte le pié droit qu'à moitié chemin de ce qu'il pourroit faire. Sur ce mouvement on doit s'attendre que l'ennemi parera ; s'il pare, vous dégagez finement, & vous lui détachez l'estocade de tierce, tandis qu'il croit parer la quarte, & s'il ne paroit pas votre demi-estocade droite, vous l'acheveriez, car il ne seroit plus à tems de la parer.

Article III. Si l'ennemi pare l'estocade que vous lui portez, il faut remarquer qu'il peut faire, en vous remettant, ce que vous lui avez fait ; mais aussi qu'il peut tomber dans le défaut que voici, qui est de se remettre avec vous, c'est-à-dire, de quitter l'opposition, parce qu'il croit que vous vous remettrez en garde.

Exemple. Après que l'ennemi a paré votre estocade, vous feignez de vous remettre en garde, & si vous vous appercevez, par le sentiment de l'épée, qu'il cesse d'opposer, alors, au lieu d'achever de vous remettre, vous profitez de ce défaut, en lui repoussant la même estocade. Voyez BOTTE DE REPRISE. Si au contraire l'ennemi résistoit toujours également à votre épée ; alors, comme il aura le côté opposé à découvert, il est certain qu'il se portera nécessairement à parer de ce côté-là ; c'est pourquoi en finissant de vous remettre, vous feindrez une estocade en dégageant, voyez FEINTE ; & dans l'instant qu'il se portera à la parade, vous dégagerez. Voyez SECOND DEGAGEMENT SERRE. Il portera la botte dans le défaut, c'est-à-dire qu'il recevra le coup d'un côté, tandis qu'il pare de l'autre. Si l'ennemi n'alloit pas à la parade de cette feinte, vous rompriez la mesure : si l'ennemi profite du tems que vous vous remettrez en garde pour vous attaquer, faites retraite.

Article IV. Vous pourrez aussi attaquer l'ennemi par un battement d'épée, voyez BATTEMENT D'éPEE ; & s'il pare votre estocade, observez, en vous remettant, ce qui est contenu en l'article III. Si l'ennemi vous porte une botte, observez ce qui est contenu à l'article I. & II. & si l'ennemi ne pare pas, & qu'il n'ait pas reçu l'estocade, c'est signe qu'il a rompu la mesure, c'est pourquoi portez-lui une estocade de passe. Voyez ESTOCADE DE PASSE. Si l'ennemi pare l'estocade de passe, vous remettrez promtement votre pié gauche où il étoit, & vous reculerez un peu le droit. Vous devez vous attendre que l'ennemi va venir sur vous ; mais remarquez qu'il n'est pas alors en mesure : (car vous êtes aussi éloigné de lui qu'avant de porter l'estocade de passe ;) c'est pourquoi il ne faut pas s'amuser à parer, mais remarquer son pié gauche, & aussi-tôt qu'il le remue, détacher l'estocade droite, s'il ne force pas votre épée, & si vous sentez qu'il la force, vous détacherez l'estocade en dégageant. Voyez PREMIER DEGAGEMENT FORCE.

Article V. Si l'on est hors de mesure, il faut observer le pié gauche de l'ennemi, & sentir son épée, Voyez SENTIMENT D'éPEE.

Les attaques qu'on doit faire hors de mesure, sont des coulemens d'épées, & toutes les fois que l'ennemi pare votre estocade, & que vous parez la sienne, il faut suivre les maximes des articles I. II. III.

Article VI. Quelque mouvement que l'ennemi puisse faire hors de mesure, vous n'y devez point répondre, à moins que vous ne preniez le tems pour l'attaquer. Observez continuellement son pié gauche, parce qu'il ne peut vous offenser qu'en l'avançant ; mais aussi-tôt qu'il l'avance, détachez-lui l'estocade droite, s'il ne force pas votre épée, & s'il la force, portez l'estocade en dégageant. Voyez PREMIER DEGAGEMENT FORCE.

Il faut aussi faire attention que l'ennemi pourroit avoir la finesse de forcer votre épée, pour vous faire détacher l'estocade, afin de vous la riposter ; voyez RIPOSTE : il n'y a que la pratique qui puisse vous faire connoître cette ruse. Cette remarque se rapporte au précepte 21 ; voyez ESCRIME, précepte 21, qui dit qu'il ne faut jamais tirer dans un jour que l'ennemi vous donne.

Article VII. Tout ce qui est enseigné aux articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, peut s'exécuter en tierce, en quarte, en quarte basse, & en seconde ; il n'y a qu'à déterminer une de ses positions, & suivre ce qui y est enseigné.

Article VIII. Vous devez connoître par les attaques que vous faites à l'ennemi, qu'il peut vous en faire autant ; d'où il est clair que s'il vous fait les mêmes attaques, il vous avertit de son dessein, dont vous tâcherez de profiter.

Exemple. Si l'ennemi vous attaque par un coulement d'épée, ou battement d'épée, &c. vous feindrez d'en être ébranlé, pour lui faire détacher l'estocade, afin de lui riposter ou de le désarmer ; voyez RIPOSTE & DESARMEMENT ; ou pour volter, voyez ESTOCADE DE VOLTE. Nota que le desarmement de tierce & de quarte ne s'exécute pas en quarte basse, ni en seconde ; & l'estocade de volte ne se pratique que dans le jeu sensible.

Article IX. Quelque variées que puissent être les attaques d'un escrimeur, elles se rapportent toujours à la feinte ou double feinte, à l'appel, ou coulement d'épée, au battement d'épée, ou à forcer l'épée.

Article X. Si l'ennemi se défend par la parade du cercle, voyez PARADE DU CONTRE, DU CONTRE-DEGAGEMENT, vous le poursuivrez dans le défaut de cette parade.

Exemple. Quand l'ennemi pare au contre du contre, il faut 1°. tenir la pointe de votre épée près de la garde, & du talon de la sienne ; 2°. dégager finement cette pointe autour de sa lame, en suivant son même mouvement ; 3°. pendant ce dégagement vous avancerez à chaque révolution la pointe de votre épée, jusqu'à-ce qu'elle soit si près de son corps qu'il ne puisse plus parer, & alors vous enfoncerez l'estocade.

Nota que l'ennemi ne rencontrera pas votre épée ; à moins qu'il ne rétrograde son mouvement, (maxime que doivent observer tous ceux qui font cette mauvaise parade) ; & que s'il rétrograde, alors il rencontrera necessairement votre épée : en pareil cas, vous lui détacherez aussi-tôt l'estocade du même côté que les épées se seront touchées ; c'est-à-dire, que s'il rencontre votre épée dans les armes, vous lui porterez une estocade de quarte ; & si c'est hors les armes, vous lui porterez une estocade de tierce.

Remarquez que je vous fais pousser l'estocade du même côté où les épées se touchent, pour prendre le défaut du mouvement de l'ennemi ; car (voyez DEFAUT & ASSAUT) quand il a porté son bras du côté de votre épée, pour la détourner de la ligne, il a découvert le côté opposé, & il lui est naturel de venir le couvrir craignant d'y être frappé. Remarquez encore qu'au lieu de venir parer le côté qu'il découvre par son mouvement de rétrograder, il pourroit détacher l'estocade au même instant, & du même côté que les épées se touchent ; c'est pourquoi j'ai eu raison de vous faire détacher cette estocade, puisqu'en la portant avec opposition, ainsi que je l'ai enseigné, voyez OPPOSITION, vous vous garantissez en même tems de celle de l'ennemi.

JEUX, (Orgue) nom que l'on donne aux tuyaux d'orgue qui sont rangés sur le même régistre. Tous les tuyaux du même jeu rendent des sons qui ne different que par les différences de l'aigu au grave ; au lieu que les tuyaux d'un autre jeu rendent des sons qui different encore d'une autre maniere, de même que plusieurs nuances de bleu, par exemple, different des nuances de rouge qui participeroient également du clair & de l'obscur, qui dans cette comparaison répondent à l'aigu & au grave.

Les jeux, outre les noms qui les distinguent les uns des autres, prennent encore une dénomination de la longueur en piés de leur plus grand tuyau qui est le c sol ut, le plus grave des basses. Celui qui répond à la premiere touche du clavier du côté de la main gauche de l'organiste, lorsque le clavier n'est point à ravalement. Ainsi on dit que le prestant sonne le quatre-pié, parce que son plus grand tuyau (le c sol ut) a quatre piés de long. La doublette sonne le deux-pié, parce que son plus grand tuyau, le même c sol ut au clavier n'a que deux piés ; de même des autres jeux, comme on peut voir dans la table du rapport des jeux, dans nos Planches d'orgues, & à leurs articles particuliers.

Cette table du rapport des jeux représente par les espaces ou colonnes verticales les octaves réelles, c'est-à-dire celles qui sont au-dessus & au-dessous du son fixe marqué un pié. Nous prenons pour son fixe le son que rend un tuyau d'un pié ; ce son est moyen entre les extrêmes de l'orgue, & l'octave du son fixe de M. Sauveur ; le pié harmonique est au pié de roi comme 17 à 18, ainsi il n'a que 11 pouces 4 lignes. On a marqué par les longueurs qui rendent les sons, & par les signes + ou -, les octaves de ces sons, savoir les octaves aiguës ou au-dessus du son fixe par + 1, + 2, + 3, + 4, les octaves graves, ou au-dessous du même son fixe par - 1, - 2, - 3, - 4, & par les longueurs un pié, qui est le ton ; 1/2 pié, qui est l'octave au-dessus ; 1/4 pié, la double octave, & 1/8 pié, qui est la triple octave aiguë.

On trouve les octaves graves en doublant successivement la longueur du tuyau du ton ; pour la premiere 2 piés, pour la seconde 4 piés, pour la troisieme 8 piés, pour la quatrieme 16 piés, & pour la cinquieme 32 piés ; dans laquelle les tuyaux ne descendent au plus que jusqu'à la quinte. Voyez la table du rapport des jeux qui sont ceux qui suivent.

Montre de 16 piés toute d'étain, dont le plus grand tuyau le c sol ut des basses, a 16 piés de long. Voyez MONTRE DE 16 PIES, & la figure Planche d'orgue.

Bourdon de 16 piés. Les basses, c'est-à-dire deux octaves, & quelquefois trois sont en bois, & les dessus ont seulement une octave en plomb bouchés aussi-bien que les basses & à oreilles pour les accorder. Voyez l'article BOURDON DE SEIZE PIES, & la fig. Planche d'orgue.

Bombarde d'étain ou de bois, est un jeu d'anche. Voyez TROMPETTE. Elle sonne le 16 piés. Voyez BOMBARDE, & la figure Planche d'orgue.

Bourdon de 4 piés bouché sonnant le 8 piés ; les basses de ce jeu sont de bois, les tailles de plomb bouchées à rase & à oreilles ; & les dessus à cheminées & à oreilles. Voyez BOURDON DE QUATRE PIES BOUCHE, & la fig. Planche d'orgue.

Huit piés ouverts ou huit piés en résonnance, sonne l'unisson de quatre piés bouché : ce jeu est d'étain & ouvert par le haut. Voyez HUIT PIES OUVERT, & la figure Planche d'orgue.

Prestant. Le prestant sonne le quatre piés : ce jeu est d'étain ; c'est le premier jeu de l'orgue, sur lequel on fait la partition, sur lequel on accorde tous les autres. Il doit ce privilége à ce qu'il tient le milieu quant au grave ou à l'aigu entre tous les jeux qui composent l'orgue. Voyez PRESTANT & la figure Planche d'orgue.

Flûte sonne l'unisson du prestant, mais est de plus grosse taille ; les basses sont bouchées à rase, les tailles à cheminées, & les dessus ouverts. Voyez FLUTE, JEU D'ORGUE, & la figure Planche d'orgue.

Gros nazard, sonne la quinte au-dessus du huit piés, & la quarte au-dessous du prestant ; ce jeu est fait en pointe ou en fuseau par le haut, comme la figure le fait voir ; & quelquefois il est comme les autres, les basses bouchées à rase, les tailles à cheminées & les dessus ouverts. Voyez GROS NAZARD, & la figure Planche d'orgue.

Double tierce, sonne la tierce au-dessus du prestant ou 4 piés : ce jeu est de plomb & fait en pointe par le haut ; on l'accorde par les oreilles. Voyez DOUBLE TIERCE, & la fig. Pl. d'orgue.

Nazard. Ce jeu qui est de plomb & fait en pointe, sonne la quinte au-dessus du prestant ou 4 piés, & la tierce mineure au-dessus de la double tierce, l'octave au-dessus du gros nazard. On accorde le jeu lorsqu'il est fait en pointe par les oreilles ; quelquefois sur-tout dans les petits cabinets d'orgue les basses sont bouchées à rase, les tailles à cheminées, & les dessus ouverts. Voyez la fig. Pl. d'orgue, & l'article NAZARD.

Quarte de nazard, sonne l'octave au-dessus du prestant, & par conséquent le deux piés, le jeu qui est de plomb a les basses à cheminées & les dessus ouverts. Voyez la figure. Il y a des orgues où ce jeu a les dessus & la moitié des tailles en pointes par le haut. Voyez l'article 4. de nazard.

Doublette. La doublette sonne l'octave au-dessus du prestant, & l'unisson de la quarte de nazard ; elle doit porter 2 piés de long : ce jeu est d'étain. Voyez DOUBLETTE, & la figure Pl. d'orgue.

Tierce. La tierce est de plomb, & forme la tierce au-dessus de la doublette ou 2 piés, & l'octave audessus de la double-tierce. Voyez TIERCE, jeu d'orgue, & la figure Pl. d'orgue.

Larigot. Le larigot sonne l'octave au-dessus du nazard, & la quinte au-dessus de la doublette ou du 2 piés : ce jeu est de plomb, & tout ouvert. Voyez LARIGOT, & la figure Pl. d'orgue.

Grand cornet, composé de cinq tuyaux sur chaque touche, & composé d'un dessus de bourdon A, c'est-à-dire, des deux octaves supérieures ; ce qui comprend les tailles & les dessus proprement dits, d'un dessus de flûte B, d'un dessus de nazard C, d'un dessus de quarte de nazard D, & d'un dessus de tierce E. Voyez GRAND-CORNET, & la figure Pl. d'orgue : ce jeu n'a que deux octaves.

Cornet de récit, est composé de même que le grand cornet de cinq tuyaux sur chaque touche, mais qui sont de plus menue taille. Voyez CORNET DE RECIT, & la figure ; ce jeu n'a que deux octaves.

Cornet d'écho, composé de même que le grand cornet de cinq tuyaux sur chaque touche, mais qui sont de plus menue taille que ceux du cornet de récit. Ce jeu est renfermé dans le pié de l'orgue, afin qu'on l'entende moins, & qu'il forme ainsi un écho. Voyez CORNET D'ECHO, & la figure Pl. d'orgue.

Flûte allemande, la flûte allemande sonne l'unisson des dessus du huit piés, c'est-à-dire le deux piés ; ce jeu qui est de plomb & de grosse taille, n'a que les deux octaves des tailles & des dessus comme les cornets d'écho de récit, grand cornet, & trompette de récit. Voyez FLUTE ALLEMANDE DE L'ORGUE.

Fourniture, partie du plein jeu, est composée de 4, 5, 6, ou 7 tuyaux sur chaque touche ; elle occupe toute l'étendue du clavier. Voyez FOURNITURE, & la figure Pl. d'orgue.

Cimbale, partie du plein jeu ; elle a aussi plusieurs tuyaux sur chaque touche, & elle occupe toute l'étendue du clavier. Voyez CIMBALE, & la figure Planche d'orgue.

Trompette, jeu d'anche, sonne l'unisson du huit piés ; ce jeu est d'étain & en entonnoir par le haut. Voyez TROMPETTE, & la figure Pl. d'orgue.

Voix humaine de l'orgue, sonne l'unisson du huit piés & de la trompette & du cromorne. Ce jeu est d'étain, & le corps qui n'a pour les plus grands tuyaux que 7 à 8 pouces, est à moitié fermé par une lame de même matiere, que l'on soude sur l'ouverture du tuyau : ce jeu est un jeu d'anche. Voyez VOIX HUMAINE, & la figure Pl. d'orgue.

Cromorne, jeu d'anche, sonne l'unisson du 8 piés ; les corps de ce jeu sont cylindriques, c'est-à-dire, ne sont pas plus larges en-haut qu'en-bas. Voyez CROMORNE, & la figure Pl. d'orgue.

Clairon, jeu d'anches de l'orgue, sonne l'octave au-dessus de la trompette & l'unisson du prestant, & par conséquent le 4 piés ; ce jeu est d'étain & est plus ouvert que la trompette. Voyez CLAIRON, & la figure Pl. d'orgue.

Voix angélique, sonne l'unisson du prestant ou le 4 piés, & l'octave de la voix humaine à laquelle elle est semblable : ce jeu est d'étain, & est à anches. Voyez VOIX ANGELIQUE, & la figure Pl. d'orgue.

Trompette de récit, sonne l'unisson de la trompette, & par conséquent le 8 piés : ce jeu qui est d'étain n'a que les deux octaves des dessus & des tailles. Voyez TROMPETTE DE RECIT, & la figure qu'il faut imaginer plus petite.

Tous ces jeux de l'orgue sont accordés entr'eux, comme il est dit au mot ACCORD, & à leurs articles particuliers. Dans les orgues complets il y a encore les jeux suivans, qu'on appelle pédales, parce que c'est avec le pié qu'on abbaisse les touches du clavier de pédale qui les fait parler ; ces jeux sont,

La pedale de 4 ou de 4 piés, sonne l'unisson du prestant. Lorsqu'il y a ravalement, le ravalement descend à l'unisson du 8 piés ; les basses de ce jeu se font en bois, & les dessus en plomb tous ouverts. Voyez l'article PEDALE de 4, & la figure Planche d'orgue.

Pédale de clairon, jeu d'anche ; ce jeu qui est d'étain sonne l'unisson de la pédale de 4, & l'octave de la pédale de trompette. Voyez PEDALE DE CLAIRON.

Pédale de 8, autrement nommée pédale de flûte, sonne l'unisson du 8 piés ; les basses de ce jeu sont en bois & on ne les bouche pas par le haut avec un tampon ; les dessus sont de plomb. Voyez PEDALE DE 8 ou DE FLUTE.

Pédale de trompette, jeu d'anche, sonne l'unisson du 8 piés, & par conséquent l'unisson de la trompette, dont elle ne differe qu'en ce qu'elle est de plus grosse taille : ce jeu est d'étain. Voyez PEDALE DE TROMPETTE.

Pédale de bombarde, jeu d'anche, ne se met que dans des orgues bien complets ; elle sonne l'unisson de la bombarde, & par conséquent du 16 piés. Ce jeu est d'étain ou de bois ; s'il y a ravalement au clavier de pédale, le ravalement de la bombarde entre dans le 32 piés. Voyez PEDALE DE BOMBARDE, & la figure Pl. d'orgue.

Tous ces jeux sont rangés sur les sommiers ou pieces gravées, en telle sorte que l'organiste laisse aller le vent à tel jeu qu'il lui plaît, en ouvrant le registre qui passe sous les piés des tuyaux, & à tel tuyau de ce jeu qu'il lui plaît, en ouvrant la soûpape qui ferme la gravûre sur laquelle le tuyau répond. Voyez SOMMIER DE GRAND ORGUE, & l'article ORGUE.

On laisse partir ordinairement plusieurs jeux à-la-fois, ce qui forme des jeux composés ; le principal des jeux composés s'appelle plein jeu, qui est la montre & le bourdon de 16 piés, le bourdon de 8 piés ouvert, le prestant, la doublette, la fourniture, la cimbale & la tierce.

Les autres jeux composés sont à la discrétion des Organistes qui les composent chacun à leur gré, en prenant dans le nombre presque infini de combinaisons qu'on en peut faire celles qui leur plaisent le plus, ce dont ils s'apperçoivent en tâtant le clavier. Cependant on peut dire que de toutes les combinaisons possibles de ces différens jeux pris 2 à 2, 3 à 3, 4 à 4, &c. quelqu'unes doivent être exclues : telles, par exemple, que celles dont les sons correspondans à une même touche, forment une dissonance comme les tierces & la quarte de nazard. Voyez la cable générale du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue.

JEU, terme de Fauconnerie. On dit donner le jeu aux autours, c'est leur laisser plumer la proie.

JEU, terme de tripot ; c'est une division d'une partie de paume : les parties sont ordinairement de huit jeux ; chaque jeu contient quatre coups gagnés ou quinze ; le premier se nomme quinze ; le second trente ; le troisieme quarante-cinq ; & le quatrieme jeu. Quand les joueurs ont chacun un quinze, on dit qu'ils sont quinzains ; quand ils ont chacun trente, on dit qu'ils sont trentains ; quand ils ont chacun quarante-cinq, cela s'appelle être en deux ; & pour lors il faut encore deux coups gagnés de suite pour avoir le jeu : le premier se nomme avantage, & le second jeu.

Lorsque les deux joueurs ont chacun sept jeux, ils sont ce qu'on appelle à deux de jeu ; alors la partie est remise en deux jeux gagnés de suite, dont le premier se nomme avantage de jeu.

Cette acception du mot jeu, est commune à presque tous les jeux qui se jouent par parties. La partie est composée de plusieurs jeux, & celui qui le premier a gagné ce nombre de jeux a gagné la partie.

JEU (l'île d') Géog. petite île de l'Océan, sur les côtes de Poitou, à environ 13 lieues de la contrée qu'on nomme l'Arbauge ; c'est à tort que quelques-uns appellent cette île l'île de l'Oie, d'autres l'île des Oeufs, d'autres l'île-Dieu, d'autres enfin, l'île de Dieu ; il faut dire l'île-Dieu, suivant M. de Valois, dans sa not. Gall. p. 390. (D.J.)


JEUDIS. m. (Hist. & Chron.) est le cinquieme jour de la semaine chrétienne, & le sixieme de la semaine judaïque. Ce jour étoit consacré par les payens à la planete de Jupiter, & ils l'appelloient dies Jovis, d'où lui est venu son nom. Voyez JOUR & SEMAINE. (G)


JEUMERANTEoutil de Charron ; c'est une petite planche de bois plat, formant la six ou huitieme partie d'un cercle, qui sert aux Charrons de patron pour faire les gentes de roues. Voyez nos Planches du Charron.


JEUNEvoyez l'article JEUNESSE.

JEUNE, (Jardinage) comme on compte l'âge d'un bois, on dit un jeune, un vieux bois, & de même un jeune arbre, un vieil arbre.

JEUNE, (Vénerie) les jeunes cerfs sont ceux qui sont à leur deuxieme, troisieme, & quatrieme tête ; ils peuvent pousser jusqu'à huit, dix, & douze andouilleres, suivant les pays.


JEÛNES. m. (Littérat.) abstinence religieuse, accompagnée de deuil & de macération.

L'usage du jeûne est de la plus grande antiquité ; quelques théologiens en trouvent l'origine dans le paradis terrestre, où Dieu défendit à Adam de manger du fruit de l'arbre de vie ; mais c'est-là confondre le jeûne avec la privation d'une seule chose. Sans faire remonter si haut l'établissement de cette pratique, & sans parler de sa solemnité parmi les Juifs, dont nous ferons un article à part, nous remarquerons que d'autres peuples, comme les Egyptiens, les Phéniciens, les Assyriens, avoient aussi leurs jeûnes sacrés en Egypte, par exemple, on jeûnoit solemnellement en l'honneur d'Isis, au rapport d'Hérodote.

Les Grecs adopterent les mêmes coûtumes : chez les Athéniens il y avoit plusieurs fêtes, entr'autres celle d'Eleusine, & des Thesmophories, dont l'observation étoit accompagnée de jeûnes, particulierement pour les femmes, qui passoient un jour entier dans un équipage lugubre, sans prendre aucune nourriture. Plutarque appelle cette journée, la plus triste des Thesmophories : ceux qui vouloient se faire initier dans les mysteres de Cybèle, étoient obligés de se disposer à l'initiation par un jeûne de dix jours ; s'il en faut croire Apulée, Jupiter, Cérès, & les autres divinités du paganisme, exigeoient le même devoir des prêtres ou prêtresses, qui rendoient leurs oracles ; comme aussi de ceux qui se présentoient pour les consulter ; & lorsqu'il s'agissoit de se purifier de quelque maniere que ce fût, c'étoit un préliminaire indispensable.

Les Romains, plus superstitieux que les Grecs, pousserent encore plus loin l'usage des jeûnes ; Numa Pompilius lui-même observoit des jeûnes périodiques, avant les sacrifices qu'il offroit chaque année, pour les biens de la terre. Nous lisons dans Tite-Live, que les Décemvirs, ayant consulté par ordre du sénat, les livres de la sybille, à l'occasion de plusieurs prodiges arrivés coup-sur-coup, ils déclarerent que pour en arrêter les suites, il falloit fixer un jeûne public en l'honneur de Cérès, & l'observer de cinq en cinq ans : il paroît aussi qu'il y avoit à Rome des jeûnes réglés en l'honneur de Jupiter.

Si nous passons aux nations asiatiques, nous trouverons dans les Mémoires du P. le Comte, que les Chinois ont de tems immémorial, des jeûnes établis dans leur pays, pour les préserver des années de stérilités, des inondations, des tremblemens de terre, & autres desastres. Tout le monde sait que les Mahométans suivent religieusement le même usage ; qu'ils ont leur ramadan, & des dervis qui poussent au plus haut point d'extravagance leurs jeûnes & leurs mortifications.

Quand on réfléchit sur une pratique si généralement répandue, on vient à comprendre qu'elle s'est établie d'elle-même, & que les peuples s'y sont d'abord abandonné naturellement. Dans les afflictions particulieres, un pere, une mere, un enfant chéri, venant à mourir dans une famille, toute la maison étoit en deuil, tout le monde s'empressoit à lui rendre les derniers devoirs ; on le pleuroit ; on lavoit son corps ; on l'embaumoit ; on lui faisoit des obseques conformes à son rang : dans ces occasions, on ne pensoit guere à manger, on jeûnoit sans s'en appercevoir.

De même dans les desolations publiques, quand un état étoit affligé d'une sécheresse extraordinaire, de plaies excessives, de guerres cruelles, de maladies contagieuses, en un mot de ces fléaux où la force & l'industrie ne peuvent rien ; on s'abandonne aux larmes ; on met les desolations qu'on éprouve sur la colere des dieux qu'on a forgés ; on s'humilie devant eux ; on leur offre les mortifications de l'abstinence ; les malheurs cessent ; ils ne durent pas toûjours ; on se persuade alors qu'il en faut attribuer la cause aux larmes & au jeûne, & on continue d'y recourir dans des conjonctures semblables.

Ainsi les hommes affligés de calamités particulieres ou publiques, se sont livrés à la tristesse, & ont négligé de prendre de la nourriture ; ensuite ils ont envisagé cette abstinence volontaire comme un acte de religion. Ils ont cru qu'en macérant leur corps, quand leur ame étoit désolée, ils pouvoient émouvoir la miséricorde de leurs dieux ou de leurs idoles : cette idée saisissant tous les peuples, leur a inspiré le deuil, les voeux, les prieres, les sacrifices, les mortifications, & l'abstinence. Enfin, Jesus-Christ étant venu sur la terre, a sanctifié le jeûne, & toutes les sectes chrétiennes l'ont adopté ; mais avec un discernement bien différent ; les unes en regardant superstitieusement cette observation comme une oeuvre de salut ; les autres, en ne portant leurs vûes que sur la solide piété, qui se doit toute entiere à de plus grands objets. (D.J.)


JEÛNESJEÛNES

Diverses conjonctures engagerent les souverains sacrificateurs à multiplier ces sortes de cérémonies. L'histoire sacrée fait mention de quatre grands jeûnes réglés que les Juifs de la captivité observoient depuis la destruction de la ville & du temple, en mémoire des calamités qu'ils avoient souffertes.

Le premier de ces jeûnes tomboit le 10 du dixieme mois, parce que ce jour-là Nabuchodonosor avoit mis la premiere fois le siége devant Jérusalem. II. Rois, xxv. 1. Jérémie, LII. 4. Zacharie, VIII. 19.

Le second jeûne arrivoit le 9 du quatrieme mois, à cause que ce jour-là la ville avoit été prise. II. Rois, xxv. 3. Jérémie, XXIX. 2. Zacharie, VIII. 19.

Le troisieme jeûne se célébroit le 10 du cinquieme mois, parce qu'en ce jour la ville & le temple avoient été brûlés par Nébuzaradan. Jérémie, LII. 12. Zacharie, VII. 3. & VIII. 19.

Le quatrieme jeûne se solemnisoit le 3 du septieme mois, parce que dans ce jour Gnédalia avoit été tué, & qu'à l'occasion de cet accident le reste du peuple avoit été dispersé & chassé du pays, ce qui avoit achevé de le détruire. Jérémie, XLI. 1. Zacharie, VII. 5. & VIII. 19.

Les Juifs observent encore aujourd'hui ces quatre grands jeûnes, quoiqu'ils ne soient pas fixés exactement aux mêmes jours dans leur présent calendrier, que dans le premier.

Leur présent calendrier, pour le dire en passant, a été fait par R. Hillel, vers l'an 360 de Notre Seigneur. Leur année ancienne étoit une année lunaire qu'on accordoit avec la solaire par le moyen des intercalations ; la maniere en est inconnue : ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle avoit toûjours son commencement à l'équinoxe du printems, saison à laquelle le provenu de leurs troupeaux & de leurs champs, dont l'usage étoit requis dans leurs fêtes de Pâques & de Pentecôte, le fixoit nécessairement.

Outre ces grands jeûnes universels, il y avoit des jeûnes de surérogation deux fois par semaine, dont ceux qui se piquoient de régularité, se faisoient une loi particuliere ; & l'on voit qu'ils étoient en usage du tems de J. C. puisque le Pharisien de l'évangile se glorifioit de les garder religieusement, jejuno bis sabbato, dit-il.

Ils avoient en outre les jeûnes des vieilles & des nouvelles lunes, c'est-à-dire des derniers jours de leurs mois lunaires, & des jeûnes de l'anniversaire de la mort de leurs proches parens & intimes amis.

Enfin on a vû des Juifs qui jeûnoient un certain jour de l'année, en mémoire de la version des septante, pour expier cette lache condescendance de leurs docteurs pour un prince étranger ; & cette prévarication insigne contre la dignité de leur loi qui dans leur opinion n'avoit été faite que pour eux seuls.

Je n'entrerai point dans le détail des observances dont ils accompagnoient ces actes d'humiliation ; ce sont des choses connues de tout le monde ; on sait que leurs abstinences devoient durer 27 ou 28 heures, qu'elles commençoient avant le coucher du soleil, & ne finissoient que le lendemain quand les étoiles paroissoient ; qu'ils prenoient ces jours-là des surtous blancs faits exprès, en signe de pénitence ; qu'ils se couvroient d'un sac ; qu'ils se couchoient sur la cendre ; qu'ils en mettoient sur leur tête, & dans les grandes occasions sur l'arche de l'alliance ; que plusieurs passoient toute la nuit & le jour suivant dans le temple, en prieres, en lectures tristes, les piés nuds & la discipline à la main, dont ils s'appliquoient des coups par compte & par nombre ; qu'enfin pour couronner régulierement leurs abstinences, ils se contentoient de manger le soir du pain trempé dans l'eau, & du sel pour tout assaisonnement, y joignant quelquefois des herbes ameres, avec quelques légumes.

Mais ceux qui souhaiteront s'instruire particulierement de toutes ces choses, peuvent consulter Maimonides, Léon de Modène, Buxtorf, Basnage, & plusieurs autres savans qui ont traité à fond des cérémonies judaïques, anciennes & nouvelles. (D.J.)

JEUNE, (Médecine) la privation totale des alimens, aux heures où on a coutume d'en prendre, est souvent d'un aussi grand effet pour préserver des maladies, ou pour empêcher les progrès de celles qui commencent, que la modération dans leur usage est utile & nécessaire pour conserver la santé : ainsi les personnes d'un tempérament foible, délicat, se trouvent très-bien non-seulement de diminuer de tems en tems la quantité ordinaire de leur nourriture, mais encore de s'abstenir entierement de manger, en retranchant par intervalles quelque repas ; ce qui est sur-tout très-salutaire dans le cas de pléthore, comme lorsqu'on a passé quelque tems sans faire autant d'exercice qu'à l'ordinaire, lorsqu'on a été exposé par quelque cause que ce soit, à quelque suppression de la transpiration insensible, ou de toute autre évacuation nécessaire ou utile, lorsque les humeurs condensées par le froid & la plus grande action des vaisseaux qui en est une suite, se disposent à tomber en fonte, par le retour de la chaleur de l'air.

C'est pourquoi le jeûne que pratiquent les Chrétiens à l'entrée du printems, semble ne devoir être regardé comme une loi de privation agréable à Dieu, qu'autant qu'elle est une leçon de tempérance, un précepte médicinal, une abstinence salutaire qui tend à préserver des maladies de la saison, qui dépendent principalement de la surabondance des humeurs.

Le jeûne ne convient pas cependant également à toute sorte de personnes ; il faut être d'un âge avancé pour le bien supporter, parce qu'on fait alors moins de dissipation : aussi Hippocrate assure-t-il (aphor. xiij. sect. 1.) que les vieilles gens se passent plus facilement de manger que les autres, par opposition aux enfans qui ne se passent que difficilement de prendre de la nourriture, & ainsi à proportion, tout étant égal, par rapport aux différens tems de la vie. Voyez DIETE, ALIMENT, ABSTINENCE, NOURRITURE.


JEUNESSEjuventus, s. f. (Littérat.) c'est cet âge qui touche & qui accompagne le dernier progrès de l'adolescence, s'étend jusqu'à l'âge viril, & va rarement au-delà de trente ans.

Les Grecs l'appelloient d'ordinaire l'automne, , regardant la jeunesse comme la saison de l'année où les fruits parvenus au point de leur maturité sont excellens à cueillir. Pindare dit dans l'Ode II des Isthmioniques,


JÉVER(Géog.) petite ville d'Allemagne en Westphalie, au pays de Jéverland, auquel elle donne son nom. Le Jéverland ne s'étend en long & en large que trois milles, & contient 18 paroisses, plusieurs châteaux, monasteres, & églises ; il appartient à la maison d'Anhalt-Zerbet. (D.J.)


JEVRASCHKAS. m. (Hist. nat. Zool.) nom que les Russes donnent à un animal quadrupede qui est assez commun aux environs de la ville de Jakusk en Sibérie. Cet animal est une espece de marmotte, mais beaucoup plus petit que les marmottes ordinaires. Il y en a qui vivent sous terre, & leur demeure a une entrée & une sortie ; ils y dorment pendant tout l'hiver. D'autres sont toujours en mouvement, & vont chercher des grains ou des plantes pour se nourrir. Voici comme M. Gmelin décrit le jevraschka : sa tête est assez ronde ; son museau est très-court ; on n'apperçoit point ses oreilles ; il a tout au plus un pié de long ; sa queue qui n'a qu'environ 3 pouces de longueur, est garnie de poils fort longs ; elle est noirâtre, mêlée de jaune en-dessus, & rougeâtre en-dessous ; son corps est renflé comme celui d'une souris ; les poils en sont gris mêlés de jaune ; le ventre est rougeâtre, & les pattes sont jaunâtres ; les pattes de derriere sont plus longues que celles de devant ; ces dernieres ont quatre ergots un peu crochus, & les premieres en ont cinq ; ils mordent très-fort, & ont un cri fort clair quand on leur fait du mal ; ils se tiennent sur leurs pattes de derriere, & mangent avec les pattes de devant comme les marmottes ; ils engendrent ordinairement en Avril, & ont de cinq à huit petits en Mai. C'est suivant M. Gmelin une marmotte en petit. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie.


JÉZIDou JÉZIDÉEN, s. m. (Théolog.) nom qui signifie hérétique chez les Mahométans. Voyez HERETIQUE. Dans ce sens jézidéen est opposé à musulman. Voyez MUSULMAN. Leunclavius dit que ce nom vient d'un émir nommé Jézide qui tua les deux fils d'Ali, Hasan & Hussein, neveux de Mahomet par leur mere, & qui persécuta la postérité de ce prophete. Les Agaréniens dont il étoit émir ou prince, le regarderent comme un impie & un hérétique, & de-là vint la coutume d'appeller jézidéens les hérétiques.

Quelques-uns parlent des Jézides comme d'un peuple particulier qui parle une langue différente du turc & du persan, quoiqu'elle approche de la derniere. Ils disent qu'il y a deux sortes de Jézides, les blancs & les noirs. Les blancs n'ont point le collet de leurs chemises fendu ; il n'a qu'une ouverture ronde pour passer la tête, & cela en mémoire d'un cercle d'or & de lumiere descendu du ciel dans le cou de leur grand Scheik, ou chef de leurs sectes. Les Jézides noirs sont faquirs ou religieux. Voyez FAQUIR.

Les Turcs & les Jézides se haïssent fort les uns les autres ; & la plus grande injure que l'on puisse dire à un homme en Turquie, c'est de l'appeller jézide. Au contraire les Jézides aiment fort les Chrétiens, parce qu'ils sont persuadés que Jézide leur chef est Jesus-Christ, ou parce qu'une de leurs traditions porte que Jézide fit autrefois alliance avec les Chrétiens contre les Musulmans. Voyez MAHOMETISME.

Ils boivent du vin même avec excès, & mangent du porc. Ils ne reçoivent la circoncision que quand ils y sont forcés par les Turcs. Leur ignorance est extrème ; ils n'ont aucuns livres ; ils croient cependant à l'Evangile & aux livres sacrés des Juifs, sans les lire ni sans les avoir ; ils font des voeux & des pélerinages ; mais ils n'ont ni mosquées ni temples, ni oratoires, ni fêtes, ni cérémonies ; & tout leur culte se réduit à chanter des cantiques spirituels à l'honneur de Jesus-Christ, de la Vierge, de Moïse & de Mahomet. Quand ils prient ils se tournent du côté de l'orient à l'exemple des Chrétiens, au lieu que les Turcs regardent le midi ; ils croient qu'il se pourra faire que le diable rentre en grace avec Dieu, & ils le regardent comme l'exécuteur de la justice de Dieu dans l'autre monde. De-là vient qu'ils se font un point de religion de ne le point maudire, de peur qu'il ne se vange : aussi quand ils en parlent ils le nomment l'ange paon, ou celui que les ignorans maudissent.

Les Jézides noirs sont réputés saints, & il n'est pas permis de pleurer leur mort ; on s'en réjouit ; ils ne sont pour-tant la plûpart que des bergers. Il ne leur est pas permis de tuer eux-mêmes les animaux dont ils mangent la viande ; & ils laissent ce soin aux Jézides blancs. Les Jézides vont en troupe comme les Arabes, changent souvent de demeure, & habitent sous des pavillons noirs faits de poil de chevre, & entourés de gros roseaux & d'épines liés ensemble. Ils disposent leurs tentes en rond, & mettent leurs troupeaux au milieu. Ils achetent leurs femmes, dont le prix ordinaire est de deux cent écus, quelles qu'elles soient. Le divorce leur est permis, pourvû que ce soit pour se faire faquir. C'est un crime parmi eux de raser ou de couper sa barbe, quelque peu que ce soit. Ils ont certaines coutumes qui semblent montrer qu'ils descendent de quelque secte de Chrétiens ; par exemple, dans leurs festins l'un d'eux présente une tasse pleine de vin à un autre, & lui dit : prenez le calice du sang de J. C. celui-ci baise la main de celui qui lui présente la tasse, & la boit. Diction. de Trévoux.


JIMBLETS. m. (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) est une petite partie du moule à fondre les caracteres d'Imprimerie ; c'est un bout de fil de fer de six à huit lignes de longueur, qui se met au bois de la partie supérieure du moule, à l'endroit où se met la matrice. A cette matrice on lie par un bout un petit morceau de peau de mouton qu'on appelle attache, & qui s'applique par l'autre bout sur le bois du moule, & passe entre le bois & ce jimblet, qui sert à le contenir en cet endroit, afin que la matrice ne s'écarte point. Voyez ATTACHE & les Planches de Fondeur en caracteres.


JIou GIN, (Hist. mod.) nom par lequel les Mahométans désignent une espece de malins esprits. Il y en a, selon eux, de mâles & de femelles ; ce sont les incubes & les succubes. On les regarde comme étant d'une substance plus grossiere que Schaitan ou Satan, le chef des diables. Cant. hist. ott.


JIRIDS. m. (Hist. mod.) espece de dard que les Turcs lancent avec la main. Ils se piquent en cela de force & de dextérité.


JITOS. m. (Botan. exot.) arbre du Brésil, dont les baies rouges dans leur maturité, & constamment attachées à leur pédicule pendant toute l'année, sont disposées en forme de grappes de raisin, & ressemblent à ce fruit par leur figure & par leur couleur ; mais elles sont ligneuses en-dedans, & ne donnent aucun jus. La vertu médicinale de cet arbre réside dans l'écorce jaune & âcre de sa racine, qui purge avec violence, même à la dose d'un scrupule. Voyez Pison. (D.J.)


JIYAS. m. (Zoolog.) espece de loutre amphibie d'Amérique, autrement nommé carigueibein, & qui est de la grosseur d'un chien de moyenne taille. Il a la tête d'un chat, le nez plus pointu, les yeux noirs, les oreilles arrondies, placées très-bas, & aux côtés du museau, une sorte de moustache de quelques poils roides ; ses piés sont composés de cinq orteils, dont il y en a un plus petit que les autres ; son poil est court, doux, tout noir, excepté sur la tête où il est brun, & tacheté de jaune sous la gorge. Cet animal vit de carnasserie, & a le cri approchant de celui d'un jeune chien. Ray, syn. quadrup. p. 189. (D.J.)


JOACHIMITESS. m. pl. (Théologie) disciples de Joachim, abbé de Flore en Calabre, qui passa pour un prophete pendant sa vie, & laissa après sa mort beaucoup de livres de prophétie, & plusieurs autres ouvrages qui furent condamnés avec leur auteur en 1215 par le concile de Latran, & par celui d'Arles en 1260.

Les Joachimites étoient entêtés de certains nombres ternaires. Ils disoient que le Pere avoit opéré depuis le commencement du monde jusqu'à l'avénement du Fils, que l'opération du Fils avoit duré jusqu'à leur tems pendant 1260 ans, qu'après cela le S. Esprit devoit opérer aussi à son tour. Ils divisoient ce qui regardoit les hommes, les tems, la doctrine, la maniere de vivre en trois ordres ou états, selon les trois Personnes de la sainte Trinité : ainsi chacune de ces trois choses comprenoit trois états qui devoient se succéder, ou s'étoient déjà succédé les uns aux autres, ce qui faisoit qu'ils nommoient ces divisions ternaires.

Le premier ternaire étoit celui des hommes, il comprenoit trois états ou ordres d'hommes ; le premier étoit celui des gens mariés, qui avoit duré, disoient-ils, du tems du Pere éternel, c'est-à-dire, sous l'ancien Testament. Le second celui des clercs qui a regné par le Fils du tems de la grace. Le troisieme celui des moines qui devoit regner du tems de la plus grande grace par le Saint-Esprit. Le second ternaire étoit celui de la doctrine, qu'ils divisoient aussi en trois ; l'ancien Testament qu'ils attribuoient au Pere, le nouveau qu'ils attribuoient au Fils, & l'évangile éternel qu'ils attribuoient au Saint-Esprit. Dans le ternaire des tems, ils donnoient au Pere tout celui qui s'étoit écoulé depuis le commencement du monde jusqu'à Jesus-Christ, tems auquel, disoient-ils, regnoit l'esprit de la loi mosaïque. Ils donnoient au Fils les 1260 ans depuis Jesus-Christ jusqu'à eux, pendant lesquels avoit regné l'esprit de grace. Enfin le troisieme qui devoit suivre, & qu'ils nommoient le tems de la plus grande grace & de la vérité découverte, étoit pour le Saint-Esprit. Un autre ternaire consistoit dans la maniere de vivre. Dans le premier tems, sous le Pere, les hommes ont vécu selon la chair ; dans le second, sous le regne du Fils, ils ont vécu entre la chair & l'esprit ; dans la troisieme qui devoit durer jusqu'à la fin du monde, ils vivront selon l'esprit. Les Joachimites prétendoient que dans le troisieme tems, les sacremens, toutes les figures & tous les signes devoient cesser, & que la vérité paroîtroit à découvert. Dictionn. de Trévoux.

Malgré l'autorité des conciles qui ont condamné les visions de l'abbé Joachim, & sur-tout son évangile éternel, il s'est trouvé un abbé de son ordre, nommé Grégoire Laude, docteur en Théologie, qui ayant entrepris d'écrire sa vie, & d'éclaircir ses prophéties, a tenté de le justifier du crime d'hérésie dans un ouvrage imprimé à Paris en 1660 en un vol. in-folio. Dom Gervaise, ancien abbé de la Trappe, a aussi donné depuis peu au public une histoire de l'abbé Joachim, dans laquelle il entreprend de justifier cet abbé.


JOACHIMS-THAL(Géogr.) c'est-à-dire la vallée de saint Joachim, ville & vallée de Bohème dans le cercle d'Elnbogen, joignant les frontieres du Voigtland ; on y découvrit au commencement du xvj. siecle de riches mines d'argent, & l'an 1519 on y frappa déjà des écus d'argent du poids d'une once, avec l'image de saint Joachim : comme cette monnoie se répandit dans toute l'Allemagne, on l'appella Joachim-thaler, en latin Joachimici nummi, & par abréviation thaler ; tous les écus frappés ensuite selon les lois monétaires de l'Empire, ont été nommés reichs-thaler, écus de l'Empire, que les François appellent par corruption risdale.

Je vois en parcourant le P. Niceron, qu'il met au rang des hommes illustres dans la république des lettres, Michel Néander, médecin, né à Joachims-thal en 1529, & mort en 1581 : cependant tous ses ouvrages sont depuis long-tems dans la poussiere de l'oubli, d'où je ne crois pas qu'on s'avise de les tirer. (D.J.)


JOAILLERIEVoyez JOUAILLERIE.


JOAILLIERVoyez JOUAILLIER.


JOANNITESS. m. pl. (Hist. eccles.) nom dont on appella dans le v. siecle ceux qui demeurerent attachés à saint Jean Chrysostome, & qui continuerent de communier avec lui, quoiqu'il eût été exilé par les artifices de l'impératrice Eudoxie, & déposé dans un conciliabule par Théophile d'Alexandrie, ensuite dans un second tenu à Constantinople. Ce titre de Joannites fut inventé pour désigner ceux à qui on le donnoit & qu'on se proposoit de desservir à la cour. La méchanceté des hommes a toujours été la même, & elle n'a pas même varié dans ses moyens.


JOB(Théolog.) nom d'un des livres canoniques de l'ancien Testament, ainsi appellé de Job, prince célébre par sa patience & par son attachement à la piété & à la vertu, qui demeuroit dans la terre d'Hus ou dans l'Amite, dans l'Idumée orientale aux environs de Bozra, qu'on croit communément être l'auteur de ce livre qui contient son histoire.

On a formé une infinité de conjectures diverses sur le livre de Job ; les uns ont cru que Job l'avoit écrit lui-même en syriaque ou en arabe, & qu'ensuite Moïse ou quelqu'autre israëlite l'avoit mis en hebreu ; d'autres l'ont attribué à Eliu, l'un des amis de Job, ou à ses autres amis, ou à Moïse, ou à Salomon, ou à Isaïe, ou à quelqu'écrivain encore plus récent. Il est certain que le livre en lui-même ne fournit aucune preuve décisive pour en reconnoître l'auteur. Ce qui paroît incontestable, c'est que celui qui l'a composé étoit Juif de religion & postérieur au tems de Job, qu'on croit avoir été contemporain de Moïse. Il y fait de trop fréquentes allusions aux expressions de l'écriture pour penser qu'elle ne lui ait pas été familiere.

La langue originale du livre de Job est l'hébraïque, mais mêlée de plusieurs expressions arabes & chaldéennes, & de plusieurs tours qui ne sont pas connus dans l'hébreu, ce qui rend cet ouvrage obscur & difficile à entendre. Il est écrit en vers libres quant à la mesure & à la cadence, vers dont la principale beauté consiste dans la grandeur de l'expression, dans la hardiesse & la sublimité des pensées, dans la vivacité des mouvemens, dans l'énergie des peintures, & dans la variété des caracteres, parties qui s'y trouvent toutes réunies dans le plus haut degré.

Quant à la canonicité du livre de Job, elle est reconnue généralement dans les églises grecques & latines, elle y a toujours passé comme un article de foi, & ce sentiment est venu de la synagogue à l'église chrétienne. Les Apôtres l'ont cité. Théodore de Mopsueste le critiquoit, mais sur une version grecque, qui faisant quelques allusions à la fable ou à l'histoire poëtique, n'étoit pas exactement conforme au texte hébreu. Quelques-uns accusent Luther & les Anabaptistes de rejetter le livre de Job, mais Scultet & Spanheim tâchent d'en justifier Luther. On peut consulter sur ce livre le commentaire de Pineda, celui de Dom Calmet, & l'histoire de Job par M. Spanheim. Calmet, Dictionn. de la Bible, tom. II. lettre J. au mot Job, pag. 386.


JOBETS. m. (Fond. en caract. d'Impr.) est un petit morceau de fil de fer plié en équerre qui se met au moule à fondre les caracteres d'Imprimerie, entre le bois de la piece de dessus & la platine. Ce jobet fait entre lui & le bois du moule un petit vuide quarré dans lequel passe la matrice. Cela est pour empêcher cette matrice de s'éloigner trop de sa place lorsque l'ouvrier ouvre son moule. Voyez MOULE, MATRICE. Voyez aussi nos Pl. de Fond. & leur expl.


JOCELIN(Géogr.) petite ville de France en Bretagne, dans l'évêché de saint Malo ; elle députe aux états, & est à 8 lieues N. E. de Vannes, 18 S. O. de Rennes, 29. N. O. de S. Malo. Long. 14. 56. lat. 48. 2. (D.J.)


JODS. m. (Gramm.) c'est la dixieme lettre de l'alphabet hébraïque. Voyez l'article HEBREU. Le jod prend la place du hé dans les verbes qui ont un hé pour derniere radicale ; trois jods posés en triangle, ou deux jods avec un kamits dessous, désignent en chaldéen le nom de Dieu. Communément on prononce jod, comme si l'i étoit consonne ; mais cette prononciation n'est pas la véritable. Le jod des Hébreux a la valeur de l'iota grec.

JOD, s. m. (Commerce) c'est en Angleterre le quart du quintal, autrement 27. livres d'avoir du poids. Voyez HUNDRED ou LIVRE.

Jod est aussi une des mesures de distances & longueurs, dont on se sert dans le royaume de Siam. Vingt-cinq jods font le roé-neug ou lieue siamoise, d'environ deux mille toises françoises. Chaque Jod contient quatre sen, le sen vingt voua, le voua deux ken, qui est l'aune siamoise de trois piés de roi moins un demi-pouce. Voyez SEN, VOUA, KEN, &c. Dictionn. de commerce.


JODELLE(Hist. nat.) Voyez POULE D'EAU.


JODUTTES. f. (Myth.) idole des Saxons ; ce fut d'abord une statue que Lothaire, duc de Saxe, avoit fait placer aux environs de la forêt de Welps, après la victoire qu'il remporta en 1115 sur Henri V. Cette statue étoit un homme tenant de la main droite une massue, & de la gauche un bouclier rouge, & assis sur un cheval blanc.


JOEKUL(Hist. nat.) nom que l'on donne en Islande aux hautes montagnes perpétuellement couvertes de glaces & de neiges dont le pays est rempli ; le mont Hecla est dans ce cas, ainsi que les autres volcans qui s'y trouvent, & lorsqu'il leur arrive des éruptions, les neiges & les glaçons en se fondant, causent aux environs des débordemens épouvantables. Voyez Horrebon, Description d'Islande.


JOERKAou BORECK, (Géograp.) ville de Bohème dans le cercle de Satz, renommée par sa biere.


JOGUES. m. (Théolog.) espece de religieux payens dans les Indes orientales qui ne se marient jamais, ne possedent rien en propre, mais vivent d'aumônes & pratiquent de grandes austérités.

Ils sont soumis à un général qui les envoie prêcher d'un lieu à l'autre. Ce sont proprement une espece de pelerins que l'on croit être une branche des anciens Gymnosophistes. Voyez GYMNOSOPHISTES.

Ils fréquentent sur-tout les lieux consacrés par la dévotion du peuple, & prétendent pouvoir passer plusieurs jours sans manger & sans boire. Après avoir gardé la continence pendant un certain tems, ils s'estiment impeccables, & croyent que tout leur est permis, ce qui fait qu'ils se plongent dans les débauches les plus infames.


JOHANSBURG(Géog.) ville de Pologne dans la Sudavie, canton de la Prusse ducale, avec une citadelle sur la Pysch. Long. 40. 34. latitude 53. 15. (D.J.)


JOIES. f. (Philos. morale) émotion de l'ame causée par le plaisir ou par la possession de quelque bien.

La joie, dit Locke, est un plaisir que l'ame goûte, lorsqu'elle considere la possession d'un bien présent ou à venir comme assurée ; & nous sommes en possession d'un bien, lorsqu'il est de telle sorte en notre puissance que nous pouvons en jouir quand nous voulons. Un homme blessé ressent de la joie lorsqu'il lui arrive le secours qu'il desire, avant même qu'il en éprouve l'effet. Le pere qui chérit vivement la prospérité de ses enfans, est en possession de ce bien aussi long-tems que ses enfans prosperent ; car il lui suffit d'y penser pour ressentir de la joie.

Elle differe de la gaieté, voyez GAIETE. On plaît, on amuse, on divertit les autres par sa gaieté ; on pame de joie, on verse des larmes de joie, & rien n'est si doux que de pleurer ainsi.

Il peut même arriver que cette passion soit si grande, si inespérée, qu'elle aille jusqu'à détruire la machine ; la joie a étouffé quelques personnes. L'histoire grecque parle d'un Policrate, de Chilon, de Sophocle, de Diagoras, de Philippides, & de l'un des Denis de Sicile, qui moururent de joie.

L'histoire romaine assure la même chose du consul Manius Juventius Thalna, & de deux femmes de Rome, qui ne purent soutenir le ravissement que leur causa la présence de leur fils après la déroute arrivée au lac de Trasymène ; mes garans sont Aulugelle, liv. III. chap. xv. Valere Maxime, liv. IX. chap. xij. Tite-Live, liv. XXII. chap. vij. Pline, liv. VII. chap. liij. & Ciceron dans ses Tusculanes.

L'histoire de France nomme la dame de Châteaubriant que l'excès de joie fit expirer tout d'un coup, en voyant son mari de retour du voyage de Saint Louis.

J'ai lu d'autres exemples semblables dans les écrits des Médecins, comme dans les Mémoires des curieux de la nature, Décur. 2. ann. 9, observ. 22 ; dans Kornman, de mirac. mortuor. part. IV. cap. cvj. & dans le Journal de Leipsick, année 1686. p. 284.

Mais sans m'arrêter à des faits si singuliers, & peut-être douteux en partie, il y a dans les Actes des Apôtres un trait plus simple qui peint au naturel le vrai caractere d'une joie subite & impétueuse. Saint Pierre ayant été tiré miraculeusement de prison, vint chez Marie mere de Jean, où les fideles étoient assemblés en prieres ; quand il eut frappé à la porte, une fille nommée Rhode, ayant reconnu sa voix, au lieu de lui ouvrir, courut vers les fideles avec des cris d'allégresse, pour leur dire que saint Pierre étoit à la porte.

Si la gaieté est un beau don de la nature, la joie a quelque chose de céleste ; non pas cette joie artificielle & forcée, qui n'est que du fard sur le visage ; non pas cette joie molle & folâtre dont les sens seuls sont affectés, & qui dure si peu ; mais cette joie de raison, pure, égale, qui ravit l'ame sans la troubler ; cette joie douce qui a sa racine dans le coeur, enfin cette joie délectable qui a sa source dans la vertu, & qui est la compagne fidele des moeurs innocentes ; nous ne la connoissons plus aujourd'hui, nous y avons substitué un vernis qui s'écaille, un faux brillant de plaisir ; & beaucoup de corruption. (D.J.)

JOIE, GAIETE, (Synon.) ces deux mots marquent également une situation agréable de l'ame, causée par le plaisir ou par la possession d'un bien qu'elle éprouve ; mais la joie est plus dans le coeur, & la gaieté dans les manieres ; la joie consiste dans un sentiment de l'ame plus fort, dans une satisfaction plus pleine ; la gaieté dépend davantage du caractere, de l'humeur, du tempérament ; l'une sans paroître toujours au dehors, fait une vive impression au dedans ; l'autre éclate dans les yeux & sur le visage : on agit par gaieté, on est affecté par la joie. Les degrés de la gaieté ne sont ni bien vifs, ni bien étendus ; mais ceux de la joie peuvent être portés au plus haut période ; ce sont alors des transports, des ravissemens, une véritable ivresse. Une humeur enjouée jette de la gaieté dans les entretiens ; un évenement heureux répand de la joie jusques au fond du coeur ; on plaît aux autres par la gaieté, on peut tomber malade & mourir de joie. (D.J.)


JOIEUSE(Géogr.) Gaudiosa, petite ville de France dans le bas Vivarez, avec titre de duché-pairie, érigée en 1581 par Henri III. en faveur de son mignon Anne vicomte de Joyeuse. Elle est sur la riviere de Beaune, à 9 lieues sud-ouest de Viviers, 16 nord-ouest de Nismes, 134 sud-est de Paris. Long. 21. 55. lat. 44. 26. (D.J.)


JOIEUXJOIEUX

Les droits utiles sont des sommes de deniers que le roi leve sur certains corps & autres personnes.

Cet usage est fort ancien, puisqu'on voit qu'en 1383 les habitans de Cambray offrirent à Charles VI. 6000. l. lors de son joïeux avenement dans cette ville. En 1484 les états généraux assemblés à Tours accorderent à Charles VIII. deux millions cinq cent mille livres, & 300 mille livres pour son joyeux avenement, ce qui fut réparti sur la noblesse, le clergé & le peuple.

Le droit de confirmation des offices & des privileges accordés soit à des particuliers, soit aux communautés des villes & bourgs du royaume, aux corps des marchands, arts & métiers où il y a jurande, maîtrise & privilege, est un des plus anciens droits de la couronne, & a été payé dans tous les tems, à l'avenement des nouveaux rois. François I. par différentes déclarations & lettres-patentes de l'année 1514, Henri II. par des lettres de 1546 & 1547, François II. par celles de 1559 & 1560, Charles IX. par l'édit du mois de Décembre 1560, ont confirmé tous les officiers du royaume dans l'exercice de leurs fonctions. Henri III. ordonna par des lettres-patentes du dernier Juillet 1574, à toutes personnes de demander la confirmation de leurs charges, offices, états & privileges. Par une déclaration du 25 Décembre 1581, Henri IV. enjoignit à tous les officiers du royaume, de prendre des lettres pour être confirmés dans leurs offices. Louis XIII. par différentes lettres patentes des années 1610 & 1611, confirma les officiers dans leurs fonctions & droits, & accorda la confirmation des privileges des villes & communautés, & des différens arts & métiers du royaume. Louis XIV. par deux édits du mois de Juillet 1643, & par déclaration du 28 Octobre audit an, confirma dans leurs fonctions & privileges, tous les officiers de judicature, police & finance, les communautés des villes, bourgs & bourgades, les arts, métiers & privileges, ensemble les hôteliers, cabaretiers & autres, à condition de lui payer le droit qui lui étoit dû à cause de son heureux avenement.

La perception du droit de joyeux avenement fut différée par le roi à-présent regnant, jusqu'en 1723, qu'elle fut ordonnée par une déclaration du 23 Septembre, publiée au sceau le 30.

Suivant l'instruction en forme de tarif, qui fut faite pour la perception de ce droit, les offices de finance & ceux qui donnent la noblesse, devoient payer sur le pié du denier 30 de leur valeur, les offices de justice & police sur le pié du denier 60 ; les vétérans des offices qui donnent la noblesse, sont taxés à la moitié des titulaires des moindres offices jouissans desdits privileges, les veuves au quart, les vétérans des autres offices au quart, leurs veuves au huitieme.

On excepta les présidens, conseillers, procureurs & avocats du roi, leurs substituts & les greffiers en chef, & premiers huissiers des cours supérieures.

La noblesse acquise par lettres depuis 1643, par prevôté des marchands, mairie & echevinage, jurats, consulats, capitouls & autres offices que ceux de secrétaires du roi, fut taxée sur le pié de 2000 l. par tête, des jouissances tant pour les personnes vivantes que pour leurs ancêtres.

Les octrois & deniers patrimoniaux ou subventions des villes, furent taxés sur le pié d'un quart du revenu, les foires & marchés sur le pié d'une demi-année de revenu, les usages & communes sur le pié d'une année.

Les privileges, statuts & jurandes des différentes communautés des marchands & artisans, ainsi que des cabaretiers & hôteliers, furent taxés selon leurs facultés.

Le franc-salé par toutes personnes, y compris les communautés ecclésiastiques, excepté les hôpitaux, payerent sur le pié de la valeur d'une année dudit franc-salé, telle que le sel se vend dans les lieux où le privilégié le leve.

Pour confirmation des lettres de légitimation & de naturalité, chacun des impétrans paye 1000 l.

Les domaines engagés & aliénés avant 1643, payerent le quart du revenu, & ceux engagés depuis la moitié ; les dons, concessions, privileges, aubaines & confiscations, une année de revenu ; les droits de moulins, forges, venneries, péages, bacs, passages, pêches & écluses, une demi-année.

Les droits honorifiques dont jouissent nos rois à leur avenement, consistent dans les nouvelles fois & hommages qui leur sont dûes, dans l'usage où ils sont d'accorder des lettres de grace à des criminels, & dans le droit de disposer d'une prébende dans chaque cathédrale. Voyez l'article suivant. (A)

JOYEUX AVENEMENT. On met aussi au nombre des droits honorifiques dont le roi jouit à cause de son joyeux avenement, le droit qu'il a de nommer un clerc pour être pourvû de la premiere prébende qui vacquera dans chaque cathédrale.

Les dignités & prébendes des églises collégiales où il y avoit ci-devant plus de dix prébendes outre les dignités, sont aussi assujetties au droit de joyeux avenement, par une déclaration du 18 Février 1726, qui n'a été enregistrée qu'au grand conseil.

Cette nomination se fait par un brevet qui est ce que l'on appelle brevet de joyeux avenement.

Le droit de joyeux a assez de rapport avec le droit de premieres prieres, exercé par les empereurs d'Allemagne ; cependant le premier paroît encore plus éminent.

L'origine du droit de joyeux remonte jusqu'à nos premiers rois chrétiens. On trouve des preuves que Charles V. étoit en possession de ce droit, & que Charles VIII. en a usé.

Nous voyons aussi dans les preuves de nos libertés, un arrêt du parlement de Paris de l'année 1494, lors duquel M. le premier président excita le cardinal Archevêque de Lyon, à maintenir auprès du saint-siege, les droits du roi par rapport à ces premieres prieres.

Ceux qui ont voulu fixer l'origine du droit de joyeux avenement aux lettres-patentes d'Henri III. du 9 Mars 1577, n'ont pas fait attention que ces lettres n'introduisent point un droit nouveau, qu'elles ne font que confirmer celui qui étoit déjà établi, & auquel on vouloit donner atteinte.

Le brevetaire de joyeux avenement est préféré au brevetaire de serment de fidélité.

Les contestations qui peuvent survenir au sujet des brevets de joyeux avenement, sont portées au grand conseil. Voyez les lois ecclésiastiques de M. d'Héricourt, part. I. chap. x. Drupier, des bénéfices, tom. I. pag. 240. (A)


JOIGNY(Géograph.) ancienne petite ville de France en Champagne, au diocese de Sens ; elle est avantageusement située sur l'Ionne, à 7 lieues de Sens, 6 d'Auxerre. Longitude 21. latitude 47. 56. (D.J.)


JOINDREv. act. (Gramm.) il est synonyme à assembler, faire un tout de plusieurs parties séparées ; ainsi l'on joint deux planches, ou l'on en fait un tout en les approchant & en les tenant approchées ou par des rainures, ou de quelqu'autre maniere ; on joint deux tomes en un volume, en les reliant ensemble ; on joint plusieurs sommes ensemble, ou l'on en fait un tout par l'addition, &c...

On dit encore les armées combinées se sont jointes en tel endroit ; alors le mot est relatif au mouvement ; notre général a joint l'ennemi, & il le défera sans-doute. Je ne saurois joindre cet homme.

Joindre se dit aussi de plusieurs instances. Voyez JOINDRE, (Jurisp.)

Joindre se prend au moral dans cette phrase & beaucoup d'autres. Il faut joindre l'expérience au raisonnement. Joignez vos voeux aux miens.

Il est quelquefois neutre ; cette menuiserie joint mal.

JOINDRE, (Jurisp.) deux instances ou procès, ou une instance avec un procès, c'est les unir pour être jugés conjointement. Cette jonction ne se fait quelquefois que sauf à disjoindre, c'est-à-dire, que si l'on reconnoît dans la suite qu'il y ait lieu de juger une affaire avant l'autre, on les disjoint pour les juger séparément. Voyez JONCTION. (A)


JOINTS. m. (Architecture & coupe des pierres) a différentes significations ; c'est 1°. l'intervalle plein ou vuide qui reste entre deux pierres contigues ; dans ce sens on dit petit joint, grand joint. 2°. Il se prend pour les lignes de division des voutes en claveaux. Ainsi on dit joint en coupe, joint de tête, joint de lit, joint de doele, où il faut remarquer que quoique les joints de lit soient des divisions longitudinales de la doele, on n'entend par joints de doele, que les joints transversaux, autrement dits joints de tête, & que les joints de lit sont ainsi nommés parce que le délit naturel de la pierre doit leur être parallele, ou partager l'angle du claveau en deux également, comme la fig. 16. représente. A B C D est un bloc de pierre vû par un bout qui fera un joint de tête, M N la direction du délit naturel de la pierre, laquelle doit passer par le sommet o de l'angle a o c formé par les joints de lit a b, c d du claveau, & le couper en deux également.

On ne doit jamais mettre de joint au milieu de la voute ; c'est pourquoi les claveaux ou voussoirs doivent être en nombre impair.

Voici donc les différens joints, & la définition qu'il en faut donner.

Joints de lit, ceux qui sont de niveau, ou suivant une pente donnée.

Joints montans, ceux qui sont à plomb.

Joints quarrés, ceux qui sont d'équerre en leurs retours.

Joints en coupe, ceux qui sont inclinés & tracés d'après un centre.

Joints de tête ou de face, ceux qui sont en coupe ou en rayons au parement, & séparément les voussoirs & claveaux.

Joints de douelle, ceux qui sont sur la longueur du dedans d'une voute, ou sur l'épaisseur d'un arc.

Joint de recouvrement, celui qui se fait par le recouvrement d'une marche sur une autre.

Joint recouvert, c'est le recouvrement qui se fait de deux dalles de pierre, par le moyen d'une espece d'ourlet qui en cache le joint.

Joint feuillé, c'est le recouvrement qui se fait de deux pierres l'une sur l'autre, par une entaille de leur demi-épaisseur.

Joint gras, celui qui est plus ouvert que l'angle droit ; & joint maigre, le contraire.

Joints serrés, ceux qui sont si étroits, qu'on est obligé de les ouvrir avec le couteau à scie, pour le pouvoir couler ou ficher avec plâtre ou mortier.

Joints ouverts, ceux qui à cause de leurs cales épaisses sont hauts & faciles à ficher.

On appelle aussi joints ouverts ceux qui se sont écartés par mal-façon, ou parce que le bâtiment s'est affaissé plus d'un côté que de l'autre.

Joints refaits, ceux qu'on est contraint de retailler de lit ou de joint sur le tas, parce qu'ils ne sont ni à plomb ni de niveau.

Ce sont aussi les joints qu'on fait en ragréant & en ravalant avec mortier de même couleur que la pierre.

Joint à onglet, celui qui se fait de la diagonale d'un retour d'équerre, comme il s'en voit dans les ouvrages de marbre, & les incrustations.

JOINT, (Menuiserie) il se dit de la maniere d'assembler une ou plusieurs pieces. Il y a le joint quarré, le joint à queue d'aronde, &c.

On joint à plat joint, quand on tient deux pieces approchées sans rainure ni languette.

A pointe de diamant, lorsque de quatre pieces d'assemblage, toutes les quatre coupées en angle, la pointe des quatre angles se réunit au même sommet, comme on voit aux frises, au parquet dans les appartemens, & aux petits bois des croisées. Il n'y a point à l'endroit où ils se croisent, le petit quarré qui s'appelle plainte en termes de menuiserie ; mais les petits bois y forment quatre angles qui se réunissent au même point. Voyez nos Planches de Menuiserie.


JOINTE(Maréch.) Voyez JOINTURE.

* JOINTE, s. f. (Manufacture en soie) c'est une partie d'organsin devidée sur des rochets pour nouer les fils qui cassent. La jointe est de la couleur de la chaîne ou du poil.

JOINTE, LONG JOINTE, COURT JOINTE, (Maréch.) Voyez LONG & COURT.

JOINTEE, s. f. (Commerce) espece de mesure qui se dit de ce qu'il peut tenir de grains ou de légumes secs dans les creux des deux mains, quand on les joint ensemble. Une jointée de froment, une jointée de pois. Dict. de Comm.

JOINTEE, (Maréch.) Une jointée de son, une jointée de froment, une jointée d'orge ; c'est autant qu'il peut en tenir dans les deux mains lorsqu'elles sont jointes. Si l'on veut faire venir du corps à un cheval estrac, il faut mettre tous les matins une jointée de froment dans sa mangeoire. Voyez ESTRAC.


JOINTOYERv. a. (Architect.) terme usité dans l'art de bâtir ; c'est après qu'un bâtiment est élevé, & qu'il a pris sa charge, remplir les ouvertures des joints des pierres d'un mortier de la même couleur de la pierre.

On dit aussi rejointoyer, lorsqu'il s'agit de remplir les joints d'un vieux bâtiment ou d'un ouvrage construit dans l'eau, avec mortier de chaux & de ciment.


JOINTURES. f. (Gramm. & Arts méchan.) l'endroit où deux corps approchés se touchent & se lient. Quand un ouvrage est bien travaillé, on ne discerne pas la jointure. Junctura fallit unguem.

JOINTURE, (Anatomie) tout endroit du corps humain où les os sont joints ensemble pour l'exécution de plusieurs sortes de mouvemens.

Quoique les mouvemens des extrémités du corps soient circulaires, le centre de ces mouvemens ne se réunit pas dans un point ; car outre que les jointures seroient trop foibles, il arriveroit que les deux os s'useroient, & se pénétreroient l'un l'autre ; mais ces jointures se font par de larges surfaces, les unes convexes, les autres concaves, quelques-unes cannelées & sillonnées, d'autres semblables à une tête ronde qui s'emboëte dans un creux sphérique ; toutes ont les qualités requises pour contribuer au mouvement & à la force ; toutes sont couvertes de cartilages, lisses, polis, qui forment l'union des os, les collent & les étendent de toutes parts. Ces cartilages sont arrosés d'une humeur onctueuse, qui est séparée de la masse du sang par le secours des glandes mucilagineuses.

Remarquez que les conduits excréteurs de ces glandes mucilagineuses, ont quelque longueur dans leur passage, jusqu'à leur orifice ; cette structure empêche l'effusion inutile de la substance huileuse, tend à en fournir une quantité suffisante, & à en procurer une plus grande lorsqu'il en est besoin pour les mouvemens violens ou long-tems continués.

Ajoutez qu'on trouve pour y suppléer des pelotons de graisse qui concourent au même but. Le manque ou les vices de l'humeur mucilagineuse, causent diverses maladies dans les jointures, comme le cliquetis, la luxation, l'anchylose, & l'impuissance des mouvemens.

Mais ces cas rares ne détruisent point le merveilleux appareil des organes de notre charpente ; considérez seulement pour vous en convaincre, l'insertion des muscles à l'aide desquels les jointures se peuvent tirer de différens côtés, selon les fonctions particulieres de leur destination ; la fabrique curieuse des os, la variété de leurs articulations pour exécuter tous les mouvemens de flexion, d'extension, de ressort, de genou, de charniere, de coulisse, de pivot & de roue.

Considérez la force des ligamens pour maintenir les os en respect ; considérez sur-tout les cartilages placés aux extrémités des jointures, leur périchondre, leurs vaisseaux vasculeux, leurs glandes mucilagineuses & huileuses, qui distillent perpétuellement une humeur lubréfiante, pour arroser, nourrir, prévenir les frottemens, & faciliter en toute occasion les mouvemens que nous voulons exécuter.

Enfin la souplesse, la flexibilité à laquelle on peut amener les jointures par un constant exercice mis en usage dès la plus tendre enfance, est une chose si surprenante, qu'on auroit de la peine à l'imaginer si l'on n'en avoit pas le spectacle dans ces personnes qui le donnent aux yeux du peuple pour de l'argent, & à ceux du physicien pour confondre ses connoissances.

Les transactions philosophiques, n. 242, p. 262, parlent d'un Anglois nommé Clarck, qui avoit trouvé sur la fin du dernier siecle le secret de déboiter, de tordre, de luxer, de disloquer la plûpart des jointures de son corps, à un degré de singularité qu'on croyoit impraticable. Il eut une fois le talent de pousser si loin ses distorsions, qu'un fameux chirurgien appellé pour le traiter, après l'avoir attentivement examiné, refusa de l'entreprendre, & déclara que le cas étoit incurable ; mais à peine eut-il prononcé cet arrêt, qu'à son grand étonnement il vit le prétendu malade effacer de lui-même toutes ses distorsions, & lui prouver combien le pouvoir de la nature l'emporte sur celui de l'art. (D.J.)

JOINTURE, (Ecriture) se dit aussi dans l'écriture des différentes situations de plume ; à la premiere & seconde jointure du doigt index.

JOINTURE, chez les Cordonniers, c'est la couture qui joint les deux quartiers du soulier.

JOINTURE & JOINTE, (Maréchall.) se dit pour paturon dans les occasions suivantes ; la jointure grosse, c'est-à-dire, le paturon gros, ce qui est une bonne qualité ; la jointure menue est une mauvaise qualité, sur-tout lorsqu'elle est pliante, c'est-à-dire que le bas du paturon est fort en devant ; la jointure longue ou courte fait dire d'un cheval, qu'il est long ou court jointé. Voyez JOINTE.

JOINTURE, (Peinture) on appelle jointure en Peinture le lieu où se joignent deux parties différentes de la même figure, comme la jambe avec la cuisse, le bras avec l'avant-bras, &c.


JOINVILLE(Géog.) petite ville de France en Champagne, dans le Vallage, avec titre de principauté érigée en 1552.

Ceux qui donnent à cette ville une grande ancienneté, & qui en font remonter l'origine à Jovin, lieutenant de Valentinien, empereur d'Occident, l'ont nommée Jovini villa ; ceux au contraire qui rapprochent son origine au siecle de Louis le Gros, c'est-à-dire au XII siecle, & je crois qu'ils ont raison, l'appellent Johannis villa. Elle est sur la Marne, à 6 lieues de S. Dizier, 28. S. E. de Rheims, 10 S. O. de Bar-le-Duc, 50 S. E. de Paris. Long. 22. 45. lat. 48. 20.

Charles de Lorraine, cardinal, nâquit à Joinville le 17. Février 1529 ; on ne peut s'empêcher de vouloir le connoître, quand on considere que cette connoissance fait celle de trois regnes consécutifs, les plus intéressans de notre histoire ; ainsi j'espere qu'on m'excusera, si je m'étends un peu à peindre un homme qui a joué sous ces trois regnes un si grand rôle, & dont la naissance a été si funeste à l'état.

Doué par la nature de grandes qualités, il ne chercha qu'à satisfaire son ardeur insatiable d'acquérir des biens & des honneurs ; il s'insinua par de basses complaisances dans la faveur de la duchesse de Valentinois, maîtresse de Henri II, & qui menoit tout à sa volonté ; son crédit devint sans bornes sous François II, car lui & le duc de Guise, son frere, gouvernoient le royaume à leur fantaisie ; en 1558, ils entammerent des conférences secrettes à Péronne avec Granvelle, évêque d'Arras, pour la ruine des Colignis & de leur parti.

La crainte qu'eut le pape d'un concile national en France, l'obligea d'assembler en 1562 un concile général à Trente ; le cardinal de Lorraine s'y rendit avec un train d'une magnificence incroyable ; les légats, les évêques de l'assemblée, les ambassadeurs des ministres étrangers, allerent au-devant de lui pour le recevoir ; sa puissance, son cortège, son génie, causerent de l'ombrage & de la jalousie au pontife de Rome ; il ramassa ses forces, & saisi de crainte, il pria Philippe de le soutenir dans le concile.

Le rang & le pouvoir du cardinal de Lorraine étoient portés si loin, que le connétable Anne de Montmorency lui écrivoit Monseigneur, & signoit, votre très humble & très-obéissant serviteur ; & le cardinal écrivoit Monsieur le Connétable, & au bas, votre bien bon ami. A la mort de son frere le duc de Guise qu'il apprit étant à Trente, il ne songea qu'à s'accommoder avec le pape, ne soutint plus les libertés de l'église gallicane, & trouva convenable, pour les intérêts de sa maison, de s'humaniser avec sa sainteté.

A son retour de Trente, on lui accorda des gardes, qui non-seulement eurent ordre de l'accompagner jusques dans le Louvre, mais encore de ne le pas quitter à l'autel, & de mêler ainsi l'odeur de la méche parmi l'odeur de l'encens & des parfums sacrés ; privilege assez semblable à celui qu'obtint depuis le cardinal de Richelieu.

En 1572, il se rendit à Rome pour entretenir le pape des grands projets qu'il avoit concertés avec la reine-mere, dont le principal étoit le massacre de la S. Barthélemi ; il fit compter mille écus d'or à un gentilhomme du duc d'Aumale, qui lui en apporta la nouvelle, & se rendit en procession à l'église de S. Louis, où il célébra la messe à ce sujet avec une pompe superbe. Il revint en France en 1574, assista à une des processions de pénitens, établie par Henri III, y prit du froid, de la fievre, & mourut le 23 Décembre, âgé de 55 ans.

Plongé dans la galanterie pendant tout le cours de sa vie, il séduisoit les femmes par sa figure, par son esprit, & plus encore par ses présens. " J'ai oui conter, dit Brantôme, que quand il arrivoit à la cour quelque fille ou dame qui fût belle, il la venoit accoster, & lui disoit qu'il la vouloit dresser ; aussi y en avoit-il peu qui ne fussent obligées de ceder à ses largesses, & peu ou nulles sont-elles sorties de cette cour femmes ou filles de bien.... "

Il n'eut pas son égal en dépenses fastueuses, qui accompagnoient toutes ses actions, & s'étendoient même sur les pauvres & les mendians. Son valet de chambre, qui manioit son argent des menus plaisirs, portoit une grande gibeciere qu'il remplissoit tous les matins de trois ou quatre cent écus, & les distribuoit aux pauvres qu'il rencontroit ; & ce qu'il en tiroit, le donnoit sans y rien trier...

La fierté avec laquelle il traita la duchesse de Savoie, en la baisant par force, peint son orgueil & son amour-propre. " Est-ce avec moi, lui dit-il, qu'il faut user de cette mine & façon, je baise bien la reine ma maîtresse, qui est la plus grande reine du monde, & vous, je ne vous baiserois pas, qui n'êtes qu'une petite duchesse crottée.... "

La violence de son caractere s'exerça contre les protestans de France, tandis qu'il pensionnoit par politique les protestans d'Allemagne ; l'insulte qu'il reçut en sortant de la maison d'une courtisanne, l'obligea à faire aller toute la cour à Saint-Germain, malgré l'ancienne coutume ; & la ridicule prédiction d'un astrologue, qu'il seroit tué d'une arme à feu, l'engagea à faire défendre tout port d'armes sous le regne de François II. Ajouterai-je ici qu'on a trouvé dans les archives de Joinville, une indulgence en expectative pour ce cardinal & douze personnes de sa suite, laquelle indulgence remettoit à chacun d'eux par avance trois péchés à la fois. (D.J.)


JOLCOS(Géog. anc.) c'étoit une ville de Thessalie, dans le canton de Magnésie, à un quart de lieue de Démétriade, sur le golphe Pélasgique ; c'est Strabon qui le dit, & qui ajoute ensuite quelle étoit démolie depuis long-tems ; Pline, liv. VII. chap. lvij. nous apprend que ce fut à Jolcos, qu'Acaste inventa les jeux funebres ; le pays de Jolcos étoit estimé par les magiciens pour la vertu de ses plantes ; voilà pourquoi, selon les poëtes, Médée s'y rendit en venant du Pont. (D.J.)


JOLIadj. (Gram.) notre langue a plusieurs traités estimés sur le beau, tandis que l'idole à laquelle nos voisins nous accusent de sacrifier sans-cesse, n'a point encore trouvé de panégyristes parmi nous. La plus jolie nation du monde n'a presque rien dit encore sur le joli.

Ce silence ressembleroit-il au saint respect qui défendoit aux premiers Romains d'oser représenter les dieux de la patrie, ni par des statues, ni par des peintures, dans la crainte de donner de ces dieux des idées trop foibles & trop humaines ? car on ne sauroit penser que nous rougissions de nos avantages ; le plaisir d'être le peuple le plus aimable, doit nous consoler un peu du ridicule qu'on trouve aux soins que nous prenons de le paroître. Eh, qu'importe aux François l'opinion fausse qu'on peut se faire de leurs charmes ? Heureux si par une légéreté trop peu limitée, ils ne détruisoient pas cette espece d'agrémens qui leur sont si propres, en croyant les multiplier ! L'affectation est à côté des graces, & la plus légere exagération fait franchir les bornes qui les séparent.

Les philosophes les plus austeres ont approuvé le culte de ces divinités ; leurs images enchanteresses étoient sorties des mains du plus sage de tous les Grecs. Il est vrai que le ciseau de Socrate les avoit enveloppées d'un voile que peut-être nous avons laissé tomber comme firent les Athéniens.

Speusippe, disciple & successeur de Platon, embellit aussi du portrait des graces la même école où son maître avoit éclairé le paganisme par les lumieres de la plus haute raison. Eh, qui ne sait le conseil que donnoit souvent Platon même à Xénocrate, dont il souffroit avec peine la triste & pédante sévérité ?

Je ne crois pourtant pas que le projet de Platon fût de rendre son disciple aussi joli que nous ; quoi qu'il en soit, c'est la nature elle-même qui nous a donné l'idée des graces, en nous offrant des spectacles qui semblent être leur ouvrage. Elle ne veut pas nous asservir toujours sous le joug de l'admiration ; cette mere tendre & caressante cherche souvent à nous plaire.

Si le beau qui nous frappe & nous transporte, est un des plus grands effets de sa magnificence, le joli n'est-il pas un de ses plus doux bienfaits ? Elle semble quelquefois s'épuiser (si je l'ose dire) en galanteries ingénieuses, pour agiter agréablement notre coeur & nos sens, & pour leur porter le sentiment délicieux & le germe des plaisirs.

La vûe de ces astres qui répandent sur nous par un cours & des regles immuables, leur brillante & féconde lumiere, la voûte immense à laquelle ils paroissent suspendus, le spectacle sublime des mers, les grands phénomenes, ne portent à l'ame que des idées majestueuses ; mais qui peut peindre le secret & le doux intérêt qu'inspire le riant aspect d'un tapis émaillé par le souffle de Flore & la main du printems ? Que ne dit point aux coeurs sensibles ce bocage simple & sans art, que le ramage de mille amans aîlés, que la fraîcheur de l'ombre & l'onde agitée des ruisseaux savent rendre si touchant ? Tel est le charme des graces, tel est celui du joli qui leur doit toujours sa naissance ; nous lui cédons par un penchant dont la douceur nous séduit.

Il faut être de bonne foi. Notre goût pour le joli suppose un peu moins parmi nous de ces ames élevées & tournées aux brillantes prétentions de l'héroïsme, que de ces ames naturelles, délicates & faciles, à qui la société doit tous ses attraits. Peut-être les raisons du climat & du gouvernement, que le Platon de notre siecle, dans le plus célebre de ses ouvrages, donne souvent pour la source des actions des hommes, sont-elles les véritables causes de nos avantages sur les autres nations, par rapport au joli.

Cet empire du nord, enlevé de notre tems à son ancienne barbarie par les soins & le génie du plus grand de ses rois, pourroit-il arracher de nos mains & la couronne des graces & la ceinture de Vénus ? Le physique y mettroit trop d'obstacles ; cependant il peut naître dans cet empire quelque homme inspiré fortement, qui nous dispute un jour la palme du génie, parce que le sublime & le beau sont plus indépendans des causes locales.

Ce phantôme sanglant de la liberté, qui avoit causé tant de troubles chez les Romains, & qui partout subsiste si difficilement par d'autres voies, avoit disparu sous l'héritier & le neveu de César. La paix ramena l'abondance, & l'abondance ne permit de songer au nouveau joug, que pour en recueillir les fruits ; l'intérêt de la chose publique ne regardoit plus qu'un seul homme, & dès-lors tous les autres purent ne s'occuper que de leur bonheur & de leurs plaisirs. Otez les grands intérêts, les vastes passions aux hommes, vous les ramenez au personnel. L'art de jouir devient de tous les arts le plus précieux ; de-là naquirent bientôt le goût & la délicatesse : il falloit cette révolution aux vers que soupira Tibulle.

Tel est à peu près le tableau de ce qui se passa sous le siecle de Louis le Grand. Tandis que Corneille étonne & ravit, les graces & le dieu du goût attendent pour naître des jours plus sereins. Voiture paroît les annoncer ; ses contemporains croyent les voir autour de lui ; cet écrivain en obtint même quelquefois un sourire : mais les jours heureux des plaisirs délicats, les jours de l'urbanité françoise, n'étoient qu'à leur crépuscule. Le rétablissement de l'autorité, d'où dépend la tranquillité publique, les vit enfin dans tout leur éclat.

Les François acquirent alors un sixieme sens, ou plutôt ils perfectionnerent les leurs ; ils virent ce qui jusques-là n'avoit point encore fixé leurs yeux ; une sensibilité plus fine, sans être moins profonde, remplit leurs ames : leurs talens de plaire & d'être heureux, une douce aisance dans la vie, une aménité dans les moeurs, une attention secrette à varier leurs amusemens, & distinguer les nuances diverses de tous les objets leur firent adorer les graces. La beauté ne fut plus que leur égale : ils sentirent même que les premieres les entraînoient avec plus de douceur, ils se livrerent à leurs chaînes : Bachaumont & Chapelle les firent asseoir à côté des muses les plus fieres, tandis que la bonne compagnie de ce tems faisoit de tout Paris le temple que ces divinités devoit préférer au reste de la terre.

C'est à de certaines ames privilégiées que la nature confie le soin de polir celles des autres. Tous les sentimens, tous les goûts de ces premiers se répandent insensiblement, & donnent bientôt le ton général. Telle étoit l'ame de cette Ninon si vantée ; telles étoient celles de plusieurs autres personnes qui vécurent avec elle, & qui l'aiderent à dépouiller les passions, les plaisirs, les arts, le génie, les vertus mêmes de ce reste de gothique qui nuisoit encore à leurs charmes. L'intérêt le plus léger, & sur-tout l'intérêt du plaisir viennent-ils se joindre au besoin d'imiter qu'apportent tous les hommes en naissant, tout leur devient facile & naturel, tout s'imprime facilement chez eux ; il ne leur faut que des modeles.

Peut-on être surpris que les françois qui vivoient sous Henri II. ayent été si différens de nous ? Les graces pouvoient-elles habiter une cour qui, pendant l'hiver, s'amusoit (comme dit Brantome) à faire des bastions & combats, à peloter de neige, & à glisser sur l'étang de Fontainebleau ? Le joli se bornoit tout au plus à la figure.

Le germe de cette qualité distinctive étoit sans doute dans le sein de cette nation toujours portée naturellement vers le plaisir ; il s'étoit annoncé quelquefois dans une fête brillante, ou sous la plume de quelques-uns de ses poëtes, mais le feu d'un éclair n'est pas plus promt à disparoître ; ce germe étoit enfoui sous les obstacles que lui opposoient sans cesse l'ignorance, la barbarie ou le souffle corrupteur des guerres intestines : l'influence du climat cédoit à cet égard aux circonstances.

Tout concouroit au contraire, sous Louis le Grand, à répandre sur ses sujets cette sérénité, cette fleur d'agrémens qui en firent la plus jolie nation de l'univers. Quelle rage aux Messinois (dit Madame de Sévigné) d'avoir tant d'aversion pour les François qui sont si aimables & si jolis !

Ils auroient payé trop cher cet avantage, s'il les eût conduits à lui sacrifier entierement leur goût essentiel pour le beau ; il triomphe encore parmi eux, peut-être n'y fait-il pas un effet si grand que le joli, parce qu'il n'est pas toujours aisé de s'élever jusqu'à lui. Eh le moyen (dit-on) de ne pas rassembler toute sa sensibilité sur les objets qui l'avoisinent & qui la sollicitent !

C'est à l'ame que le beau s'adresse, c'est aux sens que parle le joli ; & s'il est vrai que le plus grand nombre se laisse un peu conduire par eux, c'est delà qu'on verra des regards attachés avec yvresse sur les graces de Trianon, & froidement surpris des beautés courageuses du Louvre. C'est de-là que la musique altiere de Zoroastre entraînera moins de coeurs que la douce mélodie du ballet du Sylphe, ou les concerts charmans de l'acte d'Eglé dans les talens lyriques. C'est par-là qu'un chansonnier aimable, un rimeur plaisant & facile trouveront dans nos sociétés mille fois plus d'agrément, que les auteurs des chef-d'oeuvres qu'on admire. C'est enfin par-là que le je-ne-sais-quoi dans les femmes effacera la beauté, & qu'on sera tenté de croire qu'elle n'est bonne qu'à aller exciter des jalousies & des scènes tragiques dans un serrail.

Un auteur, dont on vantoit le goût dans le dernier siecle, prétend qu'on doit entendre par jolie femme, de l'agrément, de l'esprit, de la raison, de la vertu, enfin du vrai mérite. Ces deux dernieres qualités ne sont-elles pas ici hors de place ? est-on joli par la raison & la vertu ?

M. l'Abbé Girard dit de son côté que juger d'un tel qu'il est joli homme, c'est juger de son humeur & de ses manieres. Cependant il se trouve à cet égard en contradiction absolue avec le P. Bouhours, qui dit qu'on n'entend au plus par joli homme qu'un petit homme propre & assez bien fait dans sa taille. C'est que ces deux écrivains se sont arrêtés à de petites nuances de mode, qui n'ont rien de réel qu'un usage momentané.

Quelqu'un a dit de l'agrément que c'est comme un vent léger & à fleur de surface, qui donne aux facultés intérieures une certaine mobilité, de la souplesse & de la vivacité ; foible idée du joli en général : c'est le secret de la nature riante ; il ne se définit pas plus que le goût, à qui peut-être il doit la naissance & dans les arts & dans les manieres.

Les oracles de notre langue ont dit que c'étoit un diminutif du beau ; mais où est le rapport du terme primitif avec son dérivé, comme de table à tablette ? L'un & l'autre ne sont-ils pas au contraire physiquement distincts ? Leur espece, leurs lois & leurs effets ne sont ils pas entierement différens ? On me présente une tempête sortie des mains d'un peintre médiocre, à quel degré de diminution ce sujet pourroit-il descendre au joli ? est-il de son essence de pouvoir l'être ? Qu'on se rappelle le sot qui trouvoit la mer jolie, ou le fat qui traitoit M. de Turenne de joli homme.

Le joli a son empire séparé de celui du beau ; l'un étonne, éblouit, persuade, entraîne ; l'autre séduit, amuse, & se borne à plaire : ils n'ont qu'une regle commune, c'est celle du vrai. Si le joli s'en écarte, il se détruit & devient maniéré, petit ou grotesque ; nos arts, nos usages & nos modes surtout sont aujourd'hui pleins de sa fausse image. (M. B.)


JOMBARDES. f. (Lutherie) nom vulgaire de la flûte de tambourin, ou flûte à trois trous, parce que cette flûte effectivement n'a que trois trous ; celui par où on l'anime, celui de la lumiere, & celui du pavillon. On couvre celui par où on l'embouche, d'un canepin de cuir fort délié. On peut concerter avec la jombarde, quand on en a plusieurs de différentes grandeurs proportionnées ; mais voyez FLUTE DE TAMBOURIN. (D.J.)


JOMBOS. m. (Hist. nat.) c'est un fruit qui, suivant Knox, est particulier à l'île de Ceylan ; il a le goût d'une pomme, sa couleur est d'un blanc mêlé de rouge ; on le dit fort sain, fort agréable & plein de jus.


JOMPANDAM(Géographie) ville maritime & forte, située dans l'île de Macassar ou de Celebes en Asie ; elle appartient aux Hollandois.


JONASJONAS

Jonas avoit aussi composé une autre prophétie, dont il est parlé dans le IV. livre des Rois, ch. xjv. v. 22. dans laquelle il avoit prédit, sous le regne de Joas, les conquêtes que feroit son fils Jéroboam. Le livre que nous avons, semble être cité dans Tobie, ch. xjv. v. 6. & est approuvé par J. C. même. C'est pourquoi l'Eglise l'a toujours reconnu pour canonique, & la synagogue l'avoit mis dans le canon des Juifs. Dupin, Dissert. prélim. sur la Bible, liv. V. ch. iij. §. 22. p. 377.


JONCjuncus, s. m. (Hist. nat.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; il sort du milieu de la fleur un pistil qui devient dans la suite un fruit ou une capsule. Cette capsule a ordinairement trois côtés qui s'ouvrent en trois pieces, & qui renferment des semences, dont la plûpart sont arrondies. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

JONC D'EAU, (Hist. nat.) scirpus, genre de plante à fleur sans pétales, composée d'étamines & disposée en bouquet écailleux ; il sort des aisselles de ces écailles des pistils qui deviennent dans la suite des semences triangulaires disposées en bouquets. Ajoutez à ces caracteres que les tiges ne sont pas triangulaires. Tournefort, Inst. rei herbar. Voyez PLANTE.

JONC FLEURI, (Hist. nat.) butomus, genre de plante à fleur en rose, composée pour l'ordinaire de plusieurs pétales disposés en rond, dont les uns sont plus grands que les autres. Il sort du milieu de la fleur un pistil qui devient dans la suite un fruit membraneux composé de plusieurs gaines rassemblées en forme de tête, la plûpart terminées par une corne ; elles s'ouvrent dans leur longueur, & elles renferment des semences ordinairement oblongues. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

JONC MARIN, (Hist. nat.) genista spartium, genre de plante qui ne differe du genêt & du sparte, qu'en ce qu'il est épineux. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

JONC ODORANT, (Botan. exot.) schoenanthus. C'est, suivant l'exacte description de M. Geoffroi, une espece de gramen ou de chaume qu'on nous apporte d'Arabie, garni de feuilles, & quelquefois de fleurs. Il est sec, roide, cylindrique, luisant, genouillé, de la longueur d'un pié ou environ, rempli d'une moelle fongueuse. Il est pâle ou jaunâtre près la racine ; verd ou de couleur de pourpre, près du sommet ; d'un goût brûlant, un peu âcre, amer, aromatique & agréable, semblable à celui du pouliot, cependant beaucoup plus fort. Son odeur tient le milieu entre celle des roses & du pouliot, elle est très-pénétrante ; il s'éleve plusieurs tiges d'une même racine.

Ne doutons plus que notre jonc odorant ne soit le même que celui des anciens. Mathiole & Bauhin en ont donné plusieurs preuves convaincantes. Dioscoride & Galien l'appellent simplement ou jonc par excellence. Hippocrate le nomme , jonc odoriférant, & le recommande par cette qualité. Les autres anciens grecs l'appelloient , c'est-à-dire fleur de jonc ou jonc précieux ; car le mot ne désigne pas seulement une fleur, mais quelque chose d'excellent, selon les observations de Saumaise ; & nous employons aussi le mot de fleur dans le même sens en françois.

La plante d'où le jonc odorant est tiré, s'appelle par les Botanistes schoenanthus, sive juncus odoratus, J. B. T. Juncus rotundus, aromaticus, C. B. &c.

Ses racines sont blanchâtres, petites, pliantes, dures, ligneuses, accompagnées à leur origine de plusieurs fibres très-menues. Ses feuilles ont plus d'une palme de longueur, semblables à celles du blé, roides, épaisses, larges vers la racine, roulées les unes sur les autres en maniere d'écailles ; elles se terminent en pointe dure, menue, arrondie, & embrassent étroitement les tuyaux par leurs gaines, comme dans le roseau. Les tiges ont un pié de long, & sortent du haut de la racine ; elles sont cylindriques, grêles vers leurs sommets, divisées par des noeuds fort éloignés les uns des autres ; quelquefois elles sont ligneuses, sans noeuds, & remplies d'une moelle fongueuse, telle qu'est celle du jonc ordinaire. Elles portent des épis de fleurs disposées deux à deux, comme l'ivraie ; ces fleurs sont très-petites, composées d'étamines & d'un pistil à aigrette, contenus dans des petits calices rougeâtres en dehors. Quand ces fleurs sont tombées, il leur succede des graines.

Cette plante vient en si grande quantité dans quelques provinces d'Arabie, qu'elle sert de nourriture commune aux chameaux. Autrefois on recherchoit toutes les parties de ce jonc, savoir les tiges, les fleurs & les racines pour l'usage médicinal ; en effet elles sont toutes odorantes. Les feuilles piquent la langue par une certaine acrimonie agréable ; la racine a un goût brûlant & aromatique, les fleurs récentes sont un peu aromatiques ; mais au bout d'un an elles ont perdu leur parfum, & paroissent inutiles. Il faut donc employer pour les compositions de Pharmacie, comme la thériaque & le mithridate, le jonc odorant, quand il est récent, aromatique, d'un goût brûlant & d'une odeur pénétrante. Il donne pour lors beaucoup d'huile essentielle par la distillation ; ses fleurs, ses feuilles & ses tiges sont un peu astringentes, atténuantes & composées de parties volatiles. (D.J.)

JONC ODORANT, (Mat. med.) voyez SCHOENANTE.

JONCS DE PIERRE, junci lapidei, (Hist. nat. Minéralogie) Quelques auteurs nomment ainsi une pierre formée par l'assemblage de tubulites pétrifiées, ou de coralloïdes cylindriques paralleles les unes aux autres, & placées perpendiculairement, eu égard à la masse de la pierre ; il se trouve une pierre de cette espece en Angleterre, dans la province ou comté de Shropshire, suivant le rapport d'Emanuel Mendez d'Acosta, qui place cette pierre parmi celles qu'il nomme marmoroïdes ou ressemblantes au marbre. C'est aussi de cette espece qu'est, selon lui, le marmor juncum ou les junci lapides décrits dans le catalogue de Woodward, où il est dit que les cylindres qu'on remarquoit dans le morceau qu'il possédoit, avoient près de deux piés de longueur, & s'étendoient autant que la pierre, quoiqu'elle ne fût elle-même qu'un fragment. Ce morceau curieux étoit tiré d'une carriere située entre Carlisle & Cokesmouth, dans le duché de Cumberland. Il s'en trouve aussi en Angleterre dans l'évêché de Durham & dans la province d'Yorck. Voyez Em. Mendez d'Acosta, natural history of fossils, tom. I. pag. 248. (-)

JONC, (Joaillier) bague unie qui n'a point de chaton, & dont le cercle est par-tout égal.


JONCHERverb. act. (Gramm.) c'est répandre sur la terre sans ordre & à profusion. Il se dit des fleurs, des herbes, des corps morts, &c. Après cette action sanglante, la terre resta jonchée de morts. On joncha de fleurs les chemins qui conduisoient à son palais.

De joncher on a fait jonchée. Les Juifs firent des jonchées de palmes à l'entrée de Jesus-Christ dans Jérusalem. Les Grecs firent des jonchées de fleurs à l'arrivée d'Iphigénie en Aulide.


JONCHETSles s. m. pl. (Jeux) sorte de jeu ancien dont parle Ovide. On jouoit autrefois aux jonchets avec de petits brins de joncs, auxquels ont succédé de petits brins de paille, & ensuite de petits bâtons d'ivoire ; c'est des brins de joncs que lui vient son nom, comme il paroît par le Diction. étymolog. de Ménage. Rabelais n'a pas oublié ce jeu dans la longue liste de ceux auxquels Gargantua passoit la meilleure partie de son tems. Jonchée, dit Nicod, signifie " la poignée de petites branches d'ivoire dont les filles s'ébattent, & qu'on appelle le jeu des jonchées ". On empoigne ces brins de joncs pour les faire tomber tous ensemble, de maniere qu'ils s'éparpillent en tombant : nos enfans y jouent encore avec des allumettes. (D.J.)


JONCTIOou UNION, (Synonymes) quoique ces deux mots désignent également la liaison de deux choses ensemble, les Latins ont rendu communément le premier par junctio, & le second par consensus ; nous ne les employons pas non plus indistinctement en françois, & l'abbé Girard en a marqué la différence avec beaucoup de justesse ; il suffira presque de le copier ici.

La jonction, dit-il, regarde proprement deux choses éloignées qu'on rapproche, ou qui se rapprochent l'une auprès de l'autre ; l'union regarde particulierement deux différentes choses qui se trouvent bien ensemble. Le mot de jonction semble supposer une marche ou quelque mouvement ; celui d'union renferme une idée d'accord ou de convenance : on dit la jonction des armées, & l'union des couleurs ; la jonction des deux rivieres, & l'union de deux voisins ; ce qui n'est pas joint, est séparé ; ce qui n'est pas uni est divisé. On se joint pour se rassembler & n'être pas seuls ; on s'unit pour former des corps de société.

Union s'emploie souvent au figuré, & toujours avec grace, mais on ne se sert de jonction que dans le sens littéral. La jonction des ruisseaux forme les rivieres ; l'union soutient les familles & la puissance des états. La jonction de l'Océan & de la Méditerranée par le canal de Languedoc, est un projet magnifique, conçu d'abord sous François I. renouvellé sous Henri IV. & finalement exécuté sous Louis XIV. par les soins de M. Colbert. La sympathie qui forme si promtement l'union des coeurs, qui fait que deux ames assorties se cherchent, s'aiment, s'attachent l'une à l'autre, est une chose aussi rare que délicieuse. (D.J.)

JONCTION, (Jurisprud.) est l'union d'une cause, instance ou procès à un autre, pour les juger conjointement par un seul & même jugement.

Appointement de jonction, est le réglement qui unit ainsi deux instances ou procès qui étoient auparavant séparés.

Dans les instances ou procès appointés, on appointe en droit & joint les nouvelles demandes qui sont incidentes au fond.

On joint même quelquefois au fond des requêtes contenant demande provisoire, lorsqu'on ne trouve pas qu'il y ait lieu de statuer sur le provisoire.

Quand on joint simplement la requête, il n'y a point d'instruction à faire, on statue sur la requête en jugeant le fond.

Mais quand on appointe en droit & joint, il faut écrire & produire en exécution de ce réglement. (A)

Jonction du procureur-général, ou du procureur du roi, ou du ministere public en général, c'est lorsque dans une affaire criminelle où il y a une partie civile, le ministere public intervient pour conclure à la vengeance & punition du délit. Cette intervention s'appelle jonction, parce que le ministere public se joint à l'accusateur, lequel requiert la jonction du ministere public, parce qu'en France les particuliers ne peuvent conclure qu'aux intérêts civils ; le droit de poursuivre la punition du crime, & la vindicte publique, résident en la personne du ministere public. (A)


JONE(Géog.) petite île d'Ecosse au S. O. de celle de Mull ; elle a deux milles de long & un mille de large. Je n'en parle que parce qu'elle étoit le lieu où résidoient les évêques des îles, & celui du tombeau des rois d'Ecosse : on compte quarante rois d'Ecosse, quatre d'Irlande, & autant de Norwege, qui y sont enterrés. (D.J.)


JONGLEURSS. m. pl. (Littérat.) joueurs d'instrumens qui, dans la naissance de notre poésie, se joignoient aux troubadours ou poëtes provençaux, & couroient avec eux les provinces.

L'histoire du théatre françois nous apprend qu'on nommoit ainsi des especes de bâteleurs, qui accompagnoient les trouveurs ou poëtes provençaux, fameux dès le xj. siecle. Le terme de jongleur paroît être une corruption du mot latin joculator, en françois joueur. Il est fait mention des jongleurs dès le tems de l'empereur Henri II. qui mourut en 1056. Comme ils jouoient de différens instrumens, ils s'associerent avec les trouveurs & les chanteurs, pour exécuter les ouvrages des premiers, & ainsi de compagnie ils s'introduisirent dans les palais des rois & des princes, & en tirerent de magnifiques présens. Quelque tems après la mort de Jeanne premiere du nom, reine de Naples & de Sicile & comtesse de Provence, arrivée en 1382, tous ceux de la profession des trouveurs & des jongleurs se séparerent en deux différentes especes d'acteurs. Les uns, sous l'ancien nom de jongleurs, joignirent aux instrumens le chant ou le récit des vers ; les autres prirent simplement le nom de joueurs, en latin joculatores, ainsi qu'ils sont nommés par les ordonnances. Tous les jeux de ceux-ci consistoient en gesticulations, tours de passe-passe, &c. ou par eux-mêmes, ou par des singes qu'ils portoient, ou en quelques mauvais récits du plus bas burlesque. Mais leurs excès ridicules & extravagans les firent tellement mépriser, que pour signifier alors une chose mauvaise, folle, vaine & fausse, on l'appelloit jonglerie ; & Philippe-Auguste dès la premiere année de son regne les chassa de sa cour & les bannit de ses états. Quelques-uns néanmoins qui se réformerent s'y établirent & y furent tolérés dans la suite du regne de ce prince & des rois ses successeurs, comme on le voit par un tarif fait par S. Louis pour régler les droits de péage dûs à l'entrée de Paris sous le petit-châtelet. L'un de ces articles porte, que les jongleurs seroient quittes de tout péage en faisant le récit d'un couplet de chanson devant le péager. Un autre porte " que le marchand qui apporteroit un singe pour le vendre, payeroit quatre deniers ; que si le singe appartenoit à un homme qui l'eût acheté pour son plaisir, il ne donneroit rien, & que s'il étoit à un joueur, il joueroit devant le péager ; & que par ce jeu il seroit quitte du péage tant du singe que de tout ce qu'il auroit acheté pour son usage ". C'est de-là que vient cet ancien proverbe, payer en monnoie de singe, en gambades. Tous prirent dans la suite le nom de jongleurs comme le plus ancien, & les femmes qui se mêloient de ce métier celui de jongleresses. Ils se retiroient à Paris dans une seule rue qui en avoit pris le nom de rue des jongleurs, & qui est aujourd'hui celle de saint Julien des Menétriers. On y alloit louer ceux que l'on jugeoit à propos pour s'en servir dans les fêtes ou assemblées de plaisir. Par une ordonnance de Guillaume de Clermont, prévôt de Paris, du 14 Septembre 1395, il fut défendu aux jongleurs de rien dire, représenter, ou chanter, soit dans les places publiques, soit ailleurs, qui pût causer quelque scandale, à peine d'amende & de deux mois de prison au pain & à l'eau. Depuis ce tems il n'en est plus parlé ; c'est que dans la suite les acteurs s'étant adonnés à faire des tours surprenans avec des épées ou autres armes, &c. on les appella batalores, en françois bateleurs ; & qu'enfin ces jeux devinrent le partage des danseurs de corde & des sauteurs. De la Marre, Traité de la police. Hist. du théat. franç. Moréri.

JONGLEUR, (Divination) magiciens ou enchanteurs fort renommés parmi les nations sauvages d'Amérique, & qui font aussi parmi elles profession de la Médecine.

Les jongleurs, dit le P. Charlevoix, font profession de n'avoir commerce qu'avec ce qu'ils appellent génies bienfaisans, & ils se vantent de connoître par leur moyen ce qui se passe dans les pays les plus éloignés, ou ce qui doit arriver dans les tems les plus reculés ; de découvrir la source & la nature des maladies les plus cachées, & d'avoir le secret de les guérir ; de discerner dans les affaires les plus embrouillées le parti qu'il faut prendre ; de faire réussir les négociations les plus difficiles ; de rendre les dieux propices aux guerriers & aux chasseurs ; d'entendre le langage des oiseaux, &c.

Quoiqu'on ait vu naître ces imposteurs, s'il leur prend envie de se donner une naissance surnaturelle, ils trouvent des gens qui les en croyent sur leur parole, comme s'ils les avoient vus descendre du ciel, & qui prennent pour une espece d'enchantement & d'illusion de les avoir crus nés comme les autres hommes.

Une de leurs plus ordinaires préparations pour faire leurs prestiges c'est de s'enfermer dans des étuves pour se faire suer. Ils ne different alors en rien des Pythies telles que les Poëtes nous les ont représentées sur le trépié. On les y voit entrer dans des convulsions & des enthousiasmes ; prendre des tons de voix, & faire des actions qui paroissent audessus des forces humaines. Le langage qu'ils parlent dans leurs invocations n'a rien de commun avec aucune langue sauvage ; & il est vraisemblable qu'il ne consiste qu'en des sons informes, produits sur le champ par une imagination échauffée, & que ces charlatans ont trouvé le moyen de faire passer pour un langage divin ; ils prennent différens tons, quelquefois ils grossissent leurs voix, puis ils contrefont une petite voix grêle, assez semblable à celle de nos marionnettes, & on croit que c'est l'esprit qui leur parle. On assure qu'ils souffrent beaucoup dans ces occasions, & qu'il s'en trouve qu'on n'engage pas aisément, même en les payant bien, à se livrer ainsi à l'esprit qui les agite. On a vu les pieux dont ces étuves étoient fermées, se courber jusqu'à terre, tandis que le jongleur se tenoit tranquille, sans remuer, sans y toucher, qu'il chantoit & qu'il prédisoit l'avenir. Cette circonstance & quelques prédictions singulieres & circonstanciées qu'on leur a entendues faire assez long-tems avant l'événement, & pleinement justifiées par l'événement, font penser qu'il entre quelquefois du surnaturel dans leurs opérations, & qu'ils ne devinent pas toujours par hasard.

Les jongleurs de profession ne sont jamais revêtus de ce caractere qui leur fait contracter une espece de pacte avec les génies, & qui rend leurs personnes respectables au peuple, qu'après s'y être disposés par des jeûnes qu'ils poussent très-loin, & pendant lesquels ils ne font autre chose que battre le tambour, crier, heurler, chanter & fumer. L'installation se fait ensuite dans une espece de bacchanale, avec des cérémonies si extravagantes, & accompagnées de tant de fureurs, qu'on diroit que le démon y prend dès-lors possession de leurs personnes. Ils ne sont point à proprement parler les prêtres de la nation, car ce sont les chefs de famille qui exercent cet emploi, mais ils se donnent pour les interpretes des dieux. Ils se servent pour leurs prestiges d'os & de peaux de serpens, dont ils se font aussi des bandeaux & des ceintures. Il est certain qu'ils ont le secret de les enchanter, ou pour parler plus juste, de les engourdir ; qu'ils les prennent tout vivans, les manient, les mettent dans leur sein, sans qu'il leur en arrive aucun mal. C'est encore aux jongleurs qu'il appartient d'expliquer les songes, les présages, & de presser ou de retarder la marche de l'armée dans les expéditions militaires, car on y en mene toujours quelqu'un. Ils persuadent à la multitude qu'ils ont des transports extatiques, dans lesquels les génies leur découvrent l'avenir & les choses cachées, & par ce moyen ils lui persuadent tout ce qu'ils veulent.

Mais la principale occupation des jongleurs, ou du moins celle dont ils retirent le plus de profit, c'est la Médecine. Quoiqu'en général ils exercent cet art avec des principes fondés sur la connoissance des simples, sur l'expérience & sur la conjecture, comme on fait par-tout, ils y mêlent ordinairement de la superstition & de la charlatanerie.

Par exemple, ils déclarent en certaines occasions qu'ils vont communiquer aux racines & aux plantes la vertu de guérir toutes sortes de playes, & même de rendre la vie aux morts. Aussi-tôt ils se mettent à chanter, & l'on suppose que pendant ce concert, qu'ils accompagnent de beaucoup de grimaces, la vertu médicinale se répand sur les drogues. Le principal jongleur les éprouve ensuite ; il commence par se faire saigner les levres. Le sang que l'imposteur a soin de sucer adroitement cesse de couler, & on crie miracle. Après cela il prend un animal mort, il laisse aux assistans tout le loisir de se bien assurer qu'il est sans vie, puis au moyen d'une cannule qui lui est insérée sous la queue, il la fait remuer, en lui soufflant des herbes dans la gueule. Quelquefois ils font semblant d'ensorceler divers sauvages qui paroissent expirer ; puis en leur mettant d'une certaine poudre sur les levres, ils les font revivre. Souvent quand il y a des blessures le jongleur déchire la playe avec ses dents, & montrant ensuite un morceau de bois ou quelque chose semblable, qu'il avoit eu la précaution de mettre dans sa bouche, il fait croire au malade qu'il l'a tiré de sa playe, & que c'étoit le charme qui causoit le danger de sa maladie.

Si le malade se met en tête que son mal est l'effet d'un maléfice, alors toute l'attention se porte à le découvrir, & c'est le devoir du jongleur. Il commence lui-même par se faire suer ; & quand il s'est bien fatigué à crier, à se débattre & à invoquer son génie, la premiere chose extraordinaire qui lui vient en pensée, il y attribue la cause de la maladie. Plusieurs avant que d'entrer dans l'étuve prennent un breuvage composé, fort propre, disent-ils, à leur faire recevoir l'impression céleste, & l'on prétend que la présence de l'esprit se manifeste par un vent impétueux qui se leve tout à coup, ou par un mugissement que l'on entend sous terre, ou par l'agitation & l'ébranlement de l'étuve. Alors plein de sa prétendue divinité, & plus semblable à un énergumene qu'à un homme inspiré du ciel, il prononce d'un ton affirmatif sur l'état du malade, & rencontre quelquefois assez juste.

Dans l'Acadie les jongleurs s'appelloient autmoins. Quand ils étoient appellés pour voir un malade, ils commençoient par le considérer assez long-tems, puis ils souffloient sur lui. Si cela ne produisoit rien, ils entroient dans une espece de fureur, s'agitoient, crioient, menaçoient le démon en lui parlant & lui poussant des estocades, comme s'ils l'eussent vu devant leurs yeux, & finissoient par arracher de terre un bâton auquel étoit attaché un petit os, qu'ils avoient eu la précaution de planter en entrant dans la cabane, & ils prononçoient qu'ils avoient extirpé la cause du mal.

Chez les Natchez, autre nation d'Amérique, les jongleurs sont bien payés quand le malade guérit ; mais s'il meurt, il leur en coûte souvent la vie à eux-mêmes. D'autres jongleurs entreprennent de procurer la pluie & le beau tems. Vers le printems on se cottise pour acheter de ces prétendus magiciens un tems favorable aux biens de la terre. Si c'est de la pluie qu'on demande, ils se remplissent la bouche d'eau, avec un chalumeau dont un bout est percé de plusieurs trous comme un entonnoir, ils soufflent en l'air du côté où ils apperçoivent quelque nuage. S'il est question d'avoir du beau tems, ils montent sur le toit de leurs cabanes, & font signe aux nuages de passer outre. Si cela arrive, ils dansent & chantent autour de leurs idoles, avalent de la fumée de tabac, & présentent au ciel leurs calumets. Si on obtient ce qu'ils ont promis, ils sont bien récompensés ; s'ils ne réussissent pas, ils sont mis à mort sans miséricorde. Hist. de la nouv. Franc. tom. I. Journal d'un voyage d'Amérique, pag. 214, 235, 347, 360 & suiv. 368, 428 & 427.


JONQUES. m. (Marine) c'est le nom que les Chinois donnent à leurs vaisseaux, soit qu'ils soient équipés en guerre ou en marchandises. Ceux dont on se sert plus communément pour le commerce, sont fort légers, & à-peu-près de la grandeur d'un flibot ; la quille est de trois pieces ; celle du milieu est en ligne droite ; mais les deux autres qui sont plus courtes ont à l'arriere & à l'avant un relevement de cinq piés.

L'avant est plat, formé presque en triangle, dont la pointe la plus aiguë est en bas, & a un peu de quete.

L'arriere est plat aussi & rentré un peu en dedans depuis le bord jusqu'au milieu. De cette maniere ce bâtiment n'a ni étrave ni étambord, il n'y a qu'une préceinte posée à la hauteur du premier pont, & qui est ronde par dehors, avec un relevement proportionné à tout le gabarit ; sous cette préceinte le vaisseau est arrondi par le bas, mais au-dessus jusqu'au haut pont, il a les côtés plats. Il a deux ponts qui sont également ouverts dans le milieu, selon la longueur du bâtiment, & ces ouvertures sont entourées de bordages.

A l'arriere, proche du gouvernail, sont quelques marches sur le bas pont pour descendre au fond de cale ; à ce même endroit le vaisseau est ouvert audessus de l'arcasse, laquelle est aussi haute que le pont, desorte que le vent peut entrer par l'arriere.

Le gouvernail est suspendu à cette partie du bâtiment & attaché de chaque côté avec des cordes qui passent au-travers par le bas, & qui sont amarrées au haut par le haut pour aider à gouverner, parce que le gouvernail étant fort grand, la barre ne suffit pas pour le faire jouer dans des gros tems. On ajoute même alors de grosses rames à chaque côté de l'arriere pour gouverner avec plus de facilité.

Le grand mât est plus proche de l'avant que de l'arriere, & panche un peu vers l'arriere. Il y a sur le bas pont un ban ou traversin tout rond, qui par chaque bout est joint avec la préceinte & dans lequel le mât est enchassé & tenu par un cercle de fer ; mais par le bas il n'y a aucune piece qui l'arrête sur le plafond. Sa forme quarrée en cet endroit suffit.

A l'avant est un autre mât un peu plus petit, qui panche en avant. On peut ôter ces mâts & les coucher en arriere. Ils ont des tons fendus en échancrure, dont les deux côtés sont entretenus avec des chevilles & les bouts liés ensemble en haut, c'est-là que s'ente le bâton de pavillon ; desorte que quand on couche le mât on en peut ôter le ton.

On monte le long du mât par des taquets qui y sont cloués, & on hisse les voiles avec des vindas.

L'ancre est de bois, sa figure ressemble à deux coudes courbés & attachés l'un à l'autre. Sous ses bras qui n'ont point de pattes, il y a une piece de bois en travers, entée de chaque côté dans la vergue.

Dans le milieu du bâtiment, sous le premier pont, il y a de chaque côté une porte quarrée pour entrer dans le vaisseau. On met sur le bas pont quatre pieces de canon, à stribord & à bas-bord, dont deux sont posées sur le tillac même, & deux sont un peu plus élevées ; on y voit aussi de faux sabords, les uns ronds, les autres quarrés, peints en dehors avec de la couleur noire. Ce sont les seuls endroits du vaisseau qui soient peints.

Il y a au haut du bordage à l'un & à l'autre bout des balustres qui peuvent s'ôter & se remettre, & au haut contre le bord est une espece d'échafaud où les matelots montent pour puiser de l'eau dans la mer.

A l'arriere contre le bord en dedans, est à basbord un long épars où l'on hisse un pavillon & même une petite voile au besoin.

Pour donner une idée de la forme entiere d'un jonque, son pont est plus étroit à l'avant qu'à l'arriere, & le bâtiment plus étroit par le haut que par le bas.

Pour conduire ce bâtiment le pilote est assis à l'arriere, & là avec un petit tambour, il marque au timonier de quel côté il doit gouverner.

Cet article est tiré de M. Nicolas Witsen, bourgmestre d'Amsterdam, dont l'ouvrage très-estimé est devenu fort rare, où il dit avoir fait cette description d'après un petit modele de jonque qu'il a eu entre les mains.


JONQUERE(Géog.) ancienne ville d'Espagne en Catalogne, dans le Lampourdan, au pié des Pyrénées, à 8 lieues N. de Girone, 8. S. de Perpignan ; long. 20. 32. lat. 42. 15. (D.J.)


JONQUIERES(Géog.) petite ville de France en Provence, à 5 lieues S. O. d'Aix, & autant de Marseille ; long. 22. 45. lat. 43. 20. (D.J.)


JONQUILLES. f. (Botan.) narcissus juncifolius, plante bulbeuse, qui est une espece de narcisse à fleur blanche, jaune, simple, double, grande ou petite ; vous trouverez les caracteres du genre au mot NARCISSE.

Il a plu aux Fleuristes d'appeller jonquilles diverses especes de narcisse, d'en multiplier les variétés, & de leur donner des noms vulgaires à leur fantaisie ; par exemple, ils ont appellé jonquille simple, le narcissus juncifolius luteus de C. B. P. jonquille double, le narcissus juncifolius, flore pleno de Clusius ; jonquille à grand godet, le narcissus juncifolius, petalis angustissimis, calice maximo, tubam referente de Boerhaave ; grande jonquille au godet citronné, le narcissus juncifolius, luteus, major, oblongo calice de C. B. P. &c.

Toutes les jonquilles sont fort cultivées dans les jardins ; mais il faut les transplanter presque chaque année, autrement leurs racines s'allongent, s'amincissent, & ne donnent plus de belles fleurs dans la suite. On remarque aussi qu'elles ne prosperent pas long-tems dans une terre riche, & qu'elles veulent une terre qui ne soit ni forte, ni légere, ni fumée ; qu'elles demandent encore la profondeur de trois pouces, & pour le moins autant de distance. On s'attache à les perpétuer par bulbes ou par oignons, parce que c'est la voie la plus promte ; cependant on obtient de graines un plus grand nombre de belles variétés.

Nous devons ces variétés aux soins, ou plutôt aux hasards de la culture, qui après nous avoir procuré la jonquille, nous en fournit non-seulement au printems, mais dans l'automne plusieurs especes fort recherchées. M. le Comte Hamilton a dit une partie de tout cela dans les vers suivans, qui sont aisés & agréables.

Allez, trop aimables jonquilles,

Nouvelles fleurs que le hasard

Sauve du frimat, du brouillard,

Des hannetons & des chenilles ;

Quoique vous veniez un peu tard

Pour être du printems les filles,

Allez de vos jaunes guenilles

Offrir l'hommage de ma part ;

Allez, hâtez votre départ

Pour la plus belle des familles.

