A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
VS. m. c'est la vingt-deuxieme lettre, & la dix-septieme consonne de notre alphabet. Elle représente, comme je l'ai déjà dit, l'articulation sémilabiale foible, dont la forte est F ; (voyez F.) & de-là vient qu'elles se prennent aisément l'une pour l'autre : neuf devant un nom qui commence par une voyelle, se prononce neuv, & l'on dit neuv hommes, neuv articles, pour neuf hommes, neuf articles : les adjectifs terminés par f, changent f en ve pour le féminin ; bref, m. breve, f. vif, m. vive, f. veuf, m. veuve, f.

Déjà avertis par la Grammaire générale de P. R. de nommer les consonnes par l'e muet, nos peres n'en ont rien fait à l'égard de celle-ci quand l'usage s'en introduisit ; & on l'appelle plus communément vé, que ve.

Il paroît que c'étoit le principal caractere ancien pour représenter la voyelle & la consonne. Il servoit à la numération romaine, où V. vaut cinq ; IV. vaut cinq moins un, ou quatre ; VI, VII, VIII, valent cinq plus un, plus deux, plus trois, ou six, sept, huit : = 5000.

Celles de nos monnoies qui portent la lettre V simple, ont été frappées à Troyes : celles qui sont marquées du double W, viennent de Lille.

(B. E. R. M.)


Ven Musique. Cette lettre majuscule sert à indiquer les parties de violons ; & quand elle est double V V, elle marque que le premier & le second dessus de symphonie sont à l'unisson. (S)


Vdans le commerce. Cette lettre suivie d'un petit ° & ainsi figurée V°. signifie verso. Cette même voyelle ou simple V ou W double barré par le haut, comme dans ces caracteres ou , signifie écu ou écus de soixante sols ou trois livres tournois. Dict. de commerce. Voyez ABREVIATION.


V, v, V(Ecriture) ces trois V dans leur figure sont composés d'une ligne mixte, & de la 5, 6, 7 & 8 partie d'o. Ils se forment du mouvement mixte des doigts & du poignet. Voyez le vol. des Pl. à la table de l'Ecriture.


VAS. m. (Jeu) abréviation de vade ; ainsi on dit sept & le va, pour le vade, ou la premiere mise & sept fois autant.

VA HORS DE JOUR, ou VA A DIEU, (Jurisprudence) en Angleterre sont les termes dans lesquels les juges prononcent ce que nous appellons ici un hors de cours. Voyez HORS DE COUR.


VA-OUTRE(Chasse) c'est le terme dont use le valet de limier lorsqu'il est au bois & qu'il allonge le trait à son limier, & le met devant lui pour le faire quêter.


VAALIS. m. (Hist. mod.) ce sont des princes sortis des maisons royales, dont les rois de Perse ont conquis les états. Ils sont demeurés vice-rois, gouverneurs, ou rois tributaires des états de leurs ancêtres.


VAATRIMONS. m. (Hist. nat. Botan.) espece de citron de l'isle de Madagascar, qui vient de la grosseur de la tête d'un enfant & dont l'écorce confite dans le sucre est un manger excellent.


VABAR(Géogr. anc.) ville de la Mauritanie césariense, selon Ptolémée, l. IV. c. ij. Castald dit que c'est aujourd'hui Bismeo. (D.J.)


VABRES(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Vabrinum, & vabrense castrum ; elle a dans nos géographes le titre de petite ville de France, dans le Rouergue, à 10 lieues de Rodez, à 11 d'Alby, & au confluent de deux petites rivieres, qui se jettent un peu plus bas dans le Tarn. Elle doit son origine à une abbaye de bénédictins, fondée par Raimond I, comte de Toulouse, & elle fut érigée en 1317, par le pape Jean XXII, en évêché aujourd'hui suffragant d'Alby. Cet évêché vaut environ vingt mille livres de revenu, & n'a que soixante & neuf paroisses ; mais Vabres ne doit qu'au siége épiscopal le nom de ville, car ce n'est qu'un vrai village dépeuplé. Long. 20. 30. latit. 42. 53. (D.J.)


VACANCES. f. (Gram. & Juris.) est l'état d'une chose qui n'est point remplie ou occupée.

La vacance du siége d'un prélat, ou d'un juge ou d'un office en général, c'est lorsque personne n'est pourvû du bénéfice, office ou autre place.

On entend quelquefois par vacance le cas qui a fait vaquer l'office ou le bénéfice, comme la vacance par mort. Voyez les articles ci-après.

VACANCE par APOSTASIE, Voyez APOSTAT, APOSTASIE, RELIGIEUX.

VACANCE se prend aussi quelquefois pour la cessation de certains exercices, comme dans les colleges, les vacances données aux professeurs & étudians, les vacances que prennent les chanoines selon les statuts de leur chapitre, & les vacances ou vacations des tribunaux. Voyez VACATIONS. (A)

VACANCE PAR DEMISSION. Voyez DEMISSION.

VACANCE PAR DEVOLUT. Voyez DEVOLUT.

VACANCE PAR INCAPACITE. Voyez INCAPACITé.

VACANCE PAR INCOMPATIBILITE. Voyez BENEFICE & INCOMPATIBILITE.

VACANCE PAR INTRUSION. Voyez INTRUSION.

VACANCE PAR IRREGULARITE. Voyez IRREGULARITE.

VACANCE PAR MORT ou per obitum est la vacance d'un office ou d'un bénéfice, par le décès du titulaire.

VACANCE PAR PERMUTATION. Voyez PERMUTATION.

VACANCE PAR RESIGNATION. Voyez RESIGNATION, BENEFICE, OFFICE.

VACANCE PAR SIMONIE. Voyez SIMONIE.

VACANCE in curiâ, on sous - entend romanâ, c'est la vacance d'un bénéfice, dont le titulaire meurt dans le lieu où le pape tient sa cour, ou à deux journées aux environs ; les papes se sont réservé la collation de ces bénéfices. Voyez BENEFICES VACANS in curiâ.

VACANCES, (Jurisprudence.) Voyez VACATIONS.


VACANTadj. (Gram. & Juris.) se dit de ce qui n'est point rempli ou occupé.

Le saint siége est vacant, lorsqu'il n'y a point de pape ; on dit de même que le siége épiscopal ou abbatial est vacant, lorsqu'il n'y a point d'évêque ou d'abbé.

La chancellerie est vacante lorsqu'il n'y a point de chancelier ; en général un office est vacant lorsque personne n'en est pourvû.

Un bien vacant, est celui qui n'est occupé par personne.

Une succession vacante, est celle qui est abandonnée, & pour laquelle il ne se présente point d'héritier. Voyez BIEN, CHANCELLERIE, HERITIER, OFFICE, SIEGE, SUCCESSION. (A)

VACANT le, (Hist. de Malthe) on appelle le vacant dans l'ordre de Malthe, le revenu entier de chaque commanderie après la mort du commandeur, c'est-à-dire l'année qui suit le mortuaire. Le vacant appartient au trésor de l'ordre. Le commandeur nommé à la commanderie, est obligé de l'y faire tenir.


VACARMETUMULTE, s. m. (Synon.) vacarme emporte par sa valeur l'idée d'un plus grand bruit, & tumulte celle d'un plus grand désordre.

Une seule personne fait quelquefois du vacarme ; mais le tumulte suppose toujours qu'il y a un grand nombre de gens.

Les maisons de débauche sont sujettes aux vacarmes. Il arrive souvent du tumulte dans les villes mal policées.

Vacarme ne se dit qu'au propre ; tumulte se dit au figuré du trouble & de l'agitation de l'ame. C'est pour cela qu'on tient mal une résolution qu'on a prise dans le tumulte des passions. (D.J.)


VACATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsqu'une chose vient à vaquer, comme quand il arrive vacation d'un bénéfice, ou office par le décès du titulaire. Voyez VACANCE.

Vacations au plurier se prend pour le tems où une jurisdiction vaque, c'est-à-dire, où la justice n'y est point exercée ; il y a dans le cours de l'année différens jours auxquels les tribunaux vaquent ; mais on n'entend ordinairement par les vacations ou vacances qu'un certain espace de tems qui est donné aux officiers pendant l'automne pour vaquer à leurs affaires rurales ; il y a des tribunaux dont le tems des vacations est réglé autrement ; quelques-uns ont deux différentes vacances dans l'année. Voyez VACANCES.

Vacation dans un sens tout opposé, se prend pour l'action de vaquer à quelque chose, c'est-à-dire, de s'y employer, de s'en occuper.

On appelle premiere, seconde, ou autre vacation d'un inventaire ou d'un procès-verbal les différentes séances où l'on a travaillé à ces actes. Voy. INVENTAIRES, PROCES-VERBAL, SEANCE, JOURNEE.

On entend quelquefois par vacation le droit qui est dû à un officier pour avoir vaqué à quelque chose. Les juges ont des épices & vacations. Les vacations sont pour ceux qui ont vu le procès de grand ou de petit commissaire, au-lieu que les épices sont pour ceux qui ont assisté au jugement.

L'écu de vacation est ce que l'on paie à chaque commissaire pour une vacation. Voyez ÉCU QUART. (A)

VACATION, (Antiq. rom.) suspension des affaires au barreau. Il y avoit de deux sortes de vacations chez les Romains, l'ordinaire & l'extraordinaire. L'ordinaire avoit lieu un certain nombre de jours de l'année, qui étoient connus de tout le monde. L'extraordinaire n'arrivoit que quand, dans des tems de tumulte & de guerres civiles, le sénat statuoit que toutes les affaires cessassent, & qu'on ne rendît point la justice, jusqu'à ce que la tranquillité fût rétablie. C'est ainsi que le sénat l'ordonna, lorsqu'il apprit que César étoit entré avec son armée en Italie. Cette suspension des affaires s'appelloit rerum prolatio ou judiciorum indictio, & c'est ce qu'on ne pratiquoit que dans les grandes extrêmités. (D.J.)


VACCA(Géog. anc.) ville de la Numidie, l'entrepôt des états de Jugurtha ; mais cette ville ne fut heureuse ni dans son zèle pour son prince, puisque ce zèle la fit périr sous Métellus, ni dans son infidélité pour son roi, car ayant voulu se donner à César, dans le tems qu'il faisoit la guerre en Afrique, Juba qui en fut averti s'en rendit maître, & la ruina de fond en comble. (D.J.)

VACCA ou VAGIA, (Géog. anc.) fleuve de la Lusitanie, selon Pline, l. IV. c. xxj. c'est aujourd'hui le Vouga, qui se jette dans l'Océan près d'Aveiro.

VACCA, île, (Géog. mod.) ou île Buccina ; île de la Méditerranée, sur la côte méridionale de la Sardaigne, à deux milles, & vis-à-vis de la pointe Béta, en tirant vers le nord oriental de l'île Toro. (D.J.)