On fait avec des fleurs de jonquilles des bouquets, des parfums, des poudres, des pommades & des essences. (D.J.)


JONTou JUNTE, s. f. (Hist. mod.) l'on nomme ainsi en Espagne un certain nombre de personnes que le roi choisit pour les consulter sur des affaires d'importance, il convoque & dissout leur assemblée à sa volonté ; elle n'a que la voix de conseil, & le roi d'Espagne est le maître d'adopter ou de rejetter ses décisions. Après la mort du roi, on établit communément une jonte ou conseil de cette espece pour veiller aux affaires du gouvernement ; elle ne subsiste que jusqu'à ce que le nouveau roi ait pris les rênes du gouvernement.


JONTHLASPIS. m. (Botan.) genre de plante à fleur, composée de quatre petales disposés en croix ; il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit composé d'une seule capsule, plat, rond, & fait en forme de bouclier : il renferme une semence plate & ronde comme le fruit. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


JOOSIÉS. m. (Hist. nat. Bot.) plante qui se trouve au Japon où elle vient en très-grande abondance ; c'est une espece de gramen medicatum ; elle croît à la hauteur d'un pié, elle a des feuilles comme celles du roseau, & elles sont très-tranchantes par les côtés. Il y en a deux especes, la premiere s'appelle simplement joosié, la seconde s'appelle joosié mutzuba, parce qu'elle a six feuilles qui partent d'un même centre. Les Japonois écrasent ces feuilles avec du vinaigre & les mettent sur les plaies ; ils font bouillir les racines dans l'eau avec du sucre ; cette décoction filtrée est, dit-on, un remede excellent contre les douleurs des reins & la pierre. Ephemerid. nat. curios. decur. III. a 5. & 6. pag. 1.


JOPOLI(Géog.) bourg de la Calabre, dont le nom n'est connu que pour avoir donné le jour en 1473 à Augustin Nyphus, un des célebres philosophes du xvj. siecle, & qui a tant commenté Aristote ; mais il écrivit un livre qui fit encore plus de bruit, je parle de son traité de intellectu & daemonibus, dans lequel il veut prouver qu'il n'y a point d'autres substances au monde séparées de la matiere, que les intelligences qui font mouvoir les cieux. Léon X. protégea Nyphus malgré son livre hétérodoxe, & le créa comte Palatin ; le P. Niceron vous fournira la liste de ses autres ouvrages ; son article est aussi dans Bayle. (D.J.)


JOPPÉ(Géog. sacrée) petite ville, & port de mer de la Palestine sur la méditerranée ; elle est nommée Japha ou Jafa par les auteurs du moyen âge, & par les modernes. Voyez JAFA.

C'étoit le seul port que les Hébreux possédassent sur la méditerranée, & encore est-il très-mauvais, à cause des rochers qui s'avancent dans la mer ; quelques personnes croyent que cette ville tire son nom de Joppé, fille d'Aeolus, & femme de Céphée, qui en fut la fondatrice. Pline, liv. IX, raconte que Scaurus apporta de Joppé à Rome, pendant son édilité, les os du monstre qui devoit dévorer Andromede ; & S. Jérôme dit que de son tems, on voyoit encore à Joppé des marques de la chaîne par laquelle cette princesse avoit été attachée lorsqu'on l'exposa au monstre marin ; mais Ovide ne nomme point le lieu de cette avanture fabuleuse, & Corneille n'a eu garde de choisir la Palestine dans sa tragédie d'Andromede ; il met la scene en Ethiopie dans la capitale du royaume de Céphée. Au reste, il est souvent fait mention de Joppé dans le vieux & nouveau Testament, ainsi que dans l'histoire des Croisades. (D.J.)


JOQUESS. m. pl. (Hist. mod.) Bramines du royaume de Narsingue. Ils sont austeres, ils errent dans les Indes ; ils se traitent avec la derniere dureté, jusqu'à ce que devenus abduls ou exempts de toutes lois & incapables de tout péché, ils s'abandonnent sans remords à toutes sortes de saletés, & ne se refusent aucune satisfaction ; ils croyent avoir acquis ce droit par leur pénitence antérieure. Ils ont un chef qui leur distribue son revenu qui est considérable, & qui les envoye prêcher sa doctrine.


JORDANUS BRUNUSPHILOSOPHIE DE, (Hist. de la Philos.) cet homme singulier naquit à Nole, au royaume de Naples ; il est antérieur à Cardan, à Gassendi, à Bacon,à Léibnitz, à Descartes, à Hobbes ; & quel que soit le jugement que l'on portera de sa philosophie & de son esprit, on ne pourra lui refuser la gloire d'avoir osé le premier attaquer l'idole de l'école, s'affranchir du despotisme d'Aristote, & encourager par son exemple & par ses écrits les hommes à penser d'après eux-mêmes ; heureux s'il eût eu moins d'imagination & plus de raison ! Il vécut d'une vie fort agitée & fort diverse ; il voyagea en Angleterre, en France & en Allemagne ; il reparut en Italie ; il y fut arrêté & conduit dans les prisons de l'inquisition, d'où il ne sortit que pour aller mourir sur un bucher. Ce qu'il répondit aux juges qui lui prononcerent sa sentence de mort, marque du courage : majori forsan cum timore sententiam in me dicetis quam ego accipiam.

Les écrits de cet auteur sont très-rares, & le mélange perpétuel de Géométrie, de Théologie, de Physique, de Mathématique & de Poësie en rend la lecture pénible. Voici les principaux axiomes de sa Philosophie.

Ces astres que nous voyons briller au-dessus de nos têtes sont autant de mondes.

Les trois êtres par excellence sont Dieu, la nature & l'homme. Dieu ordonne, la nature exécute, l'homme conçoit.

Dieu est une monade, la nature une mesure.

Entre les biens que l'homme puisse posséder, connoître est un des plus doux.

Dieu qui a donné la raison à l'homme, & qui n'a rien fait en vain, n'a prescrit aucun terme à son usage.

Que celui qui veut savoir commence par douter ; qu'il sache que les mots servent également l'ignorant & le sage, le bon & le méchant. La langue de la vérité est simple ; celle de la duplicité, équivoque ; & celle de la vanité, recherchée.

La substance ne change point ; elle est immortelle, sans augmentation, sans décroissement, sans corruption. Tout en émane & s'y résout.

Le minimum est l'élément de tout, le principe de la quantité.

Ce n'est pas assez que du mouvement, de l'espace & des atomes ; il faut encore un moyen d'union.

La monade est l'essence du nombre, & le nombre un accident de la monade.

La matiere est dans un flux perpétuel, & ce qui est un corps aujourd'hui, ne l'est pas demain.

Puisque la substance est impérissable, on ne meurt point ; on passe, on circule, ainsi que Pythagore l'a conçu.

Le composé n'est point, à parler exactement, la substance.

L'ame est un point autour duquel les atomes s'assemblent dans la naissance, s'accumulent pendant un certain tems de la vie, & se séparent ensuite jusqu'à la mort, où l'atome central devient libre.

Le passage de l'ame dans un autre corps n'est point fortuit ; elle y est prédisposée par son état précédent. Ce qui n'est pas un n'est rien.

La monade réunit toutes les qualités possibles ; il y a pair & impair, fini & infini, étendue & non étendue, témoin Dieu.

Le mouvement le plus grand possible, le mouvement retardé, & le repos, ne sont qu'un. Tout se transfere ou tend au transport.

De l'idée de la monade on passe à l'idée du fini ; de l'idée du fini à celle de l'infini, & l'on descend par les mêmes degrés.

Toute la durée n'est qu'un instant infini.

La résolution du contenu en ses parties est la source d'une infinité d'erreurs.

La terre n'est pas plus au milieu du tout qu'aucun autre point de l'univers. Si l'espace est infini, le centre est par-tout & nulle part, de même que l'atome est tout & n'est rien.

Le minimum est indéfini. Il ne faut pas confondre le minimum de la nature & celui de l'art ; le minimum de la nature & le minimum sensible.

Il n'y a ni bonté ni méchanceté, ni beauté ni laideur, ni peine ni plaisir absolus.

Il y a bien de la différence entre une qualité quelconque comparée à nous, & la même qualité considérée dans le tout : de-là les notions vraies & fausses du bien & du mal, du nuisible & de l'utile.

Il n'y a rien de vrai ni de faux pour ceux qui ne s'élevent point au-delà du sensible.

La mesure des sensibles est variable.

Il est impossible que tout soit le même dans deux individus différens, & dans un même individu dans deux instans. Comptez les causes, mais sur-tout ayez égard à l'influ & à l'influence.

Il n'y a de plein absolu que dans la solidité de l'atome, & de vuide absolu que dans l'intervalle des atomes qui se touchent.

La nature de l'ame est atomique ; c'est l'énergie de notre corps, dans notre durée & dans notre espace.

Pourquoi l'ame ne conserveroit-elle pas quelqu'affinité avec les parties qu'elle a animées ? Suivez cette idée, & vous vous reconcilierez avec une infinité d'effets que vous jugez impossibles pendant son union avec le corps & après qu'elle en est séparée.

L'atome ne se corrompt point, ne naît point, ne meurt point.

Il n'y a rien de si petit dans le tout qui ne tende à diminuer ou à s'accroître ; rien de bien qui ne tende à empirer ou à se perfectionner ; mais c'est relativement à un point de la matiere, de l'espace & du tems. Dans le tout il n'y a ni petit ni grand, ni bien ni mal.

Le tout est le mieux qu'il est possible ; c'est une conséquence de l'harmonie nécessaire & de l'existence & des propriétés.

Si l'on réfléchit attentivement sur ces propositions, on y trouvera le germe de la raison suffisante, du systême des monades, de l'optimisme, de l'harmonie préétablie, en un mot, de toute la philosophie léibnitienne.

A comparer le philosophe de Nole & celui de Leipsick, l'un me semble un fou qui jette son argent dans la rue, & l'autre un sage qui le suit & qui le ramasse. Il ne faut pas oublier que Jordan-Brun a séjourné & professé la Philosophie en Allemagne.

Si l'on rassemble ce qu'il a répandu dans ses ouvrages sur la nature de Dieu, il restera peu de chose à Spinosa qui lui appartienne en propre.

Selon Jordan Brun, l'essence divine est infinie. La volonté de Dieu, c'est la nécessité même. La nécessité & la liberté ne sont qu'un. Suivre en agissant la nécessité de la nature, non-seulement c'est être libre, mais ce seroit cesser de l'être que d'agir autrement. Il est mieux d'être que de ne pas être, d'agir que de ne pas faire : le monde est donc éternel ; il est un ; il n'y a qu'une substance ; il n'y a qu'un agent ; la nature, c'est Dieu.

Notre philosophe croyoit la quadrature du cercle impossible, & la transmutation des métaux possible.

Il avoit imaginé que les cometes étoient des corps qui se mouvoient dans l'espace, comme la terre & les autres planetes.

A dire ce que je pense de cet homme, il y auroit peu de philosophes qu'on pût lui comparer, si l'impétuosité de son imagination lui avoit permis d'ordonner ses idées, & de les ranger dans un ordre systêmatique ; mais il étoit né Poëte.

Voici les titres de ses ouvrages. 1. La cene de la cineri. 2. De umbris idearum. 3. Ars memoriae. 4. Il candelago, comedia. 5. Cantus circaeus ad memoriae praxin ordinatus. 6. De la causa, principio, ed uno. 7. De l'infinito, universo e mondi. 8. Spaccio del la bestia triomfante. 9. Cabala del cavallo pegaseo con l'aggiunte dell'asino cillenico. 10. De gli heroïci furori. 11. De progressu & lampade venatoriâ logicorum. 12. Acratismus, sive rationes articulorum Physicorum adversus Aristotelicos. 13. Oratio valedictoria ad professores & auditores in academia Witebergensi. 14. De specierum scrutinio & lampade combinatoriâ Raimondi Lulli. 15. Oratio consolatoria habita in academia Julia in fine exequiarum principis Julii, ducis Brunsvicensium. 16. De triplici minimo & mensurâ. 17. De monade, numero & figurâ, consequens quinque de minimo, magno & mensurâ, item de innumerabilibus, immenso & infigurabili, seu de universo & mundis. 18. De imaginum, signorum & idearum compositione. 19. Summa terminorum Metaphysicorum ad capessendum Logicae & Metaphysicae studium. 20. Artificium perorandi.

Il cite lui-même quelques autres ouvrages qu'on n'a point, comme le Sigillum sigillorum, & les livres de imaginibus, de principiis rerum, de sphaera, de Physicâ, magiâ, &c.

Ses juges firent tout ce qu'il étoit possible pour le sauver. On n'exigeoit de lui qu'une rétractation ; mais on ne parvint jamais à vaincre l'opiniâtreté de cette ame aigrie par le malheur & la persécution, & il fallut enfin le livrer à son mauvais sort. Je suis indigné de la maniere indécente dont Scioppius s'est exprimé sur un évenement qui ne devoit exciter que la terreur ou la pitié. Sicque ustulatus miserè periit, dit cet auteur, renuntiaturus, credo, in reliquis illis quos finxit mundis, quonam pacto homines blasphemi & impii à romanis tractari solent. Ce Scioppius avoit sans doute l'ame atroce ; & il étoit bien loin de deviner que cette idée des mondes, qu'il tourne en ridicule, illustreroit un jour deux grands hommes.


JORGIANE(Géog.) riviere d'Asie dans la Perse, qui donne son nom à une ville qu'elle arrose, & se décharge dans la mer Caspienne, à 86d de long. & à 38 de latit. La ville de son nom qu'elle baigne est dans la Corassane. Long. 85. latit. 37. (D.J.)


JOSAPHATLA VALLEE DE (Géog.) vallée de la Palestine, entre Jérusalem & la montagne des Oliviers. Ce mot de Josaphat signifie jugement de Dieu, & n'est autre chose qu'une expression symbolique dans le fameux passage de Joël, chap. iij. . 2. ainsi dans le même prophête, & dans le même chap. . 14. la vallée de Carnage, vallis concussionis, ne peut se prendre que métaphoriquement. (D.J.)


JOSEPH SAN(Géog.) isle de l'océan oriental, & l'une des isles Marianes. Voyez SAYPAN. (D.J.)


JOSUÉ(Théolog.) nom d'un des livres canoniques de l'ancien testament. C'est celui qui dans les bibles suit ordinairement le pentateuque ou les cinq livres de Moïse. Les Hébreux le nomment Jehosua. Il comprend l'histoire de l'entrée du peuple de Dieu, de ses premieres conquêtes, & de son établissement dans la terre promise sous la conduite de Josué, qui après Moïse fut le premier chef ou général des Hébreux.

La Synagogue & l'Eglise sont d'accord à attribuer ce livre à Josué, fils de Nun, ou, comme s'expriment les Grecs, fils de Navé, qui succéda à Moïse dans le gouvernement théocratique des Hébreux, & à le reconnoître pour canonique. On avoue cependant qu'il s'y rencontre certains termes, certains noms de lieux, & certaines circonstances d'histoire qui ne conviennent pas au tems de Josué, & qui font juger que le livre a été retouché depuis lui, & que les copistes y ont fait quelques additions & quelques corrections : mais il y a peu de livres de l'écriture où l'on ne remarque de pareilles choses.

Les Samaritains ont aussi un livre de Josué qu'ils conservent avec un grand respect, & sur lequel ils fondent leurs prétentions contre les Juifs. Mais cet ouvrage est fort différent de celui que les Juifs & les Chrétiens tiennent pour canonique. Il comprend quarante-sept chapitres remplis de fables, d'absurdités, de traits & de noms historiques, qui prouvent qu'il est postérieur à la ruine de Jérusalem par Adrien. Ce livre n'est point imprimé. Joseph Scaliger, à qui il appartenoit, le légua à la bibliotheque de Leyde, où il est encore à présent en caracteres samaritains, mais en langue arabe & traduit sur l'hébreu.

Les Juifs modernes attribuent encore à Josué une priere rapportée par Fabricius, apocryph. tom. V. qu'ils récitent ou toute entiere ou en partie en sortant de leurs synagogues. Ils le font aussi auteur de dix réglemens, qui devoient, selon eux, être observés dans la terre promise, & qu'on trouve dans Selden, de jure nat. & gent. lib. VI. ch. ij. Dom Calmet, diction. de la bibl.


JOTTEREAUX(Marine) Voyez JOUTEREAUX.


JOTTESou JOUES, s. f. (Marine) Ce sont les deux côtés de l'avant du vaisseau depuis les épaules jusqu'à l'étrave. (Z)


JOUAILLERIES. f. (Commerce) ce mot comprend toutes sortes de pierreries, montées ou non montées, brutes ou taillées, diamans, rubis, saphirs, grenats, émeraudes, turquoises, topases, amétistes, cornalines, agates, opales, cristal, ambre, corail, perles, & toutes sortes de bijoux d'or, d'argent ou autre matiere précieuse.


JOUAILLIERS. m. (Commerce) qui fait le commerce de jouaillerie. Les Jouailliers sont du corps des Orfevres. Les Merciers peuvent vendre les mêmes marchandises que les Jouailliers ; mais ceux-ci peuvent mettre en oeuvre, monter & fabriquer.


JOUBARBES. f. (Botan.) Sedum, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit composé de plusieurs capsules ou gaines qui forment une tête : ce fruit renferme des semences qui sont pour l'ordinaire très-petites. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Ce genre de plante est considérable par ses especes ; M. de Tournefort en compte 37, au nombre desquelles il y en a trois qui sont d'usage ordinaire médicinal ; savoir, la grande joubarbe, sedum majus vulgare ; la petite joubarbe, sedum minus teretifolium album, & la vermiculaire âcre, sedum parvum, acre, flore luteo.

La racine de la grande joubarbe est petite & fibreuse ; elle pousse plusieurs feuilles oblongues, grosses, grasses, pointues, charnues, pleines de suc, attachées contre terre à leur pédicule, toujours vertes, rangées circulairement, & comme disposées en rose, convexes en dehors, applaties en dedans, tant soit peu velues dans leurs bords. Il s'éleve de leur milieu une tige à la hauteur d'un pié ou davantage, droite, assez grosse, rougeâtre, moëlleuse, revêtue de feuilles semblables à celles du bas, mais plus étroites, plus pointues, & qui la rendent comme écailleuse. Cette tige se divise vers la cime en quelques rameaux réfléchis qui portent une suite de fleurs à cinq pétales, disposées en roses ou en étoiles, de couleur purpurine, avec dix étamines à sommets arrondis. Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits composés de plusieurs siliques ou vaisseaux séminaux, creux, en urnes, & contenant des semences fort menues.

La petite joubarbe que le vulgaire appelle trique-madame, ou tripe-madame, differe peu de la grande joubarbe. Sa racine est semblable ; ses tiges sont longues d'environ six pouces, dures, ligneuses, rougeâtres, portant des feuilles épaisses, succulentes, rondes, émoussées par la pointe, & rangées alternativement. Aux sommités des tiges naissent des ombelles de fleurs blanches, à cinq pétales disposées en rose, avec plusieurs étamines à sommets purpurins. Ces fleurs font place à de petites siliques en cornes, pleines de graines fort ténues.

L'une & l'autre joubarbe croissent sur les vieux murs, les toîts des maisons ou chaumieres, fleurissent en été, & se sechent en automne après la maturité de leurs semences. Ces deux plantes paroissent contenir un sel approchant de l'alun, mêlé d'un peu de sel ammoniacal, de soufre, & de beaucoup de phlegme. On les estime rafraîchissantes, détersives, & astringentes. L'extrait fait de leur suc, exprimé, dépuré, filtré, & doucement évaporé au bain-marie se réduit en consistance de gomme tendre, ambrée, d'un goût acide, & stiptique. V. JOUB. Mat. med.

La vermiculaire âcre ou brûlante que le peuple nomme pain d'oiseau, ou poivre de muraille, est une espece de joubarbe qui mérite nos regards par son goût piquant, chaud & brûlant ; outre que son suc excite le vomissement, ce qui fait soupçonner que cette plante renferme un sel corrosif, semblable à l'esprit de nitre, mais adouci par beaucoup de phlegme & de soufre. Ses tiges sont couvertes de feuilles charnues, grasses, pointues, triangulaires, remplies de suc ; au sommet des tiges naissent des fleurs jaunes, étoilées, pentapétales, avec plusieurs étamines, à sommets de même couleur dans le milieu. Les fruits qui succedent aux fleurs sont composés de gaines pleines de très-petites semences.

La vermiculaire acre vient par tout dans les lieux pierreux & arides, suspendue par ses racines, ou couchée sur de vieilles murailles, & les toîts des maisons basses. Il en est de même des autres especes de joubarbe ; & peut-être que le nom latin sedum des Botanistes vient de sedere être assis, parce qu'elle est comme assise dans les lieux où elle croît ; mais il importe davantage d'observer à cause de l'homonymie, que le nom sedum est encore commun à différentes sortes de saxifrages & de cotylédons. (D.J.)

JOUBARBE, (Mat. med.) La grande joubarbe & la petite joubarbe ou trique-madame, sont mises au rang des médicamens, à titre de rafraîchissantes, tempérantes, incrassantes, & légerement répercussives.

C'est le suc & l'infusion des feuilles de ces plantes qui sont principalement recommandés pour l'usage intérieur, & principalement dans les fievres continues, ardentes, & dans les fievres intermittentes qui participent du même caractere, c'est-à-dire, dont les accès sont marqués par une chaleur excessive qui n'est précédée d'aucun froid. Ces remedes sont vantés aussi pour les affections inflammatoires de l'estomac & des intestins ; on les croit utiles dans les dissenteries, d'après les succès observés chez certains peuples d'Afrique où ces remedes sont fort usités dans ce dernier cas. On attribue les mêmes vertus à l'eau distillée de cette plante. Nous pouvons positivement assurer que cette eau distillée ne possede aucune vertu : quant au suc & à l'infusion, ce que les auteurs, Boerhaave entr'autres, en publient, peut être très-réel ; mais ces remedes n'en sont pas moins presqu'absolument inusités parmi nous.

Leur usage extérieur est un peu plus fréquent ; on en fait avec le beurre frais des onguens pour les hémorrhoïdes & pour les brûlures.

L'eau distillée de ces plantes, & leur suc mêlé avec une certaine quantité d'esprit de vin, sont comptés parmi les cosmetiques.

Les feuilles de grande joubarbe entrent dans la composition de l'onguent mondificatif d'ache, & dans l'onguent populeum ; les racines, les feuilles & le suc de trique-madame entrent dans l'emplâtre diabotanum, & ses feuilles dans l'onguent populeum.


JOUDARDE(Histoire nat.) Voyez POULE D'EAU.


JOUEsubst. fém. (Anat.) la partie du visage qui s'étend des deux côtés du nez jusqu'aux oreilles, & depuis les tempes jusqu'au menton.

Ce terme a passé dans les arts, & l'on dit de plusieurs parties de machines étendues & placées sur les côtés simétriquement l'une à l'autre, que ce sont les joues de la machine, exemple. Les joues du peson, ce sont de petites plaques placées de part & d'autre sur les broches du peson.

JOUES dans l'artillerie, sont les deux côtés de l'épaulement d'une batterie, coupés selon son épaisseur pour pratiquer l'embrasure. Voyez BATTERIE.


JOUÉES. f. terme d'Architecture, c'est dans l'ouverture d'une porte & d'une croisée, l'épaisseur du mur qui comprend le tableau, la feuillure & l'ébrasure : on appelle aussi jouée ou jeu, la facilité de toute fermeture mobile dans sa baie, comme porte & fenêtre.

Jouée de lucarne, ce sont les côtés d'une lucarne, dont les panneaux sont remplis de plâtre.


JOUER(Gramm.) il se dit de toutes les occupations frivoles auxquelles on s'amuse ou l'on se délasse, mais qui entraînent quelquefois aussi la perte de la fortune & de l'honneur.

Les hommes ont inventé une infinité de jeux qui tous marquent beaucoup de sagacité. Voyez JEU.

Le verbe jouer se prend en une infinité de sens différens. On se joue de son travail ; on se joue de la vertu ; on joue l'innocence ; on joue la comédie ; on joue d'un instrument ; on joue un mauvais rôle.

On joue beaucoup aujourd'hui dans le monde ; il n'est pas inutile de savoir jouer, ne fut-ce que pour amuser les autres ; & il est bon de savoir bien jouer si l'on ne veut pas être dupe.

* JOUER, (Gram. Mathémat. pures) c'est risquer de perdre ou de gagner une somme d'argent, ou quelque chose qu'on peut rapporter à cette commune mesure, sur un évenement dépendant de l'industrie ou du hasard.

D'où l'on voit qu'il y a deux sortes de jeux ; des jeux d'adresse & des jeux de hasard. On appelle jeux d'adresse ceux où l'évenement heureux est amené par l'intelligence, l'expérience, l'exercice, la pénétration, en un mot quelques qualités acquises ou naturelles, de corps ou d'esprit, de celui qui joue. On appelle jeux de hasard, ceux où l'évenement paroît ne dépendre en aucune maniere des qualités du joueur. Quelquefois d'un jeu d'adresse l'ignorance de deux joueurs en fait un jeu de hasard ; & quelquefois aussi d'un jeu de hasard, la subtilité d'un des joueurs en fait un jeu d'adresse.

Il y a des contrées où les jeux publics, de quelque nature qu'ils soient, sont défendus, & où on peut se faire restituer par l'autorité des lois l'argent qu'on a perdu.

A la Chine, le jeu est défendu également aux grands & aux petits ; ce qui n'empêche point les habitans de cette contrée de jouer, & même de perdre leurs terres, leurs maisons, leurs biens, & de mettre leurs femmes & leurs enfans sur une carte.

Il n'y a point de jeu d'adresse où il n'entre un peu de hasard. Un des joueurs a la tête plus saine & plus libre ce jour-là que son adversaire ; il se possede davantage, & gagne, par cette seule supériorité accidentelle, celui contre lequel il auroit perdu en tout autre tems. A la fin d'une partie d'échecs ou de dames polonoises, qui a duré un grand nombre de coups entre des joueurs qui sont à-peu-près d'égale force, le gain ou la perte dépend quelquefois d'une disposition qu'aucun des deux n'a prévue & ne s'est proposée.

Entre deux joueurs dont l'un ne risque qu'un argent qu'il peut perdre sans s'incommoder, & l'autre un argent dont il ne sçauroit manquer sans être privé des besoins essentiels de la vie, à proprement parler, le jeu n'est pas égal.

Une conséquence naturelle de ce principe, c'est qu'il n'est pas permis à un souverain de jouer un jeu ruineux contre un de ses sujets. Quel que soit l'évenement, il n'est rien pour l'un ; il précipite l'autre dans la misere.

On a demandé pourquoi les dettes contractées au jeu se payoient si rigoureusement dans le monde, où l'on ne se fait pas un scrupule de négliger des créances beaucoup plus sacrées. On peut répondre, c'est qu'au jeu on a compté sur la parole d'un homme, dans un cas où l'on ne pouvoit employer les lois contre lui. On lui a donné une marque de confiance à laquelle il faut qu'il réponde. Au lieu que dans les autres circonstances où il a pris des engagemens, on le force par l'autorité des tribunaux à y satisfaire.

Les jeux de hasard sont soumis à une analyse qui est tout à fait du ressort des Mathématiques. Ou la probabilité de l'évenement est égale entre les joueurs ; ou si elle est inégale, elle peut toujours se compenser par l'inégalité des mises ou enjeux. On peut à chaque instant demander quelle est la prétention d'un joueur ; & comme sa prétention à la somme des mises est en raison des coups qu'il a pour lui, le calcul déterminera toujours, ou rigoureusement, ou par approximation, quelle seroit la partie de cette somme qui lui reviendroit, si le jeu ne s'instituoit pas, ou si le jeu étant une fois institué, on vouloit l'interrompre.

Plusieurs Auteurs se sont exercés sur l'analyse des jeux ; on en a un traité élémentaire de Huygens ; on en a un plus profond de Moivre ; on a des morceaux très-savans de Bernoulli sur cette matiere. Il y a une analyse des jeux de hasard par Montmaur, qui n'est pas sans mérite.

Voici les principes fondamentaux de cette science. Soit p le nombre des cas où une chose arrive ; soit q le nombre des cas où elle n'arrive pas. Si la probabilité de l'évenement est égale dans chaque cas, l'apparence que la chose sera est à l'apparence qu'elle ne sera pas, comme p est à q.

Si deux joueurs A & B jouent à condition que si les cas p arrivent, A gagnera ; que ce sera B au contraire qui gagnera, si ce sont les cas q qui arrivent, & que la mise des deux joueurs soit a ; l'espérance de A sera <(pa)/(p+q)>, & l'espérance de B sera . Ainsi, si A & B vendent leurs espérances, ils en peuvent exiger l'un la valeur <(pa)/(p+q)>, l'autre la valeur <(qa)/(p+q)>.

S'il y a deux évenemens indépendans, & que p soit le nombre des cas où l'un de ces évenemens peut avoir lieu ; q le nombre des cas où le même évenement peut ne pas arriver ; r le nombre des cas où le second évenement peut avoir lieu ; s le nombre des cas où le second évenement peut ne pas arriver ; multipliez p + q par r + s ; le produit p r + q r + p s + q s sera le nombre de tous les cas possibles de la chose, ou la somme des évenemens pour & contre.

Donc si A gage contre B que l'un & l'autre évenemens auront lieu, le rapport des hasards sera comme p r à q r + p s + q s.

S'il gage que le premier évenement aura lieu & que le second n'aura pas lieu, le rapport des chances ou hasards sera comme p s à p r + q r + q s. Et s'il y a trois ou un plus grand nombre d'évenemens, la raison des chances ou hasards se trouvera toujours par la multiplication.

Si tous les évenemens ont un nombre donné de cas où ils peuvent arriver, & un nombre donné de cas où ils peuvent ne pas arriver ; & que a soit le nombre des cas où ils peuvent arriver ; b le nombre des cas où ils peuvent ne pas arriver ; & n le nombre de tous les cas : élevez à la puissance n.

Maintenant si A & B conviennent que si un de ces évenemens indépendans, ou un plus grand nombre de ces évenemens a lieu, A gagnera ; & que si aucun de ces évenemens n'a lieu, le gagnant sera B : la raison ou le rapport des hasards qu'ils courent, ou celui de leurs chances relatives, sera comme - bn à bn : car bn est le seul terme où a ne se trouve point.

Si A & B jouent avec un seul dé, à la condition que si A amene deux fois ou plus de deux fois As, en huit coups, il gagnera ; & qu'en toute autre supposition ou cas, il perdra. On demande le rapport de leurs chances ou hasards.

Puisqu'il n'y a qu'un cas à chaque coup pour amener un As, & cinq cas pour ne le pas amener ; soit a = 1 & b = 5 ; d'ailleurs puisqu'il y a huit coups à jouer, soit n = 8. On aura donc - bn - n a bn - 1, pour la chance d'un des joueurs, & bn + n a bn - 1 pour la chance de l'autre ; ou l'espérance de A à l'espérance de B comme 663991 à 1015625 ; ou à peu près comme 2 à 3.

A & B sont engagés au jeu de palets ; il ne manque à A que quatre coups pour avoir gagné ; il en manque six à B ; mais à chaque coup l'adresse de B est à l'adresse de A comme 3 est à 2. On demande le rapport de leurs chances, hasards ou espérances. Puisqu'il ne manque à A que quatre coups, & qu'il n'en manque à B que six, le jeu sera fini dans neuf coups au plus. Ainsi élevez a + b à la neuvieme puissance, & vous aurez a9 + 9 a8 b + 36 a7 bb + 84 a6 b3 + 126 a5 b4 + 126 a4 b5 + 84 a3 b6 + 36 a2 b7 + 9 a b8 + b9 ; & prenez pour A tous les termes où a a quatre ou un plus grand nombre de dimensions ; & pour B tous ceux où b en a six ou davantage ; & tout le rapport de leurs hasards, comme a9 + a8 b + 36 a7 bb + 84 a6 b3 + 126 a5 b4 + 126 a4 b5 est à 84 a3 b6 + 36 a2 b7 + 9 a b8 + b9 ; & soit a = 3 & b = 2 ; & vous aurez en nombre les espérances des joueurs, comme 1759077 à 194048.

A & B jouent au palet ; mais A est le plus fort, ensorte qu'il peut faire à B l'avantage de deux coups sur trois. On demande le rapport de leurs chances dans un seul coup. Supposons que ce rapport soit comme z à 1, élevez z + 1 à la troisieme puissance, & vous aurez z3 + 3 z2 + 3 z + 1. Maintenant A pouvant faire à B l'avantage de deux coups sur trois, A se propose de gagner trois coups de suite, & conséquemment à cette condition sa chance sera comme z3 à 3 z z + 3 z + 1, & z3 = 3 z z + 1. Ou 2 z3 = z3 + 3 z z + 3 z + 1. Et z = z + 1 & z = 1/(-1) : donc les chances sont comme 1/(-1) à 1..

Trouver en combien de coups il est probable qu'un évenement quelconque aura lieu ; ensorte que A & B puissent gager pour ou contre à jeu égal. Soit le nombre des cas où la chose peut arriver du premier coup = a ; soit le nombre des cas où la chose peut ne pas arriver du premier coup = b ; & x le nombre des coups à jouer, tel que l'apparence que la chose arrivera soit égale à l'apparence qu'elle n'arrivera pas. Par ce qu'on a dit plus haut, x - bx = bx ou x = 2bx. Ainsi x = (log. 2.)/(log. a + b log. - b). Et reprenant l'équation , & faisant a. b : : 1. q. on aura = 2. Elevez 1 + 1/q à la puissance x, par le théorême de Newton, & vous aurez 1 + x/q + x/1 x (x - 1)/(2 q q) + x /1 x (x - 1)/2 x (x - 2)/(3 q3), &c. = 2. Or dans cette équation, si q = 1 & x = 1, q étant infinie, x le sera aussi. Faisant donc x infinie, on aura 1 + x/q + (x x) /(2 q q) + x3/(6 q3), &c. = 2. Soit x/q = z, & l'on aura 1 + z + 1/2 z z + 1/6 z3, &c. = 2. Mais 1 + z + 1/2 z z + 1/6 z3, &c. est un nombre dont le logarithme hyperbolique est z. Donc z = log. 2. Mais le logarithme hyperbolique de 2 est à peu près 7 : donc z = 7 à peu près. Mais où q est 1, x est 1 ; & où q est infinie x = à peu près 7. Voilà donc les limites du rapport de x à q fixées. C'est d'abord un rapport d'égalité, qui dans la supposition de l'infini, devient celui de 7 à 10, ou à peu près.

Trouver en combien de coups A peut gager d'amener deux As avec deux dés. Puisqu'A n'a qu'un cas où il puisse amener deux As avec deux dés ; & trente-cinq où il peut ne les pas amener, q = 35 ; multipliez donc 35 par 7 ; le produit 24. 5 montre que le nombre de coups cherché est entre 24 & 25.

Trouver le nombre des cas dans lesquels un nombre quelconque donné de points peut être amené avec un nombre donné de dés. Soit p + 1 le nombre donné de points ; n le nombre de dés ; & f le nombre des faces de chaque dé : soit p - f = q, q - f = r, r - f = s, s - f = t, &c. le nombre cherché de coups sera

+ p /1 x (p - 1)/2 x (p - 2)/3, &c.

- q /1 x (q - 1)/2 x (q - 2)/3 &c. x n /1

+ r /1 x (r - 1)/2 x (r - 2)/3 &c. x n /1 x (n - 1)/2

- r /1 x (s - 1)/2 x (s - 2)/3 &c. x n /1 x (n - 1)/2 x (n - 2)/3.

Série qu'il faut continuer jusqu'à ce que quelques-uns des facteurs soit égal à o, ou négatif ; & remarquez qu'il faut prendre autant de facteurs des différens produits q /2 x (q - 1)/2 x (q - 2)/3 &c. r /1 x (r - 1)/2 x (r - 2)/3 &c. s /1 x (s - 1)/2 x (s - 2)/3 &c. qu'il y a d'unités dans n - 1.

Soit donc le nombre de cas cherché, celui où l'on peut amener seize points avec quatre dés.

+ 15/1 x 14/2 x 13/3 = + 455.

- 9/1 x 8/2 x 7/3 x 4 = - 336

+ 3/1 x 2/3 x 1/3 x 4/1 x 3/2 = + 6.

Or 455 - 336 + 6 = 125. Donc 125 est le nombre cherché.

Trouver en combien de coups A peut gager d'amener quinze points avec six dés. A ayant 1666 cas pour lui, & 44990 contre ; divisez 44990 par 1666, & le quotient 27 sera = q. Multipliez donc 27 par 7 ; le produit 18. 9 montrera que le nombre de coups est environ 19.

Trouver le nombre de coups dans lequel il y a à parier qu'une chose arrivera deux fois ; desorte que A & B risquent autant l'un que l'autre. Soit le nombre des cas où la chose peut arriver du premier coup = a ; & le nombre de ceux où elle peut ne pas arriver = b. Soit x le nombre de coups cherché. Il paroît par ce qui a été dit que x = 2 b x + 2 a x b x = 1. Et faisant a . b : : 1 . q ; = 2 (+2 x)/q. 1°. Soit q = 1, & partant x = 3. 2°. Soit q infinie, & par conséquent x aussi infinie. Soit x infinie, & x/q = z. Donc 1/ + z + 1/2 z2 + 1/2 z3 &c. = 2 + 2 z, & z = log. 2 + log. 1 + z. Soit log. 2 = y. L'équation se transformera dans l'équation différentielle suivante.

/(1 + z) = , & cherchant la valeur de z par les puissances de y, on aura z = 1. 678, ou à-peu-près. Ainsi la valeur de x sera toujours entre les limites de 3 q & de 1. 678 q. Mais x convergera bientôt à 1. 678 q ; c'est pourquoi, si le rapport de q à 1 n'est pas très-petit, nous ferons x = 1. 678 q. Ou si on soupçonne x d'être trop petite, on substituera sa valeur dans l'équation = 2 + (2 x)/q & l'on notera l'erreur si elle en vaut la peine ; x prendra ainsi un peu d'accroissement. Substituez la valeur accrûe de x dans l'équation susdite, & notez la nouvelle erreur. Par le moyen de ces deux erreurs, on peut corriger celle de x avec assez d'exactitude. Voici une table des limites qui conduiront assez vîte au but qu'on se propose dans ce problême. Si l'on parie seulement que la chose arrivera une fois, le nombre sera entre

1 q & 0. 693 q

si deux fois ; entre 3 q & 1. 678 q

si trois fois ; entre 5 q & 2. 675 q

si quatre fois ; entre 7 q & 3. 671 q

si cinq fois ; entre 9 q & 4. 673 q

si six fois ; entre 11 q & 3. 668 q.

Trouver en combien de coups on peut se proposer d'amener trois As, deux fois, avec trois dés. Puisqu'il n'y a qu'un cas où l'on puisse amener trois as, & 215 où l'on ne les amene pas, q = 215 ; multipliez donc 215 par 1. 678 : le produit 360. 7 montrera que le nombre de coups est entre 360 & 361.

A & B mettent sur table chacun douze pieces d'argent ; ils jouent avec trois dés, à cette condition qu'à chaque fois qu'il viendra onze points, A donnera une piece à B, & qu'à chaque fois qu'il viendra quatorze points B donnera une piece à A ; ensorte que celui qui aura le premier toutes les pieces en sa possession les regardera comme gagnées par lui. On demande le rapport de la chance de A à la chance de B. Soit le nombre de pieces que chaque joueur dépose = p. a & b le nombre des cas où A & B peuvent chacun gagner une piece. Le rapport de leurs chances sera donc comme a p à b p. ici p = 12, a = 27, b = 15. Or si 27 étant à 15 comme 9 à 5, vous faites a = 9 & b = 5 ; le rapport des chances ou des espérances sera comme 912 à 512, ou comme 244140625 à 282429536481.

Une attention qu'il faut avoir, c'est de n'être pas trompé par la ressemblance des conditions, & de ne pas confondre les problêmes entr'eux. Il seroit aisé de croire que le suivant ne differe en rien de celui qui précede. C a vingt quatre pieces, & trois dés ; à chaque fois qu'il amene 27 points, il donne une piece à A, & à chaque fois qu'il amene 14, il en donne une à B ; & A & B conviennent que celui des deux qui aura le premier douze pieces, gagnera la mise. On demande le rapport des chances de A & de B. Ce second problême a ceci de propre qu'il faut que le jeu finisse en vingt-trois coups ; au lieu que le jeu peut durer éternellement dans le premier, les pertes & les gains se détruisant alternativement ; élevez à la 23e puissance, & les douze premiers termes seront aux douze derniers, comme la chance de A à celle de B.

Trois joueurs A, B & C ont chacun douze balles ; quatre blanches & huit noires, & les yeux bandés, ils jouent à condition que le premier qui tirera une balle blanche gagnera la mise ; mais A doit tirer le premier, B le second, C le troisieme, & ainsi de suite, dans cet ordre. On demande le rapport de leurs chances. Soit n le nombre des balles ; a le nombre des blanches ; b le nombre des noires, & l'enjeu = 1.

1°. A a pour amener une balle blanche les cas a ; & les cas b pour en amener une noire ; donc sa chance en commençant est a/(a + b) = a/n. Soustrayant a/n de 1 ; la valeur des chances restantes sera 1 - a/n = (n - a)/n = b/n.

2°. B a pour amener une balle blanche les cas a ; & les cas b - 1 pour en amener une noire ; mais c'est à A à commencer de jouer, & il est incertain s'il gagnera ou ne gagnera pas l'enjeu ; ainsi l'enjeu relativement à B n'est pas 1, mais seulement b/n ; ainsi donc sa chance, en qualité de second joueur est a/(a + b - 1) x b/n = (a b)/(n x n - 1). Soustrayez (a b)/(n x n - 1) de b/n, & la valeur du reste des chances sera (n b - b - a b)/(n x - 1) = (b x )/(n x n - 1).

3°. C a pour amener une balle blanche les cas a ; & les cas b - 2 pour en amener une noire ; ainsi sa chance en qualité de troisieme joueur, est

4°. En raisonnant de la même maniere, A a pour amener une balle blanche les cas a, & pour en amener une noire les cas b - 3 ; ainsi comme jouant un quatrieme coup, après les trois premiers coups joués, sa chance sera ; & ainsi de suite pour les autres joueurs.

Ecrivez donc la série a/n + b/(n - 1) P + (b - 1)/(n - 2) Q + (b - 2)/(n - 3) R + (b - 3)/(n - 4) S, où les quantités P, Q, R, S dénotent les termes ou quantités précédentes, avec leurs caracteres. Prenez autant de termes de la série qu'il y a d'unités dans b + 1 ; car il ne peut pas y avoir plus de tours au jeu qu'il y a d'unités dans b + 1 ; & la somme de tous les troisiemes termes, sautant les deux termes intermédiaires, en commençant par a/n, sera toute la chance de A ; pareillement la somme de tous les troisiemes termes, en commençant par b/(n - 1) P, sera toute la chance de B, & tous les troisiemes termes en commençant par (b - 1)/(n - 2) Q, sera la chance de C.

En faisant a = 4, b = 8, n = 12 ; la série générale se transformera dans la suivante 1/12 + 8/11 P + 7/10 Q + 6/9 R + 5 5/8 S + 4/7 T, + 3/6 V + 2/5 X + 3/4 Y. Ou dans cette autre, en multipliant tous les termes par quelque nombre propre à ôter les fractions, comme ici par 495, 165 + 120 + 84 + 56 + 35 + 20 + 10 + 4 + 1.

Donc la chance de A sera 165 + 56 + 10 = 231,

la chance de B sera 120 + 35 + 4 = 159,

la chance de C sera 84 + 20 + 1 = 105.

Ainsi les chances de ces joueurs A, B, C seront dans le rapport des nombres 231, 159, 105 ou 77, 53, 35.

A & B ont douze jettons, quatre blancs & huit noirs ; A parie contre B qu'en en prenant sept les yeux fermés, il y en aura trois blancs. Quel est le rapport de leurs chances ?

1°. Cherchez combien de fois on peut prendre diversement sept jettons dans douze ; & par le calcul des combinaisons vous trouverez 792.

12/1 x 11/2 x 10/3 x 9/4 x 8/5 x 7/6 x 6/7 = 792.

2°. Séparez trois jettons blancs, & cherchez toutes les manieres dont quatre des huit noirs peuvent se combiner avec eux ; vous en trouverez 70.

8/1 x 7/2 x 6/3 x 5/4 = 70.

Et puisqu'il y a là quatre cas où trois jettons peuvent être tirés de quatre, multipliez 70 par 4 ; & vous trouverez 280 pour les cas où trois blancs peuvent venir avec quatre noirs.

3°. Par la loi générale des jeux, celui-là est le gagnant qui amene le plutôt l'évenement convenu ; à moins que la condition contraire n'ait été formellement exprimée. Ainsi donc si A tire quatre jettons blancs avec trois noirs, il a gagné. Séparez quatre jettons blancs, & cherchez toutes les manieres dont trois noirs de huit peuvent se combiner avec quatre blancs, & vous trouverez 56.

8/1 x 7/2 x 6/3 = 56.

Ainsi il y a 280 + 56 cas = 336 qui font gagner A ; ce qui ôté du nombre de tous les cas 792, il en reste 456 qui le font perdre. Ainsi le rapport de la chance de A à la chance de B, est comme 336 à 456, ou 14 à 19.

Dans les problèmes suivans, pour éviter la prolixité, nous ne donnerons point l'analyse, mais seulement son résultat. Cela suffira pour faire présumer les avantages & les desavantages dans les jeux, gageures, hasards de la même nature. Un bon esprit fera de lui-même ces sortes d'estimation approchée, dont on peut se contenter dans presque toutes les circonstances de la vie où elles sont de quelqu'importance.

A & B jouent avec deux dés, à condition que si A amene six, il aura gagné, & B s'il amene sept. A jouera le premier ; mais pour compenser ce desavantage, B jouera deux coups de suite ; & cela jusqu'à ce que l'un ou l'autre ait amené le nombre qui finit la partie. Si l'on cherche le rapport de la chance de A à la chance de B, on le trouvera de 10355 à 12276.

Si un nombre de joueurs A, B, C, D, E, &c. tous d'égale force, déposent chacun une piece, & jouent à condition que deux d'entr'eux A & B commençant à jouer, celui des deux qui perdra cédera la place au joueur C ; celui des deux qui perdra cédera la place au joueur D, jusqu'à ce qu'un de ces joueurs vainqueur de tous les autres, tire les enjeux ou la mise. On demande le rapport des chances de tous ces joueurs. Selon la solution de M. Bernoulli, le nombre des joueurs étant n + 1, les chances des deux joueurs qui se suivent l'un l'autre, sont comme 1 + 2n à 2n, & partant les chances de tous les joueurs A, B, C, D, E, &c. selon la proportion géométrique 1 + 2n : 2n : : A. c : : c. d : : d. e, &c. Cela posé, il n'est pas difficile de déterminer les chances de deux joueurs quelconques, ou avant que de commencer, ou quand le jeu est engagé.

Par exemple, sont trois joueurs A, B, C ; alors n = 2, & 1 = 2n : 2n : : 5. 4 : : a. c. c'est-à-dire que leurs chances ou espérances de gagner avant que A ait gagné B, ou B, C, sont comme 5, 5, 4, ou sont 5/14, 5/14, 4/14 ; car toutes ensemble doivent faire 1. Lorsque A aura gagné B, les chances seront comme 1/7, 2/7, 4/7 = 1.

S'il y a quatre joueurs A, B, C, D, leurs chances ou attentes seront en commençant comme 81, 81, 72, 64, & lorsque A a gagné B, les chances ou attentes de B, D, C, A, comme 25, 32, 36, 56 ; & lorsque A a gagné B & C, les chances ou attentes de C, D, B, A, comme 16, 18, 28, 87.

A, B, C, trois joueurs d'égale force, mettent une piece, & jouent à condition que deux commenceront, & que celui qui perdra sortira, mais en sortant ajoutera une somme convenue à la mise totale ; & ainsi de suite de tous ceux qui sortiront, jusqu'à ce qu'il y en ait un qui batte les deux autres, & qui tire tout. On demande si la chance de A & de B est meilleure ou plus mauvaise que celle de C.

Si la somme que chaque joueur qui sort ajoûte à la masse, est à la premiere mise de chacun, comme de 7 à 6, les chances des trois joueurs sont égales. Si le rapport de la somme ajoûtée par le sortant à la masse, est à la premiere mise en moindre rapport que de 7 à 6, le sort de A & B vaut mieux que celui de C : si ce rapport est plus grand, le sort de C est le meilleur ; & lorsque A a gagné B une fois, les chances des joueurs sont comme les nombres 12/7, 6/7, 3/7, ou 4, 2, 1. Celle de A la plus avantageuse, & celle de B la moindre.

M. Bernoulli a généralisé la solution de ce problème, en l'étendant à un nombre de joueurs quelconque.

A & B deux joueurs d'égale force jouent avec un nombre donné de balles ; après quelque tems il en manque une à A pour avoir gagné, & trois à B ; on trouve que la chance de A vaut 7/8 de la mise totale, & celle de B 1/8.

Deux joueurs A & B d'égale force, jouent, à condition qu'autant de fois que A l'emportera sur B, B lui donnera une piece d'argent, & qu'autant de fois que B l'emportera sur A, A lui en donnera tout autant ; de plus qu'ils joueront jusqu'à ce que l'un des joueurs ait gagné tout l'argent de l'autre. Ils ont maintenant chacun quatre pieces ; deux spectateurs font une gageure sur le nombre de tours qu'ils ont encore à faire, avant que l'un des deux soit épuisé d'argent, & le jeu fini. R gage que le jeu finira en dix tours, & l'on demande la chance de S qui gage le contraire. On trouve la chance de S à celle de R comme 560 à 464.

Si chaque joueur avoit cinq pieces, & que la force de A fût double de celle de B, le rapport de la chance de celui qui parie que le jeu finira en dix tours, à celle de son adversaire, sera comme 3800 à 6561.

Si chaque joueur a quatre pieces, & qu'on demande quelle doit être la force des joueurs, pour qu'on puisse parier avec égal avantage ou desavantage, que le jeu finira en quatre coups, on trouve que la force de l'un doit être à la force de l'autre, comme 5. 274 à 1.

Si chaque joueur avoit quatre pieces, & qu'on demandât le rapport de leurs forces, pour que le pari que le jeu finira en six coups, fût égal pour & contre, on le trouvera comme celui de 2. 576 à 1.

Deux joueurs A & B d'égale force, sont convenus de ne pas quitter le jeu, qu'il n'y ait dix coups de joués. Un spectateur R gage contre un autre S, que quand la partie ne finira pas, ou avant qu'elle finisse, le joueur A aura trois coups d'avantage sur le joueur B, on demande le rapport des chances des gageurs R & S ; & on le trouve comme les nombres 352 à 672.

On voit par la solution compliquée de ces problèmes, que l'esprit du jeu n'est pas si méprisable qu'on croiroit bien ; il consiste à faire sur-le-champ des évaluations approchées d'avantages & de desavantages très-difficiles à discerner ; les joueurs exécutent en un clin d'oeil, & les cartes à la main, ce que le mathématicien le plus subtil a bien de la peine à découvrir dans son cabinet. J'entens dire que quelque affinité qu'il y ait entre les fonctions du géometre & celles du joueur, il est également rare de voir de bons géometres grands joueurs, & de grands joueurs bons géometres. Si cela est, cela ne viendroit-il pas de ce que les uns sont accoutumés à des solutions rigoureuses, & ne peuvent se contenter d'à-peu-près, & qu'au contraire les autres habitués à s'en tenir à des à-peu-près, ne peuvent s'assujettir à la précision géométrique.

Quoi qu'il en soit, la passion du jeu est une des plus funestes dont on puisse être possédé. L'homme est si violemment agité par le jeu, qu'il ne peut plus supporter aucune autre occupation. Après avoir perdu sa fortune, il est condamné à s'ennuyer le reste de sa vie.

JOUEUR, (Jurisp.) se jouer de son fief, signifie vendre une partie de son fief sans démission de foi. Voyez FIEF, DEMEMBREMENT, U DE FIEFFIEF.

Se jouer de ses qualités, c'est en changer selon l'occurrence. Un mineur peut se jouer de ses qualités, c'est-à-dire, que quoiqu'il se soit d'abord porté héritier, il peut ensuite se porter douairier ou donataire. (A)

JOUER, (Marine) on dit d'un vaisseau qu'il joue sur son ancre, quand il est agité par les vents, & en même tems arrêté par son ancre. Le gouvernail joue lorsqu'il est en mouvement.

JOUER avec son mors, (Maréch.) se dit d'un cheval qui mâche & secoue son mors dans sa bouche. Jouer de la queue, se dit d'un cheval qui remue souvent la queue comme un chien, sur tout lorsqu'on lui approche les jambes. Les chevaux qui aiment à ruer & à se défendre sont sujets à ce mouvement de queue qui désigne souvent leur mauvaise volonté.

JOUET d'une ancre, (Marine) Voyez JAS.

JOUETS, (Marine) ce sont des plaques de fer de diverse longueur, dont on se sert pour empêcher que la cheville de fer qui les traverse n'entre dans le bois où elles sont posées.

Jouets de sep de drisse, plaques de fer clouées aux côtés du sep de drisse pour empêcher que l'essieu des poulies n'entaille le sep.


JOUGS. m. (Hist. anc.) les Romains appelloient jugum un certain assemblage de trois piques ou javelines, dont deux étoient plantées en terre debout, surmontées d'une troisieme attachée en-travers au haut des deux autres ; elles formoient une espece de baie de porte, plus basse que la hauteur d'un homme ordinaire, afin d'obliger les vaincus qu'on y faisoit passer presque nuds l'un après l'autre, de se baisser ; ce qui marquoit l'entiere soumission, & cela s'appelloit mittere sub jugum.

Tous les autres peuples voisins de Rome avoient le même usage. C'étoit le comble du deshonneur dont se servoit le vainqueur, pour faire sentir le poids de sa victoire à ceux qui avoient succombé : les Romains ont rarement éprouvé cette honte, & l'ont assez souvent fait éprouver à leurs ennemis.

Cependant ils l'éprouverent dans la guerre contre les Samnites, lorsque le consul Spurius Posthumius pour sauver les troupes de la république enfermées par sa faute aux défilés des fourches Caudines, qu'on nomme aujourd'hui streta d'Arpaia, consentit de subir lui-même cette infamie avec toute son armée. Il est vrai que de retour à Rome, il opina dans le sénat, qu'on le renvoyât piés & poings liés, pour mettre à couvert la foi publique du traité honteux qu'il avoit conclu ; son avis fut suivi, mais les Samnites ne voulurent point recevoir le malheureux consul.

Denys d'Halicarnasse rapporte liv. III. que les pontifes à qui Tullus Hostilius avoit renvoyé le jugement d'Horace, accusé du meurtre de sa soeur, commencerent à purifier la ville par des sacrifices, & après plusieurs expiations ils firent passer Horace sous le joug : c'est une coutume, dit-il, parmi les Romains, d'en user ainsi envers les ennemis vaincus, après quoi on les renvoie chez eux. (D.J.)


JOUÏS. m. (Hist. nat.) liqueur que font les Japonois, qui est nourrissante & fortifiante ; elle se conserve pendant plusieurs années sans se gâter ; elle est liquide comme du bouillon ; sa couleur est noire, l'odeur & le goût qui est un peu salin en sont agréables. Il se fait avec de la viande de boeuf à moitié rôtie : on n'en sait pas davantage sur les autres ingrédiens qui entrent dans sa composition, parce que les Japonois en font mystere, & vendent ce jus très-cher aux Chinois & aux autres orientaux qui en font grand cas, & le regardent comme un grand restaurant.


JOUILLIERESS. f. pl. (Hydr.) Voyez BAJOYERS.


JOUISSANCES. f. (Gram. & Morale) jouir, c'est connoître, éprouver, sentir les avantages de posséder : on possede souvent sans jouir. A qui sont ces magnifiques palais ? qui est-ce qui a planté ces jardins immenses ? c'est le souverain : qui est-ce qui en jouit ? c'est moi.

Mais laissons ces palais magnifiques que le souverain a construits pour d'autres que lui, ces jardins enchanteurs où il ne se promene jamais, & arrêtons-nous à la volupté qui perpétue la chaîne des êtres vivans, & à laquelle on a consacré le mot de jouissance.

Entre les objets que la nature offre de toutes parts à nos desirs ; vous qui avez une ame, dites-moi, y en a-t-il un plus digne de notre poursuite, dont la possession & la jouissance puissent nous rendre aussi heureux, que celles de l'être qui pense & sent comme vous, qui a les mêmes idées, qui éprouve la même chaleur, les mêmes transports, qui porte ses bras tendres & délicats vers les vôtres, qui vous enlace, & dont les caresses seront suivies de l'existence d'un nouvel être qui sera semblable à l'un de vous, qui dans ses premiers mouvemens vous cherchera pour vous serrer, que vous éleverez à vos côtés, que vous aimerez ensemble, qui vous protégera dans votre vieillesse, qui vous respectera en tout tems, & dont la naissance heureuse a déja fortifié le lien qui vous unissoit ?

Les êtres brutes, insensibles, immobiles, privés de vie, qui nous environnent, peuvent servir à notre bonheur ; mais c'est sans le savoir, & sans le partager : & notre jouissance stérile & destructive qui les altere tous, n'en reproduit aucun.

S'il y avoit quelqu'homme pervers qui pût s'offenser de l'éloge que je fais de la plus auguste & la plus générale des passions, j'évoquerois devant lui la Nature, je la ferois parler, & elle lui diroit. Pourquoi rougis-tu d'entendre prononcer le nom d'une volupté, dont tu ne rougis pas d'éprouver l'attrait dans l'ombre de la nuit ? Ignores-tu quel est son but & ce que tu lui dois ? Crois-tu que ta mere eût exposé sa vie pour te la donner, si je n'avois pas attaché un charme inexprimable aux embrassemens de son époux ? Tais-toi, malheureux, & songe que c'est le plaisir qui t'a tiré du néant.

La propagation des êtres est le plus grand objet de la nature. Elle y sollicite impérieusement les deux sexes, aussi tôt qu'ils en ont reçu ce qu'elle leur destinoit de force & de beauté. Une inquiétude vague & mélancholique les avertit du moment ; leur état est mêlé de peine & de plaisir. C'est alors qu'ils écoutent leurs sens, & qu'ils portent une attention refléchie sur eux-mêmes. Un individu se présente-t-il à un individu de la même espece & d'un sexe différent, le sentiment de tout autre besoin est suspendu ; le coeur palpite ; les membres tréssaillent ; des images voluptueuses errent dans le cerveau ; des torrens d'esprits coulent dans les nerfs, les irritent, & vont se rendre au siége d'un nouveau sens qui se déclare & qui tourmente. La vûe se trouble, le délire naît ; la raison esclave de l'instinct se borne à le servir, & la nature est satisfaite.

C'est ainsi que les choses se passoient à la naissance du monde, & qu'elles se passent encore au fond de l'antre du sauvage adulte.

Mais lorsque la femme commença à discerner ; lorsqu'elle parut mettre de l'attention dans son choix, & qu'entre plusieurs hommes sur lesquels la passion promenoit ses regards, il y en eut un qui les arrêta, qui put se flatter d'être préféré, qui crut porter dans un coeur qu'il estimoit, l'estime qu'il faisoit de lui-même, & qui regarda le plaisir comme la récompense de quelque mérite. Lorsque les voiles que la pudeur jetta sur les charmes laisserent à l'imagination enflammée le pouvoir d'en disposer à son gré, les illusions les plus délicates concoururent avec le sens le plus exquis, pour exagérer le bonheur ; l'ame fut saisie d'un enthousiasme presque divin ; deux jeunes coeurs éperdus d'amour se vouerent l'un à l'autre pour jamais, & le ciel entendit les premiers sermens indiscrets.

Combien le jour n'eut-il pas d'instans heureux, avant celui où l'ame toute entiere chercha à s'élancer & à se perdre dans l'ame de l'objet aimé ! On eut des jouissances du moment où l'on espéra.

Cependant la confiance, le tems, la nature & la liberté des caresses, amenerent l'oubli de soi-même ; on jura, après avoir éprouvé la derniere ivresse, qu'il n'y en avoit aucune autre qu'on pût lui comparer ; & cela se trouva vrai toutes les fois qu'on y apporta des organes sensibles & jeunes, un coeur tendre & une ame innocente qui ne connût ni la méfiance, ni le remors.

JOUISSANCE, (Jurisprud.) est ordinairement synonyme de possession ; c'est pourquoi l'on dit communément possession & jouissance ; cependant l'on peut avoir la possession d'un bien sans en jouir. Ainsi la partie saisie possede jusqu'à l'adjudication, mais elle ne jouit plus depuis qu'il y a un bail judiciaire exécuté.

Jouissance se prend donc quelquefois pour la perception des fruits.

Rapporter les jouissances, c'est rapporter les fruits. Ceux qui rapportent des biens à une succession, sont obligés de rapporter aussi les jouissances du jour de l'ouverture de la succession ; le possesseur de mauvaise foi est tenu de rapporter toutes les jouissances qu'il a eues. Voyez FRUITS, POSSESSEURS, POSSESSION, RESTITUTION. (A)


JOURS. m. (Chronol. Astron. & Hist.) division du tems, fondée sur l'apparition & la disparition successive du soleil.

Il y a deux sortes de jour, l'artificiel & le naturel.

Le jour artificiel qui est le premier qu'il semble qu'on ait appellé simplement jour, est le tems de la lumiere, qui est déterminé par le lever & le coucher du soleil.

On le définit proprement le séjour du soleil sur l'horison, pour le distinguer du tems de l'obscurité, ou du séjour du soleil sous l'horison, qui est appellé nuit. Voyez NUIT.

Le jour naturel, appellé aussi jour civil, est l'espace de tems que le soleil met à faire une révolution autour de la terre, ou pour parler plus juste, c'est le tems que la terre emploie à faire une révolution autour de son axe ; les Grecs l'appellent plus proprement nicthemeron, comme qui diroit nuit & jour.

Il faut cependant observer que par ces mots de révolution de la terre autour de son axe, on ne doit pas entendre ici le tems qu'un point ou un méridien de la terre emploie à parcourir 360 degrés, mais le tems qui s'écoule depuis le passage du soleil à un méridien, & le passage suivant du soleil par ce même méridien ; car comme la terre avance sur son orbite d'occident en orient, en même tems qu'elle tourne sur son axe, le soleil repasse par le méridien un peu avant que la terre ait fait une révolution entiere autour de son axe. Pour en sentir la raison, il n'y a qu'à imaginer que le soleil se meuve d'orient en occident autour de la terre pendant l'espace d'un an, comme il paroît le faire, & qu'en même tems la terre tourne sur son axe d'orient en occident, il est facile de voir qu'un point de la terre qui se sera trouvé sous le soleil, s'y retrouvera de nouveau un peu avant que d'avoir fait un tour entier.

L'époque ou le commencement du jour civil, est le terme où le jour commence, & où finit le jour précédent. Il est de quelque conséquence de fixer ce terme ; & il est certain que pour distinguer les jours plus commodément, il faut se fixer à un moment où le soleil occupe quelque partie facile à distinguer dans le ciel ; par conséquent le moment le plus propre à fixer le commencement du jour, est celui dans lequel le soleil passe par l'horison ou par le méridien. Or, comme de ces deux instans, le plus facile à déterminer par observation, est celui du passage par le méridien, il semble qu'on doit préferer de faire commencer le jour naturel à minuit ou à midi ; en effet l'horison est souvent chargé de vapeurs ; d'ailleurs le lever ou le coucher du soleil sont sujets aux réfractions : ainsi il est difficile de les observer exactement. Car les réfractions élevant le soleil, font qu'il paroît sur l'horison, dans le tems qu'il est encore au dessous, & par conséquent elles augmentent la durée du jour artificiel ; on ne peut donc savoir exactement la durée du jour par cette méthode, sans connoître bien les réfractions, & sans pouvoir observer facilement le soleil à l'horison : deux choses qui sont souvent susceptibles d'erreur. Cependant comme le lever & le coucher du soleil sont d'un autre côté le commencement & la fin du jour artificiel ; ils paroissent aussi être propres par cette raison à marquer le commencement & la fin du jour naturel ou civil.

Ceux qui commencent le jour au lever du soleil, ont l'avantage de savoir combien il y a de tems que le soleil est levé ; ceux qui commencent le jour au coucher, savent combien il leur reste de tems jusqu'à la fin du jour ; ce qui peut être utile dans les voyages & les différens travaux : mais les uns & les autres sont obligés de calculer pour avoir l'heure du midi & celle de minuit.

Il n'est donc pas étonnant que les différens peuples commencent différemment leur jour, puisque les raisons sont à peu-près égales de part & d'autre.

Ainsi 1°. les anciens Babyloniens, les Perses, les Syriens, & plusieurs autres peuples de l'Orient, ceux qui habitent aujourd'hui les îles Baléares, & les Grecs modernes, &c. commencent leur jour au lever du soleil.

2°. Les anciens Athéniens & les Juifs, les Autrichiens, les Bohémiens, les Marcommans, les Silésiens, les nations modernes & les Chinois, &c. le commencent au coucher du soleil.

3°. Les anciens Umbriens & les anciens Arabes, aussi-bien que les Astronomes modernes le commencent à midi.

4°. Les Egyptiens & les Romains, les François modernes, les Anglois, les Hollandois, les Allemands, les Espagnols & les Portugais, &c. à minuit.

C'étoit aussi à minuit que les anciens Egyptiens commençoient le jour, & même le fameux Hipparque avoit introduit dans l'Astronomie cette maniere de compter, en quoi il a été suivi par Copernic & par plusieurs autres astronomes ; mais la plus grande partie des astronomes modernes a trouvé plus commode de commencer à midi.

Le jour se divise en heures, comme le mois & la semaine en jours. Voyez HEURE, MOIS, SEMAINE, &c.

Sur les différentes longueurs des jours dans les différens climats, voyez CLIMAT & GLOBE.

Les Astronomes ont été divisés entr'eux sur la question, si les jours naturels sont égaux tout le long de l'année, ou non. Un professeur de Mathématiques à Séville, prétend, dans un mémoire imprimé parmi ceux des Transactions philosophiques, qu'après des observations consécutives pendant trois années, il a trouvé tous les jours égaux. M. Flamsteed dans les mêmes Transactions, réfute cette opinion, & fait voir que quand le soleil est à l'équateur, le jour est plus court de quarante secondes, que quand il est aux tropiques ; & que quatorze jours tropiques sont plus longs que quatorze jours équinoctiaux de 1/6 d'heure, ou de 10 minutes. Cette inégalité des jours vient de deux différentes causes ; l'une est l'excentricité de l'orbite de la terre, l'autre est l'obliquité de l'écliptique. La combinaison de ces deux causes fait varier la longueur du jour ; & c'est sur cette inégalité qu'est fondée ce qu'on appelle équation du tems. Voyez EXCENTRICITE, ECLIPTIQUE & EQUATION DU TEMS. Wolf & Chambers. (O)

JOUR, (Hist. rom.) les Romains commençoient le jour à minuit ; ils partagerent l'espace d'un minuit à l'autre en plusieurs parties, auxquelles ils donnerent des noms pour les distinguer. Ils appellerent le minuit inclinatio ; le tems de la nuit où les coqs ont accoutumé de chanter, gallicinium ; le point du jour, diluculum ; le midi, meridies ; le coucher du soleil, suprema tempestas ; le soir, vespera ; la nuit, prima fax, parce que l'on allume des bougies, des lampes, des flambeaux, dès que la nuit commence ; & la durée de la nuit, concubium.

Par rapport aux jours dont chaque mois est composé, ils les diviserent en fastes, néfastes, jours de fêtes, jours ouvriers & féries. Les jours fastes étoient comme nous disons aujourd'hui les jours d'audience, les jours de palais. Les jours néfastes étoient ceux pendant lesquels le barreau étoit fermé. Les jours de fêtes, ceux où il n'étoit pas permis de travailler ; & tantôt c'étoit le jour entier, tantôt jusqu'à midi seulement ; & les féries qui souvent n'étoient point jours de fêtes. Voyez FASTE, NEFASTE, FERIES, &c.

Enfin pour ce qui regarde la vie privée des Romains pendant le cours de la journée. Voyez VIE PRIVEE des Romains. (D.J.)

JOUR civil des Romains, (Hist. rom.) le jour civil des Romains étoit divisé en plusieurs parties, auxquelles ils donnoient différens noms. La premiere partie étoit media nox, minuit : après cela venoient mediae noctis inclinatio, gallicinium, le chant du coq ; conticinium, qui étoit le tems le plus calme de la nuit ; diluculum, la pointe du jour ; & mane, le matin qui duroit jusqu'à midi. Après midi, étoit meridiei inclinatio, que nous appellons vulgairement la relevée ; solis occasus, le coucher du soleil ; après cela étoient suprema tempestas, vesper, crepusculum, concubium, le tems où l'on se couche, & nox intempestas qui duroit jusqu'à minuit. On divisoit aussi la nuit en quatre parties que les Romains appelloient veilles, excubiae ou vigiliae. Voyez NUIT.

Parmi ces jours, il y en avoit qu'on appelloit festi, & d'autres profesti ; ceux-là étoient consacrés aux dieux, soit pour faire des sacrifices, soit pour célebrer des jeux en leur honneur. Ces jours de fêtes s'appelloient feriae ; il y en avoit de publiques & de particulieres. Voyez FETES des Romains.

Les jours qu'on nommoit profesti, étoient ceux dans lesquels il étoit permis de vaquer aux affaires publiques & particulieres ; on les partageoit en jours fastes & néfastes ; les fastes étoient ceux où le préteur pouvoit prononcer ces trois mots, do, dico, addico, c'est-à-dire, les jours où il étoit permis de rendre la justice. Les jours néfastes étoient ceux où ils ne pouvoient l'exercer, comme dans les féries, & dans les tems de la vendange & de la moisson. Il y avoit aussi des jours appellés intercisi & endocisi, dans lesquels on pouvoit rendre la justice à certaines heures seulement. On les trouve marqués dans les fastes par ces lettres F P & N P, qui signifient fastus prior, & nefastus prior. Quelques uns confondent mal-à-propos les jours néfastes avec ces jours où l'on se faisoit un scrupule de travailler, à cause de quelque malheur arrivé à pareil jour, comme celui de la bataille d'Allia. Il est cependant vrai qu'on a donné le nom de néfastes à ces jours malheureux.

Les Romains avoient encore d'autres jours qui avoient différens noms, comme ceux qu'on appelloit comitiales, pendant lesquels on tenoit les comices, & les jours de marché appellés nundinae ou novendinae, parce qu'ils revenoient tous les neuf jours. Les habitans de la campagne venoient à la ville ces jours de marché, pour y porter des denrées, pour y recevoir des lois, & même pour y travailler à leurs procès, depuis la loi hortensia ; car jusques là ces jours avoient été néfastes.

Les jours qu'on nommoit proeliares, étoient ceux où il étoit permis de répeter son bien, & d'attaquer ses adversaires ; les jours qui leur étoient opposés, s'appelloient non proeliares : c'étoit, par exemple, les jours noirs & funestes, dies atri, qui arrivoient tous les lendemains des kalendes, des ides & des nones de chaque mois ; car le peuple s'imaginoit ridiculement qu'il y avoit quelque chose de funeste dans le mot post qui servoit à exprimer ce que nous appellons le lendemain. Ainsi tous les jours malheureux se nommoient chez les Romains, comme chez les Grecs, des jours noirs. Les jours heureux au contraire étoient appellés blancs chez ces deux peuples.

On ne pouvoit, dans ces jours malheureux, travailler publiquement à aucune affaire ; cependant on doit les distinguer des jours néfastes ; car les féries étoient des jours néfastes, & non des jours malheureux. Les jours appellés inominales, étoient tous les quatriemes jours avant les kalendes, les ides & les nones de chaque mois, & quelques féries.

On trouve dans le droit romain, des jours qu'on nomme comperendini, qui étoient ceux où l'on assignoit son adversaire à comparoître pour le surlendemain de la premiere audience ; d'autres appellés stati, qui étoient pour terminer ses affaires avec l'étranger, & d'autres enfin qui portoient le nom de justi, c'est-à-dire, trente jours complets, accordés par une loi des douze tables à celui qui avoit avoué son crime, ou à celui qui avoit été condamné, afin de lui donner la facilité de trouver la somme d'argent qu'il étoit obligé de payer, ou de satisfaire de quelqu'autre maniere à la sentence du juge. (D.J.)

JOUR, (Iconolog.) les anciens qui représentoient en figure tout ce qu'ils croyoient pouvoir en être susceptible, donnerent une image au jour considéré en lui-même, & sans aucun rapport ni à l'année, ni au mois, ni à la semaine, dont il fait partie. Athénée, dans sa description d'une magnifique pompe d'Antiochus Epiphane, dit qu'on y voyoit des statues de toutes les sortes, jusqu'à celles du jour & de la nuit, de l'aurore & du midi.

Comme le nom grec du jour est féminin, le jour étoit peint en femme, & non-seulement le jour, mais aussi ses parties étoient aussi personnifiées suivant leur genre.

Le crépuscule,

Tempus,

Quod tu, nec tenebras nec possis dicere lucem,

Sed cum luce tamen, dubiae confinia noctis,

le crépuscule, dis-je, étoit peint en jeune garçon, qui tenoit une torche, & qui avoit un grand voile étendu sur la tête, mais un peu reculé en arriere ; voilà ce qui désignoit que le crépuscule participoit à la lumiere & aux ténebres, au jour & à la nuit ; & c'est aussi ce que signifie la torche qu'il tenoit à la main ; car au point du jour, il fait un peu clair, mais si peu, qu'on a encore besoin d'un flambeau qui éclaire.

L'aurore aux doigts de rose, & croceo velamine fulgens, se peignoit en femme ayant un grand voile, & étant traînée dans un char à deux chevaux ; le voile qu'elle portoit sur sa tête, étoit fort reculé en arriere, ce qui marque que la clarté du jour est déja assez grande, & que l'obscurité de la nuit se dissipe.

Le midi, quùm medio sol aureus splendet olympo, étoit aussi peint en femme, à cause qu'il est du genre féminin dans la langue grecque.

Le soir ou le vesper, infuscans terras jam croceo noctis amictu, étoit peint en homme qui tenoit le voile sur sa tête, mais un peu en arriere, parce que l'obscurité de la nuit ne se répand qu'insensiblement, & laisse assez long-tems de la clarté pour se conduire encore.

Enfin le crépuscule du soir étoit représenté comme celui du matin, par un petit garçon qui porte un voile sur la tête ; mais il n'a point de flambeau ; il lui seroit inutile, puisqu'il va se perdre dans les ténebres de la nuit ; il tient de ses deux petites mains les rênes d'un des chevaux du char de Diane, prise pour la lune, & qui court se précipiter aussi dans les ondes de l'Océan, hesperias abiturus in undas. Dict. Mythol. (D.J.)

JOUR heureux & malheureux, (Litt. anc. & mod.) quelque ridicule que soit l'idée qu'il y ait dans la nature des jours plus heureux ou plus malheureux les uns que les autres, il n'en est pas moins vrai que de tems immémorial, les plus célébres nations du monde, les Chaldéens, les Egyptiens, les Grecs & les Romains, ont également donné dans cette opinion superstitieuse, dont tout l'Orient est encore convaincu.

Les rois d'Egypte, selon Plutarque, n'expédioient aucune affaire le troisieme jour de la semaine, & s'abstenoient ce jour-là de manger jusqu'à la nuit, parce que c'étoit le jour funeste de la naissance de Typhon. Ils tenoient aussi le dix septieme jour pour infortuné, parce qu'Osiris étoit mort ce jour-là. Les Juifs pousserent si loin leur extravagance à cet égard, que Moyse mit leurs recherches au rang des divinations, dont Dieu leur défendoit la pratique.

Si je passe aux Grecs, je trouve chez eux la liste de leurs jours apophrades ou malheureux, ce qui a fait dire plaisamment à Lucien, en parlant d'un fâcheux de mauvaise rencontre, qu'il ressembloit à un apophrade. Le jeudi passoit tellement pour apophrade chez les Athéniens, que cette superstition seule fit long-tems différer les assemblées du peuple qui tomboient ce jour-là. Le poëme d'Hésiode sur les travaux rustiques, écrit dans le onzieme siecle avant J. C. fait une espece de calendrier des jours heureux, où il importe de former certaines entreprises, & de ceux où il convient de s'en abstenir ; il met sur-tout dans ce nombre le cinquieme jour de chaque mois, parce qu'ajoute-t-il, ce jour-là les furies infernales se promenent sur la terre. Virgile a saisi cette fiction d'Hésiode, pour en parer ses géorgiques. " N'entreprenez rien, dit-il, le cinquieme jour du mois, c'est celui de la naissance de Pluton & des Euménides ; en ce jour la terre enfanta Japet, le géant Cée, le cruel Tiphée, en un mot, toute la race impie de ces mortels qui conspirerent contre les dieux ". Mais Hésiode, pour consoler son pays, mit au rang des jours heureux le septieme, le huitieme, le neuvieme, le onzieme & le douzieme de chaque mois.

Les Romains nous font assez voir par leur calendrier la ferme créance qu'ils avoient de la distinction des jours. Ils marquerent de blanc les jours heureux, & de noir ceux qu'ils réputoient malheureux ; tous les lendemains des kalendes, des nones & des ides, étoient de cette derniere classe. L'histoire nous en a conservé l'époque & la raison.

L'an de Rome 363, les tribuns militaires, voyant que la république recevoit toujours quelque échec, requirent qu'on en recherchât la cause. Le sénat ayant mandé le devin L. Aquinius, il répondit que lorsque les Romains avoient combattu contre les Gaulois, près du fleuve Allia, avec un succès si funeste, on avoit fait aux dieux des sacrifices le lendemain des ides de Juillet ; & qu'à Crémere les Fabiens furent tous tués, pour avoir combattu le même jour ; sur cette réponse, le sénat, de l'avis du collége des pontifes, défendit de rien entreprendre à l'avenir contre les ennemis le lendemain des kalendes, des nones & des ides ; chacun de ces jours fut nommé jour funeste, dies atra, nefandus, inauspicatus, inominalis, aegyptiacus dies.

Vitellius ayant pris possession du souverain pontificat le quinzieme des kalendes d'Août, & ayant ce même jour fait publier de nouvelles ordonnances, elles furent mal reçues du peuple, disent Suétone & Tacite, parce que tel jour étoient arrivés les desastres de Crémere & d'Allia.

Il y avoit quelques autres jours estimés malheureux par les Romains ; tels étoient le jour du sacrifice aux mânes, celui des lémuries, des féries latines & des saturnales, le lendemain des volcanales, le quatrieme avant les nones d'Octobre, le sixieme des ides de Novembre, les nones de Juillet, appellées caprotines, le quatrieme avant les nones d'Août, à cause de la défaite de Cannes, & les ides de Mars, par les créatures de Jules-César.

On juge bien qu'outre ces jours-là il y en avoit d'autres que chacun estimoit malheureux par rapport à soi-même. Auguste n'entreprenoit rien d'important le jour des nones ; & quantité de particuliers avoient une folie pareille sur le quatrieme des calendes, des nones & des ides.

Plusieurs observations historiques, superstitieusement recueillies, ont contribué à favoriser, avec tant d'autres erreurs, celle des jours heureux & malheureux. Joseph remarque que le temple de Salomon avoit été brûlé par les Babyloniens le 8 Septembre, & qu'il le fut une seconde fois au même jour & au même mois par Titus. Aemilius Probus débite que Timoléon le corinthien gagna toutes ses victoires le jour de sa naissance.

Aux exemples tirés de l'antiquité, on en joint d'autres puisés dans l'histoire moderne. On prétend que Charles-Quint fut comblé de toutes ses prospérités le jour de S. Matthias. Henri III, nous dit-on, fut élu roi de Pologne, ensuite roi de France, le jour de la pentecôte, qui étoit aussi celui de sa naissance. Le pape Sixte V. aimoit le mercredi sur tous les jours de la semaine, parce qu'il prétendoit que c'étoit le jour de sa naissance, de sa promotion au cardinalat, de son élection à la papauté, & de son couronnement. Louis XIII. assuroit que tout lui réussissoit le vendredi. Henri VII, roi d'Angleterre, étoit attaché au samedi, comme au jour de tous les bonheurs qu'il avoit éprouvés.

Mais rien ne seroit si facile que d'apporter encore un plus grand nombre de faits, qui prouveroient l'indifférence des jours pour la bonne ou mauvaise fortune, s'il s'agissoit de combattre par des exemples des préventions superstitieuses, contraires au bon sens & à la raison. On remarqua, dit Dion Cassius, l. XLII. que Pompée fut assassiné en Egypte le même jour qu'il avoit autrefois triomphé des Pirates & de Mithridate, & l'on ajoutoit encore que c'étoit celui de sa naissance. Le même jour, dit Guichardin, que Léon X. fut sacré avec une pompe merveilleuse, il avoit été fait misérablement prisonnier un an auparavant. Reconnoissons donc avec un ancien, qu'une même journée nous peut être également mere & marâtre, & que ceux conséquemment qui se sont moqués du choix superstitieux de certains jours, ont eu par-là un grand avantage pour le succès de leurs entreprises, sur ceux qui ont été assez crédules pour s'y assujettir.

Alexandre le grand, bien instruit sur ce point par Aristote son précepteur, se moqua spirituellement de quelques-uns de ses capitaines qui lui représentoient sur le bord du Granique, que jamais les rois de Macédoine ne mettoient leurs armées en campagne au mois de Juin, & qu'il devoit craindre le mauvais augure qu'on pouvoit tirer s'il négligeoit de suivre l'ancien usage. " Il faut bien y remédier, répondit-il en souriant ; & j'ordonne aussi pour cela que ce Juin, que l'on craint tant, soit nommé le second mois de Mai. " Il sut encore insister si adroitement auprès de la Sybille du temple de Delphes, qui lui refusoit de consulter le dieu un jour réputé malheureux, qu'elle lui dit enfin, en cédant à ses instances, qu'il vouloit faire paroître jusques sur le seuil du temple de Delphes qu'il étoit invincible. " Cet oracle me suffit, répartit joliment Alexandre ; je n'en peux recevoir de plus clair ni de plus favorable ",

C'est sur le même ton que Luculle répondit à ceux qui tâchoient de le dissuader de combattre contre Tigranes aux nones d'Octobre, parce qu'à pareil jour l'armée de Cépion fut taillée en pieces par les Cimbres ; " & moi, dit-il, je vais le rendre de bon augure pour les Romains ". Il attaqua le roi d'Arménie & le vainquit.

Dion de Syracuse se conduisit de même vis-à-vis de Denis de Syracuse ; il lui livra bataille le jour d'une éclipse de lune, qui étoit réputé un jour funeste, & remporta la victoire. C'en est assez sur les anciens.

Quoique la distinction des jours heureux & malheureux paroisse présentement aussi absurde qu'elle l'est en effet, je doute fort que tous les hommes en soient également desabusés : quand je considere d'un côté tant de choses propres à nourrir cette erreur, qui sont toujours en usage, & que je vois régner dans la cour des monarques, chez ces grands qui tonnent sur nos têtes, comme parmi le petit peuple qu'ils vexent, des opinions aussi puériles, aussi superstitieuses que celle-ci, & qui même y ont un très-grand rapport : je crois alors fermement que dans tous les siecles & dans tous les lieux la superstition a des droits qui peuvent bien changer de forme, mais qui ne seront jamais entierement détruits.

Il y a dans le mercure de Juin 1688 un discours contre la superstition populaire des jours heureux & malheureux : cela n'est pas étonnant ; mais le singulier, c'est que ce discours est de François Malaval, fameux écrivain mystique, qui donna dans toutes les extravagances du mysticisme. L'esprit humain, tantôt sage, tantôt fou, adopte également l'erreur & la vérité pêle-mêle. Ce Malaval devint aveugle à neuf mois, & mourut en 1719 à 82 ans. (D.J.)

JOURS de férie, (Hist. ecclésiastiq.) dies feriales ou feriae, signifioient chez les anciens des jours consacrés à quelque fête, & pendant lesquels on ne travailloit point, du verbe latin feriari, être oisif, chommer, fêter.

Ce mot a totalement changé d'acception, & signifie présentement les jours de travail, par opposition au dimanche & aux fêtes chommées, comme on voit dans le statut 27 d'Henri VI, chap. v. & dans Fortesme de laudibus leg. Angliae.

Le pape S. Sylvestre ordonna que sabbati & dominici die retento, reliquos hebdomadae dies feriarum nomine distinctos, ut jam ante in ecclesia vocari caeperant, appellari. De-là vient que dans les brefs ou calendriers ecclésiastiques, le lundi, mardi, mercredi, jeudi & vendredi sont désignés par les noms de feria prima, secunda, tertia, quarta, quinta & sexta.

JOURS maigres, (Théolog.) jours où par un précepte de l'Eglise on ne doit point manger de viande. Voyez ABSTINENCE.

JOURS critiques, (Hist. mod.) dies critici. Voyez CRITIQUES.

JOURS, (Médecine) pairs, impairs, principaux, radicaux ou critiques, indices ou indicateurs, intercalaires, vuides, &c. Voyez la doctrine médicinale sur les jours à l'article CRISE.

JOUR DE L'AN, (Hist. anc.) ou premier jour de l'année, a fort varié chez différens peuples par rapport au tems de sa célébration, mais il a toujours été en grande vénération.

Chez les Romains le premier & le dernier jour de l'an étoient consacrés à Janus ; ce qui a été cause qu'on le représente avec deux visages.

C'est des Romains que nous tenons cette coutume si ancienne des complimens du nouvel an. Avant que ce jour fût écoulé ils se faisoient visite les uns les autres, & se donnoient des présens accompagnés de voeux réciproques. Lucien parle de cette coutume comme très-ancienne, & la rapporte au tems de Numa. Voyez ETRENNES, VOEUX, &c.

Ovide a cette même cérémonie en vûe dans le commencement de ses fastes :

Postera lux oritur, linguisque animisque favete :

Nunc dicenda bono sunt bona verba die.

Et Pline plus expressément liv. XXVIII, chap. j. Primum anni incipientis diem laetis precationibus invicem faustum ominantur.

JOURS ALCYONIENS, (Hist. anc.) phrase que l'on trouve souvent dans les auteurs pour exprimer un tems de paix & de tranquillité.

Cette expression tire son origine d'un oiseau de mer, que les Naturalistes appellent alcyon, & qui, selon eux, fait son nid vers le solstice d'hiver, pendant lequel le tems est ordinairement calme & tranquille.

Les jours alcyoniens, suivant l'ancienne tradition, arrivent sept jours avant & sept jours après le solstice d'hiver ; quelques uns appellent ce tems-là l'été de S. Martin ; & le calme qui regne dans cette saison engage les alcyons à faire leur nid & à couver leurs oeufs dans les rochers qui sont au bord de la mer.

Columella appelle aussi jours alcyoniens le tems qui commence au 8 des calendes de Mars, parce qu'on observe qu'il regne pour lors un grand calme sur l'océan atlantique.

JOURS, GRANDS-JOURS, (Jurisp.) ou HAUTS-JOURS, étoient une espece d'assise extraordinaire, ou plutôt une commission pour tenir les plaids généraux du roi dans les provinces les plus éloignées.

Il ne faut pas s'imaginer que ces sortes d'assises ayent été ainsi nommées parce qu'on les tenoit dans les plus longs jours de l'année, car on les tenoit plusieurs fois l'année & en différens tems ; on les appella grands jours, pour dire que c'étoit une assise extraordinaire où se traitoient les grandes affaires.

Les grands jours royaux furent établis pour juger en dernier ressort les affaires des provinces les plus éloignées, & principalement pour informer des délits de ceux que l'éloignement rendoit plus hardis & plus entreprenans ; on les tenoit ordinairement de deux en deux ans.

Ils étoient composés de personnes choisies & députées par le roi à cet effet, tels que les commissaires appellés missi dominici, que nos rois de la premiere & de la seconde race envoyoient dans les provinces pour informer de la conduite des ducs & des comtes, & des abus qui pouvoient se glisser dans l'administration de la justice & des finances contre l'ordre public & général.

Les grands-jours les plus anciens qui ayent porté ce nom, sont ceux que les comtes de Champagne tenoient à Troyes ; & ce fut à l'instar de ceux-ci que les assemblées pareilles qui se tenoient au nom du roi furent aussi nommées grands-jours.

La séance même du parlement, lorsqu'il étoit encore ambulatoire, étoit nommée grands-jours. Les parlemens de Toulouse, Bordeaux, Bretagne, & quelques autres tenoient aussi leurs grands-jours.

Depuis que les parlemens ont été rendus sédentaires, les grands-jours n'ont plus été qu'une commission d'un certain nombre de juges tirés du parlement pour juger en dernier ressort toutes affaires civiles & criminelles par appel des juges ordinaires des lieux, mêmes les affaires criminelles en premiere instance.

Les derniers grands-jours royaux sont ceux qui furent tenus en 1666 à Clermont en Auvergne, & au Puy en Velai pour le Languedoc.

Nos rois accorderent aux princes de leur sang le droit de faire tenir des grands jours dans leurs apanages & pairies ; mais l'appel de ces grands-jours ressortissoit au Parlement, à moins que le roi ne leur eût octroyé spécialement le droit de juger en dernier ressort.

Plusieurs seigneurs avoient aussi droit de grands-jours, où l'on jugeoit les appellations interjettées des juges ordinaires, des crimes qui se commettoient par les baillifs & sénéchaux & autres juges dépendans du seigneur. Ces grands jours seigneuriaux ont été abolis par l'ordonnance de Roussillon, qui défend à tout seigneur d'avoir deux degrés de jurisdiction en un même lieu : quelques pairs en font cependant encore assembler, mais ils ne jugent pas en dernier ressort.

Nous allons donner quelques notions sommaires des grands-jours dont il est le plus souvent fait mention dans les ordonnances & dans les histoires particulieres.

Grands-jours d'Angers ou du duc d'Anjou, étoient pour l'apanage du duc d'Anjou ; ils furent accordés par Charles V. à Louis son frere, duc de Tours & d'Anjou, avec faculté de les tenir, soit à Paris ou dans telle ville de ses duchés qu'il voudroit. Louise de Savoye, mere du roi François I, fit en 1516 ériger des grands-jours en la ville d'Angers ; on en tint aussi pour le roi dans cette ville en 1539.

Grands-jours d'Angoulême étoient ceux des comtes d'Angoulême. Voyez le recueil de Blanchard à la table.

Grands-jours de l'archevêque de Rouen, ou hauts-jours, étoient une assise majeure qui se tenoit en son nom. Un Arrêt du parlement de Rouen du 2 Juillet 1515 ordonna qu'ils se serviroient du terme de hauts-jours, & non d'échiquier. Voyez le recueil d'arrêts de M. Froland, pag. 34.

Grands-jours d'Auvergne, sont ceux qui se tinrent dans cette province, tant à Clermont & Montferrand, qu'à Riom. Il y en eut à Montferrand en 1454, & sous Louis XI. en 1481, tant pour l'Auvergne que pour le Bourbonnois, Nivernois, Lyonnois, Forez, Beaujolois & la Marche ; ils s'ouvrirent à Montferrand : on les y tint encore en 1520, & à Riom en 1542 & 1546. Voyez Grands-jours de Berry.

Grands-jours de Beaumont ; il est parlé des grands-jours de ce comté dans des lettres de Charles VI. du 6 Mai 1403.

Grands-jours de Beaune ou de Bourgogne, étoient ceux qui se tenoient pour la province de Bourgogne avant l'érection du parlement de Dijon : ils jugeoient sans appel.

Grands-jours de Berry ou du duc de Berry. Jean I, duc de Berry, eut le droit de faire tenir les grands-jours pour juger les appellations que l'on interjettoit du sénéchal de Poitou & d'Auvergne, du bailli de Berry & de ses autres juges inférieurs dont il est parlé dans Joannes Galli, quest. 250, & dans les anciennes ordonnances.

Grands jours de Bourbonnois, voyez Grands jours d'Auvergne & Grands-jours de Moulins.

Grands-jours de Bourgogne, voyez Grands-jours de Beaune.

Grands jours du duc de Bretagne ; on donnoit quelquefois ce nom au parlement de cette province avant qu'il fût sédentaire, comme on peut voir par l'ordonnance de Charles VIII. de l'an 1495.

Grands-jours de Champagne, voyez Grands-jours de Troyes.

Grands-jours de Brie ; le duc d'Orléans, frere de Charles VI, y en faisoit tenir. Voyez les lettres de 1403.

Grands jours de Châtelleraut, voyez le recueil de Blanchard.

Grands-jours de Clermont en Auvergne, voyez Grands-jours d'Auvergne.

Grands-jours de Clermont en Beauvoisis, voyez le recueil de Blanchard.

Grands-jours de Dombes ; le parlement de cette principauté, qui tenoit anciennement ses séances à Lyon par emprunt de territoire, devoit aller tenir ses grands-jours en Dombes deux fois l'année, suivant un édit de Louis III, prince souverain de Dombes, du mois de Septembre 1571.

Grands-jours de Limoges, voyez le recueil de Blanchard.

Grands-jours de Lyon furent tenus en 1596.

Grands jours du comté du Maine, étoient ceux qu'y faisoit tenir le duc d'Anjou, comte du Maine, auquel ils avoient été accordés par des lettres de 1371.

JOURS (grands) La cour des grands-jours de la ville de S. Michel en Lorraine, étoit déja établie en 1380. Il y a sur ce tribunal une ordonnance de René d'Anjou, duc de Lorraine, du 4 Mars 1449. Le duc Charles III. en confirma l'établissement sous le titre de cour de parlement & grands-jours de saint Michel, le 8 Octobre 1571. Le 3 Décembre 1573 il en régla les fonctions. Il y a une ordonnance du même prince touchant l'appel des sentences de la cour des grands-jours de S. Michel, du 8 Octobre 1607. Louis XIII. supprima ces grands-jours en 1635, tems auquel il occupoit la Lorraine par ses armes.

Grands-jours de Montferrand, voyez Grands-jours d'Auvergne.

Grands-jours du duché de Montmorency, c'étoient ceux que les seigneurs de Montmorency faisoient tenir dans leur pairie. Voyez les lettres-patentes citées par Blanchard à la table.

Grands-jours de Moulins furent tenus en 1534, 1540 & 1550.

Grands-jours de Normandie ; les ducs de cette province en faisoient tenir, soit à Rouen, ou même quelquefois à Paris ; on les appelloit les hauts-jours. Voyez le recueil d'arrêts de M. Froland, pag. 74.

Grands-jours d'Orléans, c'étoit le duc d'Orléans qui les faisoit tenir dans son apanage : il en est parlé dans des lettres de Charles VI. du 6 Mai 1403.

Grands-jours de Paris ; Charles le Bel ordonna que l'on en tînt dans cette ville, & que l'on y fît la recherche des criminels.

Grands-jours de Poitiers ou des comtes de Poitou, furent tenus en 1454, 1531, 1541, 1567, 1579 & 1634.

Grands-jours des reines, étoient ceux qui leur étoient accordés dans les terres qu'on leur donnoit pour leur douaire : il en est fait mention dans l'ancien style du parlement, chap. 23.

Grands-jours de Riom, voyez Grands-jours d'Auvergne.

Grands-jours de Soissons, étoient ceux du comte de Soissons. Voyez le recueil de Blanchard à la table.

Grands-jours de Tours ; le parlement de Paris en tint dans cette ville en 1519, 1533, 1547.

Grands-jours de Troyes, appellés aussi la cour de Champagne, étoient des assises publiques & générales que les comtes de Champagne tenoient à Troyes, pour juger en dernier ressort les affaires majeures & celles qui étoient dévolues par appel des assises des bailliages, & principalement les causes des barons de Champagne, lesquels relevoient immédiatement du comté. Cette prérogative fut accordée aux comtes de Champagne à cause de leur dignité de palatins. Leurs grands-jours se tenoient trois ou quatre fois l'année ; ils étoient composés d'un certain nombre de juges choisis dans l'ordre de la noblesse ; on y appelloit les causes selon le rang des bailliages ; on y observoit les formes judiciaires, c'est-à-dire qu'on les jugeoit par enquêtes ou par plaids, selon la nature de l'affaire. Quand ces jugemens pouvoient servir de reglemens, on les inséroit dans le recueil des coutumes de Champagne. Depuis que Philippe le Bel eut réuni cette province à la couronne, les grands-jours de Troyes se tenoient en son nom, comme comte de Champagne ; il ordonna en 1302 que ces grands-jours se tiendroient deux fois l'année : le roi y envoyoit huit députés du parlement, entre lesquels étoient plusieurs prélats ; ils renvoyoient au parlement de Paris les affaires dont la connoissance pouvoit l'intéresser. Voyez les mémoires de Pithou.

Grands-jours de Valois ; le duc d'Orléans y en faisoit tenir, suivant ce qui est dit dans des lettres de Charles VI. du 6 Mai 1403.

Grands-jours de Vertus ; Charles VI, par des lettres du 6 Mai 1403, accorda au duc d'Orléans son frere le droit d'y faire tenir des grands-jours.

Grands-jours d'Yvetot, ou hauts-jours d'Yvetot ; ce droit fut confirmé aux seigneurs d'Yvetot par des lettres de Louis XI. de 1464. Voyez la dissertation de l'abbé de Vertot sur le royaume d'Yvetot.

Voyez le glossaire de Ducange au mot dies ; celui de Lauriere au mot jours. Fontanon, tom. I. liv. I. tit. 17. (A)

JOUR dans le commerce de lettres de change, marque le tems auquel une lettre doit être acquittée.

On dit qu'une lettre de change est payable à jour préfix, à jour nommé, lorsque le jour qu'elle doit être payée est exprimé & fixé dans la lettre de change. Les lettres à jour préfix ne jouissent point du bénéfice des dix jours de faveur ou de grace. Voyez FAVEUR & JOURS DE GRACE.

Une lettre de change à deux, à quatre, à six jours de vûe préfixe, est celle qui doit être payée deux, quatre ou six jours après celui de son acceptation. Voyez LETTRE DE CHANGE & ACCEPTATION. Diction. de commerce.

JOURS DE GRACE, en terme de Commerce, c'est un nombre de jours accordé par la coutume pour le payement d'une lettre de change lorsqu'elle est dûe, c'est-à-dire lorsque le tems pour lequel elle a été acceptée est expiré. Voyez LETTRE DE CHANGE, CHANGE & FAVEUR.

En Angleterre on accorde trois jours de grace, ensorte qu'une lettre de change acceptée pour être payée, par exemple, dans dix jours à vûe, peut n'être payée que dans treize jours. Par toute la France l'on accorde dix jours de grace ; autant à Dantzick ; huit à Naples ; six à Venise, à Amsterdam, à Rotterdam, à Anvers ; quatre à Francfort ; cinq à Leipsic ; douze à Hambourg ; six en Portugal ; quatorze en Espagne ; trente à Genes, &c. Remarquez que les dimanches & les fêtes sont compris dans le nombre des jours de grace. Voyez ACCEPTATION.

JOUR NOMME, (Commerce) bateau de diligence, dont le maître s'est obligé d'arriver à certain jour préfix dans le port de sa destination, à peine de diminution de la moitié du prix porté par sa lettre de Voiture. Dictionnaire de Commerce.

JOUR DE PLANCHE, (Commerce) on nomme ainsi à Amsterdam & dans les autres villes maritimes des Provinces unies, le séjour que le maître ou batelier d'un bâtiment freté par des marchands, est obligé de faire dans le lieu de son arrivée ; sans qu'il lui soit rien dû au-delà du fret. On convient ordinairement de ces jours de planche par la charte partie, à-moins qu'ils ne soient fixés ou par l'usage ou par des reglemens. A Rotterdam, par exemple & aux environs, les bateliers sont obligés de donner trois jours de planche ; ceux de Brabant, Flandres, Zélande, & des autres villes également distantes d'Amsterdam, en donnent cinq ou six, suivant la grandeur du bâtiment ; mais si après ces jours de planche ou reglés ou convenus, le bâtiment reste encore chargé, le marchand paye tant par jour par proportion à sa grandeur, ou au prix accordé pour le fret. Dictionnaire de Commerce.

JOUR, JOURNAL, (Arpentage) grande mesure des héritages : cette dénomination est fort en usage en Lorraine ; on y dit pour les terres labourables jours, journaux ; pour les prés fauchés, & pour les forêts arpent : ce n'est cependant qu'une même mesure ; elle est communément dans ce pays de 250 toises de Lorraine. Cette toise a de longueur 10 piés de Lorraine, le pié 10 pouces, le pouce 10 lignes ; ce qui fait environ huit piés neuf pouces dix lignes, mesure de roi.

JOUR, terme d'Architecture ; ce mot s'entend de toute ouverture faite dans les murs par où l'on reçoit de la lumiere, & qu'on nomme aussi baye ou bée.

Jour droit, celui d'une fenêtre à hauteur d'appui.

Faux-jour, celui qui éclaire quelque petit lieu, comme une garde-robe, un retranchement, un petit escalier.

Jour d'en-haut, celui qui est communiqué par un abajour qui ne reçoit le jour que par le dôme, un soûpirail, une lucarne faîtiere de grenier, généralement tout jour qui est pris à six ou sept piés de haut ou plus.

Jour-à-plomb, celui qui vient directement par-en-haut, comme au Panthéon à Rome.

Jour de coûtume, voyez VUE DE COUTUME.

Jour d'escalier, c'est le vuide ou l'espace quarré ou rond qui reste entre les limons droits ou rampans de bois ou de pierre, sur lesquels est portée la rampe de fer.

JOUR, terme d'Horlogerie ; c'est un espace qu'on laisse entre deux roues qui passent l'une sur l'autre, ou entre les platines & ces roues, pour empêcher qu'elles ne se touchent. Les jours de la grande roue moyenne avec la platine des piliers & la grande roue, & du barrillet avec la platine du dessus & la grande roue, ne doivent pas être trop considérables, ou, pour parler comme les Horlogers, doivent être bien ménagés ; afin de conserver au barrillet, & par conséquent au grand ressort, le plus de hauteur qu'il est possible.

JOUR, (Peinture) on dit qu'un tableau est dans son jour, lorsque la lumiere qui fait qu'on le voit vient du même côté que celle qui éclaire les objets peints dans ce tableau.

Il y a des auteurs qui prétendent qu'on appelle jour, les endroits les plus éclairés d'un tableau, mais on ne se sert point de cette expression : on dit la lumiere, les lumieres d'un tableau, & non les jours d'un tableau.

JOURS, (Rubanier) ouvrage à jour, terme plus propre au galon qu'à tout autre ouvrage, puisqu'il n'y a presque que le galon qui soit susceptible de pareil travail ; rarement on en ménage sur les rubans figurés ; les jours sont des ornemens pratiqués dans les desseins, qui laissent effectivement à jour les espaces qu'ils doivent représenter ; ces jours sont appellés corps séparés, parce qu'ils sont travaillés chacun séparément & l'un après l'autre par autant de navettes différentes ; ce qui fait qu'il y a des ouvrages à 10 ou 12 & même 25 ou 26 navettes, quand les jours sont pratiqués l'un à côté de l'autre ; il faut avoir soin de ne travailler que quelques coups de navette sur chacun de ces corps séparés tant qu'il y en a, afin que le battant puisse frapper le plus également qu'il est possible ces coups de navette ; autrement si on rachevoit entierement le jour, qui est quelquefois de beaucoup de ces coups, & que l'on passât ensuite à un autre, l'épaisseur de ce premier qui vient d'être fait, empêcheroit que le battant ne frappât régulierement les autres coups qui restent à faire.


JOURDAI(LE) Géog. anc. aujourd'hui Schéria, riviere de la Palestine ; dans Pausanias, & Jardanis dans Pline, l. V. c. xv. Cette riviere, dit-il, qui sort de la fontaine Panéas, est très-agréable ; & autant que la situation des lieux voisins le lui permet, elle fait mille détours, comme pour se prêter aux besoins des habitans, & semble ne se rendre qu'à regret dans le lac Asphaltique, (la mer Morte).

Le Jourdain, après avoir tiré sa seule source de Panéas, forme à quelque distance le lac Séméthon, & parcourt (sans pouvoir acquérir cent piés de largeur dans le fort de son cours) environ 50 lieues, jusqu'à son embouchure dans la mer Morte, où il se perd. Ses bords sont couverts de joncs, de roseaux, de cannes, de saules & d'autres arbres, qui font, au rapport de Maundrell, que pendant l'été, on a assez de peine à voir l'eau de cette riviere.

Le pere Hardouin dérive son nom de l'hébreu Jor-Eden, qui veut dire fleuve de Délices ; & c'est à sa source que plusieurs mettent le paradis terrestre ; cependant Josephe assure que toute la plaine qu'il arrose est deserte, extrêmement aride pendant l'été, & que l'air en est mal sain à cause de l'excessive chaleur.

Quoi qu'il en soit, il n'y a point de fleuve, si je puis en parler ainsi, plus célebre dans les livres sacrés : on sait par coeur les miracles qui s'opérerent dans le Jourdain, lorsqu'il se partagea pour laisser un passage libre aux Hébreux sous la conduite de Josué, chap. ij. vers. 13. & suivans ; lorsqu'Elie & Elisée le passerent en marchant sur les eaux, IV. liv. des Rois, c. xj. v. 8. & 14. lorsqu'Elisée fit marcher le fer de la coignée qui étoit tombée dans le Jourdain, IV. liv. des rois, c. vj. v. 6. & 7. Enfin, lorsque le Sauveur du monde fut baptisé dans le même fleuve, que le ciel s'ouvrit, & que le Saint-Esprit descendit sur lui, Matthieu, ch. iij. v. 16.

Cette derniere circonstance du batême de J. C. a donné aux Chrétiens une grande vénération pour cette petite riviere ; aussi c'étoit anciennement une dévotion commune de se faire baptiser dans le Jourdain, ou du-moins de s'y baigner, comme font encore tous les pélerins qui parcourent la Palestine. Voyez GANGE. (D.J.)


JOURNALS. m. (Gram. Littérat. Commerce, &c.) memoire de ce qui se fait, de ce qui se passe chaque jour.

JOURNAL, en termes de Commerce, est un certain livre ou registre, dont les Marchands se servent pour écrire jour par jour toutes les affaires de leur commerce à mesure qu'elles se présentent. Voyez MANIERE DE TENIR LES LIVRES DE COMPTE.

On donne aujourd'hui le nom de journal à certains ouvrages qui contiennent le détail de ce qui se passe journellement en Europe. Voyez GAZETTE.

JOURNAL, (Littérature) un ouvrage périodique, qui contient les extraits des livres nouvellement imprimés, avec un détail des découvertes que l'on fait tous les jours dans les Arts & dans les Sciences.

Le premier journal de cette espece qui ait paru en France, est celui qu'on appelle le Journal des Savans, qui a été inventé pour le soulagement de ceux qui sont ou trop occupés ou trop paresseux pour lire les livres entiers. C'est un moyen de satisfaire sa curiosité, & de devenir savant à peu de frais. Comme ce dessein a paru très-commode & très-utile, il a été imité dans la plûpart des autres pays sous une infinité de titres différens.

De ce nombre sont les Acta eruditorum de Leipsic, les Nouvelles de la république des Lettres de M. Bayle, la Bibliotheque universelle, choisie, & ancienne & moderne de M. le Clerc, les Memoires de Trévoux, &c. En 1692, Juncker a publié en latin un Traité historique des journaux des Savans, publiés en divers endroits de l'Europe jusqu'à présent. Wolfius, Struvius, Morhof, Fabricius, ont fait à-peu-près la même chose.

Les memoires & l'histoire de l'academie des Sciences, celle de l'académie des Belles-Lettres, les Ephemerides, ou Miscellanea naturae curiosorum, les Saggi di naturali esperienze fatte nel academia del cimento ; les acta philo-exoticorum naturae & artis, qui ont paru depuis Mars 1686, jusqu'en Avril 1687, & qui sont une histoire de l'académie de Brescia ; les Miscellanea Berolinensia, qui sont en latin l'histoire de l'académie royale des Sciences & Belles-Lettres de Prusse, qui est en françois. Les commentaires de l'académie impériale de Petersbourg ; les memoires de l'institut de Bologne ; les acta litteraria Sueciae, qui se font à Upsal depuis 1720 ; les memoires de l'académie royale de Stockholm, commencés en 1740 ; les commentarii societatis regiae Gottingensis, commencés en 1750 ; les acta Erfordiensia ; les acta Helvetica ; les acta Norimbergica ; les Transactions philosophiques de la société de Londres ; les actes de la société d'Edimbourg ; les essais de la société de Dublin, & autres ouvrages semblables, ne sont point des journaux, dans lesquels on rende compte des ouvrages nouveaux ; mais ce sont des collections de memoires faits par les savans qui composent ces différentes sociétés savantes.

On donne communément la gloire de l'invention des journaux à Photius ; sa bibliotheque n'est pourtant pas tout-à-fait ce que sont nos journaux, ni son plan le même. Ce sont des abregés & des extraits des livres qu'il avoit lûs pendant son ambassade en Perse.

M. de Salo commença le premier le journal des Savans à Paris en 1665, sous le nom de sieur d'Hedouville ; mais sa mort survenue quelque tems après, interrompit cet ouvrage. L'abbé Gallois le reprit au commencement de 1666, & le céda en 1674 à l'Abbé de la Roque, qui le continua pendant huit à neuf ans, & qui eut pour successeur M. Cousin, qui le fit jusqu'en 1702, que M. l'abbé Bignon institua une nouvelle compagnie, à qui il donna le soin de continuer ce journal. On lui donna en même tems une nouvelle forme, & on l'augmenta. Cette compagnie subsiste encore ; & c'est aujourd'hui M. de Malesherbes qui en a l'inspection. Le journal des Savans n'est donc plus d'un seul auteur, plusieurs personnes y travaillent.

Depuis ce tems il a paru de tems à autres différens journaux françois ; tels sont les Memoires & conférences sur les Sciences & les Arts, par M. Denys, pendant les années 1672, 1673, & 1674 ; les nouvelles découvertes sur toutes les parties de la Medecine par M. de Blegny, en 1679 ; le journal de Medecine commencé en 1684, & quelques autres semblables, qui ont été discontinués aussi-tôt que commencés ; celui-ci vient de reprendre depuis quelque tems ; M. Roux med. est celui qui le continue à présent.

Les Nouvelles de la république des Lettres, que M. Bayle commença en 1684, & que M. de la Roque & quelques autres amis de M. Bayle, & M. Bernard ont continué depuis Février 1687, qu'une maladie obligea M. Bayle de les quitter, jusqu'en 1689. Après une interruption de neuf à dix ans, M. Bernard les reprit au commencement de 1699, & les continua jusqu'en 1710. L'histoire des ouvrages des Savans, par M. Basnage, commença en 1686, & finit en 1710. La Bibliotheque universelle & historique de M. le Clerc, a été continuée jusqu'en 1693, & contient 25 volumes ; la Bibliotheque choisie du même auteur commença en 1703. Le Mercure de France, est un de nos plus anciens journaux ; il s'est continué par différentes mains jusqu'à présent : il en est de même du journal de Verdun.

Les Memoires pour l'histoire des Sciences & des beaux Arts, appellés communément Journal de Trévoux, du lieu où ils s'imprimoient autrefois, ont commencé en 1701. C'étoient les RR. PP. Jesuites qui composoient ce journal, qui se continue à présent par des particuliers, gens de Lettres.

On a fait & on fait encore plusieurs journaux françois dans les pays étrangers ; tels sont la bibliotheque raisonnée, la bibliotheque germanique continuée sous le titre de nouvelle bibliotheque germanique, par M. Formey. Il y a eu de plus en françois le journal littéraire, commencé à la Haie en 1713 ; le Mercure historique & politique, qui se continue jusqu'à ce jour. On imprime aussi en Hollande un journal dans lequel les journaux des Savans & de Trévoux se trouvent combinés ; la Bibliotheque impartiale ; les Memoires littéraires de la Grande-Bretagne, par M. de la Roche, & la Bibliotheque angloise, qui se bornent aux livres anglois. Ces journaux interrompus ont été repris sous le titre de Journal britannique, par M. de Maty, & se continuent actuellement sous le même titre, par M. de Mauve. M. de Joncourt fait actuellement un journal françois, dans lequel il rend compte des livres nouveaux d'Angleterre, sous le titre de Nouvelle bibliotheque angloise.

Les journaux anglois anciens sont, the history of the Works of the Learned, qui commença à Londres en 1699. Censura temporum, en 1708 : en 1710 il en parut deux nouveaux ; l'un sous le titre de Memoires de Littérature, c'étoit une feuille volante, qui ne contenoit qu'une traduction angloise de quelques articles des journaux étrangers ; l'autre étoit in-4°. en quatre ou cinq feuilles. C'est un recueil de pieces fugitives, intitulé Bibliotheca curiosa, ou à Miscellany. L'on doit encore mettre au rang des journaux anglois le Gentleman's magazine, l'état actuel de la Grande-Bretagne, &c.

Les journaux italiens sont celui de l'abbé Nazati, qui a duré depuis 1668 jusqu'en 1681 ; il s'imprimoit à Rome. Celui de Venise commença en 1671, & finit en même tems que celui de Rome. Les auteurs étoient Pierre Moretti, & François Miletti : le journal de Parme, par le P. Gaudence Roberti & le P. Benoît Bauhini, tomba en 1690, & on le reprit en 1692. Le journal de Ferrare, entrepris par l'abbé de la Torre, commença & finit en 1691. La Galeria di Minerva, commencée en 1696, est l'ouvrage d'une société de gens de Lettres : M. Apostolo Zeno, secrétaire de cette société, commença un autre journal en 1710, sous les auspices du grand-duc ; il s'imprimoit à Venise, & plusieurs personnes de distinction y avoient part : les Fasti eruditi della bibliotheca volante, se faisoient à Parme : depuis il a paru en Italie le Giornale dei Letterati.

Le premier des journaux latins est celui de Leipsic, qui a commencé en 1682 sous le titre d'Acta eruditorum : cet ouvrage s'est continué sans interruption jusqu'à présent.

A Parme, les Nova litteraria maris Balthici ont duré depuis 1698, jusqu'en 1708. Les Nova litteraria Germaniae, recueillies à Hambourg, ont commencé en 1703. Les acta litteraria ex manuscriptis, & la Bibliotheca curiosa commencée en 1705, & finie en 1707, sont de M. Struvius ; MM. Kuster & Sike commencerent en 1697, & firent pendant deux ans la bibliotheque des livres nouveaux. Depuis ce tems on a eu plusieurs journaux latins ; tels sont entr'autres les Commentarii de rebus in scientia naturali & Medicina gestis, par M. Ludwig.

Le Journal suisse appellé Nova litteraria Helvetiae, commença en 1702 ; il est de M. Scheuchzer ; & les Acta medica hafnensia, de Thomas Bartholin, qui font cinq volumes depuis 1671, jusqu'en 1679.

Il y a un journal hollandois, sous le titre de Boeksaal van Europa. Il fut commencé en 1692 par Pierre Rabbus, à Rotterdam, & repris depuis 1702 jusqu'en 1708 ; il se continue jusqu'à ce jour : on doit y joindre les mémoires de la société littéraire de Harlem.

L'Allemagne a une foule innombrable d'ouvrages périodiques & de journaux en tout genre. Les principaux qui se font actuellement en langue allemande sont, le Magasin d'Hambourg, commencé en 1748, & qui se continue. Les Physicalische belustigungen, ou Amusemens physiques, commencés à Berlin en 1751. Selecta physico oeconomica qui se font à Stutgard. Il se fait de plus une infinité de gazettes & de journaux littéraires, économiques, &c. en Saxe, dans la Silésie, dans le Brandebourg, dans la basse-Allemagne, &c. Cependant plusieurs de ces ouvrages périodiques ne sont pas des vrais journaux, mais des collections de mémoires, auxquels on a quelquefois joint des extraits de quelques livres nouveaux. Il paroît en Suede un journal, sous le titre de Magasin de Stockholm.

Nous avons maintenant en France une foule de journaux ; on a trouvé qu'il étoit plus facile de rendre compte d'un bon livre que d'écrire une bonne ligne, & beaucoup d'esprits stériles se sont tournés de ce côté. Nous avons eu les feuilles périodiques de l'abbé Defontaines, elles ont été continuées par M. Fréron & par M. l'abbé de la Porte : ces deux collegues se sont séparés, & l'un travaille aujourd'hui sous le titre de l'Année littéraire, & l'autre sous le titre d'Observateur littéraire. Nous avons des Annales typographiques ; un Journal étranger ; un Journal encyclopédique qui se fait & s'imprime à Liege ; un Journal chrétien ; un Journal économique ; un Journal pour les dames ; un Journal villageois ; une Feuille nécessaire ; une Semaine littéraire, &c. que sais-je encore ?

C'est-là que les gens du monde vont puiser les lumieres sublimes, d'après lesquelles ils jugent les productions en tout genre. Quelques-uns de ces journalistes donnent aussi le ton à la province : on achete ou on laisse un livre d'après le bien ou le mal qu'ils en disent ; moyen sûr d'avoir dans sa bibliotheque presque tous les mauvais livres qui ont paru, & qu'ils ont loués, & de n'en avoir aucun des bons qu'ils ont déchirés.

Il seroit plus sûr de se conduire par une regle contraire ; de prendre tout ce qu'ils déprisent, & de rejetter tout ce qu'ils relevent. Il faut cependant excepter de cette regle le petit nombre de ces journalistes qui jugent avec candeur, & qui ne cherchent point comme d'autres à intéresser le public par la malignité & par la fureur avec laquelle ils avilissent & déchirent les auteurs & les ouvrages estimables.

JOURNAL, (Marine) c'est un registre que le pilote est obligé de tenir, sur lequel il marque régulierement chaque jour les vents qui ont regné, le chemin qu'a fait le vaisseau, la latitude observée ou estimée, & la longitude arrivée à la déclinaison de la boussole, les profondeurs d'eau & les fonds où il a sondé & mouillé ; en un mot toutes les remarques qui peuvent intéresser la navigation. Par l'ordonnance de la Marine de 1689, le capitaine commandant un vaisseau du roi, est obligé de tenir un journal exact de sa route.

Ces journaux au retour de chaque campagne sont remis au dépôt des cartes & plans de la marine ; & les observations & remarques qui s'y trouvent, servent à la perfection de l'Hydrographie & à la construction des cartes marines. (Z)


JOURNALIERS. m. (Gram.) ouvrier qui travaille de ses mains, & qu'on paye au jour la journée. Cette espece d'hommes forme la plus grande partie d'une nation ; c'est son sort qu'un bon gouvernement doit avoir principalement en vûe. Si le journalier est misérable, la nation est misérable.


JOURNALISTES. m. (Littérat.) auteur qui s'occupe à publier des extraits & des jugemens des ouvrages de Littérature, de Sciences & d'Arts, à mesure qu'ils paroissent ; d'où l'on voit qu'un homme de cette espece ne feroit jamais rien si les autres se reposoient. Il ne seroit pourtant pas sans mérite, s'il avoit les talens nécessaires pour la tâche qu'il s'est imposée. Il auroit à coeur les progrès de l'esprit humain ; il aimeroit la vérité, & rapporteroit tout à ces deux objets.

Un journal embrasse une si grande variété de matieres, qu'il est impossible qu'un seul homme fasse un médiocre journal. On n'est point à la fois grand géometre, grand orateur, grand poëte, grand historien, grand philosophe : on n'a point l'érudition universelle.

Un journal doit être l'ouvrage d'une société de savans ; sans quoi on y remarquera en tout genre les bévûes les plus grossieres. Le Journal de Trévoux que je citerai ici entre une infinité d'autres dont nous sommes inondés, n'est pas exempt de ce défaut ; & si jamais j'en avois le tems & le courage, je pourrois publier un catalogue qui ne seroit pas court, des marques d'ignorance qu'on y rencontre en Géométrie, en Littérature, en Chimie, &c. Les Journalistes de Trévoux paroissent sur-tout n'avoir pas la moindre teinture de cette derniere science.

Mais ce n'est pas assez qu'un journaliste ait des connoissances, il faut encore qu'il soit équitable ; sans cette qualité, il élevera jusqu'aux nues des productions médiocres, & en rabaissera d'autres pour lesquelles il auroit dû reserver ses éloges. Plus la matiere sera importante, plus il se montrera difficile ; & quelqu'amour qu'il ait pour la religion, par exemple, il sentira qu'il n'est pas permis à tout écrivain de se charger de la cause de Dieu, & il fera main-basse sur tous ceux qui, avec des talens médiocres, osent approcher de cette fonction sacrée, & mettre la main à l'arche pour la soutenir.

Qu'il ait un jugement solide & profond de la Logique, du goût, de la sagacité, une grande habitude de la critique.

Son art n'est point celui de faire rire, mais d'analyser & d'instruire. Un journaliste plaisant est un plaisant journaliste.

Qu'il ait de l'enjouement, si la matiere le comporte ; mais qu'il laisse là le ton satyrique qui décele toujours la partialité.

S'il examine un ouvrage médiocre, qu'il indique les questions difficiles dont l'auteur auroit dû s'occuper ; qu'il les approfondisse lui-même, qu'il jette des vûes, & que l'on dise qu'il a fait un bon extrait d'un mauvais livre.

Que son intérêt soit entierement séparé de celui du libraire & de l'écrivain.

Qu'il n'arrache point à un auteur les morceaux saillans de son ouvrage pour se les approprier ; & qu'il se garde bien d'ajoûter à cette injustice, celle d'exagérer les défauts des endroits foibles qu'il aura l'attention de soûligner.

Qu'il ne s'écarte point des égards qu'il doit aux talens supérieurs & aux hommes de génie ; il n'y a qu'un sot qui puisse être l'ennemi d'un de Voltaire, de Montesquieu, de Buffon, & de quelques autres de la même trempe.

Qu'il sache remarquer leurs fautes, mais qu'il ne dissimule point les belles choses qui les rachettent.

Qu'il se garantisse sur-tout de la fureur d'arracher à son concitoyen & à son contemporain le mérite d'une invention, pour en transporter l'honneur à un homme d'une autre contrée ou d'un autre siecle.

Qu'il ne prenne point la chicane de l'art pour le fond de l'art ; qu'il cite avec exactitude, & qu'il ne déguise & n'altere rien.

S'il se livre quelquefois à l'enthousiasme, qu'il choisisse bien son moment.

Qu'il rappelle les choses aux principes, & non à son goût particulier, aux circonstances passageres des tems, à l'esprit de sa nation ou de son corps, aux préjugés courans.