VACCAEI(Géog. anc.) peuple de l'Espagne tarragonoise, que Tite-Live met au nombre de ceux que L. Lucullus & Cl. Marcellus subjuguerent.


VACERRESS. m. pl. (Hist. des Gaulois) nom d'une des classes de druides. Les vacerres étoient les prêtres, comme les eubages étoient les augures, les bardes les poëtes, les chantres les sarronides, les juges les théologiens & professeurs de la religion. (D.J.)


VACHES. f. (Hist. nat.) vacca, c'est la femelle d'un taureau. Voyez TAUREAU.

VACHE, (Diete & Mat. méd.) il n'y a que les paysans & les gens du peuple qui mangent la chair de la vache au-lieu de celle du boeuf : la premiere est communément plus dure, plus maigre, & par conséquent plus seche ; cependant les bouchers en vendent quelquefois pour du boeuf, même à Paris ; & comme ils ont soin de choisir des vaches jeunes & grasses, peu de personnes s'apperçoivent de la fraude qui dèslors devient indifférente. Voyez BOEUF.

La vache est proprement un objet médicinal en ce qu'elle fournit un aliment médicamenteux qui tient un rang distingué parmi les secours médicinaux ; savoir, son lait qui a aussi mérité à ce titre un article particulier. Voyez LAIT, Chymie, Diete & Mat. méd. Secondement, par un remede assez bizarre qu'on retire de sa fiente en la distillant au bain-marie, & qui est connu sous le nom d'eau de mille fleurs, qui passe dans l'usage intérieur pour un antipleurétique excellent, & pour un bon diurétique, & même lithontriptique, & dans l'usage extérieur pour un excellent cosmétique : au reste, c'est-là un remede fort propre & fort élégant en comparaison du suc même de la fiente de vache récente, que les paysans avalent dans quelques contrées pour se guérir des fievres, & qu'Ettmuller recommande non-seulement pour cet usage, mais même contre la pleurésie, appliquée extérieurement en guise de cataplasme : elle passe pour un très-bon remede contre les brûlures, contre les douleurs des membres, les tumeurs oedémateuses, &c.

L'urine de vache récente & fournie sur-tout par une vache noire, a été aussi un remede interne contre l'hydropisie, la goutte & la paralysie, qui a été connue aussi sous le nom d'eau de mille fleurs ; Jean Boecler observe dans sa continuation de la cynosure d'Herman, que la manie pour ce remede ridicule qu'il avoit vu très en vogue dans son pays, ne dura pas long-tems, parce que ce remede purgeoit jusqu'au sang, & abattoit considérablement les forces, ce que la plûpart des sujets ne pouvoient supporter. (b)

VACHE ROUSSE, (Critiq. sacrée) la vache rousse, ou la genisse rousse, étoit la victime d'expiation pour les impuretés que les Juifs contractoient par la présence ou l'attouchement d'un mort. On prenoit une génisse sans défaut, & qui n'avoit point porté le joug. On la livroit au grand-prêtre, qui l'immoloit hors du camp en présence de tout le peuple. Il trempoit son doigt dans le sang de l'animal, & en faisoit sept fois l'aspersion contre le devant du tabernacle ; ensuite on brûloit la génisse toute entiere. Le grand-prêtre jettoit dans le feu du bois de cedre, de l'hyssope, & de l'écarlate teinte deux fois. Un homme recueilloit les cendres de la génisse, & les portoit dans un lieu pur hors du camp ; ensuite on les mettoit en réserve pour l'assemblée des enfans d'Israël, afin qu'ils en fissent de l'eau d'expiation pour se purifier des impuretés légales : tout cela fut ordonné par Moïse, & est détaillé dans le livre des Nombres, xix. vers. 2. 6. & 9.

Il n'y avoit que le grand-prêtre qui eût droit d'offrir le sacrifice de la vache rousse ; mais tout israëlite, pourvu qu'il fût pur, pouvoit faire les aspersions de la cendre mêlée avec de l'eau, parce qu'il auroit été trop incommode de venir au temple, pour expier une impureté que la mort des proches pouvoit rendre très-fréquente. (D.J.)

VACHE, (Corroyeur) de tous les animaux qui sont sur la terre, il n'y en a guere dont les hommes tirent plus d'utilité que de la vache ; car indépendamment des veaux qu'elle produit, sa chair, son lait, ses cornes, ses os, sa graisse, son poil & sa peau, sont d'usage soit pour la nourriture de l'homme, soit pour le commerce.

Les peaux de vache qu'on appelle cuirs, se vendent en poil, vertes, salées ou seches, & sans poil, tannées, passées en coudrement ou en croutes, corroyées ou apprêtées de diverses façons qu'on trouvera expliquées dans les articles CUIR, PEAU, TANNER & CORROYEUR.

Le long poil de la queue des vaches fournit aux selliers une partie du crin qu'ils emploient, & le poil court dont toute la peau de la vache est couverte, sert à rembourrer les selles des chevaux, les bâts des mulets, &c.

VACHE-DURE, (Corroyerie) c'est une peau de vache où le corroyeur n'a mis du suif que du côté de la fleur, & n'a mis ni suif, ni huile du côté de la chair. (D.J.)

VACHE DE RUSSIE, (Corroyerie) sorte de cuir, ou peau de vache qui vient toute apprêtée de Moscovie, où elle se prépare d'une maniere toute particuliere, qui n'est guere connue que de ceux qui s'en mêlent dans le pays. Savary.

VACHE EN GRAIN, (Tannerie) peau ou cuir de vache, dont la superficie est devenue grenue par les différens apprêts qu'on lui a donnés, & dont on fait les empeignes des souliers. (D.J.)

VACHE DE SEL, (Saline) on appelle vache de sel en Poitou, ces monceaux de plusieurs milliers de muids de sel, qu'on éleve en forme de meule de foin, pour achever de le sécher, en attendant la vente.

VACHES, terme d'Imprimerie ; ce sont les cordes qui tiennent au berceau & au train de derriere d'une presse : elles assurent l'endroit jusqu'où doit aller le coffre sur le derriere, & empêchent qu'il ne recule plus qu'il ne faut. Voyez les Pl. & les fig. de l'Imprimerie.

VACHE ARTIFICIELLE, (Chasse) c'est la toile faite en forme de vache, dont on se sert pour approcher les canards, & dont se servent aussi ceux qui chassent à la tonnelle.

VACHE DE BARBARIE, (Hist. nat. Ichthyolog.) on a donné ce nom dans les mémoires pour servir à l'hist. nat. des anim. dressés par M. Perrault, à un animal à-peu-près de la grandeur d'une vache, & d'un poil roux, un peu plus court que celui des vaches, presqu'aussi gros vers la pointe que vers la racine, & de couleur plus foncée vers la racine que vers la pointe. Cette vache de Barbarie ressemble plus au cerf qu'à la vache par l'habitude du corps, par les jambes & par l'encolure. Les cornes sont de même nature que celles de la vache, mais elles en different par plusieurs caracteres ; elles prennent leur naissance fort près l'une de l'autre ; elles sont longues d'un pié, fort grosses, recourbées en arriere, noires & torses, comme une vis. La queue est courte & terminée par un bouquet de crins longs de trois pouces ; les yeux sont placés si près des cornes, que la tête paroît n'avoir presque point de front. Cet animal n'a que deux mamelons. Les épaules sont fort élevées, & forment une bosse entre l'extrêmité du col & le commencement du dos : il y a une callosité au bas du sternum. On a présumé que cette vache de Barbarie a plus de rapport au bubale des anciens, qu'au petit boeuf d'Afrique. Mémoires pour servir à l'histoire naturelle des animaux.

VACHE MARINE ou BETE A LA GRAND-DENT, odobenus, animal amphibie qui a beaucoup de rapport au lamantin & au veau-de-mer, sur-tout pour la forme du corps & des piés, &c. Voy. LAMANTIN. La vache-marine a la tête grosse & écrasée sur le devant, le museau entouré de gros poils, & la peau épaisse de près d'un pouce, & couverte d'un poil court, ferme, & de couleur brune-jaunâtre. Les oreilles ne sont apparentes à l'extérieur que par un orifice qui se trouve de chaque côté de la tête. Il y a huit dents molaires à chaque mâchoire, & deux grandes dents canines à la mâchoire supérieure, recourbées en-bas, & longues de deux piés : l'animal s'en sert pour sa défense, & pour traîner différentes choses sur la glace & sur les rivages, car il ne peut pas rester long-tems dans l'eau. La vache-marine est un animal du Nord, elle a jusqu'à seize piés de longueur, & huit piés de circonférence. Voyez Brisson, reg. anim. p. 48.


    
    
VACHERS. m. VACHERE, s. f. (Econ. rustiq.) le vacher est un garçon qui garde les vaches ; la vachere est une fille qui a la même occupation.


VACHERIES. f. (Econ. rust.) partie de la basse-cour dans les grandes fermes ; c'est l'étable où l'on tient les vaches, & le lieu où on les trait.


VACILLANTVACILLATION, VACILLER, (Gram.) termes correlatifs, & opposés de ferme, fixe, stable, assuré, constant. On les prend au simple & au figuré ; on dit le trouble lui rendoit la voix embarrassée & la prononciation vacillante ; c'est un esprit vacillant ; ce juge étoit vacillant. La vacillation d'un vaisseau sur les eaux, des réponses d'un criminel. Cette machine est mal assemblée ; la plûpart des pieces qui devroient être fixes vacillent. Il vacille dans son opinion, dans ses projets, ses résolutions. L'impulsion la plus légere suffit pour jetter un homme incertain & vacillant dans le parti le plus contraire à ses intérêts, & il est rare qu'il ne trouve quelque méchant attentif à lui donner cette impulsion.


VACOMAGI(Géog. anc.) peuples de la grande Bretagne, selon Ptolémée, l. II. c. iij. qui les place au midi des Calédoniens. Il y en a qui croient qu'ils habitoient la province de Sterling en Ecosse. (D.J.)


VACORIUM(Géog. anc.) ville du Norique, au midi du Danube, suivant Ptolémée, l. II. c. xiij. selon les uns, c'est aujourd'hui Villac, dans la Carinthie sur la Drave ; & selon Lazius, c'est Strasburg sur le Gurck. (D.J.)


VACOS(Hist. nat.) c'est ainsi que les habitans de l'île de Ceylan nomment des fourmis blanches. Elles sont d'une grandeur médiocre ; leur corps est blanc, & leur tête est rouge. Ces insectes dévorent tout ce qu'ils rencontrent, sans épargner même le bois des maisons. Ils se forment le long des murs une espece de chemin couvert, en faisant comme une voûte avec de la terre ; lorsqu'elle s'est rompue en quelque endroit, ces animaux ont grand soin de la réparer. Ces fourmis, dans les champs, forment de petits monticules avec une terre très-fine ; ces butes ont cinq ou six piés de hauteur, & sont d'une grande solidité. Lorsque les aîles sont venues à ces fourmis, elles s'envolent en si grand nombre, que le ciel en est quelquefois obscurci ; alors elles s'élevent à perte de vue, & continuent à voler jusqu'à ce qu'elles soient entierement épuisées ; elles finissent par tomber mortes, & servent de nourriture aux oiseaux, & sur-tout aux poules qui en sont très-friandes.