Qu'il soit simple, pur, clair, facile, & qu'il évite toute affectation d'éloquence & d'érudition.

Qu'il loue sans fadeur, qu'il reprenne sans offense.

Qu'il s'attache sur-tout à nous faire connoître les ouvrages étrangers.

Mais je m'apperçois qu'en portant ces observations plus loin, je ne ferois que répéter ce que nous avons dit à l'article CRITIQUE. Voyez cet article.


JOURNÉEsub. f. (Gram.) c'est la durée du jour, considérée par rapport à la maniere agréable ou pénible dont on la remplit. On dit un beau jour & une belle journée ; mais un jour est beau en lui-même, & une journée est belle par la jouissance qu'on en a. Cette journée fut sanglante. La journée sera longue ; il s'agit alors du chemin que l'on a à faire.

* JOURNEE de la saint Barthelemy, (Hist. mod.) c'est cette journée à jamais exécrable, dont le crime inoui dans le reste des annales du monde, tramé, médité, préparé pendant deux années entieres, se consomma dans la capitale de ce royaume, dans la plûpart de nos grandes villes, dans le palais même de nos rois, le 24 Août 1572, par le massacre de plusieurs milliers d'hommes.... Je n'ai pas la force d'en dire davantage. Lorsqu' Agamemnon vit entrer sa fille dans la forêt où elle devoit être immolée, il se couvrit le visage du pan de sa robe.... Un homme a osé de nos jours entreprendre l'apologie de cette journée. Lecteur, devine quel fut l'état de cet homme de sang ; & si son ouvrage te tombe jamais sous la main, dis à Dieu avec moi : ô Dieu, garantis-moi d'habiter avec ses pareils sous un même toit.

JOURNEE, (Comm.) on appelle gens de journée les ouvriers qui se louent pour travailler le long du jour, c'est-à-dire depuis cinq heures du matin jusqu'à sept heures du soir.

Travailler à la journée se dit parmi les ouvriers & artisans, par opposition à travailler à la tâche & à la piece. Le premier signifie travailler pour un certain prix & à certaines conditions de nourriture ou autrement, depuis le matin jusqu'au soir, sans obligation de rendre l'ouvrage parfait ; le second s'entend du marché que l'on fait de finir un ouvrage pour un certain prix, quelque tems qu'il faille employer pour l'achever.

Les statuts de la plûpart des communautés des Arts & Métiers mettent aussi de la différence entre travailler à la journée, & travailler à l'année. Les compagnons qui travaillent à l'année ne pouvant quitter leurs maîtres sans leur permission, que leur tems ne soit achevé, & les compagnons qui sont simplement à la journée, pouvant se retirer à la fin de chaque jour.

Quant à ceux qui sont à la tâche, il leur est défendu de quitter sans congé que l'ouvrage entrepris ne soit livré. Dict. de Comm.


JOÛTES. f. (Hist. de la Cheval.) joûte étoit proprement le combat à la lance de seul à seul ; on a ensuite étendu la signification de ce mot à d'autres combats, par l'abus qu'en ont fait nos anciens écrivains qui, en confondant les termes, ont souvent mis de la confusion dans nos idées.

Nous devons par conséquent distinguer les joûtes des tournois ; le tournois se faisoit entre plusieurs chevaliers qui combattoient en troupe, & la joûte étoit un combat singulier, d'homme à homme. Quoique les joûtes se fissent ordinairement dans les tournois après les combats de tous les champions, il y en avoit cependant qui se faisoient seules, indépendamment d'aucun tournois ; on les nommoit joûtes à tous venans, grandes & plénieres. Celui qui paroissoit pour la premiere fois aux joûtes, remettoit son heaume ou casque au héraut, à moins qu'il ne l'eût déja donné dans les tournois.

Comme les dames étoient l'ame des joûtes, il étoit juste qu'elles fussent célébrées dans ces combats singuliers d'une maniere particuliere ; aussi les chevaliers ne terminoient aucune joûte de la lance, sans faire à leur honneur une derniere joûte, qu'ils nommoient la lance des dames, & cet hommage se répétoit en combattant pour elles à l'épée, à la hache d'armes & à la dague.

Les joûtes passerent en France des Espagnols, qui prirent des Maures cet exercice, & l'appellerent juego de canas, le jeu de cannes, parce que dans le commencement de sa premiere institution dans leur pays, ils lançoient en tournoyant, des cannes les uns contre les autres, & se couvroient de leurs boucliers pour en parer le coup. C'est encore cet amusement que les Turcs appellent lancer le gerid ; mais il n'a aucun rapport avec les jeux troyens de la jeunesse romaine. Voyez TROYENS (Jeux).

Le mot de joûte vient peut-être de juxta, à cause que les joûteurs se joignoient de près pour se battre. D'autres le dérivent de justa, qui est le nom qu'on a donné, dit-on, dans la basse latinité à cet exercice ; on peut voir le Glossaire de Ducange au mot justa, car ces sortes d'étymologies ne nous intéressent guere, il nous faut des faits (D.J.)

JOUTE, (Maréchal.) combat à cheval avec la lance ou l'épée.


JOUTEREAUXS. m. (Marine) ce sont deux pieces de bois courbes, posées parallelement à l'avant du vaisseau pour soutenir l'éperon, & qui répondent d'une herpe à l'autre, dont elles font l'assemblage.

Joutereaux de mâts, ce sont deux pieces de bois courbes que l'on attache au haut du mât, de chaque côté, pour soutenir les barres de hune. (Z)


JOUX(Géogr. & Hist. nat.) c'est le nom d'une chaîne de montagnes, d'une vallée & d'un lac du pays de Vaud, dans le canton de Berne en Suisse.

Le mont-joux, mons Jovius ou mons Jovis ; c'est une portion du mont Jura. Le mont Jura est une longue chaîne de montagnes, qui s'étend depuis le Rhin près de Bâle jusqu'au Rhône à 4 lieues au-dessous de Genève. Cette chaîne est tantôt plus tantôt moins élevée ; elle a aussi plus ou moins de largeur : enfin elle prend dans cette étendue différens noms particuliers. Le long du Rhône, c'est le grand Credo ; c'est le mont saint Claude, entre la Franche-Comté & le Bugey ; c'est le mont-Joux ou le mont de Joux vers les sources de l'Ain & du Doux en Franche-Comté ; c'est aussi les monts de Joux dans le bailliage de Romainmotier du canton de Berne, frontiere du comté de Bourgogne ; c'est Pierre-Pertuis, Petra pertusa dans l'évêché de Bâle. La montagne y a été percée par les Romains ; on y voit encore une inscription qui en fait foi. C'est par-là qu'on entre dans le Munsterthal, ou la vallée de Montier Gran-val. Tirant plus loin du côté de Bâle & de Soleurre, le mont Jura est appellé Botzberg ; je ne m'arrête qu'aux dénominations les plus générales. Autrefois toute cette chaîne séparoit le royaume de Bourgogne en Bourgogne cisjurane & transjurane : aujourd'hui elle sépare la Suisse de la Franche-Comté & du Bugey.

Dans cette partie du mont Jura du comté de Bourgogne, qui porte aussi le nom de mont-joux, est une petite ville avec un château à une lieue de Pontarlier. Sept lieues plus loin vers le midi il y a encore un village du même nom de Joux, avec une abbaye & un lac.

Le mont-Joux dans le bailliage de Romainmotier a de même donné le nom à un lac & à une vallée. Là le mont Jura s'élargit considérablement ; il forme trois vallées qui se communiquent par des gorges : celle de Joux est la plus grande & la plus élevée, d'où on passe à celle de Vanillon, & de-là à celle de Valorbes qui est la plus basse. La partie la plus basse de la vallée de Joux est occupée par un lac de deux lieues de longueur, sur demi-lieue dans sa plus grande largeur. Toute la vallée à plus de quatre lieues de longueur, & environ deux de largeur. Le lac a vers son extrémité un étranglement comme un canal, où l'on a placé un long pont de bois : le lac s'élargit de nouveau ; ce qui forme un autre bassin, qu'on nomme le petit lac. De l'extrémité du pont s'éleve une montagne qui forme une nouvelle vallée du côté de la Franche-Comté ; cette vallée s'appelle le Lieu, d'un village de ce nom. Là est un troisieme lac qui n'est qu'un grand étang, qu'on appelle lacter, peut-être de lacus tortici ; cet étang paroît communiquer par des souterrains au lac de Joux. Une riviere entre dans celui-ci ; c'est l'Orbe qui vient du lac des Rousses ; grand nombre de ruisseaux y tombent aussi de toutes parts. L'abbaye est un gros village qui est presque au milieu de la vallée. A une portée de canon de ce lieu-là on voit sortir du pié d'un rocher une petite riviere qui coule avec rapidité, & va se jetter dans le lac ; elle a dix piés de largeur sur deux piés de profondeur. Malgré cette quantité d'eau qui entre sans-cesse dans le lac, aucune riviere n'en sort extérieurement ; mais on voit des bouches au fond de l'eau en divers endroits, où l'eau s'engouffre & se perd : les paysans appellent ces trous des entonnoirs, & ils sont attentifs qu'ils ne se bouchent pas. Il paroît qu'une partie de cette eau coule par-dessous diverses montagnes du côté de l'Isle dans le bailliage de Morges : le principal des entonnoirs est à l'extrémité du petit lac, à une demi-lieue du pont. Dans cet endroit on a construit des moulins que l'eau, dans sa chûte, avant que de se perdre dans les fentes des rochers, fait tourner : les moulins sont bâtis au-dessous du niveau du lac dans un grand creux qu'il y a dans le rocher.

Quoiqu'il n'y ait aucun fruit dans cette vallée, elle est très-agréable & très-riante en été. Il y croît de l'orge & de l'avoine ; les pâturages y sont fort bons ; le lac est abondant en poissons ; le pays est très-peuplé. Il y a trois grandes paroisses, composées chacune d'un village principal & de plusieurs hameaux, l'Abbaye, le Chenit & le Lieu.

Saint Romain & saint Lupicin ou saint Loup, deux freres, dont Grégoire de Tours a écrit la vie, se retirerent au bord d'un ruisseau appellé le Noson ; ils y vécurent comme hermites. Saint Loup abandonna le Noson pour aller au-dessus de la Sarra sur un rocher, près duquel coule une source soufrée qui fait de bons bains. Dans le lieu où étoit resté l'aîné des freres, on bâtit un hospice, puis un couvent sous le nom de Romani monasterium, d'où l'on a fait Romain-motier, qui est aujourd'hui une petite ville avec un bailliage le mieux renté du pays Romand. Le prieur de Romainmotier fit bâtir sur la fin du xiv. siecle, l'abbaye sur les bords du lac de Joux.

A une lieue de l'abbaye sur la montagne, du côté du pays Romand, on voit un grand trou large d'une douzaine de piés ; il communique perpendiculairement à une caverne très-profonde, où l'on entend des eaux souterraines couler avec bruit. Du côté opposé, c'est-à-dire du côté de la Franche-Comté, on voit aussi au milieu des bois un trou semblable, mais au-dessous duquel on n'entend point de bruit d'eau courante.

On ne doute point que l'eau du petit lac qui s'échappe vers les moulins, n'aille former au-dessous dans la vallée de Valorbe, la riviere de l'Orbe, qui sort toute formée d'un rocher à demi-lieue du village de Valorbes. Cette source a au moins seize piés de largeur, sur trois de profondeur.

On peut conclure de-là & de l'inspection des lieux qu'il ne seroit pas impossible de couper au-travers des rochers un canal pour vuider les lacs : ce seroit gagner du large dans un pays très-serré & très-peuplé.

Les habitans de cette vallée sont ingénieux & industrieux. On y trouve de bons horlogers, des serruriers fort adroits, & un grand nombre de lapidaires.

Il y a beaucoup de mines de fer dans les montagnes voisines. On y rencontre des pyrites globuleuses, & des marcassites anguleuses : les paysans ne manquent point de prendre les dernieres à cause de leur éclat, pour des mines d'or. On y trouve aussi sur-tout sur les revers du côté du midi & du couchant, des pétrifications, comme des térébratules, des cornes d'amon & des musculites. Dans le chemin de la vallée de Joux à celle de Vanlion, on ramasse quelques glossopetres ; & plus bas on voit une pierre ollaire, dont on pourroit peut-être tirer parti : il y a aussi des couches d'ardoise qui est négligée. E. BERTRAND.


JOUXTE(Jurisp.) du latin juxtà, terme usité dans les anciens titres, & singulierement dans les terriers, reconnoissances & déclarations, pour désigner les confins ou terreins d'un héritage. On dit jouxte la maison, terre, pré ou vigne, &c. d'un tel. (A)


JOVINIANISTESS. m. pl. (Théol.) hérétiques qui parurent dans le iv. & le v. siecle, & qui prirent le nom de Jovinien, moine d'un monastere de Milan que saint Ambroise dirigeoit, & qui en étant sorti avec quelques autres, sous prétexte que la regle étoit trop austere, enseigna & soutint opiniâtrement diverses erreurs.

Les principales étoient, que ceux qui ont été régénérés par le baptême avec une pleine foi, ne peuvent plus être vaincus par le démon ; que tous ceux qui auront conservé la grace du baptême auront une même récompense dans le ciel ; que les vierges n'ont pas plus de mérite que les veuves ou les femmes mariées, si leurs oeuvres ne les distinguent d'ailleurs : enfin qu'il n'y a point de différence entre s'abstenir des viandes, & en user avec action de graces.

Jovinien & ses disciples nioient encore que la sainte Vierge fût demeurée vierge après avoir mis Jesus-Christ au monde, prétendans qu'autrement c'étoit attribuer à Jesus-Christ un corps phantastique avec les Manichéens. Ces hérétiques qui vivoient conformément à leurs principes, furent condamnés par le pape Sirice, & par un concile que saint Ambroise tint à Milan en 390. Saint Jérôme & saint Augustin écrivirent contre eux, & refuterent solidement leurs erreurs. Fleury, Hist. eccl. tom. IV. liv. XIX. n. 19.


JOYAUXS. m. (Gramm.) ornemens précieux d'or, d'argent, de perles, de pierreries.

JOYAUX, s. f. (Jurisp.) ou bagues & joyaux, en fait de reprises de la femme, sont de deux sortes.

Les uns sont des bijoux que les époux ou les parens donnent volontairement à l'épouse avant ou le lendemain du mariage. Lorsque le mariage ne s'accomplit pas, & qu'il y a lieu à la restitution des présens de nôces, on peut aussi répéter les joyaux qui sont de quelque valeur, ce qui dépend des circonstances & de l'arbitrage du juge.

Quelques coutumes permettent à la femme survivante, & même à ses héritiers, de reprendre ses bagues & joyaux en nature. Voyez l'article 48 de la coutume de Bordeaux.

L'autre espece de bagues & joyaux est un don en argent que le mari fait à la femme en cas de survie, & qui se regle à proportion de sa dot. Voyez ci-devant BAGUES & JOYAUX. (A)


JOYEJOYEUX. Voyez JOIE, JOIEUX.


JU(Géog.) nom de deux villes & de deux rivieres de la Chine, marquées dans l'Atlas chinois, auquel je renvoie les curieux, si ce nom vient à se présenter dans leurs lectures. (D.J.)


JU-KIAU(Hist. mod. & Philosophie) c'est le nom que l'on donne à la Chine à des sectaires qui, si l'on en croit les missionnaires, sont de véritables athées. Les fondateurs de leur secte sont deux hommes célebres appellés Chu-tse & Ching-tsé ; ils parurent dans le quinzieme siecle, & s'associerent avec quarante-deux savans, qui leur aiderent à faire un commentaire sur les anciens livres de religion de la Chine, auxquels ils joignirent un corps particulier de doctrine, distribué en vingt volumes, sous le titre de Sing-li-ta-tsuen, c'est-à-dire philosophie naturelle. Ils admettent une premiere cause, qu'ils nomment Tai-Ki. Il n'est pas aisé d'expliquer ce qu'ils entendent par ce mot, ils avouent eux-mêmes que le Tai-Ki est une chose dont les propriétés ne peuvent être exprimées : quoi qu'il en soit, voici l'idée qu'ils tâchent de s'en former. Comme ces mots Tai-Ki dans leurs sens propres, signifient faîte de maison, ces docteurs enseignent que le Tai-Ki est à l'égard des autres êtres, ce que le faîte d'une maison est à l'égard de toutes les parties qui la composent ; que comme le faîte unit & conserve toutes les pieces d'un bâtiment, de même le Tai Ki sert à allier entr'elles & à conserver toutes les parties de l'univers. C'est le Tai-Ki, disent-ils, qui imprime à chaque chose un caractere spécial, qui la distingue des autres choses : on fait d'une piece de bois un banc ou une table ; mais le Tai-Ki donne au bois la forme d'une table ou d'un banc : lorsque ces instrumens sont brisés, leur Tai-Ki ne subsiste plus.

Les Ju-Kiau donnent à cette premiere cause des qualités infinies, mais contradictoires. Ils lui attribuent des perfections sans bornes ; c'est le plus pur & le plus puissant de tous les principes ; il n'a point de commencement, il ne peut avoir de fin. C'est l'idée, le modele & l'essence de tous les êtres ; c'est l'ame souveraine de l'univers ; c'est l'intelligence suprême qui gouverne tout. Ils soutiennent même que c'est une substance immatérielle & un pur esprit ; mais bien-tôt s'écartant de ces belles idées, ils confondent leur Tai-Ki avec tous les autres êtres. C'est la même chose, disent-ils, que le ciel, la terre & les cinq élémens, en sorte que dans un sens, chaque être particulier peut être appellé Tai-Ki. Ils ajoûtent que ce premier être est la cause seconde de toutes les productions de la nature, mais une cause aveugle & inanimée, qui ignore la nature de ses propres opérations. Enfin, dit le P. du Halde, après avoir flotté entre mille incertitudes, ils tombent dans les ténebres de l'athéisme, rejettant toute cause surnaturelle, n'admettant d'autre principe qu'une vertu insensible, unie & identifiée à la matiere.


JUANJUAN


JUBARTES. f. (Hist. nat.) espece de baleines qui n'ont point de dents ; on en trouve près des Bermudes, elles sont plus longues que celles du Groenland, mais elles ne sont point de la même grosseur. Elles se nourrissent communément des herbes qui se trouvent au fond de la mer, comme on a pû en juger par l'ouverture de la grande poche du ventricule de ces animaux, qui étoit remplie d'une substance verdâtre & semblable à de l'herbe. Voyez les Transactions philosophiques, année 1665. n °. 1.


JUBÉS. m. (Theolog.) tribunes élevées dans les églises, & sur-tout dans les anciennes, entre la nef & le choeur, & dans laquelle on monte pour chanter l'épître, l'évangile, lire des leçons, prophéties, &c.

Ce nom lui a, dit-on, été donné, parce que le diacre, soudiacre ou lecteur, avant que de commencer ce qu'il doit chanter ou réciter, demande au célébrant sa bénédiction, en lui adressant ces paroles : jube, Domine, benedicere.

On le nomme en latin ambo, qui vient du grec , parce qu'en effet on monte au jubé par des degrés pratiqués des deux côtés. D'autres veulent que pour cette raison on le dérive d'ambo, amborum, deux. Etymologie qui paroît bien froide & bien forcée.

C'est à cause de ces degrés qu'on a nommé graduel la partie de la messe qui se chante entre l'épitre & l'évangile. L'évangile se chantoit tout au haut du jubé, & l'épître sur le pénultieme degré.

On voit peu de jubés dans les églises modernes, il y en a même plusieurs anciennes où on les a supprimés. M. Thiers, dans un traité particulier sur les jubés, a regardé cette suppression presque comme un sacrilege, & donne le nom singulier d'ambonoclastes, ou briseurs de jubés, à ceux qui les démolissoient, ou qui en permettoient la destruction, que la vivacité de son zèle n'a pourtant point empêchée. Voyez AMBON. Voyez aussi nos Pl. d'Archit.


JUBETAS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un arbre du Japon, de la grosseur du prunier, dont les fleurs & les baies ressemblent à celles du troesne. Son écorce est verdâtre. Ses feuilles sont en grand nombre, disposées l'une vis-à-vis de l'autre, de figure ovale, tendres & sujettes à se flétrir bien-tôt. Le noyau est blanc, d'un goût astringent & caustique. Ses baies passent pour venimeuses.


JUBILÉS. m. (Théolog.) se disoit chez les Juifs de la cinquantieme année qui suivoit la révolution de sept semaines d'années, lors de laquelle tous les esclaves étoient libres, & tous les héritages retournoient en la possession de leurs premiers maîtres. Voyez ANNEE & SABATH.

Ce mot, suivant quelques auteurs, vient de l'hébreu jobel, qui signifie cinquante ; mais c'est une méprise, car le mot hébreu jobel ne signifie point cinquante, ni ses lettres prises pour des chiffres, ou, selon leur puissance numérale, ne font point 50, mais 10, 6, 2 & 30, c'est-à-dire 48. D'autres disent que jobel signifioit un bélier, & qu'on annonçoit le jubilé avec un cor fait d'une corne de belier, en mémoire de celui qui apparut à Abraham dans le buisson. Masios croît que ce nom vient de Jubal, qui fut le premier inventeur des instrumens de Musique, auxquels pour cette raison on donna son nom. Delà ensuite les noms du jobel & de jubilé pour signifier l'année de la délivrance & de rémission, parce qu'on l'annonçoit avec un des instrumens qui ne furent d'abord que des cornes de bélier & fort imparfaits. Diction. de Trévoux.

Il est parlé assez au long du jubilé dans le XXVe chapitre du Lévitique, où il est commandé aux Juifs de compter sept semaines d'années, c'est-à-dire sept fois sept, qui font quarante-neuf ans, & de sanctifier la cinquantieme année. Les Chronologistes ne conviennent pas si cette année jubilaire étoit la quarante-neuvieme ou la cinquantieme. Les achats qu'on faisoit chez les Juifs des biens & des terres n'étoient pas à perpétuité, mais seulement jusqu'à l'année du jubilé. La terre se reposoit aussi cette année-là, & il étoit défendu de la semer & de la cultiver. Les Juifs ont pratiqué ces usages fort exactement jusqu'à la captivité de Babylone. Mais ils ne les observerent plus après le retour, comme il est marqué dans le talmud par leurs docteurs, qui assurent qu'il n'y eut plus de jubilé sous le second temple. Cependant R. Moïse, fils de Maimon, dans son abrégé du talmud, dit que les Juifs ont toûjours continué de compter leurs jubilés, parce que cette supputation leur servoit pour régler leurs années, & sur-tout chaque septieme année, qui étoit la sabbatique, & certaines fêtes qui devoient régulierement revenir à des tems marqués. M. Simon, suppl. aux cérémon. des Juifs.

On donne aujourd'hui le nom de jubilé à une solemnité ou cérémonie ecclésiastique qu'on fait pour gagner une indulgence pléniere que le pape accorde extraordinairement à l'Eglise universelle, ou tout au moins à ceux qui visitent les églises de S. Pierre & de S. Paul à Rome. Voyez INDULGENCE.

Le jubilé fut établi par Boniface VIII. l'an 1300, en faveur de ceux qui iroient ad limina apostolorum, & il voulut qu'il ne se célébrât que de cent en cent ans. L'année de cette célébration apporta tant de richesses à Rome que les Allemands l'appelloient l'année d'or, & que Clément VI. jugea à propos de réduire la période du jubilé à cinquante ans. Urbain VI. voulut qu'on le célébrât tous les trente-cinq ans, & Sixte IV. tous les vingt-cinq ans, pour que chacun pût en jouir une fois en sa vie.

On appelle ordinairement ce jubilé, le jubilé de l'année sainte. La cérémonie qui s'observe à Rome pour l'ouverture de ce jubilé, consiste en ce que le pape, ou pendant la vacance du siége, le doyen des cardinaux, va à S. Pierre pour faire l'ouverture de la porte sainte qui est murée, & ne s'ouvre qu'en cette rencontre. Il prend un marteau d'or, & en frappe trois coups en disant, aperite mihi portas justitiae, &c. puis on acheve de rompre la maçonnerie qui bouche la porte. Ensuite le pape se met à genoux devant cette porte pendant que les pénitenciers de S. Pierre la lavent d'eau-benite, puis prenant la croix, il entonne le te Deum, & entre dans l'église avec le clergé. Trois cardinaux légats que le pape a envoyés aux trois autres portes saintes, les ouvrent avec la même cérémonie. Ces trois portes sont aux églises de S. Jean de Latran, de S. Paul & de sainte Marie majeure. Cette ouverture se fait toujours de vingt-cinq en vingt-cinq ans aux premieres vêpres de la fête de Noël. Le lendemain matin, le pape donne la bénédiction au peuple en forme de jubilé. L'année sainte étant expirée, on referme la porte sainte la veille de Noël en cette maniere. Le pape bénit les pierres & le mortier, pose la premiere pierre, & y met douze cassettes pleines de médailles d'or & d'argent, ce qui se fait avec la même cérémonie aux trois autres portes saintes. Le jubilé attiroit autrefois à Rome une quantité prodigieuse de peuple de tous les pays de l'Europe. Il n'y en va plus guere aujourd'hui que des provinces d'Italie, sur-tout depuis que les papes accordent ce privilege aux autres pays, qui peuvent faire le jubilé chez eux, & participer à l'indulgence.

Boniface IX. accorda des jubilés en divers lieux à divers princes & monasteres, par exemple, aux moines de Cantorbery ; qui avoient un jubilé tous les cinquante ans, durant lequel le peuple accouroit de toutes parts pour visiter le tombeau de saint Thomas Becket. Les jubilés sont aujourd'hui plus fréquens, & le pape en accorde suivant les besoins de l'Eglise. Chaque pape donne ordinairement un jubilé l'année de sa consécration.

Pour gagner le jubilé, la bulle oblige à des jeûnes, à des aumônes & à des prieres. Elle donne pouvoir aux prêtres d'absoudre des cas réservés, de faire des commutations de voeux, ce qui fait la différence d'avec l'indulgence pléniere. Au tems du jubilé toutes les autres indulgences sont suspendues.

Edouard III. roi d'Angleterre, voulut qu'on observât le jour de sa naissance en forme de jubilé, lorsqu'il fut parvenu à l'âge de cinquante ans. C'est ce qu'il fit en relâchant les prisonniers, en pardonnant tous les crimes, à l'exception de celui de trahison, en donnant de bonnes lois, & en accordant plusieurs privileges au peuple.

Il y a des jubilés particuliers dans certaines villes à la rencontre de certaines fêtes. Au Puy en Velay, par exemple, quand la fête de l'Annonciation arrive le vendredi saint : & à Lyon, quand celle de S. Jean-Baptiste concourt avec la fête-Dieu.

L'an 1640, les Jésuites célébrerent à Rome un jubilé solemnel du centénaire depuis la confirmation de leur compagnie ; & cette même fête se célébra dans toutes les maisons qu'ils ont établies en divers endroits du monde.

JUBILE ou JUBILAIRE, (Hist. ecclésiast.) se dit d'un religieux qui a cinquante ans de profession dans un monastere, ou d'un ecclésiastique qui a desservi une église pendant cinquante ans.

Ces sortes de religieux sont dispensés en certains endroits des matines & des rigueurs de la regle.

On appelle aussi dans la faculté de Théologie de Paris, jubilé, tout docteur qui a cinquante ans de doctorat, & il jouit de tous les émolumens, droits, &c. sans être tenu d'assister aux assemblées, thèses, & autres actes de la faculté.

Jubilé se dit encore d'un homme qui a vêcu cent ans, & d'une possession ou prescription de cinquante ans : Si ager non invenietur in scriptione, inquiratur de senioribus, quantum temporis fuit cum altero, & si sub certo jubilaeo mansit sine vituperatione, maneat in aeternum.


JUCATAN(Géogr.) grande province de l'Amérique dans la Nouvelle Espagne, découverte en partie par Ferdinand de Cordoue en 1517 ; elle est vis-à-vis de l'île de Cuba. Il y a dans cette province beaucoup de bois pour la construction des navires, du miel, de la cire, de la salsepareille, de la casse, & quantité de mahis : mais on n'y a point découvert de mines d'argent, & l'on n'y recueille point d'indigo ni de cochenille. La pointe de Jucatan, que les Indiens appellent Eccampi, gît à 21 degrés de hauteur ; elle a dans sa moindre largeur 80 de nos lieues, & 200 lieues de long. Cette province est moins connue par le nom de Jucatan que par celui de Campêche, port très-dangereux à la vérité, puisqu'il est rempli de bancs & d'écueils, mais fameux par son bois qui est nécessaire aux belles teintures. La péninsule de Jucatan est située depuis le seizieme degré de latitude septentrionale jusqu'au vingt-deux, depuis le golfe de Gonajos jusqu'au golfe de Triste. Les Espagnols occupent la partie occidentale, & les Indiens l'orientale, qui est du côté de Honduras, mais ces Indiens sont en très-petit nombre, tous tributaires, ou, pour mieux dire, esclaves de leurs conquérans. (D.J.)


JUCCAS. f. (Hist. natur.) nom que l'on donne en certains endroits de l'Amérique à la racine de manioc. Voyez CASSAVE & MANIOC.


JUCHARTS. m. (Oeconomie) mesure usitée dans la Suisse pour mesurer les terres, elle contient 140 verges de Basle, ou 287 verges de Rhinland, en quarré. Ce mot vient du mot latin juger.


JUCHÉadj. (Maréchallerie) un cheval juché est celui dont les boulets des jambes de derriere font le même effet que ceux des jambes de devant.


JUCUBA(Hist. nat.) espece de pois qui croissent en Afrique, au royaume de Congo ; ils viennent sous terre, dans une gousse ou dans une espece de poche ; ces pois sont fort petits, d'une couleur blanchâtre ; la fleur en est jaune, & d'une odeur qui ressemble à celle de la violette : on a de la peine à les ramollir par la cuisson, quand on y parvient, ces pois sont un très-bon manger.


JUDAIQUE(PIERRES), Hist. natur. Litologie, ce sont des pierres d'une forme ovale & semblable à des olives, ayant ordinairement une queue par un de leurs côtés. Quelques naturalistes les ont aussi désignées sous le nom de pierres d'olives ; elles sont plus ou moins pointues & allongées ; il y en a qui sont unies ; d'autres sont sillonnées ; d'autres sont remplies de petits tubercules. Quelques gens les ont regardées comme des glands pétrifiés ; mais il y a toute apparence que ce sont des tubercules ou pointes d'oursins pétrifiées. Quelques naturalistes ont aussi donné le nom de pierres judaïques à des pierres cylindriques, longues & pointues par un bout & arrondies par l'autre ; elles sont aussi ou lisses ou sillonnées ou garnies des tubercules. Ce sont parreillement des pointes d'oursins pétrifiées ou d'échinites. Voyez la Minéralogie de Wallerius, tome II. p. 97. & suiv. Ces pierres ont été ainsi nommées, parce qu'elles se trouvoient en Judée & dans la Palestine. Il s'en trouve aussi en Silésie & dans d'autres pays.

On leur attribuoit autrefois de grandes vertus médicinales, & l'on prétendoit que la pierre judaïque pulvérisée & prise dans de l'eau chaude étoit un grand diurétique & un remede souverain contre la pierre des reins & de la vessie : voilà apparemment pourquoi Pline l'a nommée técolithos. (-)


JUDAISERv. neut. (Gram. Théolog.) c'est avoir de l'attachement aux cérémonies judaïques. On a reproché aux premiers Chrétiens de judaïser. Nous disons aujourd'hui qu'un homme judaïse, lorsqu'il est observateur trop scrupuleux des choses peu importantes de la religion, s'il y a de pareilles choses.


JUDAISMES. m. (Théolog.) religion des Juifs. Le judaïsme étoit fondé sur l'autorité divine, & les Hébreux l'avoient reçu immédiatement du ciel ; mais il n'étoit que pour un tems, & il devoit faire place, du moins quant à la partie qui regarde les cérémonies, à la loi que J. C. nous a apportée.

Le Judaïsme étoit autrefois partagé en plusieurs sectes, dont les principales étoient celles des Pharisiens, des Saducéens & des Esseniens. Voyez PHARISIENS, SADUCEENS, &c.

On trouve dans les livres de Moïse un système complet de Judaïsme. Il n'y a plus aujourd'hui que deux sectes chez les Juifs ; savoir, celle des Caraïtes, qui n'admettent d'autre loi que celle de Moïse, & celle des rabbins qui y joignent les traditions du talmud. Voyez CARAÏTE & RABBIN.

On a remarqué que le Judaïsme est de toutes les religions celle que l'on abjure le plus difficilement. Dans la dix-huitieme année du regne d'Edouard I. le parlement lui accorda un quinzieme sur les biens du royaume pour le mettre en état d'en chasser les Juifs.

Les Juifs & tous les biens qu'ils possédoient appartenoient autrefois en Angleterre au seigneur sur les terres duquel ils vivoient, & qui avoit sur eux un empire si absolu qu'il pouvoit les vendre sans qu'ils pussent se donner à un autre seigneur sans sa permission. Matthieu Paris dit que Henri III. vendit les Juifs à son frere Richard pour le terme d'une année, afin que ce comte éventrât ceux que le roi avoit déja écorchés : Quos rex excoriaverat, comes evisceraret.

Ils étoient distingués des Chrétiens, tant durant leur vie qu'après leur mort, car ils avoient des juges particuliers devant lesquels leurs causes étoient portées, & ils portoient une marque sur leurs habits en forme de table, qu'ils ne pouvoient quitter en sortant de chez eux, sans payer une amende. On ne les enterroit jamais dans la contrée, mais hors des murailles de Londres.

Les Juifs ont été souvent proscrits en France, puis rétablis. Sous Philippe le Bel en 1308, ils furent tous arrêtés, bannis du royaume, & leurs biens confisqués. Louis Hutin son successeur les rappella en 1320. Philippe le Long les chassa de nouveau, & en fit brûler un grand nombre qu'on accusoit d'avoir voulu empoisonner les puits & les fontaines. Autrefois en Italie, en France & à Rome même on confisquoit les biens des Juifs qui se convertissoient à la foi chrétienne. Le roi Charles VI. les déchargea en France de cette confiscation, qui jusques-là s'étoit faite pour deux raisons, 1°. pour éprouver la foi de ces nouveaux convertis, n'étant que trop ordinaire à ceux de cette nation de feindre de se soumettre à l'Evangile pour quelque intérêt temporel, sans changer cependant intérieurement de croyance ; 2°. parce que comme leurs biens venoient pour la plûpart de l'usure, la pureté de la morale chrétienne sembloit exiger qu'ils en fissent une restitution générale, & c'est ce qui se faisoit par la confiscation. D. Mabillon, veter. analect. tom. III.

Les Juifs sont aujourd'hui tolérés en France, en Allemagne, en Pologne, en Hollande, en Angleterre, à Rome, à Venise, moyennant des tributs qu'ils payent aux princes. Ils sont aussi fort répandus en Orient. Mais l'inquisition n'en souffre pas en Espagne ni en Portugal. Voyez JUIFS.


JUDEEpître de S. (Théol.) nom d'un des livres canoniques du nouveau-Testament écrit par l'apôtre saint Jude, surnommé Thadée ou Lebbée & le zélé qui est appellé aussi quelquefois le frere du Seigneur, parce qu'il étoit, à ce qu'on croit, fils de Marie soeur de la sainte Vierge, & frere de saint Jacques le mineur évêque de Jérusalem.

Cette épître n'est adressée à aucune église particuliere, mais à tous les fideles qui sont aimés du pere & appellés du fils notre-Seigneur. Il paroît cependant par le verset 17 de cette épître où il cite la seconde de saint Pierre, & par tout le corps de la lettre où il imite les expressions de ce prince des apôtres, comme déja connues à ceux à qui il écrit, que son dessein a été d'écrire aux Juifs convertis qui étoient répandus dans toutes les provinces d'Orient, dans l'Asie mineure & au-delà de l'Euphrate. Il y combat les faux docteurs qu'on croit être les Gnostiques, les Nicolaïtes, & les Simoniens qui troubloient déja l'Eglise.

On ignore en quel tems elle a été écrite ; mais elle est certainement depuis les hérétiques dont on vient de parler ; d'ailleurs saint Jude y parle des apôtres comme morts depuis quelque tems ; ce qui fait conjecturer qu'elle est d'après l'an de J. C. 66, & même selon quelques-uns, écrite après la ruine de Jerusalem.

Quelques anciens ont douté de la canonicité & de l'authenticité de cette épître. Eusebe témoigne qu'elle a été peu citée par les écrivains ecclésiastiques, liv. II. chap. 23. mais il remarque en même tems qu'on la lisoit publiquement dans plusieurs églises. Ce qui a le plus contribué à la faire rejetter par plusieurs, c'est que l'apôtre y cite le livre d'Enoch ou du moins sa prophétie. Il y cite aussi un fait de la vie de Moïse qui ne se trouve point dans les livres canoniques de l'ancien-Testament, & qu'on croit avoir été pris d'un ouvrage apocryphe, intitulé l'assomption de Moïse. Mais enfin elle est reçue comme canonique depuis plusieurs siecles, parce que saint Jude pouvoit savoir d'ailleurs ce qu'il cite des livres apocryphes, ou qu'étant inspiré il pouvoit y discerner les vérités des erreurs avec lesquelles elles étoient mélées.

Grotius a cru que cette épître n'étoit pas de saint Jude apôtre, mais de Judas quinzieme évêque de Jerusalem, qui vivoit sous Adrien. Il pense que ces mots frater autem Jacobi, qu'on lit au commencement de cette épître, ont été ajoutés par les copistes, & que saint Jude n'auroit pas oublié, comme il fait, de s'y qualifier apôtre ; qu'enfin toutes les églises auroient reçu cette épître dès le commencement, si on eût crû qu'elle eût été d'un apôtre : mais cet auteur ne donne aucune preuve de cette addition prétendue. Saint Pierre, saint Paul & saint Jean ne mettent pas toujours leur qualité d'apôtres à la tête de leurs lettres. Enfin le doute de quelques églises sur l'authenticité de cette épître, ne lui doit pas plus préjudicier que le même doute sur tant d'autres livres canoniques de l'ancien & du nouveau-Testament. On a aussi attribué à saint Jude un faux évangile qui a été condamné par le pape Gélase. Voyez APOCRYPHES. Calmet, Diction. de la Bible.


JUDÉELA, (Géog.) pays d'Asie sur les bords de la méditérannée, entre cette mer au couchant, la Syrie au nord, les montagnes qui sont au-delà du Jourdain à l'orient, & l'Arabie au midi.

Sa longueur prise depuis la Syrie antiochienne jusqu'à l'Egypte, faisoit environ soixante-dix lieues, & sa largeur depuis la Méditerranée jusqu'à l'Arabie pétrée, environ trente lieues ; Jérusalem en étoit la capitale. Voyez JERUSALEM.

On appelloit anciennement la Judée le pays de Chanaan ; ensuite on lui donna le nom de Palestine, de Terre promise, de royaume de Juda, de terre d'Israël, & finalement de Terre-sainte. Elle est arrosée par le Jourdain & quelques torrens ; les montagnes les plus hautes du pays sont le Liban & l'anti-Liban.

La Judée, avant Josué, fut gouvernée par des rois chananéens ; après Josué, les Israëlites furent tantôt sous plusieurs servitudes, & tantôt eurent pour chefs des magistrats qu'ils nommerent juges, auxquels succéderent des rois de leur nation ; mais depuis le retour de la captivité, la Judée demeura soumise aux rois de Perse, aux successeurs d'Alexandre le grand, ensuite tantôt aux rois de Syrie, & tantôt aux rois d'Egypte. Après cela des Asmonéens gouvernerent la Judée en qualité de princes & de grands-prêtres, jusqu'à ce qu'elle fût réduite en province par les Romains, sous le département de la Syrie.

Depuis la chûte de l'empire romain, les Arabes, les Mahométans, les princes chrétiens, les Chorazans, se sont rendus maîtres de la Judée, enfin ce pays est tombé sous la domination de la Porte-Ottomane. Nous indiquerons son état présent au mot PALESTINE ; & pour le reste, nous renvoyerons le lecteur à l'excellente description que Réland en a publiée. (D.J.)

JUDEE, Bitume de, (Hist. nat.) nom donné par Pline & par quelques autres naturalistes à une espece d'asphalte ou de bitume solide, d'un noir luisant, extrèmement léger, qui se trouve en Judée nageant à la surface des eaux de la mer Morte. Voyez ASPHALTE & ASPHALTIDE.


JUDENBOURG(Géog.) Judenburgum, ville d'Allemagne dans le cercle d'Autriche, capitale de la haute Stirie. Une singularité du gouvernement de cette ville, est que le magistrat n'y juge point à mort, & que toutes les causes criminelles se portent à Gratz ; voyez Zeyler Stiriae typograph. Judenbourg est dans un canton agréable, à 14 milles N. O. de Gratz, 25 S. O. de Vienne. Long. 32. 55. lat. 47. 20. (D.J.)


JUDICATURES. f. (Jurisprud.) est l'état de ceux qui sont employés à l'administration de la justice.

On appelle offices de judicature, ceux qui ont pour objet l'administration de la justice, tels que les offices de présidens, conseillers, baillifs, prevôts, &c. Les offices de greffiers, huissiers, procureurs, notaires, sont aussi compris dans cette même classe.

Le terme de judicature est quelquefois pris pour tribunal ; on dit la judicature d'un tel endroit, comme qui diroit le corps des juges.

Quelquefois aussi par judicature on entend l'étendue de la jurisdiction, ou le ressort d'un juge. (A)


JUDICELLO le(Géog.) petite riviere de Sicile, dans le val de Noto, selon M. Delisle. Elle a sa source auprès de la Motta di sancta Anastasia, coupe en deux la ville de Catane & se perd dans la mer. C'est l'Amenanus des anciens, du moins de Strabon liv. V. pag. 240. qui remarque, qu'après avoir été à sec pendant quelques années, il avoit commencé à couler. (D.J.)


JUDICIAIREadj. (Jurisprud.) est ce qui se fait en jugement, ou par autorité de justice, ou qui appartient à la justice ; ainsi une requête judiciaire est celle qui se fait sur le barreau.

Un bail judiciaire est celui qui se fait par autorité de justice.

La pratique judiciaire ou les formes judiciaires, sont le style usité dans les tribunaux pour les procédures & pour les jugemens. (A)


JUDICIEUXadj. (Gramm.) qui marque du jugement, de l'expérience & du bon sens. On entend plus de choses ingénieuses & délicates, que de choses sensées & judicieuses. Il n'importe de plaire qu'aux hommes judicieux ; ce sont, leur autorité qui entraîne l'approbation des contemporains, & leurs jugemens que l'avenir ratifie. Un trait ingénieux amuse en conversation ; mais il n'y a que le mot judicieux qui se soutienne par écrit.


JUDITHlivre de, (Théolog.) nom d'un des livres canoniques de l'ancien-Testament, ainsi appellé parce qu'il contient l'histoire de Judith héroïne israëlite, qui délivra la ville de Béthulie sa patrie assiégée par Holopherne général de Nabuchodonosor, en mettant à mort ce même Holopherne.

L'authenticité & la canonicité du livre de Judith sont des points fort contestés. Les Juifs lisoient ce livre, & le conservoient du tems de saint Jérôme ; saint Clément pape l'a cité dans son épître aux Corinthiens, aussi-bien que l'auteur des constitutions apostoliques, écrites sous le nom du même saint Clément. S. Clément d'Alexandrie, liv. IV. des stromates ; Origene, Homél. 19 sur Jérémie, & tome III. sur saint Jean ; Tertullien, lib. de Monogamia, cap. 17. saint Ambroise, lib. 3 de Officiis, & lib. de vidius, en parlent aussi. Saint Jérôme le cite dans son épître à Furia, & dans sa préface sur le livre de Judith, il dit que le concile de Nicée avoit reçu ce livre parmi les canoniques, non qu'il eût fait un canon exprès pour l'approuver, car on n'en connoit aucun où il en soit fait mention, & saint Jérôme lui-même n'en cite aucun ; mais il savoit peut-être que les peres du concile l'avoient allégué, ou il présumoit que le concile l'avoit approuvé, puisque depuis ce concile les peres l'avoient reconnu & cité. Saint Athanase, ou l'auteur de la synopse qui lui est attribuée, en donne le précis comme des autres livres sacrés. Saint Augustin, comme il paroît par le livre II. de la Doctrine chrétienne, chap. 8. & toute l'église d'Afrique le recevoient dans leur canon. Le pape Innocent I. dans son épître à Exupere, & le pape Gélase dans le concile de Rome, l'ont reconnu pour canonique. Il est cité dans saint Fulgence & dans deux auteurs anciens, dont les sermons sont imprimés dans l'appendix du cinquieme tome de saint Augustin ; enfin le concile de Trente l'a déclaré canonique.

L'auteur de ce livre est inconnu. Saint Jérôme in agg. cap. 1. v. 6. semble croire que Judith l'écrivit elle-même ; mais il ne donne aucune bonne preuve de son sentiment. D'autres veulent que le grand-prêtre Joachim ou Eliacim, dont il est parlé dans ce livre, en soit l'auteur ; ce ne sont après tout que de simples conjectures. D'autres l'attribuent à Josué, fils de Josedech ; l'auteur, quel qu'il soit, ne paroît pas contemporain. Il dit chap. xiv. v. 6. que de son tems la famille d'Achior subsistoit encore dans Israël ; & chap. xvj. v. 31, qu'on y célébroit encore la fête de la victoire de Judith, expressions qui insinuent que la chose étoit passée depuis assez long-tems.

Les Juifs, du tems d'Origene, avoient l'histoire de Judith en hébreu, c'est-à-dire selon toute apparence en chaldéen, que l'on a souvent confondu avec l'hébreu. Saint Jérôme dit que de son tems ils la lisoient encore en chaldéen, & la mettoient au nombre des livres hagiographes ; voyez HAGIOGRAPHES. Sebastien Munster croit que les juifs de Constantinople l'ont encore à présent en cette langue ; mais jusqu'ici on n'a rien vu d'imprimé de Judith en chaldéen. La version siriaque que nous en avons est prise sur le grec, mais sur un grec plus correct que celui que nous lisons aujourd'hui. Saint Jérôme a fait sa version latine sur le chaldéen ; & elle est si différente de la grecque, qu'on ne sauroit dire que l'une & l'autre viennent de la même source & du même original. Ce pere se plaint fort de la variété qui se voyoit entre les exemplaires latins de son tems. Calmet, Diction. de la Bible, tome II. pag. 460 & 461. On peut aussi consulter la préface & le commentaire de ce savant auteur sur le livre de Judith.


JUDOIGNE(Géog.) Judonia, en flamand Geldenaken, petite ville des Pays-bas dans le Brabant, au quartier de Louvain, sur la Gete à 2 lieues de Tillemont, 4 de Gemblours, 5 de Louvain. Long. 22. 30. lat. 50. 43. (D.J.)


JUGAS. f. (Bot.) genre de plante dont la fleur est monopétale, en entonnoir, & porte un tuyau frangé. Il s'élève du fond du calice un pistil qui est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & qui devient dans la suite un fruit ou silique molle, charnue & contenant des semences irrégulieres. Plumier.

* JUGA ou JUGATINE, (Myth.) nom que l'on donnoit à Junon, en qualité de déesse qui présidoit aux mariages. Il vient de jugum joug, & Junon étoit appellée jugatine, du joug que l'on plaçoit sur les époux dans la cérémonie du mariage. Junon juga ou jugatine avoit un autel à Rome dans une rue dite de cette circonstance vicus jugatius.

Il y avoit deux dieux jugatins ; l'un pour les mariages auxquels il présidoit ; l'autre ainsi nommé des sommets des montagnes.


JUGES. m. (Droit moral) magistrat constitué par le souverain, pour rendre la justice en son nom à ceux qui lui sont soumis.

Comme nous ne sommes que trop exposés à céder aux influences de la passion quand il s'agit de nos intérêts, on trouva bon, lorsque plusieurs familles se furent jointes ensemble dans un même lieu, d'établir des juges, & de les revêtir du pouvoir de vanger ceux qui auroient été offensés, de sorte que tous les autres membres de la communauté furent privés de la liberté qu'ils tenoient des mains de la nature. Ensuite on tâcha de remédier à ce que l'intrigue ou l'amitié, l'amour ou la haine, pourroient causer de fautes dans l'esprit des juges qu'on avoit nommés. On fit à ce sujet des lois, qui réglerent la maniere d'avoir satisfaction des injures, & la satisfaction que chaque injure requéroit. Les juges furent par ce moyen soumis aux lois ; on lia leurs mains, après leur avoir bandé les yeux pour les empêcher de favoriser personne ; c'est pourquoi, selon le style de la jurisprudence, ils doivent dire droit, & non pas faire droit. Ils ne sont pas les arbitres, mais les interprêtes & les défenseurs des lois. Qu'ils prennent donc garde de supplanter la loi, sous prétexte d'y suppléer, les jugemens arbitraires coupent les nerfs aux lois, & ne leur laissent que la parole, pour m'exprimer avec le chancelier Bacon.

Si c'est une iniquité de vouloir rétrécir les limites de son voisin, quelle iniquité seroit-ce de transporter despotiquement la possession & la propriété des domaines en des mains étrangeres ! Une sentence injuste, émanée arbitrairement, est un attentat contre la loi, plus fort que tous les faits des particuliers qui la violent ; c'est corrompre les propres sources de la justice, c'est le crime des faux monnoyeurs qui attaque le prince & le peuple.

Personne n'ignore en quoi consistent les autres devoirs des juges, & je suis dispensé d'entrer dans ce détail. Je remarquerai seulement que le juge ayant rapport avec le souverain ou le gouvernement, avec les plaideurs, avec les avocats, avec les subalternes de la justice ; ce sont autant d'especes de devoirs différens qu'il doit remplir. Quant aux parties il peut les blesser, ou par des arrêts injustes & précipités, ou par de longs délais. Dans les états où regne la vénalité des charges de judicature, le devoir des juges est de rendre promtement la justice ; leur métier est de la différer, dit la Bruyere.

Un juge prévenu d'inclination en faveur d'une partie, devroit la porter à un accommodement plutôt que d'entreprendre de la juger. J'ai lu dans Diogene Laërce que Chilon se fit recuser dans une affaire, ne voulant opiner ni contre la loi, ni décider contre l'amitié.

Que le juge sur-tout reprime la violence, & s'oppose à la fraude qu'il découvre ; elle fuit dès qu'on la voit. S'il craint que l'iniquité puisse prévaloir ; s'il la soupçonne appuyée du crédit, ou déguisée par les détours de la chicane, c'est à lui de contrebalancer ces sortes de malversations, & d'agir de son mieux pour faire triompher l'innocence.

En deux mots, " le devoir d'un juge est de ne point perdre de vûe qu'il est homme, qu'il ne lui est pas permis d'excéder sa commission, que nonseulement la puissance lui est donnée, mais encore la confiance publique ; qu'il doit toujours faire une attention sérieuse, non pas à ce qu'il veut, mais à ce que la loi, la justice & la religion lui commandent ". C'est Ciceron qui parle ainsi dans son oraison pour Cluentius, & je ne pouvois pas supprimer un si beau passage. (D.J.)

JUGE, s. m. (Hist. des Israélites) gouverneur du peuple Juif avant l'établissement des rois ; en effet on donna le nom de juges à ceux qui gouvernerent les Israëlites, depuis Moïse inclusivement jusqu'à Saül exclusivement. Ils sont appellés en hébreu sophetim au plurier, & sophet au singulier. Tertullien n'a point exprimé la force du mot sophetim, lorsque citant le livre des juges, il l'appelle le livre des censeurs ; leur dignité ne répondoit point à celle des censeurs romains, mais coïncidoit plutôt avec les suffetes de Carthage, ou les archontes perpétuels d'Athenes.

Les Hébreux n'ont pas été les seuls peuples qui ayent donné le titre de suffettes ou de juges à leurs souverains ; les Tyriens & les Carthaginois en agirent de même. De plus les Goths n'accorderent dans le iv. siecle à leurs chefs que le même nom ; & Athanaric qui commença de les gouverner vers l'an 369, ne voulut point prendre la qualité de roi, mais celle de juge, parce qu'au rapport de Thémistius, il regardoit le nom de roi comme un titre d'autorité & de puissance, & celui de juge, comme une annonce de sagesse & de justice.

Grotius compare le gouvernement des Hébreux sous les juges à celui qu'on voyoit dans les Gaules & dans la Germanie avant que les Romains l'eussent changé.

Leur charge n'étoit point héréditaire, elle étoit à vie ; & leur succession ne fut ni toujours suivie, ni sans interruption ; il y eut des anarchies & de longs intervalles de servitude, durant lesquels les Hébreux n'avoient ni juges, ni gouverneurs suprèmes. Quelquefois cependant ils nommerent un chef pour les tirer de l'opression ; c'est ainsi qu'ils choisirent Jephthé avec un pouvoir limité, pour les conduire dans la guerre contre les Ammonites ; car nous ne voyons pas que Jephthé ni Baruc ayent exercé leur autorité au-delà du Jourdain.

La puissance de leurs juges en général, ne s'étendoit que sur les affaires de la guerre, les traités de paix & les procès civils ; toutes les autres grandes affaires étoient du district du sanhédrin : les juges n'étoient donc à proprement parler que les chefs de la république.

Ils n'avoient pas le pouvoir de faire de nouvelles loix, d'imposer de nouveaux tributs. Ils étoient protecteurs des loix établies, défenseurs de la religion, & vengeurs de l'idolatrie ; d'ailleurs sans éclat, sans pompe, sans gardes, sans suite, sans équipages, à moins que leurs richesses personnelles ne les missent en état de se donner un train conforme à leur rang.

Le revenu de leur charge ne consistoit qu'en présens qu'on leur faisoit ; car ils n'avoient aucun émolument réglé, & ne levoient rien sur le peuple.

A présent nous récapitulerons sans peine les points dans lesquels les juges des Israëlites différoient des rois. 1°. Ils n'étoient point héréditaires ; 2°. ils n'avoient droit de vie & de mort que selon les lois, & dépendamment des lois ; 3°. ils n'entreprenoient point la guerre à leur gré, mais seulement quand le peuple les appelloit à leur tête ; 4°. ils ne levoient point d'impôts ; 5°. ils ne se succédoient point immédiatement. Quand un juge étoit mort, il étoit libre à la nation de lui donner un successeur sur le champ, ou d'attendre ; c'est pourquoi on a vu souvent plusieurs années d'inter-juges, si je puis parler ainsi ; 6°. ils ne portoient point les marques de souveraineté, ni sceptre, ni diadème ; 7°. enfin ils n'avoient point d'autorité pour créer de nouvelles lois, mais seulement pour faire observer celles de Moïse & de leurs prédécesseurs. Ce n'est donc qu'improprement que les juges sont appellés rois dans deux endroits de la Bible, sçavoir, Juges ch. ix. & ch. xviij.

Quant à la durée du gouvernement des juges, depuis la mort de Josué jusqu'au regne de Saül, c'est un sujet de chronologie sur lequel les savans ne sont point d'accord, & qu'il importe peu de discuter ici. (D.J.)

JUGES, livre des (Théol.) livre canonique de l'ancien testament, ainsi nommé parce qu'il contient l'histoire du gouvernement des juges ou chefs principaux qui régirent la république des Hébreux, à compter environ trente ans depuis la mort de Josué jusqu'à l'élévation de Saül sur le trône, c'est-à-dire l'espace de plus de trois cent ans.

Ce livre que l'Eglise reconnoît pour authentique & canonique, est attribué par quelques-uns à Phinês, par d'autres à Esdras ou à Ezéchias, & par d'autres à Samuel ou à tous les juges qui auroient écrit chacun l'histoire de leur tems & de leur judicature. Le P. Calmet pense que c'est l'ouvrage d'un seul auteur qui vivoit après le tems des juges. La preuve qu'il en apporte est, qu'au chap. xv. viij. x. & dans les suivans, l'auteur fait un précis de tout le livre, & qu'il en donne une idée générale. L'opinion qui l'attribue à Samuel paroît fort probable ; 1°. l'auteur vivoit en un tems où les Jébuséens étoient encore maîtres de Jérusalem, comme il paroît par le chap. j. v. 21. & par conséquent avant David ; 2°. il paroît que lorsque ce livre fut écrit, la république des Hébreux étoit gouvernée par des rois, puisque l'auteur remarque en plus d'un endroit sous les juges, qu'alors il n'y avoit point de rois en Israël.

On ne laisse pas que de former contre ce sentiment quelques difficultés considérables, par exemple il est dit dans les Juges, chap. xviij. v. 30 & 31. que les enfans de Dan établirent Jonathan & ses fils prétres dans la tribu de Dan jusqu'au jour de leur captivité, & que l'idole de Micha demeura chez eux, tandis que la maison du Seigneur fut à Silo. Le tabernacle ou la maison de Dieu ne fut à Silo que jusqu'au commencement de Samuel, car alors on la tira de Silo pour la porter au camp où elle fut prise par les Philistins ; & depuis ce tems elle fut renvoyée à Cariath-ïarim. Quant à la captivité de la tribu de Dan, il semble qu'on ne peut guere l'entendre que de celle qui arriva sous Theglapt Phalassar, roi d'Assirie, plusieurs siecles après Samuel : & par conséquent il n'a pu écrire ce livre, à moins qu'on ne reconnoisse que ce passage y a été ajoûté depuis lui ; ce qui n'est pas incroyable, puisqu'on a d'autres preuves & d'autres exemples de semblables additions faites au texte des livres sacrés. Calmet, Diction. de la Bible.


JUGEMENTS. m. (Métaphysique) puissance de l'ame, qui juge de la convenance, ou de la disconvenance des idées.

Il ne faut pas confondre le jugement avec l'accord successif des connoissances que procurent les sens, indépendamment des facultés intellectuelles ; car le jugement n'a aucune part dans ce qui est apperçu & discerné par le seul effet des sensations. Lorsque nous buvons séparément du vin & de l'eau, les impressions différentes que ces deux liqueurs font sur notre langue, suffisent pour que nous les distinguions l'une de l'autre. Il en est de même des sensations que nous recevons par la vûe, par l'ouie, par l'odorat ; le jugement n'y entre pour rien.

Nous ne jugeons pas, lorsque nous appercevons que la neige est blanche, parce que la blancheur de la neige se distingue par la simple vûe de la neige. Les hommes & les bêtes acquierent également cette connoissance par le seul discernement, sans aucune attention, sans aucun examen, sans aucune recherche. Le jugement n'a pas plus lieu dans les cas où l'on est déterminé par sensation à agir, ou à ne pas agir. Si nous sommes, par exemple, placés trop près du feu, la chaleur qui nous incommode nous porte, ainsi que les bêtes, à nous éloigner, sans la moindre délibération de l'esprit.

Le jugement est donc une opération de l'ame raisonnable ; c'est un acte de recherche, par lequel après avoir taché de s'assurer de la vérité, elle se rend à son évidence. Pour y parvenir, elle combine, elle compare ce qu'elle veut connoître avec précision. Elle pese les motifs qui peuvent la décider à agir, ou à ne pas agir. Elle fixe ses desseins ; elle choisit les moyens qu'elle doit préférer pour les exécuter.

On estime les choses sur lesquelles il s'agit d'établir son jugement, en appréciant leur degré de perfection ou d'imperfection, l'état des qualités, la valeur des actions, des causes, des effets, l'étendue & l'exactitude des rapports. On les compte par les regles du calcul ; on les mesure en les comparant à des valeurs, à des quantités, ou à des qualités connues & déterminées.

Cependant comme la faculté intellectuelle que nous appellons jugement, a été donnée à l'homme, non-seulement pour la spéculation, mais aussi pour la conduite de sa vie, il seroit dans un triste état, s'il devoit toûjours se décider d'après l'évidence, & la certitude d'une parfaite connoissance ; car cette évidence étant resserrée dans des bornes fort étroites, l'homme se trouveroit souvent indéterminé dans la plûpart des actions de sa vie. Quiconque ne voudra manger qu'après avoir vu démonstrativement qu'un tel mets le nourrira sans lui causer d'incommodité ; & quiconque ne voudra agir, qu'après avoir vu certainement que ce qu'il doit entreprendre sera suivi d'un heureux succès, n'aura presque autre chose à faire, qu'à se tenir en repos ou à périr d'inanition.

S'il y a des choses exposées à nos yeux dans une entiere évidence, il y en a un beaucoup plus grand nombre, sur lesquelles nous n'avons qu'une lumiere obscure, & si je puis ainsi m'exprimer, un crépuscule de probabilité. Voilà pourquoi l'usage & l'excellence du jugement se bornent ordinairement à pouvoir observer la force ou le poids des probabilités ; ensuite à en faire une juste estimation ; enfin, après les avoir pour ainsi dire toutes sommées exactement, à se déterminer pour le côté qui emporte la balance.

Les personnes qui ont le plus d'esprit & le plus de mémoire, n'ont pas toûjours le jugement le plus solide & le plus profond : j'entends par esprit, l'art de joindre promtement les idées, de les varier, d'en faire des tableaux qui divertissent & frappent l'imagination. L'esprit en ce sens est satisfait de l'agrément de la peinture, sans s'embarrasser des regles severes du raisonnement. Le jugement au contraire, travaille à approfondir les choses, à distinguer soigneusement une idée d'avec une autre, & à éviter qu'une infinité ne lui donne le change.

Il est vrai que souvent le jugement n'émane pas de si bons principes ; les hommes incapables du degré d'attention qui est requis dans une longue suite de gradations, ou de différer quelque tems à se déterminer, jettent les yeux dessus à vue de pays, & supposent, après un leger coup d'oeil, que les choses conviennent ou disconviennent entr'elles.

Ce seroit la matiere d'un grand ouvrage, que d'examiner combien l'imperfection dans la faculté de distinguer les idées, dépend d'une trop grande précipitation naturelle à certains tempéramens, de l'ignorance, du manque de pénétration, d'exercice, & d'attention du côté de l'entendement, de la grossiereté, des vices, ou du défaut d'organes, &c. Mais il suffit de remarquer ici, que c'est à se représenter nettement les idées, & à pouvoir les distinguer exactement les unes des autres, lorsqu'il regne entre elles quelque différence, que consiste en grande partie la justesse du jugement. Si l'esprit unit ou sépare les idées, selon qu'elles le sont dans la réalité, c'est un jugement droit. Heureux ceux qui réussissent à le former ! Plus heureux encore ceux que la nature a gratifiés de cette rare prérogative ! (D.J.)

JUGEMENT, (Jurisprud.) est ce qui est ordonné par un juge sur une contestation portée devant lui.

Ce terme se prend aussi quelquefois pour justice en général, comme quand on dit ester en jugement, stare in judicio, poursuivre quelqu'un en jugement.

On entend aussi quelquefois par-là l'audience tenante, comme quand on dit une requête faite en jugement, c'est-à-dire judiciairement ou en présence du juge.

Tout jugement doit être précédé d'une demande ; & lorsqu'il intervient sur les demandes & défenses des parties, il est contradictoire ; s'il est rendu seulement sur la demande, sans que l'autre partie ait défendu ou se présente, alors il est par défaut ; & si c'est une affaire appointée, ce défaut s'appelle un jugement par forclusion ; en matiere criminelle, c'est un jugement de contumace.

Il y a des jugemens préparatoires, d'autres provisionnels, d'autres interlocutoires, d'autres définitifs.

Les uns sont rendus à la charge de l'appel ; d'autres sont en dernier ressort, tels que les jugemens prevôtaux & les jugemens présidiaux au premier chef de l'édit ; enfin, il y a des jugemens souverains, tels que les arrêts des cours souveraines.

On appelle jugement arbitral, celui qui est rendu par des arbitres.

Premier jugement, est celui qui est rendu par le premier juge, c'est-à-dire devant lequel l'affaire a été portée en premiere instance.

Jugement de mort, est celui qui condamne un accusé à mort.

Quand il y a plusieurs juges qui assistent au jugement, il doit être formé à la pluralité des voix ; en cas d'égalité, il y a partage ; & si c'est en matiere criminelle, il faut deux voix de plus pour départager ; quand il n'y en a qu'une, le jugement passe à l'avis le plus doux.

Dans les causes d'audience, c'est celui qui préside qui prononce le jugement ; le greffier doit l'écrire à mesure qu'il le prononce.

Dans les affaires appointées, c'est le rapporteur qui dresse le dispositif.

On distingue deux parties dans un jugement d'audience, les qualités & le dispositif.

Les jugemens sur procès par écrit, outre ces qualités, ont encore le vu avant le dispositif.

On peut acquiescer à un jugement & l'exécuter, ou en interjetter appel.

Voyez dans le corps de droit civil & canonique les titres de judiciis, de sententiis, de re judicatâ, de exceptione rei judicatae, & l'ordonnance de 1667, tit. de l'exécution des jugemens, & aux mots APPEL, DISPOSITIF, QUALITES, VU. (A)

JUGEMENT DE LA CROIX étoit une de ces épreuves que l'on faisoit anciennement dans l'espérance de découvrir la vérité. Ce jugement consistoit à donner gain de cause à celui des deux parties qui tenoit le plus longtems ses bras élevés en croix. Voyez M. le président Hénault à l'année 848. (A)

JUGEMENT DE DIEU ; on appelloit ainsi autrefois les épreuves qui se faisoient par l'eau bouillante, & autres semblables, dont l'usage a duré jusqu'à Charlemagne.

On donnoit aussi le même nom à l'épreuve qui se faisoit par le duel, dont l'usage ne fut aboli que par Henri II.

Le nom de jugement de Dieu que l'on donnoit à ces différentes sortes d'épreuves, vient de ce que l'on étoit alors persuadé que le bon ou mauvais succès que l'on avoit dans ces sortes d'épreuves, étoit un jugement de Dieu, qui se déclaroit toujours pour l'innocent.

Voyez DUEL, éPREUVE & PURGATION VULGAIRE. (A)

JUGEMENS PARTICULIERS DES ROMAINS, (Hist. de la Jurisprud. rom.) Les jugemens chez les Romains, étoient ou publics ou particuliers. Ces derniers se rendoient quelquefois devant un tribunal au barreau, quelquefois dans les basiliques, & quelquefois sur le lieu même où le peuple étoit assemblé de plano.

Par jugement particulier on entend la discussion, l'examen & la décision des contestations qui naissoient au sujet des affaires des particuliers. Voici l'ordre suivant lequel on y procédoit.

De l'ajournement. Si le différend ne pouvoit pas se terminer à l'amiable (car c'étoit la premiere voie que l'on tentoit ordinairement), le demandeur assignoit sa partie à comparoître en justice le jour d'audience, c'est-à-dire qu'il le sommoit de venir avec lui devant le préteur. Si le défendeur refusoit de le suivre, les lois des douze tables permettoient au demandeur de le saisir & de le traîner par force devant le juge ; mais il falloit auparavant prendre à témoin de son refus quelqu'un de ceux qui se trouvoient présens ; ce qui se faisoit en lui touchant le bout de l'oreille. Dans la suite il fut ordonné, par un édit du préteur, que si l'ajourné ne vouloit pas se présenter sur le champ en justice, il donneroit caution de se représenter un autre jour ; s'il ne donnoit pas caution, ou s'il n'en donnoit pas une suffisante, on le menoit, après avoir pris des témoins, devant le tribunal du préteur, si c'étoit un jour d'audience, sinon on le conduisoit en prison, pour l'y retenir jusqu'au plus prochain jour d'audience, & le mettre ainsi dans la nécessité de comparoître.

Lorsque quelqu'un demeuroit caché dans sa maison, il n'étoit pas à la vérité permis de l'en tirer, parce que tout citoyen doit trouver dans sa maison un azile contre la violence ; mais il étoit assigné en vertu d'un ordre du préteur, qu'on affichoit à sa porte en présence de témoins. Si le défaillant n'obéissoit pas à la troisieme de ces assignations, qui se donnoient à dix jours l'une de l'autre, il étoit ordonné par sentence du magistrat, que ses biens seroient possédés par ses créanciers, affichés & vendus à l'encan. Si le défendeur comparoissoit, le demandeur exposoit sa prétention, c'est-à-dire qu'il déclaroit de quelle action il prétendoit se servir, & pour quelle cause il vouloit poursuivre ; car il arrivoit souvent que plusieurs actions concouroient pour la même cause. Par exemple, pour cause de larcin, quelqu'un pouvoit agir par revendication, ou par condition furtive, ou bien en condamnation de la peine du double, si le voleur n'avoit pas été pris sur le fait, ou du quadruple s'il avoit été pris sur le fait.

Deux actions étoient pareillement ouvertes à celui qui avoit empêché d'entrer dans sa maison, l'action en réparation d'injure, & celle pour violence faite, & ainsi dans les autres matieres. Ensuite le demandeur demandoit l'action ou le jugement au préteur ; c'est-à-dire qu'il le prioit de lui permettre de poursuivre sa partie, & le défendeur de son côté demandoit un avocat.

Après ces préliminaires, le demandeur exigeoit, par une formule prescrite, que le défendeur s'engageât, sous caution, à se représenter en justice un certain jour, qui pour l'ordinaire étoit le surlendemain : c'est ce qu'on appelloit de la part du demandeur, reum vadari, & de la part du défendeur, vadimonium promittere. S'il ne comparoissoit pas, on disoit qu'il avoit fait défaut ; ce qui s'exprimoit par vadimonium deserere. Trois jours après, si les parties n'avoient point transigé, le préteur les faisoit appeller, & si l'une des deux ne comparoissoit pas, elle étoit condamnée, à moins qu'elle n'eût des raisons bien légitimes pour excuser son défaut de comparoir.

De l'action. Quand les deux parties se trouvoient à l'audience, le demandeur proposoit son action, conçue selon la formule qui lui convenoit ; car les conclusions de chaque action étoient renfermées dans des formules tellement propres à chacune, qu'il n'étoit pas permis de s'en écarter d'une syllabe. On prétend que C. N. Fulvius, qui de greffier devint édile l'an de Rome 449, fut l'auteur de ces formules ; mais l'empereur Constantin les abrogea toutes, & il fit bien.

La formule de l'action étant reglée, le demandeur prioit le préteur de lui donner un tribunal ou un juge ; s'il lui donnoit un juge, c'étoit ou un juge proprement dit, ou un arbitre ; s'il lui donnoit un tribunal, c'étoit celui des commissaires, qu'on appelloit recuperatores, ou celui des centumvirs.

Le juge qui étoit donné de l'ordonnance du préteur connoissoit de toutes sortes de matieres, pourvû que l'objet fût peu important, mais il ne lui étoit pas permis, comme je l'ai déja dit, de s'écarter tant soit peu de la formule de l'action.

L'arbitre connoissoit des causes de bonne foi & arbitraires. Quelquefois dans les arbitrages on consignoit une somme d'argent, qu'on appelloit compromissum, compromis ; c'étoit un accord fait entre les parties de s'en tenir à la décision de l'arbitre, sous peine de perdre l'argent déposé.

Les commissaires recuperatores connoissoient des causes dans lesquelles il s'agissoit du recouvrement & de la restitution des deniers & effets des particuliers : on ne donnoit ces juges que dans les contestations de faits, comme en matiere d'injure, &c.

Des juges nommés centumvirs. Je m'étendrai un peu davantage sur ce qui regarde les centumvirs. Ils étoient tirés de toutes les tribus, trois de chacune, de sorte qu'ils étoient au nombre de cent cinq ; ce qui n'empêchoit pas qu'on ne leur donnât le nom de centumvirs. Ces juges rendoient la justice dans les causes les plus importantes, lorsqu'il s'agissoit de questions de droit & non de fait, sur-tout dans la pétition d'hérédité, dans la plainte de testamens inofficieux, & dans d'autres matieres semblables. Les jugemens des centumvirs avoient une certaine forme qui leur étoit propre.

Outre cela, ces juges étoient assis sur des tribunaux, au lieu que les autres n'étoient assis que sur des bancs. Il n'y avoit point d'appel de leurs jugemens, parce que c'étoit comme le conseil de tout le peuple. On a lieu de croire que ces magistrats furent créés l'an de Rome 519 ou environ, lorsque le peuple fut partagé pour la premiere fois en 135 tribus : cela paroît par la loi 12, 55, 29. ff. de l'origine du droit. Après le regne d'Auguste, le corps des centumvirs devint plus nombreux, & pour l'ordinaire il montoit à cent quatre-vingt : ils étoient distribués en quatre chambres ou tribunaux.

C'étoient les décemvirs qui, par l'ordre du préteur, assembloient ces magistrats pour rendre la justice. Les décemvirs, quoiqu'au nombre des magistrats subalternes, étoient du conseil du préteur, & avoient une sorte de prééminence sur les centumvirs. Il y en avoit cinq qui étoient sénateurs, & cinq chevaliers. Le préteur de la ville présidoit au jugement des centumvirs, & tenoit, pour ainsi dire, la balance entre les quatre tribunaux.

On se contentoit quelquefois de porter les causes légeres à deux de ces tribunaux, ensorte qu'on pouvoit instruire deux affaires en même-tems. Les centumvirs s'assembloient dans les basiliques, qui étoient de magnifiques édifices, où étoit déposée une pique pour marque de jurisdiction : de-là vient qu'on disoit un jugement de la pique, hastae judicium, pour désigner un jugement des centumvirs. C'étoit les décemvirs qui recueilloient les voix, & cet acte de jurisdiction s'exprimoit par ces mots, hastam cogere, de même que ceux qui présidoient à d'autres tribunaux étoient dits, judicium cogere.

De la forme du jugement. Le juge, comme l'arbitre, devoit être approuvé par le défendeur, & on disoit alors que le juge convenoit. Il falloit aussi que les deux parties, tant le demandeur que le défendeur, souscrivissent le jugement des centumvirs, afin qu'il parût qu'ils y avoient consenti. On donnoit pour juge un homme qu'aucun empêchement, soit du côté des lois, soit du côté de la nature, soit du côté des moeurs, n'excluoit de cette fonction, & on le donnoit dans le même tems qu'il étoit démandé ; ensuite on présentoit les cautions de payer les jugemens, & de ratifier celle qui seroit ordonnée.

Celle du défendeur étoit présentée la premiere, ou par son procureur, en cas qu'il fût absent, ou par lui-même quand il étoit présent, ou hors le jugement, en confirmant ce qui avoit été fait par son procureur. Cette caution se donnoit sous trois clauses ; sçavoir, de payer le juge, de défendre à la demande, & de n'employer ni dol ni fraude ; mais lorsque l'ajourné étoit obligé de se défendre en personne, il n'étoit point astraint à donner cette caution, on exigeoit seulement qu'il s'engageât d'attendre la décision, ou sous sa caution juratoire, ou sur sa simple parole, ou enfin qu'il donnât caution selon sa qualité.

Le procureur du demandeur devoit donner caution que ce qu'il feroit seroit ratifié. Lorsqu'on doutoit de son pouvoir à quelque égard, ou bien lorsqu'il étoit du nombre de ceux qu'on n'obligeoit point de représenter leurs pouvoirs, tels qu'étoient les parens & alliés du demandeur, on prenoit cette précaution pour empêcher que les jugemens ne devinssent illusoires, & que celui au nom duquel on avoit agi ne fût obligé d'essuyer un nouveau procès pour la même chose. Outre cela, si la prétention du demandeur étoit mal fondée, l'argent déposé pour caution étoit un appât qui engageoit le défendeur à se présenter pour y répondre. Cet argent déposé s'appelloit sacramentum.

Suivoit la contestation en cause, qui n'étoit que l'exposition du différend faite par les deux parties devant le juge en présence de témoins, testato. Ce n'étoit que de la contestation en cause que le jugement étoit censé commencer ; d'où vient qu'avant le jugement commencé, & avant la cause contestée, étoient deux expressions équivalentes. Après la contestation, chaque plaideur assignoit sa partie adverse à trois jours, ou au surlendemain : c'est pourquoi cette assignation étoit appellée comperendinatio, ou condictio. Ce jour-là il y avoit un jugement rendu, à moins qu'une maladie sérieuse, morbus sonticus, n'eût empêché le juge ou l'un des plaideurs, de se trouver à l'audience ; dans ce cas on prorogeoit le délai, dies diffendebatur.

Si une des parties manquoit de comparoître sans alléguer l'excuse de maladie, le préteur donnoit contre le défaillant un édit péremptoire, qui étoit précédé de deux autres édits. Si les deux parties comparoissoient, le juge juroit d'abord qu'il jugeroit suivant la loi, & ensuite les deux plaideurs prêtoient, par son ordre, le serment de calomnie, c'est-à-dire, que chacun affirmoit que ce n'étoit point dans la vûe de frustrer ou de vexer son adversaire qu'il plaidoit : calomniari pris dans ce sens, signifioit chicaner. Dans certaines causes, le demandeur évaluoit par serment la chose qui faisoit la matiere de la contestation, c'est-à-dire qu'il affirmoit avec serment que la chose contestée valoit tant ; c'est ce qu'on appelloit in litem jurare ; cela avoit lieu dans les causes de bonne foi, lorsqu'on répétoit la même chose, ou qu'il étoit intervenu dol ou contumace de la part du défendeur.

Quand le juge étoit seul, il s'associoit pour conseil un ou deux de ses amis, qui étoient instruits dans la science des lois ; alors on plaidoit la cause ; ce qui se faisoit en peu de mots, & c'est ce qu'on appelloit causes sommaires, causae conjectio, ou par des discours plus longs ou composés avec plus d'art ; telles sont les oraisons ou plaidoyers de Cicéron pour Quintius & pour Roscius le comédien. On donnoit le nom de moratores à ces avocats déclamateurs, qui n'étoient bons qu'à retarder la décision des causes, qui causam morabantur. Enfin, on présidoit à l'audition des témoins, & l'on produisoit les registres & les autres pieces qui pouvoient servir à instruire le procès.

De la fin du jugement. L'après-midi, après le coucher du soleil, on prononçoit le jugement, à moins que le juge n'eût pas bien compris la cause ; car dans ce cas il juroit qu'il n'étoit pas suffisamment instruit, sibi non liquere ; & par cet interlocutoire il étoit dispensé de juger : c'est pourquoi dans la suite les juges, pour ne pas hazarder mal-à-propos un jugement, demanderent quelquefois la décision de l'empereur, ou bien ils ordonnoient une plus ample information. Cependant cette plus ample information n'étoit gueres usitée que dans les jugemens publics. Ordinairement les juges prononçoient qu'une chose leur paroissoit être ou n'être pas ainsi : c'étoit la formule dont ils se servoient, quoiqu'ils eussent une pleine connoissance de la chose dont ils jugeoient ; quand ils ne suivoient pas cette maniere de prononcer, ils condamnoient une des parties & déchargeoient l'autre.

Pour les arbitres, ils commençoient par déclarer leur avis ; si le défendeur ne s'y soumettoit pas, ils le condamnoient, & lorsqu'il étoit prouvé qu'il y avoit dol de sa part, cette condamnation se faisoit conformément à l'estimation du procès ; au lieu que le juge faisoit quelquefois réduire cette estimation, en ordonnant la prisée.

Dans les arbitrages, il pouvoit avoir égard à ce que la foi exigeoit. Cependant les arbitres étoient aussi soumis à l'autorité du préteur, & c'étoit lui qui prononçoit & faisoit exécuter leur jugement aussi-bien que celui des autres juges. Aussi-tôt qu'un juge avoit prononcé, soit bien ou mal, il cessoit d'être juge dans cette affaire.

Après le jugement rendu, on accordoit quelquefois au condamné, pour des causes légitimes, la restitution en entier : c'étoit une action pour faire mettre la chose ou la cause au même état où elle étoit auparavant. On obtenoit cette action, ou en exposant qu'on s'étoit trompé soi-même, ou en alléguant que la partie adverse avoit usé de fraude ; par-là on n'attaquoit point proprement le jugement rendu, au lieu que l'appel d'une sentence est une preuve qu'on se plaint de son injustice.

Si le défendeur, dans les premiers trente jours depuis sa condamnation, n'exécutoit pas le jugement, on n'en interjettoit point appel, mais le préteur le livroit à son créancier pour lui appartenir en propriété comme son esclave, nexus creditori addicebatur, & celui-ci pouvoit le retenir prisonnier jusqu'à ce qu'il se fût acquité, ou en argent, ou par son travail. Le demandeur de son côté étoit exposé au jugement de calomnie. On entendoit par calomniateurs, ceux qui pour de l'argent suscitent un procès sans sujet. Dans les actions de partage, le défendeur étoit obligé de faire le serment de calomnie comme le demandeur.

Enfin, si le juge, sciemment & par mauvaise foi avoit rendu un jugement injuste, il devenoit garant du procès, litem faciebat suam, c'est-à-dire qu'il étoit contraint d'en payer la juste estimation. Quelquefois même on informoit de ce crime suivant la loi établie contre la concussion. Si le juge étoit convaincu d'avoir reçu de l'argent des plaideurs, il étoit condamné à mort suivant la loi des douze tables. C'en est assez pour ce qui regarde les jugemens particuliers. Nous parlerons dans un autre article des jugemens publics, dont la connoissance est encore plus intéressante. (D.J.)

JUGEMENS PUBLICS DES ROMAINS, (Hist. de la Jurisp. rom.) Les jugemens publics de Rome étoient ceux qui avoient lieu pour raison de crimes ; ils sont ainsi appellés, parce que dans ces jugemens l'action étoit ouverte à tout le monde. On peut donc les définir des jugemens que les juges, donnés par un commissaire qui les présidoit, rendoient pour la vengeance des crimes, conformément aux lois établies contre chaque espece de crime.

Ces jugemens étoient ordinaires ou extraordinaires ; les premiers étoient exercés par des préteurs, & les seconds par des commissaires appellés parricidii & duumviri ; c'étoient des juges extraordinairement établis par le peuple. Les uns & les autres rendoient leurs jugemens publics, tantôt au barreau, tantôt au champ de Mars, & quelquefois même au capitole.

Dans les premiers tems, tous les jugemens publics étoient extraordinaires ; mais environ l'an de Rome 605, on établit des commissions perpétuelles, questiones perpetuae ; c'est-à-dire qu'on attribua à certains préteurs la connoissance de certains crimes, de sorte qu'il n'étoit plus besoin de nouvelles lois à ce sujet. Cependant depuis ce tems-là il y eut beaucoup de commissions exercées, ou par le peuple lui-même dans les assemblées, ou par des commissaires créés extraordinairement ; & cela à cause de l'atrocité ou de la nouveauté du crime, dont la vengeance étoit poursuivie, comme, par exemple, dans l'affaire de Milon, qui étoit accusé d'avoir tué Clodius, & dans celle de Clodius lui-même, accusé d'avoir violé les saints mysteres. C'est ainsi que l'an de Rome 640, L. Cassius Longinus informa extraordinairement de l'inceste des vestales. Les premieres commissions perpétuelles furent celles qu'on établit pour la concussion, pour le péculat, pour la brigue, & pour le crime de lèze-majesté.

Le jugement de concussion est celui par lequel les alliés des provinces répétoient l'argent que les magistrats préposés pour les gouverner, leur ont enlevé contre les lois. C'est pourquoi Cicéron dans ses plaidoyers contre Verrès, donne à la loi qui concernoit les concussions, le nom de loi sociale. En vertu de la loi julia on pouvoit poursuivre par la même action ceux à qui cet argent avoit passé, & les obliger à le restituer, quoiqu'il paroisse que la peine de l'exil avoit aussi été établie contre les concussionnaires.

Le jugement de péculat est celui dans lequel on accusoit quelqu'un d'avoir volé les deniers publics ou sacrés. Le jugement pour le crime d'argent retenu a beaucoup d'affinité avec le péculat : son objet étoit de faire restituer les deniers publics restés entre les mains de quelqu'un. Celui qui, par des voies illégitimes, tâchoit de gagner les suffrages du peuple, pour parvenir aux honneurs, étoit coupable de brigue ; c'est pourquoi le jugement qui avoit ce crime pour objet, cessa d'être en usage à Rome, lorsque l'élection des magistrats eut été remise au soin du prince, & qu'elle ne dépendit plus du peuple.

Le crime de lèze-majesté embrassoit tout crime commis contre le peuple romain & contre sa sûreté, comme emmener une armée d'une province, déclarer la guerre de son chef, aspirer à la souveraine autorité sans l'ordre du peuple ou du sénat, soulever les légions, &c. Mais sous le spécieux prétexte de ce crime, les empereurs dans la suite firent périr un si grand nombre d'innocens, que Pline, dans son panégyrique de Trajan, dit fort élégamment que le crime de lèze-majesté étoit sous Domitien le crime unique & particulier de ceux qui n'en avoient commis aucun. Or la majesté, pour le dire ici en passant, dans le sens qu'on prend aujourd'hui ce terme, ou plûtôt qu'on devroit le prendre, n'est autre chose que la dignité & le respect qui résulte de l'autorité & des charges. Sous les empereurs, ce crime étoit qualifié d'impiété, &c.

A ces commissions, le dictateur Sylla ajouta dans la suite celles contre les assassins, les empoisonneurs & les faussaires. On peut voir dans le titre des pandectes sur cette loi, qui sont ceux qui passoient pour coupables des deux premiers crimes. Celui-là commet le crime de faux, qui fait un testament faux, ou autre acte faux, de quelque nature qu'il soit, ou bien qui fabrique de la fausse monnoie ; & comme ce crime se commettoit plus fréquemment dans les testamens & dans la fabrication de la monnoie, bientôt après Cicéron contre Verrès, liv. I. chap. xlij, appelle loi testamentaire & pécuniaire, celle qui avoit été faite pour la poursuite & la punition de ce crime.

On établit encore d'autres commissions, comme celles qui furent établies en vertu de la loi pompeia touchant les parricides, dont le supplice consistoit, en ce qu'après avoir été fouettés jusqu'au sang, ils étoient précipités dans la mer, cousus dans un sac avec un singe, un chien, un serpent & un coq ; si la mer étoit trop éloignée, ils étoient, par une constitution de l'empereur Adrien, exposés aux bêtes, ou brûlés vifs. On établit des commissions en vertu de la loi julia, touchant la violence publique & la violence particuliere. La violence publique étoit celle qui donnoit principalement atteinte au bien ou au droit public, & la violence particuliere étoit celle qui donnoit atteinte au bien ou au droit particulier. Il y eut encore d'autres commissions de même nature, comme contre les adulteres, les par jures : &c.

Voici l'ordre qu'on suivoit dans les jugemens publics. Celui qui vouloit se porter accusateur contre quelqu'un, le citoit en justice de la maniere que nous avons dit en parlant des jugemens particuliers. Souvent de jeunes gens de la premiere condition, qui cherchoient à s'illustrer en accusant des personnes distinguées dans l'état, ou qui, comme parle Cicéron, vouloient rendre leur jeunesse recommandable, ne rougissoient point de faire ce personnage. Ensuite l'accusateur demandoit au préteur la permission de dénoncer celui qu'il avoit envie d'accuser : ce qu'il faut par conséquent distinguer de l'accusation même ; mais cette permission n'étoit accordée ni aux femmes, ni aux pupilles, si ce n'est en certaines causes, comme lorsqu'il s'agissoit de poursuivre la vengeance de la mort de leur pere, de leur mere, & de leurs enfans, de leurs patrons & patrones, de leurs fils ou filles, petits-fils ou petites-filles. On refusoit aussi cette permission aux soldats & aux personnes infâmes ; enfin il n'étoit pas permis, selon la loi Memmia, d'accuser les magistrats, ou ceux qui étoient absens pour le service de la république.

S'il se présentoit plusieurs accusateurs, il intervenoit un jugement qui décidoit auquel la dénonciation seroit déférée, ce qu'on appelloit divination : on peut voir Asconius sur la cause & l'origine de ce nom ; & les autres pouvoient souscrire à l'accusation, s'ils le jugeoit à propos. Ensuite au jour marqué, la dénonciation se faisoit devant le préteur dans une certaine formule. Par exemple : " je dis que vous avez dépouillé les Siciliens, & je répete contre vous cent mille sesterces, en vertu de la loi " ; mais il falloit auparavant, que l'accusateur prêtât le serment de calomnie, c'est-à-dire, qu'il affirmât que ce n'étoit point dans la vue de noircir l'accusé par une calomnie, qu'il alloit le dénoncer. Si l'accusé ne répondoit point, ou s'il avouoit le fait, on estimoit le dommage dans les causes de concussion ou de péculat ; & dans les autres, on demandoit que le coupable fût puni : mais s'il nioit le fait, on demandoit que son nom fût reçu parmi les accusés, c'est-à-dire, qu'il fût inscrit sur les registres au nombre des accusés. Or on laissoit la dénonciation entre les mains du préteur, sur un libelle signé de l'accusateur, qui contenoit en détail toutes les circonstances de l'accusation. Alors le préteur fixoit un jour, auquel l'accusateur & l'accusé devoient se présenter ; ce jour étoit quelquefois le dixieme, & quelquefois le trentieme. Souvent dans la concussion ce delai étoit plus long, parce qu'on ne pouvoit faire venir des provinces les preuves qu'après beaucoup de recherches. Les choses étant dans cet état, l'accusé avec ses amis & ses proches, prenoit un habit de deuil, & tâchoit de se procurer des partisans.

Le jour fixé étant arrivé, on faisoit appeller par un huissier les accusateurs, l'accusé, & ses défenseurs : l'accusé qui ne se présentoit pas étoit condamné ; ou si l'accusateur étoit défaillant, le nom de l'accusé étoit rayé des registres. Si les deux parties comparoissoient, on tiroit au sort le nombre de juges que la loi prescrivoit. Ils étoient pris parmi ceux qui avoient été choisis pour rendre la justice cette année-là, fonction qui se trouvoit dévolue, tantôt aux sénateurs, tantôt aux chevaliers, auxquels furent joints par une loi du préteur Aurelius Cotta, les tribuns du trésor, qui furent supprimés par Jules-César ; mais Auguste les ayant rétablis, il en ajouta deux cent autres pour juger des causes qui n'avoient pour objet que des sommes modiques.

Les parties pouvoient recuser ceux d'entre ces juges qu'ils ne croyoient pas leur être favorables, & le préteur ou le président de la commission, en tiroit d'autres au sort pour les remplacer ; mais dans les procès de concussion, suivant la loi Servilia, l'accusateur, de quatre cent cinquante juges, en présentoit cent, desquels l'accusé en pouvoit seulement recuser cinquante. Les juges nommés, à moins qu'il ne se recusassent eux-mêmes pour des causes légitimes, juroient qu'ils jugeroient suivant les lois. Alors on instruisoit le procès par voie d'accusation & de défense.

L'accusation étoit sur-tout fondée sur des témoignages qui sont des preuves où l'artifice n'a point de part. On en distingue de trois sortes ; 1°, les tortures, qui sont des témoignages que l'on tiroit des esclaves par la rigueur des tourmens, moyens qu'il n'étoit jamais permis d'employer contre les maitres, sinon dans une accusation d'inceste ou de conjuration. 2°. Les témoins qui devoient être des hommes libres, & d'une réputation entiere. Ils étoient ou volontaires ou forcés ; l'accusateur pouvoit accuser ceux-ci en témoignage, en vertu de la loi ; les uns & les autres faisoient leur déposition après avoir prêté serment, d'où vient qu'on les appelloit juratores. Mais il y avoit d'autres juratores, pour le dire en passant, chargés d'interroger ceux qui entroient dans un port sur leur nom, leur patrie, & les marchandises qu'ils apportoient. Plaute en fait mention in trinummo, act. 4. sc. 2. v. 30. Je reviens à mon sujet.

La troisieme espece de preuve sur laquelle on appuyoit l'accusation, étoit les registres, & sous ce nom sont compris tous les genres d'écritures, qui peuvent servir à établir une cause. Tels sont, par exemple, les livres de recette & de payement, les inventaires de meubles qu'on doit vendre à l'encan, les registres des Banquiers. Ces titres produits, l'accusateur établissoit son accusation par un discours, dans lequel il se proposoit de justifier la réalité des crimes dont il s'agissoit, & d'en montrer l'atrocité. Les avocats de l'accusé, opposoient à l'accusateur une défense propre à exciter la commisération ; c'est pourquoi, outre les témoignages en faveur de l'accusé, ils mettoient en usage des raisonnemens tirés de sa conduite passée, & alloient même jusqu'aux conjectures & aux soupçons. Dans la péroraison sur-tout, ils employoient tous leurs efforts pour adoucir, pour toucher & fléchir l'esprit des juges.

Outre les avocats, l'accusé présentoit des personnes de considération qui s'offroient de parler en sa faveur ; & c'est ce qui arrivoit principalement lorsque quelqu'un étoit accusé de concussion. On lui accordoit presque toujours dix apologistes, comme si ce nombre eût été réglé par les lois ; de plus, on faisoit encore paroître des personnes propres à exciter la compassion, comme les enfans de l'accusé, qui étoient en bas-âge, sa femme & autres semblables.

Ensuite les juges rendoient leur jugement, à moins que la loi n'ordonnât une remise, comme dans le jugement de concussion. La remise comperendinatio différoit de la plus ample information, ab ampliatione, sur-tout en ce que celle-ci étoit pour un jour certain au gré du préteur, & celle-là toujours pour le sur-lendemain, & en ce que dans la remise, l'accusé parloit le premier, au lieu que le contraire arrivoit dans le plus amplement informé.

Le jugement se rendoit de cette sorte. Le préteur distribuoit aux juges des tablettes ou bulletins, & leur ordonnoit de conférer entr'eux pour donner leur avis. Ces tablettes étoient de trois sortes, l'une d'absolution, sur laquelle étoit écrite la lettre A, absolvo ; l'autre de condamnation, sur laquelle étoit écrite la lettre C, condemno, & la troisieme de plus ample information, sur laquelle étoient écrites les lettres N & L, non liquet, qui signifioient qu'il n'étoit pas clair ; & ce plus amplement informé se prononçoit d'ordinaire lorsque les juges étoient incertains s'ils devoient absoudre ou condamner.

Les juges jettoient ces tablettes dans une urne, & lorsqu'on les en avoit retirées, le préteur à qui elles avoient fait connoître quel devoit être le jugement, le prononçoit après avoir quitté sa prétexte. Il étoit conçu suivant une formule prescrite, savoir que quelqu'un paroissoit avoir fait quelque chose, & qu'il paroissoit avoir eu raison de la faire, &c. & cela apparemment, parce qu'ils vouloient montrer une espece de doute.

Lorsque les voix étoient égales, l'accusé étoit renvoyé absous. Souvent la formule de condamnation renfermoit la punition ; par exemple, il paroît avoir fait violence, & pour cela je lui interdis le feu & l'eau. Mais quoique la punition ne fût pas exprimée, la loi ne laissoit pas d'exercer toute son autorité contre le coupable, à peu près de même qu'aujourd'hui en Angleterre les juges particuliers qu'on appelle jurès, prononcent que l'accusé est coupable ou innocent, & le juge a soin de faire exécuter la loi. L'estimation du procès, estimatio litis, c'est-à-dire la condamnation aux dommages suivoit la condamnation de l'accusé, dans les jugemens de concussion & de péculat ; & dans les autres, la punition selon la nature du délit.

Si l'accusé étoit absous, il avoit deux actions à exercer contre l'accusateur : celle de calomnie, s'il étoit constant que par une coupable imposture, il eût imputé à quelqu'un un crime supposé ; la punition consistoit à imprimer avec un fer sur le front du calomniateur la lettre K ; car autrefois le mot de calomnie commençoit par cette lettre ; de-là vient que les Latins disent integrae frontis hominem, un homme dont le front est entier, pour dire un homme de probité. La seconde action étoit celle de prévarication, s'il étoit prouvé qu'il y eût eu, de la part de l'accusateur, collusion avec l'accusé, ou qu'il eût supprimé de véritables crimes.

Outre le préteur, il y avoit encore pour présider à ces sortes de jugemens, un autre magistrat qu'on appelloit judex quaestionis. Sigonius, dont le célébre Nood adopte le sentiment, pense que cette magistrature fut créée après l'édilité, & que le devoir de cette charge consistoit à faire les fonctions du préteur en son absence, à instruire l'action donnée, à tirer les juges au sort, à ouir les témoins, à examiner les registres, à faire appliquer à la torture, & à accomplir les autres choses que le préteur ne pouvoit pas faire par lui-même, tant à cause de la bienséance, qu'à cause de la multitude de ses occupations.

Quoiqu'il y eût des commissions perpétuelles établies, cependant certaines accusations se poursuivoient devant le peuple dans les assemblées, & l'accusation de rébellion, perduellionis, se poursuivoit toujours dans les assemblées par centuries. Or, on appelloit perduellis, celui en qui on découvroit des attentats contre la république. Les anciens donnoient le nom de perduelles aux ennemis.

Ainsi on réputoit coupable de ce crime celui qui avoit fait quelque chose directement contraire aux lois qui favorisent le droit des citoyens & la liberté du peuple ; par exemple, celui qui avoit donné atteinte à la loi Porcia, statuée l'an de Rome 556, par P. Porcius Laeca, tribun du peuple, ou à la loi Sempronia. La premiere de ces lois défendoit de battre ou de tuer un citoyen Romain ; la seconde défendoit de décider de la vie d'un citoyen Romain sans l'ordre du peuple ; car le peuple avoit un droit légitime de se réserver cette connoissance, & c'étoit un crime de lèze-majesté des plus atroces que d'y donner atteinte.

Les jugemens se rendoient dans les assemblées du peuple par tribus. Lorsque le magistrat ou le souverain pontife accusoit quelqu'un d'un crime qui n'emportoit pas peine capitale, mais où il s'agissoit seulement d'une condamnation d'amende, ou lorsque la condamnation capitale ayant été remise à un jour certain, l'accusé, avant que ce jour fut arrivé, prenoit de lui-même le parti de s'exiler ; alors ces assemblées suffisoient pour confirmer son exil, comme il paroît par Tite-Live, lib. II. cap. xxxv. lib. XXVI. cap. iij.

Voici quelle étoit la forme des jugemens du peuple. Le magistrat qui avoit envie d'accuser quelqu'un, convoquoit l'assemblée du peuple par un héraut public ; & de la tribune, il assignoit un jour à l'accusé pour entendre son accusation. Dans les accusations qui alloient à la peine de mort, le magistrat lui demandoit une caution, vades, laquelle étoit personnellement obligée de se représenter, ce qui fut pratiqué pour la premiere fois à l'égard de Quintius, l'an de Rome 291. Dans les accusations qui ne s'étendoient qu'à l'amende, il lui demandoit des cautions pécuniaires, praedes.

Le jour marqué étant arrivé, s'il n'y avoit point d'opposition de la part d'un magistrat égal ou supérieur, on faisoit appeller l'accusé, de la tribune, par un héraut ; s'il ne comparoissoit pas, & qu'on n'alléguât point d'excuse en sa faveur, il étoit condamné à l'amende. S'il se présentoit, l'accusateur établissoit son accusation par témoins & par raisonnemens, & la terminoit après trois jours d'intervalle. Dans toutes les accusations, l'accusateur concluoit à telle peine ou amende qu'il jugeoit à propos ; & sa requisition s'appelloit inquisitio. Ensuite l'accusateur publioit par trois jours de marché consécutifs son accusation rédigée par écrit, qui contenoit le crime imputé, & la punition demandée ; le troisieme jour de marché, il finissoit sa quatrieme accusation, & alors on donnoit à l'accusé la liberté de se défendre.

Après cela le magistrat qui s'étoit porté accusateur, indiquoit un jour pour l'assemblée ; ou si c'étoit un tribun du peuple qui accusât quelqu'un de rebellion, il demandoit jour pour l'assemblée à un magistrat supérieur ; dans ces circonstances, l'accusé en habit de deuil, avec ses amis, sollicitoit le peuple par des prieres & des supplications redoublées ; & le jugement se rendoit en donnant les suffrages, à moins qu'il n'intervînt quelqu'opposition, ou que le jugement n'eût été remis, à cause des auspices, pour cause de maladie, d'exil, ou par la nécessité de rendre à quelqu'un les derniers devoirs ; ou bien à moins que l'accusateur n'eût prorogé lui-même le délai en recevant l'excuse ; ou que s'étant laissé fléchir, il ne se fût entierement désisté de l'accusation ; enfin on suivoit l'absolution de l'accusé, ou sa punition s'il avoit été condamné ; mais les différens genres de peines qui étoient portées par la condamnation dans les jugemens publics & particuliers, demandent un article à part ; ainsi voyez PEINES. (Jurisprud. Rom.)

Nous avons tiré le détail qu'on vient de lire du Traité de M. Nieuport, & lui-même a formé son bel extrait sur le savant ouvrage de Sigonius, de judiciis, & sur celui de Siccana, de judicio centum virali. (D.J.)

JUGEMENT DE ZELE, (Hist. des Juifs) c'est ainsi que les docteurs juifs nomment le droit par lequel chacun pouvoit tuer sur le champ celui qui chez les anciens Hébreux renonçoit au culte de Dieu, à sa loi, ou qui vouloit porter ses compatriotes à l'idolâtrie. Grotius cite, pour prouver ce droit, le chapitre ix. du Deutéronome ; mais ce savant homme s'est trompé dans l'application, car la loi du Deutéronome suppose une condamnation en justice, & elle veut seulement que chacun se porte pour accusateur du crime dont il s'agit.

Si Phinées exerça le jugement de zèle, comme il paroît par les Nombres ; ch. xxv. v. 7. il faut remarquer que le gouvernement du peuple d'Israël n'étoit pas alors bien formé.

L'exemple des éphores qu'on cite encore pour justifier que même depuis les établissemens des tribunaux civils, les simples particuliers ont conservé, dans les pays policés, quelque reste du droit de punir que chacun avoit dans l'indépendance de l'état de nature ; cet exemple, dis-je, ne le démontre pas, parce que quand les éphores faisoient mourir quelqu'un sans autre forme de procès, ils étoient censés le faire par autorité publique, supposé que cette prérogative fût renfermée dans l'étendue des droits dont Lacédémone les avoit revêtus, expressément ou tacitement. Mais, pour abréger, il vaut mieux renvoyer le lecteur à la dissertation de M. Buddeus, de jure zelatorum in gente hebraeâ. (D.J.)

JUGEMENT UNIVERSEL, (Peint.) ce mot désigne en peinture la représentation du jugement dernier prédit dans l'Evangile. Plusieurs artistes s'y sont exercés dès le renouvellement de l'art en Italie, Lucas Signorelli à Orviette, Lucas de Leyde en Hollande, Jean Cousin à Vincennes, le Pontorme à Florence, & Michel-Ange à Rome. On a déja parlé, au mot ÉCOLE FLORENTINE du tableau du jugement de Michel-Ange, dans lequel il étale tant de licences & de beautés :

Larvarum omnigenas species, & ludicra miris

Induxit portenta modis ; stygiasque sorores,

Infernumque senem, conto simulacra cientem,

Et vada cerulaeis sulcantem livida remis.

Cependant le premier qui ait hasardé de représenter ce sujet, est André Orgagna né à Florence en 1329 : doué d'une imagination vive & d'une grande fécondité pour l'expression, il osa peindre dans la cathédrale de Pise le jugement universel, aussi fortement que singulierement. D'un côté, son tableau représentoit les grands de la terre plongés dans le trouble des plaisirs du siecle ; d'un autre côté, regnoit une solitude, où S. Magloire fait voir à trois rois, qui sont à la chasse avec leurs maîtresses, les cadavres de trois autres princes ; ce que l'artiste exprima si bien, que l'étonnement des rois qui alloient chassant, étoit marqué sur leur visage ; il y en avoit un qui, en s'écartant, se bouchoit le nez pour ne pas sentir la puanteur de ces corps à demi-pourris. Au milieu du tableau, Orgagna peignit la mort avec sa faulx, qui jonchoit la terre de gens de tout âge & de tout rang, de l'un & de l'autre sexe, qu'elle étendoit impitoyablement à ses piés. Au haut du tableau, paroissoit Jesus-Christ au milieu de ses douze apôtres, assis sur des nuages tout en feu : mais l'artiste avoit principalement affecté de représenter, d'une maniere ressemblante, ses intimes amis dans la gloire du paradis, & pareillement ses ennemis dans les flammes de l'enfer. Il a été trop bien imité sur ce point par des gens qui ne sont pas peintres. (D.J.)

JUGEMENT & JUGE, (Médecine) ce mot signifie la même chose que crise, dont il est la traduction littérale : mais le dernier qui est grec, & qui a été adopté par les auteurs latins & françois, est presque le seul qui soit en usage, tandis que l'adjectif jugé, dérivé du mot françois jugement, est au contraire d'un usage très-commun ; ainsi l'on dit d'une maladie, qu'elle est terminée par une crise, ou qu'elle est jugée au septieme ou au onzieme jour, &c. Voy. CRISE. (b)


JUGERES. m. (Littérat.) mesure romaine en fait de terre ; c'étoit originairement la grandeur de terrein qu'une paire de boeufs attelés pouvoit labourer en un jour. On dit encore en Auvergne, dans le même sens, un joug de terre.

Le jugere faisoit la moitié d'une hérédie ; l'hérédie contenoit quatre actes quarrés ; l'acte quarré, actus quadratus, avoit cent vingt piés, & deux actes quarrés faisoient le jugere.

Pline donne au jugerum des Latins deux cent quarante piés de long. Quintilien, lib. I. cap. ix. lui donne aussi la même longueur, & cent vingt piés en largeur. Enfin, Isidore, lib. XV. cap. xv. confirme la même chose en ces termes : Actus duplicatus jugerum facit ; jugerum autem constat longitudine pedum CCXL, latitudine CXX.

Voilà donc l'étendue du jugere trouvée ; & pour l'évaluer exactement, il ne faudroit pas dire le jugere est un demi de nos arpens, parce que notre arpent differe suivant les différentes provinces. Le rapport du jugere des Romains à l'acre d'Angleterre, est comme 10000 à 16097. (D.J.)


JUGESJUGES

Rhadamante, selon l'histoire, fut un des législateurs de Crète, qui mérita par son intégrité & par ses autres vertus la fonction de juge aux enfers, dont les Poëtes l'honorerent. Voyez RHADAMANTE.

Minos son illustre frere & son successeur, eut encore plus de réputation. Sa profonde sagesse donna lieu de dire, qu'il étoit dans la plus étroite confidence de Jupiter, & Jovis arcanis Minos admissus ; on ne manqua pas d'assurer après sa mort qu'il remplissoit le premier des trois tribunaux, où tous les pâles humains sont cités pour rendre compte de leurs actions. Voyez MINOS.

Eaque regna sur Egine, aujourd'hui Eugia :

Oenopiam veteres appellavere ; sed ipse

Aeacus, Aeginam genitricis nomine dedit.

C'est le seul des rois de cette île, dont l'histoire ait conservé le nom. Ses belles qualités lui procurerent une place entre Minos & Rhadamante : il jugeoit l'europe entiere. Sa réputation fut si grande pendant le cours de sa vie, que toute l'Attique ayant été affligée d'une longue sécheresse, on consulta l'oracle, qui répondit, que ce fléau cesseroit seulement quand Eaque se rendroit l'intercesseur de la Grèce. Voyez EAQUE.

Platon feint ingénieusement que lorsque Jupiter, Neptune & Pluton eurent partagé le royaume de leur pere, ils ordonnerent que les hommes prêts à quitter la vie, fussent jugés pour recevoir la récompense ou le châtiment de leurs bonnes ou mauvaises actions ; mais comme ce jugement se rendoit à l'instant qui précédoit la mort, il étoit sujet à de grandes injustices. Les princes fastueux, guerriers, despotiques, paroissoient devant leurs juges avec toute la pompe & tout l'appareil de leur puissance, les éblouissoient, & se faisoient encore redouter, ensorte qu'ils passoient souvent dans l'heureux séjour des justes. Les gens de bien au contraire, pauvres & sans appui, étoient encore exposés à la calomnie, & quelquefois condamnés comme coupables.

Sur les plaintes réitérées qu'en reçut Jupiter, il changea la forme de ses jugemens ; le tems en fut fixé au moment même qui suit la mort. Rhadamante & Eaque ses fils, furent établis juges ; le premier pour les Asiatiques & les Afriquains, le second pour les Européens ; & Minos son troisieme fils étoit audessus d'eux, pour décider souverainement en cas d'incertitude.

Leur tribunal fut placé dans un endroit, appellé le champ de la vérité, parce que le mensonge & la calomnie n'en peuvent approcher : il aboutit d'un côté au Tartare, & de l'autre aux champs Elisées. Là comparoit un prince dès qu'il a rendu le dernier soupir ? là, dit Socrate, il comparoit dépouillé de toute sa grandeur, réduit à lui seul, sans défense, sans protection, muet & tremblant pour lui-même, après avoir fait trembler la terre. S'il est trouvé coupable de fautes qui soient d'un genre à pouvoir être expiées, il est relégué dans le Tartare pour un tems seulement, & avec assurance d'en sortir quand il aura été suffisamment purifié. Tels étoient aussi les discours des autres sages de la Grèce.

Tous nos savans croyent que l'idée de ce jugement après la mort, avoit été empruntée par les Grecs de la coutume des Egyptiens, rapportée dans Diodore de Sicile, & dont nous avons fait mention au mot ENFER, & au mot FUNERAILLES des Egyptiens.

La sépulture ordinaire de ce peuple, dit l'historien Grec, étoit au-delà d'un lac nommé Achérusie. Le mort embaumé devoit être apporté sur le bord de ce lac, au pié d'un tribunal, composé de plusieurs juges qui informoient de ses vie & moeurs, en recevant les dépositions de tout le monde. S'il n'avoit pas payé ses dettes, on livroit son corps à ses créanciers, afin d'obliger sa famille à le retirer de leurs mains, en se cottisant pour faire la somme due ; s'il n'avoit pas été fidele aux lois, le corps privé de sépulture, étoit jetté dans une espece de fosse, qu'on nommoit le Tartare. Mais si le jugement prononçoit à sa gloire, le batelier Querrou avoit ordre de conduire le corps au-delà du lac, pour y être enseveli dans une agréable plaine qu'on nommoit Elisou. Cette cérémonie finissoit en jettant trois fois du sable sur l'ouverture du caveau, où l'on avoit enfermé le cadavre, & en lui disant autant de fois adieu : Magnâ manes ter voce vocavi.

M. Maillet nous a très-bien expliqué comment on enterroit les cadavres embaumés des Egyptiens. On les descendoit dans des caveaux profonds, qui étoient pratiqué dans le roc ou le tuf, sous les sables de la plaine de Memphis ; on bouchoit le caveau avec une pierre, & on laissoit ensuite retomber par dessus le sable des endroits voisins.

Ajoutons en passant, que la coutume égyptienne de jetter trois fois du sable sur le corps mort, devint universelle. Les Grecs en donnerent l'exemple aux Romains : injecto ter pulvere, dit Horace. Ceux qui avoient négligé cet acte de religion, que la plupart des chrétiens suivent encore aujourd'hui, étoient obligés, pour expier leur crime, d'immoler tous les ans à Cérès une truie qu'on nommoit porca praecidanea. Voyez SEPULTURE. (D.J.)

JUGE ; (Jurisprud.) du latin judex, quasi jus dicens, signifie en général toute personne qui porte son jugement sur quelque chose.

On entend quelquefois par le terme de juge une puissance supérieure qui a le pouvoir de rendre à chacun ce qui lui appartient : on dit par exemple en ce sens, que Dieu est le souverain juge des vivans & des morts ; l'Eglise est juge des articles de la foi ; les souverains sont les premiers juges de leurs sujets, c'est-à-dire, qu'ils leur doivent la justice, mais ils se déchargent d'une partie de ce soin sur d'autres personnes.

On donne le titre de juges à ceux qui sont établis par les souverains pour rendre la justice, ou par ceux auxquels ils en ont concédé quelque portion pour la faire exercer, tels que les évêques & autres seigneurs ecclésiastiques & laïques, & les villes & communautés qui ont quelque part en l'administration de la justice.

Dans le premier âge du monde les peres faisoient chacun la fonction de juges dans leur famille ; lorsque l'on eut établi une puissance souveraine sur chaque nation, les rois & autres princes souverains furent chargés de rendre la justice, ils la rendent encore en personne dans leurs conseils & dans leurs parlemens ; mais ne pouvant expédier par eux-mêmes toutes les affaires, ils ont établi des juges, sur lesquels ils se sont déchargé d'une partie de ce soin.

Chez les Romains, & autrefois en France, ceux qui avoient le gouvernement militaire d'une province ou d'une ville, y remplissoient en même tems la fonction de juges avec quelques assesseurs dont ils prenoient conseil.

La fonction de juge dans le premier tribunal de la nation, a toujours été attachée aux premiers & aux grands de l'état.

En France, elle n'étoit autrefois remplie au parlement que par les barons ou grands du royaume, auxquels ont succédé les pairs, & par les prélats ; pour y être admis en qualité de sénateur, il falloit être chevalier.

Du tems de saint Louis, il falloit en général être noble ou du moins franc, c'est-à-dire, libre, pour faire la fonction de juges : aucun homme coutumier ou vilain ne pouvoit rendre la justice ; car dans les lieux où elle se rendoit par pair, il falloit nécessairement être pair pour être du nombre des juges, & dans les lieux où elle se rendoit par des baillifs, ceux-ci ne devoient appeller pour juger avec eux que des gentilshommes ou des hommes francs, c'est-à-dire, des seigneurs de fief, & quelquefois des bourgeois.

Il y a différens ordres de juges qui sont élevés plus ou moins en dignité, selon le tribunal où ils exercent leur fonction ; mais le moindre juge est respectable dans ses fonctions, étant à cet égard dépositaire d'une partie de l'autorité du souverain.

L'insulte qui est faite au juge dans ses fonctions & dans l'auditoire même, est beaucoup plus grave que celle qui lui est faite ailleurs.

Le juge doit aussi, pour se faire connoître & se faire respecter, porter les marques de son état, tellement que si le juge n'étoit pas revêtu de l'habillement qu'il doit avoir, ce qu'il auroit fait seroit nul, comme étant réputé fait par quelqu'un sans caractere ; hors leurs fonctions & les cérémonies publiques, ils ne sont pas obligés de porter la robe & autres marques de leur état, mais ils ne doivent toujours paroître en public qu'en habit décent, & tel qu'il convient à la gravité de leur caractere.

Les magistrats romains étoient précédés d'un certain nombre de licteurs ; en France plusieurs juges ont obtenu la prerogative d'avoir des gardes ; le prevôt de Paris a douze huissiers armés de pertuisanes ; Louis XI. avoit aussi donné vingt-cinq gardes au prevôt de Bourges à cause qu'il y étoit né.

Tous les juges ont des huissiers & sergens qui les précédent lorsqu'ils entrent au tribunal ou qu'ils en sortent, pour leur faire faire place & leur faire porter honneur & respect ; ces huissiers battent ordinairement de la baguette devant le tribunal en corps, ou devant une députation, ou devant les premiers magistrats du tribunal, pour annoncer la présence de ces juges & en signe de leur autorité.

La fonction des juges est de rendre la justice à ceux qui sont soumis à leur jurisdiction. Ils rendent des ordonnances sur les requêtes qui leur sont présentées, & rendent des sentences, ou si ce sont des juges souverains, des arrêts sur les contestations instruites devant eux.

Ils font aussi des enquêtes, informations, procès-verbaux : descentes sur les lieux, & autres actes, lorsque le cas y échet.

Leurs jugemens & procès-verbaux sont rédigés & expédiés par leur greffier, & leurs commissions & mandemens sont exécutés par les huissiers ou sergens de leur tribunal, ou autres qui en sont requis.

Le pouvoir de chaque juge est limité à son territoire, ou à la matiere dont la connoissance lui a été attribuée, ou aux personnes qui sont soumises à sa jurisdiction ; lorsqu'il excede les bornes de son pouvoir, il est à cet égard sans caractere.

Il doit rendre la justice dans l'auditoire ou autre lieu destiné à cet usage, il peut seulement faire en son hôtel certains actes tels que les tuteles, curateles & référés.

L'écriture dit que xenia & dona excaecant oculos judicum ; c'est pourquoi les ordonnances ont toujours défendu aux juges de boire & manger avec les parties, & de recevoir d'elles aucun présent.

Les anciennes ordonnances défendoient même aux sénéchaux, baillifs & autres juges de recevoir pour eux ni pour leurs femmes & enfans aucun présent de leurs justiciables, à moins que ce ne fussent des choses à boire ou à manger que l'on put consommer en un seul jour ; ils ne pouvoient pas vendre le surplus sans profusion, encore ne devoient-ils en recevoir que des personnes riches, & une fois ou deux l'année seulement, s'ils recevoient du vin en présent, il falloit que ce fût en barrils ou bouteilles ; telles étoient les dispositions de l'ordonnance de 1302, art. 40 & suiv.

Celle d'Orléans, art. 43, permettoit aux juges de recevoir de la venaison ou gibier pris dans les forêts & terres des princes & seigneurs qui le donneroient.

Mais l'ordonnance de Blois, art. 114, défend à tous juges de recevoir aucuns dons ni présens de ceux qui auront affaire à eux.

Le ministere des juges devoit donc être purement gratuit, comme il l'est encore en effet pour les affaires d'audience ; mais pour les affaires appointées, l'usage ayant introduit que la partie qui avoit gagné son procès faisoit présent à ses juges de quelques boëtes de dragées & confitures seches que l'on appelloit alors épices ; ces épices furent dans la suite converties en argent. Voyez éPICES.

Les juges sont aussi autorisés à se faire payer des vacations pour leurs procès-verbaux & pour les affaires qui s'examinent par des commissaires.

Les anciennes ordonnances défendent aux juges de recevoir aucunes sollicitations, dans la crainte qu'ils ne se laissent prévenir à force d'importunités.

On obtenoit aussi autrefois en France, comme chez les Romains, que nul ne fût juge dans son pays, afin que le juge ne fût point détourné de son devoir par des motifs de considération pour ses parens, alliés, amis, voisins ou autres personnes à lui connues.

Anciennement les juges devoient être à jeun pour juger, c'est la disposition d'un capitulaire de Charlemagne de l'an 801, & d'un concile de Rheims de l'an 813, ce qui ne s'observe plus ; on observe seulement que les procès-criminels doivent être vus le matin & non de relevée, & les juges ne sont pas obligés d'être à jeun même pour juger ces sortes d'affaires ; mais la prudence veut que s'ils déjeunent, ils le fassent sobrement.

Quand au nombre de juges qu'il faut pour rendre un jugement, cela dépend des tribunaux & de la nature des affaires.

Dans les justices seigneuriales & dans les petites justices royales, il n'y a ordinairement qu'un seul juge pour rendre une sentence : mais dans les affaires criminelles, il en faut au moins trois, de sorte que s'il n'y en a pas, le juge appelle avec lui deux gradués.

Au châtelet de Paris, il faut du moins cinq juges pour rendre une sentence en la chambre du conseil.

Il y a quelques tribunaux qui ne peuvent juger qu'au nombre de cinq, tels que le conseil souverain de Roussillon.

Les présidiaux ne peuvent juger qu'au nombre de sept, autrefois il falloit y être au nombre de douze & même treize pour juger une proposition d'erreur, ce qui a été abrogé.

Les parlemens de Grenoble, Aix & Dijon, jugent au nombre de sept, comme font aussi les maîtres des requêtes au souverain ; le parlement de Paris ne juge qu'au nombre de dix.

Au conseil du roi, il n'y a point de nombre fixe de juges pour rendre un arrêt.

Les juges doivent écouter avec attention les avocats & procureurs des parties, ou celui d'entr'eux qui fait le rapport de l'affaire ; ceux qui ont manqué d'assister à quelque plaidoirie ou à une partie du rapport ne peuvent plus être du nombre des juges pour cette affaire.

Il n'est pas permis au juge de réformer lui-même sa sentence, elle ne peut être réformée que par un juge supérieur ; c'est pourquoi Philippe de Macédoine aima mieux payer l'amende, en laquelle, étant endormi, il avoit condamné un homme, que de révoquer sa sentence.

Les juges qui manquent à leur devoir ou qui prévariquent dans leurs fonctions sont sujets à diverses peines.

Nous voyons dans l'antiquité que Cambyse, roi de Perse, fit écorcher un juge pour avoir jugé faussement ; Artaxercès traita de même de mauvais juges, & fit asseoir sur leurs peaux leurs successeurs.

Les anciennes ordonnances du royaume veulent que les juges qui ne feront pas le procès aux délinquans, soient tenus de payer le dommage.

Dans les pays coutumiers, lorsque l'on se plaignoit d'un jugement, on intimoit le juge pour voir infirmer ou confirmer le jugement, & l'on ajournoit la partie, & lorsque le juge avoit mal jugé on le condamnoit en l'amende ; présentement on n'intime plus que la partie qui a obtenu la sentence, à moins qu'il n'y ait des causes pour prendre le juge à partie ; il est seulement resté de l'ancien usage que les juges du châtelet assistent à l'ouverture du rolle de Paris.

Il n'est pas permis aux juges de se rendre adjudicataires des biens qui se vendent en leur siege, ou qui s'y donnent à bail judiciaire ; ils doivent aussi observer toutes les bienséances qui conviennent à leur état ; par exemple, il est défendu aux juges royaux de faire commerce.

Les juges de seigneurs peuvent être destitués ad nutum, à moins qu'ils n'ayent payé une finance pour leur office, auquel cas ils ne peuvent être destitués qu'en les remboursant.

La destitution ne doit point être faite cum elogio, à moins que le seigneur ne soit en état de prouver les faits.

Pour ce qui est des juges royaux depuis la vénalité des charges, ils ne peuvent plus être destitués que pour malversation.

Voyez au code les titres de officio civilium judicum, de officio diversorum judicum, de sententiis judicum, le dictionnaire de Drillon au mot JUGE, & ci-après aux mots JUSTICE, LIEUTENANT, MAGISTRAT. (A)

JUGE D'APPEAUX ou D'APPEL, est celui devant lequel ressortit l'appel d'un juge inférieur. On disoit autrefois juge d'appeaux ; on dit présentement juge d'appel. On l'appelle aussi juge ad quem. Au reste, cette qualité n'est pas absolue pour les juges inférieurs, mais seulement relative ; car le même juge qui est qualifié juge d'appel, par rapport à celui qui y ressortit, est lui-même qualifié de juge à quoi, relativement à un autre juge qui est son supérieur, & auquel ressortit l'appel de ses jugemens. Voyez JUGE A QUOI. (A)

JUGE D'APPEL est celui qui connoît d'appel de la sentence d'un juge inférieur ; au lieu que le juge dont est appel, est le juge inférieur dont l'appel ressortit au juge d'appel qui est son supérieur. Voyez APPEL. (A)

JUGE DONT EST APPEL, ne signifie pas simplement celui des jugemens duquel on peut appeller, mais celui dont la sentence fait actuellement la matiere d'un appel. Voyez JUGE D'APPEL & JUGE A QUO. (A)

JUGE D'ARMES est un officier royal établi pour connoitre de toutes les contestations & différends qui arrivent à l'occasion des armoiries, circonstances & dépendances, & pour dresser des registres dans lesquels il employe le nom & les armes des personnes nobles & autres, qui ont droit d'avoir des armoiries.