VACUAC(Géog. mod.) nom d'un pays qui confine avec celui qui se nomme Sofalatirh, la campagne & vallée de la poudre d'or. Il y a dans ce pays deux villes, Daduah & Jananah. (D.J.)


VACUNES. f. vacuna, (Mythologie) divinité des Romains, déesse des vacations ; elle étoit particulierement honorée par les gens de la campagne, & présidoit sur ceux qui étoient, pour ainsi dire, en vacances, & qui se reposoient de leurs travaux. Les Latins formerent son nom du verbe vacare, qui signifie se reposer, être de loisir. Sa fête se célébroit au mois de Décembre. Les laboureurs lui adressoient leurs prieres pendant qu'ils cultivoient leurs terres ; & lorsque la saison de l'hiver venoit à leur donner du repos, ils s'acquittoient de leurs voeux par les sacrifices que leur permettoit leur état. Cet usage n'étoit point encore aboli du tems d'Ovide qui en fait mention dans le VI. liv. de ses fastes.

Nam quoque cùm fiunt antiquae sacra vacunae,

Ante vacunales stantque, sedentque focos.

Aujourd'hui même, dit-il, quand on célebre la fête de l'ancienne vacune, les villageois sont assis devant le foyer de cette déesse.

Le culte de vacuna étoit très-ancien dans l'Italie, & il étoit établi chez les Sabins long-tems avant la fondation de Rome. Elle avoit un temple sur le mont Ficellus, aux confins de Picenum, vers les sources du Nar. Elle en avoit une autre entre Caspérie & Ocricule, avec un bois & une ville du même nom, qui subsiste encore en partie. Pline, liv. III. c. xij. nous parle des bois magnifiques qu'on lui avoit consacrés dans le territoire de Rieti.

Les uns prennent la vacuna des Sabins pour Diane, Vénus ou Cérès, d'autres pour Bellone ou la Victoire. Varron prétend que c'étoit Minerve, parce que l'étude de la sagesse demande un grand loisir ; mais cette idée n'est qu'un jeu d'esprit. (D.J.)


VADAVERO(Géog. anc.) montagne d'Espagne, dans la Celtibérie. Martial, l. I. epigr. 50. ad Licinianum, est le seul des anciens qui en fasse mention :

Sterilemque cannum nivibus, & fractis sacrum

Vadaveronem montibus.

Jérôme Paul de Barcelone, dans son livre des fleurs & des montagnes d'Espagne, dit, en parlant de la montagne de Vadavero, que plusieurs croient avec assez de fondement que c'est une montagne de la Celtibérie ; qu'elle est séparée des autres, dont on diroit qu'elle a été arrachée ; qu'elle forme comme une île, & qu'on la nomme présentement par corruption Vadaricore. (D.J.)


VADES. f. (Commerce de Mer) ce mot signifie l'intérêt que chacun a dans un vaisseau à proportion de l'argent qu'il y a mis. Je suis pour un sixieme de vade dans l'armement de l'amphitrite, c'est-à-dire, j'ai un sixieme. Il se prend dans le même sens au jeu où la vade est ce qu'on a mis d'abord. Dict. du Comm.


VADE-MECUou VENI-MECUM, s. m. (Gram.) phrase latine & familiere, pour exprimer une chose que l'on a toujours à la main, & que l'on porte ordinairement sur soi : on l'applique le plus souvent à quelque livre favori ; quelques-uns font leur vademecum de Virgile, d'autres d'Horace, d'Epictete, de Thomas à Kempis, &c. c'est ce que les Grecs appelloient , & que nous appellons autrement manuel. Les Arabes ont une phrase pour dire la même chose, savoir habib al feir, compagnon de voyage.


VADI-GAMUS(Géog. anc.) vallée d'Egypte. C'est une vallée étroite entre deux montagnes, qui sont aussi hautes l'une que l'autre & plates au sommet. Cette vallée ressemble à un bufle, & le mot de vadi-gamus veut dire la vallée du bufle. Elle s'étend vers le sud-est jusqu'à une demi-heure de chemin, puis elle s'éleve peu-à-peu entre les deux montagnes jusqu'à leur sommet.

Il y a à chaque côté de ces deux montagnes qui s'entre-regardent, deux rangs de carrieres, dont quelques-unes sont fort hautes, vastes, & irrégulieres en-dedans ; ce sont ces carrieres que plusieurs voyageurs ont prises pour des grottes. Voyez THEBAÏDE, grottes de la. (D.J.)


VADIARE DUELLUM(Hist. mod.) espece de cartel ou de défi pour s'engager dans un combat, qui devoit se donner à jour nommé, c'est-à-dire lorsqu'une personne provoquoit quelqu'un pour décider une dispute par un combat ou duel, & qu'il jettoit à bas son gantelet, ou faisoit quelque signe semblable de défi ; si alors l'autre ramassoit le gantelet ou acceptoit la provocation, on appelloit cette action vadiare duellum, donner & prendre un gage mutuel du combat.

Dans l'affaire des templiers, le grand-maître Jacques de Molai ayant comparu devant l'archevêque de Narbonne & d'autres commissaires ecclésiastiques, leur dit que s'il avoit affaire à des juges laïcs, les choses ne se passeroient pas comme on les traitoit, donnant à entendre qu'il provoqueroit au combat & les accusateurs & les juges, pour soutenir son innocence & celle de ses chevaliers. L'archevêque lui répondit : Nous ne sommes pas gens à recevoir un gage de bataille. Et en effet les ecclésiastiques étoient dispensés de cette sorte d'épreuve. Voyez ÉPREUVE, COMBAT, CHAMPION, &c.


VADICASSII(Géog. anc.) peuples de la Gaule celtique ou lyonnoise, selon Ptolémée, l. II. c. viij. Ce sont les Vadicasses de Pline, l. IV. c. xviij. Le P. Briet, p. 355. sans appuyer son sentiment par aucune preuve, dit que ces peuples faisoient partie des Aedui, & il leur donne pour ville Noviodunum Aeduorum, ou Nivernium, aujourd'hui Nevers. (D.J.)


VADIMONIS-LACUS(Géog. anc.) lac d'Italie, dans l'Hétrurie, au voisinage d'Améria, & près de la maison de plaisance de Calpurnius Fabatus, appellée Amerina-Praedia. Pline le jeune, l. VIII. epist. 20. nous a donné la description de ce lac. Il est, dit-il, dans un fond, & sa figure est celle d'une roue couchée. Il est par-tout égal, sans aucun recoin, sans aucun angle ; tout y est uni, compassé, & comme tiré au cordeau. Sa couleur approche du bleu, mais tire plus sur le blanc & sur le verd. Ses eaux sentent le soufre ; elles ont un goût d'eaux minérales, & sont propres à consolider les fractures.

Ce lac n'est pas fort grand, continue Pline, mais il l'est assez pour être agité de vagues quand les vents soufflent. On n'y trouve point de bateaux, parce qu'il est consacré : mais au-lieu de bateaux, vous y voyez flotter au gré de l'eau plusieurs îlotes chargées d'herbages, couvertes de joncs, & de tout ce qu'on a coutume de trouver dans les meilleurs marais & aux extrêmités d'un lac. Chaque île a sa figure & sa grandeur particuliere ; chacune a ses bords absolument secs & dégarnis, parce que souvent elles se heurtent l'une l'autre, & heurtent le rivage. Elles ont toute une égale légereté, une égale profondeur ; car elles sont taillées par-dessous, à-peu-près comme la quille d'un vaisseau. Quelquefois détachées, elles se montrent également de tous côtés, & sortent autant hors de l'eau qu'elles y entrent. Quelquefois elles se rassemblent, se joignent, & forment une espece de continent. Tantôt le vent les écarte ; tantôt elles flottent séparément dans le lieu où le calme les a surprises ; souvent les plus petites suivent les plus grandes, & s'y attachent comme de petites barques aux vaisseaux de charge. Quelquefois vous diriez que les grandes & les petites luttent ensemble, & se livrent combat. Une autre fois poussées au même rivage, elles se réunissent & s'accroissent : tantôt elles chassent le lac d'un endroit, tantôt elles l'y ramenent, sans lui rien ôter quand elles reviennent au milieu. Il est certain que les bestiaux, suivant le pâturage, entrent dans ces îles comme si elles faisoient partie de la rive, & qu'ils ne s'apperçoivent que le terrein est mouvant que lorsque le rivage s'éloignant d'eux, la frayeur de se voir comme emportés & enlevés dans l'eau qu'ils voient autour d'eux les saisit. Peu après ils abordent où il plaît au vent de les porter, & ne sentent pas plus qu'ils reprennent terre, qu'ils avoient senti qu'ils la quittoient.

Ce même lac, ajoute Pline, se décharge dans un fleuve, qui, après s'être montré quelque tems, se précipite dans un profond abîme. Il continue son cours sous terre, mais avec tant de liberté, que si, avant qu'il y entre, on y jette quelque chose, il la conserve & la rend quand il sort.

Divers autres auteurs ont parlé de ce lac, entr'autres Polybe, l. II. c. xx. qui le nomme . Tite-Live, l. IX. c. xxxix. Florus, l. I. c. xiij. & Pline, l. II. c. xcv. On l'appelle aujourd'hui Lago di Bessanello, selon le P. Hardouin, qui le met dans le patrimoine de S. Pierre environ à 3 milles du Tibre. (D.J.)


VADIMONIUMS. m. (Jurisprud. rom.) ce mot signifie ajournement, obligation de comparoître en justice au jour assigné ; il faut donc savoir que dans les affaires d'injures le demandeur demandoit contre sa partie l'action ou le jugement au préteur, c'est-à-dire, qu'il le prioit de poursuivre sa partie, & le défendeur de son côté demandoit un avocat. Après ces préliminaires, le demandeur exigeoit par une formule prescrite que le défendeur s'engageât sous caution à se représenter en justice un certain jour, qui, pour l'ordinaire, étoit le sur-lendemain ; c'est ce qu'on appelloit de la part du demandeur reum vadari, demander une caution, un répondant ; & de la part du défendeur vadimonium promittere, promettre de comparoître en justice : s'il ne paroissoit pas, on disoit qu'il avoit manqué à l'assignation, qu'il avoit fait défaut, ce qui s'exprimoit par les deux mots latins, vadimonium deserere. Trois jours après, si les parties n'avoient point transigé, le préteur les faisoit appeller, & pour-lors le demandeur ayant proposé son action dans la formule réglée, le préteur lui donnoit un tribunal ou un arbitre. S'il lui donnoit un tribunal, c'étoit celui des commissaires, qu'on appelloit recuperatores, ou celui des centumvirs.