Cet officier a succédé au maréchal d'armes, qui fut établi par Charles VIII. en 1487, pour écrire, peindre & blasonner dans les registres publics, le nom & les armes de toutes les personnes qui avoient droit d'en porter.

La noblesse de France, animée du même esprit, supplia le roi Louis XIII. de créer un juge d'armes ; ce qu'il fit par Edit de Janvier 1615, lequel lui donne plein pouvoir de juger des blasons, fautes & méséances des armoiries, & de ceux qui en peuvent & doivent porter, & des différends à ce sujet, à l'exclusion de tous autres juges : voulant S. M. que les sentences & jugemens de ce juge ressortissent nuement devant les maréchaux de France.

L'office de juge d'armes fut supprimé en 1696, & en sa place on créa un grand-maître de l'armoirie général, pour juger en dernier ressort l'appel des maitres particuliers, qui furent aussi créés dans chaque province ; mais ces officiers furent eux-mêmes supprimés en 1700 ; & par Edit du mois d'Août 1707, celui de juge d'armes fut rétabli. Voyez ARMOIRIES. (A)

JUGE D'ATTRIBUTION est un juge extraordinaire, auquel le roi a attribué la connoissance de toutes les affaires d'une certaine nature ; tels sont les chambres des comptes, cours des aides, cours des monnoies, les élections, greniers à sel, les juges d'eaux & forêts, & autres semblables.

Il y a aussi des juges ordinaires qui deviennent juges d'attribution, pour certaines affaires qui leur sont renvoyées en vertu de lettres-patentes.

L'établissement des juges d'attribution est fort ancien ; car il y en avoit déjà chez les Romains. Outre le juge ordinaire appellé praetor urbanus, il y avoit d'autres préteurs, l'un appellé praetor peregrinus, qui connoissoient des causes des étrangers ; un autre qui connoissoit des fideicommis ; un autre, du crime de faux ; & en France la plûpart des grands officiers de la couronne avoient chacun leur jurisdiction particuliere pour la manutention de leurs droits, tels que le connétable, l'amiral, le grand forestier, & autres, d'où sont venus plusieurs jurisdictions attributions, qui subsistent encore présentement. (A)

JUGE AUDITEUR DU CHASTELET, est un juge royal qui connoît des affaires pures personnelles jusqu'à 50 livres une fois payées ; on dit quelquefois les auditeurs, parce qu'en effet il y en avoit autrefois plusieurs.

On ne sait pas au juste le tems de leur premier établissement, non plus que celui des conseillers dont ils ont été tirés ; il paroît seulement que dès le douzieme siecle il y avoit au châtelet des conseillers, & que le prevôt de Paris en commettoit deux d'entr'eux pour entendre les causes légeres dans les basses auditoires du châtelet, après qu'ils avoient assisté à l'audience du siege d'en haut avec lui ; on les appelloit aussi auditeurs de témoins, & enquêteurs ou examinateurs, parce qu'ils faisoient les enquêtes, & examinoient les témoins.

Le commissaire de la Mare, en son traité de la police, prétend que S. Louis, lors de la réforme qu'il fit du châtelet, élut des auditeurs, & voulut qu'ils fussent pourvûs par le prevôt ; que ce fut lui qui sépara la fonction des auditeurs de celle des enquêteurs & examinateurs de témoins. Il est cependant vrai de dire que les auditeurs firent encore pendant quelque tems la fonction d'examinateurs de témoins ; que les uns & les autres n'étoient point des officiers en titre, & que ce n'étoient que des commissions momentanées que le prevôt de Paris donnoit ordinairement à des conseillers.

En effet, l'ordonnance de Philippe-le-Bel, du mois de Novembre 1302, fait mention que les auditeurs de témoins étoient anciennement choisis par le prevôt de Paris, lorsque cela étoit nécessaire ; que Philippe le-Bel en avoit ensuite établis en titre ; mais par cette ordonnance il les supprima, & laissa au prevôt de Paris la liberté d'en nommer comme par le passé, selon la qualité des affaires. Il y en avoit ordinairement deux.

Cette même ordonnance prouve qu'ils avoient déja quelque jurisdiction ; car on leur défend de connoître du domaine du roi, & de terminer aucun gros méfait, mais de le rapporter au prevôt de Paris ; & il est dit que nul auditeur, ni autre officier ne sera pensionnaire en la vicomté de Paris.

Par des lettres de Philippe le-Bel du 18 Décembre 1311, il leur fut défendu à leurs clercs ou greffiers de s'entremettre en la fonction d'examinateurs ; & dans la sentence du châtelet, les auditeurs & conseillers qui avoient été appellés, sont dits tous du conseil du roi au châtelet.

Suivant une autre ordonnance du premier Mai 1313, ils choisissoient avec le prevôt de Paris les examinateurs & les clercs ou greffiers ; ils ne devoient juger aucune cause où il fût question d'héritages, ni de l'état des personnes, mais seulement celles qui n'excéderoient pas soixante sols ; tous procès pouvoient s'instruire devant eux, & quand ils étoient en état d'être jugés, ils les envoyoient au prevôt, & celui-ci leur renvoyoit les frivoles amendemens ou appels qui étoient demandés de leurs jugemens.

Le réglement fait pour le châtelet en 1327, porte qu'ils feront continuelle résidence en leur siege du châtelet, ils n'ont excuse légitime ; qu'en ce cas le prevôt les pourvoira de lieutenans ; que ni eux, ni leurs lieutenans ne connoitront de causes excédantes 20 liv. parisis, ni pour héritages ; qu'ils ne donneront ni decrets ni commissions signés, sinon ès causes de leur compétence ; qu'on ne pourra prendre un défaut en bas devant les auditeurs, dans les causes commencées en haut devant le prevôt, & vice versâ ; qu'on ne pourra demander au prevôt l'amendement d'une sentence d'un auditeur, pour empêcher l'exécution par fraude, à peine de 40 s. d'amende que le prevôt pourra néanmoins diminuer ; qu'il connoitra sommairement & de plano de cet amendement enfin que les auditeurs entreront au siege, & se leveront comme le prevôt de Paris.

On voit par une ordonnance du roi Jean, du mois de Février 1350, qu'ils avoient inspection sur les métiers & marchandises, & sur le sel ; qu'au défaut du prevôt de Paris, ils étoient appellés avec les maîtres des métiers pour connoître la bonté des marchandises amenées à Paris par les forains ; que dans le même cas ils avoient inspection sur les bouchers & chandeliers, élisoient les jurés de la marée & du poisson d'eau douce, & avoient inspection sur eux ; qu'ils élisoient pareillement les quatre prud'hommes qui devoient faire la police sur le pain.

Dans des lettres du même roi de 1354, un des auditeurs est aussi qualifié de commissaire sur le fait de la marée.

Charles V. par une ordonnance du 19 Octobre 1364, enjoint aux chirurgiens de Paris, qui panseront des blessés dans des lieux saints & privilégiés, d'avertir le prevôt de Paris ou les auditeurs. La même chose leur fut enjointe en 1370.

Un autre reglement que ce même prince fit en Septembre 1377, pour la jurisdiction des auditeurs, porte que dorénavant ils seroient élus par le roi ; qu'ils auront des lieutenans ; que leurs greffiers demeureront avec eux, & prêteront serment entre les mains du prevôt de Paris & des auditeurs ; que ceux-ci répondront de leur conduite ; que le produit du greffe ne sera plus affermé (comme cela se pratiquoit aussi bien que pour les offices d'auditeurs) ; que ces derniers & leurs lieutenans viendront soir & matin au châtelet ; qu'ils y assisteront avec le prevôt ou son lieutenant, pour les aider à conseiller & à délivrer le peuple, jusqu'à ce qu'il soit heure qu'ils aillent dans leur siege des auditeurs, pour l'expédition des causes des bonnes gens qui auront affaire à eux ; que les procès où il ne s'agira pas de plus de 20 sols, ne pourront être appointés.

Joly, en son traité des offices, observe à cette occasion que les auditeurs assistoient aux grandes causes & aux jugemens que rendoit le prevôt de Paris, ou son lieutenant civil, depuis sept heures du matin jusqu'à dix, & que depuis dix jusqu'à midi, ils descendoient ès basses auditoires où ils jugeoient seuls, & chacun en leur siege singulier ; qu'en l'absence du lieutenant civil ils tenoient la chambre civile ; qu'ils recevoient les maîtres de chaque métier, & que les jurés prêtoient serment devant eux.

On voit encore dans des lettres de Charles V. du 16 Juillet 1378, que les deux auditeurs du châtelet furent appellés avec plusieurs autres officiers pour le choix des quarante procureurs au châtelet.

D'autres lettres du même prince, du 19 Novembre 1393, nomment les avocats auditeurs & examinateurs, comme formant le conseil du châtelet que le prevôt avoit fait assembler pour délibérer avec eux si l'on ne fixeroit plus le nombre des procureurs au châtelet, comme cela fût arrêté & ordonné.

Il est encore parlé des auditeurs dans deux ordonnances de Charles VIII. du 23 Octobre 1485, qui rappellent plusieurs reglemens faits précédemment à leur sujet. L'une de ces ordonnances porte de plus qu'ils auront 60 liv. parisis de gages ; qu'ils seront conseillers du roi au châtelet, & prendront chacun la pension accoutumée ; qu'ils ne seront point avocats, procureurs, ni conseillers d'autres que du roi ; qu'ils ne souffriront point que les clercs des procureurs occupent devant eux.

A ce propos, il faut observer qu'autrefois il y avoit douze procureurs en titre aux auditeurs ; on les appelloit les procureurs d'en bas ; ils avoient aussi un greffier, un receveur des épices, deux huissiers, deux sergens, tous ces officiers se disoient officiers du châtelet. Voyez Joly, des offices, tit. des auditeurs. Présentement il n'y a plus de procureurs aux auditeurs, ce sont les parties elles-mêmes qui y plaident, ou les clercs des procureurs ; la plupart des autres officiers ont aussi été supprimés.

Par un arrêt du parlement du 7 Février 1494, rendu entre les auditeurs & le lieutenant criminel, il fut ordonné que les auditeurs connoîtroient des crimes incidens, & qu'ils pourroient rapporter & juger en la chambre du conseil avec les lieutenans & conseillers du châtelet.

La jurisdiction des auditeurs fut confirmée par l'ordonnance de Louis XII. du mois de Juillet 1499, portant défenses aux procureurs de traduire les causes des auditeurs devant le lieutenant civil, avec injonction au lieutenant civil de les renvoyer aux auditeurs.

Les deux sieges des auditeurs furent réunis en un, par arrêt du parlement du 18 Juin 1552, portant que les deux auditeurs tiendroient le siege alternativement chacun pendant trois mois ; que l'autre assisteroit pour conseil à celui qui seroit au siege, & que les émolumens seroient communs entr'eux.

François I. donna en 1543 un édit, portant que les sentences des auditeurs seroient exécutées jusqu'à 20 liv. parisis & au-dessous, & les dépens à quelque somme qu'ils se puissent monter, nonobstant opposition ou appellation quelconque : un arrêt du parlement du mois de Novembre 1553, portant vérification de cet édit entre les auditeurs, lieutenans & conseillers du châtelet, ordonna de plus que les auditeurs pourroient prendre des épices pour le jugement des procès pendans pardevant eux.

Charles IX. confirma les auditeurs dans leur jurisdiction jusqu'à 25 liv. tournois, par une déclaration du 16 Juillet 1572, qui fut vérifiée en 1576 ; leur jurisdiction fut encore confirmée par un arrêt du 14 Avril 1620, que rapporte Joly, Jan. 1629, ordonnance de Louis XIII. art. 116, " les auditeurs établis au châtelet de Paris, pourront juger sans appel jusqu'à 100 sols entre mercénaires, serviteurs & autres pauvres personnes, & les dépens seront liquidés par même jugement sans appel. "

Lors de la création du nouveau châtelet en 1674, on y établit deux auditeurs comme dans l'ancien châtelet, de sorte qu'il y en avoit alors quatre ; il y eut une déclaration le 6 Juillet 1683, qui en fixa le nombre à deux, & porta jusqu'à 50 liv. leur attribution qui n'étoit jusqu'alors que de 25 liv.

Enfin, au mois d'Avril 1685, il y eut un édit qui supprima les deux juges-auditeurs reservés par la déclaration de 1683, & en créa un seul avec la même attribution de 50 l. On a aussi supprimé plusieurs autres offices qui avoient été créés pour ce même siege.

Le juge-auditeur tient son audience au châtelet, près le parquet ; on assigne devant lui à trois jours ; l'instruction y est sommaire ; il ne peut entendre de témoins qu'à l'audience ; il doit juger tout à l'audience, ou sur pieces mises sur le bureau, sans ministere d'avocat & sans épices ; il ne peut prendre que cinq sols pour chaque sentence définitive.

L'appel de ses sentences doit être relevé dans quinzaine, & porté au présidial où il est jugé en dernier ressort. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race ; Joly, des offices ; le traité de la police ; le dictionn. des arrêts, au mot AUDITEUR, & les réglemens de justice. (A)

JUGE-BANNERET, est le nom que l'on donne en certains pays aux juges de seigneurs, comme dans le ressort du parlement de Toulouse. M. d'Olive, en ses actions forenses, troisieme partie, actions, rapporte un arrêt de son parlement, du 29 Août 1614, qui adjuge la préséance au juge-banneret sur le juge royal de la plus prochaine ville, parce que l'église étoit dans la justice du juge-banneret.

On donne aussi ce même nom aux juges des seigneurs dans la principauté souveraine de Dombes.

Ce nom peut venir de ce que ces juges ont été créés à l'instar des douze bannerets qui étoient établis à Rome, pour avoir chacun l'inspection sur leur quartier ; ou bien ce nom vient de ce que chaque juge a son ban ou territoire. (A)

JUGE BAS-JUSTICIER, est celui qui exerce la basse-justice. Voyez JUSTICE BASSE. (A)

JUGES BOTTES, quelques personnes entendent par-là des juges qui rendent la justice sans aucun appareil, & pour ainsi dire militairement ; mais dans la vérité ce sont les officiers de cavalerie & de dragons, qui assistent aux conseils de guerre, lesquels, suivant l'ordonnance du 25 Juillet 1665, doivent avoir leurs bottes ou bottines pour marque de leur état, comme les officiers d'infanterie doivent avoir leur hausse-col. (A)

JUGE CARTULAIRE ou CHARTULAIRE, on donne ce titre à certains juges établis pour connoître de l'exécution des actes passés sous leur scel & sous les rigueurs de leur cour.

Par exemple, selon le style nouveau, imprimé à Nîmes en 1659, fol. 180, le juge des conventions de Nîmes, établi par Philippe III. en 1272, est juge chartulaire, ayant scel royal, authentique & rigoureux, comme celui du petit-scel de Montpellier, scel-mage de Carcassonne, siege de Saint-Marcellin en Dauphiné. Il connoît seulement des exécutions faites en vertu des obligations passées aux forces & rigueurs de sa cour, & aux sens de contraindre les débiteurs à payer & satisfaire ce à quoi ils sont obligés, par saisie & vente de leurs biens, capture & détention de leurs personnes, (si à ce se trouvent soumis). Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tom. II. p. 232. aux notes.

On donne aussi quelquefois le titre de juge cartulaire aux notaires, parce qu'en effet leurs fonctions participent en quelque chose de celles du juge : ils reçoivent les affirmations des parties, & leur donnent acte de leurs dires & réquisitions ; il est même d'usage en quelques provinces, dans les actes passés devant notaire, de dire en parlant des obligations consenties par les parties, dont nous les avons jugés & condamnés de leur consentement ; mais alors c'est moins le notaire qui parle que le juge, dont le nom est intitulé au commencement de l'acte, les notaires n'étant dans leur origine que les greffiers des juges. Voyez Loyseau, des offices, livre I. chap. jv. n. 24. le jurisconsulte cartulaire, & au mot NOTAIRE. (A)

JUGE CIVIL, est celui qui connoît des matieres civiles, à la différence des juges criminels qui ne connoissent que des matieres criminelles. Il y a des juges qui sont tout à la fois juges civils & criminels ; dans d'autres tribunaux, ces deux fonctions sont séparées. Voyez JUGE CRIMINEL. (A)

JUGE COMMIS, est celui qui n'a pas la jurisdiction ordinaire, mais qui est seulement commis pour juger certaines personnes ou certains cas privilégiés, tels que les requêtes de l'hôtel ou du palais pour les commensaux de la maison du roi & autres personnes qui jouissent du droit de committimus. Voyez COMMENSAUX, COMMITTIMUS, PRIVILEGIES, REQUETES DE L'HOSTEL ET DU PALAIS. (A)

JUGE COMPETENT est celui qui a qualité & pouvoir pour connoître d'une affaire. Voyez COMPETENCE & INCOMPETENCE. (A)

JUGE COMTAL, est celui qui rend la justice attachée à un comté. (A)

JUGE CONSERVATEUR, Voyez CONSERVATEUR & CONSERVATION.

JUGE CONSUL, voyez CONSULS.

JUGE CRIMINEL, est celui qui est établi singulierement pour connoître des matieres criminelles ; tels sont les présidens & conseillers qui sont de service à la tournelle ou chambre criminelle dans les cours & autres tribunaux, les lieutenans-criminels, & les lieutenans-criminels de robe-courte, les prevôts des maréchaux, leurs assesseurs. Voyez ci-devant JUGE CIVIL. (A)

JUGE DELEGUE est celui qui est commis par le prince, ou par une cour souveraine, pour instruire & juger un différend.

Les juges inférieurs ne peuvent pas déléguer à d'autres leur jurisdiction ; ils peuvent seulement commettre un d'entr'eux pour entendre des témoins, ou pour faire une descente, un procès-verbal, &c.

Le juge délégué ne peut pas subdéléguer, à moins qu'on ne lui en ait donné le pouvoir, comme les commissaires départis par le roi dans les provinces, lesquels sont proprement des juges délégués pour certains objets, avec pouvoir de subdéléguer. Voyez DELEGATION.

En matiere ecclésiastique le pape & les évêques déleguent en certains cas des juges. Le pape en commet, en cas d'appel au saint siége. On les appelle juges délégués in partibus, parce que ce sont des commissaires que le pape délegue dans le royaume, & spécialement dans le diocèse d'où l'on a interjetté appel au saint siége. Car c'est une de nos libertés, que de n'être pas obligé d'aller plaider hors le royaume.

Il y a aussi des juges délégués par le pape, pour fulminer des rescrits, ou donner des visa. Ceux-ci ne dépendent pas du choix du pape ; il doit toujours commettre l'évêque du lieu, ou son official.

On peut appeller de nouveau au saint siége de la sentence des juges délégués par le Pape. Voyez aux décretales le tit. de officio & potestate judicis delegati.

Les évêques sont aussi obligés de déléguer des juges en certain cas, comme quand ils donnent des lettres de vicariat à un conseiller clerc du parlement, pour juger conjointement avec la cour certaines causes où il peut y avoir quelque chose apartenant à la jurisdiction ecclésiastique. Voyez Fevret, Traité de l'abus, liv. IV. chap. ij. D'Héricourt, en ses Loix ecclésiastiques, part. I. chap. ix. (A)

JUGE DU DELIT, est celui qui a droit de prendre connoissance d'un délit ou affaire criminelle, soit comme juge ordinaire du lieu où le délit a été commis, soit comme juge de la personne, en conséquence de quelque privilége, soit enfin à cause d'une attribution particuliere qui est faite à ce juge de certaines matieres. Voyez CRIME, DELIT. (A)

JUGE EN DERNIER RESSORT, est celui des jugemens duquel on ne peut pas appeller à un juge supérieur. Tels sont les présidiaux au premier chef de l'édit, & plusieurs autres juges royaux auxquels les ordonnances attribuent le droit de juger certaines causes en dernier ressort ; comme les consuls jusqu'à 500 francs. Les cours souveraines sont aussi des juges en dernier ressort : mais tous les juges en dernier ressort n'ont pas le titre éminent de cours souveraines. Voy. COUR & RESSORT. (A)

JUGE DU DOMICILE, est le juge ordinaire du lieu où le défendeur a son domicile. (A)

JUGE DUCAL, est celui qui rend la justice pour un duc, tels que les juges de la barre ducale de Mayenne. (A)

JUGE D'EGLISE, est celui qui exerce la jurisdiction ecclésiastique contentieuse de quelque église, monastere ou béneficier.

Les officiaux sont des juges d'église. Voyez JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, & OFFICIAL. (A)

JUGE D'EPEE, est celui qui siége l'épée au côté, lorsqu'il rend la justice. Anciennement ceux qui rendoient la justice étoient tous gens d'épée, & siégeoient l'épée au côté : mais vers l'an 1288, ou au plus tard en 1312, on quitta l'épée au parlement & par-tout ailleurs ; de maniere que les chevaliers, les barons, les pairs, les princes mêmes, siégeoient au parlement sans épée ; le roi étoit le seul qui ne quittât jamais la sienne. Mais depuis 1551 on commança à se relâcher de ce réglement, le roi ayant voulu que les princes du sang & les pairs, le connétable, les maréchaux de France & l'amiral, pussent en son absence porter l'épée au parlement.

Les maréchaux de France siégent aussi l'épée au côté, dans leur tribunal du point d'honneur & dans celui de la connétablie.

Les autres juges d'épée sont les officiers tenant conseil de guerre, les chevaliers d'honneur, le prevôt de Paris & les baillifs d'épée, les grands maîtres des eaux & forêts & les maîtres particuliers, & quelques autres officiers auxquels on a accordé le droit de sieger l'épée au côté. (A)

JUGE DES EXEMPTS, est le nom qui fut donné à certains officiers établis dans les apanages des princes, pour y connoître au nom du roi des cas royaux, des causes des églises de fondation royale, des affaires des privilégiés, & de tous les cas dont les officiers royaux connoissent par prévention, dans les terres & provinces données en apanage. On en trouve un exemple dans les lettres patentes de Charles IX. de l'an 1566, pour les apanages des ducs d'Anjou & d'Alençon ses freres. La même chose fut pratiquée pour Montargis, lorsque le duché d'Orléans fut donné en apanage, & encore en d'autres occasions. Voyez EXEMPTS & JURISDICTION DES EXEMPTS. (A)

JUGE EXTRAORDINAIRE, seu quasi extra ordinem naturalem, est celui qui n'a pas la jurisdiction ordinaire ; mais seulement une jurisdiction d'attribution, tels que les cours des aydes, élections, greniers à sel, tables de marbre, maîtrises, les consuls ; ou comme les juges de privilége, tels que des requêtes de l'hôtel & du palais, le prevôt de l'hôtel, les juges conservateurs des priviléges des foires, & ceux des universités. Voyez JUGE D'ATTRIBUTION, JUGE ORDINAIRE, GE DE PRIVILEGELEGE. (A)

JUGE FISCAL, appellé judex fiscalis, & quelquefois fiscalis simplement, étoit un juge royal, mais d'un ordre inférieur. On l'appelloit fiscalis, parce qu'il exerçoit sa jurisdiction dans les terres fiscales & appartenantes au roi en propriété ; ou, comme dit Loyseau, parce qu'il étoit établi, non par le peuple, mais par le roi, qui a vraiment seul le droit de fisc. Il en est parlé dans la loi des Ripuariens, tit. xxxij. §. 3. tit. li. §. 1. & tit. liij. § 1. Il paroît que l'on donnoit ce titre aux comtes particuliers des villes, pour les distinguer des grands du royaume, qui étoient juges dans un ordre plus éminent, Ces juges fiscaux tenoient probablement la place des juges pédanées. Voyez le Glossaire de Ducange, au mot Judex fiscalis ; & Loyseau, des Seig. chap. xvj. n. 55. (A)

JUGE GRUYER. Voyez GRUYER & GRURIE.

JUGE HAUT JUSTICIER, est celui qui exerce la haute justice. On entend quelquefois par-là un juge haut, moyen & bas justicier, suivant la maxime que in majori, minus inest ; quelquefois aussi ces termes s'entendent strictement d'un juge qui n'a que la haute justice seulement, la moyenne & la basse étant exercées par un autre juge. (A)

JUGE HAUT, MOYEN ET BAS JUSTICIER, est celui qui réunit en lui le pouvoir de la haute, moyenne & basse justice. (A)

JUGE IMMEDIAT, est celui qui a droit de connoître directement d'une affaire, sans qu'elle vienne par appel d'un autre tribunal. On ne peut appeller d'un juge à un autre omisso medio, si ce n'est en matiere criminelle ou en cas d'appel, comme de juge incompétent, & déni de renvoi. (A)

JUGE INCOMPETENT, est celui qui ne peut connoître d'une affaire, soit parce qu'il n'est pas le juge des parties, ou parce que l'affaire est de nature à être attribuée spécialement à quelque autre juge. Voyez COMPETENCE, JUGE COMPETENT & INCOMPETENCE. (A)

JUGE INFERIEUR, est celui qui en a un autre audessus de lui. Cette qualité est relative ; car le même juge peut être inférieur à l'égard de l'un, & supérieur à l'égard de l'autre : ainsi les baillifs & sénéchaux sont juges supérieurs à l'égard des juges de seigneurs, & ils sont juges inférieurs à l'égard du parlement. (A)

JUGE LAÏC ou SECULIER, est celui qui exerce la jurisdiction séculiere. Il y a des clercs admis dans les tribunaux séculiers qui néanmoins sont considérés comme juges laïcs, en tant qu'ils sont membres d'un tribunal séculier. On comprend sous ce terme de juge laïc tous les juges royaux, municipaux & seigneuriaux.

La qualité de juge laïc est opposée à celle de juge d'église. Voyez JUGE D'EGLISE, GE ROYALOYAL.

JUGE DES LIEUX, est celui qui a la justice ordinaire dans le lieu du domicile des parties, ou dans le lieu où sont les choses dont il s'agit, ou dans lequel s'est passé le fait qui donne lieu à la contestation. Voyez JUGE DU DOMICILE, GE DU DELITELIT. (A)

JUGE-MAGE ou MAJE, quasi judex major, & qu'en effet on appelle en quelques endroits grand juge, signifie naturellement le premier juge du tribunal. Néanmoins dans le Languedoc on donne ce nom au lieutenant des sénéchaux. Dans quelques villes il y a un juge-maje, qui est le premier officier de la jurisdiction, comme à Cluny. (A)

JUGE MOYEN JUSTICIER, est celui qui n'exerce que la moyenne justice. Voyez JUSTICE MOYENNE. (A)

JUGE MOYEN ET BAS JUSTICIER, est celui qui réunit en lui le pouvoir de la moyenne & de la basse justice. Voyez BASSE JUSTICE, YENNE JUSTICETICE. (A)

JUGE SANS MOYEN, est celui qui a droit de connoître d'une affaire en premiere instance, ou qui en connoît par appel, sans qu'il y ait entre lui & le juge a quo aucun autre juge intermédiaire. (A)

JUGE MUNICIPAL, est celui qui exerce la justice ou quelque partie d'icelle dont l'administration est confiée aux corps de ville. On a appellé ces juges municipaux du latin municipium, qui étoit le nom que les Romains donnoient aux villes qui avoient le privilege de n'avoir d'autres juges & magistrats que de leurs corps ; & comme par succession de tems le peuple, & ensuite les empereurs accorderent la même prérogative à presque toutes les villes, ce nom de municipium fut aussi donné à toutes les villes, & tous leurs officiers furent appellés municipaux.

Chaque ville à l'imitation de la république romaine, formoit une espece de petite république particuliere, qui avoit son fisc & son conseil ou sénat qu'on appelloit curiam ou senatum minorem, lequel étoit composé des plus notables citoyens. On les appelloit quelquefois patres civitatum, & plus ordinairement curiales ou curiones, seu decuriones, parce qu'ils étoient chefs chacun d'une dixaine d'habitans. Le conseil des villes étoit probablement composé des chefs de chaque dixaine. Cette qualité de décurion devint dans la suite très-onéreuse, sur-tout à cause qu'on les rendit responsables des deniers publics. Il ne leur étoit pas permis de quitter pour prendre un autre état, & l'on contraignoit leurs enfans à remplir la même fonction ; on la regarda même enfin comme une peine à laquelle on condamnoit les délinquans. L'empereur Léon supprima les décurions & les conseils de ville.

Les décurions n'étoient pas tous juges ni magistrats ; mais on choisissoit entr'eux ceux qui devoient remplir cette fonction.

Dans les villes libres appellées municipia, & dans celles que l'on appelloit coloniae, c'est-à-dire, où le peuple romain avoit envoyé des colonies, lesquelles furent dans la suite confondues avec celles appellées municipia ; ceux qui étoient chargés de l'administration de la justice étoient appellés duum-viri, parce qu'ils étoient au nombre de deux. Ceux qui étoient chargés des affaires communes étoient nommés aediles. Les duumvirs avoient d'abord toute la jurisdiction ordinaire indéfiniment ; mais dans la suite ils furent restraints à ne juger que jusqu'à une certaine somme, & il ne leur étoit pas permis de prononcer des peines contre ceux qui n'auroient pas déféré à leurs jugemens.

Les villes d'Italie qui avoient été rebelles au peuple romain n'avoient point de justice propre ; on y envoyoit des magistrats de Rome appellés praefecti ; elles avoient seulement des officiers de leur corps appellés aediles. Ces officiers exerçoient la menue police, & pouvoient infliger aux contrevenans de légeres corrections & punitions, mais c'étoit sans figure de procès.

Enfin dans toutes les villes des provinces non libres ni privilégiées, il y avoit un officier appellé defensor civitatis, dont l'office duroit cinq ans. Ces défenseurs des cités étoient chargés de veiller aux intérêts du peuple, & de diverses autres lois. Mais au commencement ils n'avoient point de jurisdiction ; cependant en l'absence des présidens des provinces, ils s'ingererent peu à peu de connoître des causes légeres, sur-tout inter volentes : ce qui ayant paru utile & même nécessaire pour maintenir la tranquillité parmi le peuple, les empereurs leur attribuerent une jurisdiction contentieuse jusqu'à 50 sols.

Les gouverneurs de provinces, pour diminuer l'autorité de ces défenseurs des cités, firent si bien qu'on ne choisissoit plus pour remplir cette place que des gens de basse condition, & même en quelques endroits ils mirent en leur place des juges pédanées. Ce qui fut réformé par Justinien, lequel ordonna par sa Novelle 15, que les plus notables des villes seroient choisis tour à tour pour leurs défenseurs, sans que les gouverneurs pussent commettre quelqu'un de leur part à cette place ; & pour la rendre encore plus honorable, il augmenta leur jurisdiction jusqu'à 300 sols, & ordonna qu'au dessous de cette somme on ne pourroit s'adresser aux gouverneurs, sous peine de perdre sa cause, quoiqu'auparavant les défenseurs des cités ne jugeassent que concurremment avec eux : il leur attribua même le pouvoir de faire mettre leurs sentences à exécution : ce qu'ils n'avoient pas eu jusqu'alors, non plus que les juges pédanées. Mais il réduisit le tems de leur exercice à deux années au lieu de cinq.

Il n'y eut donc par l'évenement d'autre différence entre les duumvirs & les défenseurs des cités, sinon que les premiers étoient établis dans les villes privilégiées & choisis dans leur conseil ; au lieu que les défenseurs des cités étoient préposés dans toutes les villes de province où il n'y avoit point d'autres officiers de justice populaire, & étoient choisis indifféremment dans tout le peuple.

Les juges municipaux avoient le titre de magistrats ; leurs fonctions étoient annales, ou pour un autre tems limité : ceux qui sortoient de charge nommoient leurs successeurs, desquels ils étoient garants.

César & Strabon remarquent que les Gaulois & les Allemands s'assembloient tous les ans pour élire les principaux des villes pour y rendre la justice.

C'est de-là que plusieurs villes de la Gaule Belgique ont conservé la justice ordinaire jusqu'à l'ordonnance de Moulins, laquelle art. 71 a ôté aux villes la justice civile, & leur a seulement laissé la connoissance de la police & du criminel. Ce qui n'a cependant point été exécuté par-tout, y ayant encore plusieurs villes, sur-tout dans la Gaule Belgique, où les maires & échevins ont la justice ordinaire. Voyez au mot ECHEVINS & ECHEVINAGE.

Sous Charlemagne & ses successeurs, les comtes établis par le roi dans chaque ville jugeoient avec les échevins, qui étoient toujours juges municipaux.

Présentement dans la plupart des villes les juges municipaux ont pour chef l'un d'entr'eux, qu'on appelle prevôt des marchands, maire, bayle ; ailleurs ils sont tous compris sous un même titre, comme les capitouls de Toulouse, les jurats de Bordeaux.

Dans toute la France Celtique & Aquitanique, les juges municipaux ne tiennent leur justice que par concession ou privilege ; ils n'ont communément que la basse justice ; en quelques endroits on leur a attribué la police, en d'autres ils n'en ont qu'une partie, comme à Paris, où ils n'ont la police que de la riviere & des ports, & la connoissance de tout ce qui concerne l'approvisionnement de Paris par eau.

Quoique les consuls prennent le titre de juges & consuls établis par le roi, ils ne sont en effet que des juges municipaux, étant élus par les marchands entr'eux, & non pas nommés par le roi. Voyez CONSULS.

Les élus ou personnes qui étoient choisies par le peuple pour connoître des aides, tailles & autres subsides, étoient aussi dans leur origine des officiers municipaux : mais depuis qu'ils ont été créés en titre d'office, ils sont devenus juges royaux. Voyez Loyseau, Traité des seigneuries, chap. xvj. (A)

JUGES DES NOBLES ; ce sont les baillifs & sénéchaux, & autres juges royaux ressortissans sans moyen au parlement, lesquels connoissent en premiere instance des causes des nobles & de leurs tuteles, curatelles, scellés & inventaires, &c. Voyez l'édit de Cremieu, art. 6. (A)

JUGE ORDINAIRE ; est celui qui est le juge naturel du lieu, & qui a le plein exercice de la jurisdiction, sauf ce qui peut en être distrait par attribution ou privilege, à la différence des juges d'attribution ou de privileges, & des commissaires établis pour juger certaines contestations, lesquels sont seulement juges extraordinaires. Voyez ci-devant JUGE EXTRAORDINAIRE. (A)

JUGES SOUS L'ORME, sont ceux qui n'ayant point d'auditoire fermé, rendent la justice dans un carrefour public sous un orme. Cette coûtume vient des Gaulois, chez lesquels les druides rendoient la justice dans les champs, & particulierement sous quelque gros chêne, arbre qui étoit chez eux en grande vénération. Dans une ancienne comédie gauloise latine, intitulée Querolus, il est dit en parlant des Gaulois qui habitoient vers la riviere de Loire, ibi sententiae capitales de robore proferuntur ; les François en usoient autrefois communément de même ; une vieille charte de l'Abbaye de S. Martin de Pontoise, anciennement dite S. Germain, qui est la 131 de leur chartulaire, dit, haec omnia renovata sunt sub ulmo ante ecclesiam beati Germani, ipso Hugone & filio suo Roberto majore audientibus. Joinville en la premiere partie de son histoire, dit que le roi saint Louis alloit souvent au bois de Vincennes, où il rendoit la justice, étant assis au pié d'un chêne. La coûtume de rendre la justice sous l'orme dans les villages, vient de ce que l'on plante ordinairement un orme dans le carrefour où le peuple s'assemble. Il y a encore plusieurs justices seigneuriales où le juge donne son audience sous l'orme.

Dans le village de la Bresse en Lorraine, bailliage de Remiremont, la justice se rend sommairement sous l'orme par le maire & les élus ; cette justice doit être sommaire ; en effet, l'art. 32 des formes anciennes de la Bresse, porte qu'il n'est loisible à personne plaider par-devant ladite justice, former, ou chercher incident frivole & superflu, ains faut plaider au principal, ou proposer autres fins pertinentes, afin que la justice ne soit prolongée. La défense de former des incidens frivoles & superflus doit être commune à tous les tribunaux, même du premier ordre, où la justice est mieux administrée que dans les petites jurisdictions. Il seroit même à souhaiter que dans tous les tribunaux, on pût rendre la justice aussi sommairement qu'on la rend dans ces justices sous l'orme ; mais cela n'est pas pratiquable dans toutes sortes d'affaires. Voyez les opuscules de Loisel, pag. 72. Bruneau, traité des Criées, pag. 20. Les mémoires sur la Lorraine, pag. 193. (A)

JUGE DE PAIRIE ; est celui qui rend la justice dans un duché ou comté pairie, ou dans quelque autre terre érigée à l'instar des pairies ; ces sortes de juges ne sont pas juges royaux, mais seulement juges de seigneuries, ayant le titre de pairie ; la principale prérogative de ces justices est de ressortir sans moyen au parlement. Voyez PAIRIE. (A)

JUGES IN PARTIBUS, est la même chose que commissaires ad partes ; ce sont des juges que le pape est obligé de déléguer en France lorsqu'il y a appel du primat au saint siege ; une des libertés de l'Eglise Gallicane étant que les sujets du roi ne sont point obligés d'aller plaider hors le royaume. Voyez ci-devant JUGE DELEGUE. (A)

JUGE PEDANEE, judex pedaneus, étoit le nom que l'on donnoit chez les Romains à tous les juges des petites villes, lesquels n'étoient point magistrats, & conséquemment n'avoient point de tribunal ou prétoire ; quelques-uns croyent qu'ils furent ainsi appellés, parce qu'ils alloient de chez eux à pié au lieu destiné pour rendre la justice, au lieu que les magistrats alloient dans un chariot ; d'autres croyent qu'on les appella juges pédanées, quasi stantes pedibus, parce qu'ils rendoient la justice debout ; mais c'est une erreur, car ils étoient assis ; toute la différence est qu'ils n'étoient point sur des sieges élevés, comme les magistrats ; mais in subselliis ; c'est-à-dire sur de bas siéges ; de maniere qu'ils rendoient la justice de plano, seu de plano pede ; c'est-à-dire que leurs piés touchoient à terre ; c'est pourquoi on les appella pedanei, quasi humi judicantes.

On ne doit pas confondre avec les juges pédanées les sénateurs pédaniens ; on donnoit ce nom aux sénateurs qui n'opinoient que pedibus ; c'est-à-dire en se rangeant du côté de celui à l'avis duquel ils adhéroient.

Les empereurs ayant défendu aux magistrats de renvoyer aux juges délégués autre chose que la connoissance des affaires légeres, ces juges délégués furent nommés juges pédanées.

L'empereur Zenon établit des juges pédanées dans chaque siége de province, comme il est dit en la novelle 82, chap. j. & Justinien, à son imitation, par cette même novelle, érigea en titre d'office dans Constantinople, sept juges pédanées, à l'instar des défenseurs des cités qui étoient dans les autres villes, & au lieu qu'ils n'avoient coutume de connoître que jusqu'à 50 sols (qui valoient 50 écus) ; il leur attribua la connoissance jusqu'à 300.

L'appel de leurs jugemens ressortissoit au magistrat qui les avoit délégués.

Parmi nous on qualifie quelquefois les juges de seigneurs & autres juges inférieurs, de juges pédanées. La coûtume d'Acqs, tit. ix. art. 43, parle des bayles royaux pédaniens, quasi pedanei.

Voyez Aulu-Gelle & Festus ; Cujas sur la novelle 82. Loiseau, des offices, liv. I. chap. v. n. 52. & suiv. (A)

JUGE DE POLICE, est celui qui est chargé en particulier de l'exercice de la police ; tels sont les lieutenans de police ; en quelques endroits cette fonction est unie à celle de lieutenant-général, ou autre principal juge civil & criminel ; dans d'autres elle est séparée & exercée par le lieutenant de police seul ; en quelques villes ce sont les maires & échevins qui ont la police. Voyez ECHEVIN & LIEUTENANT DE POLICE, MAIRIE & POLICE. (A)

JUGE PREMIER, n'est pas celui qui occupe la premiere place du tribunal, ni qui remplit le degré supérieur de jurisdiction ; c'est au contraire celui devant lequel l'affaire a été traitée, ou dû l'être en premiere instance avant d'être portée au juge supérieur. Ce n'est pas toujours celui qui remplit le dernier degré de jurisdiction, tel que le bas justicier qu'on appelle le premier juge. Un juge royal, & même un baillif ou sénéchal, est aussi qualifié de premier juge pour les affaires qui y devoient être jugées, avant d'être portées au parlement ou autre cour supérieure. Voyez APPEL, JUGE D'APPEL, JUGE A QUO. (A)

JUGES PRESIDIAUX, sont ceux qui composent un présidial & qui jugent présidialement, c'est-à-dire conformément au pouvoir que leur donne l'édit des présidiaux, soit au premier ou au second chef. Voyez PRESIDIAL. (A)

JUGE DE PRIVILEGE, est celui auquel appartient la connoissance des causes de certaines personnes privilegiées ; tels sont les requêtes de l'hôtel & du palais, qui connoissent des causes de ceux qui ont droit de committimus. Tel est aussi le grand-prevôt de l'hôtel, qui connoît des causes de ceux qui suivent la cour : tels sont encore les juges conservateurs des privileges des universités, & quelques autres juges semblables. Voyez PRIVILEGE.

Les juges de privilege, sont différens des juges d'attribution. Voyez ci-devant JUGES D'ATTRIBUTION. (A)

JUGE PRIVE, est opposé à juge public : on entend par-là celui qui n'a qu'une jurisdiction domestique, familiere ou économique ; les arbitres sont aussi des juges privés ; on comprenoit aussi sous le terme de juges privés, tous les juges des seigneurs, pour les distinguer des juges royaux que l'on appelloit juges publics. Voyez ci-après JUGE PUBLIC. (A)

JUGE PUBLIC, judex publicus : on donnoit autrefois ce titre aux ducs & aux comtes, pour les distinguer des juges séculiers des évêques. Lettr. hist. sur le parlement, page 125. (A)

JUGE AD QUEM : on se sert quelquefois de cette expression par opposition à celle de juge à quo, pour signifier le juge auquel l'appel doit être porté ; au lieu que le juge à quo est celui dont est appel. (A)

JUGE A QUO : on sous-entend à quo appellatur, ou appellatum est, est celui dont l'appel ressortit à un juge supérieur. On entend aussi par-là singulierement le juge dont la sentence fait actuellement la matiere d'un appel. Voyez JUGE D'APPEL, JUGE DONT EST APPEL, JUGE AD QUEM. (A)

JUGES DE ROBE-COURTE, sont ainsi appellés par opposition à ceux qui portent la robe longue ; ils siégent l'épée au côté, & néanmoins ne sont pas considérés comme juges d'épée, mais comme juges de robe, parce qu'ils portent en même tems une robe dont les manches sont fort courtes, & qui ne leur descend que jusqu'aux genoux ; tels sont les lieutenans criminels de robe-courte. Voyez LIEUTENANS-CRIMINELS, & au mot ROBE-COURTE.

L'ordonnance d'Orléans porte que les baillifs & sénéchaux seront de robe-courte ; néanmoins dans l'usage, on ne les appelle pas des juges de robe-courte, mais des juges d'épée, attendu qu'ils ne portent point de robe-courte, comme les lieutenans criminels de robe-courte, mais seulement le manteau avec l'épée & la tocque garnie de plumes. (A)

JUGES DE ROBE LONGUE, sont tous ceux qui portent la robe ordinaire, à la différence des juges d'épée & des juges de robe-courte. Voyez ci-devant JUGES D'EPEE & JUGES DE ROBE-COURTE. (A)

JUGE ROYAL, est celui qui est établi & pourvu par le roi & qui rend la justice en son nom.

Toute justice en France est émanée du roi, soit qu'elle soit exercée par ses officiers ou par d'autres personnes qui en jouissent par privilege ou concession.

On distingue cependant plusieurs sortes de juges savoir les juges royaux, les juges d'église, les juges de seigneur, & les juges municipaux.

L'établissement des juges royaux est aussi ancien que la monarchie.

Il y avoit aussi dès-lors des juges d'église & des juges municipaux dans quelques villes, principalement de la Gaule belgique ; pour ce qui est des juges de seigneur, leur premiere origine remonte jusqu'au tems que les offices & bénéfices furent institués, c'est-à-dire, lorsque nos rois distribuerent à leurs officiers les terres qu'ils avoient conquises ; mais ces officiers furent d'abord juges royaux ; ils ne devinrent juges de seigneurs, que lors de l'établissement des fiefs.

Les premiers juges royaux en France, furent donc les ducs & les comtes, tant du premier que du second ordre : qui avoient été établis par les Romains dans les provinces & dans les villes ; les grands officiers auxquels nos rois distribuerent ces gouvernemens prirent les mêmes titres ; ils étoient chargés de l'administration de la justice.

Mais les capitaines, lieutenans, & sous-lieutenans, auxquels on distribua le gouvernement des petites villes, bourgs, & villages, ne trouvant pas assez de dignité dans les titres que les Romains donnoient aux juges de ces lieux, de judices ordinarii, judices pedanei, magistri pagorum, conserverent les noms de centeniers, cinquantainiers, & dixainiers ; qu'ils portoient dans les armées ; & sous ces noms rendoient la justice. On croit que c'est de-là que sont venus les trois degrés de haute, moyenne, & basse justice, qui sont encore en usage dans les jurisdictions seigneuriales : cependant ces juges inférieurs étoient aussi d'abord juges royaux, de même que les ducs & les comtes.

Vers la fin de la seconde race, & au commencement de la troisieme race, les ducs, comtes, & autres officiers, se rendirent chacun propriétaires des gouvernemens qu'ils n'avoient qu'à titre d'office & de bénéfice. Ils se déchargerent alors d'une partie de l'administration de la justice sur des officiers qu'ils établirent en leurs noms, & qui prirent indifféremment, selon l'usage de chaque lieu, les noms de vicomtes, prevôts, ou viguiers ; ceux des bourgs fermés, ou qui avoient un château, prirent le nom de châtelain, ceux des autres lieux prirent le nom de maires.

Les ducs & les comtes jugeoient avec leurs pairs l'appel des juges inférieurs, & les affaires de grand-criminel ; mais dans la suite ils se déchargerent encore de ce soin sur des officiers que l'on appella baillifs, & en d'autres endroits sénéchaux : mais ces baillifs & sénéchaux n'étoient d'abord que des juges de seigneurs.

A Paris, & dans les autres villes du domaine, qui étoient alors en très-petit nombre, le roi établissoit un prevôt royal pour rendre la justice en son nom. Ces prevôts royaux avoient d'abord la même autorité que les comtes & vicomtes qui les avoient précédés.

Le parlement qui étoit encore ambulatoire, avoit l'inspection sur tous ces juges ; nos rois des deux premieres races envoyoient en outre dans les provinces éloignées des commissaires appellés missi dominici, pour recevoir les plaintes que l'on pouvoit avoir à faire contre les seigneurs ou leurs officiers.

Les seigneurs se plaignant de cette inspection qui les ramenoit à leur devoir, on cessa pour un tems d'envoyer de ces commissaires ; mais au lieu de ces officiers ambulatoires, le roi créa quatre baillifs royaux permanens, dont le siége fut établi à Vermand, aujourd'hui Saint-Quentin, à Sens, à Mâcon, & à Saint Pierre-le-Moutier.

Le nombre de ces baillifs fut augmenté à mesure que l'autorité royale s'affermit. Philippe-Auguste en 1190, en établit dans toutes les principales villes de son domaine, & tous ces anciens duchés & comtés ayant été peu-à-peu réunis à la couronne, les baillifs & sénéchaux, prevôts, & autres officiers qui avoient été établis par les ducs & comtes, devinrent juges royaux.

Il y eut cependant quelques seigneurs qui donnerent à leurs juges le titre de baillifs ; & pour les distinguer des baillifs royaux, ceux-ci furent appellés baillici majores, & ceux des seigneurs baillici minores.

Le dernier degré des juges royaux, est celui des prevôts, châtelains, viguiers, maires, &c. dont l'appel ressortit aux bailliages & sénéchaussées.

Quelques bailliages & sénéchaussées ont été érigés en présidiaux, ce qui leur donne un pouvoir plus étendu qu'aux autres.

L'appel des bailliages & sénéchaussées ressortit au parlement.

Outre les parlemens qui sont sans contredit le premier ordre des juges royaux, nos rois ont établi encore d'autres cours supérieures, telles que le grand-conseil, les chambres des comptes, les cours des aides, qui sont aussi des juges royaux.

Il y a des juges royaux ordinaires, d'autres d'attribution, & d'autres de privilege. Voyez JUGE D'ATTRIBUTION, JUGE ORDINAIRE, JUGE DE PRIVILEGE.

Tous juges royaux rendent la justice au nom du roi ; il n'y a cependant guere que les arrêts des cours qui soient intitulés du nom du roi ; les jugemens des autres sieges royaux sont intitulés du nom du baillif ou sénéchal de la province.

La connoissance des cas appellés royaux, appartient aux juges royaux, privativement à ceux des seigneurs.

Ils précedent en toutes occasions les officiers des seigneurs, excepté lorsque ceux-ci sont dans leurs fonctions.

Ils ne peuvent posséder aucun office dans la justice des seigneurs, à moins qu'ils n'ayent obtenu du roi des termes de compatibilité à cet effet. Voyez BAILLIFS, COMTE, COUR, PRESIDIAUX, PREVOT ROYAL, SENECHAL, VICOMTE, VIGUIER. (A)

JUGE SECULIER, est celui qui est établi par le roi ou par quelqu'autre seigneur. Cette qualification est opposée à celle de juge d'église ou ecclésiastique. Voyez JUGE D'EGLISE. (A)

JUGE DE SEIGNEUR, est celui qui rend la justice au nom du seigneur qui l'a établi. On l'appelle aussi juge subalterne. Voyez JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JUGE SEIGNEURIAL, est la même chose que juge de seigneur. On l'appelle ainsi pour le distinguer du juge royal. Voyez JUGE DE SEIGNEUR, GE ROYALOYAL. (A)

JUGE SOUVERAIN, est celui qui est dépositaire de l'autorité souveraine pour juger en dernier ressort les contestations qui sont portées devant lui.

Les magistrats qui composent les cours sont des juges souverains.

Quelques tribunaux ont le même caractere à certains égards seulement, comme maîtres des requêtes de l'hôtel, lesquels dans les affaires qu'ils ont droit de juger souverainement, prennent le titre de juges souverains en cette partie.

Le caractere des juges souverains est plus éminent, & leur pouvoir plus étendu que celui des juges en dernier ressort ; les juges souverains étant les seuls qui puissent, selon les circonstances, faire céder la rigueur de la loi à un motif d'équité. Voyez COURS & JUGE EN DERNIER RESSORT. (A)

JUGE SUBALTERNE, signifie en général un juge inférieur qui en a un autre au-dessus de lui ; mais on donne ce nom plus communément aux juges de seigneurs relativement aux juges royaux qui sont audessus d'eux. Voyez JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JUGE SUBDELEGUE, est celui qui est commis par un juge qui est lui-même délégué. Voyez JUGE DELEGUE & SUBDELEGUE. (A)

JUGE SUPERIEUR, se dit quelquefois d'une cour souveraine, ou d'un magistrat qui en est membre.

Mais on entend aussi plus souvent par-là tout juge qui est au-dessus d'un autre. Ainsi le juge haut justicier est le juge supérieur du bas & du moyen justicier ; le bailli royal est le juge supérieur du juge seigneurial, de même que le parlement est le juge supérieur du bailli royal. Le terme de juge supérieur est opposé en ce sens à celui de juge inférieur. Voyez ci-devant JUGE INFERIEUR. (A)

JUGES DES TRAITES ou DES TRAITES FORAINES, qu'on appelle aussi MAITRES DES PORTS, sont des juges royaux d'attribution, qui connoissent en premiere instance tant au civil qu'au criminel, des contestations qui surviennent pour les droits qui se perçoivent sur les marchandises qui entrent ou qui sortent du royaume ; ils connoissent encore des marchandises de contrebande & de beaucoup de matieres qui regardent l'entrée & la sortie des personnes & des choses hors du royaume, suivant leur établissement.

Henri II. par des lettres patentes en forme d'édit, du mois de Septembre 1549, créa des maîtres des ports, lieutenans, & autres officiers, auxquels il attribua privativement à tous autres juges la connoissance & jurisdiction en premiere instance, non-seulement des droits anciens d'imposition foraine ou domaine forain, qui faisoient partie de l'apanage des rois & de la couronne, mais encore des droits qu'il établit nouvellement, aussi appellés droits d'imposition foraine sur les choses qui entrent & sortent, & même sur les personnes qui pourroient également entrer ou sortir du royaume. L'article 15. de cet édit enjoint aux officiers desdits maîtres des ports, chacun en droit soi respectivement, d'envoyer de quartier en quartier, les états signés au vrai de leurs mains aux trésoriers de France, de ce qu'auront valu les droits de domaine forain & haut passage, & à l'égard de l'imposition foraine aux généraux des finances.

Cet édit fut adressé & vérifié au parlement ; mais comme les droits de l'imposition n'étoient point de sa compétence, l'arrêt d'enregistrement porte, lectâ publicatâ & registratâ, in quantum tetigit domanium, domini nostri regis audito procuratore generali.

Cette reserve ou forme d'enregistrement, se trouve dans plusieurs arrêts de vérification de cette cour ; ce qui prouve l'union & la fraternité qui regnoit entre ces deux cours également souveraines.

Le même roi Henri II. ayant institué en 1551 de nouveaux officiers & maîtres des ports, pour éviter la confusion dans la perception des droits de domaine forain & d'imposition foraine, établit des bureaux dans les différentes provinces du royaume.

Ces bureaux, dont le plus grand nombre tirent leur origine de cet édit, si l'on excepte celui de Paris, furent successivement connus sous le nom de bureaux des traites, à la reserve des trois qui sont connus par distinction sous le nom de douanne, soit par leur situation ou leur ancienneté, qui sont les bureaux des douannes de Paris, Lyon, & Valence.

L'on prétend que le nom de douanne, vient d'un terme bas-breton doen, qui signifie porter ; parce que l'on transporte dans ces bureaux toutes sortes de marchandises.

Les maîtres des ports furent confirmés dans leurs fonctions & établissement sous Louis XIV. par un édit du mois de Mars 1667, & furent indistinctement dénommés maîtres des ports, ou juges des traites.

Mais ce même prince, après avoir établi par ses ordonnances de 1680 & 1687, une jurisprudence certaine pour la perception des droits qui composent les fermes générales des gabelles, aydes, entrées, & autres y jointes, dont la connoissance appartient aux élus en premiere instance, & par appel à la cour des aydes, fixa & détermina pareillement des maximes concernant la perception des droits de sortie & d'entrée sur les marchandises & denrées par son ordonnance du mois de Février 1687, contenant 13 titres, dont le douzieme attribue la compétence & la connoissance de tous différends civils & criminels, concernant les droits de sortie & d'entrée, & ceux qui pourroient naître en exécution de ladite ordonnance, aux maîtres des ports & juges des traites en premiere instance, & par appel aux cours des aydes de leur ressort.

Cette même ordonnance prescrit aux juges la forme de procéder tant en premiere instance que sur l'appel. (A)


JUGEURSS. m. pl. (Jurispr.) étoit le nom que l'on donnoit anciennement à ceux des conseillers au parlement qui étoient distribués dans les chambres des enquêtes pour y juger les enquêtes, c'est-à-dire les procès par écrit, dont la décision dépendoit d'enquêtes ou autres preuves littérales. Les conseillers des enquêtes étoient de deux sortes ; les uns jugeurs, les autres rapporteurs : cette distinction subsista jusqu'à l'ordonnance du 10 Avril 1344, qui incorpora les rapporteurs avec les jugeurs.

On parlera plus amplement ci-après, au mot PARLEMENT, de ce qui concerne les enquêtes & les conseillers jugeurs & rapporteurs. (A)

JUGEURS ou HOMMES JUGEURS, jugeans ou hommes jugeans, étoient ceux qui rendoient la justice à leurs égaux, ou que les prevôts ou baillifs appelloient avec eux pour juger, ensorte qu'ils étoient comme les assesseurs & conseillers du juge qui leur faisoit le rapport de l'affaire, & sur son rapport ils décidoient. Ils sont ainsi nommés dans quelques anciennes ordonnances, dans les lieux où la justice étoit rendue par des pairs ou hommes de fief. On ne les qualifioit pas de jugeurs, mais de pairs ou hommes de fief. Voyez les notes de M. Secousse sur l'ordonnance de S. Louis en 1254. p. 72, & sur les établissemens de S. Louis, liv. I. chap. cv. & liv. II. chap. xv. & sur l'ordonnance de Charles V. alors régent du royaume, du mois de Mars 1356. (A)


JUGULAIREadj. (Anatom.) est un nom que les Anatomistes donnent à quelques veines du cou, qui vont aboutir aux souclavieres. Voy. VEINE.

Il y en a deux de chaque côté ; l'une externe, qui reçoit le sang de la face & des parties externes de la tête ; & l'autre interne, qui reporte le sang du cerveau. Voyez nos Planches d'Anatomie, & leur explication, vol. I.

Jugulaire se dit aussi de quelques glandes du cou, qui sont situées dans les espaces des muscles de cette partie.

Elles sont au nombre de quatorze & de différentes figures, les unes plus grosses, les autres moins. Elles sont attachées les unes aux autres par des membranes & des vaisseaux, & leur substance est semblable à celle des maxillaires.

Elles séparent la lymphe qui retourne par les vaisseaux à tous les muscles voisins. C'est l'obstruction de ces glandes qui cause les écrouelles. Dionis, Voyez MAL.


JUHONES(Géog. anc.) peuple imaginaire que l'on a forgé sur un passage altéré de Tacite ; j'entends celui de ses annales, liv. XIII. chap. lvij. où l'on a lû, sed Juhonum civitas socia nobis, au lieu qu'il falloit lire Ubiorum civitas ; c'est de Cologne dont il s'agit ici, située dans le pays des Ubiens, qui étoient alors seuls alliés des Romains en Germanie, chez lesquels se trouvoit une colonie nouvellement fondée. (D.J.)


JUIFS. m. (Hist. anc. & mod.) sectateur de la religion judaïque.

Cette religion, dit l'auteur des lettres persanes, est un vieux tronc qui a produit deux branches, le Christianisme & le Mahométisme, qui ont couvert toute la terre : ou plûtôt, ajoute-t-il, c'est une mere de deux filles qui l'ont accablée de mille plaies. Mais quelques mauvais traitemens qu'elle en ait reçûs, elle ne laisse pas de se glorifier de leur avoir donné la naissance. Elle se sert de l'une & de l'autre pour embrasser le monde, tandis que sa vieillesse vénérable embrasse tous les tems.

Josephe, Basnage & Prideaux ont épuisé l'histoire du peuple qui se tient si constamment dévoué à cette vieille religion, & qui marque si clairement le berceau, l'âge & les progrès de la nôtre.

Pour ne point ennuyer le lecteur de détails qu'il trouve dans tant de livres, concernant le peuple dont il s'agit ici, nous nous bornerons à quelques remarques moins communes sur son nombre, sa dispersion par tout l'univers, & son attachement inviolable à la loi mosaïque au milieu de l'opprobre & des véxations.

Quand l'on pense aux horreurs que les Juifs ont éprouvé depuis J. C. au carnage qui s'en fit sous quelques empereurs romains, & à ceux qui ont été répétés tant de fois dans tous les états chrétiens, on conçoit avec étonnement que ce peuple subsiste encore ; cependant non seulement il subsiste, mais, selon les apparences, il n'est pas moins nombreux aujourd'hui qu'il l'étoit autrefois dans le pays de Canaan. On n'en doutera point, si après avoir calculé le nombre des Juifs qui sont répandus dans l'occident, on y joint les prodigieux essains de ceux qui pullulent en Orient, à la Chine, entre la plûpart des nations de l'Europe & l'Afrique, dans les Indes orientales & occidentales, & même dans les parties intérieures de l'Amérique.

Leur ferme attachement à la loi de Moïse n'est pas moins remarquable, sur-tout si l'on considere leurs fréquentes apostasies, lorsqu'ils vivoient sous le gouvernement de leurs rois, de leurs juges, & à l'aspect de leurs temples. Le Judaïsme est maintenant, de toutes les religions du monde, celle qui est le plus rarement abjurée ; & c'est en partie le fruit des persécutions qu'elle a souffertes. Ses sectateurs, martyrs perpétuels de leur croyance, se sont regardés de plus en plus comme la source de toute sainteté, & ne nous ont envisagés que comme des Juifs rebelles qui ont changé la loi de Dieu, en suppliciant ceux qui la tenoient de sa propre main.

Leur nombre doit être naturellement attribué à leur exemption de porter les armes, à leur ardeur pour le mariage, à leur coutume de le contracter de bonne heure dans leurs familles, à leur loi de divorce, à leur genre de vie sobre & réglée, à leurs abstinences, à leur travail, & à leur exercice.

Leur dispersion ne se comprend pas moins aisément. Si, pendant que Jérusalem subsistoit avec son temple, les Juifs ont été quelquefois chassés de leur patrie par les vicissitudes des Empires, ils l'ont encore été plus souvent par un zèle aveugle de tous les pays où ils se sont habitués depuis les progrès du Christianisme & du Mahométisme. Réduits à courir de terres en terres, de mers en mers, pour gagner leur vie, par-tout déclarés incapables de posséder aucun bien-fonds, & d'avoir aucun emploi, ils se sont vûs obligés de se disperser de lieux en lieux, & de ne pouvoir s'établir fixement dans aucune contrée, faute d'appui, de puissance pour s'y maintenir, & de lumieres dans l'art militaire.

Cette dispersion n'auroit pas manqué de ruiner le culte religieux de toute autre nation ; mais celui des Juifs s'est soutenu par la nature & la force de ses lois. Elles leur prescrivent de vivre ensemble autant qu'il est possible, dans un même corps, ou du moins dans une même enceinte, de ne point s'allier aux étrangers, de se marier entr'eux, de ne manger de la chair que des bêtes dont ils ont répandu le sang, ou préparées à leur maniere. Ces ordonnances, & autres semblables, les lient plus étroitement, les fortifient dans leur croyance, les séparent des autres hommes, & ne leur laissent, pour subsister, de ressources que le commerce, profession long-tems méprisée par la plûpart des peuples de l'Europe.

De-là vient qu'on la leur abandonna dans les siécles barbares ; & comme ils s'y enrichirent nécessairement, on les traita d'infames usuriers. Les rois ne pouvant fouiller dans la bourse de leurs sujets, mirent à la torture les Juifs, qu'ils ne regardoient pas comme des citoyens. Ce qui se passe en Angleterre à leur égard, peut donner une idée de ce qu'on exécuta contr'eux dans les autres pays. Le roi Jean ayant besoin d'argent, fit emprisonner les riches Juifs de son royaume pour en extorquer de leurs mains ; il y en eut peu qui échapperent aux poursuites de sa chambre de justice. Un d'eux, à qui on arracha sept dents l'une après l'autre pour avoir son bien, donna mille marcs d'argent à la huitieme. Henri III. tira d'Aaron, juif d'Iorck, quatorze mille marcs d'argent, & dix mille pour la reine. Il vendit les autres Juifs de son pays à Richard son frere pour un certain nombre d'années, ut quos rex excoriaverat, comes evisceraret, dit Matthieu Paris.

On n'oublia pas d'employer en France les mêmes traitemens contre les Juifs ; on les mettoit en prison, on les pilloit, on les vendoit, on les accusoit de magie, de sacrifier des enfans, d'empoisonner les fontaines ; on les chassoit du royaume, on les y laissoit rentrer pour de l'argent ; & dans le tems même qu'on les toléroit, on les distinguoit des autres habitans par des marques infamantes.

Il y a plus, la coutume s'introduisit dans ce royaume, de confisquer tous les biens des Juifs qui embrassoient le Christianisme. Cette coutume si bizarre, nous la savons par la loi qui l'abroge ; c'est l'édit du roi donné à Basville le 4 Avril 1392. La vraie raison de cette confiscation, que l'auteur de l'esprit des lois a si bien développée, étoit une espece de droit d'amortissement pour le prince, ou pour les seigneurs, des taxes qu'ils levoient sur les Juifs, comme serfs main-mortables, auxquels ils succédoient. Or ils étoient privés de ce bénéfice, lorsque ceux-ci embrassoient le Christianisme.

En un mot, on ne peut dire combien, en tout lieu, on s'est joué de cette nation d'un siecle à l'autre. On a confisqué leurs biens, lorsqu'ils recevoient le Christianisme ; & bien-tôt après on les a fait brûler, lorsqu'ils ne voulurent pas le recevoir.

Enfin, proscrits sans-cesse de chaque pays, ils trouverent ingénieusement le moyen de sauver leurs fortunes, & de rendre pour jamais leurs retraites assurées. Bannis de France sous Philippe le Long en 1318, ils se réfugierent en Lombardie, y donnerent aux négocians des lettres sur ceux à qui ils avoient confié leurs effets en partant, & ces lettres furent acquittées. L'invention admirable des lettres de change sortit du sein du desespoir ; & pour lors seulement le commerce put éluder la violence, & se maintenir par tout le monde.

Depuis ce tems-là, les princes ont ouvert les yeux sur leurs propres intérêts, & ont traité les Juifs avec plus de modération. On a senti, dans quelques endroits du nord & du midi, qu'on ne pouvoit se passer de leur secours. Mais, sans parler du Grand-Duc de Toscane, la Hollande & l'Angleterre animées de plus nobles principes, leur ont accordé toutes les douceurs possibles, sous la protection invariable de leur gouvernement. Ainsi répandus de nos jours avec plus de sûreté qu'ils n'en avoient encore eu dans tous les pays de l'Europe où regne le commerce, ils sont devenus des instrumens par le moyen desquels les nations les plus éloignées peuvent converser & correspondre ensemble. Il en est d'eux, comme des chevilles & des cloux qu'on employe dans un grand édifice, & qui sont nécessaires pour en joindre toutes les parties. On s'est fort mal trouvé en Espagne de les avoir chassés, ainsi qu'en France d'avoir persécuté des sujets dont la croyance différoit en quelques points de celle du prince. L'amour de la religion chrétienne consiste dans sa pratique ; & cette pratique ne respire que douceur, qu'humanité, que charité. (D.J.)

* JUIFS, Philosophie des, (Hist. de la Philosoph.) Nous ne connoissons point de nation plus ancienne que la juive. Outre son antiquité, elle a sur les autres une seconde prérogative qui n'est pas moins importante ; c'est de n'avoir point passé par le polithéisme, & la suite des superstitions naturelles & générales pour arriver à l'unité de Dieu. La révélation & la prophétie ont été les deux premieres sources de la connoissance de ses sages. Dieu se plut à s'entrenir avec Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse & ses successeurs. La longue vie qui fut accordée à la plupart d'entr'eux, ajoûta beaucoup à leur expérience. Le loisir de l'état de pâtres qu'ils avoient embrassé, étoit très-favorable à la méditation & à l'observation de la nature. Chefs de familles nombreuses, ils étoient très-versés dans tout ce qui tient à l'économie rustique & domestique, & au gouvernement paternel. A l'extinction du patriarchat, on voit paroître parmi eux un Moïse, un David, un Salomon, un Daniel, hommes d'une intelligence peu commune, & à qui l'on ne refusera pas le titre de grands législateurs. Qu'ont sçu les philosophes de la Grece, les Hiérophantes de l'Egypte, & les Gymnosophistes de l'Inde qui les éleve au-dessus des prophêtes ?

Noé construit l'arche, sépare les animaux purs des animaux impurs, se pourvoit des substances propres à la nourriture d'une infinité d'especes différentes, plante la vigne, en exprime le vin, & prédit à ses enfans leur destinée.

Sans ajoûter foi aux rêveries que les payens & les Juifs ont débitées sur le compte de Sem & de Cham, ce que l'histoire nous en apprend suffit pour nous les rendre respectables ; mais quels hommes nous offre-t-elle qui soient comparables en autorité, en dignité, en jugement, en piété, en innocence, à Abraham, à Isaac & à Jacob. Joseph se fit admirer par sa sagesse chez le peuple le plus instruit de la terre, & le gouverna pendant quarante ans.

Mais nous voilà parvenus au tems de Moïse ; quel historien ! quel législateur ! quel philosophe ! quel poëte ! quel homme !

La sagesse de Salomon a passé en proverbe. Il écrivit une multitude incroyable de paraboles ; il connut depuis le cedre qui croît sur le Liban, jusqu'à l'hyssope ; il connut & les oiseaux, & les poissons, & les quadrupedes, & les reptiles ; & l'on accouroit de toutes les contrées de la terre pour le voir, l'entendre & l'admirer.

Abraham, Moïse, Salomon, Job, Daniel, & tous les sages qui se sont montrés chez la nation Juive avant la captivité de Babylone, nous fourniroient une ample matiere, si leur histoire n'appartenoit plûtôt à la révélation qu'à la philosophie.

Passons maintenant à l'histoire des Juifs, au sortir de la captivité de Babylone, à ces tems où ils ont quitté le nom d'Israélites & d'Hébreux, pour prendre celui de Juifs.

De la philosophie des Juifs depuis le retour de la captivité de Babylone, jusqu'à la ruine de Jérusalem. Personne n'ignore que les Juifs n'ont jamais passé pour un peuple savant. Il est certain qu'ils n'avoient aucune teinture des sciences exactes, & qu'ils se trompoient grossierement sur tous les articles qui en dépendent. Pour ce qui regarde la Physique, & le détail immense qui lui appartient, il n'est pas moins constant qu'ils n'en avoient aucune connoissance, non plus que des diverses parties de l'Histoire naturelle. Il faut donc donner ici au mot philosophie une signification plus étendue que celle qu'il a ordinairement. En effet il manqueroit quelque chose à l'histoire de cette science, si elle étoit privée du détail des opinions & de la doctrine de ce peuple, détail qui jette un grand jour sur la philosophie des peuples avec lesquels ils ont été liés.

Pour traiter cette matiere avec toute la clarté possible, il faut distinguer exactement les lieux où les Juifs ont fixé leur demeure, & les tems où se sont faites ces transmigrations : ces deux choses ont entraîné un grand changement dans leurs opinions. Il y a sur-tout deux époques remarquables ; la premiere est le schisme des Samaritains qui commença long-tems avant Esdras, & qui éclata avec fureur après sa mort ; la seconde remonte jusqu'au tems où Alexandre transporta en Egypte une nombreuse colonie de Juifs qui y jouirent d'une grande considération. Nous ne parlerons ici de ces deux époques qu'autant qu'il sera nécessaire pour expliquer les nouveaux dogmes qu'elles introduisirent chez les Hébreux.

Histoire des Samaritains. L'Ecriture-sainte nous apprend (ij. Reg. 15.) qu'environ deux cent ans avant qu'Esdras vît le jour, Salmanazar roi des Assyriens, ayant emmené en captivité les dix tribus d'Israël, avoit fait passer dans le pays de Samarie de nouveaux habitans, tirés partie des campagnes voisines de Babylone, partie d'Avach, d'Emath, de Sepharvaïm & de Cutha ; ce qui leur fit donner le nom de Cuthéens si odieux aux Juifs. Ces différens peuples emporterent avec eux leurs anciennes divinités, & établirent chacun leur superstition particuliere dans les villes de Samarie qui leur échurent en partage. Ici l'on adoroit Sochotbenoth ; c'étoit le dieu des habitans de la campagne de Babylone ; là on rendoit les honneurs divins à Nergel ; c'étoit celui des Cuthéens. La colonie d'Emach honoroit Asima ; les Hevéens, Nebahaz & Tharthac. Pour les dieux des habitans de Sepharvaïm, nommés Advamelech & Anamelech, ils ressembloient assez au dieu Moloch, adoré par les anciens Chananéens ; ils en avoient du moins la cruauté, & ils exigeoient aussi les enfans pour victimes. On voyoit aussi les peres insensés les jetter au milieu des flammes en l'honneur de leur idole. Le vrai Dieu étoit le seul qu'on ne connût point dans un pays consacré par tant de marques éclatantes de son pouvoir. Il déchaîna les lions du pays contre les idolâtres qui le profanoient. Ce fléau si violent & si subit portoit tant de marques d'un chatiment du ciel, que l'infidélité même fut obligée d'en convenir. On en fit avertir le roi d'Assyrie : on lui représenta que les nations qu'il avoit transférées en Israël, n'avoient aucune connoissance du dieu de Samarie, & de la maniere dont il vouloit être honoré. Que ce Dieu irrité les persécutoit sans ménagement ; qu'il rassembloit les lions de toutes les forêts, qu'il les envoyoit dans les campagnes & jusques dans les villes ; & que s'ils n'apprenoient à appaiser ce Dieu vangeur qui les poursuivoit, ils seroient obligés de déserter, ou qu'ils périroient tous. Salmanazar touché de ces remontrances, fit chercher parmi les captifs un des anciens prêtres de Samarie, & il le renvoya en Israël parmi les nouveaux habitans, pour leur apprendre à honorer le dieu du pays. Les leçons furent écoutées par les idolâtres, mais ils ne renoncerent pas pour cela à leurs dieux ; au contraire chaque colonie se mit à forger sa divinité. Toutes les villes eurent leurs idoles ; les temples & les hauts lieux bâtis par les Israélites recouvrerent leur ancienne & sacrilege célébrité. On y plaça des prêtres tirés de la plus vile populace, qui furent chargés des cérémonies & du soin des sacrifices. Au milieu de ce bizarre appareil de superstition & d'idolatrie, on donna aussi sa place au véritable Dieu. On connut par les instructions du lévite d'Israël, que ce Dieu souverain méritoit un culte supérieur à celui qu'on rendoit aux autres divinités ; mais soit la faute du maître, soit celle des disciples, on n'alla pas jusqu'à comprendre que le Dieu du ciel & de la terre ne pouvoit souffrir ce monstrueux assemblage ; & que pour l'adorer véritablement, il falloit l'adorer seul. Ces impiétés rendirent les Samaritains extrémement odieux aux Juifs ; mais la haine des derniers augmenta, lorsqu'au retour de la captivité, ils s'apperçurent qu'ils n'avoient point de plus cruels ennemis que ces faux freres. Jaloux de voir rebâtir le temple qui leur reprochoit leur ancienne séparation, ils mirent tout en oeuvre pour l'empêcher. Ils se cacherent à l'ombre de la religion, & assurant les Juifs qu'ils invoquoient le même Dieu qu'eux, ils leur offrirent leurs services pour l'accomplissement d'un ouvrage qu'ils vouloient ruiner. Les Juifs ajoûtent à l'Histoire sainte, qu'Esdras & Jérémie assemblerent trois cent prêtres, qui les excommunierent de la grande excommunication : ils maudirent celui qui mangeroit du pain avec eux, comme s'il avoit mangé de la chair de pourceau. Cependant les Samaritains ne cessoient de cabaler à la cour de Darius pour empêcher les Juifs de rebâtir le temple ; & les gouverneurs de Syrie & de Phénicie ne cessoient de les seconder dans ce dessein. Le senat & le peuple de Jérusalem les voyant si animés contr'eux, députerent vers Darius, Zorobabel & quatre autres des plus distingués, pour se plaindre des Samaritains. Le roi ayant entendu ces députés, leur fit donner des lettres par lesquelles il ordonnoit aux principaux officiers de Samarie, de seconder les Juifs dans leur pieux dessein, & de prendre pour cet effet sur son trésor provenant des tributs de Samarie, tout ce dont les sacrificateurs de Jérusalem auroient besoin pour leurs sacrifices. (Josephe, Antiq. jud. lib. XI. cap. iv.)

La division se forma encore d'une maniere plus éclatante sous l'empire d'Alexandre le Grand. L'auteur de la chronique des Samaritains (voyez Basnage, Hist. des Juifs, liv. III. chap. iij.) rapporte que ce prince passa par Samarie, où il fut reçu par le grand prêtre Ezéchias qui lui promit la victoire sur les Perses : Alexandre lui fit des présens, & les Samaritains profiterent de ce commencement de faveur pour obtenir de grands privileges. Ce fait est contredit par Josephe qui l'attribue aux Juifs, de sorte qu'il est fort difficile de décider lequel des deux partis a raison ; & il n'est pas surprenant que les sçavans soient partagés sur ce sujet. Ce qu'il y a de certain c'est que les Samaritains jouirent de la faveur du roi, & qu'ils reformerent leur doctrine pour se délivrer du reproche d'hérésie que leur faisoient les Juifs. Cependant la haine de ces derniers, loin de diminuer se tourna en rage : Hircan assiégea Samarie, & la rasa de fond en comble aussi-bien que son temple. Elle sortit de ses ruines par les soins d'Aulus Gabinius, gouverneur de la province, Herode l'embellit par des ouvrages publics ; & elle fut nommée Sébaste, en l'honneur d'Auguste.

Doctrine des Samaritains. Il y a beaucoup d'apparence que les auteurs qui ont écrit sur la religion des Samaritains, ont épousé un peu trop la haine violente que les Juifs avoient pour ce peuple : ce que les anciens rapportent du culte qu'ils rendoient à la divinité, prouve évidemment que leur doctrine a été peinte sous des couleurs trop noires : sur-tout on ne peut guere justifier saint Epiphane qui s'est trompé souvent sur leur chapitre. Il reproche (lib. XI. cap. 8.) aux Samaritains d'adorer les téraphins que Rachel avoit emportés à Laban, & que Jacob enterra. Il soutient aussi qu'ils regardoient vers le Garizim en priant, comme Daniel à Babylone regardoit vers le temple de Jérusalem. Mais soit que saint Epiphane ait emprunté certe histoire des Thalmudistes ou de quelques autres auteurs Juifs, elle est d'autant plus fausse dans son ouvrage, qu'il s'imaginoit que le Garizim étoit éloigné de Samarie, & qu'on étoit obligé de tourner ses regards vers cette montagne, parce que la distance étoit trop grande pour y aller faire ses dévotions. On soutient encore que les Samaritains avoient l'image d'un pigeon, qu'ils adoroient comme un symbole des dieux, & qu'ils avoient emprunté ce culte des Assyriens, qui mettoient dans leurs étendarts une colombe en mémoire de Sémiramis, qui avoit été nourrie par cet oiseau & changée en colombe, & à qui ils rendoient des honneurs divins. Les Cuthéens qui étoient de ce pays, purent retenir le culte de leur pays, & en conserver la mémoire pendant quelque tems ; car on ne déracine pas si facilement l'amour des objets sensibles dans la religion, & le peuple se les laisse rarement arracher.

Mais les Juifs sont outrés sur cette matiere, comme sur tout ce qui regarde les Samaritains. Ils soutiennent qu'ils avoient élevé une statue avec la figure d'une colombe qu'ils adoroient ; mais ils n'en donnent point d'autres preuves que leur persuasion. J'en suis très-persuadé, dit un rabbin, & cette persuasion ne suffit pas sans raisons. D'ailleurs il faut remarquer, 1°. qu'aucun des anciens écrivains, ni profanes, ni sacrés, ni payens, ni ecclésiastiques, n'ont parlé de ce culte que les Samaritains rendoient à un oiseau ; ce silence général est une preuve de la calomnie des Juifs. 2°. Il faut remarquer encore que les Juifs n'ont osé l'insérer dans le Thalmud ; cette fable n'est point dans le texte, mais dans la glose. Il faut donc reconnoître que c'est un auteur beaucoup plus moderne qui a imaginé ce conte ; car le Thalmud ne fut composé que plusieurs siecles après la ruine de Jérusalem & de Samarie. 3°. On cite le rabbin Meir, & on lui attribue cette découverte de l'idolatrie des Samaritains ; mais le culte public rendu sur le Garizim par un peuple entier, n'est pas une de ces choses qu'on puisse cacher long-tems, ni découvrir par subtilité ou par hasard. D'ailleurs le rabbin Meir est un nom qu'on produit : il n'est resté de lui, ni témoignage, ni écrit, sur lequel on puisse appuyer cette conjecture.

S. Epiphane les accuse encore de nier la résurrection des corps : & c'est pour leur prouver cette vérité importante, qu'il leur allegue l'exemple de Sara, laquelle conçut dans un âge avancé, & celui de la verge d'Aaron qui reverdit ; mais il y a une si grande distance d'une verge qui fleurit, & d'une vieille qui a des enfans, à la réunion de nos cendres dispersées, & au rétablissement du corps humain pourri depuis plusieurs siecles, qu'on ne conçoit pas comment il pouvoit lier ces idées, & en tirer une conséquence. Quoi qu'il en soit, l'accusation est fausse, car les Samaritains croyoient la resurrection. En effet on trouve dans leur chronique deux choses qui le prouvent évidemment ; car ils parlent d'un jour de récompense & de peine, ce qui, dans le style des Arabes, marque le jour de la resurrection générale, & du déluge de feu. D'ailleurs ils ont inséré dans leur chronique l'éloge de Moïse, que Josué composa après la mort de ce législateur ; & entre les louanges qu'il lui donne, il s'écrie qu'il est le seul qui ait ressuscité les morts. On ne sait comment l'auteur pouvoit attribuer à Moïse la résurrection miraculeuse de quelques morts, puisque l'Ecriture ne le dit pas, & que les Juifs même sont en peine de prouver qu'il étoit le plus grand des prophêtes, parce qu'il n'a pas arrêté le soleil comme Josué, ni ressuscité les morts comme Elisée. Mais ce qui acheve de constater que les Samaritains croyoient la résurrection, c'est que Ménandre qui avoit été samaritain, fondoit toute sa philosophie sur ce dogme. On sait d'ailleurs, & saint Epiphane ne l'a point nié, que les Dosithéens qui formoient une secte de samaritains, en faisoient hautement profession. Il est vraisemblable que ce qui a donné occasion à cette erreur, c'est que les Saducéens qui nioient véritablement la résurrection, furent appellés par les Pharisiens Cuthim, c'est-à-dire hérétiques, ce qui les fit confondre avec les Samaritains.

Enfin Léontius (de sectis, cap. 8.) leur reproche de ne point reconnoître l'existence des anges. Il sembleroit qu'il a confondu les Samaritains avec les Saducéens ; & on pourroit l'en convaincre par l'autorité de saint Epiphane, qui distinguoit les Samaritains & les Saducéens par ce caractere, que les derniers ne croyoient ni les anges, ni les esprits ; mais on sait que ce saint a souvent confondu les sentimens des anciennes sectes. Le savant Reland (Diss. misc. part. II. p. 25.) pensoit que les Samaritains entendoient par un ange, une vertu, un instrument dont la divinité se sert pour agir, ou quelqu'organe sensible qu'il employe pour l'exécution de ses ordres : ou bien ils croyoient que les anges sont des vertus naturellement unies à la divinité, & qu'il fait sortir quand il lui plaît : cela paroît par le Pentateuque samaritain, dans lequel on substitue souvent Dieu aux anges, & les anges à Dieu.

On ne doit point oublier Simon le magicien dans l'histoire des Samaritains, puisqu'il étoit Samaritain lui-même, & qu'il dogmatisa chez eux pendant quelque tems : voici ce que nous avons trouvé de plus vraisemblable à son sujet.

Simon étoit natif de Gitthon dans la province de Samarie : il y a apparence qu'il suivit la coutume des asiatiques qui voyageoient souvent en Egypte pour y apprendre la philosophie. Ce fut là sans-doute qu'il s'instruisit dans la magie qu'on enseignoit dans les écoles. Depuis étant revenu dans sa patrie, il se donna pour un grand personnage, abusa longtems le peuple de ses prestiges, & tâcha de leur faire croire qu'il étoit le libérateur du genre humain. S Luc act. viij. jx. rapporte que les Samaritains se laisserent effectivement enchanter par ses artifices : & qu'ils le nommerent la grande vertu de Dieu ; mais on suppose sans fondement qu'ils regardoient Simon le magicien comme le messie. Saint Epiphane assure (éphiph. haeres. pag. 54.) que cet imposteur prêchoit aux Samaritains qu'il étoit le pere, & aux Juifs qu'il étoit le fils. Il en fait par-là un extravagant qui n'auroit trompé personne par la contradiction qui ne pouvoit être ignorée dans une si petite distance de lieu. En effet Simon adoré des Samaritains, ne pouvoit être le docteur des Juifs : enfin prêcher aux Juifs qu'il étoit le fils, c'étoit les soulever contre lui, comme ils s'étoient soulevés contre J. C. lorsqu'il avoit pris le titre de fils de Dieu. Il n'est pas même vraisemblable qu'il se regardât comme le messie, 1°. parce que l'historien sacré ne l'accuse que de magie, & c'étoit par-là qu'il avoit séduit les Samaritains : 2°, parce que les Samaritains l'appelloient seulement la vertu de Dieu, la grande. Simon abusa dans la suite de ce titre qui lui avoit été donné, & il y attacha des idées qu'on n'avoit pas eues au commencement ; mais il ne prenoit pas lui-même ce nom, c'étoient les Samaritains étonnés de ses prodiges, qui l'appelloient la vertu de Dieu. Cela convenoit aux miracles apparens qu'il avoit faits, mais on ne pouvoit pas en conclure qu'il se regardât comme le messie. D'ailleurs il ne se mettoit pas à la tête des armées, & ne soulevoit pas les peuples ; il ne pouvoit donc pas convaincre les Juifs mieux que J. C. qui avoit fait des miracles plus réels & plus grands sous leurs yeux. Enfin ce seroit le dernier de tous les prodiges, que Simon se fût converti, s'il s'étoit fait le messie ; son imposture auroit paru trop grossiere pour en soutenir la honte ; Saint Luc ne lui impute rien de semblable : il fit ce qui étoit assez naturel : convaincu de la fausseté de son art, dont les plus habiles magiciens se défient toujours, & reconnoissant la vérité des miracles de Saint Philippes, il donna les mains à cette vérité, & se fit chrétien dans l'espérance de se rendre plus redoutable, & d'être admiré par des prodiges réels & plus éclatans que ceux qu'il avoit faits. Ce fut là tellement le but de sa conversion, qu'il offrit aussitôt de l'argent pour acheter le don des miracles.

Simon le magicien alla aussi à Rome, & y séduisoit comme ailleurs par divers prestiges. L'empereur Neron étoit si passionné pour la magie, qu'il ne l'étoit pas plus pour la musique. Il prétendoit par cet art, commander aux dieux mêmes ; il n'épargna pour l'apprendre ni la dépense ni l'application, & toutefois il ne trouva jamais de vérité dans les promesses des magiciens ; ensorte que son exemple est une preuve illustre de la fausseté de cet art. D'ailleurs personne n'osoit lui rien contester ; ni dire que ce qu'il ordonnoit fût impossible. Jusques-là qu'il commanda de voler à un homme qui le promit, & fut long-tems nourri dans le palais sous cette espérance. Il fit même représenter dans le théatre un Icare volant ; mais au premier effort Icare tomba près de sa loge, & l'ensanglanta lui-même. Simon, dit-on, promit aussi de voler, & de monter au ciel. Il s'éleva en effet, mais Saint Pierre & Saint Paul se mirent à genoux, & prierent ensemble. Simon tomba & demeura étendu, les jambes brisées ; on l'emporta en un autre lieu, où ne pouvant souffrir les douleurs & la honte, il se précipita d'un comble très-élevé.

Plusieurs savans regardent cette histoire comme une fable, parce que selon eux, les auteurs qu'on cite pour la prouver, ne méritent point assez de créance, & qu'on ne trouve aucun vestige de cette fin tragique dans les auteurs antérieurs au troisieme siecle, qui n'auroient pas manqué d'en parler si une aventure si étonnante étoit réellement arrivée.

Dosithée étoit Juif de naissance ; mais il se jetta dans le parti des Samaritains, parce qu'il ne put être le premier dans les deutéroses, (apud Nicetam, lib. I. cap. xxxv.). Ce terme de Nicetas est obscur ; il faut même le corriger ; & remettre dans le texte celui de Deuterotes, Eusebe (praep. lib. XI. cap. iij. lib. XII. cap. j.) a parlé de ces deuterotes des Juifs qui se servoient d'énigmes pour expliquer la loi. C'étoit alors l'étude des beaux esprits, & le moyen de parvenir aux charges & aux honneurs. Peu de gens s'y appliquoient, parce qu'on la trouvoit difficile. Dosithée s'étoit voulu distinguer en expliquant allégoriquement la loi, & il prétendoit le premier rang entre ces interpretes.

On prétend (épiph. pag. 30.) que Dosithée fonda une secte chez les Samaritains, & que cette secte observa 1°. la circoncision & le sabbat, comme les Juifs : 2°. ils croyoient la résurrection des morts ; mais cet article est contesté, car ceux qui font Dosithée le pere des Saducéens, l'accusent d'avoir combattu une vérité si consolante. 3°. Il étoit grand jeûneur ; & afin de rendre son jeûne plus mortifiant, il condamnoit l'usage de tout ce qui est animé. Enfin s'étant enfermé dans une caverne, il y mourut par une privation entiere d'alimens, & ses disciples trouverent quelque tems après son cadavre rongé des vers & plein de mouches. 4°. Les Dosithéens faisoient grand cas de la virginité que la plûpart gardoient ; & les autres, dit Saint Epiphane, s'abstenoient de leurs femmes après la mort. On ne sait ce que cela veut dire, si ce n'est qu'ils ne défendissent les secondes nôces qui ont paru illicites & honteuses à beaucoup de Chrétiens ; mais un critique a trouvé par le changement d'une lettre, un sens plus net & plus facile à la loi des Dosithéens, qui s'abstenoient de leurs femmes lorsqu'elles étoient grosses, ou lorsqu'elles avoient enfanté. Nicetas fortifie cette conjecture, car il dit que les Dosithéens se séparoient de leurs femmes lorsqu'elles avoient eu un enfant ; cependant la premiere opinion paroît plus raisonnable, parce que les Dosithéens rejettoient les femmes comme inutiles, lorsqu'ils avoient satisfait à la premiere vûe du mariage, qui est la génération des enfans. 5°. Cette secte entêtée de ses austérités rigoureuses, regardoit le reste du genre humain avec mépris ; elle ne vouloit ni approcher ni toucher personne. On compte entre les observations dont ils se chargeoient, celle de demeurer vingt-quatre heures dans la même posture où ils étoient lorsque le sabbat commençoit.

A-peu-près dans le même tems vivoit Menandre le principal disciple de Simon le magicien : il étoit Samaritain comme lui, d'un bourg nommé Cappareatia ; il étoit aussi magicien ; ensorte qu'il séduisit plusieurs personnes à Antioche par les prestiges. Il disoit, comme Simon ; que la vertu inconnue l'avoit envoyé pour le salut des hommes, & que personne ne pouvoit être sauvé s'il n'étoit baptisé en son nom ; mais que son baptême étoit la vraie résurrection, ensorte que ses disciples seroient immortels, même en ce monde : toutefois il y avoit peu de gens qui reçussent son baptême.

Colonie des Juifs en Egypte. La haine ancienne que les Juifs avoient eue contre les Egyptiens, s'étoit amortie par la nécessité, & on a vû souvent ces deux peuples unis se prêter leurs forces pour résister au roi d'Assyrie qui vouloit les opprimer. Aristée conte même qu'avant que cette nécessité les eût réunis, un grand nombre de Juifs avoit dejà passé en Egypte, pour aider à Psammétichus à dompter les Ethyopiens qui lui faisoient la guerre ; mais cette premiere transmigration est fort suspecte. 1°. Parce qu'on ne voit pas quelle relation les Juifs pouvoient avoir alors avec les Egyptiens, pour y envoyer des troupes auxiliaires. 2°. Ce furent quelques soldats d'Ionie & de Carie, qui, conformément à l'oracle, parurent sur les bords de l'Egypte, comme des hommes d'airain, parce qu'ils avoient des cuirasses, & qui prêterent leur secours à Psammétichus pour vaincre les autres rois d'Egypte, & ce furent là, dit Herodote (lib. II. pag. 152.) les premiers qui commencerent à introduire une langue étrangere en Egypte ; car les peres leur envoyoient leurs enfans pour apprendre à parler grec. Diodore (lib. I. pag. 48.) joint quelques soldats arabes aux Grecs ; mais Aristée est le seul qui parle des Juifs.

Après la premiere ruine de Jérusalem & le meurtre de Gedalia qu'on avoit laissé en Judée pour la gouverner, Jochanan alla chercher en Egypte un asile contre la cruauté d'Ismael ; il enleva jusqu'au prophete Jérémie qui reclamoit contre cette violence, & qui avoit prédit les malheurs qui suivroient les réfugiés en Egypte. Nabuchodonosor profitant de la division qui s'étoit formée entre Apries & Amasis, lequel s'étoit mis à la tête des rebelles, au lieu de les combattre, entra en Egypte, & la conquit par la défaite d'Apries. Il suivit la coutume de ces tems-là, d'enlever les habitans des pays conquis, afin d'empêcher qu'ils ne remuassent. Les Juifs refugiés en Egypte, eurent le meme sort que les habitans naturels. Nabuchodonosor leur fit changer une seconde fois de domicile ; cependant il en demeura quelques-uns dans ce pays-là, dont les familles se multiplierent considérablement.

Alexandre le Grand voulant remplir Alexandrie, y fit une seconde peuplade de Juifs auxquels il accorda les mêmes privileges qu'aux Macédoniens. Ptolomée Lagus, l'un de ses généraux, s'étant emparé de l'Egypte après sa mort, augmenta cette colonie par le droit de la guerre ; car voulant joindre la Syrie & la Judée à son nouveau royaume, il entra dans la Judée, s'empara de Jérusalem pendant le repos du sabbat, & enleva de tout le pays cent mille Juifs qu'il transporta en Egypte. Depuis ce tems-là, ce prince remarquant dans les Juifs beaucoup de fidélité & de bravoure, leur témoigna sa confiance en leur donnant la garde de ses places ; il y en avoit d'autres établis à Alexandrie qui y faisoient fortune, & qui se louant de la douceur du gouvernement, purent y attirer leurs freres dejà ébranlés par la douceur & les promesses que Ptolomée leur avoit faites dans son second voyage.

Philadelphe fit plus que son pere ; car il rendit la liberté à ceux que son pere avoit faits esclaves. Plusieurs reprirent la route de la Judée qu'ils aimoient comme leur patrie ; mais il y en eut beaucoup qui demeurerent dans un lieu où ils avoient eu le tems de prendre racine ; & Scaliger a raison de dire que ce furent ces gens-là qui composerent en partie les synagogues nombreuses des Juifs Hellenistes : enfin ce qui prouve que les Juifs jouissoient alors d'une grande liberté, c'est qu'ils composerent cette fameuse version des septante & peut-être la premiere version greque qui se soit faite des livres de Moïse.

On dispute fort sur la maniere dont cette version fut faite, & les Juifs ni les Chrétiens ne peuvent s'accorder sur cet évenement. Nous n'entreprendrons point ici de les concilier ; nous nous contenterons de dire que l'autorité des peres qui ont soutenu le récit d'Aristée, ne doit plus ébranler personne, après les preuves démonstratives qu'on a produites contre lui.

Voilà l'origine des Juifs en Egypte ; il ne faut point douter que ce peuple n'ait commencé dans ce tems-là à connoître la doctrine des Egyptiens, & qu'il n'ait pris d'eux la méthode d'expliquer l'écriture par des allégories. Eusebe (cap. X.) soutint que du tems d'Aristobule qui vivoit en Egypte sous le regne de Ptolomée Philometor, il y eut dans ce pays-là deux factions entre les Juifs, dont l'une se tenoit attachée scrupuleusement au sens littéral de la loi, & l'autre perçant au-travers de l'écorce, pénétroit dans une philosophie plus sublime.

Philon qui vivoit en Egypte au tems de J. C. donna tête baissée dans les allégories & dans le sens mystique ; il trouvoit tout ce qu'il vouloit dans l'écriture par cette méthode.

C'étoit encore en Egypte que les Esseniens parurent avec plus de réputation & d'éclat ; & ces sectaires enseignoient que les mots étoient autant d'images des choses cachées ; ils changeoient les volumes sacrés & les préceptes de la sagesse en allégories. Enfin la conformité étonnante qui se trouve entre la cabale des Egyptiens & celle des Juifs, ne nous permet pas de douter que les Juifs n'ayent puisé cette science en Egypte, à moins qu'on ne veuille soutenir que les Egyptiens l'ont apprise des Juifs. Ce dernier sentiment a été très-bien refuté par de savans auteurs. Nous nous contenterons de dire ici que les Egyptiens jaloux de leur antiquité, de leur savoir, & de la beauté de leur esprit, regardoient avec mépris les autres nations, & les Juifs comme des esclaves qui avoient plié long-tems sous leur joug avant que de le secouer. On prend souvent les dieux de ses maîtres ; mais on ne les mandie presque jamais chez ses esclaves. On remarque comme une chose singuliere à cette nation, que Sérapis fut porté d'un pays étranger en Egypte ; c'est la seule divinité qu'ils ayent adoptée des étrangers ; & même le fait est contesté, parce que le culte de Sérapis paroît beaucoup plus ancien en Egypte que le tems de Ptolomée Lagus, sous lequel cette translation se fit de Sinope à Alexandrie. Le culte d'Isis avoit passé jusqu'à Rome, mais les dieux des Romains ne passoient point en Egypte, quoiqu'ils en fussent les conquérans & les maîtres. D'ailleurs les Chrétiens ont demeuré plus long-tems en Egypte que les Juifs ; ils avoient là des évêques & des maitres très-savans. Non-seulement la religion y florissoit, mais elle fut souvent appuyée par l'autorité souveraine. Cependant les Egyptiens, témoins de nos rits & de nos cérémonies, demeurerent religieusement attachés à celles qu'ils avoient reçues de leurs ancêtres. Ils ne grossissoient point leur religion de nos observances, & ne les faisoient point entrer dans leur culte. Comment peut-on s'imaginer qu'Abraham, Joseph & Moïse ayent eu l'art d'obliger les Egyptiens à abolir d'anciennes superstitions, pour recevoir la religion de leur main, pendant que l'église chrétienne qui avoit tant de lignes de communication avec les Egyptiens idolâtres, & qui étoit dans un si grand voisinage, n'a pu rien lui prêter par le ministere d'un prodigieux nombre d'évêques & de savans, & pendant la durée d'un grand nombre de siecles ? Socrate rapporte l'attachement que les Egyptiens de son tems avoient pour leurs temples, leurs cérémonies, & leurs mysteres ; on ne voit dans leur religion aucune trace de christianisme. Comment donc y pourroit-on remarquer des caracteres évidens de judaïsme ?

Origine des différentes sectes chez les Juifs. Lorsque le don de prophétie eut cessé chez les Juifs, l'inquiétude générale de la nation n'étant plus réprimée par l'autorité de quelques hommes inspirés, ils ne purent se contenter du style simple & clair de l'écriture ; ils y ajouterent des allégories qui dans la suite produisirent de nouveaux dogmes, & par conséquent des sectes différentes. Comme c'est du sein de ces sectes que sont sortis les différens ordres d'écrivains, & les opinions dont nous devons donner l'idée, il est important d'en pénétrer le fond, & de voir s'il est possible quel a été leur sort depuis leur origine. Nous avertissons seulement que nous ne parlerons ici que des sectes principales.

La secte des Saducéens. Lightfoot (Hor. heb. ad Mat. III. 7. opp. tom. II.) a donné aux Saducéens une fausse origine, en soutenant que leur opinion commençoit à se répandre du tems d'Esdras. Il assure qu'il y eut alors des impies qui commencerent à nier la résurrection des morts & l'immortalité des ames. Il ajoute que Malachie les introduit disant : c'est envain que nous servons Dieu ; & Esdras qui voulut donner un préservatif à l'église contre cette erreur, ordonna qu'on finiroit toutes les prieres par ces mots, de siecle en siecle, afin qu'on sût qu'il y avoit un siecle ou une autre vie après celle-ci. C'est ainsi que Lightfoot avoit rapporté l'origine de cette secte ; mais il tomba depuis dans une autre extrémité ; il résolut de ne faire naître les Saducéens qu'après que la version des septante eut été faite par l'ordre de Ptolomée Philadelphe, & pour cet effet, au lieu de remonter jusqu'à Esdras, il a laissé couler deux ou trois générations depuis Zadoc ; il a abandonné les Rabbins & son propre sentiment, parce que les Saducéens rejettant les prophetes, & ne recevant que les Penthateuques, ils n'ont pu paroître qu'après les septante interpretes qui ne traduisirent en grec que les cinq livres de Moïse, & qui défendirent de rien ajouter à leur version : mais sans examiner si les 70 interpretes ne traduisirent pas toute la bible, cette version n'étoit point à l'usage des Juifs, où se forma la secte des Saducéens. On y lisoit la bible en hébreu, & les Saducéens recevoient les prophetes, aussi bien que les autres livres, ce qui renverse pleinement cette conjecture.

On trouve dans les docteurs hébreux une origine plus vraisemblable des Saducéens dans la personne d'Antigone surnommé Sochaeus, parce qu'il étoit né à Socho. Cet homme vivoit environ deux cent quarante ans avant J. C. & crioit à ses disciples : Ne soyez point comme des esclaves qui obéissent à leur maitre par la vue de la récompense, obéissez sans espérer aucun fruit de vos travaux ; que la crainte du Seigneur soit sur vous. Cette maxime d'un théologien, qui vivoit sous l'ancienne économie, surprend ; car la loi promettoit non seulement des récompenses, mais elle parloit souvent d'une félicité temporelle qui devoit toujours suivre la vertu. Il étoit difficile de devenir contemplatif dans une religion si charnelle, cependant Antigonus le devint. On eut de la peine à voler après lui, & à le suivre dans une si grande élévation. Zadoc, l'un de ses disciples, qui ne put, ni abandonner tout-à-fait son maitre, ni goûter sa théologie mystique, donna un autre sens à sa maxime, & conclut de-là qu'il n'y avoit ni peines ni récompenses après la mort. Il devint le pere des Saducéens, qui tirerent de lui le nom de leur secte & le dogme.

Les Saducéens commencerent à paroître pendant qu'Onias étoit le souverain sacrificateur à Jérusalem ; que Ptolomée Evergete régnoit en Egypte, & Séleucus Callinicus en Syrie. Ceux qui placent cet événement sous Alexandre le Grand, & qui assurent avec S. Epiphane, que ce fut dans le temple du Garizim, où Zadoc & Baythos s'étoient retirés, que cette secte prit naissance, ont fait une double faute : car Antigonus n'étoit point sacrificateur sous Alexandre, & on n'a imaginé la retraite de Zadoc à Samarie que pour rendre ses disciples plus odieux. Non seulement Josephe, qui haïssoit les Saducéens, ne reproche jamais ce crime au chef de leur parti ; mais on les voit dans l'Evangile adorant & servant dans le temple de Jérusalem ; on choisissoit même parmi eux le grand-prêtre. Ce qui prouve que nonseulement ils étoient tolérés chez les Juifs, mais qu'ils y avoient même assez d'autorité. Hircan, le souverain sacrificateur, se déclara pour eux contre les Pharisiens. Ces derniers soupçonnerent la mere de ce prince d'avoir commis quelque impureté avec les payens. D'ailleurs ils vouloient l'obliger à opter entre le sceptre & la thiare ; mais le prince voulant être le maitre de l'église & de l'état, n'eut aucune déférence pour leurs reproches. Il s'irrita contre eux, il en fit mourir quelques-uns ; les autres se retirerent dans les deserts. Hircan se jetta en même tems du côté des Saducéens : il ordonna qu'on reçût les coutumes de Zadoc sous peine de la vie. Les Juifs assurent qu'il fit publier dans ses états un édit par lequel tous ceux qui ne recevroient pas les rits de Zadoc & de Baythos, ou qui suivroient la coutume des sages, perdroient la tête. Ces sages étoient les Pharisiens, à qui on a donné ce titre dans la suite, parce que leur parti prévalut. Cela arriva sur-tout après la ruine de Jérusalem & de son temple. Les Pharisiens, qui n'avoient pas sujet d'aimer les Saducéens, s'étant emparés de toute l'autorité, les firent passer pour des hérétiques, & même pour des Epicuriens. Ce qui a donné sans-doute occasion à saint Epiphane & à Tertullien de les confondre avec les Dosithéens. La haine que les Juifs avoient conçue contr'eux, passa dans le coeur même des Chrétiens : l'empereur Justinien les bannit de tous les lieux de sa domination, & ordonna qu'on envoyât au dernier supplice des gens qui défendoient certains dogmes d'impiété & d'athéisme, car ils nioient la résurrection & le dernier jugement. Ainsi cette secte subsistoit encore alors, mais elle continuoit d'être malheureuse.

L'édit de Justinien donna une nouvelle atteinte à cette secte, déja fort affoiblie : car tous les Chrétiens s'accoutumant à regarder les Saducéens comme des impies dignes du dernier supplice, ils étoient obligés de fuir & de quitter l'Empire romain, qui étoit d'une vaste étendue. Ils trouvoient de nouveaux ennemis dans les autres lieux où les Pharisiens étoient établis : ainsi cette secte étoit errante & fugitive, lorsqu' Ananus lui rendit quelque éclat au milieu du huitieme siecle. Mais cet évenement est contesté par les Caraïtes, qui se plaignent qu'on leur ravit par jalousie un de leurs principaux défenseurs, afin d'avoir ensuite le plaisir de les confondre avec les Saducéens.

Doctrine des Saducéens. Les Saducéens, uniquement attachés à l'Ecriture sainte, rejettoient la loi orale, & toutes les traditions, dont on commença sous les Macchabées à faire une partie essentielle de la religion. Parmi le grand nombre des témoignages que nous pourrions apporter ici, nous nous contenterons d'un seul tiré de Josephe, qui prouvera bien clairement que c'étoit le sentiment des Saducéens : Les Pharisiens, dit-il, qui ont reçu ces constitutions par tradition de leurs ancêtres, les ont enseignées au peuple ; mais les Saducéens les rejettent, parce qu'elles ne sont pas comprises entre les lois données par Moïse, qu'ils soutiennent être les seules que l'on est obligé de suivre, &c. Antiq. jud. lib. XIII. cap. xviij.

S. Jérôme & la plûpart des peres ont crû qu'ils retranchoient du canon les prophetes & tous les écris divins, excepté le Pentateuque de Moïse. Les critiques modernes (Simon. hist. critiq. du vieux Testament, liv. I. chap. xvj.) ont suivi les peres ; & ils ont remarqué que J. C. voulant prouver la resurrection aux Saducéens, leur cita uniquement Moïse, parce qu'un texte tiré des prophetes, dont ils rejettoient l'autorité, n'auroit pas fait une preuve contr'eux. J. Drusius a été le premier qui a osé douter d'un sentiment appuyé sur des autorités si respectables ; & Scaliger (Elench.t rihaeres. cap. xvj.) l'a absolument rejetté, fondé sur des raisons qui paroissent fort solides. 1°. Il est certain que les Saducéens n'avoient commencé de paroître qu'après que le canon de l'Ecriture fut fermé, & que le don de prophétie étant éteint, il n'y avoit plus de nouveaux livres à recevoir. Il est difficile de croire qu'ils se soient soulevés contre le canon ordinaire, puisqu'il étoit reçu à Jérusalem. 2°. Les Saducéens enseignoient & prioient dans le temple. Cependant on y lisoit les prophetes, comme cela paroît par l'exemple de J. C. qui expliqua quelques passages d'Isaïe. 3°. Josephe, qui devoir connoître parfaitement cette secte, rapporte qu'ils recevoient ce qui est écrit. Il oppose ce qui est écrit à la doctrine orale des Pharisiens ; & il insinue que la controverse ne rouloit que sur les traditions : ce qui fait conclure que les Saducéens recevoient toute l'Ecriture, & les autres prophetes, aussi-bien que Moïse. 4°. Cela paroît encore plus évidemment par les disputes que les Pharisiens ou les docteurs ordinaires des Juifs ont soutenues contre ces sectaires. R. Gamaliel leur prouve la résurrection des morts par des passages tirés de Moïse, des Prophetes & des Agiographes ; & les Saducéens, au lieu de rejetter l'autorité des livres qu'on citoit contr'eux, tâcherent d'éluder ces passages par de vaines subtilités. 5°. Enfin les Saducéens reprochoient aux Pharisiens qu'ils croyoient que les livres saints souilloient. Quels étoient ces livres saints qui souilloient, au jugement des Pharisiens ? c'étoit l'Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, & les Proverbes. Les Saducéens regardoient donc tous les livres comme des écrits divins, & avoient même plus de respect pour eux que les Pharisiens.

2°. La seconde & la principale erreur des Saducéens rouloit sur l'existence de anges, & sur la spiritualité de l'ame. En effet, les Evangélistes leur reprochent qu'ils soutenoient qu'il n'y avoit ni résurrection, ni esprit, ni ange. Le P. Simon donne une raison de ce sentiment. Il assure que, de l'aveu des Thalmudistes, le nom d'anges n'avoit été en usage chez les Juifs que depuis le retour de la captivité ; & les Saducéens conclurent de-là que l'invention des anges étoit nouvelle ; que tout ce que l'Ecriture disoit d'eux avoit été ajouté par ceux de la grande synagogue, & qu'on devoit regarder ce qu'ils en rapportoient comme autant d'allégories. Mais c'est disculper les Saducéens que l'Evangile condamne sur cet article : car si l'existence des anges n'étoit fondée que sur une tradition assez nouvelle, ce n'étoit pas un grand crime que de les combattre, ou de tourner en allégories ce que les Thalmudistes en disoient. D'ailleurs, tout le monde sait que le dogme des anges étoit très-ancien chez les Juifs.

Théophilacte leur reproche d'avoir combattu la divinité du S. Esprit : il doute même s'ils ont connu Dieu, parce qu'ils étoient épais, grossiers, attachés à la matiere ; & Arnobe, s'imaginant qu'on ne pouvoir nier l'existence des esprits, sans faire Dieu corporel, leur a attribué ce sentiment, & le savant Petau a donné dans le même piége. Si les Saducéens eussent admis de telles erreurs, il est vraisemblable que les Evangélistes en auroient parlé. Les Saducéens, qui nioient l'existence des esprits, parce qu'ils n'avoient d'idée claire & distincte que des objets sensibles & matériels, mettoient Dieu au-dessus de leur conception, & regardoient cet être infini comme une essence incompréhensible, parce qu'elle étoit parfaitement dégagée de la matiere. Enfin, les Saducéens combattoient l'existence des esprits, sans attaquer la personne du S. Esprit, qui leur étoit aussi inconnue qu'aux disciples de Jean-Baptiste. Mais comment les Saducéens pouvoient-ils nier l'existence des anges, eux qui admettoient le Pentateuque, où il en est assez souvent parlé ? Sans examiner ici les sentimens peu vraisemblables du P. Hardouin & de Grotius, nous nous contenterons d'imiter la modestie de Scaliger, qui s'étant fait la même question, avouoit ingenument qu'il en ignoroit la raison.

3°. Une troisieme erreur des Saducéens étoit que l'ame ne survit point au corps, mais qu'elle meurt avec lui. Joseph la leur attribue expressément.

4°. La quatrieme erreur des Saducéens rouloit sur la résurrection des corps, qu'ils combattoient comme impossible. Ils vouloient que l'homme entier pérît par la mort ; & de-là naissoit cette conséquence nécessaire & dangereuse, qu'il n'y avoit ni récompense ni peine dans l'autre vie ; ils bornoient la justice vangeresse de Dieu à la vie présente.

5°. Il semble aussi que les Saducéens nioient la Providence, & c'est pourquoi on les met au rang des Epicuriens. Josephe dit qu'ils rejettoient le destin ; qu'ils ôtoient à Dieu toute inspection sur le mal, & toute influence sur le bien, parce qu'il avoit placé le bien & le mal devant l'homme, en lui laissant une entiere liberté de faire l'un & de fuir l'autre. Grotius, qui n'a pu concevoir que les Saducéens eussent ce sentiment, a cru qu'on devoit corriger Josephe, & lire que Dieu n'a aucune part dans les actions des hommes, soit qu'ils fassent le mal, ou qu'ils ne le fassent pas. En un mot, il a dit que les Saducéens, entêtés d'une fausse idée de liberté, se donnoient un pouvoir entier de fuir le mal & de faire le bien. Il a raison dans le fond, mais il n'est pas nécessaire de changer le texte de Josephe pour attribuer ce sentiment aux Saducéens ; car le terme dont il s'est servi, rejette seulement une providence qui influe sur les actions des hommes. Les Saducéens ôtoient à Dieu une direction agissante sur la volonté, & ne lui laissoient que le droit de récompenser ou de punir ceux qui faisoient volontairement le bien ou le mal. On voit par-là que les Saducéens étoient à peu-près Pélagiens.

Enfin, les Saducéens prétendoient que la pluralité des femmes est condamnée dans ces paroles du Lévitique : Vous ne prendrez point une femme avec sa soeur, pour l'affliger en son vivant. Chap. xviij. Les Thalmudistes, défenseurs zélés de la polygamie, se croyoient autorisés à soutenir leur sentiment par les exemples de David & de Salomon, & concluoient que les Saducéens étoient hérétiques sur le mariage.

Moeurs des Saducéens. Quelques Chrétiens se sont imaginés que comme les Saducéens nioient les peines & les récompenses de l'autre vie & l'immortalité des ames, leur doctrine les conduisoit à un affreux libertinage. Mais il ne faut pas tirer des conséquences de cette nature, car elles sont souvent fausses. Il y a deux barrieres à la corruption humaine, les châtimens de la vie présente & les peines de l'enfer. Les Saducéens avoient abattu la derniere barriere, mais ils laissoient subsister l'autre. Ils ne croyoient ni peine ni récompense pour l'avenir ; mais ils admettoient une Providence qui punissoit le vice, & qui récompensoit la vertu pendant cette vie. Le desir d'être heureux sur la terre, suffisoit pour les retenir dans le devoir. Il y a bien des gens qui se mettroient peu en peine de l'éternité, s'ils pouvoient être heureux dans cette vie. C'est-là le but de leurs travaux & de leurs soins. Josephe assure que les Saducéens étoient fort séveres pour la punition des crimes, & cela devoit être ainsi : en effet, les hommes ne pouvant être retenus par la crainte des châtimens éternels que ces sectaires rejettoient, il falloit les épouvanter par la sévérité des peines temporelles. Le même Josephe les représente comme des gens farouches, dont les moeurs étoient barbares, & avec lesquels les étrangers ne pouvoient avoir de commerce. Ils étoient souvent divisés les uns contre les autres. N'est-ce point trop adoucir ce trait hideux, que de l'expliquer de la liberté qu'ils se donnoient de disputer sur les matieres de religion ? car Josephe qui rapporte ces deux choses, blâme l'une & loue l'autre, ou du moins il ne dit jamais que ce fut la différence des sentimens & la chaleur de la dispute qui causa ces divisions ordinaires dans la secte. Quoi qu'il en soit, Josephe qui étoit Pharisien, peut être soupçonné d'avoir trop écouté les sentimens de haine que sa secte avoit pour les Saducéens.

Des Caraïtes. Origine des Caraïtes. Le nom de Caraïte signifie un homme qui lit, un scriptuaire, c'est-à-dire un homme qui s'attache scrupuleusement au texte de la loi, & qui rejette toutes les traditions orales.

Si on en croit les Caraïtes qu'on trouve aujourd'hui en Pologne & dans la Lithuanie, ils descendent des dix tributs que Salmanazar avoit transportées, & qui ont passé de-là dans la Tartarie : mais on rejettera bien-tôt cette opinion, pour peu qu'on fasse attention au sort de ces dix tribus, & on sait qu'elles n'ont jamais passé dans ce pays-là.

Il est encore mal-à-propos de faire descendre les Caraïtes d'Esdras ; & il suffit de connoître les fondemens de cette secte, pour en être convaincu. En effet, ces sectaires ne se sont élevés contre les autres docteurs, qu'à cause des traditions qu'on égaloit à l'écriture, & de cette loi orale qu'on disoit que Moïse avoit donnée. Mais on n'a commencé à vanter les traditions chez les Juifs, que long-tems après Esdras, qui se contenta de leur donner la loi pour regle de leur conduite. On ne se souleve contre une erreur, qu'après sa naissance ; & on ne combat un dogme que lorsqu'il est enseigné publiquement. Les Caraïtes n'ont donc pû faire de secte particuliere que quand ils ont vû le cours & le nombre des traditions se grossir assez, pour faire craindre que la religion n'en souffrît.

Les rabbins donnent une autre origine aux Caraïtes : ils les font paroître dès le tems d'Alexandre le Grand ; car, quand ce prince entra à Jérusalem, Jaddus, le souverain sacrificateur, étoit déja le chef des Rabbinistes ou Traditionaires, & Ananus & Cascanatus, soutenoient avec éclat le parti des Caraïtes. Dieu se déclara en faveur des premiers ; car Jaddus fit un miracle en présence d'Alexandre ; mais Ananus & Cascanatus montrerent leur impuissance. L'erreur est sensible ; car Ananus, chef des Caraïtes, qu'on fait contemporain d'Alexandre le Grand, n'a vécu que dans le viij. siecle de l'Eglise chrétienne.

Enfin, on les regarde comme une branche des Saducéens, & on leur impute d'avoir suivi toute la doctrine de Zadoc & de ses disciples. On ajoute qu'ils ont varié dans la suite, parce que s'appercevant que ce système les rendoit odieux, ils en rejetterent une partie, & se contenterent de combattre les traditions & la loi orale qu'on a ajoûtée à l'Ecriture. Cependant les Caraïtes n'ont jamais nié l'immortalité des ames ; au contraire le caraïte que le pere Simon a cité, croyoit que l'ame vient du ciel, qu'elle subsiste comme les anges, & que le siecle à venir a été fait pour elle. Non-seulement les Caraïtes ont repoussé cette accusation, mais en recriminant ils soûtiennent, que leurs ennemis doivent être plutôt soupçonnés de sadducéïsme qu'eux, puisqu'ils croyent que les ames seront anéanties, après quelques années de souffrances & de tourmens dans les enfers. Enfin, ils ne comptent ni Zadoc ni Batithos au rang de leurs ancêtres & des fondateurs de leur secte. Les défenseurs de Caïn, de Judas, de Simon le Magicien, n'ont point rougi de prendre les noms de leurs chefs ; les Saducéens ont adopté celui de Zadoc : mais les Caraïtes le rejettent & le maudissent, parce qu'ils en condamnent les opinions pernicieuses.

Eusebe (Praep. evang. lib. VIII. cap. x.) nous fournit une conjecture qui nous aidera à découvrir la véritable origine de cette secte ; car en faisant un extrait d'Aristobule, qui parut avec éclat à la cour de Ptolomée Philometor, il remarque qu'il y avoit en ce tems-là deux partis différens chez les Juifs, dont l'un prenoit toutes les lois de Moïse à la lettre, & l'autre leur donnoit un sens allégorique. Nous trouvons-là la véritable origine des Caraïtes, qui commencerent à paroître sous ce prince ; parce que ce fut alors que les interpretations allégoriques & les traditions furent reçues avec plus d'avidité & de respect. La religion judaïque commença de s'alterer par le commerce qu'on eut avec des étrangers. Ce commerce fut beaucoup plus fréquent depuis les conquêtes d'Alexandre, qu'il n'étoit auparavant ; & ce fut particulierement avec les Egyptiens qu'on se lia, sur-tout pendant que les rois d'Egypte furent maîtres de la Judée, qu'ils y firent des voyages & des expéditions, & qu'ils en transporterent les habitans. On n'emprunta pas des Egyptiens leurs idoles, mais leur méthode de traiter la Théologie & la Religion. Les docteurs juifs transportés ou nés dans ce pays-là, se jetterent dans les interprétations allégoriques ; & c'est ce qui donna occasion aux deux partis dont parle Eusebe, de se former & de diviser la nation.

Doctrine des Caraïtes. 1°. Le fondement de la doctrine des Caraïtes consiste à dire qu'il faut s'attacher scrupuleusement à l'Ecriture sainte, & n'avoir d'autre regle que la loi & les conséquences qu'on en peut tirer. Ils rejettent donc toute tradition orale & ils confirment leur sentiment par les citations des autres docteurs qui les ont précédés, lesquels ont enseigné que tout est écrit dans la loi ; qu'il n'y a point de loi orale donnée à Moïse sur le mont Sinaï. Ils demandent la raison qui auroit obligé Dieu à écrire une partie de ses lois, & à cacher l'autre, ou à la confier à la memoire des hommes. Il faut pourtant remarquer qu'ils recevoient les interprétations que les Docteurs avoient données de la loi ; & par-là ils admettoient une espece de tradition, mais qui étoit bien différente de celle des rabbins. Ceux ci ajoutoient à l'Ecriture les constitutions & les nouveaux dogmes de leurs prédécesseurs ; les Caraïtes au contraire n'ajoutoient rien à la loi, mais ils se croyoient permis d'en interprêter les endroits obscurs, & de recevoir les éclaircissemens que les anciens docteurs en avoient donnés.

2°. C'est se jouer du terme de tradition, que de croire avec M. Simon qu'ils s'en servent, parce qu'ils ont adopté les points des Massorethes. Il est bien vrai que les Caraïtes reçoivent ces points ; mais il ne s'ensuit pas de-là qu'ils admettent la tradition, car cela n'a aucune influence sur les dogmes de la Religion. Les Caraïtes font donc deux choses : 1°. ils rejettent les dogmes importans qu'on a ajoutés à la loi qui est suffisante pour le salut ; 2°. ils ne veulent pas qu'on égale les traditions indifférentes à la loi.

3°. Parmi les interprétations de l'Ecriture, ils ne reçoivent que celles qui sont littérales, & par conséquent ils rejettent les interprétations cabalistiques, mystiques, & allégoriques, comme n'ayant aucun fondement dans la loi.

4°. Les Caraïtes ont une idée fort simple & fort pure de la Divinité ; car ils lui donnent des attributs essentiels & inséparables ; & ces attributs ne sont autre chose que Dieu même. Ils le considerent en suite comme une cause opérante qui produit des effets différens : ils expliquent la création suivant le texte de Moïse ; selon eux Adam ne seroit point mort, s'il n'avoit mangé de l'arbre de science. La providence de Dieu s'étend aussi-loin que sa connoissance, qui est infinie, & qui découvre généralement toutes choses. Bien que Dieu influe dans les actions des hommes, & qu'il leur prête son secours, cependant il depend d'eux de se déterminer au bien & au mal, de craindre Dieu ou de violer ses commandemens. Il y a, selon les docteurs qui suivent en cela les Rabbinistes, une grace commune, qui se répand sur tous les hommes, & que chacun reçoit selon sa disposition ; & cette disposition vient de la nature du tempérament ou des étoiles. Ils distinguent quatre dispositions différentes dans l'ame : l'une de mort & de vie ; l'autre de santé, & de maladie. Elle est morte, lorsqu'elle croupit dans le péché ; elle est vivante, lorsqu'elle s'attache au bien ; elle est malade, quand elle ne comprend pas les vérités célestes ; mais elle est saine, lorsqu'elle connoît l'enchaînure des évenemens & la nature des objets qui tombent sous sa connoissance. Enfin, ils croyent que les ames, en sortant du monde, seront récompensées ou punies ; les bonnes ames iront dans le siecle à venir & dans l'Eden. C'est ainsi qu'ils appellent le paradis, où l'ame est nourrie par la vûe & la connoissance des objets spirituels. Un de leurs docteurs avoue que quelques-uns s'imaginoient que l'ame des méchans passoit par la voie de la métempsicose dans le corps des bêtes ; mais il refute cette opinion, étant persuadé que ceux qui sont chassés du domicile de Dieu, vont dans un lieu qu'il appelle la gehenne, où ils souffrent à cause de leurs péchés, & vivent dans la douleur & la honte, où il y a un ver qui ne meurt point, & un feu qui brûlera toûjours.

5°. Il faut observer rigoureusement les jeûnes.

6°. Il n'est point permis d'épouser la soeur de sa femme, même après la mort de celle-ci.

7°. Il faut observer exactement dans les mariages les degrés de parenté & d'affinité.

8°. C'est une idolâtrie que d'adorer les anges, le ciel, & les astres ; & il n'en faut point tolérer les représentations.

Enfin, leur morale est fort pure ; ils font sur-tout profession d'une grande tempérance ; ils craignent de manger trop, ou de se rendre trop délicats sur les mets qu'on leur présente ; ils ont un respect excessif pour leurs maîtres ; les Docteurs de leur côté sont charitables, & enseignent gratuitement ; ils prétendent se distinguer par-là de ceux qui se font dieux d'argent, en tirant de grandes sommes de leurs leçons.

De la secte des Pharisiens. Origine des Pharisiens. On ne connoît point l'origine des Pharisiens, ni le tems auquel ils ont commencé de paroître. Josephe qui devoit bien connoître une secte dont il étoit membre & partisan zelé, semble en fixer l'origine sous Jonatham, l'un des Macchabées, environ cent trente ans avant Jesus-Christ.

On a crû jusqu'à présent qu'ils avoient pris le nom de séparés, ou de Pharisiens, parce qu'ils se séparoient du reste des hommes, au-dessus desquels ils s'élevoient par leurs austérités. Cependant il y a une nouvelle conjecture sur ce nom : les Pharisiens étoient opposés aux Saducéens qui nioient les récompenses de l'autre vie ; car ils soutenoient qu'il y avoit un paras, ou une remunération après la mort. Cette récompense faisant le point de la controverse avec les Saducéens, & s'appellant Paras, les Pharisiens purent tirer de-là leur nom, plutôt que de la séparation qui leur étoit commune avec les Saducéens.

Doctrine des Pharisiens. 1°. Le zele pour les traditions fait le premier crime des Pharisiens. Ils soutenoient qu'outre la loi donnée sur le Sinaï, & gravée dans les écrits de Moïse, Dieu avoit confié verbalement à ce législateur un grand nombre de rits & de dogmes, qu'il avoit fait passer à la postérité sans les écrire. Ils nomment les personnes par la bouche desquels ces traditions s'étoient conservées : ils leur donnoient la même autorité qu'à la Loi, & ils avoient raison, puisqu'ils supposoient que leur origine étoit également divine. J. C. censura ces traditions qui affoiblissoient le texte, au lieu de l'éclaircir, & qui ne tendoient qu'à flatter les passions au lieu de les corriger. Mais sa censure, bien loin de ramener les Pharisiens, les effaroucha, & ils en furent choqués comme d'un attentat commis par une personne qui n'avoit aucune mission.

2°. Non-seulement on peut accomplir la Loi écrite, & la Loi orale, mais encore les hommes ont assez de forces pour accomplir les oeuvres de surérogation, comme les jeûnes, les abstinences, & autres dévotions très-mortifiantes, auxquelles ils donnoient un grand prix.

3°. Josephe dit que les Pharisiens admettoient non-seulement un Dieu créateur du ciel & de la terre, mais encore une providence ou un destin. La difficulté consiste à savoir ce qu'il entend par destin : il ne faut pas entendre par-là les étoiles, puisque les Juifs n'avoient aucune dévotion pour elles. Le destin chez les Payens, étoit l'enchaînement des causes secondes, liées par la vérité éternelle. C'est ainsi qu'en parle Ciceron : mais chez les Pharisiens, le destin signifioit la providence & les decrets qu'elle a formés sur les évenemens humains. Josephe explique si nettement leur opinion, qu'il est difficile de concevoir comment on a pû l'obscurcir. " Ils croyent, dit il, (antiq. jud. lib. XVIII. cap. ij.) que tout se fait par le destin ; cependant ils n'ôtent pas à la volonté la liberté de se déterminer, parce que, selon eux, Dieu use de ce tempérament ; que quoique toutes choses arrivent par son decret, ou par son conseil, l'homme conserve pourtant le pouvoir de choisir entre le vice & la vertu ". Il n'y a rien de plus clair que le témoignage de cet historien, qui étoit engagé dans la secte des Pharisiens, & qui devoit en connoître les sentimens. Comment s'imaginer après cela, que les Pharisiens se crussent soumis aveuglément aux influences des astres, & à l'enchaînement des causes secondes ?

4°. En suivant cette signification naturelle, il est aisé de développer le véritable sentiment des Pharisiens, lesquels soutenoient trois choses différentes. 1°. Ils croioient que les évenemens ordinaires & naturels arrivoient nécessairement, parce que la providence les avoit prévus & déterminés ; c'est-là ce qu'ils appelloient le destin. 2°. Ils laissoient à l'homme sa liberté pour le bien & pour le mal. Josephe l'assure positivement, en disant qu'il dépendoit de l'homme de faire le bien & le mal. La Providence regloit donc tous les évenemens humains ; mais elle n'imposoit aucune nécessité pour les vices ni pour les vertus. Afin de mieux soutenir l'empire qu'ils se donnoient sur les mouvemens du coeur, & sur les actions qu'il produisoit, ils alléguoient ces paroles du Deutéronome, où Dieu déclare, qu'il a mis la mort & la vie devant son peuple, & les exhorte à choisir la vie. Cela s'accorde parfaitement avec l'orgueil des Pharisiens, qui se vantoient d'accomplir la Loi, & demandoient la récompense dûe à leurs bonnes oeuvres, comme s'ils l'avoient méritée. 3°. Enfin, quoiqu'ils laissassent la liberté de choisir entre le bien & le mal, ils admettoient quelques secours de la part de Dieu ; car ils étoient aidés par le destin. Ce dernier principe leve toute la difficulté : car si le destin avoit été chez eux une cause aveugle, un enchaînement des causes secondes, ou l'influence des astres, il seroit ridicule de dire que le destin les aidoit.

5°. Les bonnes & les mauvaises actions sont récompensées ou punies non-seulement dans cette vie, mais encore dans l'autre ; d'où il s'ensuit que les Pharisiens croyoient la résurrection.

6°. On accuse les Pharisiens d'enseigner la transmigration des ames, qu'ils avoient empruntée des Orientaux, chez lesquels ce sentiment étoit commun : mais cette accusation est contestée, parce que J. C. ne leur reproche jamais cette erreur, & qu'elle paroît détruire la résurrection des morts : puisque si une ame a animé plusieurs corps sur la terre, on aura de la peine à choisir celui qu'elle doit préférer aux autres.

Je ne sais si cela suffit pour justifier cette secte : J. C. n'a pas eû dessein de combattre toutes les erreurs du Pharisaïsme ; & si S. Paul n'en avoit parlé, nous ne connoîtrions pas aujourd'hui leurs sentimens sur la justification. Il ne faut donc pas conclure du silence de l'Evangile, qu'ils n'ont point cru la transmigration des ames.

Il ne faut point non plus justifier les Pharisiens, parce qu'ils auroient renversé la résurrection par la métempsicose ; car les Juifs modernes admettent également la révolution des ames, & la résurrection des corps, & les Pharisiens ont pu faire la même chose.

L'autorité de Josephe, qui parle nettement sur cette matiere, doit prévaloir. Il assure (Antiq. jud. lib. XVIII. cap. ij.) que les Pharisiens croyoient que les ames des méchans étoient renfermées dans des prisons, & souffroient-là des supplices éternels, pendant que celles des bons trouvoient un retour facile à la vie, & rentroient dans un autre corps. On ne peut expliquer ce retour des ames à la vie par la résurrection : car, selon les Pharisiens, l'ame étant immortelle, elle ne mourra point, & ne ressuscitera jamais. On ne peut pas dire aussi qu'elle rentrera dans un autre corps au dernier jour : car outre que l'ame reprendra par la résurrection le même corps qu'elle a animé pendant la vie, & qu'il y aura seulement quelque changement dans ses qualités ; les Pharisiens représentoient par-là la différente condition des bons & des méchans, immédiatement après la mort ; & c'est attribuer une pensée trop subtile à Josephe, que d'étendre sa vûe jusqu'à la résurrection. Un historien qui rapporte les opinions d'une secte, parle plus naturellement, & s'explique avec plus de netteté.

Moeurs des Pharisiens. Il est tems de parler des austérités des Pharisiens ; car ce fut par là qu'ils séduisirent le peuple, & qu'ils s'attirerent une autorité qui les rendoit redoutables aux rois. Ils faisoient de longues veilles, & se refusoient jusqu'au sommeil nécessaire. Les uns se couchoient sur une planche très-étroite, afin qu'ils ne pussent se garantir d'une chûte dangereuse, lorsqu'ils s'endormiroient profondement ; & les autres encore plus austeres semoient sur cette planche des cailloux & des épines, qui troublassent leur repos en les déchirant. Ils faisoient à Dieu de longues oraisons, qu'ils répétoient sans remuer les yeux, les bras, ni les mains. Ils achevoient de mortifier leur chair par des jeûnes qu'ils observoient deux fois la semaine ; ils y ajoûtoient les flagellations ; & c'étoit peut-être une des raisons qui les faisoit appeller des Tires sang, parce qu'ils se déchiroient impitoyablement la peau, & se fouettoient jusqu'à ce que le sang coulât abondamment. Mais il y en avoit d'autres à qui ce titre avoit été donné, parce que marchant dans les rues les yeux baissés ou fermés, ils se frappoient la tête contre les murailles. Ils chargeoient leurs habits de phylacteres, qui contenoient certaines sentences de la loi. Les épines étoient attachées aux pans de leur robe, afin de faire couler le sang de leurs piés lorsqu'ils marchoient ; ils se séparoient des hommes, parce qu'ils étoient beaucoup plus saints qu'eux, & qu'ils craignoient d'être souillés par leur attouchement. Ils se lavoient plus souvent que les autres, afin de montrer par là qu'ils avoient un soin extrème de se purifier. Cependant à la faveur de ce zele apparent, ils se rendoient vénérables au peuple. On leur donnoit le titre de sages par excellence ; & leurs disciples s'entrecrioient, le sage explique aujourd'hui. On enfle les titres à proportion qu'on les mérite moins ; on tâche d'imposer aux peuples par de grands noms, lorsque les grandes vertus manquent. La jeunesse avoit pour eux une si profonde vénération, qu'elle n'osoit ni parler ni répondre, lors même qu'on lui faisoit des censures ; en effet ils tenoient leurs disciples dans une espece d'esclavage, & ils régloient avec un pouvoir absolu tout ce qui regardoit la religion.

On distingue dans le Thalmud sept ordres de Pharisiens. L'un mesuroit l'obéissance à l'aune du profit & de la gloire ; l'autre ne levoit point les piés en marchant, & on l'appelloit à cause de cela le pharisien tronqué ; le troisieme frappoit sa tête contre les murailles, afin d'en tirer le sang ; un quatrieme cachoit sa tête dans un capuchon, & regardoit de cet enfoncement comme du fond d'un mortier ; le cinquieme demandoit fiérement, que faut-il que je fasse ? je le ferai. Qu'y a-t-il à faire que je n'aye fait ? le sixieme obéissoit par amour pour la vertu & pour la récompense ; & le dernier n'exécutoit les ordres de Dieu que par la crainte de la peine.

Origine des Esséniens. Les Esséniens qui devroient être si célebres par leurs austérités & par la sainteté exemplaire dont ils faisoient profession, ne le sont presque point. Serarius soutenoit qu'ils étoient connus chez les Juifs depuis la sortie de l'Egypte, parce qu'il a supposé que c'étoient les Cinéens descendus de Jethro, lesquels suivirent Moïse, & de ces gens-là sortirent les Réchabites. Mais il est évident qu'il se trompoit, car les Esséniens & les Réchabites étoient deux ordres différens de dévots, & les premiers ne paroissent point dans toute l'histoire de l'ancien-Testament comme les Réchabites. Gale sçavant anglois, leur donne la même antiquité ; mais de plus il en fait les peres & les prédécesseurs de Pythagore & de ses disciples. On n'en trouve aucune trace dans l'histoire des Macchabées sous lesquels ils doivent être nés ; l'Evangile n'en parle jamais, parce qu'ils ne sortirent point de leur retraite pour aller disputer avec J. C. D'ailleurs ils ne vouloient point se confondre avec les Pharisiens, ni avec le reste des Juifs, parce qu'ils se croyoient plus saints qu'eux ; enfin ils étoient peu nombreux dans la Judée, & c'étoit principalement en Egypte qu'ils avoient leur retraite, & où Philon les avoit vûs.

Drusius fait descendre les Esséniens de ceux qu'Hircan persécuta, qui se retirerent dans les deserts, & qui s'accoutumerent par nécessité à un genre de vie très-dur, dans lequel ils persévererent volontairement ; mais il faut avouer qu'on ne connoît pas l'origine de ces sectaires. Ils paroissent dans l'histoire de Josephe, sous Antigonus ; car ce fut alors qu'on vit ce prophête essénien, nommé Judas, lequel avoit prédit qu'Antigonus seroit tué un tel jour dans une tour.

Histoire des Esséniens. Voici comme Josephe (belle Jud. lib. II. cap. xij.) nous dépeint ces sectaires. " Ils sont Juifs de nation, dit-il, ils vivent dans une union très-étroite, & regardent les voluptés comme des vices que l'on doit fuir, & la continence & la victoire de ses passions, comme des vertus que l'on ne sauroit trop estimer. Ils rejettent le mariage, non qu'ils croyent qu'il faille détruire la race des hommes, mais pour éviter l'intempérance des femmes, qu'ils sont persuadés ne garder pas la foi à leurs maris. Mais ils ne laissent pas néanmoins de recevoir les jeunes enfans qu'on leur donne pour les instruire, & de les élever dans la vertu avec autant de soin & de charité que s'ils en étoient les peres, & ils les habillent & les nourrissent tous d'une même sorte.

Ils méprisent les richesses ; toutes choses sont communes entr'eux avec une égalité si admirable, que lorsque quelqu'un embrasse leur secte, il se dépouille de la propriété de ce qu'il possede, pour éviter par ce moyen la vanité des richesses, épargner aux autres la honte de la pauvreté, & par un si heureux mélange, vivre tous ensemble comme freres.

Ils ne peuvent souffrir de s'oindre le corps avec de l'huile ; mais si cela arrive à quelqu'un contre son gré, ils essuyent cette huile comme si c'étoient des taches & des souillures ; & se croyent assez propres & assez parés, pourvû que leurs habits soient toujours bien blancs.

Ils choisissent pour économes des gens de bien qui reçoivent tout leur revenu, & le distribuent selon le besoin que chacun en a. Ils n'ont point de ville certaine dans laquelle ils demeurent, mais ils sont répandus en diverses villes, où ils reçoivent ceux qui desirent entrer dans leur société ; & quoiqu'ils ne les ayent jamais vus auparavant, ils partagent avec eux ce qu'ils ont, comme s'ils les connoissoient depuis long-tems. Lorsqu'ils font quelque voyage, ils ne portent autre chose que des armes pour se défendre des voleurs. Ils ont dans chaque ville quelqu'un d'eux pour recevoir & loger ceux de leur secte qui y viennent, & leur donner des habits, & les autres choses dont ils peuvent avoir besoin. Ils ne changent point d'habits que quand les leurs sont déchirés ou usés. Ils ne vendent & n'achetent rien entr'eux, mais ils se communiquent les uns aux autres sans aucun échange, tout ce qu'ils ont. Ils sont très-religieux envers Dieu, ne parlent que des choses saintes avant que le soleil soit levé, & font alors des prieres qu'ils ont reçûes par tradition, pour demander à Dieu qu'il lui plaise de le faire luire sur la terre. Ils vont après travailler chacun à son ouvrage, selon qu'il leur est ordonné. A onze heures ils se rassemblent, & couverts d'un linge, se lavent le corps dans l'eau froide ; ils se retirent ensuite dans leurs cellules, dont l'entrée n'est permise à nuls de ceux qui ne sont pas de leur secte, & étant purifiés de la sorte, ils vont au réfectoire comme en un saint temple, où lorsqu'ils sont assis en grand silence, on met devant chacun d'eux du pain & une portion dans un petit plat. Un sacrificateur benit les viandes, & on n'oseroit y toucher jusqu'à ce qu'il ait achevé sa priere : il en fait encore une autre après le repas. Ils quittent alors leurs habits qu'ils regardent comme sacrés, & retournent à leurs ouvrages.

On n'entend jamais du bruit dans leurs maisons ; chacun n'y parle qu'à son tour, & leur silence donne du respect aux étrangers. Il ne leur est permis de rien faire que par l'avis de leurs supérieurs, si ce n'est d'assister les pauvres.... Car quant à leurs parens, ils n'oseroient leur rien donner si on ne le leur permet. Ils prennent un extrème soin de reprimer leur colere ; ils aiment la paix, & gardent si inviolablement ce qu'ils promettent, que l'on peut ajoûter plus de foi à leurs simples paroles, qu'aux sermens des autres. Ils considerent même les sermens comme des parjures, parce qu'ils ne peuvent se persuader qu'un homme ne soit pas un menteur, lorsqu'il a besoin pour être cru de prendre Dieu à témoin.... Ils ne reçoivent pas sur le champ dans leur société ceux qui veulent embrasser leur maniere de vivre, mais ils le font demeurer durant un an au-dehors, où ils ont chacun avec une portion, une pioche & un habit blanc. Ils leur donnent ensuite une nourriture plus conforme à la leur, & leur permettent de se laver comme eux dans de l'eau froide, afin de se purifier ; mais ils ne les font pas manger au refectoire, jusqu'à ce qu'ils ayent encore durant deux ans éprouvé leurs moeurs, comme ils avoient auparavant éprouvé leur continence. Alors on les reçoit parce qu'on les en juge dignes, mais avant que de s'asseoir à table avec les autres, ils protestent solemnellement d'honorer & de servir Dieu de tout leur coeur, d'observer la justice envers les hommes ; de ne faire jamais volontairement de mal à personne ; d'assister de tout leur pouvoir les gens de bien ; de garder la foi à tout le monde, & particulierement aux souverains.

Ceux de cette secte sont très-justes & très-exacts dans leurs jugemens : leur nombre n'est pas moindre que de cent lorsqu'ils les prononcent, & ce qu'ils ont une fois arrêté demeure immuable.

Ils observent plus religieusement le sabath que nuls autres de tous les Juifs. Aux autres jours, ils font dans un lieu à l'écart, un trou dans la terre d'un pié de profondeur, où après s'être déchargés, en se couvrant de leurs habits, comme s'ils avoient peur de souiller les rayons du soleil, ils remplissent cette fosse de la terre qu'ils en ont tirée.

Ils vivent si long-tems, que plusieurs vont jusqu'à cent ans ; ce que j'attribue à la simplicité de leur vie.

Ils méprisent les maux de la terre, triomphent des tourmens par leur constance, & préferent la mort à la vie lorsque le sujet en est honorable. La guerre que nous avons eue contre les Romains a fait voir en mille manieres que leur courage est invincible ; ils ont souffert le fer & le feu plutôt que de vouloir dire la moindre parole contre leur législateur, ni manger des viandes qui leur sont défendues, sans qu'au milieu de tant de tourmens ils ayent jetté une seule larme, ni dit la moindre parole, pour tâcher d'adoucir la cruauté de leurs bourreaux. Au contraire ils se moquoient d'eux, & rendoient l'esprit avec joye, parce qu'ils espéroient de passer de cette vie à une meilleure ; & qu'ils croyoient fermement que, comme nos corps sont mortels & corruptibles ; nos ames sont immortelles & incorruptibles ; qu'elles sont d'une substance aërienne très-subtile, & qu'étant enfermées dans nos corps comme dans une prison, où une certaine inclination les attire & les arrête, elles ne sont pas plutôt affranchies de ces liens charnels qui les retiennent comme dans une longue servitude, qu'elles s'élevent dans l'air & s'envolent avec joye. En quoi ils conviennent avec les Grecs, qui croyent que ces ames heureuses ont leur séjour au-delà de l'Océan, dans une région où il n'y a ni pluie, ni neige, ni une chaleur excessive, mais qu'un doux zéphir rend toujours très-agréable : & qu'au contraire les ames des méchans n'ont pour demeure que des lieux glacés & agités par de continuelles tempêtes, où elles gémissent éternellement dans des peines infinies. Car, c'est ainsi qu'il me paroît que les Grecs veulent que leurs héros, à qui ils donnent le nom de demi-dieux, habitent des îles qu'ils appellent fortunées, & que les ames des impies soient à jamais tourmentées dans les enfers, ainsi qu'ils disent que le sont celles de Sisyphe, de Tantale, d'Ixion & de Tytie.

Ces mêmes Esséniens croyent que les ames sont créées immortelles pour se porter à la vertu & se détourner du vice ; que les bons sont rendus meilleurs en cette vie par l'espérance d'être heureux après leur mort, & que les méchans qui s'imaginent pouvoir cacher en ce monde leurs mauvaises actions, en sont punis en l'autre par des tourmens éternels. Tels sont leurs sentimens sur l'excellence de l'ame. Il y en a parmi eux qui se vantent de connoître les choses à venir tant par l'étude qu'ils font des livres saints & des anciennes prophéties, que par le soin qu'ils prennent de se sanctifier ; & il arrive rarement qu'ils se trompent dans leurs prédictions.

Il y a une autre sorte d'Esséniens qui conviennent avec les premiers dans l'usage des mêmes viandes, des mêmes moeurs & des mêmes lois, & n'en sont différens qu'en ce qui regarde le mariage. Car ceux-ci croyent que c'est vouloir abolir la race des hommes que d'y renoncer, puisque si chacun embrassoit ce sentiment, on la verroit bientôt éteinte. Ils s'y conduisent néanmoins avec tant de modération, qu'avant que de se marier ils observent durant trois ans si la personne qu'ils veulent épouser paroît assez saine pour bien porter des enfans, & lorsqu'après être mariés elle devient grosse, ils ne couchent plus avec elle durant sa grossesse, pour témoigner que ce n'est pas la volupté, mais le désir de donner des hommes à la république, qui les engage dans le mariage ".

Josephe dit dans un autre endroit qu'ils abandonnoient tout à Dieu. Ces paroles font assez entendre le sentiment des Esséniens sur le concours de Dieu. Cet historien dit encore ailleurs que tout dépendoit du destin, & qu'il ne nous arrivoit rien que ce qu'il ordonnoit. On voit par-là que les Esséniens s'opposoient aux Saducéens, & qu'ils faisoient dépendre toutes choses des decrets de la providence ; mais en même tems il est évident qu'ils donnoient à la providence des decrets qui rendoient les événemens nécessaires, & ne laissoient à l'homme aucun reste de liberté. Josephe les opposant aux Pharisiens qui donnoient une partie des actions au destin, & l'autre à la volonté de l'homme, fait connoître qu'ils étendoient à toutes les actions l'influence du destin & la nécessité qu'il impose. Cependant, au rapport de Philon, les Esséniens ne faisoient point Dieu auteur du péché, ce qui est assez difficile à concevoir ; car il est évident que si l'homme n'est pas libre, la religion périt, les actions cessent d'être bonnes & mauvaises, il n'y a plus de peine ni de récompense ; & on a raison de soutenir qu'il n'y a plus d'équité dans le jugement de Dieu.

Philon parle des Esséniens à-peu-près comme Josephe. Ils conviennent tous les deux sur leurs austérités, leurs mortifications ? & sur le soin qu'ils prenoient de cacher aux étrangers leur doctrine. Mais Philon assure qu'ils préféroient la campagne à la ville, parce qu'elle est plus propre à la méditation ; & qu'ils évitoient autant qu'il étoit possible le commerce des hommes corrompus, parce qu'ils croyoient que l'impureté des moeurs se communique aussi aisément qu'une mauvaise influence de l'air. Ce sentiment nous paroît plus vraisemblable que celui de Josephe qui les fait demeurer dans les villes ; en effet on ne lit nulle part qu'il y ait eu dans aucune ville de la Palestine des communautés d'Esséniens, au contraire tous les auteurs qui ont parlé de ces sectaires, nous les représentent comme fuyant les grandes villes, & s'appliquant à l'agriculture. D'ailleurs s'ils eussent habité les villes, il est probable qu'on les connoîtroit un peu mieux qu'on ne le fait, & l'Evangile ne garderoit pas sur eux un si profond silence ; mais leur éloignement des villes où J. C. prêchoit, les a sans-doute soustraits aux censures qu'il auroit faites de leur erreur.

Des Thérapeutes. Philon (Philo de vitae contemp.) a distingué deux ordres d'Esséniens ; les uns s'attachoient à la pratique, & les autres qu'on nomme Thérapeutes, à la contemplation. Ces derniers étoient aussi de la secte des Esséniens ; Philon leur en donne le nom : il ne les distingue de la premiere branche de cette secte, que par quelque degré de perfection.

Philon nous les représente comme des gens qui faisoient de la contemplation de Dieu leur unique occupation, & leur principale félicité. C'étoit pour cela qu'ils se tenoient enfermés seul à seul dans leur cellule, sans parler, sans oser sortir, ni même regarder par les fenêtres. Ils demandoient à Dieu que leur ame fût toujours remplie d'une lumiere céleste, & qu'élevés au-dessus de tout ce qu'il y a de sensible, ils pussent chercher & connoître la vérité plus parfaitement dans leur solitude, s'élevant au-dessus du soleil, de la nature, & de toutes les créatures. Ils perçoient directement à Dieu, le soleil de justice. Les idées de la divinité, des beautés, & des tresors du ciel, dont ils s'étoient nourris pendant le jour les suivoient jusques dans la nuit, jusques dans leurs songes, & pendant le sommeil même. Ils débitoient des préceptes excellens ; ils laissoient à leurs parens tous leurs biens, pour lesquels ils avoient un profond mépris, depuis qu'ils s'étoient enrichis de la philosophie céleste : ils sentoient une émotion violente, & une fureur divine, qui les entraînoit dans l'étude de cette divine philosophie, & ils y trouvoient un souverain plaisir ; c'est pourquoi ils ne quittoient jamais leur étude, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à ce degré de perfection qui les rendoit heureux. On voit-là, si je ne me trompe, la contemplation des mystiques, leurs transports, leur union avec la divinité qui les rend souverainement heureux & parfaits sur la terre.

Cette secte que Philon a peinte dans un traité qu'il a fait exprès, afin d'en faire honneur à sa religion, contre les Grecs qui vantoient la morale & la pureté de leurs philosophes, a paru si sainte, que les Chrétiens leur ont envié la gloire de leurs austérités. Les plus modérés ne pouvant ôter absolument à la synagogue l'honneur de les avoir formés & nourris dans son sein, ont au moins soutenu qu'ils avoient embrassé le christianisme, dès le moment que S. Marc le prêcha en Egypte, & que changeant de religion sans changer de vie, ils devinrent les peres & les premiers instituteurs de la vie monastique.

Ce dernier sentiment a été soutenu avec chaleur par Eusebe, par saint Jérôme, & sur-tout par le pere Montfaucon, homme distingué par son savoir, non-seulement dans un ordre savant, mais dans la république des lettres. Ce savant religieux a été réfuté par M. Bouhier premier président du parlement de Dijon, dont on peut consulter l'ouvrage ; nous nous bornerons ici à quelques remarques.

1°. On ne connoît les Thérapeutes que par Philon. Il faut donc s'en tenir à son témoignage ; mais peut-on croire qu'un ennemi de la religion chrétienne, & qui a persévéré jusqu'à la mort dans la profession du judaïsme, quoique l'Evangile fût connu, ait pris la peine de peindre d'une maniere si édifiante les ennemis de sa religion & de ses cérémonies ? Le judaïsme & le christianisme sont deux religions ennemies ; l'une travaille à s'établir sur les ruines de l'autre : il est impossible qu'on fasse un éloge magnifique d'une religion qui travaille à l'anéantissement de celle qu'on croit & qu'on professe.

2°. Philon de qui on tire les preuves en faveur du christianisme des Thérapeutes, étoit né l'an 723 de Rome. Il dit qu'il étoit fort jeune lorsqu'il composa ses ouvrages ; & que dans la suite ses études furent interrompues par les grands emplois qu'on lui confia. En suivant ce calcul, il faut nécessairement que Philon ait écrit avant J. C. & à plus forte raison avant que le Christianisme eût pénétré jusqu'à Alexandrie. Si on donne à Philon trente-cinq ou quarante ans lorsqu'il composoit ses livres, il n'étoit plus jeune. Cependant J. C. n'avoit alors que huit ou dix ans ; il n'avoit point encore enseigné ; l'Evangile n'étoit point encore connu : les Thérapeutes ne pouvoient par conséquent être chrétiens : d'où il est aisé de conclure que c'est une secte de Juifs réformés, dont Philon nous a laissé le portrait.

3°. Philon remarque que les Thérapeutes étoient une branche des Esséniens ; comment donc a-t-on pu en faire des chrétiens, & laisser les autres dans le judaïsme ?

Philon remarque encore que c'étoient des disciples de Moïse ; & c'est-là un caractere de judaïsme qui ne peut être contesté, sur-tout par des chrétiens. L'occupation de ces gens-là consistoit à feuilleter les sacrés volumes, à étudier la philosophie qu'ils avoient reçûe de leurs ancêtres, à y chercher des allégories, s'imaginant que les secrets de la nature étoient cachés sous les termes les plus clairs ; & pour s'aider dans cette recherche, ils avoient les commentaires des anciens ; car les premiers auteurs de cette secte avoient laissé divers volumes d'allégories, & leurs disciples suivoient cette méthode. Peut-on connoitre là des chrétiens ? qui étoient ces ancêtres qui avoient laissé tant d'écrits, lorsqu'il y avoit à peine un seul évangile publié ? Peut-on dire que les écrivains sacrés nous ayent laissé des volumes pleins d'allégories ? quelle religion seroit la nôtre, si on ne trouvoit que cela dans les livres divins ? Peut-on dire que l'occupation des premiers saints du Christianisme fut de chercher les secrets de la nature cachés sous les termes les plus clairs de la parole de Dieu ? Cela convenoit à des mystiques & à des dévots contemplatifs, qui se mêloient de medecine : cela convenoit à des Juifs, dont les docteurs aimoient les allégories jusqu'à la fureur : mais ni les ancêtres, ni la philosophie, ni les volumes pleins d'allégories, ne conviennent point aux auteurs de la religion chrétienne, ni aux chrétiens.

4°. Les Thérapeutes s'enfermoient toute la semaine sans sortir de leurs cellules, & même sans oser regarder par les fenêtres, & ne sortoient de-là que le jour du sabbat, portant leurs mains sous le manteau : l'une entre la poitrine & la barbe, & l'autre sur le côté. Reconnoit-on les Chrétiens à cette posture ? & le jour de leur assemblée qui étoit le samedi, ne marque-t-il pas que c'étoit là des Juifs, rigoureux observateurs du jour du repos que Moïse avoit indiqué ? Accoutumés comme la cigale à vivre de rosée, ils jeûnoient toute la semaine, mais ils mangeoient & se reposoient le jour du sabbat. Dans leurs fêtes ils avoient une table sur laquelle on mettoit du pain, pour imiter la table des pains de proposition que Moïse avoit placée dans le temple. On chantoit des hymnes nouveaux, & qui étoient l'ouvrage du plus ancien de l'assemblée ; mais lorsqu'il n'en composoit pas, on prenoit ceux de quelque ancien poëte. On ne peut pas dire qu'il y eût alors d'anciens poëtes chez les Chrétiens ; & ce terme ne convient guere au prophete David. On dansoit aussi dans cette fête ; les hommes & les femmes le faisoient en mémoire de la mer Rouge, parce qu'ils s'imaginoient que Moïse avoit donné cet exemple aux hommes, & que sa soeur s'étoit mise à la tête des femmes pour les faire danser & chanter. Cette fête duroit jusqu'au lever du soleil ; & dès le moment que l'aurore paroissoit, chacun se tournoit du côté de l'orient, se souhaitoit le bon jour, & se retiroit dans sa cellule pour méditer & contempler Dieu : on voit là la même superstition pour le soleil qu'on a déjà remarquée dans les Esséniens du premier ordre.

5°. Enfin, on n'adopte les Thérapeutes qu'à cause de leurs austérités, & du rapport qu'ils ont avec la vie monastique.

Mais ne voit-on pas de semblables exemples de tempérance & de chasteté chez les payens, & particulierement dans la secte de Pythagore, à laquelle Joseph la comparoit de son temps ? La communauté des biens avoit ébloui Eusebe, & l'avoit obligé de comparer les Esséniens aux fideles dont il est parlé dans l'histoire des Actes, qui mettoient tout en commun. Cependant les disciples de Pythagore faisoient la même chose ; car c'étoit une de leurs maximes, qu'il n'étoit pas permis d'avoir rien en propre. Chacun apportoit à la communauté ce qu'il possédoit : on en assistoit les pauvres, lors même qu'ils étoient absens ou éloignés ; & ils poussoient si loin la charité, que l'un d'eux condamné au supplice par Denys le tyran, trouva un pleige qui prit sa place dans la prison, c'est le souverain degré de l'amour que de mourir les uns pour les autres. L'abstinence des viandes étoit sévérement observée par les disciples de Pythagore, aussi-bien que par les Thérapeutes. On ne mangeoit que des herbes crues ou bouillies. Il y avoit une certaine portion de pain réglée, qui ne pouvoit ni charger ni remplir l'estomac : on le frottoit quelquefois d'un peu de miel. Le vin étoit défendu, & on n'avoit point d'autre breuvage que l'eau pure. Pythagore vouloit qu'on négligeât les plaisirs & les voluptés de cette vie, & ne les trouvoit pas dignes d'arrêter l'homme sur la terre. Il rejettoit les onctions d'huile comme les Thérapeutes : ses disciples portoient des habits blancs ; ceux de lin paroissoient trop superbes, ils n'en avoient que de laine. Ils n'osoient ni railler, ni rire, & ils ne devoient point jurer par le nom de Dieu, parce que chacun devoit faire connoître sa bonne foi, & n'avoit pas besoin de ratifier sa parole par un serment. Ils avoient un profond respect pour les vieillards, devant lesquels ils gardoient long-tems le silence. Ils n'osoient faire de l'eau en présence du soleil, superstition que les Thérapeutes avoient encore empruntée d'eux. Enfin ils étoient fort entêtés de la spéculation & du repos qui l'accompagne ; c'est pourquoi ils en faisoient un de leurs préceptes les plus importans,

O juvenes ! tacitâ colite haec pia sacra quiete ;

disoit Pythagore à ses disciples, à la tête d'un de ses ouvrages. En comparant les sectes des Thérapeutes & des Pythagoriciens, on les trouve si semblables dans tous les Chefs qui ont ébloui les Chrétiens, qu'il semble que l'une soit sortie de l'autre. Cependant si on trouve de semblables austérités chez les payens, on ne doit plus être étonné de les voir chez les Juifs éclairés par la loi de Moïse ; & on ne doit pas leur ravir cette gloire pour la transporter au Christianisme.

Histoire de la philosophie juive depuis la ruine de Jérusalem. La ruine de Jérusalem causa chez les Juifs des révolutions qui furent fatales aux Sciences. Ceux qui avoient échappé à l'epée des Romains, aux flammes qui réduisirent en cendres Jérusalem & son temple, ou qui après la désolation de cette grande ville, ne furent pas vendus au marché comme des esclaves & des bêtes de charge, tâcherent de chercher une retraite & un asile. Ils en trouverent un en Orient & à Babylone, où il y avoit encore un grand nombre de ceux qu'on y avoit transportés dans les anciennes guerres : il étoit naturel d'aller implorer là la charité de leurs freres, qui s'y étoient fait des établissemens considérables. Les autres se refugierent en Egypte, où il y avoit aussi depuis long-tems beaucoup de Juifs puissans & assez riches pour recevoir ces malheureux ; mais ils porterent là leur esprit de sédition & de révolte, ce qui y causa un nouveau massacre. Les rabbins assurent que les familles considérables furent transportées dès ce tems-là en Espagne, qu'ils appelloient sépharad ; & que c'est dans ce lieu où sont encore les restes des tribus de Benjamin & de Juda les descendans de la maison de David : c'est pourquoi les juifs de ce pays-là ont toujours regardé avec mépris ceux des autres nations, comme si le sang royal & la distinction des tribus s'étoient mieux conservées chez eux, que par-tout ailleurs. Mais il y eut un quatrieme ordre de juifs qui pourroient à plus juste titre se faire honneur de leur origine. Ce furent ceux qui demeurerent dans leur patrie, ou dans les masures de Jérusalem, ou dans les lieux voisins, dans lesquels ils se distinguerent en rassemblant un petit corps de la nation, & par les charges qu'ils y exercerent. Les rabbins assurent même que Tite fit transporter le sanhédrim à Japhné ou Jamnia, & qu'on érigea deux académies, l'une à Tibérias, & l'autre à Lydde. Enfin ils soutiennent qu'il y eut aussi dès ce tems-là un patriarche qui après avoir travaillé à rétablir la religion & son église dispersée, étendit son autorité sur toutes les synagogues de l'Occident.

On prétend que les académies furent érigées l'an 220 ou l'an 230 ; la plus ancienne étoit celle de Nahardea, ville située sur les bords de l'Euphrate. Un rabbin nommé Samuel prit la conduite de cette école : ce Samuel est un homme fameux dans sa nation. Elle le distingue par les titres de vigilant, d'arioch, de sapor boi, & de lunatique, parce qu'on prétend qu'il gouvernoit le peuple aussi absolument que les rois font leurs sujets, & que le chemin du ciel lui étoit aussi connu que celui de son académie. Il mourut l'an 270 de J. C. & la ville de Nahardea ayant été prise l'an 278, l'académie fut ruinée.

On dit encore qu'on érigea d'abord l'académie à Sora, qui avoit emprunté son nom de la Syrie ; car les Juifs le donnent à toutes les terres qui s'étendent depuis Damas & l'Euphrate, jusqu'à Babylone, & Sora étoit située sur l'Euphrate.

Pumdebita étoit une ville située dans la Mésopotamie, agréable par la beauté de ses édifices. Elle étoit fort décriée par les moeurs de ses habitans, qui étoient presque tous autant de voleurs : personne ne vouloit avoir commerce avec eux ; & les Juifs ont encore ce proverbe : qu'il faut changer de domicile lorsqu'on a un pumdébitain pour voisin. Rabbin Chasda ne laissa pas de la choisir l'an 290 pour y enseigner. Comme il avoit été collegue de Huna qui régentoit à Sora, il y a lieu de soupçonner que quelque jalousie ou quelque chagrin personnel l'engagea à faire cette erection. Il ne put pourtant donner à sa nouvelle académie le lustre & la réputation qu'avoit déja celle de Sora, laquelle tint toujours le dessus sur celle de Pumdebita.

On érigea deux autres académies l'an 373, l'une à Naresch proche de Sora, & l'autre à Machusia ; enfin il s'en éleva une cinquieme à la fin du dixieme siecle, dans un lieu nommé Peruts Sciabbur, où l'on dit qu'il y avoit neuf mille Juifs.

Les chefs des académies ont donné beaucoup de lustre à la nation juive par leurs écrits, & ils avoient un grand pouvoir sur le peuple ; car comme le gouvernement des Juifs dépend d'une infinité de cas de conscience, & que Moïse a donné des lois politiques qui sont aussi sacrées que les cérémonielles, ces docteurs qu'on consultoit souvent étoient aussi les maîtres des peuples. Quelques-uns croient même que depuis la ruine du temple, les conseils étant ruinés ou confondus avec les académies, le pouvoir appartenoit entierement aux chefs de ces académies.

Parmi tous ces docteurs juifs, il n'y en a eu aucun qui se soit rendu plus illustre, soit par l'intégrité de ses moeurs, soit par l'étendue de ses connoissances, que Juda le Saint. Après la ruine de Jérusalem, les chefs des écoles ou des académies qui s'étoient élévées dans la Judée, ayant pris quelque autorité sur le peuple par les leçons & les conseils qu'ils lui donnoient, furent appellés princes de la captivité. Le premier de ces princes fut Gamaliel, qui eut pour successeur Simeon III. son fils, après lequel parut Juda le Saint dont nous parlons ici. Celui-ci vint au monde le même jour qu'Attibas mourut ; & on s'imagine que cet événement avoit été prédit par Salomon, qui a dit qu'un soleil se leve & qu'un soleil se couche. Attibas mourut sous Adrien, qui lui fit porter la peine de son imposture. Ghédalia place la mort violente de ce fourbe l'an 37, après la ruine du temple, qui seroit la cent quarante-troisieme année de l'ére chrétienne ; mais alors il seroit évidemment faux que cet événement fut arrivé sous l'empire d'Adrien qui étoit déja mort ; & si Juda le Saint naissoit alors, il faut nécessairement fixer sa naissance à l'an 135 de J. C. On peut remarquer, en passant, qu'il ne faut pas s'arrêter aux calculs des Juifs, peu jaloux d'une exacte chronologie.

Le lieu de sa naissance étoit Tsippuri. Ce terme signifie un petit oiseau, & la ville étoit située sur une des montagnes de la Galilée. Les Juifs, jaloux de la gloire de Juda, lui donnent le titre de saint, ou même de saint des saints, à cause de la pureté de sa vie. Cependant je n'ose dire en quoi consistoit cette pureté ; elle paroîtroit badine & ridicule. Il devint le chef de la nation, & eut une si grande autorité, que quelques-uns de ses disciples ayant osé le quitter pour aller faire une intercalation à Lydde, ils eurent tous un mauvais regard ; c'est-à-dire, qu'ils moururent tous d'un châtiment exemplaire : mais ce miracle est fabuleux.

Juda devint plus recommandable par la répétition de la loi qu'il publia. Ce livre est un code du droit civil & canonique des Juifs, qu'on appelle Misnah. Il crut qu'il étoit souverainement nécessaire d'y travailler, parce que la nation dispersée en tant de lieux, avoit oublié les rites, & se seroit éloignée de la religion & de la jurisprudence de ses ancêtres, si on les confioit uniquement à leur mémoire. Au lieu qu'on expliquoit auparavant la tradition selon la volonté des professeurs, ou par rapport à la capacité des étudians, ou bien enfin selon les circonstances qui le demandoient, Juda fit une espece de systême & de cours qu'on suivit depuis exactement dans les académies. Il divisa ce rituel en six parties. La premiere roule sur la distinction des semences dans un champ, les arbres, les fruits, les décimes, &c. La seconde regle, l'observance des fêtes. Dans la troisieme qui traite des femmes, on décide toutes les causes matrimoniales. La quatrieme qui regarde les pertes, roule sur les procès qui naissent dans le commerce, & les procédures qu'on y doit tenir : on y ajoute un traité d'idolatrie, parce que c'est un des articles importans sur lesquels roulent les jugemens. La cinquieme partie regarde les oblations, & on examine dans la derniere tout ce qui est nécessaire à la purification.

Il est difficile de fixer le tems auquel Juda le Saint commença & finit cet ouvrage, qui lui a donné une si grande réputation. Il faut seulement remarquer, 1°. qu'on ne doit pas le confondre avec le thalmud, dont nous parlerons bien-tôt, & qui ne fut achevé que long-tems après. 2°. On a mal placé cet ouvrage dans les tables chronologiques des synagogues, lorsqu'on compte aujourd'hui 1614 ans depuis sa publication ; car cette année tomberoit sur l'année 140 de J. C. où Juda le Saint ne pouvoit avoir que quatre ans. 3°. Au contraire, on le retarde trop, lorsqu'on assure qu'il fut publié cent cinquante ans après la ruine de Jérusalem ; car cette année tomberoit sur l'an 220 ou 218 de J. C. & Juda étoit mort auparavant. 4°. En suivant le calcul qui est le plus ordinaire, Juda doit être né l'an 135 de J. C. Il peut avoir travaillé à ce recueil depuis qu'il fut prince de la captivité, & après avoir jugé souvent les différends qui naissoient dans sa nation. Ainsi on peut dire qu'il le fit environ l'an 180, lorsqu'il avoit quarante-quatre ans, à la fleur de son âge, & qu'une assez longue expérience lui avoit appris à décider les questions de la loi.

Juda s'acquit une si grande autorité par cet ouvrage, qu'il se mit au-dessus des lois ; car au lieu que pendant que Jérusalem subsistoit, les chefs du Sanhédrim étoient soumis à ce conseil, & sujets à la peine, Juda, si l'on en croit les historiens de sa nation, s'éleva au-dessus des anciennes lois, & Siméon, fils de Lachis, ayant osé soutenir que le prince devoit être foüetté lorsqu'il pêchoit, Juda envoya ses officiers pour l'arrêter, & l'auroit puni sévèrement, s'il ne lui étoit échappé par une promte fuite. Juda conserva son orgueil jusqu'à la mort ; car il voulut qu'on portât son corps avec pompe, & qu'on pleurât dans toutes les grandes villes où l'enterrement passeroit, défendant de le faire dans les petites. Toutes les villes coururent à cet enterrement ; le jour fut prolongé, & la nuit retardée jusqu'à ce que chacun fût de retour dans sa maison, & eût le tems d'allumer une chandelle pour le sabbat. La fille de la voix se fit entendre, & prononça que tous ceux qui avoient suivi la pompe funebre seroient sauvés, à l'exception d'un seul qui tomba dans le desespoir, & se précipita.

Origine du Thalmud & de la Gémare. Quoique le recueil des traditions, composé par Juda le Saint, sous le titre de Misnah, parût un ouvrage parfait, on ne laissoit pas d'y remarquer encore deux défauts considérables : l'un, que ce recueil étoit confus, parce que l'auteur y avoit rapporté le sentiment de différens docteurs, sans les nommer, & sans décider lequel de ces sentimens méritoit d'être préféré ; l'autre défaut rendoit ce corps de Droit canon presque inutile, parce qu'il étoit trop court, & ne résolvoit qu'une petite partie des cas douteux, & des questions qui commençoient à s'agiter chez les Juifs.

Afin de remédier à ces défauts, Jochanan aidé de Rab & de Samuel, deux disciples de Juda le Saint, firent un commentaire sur l'ouvrage de leur maitre, & c'est ce qu'on appelle le thalmud (thalmud signifie doctrine) de Jérusalem. Soit qu'il eût été composé en Judée pour les Juifs qui étoient restés en ce pays-là ; soit qu'il fût écrit dans la langue qu'on y parloit, les Juifs ne s'accordent pas sur le tems auquel cette partie de la gémare, qui signifie perfection, fut composée. Les uns croient que ce fut deux cent ans après la ruine de Jérusalem. Enfin, il y a quelques docteurs qui ne comptent que cent cinquante ans, & qui soutiennent que Rab & Samuel, quittant la Judée, allerent à Babylone l'an 219 de l'ére chrétienne. Cependant ce sont-là les chefs du second ordre des théologiens qui sont appellés Gémaristes, parce qu'ils ont composé la gémare. Leur ouvrage ne peut être placé qu'après le regne de Dioclétien, puisqu'il y est parlé de ce prince. Le P. Morin soutient même qu'il y a des termes barbares, comme celui de borgheni, pour marquer un bourg, dont nous sommes redevables aux Vandales ou aux Goths ; d'où il conclut que cet ouvrage ne peut avoir paru que dans le cinquieme siecle.

Il y avoit encore un défaut dans la gémare ou le thalmud de Jérusalem ; car on n'y rapportoit que les sentimens d'un petit nombre de docteurs. D'ailleurs il étoit écrit dans une langue très-barbare, qui étoit celle qu'on parloit en Judée, & qui s'étoit corrompue par le mélange des nations étrangeres. C'est pourquoi les Amoréens, c'est-à-dire les commentateurs, commencerent une nouvelle explication des traditions. R. Ase se chargea de ce travail. Il tenoit son école à Sora, proche de Babylone ; & ce fut-là qu'il produisit son commentaire sur la misnah de Juda. Il ne l'acheva pas ; mais ses enfans & ses disciples y mirent la derniere main. C'est-là ce qu'on appelle la gémare ou le thalmud de Babylone, qu'on préfére à celui de Jérusalem. C'est un grand & vaste corps qui renferme les traditions, le droit canon des Juifs, & toutes les questions qui regardent la loi. La misnah est le texte ; la gémare en est le commentaire, & ces deux parties font le thalmud de Babylone.

La foule des docteurs juifs & chrétiens convient que le thalmud fut achevé l'an 500 ou 505 de l'ére chrétienne : mais le P. Morin, s'écartant de la route ordinaire, soutient qu'on auroit tort de croire tout ce que les Juifs disent sur l'antiquité de leurs livres, dont ils ne connoissent pas eux-mêmes l'origine. Il assure que la misnah ne put être composée que l'an 500, & le thalmud de Babylone l'an 700 ou environ. Nous ne prenons aucun intérêt à l'antiquité de ces livres remplis de traditions. Il faut même avouer qu'on ne peut fixer qu'avec beaucoup de peine & d'incertitude le tems auquel le thalmud peut avoir été formé, parce que c'est une compilation composée de décisions d'un grand nombre de docteurs qui ont étudié les cas de conscience, & à laquelle on a pu ajouter de tems en tems de nouvelles décisions. On ne peut se confier sur cette matiere, ni au témoignage des auteurs juifs, ni au silence des chrétiens : les premiers ont intérêt à vanter l'antiquité de leurs livres, & ils ne sont pas exacts en matiere de Chronologie : les seconds ont examiné rarement ce qui se passoit chez les Juifs, parce qu'ils ne faisoient qu'une petite figure dans l'Empire. D'ailleurs leur conversion étoit rare & difficile ; & pour y travailler, il falloit apprendre une langue qui leur paroissoit barbare. On ne peut voir sans étonnement que dans ce grand nombre de prêtres & d'évêques qui ont composé le clergé pendant la durée de tant de siecles, il y en ait eu si peu qui ayent sû l'hébreu, & qui ayent pû lire ou l'ancien Testament, ou les commentaires des Juifs dans l'original. On passoit le tems à chicaner sur des faits ou des questions subtiles, pendant qu'on négligeoit une étude utile ou nécessaire. Les témoins manquent de toutes parts ; & comment s'assûrer de la tradition, lorsqu'on est privé de ce secours ?

Jugemens sur le Thalmud. On a porté quatre jugemens différens sur le thalmud ; c'est-à-dire, sur ce corps de droit canon & de tradition. Les Juifs l'égalent à la loi de Dieu. Quelques Chrétiens l'estiment avec excès. Les troisiemes le condamnent au feu, & les derniers gardent un juste milieu entre tous ces sentimens. Il faut en donner une idée générale.

Les Juifs sont convaincus que les Thalmudistes n'ont jamais été inspirés, & ils n'attribuent l'inspiration qu'aux Prophetes. Cependant ils ne laissent pas de préférer le thalmud à l'Ecriture sainte ; car ils comparent l'Ecriture à l'eau, & la tradition à du vin excellent : la loi est le sel ; la misnah du poivre, & les thalmuds sont des aromates précieux. Ils soutiennent hardiment que celui qui péche contre Moïse peut être absous ; mais qu'on mérite la mort, lorsqu'on contredit les docteurs ; & qu'on commet un péché plus criant, en violant les préceptes des sages que ceux de la loi. C'est pourquoi ils infligent une peine sale & puante à ceux qui ne les observent pas : damnantur in stercore bullienti. Ils décident les questions & les cas de conscience par le thalmud comme par une loi souveraine.

Comme il pourroit paroître étrange qu'on puise préférer les traditions à une loi que Dieu a dictée, & qui a été écrite par ses ordres, il ne sera pas inutile de prouver ce que nous venons d'avancer par l'autorité des rabbins.

R. Isaac nous assure qu'il ne faut pas s'imaginer que la loi écrite soit le fondement de la religion ; au contraire, c'est la loi orale. C'est à cause de cette derniere loi que Dieu a traité alliance avec le peuple d'Israel. En effet, il savoit que son peuple seroit transporté chez les nations étrangeres, & que les Payens transcriroient ses livres sacrés. C'est pourquoi il n'a pas voulu que la loi orale fût écrite, de peur qu'elle ne fût connue des idolatres ; & c'est ici un des préceptes généraux des rabbins : Apprens, mon fils, à avoir plus d'attention aux paroles des Scribes qu'aux paroles de la loi.

Les rabbins nous fournissent une autre preuve de l'attachement qu'ils ont pour les traditions, & de leur vénération pour les sages, en soutenant dans leur corps de Droit, que ceux qui s'attachent à la lecture de la Bible ont quelque degré de vertu ; mais il est médiocre, & il ne peut être mis en ligne de compte. Etudier la seconde loi ou la tradition, c'est une vertu qui mérite sa récompense, parce qu'il n'y a rien de plus parfait que l'étude de la gémare. C'est pourquoi Eléazar, étant au lit de la mort, répondit à ses écoliers, qui lui demandoient le chemin de la vie & du siecle à venir : Détournez vos enfans de l'étude de la Bible, & les mettez aux piés des sages. Cette maxime est confirmée dans un livre qu'on appelle l'autel d'or ; car on y assure qu'il n'y a point d'étude au-dessus de celle du très-saint thalmud, & le R. Jacob donne ce précepte dans le thalmud de Jérusalem : Apprens, mon fils, que les paroles des Scribes sont plus aimables que celles de Prophetes.

Enfin, tout cela est prouvé par une historiette du roi Pirgandicus. Ce prince n'est pas connu, mais cela n'est point nécessaire pour découvrir le sentiment des rabbins. C'étoit un infidele, qui pria onze docteurs fameux à souper. Il les reçut magnifiquement, & leur proposa de manger de la chair de pourceau, d'avoir commerce avec des femmes payennes, ou de boire du vin consacré aux idoles. Il falloit opter entre ces trois partis. On délibéra & on résolut de prendre le dernier, parce que les deux premiers articles avoient été défendus par la loi, & que c'étoient uniquement les rabbins qui défendoient de boire le vin consacré aux faux dieux. Le roi se conforma au choix des docteurs. On leur donna du vin impur, dont ils burent largement. On fit ensuite tourner la table, qui étoit sur un pivot. Les docteurs échauffés par le vin, ne prirent point garde à ce qu'ils mangeoient ; c'étoit de la chair de pourceaux. En sortant de table, on les mit au lit, où ils trouverent des femmes. La concupiscence échauffée par le vin, joua son jeu. Le remords ne se fit sentir que le lendemain matin, qu'on apprit aux docteurs qu'ils avoient violé la loi par degrés. Ils en furent punis : car ils moururent tous la même année de mort subite ; & ce malheur leur arriva, parce qu'ils avoient méprisé les préceptes des sages, & qu'ils avoient cru pouvoir le faire plus impunément que ceux de la loi écrite : & en effet on lit dans la misnah, que ceux qui péchent contre les paroles des sages sont plus coupables que ceux qui violent les paroles de la loi.

Les Juifs demeurent d'accord que cette loi ne suffit pas ; c'est pourquoi on y ajoute souvent de nouveaux commentaires dans lesquels on entre dans un détail plus précis, & on fait souvent de nouvelles décisions. Il est même impossible qu'on fasse autrement, parce que les définitions thalmudiques, qui sont courtes, ne pourvoient pas à tout, & sont très-souvent obscures ; mais lorsque le thalmud est clair, on le suit exactement.

Cependant on y trouve une infinité de choses qui pourroient diminuer la profonde vénération qu'on a depuis tant de siecles pour cet ouvrage, si on le lisoit avec attention & sans préjugé. Le malheur des Juifs est d'aborder ce livre avec une obéissance aveugle pour tout ce qu'il contient. On forme son goût sur cet ouvrage, & on s'accoutume à ne trouver rien de beau que ce qui est conforme au thalmud ; mais si on l'examinoit comme une compilation de différens auteurs qui ont pu se tromper, qui ont eu quelquefois un très-mauvais goût dans le choix des matieres qu'ils ont traitées, & qui ont pu être ignorans, on y remarqueroit cent choses qui avilissent la religion, au lieu d'en relever l'éclat.

On y conte que Dieu, afin de tuer le tems avant la création de l'univers, où il étoit seul, s'occupoit à bâtir divers mondes qu'il détruisoit aussi-tôt, jusqu'à ce que, par différens essais, il eut appris à en faire un aussi parfait que le nôtre. Ils rapportent la finesse d'un rabbin, qui trompa Dieu & le diable ; car il pria le démon de le porter jusqu'à la porte des cieux, afin qu'après avoir vû de-là le bonheur des saints, il mourût plus tranquillement. Le diable fit ce que le rabbin demandoit, lequel voyant la porte du ciel ouverte, se jetta dedans avec violence, en jurant son grand Dieu qu'il n'en sortiroit jamais ; & Dieu, qui ne vouloit pas laisser commettre un parjure, fut obligé de le laisser-là, pendant que le démon trompé s'en alloit fort honteux. Non seulement on y fait Adam hermaphrodite ; mais on soutient qu'ayant voulu assouvir sa passion avec tous les animaux de la terre, il ne trouva qu'Eve qui pût le contenter. Ils introduisent deux femmes qui vont disputer dans les synagogues sur l'usage qu'un mari peut faire d'elles ; & les rabbins décident nettement qu'un mari peut faire sans crime tout ce qu'il veut, parce qu'un homme qui achete un poisson, peut manger le devant ou le derriere, selon son bon plaisir. On y trouve des contradictions sensibles, & au lieu de se donner la peine de les lever, ils font intervenir une voix miraculeuse du ciel, qui crie que l'une & l'autre, quoique directement opposées, vient du ciel. La maniere dont ils veulent qu'on traite les Chrétiens est dure : car ils permettent qu'on vole leur bien, qu'on les regarde comme des bêtes brutes, qu'on les pousse dans le précipice si on les voit sur le bord, qu'on les tue impunément, & qu'on fasse tous les matins de terribles imprécations contre eux. Quoique la haine & le desir de la vengeance aient dicté ces leçons, il ne laisse pas d'être étonnant qu'on seme dans un sommaire de la religion, des lois & des préceptes si évidemment opposés à la charité.

Les docteurs qui ont travaillé à ces recueils de traditions, profitant de l'ignorance de leur nation, ont écrit tout ce qui leur venoit dans l'esprit, sans se mettre en peine d'accorder leurs conjectures avec l'histoire étrangere qu'ils ignoroient parfaitement.

L'historiette de César se plaignant à Gamaliel de ce que Dieu est un voleur, est badine. Mais devoit-elle avoir sa place dans ce recueil ? César demande à Gamaliel pourquoi Dieu a dérobé une côte à Adam. La fille répond, au lieu de son pere, que les voleurs étoient venus la nuit passée chez elle, & qu'ils avoient laissé un vase d'or dans sa maison, au lieu de celui de terre qu'ils avoient emporté, & qu'elle ne s'en plaignoit pas. L'application du conte étoit aisée. Dieu avoit donné une servante à Adam, au lieu d'une côte : le changement est bon : César l'approuva ; mais il ne laissa pas de censurer Dieu de l'avoir fait en secret & pendant qu'Adam dormoit. La fille toujours habile, se fit apporter un morceau de viande cuite sous la cendre, & ensuite elle le présente à l'Empereur, lequel refuse d'en manger : cela me fait mal au coeur, dit César ; hé bien, répliqua la jeune fille, Eve auroit fait mal au coeur au premier homme, si Dieu la lui avoit donnée grossierement & sans art, après l'avoir formée sous ses yeux. Que de bagatelles !

Cependant il y a des Chrétiens qui, à l'imitation des Juifs, regardent le Thalmud comme une mine abondante, d'où l'on peut tirer des trésors infinis. Ils s'imaginent qu'il n'y a que le travail qui dégoute les hommes de chercher ces trésors, & de s'en enrichir : ils se plaignent (Sixtus Senensis. Galatin. Morin.) amerement du mépris qu'on a pour les rabbins. Ils se tournent de tous les côtés, non-seulement pour les justifier, mais pour faire valoir ce qu'ils ont dit. On admire leurs sentences ; on trouve dans leurs rites mille choses qui ont du rapport avec la religion chrétienne, & qui en développent les mysteres. Il semble que J. C. & ses apôtres n'ayent pu avoir de l'esprit qu'en copiant les Rabbins qui sont venus après eux. Du moins c'est à l'imitation des Juifs que ce divin redempteur a fait un si grand usage du style métaphorique : c'est d'eux aussi qu'il a emprunté les paraboles du Lazare, des vierges folles, & celle des ouvriers envoyés à la vigne, car on les trouve encore aujourd'hui dans le Thalmud.

On peut raisonner ainsi par deux motifs différens, L'amour-propre fait souvent parler les docteurs. On aime à se faire valoir par quelqu'endroit ; & lorsqu'on s'est jetté dans une étude, sans peser l'usage qu'on en peut faire, on en releve l'utilité par intérêt ; on estime beaucoup un peu d'or chargé de beaucoup de crasse, parce qu'on a employé beaucoup de tems à le déterrer. On crie à la négligence ; & on accuse de paresse ceux qui ne veulent pas se donner la même peine, & suivre la route qu'on a prise. D'ailleurs on peut s'entêter des livres qu'on lit : combien de gens ont été fous de la théologie scolastique, qui n'apprenoit que des mots barbares, au lieu des vérités solides qu'on doit chercher. On s'imagine que ce qu'on étudie avec tant de travail & de peine, ne peut être mauvais ; ainsi, soit par intérêt ou par préjugé, on loue avec excès ce qui n'est pas fort digne de louange.

N'est-il pas ridicule de vouloir que J. C. ait emprunté ses paraboles & ses leçons des Thalmudistes, qui n'ont vécu que trois ou quatre cent ans après lui ? Pourquoi veut-on que les Thalmudistes n'ayent pas été ses copistes ? La plûpart des paraboles qu'on trouve dans le Thalmud, sont différentes de celles de l'évangile, & on y a presque toujours un autre but. Celle des ouvriers qui vont tard à la vigne, n'est-elle pas revêtue de circonstances ridicules, & appliquée au R. Bon qui avoit plus travaillé sur la loi en vingt-huit ans, qu'un autre n'avoit fait en cent ? On a recueilli quantité d'expressions & de pensées des Grecs, qui ont rapport avec celles de l'évangile. Dira-t-on pour cela que J. C. ait copié les écrits des Grecs ? On dit que ces paraboles étoient dejà inventées, & avoient cours chez les Juifs avant que J. C. enseignât : mais d'où le sait-on ? Il faut deviner, afin d'avoir le plaisir de faire des Pharisiens autant de docteurs originaux, & de J. C. un copiste qui empruntoit ce que les autres avoient de plus fin & de plus délicat. J. C. suivoit ses idées, & débitoit ses propres pensées ; mais il faut avouer qu'il y en a de communes à toutes les nations, & que plusieurs hommes disent la même chose, sans s'être jamais connus, ni avoir lu les ouvrages des autres. Tout ce qu'on peut dire de plus avantageux pour les Thalmudistes, c'est d'avoir fait des comparaisons semblables à celles de J. C. mais l'application que le fils de Dieu en faisoit, & les leçons qu'il en a tirées, sont toûjours belles & sanctifiantes, au lieu que l'application des autres est presque toujours puérile & badine.

L'étude de la Philosophie cabalistique fut en usage chez les Juifs, peu de tems après la ruine de Jérusalem. Parmi les docteurs qui s'appliquerent à cette prétendue science, R. Atriba, & R. Simeon Ben Jochaï furent ceux qui se distinguerent le plus. Le premier est auteur du livre Jezivah, ou de la création ; le second, du Sohar, ou du livre de la splendeur. Nous allons donner l'abregé de la vie de ces deux hommes si célebres dans leur nation.

Atriba fleurit peu après que Tite eut ruiné la ville de Jérusalem. Il n'étoit juif que du côté de sa mere, & l'on prétend que son pere descendoit de Lisera, général d'armée de Jabin, roi de Tyr. Atriba vécut à la campagne jusqu'à l'âge de quarante ans, & n'y eut pas un emploi fort honorable, puisqu'il y gardoit les troupeaux de Calba Schuva, riche bourgeois de Jérusalem. Enfin il entreprit d'étudier, à l'instigation de la fille de son maître, laquelle lui promit de l'épouser, s'il faisoit de grands progrès dans les sciences. Il s'appliqua si fortement à l'étude pendant les vingt-quatre ans qu'il passa aux académies, qu'après cela il se vit environné d'une foule de disciples, comme un des plus grands maîtres qui eussent été en Israël. Il avoit, dit-on, jusqu'à vingtquatre mille écoliers. Il se déclara pour l'imposteur Barcho-chebas, & soutint que c'étoit de lui qu'il falloit entendre ces paroles de Balaam, une étoile sortira de Jacob, & qu'on avoit en sa personne le véritable messie. Les troupes que l'empereur Hadrien envoya contre les Juifs, qui sous la conduite de ce faux messie, avoient commis des massacres épouvantables, exterminerent cette faction. Atriba fut pris & puni du dernier supplice avec beaucoup de cruauté. On lui déchira la chair avec des peignes de fer, mais de telle sorte qu'on faisoit durer la peine, & qu'on ne le fit mourir qu'à petit feu. Il vécut six vingt ans, & fut enterré avec sa femme dans une caverne, sur une montagne qui n'est pas loin de Tibériade. Ses 24 mille disciples furent enterrés audessous de lui sur la même montagne. Je rapporte ces choses, sans prétendre qu'on les croye toutes. On l'accuse d'avoir altéré le texte de la bible, afin de pouvoir répondre à une objection des Chrétiens. En effet jamais ces derniers ne disputerent contre les Juifs plus fortement que dans ce tems-là, & jamais aussi ils ne les combattirent plus efficacement. Car ils ne faisoient que leur montrer d'un côté les évangiles, & de l'autre les ruines de Jérusalem, qui étoient devant leurs yeux, pour les convaincre que J. C. qui avoit si clairement prédit sa désolation, étoit le prophete que Moïse avoit promis. Ils les pressoient vivement par leurs propres traditions, qui portoient que le Christ se manifesteroit après le cours d'environ six mille ans, en leur montrant que ce nombre d'années étoit accompli.

Les Juifs donnent de grands éloges à Atriba ; ils l'appelloient Sethumtaah, c'est-à-dire, l'autentique. Il faudroit un volume tout entier, dit l'un deux (Zautus) si l'on vouloit parler dignement de lui. Son nom, dit un autre (Kionig) a parcouru tout l'univers, & nous avons reçu de sa bouche toute la loi orale.

Nous avons déjà dit que Simeon Jochaïdes est l'auteur du fameux livre de Zohar, auquel on a fait depuis un grand nombre d'additions. Il est important de savoir ce qu'on dit de cet auteur & de son livre, puisque c'est-là où sont renfermés les mysteres de la cabale, & qu'on lui donne la gloire de les avoir transmis à la postérité.

On croit que Siméon vivoit quelques années avant la ruine de Jérusalem. Tite le condamna à la mort, mais son fils & lui se déroberent à la persécution, en se cachant dans une caverne, où ils eurent le loisir de composer le livre dont nous parlons. Cependant comme il ignoroit encore diverses choses, le prophete Elie descendoit de tems en tems du ciel dans la caverne pour l'instruire, & Dieu l'aidoit miraculeusement, en ordonnant aux mots de se ranger les uns auprès des autres, dans l'ordre qu'ils devoient avoir pour former de grands mysteres.

Ces apparitions d'Elie & le secours miraculeux de Dieu embarrassent quelques auteurs chrétiens ; ils estiment trop la cabale, pour avouer que celui qui en a révélé les mysteres, soit un imposteur qui se vante mal-à-propos d'une inspiration divine. Soutenir que le démon qui animoit au commencement de l'église chrétienne Apollonius de Thyane, afin d'ébranler la foi des miracles apostoliques, répandit aussi chez les Juifs le bruit de ces apparitions fréquentes d'Elie, afin d'empêcher qu'on ne crût celle qui s'étoit faite pour J. C. lorsqu'il fut transfiguré sur le Thabor ; c'est se faire illusion, car Dieu n'exauce point la priere des démons lorsqu'ils travaillent à perdre l'Eglise, & ne fait point dépendre d'eux l'apparition des prophetes. On pourroit tourner ces apparitions en allégories ; mais on aime mieux dire que Siméon Jochaïdes dictoit ces mysteres avec le secours du ciel : c'est le témoignage que lui rend un chrétien (Knorrius) qui a publié son ouvrage.

La premiere partie de cet ouvrage a pour titre Zeniutha, ou mystere, parce qu'en effet on y révéle une infinité de choses. On prétend les tirer de l'Ecriture-sainte, & en effet on ne propose presque rien sans citer quelqu'endroit des écrivains sacrés, que l'auteur explique à sa maniere. Il seroit difficile d'en donner un extrait suivi ; mais on y découvre particulierement le microprosopon, c'est-à-dire le petit visage ; le macroprosopon, c'est-à-dire le long visage ; sa femme, les neuf & les treize conformations de sa barbe.

On entre dans un plus grand détail dans le livre suivant, qu'on appelle le grand sinode. Siméon avoit beaucoup de peine à révéler ces mysteres à ses disciples ; mais comme ils lui représenterent que le secret de l'éternel est pour ceux qui le craignent, & qu'ils l'assurerent tous qu'ils craignoient Dieu, il entra plus hardiment dans l'explication des grandes vérités. Il explique la rosée du cerveau du vieillard ou du grand visage. Il examine ensuite son crâne, ses cheveux, car il porte sur sa tête mille millions de milliers, & sept mille cinq cent boucles de cheveux blancs comme la laine. A chaque boucle il y a quatre cent dix cheveux, selon le nombre du mot Kadosch. Des cheveux on passe au front, aux yeux, au nez, & toutes ces parties du grand visage renferment des choses admirables ; mais sur-tout sa barbe est une barbe qui mérite des éloges infinis : " cette barbe est au-dessus de toute louange ; jamais ni prophete ni saint n'approcha d'elle ; elle est blanche comme la neige ; elle descend jusqu'au nombril ; c'est l'ornement des ornemens, & la vérité des vérités ; malheur à celui qui la touche : il y a treize parties dans cette barbe, qui renferment toutes de grands mysteres ; mais il n'y a que les initiés qui les comprennent ".

Enfin le petit synode est le dernier adieu que Siméon fit à ses disciples. Il fut chagrin de voir sa maison remplie de monde, parce que le miracle d'un feu surnaturel qui en écartoit la foule des disciples pendant la tenue du grand synode, avoit cessé ; mais quelques-uns s'étant retirés, il ordonna à R. Abba d'écrire ses dernieres paroles : il expliqua encore une fois le vieillard : " sa tête est cachée dans un lieu supérieur, où on ne la voit pas ; mais elle répand son front qui est beau, agréable ; c'est le bon plaisir des plaisirs ". On parle avec la même obscurité de toutes les parties du petit visage, sans oublier celle qui adoucit la femme.

Si on demande à quoi tendent tous les mysteres, il faut avouer qu'il est très-difficile de les découvrir, parce que toutes les expressions allégoriques étant susceptibles de plusieurs sens, & faisant naître des idées très différentes, on ne peut se fixer qu'après beaucoup de peine & de travail ; & qui veut prendre cette peine, s'il n'espere en tirer de grands usages ?

Remarquons plûtôt que cette méthode de peindre les opérations de la divinité sous des figures humaines, étoit fort en usage chez les Egyptiens ; car ils peignoient un homme avec un visage de feu, & des cornes, une crosse à la main droite, sept cercles à la gauche, & des aîles attachées à ses épaules. Ils représentoient par là Jupiter ou le Soleil, & les effets qu'il produit dans le monde. Le feu du visage signifioit la chaleur qui vivifie toutes choses ; les cornes, les rayons de lumiere. Sa barbe étoit mystérieuse, aussi bien que celle du long visage des cabalistes ; car elle indiquoit les élémens. Sa crosse étoit le symbole du pouvoir qu'il avoit sur tous les corps sublunaires. Ses cuisses étoit la terre chargée d'arbres & de moissons ; les eaux sortoient de son nombril ; ses genoux indiquoient les montagnes, & les parties raboteuses de la terre ; les aîles, les vents & la promtitude avec laquelle ils marchent : enfin les cercles étoient le symbole des planetes.

Siméon finit sa vie en débitant toutes ces visions. Lorsqu'il parloit à ses disciples, une lumiere éclatante se répandit dans toute la maison, tellement qu'on n'osoit jetter les yeux sur lui. Un feu étoit au-dehors, qui empêchoit les voisins d'entrer ; mais le feu & la lumiere ayant disparu, on s'apperçut que la lampe d'Israël étoit éteinte. Les disciples de Zippori vinrent en foule pour honorer ses funérailles, & lui rendre les derniers devoirs ; mais on les renvoya, parce que Eleazar son fils & R. Abba qui avoit été le secrétaire du petit synode, vouloient agir seuls. En l'enterrant on entendit une voix qui crioit : Venez aux nôces de Siméon ; il entrera en paix & reposera dans sa chambre. Une flamme marchoit devant le cercueil, & sembloit l'embraser ; & lorsqu'on le mit dans le tombeau, on entendit crier : C'est ici celui qui a fait trembler la terre, & qui a ébranlé les royaumes. C'est ainsi que les Juifs font de l'auteur du Zohar un homme miraculeux jusqu'après sa mort, parce qu'ils le regardent comme le premier de tous les cabalistes.

Des grands hommes qui ont fleuri chez les Juifs dans le douzieme siecle. Le douzieme siecle fut très-fécond en docteurs habiles. On ne se souciera peut-être pas d'en voir le catalogue, parce que ceux qui passent pour des oracles dans les synagogues, paroissent souvent de très-petits génies à ceux qui lisent leurs ouvrages sans préjugé. Les Chrétiens demandent trop aux rabbins, & les rabbins donnent trop peu aux Chrétiens. Ceux-ci ne lisent presque jamais les livres composés par un juif, sans un préjugé avantageux pour lui. Ils s'imaginent qu'ils doivent y trouver une connoissance exacte des anciennes cérémonies, des évenemens obscurs ; en un mot qu'on doit y lire la solution de toutes les difficultés de l'Ecriture. Pourquoi cela ? Parce qu'un homme est juif, s'ensuit-il qu'il connoisse mieux l'histoire de sa nation que les Chrétiens, puisqu'il n'a point d'autres secours que la bible & l'histoire de Joseph, que le juif ne lit presque jamais ? S'imagine-t-on qu'il y a dans cette nation certains livres que nous ne connoissons pas, & que ces Messieurs ont lûs ? C'est vouloir se tromper, car ils ne citent aucun monument qui soit plus ancien que le christianisme. Vouloir que la tradition se soit conservée plus fidelement chez eux, c'est se repaître d'une chimere ; car comment cette tradition auroit-elle pu passer de lieu en lieu, & de bouche en bouche pendant un si grand nombre de siecles & de dispersions fréquentes ? Il suffit de lire un rabbin pour connoître l'attachement violent qu'il a pour sa nation, & comment il déguise les faits, afin de les accommoder à ses préjugés. D'un autre côté les Rabbins nous donnent beaucoup moins qu'ils ne peuvent. Ils ont deux grands avantages sur nous ; car possédant la langue sainte dès leur naissance, ils pourroient fournir des lumieres pour l'explication des termes obscurs de l'Ecriture ; & comme ils sont obligés de pratiquer certaines cérémonies de la loi, ils pourroient par-là nous donner l'intelligence des anciennes. Ils le font quelquefois ; mais souvent au lieu de chercher le sens littéral des Ecritures, ils courent après des sens mystiques qui font perdre de vûe le but de l'écrivain, & l'intention du saint-Esprit. D'ailleurs ils descendent dans un détail excessif des cérémonies sous lesquelles ils ont enseveli l'esprit de la loi.

Si on veut faire un choix de ces docteurs, ceux du douzieme siecle doivent être préférés à tous les autres : car non-seulement ils étoient habiles, mais ils ont fourni de grands secours pour l'intelligence de l'ancien Testament. Nous ne parlerons ici que d'Aben-Ezra, & de Maïmonides, comme les plus fameux.

Aben-Ezra est appellé le sage par excellence ; il naquit l'an 1099, & il mourut en 1174, âgé de 75 ans. Il l'insinue lui-même, lorsque prévoyant sa mort, il disoit que comme Abraham sortit de Charan âgé de 75 ans, il sortiroit aussi dans le même tems de Charon ou du feu de la colere du siecle. Il voyagea, parce qu'il crut que cela étoit nécessaire pour faire de grands progrès dans les sciences. Il mourut à Rhodes, & sit porter de-là ses os dans la Terre-sainte.

Ce fut un des plus grands hommes de sa nation & de son siecle. Comme il étoit bon astronome, il fit de si heureuses découvertes dans cette science, que les plus habiles mathématiciens ne se sont pas fait un scrupule de les adopter. Il excella dans la medecine, mais ce fut principalement par ses explications de l'écriture, qu'il se fit connoître. Au lieu de suivre la méthode ordinaire de ceux qui l'avoient précédé, il s'attacha à la grammaire & au sens littéral des écrits sacrés, qu'il développe avec tant de pénétration & de jugement, que les Chrétiens même le préferent à la plûpart de leurs interpretes. Il a montré le chemin aux critiques qui soutiennent aujourd'hui que le peuple d'Israël ne passa point au travers de la mer Rouge, mais qu'il y fit un cercle pendant que l'eau étoit basse afin que Pharaon les suivit, & fût submergé ; mais ce n'est pas là une de ses meilleures conjectures. Il n'osa rejetter absolument la cabale, quoiqu'il en connût le foible, parce qu'il eut peur de se faire des affaires avec les auteurs de son tems qui y étoient fort attachés, & même avec le peuple qui regardoit le livre de Zohar rempli de ces sortes d'explications, comme un ouvrage excellent : il déclara seulement que cette méthode d'interpréter l'Ecriture n'étoit pas sûre, & que si on respectoit la cabale des anciens, on ne devoit pas ajouter de nouvelles explications à celles qu'ils avoient produites, ni abandonner l'écriture au caprice de l'esprit humain.

Maimonides (il s'appelloit Moïse, & étoit fils de Maïmon, mais il est plus connu par le nom de son pere : on l'appelle Maïmonides ; quelques uns le font naître l'an 1133). Il parut dans le même siecle. Scaliger soutenoit que c'étoit-là le premier des docteurs qui eût cessé de badiner chez les Juifs, comme Diodore chez les Grecs. En effet il avoit trouvé beaucoup de vuide dans l'étude de la gémare ; il regrettoit le tems qu'il y avoit perdu, & s'appliquant à des études plus solides, il avoit beaucoup médité sur l'Ecriture. Il savoit le grec ; il avoit lû les philosophes, & particulierement Aristote, qu'il cite souvent. Il causa de si violentes émotions dans les synagogues, que celles de France & d'Espagne s'excommunierent à cause de lui. Il étoit né à Cordoue l'an 1131. Il se vantoit d'être descendu de la maison de David, comme font la plûpart des Juifs d'Espagne. Maïmon son pere & juge de sa nation en Espagne, comptoit entre ses ancêtres une longue suite de personnes qui avoient possédé successivement cette charge. On dit qu'il fut averti en songe de rompre la résolution qu'il avoit prise de garder le célibat, & de se marier à une fille de boucher qui étoit sa voisine. Maïmon feignit peut-être un songe pour cacher une amourette qui lui faisoit honte, & fit intervenir le miracle pour colorer sa foiblesse. La mere mourut en mettant Moïse au monde, & Maïmon se remaria. Je ne sais si la seconde femme qui eut plusieurs enfans, haïssoit le petit Moïse, ou s'il avoit dans sa jeunesse un esprit morne & pesant, comme on le dit. Mais son pere lui reprochoit sa naissance, le battit plusieurs fois, & enfin le chassa de sa maison. On dit que ne trouvant point d'autre gîte que le couvert d'une synagogue, il y passa la nuit, & à son reveil il se trouva un homme d'esprit tout différent de ce qu'il étoit auparavant. Il se mit sous la discipline de Joseph le Lévite, fils de Mégas, sous lequel il fit en peu de tems de grands progrès. L'envie de revoir le lieu de sa naissance le prit ; mais en retournant à Cordoue, au lieu d'entrer dans la maison de son pere, il enseigna publiquement dans la synagogue avec un grand étonnement des assistans : son pere qui le reconnut alla l'embrasser, & le reçut chez lui. Quelques historiens s'inscrivent en faux contre cet évenement, parce que Joseph fils de Mégas, n'étoit âgé que de dix ans plus que Moïse. Cette raison est puérile ; car un maître de trente ans peut instruire un disciple qui n'en a que vingt. Mais il est plus vraisemblable que Maimon instruisit lui-même son fils, & ensuite l'envoya étudier sous Averroës, qui étoit alors dans une haute réputation, chez les Arabes. Ce disciple eut un attachement & une fidélité exemplaires pour son maître. Averroës étoit déchu de sa faveur par une nouvelle révolution arrivée chez les Maures en Espagne. Abdi Amoumen, capitaine d'une troupe de bandits, qui se disoit descendu en ligne droite d'Houssain fils d'Aly, avoit détroné les Marabouts en Afrique, & ensuite il étoit entré l'an 1144 en Espagne, & se rendit en peu de tems maître de ce royaume : il fit chercher Averroës qui avoit eu beaucoup de crédit à la cour des Marabouts, & qui lui étoit suspect. Ce docteur se refugia chez les Juifs, & confia le secret de sa retraite à Maïmonides, qui aima mieux souffrir tout, que de découvrir le lieu où son maître étoit caché. Abulpharage dit même que Maïmonides changea de religion, & qu'il se fit Musulman, jusqu'à ce que ayant donné ordre à ses affaires, il passa en Egypte pour vivre en liberté. Ses amis ont nié la chose, mais Averroës qui vouloit que son ame fût avec celle des Philosophes, parce que le Mahométisme étoit la religion des pourceaux, le Judaïsme celle des enfans, & le Christianisme impossible à observer, n'avoit pas inspiré un grand attachement à son disciple pour la loi. D'ailleurs un Espagnol qui alla persécuter ce docteur en Egypte jusqu'à la fin de sa vie, lui reprocha cette foiblesse avec tant de hauteur, que l'affaire fut portée devant le sultan, lequel jugea que tout ce qu'on fait involontairement & par violence en matiere de religion, doit être compté pour rien ; d'où il concluoit que Maïmonides n'avoit jamais été musulman. Cependant c'étoit le condamner & décider contre lui, en même tems qu'il sembloit l'absoudre ; car il déclaroit que l'abjuration étoit véritable, mais exempte de crime ; puisque la volonté n'y avoit pas eu de part. Enfin on a lieu de soupçonner Maïmonides d'avoir abandonné sa religion par sa morale relâchée sur cet article ; car nonseulement il permet aux Noachides de retomber dans l'idolatrie si la nécessité le demande, parce qu'ils n'ont reçu aucun ordre de sanctifier le nom de Dieu ; mais il soutient qu'on ne pêche point en sacrifiant avec les idolâtres, & en renonçant à la religion, pourvû qu'on ne le fasse point en présence de dix personnes ; car alors il faut mourir plûtôt que de renoncer à la loi ; mais Maïmonides croyoit que ce péché cesse lorsqu'on le commet en secret. (Maimon. fundam. leg. cap. v.) La maxime est singuliere, car ce n'est plus la religion qu'il faut aimer & défendre au péril de sa vie : c'est la présence de dix Israëlites qu'il faut craindre, & qui seule fait le crime. On a lieu de soupçonner que l'interêt avoit dicté à Maïmonides une maxime si bizarre, & qu'ayant abjuré le Judaïsme en secret, il croyoit calmer sa conscience, & se défendre à la faveur de cette distinction. Quoi qu'il en soit, Maïmonides demeura en Egypte le reste de ses jours, ce qui l'a fait appeller Moïse l'Egyptien. Il y fut longtems sans emploi, tellement qu'il fut réduit au métier de Jouailler. Cependant il ne laissoit pas d'étudier, & il acheva alors son commentaire sur la misnah, qu'il avoit commencé en Espagne dès l'âge de vingt-trois ans. Alphadel, fils de Saladin, étant revenu en Egypte, après en avoir été chassé par son frere, connut le mérite de Maïmonides, & le choisit pour son medecin : il lui donna pension. Maïmonides assure que cet emploi l'occupoit absolument, car il étoit obligé d'aller tous les jours à la cour, & d'y demeurer long-tems s'il y avoit quelque malade. En revenant chez lui il trouvoit quantité de personnes qui venoient le consulter. Cependant il ne laissa pas de travailler pour son bienfaiteur ; car il traduisit Avicenne, & on voit encore à Bologne, cet ouvrage qui fut fait par ordre d'Alphadel, l'an 1194.

Les Egyptiens furent jaloux de voir Maïmonides si puissant à la cour : pour l'en arracher, les médecins lui demanderent un essai de son art. Pour cet effet, ils lui présenterent un verre de poison, qu'il avala sans en craindre l'effet, parce qu'il avoit le contre-poison ; mais ayant oblige dix medecins à avaler son poison, ils moururent tous, parce qu'ils n'avoient pas d'antidote spécifique. On dit aussi que d'autres medecins mirent un verre de poison auprès du lit du sultan, pour lui persuader que Maïmonides en vouloit à sa vie, & qu'on l'obligea de se couper les veines. Mais il avoit appris qu'il y avoit dans le corps humain une veine que les Medecins ne connoissoient pas, & qui n'étant pas encore coupée, l'effusion entiere du sang ne pouvoit se faire ; il se sauva par cette veine inconnue. Cette circonstance ne s'accorde point avec l'histoire de sa vie.

En effet, non-seulement il protégea sa nation à la cour des nouveaux sultans qui s'établissoient sur la ruine des Aliades, mais il fonda une académie à Alexandrie, où un grand nombre de disciples vinrent du fonds de l'Egypte, de la Syrie, & de la Judée, pour étudier sous lui. Il en auroit eu beaucoup davantage, si une nouvelle persécution arrivée en orient, n'avoit empêché les étrangers de s'y rendre. Elle fut si violente, qu'une partie des Juifs fut obligée de se faire mahométans pour se garantir de la misere : & Maïmonides qui ne pouvoit leur inspirer de la fermeté, se trouva réduit comme un grand nombre d'autres, à faire le faux prophete, & à promettre à ses religionnaires une délivrance qui n'arriva pas. Il mourut au commencement du xiij. siecle, & ordonna qu'on l'enterrât à Tibérias, où ses ancêtres avoient leur sépulture.

Ce docteur composa un grand nombre d'ouvrages ; il commenta la misnah ; il fit une main forte, & le docteur des questions douteuses. On prétend qu'il écrivit en Medecine, aussi-bien qu'en Théologie & en grec comme en arabe ; mais que ces livres sont très-rares ou perdus. On l'accuse d'avoir méprisé la cabale jusqu'à sa vieillesse ; mais on dit que trouvant alors à Jérusalem un homme très-habile dans cette science, il s'étoit appliqué fortement à cette étude. Rabbi Chaiim assure avoir vû une lettre de Maïmonides, qui témoignoit son chagrin de n'avoir pas percé plutôt dans les mysteres de la Loi : mais on croit que les Cabalistes ont supposé cette lettre, afin de n'avoir pas été méprisés par un homme qu'on appelle la lumiere de l'orient & de l'occident.

Ses ouvrages furent reçus avec beaucoup d'applaudissement ; cependant il faut avouer qu'il avoit souvent des idées fort abstraites, & qu'ayant étudié la Métaphysique, il en faisoit un trop grand usage. Il soutenoit que toutes les facultés étoient des anges ; il s'imaginoit qu'il expliquoit par-là beaucoup plus nettement les opérations de la Divinité, & les expressions de l'Ecriture. N'est-il pas étrange, disoit-il, qu'on admette ce que disent quelques docteurs, qu'un ange entre dans le sein de la femme pour y former un embryon ; quoique ces mêmes docteurs assurent qu'un ange est un feu consumant, au lieu de reconnoître plutôt que la faculté générante est un ange ? C'est pour cette raison que Dieu parle souvent dans l'Ecriture, & qu'il dit, faisons l'homme à notre image, parce que quelques rabbins avoient conclu de ce passage, que Dieu avoit un corps, quoiqu'infiniment plus parfait que les nôtres ; il soutint que l'image signifie la forme essentielle qui constitue une chose dans son être. Tout cela est fort subtil, ne leve point la difficulté, & ne découvre point le véritable sens des paroles de Dieu. Il croyoit que les astres sont animés, & que les spheres célestes vivent. Il disoit que Dieu ne s'étoit repenti que d'une chose, d'avoir confondu les bons avec les méchans dans la ruine du premier temple. Il étoit persuadé que les promesses de la Loi, qui subsistera toûjours, ne regardent qu'une félicité temporelle, & qu'elles seront accomplies sous le regne du Messie. Il soutient que le royaume de Juda fut rendu à la postérité de Jéchonias, dans la personne de Salatiel, quoique S. Luc assure positivement que Salatiel n'étoit pas fils de Jéchonias, mais de Néri.

De la Philosophie exotérique des Juifs. Les Juifs avoient deux especes de philosophie : l'une exotérique, dont les dogmes étoient enseignés publiquement, soit dans les livres, soit dans les écoles, l'autre esotérique, dont les principes n'étoient révélés qu'à un petit nombre de personnes choisies, & étoient soigneusement cachés à la multitude. Cette derniere science s'appelle cabale. Voyez l'article CABALE.

Avant de parler des principaux dogmes de la philosophie exotérique, il ne sera pas inutile d'avertir le lecteur, qu'on ne doit pas s'attendre à trouver chez les Juifs de la justesse dans les idées, de l'exactitude dans le raisonnement, de la précision dans le style ; en un mot, tout ce qui doit caractériser une saine philosophie. On n'y trouve au contraire qu'un mélange confus des principes de la raison & de la révélation, une obscurité affectée, & souvent impénétrable, des principes qui conduisent au fanatisme, un respect aveugle pour l'autorité des Docteurs, & pour l'antiquité ; en un mot, tous les défauts qui annoncent une nation ignorante & superstitieuse : voici les principaux dogmes de cette espece de philosophie.

Idée que les Juifs ont de la Divinité. I. L'unité d'un Dieu fait un des dogmes fondamentaux de la synagogue moderne, aussi-bien que des anciens Juifs : ils s'éloignent également du païen, qui croit la pluralité des dieux, & des Chrétiens qui admettent trois personnes divines dans une seule essence.

Les rabbins avouent que Dieu seroit fini s'il avoit un corps : ainsi, quoiqu'ils parlent souvent de Dieu, comme d'un homme, ils ne laissent pas de le regarder comme un être purement spirituel. Ils donnent à cette essence infinie toutes les perfections qu'on peut imaginer, & en écartent tous les défauts qui sont attachés à la nature humaine, ou à la créature ; sur-tout ils lui donnent une puissance absolue & sans bornes, par laquelle il gouverne l'univers.

II. Le juif qui convertit le roi de Cozar, expliquoit à ce prince les attributs de la Divinité d'une maniere orthodoxe. Il dit que, quoiqu'on appelle Dieu miséricordieux, cependant il ne sent jamais le frémissement de la nature, ni l'émotion du coeur, puisque c'est une foiblesse dans l'homme : mais on entend par-là que l'Etre souverain fait du bien à quelqu'un. On le compare à un juge qui condamne & qui absout ceux qu'on lui présente, sans que son esprit ni son coeur soient altérés par les différentes sentences qu'il prononce ; quoique de-là dépendent la vie ou la mort des coupables. Il assure qu'on doit appeller Dieu lumiere : (Corri. part. II.) mais il ne faut pas s'imaginer que ce soit une lumiere réelle, ou semblable à celle qui nous éclaire ; car on feroit Dieu corporel, s'il étoit véritablement lumiere : mais on lui donne ce nom, parce qu'on craint qu'on ne le conçoive comme ténébreux. Comme cette idée seroit trop basse, il faut l'écarter, & concevoir Dieu sous celle d'une lumiere éclatante & inaccessible. Quoiqu'il n'y ait que les créatures qui soient susceptibles de vie & de mort, on ne laisse pas de dire que Dieu vit, & qu'il est la vie ; mais on entend par-là qu'il existe éternellement, & on ne veut pas le réduire à la condition des êtres mortels. Toutes ces explications sont pures, & conformes aux idées que l'Ecriture nous donne de Dieu.

III. Il est vrai qu'on trouve souvent dans les écrits des Docteurs certaines expressions fortes, & quelques actions attribuées à la Divinité, qui scandalisent ceux qui n'en pénetrent pas le sens ; & delà vient que ces gens-là chargent les rabbins de blasphêmes & d'impiétés, dont ils ne sont pas coupables. En effet, on peut ramener ces expressions à un bon sens, quoiqu'elles paroissent profanes aux uns, & risibles aux autres. Ils veulent dire que Dieu n'a châtié qu'avec douleur son peuple, lorsqu'ils l'introduisent pleurant pendant les trois veilles de la nuit, & criant, malheur à moi qui ai détruit ma maison, & dispersé mon peuple parmi les nations de la terre. Quelque forte que soit l'expression, on ne laisse pas d'en trouver de semblables dans les Prophetes. Il faut pourtant avouer qu'ils outrent les choses, en ajoutant qu'ils ont entendu souvent cette voix lamentable de la Divinité, lorsqu'ils passent sur les ruines du temple ; car la fausseté du fait est évidente. Ils badinent dans une chose sérieuse, quand ils ajoutent que deux des larmes de la Divinité, qui pleure la ruine de sa maison, tombent dans la mer, & y causent de violens mouvemens ; ou lorsqu' entêtés de leurs téphilims, ils en mettent autour de la tête de Dieu, pendant qu'ils prient que sa justice cede enfin à sa miséricorde. S'ils veulent vanter par-là la necessité des téphilims, il ne faut pas le faire aux dépens de la Divinité qu'on habille ridiculement aux yeux des peuples.

IV. Ils ont seulement dessein d'étaler les effets de la puissance infinie de Dieu, en disant que c'est un lion, dont le rugissement fait un bruit horrible ; & en contant que César ayant eu dessein de voir Dieu, R. Josué le pria de faire sentir les effets de sa présence. A cette priere, la Divinité se retira à quatre cent lieues de Rome ; il rugit & le bruit de ce rugissement fut si terrible que la muraille de la ville tomba, & toutes les femmes enceintes avorterent. Dieu s'approchant plus près de cent lieues, & rugissant de la même maniere, César effrayé du bruit, tomba de dessus son trône, & tous les Romains qui vivoient alors, perdirent leurs dents molaires.

V. Ils veulent marquer sa présence dans le paradis terrestre, lorsqu'ils le font promener dans ce lieu délicieux comme un homme. Ils insinuent que les ames apportent leur ignorance de la terre, & ont peine à s'instruire des merveilles du paradis, lorsqu'ils représentent ce même Dieu comme un maître d'école qui enseigne les nouveaux venus dans le ciel. Ils veulent relever l'excellence de la synagogue en disant qu'elle est la mere, la femme, & la fille de Dieu. Enfin ils disent (Maïmon. more Nevochim ; cap. xxvij.) deux choses importantes à leur justification ; l'une qu'ils sont obligés de parler de Dieu comme ayant un corps, afin de faire comprendre au vulgaire que c'est un être réel ; car, le peuple ne conçoit d'existence réelle que dans les objets matériels & sensibles : l'autre, qu'ils ne donnent à Dieu que des actions nobles, & qui marquent quelque perfection, comme de se mouvoir & d'agir : c'est pourquoi on ne dit jamais que Dieu mange & qu'il boit.

VI. Cependant, il faut avouer que ces théologiens ne parlent pas avec assez d'exactitude ni de sincérité. Pourquoi obliger les hommes à se donner la torture pour pénétrer leurs pensées ? Explique-t-on mieux la nature ineffable d'un Dieu, en ajoutant de nouvelles ombres à celles que sa grandeur répand déja sur nos esprits ? Il faut tâcher d'éclaircir ce qui est impénétrable, au lieu de former un nouveau voile qui le cache plus profondément. C'est le penchant de tous les peuples, & presque de tous les hommes, que de se former l'idée d'un Dieu corporel. Si les rabbins n'ont pas pensé comme le peuple, ils ont pris plaisir à parler comme lui, & par-là ils affoiblissent le respect qu'on doit à la Divinité. Il faut toûjours avoir des idées grandes & nobles de Dieu : il faut inspirer les mêmes idées au peuple, qui n'a que trop d'inclination à les avilir. Pourquoi donc répéter si souvent des choses qui tendent à faire regarder un Dieu comme un être matériel ? On ne peut même justifier parfaitement ces docteurs. Que veulent-ils dire, lorsqu'ils assurent que Dieu ne put révéler à Jacob la vente de son fils Joseph, parce que ses freres avoient obligé Dieu de jurer avec eux qu'on garderoit le secret sous peine d'excommunication ? Qu'entend-on, lorsqu'on assure que Dieu, affligé d'avoir créé l'homme, s'en consola, parce qu'il n'étoit pas d'une matiere céleste, puisqu'alors il auroit entraîné dans sa révolte tous les habitans du paradis ? Que veut-on dire, quand on rapporte que Dieu joue avec le léviathan, & qu'il a tué la femelle de ce monstre, parce qu'il n'étoit pas de la bienséance que Dieu jouât avec une femelle ? Les mysteres qu'on tirera de-là à force de machines, seront grossiers ; ils aviliront toûjours la Divinité ; & si ceux qui les étudient, se trouvent embarrassés à chercher le sens mystique, sans pouvoir le développer, que pensera le peuple à qui on débite ces imaginations ?

Sentiment des Juifs sur la Providence & sur la liberté. I. Les Juifs soutiennent que la providence gouverne toutes les créatures depuis la licorne, jusqu'aux oeufs de poux. Les Chrétiens ont accusé Maïmonides d'avoir renversé ce dogme capital de la Religion ; mais ce docteur attribue ce sentiment à Epicure, & à quelques hérétiques en Israël, & traite d'athées ceux qui nient que tout dépend de Dieu. Il croit que cette Providence spéciale, qui veille sur chaque action de l'homme, n'agit pas pour remuer une feuille, ni pour produire un vermisseau : car tout ce qui regarde les animaux & les créatures, se fait par accident, comme l'a dit Aristote.

II. Cependant, on explique différemment la chose : comme les Docteurs se sont souvent attachés à la lecture d'Aristote & des autres philosophes, ils ont examiné avec soin si Dieu savoit tous les évenemens, & cette question les a fort embarrassés. Quelques-uns ont dit que Dieu ne pouvoit connoître que lui-même, parce que la science se multipliant à proportion des objets qu'on connoit, il faudroit admettre en Dieu plusieurs degrés, ou même plusieurs sciences. D'ailleurs, Dieu ne peut savoir que ce qui est immuable ; cependant la plupart des événemens dépendent de la volonté de l'homme, qui est libre. Maïmonides, (Maïmon. more Nevochim. cap. xx.) avoue que comme nous ne pouvons connoître l'essence de Dieu, il est aussi impossible d'approfondir la nature de sa connoissance. " Il faut donc se contenter de dire, que Dieu sait tout & n'ignore rien ; que sa connoissance ne s'acquiert point par degrés, & qu'elle n'est chargée d'aucune imperfection. Enfin, si nous y trouvons quelquefois des contradictions & des difficultés, elles naissent de notre ignorance, & de la disproportion qui est entre Dieu & nous ". Ce raisonnement est judicieux & sage : d'ailleurs, il croyoit qu'on devoit tolérer les opinions différentes que les sages & les Philosophes avoient formées sur la science de Dieu & sur sa providence, puisqu'ils ne péchoient pas par ignorance, mais parce que la chose est incompréhensible.

III. Le sentiment commun des rabbins est que la volonté de l'homme est parfaitement libre. Cette liberté est tellement un des apanages de l'homme, qu'il cesseroit, disent-ils, d'être homme, s'il perdoit ce pouvoir. Il cesseroit en même tems d'être raisonnable, s'il aimoit le bien, & fuyoit le mal sans connoissance, ou par un instinct de la nature, à-peu-près comme la pierre qui tombe d'en-haut, & la brebis qui fuit le loup. Que deviendroient les peines & les récompenses, les menaces & les promesses ; en un mot, tous les préceptes de la Loi, s'il ne dépendoit pas de l'homme de les accomplir ou de les violer ? Enfin, les Juifs sont si jaloux de cette liberté d'indifférence, qu'ils s'imaginent qu'il est impossible de penser sur cette matiere autrement qu'eux. Ils sont persuadés qu'on dissimule son sentiment toutes les fois qu'on ôte au franc-arbitre quelque partie de sa liberté, & qu'on est obligé d'y revenir tôt ou tard, parce que s'il y avoit une prédestination, en vertu de laquelle tous les évenemens deviendroient nécessaires, l'homme cesseroit de prévenir les maux, & de chercher ce qui peut contribuer à la défense, ou à la conservation de sa vie ; & si on dit avec quelques chrétiens, que Dieu qui a déterminé la fin, a déterminé en même tems les moyens par lesquels on l'obtient, on rétablit par-là le franc-arbitre après l'avoir ruiné, puisque le choix de ces moyens dépend de la volonté de celui qui les néglige ou qui les employe.

IV. Mais, au-moins ne reconnoissoient-ils point la grace ? Philon, qui vivoit au tems de J. C. disoit, que comme les ténebres s'écartent lorsque le soleil remonte sur l'horison, de même lorsque le soleil divin éclaire une ame, son ignorance se dissipe, & la connoissance y entre. Mais ce sont-là des termes généraux, qui décident d'autant moins la question, qu'il ne paroît pas par l'Evangile, que la grace régénérante fût connue en ces tems-là des docteurs Juifs ; puisque Nicodème n'en avoit aucune idée, & que les autres ne savoient pas même qu'il y eût un Saint-Esprit, dont les opérations sont si nécessaires pour la conversion.

V. Les Juifs ont dit que la grace prévient les mérites du juste. Voilà une grace prévenante reconnue par les rabbins ; mais il ne faut pas s'imaginer que ce soit-là un sentiment généralement reçu. Menasse, (Menasse, de fragilit. humanâ) a réfuté ces docteurs qui s'éloignoient de la tradition, parce que, si la grace prévenoit la volonté, elle cesseroit d'être libre, & il n'établit que deux sortes de secours de la part de Dieu ; l'un, par lequel il ménage les occasions favorables pour exécuter un bon dessein qu'on a formé ; & l'autre par lequel il aide l'homme, lorsqu'il a commencé de bien vivre.

VI. Il semble qu'en rejettant la grace prévenante, on reconnoît un secours de la Divinité qui suit la volonté de l'homme, & qui influe dans ses actions. Menasse dit qu'on a besoin du concours de la Providence pour toutes les actions honnêtes : il se sert de la comparaison d'un homme, qui voulant charger sur ses épaules un fardeau, appelle quelqu'un à son secours. La Divinité est ce bras étranger qui vient aider le juste, lorsqu'il a fait ses premiers efforts pour accomplir la Loi. On cite des docteurs encore plus anciens que Menasse, lesquels ont prouvé qu'il étoit impossible que la chose se fît autrement, sans détruire tout le mérite des oeuvres. " Ils demandent si Dieu, qui préviendroit l'homme, donneroit une grace commune à tous, ou particuliere à quelques-uns. Si cette grace efficace étoit commune, comment tous les hommes ne sont-ils pas justes & sauvés ? Et si elle est particuliere, comment Dieu peut-il sans injustice sauver les uns, & laisser périr les autres ? Il est beaucoup plus vrai que Dieu imite les hommes qui prêtent leurs secours à ceux qu'ils voyent avoir formé de bons desseins, & faire quelques efforts pour se rendre vertueux. Si l'homme étoit assez méchant, pour ne pouvoir faire le bien sans la grace, Dieu seroit l'auteur du péché, &c.

VII. On ne s'explique pas nettement sur la nature de ce secours qui soulage la volonté dans ses besoins ; mais je suis persuadé qu'on se borne aux influences de la Providence, & qu'on ne distingue point entre cette Providence qui dirige les évenemens humains & la grace salutaire qui convertit les pécheurs. R. Eliezer confirme cette pensée ; car il introduit Dieu qui ouvre à l'homme le chemin de la vie & de la mort, & qui lui en donne le choix. Il place sept anges dans le chemin de la mort, dont quatre pleins de miséricorde, se tiennent dehors à chaque porte, pour empêcher les pêcheurs d'y entrer. Que fais-tu ? crie le premier ange au pécheur qui veut entrer ; il n'y a point ici de vie : vas-tu te jetter dans le feu ? repens-toi. S'il passe la premiere porte, le second Ange l'arrête, & lui crie, que Dieu le haïra & s'éloignera de lui. Le troisieme lui apprend qu'il sera effacé du livre de vie : le quatrieme le conjure d'attendre-là que Dieu vienne chercher les pénitens ; & s'il persévere dans le crime, il n'y a plus de retour. Les anges cruels se saisissent de lui : on ne donne donc point d'autres secours à l'homme, que l'avertissement des anges, qui sont les ministres de la Providence.

Sentiment des Juifs sur la création du monde. 1°. Le plus grand nombre des docteurs juifs croient que le monde a été créé par Dieu, comme le dit Moïse ; & on met au rang des hérétiques chassés du sein d'Israël, ou excommuniés, ceux qui disent que la matiere étoit co-éternelle à l'Etre souverain.

Cependant il s'éleva du tems de Maïmonides, au douzieme siecle, une controverse sur l'antiquité du monde. Les uns entêtés de la philosophie d'Aristote, suivoient son sentiment sur l'éternité du monde ; c'est pourquoi Maïmonides fut obligé de le réfuter fortement ; les autres prétendoient que la matiere étoit éternelle. Dieu étoit bien le principe & la cause de son existence : il en a même tiré les formes différentes, comme le potier les tire de l'argille, & le forgeron du fer qu'il manie : mais Dieu n'a jamais existé sans cette matiere, comme la matiere n'a jamais existé sans Dieu. Tout ce qu'il a fait dans la création, étoit de régler son mouvement, & de mettre toutes ses parties dans le bel ordre où nous les voyons. Enfin, il y a eu des gens, qui ne pouvant concevoir que Dieu, semblable aux ouvriers ordinaires, eût existé avant son ouvrage, ou qu'il fût demeuré dans le ciel sans agir, soutenoient qu'il avoit créé le monde de tout tems, ou plutôt de toute éternité.

2°. Ceux qui dans les synagogues veulent soutenir l'éternité du monde, tâchent de se mettre à couvert de la censure par l'autorité de Maïmonides, parce qu'ils pretendent que ce grand docteur n'a point mis la création entre les articles fondamentaux de la foi. Mais il est aisé de justifier ce docteur ; car on lit ces paroles dans la confession de foi qu'il a dressée : Si le monde est créé, il y a un créateur ; car personne ne peut se créer soi-même : il y a donc un Dieu. Il ajoute, que Dieu seul est éternel, & que toutes choses ont eu un commencement. Enfin il déclare ailleurs que la création est un des fondemens de la foi, sur lesquels on ne doit se laisser ébranler que par une démonstration qu'on ne trouvera jamais.

3°. Il est vrai que ce docteur raisonne quelquefois foiblement sur cette matiere. S'il combat l'opinion d'Aristote qui soutenoit aussi l'éternité du monde, la génération & la corruption dans le ciel, il trouva la méthode de Platon assez commode, parce qu'elle ne renverse pas les miracles, & qu'on peut l'accommoder avec l'Ecriture ; enfin elle lui paroissoit appuyée sur de bonnes raisons, quoiqu'elles ne fussent pas démonstratives. Il ajoûtoit qu'il seroit aussi facile à ceux qui soutenoient l'éternité du monde, d'expliquer tous les endroits de l'Ecriture où il est parlé de la création, que de donner un bon sens à ceux où cette même Ecriture donne des bras & des mains à Dieu. Il semble aussi qu'il ne se soit déterminé que par intérêt du côté de la création préférablement à l'éternité du monde, parce que si le monde étoit éternel, & que les hommes se fussent créés indépendamment de Dieu, la glorieuse préférence que la nation juive a eue sur toutes les autres nations, deviendroit chimérique. Mais de quelque maniere que Maïmonides ait raisonné, un lecteur équitable ne peut l'accuser d'avoir cru l'éternité du monde, puisqu'il a rejetté formellement, & qu'il a fait l'apologie de Salomon, que les hérétiques citoient comme un de leurs témoins.

4. Mais si les docteurs sont ordinairement orthodoxes sur l'article de la création, il faut avouer qu'ils s'écartent presque aussi-tôt de Moïse. On toléroit dans la synagogue les théologiens qui soutenoient qu'il y avoit un monde avant celui que nous habitons, parce que Moïse a commencé l'histoire de la Genèse par un B, qui marque deux. Il étoit indifférent à ce législateur de commencer son livre par une autre lettre ; mais il a renversé sa construction, & commencé son ouvrage par un B, afin d'apprendre aux initiés que c'étoit ici le second monde, & que le premier avoit fini dans le système millénaire, selon l'ordre que Dieu a établi dans les révolutions qui se feront. Voyez l'article CABALE.

5. C'est encore un sentiment assez commun chez les Juifs que le ciel & les astres sont animés. Cette croyance est même très-ancienne chez eux ; car Philon l'avoit empruntée de Platon, dont il faisoit sa principale étude. Il disoit nettement que les astres é oient des créatures intelligentes qui n'avoient jamais fait de mal, & qui étoient incapables d'en faire. Il ajoûtoit qu'ils ont un mouvement circulaire, parce que c'est le plus parfait, & celui qui convient le mieux aux ames & aux substances intelligentes.

Sentimens des Juifs sur les anges & sur les démons, sur l'ame & sur le premier homme. 1. Les hommes se plaisent à raisonner beaucoup sur ce qu'ils connoissent le moins. On connoît peu la nature de l'ame ; on connoît encore moins celle des anges : on ne peut savoir que par la révélation leur création & leur existence. Les écrivains sacrés que Dieu conduisoit ont été timides & sobres sur cette matiere. Que de raisons pour imposer silence à l'homme, & donner des bornes à sa témérité ! Cependant il y a peu de sujets sur lesquels on ait autant raisonné que sur les anges ; le peuple curieux consulte ses docteurs : ces derniers ne veulent pas laisser soupçonner qu'ils ignorent ce qui se passe dans le ciel, ni se borner aux lumieres que Moïse a laissées. Ce seroit se dégrader du doctorat que d'ignorer quelque chose, & se remettre au rang du simple peuple qui peut lire Moïse, & qui n'interroge les théologiens que sur ce que l'Ecriture ne dit pas. Avouer son ignorance dans une matiere obscure, ce seroit un acte de modestie, qui n'est pas permis à ceux qui se mêlent d'enseigner. On ne pense pas qu'on s'égare volontairement, puisqu'on veut donner aux anges des attributs & des perfections sans les connoître, & sans consulter Dieu qui les a formés.

Comme Moïse ne s'explique point sur le tems auquel les anges furent créés, on supplée à son silence par des conjectures. Quelques-uns croient que Dieu forma les anges le second jour de la création. Il y a des docteurs qui assurent qu'ayant été appellés au conseil de Dieu sur la production de l'homme, ils se partagerent en opinions différentes. L'une approuvoit sa création, & l'autre la rejettoit, parce qu'il prévoyoit qu'Adam pécheroit par complaisance pour sa femme ; mais Dieu fit taire ces anges ennemis de l'homme, & le créa avant qu'ils s'en fussent apperçus : ce qui rendit leurs murmures inutiles ; & il les avertit qu'ils pécheroient aussi en devenant amoureux des filles des hommes. Les autres soutiennent que les anges ne furent créés que le cinquieme jour. Un troisieme parti veut que Dieu les produise tous les jours, & qu'ils sortent d'un fleuve qu'on appelle Dinor ; enfin quelques-uns donnent aux anges le pouvoir de s'entre-créer les uns les autres, & c'est ainsi que l'ange Gabriel a été créé par Michel qui est audessus de lui.

2. Il ne faut pas faire une hérésie aux Juifs de ce qu'ils enseignent sur la nature des anges. Les docteurs éclairés reconnoissent que ce sont des substances purement spirituelles, entierement dégagées de la matiere ; & ils admettent une figure dans tous les passages de l'Ecriture qui les représentent sous des idées corporelles, parce que les anges revêtent souvent la figure du feu, d'un homme ou d'une femme.

Il y a pourtant quelques rabbins plus grossiers, lesquels ne pouvant digérer ce que l'Ecriture dit des anges, qui les représente sous la figure d'un boeuf, d'un chariot de feu ou avec des aîles, enseignent qu'il y a un second ordre d'anges, qu'on appelle les anges du ministere, lesquels ont des corps subtils comme le feu. Ils font plus, ils croient qu'il y a différence de sexe entre les anges, dont les uns donnent & les autres reçoivent.

Philon juif avoit commencé à donner trop aux anges, en les regardant comme les colonnes sur lesquelles cet univers est appuyé. On l'a suivi, & on a cru non-seulement que chaque nation avoit son ange particulier, qui s'intéressoit fortement pour elle, mais qu'il y en avoit qui présidoient sur chaque chose. Azariel préside sur l'eau ; Gazardia, sur l'Orient, afin d'avoir soin que le soleil se leve ; & Nékid, sur le pain & les alimens. Ils ont des anges qui président sur chaque planete, sur chaque mois de l'année & sur les heures du jour. Les Juifs croient aussi que chaque homme a deux anges, l'un bon, qui le garde, l'autre mauvais qui examine ses actions. Si le jour du sabbat, au retour de la synagogue, les deux anges trouvent le lit fait, la table dressée, les chandelles allumées, le bon ange s'en réjouit, & dit, Dieu veuille qu'au prochain sabbat les choses soient en aussi bon ordre ! & le mauvais ange est obligé de répondre amen. S'il y a du désordre dans la maison, le mauvais ange à son tour souhaite que la même chose arrive au prochain sabbat, & le bon ange répond amen.

La théologie des Juifs ne s'arrête pas là. Maïmonides qui avoit fort étudié Aristote, soutenoit que ce philosophe n'avoit rien dit qui fût contraire à la loi, excepté qu'il croyoit que les intelligences étoient éternelles, & que Dieu ne les avoit point produites. En suivant les principes des anciens philosophes, il disoit qu'il y a une sphere supérieure à toutes les autres qui leur communique le mouvement. Il remarque que plusieurs docteurs de sa nation croyoient avec Pythagore, que les cieux & les étoiles formoient en se mouvant un son harmonieux, qu'on ne pouvoit entendre à cause de l'éloignement ; mais qu'on ne pouvoit pas en douter, puisque nos corps ne peuvent se mouvoir sans faire du bruit, quoiqu'ils soient beaucoup plus petits que les orbes célestes. Il paroît rejetter cette opinion ; je ne sais même s'il n'a pas tort de l'attribuer aux docteurs : en effet les rabbins disent qu'il y a trois choses dont le son passe d'un bout du monde à l'autre ; la voix du peuple romain, celle de la sphere du soleil, & de l'ame qui quitte le monde.

Quoiqu'il en soit, Maïmonides dit non-seulement que toutes ces spheres sont mues & gouvernées par des anges ; mais il prétend que ce sont véritablement des anges. Il leur donne la connoissance & la volonté par laquelle ils exercent leurs opérations : il remarque que le titre d'ange & de messager signifie la même chose. On peut donc dire que les intelligences, les spheres, & les élémens qui exécutent la volonté de Dieu, sont des anges, & doivent porter ce nom.

4. On donne trois origines différentes aux démons. 1°. On soutient quelquefois que Dieu les a créés le même jour qu'il créa les enfers pour leur servir de domicile. Il les forma spirituels, parce qu'il n'eut pas le loisir de leur donner des corps. La fête du sabbat commençoit au moment de leur création, & Dieu fut obligé d'interrompre son ouvrage, afin de ne pas violer le repos de la fête. Les autres disent qu'Adam ayant été long-tems sans connoître sa femme, l'ange Samaël touché de sa beauté, s'unit avec elle, & elle conçut & enfanta les démons. Ils soutiennent aussi qu'Adam, dont ils font une espece de scélérat, fut le pere des esprits malins.

On compte ailleurs, car il y a là-dessus une grande diversité d'opinions, quatre meres des diables : dont l'une est Nahama, soeur de Tubalin, belle comme les anges, auxquels elle s'abandonna ; elle vit encore, & elle entre subtilement dans le lit des hommes endormis, & les oblige de se souiller avec elle ; l'autre est Lilith, dont l'histoire est fameuse chez les Juifs. Enfin il y a des docteurs qui croyent que les anges créés dans un état d'innocence, en sont déchus par jalousie pour l'homme, & par leur révolte contre Dieu : ce qui s'accorde mieux avec le récit de Moïse.

5. Les Juifs croient que les démons ont été créés mâles & femelles, & que de leur conjonction il en a pu naître d'autres. Ils disent encore que les ames des damnés se changent pour quelque tems en démons, pour aller tourmenter les hommes, visiter leur tombeau, voir les vers qui rongent leurs cadavres, ce qui les afflige, & ensuite s'en retournent aux enfers.

Ces démons ont trois avantages qui leur sont communs avec les anges. Ils ont des aîles comme eux ; ils volent comme eux d'un bout du monde à l'autre ; enfin ils savent l'avenir. Ils ont trois imperfections qui leur sont communes avec les hommes ; car ils sont obligés de manger & de boire ; ils engendrent & multiplient, & enfin ils meurent comme nous.

6. Dieu s'entretenant avec les anges vit naître une dispute entr'eux à cause de l'homme. La jalousie les avoit saisis ; ils soutinrent à Dieu que l'homme n'étoit que vanité, & qu'il avoit tort de lui donner un si grand empire. Dieu soutint l'excellence de son ouvrage par deux raisons ; l'une que l'homme le loueroit sur la terre, comme les anges le louoient dans le ciel. Secondement il demanda à ces anges si fiers, s'ils savoient les noms de toutes les créatures ; ils avouerent leur ignorance, qui fut d'autant plus honteuse, qu'Adam ayant paru aussi-tôt, il les récita sans y manquer. Schamaël qui étoit le chef de cette assemblée céleste, perdit patience. Il descendit sur la terre, & ayant remarqué que le serpent étoit le plus subtil de tous les animaux, il s'en servit pour séduire Eve.

C'est ainsi que les Juifs rapportent la chute des anges ; & de leur récit, il paroît qu'il y avoit un chef des anges avant leur apostasie, & que le chef s'appelloit Schamael. En cela ils ne s'éloignent pas beaucoup des chrétiens ; car une partie des saints peres ont regardé le diable avant sa chute comme le prince de tous les anges.

7. Moïse dit que les fils de Dieu voyant que les filles des hommes étoient belles, se souillerent avec elles. Philon juif a substitué les anges aux fils de Dieu ; & il remarque que Moïse a donné le titre d'anges à ceux que les philosophes appellent génies. Enoch a rapporté non-seulement la chute des anges avec les femmes, mais il en developpe toutes les circonstances, il nomme les vingt anges qui firent complot de se marier ; ils prirent des femmes l'an 1170 du monde, & de ce mariage nâquirent les géants. Ces démons enseignerent ensuite aux hommes les Arts & les Sciences. Azael apprit aux garçons à faire des armes, & aux filles à se farder ; Semireas leur apprit la colere & la violence ; Pharmarus fut le docteur de la magie : ces leçons reçues avec avidité des hommes & des femmes, causerent un désordre affreux. Quatre anges persévérans se présenterent devant le trône de Dieu, & lui remontrerent le désordre que les géans causoient : Les esprits des ames des hommes morts crient, & leurs soupirs montent jusqu'à la porte du ciel, sans pouvoir parvenir jusqu'à toi, à cause des injustices qui se font sur la terre. Tu vois cela, & tu ne nous apprens point ce qu'il faut faire.

La remontrance eut pourtant son effet. Dieu ordonna à Uriel " d'aller avertir le fils de Lamech qui étoit Noé, qu'il seroit garanti de la mort éternellement. Il commanda à Raphaël de saisir Exaël l'un des anges rebelles, de le jetter lié pieds & mains dans les ténebres ; d'ouvrir le desert qui est dans un autre desert, & de le jetter là ; de mettre sur lui des pierres aiguës, & d'empêcher qu'il ne vit la lumiere, jusqu'à ce qu'on le jette dans l'embrasement de feu au jour du jugement. L'ange Gabriel fut chargé de mettre aux mains les géans afin qu'ils s'entretuassent ; & Michaël devoit prendre Sémireas & tous les anges mariés, afin que quand ils auroient vû périr les géans & tous leurs enfans, on les liât pendant soixante & dix générations, dans les cachots de la terre jusqu'au jour de l'accomplissement de toutes choses, & du jugement où ils devoient être jettés dans un abîme de feu & de tourmens éternels ".

8. Un rabbin moderne (Menasse), qui avoit fort étudié les anciens, assure que la préexistence des ames est un sentiment généralement reçu chez les docteurs juifs. Ils soutiennent qu'elles furent toutes formées dès le premier jour de la création, & qu'elles se trouverent toutes dans le jardin d'Eden. Dieu leur parloit quand il dit, faisons l'homme ; il les unit aux corps à proportion qu'il s'en forme quelqu'un. Ils appuient cette pensée sur ce que Dieu dit dans Isaïe, j'ai fait les ames. Il ne se serviroit pas d'un tems passé s'il en créoit encore tous les jours un grand nombre : l'ouvrage doit être achevé depuis long-tems, puisque Dieu dit, j'ai fait.