Les mots vadimonium & vadari se trouvent si fréquemment dans Ciceron, Horace, Plaute, & les historiens, qu'on ne sauroit trop les expliquer pour pouvoir entendre leurs écrits, & les allusions qu'ils y font. Ainsi dans Ciceron vadimonia constituta signifient les jours assignés pour comparoître ; actio vadimonii deserti, est le défaut qu'on accordoit pour avoir manqué à l'ajournement ; obire vadimonium, sistere vadimonium, veut dire, se présenter au jour & lieu marqués ; debere vadimonium cuipiam, signifie être tenu par promesse de se trouver à l'assignation prise avec quelqu'un ; differre vadimonium cum aliquo, donner délai à sa partie ; vadimonium promittere pro aliquo, dans Varron, promettre de comparoître en justice pour un autre ; missum facere vadimonium, décharger sa partie de l'ajournement donné.

On ne trouve pas moins souvent le verbe vadari, dans les lectures des auteurs romains. Vadari reum tot vadibus, signifie dans Tite-Live, obliger un accusé à donner un certain nombre de répondans. Vadari quempiam ex aliquo loco ad locum aliquem, c'est tirer quelqu'un de sa jurisdiction pour venir donner caution en un lieu où il ne ressort point. Ce même mot se trouve employé au figuré dans les poëtes comiques ; on lit dans Plaute, qui abire nullo pacto possim, si velim, ita me vadatum & vinctum attines ". Je ne puis m'échapper quand je le voudrois, étant engagé, lié & garroté comme je le suis avec vous ". Horace a dit, sat. IX. l. I. vers. 36. & casu tunc respondere vadato debebat : " & heureusement pour moi, c'étoit le tems où mon homme devoit comparoître en qualité de caution pour un ami ". Horace a jugé à propos de mettre ici vades pour praedes, car vades étoit pour le criminel, & praedes pour le civil. (D.J.)


VADOou VADI, petit port d'Italie, sur la côte de Gènes, à trois milles de Savonne, du côté de l'occident méridional, & à cinq milles au nord oriental de Noli. (D.J.)


VADROUILLES. m. (Marine) c'est la même chose que guispont. Voyez GUISPON.


VAFERINE LAou LA VAUFERAU, (Géog. mod.) riviere qui sépare la Savoye d'avec le pays de Michaille. Elle sort de la vallée Chasirg dans le Bugey, & va se jetter dans le Rhône. (D.J.)


VAGLE, (Géog. mod.) riviere de la haute Hongrie. Elle a sa source dans le mont Rabahora, aux confins de la Pologne, & après avoir traversé les comtés d'Arava, de Tauroez, de Tranczin, de Néitra, & de Comore ; elle tombe dans le Danube, au-dessous de la ville de Comore. (D.J.)

VAG, pays de, (Géog. mod.) nom d'un pays que les géographes orientaux comprennent dans l'Egypte ; c'est cependant une contrée qui en est entierement séparée, & qui s'étend entre l'Egypte & le pays de Barca en Afrique. En un mot, c'est la Pentapolis des anciens, ainsi nommée, parce qu'elle renfermoit cinq villes, savoir Barca, Faran, Caïrouan ou Cyrène, Tripoli de Barbarie, & Afrikiah, ville qui a donné le nom à la province d'Afrique proprement dite, d'où l'Afrique a tiré le sien. (D.J.)


VAGA(Géog. anc.) ville d'Afrique. Ptolémée, l. IV. c. iij. séparant de sa nouvelle Numidie le pays voisin de la ville Cirta, & lui donnant le nom de contrée des Cirtésiens, y met entre autres la ville Vaga, située dans les terres, à l'orient de Cirta. C'est de cette ville dont parle Silius Italicus, l. III. v. 259. dans ce vers :

Tum Vaga, & antiquis dilectus regibus Hippo.

Ptolémée écrit ; & Plutarque, in Mario, , Baga. Ce que ce dernier en dit, fait voir que c'est la même ville que Salluste nomme Vacca, aulieu de Vaga, Pline, l. V. c. iv. dit Vagense oppidum. (D.J.)

VAGA, (Géog. mod.) province de l'empire russien, qui fait aujourd'hui la partie méridionale de celle d'Archangel. Elle est toute couverte de forêts : on lui donne 150 werstes d'étendue du midi au nord, & 120 du levant au couchant. La riviere de Vaga ou Wara, la traverse du midi au nord. (D.J.)


VAGABONDadj. (Gram. & Jurisprud.) qui erre çà & là, & qui n'a aucune demeure fixe. Sous ce nom sont compris, suivant les déclarations du roi, tous ceux qui n'ont ni profession, ni métier, ni domicile certain, ni bien pour subsister, & qui d'ailleurs ne peuvent être avoués ni certifiés de bonne vie & moeurs, par personnes dignes de foi ; comme aussi les mendians valides qui sont pareillement sans aveu ; ces vagabonds doivent être arrêtés & punis suivant les réglemens faits contre les mendians. Voy. MENDIANS & PAUVRES.