9. Ces ames jouissent d'un grand bonheur dans le ciel, en attendant qu'elles puissent être unies aux corps. Cependant elles peuvent mériter quelque chose par leur conduite ; & c'est-là une des raisons qui fait la grande différence des mariages, dont les uns sont heureux, & les autres mauvais, parce que Dieu envoie les ames selon leurs mérites. Elles ont été créées doubles, afin qu'il y eût une ame pour le mari, & une autre pour la femme. Lorsque ces ames qui ont été faites l'une pour l'autre, se trouvent unies sur la terre, leur condition est infailliblement heureuse, & le mariage tranquille. Mais Dieu, pour punir les ames qui n'ont pas répondu à l'excellence de leur origine, sépare celles qui avoient été faites l'une pour l'autre, & alors il est impossible qu'il n'arrive de la division & du désordre. Origene n'avoit pas adopté ce dernier article de la théologie judaïque, mais il suivoit les deux premiers ; car il croyoit que les ames avoient préexisté, & que Dieu les unissoit aux corps célestes ou terrestres, grossiers ou subtils, à proportion de ce qu'elles avoient fait dans le ciel, & personne n'ignore qu'Origene a eu beaucoup de disciples & d'approbateurs chez les Chrétiens.

10. Ces ames sortirent pures de la main de Dieu. On récite encore aujourd'hui une priere qu'on attribue aux docteurs de la grande synagogue, dans laquelle on lit : O Dieu ! l'ame que tu m'as donnée est pure ; tu l'as créée, tu l'as formée, tu l'as inspirée ; tu la conserves au-dedans de moi, tu la reprendras, lorsqu'elle s'envolera, & tu me la rendras au tems que tu as marqué.

On trouve dans cette priere tout ce qui regarde l'ame ; car voici comment rabbin Menasse l'a commentée : l'ame que tu m'as donnée est pure, pour apprendre que c'est une substance spirituelle, subtile, qui a été formée d'une matiere pure & nette. Tu l'as créée, c'est-à-dire au commencement du monde avec les autres ames. Tu l'as formée, parce que notre ame est un corps spirituel, composé d'une matiere céleste & insensible ; & les cabalistes ajoûtent qu'elle s'unit au corps pour recevoir la peine ou la récompense de ce qu'elle a fait. Tu l'as inspirée, c'est-à-dire tu l'as unie à mon corps sans l'intervention des corps célestes, qui influent ordinairement dans les ames végétatives & sensitives. Tu la conserves, parce que Dieu est la garde des hommes. Tu la reprendras, ce qui prouve qu'elle est immortelle. Tu me la rendras, ce qui nous assure de la vérité de la résurrection.

11. Les Thalmudistes débitent une infinité de fables sur le chapitre d'Adam & de sa création. Ils comptent les douze heures du jour auquel il fut créé, & ils n'en laissent aucune qui soit vuide. A la premiere heure, Dieu assembla la poudre dont il devoit le composer, & il devint un embrion. A la seconde, il se tint sur ses piés. A la quatrieme, il donna les noms aux animaux. La septieme fut employée au mariage d'Eve, que Dieu lui amena comme une paranymphe, après l'avoir frisée. A dix heures Adam pécha ; on le jugea aussi-tôt, & à douze heures il sentoit déja la peine & les sueurs du travail.

12. Dieu l'avoit fait si grand qu'il remplissoit le monde, ou du moins il touchoit le ciel. Les anges étonnés en murmurerent, & dirent à Dieu qu'il y avoit deux êtres souverains, l'un au ciel & l'autre sur la terre. Dieu averti de la faute qu'il avoit faite, appuya la main sur la tête d'Adam, & le réduisit à une nature de mille coudées ; mais en donnant au premier homme cette grandeur immense, ils ont voulu seulement dire qu'il connoissoit tous les secrets de la nature, & que cette science diminua considérablement par le péché ; ce qui est orthodoxe. Ils ajoutent que Dieu l'avoit fait d'abord double, comme les payens nous représentent Janus à deux fronts ; c'est pourquoi on n'eut besoin que de donner un coup de hache pour partager ces deux corps ; & cela est clairement expliqué par le prophete, qui assure que Dieu l'a formé par devant & par derriere : & comme Moïse dit aussi que Dieu le forma mâle & femelle ; on conclut que le premier homme étoit hermaphrodite.

13. Sans nous arrêter à toutes ces visions qu'on multiplieroit à l'infini, les docteurs soutiennent, 1°. qu'Adam fut créé dans un état de perfection ; car s'il étoit venu au monde comme un enfant, il auroit eu besoin de nourrice & de précepteur. 2°. C'étoit une créature subtile : la matiere de son corps étoit si délicate & si fine, qu'il approchoit de la nature des anges, & son entendement étoit aussi parfait que celui d'un homme le peut être. Il avoit une connoissance de Dieu & de tous les objets spirituels, sans l'avoir jamais apprise, il lui suffisoit d'y penser ; c'est pourquoi on l'appelloit fils de Dieu. Il n'ignoroit pas même le nom de Dieu ; car Adam ayant donné le nom à tous les animaux, Dieu lui demanda quel est mon nom ? & Adam répondit, Jéhovah. C'est toi qui es ; & c'est à cela que Dieu fait allusion dans le prophete Isaïe, lorsqu'il dit : je suis celui qui suis, c'est là mon nom ; c'est-à-dire, le nom qu'Adam m'a donné & que j'ai pris.

14. Ils ne conviennent pas que la femme fut aussi parfaite que l'homme, parce que Dieu ne l'avoit formée que pour lui être une aide. Ils ne sont pas même persuadés que Dieu l'eût faite à son image. Un théologien chrétien (Lambert Danaeus, in Antiquitatibus, pag. 42.) a adopté ce sentiment en l'adoucissant ; car il enseigne que l'image de Dieu étoit beaucoup plus vive dans l'homme que dans la femme ; c'est pourquoi elle eut besoin que son mari lui servit de précepteur, & lui apprît l'ordre de Dieu, au lieu qu'Adam l'avoit reçû immédiatement de sa bouche.

15. Les docteurs croient aussi que l'homme fait à l'image de Dieu étoit circoncis ; mais ils ne prennent pas garde que, pour relever l'excellence d'une cérémonie, ils font un Dieu corporel. Adam se plongea d'abord dans une débauche affreuse, en s'accouplant avec les bêtes, sans pouvoir assouvir sa convoitise, jusqu'à ce qu'il s'unit à Eve. D'autres disent au contraire qu'Eve étoit le fruit défendu auquel il ne pouvoit toucher sans crime ; mais emporté par la tentation que causoit la beauté extraordinaire de cette femme, il pécha. Ils ne veulent point que Caïn soit sorti d'Adam, parce qu'il étoit né du serpent qui avoit tenté Eve. Il fut si affligé de la mort d'Abel, qu'il demeura cent trente ans sans connoitre sa femme, & ce fut alors qu'il commença à faire des enfans à son image & ressemblance. On lui reproche son apostasie, qui alla jusqu'à faire revenir la peau du prépuce, afin d'effacer l'image de Dieu. Adam, après avoir rompu cette alliance, se repentit ; il maltraita son corps l'espace de sept semaines dans le fleuve Géhon, & le pauvre corps fut tellement sacrifié, qu'il devint percé comme un crible. On dit qu'il y a des mysteres renfermés dans toutes ces histoires ; comme en effet il faut nécessairement qu'il y en ait quelques-uns ; mais il faudroit avoir beaucoup de tems & d'esprit pour les développer tous. Remarquons seulement que ceux qui donnent des regles sur l'usage des métaphores, & qui prétendent qu'on ne s'en sert jamais que lorsqu'on y a préparé ses lecteurs, & qu'on est assuré qu'ils lisent dans l'esprit ce qu'on pense, connoissent peu le génie des Orientaux, & que leurs regles se trouveroient ici beaucoup trop courtes.

16. On accuse les Juifs d'appuyer les systèmes des Préadamistes qu'on a développés dans ces derniers siecles avec beaucoup de subtilité ; mais il est certain qu'ils croient qu'Adam est le premier de tous les hommes. Sangarius donne Jambuscar pour précepteur à Adam ; mais il ne rapporte ni son sentiment, ni celui de sa nation. Il a suivi plûtôt les imaginations des Indiens & de quelques barbares, qui contoient que trois hommes nommés Jambuscha, Zagtith & Boan ont vêcu avant Adam, & que le premier avoit été son précepteur. C'est envain qu'on se sert de l'autorité de Maïmonides un des plus sages docteurs des Juifs ; car il rapporte qu'Adam est le premier de tous les hommes qui soit né par une génération ordinaire ; il attribue cette pensée aux Zabiens, & bien loin de l'approuver, il la regarde comme une fausse idée qu'on doit rejetter ; & qu'on n'a imaginé cela que pour défendre l'éternité du monde que ces peuples qui habitoient la Perse soutenoient.

Les Juifs disent ordinairement qu'Adam étoit né jeune dans une stature d'homme fait, parce que toutes choses doivent avoir été créées dans un état de perfection ; & comme il sortoit immédiatement des mains de Dieu, il étoit souverainement sage & prophete créé à l'image de Dieu. On ne finiroit pas, si on rapportoit tout ce que cette image de la divinité dans l'homme leur a fait dire. Il suffit de remarquer qu'au milieu des docteurs qui s'égarent, il y en a plusieurs, comme Maimonides & Kimki, qui, sans avoir aucun égard au corps du premier homme, la placent dans son ame & dans ses facultés intellectuelles. Le premier avoue qu'il y avoit des docteurs qui croyoient que c'étoit nier l'existence de Dieu, que de soutenir qu'il n'avoit point de corps, puisque l'homme est matériel, & que Dieu l'avoit fait à son image. Mais il remarque que l'image est la vertu spécifique qui nous fait exister, & que par conséquent l'ame est cette image. Il outre même la chose ; car il veut que les Idolâtres, qui se prosternent devant les images, ne leur ayent pas donné ce nom, à cause de quelque trait de ressemblance avec les originaux ; mais parce qu'ils attribuent à ces figures sensibles quelque vertu.

Cependant il y en a d'autres qui prétendent que cette image consistoit dans la liberté dont l'homme jouissoit. Les anges aiment le bien par nécessité ; l'homme seul pouvoit aimer la vertu ou le vice. Comme Dieu, il peut agir & n'agir pas. Ils ne prennent pas garde que Dieu aime le bien encore plus nécessairement que les anges qui pouvoient pécher, comme il paroît par l'exemple des démons ; & que si cette liberté d'indifférence pour le bien est un degré d'excellence, on éleve le premier homme au-dessus de Dieu.

18. Les Antitrinitaires ont tort de s'appuyer sur le témoignage des Juifs, pour prouver qu'Adam étoit né mortel, & que le péché n'a fait à cet égard aucun changement à sa condition ; car ils disent nettement que si nos premiers peres eussent persévéré dans l'innocence, toutes leurs générations futures n'auroient pas senti les émotions de la concupiscence, & qu'ils eussent toujours vêcu. R. Béchaî, disputant contre les philosophes qui défendoient la mortalité du premier homme, soutient qu'il ne leur est point permis d'abandonner la théologie que leurs ancêtres ont puisée dans les écrits des prophetes, lesquels ont enseigné que l'homme eût vécu éternellement, s'il n'eût point péché. Manasse, qui vivoit au milieu du siecle passé, dans un lieu où il ne pouvoit ignorer la prétention des Sociniens, prouve trois choses qui leur sont directement opposées : 1. que l'immortalité du premier homme, persévérant dans l'innocence, est fondée sur l'Ecriture ; 2. que Hana, fils de Hanina, R. Jéhuda, & un grand nombre de rabbins, dont il cite les témoignages, ont été de ce sentiment ; 3. enfin, il montre que cette immortalité de l'homme s'accorde avec la raison, puisqu' Adam n'avoit aucune cause intérieure qui pût le faire mourir, & qu'il ne craignoit rien du dehors, puisqu'il vivoit dans un lieu très-agréable, & que le fruit de l'arbre de vie, dont il devoit se nourrir, augmentoit sa vigueur.

19. Nous dirons peu de chose sur la création de la femme : peut-être prendra-t-on ce que nous en dirons pour autant de plaisanteries ; mais il ne faut pas oublier une si noble partie du genre humain. On dit donc que Dieu ne voulut point la créer d'abord, parce qu'il prévit que l'homme se plaindroit bientôt de sa malice. Il attendit qu'Adam la lui demandât ; & il ne manqua pas de le faire, dès qu'il eut remarqué que tous les animaux paroissoient devant lui deux à deux. Dieu prit toutes les précautions nécessaires pour la rendre bonne ; mais ce fut inutilement. Il ne voulut point la tirer de la tête, de peur qu'elle n'eût l'esprit & l'ame coquette ; cependant on a eu beau faire, ce malheur n'a pas laissé d'arriver ; & le prophete Isaïe se plaignoit, il y a déja long-tems, que les filles d'Israël alloient la tête levée & la gorge nue. Dieu ne voulut pas la tirer des yeux, de peur qu'elle ne jouât de la prunelle ; cependant Isaïe se plaint encore que les filles avoient l'oeil tourné à la galanterie. Il ne voulut point la tirer de la bouche, de peur qu'elle ne parlât trop ; mais on ne sauroit arrêter sa langue, ni le flux de sa bouche. Il ne la prit point de l'oreille, de peur que ce ne fût une écouteuse ; cependant il est dit de Sara, qu'elle écoutoit à la porte du tabernacle, afin de savoir le secret des anges. Dieu ne la forma point du coeur, de peur qu'elle ne fût jalouse ; cependant combien de jalousies & d'envies déchirent le coeur des filles & des femmes ! Il n'y a point de passion, après celle de l'amour, à laquelle elles succombent plus aisément. Une soeur, qui a plus de bonheur, & sur-tout plus de galans, est l'objet de la haine de sa soeur ; & le mérite ou la beauté sont des crimes qui ne se pardonnent jamais. Dieu ne voulut point former la femme ni des piés ni de la main, de peur qu'elle ne fût coureuse, & que l'envie de dérober ne la prît ; cependant Dina courut & se perdit ; & avant elle, Rachel avoit dérobé les dieux de son pere. On a eu donc beau choisir une partie honnête & dure de l'homme, d'où il semble qu'il ne pouvoit sortir aucun défaut, la femme n'a pas laissé de les avoir tous. C'est la description que les auteurs juifs nous en donnent. Il y a peut-être des gens qui la trouveront si juste, qu'ils ne voudront pas la mettre au rang de leurs visions, & qui s'imagineront qu'ils ont voulu renfermer une vérité connue sous des termes figurés.

Dogmes des Péripatéticiens, adoptés par les Juifs. 1. Dieu est le premier & le suprème moteur des cieux.

2. Toutes les choses créées se divisent en trois classes. Les unes sont composées de matiere & de forme, & elles sont perpétuellement sujettes à la génération & à la corruption ; les autres sont aussi composées de matiere & de forme, comme les premieres ; mais leur forme est perpétuellement attachée à la matiere ; & leur matiere & leur forme ne sont point semblables à celles des autres êtres créés : tels sont les cieux & les étoiles. Il y en a enfin qui ont une forme sans matiere, comme les anges.

3. Il y a neuf cieux, celui de la Lune, celui de Mercure, celui de Venus, celui du Soleil, celui de Mars, celui de Jupiter, celui de Saturne & des autres étoiles, sans compter le plus élevé de tous, qui les enveloppe, & qui fait tous les jours une révolution d'orient en occident.

4. Les cieux sont purs comme du crystal ; c'est pour cela que les étoiles du huitieme ciel paroissent au-dessous du premier.

5. Chacun de ces huit cieux se divise en d'autres cieux particuliers, dont les uns tournent d'orient en occident, les autres d'occident en orient ; & il n'y a point de vuide parmi eux.

6. Les cieux n'ont ni légéreté, ni pesanteur, ni couleur ; car la couleur bleue que nous leur attribuons, ne vient que d'une erreur de nos yeux, occasionnée par la hauteur de l'atmosphere.

7. La terre est au milieu de toutes les spheres qui environnent le monde. Il y a des étoiles attachées aux petits cieux : or ces petits cieux ne tournent point autour de la terre, mais ils sont attachés aux grands cieux, au centre desquels la terre se trouve.

8. La terre est presque quarante fois plus grande que la lune ; & le soleil est cent soixante & dix fois plus grand que la terre. Il n'y a point d'étoile plus grande que le soleil, ni plus petite que Mercure.

9. Tous les cieux & toutes les étoiles ont une ame, & sont doués de connoissance & de sagesse. Ils vivent & ils connoissent celui qui d'une seule parole fit sortir l'univers du néant.

10. Au-dessous du ciel de la lune, Dieu créa une certaine matiere différente de la matiere des cieux ; & il mit dans cette matiere des formes qui ne sont point semblables aux formes des cieux. Ces élemens constituent le feu, l'air, l'eau & la terre.

11. Le feu est le plus proche de la lune : au-dessous de lui suivent l'air, l'eau & la terre ; & chacun de ces élémens enveloppe de toutes parts celui qui est au-dessous.

12. Ces quatre élémens n'ont ni ame ni connoissance ; ce sont comme des corps morts qui cependant conservent leur rang.

13. Le mouvement du feu & de l'air est de monter du centre de la terre vers le ciel ; celui de l'eau & de la terre est d'aller vers le centre.

14. La nature du feu qui est le plus léger de tous les élémens, est chaude & seche ; l'air est chaud & humide ; l'eau froide & humide ; la terre, qui est le plus pesant de tous les élémens, est froide & seche.

15. Comme tous les corps sont composés de ces quatre élémens, il n'y en a point qui ne renferme en même tems le froid & le chaud, le sec & l'humide ; mais il y en a dans lesquels une de ces qualités domine sur les autres.

Principes de morale des Juifs. 1. Ne soyez point comme des mercenaires qui ne servent leur maitre qu'à condition d'en être payés ; mais servez votre maître sans aucune espérance d'en être récompensés, & que la crainte de Dieu soit toujours devant vos yeux.

2. Faites toujours attention à ces trois choses, & vous ne pécherez jamais. Il y a au-dessus de vous un oeil qui voit tout, une oreille qui entend tout, & toutes vos actions sont écrites dans le livre de vie.

3. Faites toujours attention à ces trois choses, & vous ne pécherez jamais. D'où venez-vous ? où allez-vous ? à qui rendrez-vous compte de votre vie ? Vous venez de la terre, vous retournerez à la terre, & vous rendrez compte de vos actions au roi des rois.

4. La sagesse ne va jamais sans la crainte de Dieu, ni la prudence sans la science.

5. Celui là est coupable, qui, lorsqu'il s'éveille la nuit, ou qu'il se promene seul, s'occupe de pensées frivoles.

6. Celui-là est sage qui apprend quelque chose de tous les hommes.

7. Il y a cinq choses qui caractérisent le sage. 1. Il ne parle point devant celui qui le surpasse en sagesse & en autorité. 2. Il ne répond point avec précipitation. 3. Il interroge à propos, & il répond à propos. 4. Il ne contrarie point son ami. 5. Il dit toujours la vérité.

8. Un homme timide n'apprend jamais bien, & un homme colere enseigne toujours mal.

9. Faites-vous une loi de parler peu & d'agir beaucoup, & soyez affable envers tout le monde.

10. Ne parlez pas long-tems avec une femme, pas même avec la vôtre, beaucoup moins avec celle d'un autre ; cela irrite les passions, & nous détourne de l'étude de la loi.

11. Défiez-vous des grands, & en général de ceux qui sont élevés en dignité ; ils ne se lient avec leurs inférieurs que pour leurs propres intérêts. Ils vous témoigneront de l'amitié, tant que vous leur serez utile ; mais n'attendez d'eux ni secours ni compassion dans vos malheurs.

12. Avant de juger quelqu'un mettez-vous à sa place, & commencez toujours par le supposer innocent.

13. Que la gloire de votre ami vous soit aussi chere que la vôtre.

14. Celui qui augmente ses richesses, multiplie ses inquiétudes. Celui qui multiplie ses femmes, remplit sa maison de poisons. Celui qui augmente le nombre de ses servantes, augmente le nombre des femmes débauchées. Enfin, celui qui augmente le nombre de ses domestiques, augmente le nombre des voleurs.


JUIFVERIES. f. (Commerce) lieu où demeurent les Juifs. On donne ce nom dans quelques villes de France aux rues & marchés dans lesquels se fait le négoce des vieilles hardes, ou parce que les Juifs qui y demeuroient anciennement, y exerçoient ce trafic, ou parce qu'en général ils s'en mêloient. Dictionnaire du Commerce.


JUILLETS. m. (Hist. anc. & mod.) Ce mot vient du Latin Julius. Marc Antoine dans son consulat ordonna que ce mois, qui s'appelloit auparavant Quintilis, porteroit dorénavant le nom de Julius, qui étoit celui de la naissance de Jules-César. On l'appelloit Quintilis, parce qu'il étoit le cinquieme mois de l'année, laquelle ne commençoit qu'en Mars dans le premier calendrier, établi assez grossierement par Romulus. Détaillons la distribution de ce mois.

Chez les Romains, le jour des calendes du mois de Juillet, étoit celui auquel finissoient & commençoient les baux des maisons de Rome. C'est ce que nous apprenons d'une épigramme assez piquante de Martial, épigram. xxxij. 12.

Au 3 des nones, ou au cinquieme du mois, tomboit la fête appellée Poplifugia, en mémoire de la retraite du peuple sur le mont Aventin, après que les Gaulois eurent pris la ville de Rome.

La veille des nones, ou le sixieme du mois, on faisoit cette fête de la fortune féminine, qui avoit été fondée par la femme & la mere de Coriolan, quand elles eurent obtenu de lui la paix, & le salut de la patrie.

Le lendemain des nones, ou le huitieme du mois, se célébroit la fête de la déesse Vitula, voyez VITULA.

Le iv. des ides, ou le douzieme du mois, se fêtoit du tems des empereurs, à cause de la naissance de Jules-César.

La veille des ides, ou le quatorze du mois, on commençoit les mercuriales, qui duroient six jours.

Les ides, ou le quinze du mois, étoit particulierement consacré à Castor & à Pollux, & l'on donnoit ce jour-là des jeux & des combats solemnels.

Le xvj. des calendes d'Août, ou le dix-sept Juillet, passoit pour un jour funeste, à cause de la bataille d'Allia.

Le x. des calendes, ou le vingt-trois Juillet, se célébroient les jeux de Neptune, & les femmes enceintes sacrifioient à la déesse Opigena.

Le xxiv. on faisoit les festins des pontifes.

Le viij. des calendes, ou le vingt-cinq du mois, on célébroit les furinales, & le même jour arrivoient les ambarvales.

Le vingt-huit, on faisoit un sacrifice de vin & de miel à Cérès ; & le reste du mois, on égorgeoit quelques chiens roux à la canicule, pour détourner les trop grandes chaleurs qui regnent dans cette saison.

Enfin c'étoit en Juillet qu'on donnoit les jeux appollinaires, ceux du cirque & les minervales.

Les Grecs nommerent ce mois , à cause de la fête appellée métagitnie, qu'ils consacrerent en l'honneur d'Apollon. Ils célébroient aussi dans le même mois la fête d'Adonis, favori de Venus voyez ADONIS.

Les Syracusains faisoient le vingt-quatre de ce mois une fête qu'ils nommoient Asinaire, en mémoire de la victoire qu'Euriclés, préteur de Syracuse, avoit remportée sur les Athéniens.

Le mois de Juillet étoit censé sous la protection de Jupiter. Il est personnifié dans Ausone sous la figure d'un homme nud, qui montre ses membres hâlés par le soleil : il a les cheveux roux, liés de tiges & d'épis ; il tient dans un panier des mûres, fruit qui paroît sous le signe du lion.

Voyez sur tous ces détails, Ausone, Hospinien, Meursius, Danet & Pitiscus. (D.J.)

C'est le septieme mois de notre année. Le soleil entre au signe du lion. Voyez MOIS, AN, &c.


JUINS. f. (Hist. anc. & mod.) en latin Junius, que quelques-uns derivent de Junon, à Junone ; Ovide le croit ainsi, car il fait dire à cette déesse :

Junius à nostro numine, nomen habet.

Le premier jour de Juin, les Romains faisoient quatre fêtes, l'une à Mars hors de la ville, parce qu'en tel jour F. Quintius, duumvir des sacrifices, lui avoit dédié un temple hors de la porte capène. La seconde fête regardoit Carna, en mémoire du temple que Junius Brutus lui consacra sur le mont Célius, après avoir chassé Tarquin. La troisieme fête se faisoit à la gloire de Junon, surnommée moneta, pour accomplir un voeu qu'avoit fait Camille de lui bâtir un temple. La quatrieme fête étoit consacrée à la Tempête, & fut instituée du tems de la seconde guerre punique. Parcourons les autres jours de Juin.

Le iij. des nones étoit dédié à Bellone, & le jour suivant à Hercule dans le cirque.

Le jour des nones, ou le cinquieme du mois, on sacrifioit au dieu Fidius, à qui les Romains bâtirent un temple sur le mont Quirinal.

Le vij. des ides, ou le septieme du mois, les pêcheurs faisoient les jeux piscatoriens au-delà du Tibre.

Le vj. des ides, ou le huitieme du mois, étoit la fête de la déesse Mens, c'est-à-dire de la déesse de l'entendement. Ce jour-là on sacrifioit solemnellement à cette déesse dans le capitole, où Otacilius Crassus, préteur lors de la seconde guerre punique, lui dédia un temple, après la défaite du consul C. Flaminius au lac de Thrasimene.

Le v. des ides, ou le neuvieme du mois, les vestales chommoient la fête de leur divinité.

Le iv. des ides, ou le dixieme du mois, étoit la fête des Matutales, en l'honneur de la déesse Matuta, que les Grecs appelloient Leucothéa. Le même jour étoit dédié à la Fortune.

Le iij. des ides, ou le onzieme du mois, tomboit la fête de la Concorde.

Le xiij. qui étoit le jour des ides, arrivoit la fête de Jupiter, invictus, ou l'invincible, à qui l'empereur Auguste crut devoir dédier un temple, en mémoire des victoires qu'il avoit remportées. On célébroit ce même jour la fête de Minerve, appellée quinquatrus minores, qui étoit la fête des ménétriers.

Le xvij. des calendes de Juillet, ou le quinze du mois de Juin, on transportoit les immondices du temple de Vesta dans le Tibre, & cette cérémonie donnoit lieu à une fête particuliere.

Le xvj. des calendes, ou le dix-huitieme du mois, on faisoit la fête de la dédicace du temple de Pallas sur le mont Aventin.

Le xij. des calendes, ou le vingt de Juin, venoit la fête du dieu Summanus, en mémoire de la dédicace du temple faite en son honneur pendant la guerre de Pyrrhus.

Le x. des calendes, ou le vingt-deux du mois, passoit pour un jour funeste, parce que Titus Flaminius fut vaincu ce jour-là par les Carthaginois.

Le viij. des calendes, ou le vingt-quatre, étoit la Fortune forte. Ce jour-là Syphax fut défait par Massinissa, & le même jour fut appellé dies fortis fortunae, parce que Servius lui avoit dédié un temple hors de la ville, au-delà du Tibre. Les artisans & les esclaves, couronnés de fleurs, alloient se promener en bateaux sur la riviere, se régaler & se divertir.

Le v. des calendes, ou le vingt-sept du mois, se consacroit à Jupiter stator.

Le iv. des calendes, ou le vingt-huit du mois, venoit la fête des dieux Lares.

Le iij. des calendes, ou le vingt-neuf du mois, étoit voué à Quirinus ou à Romulus, pour la dédicace de son temple au mont Quirinal.

Le dernier jour de Juin étoit consacré à Hercule & aux Muses.

Les jeux olympiques, si fameux dans toute la Grece, commençoient au mois de Juin. Les Athéniens, qui le nommoient E', le solemnisoient par la fête des Hécatombes, & ensuite par la fête des Istéries. Le huitieme du même mois ils célébroient la mémoire de l'entrée de Thésée dans leur capitale, & le douzieme ils célébroient les chronies en l'honneur de Saturne.

Les Béotiens faisoient vers le même tems les jeux de l'hippodromie ou des courses de chevaux ; mais la plus illustre des fêtes de la Grece, étoit celle des grandes panathénées, qui avoit lieu tous les cinq ans, qui étoit indiquée au 28 Juin. Voyez PANATHENEES.

Voici comme Ausone personnifie ce mois, dont Mercure étoit la divinité tutélaire. " Juin, dit-il, va tout nud, nous montre du doigt un horloge solaire, pour signifier que le soleil commence à descendre. Il porte une torche ardente & flamboyante, pour marquer les chaleurs de la saison, qui donne la maturité aux fruits de la terre. Derriere lui est une faucille ; cela veut dire qu'on commence dans ce mois à se disposer à la moisson. Enfin on voit à ses piés une corbeille remplie des plus beaux fruits qui viennent au printems dans les pays chauds ".

C'est le sixieme mois de notre année. Le soleil entre au signe du cancer ; c'est dans ce mois qu'arrive le solstice d'été, & que les jours sont les plus longs ; ils commencent à décroître vers la fin. Voyez SOLSTICE. (D.J.)


JUINE(Géog.) riviere de France en Gatinois, elle vient de la Ferté-Alais, & est la même que celle qu'on appelle la riviere d'Essone, qui se jette dans la Seine à Corbeil : on la nomme aussi la riviere d'Etampes, car on s'accorde à dire qu'Etampes est sur la Juine, donc la riviere d'Etampes & la Juine sont la même riviere. (D.J.)


JUITZ(Hist. mod. superstit.) c'est ainsi que l'on nomme au Japon les partisans orthodoxes de la religion du Sintos, qui ont toujours adhéré aux dogmes & au culte de leurs ancêtres, sans jamais admettre les innovations de la religion de Budsdo ; on donne le nom de Rio-bus à la secte qui leur est opposée. Voyez SINTOS, BUDSDO, SIAKA.


JUJUBES. f. (Diete & Mat. med.) les jujubes avant leur parfaite maturité ont un goût aigrelet, vineux, très-agréable ; c'est dans cet état qu'on les mange en Languedoc & en Provence où elles sont assez communes. Elles rafraîchissent & calment un peul a soif ; mais comme leur chair est ferme & peu succulente, elles ne sont pas très-faciles à digérer : on n'a cependant jamais observé qu'elles produisissent de mauvais effets.

Ce fruit mûr & séché est compté parmi les béchiques adoucissans ; c'est un des fruits doux & pectoraux des boutiques. Voy. FRUITS DOUX, Pharmacie.

On trouve dans la Pharmacopée de Paris un syrop de jujubes composé, dans lequel ce fruit se trouve associé à d'autres substances qui lui sont parfaitement analogues ; ce syrop a par conséquent les mêmes vertus que les jujubes mêmes. Voyez BECHIQUE & FRUIT DOUX.

Les jujubes entrent encore dans le syrop de tortues & dans l'électuaire lénitif. (b)


JUJUBIERS. m. ziziphus, (Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit oblong, ressemblant à une olive, & charnue ; il renferme un noyau divisé en deux loges où il y a des semences. Tournefort, Inst. rei herb. voyez PLANTE.

A ce caractere général nous ajouterons que c'est un petit arbre que l'on cultive dans les contrées méridionales de l'Europe par rapport à son fruit qui est d'usage en Medecine. Cet arbre ne s'éleve qu'à 12 ou 15 piés. Sa tige est courte, tortue & couverte d'une écorce brune, raboteuse & crévassée ; il se garnit de beaucoup de rameaux qui sont épineux. Ses feuilles sont ovales, unies, légerement dentelées sur les bords, luisantes en dessus, & relevées en dessous de trois nervures principales ; la verdure en est agréable quoiqu'un peu jaunâtre ; elles sont placées alternativement sur des branches fort minces d'environ un pié de long, qui se desséchent après la chute des feuilles, & tombent à leur tour. La fleur & le fruit viennent aussi sur ces petites branches à la naissance des feuilles ; cette fleur qui est petite, herbacée, n'a nul agrément : elle commence à paroître les premiers jours de Juillet, & elle se succede pendant deux mois. Le fruit qui la remplace se nomme jujube ; il est oblong, charnu, rouge en dehors, jaunâtre en dedans, d'un goût doux & relevé ; il renferme un noyau qui sert à multiplier l'arbre.

Le jujubier est commun dans nos provinces méridionales, en Italie, en Espagne, &c. il lui faut un terrein médiocre & léger, il se plaît dans les lieux les plus chauds, exposés au soleil & à l'abri du vent : dans une telle exposition il resistera à de grands hivers, même dans la partie septentrionale de ce royaume : cet arbre n'exige même presqu'aucune culture.

On peut multiplier le jujubier par les rejettons qui viennent au pié des vieux arbres ; mais il vaut mieux le faire venir de semence. Il faut avoir des jujubes fraîches, & les semer, s'il est possible, avant l'hiver dans des caisses ou terrines, que l'on mettra dans une serre qui puisse les garantir des fortes gelées. On pourra les sortir au commencement de Mars, & les jujubes leveront au bout d'un mois ou environ. Au printems suivant, il faudra transplanter les jeunes plants dans des pots séparés, où on les laissera pendant trois ou quatre ans, avec la précaution de les faire passer les hivers dans la serre, après quoi ils seront assez forts pour être transplantés à demeure, & pour résister aux intempéries de notre climat septentrional. Mais il sera bien rare de l'y voir porter du fruit ; il faut pour cela des années bien favorables : les arbres de ce genre qui sont au jardin du Roi à Paris en ont donné plusieurs fois.

Le jujubier par rapport à la beauté de son feuillage dont la verdure est brillante, doit trouver place dans les bosquets d'arbres curieux ; il a aussi quelque chose de singulier dans l'arrangement de ses branches qui sont de deux sortes ; les unes plus grosses & moins confuses sont permanentes ; les autres plus menues & dont la destination est de porter la fleur & le fruit, ne sont qu'annuelles ; & comme l'arbre se garnit d'une grande quantité de ces branches du second ordre, qui sont toutes à peu près d'égale longueur, cette singularité en contrastant avec les autres arbres, peut contribuer à la variété.

Les jujubes dans leur fraicheur peuvent se manger, mais elles sont indigestes, & d'un goût trop relatif aux drogues de la Pharmacie : ce n'est qu'en Medecine qu'on en fait principalement usage. Voyez JUJUBES.


JUKAGIRI(Géograph.) peuples payens qui habitent les bords de la mer Glaciale, entre l'embouchure du fleuve Lena & le cap Suetoi-noss ; on prétend que leur façon de parler ressemble au bruit que font les oies. Chez eux on n'est pas dans l'usage d'enterrer les morts ; on se contente de les suspendre à des arbres, & lorsqu'on va à la chasse on porte sur son dos les os de ses parens : on croit que cela porte bonheur. Voyez la description de l'empire russien.


JULES. m. (Littérat.) nom d'une piece de vers ancienne que les Grecs, & ensuite les Romains à leur imitation, chantoient pendant la moisson à l'honneur de Cérès & de Proserpine pour se les rendre propices.

Ce mot vient du grec ou , qui signifie une gerbe.

On appelloit aussi cet hymne démétrule ou démétriole ; c'est-à-dire iole de Cérès. On les nommoit encore calliules, selon Dydime & Athénée.

Iule est aussi le nom que les Botanistes donnent à ces touffes vermiculaires, qui au commencement de l'année croissent, & pendent des branches de noisettiers, de noyers, de chênes, de châtaigniers, de meuriers, de frênes, &c. qu'on appelle communément chaton. Voyez CHATON.

M. Ray les regarde comme des amas d'étamines des fleurs de l'arbre, à cause que dans les arbres & les plantes fertiles on y découvre une grande quantité de fruits & de cosses ; & cette opinion est adoptée par Bradley, qui les prend pour des fleurs mâles qui servent à imprégner les rudimens du fruit, ou pour des fleurs femelles qui croissent sur le même arbre ou sur d'autres de même espece. Voy. PLANTE & GENERATION.


JULE TUNGLETS. m. (Hist. mod.) douzieme mois des Suédois. Il s'appelle aussi Jylamont & Jwlemanat.


JULEPS. m. en latin julepus & julapium, (Pharmacie, Thérapeutique) espece de remede magistral, qui est une liqueur composée, diaphane, d'un goût agréable, d'une bonne odeur ou sans odeur, que le medecin prescrit ordinairement pour plusieurs doses.

La qualité de diaphane que l'on demande dans le julep, prouve que le mélange de ses différens ingrédiens doit être fait par vraie dissolution chimique. L'agrément du goût qui est essentiel à cette espece de remede, exigeoit nécessairement cette dissolution, puisqu'un simple mêlange par confusion ne peut fournir qu'une potion trouble qui ne sauroit être agréable au goût.

On peut préparer des juleps pour remplir la plûpart des indications medicinales, ou, ce qui est la même chose, on peut donner sous cette forme un grand nombre de médicamens doués de diverses vertus. Les juleps les plus usités sont cependant ceux qu'on prépare avec des remedes humectans, adoucissans, rafraîchissans, ou quelquefois, mais plus rarement, avec des fortifians & cordiaux.

La matiere des juleps doit être distinguée en excipient & en base, c'est-à-dire, en liqueur qui reçoit, qui étend, qui délaye, & en médicament principal, soit liquide, soit solide, qui est reçu, étendu, délayé.

L'excipient des juleps est premierement l'eau commune, ou des eaux distillées des plantes inodores ; telles que l'eau de chicorée, de laitue, de coquelicot, de bourache, d'oseille, &c. L'eau commune vaut mieux que ces eaux distillées, qui ont toujours un goût fade & une certaine odeur de feu, & qui d'ailleurs ne possedent aucune vertu réelle ; voyez EAUX DISTILLEES. Secondement, les eaux distillées aromatiques, dont le parfum est doux & agréable, ou qui sont véritablement actives, comme l'eau-rose, l'eau de fleur d'orange, l'eau de chardon-bénit, &c. Troisiemement, les infusions des fleurs & des especes aromatiques, comme d'oeillets, de violettes, de thé, de vulnéraires de Suisse, &c. Quatriemement, les décoctions légeres & qui n'ont point de saveur desagréable, clarifiées ; telles que celles d'orge, de ris, de pruneaux, de raisins secs, de pommes, de corne de cerf, &c. enfin l'excipient peut être formé du mélange de ces diverses liqueurs.

La base du julep est, ou des syrops agréables & parfaitement solubles, (cette derniere qualité exclut celui d'orgeat, dont la dissolution dans l'eau fait une émulsion, voyez ÉMULSION) comme celui d'oeillet, de capillaire, de limon, de coin, de mûre, d'épine-vinette, de framboise, &c. ou des sucs des fruits doux & aigrelets, tels que ceux dont nous venons de parler ; celui de cerises, de pommes, de groseilles, &c. les robs, les gelées, les marmelades, telles que le cotignac, la gelée de groseilles, la marmelade d'abricots, le sucre, soit pur, soit aromatisé sous forme d'oleo-saccharum. (Nota, Les sucs, les syrops, les robs, gelées, marmelades & le sucre exigent qu'on filtre le julep, si on veut l'avoir clair & aussi élégant qu'il peut l'être,) le vinaigre, l'esprit de vinaigre & les acides minéraux, les esprits ardens, soit purs, soit aromatiques distillés ; on introduit aussi quelquefois dans les juleps quelques sels neutres principalement, & même presque uniquement le nitre. On y mêle aussi quelquefois les confections alkermes & d'hyacinthe : mais dès-lors on a proprement une potion, voyez POTION, & ce n'est qu'inexactement qu'on appelle un pareil mélange julep.

On voit par l'idée que nous venons de donner du julep, que la limonade est un véritable julep ; que nos liqueurs spiritueuses aromatiques & sucrées, nos ratafias étendus dans plusieurs parties d'eau seroient de vrais juleps. De plus, la limonade & ce dernier mélange fourniroient des juleps éminemment conformes à la regle de l'art qui défend de multiplier les ingrédiens des remedes, & sur-tout dans ceux qu'on veut rendre agréables. Il ne faut donc jamais s'écarter de cette regle dans la prescription des juleps : la limonade & la dissolution du ratafia de cerises dans l'eau, en sont de fort bons modeles. Voyez LIMONADE.

La proportion des divers ingrédiens d'un julep est telle que pour une livre de medecine ou douze onces d'excipient, on prenne environ deux ou trois onces de syrop ou de sucs, gelées, &c. ou une once & demie de sucre ; on peut encore se régler sur le goût du malade, & déterminer la dose de ces ingrédiens par le degré d'agréable douceur. Les acides se dosent toujours par le point d'agréable acidité. Les esprits ardens ne doivent pas y excéder la quantité d'une once par livre d'excipient. Le nitre est en suffisante quantité à la dose de demi-gros, d'un gros tout au plus.

La dose générale du julep ne doit se prescrire que pour la journée, quoique cette préparation ne soit pas aussi sujette à s'altérer que l'émulsion. Sa quantité se regle sur la soif du malade, & sur l'intention du medecin. Mais elle doit toujours être considérable : une seule dose de julep rafraîchissant ou fortifiant, donnée dans la journée & ordinairement le soir, comme le pratiquent quelques medecins, est un remede à peu-près inutile. En général, les remedes doux & purement altérans, comme ceux qu'on donne communément sous la forme des juleps, ne peuvent agir que par les doses réitérées. Il est pourtant permis de préparer un seul verre de julep, quand on veut en faire le véhicule d'un narcotique qu'on donne une fois seulement à l'heure du sommeil ; la dose particuliere du julep se prescrit par onces ou par verrées.

Les anciens avoient une forme de remede qu'ils appelloient julep, & qui n'étoit qu'un syrop liquide. Le nôtre differe de celui-là par sa beaucoup plus grande liquidité. (b)


JULESS. m. (Commerce) petite monnoie courante en Italie ; sa valeur est d'environ cinq sols. Il y a les testons, les écus & les jules. La pistole d'Espagne vaut à Rome treize écus jules, & l'écu de notre monnoie dix ou environ.

Le nom de cette monnoie vient des papes qui se sont appellés Jules.


JULIA(Geog. anc.) prénom de villes ou colonies romaines.

Quand Jules-César eut détruit la liberté de sa patrie, & qu'il eut usurpé l'autorité des consuls & du sénat, il arriva que plusieurs lieux joignirent son nom à celui qu'ils avoient déjà, soit parce qu'il y envoya des colonies pour les repeupler, soit parce qu'ils reçurent d'autres marques de sa bienveillance, ou qu'ils espérerent de se la procurer par ce témoignage de leur dévouement ou de leur flaterie.

Quoi qu'on en pense, on ne voit que villes & colonies qui firent gloire de porter le nom de Julia, ou simple, sans une autre dénomination, ainsi que Julia (Juliers) en Germanie, Julia aujourd'hui Fidence ou Borgo san-Domino en Italie ; ou composé, ainsi que Juliopolis en Bithynie, Juliobriga dans la Tarragonoise, Juliodunum (Loudun) dans la Celtique, Juliomagus (Angers) Julia-Bona (Vienne) en Autriche ; ou joint avec quelque épithete, ou quelque qualité particuliere, comme Julia fama en Estramadan, Julia-Campestris, Rabba dans la Mauritanie Tingitane, Julia-Nova dans le royaume de Naples, Julia-Concordia, Julia-restituta, Segeda, dans la Bétique, Julia traducta, Tingi, dans la Mauritanie ; ou réuni simplement avec les anciens noms des villes, par exemple, colonia Julia Berytus, colonia Julia Accitana, colonia Julia Sinope, &c.

Les colonies romaines, & quantité d'autres villes, ne se firent pas moins d'honneur du titre d'Augusta que de celui de Julia. Les habitans de ces villes étoient persuadés qu'ils ne pouvoient mieux marquer à Auguste leur reconnoissance & la vénération qu'ils avoient pour son nom, qu'en l'adoptant ; il fut même consacré en quelque sorte à désigner la capitale & le chef-lieu de quantité de peuples particuliers ; de-là l'Augusta Taurinorum, l'Augusta Trevirorum, Vindelicorum, Suessionum, Veromanduorum, &c.

Plusieurs colonies prenoient, même conjointement, la qualité de Julia avec celle d'Augusta ; rien de plus ordinaire que de lire sur les médailles, colonia Julia, Augusta, Berytus ; colonia Julia Augusta Apamea ; colonia Julia Augusta Pella ; colonia Julia Augusta Heliopolis, & tant d'autres ; les unes, parce qu'Auguste les avoit fondées en exécution des dernieres volontés de Jules César, ou augmentées par de nouvelles bandes de soldats vétérans ; les autres, à cause qu'il les avoit confirmées dans leurs anciens droits & privileges, ou qu'il leur en avoit accordé de nouveaux.

On trouve aussi, par les mêmes raisons, quelques villes nommées Justinopolis, de l'empereur Justin ; on en trouve encore un plus grand nombre nommées Justiniana, de l'empereur Justinien ; ce prince, qui désolant ses sujets par toutes sortes de tyrannies, crut étendre sa gloire en bâtissant de nouvelles villes, en en réparant d'autres, & en construisant des forteresses qui portassent son nom ; mais si plusieurs villes le prirent de cette maniere, elles ne le garderent pas long-tems. (D.J.)


JULIA GENS(Antiq. rom.) la premiere maison de Rome. La famille Julia prétendoit tirer son origine de Julus fils d'Enée, & par lui conséquemment de la déesse Venus. On trouve des médailles de cette famille, qui ont au revers un Enée, portant Anchise sur le bras gauche, tenant de sa main droite le palladium, & marchant à grands pas comme un homme qui fuit. Le fils de Julus vint à succéder à son pere dans le souverain sacerdoce, & transmit à sa famille cette premiere dignité de la religion, dont les empereurs romains ne manquerent pas de s'emparer, comme succédant aux droits des Jules ; car ils prirent tous le titre de souverain pontife, & ce fut un grand coup de politique, primum arcanum imperii. Voyez PONTIFE. (D.J.)


JULIANou JULIENNE, hesperis, (Botanique) genre de plante à fleur en croix, composées de quatre pétales ; il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit ou une silique longue, cylindrique, divisée en deux loges par une cloison qui porte de chaque côté des panneaux creusés en gouttiere. Cette silique renferme des semences oblongues presque cylindriques, quelquefois arrondies & logées dans les fosses de la cloison. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE & JULIENNE.


JULIEN(Chron.) est un terme fort en usage dans la Chronologie. Ce mot se prend en deux sens dans la Chronologie, en tant qu'il est joint avec le mot année & avec le mot période.

JULIENNE (ANNEE) ; c'est une ancienne maniere de supputer les années, qui est ainsi appellée de Jules César son inventeur, pour la distinguer de la Grégorienne, qui est en usage dans la plus grande partie de l'Europe. Voyez AN & CALENDRIER.

Période julienne est une période à qui on a donné ce nom, parce que c'est Jules Scaliger qui en a parlé le premier. Voyez ANNEE. Cette période est formée du produit du cycle solaire 28, par le cycle lunaire 29, & par le cycle des indictions 15 ; ce qui fait 7980 ans. Voyez CYCLE.

On la fait commencer environ 764 ans avant la création du monde plus ou moins selon l'hypothèse qu'on veut suivre. Son principal avantage consiste en ce que les mêmes années du cycle solaire, lunaire ou de l'indiction qui appartiennent à une année de cette période, ne peuvent se rencontrer ensemble qu'au bout de 7980 ans. Comme on suppose dans cette période que le cycle solaire est 28, & qu'il revient toujours le même au bout de 28 ans, on voit que c'est principalement à l'année julienne qu'elle convient : car dans l'année julienne le cycle solaire est constamment 28, parce que chaque quatrieme année est toujours bissextile, au lieu qu'il n'en est pas de même dans l'année grégorienne, ou sur quatre années séculaires consécutives, il n'y en a qu'une qui soit bissextile. La premiere année de l'ére chretienne dans tous nos systèmes de Chronologie est toujours la 4714e de la période julienne. Ainsi pour trouver à quelle année de la période julienne appartient une année donnée depuis J. C. on ajoutera à cette année 4713 pour les nombres d'années qui se sont écoulées avant la naissance de Notre Seigneur, & la somme donnera l'année de la période julienne que l'on cherche.

Je veux savoir, par exemple, à quelle année de la période julienne répond l'année 1720. 1720 + 4713 = 6433, qui est l'année de la période que l'on cherche.

Si l'on connoit au contraire l'année de la période julienne, & que l'on veuille savoir quelle est l'année de J. C. qui lui répond, il n'y a qu'à retrancher de la premiere 4713, & le reste sera l'année que l'on cherche.

Je veux savoir, par exemple, quelle année de J. C. répond à la période 6433 ; 6433 - 4713 = 1720, qui est l'année que l'on cherche.

Si l'année donnée de la période julienne étoit moindre que 4713, il faudroit la retrancher de 4714 (qui est l'année de cette période qui répond à la premiere de J. C.) & le restant montreroit de combien l'année donnée de la période julienne a précédé la naissance de J. C.

Je suppose, par exemple, que la ville de Rome a été bâtie l'année 3960 de la période julienne, & je veux savoir de combien sa fondation a précédé la naissance de J. C. 4714 - 3960 = 754, qui montre que Rome a été bâtie 754 ans avant J. C.

Comme cette période n'est pas encore achevée, & qu'elle a commencé long-tems avant les époques les plus anciennes que nous connoissions, il est évident qu'elle doit renfermer tous les événemens qui sont arrivés sur la terre, & tous les faits historiques, ensorte qu'il ne peut y avoir qu'une année dans toute cette période qui réponde au même nombre des trois cycles dont elle est composée. C'est pourquoi si les Historiens avoient eu soin de marquer dans leurs annales les cycles de chaque année, il n'y auroit plus d'incertitude dans les époques ni dans la Chronologie. On suppose que la premiere année de la période julienne avoit 1 de cycle solaire, 1 de cycle lunaire, & 1 d'indiction.

On peut proposer sur la période julienne un autre problème qui a fort exercé les Chronologistes. Etant donnée l'année du cycle solaire, celle du cycle lunaire & celle de l'indiction, on propose de trouver l'année de la période julienne.

On multipliera le nombre 3845 par le nombre du cycle solaire, le nombre 4200 par le nombre du cycle lunaire, & le nombre 6916 par l'année de l'indiction. Ensuite on divisera la somme des trois produits par 7980, & négligeant le quotient, le reste sera l'année de la période julienne. Exemple. Soit pris l'année 1718, le nombre du cycle solaire 19, celui du cycle lunaire 9, & de l'indiction 11, si on multiplie 4845 par 19, le produit sera 92055 ; de même si on multiplie 4200 par 9, le produit sera 37800 ; enfin si on multiplie 6916 par 11, le produit sera 76076. Or la somme des produits est 205931, qui étant divisée par 7980, & négligeant le quotient, le reste sera 6431, qui marque que l'année 1718 est la 6431e de la période julienne ; voici la raison de cette pratique. Le nombre 4200 est le produit de 28 par 150, ou de 15 par 280, ou de 19 par 221, en ajoûtant 1 à ce dernier produit ; le nombre 4845 est le produit de 19 par 255, ou de 15 par 323, ou de 28 par 173, en ajoûtant 1 à ce dernier produit ; le nombre 6916 est le produit de 19 par 364, ou de 28 par 247, ou de 15 par 461, en ajoûtant 1 à ce dernier produit ; donc si on multiplie 4200 par le cycle lunaire donné 9, ce produit pourra se diviser exactement par 28 & par 15, c'est-à-dire par le cycle solaire & le cycle des indictions ; mais en le divisant par 19, qui est le cycle lunaire il restera 9 ; car 4200 multiplié par 9, est égal à 28 multiplié par 9 & par 150, ou à 15 multiplié par 9 & par 280, ou à 19 multiplié par 9 & par 221, auquel produit il faudra ajoûter 9. On verra par la même raison, que si on multiplie par 4845 le nombre 19 du cycle solaire 9, le produit se divisera exactement par 19 & par 15, mais que divisant par 28 il doit rester 19 : & enfin que si on multiplie le nombre 11 de l'indiction par 6916, le produit pourra se diviser exactement par 28 & par 19, mais que divisant par 15, il restera 11. On démontrera de même que la regle que nous avons donnée est générale, quels que soient les nombres donnés du cycle solaire, du cycle lunaire & de l'indiction.

Au reste il est clair que la difficulté de ce problème & de tous les autres semblables, se réduit à trouver un nombre qui, divisé par 28 il reste 19, divisé par 19 il reste 9, & divisé par 15 il reste 11. M. Euler a donné dans le tome VII. des Mémoires de l'académie de Pétersbourg une méthode générale pour résoudre ces sortes de questions, quels que soient les nombres par lesquels il faut faire la division, & en quelque quantité que soient ces nombres, & quels que doivent être les restes. Voyez le tome VII. des Mém. acad. de Petersbourg, pag. 46. Il est encore bon de remarquer que ces questions sont en quelque maniere indéterminées, & qu'elles ont une infinité de solutions, si on les prend dans toute leur généralité. Car, par exemple, après avoir trouvé que l'année 16431 de la période julienne est celle qui a 19 de cycle solaire, 9 de cycle lunaire & 11 d'indiction, on trouve que l'année 6431, plus 7980 ou 6431, plus deux fois 7980 ; ou 6431, plus trois fois 7980 & ainsi à l'infini, ont les mêmes nombres de cycle solaire, de cycle lunaire, & de cycle d'indiction. Mais ces années appartiendroient à de nouvelles révolutions de la période julienne ; de sorte que pour trouver l'année de la période julienne à laquelle répond une année proposée qui a 19, 9 & 11 de cycles, il faut non-seulement trouver un nombre qui étant successivement divisé par 28, 19 & 15, il reste 19, 9 & 11 ; il faut encore que ce nombre soit le plus petit qu'il soit possible parmi tous ceux qui ont cette propriété, telle est dans la question présente le nombre 6431, & alors le problème dont il s'agit est déterminé, & n'a qu'une seule solution.

La période julienne est la même que la période ou époque constantinopolitaine, dont les Grecs se servent, avec cette différence que les cycles solaires, lunaires & des indictions s'y comptent autrement, & que la premiere année de cette époque est différente de la premiere année de la période Julienne. Voyez EPOQUE.

Quelques auteurs, dans leurs tables astronomiques ou dans leurs éphémérides, comptent les années suivant cette période ; mais quoique Kepler & Bouillaud en ayent fait usage, cependant c'est dans l'Astronomie de Mercator publiée en 1676, qu'on s'en sert uniquement. Instit. Astron. de M. Le Monnier.

La période julienne est le produit de la période dyonisienne par 15. Voyez PERIODE. (O)

JULIENNE, (Botan.) hesperis, genre de plante qu'on caractérise ainsi. Sa fleur est d'ordinaire à quatre pétales en forme de croix. Du calice s'éleve le pistil qui devient une gousse longue, unie, conique, à deux panneaux divisés en deux cellules, séparées par une cloison intermédiaire, & pleines de semences oblongues, sphériques ou cylindriques.

M. de Tournefort compte vingt-six especes de julienne, dont nous décrirons la plus commune, hesperis hortensis. Elle porte à la hauteur de deux piés des tiges rondes, veluës, remplies de moëlle. Ses feuilles sont rangées alternativement le long des tiges ; elles ressemblent à celles de la roquette, mais elles sont moins découpées ; d'ailleurs elles sont dentelées en leurs bords, pointues, cotonneuses, d'un verd noirâtre, & d'un goût un peu âcre. Il sort de leurs aisselles de petits rameaux qui portent des fleurs approchantes de celles du giroflier, belles, jaunes, composées chacune de quatre pétales disposés en croix, tantôt blancs, tantôt purpurins, tantôt de couleurs diversifiées, comme blanches avec des taches purpurines. Ces fleurs répandent une odeur suave, très-agréable ; il leur succede des siliques lisses, renfermant des semences oblongues ou rondelettes, rougeâtres & âcres : ses racines sont petites, ligneuses & blanches.

La julienne differe principalement du giroflier par ses gousses qui sont cylindriques & non pas applaties ; & par ses graines qui sont enflées, non bordées d'une aîle, & qui de plus sont reçûes dans des creux de la cloison intermédiaire.

Les juliennes que les Fleuristes cultivent principalement, ce sont celles à fleur pourpre, blanche, panachée, soit simple, soit double, sur-tout ces dernieres. En effet la julienne blanche double, hesperis hortensis, flore albo, pleno, H. R. P. n'est point inférieure en beauté à la plus belle girofflée. Toutes les juliennes fleurissent en Mai, & les juliennes simples perfectionnent leurs graines en Août.

Les juliennes se multiplient de graine, de bouture, ainsi que de plan enraciné. Il faut les semer en Mars, soit en planche, soit en pots dans une terre meuble, non fumée, & couverte d'un bon doigt de terreau. Si on veut avoir des juliennes de bouture, on coupe des branches contre le pié ; quand les fleurs sont passées, on les fiche en terre & on les arrose ; on les met ensuite à l'ombre pendant quelques jours, & l'année suivante on les replante où l'on juge à propos.

Pour multiplier les juliennes de plant enraciné, il faut prendre un pié de deux ans qui ait fait touffe ; on en éclate les tiges, de telle maniere que chaque brin a des racines ; on les replante, on les arrose aussi-tôt : on les laisse reprendre, & on leur donne une culture convenable. Voyez Morin, culture des fleurs. (D.J.)


JULIER(Géog.) en allemand Julich, ville d'Allemagne, capitale du duché de même nom, avec une bonne citadelle, dont les murs épais sont bâtis sur pilotis ; Juliers est ancienne, car l'itinéraire d'Antonin en parle sous le nom de Juliacum ; elle étoit au pays des Ripuaires. Ammien Marcellin, lib. XVII. cap. ij. la désigne entre Cologne & Rheims, elle est sur la Roër à 6 de nos lieues N. E. d'Aix-la-Chapelle, 7 O. de Cologne, 11. N. E. de Mastricht. Long. 24. 10. lat. 50. 55. (D.J.)

JULIERS, le duché de, (Geog.) petit pays d'Allemagne dans la Westphalie avec titre de Duché, borné N. par la Gueldre, E. par l'archevêché de Cologne, S. par les pays d'Eiffel & de Luxembourg, O. par le pays d'entre-Meuse. Les principales villes sont Juliers capitale, Duren & Aix la-Chapelle ; ce pays est à l'Electeur palatin. (D.J.)


JULIOBONA(Géog. anc.) ancienne ville de la Gaule lyonnoise, dans le pays des Caletes (de Caux) selon Ptolomée. On a cru trouver cette ville dans l'Islebonne, dans Dieppe, dans Troyes, dans Angers, dans Bayeux, &c. enfin on s'est inutilement cassé la tête à la rechercher ; elle n'est point encore découverte. (D.J.)


JULISS. m. (Ichtyolog.) ou , julia en latin par Gaza, & par les Génois girella ; petit poisson qu'on prend principalement sur la côte de Gènes & d'Antibes, & qu'on vend dans les marchés à cause de sa délicatesse. Il vit en troupes, comme le remarque Aristote, & est poisson de rocher, comme le dit Galien.

Sa grandeur est de la longueur, & un peu plus de la largeur du pouce. Il est couvert de petites écailles variées, brillantes & fortement adhérentes à la chair. Le long des côtés regne une ligne blanche, & au-dessous une autre saffrannée ; son ventre est d'un blanc de perle ; ses yeux sont ronds & petits ; son iris est rouge ; le trou des excrémens est placé au milieu du corps ; sa bouche est petite, armée de dents fortes & aiguës ; ses levres sont épaisses & charnues ; sa nageoire du dos s'étend jusqu'à la queue, qui est non fourchue.

Les mâles sont peints des plus brillantes couleurs, vertes sur le dos, tachetées de jaune & de rouge sur la tête, bordées de raies dorées sur les côtés, & mouchetées de rouge & de bleu sur la nageoire du dos, ainsi que sur la queue.

Elien assure que ce poisson a les dents venimeuses. Il eût rencontré plus juste s'il eût dit avec Athénée, qu'il est friand de chair humaine, car il persécute les nageurs, les plongeurs, court sur eux à grande troupe, & vient mordre les jambes nues à ceux qui sont dans l'eau. Rondelet, liv. VI. ch. vij. Aldrovand, liv. I. chap. vij. Gesner de Piscibus, pag. 549. (D.J.)

JULIS, (Géog. anc.) ville de l'isle de Céos, dont Ptolomée, Suidas & Valere-Maxime ont fait mention. Cette ville, située sur une montagne à trois milles de la mer, a été la patrie de Bacchylide, fameux poëte grec, qui fleurissoit vers l'an du monde 3552, propre neveu de Simonide, qui étoit de la meme isle, & vraisemblablement de la même ville. Il nous reste quelques fragmens des poésies de Simonide, qui ont été recueillies par Fulvius Ursinus. Le sophiste Prodicus, le medecin Erasistrate, & un philosophe nommé Ariston, étoient aussi natifs de Julis.

Mais nous ne pouvons taire un fait bien singulier que rapporte Valere-Maxime, liv. II. chap. vj. num. 7. Il raconte qu'allant en Asie avec Sextus Pompée, & passant par Julis, il assista aux dernieres heures d'une dame de cette ville, âgée de plus de 90 ans. Elle avoit déclaré aux magistrats les raisons qui la portoient à renoncer à la lumiere, & ils les avoient approuvées. Comme elle crut que la présence de Pompée donneroit un grand éclat à cette cérémonie, elle le fit supplier de vouloir bien y assister. Il lui accorda cette faveur, dans l'espérance de l'engager, par son esprit & par ses instantes prieres, à changer de résolution ; mais ce fut inutilement.

Elle le remercia de ses bontés, & chargea envers lui de sa reconnoissance, non pas tant les dieux qu'elle alloit joindre, que ceux qu'elle alloit quitter. Tibi quidem, inquit, Sexte Pompei, dii magis quos relinquo, quàm quos peto, gratias referant, quia nec hortator vitae meae, nec mortis spectator esse, fastidisti. En même tems elle lui déclara qu'ayant toujours été favorisée de la fortune, elle ne vouloit point s'exposer à ses revers. Ensuite ayant exhorté à la concorde deux filles & sept petits-fils qu'elle laissoit, elle prit d'une main ferme la coupe qui contenoit le poison. Alors après s'être recommandée à Mercure, pour l'heureux succès de son passage, elle but avidement la mortelle liqueur. Poculum in quo venenum temperatum erat, constanti dextrâ arripuit ; Tum defusis Mercurio delibamentis, & invocato numine ejus, ut se placido itinere in meliorem sedis infernae deduceret partem, cupido haustu mortiferam traxit potionem.

Ce récit intéressant sur une citoyenne de Julis, nous apprend encore une particularité qu'on ne trouve point ailleurs, je veux dire la maniere dont on se recommandoit aux dieux à l'article de la mort : nous ne lisons nulle part qu'on leur demandât pardon de ses péchés. (D.J.)


JUMALA(Mythol.) c'est la divinité suprème des Lapons ; elle est placée sur un autel, avec une couronne sur la tête & une chaîne d'or au col. Les Lapons la regardent comme la souveraine de la nature.


JUMARTS. m. (Maréch.) animal monstrueux, engendré d'un taureau & d'une jument, ou d'une ânesse, ou bien d'un âne & d'une vache. Cet animal n'engendre point, & porte des fardeaux très pesans.


JUMEAUXfreres, (Physiol.) terme relatif qui se dit de deux enfans mâles qu'une mere a portés en même tems dans son sein.

La naissance de deux freres jumeaux a fait naître dans la société civile une question insoluble en elle-même, j'entends celle du droit d'aînesse. On peut bien décider par la loi (parce qu'il faut une décision vraie ou fausse) que le premier qui vient au monde, sera regardé comme étant l'aîné ; mais ce qui se passe dans les entrailles de la mere lors de la conception & du terme de l'accouchement, est un secret tellement impénétrable aux yeux des hommes, qu'il leur est impossible de dissiper le doute par les lumieres de la Physiologie.

De-là vient que quelques-uns de nos jurisconsultes qui ont traité des successions, aiment mieux s'en tenir au sort ou au partage égal des biens de patrimoine entre freres jumeaux, qu'aux arrêts d'une faculté de medecine. Pour moi j'approuve fort le partage égal à l'égard des particuliers, mais quand il s'agira d'un royaume, ces deux moyens de décision ne seront pas suivis : les royaumes ne se partagent pas aisément ; il y en a même, comme celui de France, où l'on n'admettroit pas le partage. Quant au sort, on obligeroit difficilement les concurrens à soumettre leurs droits à l'incertitude de cet arrêt. Un célebre espagnol offre ici l'élection faite par les états assemblés, mais vraisemblablement cette idée ne seroit pas plus sûre, ni d'une pratique plus heureuse.

Ulpien propose cette autre question dans la loi dixieme §. ult. ff. de rebus dubiis : un testateur legue la liberté à un esclave, si son premier enfant est un mâle ; elle accouche d'un garçon & d'une fille, on n'a pu déterminer lequel des deux enfans étoit né le premier ; dans ce cas Ulpien décide qu'il faut suivre le parti le plus doux, présumer le mâle né le premier, & déclarer la fille ingénue, puisque sa mere avoit acquis la liberté par la naissance du mâle. Quoique cette décision ne soit pas précise, on ne peut s'empêcher de la goûter, parce que les circonstances favorables doivent toujours faire pancher la balance en faveur de l'humanité.

Il s'offre sur les jumeaux plusieurs autres questions difficiles à résoudre par les lumieres physiologiques ; la cause de leur origine, & la rareté de ce phénomène n'est pas une des moindres.

La Physiologie est encore plus embarrassée à comprendre la raison de la ressemblance des freres jumeaux, car ils ont chacun dans le ventre de la mere leur placenta distinct, un cordon ombilical distinct, enfin des enveloppes & des vaisseaux qui leur sont propres ; cependant la ressemblance des freres jumeaux est assez bien constatée par les annales de l'Histoire. Celle de France seule fournit à ma mémoire des exemples trop singuliers sur cet article, pour pouvoir les supprimer ; ils tiendront lieu des dépenses d'esprit, dont nous sommes volontiers avares en fait d'explications.

Henry de Soucy, disent les Historiens, fut pere de Nicolas & de Claude de Soucy freres jumeaux, dont l'aîné eut en partage la seigneurie de Sissonne, & le puîné celle d'Origny. Ils naquirent le 7 Avril 1548, avec tant de ressemblance que leurs nourrices prirent le parti de leur donner des bracelets de différentes couleurs afin de les reconnoître. Cette grande ressemblance se conserva pendant long-tems dans leur taille, dans leurs traits, dans leurs gestes, dans leurs humeurs & dans leurs inclinations : de sorte qu'étant vêtus de la même façon dans leur enfance, les étrangers les confondoient sans-cesse, ils furent placés à la cour ; le seigneur de Sissonne en qualité de page de la chambre d'Antoine de Bourbon roi de Navarre, & le seigneur d'Origny, du jeune Henri de Bourbon son fils, depuis roi de France. Ils furent tous deux aimés de Charles IX. qui prenoit souvent plaisir de les mettre ensemble, & à les considérer pour y trouver les légeres marques de différence qui les distinguoient. Le seigneur d'Origny jouoit parfaitement bien à la paume, & le seigneur de Sissonne s'engageoit quelquefois dans des parties où il n'avoit pas l'avantage. Pour y remédier il sortoit du jeu, feignant quelque besoin, & faisoit adroitement passer son frere à sa place, lequel relevoit & gagnoit la partie, sans que les joueurs ni ceux qui étoient dans la galerie s'apperçussent de ce changement.

L'Histoire moderne ajoûte que Scévole & Louis de Sainte-Marthe freres jumeaux, se ressembloient aussi beaucoup de corps & d'esprit ; ils vêcurent ensemble dans une étroite intimité, & travaillerent de concert à des ouvrages qui ont immortalisé leur nom.

Je crois que messieurs de la Curne & de Sainte-Palaye (ce dernier est célébre dans la république des Lettres), ont pu servir dans leur jeunesse d'un troisieme exemple de grande ressemblance de figure, de goûts & d'inclinations. Quoi qu'il en soit, cette ressemblance inexplicable entre deux freres jumeaux, est partout beaucoup plus marquée que dans d'autres freres, dont les âges s'approchent autant qu'il est possible. (D.J.)

JUMEAUX en Anatomie, nom de plusieurs muscles, ainsi appellés parce qu'on les considere deux à deux.

Les grands jumeaux ou extenseurs du pié prennent leur attache de la partie postérieure & inférieure du fémur au-dessus des condyles. Ces muscles se réunissent pour former le gras de la jambe, & vont se terminer en unissant leur tendon avec ceux du plantaire & du solaire, à la partie postérieure & supérieure du calcaneum.

Les deux jumeaux de la cuisse sont deux petits muscles, dont le supérieur s'attache à l'épine de l'ischium, & l'inférieur au-dessus de la tubérosité de l'ischium. C'est entre ces deux muscles que passe le tendon de l'obturateur interne, avec lequel ils s'unissent intimement, & vont se terminer dans la cavité du grand trochanter.

JUMEAUX, (Chimie) vaisseaux de Chimie. Ce sont deux alambics de verre couplés, & qui se servent réciproquement de récipient, au moyen d'un tuyau ou goulot que chacun porte à la partie latérale de sa cucurbite & qui reçoit le bec du chapiteau de l'autre. Voyez la Planche des vaisseaux de Chimie.

Cet appareil est destiné à la circulation ; voyez CIRCULATION Chimie, & il est fort peu d'usage.

Le pélican est exactement le même appareil simplifié. Voyez PELICAN. (b)


JUMELLÉadj. terme de Blason, qui se dit d'un sautoir, d'une bande, d'une fasce, & d'un chevron de deux jumelles.


JUMELLER(Marine) c'est fortifier & soutenir un mât avec des jumelles.


JUMELLESS. f. (Marine) longues pieces de bois de sapin arrondies & creusées, que l'on attache autour d'un mât avec des cordes, quand il est nécessaire de le renforcer. (Z)

JUMELLE, (Artificier) les Artificiers appellent ainsi un assemblage de deux fusées adossées sur une baguette commune.

JUMELLES, (Fonderie) piece d'Artillerie, ainsi nommée parce qu'elle étoit composée de deux canons qui, séparés l'un de l'autre par en haut, se réunissoient dans le milieu vers la ceinture ou ornement de volée. Ces deux canons étoient fondus conjointement avec une seule lumiere : on les chargeoit tous deux en même tems avec deux barres de fer attachées ensemble, & éloignées l'une de l'autre selon la distance des deux bouches. L'usage de ce canon jumelle inventé par un fondeur de Lyon, ne fut pas de longue durée ; le P. Daniel en donne la figure dans sa Milice françoise, tome I. p. 452. Dict. de Trévoux. (D.J.)

JUMELLES, (Imprimerie) jumelles de presse d'Imprimerie ; ce sont deux pieces de bois à-peu-près quarrées, environ de six piés de haut sur deux piés de diametre, égales & semblables, posées d'aplomb, vis-à-vis l'une de l'autre, maintenues ensemble par deux traverses ou pieces d'assemblages ; leurs extrémités supérieures sont appuyées par les étançons, & les inférieures se terminent en tenons qui sont reçus dans les patins : aux faces du dedans de ces jumelles, sont différentes mortoises faites pour recevoir les tenons des sommiers. Voyez SOMMIERS, PATINS. Voyez les figures & les Planches d'Imprimeries.

JUMELLES, chez les Tourneurs, sont deux longues pieces de bois placées horisontalement, entre lesquelles on met les poupées à pointes ou à lunettes, qui soutiennent l'ouvrage & les mandrins des Tourneurs quand ils travaillent. Ces deux pieces de bois ne sont éloignées l'une de l'autre, que de l'épaisseur de la queue des poupées ; & elles sont jointes à tenons par leurs extrémités dans les jambages du tour. Voyez TOUR.

On donne en général dans les Arts méchaniques le nom de jumelles, à deux pieces semblables & semblablement posées.

JUMELLE, terme de Blason, espece de fasce double ou de fasce en devise ; dont on charge le milieu de l'écu, & qu'on sépare par une distance égale à la largeur de la piece. Quand il n'y en a qu'une, on la met au milieu de l'écu ; mais quand il y en a plusieurs, on les sépare par des intervalles plus larges que celui qui est entre les deux pieces qui composent la jumelle. Ces jumelles doivent seulement avoir la cinquieme partie de la largeur qu'ont les fasces.

Gaëtani, dont étoit le pape Boniface VIII. d'argent à deux ondes jumellées, ou une jumelle ondée d'azur en bande. Il y a des fasces, des bandes, des sautoirs, & des chevrons jumellés.


JUMENTS. f. (Marechallerie) c'est la femelle du cheval, & la même chose que cavalle. On se sert plus communément du mot de jument dans les occasions suivantes. Jument pouliniere, est celle qui est destinée à porter des poulains, ou qui en a déja eu. Jument de haras, est la même chose : jument pleine, est celle qui a un poulain dans le ventre ; jument vuide, en terme de haras, est celle qui n'a pas été emplie par l'étalon. Voyez l'art. CHEVAL & HARAS.


JUMIEGEGemmetticum, (Géog.) bourg de France en Normandie, au pays de Caux, remarquable par une célebre abbaye de bénédictins. Il est sur la Seine, à 5 lieues S. O. de Rouen, 3 S. E. de Caudebec, 30 N. O. de Paris. Long. 18. 30. lat. 49. 25. (D.J.)


JUNCAGO(Bot.) genre de plante à fleur composée de quatre pétales disposées en rose : le pistil sort du milieu de la fleur, & il devient dans la suite un fruit qui s'ouvre par la base, & qui est composé de trois petites gaînes, dont chacune renferme une seule semence oblongue. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


JUNCOIDES(Botan.) genre de plante à fleur sans pétales, composée de plusieurs étamines ; elle sort d'un calice à six coins : le pistil devient dans la suite un fruit arrondi & ordinairement à trois angles : il s'ouvre en trois parties, & il contient trois semences attachées au centre. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que ses feuilles ne sont pas comme celles du jonc ; mais elles sont resserrées & ressemblent beaucoup à celle du chien-dent. Nova plantarum genera, &c. par M. Micheli.


JUNGFERNHOF(Géog.) petite ville de Livonie, dans le territoire de Letten, à neuf lieues de Riga.


JUNGGHANG(Géog.) grande ville de la Chine, huitieme métropole de la province de Junnan ? elle est dans un pays abondant en cire, miel, ambre, soie, & lin. Long. 119. 55. lat. 24 58. (D.J.)


JUNGNING(Géog.) ville de la Chine onzieme métropole de la province de Junnan. Long. 120. 10. lat. 27. 33. (D.J.)


JUNIE(SAINT), Géog. petite ville de France dans la basse Marche, aux frontieres du Limousin, sur la Vienne, à 7 lieues S. de Limoges. Long. 18. 35. lat. 45. 40. (D.J.)


JUNIPA(Botan. exot.) arbre des îles Caribdes, dont le fruit, suivant nos voyageurs, étant pressé, fournit une eau qui donne une teinture violette, de sorte que les cochons & les perroquets qui se nourrissent de ce fruit, ont leur chair & leur graisse toute teinte de cette même couleur. La garance & d'autres plantes offrent des phénomenes semblables. Voyez GARANCE. (D.J.)


JUNNAN(Géog.) la derniere de toutes les provinces de la Chine en rang, & la plus occidentale, proche les états du royaume d'Ava. C'est en même tems la plus riche de toutes les provinces, & où les vivres sont à meilleur marché. On y trouve d'excellens chevaux, des éléphans, des rubis, des saphirs, & autres pierres précieuses, & des mines très-riches. Elle comprend 12 métropoles, 8 villes militaires, plus de 80 cités, & plus de 14 millions d'ames, au rapport du P. Martini, dont il ne faut pas croire les hyperboles. La premiere métropole de cette province se nomme aussi Junnan, ville très-riche, où l'on fait les plus beaux tapis de la Chine ; elle a plusieurs temples consacrés aux hommes illustres. Long. 121. 15. lat. 25. 20. (D.J.)


JUNONS. f. (Mythol. Littérat. Antiq. Médail.) déesse du paganisme que les Grecs appellent ; & ce nom fut appliqué à plusieurs endroits qu'on lui consacra.

Junon, suivant la fable, étoit la fille de Saturne & de Rhée, soeur & femme de Jupiter, & par conséquent reine des dieux. Aussi sait-elle bien le dire elle-même :

Ast ego quae divûm incedo regina, Jovisque

Et soror & conjux.

Personne n'ignore ce qui regarde sa naissance, son éducation, son mariage avec Jupiter, son mauvais ménage avec lui, sa jalousie, ses violences contre Calixte & la nymphe Thalie, son intendance sur les noces, les couches, & les accidens naturels des femmes ; les trois enfans, Hebé, Mars, & Vulcain, qu'elle conçût d'une façon extraordinaire, la maniere dont elle se tira des poursuites d'Ixion, le sujet de sa haine contre Paris, & ses cruelles vengeances à ce sujet, qui s'étendirent si long-tems sur les Troyens & le pieux Enée. Enfin l'on sait qu'elle prit le sage parti de protéger les Romains, en favorisant cette suite de leurs victoires, qui devoient les rendre les maîtres du monde, & que Jupiter avoit prédites.

Quin aspera Juno,

Quae mare, nunc terrasque, metu coelumque fatigat,

Consilia in meliùs referet, mecumque fovebit

Romanos rerum dominos gentemque togatam.

Aenéid. lib. I. v. 279.

Les amours de cette déesse pour Jason, n'ont pas fait autant de bruit que ses autres avantures ; cependant à quelque diversité près dans le récit, Pindare, Servius, Hygin, Apollonius de Rhodes, & Valerius Flaccus, ne les ont pas obmises.

Le prétendu secret qu'elle avoit de recouvrer sa virginité, en se lavant dans la fontaine Canathus au Péloponnèse, n'a été que trop brodé par nos écrivains modernes. Pausanias dit seulement que les Argiens faisoient ce conte, & le fondoient sur la pratique de leurs cérémonies dans les mysteres de la déesse.

Mais ce qui nous intéresse extrêmement, comme philosophes & comme littérateurs, c'est que de toutes les divinités du Paganisme, il n'y en a point eu dont le culte ait été plus grand, plus solemnel, & plus général. La peinture des vengeances de Junon, dont les théatres retentissoient sans-cesse, inspira tant de craintes, d'allarmes, & de respect, qu'on n'oublia rien pour obtenir sa protection, ou pour appaiser une déesse si formidable, quand on crut l'avoir offensée.

Les honneurs religieux de tous genres qu'on lui rendit en Europe, passerent en Afrique, en Asie, en Syrie, & en Egypte. On ne trouvoit par-tout que temples, autels, & chapelles dédiées à Junon ; mais elle étoit tellement vénérée à Argos, à Samos, à Stymphale, à Olympie, à Carthage, & en Italie, qu'il est nécessaire de nous arrêter beaucoup au tableau qu'en fait l'Histoire, concurremment avec les Poëtes.

Les Argiens prétendoient que les trois filles du fleuve Astérion, avoient nourri la soeur & l'épouse de Jupiter. L'une de ces trois filles s'appelloit Eubée ; son nom fut donné à la montagne sur laquelle paroissoit de loin le temple de Junon, dont Eupoleme avoit été l'architecte. Son fondateur étoit Phoronée fils d'Inachus, contemporain d'Abraham, ou peu s'en faut.

En entrant dans le temple, dit Pausanias, on voit assise sur un trône la statue de la déesse, d'une grandeur extraordinaire, toute d'or & d'ivoire. Elle a sur la tête une couronne que terminent les Graces & les Heures ; elle tient une grenade d'une main, & de l'autre un sceptre, au bout duquel est un coucou.

Les regards des spectateurs se portoient ensuite sur la représentation en marbre de l'histoire de Biton & Cléobis, deux freres recommandables par leur piété envers leur mere, & qui méritoient les honneurs héroïques. On conservoit dans ce même temple le plus ancien simulacre de Junon, qui étoit de poirier sauvage.

Le vestibule du temple offroit à la vûe les statues de toutes les prêtresses de la déesse, prêtresses si respectées dans Argos, que l'on y comptoit les années par celles de leur sacerdoce. Ces prêtresses avoient le soin de couvrir l'autel de la divinité d'une certaine herbe qui venoit sur les bords de l'Astérion ; l'eau dont elles se servoient pour les sacrifices, & les mysteres secrets, se prenoit dans la fontaine Eleuthérie, & il n'étoit pas permis d'en puiser ailleurs : les scholiastes de Pindare nous instruisent des jeux que les Argiens faisoient en l'honneur de Junon.

Les Samiens se vantoient que la reine des dieux avoit pris naissance dans leur île ; qu'elle y avoit été élevée ; que même ses noces avec Jupiter avoient été célébrées dans le temple qui lui étoit consacré, & qui a fait tant de bruit dans le monde. Voici ce qu'en dit M. de Tournefort, après son séjour sur les lieux.

Environ à 500 pas de la mer, & presque à pareille distance de la riviere Imbrasus, vers le cap de Cora, sont les ruines du fameux temple de Junon, la protectrice de Samos. Les plus habiles papas de l'île connoissent encore cet endroit sous le nom de temple de Junon. Menodote Samien, cité dans Athenée, comme l'auteur d'un livre qui traite de toutes les curiosités de Samos, assure que ce temple étoit le fruit des talens de Caricus & des nymphes : car les Cariens ont été les premiers possesseurs de cette île.

Pausanias dit qu'on attribuoit cet ouvrage aux Argonautes qui avoient apporté d'Argos à Samos une statue de la déesse, & que les Samiens soutenoient que Junon étoit née sur les bords du fleuve Imbrasus, (d'où lui vint le nom d'Imbrasia), & sous un de ces arbres, que nous appellons agnus castus : on montra long-tems par vénération ce pié d'agnus castus, dans le temple de Junon.

Pausanias prouve aussi l'antiquité de ce temple, par celle de la statue de la déesse, qui étoit de la main de Smilis, sculpteur d'Egine, contemporain de Dédale. Athenée sur la foi du même Menodote, dont nous venons de parler, n'oublie pas un fameux miracle arrivé, lorsque les Athéniens voulurent enlever la statue de Junon : ils ne purent jamais faire voile, qu'après l'avoir remise à terre, prodige qui rendit l'île plus célebre & plus fréquentée.

Le temple dont il s'agit ici, fut brûlé par les Perses, & on en regardoit encore les ruines avec admiration : mais on ne tarda pas à le relever, & il fut rempli de tant de richesses, qu'on ne trouva plus de place pour les tableaux & pour les statues. Verrès, revenant d'Asie, ne craignit point le sort des Athéniens ; il ne fit pas scrupule de piller ce temple, & d'en emporter les plus beaux morceaux ; les Pirates n'épargnerent pas davantage cet édifice du tems de Pompée.

Strabon l'appelle un grand temple, non-seulement rempli de tableaux, mais dont toutes les galeries étoient ornées de pieces fort anciennes. C'est sans-doute parmi ces pieces, qu'on avoit exposé le fameux tableau qui peignoit les premieres amours de Jupiter & de Junon, d'une maniere si naturelle, qu'Origène ne put se dispenser de le reprocher aux Gentils.

Il y avoit outre cela dans le temple de Junon à Samos, une cour destinée pour les statues, parmi lesquelles on en voyoit trois colossales de la main de Myron, portées sur la même base. Marc-Antoine les avoit fait enlever ; mais Auguste rendit aux Samiens celles de Minerve & d'Hercule, & se contenta d'envoyer celle de Jupiter au capitole, pour être placée dans une basilique qu'il fit bâtir.

De tant de belles choses du temple de Junon Samienne, M. de Tournefort ne trouva sur la fin du dernier siecle, que deux morceaux de colonnes, & quelques bases d'un marbre exquis. Peu d'années auparavant, les Turcs s'imaginant que la plus haute étoit pleine d'or & d'argent, tenterent de l'abattre à coups de canon qu'ils tiroient de leurs galeres. Les boulets firent éclater quelques tambours, dérangerent les autres, & en mirent une moitié hors de leur situation.

On ne peut plus reconnoître le plan de cet édifice qui, selon Hérodote, étoit la seconde merveille de Samos, le temple le plus spacieux qu'il eut vû ; & nous ignorerions sans lui, le nom de l'architecte ; c'étoit un Samien appellé Rhaecus.

Il ne faut pas s'en tenir au dessein de ce temple, qui se trouve sur les médailles antiques, parce qu'on y représentoit souvent différens temples sous la même forme, comme par exemple, le temple dont nous parlons, & celui d'Ephèse, qui vraisemblablement n'étoient pas du même dessein.

Pausanias, que je cite souvent, fait mention de trois temples de Junon dans la ville de Stymphale en Arcadie ; le premier étoit appellé le temple de Junon fille ; le second le temple de Junon mariée ; & le troisieme le temple de Junon veuve. Ces trois temples lui furent érigés par Temenus, & le dernier fut bâti, lorsque la déesse alla, dit-on, se retirer à Stymphale, après son divorce avec Jupiter.

Cette reine des dieux recevoit aussi les plus grands honneurs à Olympie : il y avoit dans cette derniere ville seize dames préposées aux jeux que l'on y célebroit à sa gloire tous les cinq ans, & dans lesquels on lui consacroit un péplus, espece de robe sans manches, & toute brochée d'or. Trois classes de jeunes filles descendoient dans la carriere des jeux olympiques, y disputoient le prix de la course, & la fournissoient presque toute entiere. Les victorieuses obtenoient pour récompense une couronne d'olivier.

Carthage, fameuse capitale d'un vaste empire, passoit pour être la ville favorite de Junon. Virgile ne s'est point servi des privileges de son art, quand il a dit, en parlant de cette ancienne ville d'Afrique, la rivale de Samos dans cette occasion.

Quam Juno fertur, terris magis omnibus unam

Post habitâ coluisse Samo.

Aeneid. lib. I. v. 15.

Son témoignage, fondé sur la tradition, est appuyé par Hérodote, Ovide, Apulée & Silvius Italicus. Ce dernier peignant l'attachement de Junon pour la ville de Carthage, déclare en trois beaux vers, qu'elle la préféroit à Argos & à Mycènes.

Hic Juno ante Argos (sic credidit alta vetustas)

Ante Agamemnoniam, gratissima tecta Mycenem,

Optavit profugis aeternam condere sedem.

Lib. I. v. 46.

Si nous passons en Italie, nous trouverons qu'avant l'existence de Rome, Junon jouissoit déja d'un temple à Falere en Toscane. Il ressembloit à celui d'Argos, & selon Denis d'Halicarnasse, on y suivoit le rit des Argiens.

Cependant les conquérans de l'univers sortoient à peine d'une retraite de voleurs. A peine leur ville naissante étoit élevée au-dessus de ses fondemens, que Tatius, collegue de Romulus, y établit le culte de la reine du ciel. Numa Pompilius, voulant à son tour gagner les bonnes graces de cette divinité suprême, lui fit ériger un nouveau temple, & défendit, par une loi expresse, à toute femme débauchée d'y entrer, ni même de le toucher.

Sous le regne de Tullus Hostilius, les pontifes consultés sur l'expiation des meurtres involontaires, dresserent deux autels, & y pratiquerent les cérémonies qu'ils jugerent propres à purifier le jeune Horace, qui venoit de tuer sa soeur. L'un de ces autels fut consacré à Junon, & l'autre à Janus.

Tarquin le superbe lui voua le temple du capitole en commun avec Jupiter & Minerve ; & d'abord après la prise de Veïes, Camille lui en bâtit un en particulier sur le mont Aventin. En un mot, la fille de Saturne & de Rée, voyoit tant de temples érigés uniquement en sa faveur dans tous les quartiers de Rome, qu'elle ne put plus douter de la vénération extraordinaire que lui portoient les Romains.

Aussi Virgile (& c'est un des beaux endroits de son Enéide) introduit ingénieusement Jupiter, annonçant à son épouse qu'il arriveroit que les descendans d'Enée la serviroient plus dévotement que tous les autres peuples du monde, pourvu qu'elle voulût se desister de ses persécutions, à quoi la déesse ambitieuse consentit avec plaisir.

Hinc gens Ausonio mistam quod sanguine surget

Supra homines, supra ire Deos pietate videbis.

Nec gens ulla tuos aeque celebrabit honores.

Annuit his Juno, & mentem laetata retorsit.

Aeneid. lib. XII, v. 838.

Les honneurs que Junon recevoit dans d'autres villes d'Italie, n'étoient guere moins capables de la contenter. Elle étoit servie sous le titre de sospita, conservatrice, avec une dévotion singuliere à Lanuvium, sur le chemin d'Appius. Il falloit même que les consuls de Rome, à l'entrée de leur consulat, allassent rendre leurs hommages à Junon Lanuvienne. Il y avoit un grand trésor dans son temple, dont Auguste tira de grosses sommes, en promettant d'en payer l'intérêt, & s'assurant bien qu'il ne tiendroit jamais sa parole. On croit que ce temple avoit été fondé par les Pélages, originaires du Péloponnèse ; & l'on appuie ce sentiment, sur ce que la Junon de Lanuvium est nommée par Elien, Juno Argolica.

Quoi qu'il en soit, nous devons à Ciceron, dans ses écrits de la nature des Dieux, liv. I. chap. xxix, le plaisir de connoître l'équipage de cette déesse. Cotta dit à Velleïus, " vôtre Junon tutélaire de Lanuvium ne se présente jamais à vous, pas même en songe, qu'avec sa peau de chevre, sa javeline, son petit bouclier, & ses escarpins recourbés en pointe sur le devant ".

Mais le temple de Junon Lacinia, qu'on voyoit à six milles de Crotone, est encore plus fameux dans l'histoire. Ne nous étonnons pas de la variété de sentimens qui regne touchant son fondateur & l'occasion de sa fondation : de tous tems les hommes ont inventé mille fables en ce genre ; on convient, & c'est assez, qu'il surpassoit une fois, par son étendue, le plus grand temple de Rome. Il étoit couvert de tuiles de marbre, dont une partie fut transférée dans la capitale, l'an de sa fondation 579, pour couvrir le temple de la Fortune équestre, que Quintus-Fulvius Flaccus faisoit bâtir.

Comme ce censeur périt misérablement, le sénat, par une action de piété & de justice, fit reporter les tuiles au même lieu d'où on les avoit ôtées. Annibal n'exécuta pas le dessein qu'il avoit d'enlever une colonne d'or de ce beau temple. Servius, Pline & Tite-Live récitent plusieurs choses miraculeuses, qu'on disoit arriver dans cet endroit : mais Tite-Live n'en croyoit rien ; car il ajoute : " on attribue toujours quelques miracles à ces sortes de lieux, sur-tout lorsqu'ils sont célebres par leurs richesses & leur sainteté ". Pour cette fois cette remarque est d'un historien qui pense.

Au reste, on ne fauroit réfléchir au culte qu'on rendoit à Junon en tant de pays & avec tant d'appareil, sans en attribuer quelque chose à l'avantage de son sexe. Toute femme qui gouverne un état avec distinction, est généralement plus honorée & plus respectée que ne l'est un homme de pareille autorité. Les peuples ont transporté dans le ciel cet usage de la terre. Jupiter étoit considéré comme un roi, & Junon comme une reine ambitieuse, fiere, jalouse, vindicative, implacable dans sa colere, d'ailleurs partageant le gouvernement du monde avec son époux, & assistant à tous ses conseils.

Un homme de génie du siecle passé, pensoit que c'étoit de la même source que provenoient les excès d'adorations où des chrétiens sont tombés envers les saints & la vierge Marie, tant en Angleterre qu'ailleurs. Erasme lui même prétendoit que la coutume de saluer la sainte vierge en chaire après l'exorde du sermon, étoit contre l'exemple des anciens, & qu'il vaudroit mieux les imiter.

Au titre de reine que portoit Junon, & à sa qualité de femme, qui augmentoit sa célébrité, nous joindrons, pour comble de prérogatives, la direction en chef qu'on lui donnoit sur tous les mariages, & leurs suites naturelles : illi vincla jugalia curae, dit Virgile. Voyez ses commentateurs, ils vous indiqueront cent autres passages semblables, & vous expliqueront les épithetes de jugalis, de pronuba, de populonia, de , de , de , &c. qui ont été affectées à la femme de Jupiter, à cause de son intendance sur tous les engagemens matrimoniaux.

Elle avoit encore, en cette qualité, des surnoms particuliers, fondés sur ce qu'elle présidoit à la conduite des nouvelles mariées, à la maison de leurs maris, à l'oignement que faisoit la fiancée au jambage de la porte de son époux, & finalement au secours qu'elle accordoit à cet époux pour dénouer la ceinture Virginale. Vous trouverez ces sortes de surnoms dans ces paroles latines, d'une priere à cette déesse du mariage. Iterducam, domiducam, unxiam, cinctiam, mortales puellae debent in nuptias convocare, ut earum itinera protegas, in optatas domos ducas, & quum postes ungent, faustum omnem affigas, & cingulum ponentes in thalamis, non relinquas. Cet hymne est dans Martianus Capella, de Nupt. Philol. lib. II.

Je n'ose indiquer les autres épithetes qu'on donnoit à Junon, pour lui demander son assistance dans le lit nuptial : la chasteté de notre langue, & les égards que l'on doit à la pudeur, m'obligent de les taire.

Disons seulement que la superstition romaine étoit si grande, qu'il y avoit des femmes qui honoroient Junon, en faisant semblant de la peigner & de la parer, & en lui tenant le miroir devant ses statues ; car c'étoit un proverbe, " que les coëffeuses présentoient toujours le miroir à Junon ", vetemus speculum tenere Junoni, s'écrie Seneque. D'autres femmes, animées de passions différentes, alloient s'asseoir au capitole auprès de Jupiter, dans l'espérance d'avoir ce dieu pour amant.

Je voudrois bien savoir la maniere dont on représentoit l'auguste déesse du ciel dans tous les divers rôles qu'on lui faisoit jouer. En effet en la considérant seulement sous les titres de pronuba, d'opigena, de februa, de fluonia, ou comme présidant tantôt aux mariages, tantôt aux accouchemens, tantôt aux accidens naturels du beau sexe, il sembloit qu'elle devoit être vêtue différemment dans chacune de ces diverses cérémonies.

Une matrone majestueuse, tenant la pique ou le sceptre à la main avec une couronne radiale sur la tête, & son oiseau favori couché à ses pieds, désignoit bien la soeur & la femme de Jupiter : mais, par exemple, le croissant qu'on lui mettoit sur la tête marquoit vraisemblablement la déesse Ména, c'est-à-dire l'empire que Junon avoit tous les mois sur le sexe.

C'est peut être pour la même raison qu'on la représentoit sur les médailles de Samos avec des especes de brasselets, qui pendoient des bras jusqu'aux piés, & qui soutenoient un croissant : peut-être aussi que ces brasselets ne sont point un des attributs de Junon, mais un ornement de mode imaginé sous son nom, parce que cette déesse avoit inventé la maniere de s'habiller & de se coëffer.

Tristan, dans ses observations sur Callimaque, a donné le type d'une médaille des Samiens, représentant Junon ayant la gorge passablement découverte. Elle est vêtue d'une robe qui descend sur ses piés, avec une ceinture assez serrée ; & le repli que la robe fait sur elle-même, forme une espece de tablier. Le voile prend du haut de la tête, & tombe jusqu'au bas de la robe comme faisoient les écharpes que nos dames portoient au commencement de ce siecle.

Le revers d'une médaille qui est dans le cabinet du roi de France, & que M. Spanheim a gravée, représente ce voile tout déployé, qui fait deux angles sur les mains, un angle sur la tête, & un autre angle sur les talons.

Sur une des médailles du même cabinet, cette déesse est coëffée d'un bonnet assez pointu, terminé par un croissant. On voit sur d'autres médailles de M. Spanheim, une espece de panier qui sert de coëffure à Junon, vêtue du reste à-peu-près comme nos religieux Bénédictins. La coëffure des femmes Turques, approche fort de celle de Junon, & les fait paroître de belle taille. Cette déesse avoit sans-doute inventé ces ornemens de tête avantageux, & que les fontanges ont depuis mal imités.

Junon nuptiale, gamélienne, ou présidente aux noces, portoit une couronne de souchet & de ces fleurs que nous appellons immortelles. On en couvroit une petite corbeille fort legere, que l'on arrêtoit sur le haut de sa tête : c'est peut-être de-là que sont venues les couronnes que l'on met encore dans le levant sur la tête des nouvelles épouses ; & la mode n'en est pas entierement passée parmi nous, quand on marie les jeunes filles.

Il y a des médailles de Maximin, au revers desquelles est le temple de Samos, avec une Junon en habit de noces, assez semblable à ceux dont on vient de parler, & ayant à ses piés deux paons, oiseaux qui, comme l'on sçait, lui étoient consacrés, & qu'on élevoit autour du temple de cette déesse.

Quelquefois l'épervier & l'oison accompagnent ses statues ; le dictamne, le pavot & la grenade étoient les plantes ordinaires que les Grecs lui offroient, & dont ils ornoient ses autels ; enfin la victime qu'on lui immoloit communément, étoit l'agneau femelle ; Virgile nous le dit :

Junoni mactans lectas de more bidentes.

Il est tems de finir cet article de Junon ; mais quelque long qu'il soit, je n'ai pris que la fleur de l'histoire de cette déesse, sur son culte, ses temples, ses autels, ses attributs, ses statues & ses médailles, M. Bayle touche encore un autre sujet dans son dictionnaire ; c'est la considération de l'état des malheurs du coeur qui tirannisoient sans-cesse cette divinité selon le système populaire de la théologie payenne. Les poëtes, les théatres, les statues, les tableaux, les monumens des temples offroient mille preuves des amertumes de son ame, en peignant aux yeux de tout le monde son humeur altiere, impérieuse, jalouse, toujours occupée de vengeances & ne goûtant jamais une pleine satisfaction de ses succès. Le titre pompeux de reine du ciel, la séance sur le trône de l'univers, le sceptre à la main, le diadême sur la tête, tout cela ne pouvoit adoucir ses peines & ses tourmens. L'immortalité même y mettoit le sceau ; car l'espérance de voir finir un jour ses chagrins par la mort, est une consolation que nous avons ici-bas. (D.J.)


JUNONALEou JUNONIES, s. f. pl. (Antiq. rom.) en latin Junonalia ; fête romaine en l'honneur de Junon, dont Ovide ne parle point dans ses fastes, & qui est cependant décrite fort particuliérement par Tite-Live, Décade 3, liv. VII.

Cette fête fut instituée à l'occasion de certains prodiges qui parurent en Italie ; ce qui fit que les pontifes ordonnerent que vingt-sept jeunes filles, divisées en trois bandes, iroient par la ville en chantant un cantique composé par le poëte Livius ; mais il arriva que comme elles l'apprenoient par coeur, dans le temple de Jupiter Stator, la foudre tomba sur celui de Junon-reine, au mont-Aventin.

A la nouvelle de cet événement, les devins ayant été consultés, répondirent que ce dernier prodige regardoit les dames Romaines, qui devoient appaiser la soeur de Jupiter par des offrandes & par des sacrifices. Elles acheterent donc un bassin d'or, qu'elles allerent offrir à Junon sur le mont-Aventin ; ensuite les décemvirs assignerent un jour pour un service solemnel, qui fut ainsi ordonné : " On conduisit deux vaches blanches du temple d'Apollon dans la ville, par la porte Carmentale : on porta deux images de Junon-reine, faites de bois de cyprès ; ensuite marchoient vingt jeunes filles, vêtues de robes traînantes, & chantant une hymne en l'honneur de la déesse. Les décemvirs suivoient couronnés de laurier, & ayant la robe bordée de pourpre. Cette pompe après avoir fait une pause dans la grande place de Rome, où les vingt-sept jeunes filles exécuterent la danse de leur hymne, la procession continua sa route, & se rendit sans s'arrêter au temple de Junon-reine ; les victimes furent immolées par les décemvirs, & les images de cyprès furent placées dans le temple de la divinité. (D.J.) "


JUNONIE(Géogr. anc.) la ville de Junon, nouveau nom que Carthage reçut de Caïus Gracchus, lorsqu'il donna ses soins à la rebâtir & à la repeupler, près de cent ans avant que Virgile travaillât à son Enéïde, ce n'est donc pas par une simple fiction poëtique qu'il a dit de Carthage.

Quam Juno fertur terris magis omnibus unam

Post habita coluisse Samo. Aenéïd. I. v. 20.

On voit qu'il a suivi une tradition reçue & connue de son tems. (D.J.)


JUNONSS. f. pl. (Mythol.) on appelloit ainsi les génies particuliers des femmes, par respect pour la déesse Junon. Chaque femme avoit sa Junon, comme chaque homme avoit son génie. Voyez GENIE, (Mythol. Littér.)

Nous trouvons plusieurs exemples de ces Junons, génies des femmes, dans les inscriptions anciennes qu'on a recueillies ? & pour n'en citer qu'un exemple dans un monument consacré à la vestale Junia Torquata, dont la vertu digne des anciens tems, dit Tacite, fut honorée après sa mort d'un monument public. L'inscription porte : " A la Junon de Junia Torquata, céleste patrone " Enfin les femmes juroient par leurs Junons, comme les hommes par leurs génies. Voyez les Mém. des Inscriptions & Belles-Lettres. (D.J.)


JUNSALAM(Géogr.) port d'Asie au royaume de Siam ; c'est l'asyle de tous les vaisseaux, qui, allant à la côte de Coromandel, sont surpris d'un ouragan ; ce port est de conséquence pour le commerce de Bengale, de Pégu, & autres royaumes voisins : sa situation est au nord d'une isle de même nom. Long. 115. 35. lat. 8. 56. (D.J.)


JUNTES(Hist. mod.) conseil, société de plusieurs personnes pour quelque administration.

Ce terme est en usage en parlant des affaires d'Espagne & de Portugal. A la mort de Charles II. roi d'Espagne, le royaume fut gouverné par une junte pendant l'absence de Philippe V.

Il y a en Portugal trois juntes considérables. La junte du commerce, la junte des trois états, & la junte du tabac. La premiere doit son établissement au roi Jean IV. qui assembla les états généraux pour créer le tribunal de la junte des trois états. Le roi Pierre II. créa en 1675 la junte du tabac. Elle est composée d'un président & de six conseillers.


JUPES. f. (Hist. mod.) habillement de femme qui prend depuis la ceinture, & qui tombe jusqu'aux piés. On les fait de toutes sortes d'étoffes.

JUPE, terme de tailleur ; c'est ainsi qu'on appelle les quatre pans d'un habit quand ils sont assemblés deux à deux, à compter depuis les hanches jusqu'en bas. Dans les vestes, comme ces quatre pans sont toujours séparés, on les appelle des basques.


JUPITERS. m. (Astron.) une des planetes supérieures, remarquable par son éclat, & qui se meut autour de la terre dans l'espace d'environ douze ans, par un mouvement qui lui est propre. Voyez PLANETE.

Jupiter est situé en Saturne & Mars ; il tourne autour de son axe en 9 heures 56 minutes, & acheve sa révolution périodique autour du soleil en 4332 jours 12 heures 20'. 9''. Le caractere par lequel les astronomes marquent Jupiter, est .

Jupiter est la plus grande de toutes les planetes ; il paroît par les observations astronomiques, que son diametre est à celui du soleil comme 1077 à 10000 ; à celui de Saturne, comme 1077 à 889, & à celui de la terre, comme 1077 à 104. La force de gravité sur sa surface est à celle qui agit sur la surface du soleil, comme 797 est à 10000 ; à celle de Saturne, comme 797, 15 à 534, 337 ; à celle de la terre, comme 797, 15 à 407, 832. La densité de sa matiere est à celle du soleil comme 7404 à 10000 : à celle de Saturne, comme 7404 à 6011 ; à celle de la terre, comme 7404 à 3921. La quantité de matiere qu'il contient, est à celle du soleil comme 9, 248 à 10000 ; à celle de Saturne comme 9, 248 à 4, 223 ; à celle de la terre, comme 9, 248, à 00044. Voyez l'article GRAVITATION, où nous avons enseigné la maniere de trouver les masses des planetes qui ont des satellites. Voyez aussi les articles REVOLUTION, DIAMETRE, &c.

La moyenne distance de Jupiter au soleil est de 5201 parties, dont la moyenne du soleil à la terre en contient 2000, quoique Kepler ne la fasse que de 5196 de ces parties. Selon M. Cassini, la moyenne distance de Jupiter à la terre, est de 115000 demi-diametre de la terre. La distance de Jupiter au soleil étant au moins cinq fois plus grande que celle de la terre au soleil. Grégory en conclut que le diametre du soleil ou de Jupiter ne paroîtroit pas la cinquieme partie de ce qu'il nous paroît, & par conséquent que son disque seroit vingt-cinq fois moindre, & sa lumiere & la chaleur moindres en même proportion. Voyez QUALITE.

L'inclinaison de l'orbite de Jupiter, c'est-à-dire l'angle que forme le plan de son orbite avec le plan de l'écliptique, est de 20'. Son excentricité est de 250 sur 1000 ; & Huyghens a calculé que sa surface est quatre cent fois aussi grande que celle de la terre. Au reste on observe dans les mouvemens de cette planete plusieurs irrégularités dont on peut voir le détail dans les institutions astronomiques de M. le Monnier, pag. 570. & ces irrégularités sont vraisemblablement occasionnées en grande partie par l'action de Saturne sur cette planete. On peut voir aussi sur ce sujet la piece de M. Euler qui a remporté le prix de l'académie des Sciences en 1748.

Quoique Jupiter soit la plus grande de toutes les planetes, c'est néanmoins celle dont la révolution autour de son axe, est la plus promte. On a remarqué que son axe est plus court que le diametre de son équateur ; & leur rapport, suivant M. Newton, est celui de 8 à 9 : de sorte que la figure de Jupiter est celle d'un spheroïde applati ; la vitesse de sa rotation rendant la force centrifuge de ses parties fort considérable, fait que l'applatissement de cette planete est beaucoup plus sensible que celui d'aucune autre. M. de Maupertuis l'a démontré dans les Mémoires de l'académie de 1734, & dans son discours sur la figure des astres.

Jupiter paroît presque aussi grand que Venus ; mais il est moins brillant ; il est quelquefois éclipsé par la Lune, par le Soleil, & même par Mars.

Jupiter a des bandes ou zones que M. Newton croit se former dans son atmosphere. Il y a dans ces bandes plusieurs taches dont le mouvement a servi à déterminer celui de Jupiter autour de son axe. Cassini, Campani & d'autres se disputent la gloire de cette découverte. Voyez BANDES, TACHES, &c.

Galilée a le premier découvert quatre étoiles ou petites lunes qui tournent autour de Jupiter, & qu'il a appellées les astres de Medicis ; on ne les nomme plus que les satellites de Jupiter. Voyez SATELLITES.

M. Cassini a observé que le premier de ces satellites est éloigné de Jupiter de cinq demi-diametres de cette planete, & acheve sa révolution en 1 jour 18 heures & 32 minutes.

Le second qui est un peu plus grand, est éloigné de Jupiter de huit diametres, & acheve son tour en 3 jours 13 heures & 12 minutes. Le troisieme qui est le plus grand de tous, est éloigné de Jupiter de 13 demi-diametres, & acheve son tour en 7 jours 3 heures 50 minutes. Le dernier qui est le plus petit, est éloigné de Jupiter de 23 demi-diametres, & acheve sa révolution en 16 jours 18 heures & 9 minutes.

Ces quatre lunes, selon l'observation de M. de Fontenelle, dans sa pluralité des mondes, doivent faire un spectacle assez agréable pour les habitans de Jupiter, s'il est vrai qu'il y en ait. Car tantôt elles se levent toutes quatre ensemble, tantôt elles sont toutes au meridien, rangées l'une au-dessus de l'autre : tantôt on les voit sur l'horison à des distances égales ; elles souffrent souvent des éclipses dont les observations sont fort-utiles pour connoître les longitudes. M. Cassini a fait des tables pour calculer les immersions & les émersions du premier satellite de Jupiter dans l'ombre de cette planete. Voyez ECLIPSE, LONGITUDE.

Astronomie comparée de Jupiter. Le jour & la nuit sont à peu-près de même longueur sur toute la surface de Jupiter ; sçavoir de cinq heures chacun, l'axe de son mouvement journalier étant à peu-près à angles droits sur le plan de son orbite annuel.

Quoiqu'il y ait quatre planetes principales au-dessous de Jupiter, néanmoins un oeil placé sur sa surface ne les verroit jamais, si ce n'est peut-être Mars qui est assez près de Jupiter pour en pouvoir être apperçu. Les autres ne paroîtroient tout au plus que comme des taches qui passent sur le disque du Soleil, quand elles se rencontrent entre l'oeil & ce dernier astre. La parallaxe du Soleil ou de Jupiter, doit être absolument ou presque sensible, aussi-bien que celle de Saturne, & ce diametre apparent du Soleil vu de Jupiter, ne doit être que de six minutes. Le plus éloigné des satellites de Jupiter doit paroître presque aussi grand que nous paroit la Lune. Grégori ajoûte qu'un astronome placé dans Jupiter appercevroit distinctement deux especes de planetes, quatre près de lui, sçavoir, les satellites ; & deux plus éloignées, savoir le Soleil & Saturne. La premiere cependant seroit beaucoup moins brillante que le Soleil, malgré la grande disproportion qu'il y a entre leur distance & leur grandeur apparente ; les quatre satellites doivent donner quatre différentes sortes de mois aux habitans de Jupiter. Ces lunes souffrent une éclipse toutes les fois qu'étant opposées au Soleil, elles entrent dans l'ombre de Jupiter ; de même toutes les fois qu'étant en conjonction avec le soleil, elles jettent leur ombre du côté de Jupiter, elles causent une éclipse de Soleil pour un oeil placé dans l'endroit de Jupiter sur lequel cette ombre tombe. Mais comme les orbites de ces satellites sont dans un plan incliné sur celui de l'orbite de Jupiter, avec lequel elles forment un angle, leurs éclipses deviennent centrales, lorsque le Soleil est dans un des noeuds de ces satellites ; & quand il est hors de cette position, les éclipses peuvent devenir totales, sans être centrales. La petite inclinaison du plan des orbites des satellites sur le plan de l'orbite de Jupiter, fait qu'à chaque révolution il se fait une éclipse des satellites & du Soleil, quoique ce dernier soit à une distance considérable des noeuds. Bien plus, le plus bas de ces satellites, lors même que le soleil est le plus éloigné des noeuds, doit éclipser le Soleil, ou être éclipsé par rapport aux habitans de Jupiter ; cependant le plus éloigné peut être deux ans consécutifs sans tomber dans l'ombre de cette planete, & celle-ci dans la sienne. On peut ajoûter à cela que ces satellites s'éclipsent quelquefois l'un l'autre ; ce qui fait que la phase doit être différente, & même souvent opposée à celle du satellite qui entre dans l'ombre de Jupiter, & dont nous venons de parler ; car dans celui-ci le bord oriental doit entrer le premier dans l'ombre, & l'occidental en sortir le dernier, au lieu que c'est tout le contraire dans les autres.

Quoique l'ombre de Jupiter s'étende bien au-delà de ses satellites, elle est cependant bien moindre que la distance de Jupiter à aucune autre planete, & il n'y en a aucune, pas même Saturne qui puisse s'y plonger. Wolf, Harris & Chambers. (O)

Ces taches ou bandes sont tantôt plus, tantôt moins nombreuses, quelquefois plus grandes, quelquefois plus petites, à cause des inégalités de la surface, des endroits moins propres à renvoyer la lumiere, des changemens qui s'y font, comme dans Mars, soit par l'action des rayons du Soleil, soit par celle de quelque matiere qui pénetre la planete. On voit ces bandes se retrécir après plusieurs années ou s'élargir, s'interrompre & se réunir ensuite. Il s'en forme de nouvelles, il s'en efface : changemens plus considérables, que si l'Océan inondoit toute la terre ferme, & laissoit à sa place de nouveaux continens. Les taches qui sont plus près du centre apparent de Jupiter, ont un mouvement plus promt que les autres, ayant un plus grand cercle à parcourir en même tems. On les voit aller de l'Orient à l'Occident, disparoître, puis reparoître après neuf heures 56 min. d'où l'on conclut que Jupiter tourne sur son axe en ce même tems.

Quand les satellites sont en conjonction avec le Soleil, ils empêchent un cône de lumiere d'aller jusqu'à la planete, & c'est une ombre qu'ils jettent sur elle : cette ombre est une espece de tache mobile sur Jupiter ; c'est une éclipse. Et si la terre n'est pas dans la même ligne, nous la voyons cette éclipse, ou cette obscurité changeante, parcourir le disque de Jupiter d'Orient en Occident. Quelquefois les satellites paroissent plus ou moins grands, sans être plus ou moins éloignés. Cela vient apparemment de ce qu'ils ont leurs taches, leurs parties obscures, leurs endroits plus ou moins propres à réfléchir la lumiere. Quand ils tournent vers nous leurs parties plus solides & plus propres à renvoyer la lumiere, ils paroissent plus grands. Mais s'ils nous présentent des parties capables d'absorber la lumiere, ils en paroissent plus petits, parce que la lumiere réfléchie trace sur l'organe de la vûe une plus petite image. Voyez SATELLITES. M. Formey.

JUPITER, (Mythol.) fils de Saturne & de Rhée selon la Fable, & celui que l'antiquité payenne a reconnu pour le plus puissant de ses dieux ; c'est, disent les Poëtes, le roi des dieux & des hommes, qui d'un signe de sa tête ébranle l'univers.

Sa naissance, la maniere dont il fut alaité, son éducation, ses guerres, ses victoires, ses femmes, ses maîtresses, en un mot tout ce qui le regarde dans la Mythologie, est si connu de tout le monde, que je me ferois un scrupule d'en ennuyer le lecteur.

Son culte, comme on sait, a été le plus solemnel & le plus universellement répandu. De-là le Jupiter Sérapis des Egyptiens ; le Jupiter Belus des Assyriens ; le Jupiter Celus des Perses ; le Jupiter Assabinus des Ethyopiens ; le Jupiter Taranus des Gaulois, le Jupiter de Crète le plus célebre de tous, & tant d'autres.

Il eut trois fameux oracles, celui de Dodone, celui de Lybie & celui de Trophonius. Les victimes qu'on lui immoloit étoient la chevre, la brebis & le taureau, dont on avoit soin de dorer les cornes. Souvent sans aucune victime, on lui offroit de la farine, du sel & de l'encens. Personne, dit Cicéron, n'honoroit ce dieu plus particulierement & plus chastement que les dames romaines ; mais il n'eut point de temple plus renommé que celui qu'on lui fit bâtir sur le mont Lycé dans l'Arcadie. Parmi les arbres, le chêne & l'olivier qu'il disputoit à Minerve, lui étoient singulierement consacrés.

On le représentoit le plus ordinairement sous la figure d'un homme majestueux avec de la barbe, assis sur un trône tenant la foudre de la main droite, & de l'autre une victoire ; à ses piés est une aigle avec ses aîles éployées. On trouve dans les monumens de l'antiquité quantité d'autres symboles de ce dieu, fruits du caprice des artistes, ou de l'imagination de ceux qui en faisoient faire des statues.

Les anciennes inscriptions ne sont pleines que des noms & des surnoms qu'on lui a donnés. Les uns tirent leur origine des lieux où on l'honoroit ; les autres des différens peuples qui prirent son culte ; d'autres des grandes qualités qu'on lui attribuoit, d'autres enfin des motifs qui avoient fourni l'occasion de lui bâtir des temples, des chapelles & des autels.

On s'adressoit à lui sous les titres magnifiques de Sanctitati Jovis, ou Jovi Opt. Max. Statori, Salutari, Feretrio, Inventori, Tonanti, Fulguratori, &c. Jupiter très-bon, très-grand protecteur de l'amitié, hospitalier, dieu des éclairs & du tonnerre, & si quod aliud tibi cognomen attoniti tribuant Poetae, dit plaisamment Lucien s'adressant à ce dieu.

Le nom même de Jupiter, selon Ciceron, vient des deux mots latins, juvans pater, c'est-à-dire pere secourable.

Son titre de n'est pas moins commun dans les livres & sur les médailles. Il signifie simplement descendant sur la terre, si l'on ne s'arrête qu'à la grammaire ; mais l'usage déterminoit ce mot à l'appellation de foudroyant, tenant la foudre, quoiqu'il ne fût pas censé descendre toujours sur la terre pour punir : M. Burmann a démontré tout cela dans une dissertation expresse, intitulée , Jupiter fulgurator. Cette dissertation parut à Utrecht en 1700 : c'est l'affaire des Littérateurs de la consulter.

Les Historiens & les Philosophes sont bien plus embarassés dans l'explication des contes ridicules que les Poëtes débitent sur le souverain des dieux, & qui servirent de fondement à la religion du paganisme.

Diodore de Sicile prétend que Jupiter étoit un mortel de grand mérite, d'un caractere si différent de son pere, que sa douceur & ses manieres lui firent déférer par le peuple la royauté dont Saturne fut dépouillé. Il ajoûte, qu'il usa merveilleusement de son pouvoir ; que son principal soin fut de punir les scélérats, & de récompenser les gens vertueux ; enfin, que ses grandes qualités lui acquirent après la mort, le titre de , de Jupiter ; & que les peuples qui l'adorerent sur la terre, crurent qu'ils devoient de même l'adorer dans le ciel, & lui donner le premier rang parmi les dieux.

Il manquoit à Diodore de prouver ce qu'il avançoit par des monumens historiques, & d'indiquer les sources de tant de vices & de crimes dont les Poëtes avoient souillé la vie de cet illustre mortel.

La difficulté d'expliquer les fictions poétiques par des allégories ou des dogmes de physique, étoit encore plus grande. Si d'un côté l'on est surpris de la licence avec laquelle les Poëtes se sont joués d'une matiere qui méritoit tant de respect, de l'autre on est affligé de voir des philosophes, tels que Chrysippe, perdre un tems précieux à chercher des mysteres dans de pareilles fables, pour les concilier avec la théologie des Stoïciens.

En rejettant les dieux des Poëtes, dieux vivans & animés, & en leur substituant des dieux qui n'avoient ni vie, ni connoissances, ils tomboient également dans l'impiété. Dès qu'une fois ils regardoient Jupiter pour l'aether pur, & Junon pour l'air qui nous environne, il ne falloit plus adresser de prieres, ni faire de sacrifices à l'un & à l'autre ; de tels actes devenoient ridicules, & la religion établie crouloit en ruine. C'est ainsi cependant qu'ils firent des prosélytes, & qu'ils accoutumerent les hommes à prendre pour Junon l'air grossier, similitudo aetheris, cum eo intimè conjuncta, & pour Jupiter, la voûte azurée que nous voyons sur nos têtes : Ennius en parle sur ce ton dans Ciceron, de Nat. deor. lib. I. cap. xj.

Aspice hoc

Sublime candens, quem invocant omnes Jovem !

Et Eurypide dans le même auteur, lib. II. cap. xxv. s'exprime encore plus éloquemment & plus fortement.

Vides sublime fusum, immoderatum athera,

Qui tenero terram circumjectu amplectitur,

Hunc summum habeto divum, hunc perhibeto Jovem ! (D.J.)

JUPITER CAPITOLIN, temple de, (Hist. Rom.) ce fameux temple de Rome, voué par Tarquin fils de Demaratus, fut exécuté par Tarquin le Superbe son petit-fils, & entierement achevé sous le troisieme consulat de Publicola.

Ce temple étoit situé dans cette partie du capitole qui regardoit le forum olitorium, ou le marché aux herbes, aujourd'hui la piazza Montanara. Il occupoit un terrein de huit arpens, & avoit deux cent piés de long, sur 185 de profondeur. Le devant étoit orné de trois rangs de colonnes, & les côtés de deux ; la nef contenoit trois grandes chapelles, celle de Jupiter au milieu, celle de Junon à gauche, & celle de Minerve à droite. Il fut consacré par Horace consul, la troisieme année de la soixante-huitieme olympiade, 504 avant J. C. & brûlé la deuxieme année de la cent-soixante-quatorzieme olympiade, 81 ans avant la naissance de notre-Sauveur : il dura donc 423 ans.

Sylla le rebâtit, & l'orna de colonnes de marbre qu'il tira d'Athènes du temple de Jupiter Olympien ; mais comme Catullus eut la gloire de le consacrer 67 ans avant la naissance de J. C. Sylla disoit en mourant, qu'il ne manquoit que cette dédicace à son bonheur. Il avoit fait ce magnifique ouvrage de forme quarrée, ayant 220 piés en tout sens, & d'une admirable structure. Les embellissemens dont on l'enrichit depuis Sylla, les présens magnifiques que les provinces soumises & les rois alliés y envoyerent sur la fin de la république, & sous les premiers empereurs, rendirent ce monument un des plus superbes du monde.

Cependant il périt aussi par les flammes l'an 69 de l'ere chrétienne, lorsque Vitellius assiégea Fl. Sabinus dans le Capitole, sans qu'on sache, dit Tacite, si ce furent les assiégeans ou les assiégés qui y mirent le feu.

Vespasien le releva de fond en comble l'année qui suivit la mort de Vitellius, en l'élevant plus haut que les deux autres ne l'avoient été. On peut voir dans le IV. livre de l'histoire de Tacite le détail de toutes les cérémonies qu'on mit en usage à cette occasion : on marqua cet événement par des médailles greques au nom de l'empereur, avec l'effigie de Jupiter Capitolin, & une nouvelle époque d'années. Ce temple qui avoit jadis échappé à la fureur des Gaulois, dans la prise de Rome, & où tant de peuple s'assembloit tous les jours, passoit pour renfermer les destins de l'empire.

Mais à peine Vespasien fut décédé que le feu consuma pour la quatrieme fois & le Capitole & ce temple qu'il avoit bâti onze ans auparavant. Domitien le réédifia sans délai dès la premiere année de son regne, l'an 81 de J. C. avec une dépense incroyable ; aussi mit-il son nom à cet ouvrage, sans faire mention des premiers fondateurs.

La seule dorure coûta plus de douze mille talens, c'est-à-dire plus de sept millions d'or. Les colonnes de marbre pentélique dont il le décora, avoient été tirées d'Athènes toutes taillées, & d'une longueur admirablement proportionnée à leur grosseur ; mais on voulut les retailler & les repolir à Rome, & l'on gâta leur grace & leur symmétrie : jamais Rome n'eut la gloire de pouvoir disputer l'empire des beaux Arts à la Grece ; voyez le mot Grecs, si vous voulez en être convaincu. (D.J.)

JUPITER LAPIS, (Mythol.) Les premiers Romains adoroient Jupiter sous ce nom de lapis, pierre, comme les Grecs sous celui de qui veut dire la même chose. C'étoit par ce nom d' que se faisoient leurs sermens les plus solemnels au rapport d'Aristote, de Demosthène & de Tite-Live. Les Romains, à leur imitation, ne connurent point de serment plus sacré, que lorsqu'ils juroient par Jupiter lapis. Quid igitur censes ? jurabo per Jovem lapidem romano vetustissimo ritu, dit Apulée dans son traité de deo sacratis.

JUPITER, (Hist. nat.) nom donné par les anciens Chimistes à l'étain. voyez ETAIN.


JUPONS. m. (Hist. modern.) habillement de femme semblable à la jupe, plus court seulement, & qui se porte dessous la jupe. Voyez JUPE.

On a des jupons piqués ; ces jupons sont ouattés, & on les pique pour empêcher la ouate de tomber. La piquure forme différens desseins de goût.

On trace ces desseins par le moyen de moules. Pour cet effet on a un établi de hauteur convenable, & de deux piés de large ou environ, sur cinq à six piés de long. On le garnit de drap bien tendu & bien cloué sur les bords de l'établi. Pour dessiner un jupon, on commence par la campane ou le bas du jupon. On place le jupon sur la longueur de l'établi ; le bord d'en bas du jupon, le long du bord de l'établi opposé à celui qu'on a devant soi. Pour donner à la campane la hauteur, on a une corde qui porte un plomb de chaque bout : on place cette corde sur le jupon. On a à côté de soi deux ou trois morceaux imbibés d'eau, & couverts de blanc, ni trop clair delayé, ni délayé trop épais : on prend le moule à campane, on en frappe le côté gravé sur les morceaux de drap blanchis ; & ensuite on applique ce moule sur le jupon. Appliqué ainsi, on a un maillet dont on frappe le moule appliqué sur le jupon ; par ce moyen le moule laisse le dessein imprimé sur le jupon. On continue ainsi la campane ; la corde dirige. On passe au reste du jupon, procédant de la même maniere ; on laisse sécher. Sec, on le donne à une ouvriere qui le tend sur un metier & qui le pique : piquer, c'est faire une couture en suivant tous les traits du dessein imprimé par le moule.


JURA(Géog.) haute montagne qui sépare la Suisse de la Franche-Comté : les anciens l'ont nommé Jurassus, & les Allemands l'appellent Leberberg. Cette chaîne de montagnes commence un peu au-delà de Genève, où elle fait le célebre pas de l'Ecluse, ne laissant qu'un chemin étroit entre le Rhône & la montagne ; & ce chemin est fermé par une forteresse qui appartient à la France ; de-là le mont Jura court du sud-ouest au nord-ouest, couvrant le pays de Vaud, celui de Neuf-Châtel & le canton de Soleurre, jusqu'au Botzberg, appellé Vocatius par Tacite. (D.J.)

JURA, l'île de (Géog.) petite île d'Ecosse, l'une des Westernes, de huit lieues de long sur deux de large ; elle abonde en pâturages, & on y pêche de bons saumons. Long. 11. deg. 12. min. 50. sec. lat. 56. deg. 15. min. 55. sec. (D.J.)


JURANDES. f. (Jurisprud.) est la charge ou fonction de juré d'une communauté de marchands ou artisans. Les jurandes furent établies en même tems que les arts & métiers furent mis en communauté par saint Louis : on établit dans chaque communauté des préposés, suprapositi, pour avoir l'inspection sur les autres maîtres du même état. Une ordonnance du roi Jean porte, qu'en tous les métiers & toutes les marchandises qui sont & se vendent à Paris, il y aura visiteurs, regardeurs & maîtres, qui regarderont par lesdits métiers & marchandises, les visiteront & rapporteront les défauts qu'ils trouveront aux commissaires, au prevôt de Paris ou aux auditeurs du châtelet. Dans la suite ces préposés ont été nommés jurés, parce qu'ils ont serment à justice dans les six corps des marchands, & dans quelques autres communautés, on les appelle gardes, dans d'autres, jurés-gardes.

Cette charge se donne par élection à deux ou quatre anciens, pour présider aux assemblées & avoir soin des affaires de la communauté, faire, recevoir les apprentifs & les maîtres ; & faire observer les statuts & réglemens : les jurés n'ont cependant aucune jurisdiction ; ils ne peuvent même faire aucuns procès verbaux sans être assistés d'un huissier ou d'un commissaire.

Le tems de la jurande ne dure qu'un an ou deux. (A)


JURATS. m. (Commerce) nom d'une charge municipale de plusieurs villes de Guienne, entre autres de Bordeaux. Voyez CONSULS, ECHEVINS.


JURATOIREadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est accompagné du serment. La caution juratoire est une soumission que l'on fait à l'audience ou au greffe, de se représenter, ou quelques deniers ou effets, toutes fois & quantes que par justice sera ordonné. Voyez CAUTION & SERMENT. (A)


JURÉS. m. (Commerce) marchand ou artisan, élu à la pluralité des voix, pour avoir soin des affaires du corps ou de la communauté.

Le nombre des jurés n'est pour l'ordinaire que de quatre dans chaque corps ; il y a pourtant certaines communautés d'Arts & Métiers à Paris qui en ont jusqu'à six, quelques-unes cinq, & d'autres un syndic avec les quatre jurés, & quelques-unes seulement deux.

L'élection des jurés se fait tous les ans, non de tous les quatre, mais de deux seulement ; ensorte qu'ils sont en charge chacun deux années ; ce sont toujours les deux plus anciens qui doivent sortir, & quinze jours après l'élection des nouveaux jurés, ils doivent rendre compte de leur jurande.

Il y a aussi des maîtresses jurées dans les communautés qui ne sont composées que de femmes & de filles, telles que les lingeres, couturieres, &c.

Les principaux édits donnés pour l'établissement des jurés, leurs élections, leurs droits, visites, &c. sont des années 1581, 1588 & 1597, sous Henri III. & Henri IV.

En 1691 Louis XIV. supprima par un édit du mois de Mars, tous les maîtres-gardes, syndics & jurés d'élection, & créa en leur place autant de maîtres & gardes, syndics & jurés en titre d'office, dans tous les corps des marchands, communautés des Arts & Métiers de la ville & faubourgs de Paris, & de toutes les autres villes & bourgs clos du royaume. Mais peu de ces offices ayant été levés, & les corps & communautés les ayant acquis moyennant le payement des taxes réglées par le rôle du conseil du 10 Avril 1691 ; il y en a peu, tant à Paris que dans le reste du royaume, qui ne soient rentrées en possession d'élire leurs jurés & autres officiers. Dict. de Commerce.

JURE, s. m. (Commerce) terme fort connu dans les anciennes déclarations des rois de France au sujet des corps des Marchands & des communautés des Arts & Métiers du royaume. On appelle villes jurées, bourgs jurés, les villes & les bourgs dont des corps & communautés ont des jurés ; villes non jurées, & bourgs non jurés, ceux & celles qui n'en ont point. Dictionnaire de Commerce.

JURE TENEUR DE LIVRES, c'est celui qui est pourvu par lettres-patentes du Roi, & qui a prêté serment en justice pour la vérification des comptes & calculs lorsqu'il y est appellé. Dictionnaire de Commerce.

JURES MAITRES MARQUEURS DE MESURES ; on appelle ainsi en Hollande des officiers établis par les colléges des amirautés pour faire le jaugeage & mesurage des vaisseaux. Voyez MARQUEURS. Dictionnaire de Commerce.


JURÉES. f. (Jurisprud.) signifie quelque serment, quelquefois certain droit qui se paye pour la jurisdiction & connoissance des causes. On appelle bourgeois de jurée, hommes & femmes de jurée, ceux qui doivent au Roi ou à quelqu'autre seigneur haut-justicier, un droit de jurée qui est communément de six deniers pour livre des meubles, & deux deniers pour livre des immeubles, à-moins qu'il n'y ait quelque abonnement. (A)


JUREMENTS. m. (Littérat. & Mythol.) affirmation qu'on fait d'une chose, en marquant cette affirmation d'un sceau de religion.

Les juremens ont pris chez tous les peuples autant de formes différentes que la divinité ; & comme le monde s'est trouvé rempli de dieux, il a été inondé de juremens au nom de cette multitude de divinités.

Les Grecs & les Romains juroient tantôt par un dieu, tantôt par deux, & quelquefois par tous ensemble. Ils ne reservoient pas aux dieux seuls le privilége d'être les témoins de la vérité ; ils associoient au même honneur les demi-dieux, & juroient par Castor, Pollux, Hercule, &c. avec cette différence chez les Romains, que les hommes seuls juroient par Hercule ; les hommes & les femmes par Pollux, & les femmes seules par Castor : mais ces regles même, quoiqu'en dise Aulugelle, n'étoient pas inviolablement observées. Il est mieux fondé quand il observe que le jurement par Castor & Pollux, fut introduit dans l'initiation aux mysteres éleusyniens, & que c'est de-là qu'il passa dans l'usage ordinaire.

Les femmes juroient aussi généralement par leurs Junons, & les hommes par leurs Génies ; mais il y avoit certaines divinités, au nom desquelles on juroit plus spécialement en certains lieux, qu'en d'autres. Ainsi à Athènes, on juroit le plus souvent par Minerve, qui étoit la déesse tutélaire de cette ville ; à Lacédemone, par Castor & Pollux : en Sicile, par Proserpine ; parce que ce fut en ce lieu, que Pluton l'enleva ; & dans cette même île, le long du fleuve Simettre, on juroit par les dieux Palices. Voyez PALICES.

Les particuliers avoient eux-mêmes certains sermens, dont ils usoient davantage selon la différence de leur état, de leurs engagemens, & de leurs goûts. Les vestales juroient volontiers par la déesse Vesta, les femmes mariées par Junon, les laboureurs par Cérès, les vendangeurs par Bacchus, les chasseurs par Diane, &c.

Non-seulement l'on juroit par les dieux & les demi-dieux, mais encore par tout ce qui relevoit de leur empire, par leurs temples, par les marques de leur dignité, par les armes qui leur étoient particulieres. Juvenal, qui comme Séneque, ne sait pas toûjours s'arrêter où il le faut, nous présente une longue liste des armes des dieux, par lesquels les jureurs de profession tâchoient de donner du poids à leurs paroles. Un homme de ce caractere, dit-il, brave dans ses juremens les rayons du soleil, les foudres de Jupiter, l'épée de Mars, les traits d'Apollon, les fleches de Diane, le trident de Neptune, l'arc d'Hercule, la lance de Minerve, & finalement, ajoute ce poëte dans son style emphatique, tout ce qu'il y a d'armes dans les arsenaux du ciel.

Quicquid habent telorum armamentaria coeli.

Les Poëtes & les Orateurs imaginerent de certifier leurs affirmations, en jurant par les personnes qui leur étoient cheres, soit qu'elles fussent mortes ou vivantes : j'en jure par mon pere & ma mere, dit Properce.

Ossa tibi juro per matris, & ossa parentis.

Quintilien s'écrie au sujet de sa femme, & d'un fils qu'il avoit perdu fort jeune : j'en jure par leurs manes, les tristes divinités de ma douleur, per illos manes, numina doloris mei : j'en atteste les dieux, & vous, ma soeur, dit tendrement Didon dans l'Eneïde, testor, cara, deos, & te germana.

Quelquefois les anciens juroient par une des principales parties du corps, comme par la tête ou par la main droite : j'en jure par ma tête, dit le jeune Ascagne, par laquelle mon pere avoit coutume de jurer.

Per caput hoc juro, per quod pater ante solebat.

Dans la célebre ambassade que les Troïens envoient au roi Latinus, Ilionée qui porte la parole, emploie ce noble & grand serment : j'en jure par les destins d'Enée, & par sa droite aussi fidele dans les traités, que redoutable dans les combats.

Fata per Aeneae juro, dextramque potentem

Sive fide, seu quis bello est expertus, & armis.

Aeneid. VII. v. 234.

On ne doit pas être surpris que les amans préférassent à tout autre usage celui de jurer par les charmes, par les beaux yeux de leurs maitresses : c'étoient-là des sermens dictés naturellement par l'amour, attestor oculos, sydera nostra, tuos : je me souviens, dit Ovide, que cette ingrate me juroit fidélité par ses yeux, par les miens ; & les miens eurent un pressentiment de la perfidie qu'elle me préparoit.

Perque suos nuper jurasse recordor,

Perque meos oculos, & doluere mei.

Amor. lib. III. Eleg. 3.

Mais on est indigné de voir les Romains jurer par le génie, par le salut, par la fortune, par la majesté, par l'éternité de l'empereur.

Il semble que les dieux n'auroient jamais dû employer de juremens ; cependant la fable a voulu leur donner une garantie étrangere, pour justifier aux hommes la sainteté de la parole. Ainsi la Mythologie déclare, que les divinités de l'Olympe juroient elles-mêmes par le Styx, ce fleuve que nous concevons sous l'idée d'un dieu, & que les Grecs concevoient sous l'idée d'une déesse. Hésiode conte fort au long, tout ce qui regarde cette divinité redoutable.

Dii cujus jurare timent, & fallere numen.

Elle étoit, dit-il, fille de l'Océan, & épousa le dieu Pallas. De ce mariage naquirent un fils & trois filles, le Zele, la Victoire, la Force, & la Puissance. Tous quatre prirent les intérêts de Jupiter dans la guerre qu'il eut à soutenir contre les Titans : le maitre du monde pour marquer sa reconnoissance, ordonna qu'à l'avenir tous les dieux jureroient par le Styx, & en même tems il établit des peines séveres contre quiconque d'entre les dieux oseroit se parjurer. Il devoit subir une pénitence de neuf années célestes, garder le lit la premiere année, c'est-à-dire demeurer tout ce tems-là sans voix & sans respiration, être ensuite chassé du ciel, exclus du conseil & des repas des dieux, mener cette triste vie pendant huit ans, & ne pouvoir reprendre sa place qu'à la dixieme année.

C'est par ces fictions qu'on tâchoit de rappeller l'homme à lui-même, & le contenir dans le devoir. Les sages disoient simplement que la déesse Fidélité étoit respectable à Jupiter même. Voyez STYX, FIDELITE, FIDIUS, RMENTMENT. (D.J.)

JUREMENT, (Théologie) Dieu défend le faux serment, & les sermens inutiles ; mais il veut que quand la nécessité & l'importance de la matiere demandent que l'on jure, on le fasse en son nom, & non pas au nom des dieux étrangers, ou au nom des choses inanimées & terrestres, ou même par le ciel & par les astres, ou par la vie de quelque homme que ce soit. Notre Sauveur qui étoit venu, non pour détruire la Loi, mais pour la perfectionner, défend aussi les juremens ; & les premiers chrétiens observoient cela à la lettre, comme on le voit dans Tertullien, dans Eusebe, dans saint Chrisostome, dans saint Basile, dans saint Jérome, &c. Mais ni J. C. ni les Apôtres, ni les Peres, universellement n'ont pas condamné le jurement, ni même les sermens pour toutes occasions & pour toutes sortes de sujets. Il est des circonstances où l'on ne peut moralement s'en dispenser ; mais il ne faut jamais jurer sans une très grande nécessité ou utilité. Nous devons vivre avec tant de bonne-foi & de droiture, que notre parole vaille un serment, & ne jurer jamais que selon la justice & la vérité. Voyez saint Augustin, ép. 157. n. 40. & les Commentateurs sur saint Matthieu, v. 33. 34. Calmet, Dictionnaire de la Bible.

JUREMENT, (Jurisprud.) se prend quelquefois pour serment ou affirmation que l'on fait d'une chose en justice. Voyez AFFIRMATION & SERMENT.

Mais le terme de jurement, se prend plus souvent pour certains termes d'emportement & d'exécration que l'on prononce dans la colere & dans les passions. Saint Louis fit des réglemens séveres contre les juremens & les blasphèmes ; les ordonnances postérieures ont aussi établi des peines contre ceux qui proferent des juremens en vain. L'article 86. de l'ordonnance de Moulins défend tous blasphêmes & juremens du nom de Dieu, sous peine d'amende & même de punition corporelle, s'il y échet. Voyez BLASPHEME. (A)


JUREURS. m. jurator, (Droit des Barbares) on nommoit ainsi celui qui parmi les Francs, se purgeoit par serment d'une accusation ou d'une demande faite contre lui.

Il faut savoir que la loi des Francs ripuaires, différente de la loi salique, se contentoit pour la décision des affaires, des seules preuves négatives. Ainsi, celui contre qui on formoit une demande ou une accusation, pouvoit dans la plûpart des cas, se justifier en jurant avec un certain nombre de témoins qu'il n'avoit point fait ce qu'on lui imputoit ; & par ce moyen il étoit absous de l'accusation.

Le nombre des témoins qui devoient jurer, augmentoit selon l'importance de la chose ; il alloit quelquefois à soixante & douze, & on les appelloit jureurs juratores.

La loi des Allemands porte que jusqu'à la demande de six sols, on s'en purgera par son serment, & celui de deux jureurs réunis. La loi des Frisons exigeoit sept jureurs pour établir son innocence dans le cas d'accusation d'homicide. On voit par notre ancienne histoire que l'on requéroit dans quelques occasions, outre le serment de la personne, celui de dix ou de douze jureurs, pour pouvoir obtenir sa décharge ; ce qu'on exprimoit par ces mots, cum sexta, septimâ, octavâ, decimâ, &c. manu, jurare.

Mais personne n'a su tirer un parti plus heureux de la loi des jureurs que Frédégonde. Après la mort de Chilpéric, les grands du royaume & le reste de la nation, ne vouloient point reconnoître Clotaire âgé de 4 mois pour légitime héritier de la couronne ; la conduite peu réguliere de la mere faisoit douter que son fils ne fût point du sang de Clovis. Je crains bien, disoit Gontran son propre oncle, que mon neveu ne soit le fils de quelque seigneur de la cour ; c'étoit même bien honnête à lui de ne pas craindre quelque chose de pis : cependant trois cent personnes considérables de la nation ayant été promtement gagnées par la reine, vinrent jurer avec elle, que Clotaire étoit véritablement fils de Chilpéric. A l'ouie de ce serment, & à la vûe d'un si grand nombre de jureurs, les craintes & les scrupules s'évanouirent ; Clotaire fut reconnu de tout le monde, & de plus fut surnommé dans la suite Clotaire le Grand, titre qu'il ne méritoit à aucun égard. (D.J.)


JURIDIQUEadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est régulier & conforme au droit d'un jugement qui n'est pas juridique, & de celui qui est contraire aux regles du droit ou de l'équité.

On dit aussi d'une procédure qu'elle n'est pas juridique, c'est-à-dire qu'elle n'est pas réguliere. (A)


JURIPÉBAS. m. (Botan. exot.) arbrisseau épineux, ombrageux, & qui croît au Brésil dans les terres sablonneuses ; sa feuille est longue, déchiquetée en plusieurs endroits, lanugineuse en-dessous, & amere au goût ; sa fleur faite en étoile, est de couleur blanche & bleue ; son fruit ressemblant au raisin ou aux baies de genievre, est disposé en grappes. Voyez Pison, Hist. Brasil. (D.J.)


JURISCONSULTES. m. (Jurisprud.) est un homme versé dans la Jurisprudence, c'est-à-dire dans la science des lois, coutumes, & usages, & de tout ce qui a rapport au droit & à l'équité.

Les anciens donnoient à leurs jurisconsultes le nom de sages & de philosophes, parce que la Philosophie renferme les premiers principes des lois, & que son objet est de nous empêcher de faire ce qui est contre les lois de la nature, & que la Philosophie & la Jurisprudence ont également pour objet l'amour & la pratique de la justice. Aussi Cassiodore donne-t-il de la Philosophie la même définition que les lois nous donnent de la Jurisprudence. Philosophia, dit-il en son livre de la Dialectique, est divinarum humanarumque rerum, in quantum homini possibile est, probabilis sententia. Pithagore, Dracon, Solon, Lycurgue, & plusieurs autres, ne devinrent législateurs de la Grece, que parce qu'ils étoient philosophes.

Tout jurisconsulte cependant n'est pas législateur ; quelques-uns qui avoient part au gouvernement d'une nation, ont fait des lois pour lui servir de regle ; d'autres se sont seulement appliqués à la connoissance des lois qu'ils ont trouvé établies.

On ne doit pas non plus prodiguer le titre de jurisconsulte, à ceux qui n'ont qu'une connoissance superficielle de l'usage qui s'observe actuellement ; on peut être un bon praticien sans être un habile jurisconsulte ; pour mériter ce dernier titre, il faut joindre à la connoissance du Droit celle de la Philosophie, & particulierement celle de la Logique, de la Morale, & de la Politique ; il faut posséder la chronologie & l'histoire ; l'intelligence, & la juste application des lois dépendant souvent de la connoissance des tems & des moeurs des peuples, il faut sur-tout allier la théorie du Droit avec la pratique, être profond dans la science des lois, en savoir l'origine & les circonstances qui y ont donné lieu, les conjonctures dans lesquelles elles ont été faites, en pénétrer le sens & l'esprit, connoitre les progrès de la Jurisprudence, les révolutions qu'elle a éprouvées ; il faudroit enfin avoir des connoissances suffisantes de toutes les choses qui peuvent faire l'objet de la Jurisprudence, divinarum atque humanarum rerum scientiam ; & conséquemment il faudroit posséder toutes les sciences & tous les arts : mais j'appliquerois volontiers à la Jurisprudence la restriction que Cassiodore met par rapport aux connoissances que doit avoir un philosophe, in quantum homini possibile est ; car il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, qu'un seul homme réunisse parfaitement toutes les connoissances nécessaires pour faire un grand Jurisconsulte.

On conçoit par-là combien il est difficile de parvenir à mériter ce titre ; nous avons cependant plusieurs auteurs qui se le sont eux-mêmes attribué, tel que Dumolin, qui prenoit le titre de jurisconsulte de France & de Germanie, & qui le méritoit sans contredit : mais il ne sied pas à tous ceux qui ont quelque connoissance du Droit, de s'ériger en jurisconsultes ; c'est au public éclairé à déferer ce titre à ceux qu'il en juge dignes.

Le premier & le plus célebre de tous les Jurisconsultes, fut Moïse envoyé de Dieu, pour conduire son peuple, & pour lui transmettre ses lois.

Les Egyptiens eurent pour jurisconsultes & législateurs trois de leurs princes, savoir les deux Mercures & Amasis.

Minos donna des lois dans l'île de Crete ; mais s'il est glorieux de voir des rois au nombre des jurisconsultes, il ne l'est pas moins de voir des princes renoncer au trône pour se consacrer entierement à l'étude de la Jurisprudence, comme fit Lycurgue, lequel, quoique fils d'un des deux rois de Sparte, préfera de réformer comme concitoyen, ceux qu'il auroit pû gouverner comme roi. Il alla pour cet effet, s'instruire des lois en Crete, parcourut l'Asie & l'Egypte, & revint à Lacédémone, où il s'acquit une estime si générale, que les principaux de la ville lui aiderent à faire recevoir ses lois.

Zoroastre, si fameux chez les Perses, leur donna des lois qui se répandirent chez plusieurs autres peuples. Pithagore qui s'en étoit instruit dans ses voyages, les porta chez les Crotoniates : deux de ses disciples, Charondas & Zaleucus, les porterent l'un chez les Thuriens, l'autre chez les Locriens ; Zamolxis qui avoit aussi suivi Pithagore, porta ces lois chez les Scythes.

Athènes eut deux fameux philosophes, Dracon & Solon, qui lui donnerent pareillement des lois.

Chez les Romains, la qualité de législateur fut distinguée de celle de jurisconsulte : le pouvoir de faire des lois appartenoit à ceux qui avoient part à la puissance publique ; la fonction des jurisconsultes se borna à étudier les lois & à les interpreter. On les appelloit prudentes, & leurs réponses étoient appellées par excellence responsa prudentum. On leur donnoit aussi le titre de juris autores ; & ils se qualifioient de prêtres de la justice, justitiae sacerdotes.

Les Jurisconsultes romains tiroient leur origine du droit de patronage établi par Romulus. Chaque plébéien se choisissoit parmi les patriciens un patron qui l'aidoit de ses conseils, & se chargeoit de sa défense : les cliens faisoient à leurs patrons des présens appellés honoraires.

La connoissance du droit romain étant devenue difficile par la multiplicité & les variations des lois, on choisit un certain nombre de personnes sages & éclairées, qui feroient leur unique occupation des lois, pour être en état de les interpreter : on donna à ces interpretes le nom de patrons, & à ceux qui les consultoient, le nom de cliens.

Ces interpretes n'étoient pas d'abord en grand nombre ; mais dans la suite ils se multiplierent tellement, que le peuple trouvant chez eux toutes les ressources pour la conduite de leurs affaires, le crédit des anciens patrons diminua peu-à-peu.

Depuis que Cnaeus Flavius, & Sextus Aelius, eurent publié les formules des procédures, plusieurs jurisconsultes composerent des commentaires sur les lois ; ces commentaires furent toûjours d'un grand poids, mais ils ne commencerent à faire véritablement partie du droit écrit, que lorsque Théodose le jeune donna force de loi aux écrits de plusieurs anciens jurisconsultes.

Outre ces commentaires, les Jurisconsultes donnoient aussi des réponses à ceux qui les venoient consulter ; ces réponses étoient verbales ou par écrit, selon la nature de l'affaire, ou le lieu dans lequel elles se donnoient ; car les jurisconsultes se promenoient quelquefois dans la place publique pour être plus à portée de donner conseil à ceux qui en auroient besoin ; ces sortes de consultations n'étoient que verbales ; mais pour l'ordinaire ils se tenoient dans leurs maisons.

Il y avoit des termes consacrés par l'usage pour ces consultations ; le client demandoit au jurisconsulte, licet consulere ; si le jurisconsulte y consentoit, il répondoit consule. Le client après avoir expliqué son affaire, finissoit en disant, quaero an existimes, ou bien id jus est nec ne, &c. La réponse du jurisconsulte étoit secundum ea quae proponuntur existimo, placet, puto.

Lorsqu'il se présentoit de grandes questions, on les discutoit en présence du peuple, ce qu'on appelloit disputatio fori, parce que cette dispute se faisoit dans une place publique : la question se décidoit à la pluralité des voix. Ces décisions n'avoient pas à la vérité d'abord force de loi, mais elles étoient confirmées par l'usage ; quelques auteurs tiennent que le titre de regulis juris, n'est qu'un recueil des principales de ces décisions.

Les plus célebres jurisconsultes depuis le commencement de la république romaine jusqu'à sa fin, furent Sextus Papyrius, Appius-Claudius-Contemmanus, Simpronius surnommé le Sage, Tiberius Coruncanus, les deux Catons, Junius Brutus, Publius-Mucius, Quintus-Mucius-Scevola, Publius-Rutilius-Rufus, Aquilius-Gallus, Lucilius-Balbus, Caïus-Juventius, Servius-Sulpitius, Caïus-Trebatius, Offilius, Aulus-Cascellius, Q. Aetius-Tubero, Alfenus-Varus, Aufridius-Tuca, & Aufridius-Namusa, Lucius-Cornelius-Silla, Cneïus-Pompeïus, & plusieurs autres moins connus.

Les jurisconsultes de Rome étoient ce que sont parmi nous les avocats consultans, c'est-à-dire, qui par le progrès de l'âge & le mérite de l'expérience, parviennent à l'emploi de la consultation, & que les anciennes ordonnances appellent advocati consiliarii : mais à Rome les avocats plaidans ne devenoient point Jurisconsultes ; c'étoient des emplois tout différens.

Du tems de la république, l'emploi des avocats étoit plus honorable que celui des jurisconsultes ; parce que c'étoit la voie pour parvenir aux premieres dignités. On appelloit même les jurisconsultes par mépris formularii, ou legulei, parce qu'ils avoient inventé certaines formules & certains monosyllabes, pour répondre plus gravement & plus mystérieusement ; cependant ils se rendirent si recommandables, qu'on les nomma prudentes ou sapientes.

Leurs réponses acquirent une grande autorité depuis qu'Auguste eut accordé à un certain nombre de personnes illustres le droit exclusif d'interpreter les lois, & de donner des décisions auxquelles les juges seroient obligés de se conformer ; il donna même à ces jurisconsultes des lettres ; en sorte qu'ils étoient regardés comme officiers de l'empereur.

Caligula au contraire menaça de détruire l'ordre entier des jurisconsultes ; mais cela ne fut pas exécuté, & Tibere & Adrien confirmerent les jurisconsultes dans les privileges qui leur avoient été accordés par Auguste.

Théodose le jeune, & Valentinien III. pour ôter l'incertitude qui naît du grand nombre d'opinions différentes, ordonnerent que les ouvrages de Papinien, de Caïus, de Paul, d'Ulpien, & de Modestin, auroient seuls force de loi, & que quand les jurisconsultes seroient partagés, le sentiment de Papinien prévaudroit.

Ceux qui travaillerent sous les ordres de Justinien à la composition du digeste, firent cependant aussi usage des ouvrages des autres jurisconsultes.

Depuis Auguste jusqu'à Adrien, les jurisconsultes commencerent à se partager en plusieurs sectes ; Antistius Labeo, & Arterius Capito, furent les auteurs de la premiere ; l'un se livrant à son génie, donna dans les opinions nouvelles, & ses sectateurs s'attacherent plus à l'esprit de la loi, & à l'équité, qu'aux termes mêmes de la loi ; l'autre au contraire se tint attaché strictement à la lecture de la loi, & aux anciennes maximes. Le parti de Labeo fut soutenu par Proculus & Pegasus ses disciples, d'où cette secte prit le nom de Proculeïene & de Pégasienne, de même que celle de Capito fut appellée successivement Sabinienne & Cassienne, du nom de deux disciples de Capito.

Les disciples de Labeo furent Nerva pere & fils, Proculus, Pegasus, Celsus pere & fils, & Neratius Priscus ; ceux de Capito, furent Massurius-Sabinus, Cassius-Longinus, Caelius-Sabinus, Priscus-Javolenus, Alburnius-Valens, Tuscianus & Salvius-Julianus. Ce dernier après avoir réuni les différentes sectes qui divisoient la Jurisprudence, composa l'édit perpétuel.

Les plus célebres jurisconsultes depuis Adrien jusqu'à Constantin, furent Gaïus, ou Caïus, Scaevola, Sextus-Pomponius-Papinien, Ulpien-Paulus, Modestinus, & plusieurs autres.

Depuis Constantin, on trouve Grégorien & Hermogénien auteurs des deux codes ou compilations qui portent leur nom.

La direction de celles que Justinien fit faire, fut confiée à Tribonien, qui associa à ses travaux Théophile, Dorothée, Leontius, Anatolius, & Cratinus, le patrice Jean Phocas, Basilide, Thomas, deux Constantins, Dioscore, Praesentinus, Etienne, Menna, Prosdocius, Eutolmius, Thimothée, Léonides, Platon, Jacques.

Pour la confection du digeste, Tribonien choisit seize d'entre ceux qui avoient travaillé avec lui au code ; on sait que le digeste fut composé de ce qu'il y avoit de meilleur dans les livres des jurisconsultes ; leurs ouvrages s'étoient multipliés jusqu'à plus de 2000 volumes, & plus de 300000 vers. On marque au haut de chaque loi le nom du jurisconsulte, & le titre de l'ouvrage dont elle a été tirée ; on prétend qu'après la confection du digeste, Justinien fit supprimer tous les livres des jurisconsultes ; quoi qu'il en soit, il ne nous en reste que quelques fragmens.

Quelques auteurs ont entrepris de rassembler ces fragmens de chaque ouvrage, qui sont à part dans le digeste & ailleurs ; mais il en manque encore une grande partie, qui seroit nécessaire pour bien connoître les principes de chaque jurisconsulte.

Les jurisconsultes les plus célebres que l'Allemagne a produits, sont Irnerius, Haloander, Ulric Zarius, Fichard Ferrier, Sichard, Mudée, Oldendorp, Damhouden Raevard, Hopper, Zuichem, Ramus, Cisner, Giffanius, Volfanghus, Freymonius, Dasius, Vander-Anus, Deima Wesembeck, Leunclavius, Vander-Bier, Drederode, Dorcholten, Lectius, Rittershusius, Treutler, Grotius, Godefroy, Matthaeus, Conringius, Puffendorf, Cocceius, Leibnitz, & Gerard Noodt, Van-Espen, &c.

L'Italie a pareillement produit un grand nombre de savans jurisconsultes tels que Martin & Bulgare son antagoniste, Accurse, Azon, Bartole, Ferrarius, Fulgose, Caccialupi, Paul de Castres, François Aretin, Alexandre Tartagni, les trois Sorin, Caepola, les Riminaldi, Jason Decius, Ruinus, Alciat, Nevizan, Pancirole, Matthaeus de afflictis, Peregrinus, Julius Clarus, Lancelot, les deux Gentilis, Pacaeus, Menochius, Mantica, Farinacius, Gravina, &c.

Il n'y a eu guere moins de grands jurisconsultes en Espagne ; on y trouve un Govea, Antoine-Augustin Covarruvias, Vasquez, Gomez, Pinellus, Garcias, Alvares, Pierre & Emmanuel Barbosa, Veneusa, Amaïa Caldas de Peirera, Caldera, Castillo-Soto-Major, Carranza, Perezius, &c.

La France n'a pas été moins féconde en jurisconsultes ; le nombre en est si grand, que nous ne rappellerons ici que les plus célebres, tels sont Guillaume Durand, surnommé le spéculateur, Guy Foucaut, qui fut depuis pape sous le nom de Clément IV. Jean Faber, Celse Hugues, Descousu, Guillaume Budée, Equinard Baron, Duaren, Tiraqueau, Charles Dumolin, Jean de Coras, François Baudouin ou Balduin, Berenger Fernand, Contius, Hotman, Jacques Cujas, Pierre Faber, Barnabé Brisson, Charles Loiseau, Chenu, Loisel, Petrus Gregorius, Eveillon, Pierre Pithon, Bouchelle, Coquille, Pasquier, Pierre Ayrault, Charles Labbé, Maran, Leschassier, Brodeau, Antoine Faber, Janus Acosta, Didier Hérault, Heraldus, Edmond Merille, Charles-Annibal Fabrot.

On doit aussi compter entre les modernes Jean Doujat, Jean Domat, Henrys, Corbin, Baluze, Pinson, Bengy, Gerbais, Ferret, Grimaudet, de Lauriere, de la Marre, Pierre le Merre, Dupuy, Bardet, le Prêtre, Dupineau, Boucheul, Ricard, le Brun, le Grand, Hevin, Poquet de Livonieres, Claude de Ferrieres, de Boutarie, Bouhier, Cochin, de Hericourt, & plusieurs autres, dont l'énumération seroit trop longue.

Nous ne parlons point ici des jurisconsultes vivans, dans la crainte d'omettre quelqu'un de ceux qui mériteroient d'être nommés.

Les Jurisconsultes romains, françois, & autres, ont toûjours été en grande considération ; plusieurs ont été honorés des titres de chevalier, de comte, de patrice, & élevés aux premieres dignités de l'état.

Bernardin Rectilius de Vicenze a écrit les vies des anciens jurisconsultes qui ont paru depuis 2000 ans. Guy Pancirol a écrit quatre livres des illustres interpretes des lois. Taisand a aussi écrit les vies des jurisconsultes anciens & modernes ; on trouve aussi dans l'histoire de la Jurisprudence romaine de M. Terrasson, une très-bonne notice de ceux qui ont écrit sur le Droit romain. (A)


JURISDICTIONS. f. (Jurisprud.) jurisdictio, quasi potestas jus dicendi, est le droit de rendre la justice à quelqu'un.

Quelquefois le terme de jurisdiction est pris pour le tribunal où se rend la justice, ou pour les officiers qui la composent.

Quelquefois aussi ce terme signifie le territoire qui dépend du tribunal, ou bien l'étendue de sa compétence.

La jurisdiction prise en tant que justice est de plusieurs sortes ; savoir, séculiere ou ecclésiastique, volontaire ou contentieuse, ordinaire ou extraordinaire, royale ou seigneuriale, supérieure ou inférieure ou subalterne. Nous expliquerons ci-après ce qui concerne chacune de ces especes de jurisdictions, & plusieurs autres qui ont encore d'autres dénominations particulieres.

Faire acte de jurisdiction, c'est user du pouvoir jurisdictionnel.

On appelle degrés de jurisdiction les différens tribunaux dans lesquels on peut plaider successivement pour la même affaire, & l'ordre qui est établi pour procéder dans une jurisdiction inférieure avant de pouvoir porter l'affaire à une jurisdiction supérieure.

Les Romains avoient trois sortes de jurisdictions, dont le pouvoir étoit différent ; savoir, celles des magistrats du premier ordre qui avoient merum & mixtum imperium, c'est-à-dire l'entiere jurisdiction, ou, comme on diroit parmi nous, haute, moyenne & basse justice. D'autres, d'un ordre inférieur, qui n'avoient que le mixtum imperium, dont le pouvoir étoit moins étendu, & ressembloit à peu-près à la moyenne justice. Enfin, il y avoit des jurisdictions simples qui ressembloient assez à nos basses justices, voyez ci-après JURISDICTION SIMPLE : mais ces diverses jurisdictions, quoique de pouvoir différent, ne formoient pas trois degrés de jurisdiction pour l'appel.

Anciennement en France, quoiqu'il y eût différens magistrats qui avoient plus ou moins de pouvoir, on ne distinguoit point les degrés de jurisdiction ; cependant du tems de Charlemagne le comte de chaque province connoissoit d'affaires graves privativement aux premiers juges appellés centenarii, scabini, racemburgi. Dès le tems de Pepin, il n'étoit pas permis d'aller au roi avant d'avoir plaidé devant le comte & devant les juges qui étoient sous lui ; autrement si c'étoit un homme du commun, on le battoit de verges, si c'étoit un homme qualifié, il étoit puni à l'arbitrage du roi.

Dans les jurisdictions séculieres, il se trouvoit en quelques endroits jusqu'à cinq degrés de jurisdiction. Le premier degré, c'est-à-dire l'ordre le plus inférieur, est celui de la basse ou de la moyenne justice : on peut appeller de ces justices à la haute, qui fait le second degré ; de la haute justice on peut appeller à la justice royale, qui fait le troisieme degré ; & si c'est une prevôté ou autre justice du même ordre, on peut en appeller au bailliage ou sénéchaussée, qui fait en ce cas le quatrieme degré. Enfin, du bailliage ou sénéchaussée, on appelle au parlement, qui fait le cinquieme degré.

Pour diminuer le nombre des degrés de jurisdictions, l'ordonnance d'Orléans, art. 54. & celle de Roussillon, art. 24. avoient ordonné que toutes prevôtés, vigueries ou autres jurisdictions royales & subalternes qui étoient établies dans les villes où il y a bailliage ou sénéchaussée auxquelles elles ressortissoient, seroient supprimées.

Mais comme cela ne devoit avoir lieu qu'à mesure que les offices vaqueroient, l'exécution en fut par-là si long-tems différée, qu'Henri III. par son ordonnance de Blois, art. 288. se contenta d'ordonner que les offices de ces sieges subalternes seroient réduits au même nombre où ils étoient suivant la premiere création.

Cette loi n'ayant pas été mieux exécutée, le Roi à présent régnant, après avoir supprimé par différens édits particuliers plusieurs prevôtés, par un autre édit du mois d'Avril 1749, ordonna que toutes les prevôtés, châtellenies, prevôtés foraines, vicomtés, vigueries, & toutes autres jurisdictions royales établies, sous quelque dénomination que ce fût, dans les villes où il y a bailliage ou sénéchaussée auxquels elles étoient ressortissantes, ensemble tous les offices créés & établis pour servir à l'administration de la justice dans ces jurisdictions demeureroient supprimées.

Cet édit a laissé subsister les jurisdictions royales ressortissantes aux bailliages & sénéchaussées, lorsqu'elles ne sont pas dans la même ville.

En quelques endroits l'appel de la haute justice est porté directement au bailliage ou sénéchaussée, auquel cas il n'y a que trois degrés de jurisdictions.

Dans les affaires qui sont portées rectâ au bailliage royal, il ne peut y avoir que deux degrés de jurisdiction.

Il en est de même des affaires qui sont du ressort des cours des aides, il n'y a jamais que deux degrés de jurisdictions. En effet, des élections, greniers à sel & juges des traites, on va directement par appel à la cour des aides.

En matiere d'eaux & forêts il y a ordinairement trois degrés, savoir les greniers & maîtrises, la table de marbre & le parlement.

L'ordre des jurisdictions est de droit public, tellement qu'il n'est permis à personne de l'intervertir.

Il est défendu en conséquence aux juges d'entreprendre sur la jurisdiction les uns des autres.

Il n'y a que le prince ou les cours souveraines dépositaires de son autorité, qui puissent distraire quelqu'un de la jurisdiction à laquelle il est naturellement soumis.

Une partie qui n'est pas assignée devant son juge naturel, ou autre juge compétent, peut décliner la jurisdiction. Voyez COMPETENCE & DECLINATOIRE.

Les particuliers ne peuvent pas non plus déroger à l'ordre naturel des jurisdictions ni l'intervertir, quelque soumission qui ait été faite à une jurisdiction à l'exclusion d'une autre, quand même cette soumission seroit une des clauses du contrat ; il n'est pas permis aux parties, même d'un commun accord, de porter une affaire à un autre juge que celui auquel la connoissance en appartient naturellement ; autrement le ministere public peut revendiquer l'affaire pour le juge qui en doit être saisi.

Il n'est pas non plus permis en matiere civile d'intervertir l'ordre des jurisdictions pour porter l'appel d'une sentence à un autre juge que celui qui est le supérieur immédiat du juge dont est appel, si ce n'est dans les appels comme de deni de renvoi ; ou comme de juge incompétent, dans lesquels l'appel est porté recta au parlement.

En matiere criminelle, l'appel va aussi toujours au parlement, omisso medio.

Dans la jurisdiction ecclésiastique, il n'y a que quatre degrés.

L'official de l'évêque est le premier degré ; on appelle de-là à l'official du métropolitain, qui est le second degré ; de celui-ci, au primat qui fait le troisieme degré, & du primat au pape qui est le quatrieme.

Quand l'évêque ou l'archevêque est soumis immédiatement au saint-siege, il n'y a que deux ou trois degrés de jurisdiction.

Il peut arriver, dans la jurisdiction ecclésiastique, que l'on soit obligé d'essuyer cinq ou six degrés de jurisdiction, parce que le pape étant tenu de déléguer des commissaires sur les lieux, on peut encore appeller de ces commissaires au pape, lequel commet de nouveaux commissaires jusqu'à ce qu'il y ait trois sentences conformes, ainsi que cela a été limité par le concordat.

On ne doit pas confondre le détroit, district ou territoire d'une jurisdiction inférieure avec son ressort ; le détroit ou territoire d'une jurisdiction inférieure est le territoire qui est soumis immédiatement à cette jurisdiction, au lieu que le ressort de cette même jurisdiction est le territoire de celles qui y viennent par appel.

Ainsi la jurisdiction des premiers juges, qui n'ont point d'autres juges au-dessous d'eux, n'a point de ressort, mais seulement son détroit ou territoire ; cependant on confond quelquefois ces termes dans l'usage, sur-tout en parlant des cours souveraines ; dont le territoire & le ressort sont la même étendue. (A)

JURISDICTION DES ABBES est le pouvoir que les abbés réguliers ont d'ordonner le service divin, & de donner la bénédiction dans leurs églises. Ils ont droit de correction sur leurs religieux en ce qui regarde la discipline intérieure & les fautes par eux commises dans le cloître ; car la punition & correction de celles qu'ils commettent au dehors appartient à l'évêque pour le délit commun, & au juge royal pour les cas privilégiés. Quelques abbés ont aussi le pouvoir de donner à leurs religieux la tonsure & les ordres mineurs. Les abbés commendataires exercent la jurisdiction spirituelle de même que les réguliers, mais ils n'ont pas la jurisdiction correctionnelle sur les religieux ; car ce n'est pas à eux à faire observer une regle qu'ils ne professent pas : le droit de correction en ce cas est dévolu au prieur claustral. Voyez le traité des matieres bénéf. de Fuet, liv. II. chap. j. des abbés. (A)

JURISDICTION BASSE ou plûtôt BASSE JURISDICTION, comme elle est appellée dans la coutume de Poitou, art. 21. qui la qualifie aussi de jurisdiction fonciere, est une espece particuliere de basse justice qui ne donne pas connoissance de toutes les matieres réelles & personnelles qui sont de la compétence du bas-justicier, mais seulement la connoissance du fonds qui releve du fief ou de l'étroit fonds, comme dit l'art. 18. de la coutume de Poitou, c'est-à-dire des causes réelles qui regardent le fonds du fief & les droits qui peuvent en venir au seigneur, comme le payement des lods & ventes, la notification & exhibition des contrats & autres causes concernant son fief. Voyez Boucheul sur l'art. 18. de la coutume de Poitou, & ci-après au mot JUSTICE FONCIERE. (A)

JURISDICTION DU PREMIER CHIRURGIEN DU ROI est une espece de jurisdiction économique que le premier chirurgien du roi, en sa qualité de chef de la Chirurgie & garde des chartes, statuts & priviléges de cet art, exerce sur tous les chirurgiens, sage-femmes, & autres exerçans quelque partie que ce soit de la Chirurgie ou de la Barberie.

Elle consiste dans le droit d'inspection & visitation sur toutes les personnes soumises à sa jurisdiction, de faire assembler les communautés de Chirurgiens & de Perruquiers pour leurs affaires & autres nécessaires à la réception des aspirans, de présider dans ces assemblées, d'y porter le premier la parole, de recueillir les voix, de prononcer les délibérations, recevoir les sermens, entendre & arrêter définitivement les comptes, & enfin de faire observer la discipline, le bon ordre & les statuts & réglemens donnés sur le fait de la Chirurgie & Barberie, & de prendre toute connoissance de ce qui concerne ces professions.

Comme on a omis de parler de cette jurisdiction à l'article CHIRURGIEN, nous croyons devoir suppléer ici ce qui a rapport à cet objet.

Le premier chirurgien du roi n'a commencé à jouir de cette jurisdiction qu'en 1668, en conséquence de la réunion qui fut faite pour lors de la charge de premier valet-de-chambre barbier du roi à celle de premier chirurgien, en la personne du sieur Felix qui remplissoit cette derniere place.

Long-tems avant cette époque, le premier barbier du roi étoit en possession de cette même jurisdiction à Paris & dans les villes des provinces, mais sur les Barbiers-Chirurgiens seulement, qui faisoient alors un corps séparé des maîtres en l'art & science de Chirurgie. Voyez CHIRURGIEN.

Il paroît que l'original des droits du premier barbier à cet égard remonte à l'ancienne coutume des Francs, suivant laquelle chacun avoit droit d'être jugé ou réglé par ses pairs, c'est-à-dire, par des personnes du même état.

On voit par les statuts que Charles V. donna aux Chirurgiens-Barbiers de Paris, au mois de Décembre 1371, que de tems immémorial ils étoient gardés & gouvernés par le maître barbier & valet de chambre du roi qui confirme dans ce droit, ainsi que dans celui de se choisir un lieutenant.

Henri III. par des lettres du mois de Mai 1575, ordonna également que le premier barbier valet-de-chambre du roi seroit maître & garde de l'état de maître barbier-chirurgien dans tout le royaume.

A l'égard des Chirurgiens non-Barbiers, ils n'étoient point soumis à cette inspection ; ils étoient réglés par des statuts particuliers. On voit que dès le tems de Philippe le Bel, il fut ordonné par un édit du mois de Novembre 1311, que dans la ville & vicomté de Paris aucun chirurgien ni sage-femme (chirurgicae) ne pourroit exercer l'art de Chirurgie qu'il n'eût été examiné & approuvé par les maîtres chirurgiens demeurant à Paris, assemblés par Me Jean Pitard, chirurgien du roi juré au châtelet de Paris & par ses successeurs. Les récipiendaires devoient prêter serment entre les mains du prevôt de Paris.

Le roi Jean ordonna la même chose au mois d'Avril 1352, avec cette différence seulement, que l'inspection sur les Chirurgiens de la ville & vicomté de Paris étoit alors confiée à deux chirurgiens du roi jurés au châtelet.

Ailleurs les Chirurgiens étoient examinés par des maîtres en présence du juge. Cela fut ainsi ordonné par des lettres du roi Jean du 27 Décembre 1362, adressées au sénéchal de Beaucaire, concernant les Juifs qui se mêloient d'exercer la Chirurgie, auxquels il est défendu d'exercer la Physique ni la Chirurgie envers les Chrétiens ni aucuns d'eux, qu'ils n'eussent été examinés en présence du sénéchal ou autres gens de ladite sénéchaussée par des maîtres ou autres Chrétiens experts èsdites sciences.

Dans d'autres endroits ces Chirurgiens faisoient membres des universités, & y étoient admis à la maîtrise en présence du recteur : c'est ce qui a été observé en Provence jusqu'au rétablissement des lieutenans du premier chirurgien du roi.

En 1655 les maîtres en l'art & science de Chirurgie de Paris, connus pour lors sous le nom de Chirurgiens de robe longue, s'étant réunis avec la communauté des Chirurgiens-Barbiers ; & peu de tems après, le sieur Felix, premier chirurgien, ayant aussi acquis la charge de premier valet-de-chambre barbier, les deux places & les deux états de Chirurgiens se confondirent en un seul, & demeurerent soumis au même chef premier chirurgien du roi. Le sieur Felix obtint au mois d'Août 1668, un arrêt du conseil & des lettres patentes, par lesquels les droits & privileges, auparavant attribués à la charge de premier barbier du roi, furent unis à celle de premier chirurgien, ensorte que depuis ce tems la jurisdiction du premier chirurgien du roi s'étend non-seulement sur les chirurgiens, Sage-femmes & autres, mais aussi sur les Barbiers-Perruquiers, Baigneurs-Etuvistes.

Quoique les Barbiers-Perruquiers forment présentement un corps entierement distinct & séparé de celui des Chirurgiens ; & que par la déclaration du 23 Avril 1743, les Chirurgiens de Paris ayant été rétablis dans leurs anciens droits & privileges, cette déclaration a néanmoins conservé au premier chirurgien l'inspection sur ces deux corps, avec le titre de chef de la Chirurgie pour ce qui concerne les Chirurgiens, & celui d'inspecteur & directeur général commis par sa Majesté en ce qui regarde la barberie & la profession de perruquier, avec injonction de veiller à ce qu'aucun desdits corps n'entreprenne sur l'autre.

Le premier chirurgien du Roi exerce cette jurisdiction à Paris & dans toutes les communautés de Chirurgiens & de Perruquiers du royaume par des lieutenans qu'il commet à cet effet, & auxquels il donne des provisions.

Dans les communautés de Chirurgiens, les lieutenans doivent être choisis dans le nombre des maîtres de la communauté. Ils jouissent des exemptions de logemens de gens de guerre, de guet & garde, collecte, tutele, curatelle, & autres charges de ville & publiques.

L'établissement de ces lieutenans remonte à plusieurs siecles ; ils furent néanmoins supprimés dans les villes de province seulement par l'édit du mois de Février 1692, portant création d'offices formés & héréditaires de Chirurgiens-jurés royaux commis pour les rapports, auxquels S. M. attribua les mêmes droits dont avoient joui jusques-là les lieutenans du premier chirurgien. Comme ceux auxquels ces offices passoient à titre d'hérédité étoient souvent incapables d'en remplir les fonctions, on ne fut pas long-tems à s'appercevoir des abus & des inconvéniens qui résultoient de ce nouvel arrangement, & de la nécessité de rétablir les lieutenans du premier chirurgien, ce qui fut fait par édit du mois de Septembre 1723.

Les lieutenans du premier chirurgien subsistent donc depuis ce tems, à la satisfaction & au grand avantage des communautés, par l'attention que les premiers chirurgiens ont de ne nommer à ces places que les sujets qui sont les plus propres pour les remplir.

Les lieutenans du premier chirurgien, dans les communautés de Perruquiers sont également chargés de faire observer les réglemens de cette profession au nom du premier chirurgien. Ceux-ci acquierent par leur nomination le droit d'exercer le métier de perruquier sans qu'ils ayent besoin d'être préalablement admis à la maîtrise dans ces communautés.

Le premier chirurgien commet aussi des greffiers dans chacune de ces communautés pour tenir les registres & écrire les délibérations. Voy. GREFFIER DU PREMIER CHIRURGIEN.

J'ai profité pour cet article & pour quelques autres qui y ont rapport, des mémoires & instructions que M. d'Olblen, secrétaire de M. le premier chirurgien du Roi a eu la bonté de me fournir. (A)

JURISDICTION CIVILE. Voyez JUSTICE CIVILE.

JURISDICTION COACTIVE est celle qui a le pouvoir de faire exécuter ses jugemens. Les arbitres n'ont point de jurisdiction coactive ; leur pouvoir se borne à juger. On dit aussi que l'Eglise n'a point par elle-même de jurisdiction coactive, c'est-à-dire qu'en vertu de la jurisdiction spirituelle qu'elle tient de droit divin, elle ne peut se faire obéir que par des censures, sans pouvoir exercer aucune contrainte extérieure sur les personnes ni sur les biens ; elle ne peut même pour la jurisdiction qu'elle tient du prince, mettre ses jugemens à exécution ; il faut qu'elle implore l'ordre du bras séculier, parce qu'elle n'a point de territoire. Voyez JURISDICTION ECCLESIASTIQUE. (A)

JURISDICTION COMMISE est celle dont le magistrat commet l'exercice à une autre personne.

On confond souvent la jurisdiction commise avec la jurisdiction déléguée ; on faisoit cependant une différence chez les Romains, inter eum cui mandata erat jurisdictio, celui auquel la jurisdiction étoit entierement commise, & judicem datum qui n'étoit qu'un délégué spécial, & souvent qu'un subdélégué pour le jugement d'une certaine affaire.

Celui auquel la jurisdiction étoit commise, avoit toute l'autorité de la justice ; il prononçoit lui-même ses sentences, & avoit le pouvoir de les faire exécuter, au lieu que le simple délégué ou subdélégué n'avoit simplement que le pouvoir de juger. Sa sentence n'étoit que comme un avis, jusqu'à ce que le magistrat l'eut approuvée, soit en la prononçant lui-même, pro tribunali, soit en décernant la commission pour l'exécuter.

Parmi nous il n'est pas permis aux magistrats de commettre entierement à d'autres personnes la jurisdiction qui leur est confiée ; ils peuvent seulement commettre l'un d'entr'eux pour certaines fonctions qui concernent l'instruction des affaires, mais non pas pour les décider : s'ils renvoyent quelquefois devant des avocats, ou devant d'autres personnes, pour en passer par leur avis, ce n'est que sous la condition que ces avis seront homologués, sans quoi on ne peut les mettre à exécution.

Mais les cours supérieures peuvent commettre un juge inférieur au lieu d'un autre, pour connoître de quelque affaire, lorsqu'il y a quelque raison pour en user ainsi. Voyez ci-devant JUGE DELEGUE, & ci-après JURISDICTION DELEGUEE.

On entend ordinairement par jurisdiction commise celle qui n'est pas ordinaire, mais qui est seulement attribuée par le prince pour certaines matieres ou sur certaines personnes, ou pour certaines affaires seulement. Voyez JUGE COMMIS, JURISDICTION D'ATTRIBUTION, ORDINAIRE, DE PRIVILEGE. (A)

JURISDICTION CONSULAIRE est celle qui est exercée par des consuls & autres juges établis pour connoître des affaires de commerce, tels que la conservation de Lyon. Voyez CONSERVATION & CONSULS. (A)

JURISDICTION CONTENTIEUSE est celle qui connoît des contestations mûes entre les parties ; elle est ainsi appellée pour la distinguer de la jurisdiction volontaire qui ne s'étend point aux affaires contentieuses. Voyez JURISDICTION VOLONTAIRE. (A)

JURISDICTION CORRECTIONNELLE est celle que les supérieurs des monasteres ont sur leurs religieux, & que quelques chapitres ont sur leurs membres. Cette espece de jurisdiction n'est autre chose que le droit de correction modérée, que l'on a improprement appellé jurisdiction ; en tout cas ce n'est qu'une jurisdiction domestique. Voyez CORRECTION & JURISDICTION DES ABBES. (A)

JURISDICTION CRIMINELLE. Voyez JUSTICE CRIMINELLE.

JURISDICTION DES CURES, on entend par ce terme la puissance qu'ils ont pour le spirituel ; & dans ce sens on dit que leur jurisdiction est émanée immédiatement de J. C. qui donna lui-même la mission aux 72 disciples qu'il avoit choisis, aussi bien qu'à ses apôtres. (A)

JURISDICTION DELEGUEE est celle qui est commise à quelqu'un par le prince ou par une cour souveraine, pour instruire & juger quelque différend. Voyez ci-devant JUGE DELEGUE. (A)

JURISDICTION ECCLESIASTIQUE considérée en général est le pouvoir qui appartient à l'Eglise d'ordonner ce qu'elle trouve de plus convenable sur les choses qui sont de sa compétence, & de faire exécuter ses loix & ses jugemens.

L'Eglise a présentement deux sortes de jurisdictions qui sont regardées l'une & l'autre comme ecclésiastiques ; l'une qui lui est propre & essentielle, l'autre qui est de droit humain & positif.

La jurisdiction qui est propre & essentielle à l'Eglise, est toute spirituelle ; elle tire son origine du pouvoir que J. C. a laissé à son Eglise de faire exécuter les lois qu'il avoit prescrites, d'en établir de nouvelles quand elle le jugeroit nécessaire, & de punir ceux qui enfreindroient ces loix.

Cette puissance & jurisdiction qui appartient à l'Eglise de droit divin, ne s'exerce que sur le spirituel ; elle ne consiste que dans le pouvoir d'enseigner tout ce que J. C. a ordonné de croire ou de pratiquer, d'interprêter sa doctrine, de réprimer ceux qui voudroient enseigner quelque chose de contraire, d'assembler les fideles pour la priere & l'instruction ; de leur donner des pasteurs de différens ordres pour les conduire, & de déposer ces pasteurs s'ils se rendent indignes de leur ministere.

J. C. a encore dit à ses apôtres : " recevez le Saint-Esprit ; ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, & ceux dont vous les retiendrez, ils leur seront retenus ". Il leur a dit encore, " si votre frere a péché contre vous, reprenez-le seul à seul ; s'il ne vous écoute pas, appellez un ou deux témoins ; s'il ne les écoute pas, dites-le à l'Eglise ; s'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il vous soit comme un payen & un publicain. Tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, & tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel ". L'Eglise a donc reçu de J. C. le pouvoir de juger les pécheurs, de distinguer ceux qui doivent être absous, de ceux qui ne sont pas en état de recevoir l'absolution, & de retrancher de l'Eglise les pécheurs rebelles & incorrigibles.

Enfin l'Eglise a pareillement le pouvoir d'assembler le clergé d'une ou de plusieurs églises pour ordonner conjointement ce qui est nécessaire par rapport au spirituel.

La jurisdiction de l'Eglise étoit dans son origine bornée à ces seuls objets, & pour contraindre les réfractaires d'exécuter ses lois & ses jugemens, elle n'avoit d'autres armes que les peines spirituelles.

Mais on lui a attribué peu-à-peu une autre espece de jurisdiction qui est de droit humain & positif ; on l'a aussi comprise sous le terme de jurisdiction ecclésiastique ; soit parce qu'elle a été attribuée à l'Eglise, soit parce qu'elle s'exerce principalement sur des matieres ecclésiastiques ; elle a néanmoins été aussi étendue à des matieres purement temporelles, lorsqu'elles intéressent des ecclésiastiques, ainsi qu'on l'expliquera dans la suite.

Cette partie de la jurisdiction ecclésiastique qui est de droit humain & positif, lui a été attribuée à l'occasion de la puissance spirituelle.

L'Eglise ayant droit de retrancher de son sein ceux qui ne rendoient pas justice à leurs freres, les Apôtres défendoient aux Chrétiens de plaider devant les magistrats infideles, & leur ordonnoient de prendre des arbitres d'entr'eux-mêmes.

Les jugemens que rendoient ces arbitres n'étoient que des jugemens de charité dont personne ne pouvoit se plaindre, parce qu'ils n'étoient exécutés que par la soumission du condamné.

On trouve qu'encore du tems de saint Cyprien, l'évêque avec son clergé jugeoit de tous les différends des fideles avec tant d'équité, que les assemblées de l'Eglise étant devenues plus difficiles dans la suite à cause des persécutions, c'étoit ordinairement l'évêque seul qui prononçoit, & l'on s'y soumettoit presque toujours.

On étoit si content de ces jugemens, que lors même que les princes & les magistrats furent devenus chrétiens, & que l'on n'eut plus les mêmes raisons pour éviter leurs tribunaux, plusieurs continuerent à se soumettre par préférence à l'arbitrage des évêques.

L'église avoit donc alors la connoissance des différends concernant la religion, l'arbitrage des causes qui lui étoient déférées volontairement, & la censure & correction des moeurs que Tertullien appelle exhortations, castigations, & censura divina ; mais elle n'avoit pas cet exercice parfait de la justice, qui est appellé en droit jurisdictio. Tertullien appelle la justice des évêques notionem, judicium, judicationem, audientiam, & jamais jurisdictionem ; & aussi M. Cujas observe que le titre du code qui traite de la justice des évêques, est intitulé de episcopali audientiâ, & non pas de episcopali jurisdictione, parce que les juges d'église ont seulement le pouvoir d'ouir les parties, & de décider leurs différends, mais non pas de leur faire droit pleinement, ne pouvant mettre leurs jugemens à exécution, parce qu'ils n'ont point de tribunaux proprement dits, mais une simple audience, comme l'observe M. le premier président de la Moignon, sur l'art. 1. du tit. 15. de l'ordonnance de 1667, & que d'ailleurs l'Eglise n'a point la force extérieure en main pour mettre ses jugemens à effet, & qu'elle n'a point de territoire.

Cependant les princes séculiers par respect pour l'Eglise, & pour honorer les pasteurs, favoriserent les jugemens rendus par les évêques, en ordonnant qu'ils pourroient juger les affaires civiles comme arbitres du consentement des parties. Constantin ordonna que leurs jugemens seroient exécutés sans appel, & que les juges séculiers les feroient exécuter par leurs officiers.

Arcadius & Honorius s'étant apperçu que quelques évêques cherchoient à étendre trop loin la puissance qui leur avoit été accordée, les réduisirent à juger seulement des affaires de religion. Ce réglement fut renouvellé par Valentinien II. en sa novelle 12. où il déclare formellement que les évêques & les prêtres forum legibus non habere, nec de aliis causis, praeter religionem, posse cognoscere ; il leur permet seulement de connoître des causes d'entre clercs ou entre laïcs, mais seulement du consentement des parties, & en vertu d'un compromis.

Ainsi lorsqu'il s'agissoit de religion, le pape & les évêques étoient juges, & dans ces matieres l'appel du jugement de l'évêque étoit porté au métropolitain, de celui-ci au primat ou au patriarche, suivant les différens lieux ; dans l'occident on appelloit du primat au pape ; & dans l'orient, des exarques ou primats au patriarche de Constantinople ; on ne voulut pas permettre l'appel du patriarche au pape.

Mais lorsqu'il s'agissoit de procès, les évêques n'en connoissoient que par compromis ; ce fut la premiere cause pour laquelle il n'y avoit pas d'appel de leurs sentences.

Justinien en ajouta ensuite une autre, en ordonnant que les jugemens des évêques seroient respectés comme ceux des préfets du prétoire, dont il n'y avoit pas d'appel ; il rendit aux évêques toute l'autorité que quelques-uns de ses prédécesseurs leur avoit ôtée ; il leur établit même une audience publique, & donna aussi aux clercs & aux moines le privilege de ne pouvoir être obligés de plaider hors de leur province ; & de n'avoir que leur évêque pour juge en matiere civile, & pour les crimes ecclésiastiques.

Ce même empereur connoissant la probité & la charité des évêques, & suivant en cela l'exemple de plusieurs de ses prédécesseurs, leur donna beaucoup d'autorité dans certaines affaires temporelles, comme dans la nomination des tuteurs & des curateurs, dans les comptes des deniers communs des villes, les marchés & réception des ouvrages publics, la visite des prisons, & pour la protection des esclaves, des enfans exposés, des personnes misérables, enfin pour la police contre les jeux de hasard, & contre la prostitution ; mais leur autorité par rapport à ces différentes choses, ne consistoit qu'à veiller à l'exécution des réglemens concernant la piété & les bonnes moeurs, sans qu'ils eussent à cet égard aucune jurisdiction coactive.

Les loix civiles qui autorisoient les évêques à connoître des différends des clercs, entroient dans les vûes de l'Eglise, qui étoient d'empêcher ses ministres de plaider ; ou du moins qu'ils ne parussent devant les juges laïques, dans la crainte que cela ne tournât au mépris du ministere ecclésiastique ; c'est pourquoi le troisieme concile de Carthage avoit ordonné que si un évêque, un prêtre, ou autre clerc poursuivoit une cause dans un tribunal public, que si c'étoit en matiere criminelle, il seroit déposé, quoiqu'il eût gagné sa cause ; que si c'étoit en matiere civile, il perdroit le profit du jugement s'il ne vouloit pas s'exposer à être déposé.

Le concile de Chalcedoine ordonne qu'un clerc qui a une affaire contre un autre clerc, commence par le déclarer à son évêque, pour l'en faire juge, ou prendre des arbitres du consentement de l'évêque.

Quelques autres conciles postérieurs ne défendent pas absolument aux clercs d'agir devant les juges séculiers, mais de s'y adresser ou d'y répondre sans la permission de l'évêque.

La jurisdiction ecclésiastique s'accrut encore dans les siecles suivans, tellement qu'en 866 le pape Nicolas I. dans ses réponses aux Bulgares, dit qu'ils ne doivent point juger les clercs ; maxime fondée principalement sur les fausses decretales, comme l'on voit dans le decret de Gratien.

Ce pouvoir des évêques augmenta encore beaucoup, tant par rapport au respect dû à la sainteté de leur ministere, que par la piété des princes chrétiens qui leur donnerent de grands biens, & par la considération dûe à leur savoir, sur-tout dans des tems où les laïques étoient presque tous plongés dans une ignorance profonde : les évêques furent admis dans les conseils des princes ; on leur confia une partie du gouvernement politique, & cette jurisdiction qui n'étoit au commencement qu'extraordinaire, fut ensuite rendue ordinaire en quelques lieux avec plus ou moins d'étendue, selon les talens de l'évêque, & l'incapacité du comte qui étoit préposé sur la province.

Il n'y eut point de pays, sur-tout où les évêques acquirent plus d'autorité, qu'en France ; quelques-uns prétendent que leur jurisdiction par rapport aux matieres temporelles, vint du commandement militaire que les évêques & les abbés avoient sur leurs hommes qu'ils menoient à la guerre ; que cela entraîna depuis la jurisdiction civile sur ceux qui étoient soumis à leur conduite.

Ce qu'il y a de certain c'est que le grand crédit qu'ils eurent sous les deux premieres races, la part qu'ils eurent à l'élection de Pepin, la considération que Charlemagne eut pour eux, firent que ce prince leur accorda comme un droit de l'épiscopat, & sous le titre de jurisdiction ecclésiastique, une jurisdiction qu'ils ne tenoient auparavant que du consentement des parties, & de la permission du prince.

On persuada à Charlemagne dans sa vieillesse, qu'il y avoit dans le code Théodosien une loi de Constantin, portant que si de deux séculiers en procès l'un prenoit un évêque pour juge, l'autre étoit obligé de se soumettre au jugement, sans en pouvoir appeller. Cette loi qui s'est trouvée insérée au code Théodosien, liv. XVI. tit. 10. de episcop. audient. l. 1. passe chez tous les critiques pour supposée.

Quoi qu'il en soit, elle n'a point été insérée dans le code de Justinien, & elle n'avoit jamais été exécutée jusqu'au tems de Charlemagne, lequel l'adopta dans ses capitulaires, liv. VI. capit. cccxxxvj. Louis le Debonnaire son fils en fut une des premieres victimes.

Le troisieme concile de Latran poussa les choses jusqu'à défendre aux laïques, sous peine d'excommunication, d'obliger les clercs à comparoître devant eux, & Innocent III. décida que les clercs ne pouvoient pas renoncer à ce privilege, comme étant de droit public.

La jurisdiction des évêques se trouva pourtant fort restrainte dès le X. siecle, pour les matieres spirituelles, par l'extension qui fut donnée à l'autorité du pape au préjudice des évêques, & par la jurisdiction des légats qui furent envoyés fréquemment dans le xj. siecle.

Les évêques chercherent à s'en dédommager, en étendant sous différens prétextes leur jurisdiction sur les matieres temporelles.

Non-seulement les clercs étoient alors totalement exempts de la jurisdiction séculiere, mais les évêques exerçoient même leur jurisdiction sur les séculiers, dans la plûpart des affaires ; ils prenoient connoissance des causes réelles & mixtes où les clercs avoient intérêt, & trouvoient toujours moyen de les attirer soit sous prétexte de connexité, ou par reconvention ; ils revendiquoient les criminels qui se disoient clercs, quoiqu'ils ne portassent ni l'habit, ni la tonsure ; ils donnoient la tonsure à tous ceux qui se présentoient, pour augmenter le nombre de leurs justiciables, & mettoient au nombre d'esclaves tous ceux qui avoient la tonsure, quoiqu'ils fussent mariés. Les meubles des clercs n'étoient sujets qu'à la jurisdiction ecclésiastique ; sous prétexte que les meubles suivent la personne.

Ils connoissoient de l'exécution des contrats auxquels on avoit apposé la clause du serment, clause qui étoit devenue de style ; & en général toutes les fois qu'il pouvoit y avoir du péché ou de la mauvaise foi dans l'inexécution de quelque acte, c'en étoit assez pour attirer la cause devant les juges d'Eglise, au moyen de quoi ils connoissoient de tous les contrats.

L'exécution des testamens étoit aussi de leur compétence, à cause des legs pieux, ce qui entraînoit les scellés & les inventaires.

Ils connoissoient aussi des conventions matrimoniales, parce que le douaire se constituoit en face d'Eglise, à la porte du Moustier.

Les veuves, les orphelins, les mineurs, les pauvres étoient sous leur protection, & partant leurs justiciables.

Ils excommunioient ceux qui étoient en demeure de payer les sommes par eux dûes, & obligeoient les juges laïques de contraindre les excommuniés à se faire absoudre, sous peine d'être eux-mêmes excommuniés, défendant de rien vendre aux excommuniés, ni de travailler pour eux, mettant les lieux en interdit quand les juges ne leur obéissoient pas ; ils joignoient même aux censures des amendes pécuniaires ; ce que dans l'origine les juges d'église n'avoient point le pouvoir de faire, ne pouvant selon leur état imposer que des peines spirituelles.

Ils prétendoient aussi que c'étoit à eux à suppléer la justice séculiere lorsqu'elle étoit suspecte aux parties, ou qu'elle tardoit un peu à faire droit.

Selon eux dans les causes difficiles, sur-tout par rapport au point de droit ; & quand il y avoit partage d'opinion entre les juges, c'étoit à l'Eglise à décider, ce qu'ils appuyoient sur ce passage du Deutéronome : Si difficile & ambiguum apud te judicium esse perspexeris, & judicium intraportas videris variari ; venies ad sacerdotes levitici generis & ad judicem qui fuerit illo tempore ; qui indicabunt tibi veritatem, & facies quaecumque dixerint qui praesunt in loco quem elegerit dominus, appliquant ainsi une loi de police de l'ancien Testament qui ne convenoit plus au tems présent.

Enfin ils qualifioient de crimes ecclésiastiques, même à l'égard des laïques, la plûpart des crimes, tels que le concubinage, l'usure, le parjure, ensorte qu'ils s'arrogeoient la connoissance de toutes les affaires criminelles, aussi bien que des affaires civiles ; il ne restoit presque plus rien aux jurisdictions séculieres.

Ces entreprises de la jurisdiction ecclésiastique sur la jurisdiction séculiere firent le sujet de la fameuse dispute entre Pierre de Cugneres, avocat du roi, & Pierre Bertrandi, évêque d'Autun, devant Philippe de Valois à Vincennes en 1329.

Pierre de Cugneres soutint que l'Eglise n'avoit que la jurisdiction purement spirituelle, & qu'elle n'avoit pas droit de juger des causes temporelles ; il cotta 66 chefs, sur lesquels il soutint que les ecclésiastiques excédoient leur pouvoir, notamment dan les matieres temporelles dont on a vu ci-devant que les juges d'Eglise s'étoient attribué la connoissance.

Bertrandi prétendit au contraire que les ecclésiastiques étoient capables de la jurisdiction temporelle aussi bien que de la spirituelle, il répondit à chacun des 66 articles, & en abandonna quelques-uns comme des abus que l'Eglise désavouoit ; mais il défendit la plus grande partie, alléguant la coutume & la possession, & les concessions expresses ou tacites des princes, qui avoient cru ne pouvoir mieux faire que de confier l'exercice de cette portion de la justice aux juges d'Eglise ; il exhorta le roi à ne rien innover, & la chose en demeura là pour lors.

Mais ce qui est important d'observer, c'est que Pierre de Cugneres qualifia d'abus les entreprises des ecclésiastiques sur la jurisdiction temporelle, & c'est à cette époque que l'on rapporte l'origine des appels comme d'abus dont l'objet est de contenir les juges d'Eglise dans les bornes de leur pouvoir, & de les obliger de se conformer aux anciens canons, aux lois & aux ordonnances du royaume dans l'exercice de la jurisdiction qui leur est confiée.

On a encore apporté deux tempéramens pour limiter la jurisdiction ecclésiastique.

L'un est la distinction du délit commun d'avec le délit privilégié ; l'église connoît du délit commun des clercs ; le juge royal connoît du cas privilégié.

L'autre est la distinction que l'on fait dans les matieres ecclésiastiques du pétitoire d'avec le possessoire ; le juge d'Eglise connoît du pétitoire, mais le juge royal connoît seul du possessoire.

Ce fut principalement l'ordonnance de 1539 qui commença à renfermer la jurisdiction ecclésiastique dans les justes bornes. François I. défendit à tous ses sujets de faire citer les laïcs devant les juges d'Eglise dans les actions pures personnelles, sous peine de perdre leur cause & d'amende arbitraire, défendit aussi par provision à tous juges d'Eglise de délivrer aucunes citations verbales ni par écrit pour citer les laïcs dans les matieres pures personnelles, sous peine aussi d'amende arbitraire. Cette même ordonnance porte que c'est sans préjudice de la jurisdiction ecclésiastique dans les matieres de sacrement, & autres purement spirituelles & ecclésiastiques, dont ils peuvent connoître contre les laïcs selon la forme de droit, & aussi sans préjudice de la jurisdiction temporelle & séculiere contre les clercs mariés & non mariés, faisant & exerçant états ou négociations pour raison desquels ils sont tenus & accoutumés de répondre en cour séculiere, pour lesquels ils continueront d'y procéder tant en matiere civile que criminelle.

Il est aussi ordonné que les appels comme d'abus interjettés par les prêtres & autres personnes ecclésiastiques, dans les matieres de discipline & de correction ou autres pures personnelles, & non dépendantes de réalité, n'auront aucun effet suspensif.

L'ordonnance d'Orléans régla que les prélats & leurs officiers n'useroient de censures ecclésiastiques que pour des crimes scandaleux & publics ; mais comme cette disposition donnoit lieu à beaucoup de difficultés, Charles IX. par ses lettres patentes de l'an 1571, régla que les prélats pourroient user des censures dans les cas qui leur sont permis par les saints decrets & conciles.

L'édit de 1695, concernant la jurisdiction ecclésiastique, ordonne que les ordonnances, édits & déclarations rendus en faveur des ecclésiastiques concernant leur jurisdiction volontaire & contentieuse seront exécutés.

Les principales dispositions de cet édit sont que la connoissance & le jugement de la doctrine concernant la religion appartiendra aux archevêques & évêques. Il est enjoint aux cours de parlement & à tous autres juges séculiers, de la renvoyer aux prélats ; de leur donner l'aide dont ils ont besoin pour l'exécution des censures, & de procéder à la punition des coupables sans préjudice à ces mêmes cours & juges, de pourvoir par les autres voies qu'ils estimeront convenables à la réparation du scandale & trouble de l'ordre, tranquillité publique, & contravention aux ordonnances, que la publication de la doctrine auroit pu causer.

La connoissance des causes concernant les sacremens, les voeux de religion, l'office divin, la discipline ecclésiastique & autres purement spirituelles est déclarée appartenir aux juges d'Eglise, & il est enjoint aux cours & autres juges de leur en laisser, & même de leur en renvoyer la connoissance, sans prendre aucune jurisdiction ni connoissance, des affaires de cette nature, à moins qu'il n'y eût appel comme d'abus de quelques jugemens. ordonnances ou procédures émanées des juges d'Eglise, ou qu'il fût question d'une succession ou autres effets civils.

Les cours ne peuvent connoître ni recevoir d'autres appellations des ordonnances & jugemens des juges d'Eglise, que celles qui sont qualifiées comme d'abus.

Les procès criminels qu'il est nécessaire de faire à des prêtres, diacres, soudiacres, ou clercs vivans cléricalement, résidans & servans aux offices, ou aux ministeres & bénéfices qu'ils tiennent en l'Eglise, & qui sont accusés des cas que l'on appelle privilégiés, doivent être instruits conjointement par les juges d'Eglise, & par les baillis & sénéchaux ou leurs lieutenans, en la forme prescrite par les ordonnances, & particulierement par l'article 22 de l'édit de Melun, par celui du mois de Février 1678, & par la déclaration du mois de Juillet 1684.

Les archevêques & évêques ne sont obligés de donner des vicariats pour l'instruction & jugement des procès criminels, à moins que les cours ne l'ayent ordonné, pour éviter la recousse des accusés durant leur translation, & pour quelques raisons importantes à l'ordre & au bien de la justice dans les procès qui s'y instruisent ; & en ce cas les prélats choisissent tels conseillers-clercs desdites cours qu'ils jugent à propos, pour instruire & juger le procès pour délit commun.

La jurisdiction ecclésiastique est de deux sortes ; sçavoir volontaire & contentieuse.

La jurisdiction volontaire est ainsi appellée, non pas qu'elle s'exerce toujours inter volentes, mais parce qu'elle s'exerce ordinairement sans qu'il y ait aucune contestation des parties ; ou s'il y a quelque contestation entre les parties, l'évêque n'en connoît que sommairement & de plano, comme il arrive dans le cours des visites & autres occasions semblables. Elle s'exerce au for intérieur & au for extérieur. Celle qui s'exerce au for intérieur & de conscience, s'appelle pénitentielle, & regarde particulierement le sacrement de pénitence ; elle est administrée par les évêques mêmes, par leurs pénitenciers, par les curés & par les confesseurs.

La jurisdiction volontaire qui s'exerce au for extérieur, consiste à donner des dimissoires pour chacun des ordres, des permissions de prêcher & de confesser ; à approuver les vicaires qui servent dans les paroisses, approuver les maîtres & maîtresses des petites écoles ; donner aux prêtres étrangers la permission de célébrer dans le diocese, donner la permission de faire des annexes ; conférer les bénéfices qui sont à la collation de l'évêque dans des mois libres ; à ériger, diviser ou unir des cures & autres bénéfices. Dans toutes ces matieres, la jurisdiction volontaire de l'évêque est aussi qualifiée de jurisdiction gracieuse, parce que l'exercice en dépend de la seule prudence de l'évêque, & que ceux qu'il a refusés ne peuvent pas se plaindre de son refus ; c'est pourquoi il n'est pas tenu d'en exprimer les motifs.

Il y a encore d'autres actes qui appartiennent à la jurisdiction volontaire, mais qui ne sont pas de jurisdiction gracieuse ; comme la collation des bénéfices à des pourvus de cour de Rome, à des présentés par des patrons, à des gradués & autres expectans, auxquels il est obligé de conférer, à moins qu'il n'y ait des causes légitimes pour les refuser ; c'est pourquoi dans ces cas il est obligé d'exprimer les causes du refus, afin que le supérieur puisse connoitre si le refus est bien ou mal fondé ; comme de bénir les églises, chapelles, cimetieres, & les reconcilier ; visiter les lieux saints, les vases sacrés & ornemens nécessaires au service divin ; faire la visite des curés, vicaires, marguilliers, des régens, des pauvres, des pécheurs publics & scandaleux, des monasteres ; donner des dispenses pour l'ordination, des dispenses pour relever des voeux ou des irrégularités, des dispenses de bans de mariage & des empêchemens de mariage ; prononcer des censures, accorder des absolutions des cas reservés à l'évêque & des censures.

La jurisdiction contentieuse qui s'exerce toujours au for extérieur, est celle qui s'exerce avec solemnité & avec les formes prescrites par le droit, pour terminer les différends des parties, ou pour punir les crimes qui sont de la compétence de la jurisdiction ecclésiastique, suivant ce qui a été expliqué précédemment ; telles sont les causes concernant les sacremens, les voeux de religion, l'office divin, la discipline ecclésiastique, & autres purement spirituelles ; telles sont aussi les causes personnelles entre clercs, ou dans lesquelles le défendeur est clerc ; les causes de réclamation contre les ordres sacrés ; la fulmination des bulles & autres signatures, dont l'exécution est adressée à l'official de l'évêque.

Au reste le privilege des clercs pour la jurisdiction ecclésiastique est restraint à ceux qui sont actuellement au service de quelque église, ou qui étudient dans quelque université, ou qui sont pourvus de quelque bénéfice.

Les réguliers soumis à la jurisdiction de l'évêque, par rapport à la prédication & à la confession, & pour les fonctions curiales à l'égard de ceux qui possedent des cures, pour la réclamation contre leurs voeux, & la translation à un autre ordre.

Les laïques mêmes sont en certains cas soumis à la jurisdiction contentieuse de l'évêque ; savoir pour les demandes en accomplissement ou en nullité des promesses de mariage quoad foedus, pour les demandes en dissolution de mariage, pour causes d'impuissance ou autres moyens de nullité, pour l'entérinement des dispenses que l'on obtient en cour de Rome sur les empêchemens de mariage.

L'évêque peut commettre à des grands vicaires l'exercice de sa jurisdiction volontaire & gracieuse, soit en tout ou partie ; il lui est libre aussi de l'exercer par lui-même.

Pour ce qui est de la jurisdiction contentieuse, les évêques l'exerçoient aussi autrefois en personne ; présentement ils ne peuvent juger eux mêmes les affaires contentieuses, à moins que ce ne soit de plano, & dans le cours de leurs visites, ils doivent renvoyer à leurs officiaux les affaires qui méritent d'être instruites dans les formes.

Il est néanmoins d'usage en quelques diocèses, que le nouvel évêque est installé à l'officialité, & y juge ce jour-là les causes qui se présentent avec l'avis du doyen & du chapitre. Cela fut pratiqué le 2 Juin 1746 pour M. de Bellefonds, archevêque de Paris.

L'évêque ne peut pas commettre une autre personne que son official ordinaire, pour juger les affaires contentieuses.

La jurisdiction ecclésiastique n'a point de territoire, c'est pourquoi la reconnoissance d'une promesse ou billet faite devant le juge d'Eglise n'emporte point d'hypotheque.

Avant l'édit de 1695, le juge d'église ne pouvoit mettre à exécution les jugemens, que par exécution de meubles, & non par saisie réelle.

Le juge d'église pouvoit decréter même de prise de corps ; mais il ne pouvoit faire arrêter ni emprisonner, sans employer l'aide du bras séculier ; il pouvoit seulement faire emprisonner ceux qui se trouvoient dans son auditoire, lorsqu'il y avoit lieu de le faire. Mais par l'art. 24 de l'éd. de 1695 il est dit, que les sentences & jugemens sujets à exécution ; & les decrets décernés par les juges d'Eglise, seront exécutés en vertu de cette nouvelle ordonnance, sans qu'il soit besoin de prendre aucun pareatis des juges royaux, ni de ceux des seigneurs ; & il est enjoint à tous juges de donner main-forte, & toute aide & secours dont ils seront requis, sans prendre aucune connoissance des jugemens ecclésiastiques.

Il a toujours été d'usage de condamner aux dépens dans les tribunaux ecclésiastiques, lors même que l'on n'en adjugeoit pas encore en cour-laye, mais le juge d'Eglise ne pouvoit autrefois condamner en l'amende à cause qu'il n'a point de territoire : présentement il peut prononcer une amende, laquelle ne peut être appliquée au profit de l'évêque, parce que l'Eglise n'a point de fisc ; il faut qu'elle soit appliquée à de pieux usages, & que l'application en soit déterminée par la sentence.

Les autres peines auxquelles le juge d'Eglise peut condamner, sont la suspension, l'interdit, l'excommunication, les jeûnes, les prieres, la privation pour un tems du rang dans l'église, de voix délibérative dans le chapitre, des distributions ou d'une partie des gros fruits, la privation des bénéfices, la prison pour un tems, & la prison perpétuelle ; l'amende honorable dans l'auditoire nûe-tête & à genoux.

L'Eglise ne peut pas prononcer de peine plus grave ; ainsi elle ne peut condamner à mort ni à aucune peine qui emporte effusion de sang, ni à être fouetté publiquement, ni à la question, ni aux galeres ; elle ne peut même pas condamner au bannissement, mais seulement ordonner à un prêtre étranger de se retirer dans son diocèse.

La justice ecclésiastique se rendoit autrefois aux portes des églises ? c'est pourquoi on y représentoit Moïse législateur des Hébreux, Aaron leur grand-prêtre ; Melchisedec qui unit le sacerdoce à la royauté ; Salomon que la sagesse de ses jugemens a rendu célebre ; J. C. auteur de la nouvelle loi, S. Pierre & S. Paul, principaux instrumens de son divin ministere, & la reine de Saba à côté de Salomon, dont l'Evangile a dit : regina austri sedet in judicio. Cette reine a été regardée par les anciens commentateurs de l'Ecriture, comme une figure de l'Eglise. On représentoit aussi aux portes des églises David & Betsabé.

Lorsque les justices ecclésiastiques se tenoient aux portes des églises, on y représentoit ordinairement deux lions en signe de force, à l'imitation du tribunal de Salomon qui étoit inter duos leones. Le curé de saint Jean au Puy en Vélay avoit autrefois une jurisdiction, dont on trouve des jugemens datés, datum inter duos leones. L'archi-prêtre de saint Severin à Paris avoit aussi une jurisdiction, qu'il tenoit sur le perron de cette église, entre les deux lions qui sont au-devant de la grande porte ; c'est pourquoi l'on a eu soin de conserver ces figures de lions en mémoire de cette ancienne jurisdiction que l'archiprêtre a perdue.

En quelques endroits les archidiacres se sont attribué une partie de la jurisdiction épiscopale, tant volontaire que contentieuse, & ont même des officiaux ; ce qui dépend des titres & de la possession, & de l'usage de chaque diocèse.

Les chapitres des cathédrales ont en quelques endroits la jurisdiction spirituelle sur leurs membres. Voyez JUSTICE DU GLAIVE.

Les évêques, abbés, chapitres & autres bénéficiers, ont aussi à cause de leurs fiefs des justices temporelles, qui sont des justices séculieres & seigneuriales pour les affaires temporelles de leurs seigneuries ; ce que l'on ne doit pas confondre avec leurs jurisdictions ecclésiastiques.

Sur la jurisdiction ecclésiastique, voyez dans le decret de Gratien le titre de foro competenti, & aux décrétales les titres de judiciis & officio judicis ; les Novelles 79, 83 & 123 de Justinien ; les libertés de l'Eglise gallicane, les mémoires du Clergé, notamment tome VI. & tome VII. Loyseau, des seigneuries, chap. 15 ; la Bibliotheque canonique, tome I ; le Traité de la jurisdiction ecclésiastique de Ducasse ; les lois ecclésiast. de Héricourt, partie I. chap. j. Voyez aussi aux mots ARCHIDIACRE, CAS PRIVILEGIES, DELIT COMMUN, EVEQUE, OFFICIAL, PROMOTEUR, VICEGERENT, GRAND-VICAIRE. (A)

JURISDICTION ENTIERE, ou comme on dit plus communément, ENTIERE JURISDICTION, est celle qui appartient pleinement à un juge sans aucune exception, c'est ce que l'on appelloit chez les Romains merum imperium qui comprenoit aussi le mixte & la jurisdiction simple ; parmi nous, c'est lorsque le juge exerce la haute, moyenne & basse justice ; car s'il n'avoit que la basse ou la moyenne ou même la haute, supposé qu'un autre eut la moyenne ou la basse, il n'auroit pas l'entiere jurisdiction. (A)

JURISDICTION EPISCOPALE, est celle qui appartient à l'évêque, tant pour le spirituel que pour les autres matieres qui ont été attribuées à la jurisdiction ecclésiastique. Voyez ci-devant JURISDICTION ECCLESIASTIQUE. (A)

JURISDICTION QUASI EPISCOPALE, est celle qui appartient à quelques abbés ou chapitres, qui exercent quelques-uns des droits épiscopaux. Voyez ABBES. (A)

JURISDICTION DES EXEMPTS, est celle qui est établie pour connoître des causes de ceux qui ne sont pas sujets à la justice ordinaire, soit en matiere civile ou en matiere ecclésiastique.

Il y a eu des juges des exempts dans les apanages des princes.

Les abbayes & chapitres qui sont exempts de la jurisdiction de l'ordinaire, ont la jurisdiction sur leurs membres. Voyez JURISDICTION DES ABBES. (A)

JURISDICTION EXTERIEURE, est celle où la justice se rend publiquement, & avec les formalités établies à cet effet, & qui s'exerce sur les personnes & sur les biens, à la différence de la jurisdiction intérieure ; qui ne s'exerce que sur les ames, & qui n'a pour objet que le spirituel. (A)

JURISDICTIONS EXTRAORDINAIRES, sont celles quae extra ordinem utilitatis causâ sunt constitutae ; telles sont les jurisdictions d'attribution & de privilege, les commissions particulieres. Voyez JURISDICTION D'ATTRIBUTION & DE PRIVILEGE. (A)

JURISDICTIONS EXTRAVAGANTES, sont la même chose que les justices extraordinaires ; on les appelle ainsi, quia extra territorium vagantur. Voyez Loyseau, des offices, liv. I. ch. vj. & n. 49, & ci-après JUSTICES EXTRAORDINAIRES. (A)

JURISDICTION FEODALE, est celle qui est attachée à un fief. Voyez BASSE-JUSTICE & JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JURISDICTION AU FOR EXTERIEUR & AU FOR INTERIEUR. Voyez ci-devant JURISDICTION EXTERIEURE.

JURISDICTION GRACIEUSE, est une partie de la jurisdiction volontaire de l'évêque, qui consiste à accorder ou refuser certaines graces, sans que l'on puisse se plaindre du refus, & sans que l'évêque soit tenu d'en exprimer les motifs ; ainsi la collation libre des bénéfices, l'érection des cures & autres bénéfices, sont des actes appartenans à la jurisdiction gracieuse. Voyez ci-devant JURISDICTION ECCLESIASTIQUE. (A)

JURISDICTION INFERIEURE, est celle qui en a quelqu'autres au-dessus d'elle ; ainsi les justices seigneuriales sont des jurisdictions inférieures par rapport aux bailliages royaux, & ceux-ci sont des jurisdictions inférieures par rapport aux parlemens, &c. (A)

JURISDICTION INTERIEURE, est celle qui s'exerce au for intérieur seulement. Voyez ci-devant JURISDICTION EXTERIEURE. (A)

JURISDICTION DE LA MAÇONNERIE ; voyez BATIMENS & MAÇONNERIE.

JURISDICTION DE LA MAREE ; voyez CHAMBRE DE LA MAREE.

JURISDICTION METROPOLITAINE, c'est le droit de ressort qui appartient à l'archevêque sur ses suffragans ; l'appel de l'officialité ordinaire va à l'officialité métropolitaine. Les archevêques ont deux sortes de jurisdictions ; sçavoir une à l'officialité ordinaire pour leur diocèse, & une à l'officialité métropolitaine pour juger les appels des officiaux de ses suffragans. Le primat a encore une troisieme officialité, qu'on appelle primatiale, pour juger les appels interjettés des métropolitains qui ressortissent à sa primatie. (A)

JURISDICTION MILITAIRE. Voyez JUSTICE MILITAIRE.

JURISDICTION MUNICIPALE, est celle qui appartient à une ville, & qui est exercée par des personnes élûes par les citoyens entr'eux. Voyez ci-devant JUGE MUNICIPAL, & ci-après JUSTICE MUNICIPALE. (A)

JURISDICTION OECONOMIQUE, est une jurisdiction privée & intérieure, une espece de jurisdiction volontaire qui s'exerce dans certains corps sur les membres qui le composent, sans user néanmoins d'aucun appareil de jurisdiction & sans pouvoir coactif.

On peut mettre dans cette classe la jurisdiction du premier chirurgien dont on a parlé ci-devant. Voyez ci-après JUSTICE DOMESTIQUE. (A)

JURISDICTION ORDINAIRE, est celle qui a de droit commun la connoissance de toutes les affaires qui ne sont pas attribuées à quelqu'autre tribunal par quelque réglement particulier.

La jurisdiction ordinaire est opposée à la jurisdiction déléguée, à celle d'attribution & de privilege. (A)

JURISDICTION DE L'ORDINAIRE, est la jurisdiction que l'évêque a droit d'exercer pour le spirituel dans toute l'étendue de son diocèse, sur tous ceux qui ne sont pas exempts de la jurisdiction par quelque privilege particulier. Les chapitres & monasteres qui sont soumis immédiatement au saint siege, sont exempts de la jurisdiction de l'ordinaire, Voyez EVEQUE, EXEMPTS, ORDINAIRE. (A)

JURISDICTION PENITENTIELLE, est le pouvoir d'administrer le sacrement de pénitence, de confesser les fideles, de leur donner ou refuser l'absolution, de leur imposer des pénitences convenables, de leur interdire la participation aux sacremens, lorsqu'il y a lieu de le faire.

Cette jurisdiction appartient à l'évêque & au grand pénitencier, aux curés, vicaires & autres prêtres approuvés pour la confession. Les cas reservés sont une partie de la jurisdiction pénitentielle reservés à l'évêque & au grand pénitencier.

Les supérieurs réguliers ont la jurisdiction pénitentielle sur leurs religieux. Voyez CAS RESERVES, CONFESSION, PENITENCE, PENITENCIER, SACREMENS. (A)

JURISDICTION PERSONNELLE, est celle qui ne s'étend que sur les personnes & non sur les biens ; telle est la jurisdiction ecclésiastique. On peut aussi regarder comme personnelle la jurisdiction des juges de privilege, avec cette différence néanmoins que leurs jugemens s'exécutent sur les biens, sans qu'il soit besoin d'implorer l'assistance d'aucun autre juge. Voyez ci-après JURISDICTION REELLE. (A)

JURISDICTION PRIMATIALE, est celle que le primat a sur les métropolitains qui lui sont soumis. Voyez ci-devant JURISDICTION METROPOLITAINE. (A)

JURISDICTION PRIVEE, est celle qui ne s'exerce qu'intra privatos parietes ; c'est plutôt une police domestique qu'une jurisdiction proprement dite ; telles sont les jurisdictions domestiques, ou familieres & économiques.

Le terme de jurisdiction privée est quelquefois opposé à celui de jurisdiction publique ou jurisdiction royale. Voyez ci-devant JUGE PRIVE & JUGE PUBLIC. (A)

JURISDICTION DE PRIVILEGE, est celle qui est établie pour connoître des causes de certaines personnes privilégiées. Voyez ci-devant JUGE DE PRIVILEGE. (A)

JURISDICTION PROPRE, est celle que le juge a de son chef, à la différence de celle qui lui est commise ou déléguée. Voyez JURISDICTION DELEGUEE. (A)

JURISDICTION PROROGEE est celle qui par le consentement des parties est étendue sur des personnes ou des biens qui autrement ne seroient pas soumis au juge que les parties adoptent. Voyez PROROGATION DE JURISDICTION. (A)

JURISDICTION QU ASI EPISCOPALE. Voyez ci-devant après l'article JURISDICTION EPISCOPALE. (A)

JURISDICTIONS REELLES sont les justices féodales qui sont attachées aux fiefs, à la différence des justices royales qui ne sont point attachées singulierement à une glebe, & des jurisdictions personnelles ou de privileges qui n'ont point de territoire, mais s'étendent seulement sur les personnes qui leur sont soumises. (A)

JURISDICTION ROYALE est un tribunal où la justice est rendue par des officiers commis à cet effet par le Roi, à la différence des jurisdictions seigneuriales qui sont exercées par les officiers des seigneurs, des jurisdictions municipales qui sont exercées par des personnes choisies par les citoyens entr'eux, & des jurisdictions ecclésiastiques qui sont exercées par les officiers des ecclésiastiques ayant droit de justice.

Il y a différens ordres de jurisdictions royales, dont le premier est composé des parlemens, du grand-conseil, & autres conseils souverains, des chambres des comptes, cours des aides, cours des monnoies, & autres cours souveraines.

Le second ordre est composé des bailliages & sénéchaussées, & sieges présidiaux.

Le troisieme & dernier ordre est composé des prevôtés, mairies, vigueries, vicomtés, & autres jurisdictions semblables.

Les bureaux des finances, amirautés, élections, greniers à sel, & autres juges d'attribution & de privilege sont aussi des jurisdictions royales qui ressortissent nuement aux cours souveraines ; les gruries royales ressortissent aux maîtrises ; celles-ci à la table de marbre, & celles-ci au parlement.

Les jurisdictions royales ordinaires connoissent de plusieurs matieres à l'exclusion des jurisdictions seigneuriales, comme des dixmes, des cas royaux, des substitutions, &c. V. ci-après JUSTICE ROYALE. (A)

JURISDICTION SECULIERE ou TEMPORELLE ; on comprend sous ce terme toutes les jurisdictions royales, seigneuriales & municipales. On les appelle séculieres pour les distinguer des jurisdictions spirituelles ou ecclésiastiques.

Il n'appartient qu'à la jurisdiction séculiere d'user de contrainte extérieure, & de procéder par éxécution des personnes & des biens. Voyez JURISDICTION ECCLESIASTIQUE. (A)

JURISDICTION SEIGNEURIALE est celle qui appartient à un seigneur de fief ayant droit de justice, & qui est exercée par son juge. Voyez ci-après JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JURISDICTION SIMPLE, appellée chez les Romains jurisdictio simplement, étoit celle qui consistoit seulement dans le pouvoir de juger ; elle n'avoit point le pouvoir appellé merum imperium : ni même le mixtum, qui reviennent à peu-près à la haute & moyenne justice, c'est pourquoi cette jurisdiction simple est comparée par nos auteurs à la basse justice, & appellée quelquefois par eux minimum imperium, comme qui diroit la plus basse justice, celle qui a le moins de pouvoir.

Mais, quoique les Romains distinguassent trois sortes de jurisdiction ; savoir, merum imperium, mixtum imperium, & jurisdictio, comme parmi nous on distingue trois sortes de justice, la haute, la moyenne & la basse, le rapport qu'il y a entre ces différentes justices des Romains & les nôtres, n'est pas bien exact pour la compétence ; car la Jurisdiction simple qui étoit la moindre, comprenoit des choses qui parmi nous n'appartiennent qu'à la moyenne justice.

La jurisdiction simple appartenoit aux magistrats municipaux, tels que les édiles & les decemvirs. Quoiqu'ils n'eussent pas le merum ni le mixtum imperium, ils ne laissoient pas d'avoir quelque pouvoir pour faire exécuter leurs jugemens, sans quoi leur jurisdiction eût été illusoire ; mais ce pouvoir étoit seulement modica coercitio ; ils pouvoient condamner à une amende légere, faire exécuter les meubles du condamné, faire fustiger les esclaves, & plusieurs autres actes semblables qu'ils n'auroient pas pû faire s'ils n'avoient eu quelque sorte de pouvoir appellé chez les Romains imperium.

On pouvoit déléguer la jurisdiction simple de même que celle qui avoit le merum ou mixtum imperium, comme il paroit par ce qui est dit au titre de officio ejus cui mandata est jurisdictio. Il faut même remarquer que celui auquel elle étoit entierement commise pouvoit subdéléguer & commettre en détail les affaires à d'autres personnes pour les juger ; mais ces simples délégués ou subdélégués n'avoient aucune jurisdiction même simple, ils ne pouvoient pas prononcer leurs sentences, ni les faire exécuter même per modicam coercitionem. Il avoit notionem tantùm, c'est-à-dire le pouvoir seulement de juger comme l'avoient les juges pédanées, & comme font encore parmi nous les arbitres.

Voyez Loyseau, des offices, liv. I. chap. v. n °. 33. & suivans ; la jurisprudence françoise de Helo, titre des jurisdictions romaines, & ci-devant JURISDICTION COMMISE. (A)

JURISDICTION SPIRITUELLE est celle qui appartient à l'Eglise de droit divin pour ordonner de tout ce qui concerne la foi & les sacremens, & pour ramener les fideles à leur devoir par la crainte des peines spirituelles. Cette jurisdiction ne s'étend que sur les ames, & non sur les corps ni sur les biens : elle ne peut user d'aucune contrainte extérieure. Voyez ci-devant JURISDICTION ECCLESIASTIQUE. (A)

JURISDICTION SUBALTERNE est celle qui est inférieure à une autre ; mais on entend singulierement par ce terme les justices seigneuriales. Voy. ci-devant JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JURISDICTION SUPERIEURE est celle qui est établie au-dessus d'une autre pour réformer ses jugemens lorsqu'il y échet. Voyez ci-devant JURISDICTION INFERIEURE ET JUSTICE SUPERIEURE. (A)

JURISDICTION TEMPORELLE signifie quelquefois la justice séculiere en général, ou une jurisdiction séculiere ; quelquefois aussi l'on entend par-là une justice seigneuriale qui appartient à des ecclésiastiques, non pas pour connoître des matieres ecclésiastiques, mais pour connoître des affaires prophanes qui s'élevent au-dedans de la justice qu'ils ont à cause de quelque fief. V. JUSTICE TEMPORELLE. (A)

JURISDICTION VOLONTAIRE est celle qui s'exerce sur des objets pour lesquels il n'y a pas de contestation entre les parties, comme pour les tuteles & curatelles ; garde noble & bourgeoise, pour les adoptions, les émancipations, les affranchissemens, les inventaires. On appelle cette jurisdiction volontaire, pour la distinguer de la contentieuse qui ne s'exerce que sur des objets contestés entre les parties.

Les notaires exercent une partie de la jurisdiction volontaire, en recevant les contrats & testamens ; mais ils ne le font qu'au nom d'un juge dont ils sont en cette partie comme les greffiers.

Il y a aussi une partie de la jurisdiction ecclésiastique que l'on appelle jurisdiction volontaire, dont l'objet est la collation libre des bénéfices, l'érection des nouvelles églises, les permissions de prêcher, de confesser, & autres actes semblables. Voyez ci-devant JURISDICTION ECCLESIASTIQUE. (A)


JURISPRUDENCES. f. est la science du Droit, tant public que privé, c'est-à-dire, la connoissance de tout ce qui est juste ou injuste.

On entend aussi par le terme de Jurisprudence les principes que l'on suit en matiere de Droit dans chaque pays ou dans chaque tribunal ; l'habitude où l'on est de juger de telle ou telle maniere une question, & une suite de jugemens uniformes sur une même question qui forment un usage.

La Jurisprudence a donc proprement deux objets, l'un qui a la connoissance du Droit, l'autre qui consiste à en faire l'application.

Justinien la définit, divinarum atque humanarum rerum notitia, justi atque injusti scientia ; il nous enseigne par-là que la science parfaite du Droit ne consiste pas seulement dans la connoissance des lois, coutumes & usages, qu'elle demande aussi une connoissance genérale de toutes les choses, tant sacrées que profanes, auxquelles les regles de la justice & de l'équité peuvent s'appliquer.

Ainsi la Jurisprudence embrasse nécessairement la connoissance de tout ce qui appartient à la Religion, parce qu'un des premiers devoirs de la justice est de lui servir d'appui, d'en favoriser l'exercice & d'écarter les erreurs qui pourroient la troubler, de s'opposer à tout ce qui pourroit tourner au mépris de la religion & de ses ministres.

Elle exige pareillement la connoissance de la Géographie, de la Chronologie & de l'Histoire ; car on ne peut bien entendre le droit des gens & la politique, sans distinguer les pays & les tems, sans connoître les moeurs de chaque nation & les révolutions qui y sont arrivées dans leur gouvernement ; & l'on ne peut bien connoître l'esprit d'une loi sans savoir ce qui y a donné lieu, & les changemens qui y ont été faits.

La connoissance de toutes les autres Sciences & de tous les Arts & Métiers, du Commerce & de la Navigation, entre pareillement dans la Jurisprudence, n'y ayant aucune profession qui ne soit assujettie à une certaine police qui dépend des regles de la justice & de l'équité.

Tout ce qui regarde l'état des personnes, les biens, les contrats, les obligations, les actions & les jugemens, est aussi du ressort de la Jurisprudence.

Les regles qui forment le fond de la Jurisprudence, se puisent dans trois sources différentes, le droit naturel, le droit des gens & le droit civil.

La Jurisprudence tirée du droit naturel, qui est la plus ancienne, est fixe & invariable ; elle est uniforme chez toutes les nations.

Le droit des gens forme aussi une Jurisprudence commune à tous les peuples, mais elle n'a pas toûjours été la même, & est sujette à quelques changemens.

La partie la plus étendue de la Jurisprudence, est sans contredit le droit civil ; en effet elle embrasse le droit particulier de chaque peuple, tant public que privé, les lois générales de chaque nation, telles que les ordonnances, édits & déclarations, & les lois particulieres, comme sont quelques édits & déclarations, les coutumes des provinces, & autres coutumes locales, les privileges & statuts particuliers, les réglemens faits dans chaque tribunal, & les usages non écrits, enfin tout ce que les commentateurs ont écrit pour interpréter les lois & les coutumes.

Encore si les lois de chaque pays étoient fixes & immuables, la Jurisprudence ne seroit pas si immense qu'elle est ; mais il n'y a presque point de nation, point de province dont les lois & les coutumes n'ayent éprouvé plusieurs variations ; & ce qui est encore plus pénible à supporter, c'est l'incertitude de la Jurisprudence sur la plûpart des questions, soit par la contradiction apparente ou effective des lois, soit par la diversité d'opinions des auteurs, ou par la diversité qui se trouve entre les jugemens des différens tribunaux, & souvent entre les jugemens d'un même tribunal.

L'ingénieux auteur de l'Esprit des Lois, dit à ce propos qu'à mesure que les jugemens se multiplient dans les monarchies, la Jurisprudence se charge de divisions, qui quelquefois se contredisent, ou parce que les juges qui se succedent pensent différemment, ou parce que les mêmes affaires sont tantôt bien, tantôt mal défendues, ou enfin par une infinité d'abus qui se glissent dans tout ce qui passe par la main des hommes. C'est, ajoûte-t-il, un mal nécessaire que le législateur corrige de tems en tems comme contraire même à l'esprit des gouvernemens modérés.

On conçoit par-là combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, d'acquérir une connoissance parfaite de la Jurisprudence ; c'est pourquoi je croirois que dans la définition qu'on en donne, on devroit ajoûter in quantum homini possibile est, comme Cassiodore le disoit de la Philosophie, laquelle n'étant autre chose qu'une étude de la sagesse, & supposant aussi une profonde connoissance de toutes les choses divines & humaines, conséquemment a beaucoup de rapport avec la Jurisprudence.

Les difficultés que nous venons de faire envisager, ne doivent cependant pas rebuter ceux qui se consacrent à l'étude de la Jurisprudence. L'esprit humain a ses bornes : un seul homme ne peut donc embrasser toutes les parties d'une science aussi vaste ; il vaut mieux en bien approfondir une partie, que de les effleurer toutes. Il n'y en a guère qui ne soit seule capable d'occuper un jurisconsulte.

L'un fait une étude du droit naturel & du droit public des gens.

D'autres s'appliquent au droit particulier de leur pays, & ceux-ci trouvent encore abondamment de quoi se partager ; l'un s'attache aux lois générales & au droit commun, telles que les lois romaines ; un autre fait son étude du droit coutumier ; quelques-uns même s'attachent seulement à la coutume de leur province, d'autres à certaines matieres, telles que les matieres canoniques ou les matieres criminelles, les matieres féodales, & autres semblables.

Ces divers objets qu'embrasse la Jurisprudence, ont aussi donné lieu d'établir des tribunaux particuliers pour connoître chacun de certaines matieres, afin que les juges dont ces tribunaux sont composés, étant toujours occupés des mêmes objets, soient plus versés dans les principes qui y ont rapport.

Quoique le dernier état de la Jurisprudence soit ordinairement ce qui sert de régle, il est bon néanmoins de connoître l'ancienne Jurisprudence & les changemens qu'elle a éprouvés ; car pour bien pénétrer l'esprit d'un usage, il faut en connoître l'origine & les progrès ; il arrive même quelquefois que l'on revient à l'ancienne Jurisprudence, à cause des inconvéniens que l'on a reconnus dans la nouvelle.

L'étude de la Jurisprudence a toujours été en honneur chez toutes les nations policées, comme étant une science étroitement liée avec le gouvernement politique.

Chez les Romains ; ceux qui se consacroient à la Jurisprudence étoient gratifiés de pensions considérables. Ils furent même honorés par les empereurs du titre de comtes de l'empire. Les souverains pontifes, les consuls, les dictateurs, les généraux d'armées, les empereurs mêmes se firent honneur de cultiver cette science, comme on le peut voir dans l'histoire de la Jurisprudence romaine que nous a donnée M. Terrasson ; ouvrage rempli d'érudition, & également curieux & utile.

La Jurisprudence n'est pas moins en recommandation parmi nous, puisque nos rois ont honoré de la pourpre tous ceux qui se sont consacrés à la Jurisprudence, tels que les magistrats & les avocats, & ceux qui professent publiquement cette science dans les universités ; & avant la vénalité des charges, les premieres places de la magistrature étoient la récompense des plus savans jurisconsultes. Voyez DROIT, JURISCONSULTE, JUSTICE, LOI. (A)

JURISPRUDENCE des arrêts est un usage formé par une suite d'arrêts uniformes intervenus sur une même question. Dans les matieres sur lesquelles il n'y a point de loi précise, on a recours à la Jurisprudence des arrêts : & il n'y auroit point de meilleur guide si l'on étoit toujours bien instruit des véritables circonstances dans lesquelles les arrêts sont intervenus, & des motifs qui ont déterminé les juges : mais les arrêts sont le plus souvent rapportés peu exactement par les arrêtistes, & mal appliqués par ceux qui les citent. On ne doit donc pas toûjours accuser de variation la Jurisprudence. (A)

JURISPRUDENCE BENEFICIALE est l'usage que l'on suit dans la décision des questions qui se présentent au sujet des bénéfices ecclésiastiques. (A)

JURISPRUDENCE CANONIQUE ; on entend par ce terme les regles contenues dans les canons & autres lois ecclésiastiques. Voyez CANONS, DROIT CANONIQUE. (A)

JURISPRUDENCE CIVILE ; c'est la maniere dont on juge les affaires civiles & les principes que l'on suit pour leur décision. (A)

JURISPRUDENCE CONSULAIRE ; c'est le style & l'usage des jurisdictions consulaires pour les affaires de commerce. (A)

JURISPRUDENCE CRIMINELLE ; c'est le style & la regle que l'on suit pour l'instruction & le jugement des affaires criminelles. (A)

JURISPRUDENCE FEODALE, c'est l'usage que l'on suit dans la décision des questions concernant les fiefs. (A)

JURISPRUDENCE MILITAIRE, c'est l'assemblage des lois & des regles que l'on suit pour la discipline des gens de guerre. Voyez CODE MILITAIRE. (A)

JURISPRUDENCE MOYENNE, jurisprudentia media, est celle qui tient le milieu entre l'ancien usage & le dernier état de la jurisprudence. Justinien dans le §. 3 aux institutes de legitimâ agnatorum successione, appelle de ce nom les réponses des Jurisconsultes qui formoient une partie de la jurisprudence romaine, & il en donne la raison au même endroit ; savoir que cette jurisprudence des Jurisconsultes étoit lege duodecim tabularum junior, imperiali autem dispositione anterior. (A)


JURISTES. m. ou LÉGISTE, (Jurisprud.) signifie en général quelqu'un versé dans la science du Droit & des Lois ; présentement on n'applique plus guere cette dénomination qu'aux étudians en Droit. Voyez JURISCONSULTES ou LEGISTES. (A)


JURTEou JURTI, (Hist. mod.) c'est ainsi que les Russes nomment les habitations des nations tartares qui sont en Sibérie. Chaque famille occupe une cabane formée par des échalats fichés en terre ; & recouverts d'écorce de bouleau ou de peaux d'animaux, pour se garantir des injures de l'air. On laisse au milieu du toit qui a la forme d'un cône, une ouverture pour la sortie de la fumée. Quand un tartare ne trouve plus que l'endroit où il avoit placé sa jurte lui convienne, il l'abandonne, & va avec sa famille construire une autre jurte dans un lieu plus commode. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie.


JURUCUA(Zoolog. exot.) espece de tortue singuliere de Brésil, grande ordinairement de quatre piés, & large de trois ; ses piés sont faits en forme d'aîles, & ceux de devant sont beaucoup plus longs que ceux de derriere. Sa queue est courte & de figure conique ; ses yeux sont gros & noirs ; sa bouche ressemble au bec d'un oiseau, & n'a point de dents. Ses côtes sont attachées à l'écaille ; on en compte huit de chaque côté, & celles du milieu sont les plus longues. Cette espece de tortue jette ses oeufs sur le rivage, les couvre de sable, & les laisse éclorre à la chaleur du soleil. Ils sont sillonnés comme par des lignes géométriques, diversement dirigées sur l'écaille qui est d'un noir luisant, marbrée de tachetures jaunes, avec une variété considérable dans les différentes especes. (D.J.)


JURUNCAPEBA(Ichtyol. exot.) nom d'un beau petit poisson d'excellent goût, qu'on prend sur les côtes du Brésil entre les rochers, & qui est de la classe des tourds ; on l'appelle autrement ptaiara. Voyez en la description dans Marggrave ou dans Ray. (D.J.)


JURURA(Zoolog. exot.) genre de tortue de forme elliptique, & de la plus petite espece du Brésil ; sa coquille de dessous longue de huit à neuf pouces, large de moitié, est jaunâtre & applatie ; la supérieure est brune. L'animal peut à sa volonté cacher tout son corps dans sa coque ; sa tête est grosse & allongée, son nez élevé & pointu, sa bouche grande, & ses yeux noirs, ses piés sont armés de quatre ongles forts ; sa queue est courte, sa peau épaisse & écailleuse ; ses oeufs sont blancs, ronds & d'excellent goût. Ray. Syn. anim. p. 258. (D.J.)


JUS(Art. culin.) jus, succus carnium, piscium, vel vegetantium ; terme générique, qui désigne une liqueur, un suc liquide, naturel ou artificiel. Les chefs d'office & de cuisine, définissent le jus une substance liquide qu'on tire par artifice de la viande de boucherie, de la volaille, du poisson ou des végétaux, soit par expression, soit par coction, soit par infusion ; ainsi l'on voit que le jus a différentes propriétés, suivant la nature des choses différentes d'où il est tiré. On se sert beaucoup de jus dans les cuisines, pour nourrir les ragoûts & les potages. Les maîtres dans l'art de la gloutonnerie vous apprendront la maniere de tirer les jus de boeuf, de veau, de perdrix, de bécasse, de volaille, de poisson, de champignons & autres végétaux ; ils vous apprendront encore le moyen d'en former des coulis, c'est-à-dire de les passer à l'étamine, les épaissir & leur donner une saveur agréable pour les ragoûts. (D.J.)


JUSJURANDUMJUSJURANDUM


JUSQUIAMou HANNEBANE, s. f. hyoscyamus, (Botan.) genre de plante à fleur monopétale, faite en forme d'entonnoir & découpée ; il sort du calice un pistil attaché comme un clou à la partie inférieure de sa fleur ; il devient dans la suite un fruit renfermé dans le calice, qui ressemble en quelque façon à une marmite avec son couvercle, & qui est divisé en deux loges par une cloison chargée de plusieurs semences. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Entre les huit especes de jusquiame que comptent Tournefort & Boerhaave, nous ne nous arrêterons qu'à deux, la noire & la blanche.

La jusquiame noire ou hannebane noire, hyoscyamus niger, vulgaris, des Botanistes, a sa racine épaisse, ridée, longue, branchue, brune en-dehors, blanche en-dedans. Ses feuilles sont amples, molles, cotonneuses, d'un verd gai, découpées profondément à leurs bords, semblables en quelques manieres à celle de l'acanthe, mais plus petites, & d'une odeur forte. Elles sont nombreuses, placées sans ordre sur des tiges hautes d'une coudée, branchues, épaisses, cylindriques, couvertes d'un duvet cotonneux. Ses fleurs rangées sur les tiges en longs épis, sont d'une seule piece, de la figure d'un entonnoir, divisées en cinq segmens, obtus, jaunâtres à leur bord, marquées d'un pourpre noirâtre au milieu, garnies de cinq étamines courtes, qui portent chacune un sommet assez gros, & oblong ; le pistil plus long que les étamines, est surmonté d'une tête ronde & blanche. Il sort d'un calice velu, oblong, partagé sur les bords en cinq dentelures, roides, & pointues. Ce pistil se change en un fruit caché dans le calice, de la figure d'une marmite, à deux loges, sur lequel est placé un couvercle qui se ferme également, rempli en-dedans de plusieurs petites graines cendrées, ridées, arrondies, & applaties.

La jusquiame blanche, hyoscyamus albus off. differe de la précédente par ses feuilles, qui sont plus molles, plus petites, moins sinuées, garnies d'un duvet plus épais & plus blanc : ses tiges sont plus courtes & moins branchues ; ses fleurs sont blanches ; le calice est plus ouvert, & la graine plus blanche. Cette espece de jusquiame croît naturellement dans les pays chauds, comme en Languedoc, en Provence, & en Italie.

Ces deux sortes de jusquiame, & sur-tout la noire, donnent une odeur forte, rebutante, appesantissante, & somnifere. Leurs feuilles ont un goût fade, & quand on les froisse dans les mains, elles répandent une odeur puante. Leur suc rougit le papier bleu ; leurs racines sont douceâtres ; & de la saveur des artichaux.

L'une & l'autre jusquiame paroissent contenir un sel essentiel, ammoniacal, uni à beaucoup d'huile épaisse & fétide, qui les rend stupéfiantes ; car le sel neutre lixiviel qu'on tire de leurs cendres, n'a point de rapport à cet effet.

Leurs graines ont une saveur un peu visqueuse, & une odeur narcotique, désagréable. Elles contiennent une huile soit subtile, soit grossiere, puante, narcotique, susceptible de beaucoup de raréfaction, & jointe avec un sel ammoniacal.

Les qualités vénéneuses, stupéfiantes, & turbulentes de la jusquiame, si connues des modernes, avoient été jadis observées par Galien, par Scribonius Largus, & par Dioscoride ; mais les observations des Médecins de notre siecle, sont encore plus détaillées & plus décisives pour nous. On en trouvera des exemples intéressans dans l'excellent traité de Wepfer, de cicutâ aquaticâ, dans les Ephémérides des curieux de la nature, anno 4 & 5. Decur. 1. observ. 124. Decur. 3. ann. 7. & 8. pag. 106 ; & anno 9. & 10. p. 78. in Appendic. Enfin, dans l'hist. de l'acad. des Sciences, année 1709, page 50, année 1737, page 72, & ailleurs. Voyez aussi JUSQUIAME. mat. medic. (D.J.)

JUSQUIAME NOIRE, ou HANNEBANE, & JUSQUIAME BLANCHE, (mat. med.) chez plusieurs medecins de réputation, tels que Craton, Heurnius, ces deux plantes sont censées les mêmes quant à leurs effets medicinaux. Platerus, & quelques autres ont vanté la graine de jusquiame, prise intérieurement comme un remede très-efficace contre le crachement de sang ; mais il est prouvé par trop d'observations, que la jusquiame est un poison dangereux & actif, & qu'on ne peut sans témérité la donner intérieurement, son usage extérieur n'est pas même exempt de danger.

Toutes les parties de cette plante sont dangereuses, soit qu'on les prenne en substance, soit qu'on en avale la décoction, ou qu'on la reçoive en lavement, soit qu'on en respire la fumée, ou même l'odeur. Le poison de la jusquiame porte particulierement à la tête, altere les fonctions de l'ame d'une façon fort singuliere ; il jette dans une espece d'ivresse ou de manie furieuse.

Wepfer rapporte dans son traité de cicutâ aquaticâ, une observation fort remarquable sur les effets de racine de jusquiame, qu'on servit par mégarde en salade à une communauté nombreuse de bénédictins. Ces religieux furent pour la plûpart attaqués pendant la nuit qui suivit ce repas, de divers genres de délire, de vertige, & de manie. Ceux qui furent le moins malheureux, en furent quittes pour des fantaisies & des actions ridicules. On trouve dans divers observateurs un grand nombre de faits qui concourent à établir la qualité vénéneuse absolue de la jusquiame, & son action particuliere sur les fonctions de l'ame. Simon Scultzius, ephem. nat. cur. ann. 4. & 5. decad. j. observ. 124. raconte que quatre jeunes écoliers & leurs cuisiniers, ayant mangé par mégarde des racines de jusquiame & de panais bouillies avec du boeuf, avoient eu l'esprit fort troublé ; qu'ils étoient devenus comme furieux ; que d'abord ils s'étoient querellés, & ensuite battus avec tant d'acharnement, que si on ne les eût séparés, ils se seroient peut-être tués ; qu'ils faisoient des gestes ridicules, & étoient remplis d'imaginations singulieres. Geoffroy, de qui nous venons de copier cet extrait, a ramassé dans sa matiere medicale, article HYOSCYAMUS, une suffisante quantité de faits qui confirment ce que nous avons déjà avancé ; savoir, que la décoction de jusquiame donnée en lavement, que sa fumée & ses exhalaisons, sur-tout lorsqu'elles étoient resserrées dans un lieu fermé, pouvoient produire les funestes effets que nous venons de rapporter.

On prévient l'action vénéneuse de la jusquiame, comme celle des autres poisons irritans ; en procurant son évacuation par le vomissement, si l'on est appellé à tems, faisant avaler après à grandes doses, des bouillons gras, du lait, du beurre fondu, &c. insistant sur les purgatifs doux & lubréfians, & sollicitant enfin l'évacuation de la peau par des diaphorétiques legers. Voyez POISON.

La jusquiame entre malgré ses mauvaises qualités dans plusieurs compositions pharmaceutiques, la plûpart destinées à l'usage extérieur ; mais heureusement en trop petite quantité, pour qu'elle puisse les rendre dangereuses.

L'huile exprimée des semences de jusquiame ne participe point des qualités vénéneuses de cette plante.

En général, la Medecine ne perdroit pas beaucoup, quand on banniroit absolument de l'ordre des remedes l'une & l'autre jusquiame. (b)


JUSSIONS. f. (Jurisprud.) signifie ordre, commandement. Ce terme n'est guere usité qu'en parlant de certaines lettres du prince, qu'on appelle lettres de jussion, par lesquelles il enjoint très-étroitement à une cour de procéder à l'enregistrement de quelque ordonnance, édit, déclaration, ou autres lettres-patentes. Quand les premieres lettres de jussion n'ont pas eu leur effet, le prince en donne de secondes, qu'on appelle itérative jussion, ou secondes lettres de jussion. (A)


JUSTEINJUSTE, (Morale) ces termes se prennent communément dans un sens fort vague, pour ce qui se rapporte aux notions naturelles que nous avons de nos devoirs envers le prochain. On les détermine davantage, en disant que le juste est ce qui est conforme aux lois civiles, par opposition à l'équitable, qui consiste dans la seule convenance avec les lois naturelles. Enfin, le dernier degré de précision va à n'appeller juste, que ce qui se fait en vertu du droit parfait d'autrui, reservant le nom d'équitable pour ce qui se fait eu égard au droit imparfait. Or on appelle droit parfait, celui qui est accompagné du pouvoir de contraindre. Le contrat de louage donne au propriétaire le droit parfait d'exiger du locataire le payement du loyer ; & si ce dernier élude le payement, on dit qu'il commet une injustice. Au contraire, le pauvre n'a qu'un droit imparfait à l'aumône qu'il demande : le riche qui la lui refuse peche donc contre la seule équité, & ne sauroit dans le sens propre être qualifié d'injuste. Les noms de justes & d'injustes, & d'équitables & d'iniques, donnés aux actions, portent par conséquent sur leur rapport aux droits d'autrui ; au lieu qu'en les considérant relativement à l'obligation, ou à la loi, dont l'obligation est l'ame, les actions sont dites dûes ou illicites ; car une même action peut être appellée bonne, dûe, licite, honnête, suivant les différens points de vûe sous lesquels on l'envisage.

Ces distinctions posées, il me paroît assez aisé de résoudre la fameuse question, s'il y a quelque chose de juste ou d'injuste avant la loi.

Faute de fixer le sens des termes, les plus fameux moralistes ont échoué ici. Si l'on entend par le juste & l'injuste, les qualités morales des actions qui lui servent de fondement, la convenance des choses, les lois naturelles : sans contredit, toutes ces idées sont fort antérieures à la loi, puisque la loi bâtit sur elles, & ne sauroit leur contredire : mais si vous prenez le juste & l'injuste pour l'obligation parfaite & positive de régler votre conduite, & de déterminer vos actions suivant ces principes, cette obligation est postérieure à la promulgation de la loi ; & ne sauroit exister qu'après la loi. Grotius d'après les Scholastiques, & la plûpart des anciens philosophes, avoit affirmé qu'en faisant abstraction de toutes sortes de lois, il se trouve des principes sûrs, des vérités qui servent à démêler le juste d'avec l'injuste. Cela est vrai, mais cela n'est pas exactement exprimé : s'il n'y avoit point de lois, il n'y auroit ni juste ni injuste, ces dénominations survenant aux actions par l'effet de la loi : mais il y auroit toûjours dans la nature des principes d'équité & de convenance, sur lesquels il faudroit regler les lois, & qui munis une fois de l'autorité des lois, deviendroient le juste & l'injuste. Les maximes gravées, pour ainsi dire, sur les tables de l'humanité, sont aussi anciennes que l'homme, & ont précédé les lois auxquelles elles doivent servir de principes ; mais ce sont les lois qui, en ratifiant ces maximes, & en leur imprimant la force de l'autorité & des sanctions, ont produit les droits parfaits, dont l'observation est appellée justice, la violation injustice. Puffendorf en voulant critiquer Grotius, qui n'a erré que dans l'expression, tombe dans un sentiment réellement insoutenable, & prétend qu'il faut absolument des lois pour fonder les qualités morales des actions. (Droit naturel, liv. I. c. xj. n. 6.) Il est pourtant constant que la premiere chose à quoi l'on fait attention dans une loi, c'est si ce qu'elle porte est fondé en raison. On dit vulgairement qu'une loi est juste ; mais c'est une suite de l'impropriété que j'ai déja combattue. La loi fait le juste ; ainsi il faut demander si elle est raisonnable, équitable ; & si elle est telle, ses arrêts ajouteront aux caracteres de raison & d'équité, celui de justice. Car si elle est en opposition avec ces notions primitives, elle ne sauroit rendre juste ce qu'elle ordonne. Le fonds fourni par la nature est une base sans laquelle il n'y a point d'édifice, une toile sans laquelle les couleurs ne sauroient être appliquées. Ne résulte-t-il donc pas évidemment de ce premier requisitum de la loi, qu'aucune loi n'est par elle-même la source des qualités morales des actions, du bon, du droit, de l'honnête ; mais que ces qualités morales sont fondées sur quelqu'autre chose que le bon plaisir du législateur, & qu'on peut les découvrir sans lui ? En effet, le bon ou le mauvais en Morale, comme par-tout ailleurs, se fonde sur le rapport essentiel, ou la disconvenance essentielle d'une chose avec une autre. Car si l'on suppose des êtres créés, de façon qu'ils ne puissent subsister qu'en se soutenant les uns les autres, il est clair que leurs actions sont convenables ou ne le sont pas, à proportion qu'elles s'approchent ou qu'elles s'éloignent de ce but ; & que ce rapport avec notre conservation, fonde les qualités de bon & de droit, de mauvais & de pervers, qui ne dépendent par conséquent d'aucune disposition arbitraire, & existent non-seulement avant la loi, mais même quand la loi n'existeroit point. " La nature universelle, dit l'empereur philosophe, (liv. X. art. j.) ayant créé les hommes les uns pour les autres, afin qu'ils se donnent des secours mutuels, celui qui viole cette loi commet une impiété envers la Divinité la plus ancienne : car la nature universelle est la mere de tous les êtres, & par conséquent tous les êtres ont une liaison naturelle entr'eux. On l'appelle aussi la vérité, parce qu'elle est la premiere cause de toutes les vérités. " S'il arrivoit donc qu'un législateur s'avisât de déclarer injustes les actions qui servent naturellement à nous conserver, il ne feroit que d'impuissans efforts : s'il vouloit au moyen de ces lois faire passer pour justes, celles qui tendent à nous détruire, on le regarderoit lui-même avec raison comme un tyran, & ces actions étant condamnées par la nature, ne pourroient être justifiées par les lois ; si quae sint tyrannorum leges, si triginta illi Athenis leges imponere voluissent, aut si omnes Athenienses delectarentur tyrannicis legibus, num idcirco hae leges justae haberentur ? Quod si principum decretis, si sententiis judicum jura constituerentur, jus esset latrocinari, jus ipsum adulterare. (Cicero, lib. X. de Legibus.) Grotius a donc été très-fondé à soutenir que la loi ne sert & ne tend en effet, qu'à faire connoître, qu'à marquer les actions qui conviennent ou qui ne conviennent pas à la nature humaine ; & rien n'est plus aisé que de faire sentir le foible des raisons dont Puffendorf, & quelques autres jurisconsultes, se sont servis pour combattre ce sentiment.

On objecte, par exemple, que ceux qui admettent pour fondement de la moralité de nos actions, je ne sais quelle regle éternelle indépendante de l'institution divine, associent manifestement à Dieu un principe extérieur & co-éternel, qu'il a dû suivre nécessairement dans la détermination des qualités essentielles & distinctives de chaque chose. Ce raisonnement étant fondé sur un faux principe, croule avec lui : le principe dont je veux parler, c'est celui de la liberté d'indifférence de Dieu, & du prétendu pouvoir qu'on lui attribue de disposer à son gré des essences. Cette supposition est contradictoire : la liberté du grand auteur de toutes choses consiste à pouvoir créer ou ne pas créer ; mais dès-là qu'il se propose de créer certains êtres, il implique qu'il les crée autres que leur essence, & ses propres idées les lui représentent. S'il eût donc donné aux créatures qui portent le nom d'hommes, une autre nature, un autre être, que celui qu'ils ont reçu, elles n'eussent pas été ce qu'elles sont actuellement ; & les actions qui leur conviennent entant qu'hommes, ne s'accorderoient plus avec leur nature.

C'est donc proprement de cette nature que résultent les propriétés de nos actions, lesquelles en ce sens ne souffrent point de variation ; & c'est cette immutabilité des essences qui forme la raison & la vérité éternelle, dont Dieu, en qualité d'être souverainement parfait, ne sauroit se départir. Mais la vérité, pour être invariable, pour être conforme à la nature & à l'essence des choses, ne forme pas un principe extérieur par rapport à Dieu. Elle est fondée sur ses propres idées, dont on peut dire en un sens, que découle l'essence & la nature des choses, puisqu'elles sont éternelles, & que hors d'elles rien n'est vrai ni possible. Concluons donc qu'une action qui convient ou qui ne convient pas à la nature de l'être qui la produit, est moralement bonne ou mauvaise, non parce qu'elle est conforme ou contraire à la loi, mais parce qu'elle s'accorde avec l'essence de l'être qui la produit, ou qu'elle y répugne : ensuite de quoi, la loi survenant, & bâtissant sur les fondemens posés par la nature, rend juste ce qu'elle ordonne ou permet, & injuste ce qu'elle défend.

JUSTE, en Musique, est opposé à faux ; & cette épithete se donne à tout intervalle dont les sons sont exactement dans le rapport qu'ils doivent avoir. Mais ce mot s'applique spécialement aux consonnances parfaites. Les imparfaites peuvent être majeures ou mineures, mais celles-ci sont nécessairement justes ; dès qu'on les altere d'un semi-ton ; elles deviennent fausses, & par conséquent dissonnantes. (S)

JUSTE, (Peinture) un dessein juste : conforme à l'original ; dessiner avec justesse, c'est-à-dire avec précision, exactitude.

JUSTE, (Commerce) en fait de poids, ce qui est en équilibre, ce qui ne panche pas plus d'un côté que de l'autre ; on le dit des balances.

Peser juste, c'est ne point donner de trait ; on pese ainsi l'or, l'argent, les diamans, dont le bon poids apporteroit trop de préjudice au vendeur. La plûpart des marchandises se pesent en donnant du trait, c'est-à-dire en chargeant assez le bassin ou on les met pour emporter celui où est le poids.

Auner juste, c'est auner bois à bois, & sans pouce event. Voyez AUNER & EVENT, Dictionnaire de Commerce.

JUSTE, s. m. (Gram. Tail.) c'est un vêtement de femmes ; il a des manches. Il s'applique exactement sur le corps. Si l'on en porte un, il s'agraffe ou se lace par-devant ou par-derriere. Il est échancré, & laisse voir la poitrine & la gorge ; il prend bien, & fait valoir la taille ; il a de petites basques par-derriere & par-devant. La mode en est passée à la ville ; nos paysannes sont en juste, & quand elles sont jolies, sous ce vêtement elles en paroissent encore plus élégantes & plus jolies.


JUSTE-AU-CORPSS. m. (Gram. Taill.) vêtement de dessus ; c'est ce que nous appellons plus communément un habit. Il y a des manches & des poches ; il se boutonne par-devant jusqu'à la ceinture, & descend jusqu'aux genoux.


JUSTESSES. f. (Gramm.) ce mot qu'on emploie également au propre & au figuré, désigne en général l'exactitude, la régularité, la précision. Il se dit au figuré en matiere de langage, de pensées, d'esprit, de goût, & de sentiment.

La justesse du langage consiste à s'expliquer en termes propres, choisis & liés en semble, qui ne disent ni trop ni trop peu. Cette justesse extrème dans le choix, l'union & l'arrangement des paroles, est essentielle aux sciences exactes ; mais dans celles de l'imagination, cette justesse trop rigoureuse affoiblit les pensées, amortit le feu de l'esprit, & desseche le discours. Il faut oser à propos, sur-tout en Poésie, bannir cet esclavage scrupuleux, qui par attachement à la justesse servile ne laisse rien de libre, de naturel & de brillant. " Je l'aimois inconstant, qu'eussai-je fait fidele ! est une inexactitude de langage à laquelle Racine devoit se livrer, dès que la justesse de la pensée s'y trouvoit énergiquement peinte.

La justesse de la pensée consiste dans la vérité & la parfaite convenance au sujet ; & c'est ce qui fait la solide beauté du discours. Les pensées sont plus ou moins belles, selon qu'elles sont plus ou moins conformes à leur objet. La conformité entiere fait la justesse de la pensée ; de sorte qu'une pensée juste est, à proprement parler, une pensée vraie de tous les côtés, & dans tous les jours qu'on la peut regarder. Le P. Bouhours n'a pas eu tort de donner pour exemple de cette justesse, l'épigramme d'Ausone sur Didon, qui a été très-heureusement rendue dans notre langue.

Pauvre Didon où t'a réduite

De tes maris le triste sort.

L'un en mourant cause ta fuite,

L'autre en fuyant cause ta mort.

Une pensée qui manque de justesse est fausse ; mais quelquefois ce défaut de justesse vient plus de l'expression qui est vicieuse, que de la fausseté de l'idée. On est exposé à ce défaut dans les vers, parce que la servitude de la rime ôte souvent l'usage du terme propre, pour en faire adopter un autre, qui ne rend pas exactement l'idée. Tous les mots qui passent pour synonimes, ne le sont pas dans toutes les occasions.

La justesse d'esprit sait démêler le juste rapport que les choses ont ensemble ; la justesse de goût & de sentiment, fait sentir tout ce qu'il y a de fin & d'exact dans le tour, dans le choix d'une pensée, & dans celui de l'expression ; voyez l'article GOUT.

C'est un des plus beaux présens que la nature puisse faire à l'homme : que la justesse d'esprit & de goût ; c'est à elle seule qu'il en faut rendre graces. Cependant lorsque la nature ne nous a pas absolument refusé ce don, nous pouvons le faire germer & l'étendre beaucoup par l'entretien fréquent des personnes, & par la lecture assidue des auteurs, en qui domine cet heureux talent. (D.J.)

JUSTESSE, (Maréchallerie) cheval bien ajusté ; finir un cheval, & lui donner les plus grandes justesses. Ces expressions désignent un cheval achevé dans tous les airs qu'on lui demande ; voyez AIR. Toutes les justesses dépendent de celles de ferme à ferme. Voyez FERME A FERME. Pour qu'un cheval soit parfaitement ajusté, il faut après les premieres leçons, le promener de pas sur les demi-voltes ; après l'avoir promené quelque peu, lui faire faire une demi-volte juste ; lorsqu'il y répond sans hésiter, lui en faire faire trois ou quatre tout d'une haleine ; lui apprendre ensuite à manier sur le côté, de-çà & de delà en avant : on le finit & on lui donne les justesses les plus parfaites, en lui apprenant à aller & à manier en arriere, & pour cet effet il n'y a rien de meilleur que les voltes bien rondes. Voyez VOLTES.


JUSTICES. f. (Morale) la justice en général est une vertu qui nous fait rendre à Dieu, à nous-mêmes, & aux autres hommes ce qui leur est dû à chacun ; elle comprend tous nos devoirs, & être juste de cette maniere, ou être vertueux, ne sont qu'une même chose.

Ici nous ne prendrons la justice que pour un sentiment d'équité, qui nous fait agir avec droiture, & rendre à nos semblables ce que nous leur devons.

Le premier & le plus considérable des besoins étant de ne point souffrir de mal, le premier devoir est de n'en faire aucun à personne, sur-tout dans ce que les hommes ont de plus cher ; savoir, la vie, l'honneur & les biens. Ce seroit contrevenir aux droits de la charité & de la justice, qui soutiennent la société ; mais en quoi précisément consiste la distinction de ces deux vertus ? 1°. On convient que la charité & la justice tirent également leur principe, de ce qui est dû au prochain ! à s'en tenir uniquement à ce point, l'une & l'autre étant également dûes au prochain, la charité se trouveroit justice, & la justice se trouveroit aussi charité. Cependant, selon les notions communément reçues, quoiqu'on ne puisse blesser la justice sans blesser la charité ; on peut blesser la charité sans blesser la justice. Ainsi quand on refuse l'aumône à un pauvre qui en a besoin, on n'est pas censé violer la justice, mais seulement la charité ; au lieu que de manquer à payer ses dettes, c'est violer les droits de la justice, & en même tems ceux de la charité.

2°. Tout le monde convient que les fautes ou péchés contre la justice, exigent une réparation ou restitution ; à quoi n'obligent pas les péchés ou fautes contre la charité ? Sur quoi l'on demande si l'on peut jamais blesser la charité sans faire tort au prochain ; & pourquoi l'on ne dit pas en général qu'on est obligé de réparer tout le mal qu'on lui a fait, & tout le bien qu'on auroit dû lui faire.

On répond communément qu'on ne fait tort au prochain qu'en des choses auxquelles il a droit ; mais c'est remettre la même difficulté sous un autre terme. En effet, on demandera s'il n'a pas droit d'attendre qu'on fasse à son égard le bien qu'on lui doit, & qu'on s'abstienne du mal qu'on ne lui doit pas faire ? Qu'est-ce donc que le droit du prochain ; & comment arrive-t-il qu'en blessant le prochain par les fautes qui sont contre la charité, & par celles qui sont contre la justice, on ne blesse point son droit dans les unes, & qu'on le blesse dans les autres ? voici là-dessus quelques pensées qui semblent conformes aux droits de la société.

Par-tout où le prochain est offensé, & où l'on manque de faire à son égard ce que l'on auroit dû, soit qu'on appelle cette faute contre la charité ou contre la justice, on lui fait tort : on lui doit quelque réparation ou restitution ; que si on ne lui en doit aucune, on n'a en rien intéressé son droit : on ne lui a fait aucun tort ; dequoi se plaint-il, & comment est-il offensé ?

Rappellons toutes les fautes qu'on a coutume de regarder comme opposées à la charité, sans les supposer contraires à la justice. Une mortification donnée sans sujet à quelqu'un, une brusquerie qu'on lui aura faite, une parole desobligeante qu'on lui aura dite, un secours, un soulagement qu'on aura manqué de lui donner dans un besoin considérable ; est-il bien certain que ces fautes n'exigent aucune réparation ou restitution ? On demande ce qu'on lui restitueroit, si on ne lui a ôté ni son honneur, ni son bien : mais ces deux sortes de bien sont subordonnés à un troisieme plus général & plus essentiel, savoir la satisfaction & le contentement. Car si l'on pouvoit être satisfait en perdant son honneur & son bien, la perte de l'un & de l'autre cesseroit en quelque sorte d'être un mal. Le mal qu'on fait au prochain consiste donc en ce qui est de contraire à la satisfaction & au contentement légitime, à quoi il pouvoit prétendre ; & quand on l'en prive contre les droits de la société humaine, pourquoi ne seroit on pas obligé à lui en restituer autant qu'on lui en a ôté ?

Si j'ai manqué à montrer de la déférence & de la complaisance à qui je l'aurois dû, c'est lui restituer la satisfaction dont je l'ai privé mal-à-propos, que de le prévenir dans les choses qu'il pourroit une autre fois attendre de moi. Si je lui ai parlé avec hauteur ou avec dédain, avec un air brusque ou emporté ; je réparerai le désagrément que je lui ai donné, en lui parlant dans quelqu'autre occasion avec plus de douceur & de politesse qu'à l'ordinaire. Cette conduite étant une juste réparation, il semble qu'il ne la faudroit refuser à qui que ce soit, & qu'on la doit faire au moins d'une maniere tacite.

Par le principe que nous venons d'établir, on pourroit éclaircir peut-être une question qui a été agitée au sujet d'un homme qui avoit été attaqué & blessé injustement par un autre. Il demande une somme d'argent pour dédommagement & pour se désister des poursuites qu'il intentoit en justice. L'aggresseur donna la somme convenue pour un accommodement, sans lequel il lui en auroit coûté beaucoup plus ; & c'est ce qui fit un sujet de dispute entre d'habiles gens. Quelques-uns soutinrent que le blessé ayant reçu au-delà de ce qui étoit nécessaire pour les frais de sa guérison, il devoit rendre le surplus de l'argent reçu. Mais est-il dédommagé, demandoient les autres, du tort qu'il a souffert dans sa personne par la douleur, l'ennui & la peine de la maladie ; & cela ne demande-t-il nulle réparation ? Non, disoient les premiers : ces choses là, non plus que l'honneur, ne sont point estimables par argent. Cependant, repliquoit-on, les droits de la société semblent exiger qu'on repare un déplaisir par quelque sorte de satisfaction que ce puisse être. En effet qu'on ne doive jamais réparer le tort causé au prochain dans son honneur, par une satisfaction simplement pécuniaire ; c'est un principe qui n'est peut-être pas si évident. Il est vrai qu'à l'égard des personnes distinguées dans le monde, ils ne mettent rien en comparaison avec l'honneur ; mais à l'égard des personnes du peuple, pour qui les besoins de la vie sont ordinairement plus intéressans qu'un peu de réputation ; si après avoir diminué injustement la leur, on se trouvoit dans l'impossibilité de la reparer, & qu'on pût contenter la personne lezée par une satisfaction pécuniaire, pourquoi ne s'en pourroit-il pas faire une compensation légitime entre les deux parties ?

La chose semble plus plausible encore par rapport à la douleur corporelle ; si on pouvoit ôter la douleur & la maladie causées injustement, on seroit indubitablement obligé de le faire, & à titre de justice ; or ne pouvant l'ôter, on peut la diminuer & l'adoucir, en fournissant au malade lezé dequoi vivre un peu plus à son aise, dequoi se nourrir mieux, & se procurer certaines commodités qui sont des réparations de la douleur corporelle. Or il faut réparer en toutes les manieres possibles la peine causée sans raison au prochain, pour lui donner autant de satisfaction qu'on lui a causé de déplaisir. C'est aux savans à décider ; il suffit d'avoir fourni des réflexions qui pourront aider la décision.

On propose ordinairement plusieurs divisions de la justice ; pour en dire quelque chose, nous remarquerons :

1°. Que l'on peut en général diviser la justice en parfaite ou rigoureuse, & imparfaite ou non rigoureuse. La premiere est celle par laquelle nous nous acquittons envers le prochain de tout ce qui lui est dû, en vertu d'un droit parfait & rigoureux, c'est-à-dire dont il peut raisonnablement exiger l'exécution par la force, si l'on n'y satisfait pas de bon gré. La seconde est celle par laquelle on rend à autrui les devoirs qui ne lui sont dûs qu'en vertu d'une obligation imparfaite & non rigoureuse, qui ne peuvent point être exigés par les voies de la contrainte, mais dont l'accomplissement est laissé à l'honneur & à la conscience d'un chacun. 2°. L'on pourroit ensuite subdiviser la justice rigoureuse en celle qui s'exerce d'égal à égal, & celle qui a lieu entre un supérieur & un inférieur. Celle-là est d'autant de différentes especes, qu'il y a de devoirs qu'un homme peut exiger à la rigueur de tout autre homme, considéré comme tel, & un citoyen de tout autre citoyen du même état. Celle-ci renfermera autant d'especes qu'il y a de différentes sociétés, où les uns commandent, & les autres obéissent.

3°. Il y a d'autres divisions de la justice, mais qui paroissent peu précises & de peu d'utilité. Par exemple celle de la justice universelle & particuliere, prise de la maniere que Puffendorf l'explique semble vicieuse, en ce que l'un des membres de la division se trouve enfermé dans l'autre.

La subdivision de la justice particuliere en distributive & permutative, est incomplete , puisqu'elle ne renferme que ce que l'on doit à autrui en vertu de quelque engagement où l'on est entré, quoiqu'il y ait plusieurs choses que le prochain peut exiger de nous à la rigueur, indépendamment de tout accord & de toute convention.

JUSTICE, (Littérat.) déesse allégorique du paganisme : les Grecs ont divinisé la justice sous le nom de Dicé & d'Astrée ; les Romains en ont fait une divinité distinguée de Thémis, & l'empereur Auguste lui bâtit un temple dans Rome.

On la peignoit ainsi qu'Astrée, en vierge, d'un regard sévere, joint à un certain air de fierté & de dignité ; qui inspiroit le respect & la crainte.

Les Grecs du moyen âge la représenterent en jeune fille, assise sur une pierre quarrée, tenant une balance à la main, & de l'autre une épée nûe, ou faisceau de haches entourées de verges, pour marquer que la justice pese les actions des hommes, & qu'elle punit également comme elle récompense.

Elle étoit aussi quelquefois représentée le bandeau sur les yeux, pour montrer qu'elle ne voit & n'envisage ni le rang, ni la qualité des personnes. Les Egyptiens faisoient ses statues sans tête, voulant signifier par ce symbole, que les juges devoient se dépouiller de leur propre sentiment, pour suivre la décision des lois.

Hésiode assure que la justice fille de Jupiter, est attachée à son trône dans le ciel, & lui demande vengeance, toutes les fois qu'on blesse les lois & l'équité. Voyez ASTREE, DICE, THEMIS.

Aratus dans ses phénomènes, peint d'un style mâle la justice déesse, se trouvant pendant l'âge d'or dans la compagnie des mortels de tout sexe & de toute condition. Déja pendant l'âge d'argent, elle ne parut que la nuit, & comme en secret, reprochant aux hommes leur honteuse dégénération ; mais l'âge d'airain la contraignit par la multitude des crimes, à se retirer dans le ciel, pour ne plus descendre ici-bas sur la terre. Ce dernier trait me fait souvenir du bon mot de Bautru, à qui l'on montroit un tableau, dans lequel pour exprimer le bonheur dont la France alloit jouir, on avoit peint la Justice & la Paix qui s'embrassoient tendrement : " ne voyez-vous pas, dit-il à ses amis, qu'elles se disent un éternel adieu " ? (D.J.)

JUSTICE, (Jurispr.) est une des quatre vertus cardinales : on la définit en droit une volonté ferme & constante de rendre à chacun ce qui lui appartient.

On la divise en deux especes : justice commutative, & justice distributive. Voyez ci-après JUSTICE COMMUTATIVE, &c.

Le terme de justice se prend aussi pour la pratique de cette vertu ; quelquefois il signifie bon droit & raison ; en d'autres occasions, il signifie le pouvoir de faire droit à chacun, ou l'administration de ce pouvoir.

Quelquefois encore justice signifie le tribunal où l'on juge les parties, & souvent la justice est prise pour les officiers qui la rendent.

Dans les siecles les moins éclairés & les plus corrompus, il y a toujours eu des hommes vertueux qui ont conservé dans leur coeur l'amour de la justice, & qui ont pratiqué cette vertu. Les sages & les philosophes en ont donné des préceptes & des exemples.

Mais soit que les lumieres de la raison ne soient pas également étendues dans tous les hommes, soit que la pente naturelle qu'ils ont pour la plûpart au vice, étouffe en eux la voix de la raison, il a fallu employer l'autorité & la force pour les obliger de vivre honnêtement, de n'offenser personne, & de rendre à chacun ce qui lui appartient.

Dans les premiers tems de la loi naturelle, la justice étoit exercée sans aucun appareil par chaque pere de famille sur ses femmes, enfans & petits-enfans, & sur ses serviteurs. Lui seul avoit sur eux le droit de correction : sa puissance alloit jusqu'au droit de vie & de mort ; chaque famille formoit comme un peuple separé, dont le chef étoit tout-à-la-fois le pere, le roi & le juge.

Mais bien-tôt chez plusieurs nations on éleva une puissance souveraine au-dessus de celle des peres ; alors ceux-ci cesserent d'être juges absolus comme ils l'étoient auparavant à tous égards. Il leur resta néanmoins toujours une espece de justice domestique, mais qui fut bornée au droit de correction plus ou moins étendu, selon l'usage de chaque peuple.

Pour ce qui est de la justice publique, elle a toûjours été regardée comme un attribut du souverain ; il doit la justice à ses sujets, & elle ne peut être rendue que par le prince même, ou par ceux sur lesquels il se décharge d'une partie de cette noble & pénible fonction.

L'administration de la justice a toujours paru un objet si important, que dès le tems de Jacob le gouvernement de chaque peuple étoit considéré comme une judicature. Dan judicabit populum suum, dit la Genese, ch. xlix.

Moïse, que Dieu donna aux Hébreux pour conducteur & pour juge, entreprit d'abord de remplir seul cette fonction pénible ; il donnoit audience certains jours de la semaine, depuis le matin jusqu'au soir, pour entendre tous ceux qui avoient recours à lui ; mais la seconde année se trouvant accablé par le grand nombre des affaires, il établit, par le conseil de Jethro, un certain nombre d'hommes sages & craignans Dieu, d'une probité connue, & sur-tout ennemis du mensonge & de l'avarice, auxquels il confia une partie de son autorité.

Entre ceux qu'il choisit pour juges, les uns étoient appellés centurions, parce qu'ils étoient préposés sur cent familles ; d'autres quinquagenarii, parce qu'ils n'étoient préposés qu'à cinquante ; d'autres decani, qui n'étoient que sur dix familles. Ils jugeoient les moindres affaires, & devoient lui référer de celles qui étoient plus importantes, qu'il décidoit avec son conseil, composé de soixante-dix des plus anciens, appellés seniores & magistri populi.

Lorsque les Juifs furent établis dans la Palestine, les tribunaux ne furent plus reglés par familles : on établit dans chaque ville un tribunal supérieur composé de sept juges, entre lesquels il y en avoit toûjours deux lévites ; les juges inférieurs, au lieu d'être préposés comme auparavant sur un certain nombre de familles, eurent chacun l'intendance d'un quartier de la ville.

Depuis Josué jusqu'à l'établissement des rois, le peuple juif fut gouverné par des personnages illustres, que l'Ecriture-sainte appelle juges. Ceux-ci n'étoient pas des magistrats ordinaires, mais des magistrats extraordinaires, que Dieu envoyoit, quand il lui plaisoit, à son peuple, pour le délivrer de ses ennemis, commander les armées ; & en général pour le gouverner. Leur autorité étoit en quelque chose semblable à celle des rois, en ce qu'elle leur étoit donnée à vie, & non pas seulement pour un tems. Ils gouvernoient seuls & sans dépendance, mais ils n'étoient point héréditaires ; ils n'avoient point droit absolu de vie & de mort comme les rois, mais seulement selon les lois. Ils ne pouvoient entreprendre la guerre que quand Dieu les envoyoit pour la faire, ou que le peuple le desiroit. Ils n'exigeoient point de tributs & ne se succédoient pas immédiatement. Quand un juge étoit mort, il étoit libre au peuple de lui donner aussi-tôt un successeur ; mais on laissoit souvent plusieurs années d'intervalle. Ils ne portoient point les marques de sceptre ni de diadème, & ne pouvoient faire de nouvelles loix, mais seulement faire observer celles de Moïse : ensorte que ces juges n'avoient point de pouvoir arbitraire.

On les appella juges apparemment parce qu'alors juger ou gouverner selon les lois étoit réputé la même chose. Le peuple hébreu fut gouverné par quinze juges ; depuis Othoniel, qui fut le premier, jusqu'à Héli, pendant l'espace de 340 années, entre lesquelles quelques-uns distinguent les années des juges, c'est-à-dire de leur judicature ou gouvernement, & les années où le peuple fut en servitude.

Le livre des juges est un des livres de l'Ecriture-sainte qui contient l'histoire de ces juges. On n'est pas certain de l'auteur ; on croit que c'est une collection tirée de différens mémoires ou annales par Esdras ou Samuel.

Les Espagnols donnoient aussi anciennement le titre de juges à leurs gouverneurs, & appelloient leur gouvernement judicature.

On s'exprimoit de même en Sardaigne pour désigner les gouverneurs de Cagliari & d'Oristagne.

Ménés, premier roi d'Egypte, voulant policer ce pays, le divisa en trois parties, & subdivisa chacune en dix provinces ou dynasties, & chaque dynastie en trois jurisdictions ou nomos, en latin praefecturae : chacun de ces siéges étoit composé de dix juges, qui étoient présidés par leur doyen. Ils étoient tous choisis entre les prêtres, qui formoient le premier ordre du royaume. Ils connoissoient en premiere instance de tout ce qui concernoit la religion, & de toutes autres affaires civiles ou criminelles. L'appel de leurs jugemens étoit porté à celle des trois nomos ou jurisdictions supérieures de Thebes, Memphis ou Héliopolis, dont ils relevoient.

Chez les Grecs les juges ou magistrats avoient en même tems le gouvernement. Les Athéniens choisissoient tous les ans cinq cent de leurs principaux citoyens dont ils formoient le sénat qui devoit gouverner la république. Ces cinq cent sénateurs étoient divisés en dix classes de cinquante chacune, qu'ils nommoient prytanes ; chaque prytane gouvernoit pendant un dixieme de l'année.

Pour l'administration de la justice, ils choisissoient au commencement de chaque mois, dans les neuf autres prytanes, neuf magistrats qu'ils nommoient archontes : on en tiroit trois au sort pour administrer la justice pendant le mois ; l'un pour présider aux affaires ordinaires des citoyens, & pour tenir la main à l'exécution des lois concernant la police & le bien public ; l'autre avoit l'intendance sur tout ce qui concernoit la religion ; le troisieme avoit l'intendance de la guerre, connoissoit de toutes les affaires militaires & de celles qui survenoient à cette occasion entre les citoyens & les étrangers. Les six autres archontes servoient de conseil à ces premiers.

Il y avoit d'autres juges inférieurs qui connoissoient de différentes matieres, tant civiles que criminelles.

Le tribunal souverain établi au-dessus de tous ces juges, étoit l'aréopage : il étoit composé des archontes sortis de charge : ces juges étoient perpétuels : leur salaire étoit égal & payé des deniers de la république. On donnoit à chacun d'eux, trois oboles pour une cause. Ils ne jugeoient que la nuit, afin d'être plus recueillis, & qu'aucun objet de haine ou de pitié ne pût surprendre leur religion.

Les juges ou magistrats de Lacédémone étoient tous appellés , dépositaires & gardiens de l'exécution des lois. Ils étoient divisés en deux ordres ; l'un supérieur, qui avoit inspection sur les autres, & les juges intérieurs, qui étoient seulement préposés sur le peuple pour le contenir dans son devoir par l'exécution des lois. Quelques-uns des juges inférieurs avoient chacun la police d'un quartier de la ville. On commit aussi à quelques-uns en particulier certains objets ; par exemple, l'un avoit l'inspection sur la religion & les moeurs ; un autre étoit chargé de faire observer les lois somptuaires sur le luxe des habits & des meubles, sur les moeurs des femmes, pour leur faire observer la modestie & réprimer leurs débauches ; d'autres avoient inspection sur les festins & sur les assemblées ; d'autres, sur la sûreté & la tranquillité publiques, sur les émotions populaires, les vices, assemblées illicites, incendies, maisons qui menaçoient ruine, & ce qui pouvoit causer des maladies populaires ; d'autres visitoient les marchés publics, étoient chargés de procurer l'abondance, d'entretenir la bonne foi dans le commerce ; d'autres, enfin, avoient inspection sur les poids & mesures. On peut tirer de-là l'origine des juges d'attribution, c'est-à-dire de ceux auxquels la connoissance de certaines matieres est attribuée.

Les premiers juges ou magistrats des Romains furent les senateurs qui rendirent la justice avec les rois, & ensuite avec les consuls qui succéderent aux rois. Ils ne connoissoient point des matieres criminelles ; le roi ou les consuls les renvoyoient au peuple, qui les jugeoit dans ses assemblées. On les renvoyoit à des commissaires ; le préfet de la ville rendoit la justice en l'absence du roi ou des consuls.

On établit ensuite deux questeurs pour tenir la main à l'exécution des lois, faire la recherche des crimes, & toutes les instructions nécessaires pour les faire punir ; & le peuple ayant demandé qu'il y eût aussi des magistrats de son ordre, on créa les tribuns & les édiles, qui furent chargés chacun de certaine partie de la police. Voyez EDILES & TRIBUNS.

Quelque tems après on créa deux censeurs ; mais tous ces officiers n'étoient point juges : le pouvoir de juger n'appartenoit qu'aux consuls, aux senateurs, au peuple, & à ceux qui étoient commis à cet effet.

Vers l'an 388 de Rome, les consuls firent créér un préteur pour rendre en leur place la justice dans la ville. Ce préteur connoissoit des affaires civiles & de police. Il commettoit quelquefois les édiles & autres personnes pour l'aider dans l'instruction ou dans le jugement ; mais c'étoit toujours lui qui le prononçoit & au nom duquel on le faisoit exécuter.

Quelque tems après, le préteur, pour être plus en état de juger les questions de droit, choisit dans chacune des trente-cinq tribus cinq hommes des plus versés dans l'étude des lois, ce qui fit en tout cent soixante-quinze personnes, qui néanmoins pour une plus facile prononciation, furent nommés centumviri, centumvirs, entre lesquels il prenoit des assesseurs ou conseillers pour les questions de droit, au lieu que pour les questions de fait, il en choisissoit indifféremment dans tous les ordres.

L'an 604 le peuple remit au préteur le soin de punir les crimes ; & les questeurs, qui furent rendus perpétuels, continuerent leurs fonctions sous les ordres du préteur.

Les édiles, dont le nombre fut augmenté, exerçoient aussi en son nom certaines parties de la police.

Il y avoit aussi un préteur dans chaque province, lequel avoit ses aides comme celui de Rome.

Sur la fin de la république, les tribuns & les édiles curules s'attribuerent une jurisdiction contentieuse, indépendante de celle du préteur.

L'autorité de celui-ci avoit déja été diminuée en lui donnant un collegue pour connoître des causes des étrangers, sous le titre de praetor peregrinus ; on lui adjoignit encore six autres préteurs pour les causes capitales. Les préteurs provinciaux prenoient aussi séance avec eux pendant un an, avant que de partir pour leurs provinces, sous prétexte de les instruire des affaires publiques. On institua aussi deux préteurs pour la police des vivres en particulier. Enfin, sous le triumvirat il y avoit jusqu'à soixante quatre préteurs dans Rome qui avoient tous leurs tribunaux particuliers, de même que les tribuns & les édiles.

Un des premiers soins d'Auguste, lorsqu'il se vit paisible possesseur de l'empire, fut de réformer la justice. Il réduisit d'abord le nombre des préteurs de la ville à seize, & établit au dessus d'eux le préfet de la ville, dont la jurisdiction fut étendue jusqu'à cinquante stades autour de la ville. Il connoissoit seul des affaires où quelque sénateur se trouvoit intéressé, & des crimes commis dans toute l'étendue de sa province. Il avoit seul la police dans la ville, & l'appel des sentences des préteurs se relevoit pardevant lui.

Les édiles furent d'abord réduits à six : on leur ôta la police & tout ce qu'ils avoient usurpé de jurisdiction sur le préteur ; & dans la suite Constantin les supprima totalement ; on donna au préfet de la ville d'autres aides au nombre de quatorze, qui furent nommés curatores urbis, ou adjutores praefecti urbis. Ils étoient magistrats du second ordre, magistratus minores. La ville fut divisée en autant de quartiers qu'il y avoit de curateurs, & chacun d'eux fut chargé de faire la police dans son quartier. On leur donna à chacun deux licteurs pour marcher devant eux, & faire exécuter leurs ordres. L'empereur Sévere créa encore quatorze autres curateurs ; & pour les faire considérer davantage, il voulut qu'ils fussent choisis dans les familles consulaires.

Le préfet de la ville ne pouvant connoître par lui-même de toutes choses, on lui donna deux subdélégués, l'un appellé praefectus annonae, qui avoit la police des vivres ; l'autre appellé praefectus vigilum, qui commandoit le guet. Celui-ci avoit une espece de jurisdiction sur les voleurs, filoux, malfaiteurs, & gens suspects qui commettoient quelque désordre pendant la nuit ; il pouvoit les faire arrêter & constituer prisonniers, même les faire punir sur-le-champ s'il s'agissoit d'une faute légere ; mais si le délit étoit grave ou que l'accusé fût une personne de quelque considération, il devoit en reférer au préfet de la ville.

Chaque province étoit gouvernée par un président ou proconsul, selon qu'elle étoit du département de l'empéreur ou de celui du sénat. Ce magistrat étoit chargé de l'administration de la justice : les proconsuls avoient chacun près d'eux plusieurs subdélégués qu'on appelloit legati proconsulum, parce qu'ils les envoyoient dans les différens lieux de leurs gouvernemens. Ces subdélégués ayant été distribués dans les principales villes & y étant devenus sédentaires, furent appellés senatores loci, ou judices ordinarii, & quelquefois simplement ordinarii. Ceux des villes moins considérables furent nommés judices pedanei ; & enfin les juges des bourgs & villages furent nommés magistri pagorum.

L'appel des juges des petites villes & des bourgs & villages, étoit porté au tribunal de la ville capitale de la province, de la capitale à la métropole, de la métropole à la primatie, d'où l'on pouvoit encore en certains cas appeller à l'empereur ; mais comme cela engageoit dans des dépenses excessives pour ceux qui demeuroient dans les Gaules, Constantin y établit un préfet du prétoire pour juger en dernier ressort les affaires que l'on portoit auparavant à l'empereur.

Sous l'empire d'Adrien les magistrats romains qui étoient envoyés dans les provinces, furent appellés comites quasi de comitatu principis, parce qu'on les choisissoit ordinairement dans le conseil du prince. Ceux qui avoient le gouvernement des provinces frontieres furent nommés duces, parce qu'ils avoient le commandement des armées.

Lorsque les Francs eurent conquis les Gaules, ils y conserverent le même ordre que les Romains y avoient établi pour la division des gouvernemens & pour l'administration de la justice. Les officiers François prirent les titres de ducs & de comtes attachés aux gouvernemens qui leur furent distribués ; mais les officiers d'un rang inférieur ne trouvant pas assez de dignité dans les titres de juges pedanei vel magistri pagorum, qui étoient usités chez les Romains, conserverent leurs titres de centeniers, de cinquanteniers & dixainiers, & sous ces mêmes titres ils rendoient la justice dans les petites villes, bourgs & villages. Quelques-uns croient que c'est de-là qu'est venue la distinction des trois degrés de haute, moyenne & basse justice.

Les centeniers auxquels étoient subordonnés les cinquanteniers & dixainiers, relevoient des comtes des villes capitales. Ces comtes relevoient eux-mêmes des comtes ou ducs des provinces ou villes métropolitaines ; ceux-ci des patrices qui présidoient dans les villes primatiales, & les patrices relevoient du roi, lequel jugeoit souverainement & en dernier ressort les grandes affaires, soit dans son conseil particulier avec le comte ou maire du palais, qui prit la place du préfet du prétoire des Gaules, ou en public à la tête de son parlement, lorsqu'il étoit assemblé.

Les comtes avoient des vicaires ou vicomtes qui étoient comme leurs lieutenans.

Pour contenir tous ces officiers dans leur devoir, le roi envoyoit dans les provinces des commissaires appellés missi dominici, pour recevoir les plaintes que l'on avoit à faire contre les juges ordinaires des lieux.

Outre les juges royaux, il y avoit dès-lors deux autres sortes de justice en France ; savoir les justices ecclésiastiques & les justices seigneuriales ; la jurisdiction ecclésiastique étoit exercée par les évêques & les abbés, qui connoissoient chacun dans leur territoire des matieres spirituelles, des affaires ecclésiastiques & de celles qui étoient alors reputées telles. Voyez ci-devant JURISDICTION ECCLESIASTIQUE.

Les vassaux & arriere-vassaux des comtes, & des évêques & abbés rendoient aussi la justice dans les terres qui leur étoient données à titre de bénéfice, ce qui fut le commencement des justices seigneuriales.

Quelque tems après tous les bénéfices des laïcs ayant été transformés en fiefs, les justices des comtes & des ducs devinrent elles-mêmes des justices seigneuriales, & il n'y avoit alors de justices royales que celles qui étoient exercées par les officiers du roi dans les terres de son domaine.

Lorsque les comtes & les ducs changerent leurs gouvernemens en seigneuries héréditaires, ils se déchargerent du soin de rendre la justice sur des vicomtes, viguiers ou prevôts ; dans les lieux où il y avoit un château, leurs lieutenans furent nommés châtelains ; dans les simples bourgs & villages, les juges qui prirent la place des centeniers furent appellés majores villarum, maires ou principaux des villages ; titre qui revenoit assez à celui de magistri pagorum, qui étoit usité chez les Romains.

Les ducs & les comtes s'étoient néanmoins réservé une jurisdiction supérieure au-dessus de toutes ces justices, qu'ils continuerent encore pendant quelque tems d'exercer avec leurs pairs ou principaux vassaux qui étoient pares inter se : ils tenoient leurs audiences ou assises avec eux quatre fois l'année & même plus souvent, lorsque cela étoit nécessaire ; on y traitoit des affaires concernant le domaine & autres droits du seigneur, de celles où quelque noble ou ecclésiastique étoit intéressé, de crimes qui méritoient la mort naturelle ou civile, enfin des appellations des juges inférieurs.

Cette portion de jurisdiction que les ducs & les comtes s'étoient réservée, fut encore abandonnée par eux à des officiers qu'on nomma baillifs, & en d'autres endroits, sénéchaux.

Les prélats, les chapitres & les abbayes de fondation royale s'étant plaint des entreprises que les juges royaux faisoient sur leurs privileges, nos rois les mirent sous leur protection & sauve-garde, leur donnant pour juge le prevôt de Paris ; c'est ce que l'on appelle le droit de garde gardienne.

D'un autre côté, les seigneurs supportant impatiemment l'inspection des commissaires du roi, appellés missi dominici, qui les rappelloient à leur devoir, on cessa pendant quelque tems d'en envoyer, mais au lieu de ces commissaires, le roi établit quatre baillifs pour juger les appellations des juges royaux inférieurs ; le siege de ces bailliages fut placé à Vermand, aujourd'hui Saint-Quentin, à Sens, à Mâcon & à Saint Pierre-le-Moutier.

Philippe Auguste établit en 1190 de semblables bailliages dans toutes les principales villes de son domaine, & dans la suite les anciens duchés & comtés ayant été réunis par diverses voies à la couronne, les prevôtés, bailliages, sénéchaussées & autres justices, qui étoient établies dans ces seigneuries, devinrent toutes des justices royales.

Les simples justices seigneuriales sont demeurées subordonnées aux prévôtés & autres justices royales du premier degré ; elles ont aussi été appellées en quelques endroits prevôtés, & châtellenies en d'autres bailliages ; mais pour distinguer les juges de ces bailliages seigneuriaux de ceux des bailliages royaux, ces derniers furent appellés baillivi majores, & les autres baillivi minores.

Les justices royales inférieures sont subordonnées aux bailliages & sénéchaussées, & ces tribunaux de leur part ressortissent par appel au parlement, dont l'origine remonte jusqu'au commencement de la monarchie, ainsi qu'on le dira ci-après au mot PARLEMENT.

Sous les deux premieres races de nos rois, & encore assez avant sous la troisieme, il ne connoissoit que des affaires d'état & autres affaires majeures ; la voie d'appel au parlement ne devint guere usitée que depuis que cette cour eut été rendue sédentaire à Paris.

Les autres parlemens ont été établis peu-à-peu à mesure que les affaires se sont multipliées.

Pour décharger les parlemens de plusieurs petites affaires, on a établi les présidiaux qui jugent en dernier ressort jusqu'à 250 liv. de principal ou 10 l. de rente.

Outre les jurisdictions ordinaires, nos rois en ont établi plusieurs autres extraordinaires, les unes qu'on appelle jurisdictions d'attribution, les autres jurisdictions de privilege ; quelques-unes de ces jurisdictions ressortissent par appel au parlement comme les requêtes de l'hôtel & du palais, les tables de marbre ; d'autres ressortissent aux cours des aides, telles que les élections & greniers à sel, &c.

Quant à la maniere de rendre la justice dans les tribunaux de France, anciennement il n'étoit pas permis de plaider par procureur ; il falloit se présenter en personne, même dans les affaires civiles, à moins d'en avoir obtenu dispense ; mais depuis longtems les parties ont été admises à se servir du ministere des procureurs, il est même devenu nécessaire, excepté dans les petites justices où les parties peuvent défendre elles-mêmes leur cause.

On dit néanmoins encore qu'il n'y a que le roi & la reine qui plaident par procureur ; mais cela veut dire qu'ils ne plaident pas en leur nom, & que c'est leur procureur général qui est en qualité pour eux ; à quoi il faut ajouter les seigneurs qui plaident dans leur justice sous le nom de leur procureur-fiscal.

Les affaires civiles s'intentent par une demande, & sur les exceptions, defenses & autres procédures on en vient à l'audience, où la cause se juge sur la plaidoirie des avocats ou des procureurs des parties ; lorsqu'il s'agit d'un appel ou de questions de droit, la cause doit être plaidée par des avocats.

Quand l'affaire ne peut être vuidée à l'audience, on appointe les parties, c'est-à-dire que les parties doivent produire leurs pieces & fournir des écritures pour instruire l'affaire plus amplement.

En matiere criminelle, l'affaire commence par une plainte ou par une dénonciation ; on in forme contre l'accusé, & sur l'information on décrete l'accusé, s'il y a lieu, & en ce cas il doit se représenter & répondre en personne ; quand l'affaire est légere, on la renvoye à l'audience.

Ces questions de droit doivent être décidées par les lois, & celles de fait par les titres & par les preuves. Dans les premiers tems de la monarchie, les François étoient gouvernés par différentes lois, selon celle sous laquelle ils étoient nés ou qu'ils avoient choisie ; car alors ce choix étoit libre. Les Francs suivoient communément la loi salique, les Bourguignons la loi gombette : les Goths qui étoient restés en grand nombre dans les provinces d'outre la Loire, suivoient les lois des Visigoths. Tous les autres sujets du roi suivoient la loi Romaine qui étoit le code Théodosien ; les Ecclésiastiques la suivoient aussi tous, & en outre le droit canonique.

Aux anciennes lois des Francs ont succédé les capitulaires, qui sont aussi tombés en non-usage.

Les provinces les plus voisines de l'Italie ont continué de se régir par le droit romain ; les autres provinces sont régies par des coutumes générales & particulieres. Voyez COUTUME.

Outre le droit romain & les coutumes, on se regle par les ordonnances, édits & déclarations de nos rois, & par la jurisprudence des arrêts.

Les premiers juges doivent toujours juger à la rigueur & suivant la lettre de la loi ; il n'appartient qu'au roi, & aux cours souveraines dépositaires de son autorité, d'interpreter les lois.

Les formalités de la justice ont été établies pour instruire la religion des juges ; mais comme on abuse des meilleures choses, il arrive souvent que les plaideurs multiplient les procédures sans nécessité.

Dans les pays où la justice se rend sans formalités, comme chez les Turcs, les juges peuvent souvent être surpris. La partie qui parle avec le plus d'assurance est ordinairement celle qui a raison ; il est aussi très-dangereux qu'un juge soit le maître du sort des hommes, sans craindre que personne puisse le réformer.

La justice se rendoit autrefois gratuitement dans toutes sortes d'affaires ; elle se rend encore de même de la part des juges pour les affaires qui se jugent à l'audience ; mais par succession de tems on a permis aux greffiers de se faire payer l'expédition du jugement ; on a aussi autorisé les juges à recevoir de ceux qui gagnoient leur procès de menus présens de dragées & de confitures, qu'on appelloit alors épices, & dans la suite ces épices ont été converties en argent ; les juges n'en prennent que dans les procès par écrit ; il y a aussi des cas où ils ont des vacations. Voyez éPICES, VACATIONS.

Le surplus de ce qui concerne cette matiere se trouvera aux mots COUTUME, DROIT, JUGE, JURISDICTION, LOI, PROCES, PROCEDURE, &c. Voyez aussi Loyseau, Traité des seigneuries, Traité de la police, liv. I. (A)

JUSTICE D'APANAGE, est une justice royale qui se trouve dans l'étendue de l'apanage d'un fils ou petit-fils de France. Cette justice est exercée au nom du roi & du prince apanagiste, lequel a la nomination & provision des offices, à la différence du seigneur engagiste qui a seulement la nomination des offices des justices royales qui se trouvent dans le domaine engagé. (A)

JUSTICE D'ATTRIBUTION, est celle qui n'est établie que pour connoître d'une certaine affaire, comme les commissions du conseil, les renvois d'une affaire à une chambre du parlement, ou bien pour connoître de toutes les affaires d'une certaine nature, comme les cours des aydes, les élections, les greniers à sel, les tables de marbre & autres semblables. Voyez JUGE D'ATTRIBUTION. (A)

JUSTICES BAILLIAGERES, on entend ordinairement par-là celles qui ont un territoire fixe comme les bailliages, c'est en ce sens que l'on dit que les maîtrises des eaux & forêts sont bailliageres, pour dire que les officiers de ces jurisdictions ne peuvent anticiper sur le territoire les uns des autres.

En Lorraine on appelle justices bailliageres des justices seigneuriales qui ressortissent directement à la cour souveraine, sans passer par le degré des bailliages royaux, lesquels n'y connoissent que des cas royaux & priviléges ; il y a une vingtaine de prevôtés & autres justices seigneuriales qui sont bailliageres. Voyez les Mém. sur la Lorraine, pag. 76. (A)

JUSTICE BASSE ou plutôt BASSE-JUSTICE, est une justice seigneuriale qui n'a que le dernier degré de jurisdiction.

On l'appelle aussi justice fonciere ou censiere ou censuelle, parce que le bas-justicier connoît des cens & rentes ; & autres droits dûs au seigneur.

Le juge qui exerce la basse justice, connoît aussi de toutes matieres personnelles entre les sujets du seigneur jusqu'à la somme de 60 sols parisis.

Il connoît pareillement de la police, du dégât fait par les animaux, des injures légeres & autres délits, dont l'amende n'excede pas dix sols parisis.

Si le délit mérite une amende plus forte, le juge doit en avertir le haut-justicier, & en ce cas il prend sur l'amende qui est adjugée, six sols parisis.

Il peut faire arrêter dans son district tous les délinquans, & pour cet effet avoir sergent & prison ; mais il doit aussi-tôt faire conduire le prisonnier au haut-justicier avec l'information, & ne peut pas décreter.

Il connoît des censives du seigneur & amendes de cens non payé ; il peut du consentement des parties faire faire mesurage & bornage entr'elles.

Il peut demander au haut-justicier le renvoi des causes qui sont de sa compétence.

Dans quelques coutumes on distingue deux sortes de basses justices ; l'une qui est générale ou personnelle pour connoître de toutes causes civiles & criminelles entre les sujets du seigneur, jusqu'à concurrence de ce qui vient d'être dit ; l'autre qu'on appelle simplement jurisdiction basse, particuliere ou fonciere, qui ne regarde que la connoissance du fond qui reléve du fief ou de l'étroit fond, comme dit la coutume de Poitou, art. 18, c'est-à-dire des causes réelles qui regardent le fond du fief & droits qui en peuvent venir au seigneur, comme le payement des lods & ventes, la notification & exhibition des contrats & autres causes concernant son fief. Voyez Bouchart sur l'art. 18 de la coutume de Poitou.

L'appel de la basse-justice ressortit à la haute-justice. Voyez ci-après JUSTICE SEIGNEURIALE & JUSTICE FONCIERE. (A)

JUSTICE CAPITALE, est la principale jurisdiction d'une province, la justice supérieure ; c'est ainsi que Richard roi d'Angleterre, duc de Normandie & d'Aquitaine, & comte d'Anjou, qualifioit sa cour dans des lettres du mois de Septembre 1352, nisi coram nobis aut capitali justiciâ nostrâ. (A)

JUSTICE DE CENSIER, est la même chose que justice censiere, ou censuelle : on l'appelle plus communément justice censiere, ou fonciere. Voyez JUSTICE CENSIERE & FONCIERE. (A)

JUSTICE CENSIERE ou CENSUELLE, est une basse justice qui appartient dans quelques coutumes aux seigneurs de fiefs pour contraindre leurs censitaires au payement des cens & rentes seigneuriales, & autres droits. Voyez ci-après JUSTICE FONCIERE. (A)

JUSTICE CENSUELLE, CENSIERE, ou FONCIERE, est celle qui appartient à un seigneur censier pour raison de ses cens seulement : on l'appelle aussi justice de censier. Voyez les coutumes de Meaux, art. 203. Auxerre, art. 20. Orléans, art. 105. (A)

JUSTICE CIVILE, est celle qui prend connoissance des affaires civiles, telles que les demandes à fin de payement de dette, à fin de partage d'une succession.

La justice civile est ainsi appellée pour la distinguer de la justice criminelle qui prend connoissance des crimes & délits. Voyez JUSTICE CRIMINELLE, OCEDURE CRIMINELLEELLE. (A)

JUSTICE COMMUTATIVE, est cette vertu & cette partie de l'administration de la justice, qui a pour objet de rendre a chacun ce qui lui appartient dans une proportion arithmétique, c'est-à-dire le plus exactement que faire se peut.

C'est principalement dans les affaires d'intérêt, où cette justice s'observe, comme quand il s'agit du partage d'une succession ou d'une société, de payer la valeur d'une chose qui a été fournie, ou d'une somme qui est dûe, avec les fruits, arrérages, intérêts, frais & dépens, dommages & intérêts.

La justice commutative, est opposée à la justice distributive, c'est-à-dire qu'elles ont chacune leur objet. Voyez ci-après JUSTICE DISTRIBUTIVE. (A)

JUSTICE CONTENTIEUSE, est la même chose que jurisdiction contentieuse. Voyez ci-devant JURISDICTION CONTENTIEUSE. (A)

JUSTICE COTTIERE ou FONCIERE, est la jurisdiction du seigneur, qui n'a dans sa mouvance que des rotures, à la différence de celui qui a dans sa mouvance quelque fief, dont la justice s'appelle hommagere.

Ces sortes de justices cottieres ne sont connues qu'en Artois, & quelques autres coutumes des Pays-Bas. Voyez l'annotateur de la coutume d'Artois, art. premier. (A)

JUSTICE CRIMINELLE, s'entend quelquefois d'une jurisdiction qui a la connoissance des affaires criminelles, comme la chambre de la tournelle au parlement, la chambre criminelle du châtelet, les prévôts des maréchaux, &c.

On entend aussi quelquefois par-là l'ordre judiciaire qui s'observe dans l'instruction des affaires criminelles, ou les lois qui s'observent pour la punition des crimes & délits. Voyez JUSTICE CIVILE. (A)

JUSTICE DISTRIBUTIVE, signifie quelquefois cette vertu dont l'objet est de distribuer à chacun selon ses mérites, les graces & les peines, en y observant la proportion géométrique, c'est-à-dire par comparaison d'une personne & d'un fait avec une autre.

On entend aussi quelquefois par le terme de justice distributive, l'administration de la justice qui est confiée par le roi à ses juges ou à ceux des seigneurs. Le roi ni son conseil ne s'occupent pas ordinairement de la justice distributive, si ce n'est pour la manutention de l'ordre établi pour la rendre ; mais le roi exerce seul la justice distributive, entant qu'elle a pour objet de donner des récompenses ; il laisse aux juges le soin de punir les crimes, & ne se réserve que le droit d'accorder grace aux criminels, lorsqu'il le juge à propos. Voyez JUSTICE COMMUTATIVE. (A)

JUSTICE DOMANIALE, on entend quelquefois par-là une justice seigneuriale, laquelle est toûjours du domaine du seigneur, & ce que l'on appelle patrimoniale ; quelquefois aussi ce terme de justice domaniale est synonyme de Justice fonciere, comme dans la coutume de Rheims, article 144.

Enfin, on entend aussi quelquefois par justice domaniale, une justice royale attachée à un domaine engagé, laquelle s'exerce tant au nom du roi, que du seigneur engagiste. On l'appelle cependant plus communément justice royale, parce qu'en effet, elle en conserve toujours le caractere. (A)

JUSTICE DOMESTIQUE, FAMILIERE, ou ECONOMIQUE, n'est autre chose que la puissance & le droit de correction que les maris ont sur leurs femmes, les peres sur leurs enfans, les maîtres sur leurs esclaves & domestiques, & que les supérieurs de certains corps exercent sur ceux qui en sont les membres. Cette espece de jurisdiction privée étoit autrefois fort étendue chez les Romains, de même que chez les Germains & les Gaulois ; car les uns & les autres avoient droit de vie & de mort sur leurs femmes, sur leurs enfans, & sur leurs esclaves ; mais dans la suite leur puissance fut réduite à une correction modérée. Du tems de Justinien, les maîtres exerçoient encore une espece de justice familiere sur leurs colons qui étoient alors demi-serfs : c'est de cette justice qu'il est parlé en la novelle 80, cap. ij. où il dit, si agricolae constituti sub dominis litigent, debent possessores citius eas decernere pro quibus venerunt causas, & postquam jus eis reddiderint, mox eos domum remittere ; & au chap. suivant, il dit que agricolarum domini eorum judices a se sunt statuti. Voyez Loyseau, tr. des seigneuries, chap. x. n. 48. Voyez ci-devant JURISDICTION ECONOMIQUE. (A)

JUSTICE ECCLESIASTIQUE ou D'EGLISE, est la même chose que jurisdiction ecclésiastique. Voyez ci-devant au mot JURISDICTION. (A)

JUSTICE ENGAGEE, est une justice royale attachée à quelque terre domaniale, & qui est donnée avec cette même terre à titre d'engagement à quelque particulier : ces sortes de justices sont exercées tant au nom du roi, qu'en celui du seigneur engagiste. Voyez DOMAINE & JUSTICE ROYALE. (A)

JUSTICE EXTRAORDINAIRE ou EXTRAVAGANTE, est la même chose que jurisdiction extraordinaire. Voyez ci-devant au mot JURISDICTION. (A)

JUSTICE EXTRAVAGANTE ou EXTRAORDINAIRE, voyez ci-devant JUSTICE EXTRAORDINAIRE & au mot JURISDICTION. (A)

JUSTICE FAMILIERE, voyez ci-devant JUSTICE DOMESTIQUE. (A)

JUSTICE FEODALE, est celle qui est attachée à un fief ; c'est la même chose que justice seigneuriale. Il y a cependant des justices seigneuriales qui ne sont pas annexées à un fief, telles que les justices dépendantes d'un franc-aleu noble. Voyez JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JUSTICE FISCALE ; on donnoit ce nom aux justices qui étoient établies dans le domaine du roi appellé fiscus. (A)

JUSTICE FONCIERE, ou CENSIERE, ou CENSUELLE, est une basse justice particuliere, qui appartient dans quelques coûtumes à tous les seigneurs de fief, pour contraindre leurs censitaires à payer les cens & autres droits seigneuriaux.

Ces sortes de justices n'ont lieu que dans les coûtumes où le fief emporte de droit une portion de la basse justice, comme en Artois & aux coûtumes des Pays-Bas, dans celle d'Anjou, Maine & Poitou.

Quelques-unes confondent absolument la basse justice avec la justice fonciere, comme celle de Bar-le-Duc.

Dans les pays de nantissement, il faut être nanti par les officiers de la justice fonciere pour acquérir droit de propriété ou d'hypotheque.

A Paris & dans toutes les coutumes où le fief & la justice n'ont rien de commun, il n'y a point de justice fonciere autre que la basse justice. Cette matiere est très-bien expliquée par Brodeau sur l'art. 74 de la coutume de Paris, n. 29 & suiv. Voyez l'acte de notorieté de M. Camus, du mois d'Avril 1702, & ci-devant JUSTICE BASSE. (A)

JUSTICE TRES-FONCIERE étoit la même chose que justice fonciere, du tems que la commune de Laon subsistoit. Les seigneurs de cette prévôté qui avoient justice très-fonciere requéroient les échevins de Laon de venir à leur cour pour juger. Philippe de Valois ayant établi en 1331 un prévôt à Laon, ordonna que ces seigneurs viendroient requérir le prévôt de Laon pour aller à leur cour juger, comme faisoient auparavant les échevins. Voyez l'ordonnance du mois de Mai 1731, art. vij.

La coûtume de Vermandois parle bien du seigneur foncier, mais elle ne parle plus de justice fonciere. (A)

JUSTICE EN GARDE. On appella ainsi anciennement celles que le Roi donnoit simplement à exercer par commission, au lieu qu'auparavant elles étoient vendues ou données à ferme. Philippe de Valois ordonna en 1347 que les prévôtés royales seroient données en garde : depuis ce tems toutes les justices ne se donnent plus à ferme, mais en titre d'office ou par commission.

Ce que l'on entend présentement par justice en garde, est une justice royale, qui n'est point actuellement remplie par le chef ordinaire, & qui est exercée par interim au nom de quelqu'autre magistrat. Par exemple, le procureur général du parlement est garde de la prévôté & vicomté de Paris le siége vacant, & pendant ce tems les sentences sont intitulées de son nom. (A)

JUSTICE DU GLAIVE ; on appelle ainsi dans quelques provinces la jurisdiction ecclésiastique que quelques chapitres ont sur leurs membres, & sur tout le clergé qui compose leur église : telle est celle du chapitre de l'église de Lyon, & celle du chapitre de S. Just en la même ville. Ces justices ont été surnommées du glaive pour les distinguer des justices ordinaires temporelles qui appartiennent à ces mêmes chapitres.

Il ne faut pas s'imaginer que par le terme de glaive on entende en cet endroit le droit de vie & de mort, appellé en droit jus gladii ; car aucune justice ecclésiastique n'a ce pouvoir : on n'entend donc ici autre chose par le terme de glaive, que le glaive spirituel ; c'est-à-dire le glaive de l'excommunication, par lequel ceux qui désobéissent à l'Eglise sont retranchés de la communion des fideles, le pouvoir des jurisdictions ecclésiastiques se bornant à infliger des peines spirituelles telles que les censures. (A)

JUSTICE GRANDE, ou plûtôt, comme on disoit, la GRANDE JUSTICE, magna justitia ; on l'appelloit aussi indifféremment plaît de l'épée, comme il est dit dans des lettres de Philippe III. du mois de Juin 1280, confirmées par Charles V. au mois de Janvier 1378 pour l'abbaye de Bernay, & justitia magna quae dicitur placitum ensis. Toutes ces dénominations ne signifient autre chose que la haute justice, à laquelle est attaché le droit de vie & de mort, potestas gladii seu jus gladii. Voyez JUSTICE HAUTE ou HAUTE JUSTICE. (A)

JUSTICE HAUTE, ou plûtôt HAUTE JUSTICE, alta justitia, merum imperium, est l'entiere jurisdiction qui appartient à un seigneur. Voyez ci-après JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JUSTICE HOMMAGERE est celle qui est exercée par les hommes féodaux ou de fief dans les bailliages & dans toutes les justices seigneuriales qui sont au moins vicomtieres. Elle est opposée à la justice cottiere, qui est exercée par les hommes cottiers. Voyez JUSTICE COTTIERE.

Ces sortes de justices ne sont usitées que dans quelques coûtumes des Pays-bas, comme en Artois. (A)

JUSTICE INFERIEURE est celle qui en a une autre au-dessus. On comprend quelquefois sous ce terme en général toutes les justices autres que les cours supérieures. Voyez JUGE INEERIEUR. (A)

JUSTICE SOUS LATTE se dit en quelques provinces pour exprimer celle qui s'exerce seulement sous le couvert de la maison du seigneur. (A)

JUSTICE MANUELLE ; suivant le style de procéder au pays de Normandie, c'est lorsque le seigneur, pour avoir payement des arrérages de sa rente ou charge, prend de sa main sur l'héritage de son débiteur & en la présence du sergent, des namps ; c'est-à-dire des meubles saisis, & qu'il les délivre au sergent pour les discuter, c'est-à-dire pour les vendre.

JUSTICE MILITAIRE est une jurisdiction qui est exercée au nom du roi dans le conseil de guerre par les officiers qui le composent.

Cette jurisdiction connoît de tous les délits militaires qui sont commis par les gendarmes, cavaliers, dragons, soldats.

Pour entendre de quelle maniere s'exerce la justice militaire tant dans les places qu'à l'armée, il faut observer ce qui suit.

Tout gouverneur ou commandant d'une place peut faire arrêter & constituer prisonnier tout soldat prévenu de crime, de quelque corps & compagnie qu'il soit, en faisant avertir dans 24 heures de l'emprisonnement le capitaine ou officier commandant la compagnie dont est le soldat.

Il peut aussi faire arrêter les officiers qui seroient tombés en grieve faute, à la charge d'en donner aussitôt avis à S. M. pour recevoir ses ordres.

Les chefs & officiers des troupes peuvent aussi faire arrêter & emprisonner les soldats de leurs corps & compagnies qui auront commis quelque excès ou désordre ; mais ils ne peuvent les élargir sans la permission du gouverneur, ou qu'ils n'ayent été jugés au conseil de guerre, si le cas le requiert.

Le sergent-major de la place, & en sa place celui qui en fait les fonctions, doit faire faire le procès aux soldats ainsi arrêtés.

Les juges ordinaires des lieux où les troupes tiennent garnison, connoissent de tous crimes & délits qui peuvent être commis dans ces lieux par les gens de guerre, de quelque qualité & nation qu'ils soient, lorsque les habitans des lieux ou autres sujets du roi y ont intérêt, nonobstant tous priviléges à ce contraires, sans que les officiers des troupes en puissent connoître en aucune maniere. Les juges ordinaires sont seulement tenus d'appeller le prévôt des bandes ou du régiment, en cas qu'il y en ait, pour assister à l'instruction & au jugement de tout crime de soldat à habitant ; & s'il n'y a point de prévôt, ils doivent appeller le sergent-major, ou l'aide-major, ou l'officier commandant le corps de la troupe.

Les officiers des troupes du roi connoissent seulement des crimes ou délits qui sont commis de soldat à soldat : ils ne peuvent cependant, sous prétexte qu'ils auroient droit de connoître de ces crimes, retirer ou faire retirer leurs soldats des prisons où ils auroient été mis de l'autorité des juges ordinaires, mais seulement requérir ces juges de les leur remettre ; & en cas de refus, se pourvoir pardevers le roi.

Les chefs & officiers ne peuvent s'assembler pour tenir conseil de guerre ou autrement, sans la permission expresse du gouverneur ou commandant.

La forme que l'on doit observer pour tenir le conseil de guerre a été expliquée ci-devant au mot CONSEIL DE GUERRE.

La justice militaire peut condamner à mort ou à d'autres peines plus légeres, selon la nature du délit. Ses jugemens n'emportent point mort civile ni confiscation quand ils sont émanés du conseil de guerre : il n'en est pas de même quand ils sont émanés du prévôt de l'armée ou autres juges ayant caractere public pour juger selon les formes judiciaires.

Lorsque le condamné, après avoir subi quelque peine legere, a passé sous le drapeau, & est admis à rester dans le corps, le jugement rendu contre lui n'emporte point d'infamie.

La justice qui est exercée par le prévôt de l'armée sur les maraudeurs, & pour la police du camp, est aussi une justice militaire qui se rend sommairement.

On appelle aussi justice militaire, dans un sens figuré, une jurisdiction où la justice se rend sommairement & presque sans figure de procès, ou bien une exécution faite militairement & sans observer aucune formalité.

La plûpart des justices seigneuriales tirent leur origine de la justice ou commandement militaire. (A)

JUSTICE MOYENNE, ou plûtôt MOYENNE JUSTICE, media justitia, mixtum imperium, est la portion de justice seigneuriale, qui tient le milieu entre la haute & la basse justice. Voyez ci-après JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JUSTICE MUNICIPALE est celle qui appartient à une ville, & qui est exercée par les maire & échevins ou autres officiers qui font les mêmes fonctions. On appelle aussi justices municipales celles qui sont exercées par des personnes élues par les citoyens entr'eux, telles que les jurisdictions consulaires. Les élections étoient aussi autrefois des justices municipales. Voyez Loiseau, traité des seigneuries, chap. xvj. & ci-devant JUGE MUNICIPAL. (A)

JUSTICE ORDINAIRE est celle qu'exercent les juges ordinaires ; c'est-à-dire une jurisdiction qui est stable & permanente, & qui est naturellement compétente pour connoître de toutes sortes de matieres, à la différence des justices d'attribution & de privilége, & des commissions particulieres, qui sont des justices ou jurisdictions extraordinaires. Voyez ci-devant JURISDICTION EXTRAORDINAIRE & JURISDICTION ORDINAIRE. (A)

JUSTICE-PAIRIE est celle qui est attachée à une pairie, c'est-à-dire à un duché ou comté-pairie. On comprend aussi quelquefois sous ce titre d'autres justices attachées à des marquisats, comtés & baronies, qui ont été érigées à l'instar des pairies.

Toutes ces justices-pairies ou à l'instar des pairies, ne sont que des justices seigneuriales attachées à des terres plus ou moins titrées. L'appel de leurs sentences se releve directement au parlement. Voyez PAIRIES.

JUSTICE PAR PAIRS est celle qui est rendue par les pairs ou hommes de fief du seigneur auquel appartient la justice. Anciennement la justice étoit rendue par pairs ou par baillis : il y a encore en Picardie & en Artois plusieurs endroits où la justice est rendue par les hommes de fief ou par les hommes cottiers, selon la qualité de la justice. Voyez les établissemens de S. Louis, chap. lxxj. & les notes de M. de Lauriere, ibid.

Voyez aussi HOMMES COTTIERS, HOMMES DE FIEF & JUSTICE COTTIERE. (A)

JUSTICE EN PAREAGE, ou, comme on dit plus communément, JUSTICE EN PARIAGE ou de PARIAGE, est lorsqu'une même justice est tenue conjointement par le seigneur dominant & par son vassal, qui s'associent mutuellement dans cette justice & dans tout ce qui en dépend, de maniere qu'ils y ont chacun un droit égal.

On trouve de tels pariages faits entre des seigneurs particuliers. Il y a aussi des justices tenues en pariage avec le roi.

On peut citer pour exemple de ces justices tenues en pariage, celle du bourg d'Essoye, coûtume de Chaumont en Bassigny. Ce pariage fut fait en 1233 entre Thibault, comte de Champagne, au lieu duquel est présentement le roi, & l'abbaye de Molesme, ordre de Saint Benoît. La charte de Thibault porte que l'abbé & les religieux de Molesme l'associent lui & ses héritiers comtes de Champagne, à perpétuité dans toute la justice qu'ils ont à Essoye sur les hommes & les femmes ; ils lui cedent la moitié des amendes & confiscations des abonnemens & tailles ; que le prévôt commun leur prêtera serment. Ce pariage fut confirmé en 1329 par Philippe de Valois : il a encore présentement son effet ; le prévôt d'Essoye est prévôt royal ; les religieux le nomment conjointement avec le roi ; leurs provisions sont sous le contre-scel de celles du roi.

On trouve un autre exemple d'une justice établie en pariage directement avec le roi ; le titre est du mois de Février 1306, passé entre Philippe le Bel & Guillaume Durand, évêque de Mende. C'est le roi qui associe l'évêque dans toute la justice du Gevaudan & dans toutes les commises qui pourroient survenir. L'évêque associe ensuite le roi dans tous les droits de justice qu'il pouvoit avoir au même pays & dans les commises & confiscations ; chacun réserve les fiefs & domaines dont il jouissoit ; ils excluent toute prescription de l'un contre l'autre ; enfin ils érigent une cour commune. Ce pariage a été confirmé par Philippe de Valois en 1344, par le roi Jean en 1350, Charles V. en 1367, 1369 & 1372, Charles VII. en 1437, Louis XI. en 1464, Charles VIII. en 1484, Charles IX. en 1574, Henri IV. en 1595, lequel entr'autres releve l'évêque de Mende de la prescription qui auroit pû courir pendant les troubles des regnes de ses prédécesseurs & des siens : par Louis XIV. en 1643, & par Louis XV. à présent regnant, en 1720.

Il intervint Arrêt au parlement de Toulouse en 1601 sur la requête de M. le procureur général, lequel, en ordonnant l'exécution d'arrêts précédens de 1495 & 1597, ordonna l'exécution du pariage.

Il fut aussi rendu un arrêt au conseil du roi en 1641 sur la requête des agens généraux du clergé de France, qui ordonna que tous les contrats de pareage ou pariage passés entre les rois & les ecclésiastiques, seront exécutés & fidelement entretenus ; ce faisant, le roi releve lesdits ecclésiastiques de la prescription de 150 ans.

Voyez M. Guyot en ses observations sur le droit des patrons, p. 131 & suiv. & ci-après au mot PARIAGE. (A)

JUSTICE PATIBULAIRE, c'est le signe extérieur de la justice ; ce sont les piliers ou fourches patibulaires, le gibet où l'on expose les criminels qui ont été mis à mort.

Le haut-justicier a droit d'avoir une justice à deux piliers, le châtelain à trois, le baron à quatre, le comte à six.

Les dispositions des coutumes ne sont pourtant pas absolument uniformes à ce sujet, ainsi cela dépend de la coutume, & aussi des titres & de la possession. Voyez les coutumes de Tours, art. 58, 64, 72 & 74. Lodunois, chap. iv, art. 3, & chap. v, art. 6. Anjou, art. 43. Voyez aussi au mot ECHELLES PATIBULAIRES. (A)

JUSTICE PERSONNELLE, signifie celle qui s'étend aux causes personnelles, à la différence de la justice fonciere ; qui n'a pour objet que la perception des droits dus au seigneur.

On entend aussi quelquefois par justice personnelle celle qui a droit de suite sur les justiciables sans être restrainte aux personnes domiciliées dans un certain territoire ; l'exercice de chaque justice n'a pas toujours été limité à un certain territoire, il y a encore en France & singulierement en Bourgogne, en Bresse & dans le Bugey de ces justices personnelles qui s'étendent sur certains hommes & sur leurs descendans, le seigneur les suit par-tout ; tels sont les main-mortables dans les pays de main morte, lesquels en plusieurs lieux sont appellés gens de suite & fiefs de suite. Voyez Dunod, traité de la main-morte. Il y en a aussi dans la principauté souveraine de Dombes, & en Allemagne. (A)

JUSTICE POPULAIRE, on appelle ainsi celle qui est exercée par des personnes élues par le peuple, telles sont les justices appartenantes aux villes, les justices consulaires, telles étoient aussi anciennement les justices des élus. Voyez CONSULS, ECHEVINS, MAIRIE, JUGE MUNICIPAL. (A)

JUSTICE DE PRIVILEGE, est celle qui est établie pour connoître des causes de certaines personnes privilégiées, telles sont les jurisdictions des requêtes de l'hôtel du palais, celle du prevôt de l'hôtel, celles des juges conservateurs des priviléges des universités, &c. (A)

JUSTICE REGLEE, c'est un tribunal qui a droit de contraindre. On emploie quelquefois pour obtenir ce que l'on demande, la médiation ou l'autorité de personnes qualifiées qui peuvent imposer ; on leur porte ses plaintes & on leur donne des mémoires ; mais ce sont-là des voies de conciliation ou d'autorité, au lieu que de se pourvoir en justice réglée, c'est prendre les voies judiciaires, c'est-à-dire procéder par assignation, si c'est au civil, & par plainte, si c'est au criminel.

Le terme de justice réglée, signifie aussi quelquefois les tribunaux ordinaires où les affaires s'instruisent avec toutes les formes de la procédure, à la différence des arbitrages & de certaines commissions du conseil où les affaires s'instruisent par de simples mémoires sans autre procédure. (A)

JUSTICE DE RESSORT, signifie le droit de ressort, c'est-à-dire le droit qui appartient à un juge supérieur, de connoître par voie d'appel, du bien ou mal jugé des sentences rendues par les juges inférieurs de son ressort ou territoire. Saint Louis fut le premier qui établit la justice de ressort ; les sujets opprimés par les sentences arbitraires des juges des baronies commencerent à pouvoir porter leurs plaintes aux quatre grands bailliages royaux qui furent établis pour les écouter. Voyez les établissemens de Saint Louis, liv. I. chap. lxxx. & liv. II. chap. xv.

Justice du ressort, est celle qui est enclavée dans le ressort d'une autre justice supérieure, & qui y ressortit par appel. (A)

JUSTICE ROYALE, est celle qui appartient au roi & qui est exercée en son nom.

Il y a aussi des justices dans les apanages & dans les terres engagées qui ne laissent pas d'être toujours justices royales & de s'exercer au nom du roi, quoiqu'elles s'exercent aussi au nom de l'apanagiste ou de l'engagiste. Voyez ci-devant JURISDICTION ROYALE. (A)

JUSTICE A SANG, c'est la connoissance des rixes qui vont jusqu'à effusion de sang, & des délits dont la peine peut aussi aller jusqu'à effusion de sang.

Ce droit n'appartient communément qu'à la haute justice qui comprend en entier la justice criminelle qui peut infliger des peines jusqu'à effusion de sang.

Il y a néanmoins quelques coutumes telles que celles d'Anjou, du Maine & de Tours, où la moyenne justice est appellée justice à sang ; ces termes y sont synonymes de moyenne justice, parce qu'elles attribuent au moyen-justicier la connoissance du sang, aussi donnent-elles à ce juge le droit d'avoir des fourches patibulaires. Voyez ci-après JUSTICE DU SANG & DU LARRON. (A)

JUSTICE DU SANG & DU LARRON, est le pouvoir de connoître du sang & du larron ; il y a plusieurs anciennes concussions de justice faites avec cette clause cum sanguine & latrone ; d'autres au contraire qui ne sont faites qu'excepto sanguine & latrone.

Les coutumes de Picardie & de Flandre attribuent au moyen-justicier la connoissance du sang & du larron.

On entend par justice de sang la connoissance des battures ou batteries & rixes qui vont jusqu'à effusion de sang, & se font de poing garni de quelque arme offensive, pourvû que ce soit de chaude colere, comme l'interprete la coutume de Senlis, art. 110, c'est-à-dire dans le premier mouvement & non pas de guet-à-pens.

La justice du larron, est la connoissance du simple larcin non qualifié & capital.

Ces deux sortes de délits le sang & le larron ont été désignés comme étant plus fréquens que les autres.

Loyseau en son traité des seigneuries, chap. 10, n. 26, dit que suivant le droit commun de la France, le moyen justicier n'a pas la connoissance du sang & du larron ; & en effet Quenois en sa conférence des coutumes rapporte un arrêt du 14 Novembre 1551, qui jugea que depuis qu'en batterie il y a effusion de sang, c'est un cas de haute justice. (A)

JUSTICE SECULIERE, est un tribunal où la justice est rendue par des juges laïcs, ou du moins dont le plus grand nombre est composé de laïcs ; le tribunal est toujours réputé séculier, quand même il y auroit quelques ecclésiastiques & même quelques places affectées singulierement à des ecclésiastiques. Voyez ci-devant JURISDICTION & JUSTICE ECCLESIASTIQUE. (A)

JUSTICE DE SEIGNEUR, est la même chose que justice seigneuriale ou subalterne. Voyez ci-après JUSTICE SEIGNEURIALE. (A)

JUSTICE SEIGNEURIALE, est celle qui étant unie à un fief appartient à celui qui en est le Seigneur, & est exercée en son nom par ceux qu'il a commis à cet effet.

Les justices seigneuriales sont aussi appellées justice subalternes, parce qu'elles sont inférieures aux justices royales.

On leur donne le surnom de seigneuriales ou subalternes pour les distinguer des justices royales, municipales & ecclésiastiques.

Quelques-uns prétendent faire remonter l'origine des justices seigneuriales jusqu'aux Germains, suivant ce que dit Jules César, lib. VI. de bello gallico ; principes regionum atque pagorum jus inter suos dicunt controversiasque minuunt ; mais par ce terme principes pagorum, il ne faut pas entendre des seigneurs de villages & bourgs, c'étoient des officiers élus par le peuple de ces lieux, pour lui commander en paix & en guerre, de sorte que ces justices étoient plutôt municipales que seigneuriales.

D'autres entre lesquels même on compte Me. Charles Dumolin, prétendent du moins qu'il y avoit des justices seigneuriales chez les Romains dès le tems de Justinien. Ils se fondent sur un texte de la novelle 80. cap. ij. qui porte que si agricolae constituti sub dominis litigent, debent possessores citius eas decernere pro quibus venerunt causas, & postquam jus eis reddiderint, mox eos domum remittere ; & au chapitre suivant, il dit que agricolarum domini eorum judices à se sunt statuti ; mais cette espece de justice attribuée par Justinien, n'étoit autre chose qu'une justice oeconomique & domestique des maîtres sur leurs colons qui étoient alors demi-serfs, comme il paroît par le tit. de agricolis au code ; aussi cette même novelle ajoute-t-elle que quand les colons avoient des procès contre leur seigneur, c'est-à-dire contre leur maître, ce n'étoit plus lui qui en étoit le juge, il falloit avoir recours au juge ordinaire, en quoi cette justice domestique ne ressembloit point à nos justices seigneuriales dont le principal attribut est de connoître des causes d'entre le seigneur & ses sujets, ce sont même dans certaines coutumes les seules causes dont le juge du seigneur peut connoître.

D'autres moins hardis se contentent de rapporter l'origine des justices seigneuriales à l'établissement des fiefs, lequel comme on sait ne remonte gueres qu'au commencement de la premiere race des rois ou au plutôt vers la fin de la seconde. Les comtes & autres officiers inférieurs dont les bénéfices n'étoient qu'à vie, s'emparerent alors de la justice en propriété de même que des terres de leur gouvernement.

Il y a même lieu de croire que l'institution des justices seigneuriales, du moins pour les simples justices qui n'ont aucun titre de dignité, est plus ancienne que les fiefs tels qu'ils se formerent dans le tems dont on vient de parler, & que ces justices sont presque aussi anciennes que l'établissement de la monarchie, qu'elles tirent leur origine du commandement militaire que les possesseurs des bénéfices avoient sur leurs hommes qu'ils menoient à la guerre ; ce commandement entraîna depuis la jurisdiction civile sur ceux qui étoient soumis à leur conduite. Le roi commandoit directement aux comtes, marquis & ducs, aux évêques, abbés & abbesses que l'on comprenoit sous les noms de druds, leudes ou fidéles ; il exerçoit sur eux tous actes de jurisdiction ; ceux-ci de leur part faisoient la même chose envers leurs vassaux, appellés vassi dominici, vassi comitum, episcoporum, abbatum, abbatissarum ; ces vassaux étoient comme les pairs & les assesseurs des comtes & autres grands qui rendoient avec eux la justice, ils tenoient eux-mêmes du roi des bénéfices pour lesquels ils faisoient hommage au comte ou autre qui étoit leur supérieur & dans l'étendue de leur bénéfice, & avoient droit de jurisdiction, mais leur pouvoir étoit moins grand que celui des comtes.

Ces vassaux avoient sous eux d'autres vassaux d'un ordre inférieur, delà vint sans-doute la distinction des justices royales & des justices seigneuriales, & des différens degrés de jurisdiction.

Les leudes, comtes & ducs avoient tous au nom du roi l'exercice entier de la justice, appellée chez les Romains merum imperium, & parmi nous haute justice ; mais il n'en fut pas de même des justices exercées par leurs vassaux & arriere-vassaux : on distingua dans ces justices trois degrés de pouvoir plus ou moins étendus, savoir la haute, la moyenne & la basse justice, & les seigneurs inférieurs aux leudes, comtes & ducs, n'acquirent pas tous le même degré de jurisdiction ; les uns eurent la haute justice, d'autres la haute & la moyenne, d'autres la moyenne seulement, d'autres enfin n'eurent que la basse justice ; cette différence entre les vassaux ou seigneurs exerçans la justice, provenoit du degré plus ou moins éminent qu'ils avoient dans le commandement militaire.

Quoi qu'il en soit, l'idée de ces trois sortes de justices seigneuriales fut empruntée des Romains, chez lesquels il y avoit pareillement trois degrés de jurisdiction, savoir le merum imperium ou jus gladii qui revient à la haute justice ; le mixtum imperium que l'on interprête par moyenne justice, & le droit de justice appellé simplex jurisdictio qui revient à peu près à la basse justice.

Il ne faut cependant pas mesurer le pouvoir de ces trois sortes de justices seigneuriales sur les trois degrés de jurisdiction que l'on distinguoit chez les Romains ; car le magistrat qui avoit le merum imperium, connoissoit de toutes sortes d'affaires civiles & criminelles, & même sans appel ; au lieu que parmi nous le pouvoir du haut-justicier est limité à certaines affaires.

Le juge du seigneur haut-justicier connoît en matiere civile de toutes causes, de celles personnelles & mixtes entre ses sujets, ou lorsque le défendeur est son sujet.

Il a droit de créer & donner des tuteurs & curateurs, gardiens, d'émanciper, d'apposer les scellés, de faire inventaire, de faire les decrets des biens situés dans son détroit.

Il connoît des causes d'entre le seigneur & ses sujets, pour ce qui concerne les domaines, droits, & revenus ordinaires & casuels de la seigneurie, même les baux de ces biens & droits. Mais il ne peut connoître des autres causes où le seigneur a intérêt, comme pour billets & obligations, ou réparation d'injures.

Il y a encore d'autres causes dont le juge haut justicier ne peut connoître, & qui sont reservées au juge royal ; telles sont celles qui concernent le domaine du roi, ou dans lesquelles le roi a intérêt, celles qui regardent les officiers royaux, & de ceux qui ont droit de committimus, lorsqu'ils veulent s'en servir, celles des églises cathédrales, & autres privilégiées & de fondation royale.

Il ne peut pareillement connoître des dixmes, à-moins qu'elles ne soient inféodées & tenues en fief du seigneur haut-justicier ; le juge royal a même la prévention.

Il ne peut encore connoître des fiefs, soit entre nobles ou entre roturiers, ni des complaintes en matiere bénéficiale.

Anciennement il ne pouvoit pas connoître des causes des nobles, mais la derniere jurisprudence paroît les autoriser.

Suivant l'ordonnance de 1667, titre 17. les jugemens définitifs donnés dans les matieres sommaires, dans les justices des duchés, pairies & autres, ressortissent sans moyen au parlement, nonobstant opposition ou appellation, & sans y préjudicier, quand les condamnations ne sont que de quarante livres, & pour les autres justices qui ne ressortissent pas nuement au parlement, quand la condamnation n'est que de 25 livres.

En matiere criminelle, le juge du seigneur haut justicier connoît de toutes sortes de délits commis dans sa justice, pourvû que ce soit par des gens domiciliés, & non par des vagabonds, & à l'exception des cas royaux, tels que le crime de leze-majesté, fausse monnoie, assemblées illicites, vols, & assassinats sur les grands chemins, & autres crimes exceptés par l'ordonnance de 1670.

Il peut condamner à toutes sortes de peines afflictives, même à mort ; & en conséquence, il doit avoir des prisons sûres & un geolier, & il a droit d'avoir des fourches patibulaires, piloris, échelles & poteaux à mettre carcan ; mais les sentences qui condamnent à peine afflictive, ne peuvent être mises à exécution, soit que l'accusé s'en plaigne ou non, qu'elles n'ayent été confirmées par le parlement.

L'appel des sentences du haut justicier en matiere civile, doit être porté devant le juge de seigneur superieur, s'il en a un, sinon au bailliage royal ; les appels comme de juge incompétent & deni de renvoi, & ceux des jugemens en matiere criminelle, sont portés au parlement omisso medio.

Le juge haut-justicier exerce aussi la police & la voirie.

Le seigneur haut-justicier jouit à cause de sa justice de plusieurs droits, savoir de la confiscation des meubles & immeubles qui sont en sa justice, excepté pour les crimes de leze-majesté & de fausse-monnoie ; il a pareillement les deshérences & biens vacans, les épaves ; il a la moitié des trésors cachés d'ancienneté, lorsque celui qui les découvre est propriétaire du fonds où ils sont trouvés, & le tiers lorsque le trésor est trouvé dans le fonds d'autrui.

La moyenne justice connoît comme la haute de toutes les causes réelles, personnelles & mixtes, & des droits & devoirs dûs au seigneur, avec pouvoir de condamner les sujets en l'amende portée par la coutume ; mais on ne peut pas y faire d'adjudication par decret.

Elle a la police des chemins & voiries publiques, & l'inspection des poids & mesures ; elle peut faire mesurage & bornage, faire élire des messiers, condamner en l'amende dûe pour le cens non payé.

A l'égard des matieres criminelles, les coutumes ne sont pas uniformes par rapport au pouvoir qu'elles donnent au moyen-justicier.

Plusieurs coutumes lui donnent seulement le pouvoir de connoître des délits légers dont l'amende n'excede pas 60 sols parisis ; il peut néanmoins faire prendre tous délinquans qui se trouvent dans son territoire, les emprisonner, informer, tenir le prisonnier l'espace de 24 heures ; après quoi si le crime mérite plus grieve punition que 60 sols parisis d'amende, il doit faire conduire le prisonnier dans les prisons du haut justicier, & y faire porter le procès pour y être pourvû.

D'autres coutumes, telles que celles de Picardie & de Flandres, attribuent au moyen justicier la connoissance des batteries qui vont jusqu'à effusion de sang, pourvû que ce ne soit pas de guet-à-pens, & la punition du larcin non capital.

D'autres encore attribuent au moyen-justicier la connoissance de tous les délits qui n'emportent pas peine de mort, ni mutilation de membres.

Enfin, celles d'Anjou, Touraine & Maine, lui attribuent la connoissance du larcin, même capital, & de l'homicide, pourvû que ce ne soit pas de guet-à-pens.

Ces différences proviennent ou des concessions plus ou moins étendues, faites soit par le roi, ou par les seigneurs dont les petites justices relevoient immédiatement, ou de ce que les seigneurs inférieurs ont été plus ou moins entreprenans, & de la possession qu'ils ont acquise.

La basse justice qu'on appelle aussi en quelques endroits justice fonciere, ou censuelle, connoît des droits dûs aux seigneurs, tels que cens & rentes, & de l'amende, du cens non payé, exhibition de contrats, lods & ventes.

Elle connoît aussi de toutes matieres personnelles entre les sujets du seigneur jusqu'à 50 sols parisis.

Elle exerce la police dans son territoire, & connoît des dégats commis par des animaux, des injures légeres, & autres délits, dont l'amende ne pourroit être que dix sols parisis & au-dessous.

Lorsque le délit requiert une amende plus forte, le bas-justicier doit en avertir le haut-justicier ; auquel cas le premier prend sur l'amende qui est adjugée par le haut-justicier la somme de six s. parisis.

Le juge bas-justicier peut faire arrêter tous les délinquans ; & pour cet effet, il doit avoir sergent & prison, à la charge aussi-tôt après la capture, de faire mener le prisonnier au haut-justicier avec l'information, sans pouvoir decréter.

Le bas justicier peut faire mesurage & bornage entre ses sujets de leur consentement.

En quelques pays il y a deux sortes de basse justice ; l'une fonciere ou censuelle, qui est attachée de droit à tout fief, & qui ne connoît que des droits du seigneur ; l'autre personnelle, qui connoît de toutes les matieres dont la connoissance appartient communément aux bas-justiciers.

L'origine de la plûpart des justices seigneuriales est si ancienne, que la plûpart des seigneurs n'ont point le titre primitif de concession, soit que leur justice soit dérivée du commandement militaire qu'avoient leurs prédécesseurs, soit que ceux-ci l'ayent usurpée dans des tems de trouble & de révolution.

Quoi qu'il en soit des justices qui sont établies, elles sont toutes censées émanées du roi, & lui seul peut en concéder de nouvelles, ou les réunir ou démembrer ; lui seul pareillement peut y créer de nouveaux offices.

Les justices seigneuriales sont devenues patrimoniales en même tems que les bénéfices ont été transformés en fiefs, & rendus héréditaires.

Une même justice peut s'étendre sur plusieurs fiefs qui n'appartiennent pas à celui qui a la justice, mais il n'y a point de justice seigneuriale qui ne soit attachée à un fief, & elle ne peut être vendue ni aliénée sans ce fief.

Anciennement les seigneurs rendoient eux-mêmes la justice ; cela étoit encore commun vers le milieu du xij. siecle. Les abbés la rendoient aussi en personne avec leurs religieux ; c'est pourquoi ils ne connoissoient pas des grands crimes, tels que le duel, l'adultere, l'incendie, trahison, & homicide ; mais depuis on a obligé tous les seigneurs de commettre des juges pour rendre la justice en leur nom.

Il n'est pas nécessaire que les juges de seigneurs soient gradués, il suffit qu'ils ayent d'ailleurs les autres qualités nécessaires.

Ces juges sont commis par le seigneur, & prêtent serment entre ses mains ; ils sont révocables ad nutum, mais ils ne peuvent être destitués comme elogio, sans cause légitime ; & s'ils ont été pourvûs à titre onéreux, ou pour récompense de services réels, ils doivent être indemnisés.

Dans les simples justices non qualifiées il n'y a ordinairement qu'un seul juge ; il ne peut pas avoir de lieutenant, que le seigneur ne soit autorisé par lettres-patentes à en commettre un.

En l'absence du juge c'est le plus ancien praticien qui tient le siége.

Dans les affaires criminelles les juges de seigneurs sont obligés d'appeller deux gradués pour juger conjointement avec eux ; s'il y a deux juges officiers du siége, il suffit d'appeller un gradué.

Le seigneur plaide dans la justice par le ministere de son procureur-fiscal ou procureur d'office, lequel fait aussi toutes les fonctions du ministere public dans les autres affaires civiles & criminelles ; mais sur l'appel des sentences où le seigneur est intéressé, c'est le seigneur lui-même qui plaide en son nom.

Les juges de seigneurs ont un sceau pour sceller leurs sentences ; ils ont aussi des sergens pour les mettre à exécution, & pour faire les autres exploits de justice.

Les seigneurs même hauts justiciers, n'ont pas tous droits de notariat & tabellionage, cela dépend des titres ou de la possession ou de la coutume.

Les justices des duchés & comtés-pairies, & autres grandes terres titrées, ne sont que des justices seigneuriales, de même que les simples justices. Les pairies ont seulement la prérogative de ressortir nuement au parlement ; les juges de ces justices pairies prennent le titre de lieutenant-général, & en quelques endroits ils ont un lieutenant particulier.

Dans les châtellenies les juges sont nommés châtelains, dans les simples justices, prevôts ou baillifs ; dans les basses justices, ils ne doivent avoir que le titre de maire, mais tout cela dépend beaucoup de l'usage. Voyez Loiseau, des seigneuries, chap. iv. & suiv. Bacquet, des droits de justice, & PAIRIE, SEIGNEUR. (A)

JUSTICE SOMMAIRE, est celle qui ne s'étend qu'à des affaires légeres, & dont l'instruction se fait brièvement & en forme sommaire. Elle revient à celle des juges pedanées du droit, dont la justice étoit sommaire, c'est-à-dire s'exerçoit seulement per annotationem, suivant ce que dit la novelle 82, chap. v. pour plus de briéveté & de célérité, à la différence de la justice ordinaire qui se rendoit plus solemnellement, & per plenam cognitionem ; la jurisdiction des défenseurs des cités étoit aussi une justice sommaire.

En France la justice des bas-justiciers est sommaire dans son objet & dans sa forme.

L'article 153. de l'ordonnance de Blois, veut que tous juges soient tenus d'expédier sommairement & sur le champ les causes personnelles non excédentes la valeur de trois écus un tiers, sans appointer les parties à écrire ni à informer.

Les jurisdictions des maîtrises particulieres, connétablies, élections, greniers à sel, traites foraines, conservations des priviléges des foires, les consuls, les justices & maisons-de-ville, & autres jurisdictions inférieures, sont toutes justices sommaires : 24 heures après l'échéance de l'assignation, les parties peuvent être ouies en l'audience, & jugées sur le champ, sans qu'elles soient obligées de se servir du ministere des procureurs. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. 14. article 14. & 15.

Dans tous les tribunaux les matieres sommaires, c'est-à-dire légeres, se jugent aussi plus sommairement que les autres. Voyez MATIERES SOMMAIRES. Voyez aussi l'édit portant établissement des consuls, de l'an 1563, & l'édit de 1577, pour les bourgeois policiers, & autres édits concernans les villes. (A)

JUSTICE SOUVERAINE, est celle qui est rendue par le souverain même, ou en son nom, par ceux qui sont à cet effet dépositaires de son autorité souveraine, tels que les parlemens, conseils supérieurs, & autres cours souveraines. Voyez COURS, JUGES EN DERNIER RESSORT, PARLEMENT. (A)

JUSTICE SUBALTERNE, se prend quelquefois en général pour toute justice qui est subordonnée à une autre ; mais dans le sens le plus ordinaire, on entend par-là une justice seigneuriale. (A)

JUSTICE SUPERIEURE, signifie en général toute justice préposée sur une autre justice qui lui est subordonnée, à l'effet de réformer ses jugemens lorsqu'il y a lieu. Ainsi les bailliages & sénéchaussées sont des justices supérieures par rapport aux prévôtés ; mais par le terme de justices supérieures, on entend ordinairement les jurisdictions souveraines, tels que les cours & conseils supérieurs. (A)

JUSTICE TEMPORELLE, ou DU TEMPOREL, est une justice seigneuriale appartenant à quelque prélat ou autre ecclésiastique, chapitre, ou communauté, & attachée à quelque fief dépendant de leurs bénéfices.

Ces sortes de justices temporelles sont exercées par des officiers séculiers, & ne connoissent point des matieres ecclésiastiques, mais seulement des affaires de la même nature que celles dont connoissent les justices seigneuriales appartenantes à des seigneurs laïcs.

On ne suit pas en France le chapitre quod clericis extra de foro competenti, qui veut que dans ces jurisdictions temporelles on juge les causes suivant le droit canon, à l'exclusion des coutumes des lieux ; on y suit au contraire les ordonnances de nos rois & les coutumes des lieux.

L'appel des sentences de ces sortes de jurisdictions se releve pardevant les juges royaux, de même qu'il s'observe pour les autres justices seigneuriales, à quoi est conforme le chap. si duobus §. ult. extra de appellationibus ; quoique le contraire soit pratiqué dans la plûpart des autres états chrétiens, suivant le chap. Romana §. debet autem de appellat. in sexto, qui n'est point observé en France, comme il est noté en la glose de ce chapitre, & que l'auteur du speculum l'a remarqué, tit. de appellat. §. nunc tractemus, nonobstant que ce dernier texte ait été fait pour la France, étant adressé à l'archevêque de Rheims. Voyez Loyseau, tr. des seigneuries, chap. xv. n. 33. & suiv. (A)

JUSTICE VICOMTIERE, dans quelques coutumes, comme en Artois & en Picardie, est la moyenne justice qui appartient de droit à tout seigneur dès qu'il a un homme de fief, c'est-à-dire qu'il a un fief dans sa mouvance.

Elle a été ainsi appellée, parce que les vicomtes dans leur premiere institution n'avoient que la moyenne justice.

Il appartient à la justice vicomtiere de connoître de toutes actions pures, personnelles, civiles ; le vicomtier peut aussi donner poids & mesures, tuteurs & curateurs : faire inventaire ; il a la police & la voirie. Voyez l'annotateur de la coutume d'Artois, sur l'article 5. & art. 16. les anciennes coutumes de Beauquesne, art. 1. 2. 3. & 4. Montreuil, art. 18. 19. 21. 29. 40. 41. Amiens, 114. S. Riquier, art. 5. Saint Omer, art. 10.

En Normandie, les vicomtes sont les juges des roturiers. Voyez VICOMTES. (A)

JUSTICE DE VILLE, est la même chose que justice municipale. Voyez ci-devant JUGE MUNICIPAL & JUSTICE MUNICIPALE. (A)

JUSTICE VOLONTAIRE, voyez ci-devant JURISDICTION VOLONTAIRE.

JUSTICE (chambre de) Finances. Vous trouverez au mot CHAMBRE de justice, les dates des diverses érections de ces sortes de tribunaux établis en France depuis 1581 jusqu'en 1717, pour la recherche des traitans qui ont malversé dans leurs emplois. C'est assez de remarquer ici, d'après un citoyen éclairé sur cette matiere, l'auteur des considérat. sur les finances, 1758, 2 vol. in -4°. que les chambres de justice n'ont jamais procuré de grands avantages à l'état, & qu'on les a toûjours vû se terminer par de très-petits profits pour le roi.

Lorsqu'en 1665, on mit fin aux poursuites de la chambre de justice, en accordant une abolition aux coupables, il ne leur en coûta que le payement de quelques taxes. Néanmoins on découvrit pour 384 millions 782 mille 512 livres de fausses ordonnances du comptant ; mais la faveur, les requêtes, les importunités étayées par de l'argent, effacerent le délit, & l'effaceront toûjours.

D'ailleurs l'établissement des chambres de justice peut devenir dangereux lorsqu'il n'est pas utile, & les circonstances en ont presque toûjours énervé l'utilité : le luxe que produit cette énorme inégalité des fortunes rapides, la cupidité que ce luxe vicieux allume dans les coeurs, présentent à la fois des motifs pour créer des chambres de justice, & des causes qui en font perdre tout le fruit. Les partisans abusent du malheur public, au point qu'ils se trouvent à la fin créanciers de l'état pour des sommes immenses, sur des titres tantôt surpris, tantôt chimériques, ou en vertu de traités dont la lésion est manifeste : mais la corruption des hommes est telle, que jamais ces sortes de gens n'ont plus d'amis & de protecteurs que dans les tems de nécessité, & pour lors il n'est pas possible aux ministres de fermer l'oreille à toutes les especes de sollicitations.

Cependant il importeroit beaucoup d'abolir une fois efficacement les profits excessifs de ceux qui manient les finances ; parce qu'outre que de si grands profits, dit l'édit du roi de 1716, sont les dépouilles des provinces, la substance des peuples, & le patrimoine de l'état, il est certain qu'ils sont la source d'un exemple ruineux pour la noblesse, & pour toutes les autres conditions.

En effet, tout luxe dans ce royaume procédant de cette cause, loin d'exciter l'émulation & l'industrie entre les citoyens, ne fait que les arracher aux autres professions qu'ils pourroient embrasser, & les corrompre perpétuellement. Il leur inspire une avidité d'autant plus funeste, qu'en devenant générale, elle se dérobe pour ainsi dire, à la honte. Les meilleures maisons ruinées par les efforts insensés qu'elles font, pour atteindre le faste des financiers, n'ont plus de ressources que dans des alliances honteuses avec eux, & très-dangereuses par le puissant crédit qu'elles portent dans ces sortes de familles. (D.J.)


JUSTICIABLEadject. (Jurisprud.) est celui qui est soumis à la jurisdiction d'un juge. Chacun en général est justiciable du juge de son domicile ; c'est pourquoi dans les anciennes reconnoissances concernant le droit de justice du seigneur, on voit que le reconnoissant confitetur se esse hominem levantem, & cubantem, & justiciabilem, &c. ce qui dénote que ce n'est pas le lieu où l'on passe la journée, mais le lieu où l'on couche qui rend justiciable du juge de ce lieu ; cependant en matiere de police chacun est justiciable du juge du lieu où il a commis quelque contravention aux réglemens de police, quand même il n'y auroit qu'une demeure de fait, & non un vrai domicile, & même quand il n'y seroit pas levant & couchant : en matiere criminelle, on est justiciable du juge du lieu où le délit a été commis. On peut aussi en matiere civile devenir justiciable d'un juge autre que celui du domicile, comme quand il s'agit d'une matiere attribuée à un certain juge ; ainsi pour raison d'une lettre de change, on devient justiciable des consuls ; en matiere des eaux & forêts, on est justiciable des juges des eaux & forêts, &c. On devient aussi justiciable d'un juge de privilege, lorsqu'on est assigné devant lui par un privilégié, c'est-à-dire qui a ses causes commises devant lui ; enfin on peut devenir justiciable d'un juge autre que son juge naturel, lorsqu'une affaire est évoquée pour cause de connexité ou litispendance. (A)


JUSTICIEMENTS. m. (Jurisprud.) terme usité en Normandie pour exprimer une exécution de justice. (A)


JUSTICIERS. m. (Jurisprud.) est celui qui a droit de justice.

Haut- justicier, est le seigneur qui a le droit de haute justice, ou le juge qui l'exerce pour lui.

Moyen justicier, est celui qui a droit de moyenne justice.

Bas justicier ; est celui qui a droit de basse justice seulement. Voyez ci-devant JUSTICE & SEIGNEUR, HAUT, MOYEN & BAS JUSTICIER. (A)

JUSTICIER, v. act. (Jurisprud.) en matiere criminelle signifie exécuter contre quelqu'un un jugement qui prononce une peine corporelle. (A)

JUSTICIER D'ARAGON, (Hist. d'Espagne) c'étoit le Chef, le président des états d'Aragon, depuis que ce royaume fut séparé de la Navarre en 1035, jusqu'en 1478 que Ferdinand V. roi de Castille, réunit toute l'Espagne en sa personne. Pendant cet intervalle de tems, les Arragonois avoient resserré l'autorité de leurs rois dans des limites étroites. Ces peuples se souviennent encore, dit M. de Voltaire, de l'inauguration de leurs souverains. Nos que valemo tanto como vos, os hazemos nuestro rey, y senor, con tal que guardeis nuestros fueros, se no, no. " Nous qui sommes autant que vous, nous vous faisons notre roi, à condition que vous garderez nos lois ; si non, non ". Le justicier d'Aragon prétendoit que ce n'étoit pas une vaine cérémonie, & qu'il avoit le droit d'accuser le roi devant les états, & de présider au jugement. Il est vrai néanmoins que l'Histoire ne rapporte aucun exemple qu'on ait usé de ce privilege. (D.J.) "


JUSTIFICATIFadj. (Jurisprud.) est ce qui sert à la justification d'un accusé. Ce terme est principalement usité en parlant des faits justificatifs, à la preuve desquels un accusé peut être admis après la visite du procès. Voyez FAITS JUSTIFICATIFS. (A)


JUSTIFICATIONS. f. (Théolog.) il se dit en termes de Théologie de cette grace qui rend l'homme digne de la gloire éternelle. Voyez IMPUTATION. Les Catholiques & les Reformés sont extrêmement partagés sur la doctrine de la justification ; les derniers la fondant sur la foi seule, & les premiers sur les bonnes oeuvres jointes à la foi.

JUSTIFICATION, s. f. (Jurisprud.) en matiere civile, signifie preuve pour la justification d'un fait, on produit des pieces, on fait entendre des témoins.

En matiere criminelle on entend par justification, ce qui tend à la décharge de l'accusé. Voyez ABSOLUTION & FAITS JUSTIFICATIFS. (A)

JUSTIFICATION, Fondeur de caracteres d'Imprimerie ; c'est un petit instrument de cuivre ou de fer, de deux pouces environ de long, servant aux fondeurs de caracteres d'Imprimerie, pour s'assûrer si les lettres sont bien en ligne & de hauteur entr'elles. Pour cet effet on met dans cette justification deux m qui servent de modele ; & entre ces deux m on met la lettre que l'on veut vérifier, puis avec un autre instrument qu'on appelle jetton, on voit si les traits de la lettre du milieu n'excedent point ceux des m, & si elle est d'égale hauteur. Voyez nos Planch. de Fond. en caract.

On entend par justification vingt ou trente lettres qui sont destinées à servir de modeles pour apprêter une fonte ; on couche sur un composteur ces lettres sur l'aplat, qu'on appelle frotterie, puis on couche autant de lettres de la fonte que l'on travaille ; il faut que ces dernieres se trouvent justes au bout des autres, par ce moyen on est assûré que les nouvelles ont le corps égal à celles qui servent de modele. Voyez CORPS.

JUSTIFICATION, en terme d'Imprimerie, s'entend de la longueur des lignes déterminée & soutenue dans une même & juste égalité, par le secours du composteur & des espaces de différentes épaisseurs. Voyez COMPOSTEUR, ESPACES & JUSTIFIER.


JUSTIFIERv. act. (Gram.) il a plusieurs sens, Il signifie quelquefois prouver une vérité, comme dans cet exemple ; elle a bien justifié la maxime, qu'il est plus commun de n'avoir point eu d'amans que de n'en avoir eu qu'un. Absoudre, comme dans celui-ci ; le tems & sa conduite le justifieront de cette accusation, & la calomnie retombera sur celui qui l'a faite. Mettre dans l'état de justice, c'est par la mort de J. C. que nous sommes justifiés.

JUSTIFIER, v. act. (Fondeurs de caracteres d'Imprimerie) se dit des matrices pour fondre les caracteres d'Imprimerie, après qu'elles ont été frappées, c'est de les limer proprement, non-seulement pour ôter les foulures qu'a fait le poinçon, en s'enfonçant dans le cuivre : mais encore pour polir & dresser le cuivre de la matrice, de façon qu'en la posant dans le moule, elle y forme la lettre de ligne, d'approche, & de hauteur en papier. Voyez APPROCHE, HAUTEUR.

JUSTIFIER, terme d'Imprimerie, c'est tenir les pages également hautes, & les lignes également longues entr'elles. Pour justifier les pages, il ne faut pas qu'il y ait plus de lignes à l'une qu'à l'autre. Les lignes se justifient dans un composteur monté pour donner la longueur précise que l'on desire, pour qu'elles soient extrèmement justes, il ne faut pas que l'une excede l'autre, & la propreté de la composition exige que tous les mots soient espacés également. Voyez COMPOSTEUR, ESPACE & JUSTIFICATION.


JUSTIFIEURS. m. (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) c'est la principale partie du coupoir, avec lequel on coupe & approprie les caracteres d'Imprimerie. Ce justifieur est composé de deux pieces principales, de vingt-deux pouces de long. Il y a à une de ces pieces à chaque bout un tenon de fer, qui entre dans une ouverture faite à l'autre piece pour le recevoir, & joindre ces deux pieces ensemble, entre lesquelles on met deux à trois cent lettres plus ou moins suivant leur grosseur, arrangées les unes auprès des autres ; après quoi on met le tout dans ce coupoir, où étant serrées fortement avec des vis, on fait agir un rabot de figure relative à cet instrument, avec lequel on coupe les superfluités du corps des lettres. Voyez COUPOIR, RABOT, & nos Pl. de Fond. en caract.


JUSTINES. f. (Commerce) monnoie de l'empire, qui vaut environ trente-six sols de France. Elle passe à Constantinople, & aux échelles du Levant pour les deux tiers d'un asselani ; le titre en est moindre d'un quart que celui des piastres sévillanes ; ce qui n'empêche pas le peuple de les recevoir dans le commerce.


JUSTITIUMS. m. (Hist. anc.) tems de vacation ou de cessation de justice. On l'ordonnoit dans un tems de deuil, & d'autres circonstances importantes.


JUTES(Géog.) habitans de Jutland, qui n'ont été nommés Jutae en latin, que par les auteurs du moyen âge. Il partit de Jutland plusieurs colonies qui passerent en Angleterre ; & s'établirent au pays de Kent & de l'ile de Wight. La chronique saxonne marque positivement que des Jutes qui furent appellés dans la grande Bretagne par Vertigerne, roi des Bretons, sont sortis les Cantuariens & les Vectuariens, c'est-à-dire les peuples de Cantorbéri & de l'ile de Wight. (D.J.)


JUTHI(Géogr.) ou JUDIA selon Kempfer, célebre ville d'Asie, capitale du royaume de Siam. Juthia n'est pas le nom siamois, mais chinois. Les étrangers l'appellent Siam, du nom du royaume, auquel même ils l'ont donné ; car ce n'est pas plus le nom du royaume que celui de la ville. Cependant puisqu'il a prévalu dans l'usage ordinaire, nous renvoyons le lecteur pour le royaume & sa capitale au mot SIAM. (D.J.)


JUTLAND LE(Géogr.) c'est la Chersonese cimbrique des Romains. Les Cimbres qui la possédoient, s'étant joints aux Teutons & aux Ambrons, l'abandonnerent pour aller s'établir dans l'empire romain, où après quelques heureux succès, ils furent défaits par Marius. Les Jutes, peuples de la Germanie, s'emparerent de leur pays, d'où lui vint le nom de Jutland. C'est une presqu'isle de Danemark, au nord du Holstein. On le divise en deux parties par une ligne qui va en serpentant depuis Apen jusqu'à Colding : ces deux villes & tout ce qui est au nord de cette ligne, s'appelle le nord-Jutland, ou le Jutland propre ; ce qui est au midi jusqu'à l'Eyder, s'appelle le sud-Jutland, ou le duché de Sleswick. Le nord-Jutland est borné par la mer au couchant, au nord & au levant ; il a le duché de Sleswick au midi, comme on vient de le dire. Il est divisé en quatre diocèses ; celui d'Albourg, celui d'Arkus, celui de Rypen, & celui de Vibourg. Tout le nord-Jutland ou Jutland septentrional, appartient au roi de Danemark ; le sud-Jutland ou le Sleswick, appartient en partie à ce monarque & en partie au duc de Holstein. (D.J.)


JUTURNA(Géogr. anc. & Mythol.) fontaine & petit lac d'Italie dans le Latium, dont les Romains vantoient l'excellence & la bonté des eaux. Cette fontaine & le lac étoient au pié du mont Alban ; mais depuis plus d'un siecle l'eau de ce petit lac s'est écoulée par des conduits soûterrains, & l'on a entierement desséché le sol, pour rendre l'air du lieu plus salubre ; c'est ce que nous apprennent quelques inscriptions modernes d'Urbain VIII. placées à Castel Gandolpho.

Les Romains se servoient de l'eau de la fontaine Juturne pour les sacrifices, sur-tout pour ceux de Vesta, d'où il étoit défendu d'en employer d'autre. On l'appelloit l'eau virginale.

La fable érigea la fontaine Juturne en déesse ; Jupiter, disent les Poëtes, pour prix des faveurs qu'il avoit obtenues de la nymphe Juturne, l'éleva au rang des divinités inférieures, & lui donna l'empire sur les lacs, les étangs & les rivieres d'Italie. Virgile l'assûre dans son Aeneid. l. 12, v. 138, & déclare en même tems que cette belle naïade étoit la soeur de Turnus. Lisez, si vous ne me croyez pas, le discours plein de tendresse que lui tient Junon elle-même, assise sur le mont Albano.

Ex templo Turni sic est affata sororem,

Diva deam, stagnis quae fluminibusque sonoris

Praesidet : Hunc illis rex aetheris altus honorem

Jupiter ereptâ pro virginitate sacravit.

Nympha, decus fluviorum, animo gratissima nostro,

Scis, ut te cunctis unam, quaecumque latinae,

Magnanimi Jovis ingratum adscendêre cubile,

Praetulerim, coelique libens in parte locarim.

Disce tuum, ne me incuses, Juturna, dolorem... (D.J.)


JUVEIGNEURS. m. (Jurispr.) du latin junior, terme usité dans la coutume de Bretagne en matiere féodale pour designer les puînés relativement à leur aîné.

Les juveigneurs ou puinés succédoient anciennement aux fiefs de Bretagne avec l'aîné ; mais comme le partage des fiefs préjudicioit au seigneur dominant, le comte Geoffroi, du consentement de ses barons, fit en 1185 une assise ou ordonnance, portant qu'à l'avenir il ne seroit fait aucun partage des baronies & des chevaleries ; que l'aîné auroit seul ces seigneuries, & feroit seulement une provision sortable aux puinés, & junioribus majores providerent. Il permit cependant aux aînés, quand il y auroit d'autres terres, d'en donner quelques-unes aux puînés, au lieu d'une provision ; mais avec cette différence, que si l'aîné donnoit une terre à son puîné à la charge de la tenir de lui à la foi & hommage ou comme juveigneur d'aîné, si le puîné décédoit sans enfans & sans avoir disposé de la terre, elle retourneroit, non pas à l'aîné qui l'avoit donnée, mais au chef-seigneur qui avoit la ligence ; au lieu que la terre retournoit à l'aîné, quand il l'avoit donnée simplement sans la charge d'hommage ou de la tenir en juveignerie. Ce qui fut corrigé par Jean I. en ordonnant que dans le premier cas l'aîné succéderoit de même que dans le second.

Le duc Jean II. ordonna que le pere pourroit diviser les baronies entre ses enfans, mais qu'il ne pourroit donner à ses enfans puînés plus du tiers de sa terre. Suivant cette ordonnance les puînés paroissoient avoir la propriété de leur tiers ; cependant les art. 547. & 563. de l'ancienne coutume, déciderent que ce tiers n'étoit qu'à viage.

La juveignerie ou part des puînés, est en parage ou sans parage.

Voyez la très-ancienne coutume de Bretagne, art. 209 ; l'ancienne, art. 547. & 563 ; la nouvelle art. 330, 331, 334, 542 ; Argentré & Hevin, sur ces articles, & le glossaire de Lauriere, au mot JUVEIGNEURS. (A)


JUVÉNAUX JEUX(Antiq. Rom.) Juvenales ludi ; jeux mêlés d'exercices & de danses, institués par Néron, lorsqu'il se fit faire la barbe pour la premiere fois. On les célébra d'abord dans des maisons particulieres, & il paroit que les femmes y avoient part ; car Xiphilin rapporte, qu'une dame de la premiere qualité, nommée Aeolia Catula, y dansa à l'âge de 80 ans ; mais Neron rendit bientôt après les jeux Juvénaux publics & solemnels, & on les nomma Néroniens, voyez NERONIENS Jeux. (D.J.)


JUVENTASS. f. (Mythol.) déesse de la jeunesse chez les Romains ; elle présidoit à la jeunesse, depuis que les enfans avoient pris la robe appellée praetexta. Cette divinité fut honorée long-tems dans le capitole, où Servius Tullius fit mettre sa statue. Auprès de la chapelle de Minerve, étoit l'autel de Juventas, & sur cet autel étoit un tableau de Proserpine. Lorsque Tarquin l'ancien voua le temple de Jupiter capitolin, pour lequel il fallut démolir ceux des autres divinités, le dieu Terme & la déesse Juventas, au rapport de Tite-Live, l. XXXVI. ch. xxxvj. déclarerent par plusieurs signes qu'ils ne vouloient pas quitter la place où ils étoient honorés. M. Livius Salitanor étant censeur, voua un temple à Juventas, & le lui fit élever après une victoire qu'il remporta sur Asdrubal. A la dédicace de ce temple on institua les jeux de la jeunesse, qui sont différens des jeux juvénaux, & qui ne furent pas répétés dans la suite, autant du-moins qu'on en peut juger par le silence de l'Histoire. Les Grecs appelloient Hébé la déesse de la jeunesse ; mais la Juventas des Romains n'étoit pas positivement l'Hébé des Grecs, à ce que pense Vossius, de Idololat. liv. VIII. cap. iij. & v. (D.J.)


JUXTA-POSITIONS. f. (Phys.) terme dont se servent les Philosophes pour désigner cette espece d'accroissement qui se fait par l'apposition d'une nouvelle matiere sur la surface d'une autre. Voyez ACCROISSEMENT.

La juxta-position est opposée à l'intus-susception ou à l'accroissement d'un corps en tant qu'il se fait par la réception d'un suc qui se répand dans tout l'intérieur de la masse. Voyez NUTRITION. Chambers.