On repute aussi vagabond ceux des sujets du roi qui vont en pélérinage à S. Jacques, à notre-dame de Lorette, & autres lieux hors du royaume, sans une permission expresse de sa majesté, signée par un secrétaire d'état, & sur l'approbation de l'évêque diocésain. La déclaration de 1738 enjoint aux magistrats, prevôts des marchands, exempts, maires, syndics des villes, de les arrêter sur les frontieres, & veut qu'ils soient condamnés par les juges des lieux en premiere instance, & par appel aux cours de parlement : savoir les hommes à la peine des galeres à perpétuité, les femmes à telle peine afflictive qui sera estimée convenable par les juges.

L'ordonnance des eaux & forêts enjoint à tous les vagabonds & gens inutiles de se retirer à deux lieues des forêts, & en cas qu'ils reparoissent, les officiers des maîtrises ont droit de les faire arrêter & de prononcer contre eux la peine des galeres. Voyez le tit. 27. de l'ordonnance de 1669. art. 35. & suiv. (A)


VAGENI(Géog. anc.) peuples de la Ligurie, vers la source du Pô. Pline les nomme Vagienni ligures, & les surnomme Montani. Leur capitale s'appelloit augusta vagiennorum. C'est de ce peuple que parle Silius Italicus dans ces vers, l. VIII. v. 607.

Tùnc pernix ligus, & sparsi per saxa Vagenni

In decus Annibalis duros misere nepotes.

Selon Cluvier, Ital. ant. l. I. c. ix. Les Vageni habitoient à la source du Pô, entre la rive droite de ce fleuve, & la riviere Stura. (D.J.)


VAGINS. m. (Anat. & Chirurg.) le vagin est un canal ample, qui n'est pas fort différent d'un intestin grêle ; il est plus fort, marche entre la vessie & le rectum, & s'étend de l'orifice externe jusqu'à la matrice ; il faut y remarquer :

1°. La longueur qui est de six ou sept doigts.

2°. La capacité, qui est comme celle d'un intestin grêle ; mais qui change en divers cas, comme dans l'accouchement ; son orifice est plus étroit que le reste.

3°. La substance qui est membraneuse, ridée en dedans, couverte de houpes ou mamelons, suivant l'observation de M. Ruysch, de-là vient qu'elle est fort sensible.

4°. Les rides qui ne sont pas circulaires, mais qui se trouvent comme dans le jejunum ; elles sont fort grandes dans les vierges, sur-tout à la partie antérieure ; dans les femmes qui approchent souvent des hommes, elles sont petites & usées, pour ainsi dire, elles s'effaçent presque entierement après plusieurs couches.

5°. Les lacunes qui se trouvent répandues partout au vagin, & au col de la matrice, de même qu'autour de l'urethre ; on peut quelquefois y introduire des soies ; les glandes avec lesquelles communiquent ces lacunes, filtrent une humeur muqueuse.

6°. Le muscle constricteur du vagin, est un assemblage de fibres musculeuses, qui embrassent en partie le vagin, & qui s'y insérent dans le clitoris ; il y a au même endroit un corps celluleux, & un lacis de vaisseaux qui environnent l'orifice du vagin.

Mais il est à propos de passer à la description suivie de ce canal membraneux qui s'étend depuis l'orifice interne de la matrice jusqu'à la vulve.

Il est situé dans le bassin de l'hypogastre, au-dessous des os pubis, entre la vessie & l'intestin droit. Il est si étroitement attaché à cette derniere partie, qu'il semble que leurs membranes soient confondues ; desorte que si l'un d'eux vient à être percé ou déchiré dans un accouchement laborieux, dans l'opération que l'on fait à la fistule de l'anus, ou par l'érosion de quelque ulcere, les excrémens passent facilement du rectum au vagin, & la femme ne peut plus les retenir. C'est dans ce cas qu'il faut se servir d'un pessaire en forme de globe, ovale, percé de deux trous opposés, que l'on introduit dans le vagin, & qui bouche si bien l'ouverture de communication, que l'on remédie par-là, avec assez de succès, à cet inconvénient si désagréable.

La figure du vagin est ronde & longitudinale : il peut se resserrer de toutes parts ; il peut aussi beaucoup s'étendre & se dilater au tems de l'accouchement ; ses parois s'affaissent, & il ressemble à un boyau lâche dans les filles qui vivent chastement.

Dans les femmes qui n'ont pas encore eû d'enfans, ce conduit est à-peu-près de la longueur de six à sept travers de doigt, & de la largeur d'un travers & demi ; mais dans celles qui ont eu des enfans, on ne peut pas trop bien déterminer sa grandeur ; sa longueur & sa largeur varient selon l'âge, selon les sujets & leur tempérament.

Vers le dernier mois de la grossesse, le vagin surchargé du poids du foetus, s'accourcit tellement, qu'en y introduisant le doigt, on peut toucher l'orifice interne de la matrice.

La substance intérieure du vagin paroît être toute nerveuse ; M. Ruysch y a découvert plusieurs papilles qui nous apprennent d'où vient que le vagin est très-sensible. Il est extérieurement revêtu d'une membrane assez épaisse, sous laquelle se trouvent, dans toute sa longueur, des fibres charnues, par le moyen desquelles il s'attache aux autres parties voisines.

La membrane interne du vagin est quelquefois tellement relâchée par des humeurs superflues qui l'abreuvent, qu'elle descend plus bas que le conduit de la pudeur, & qu'elle se montre au-dehors ; c'est-là ce que les anciens ont pris pour une descente de matrice. On peut voir à ce sujet les observations chirurgicales de Roonhuyse, & celle de van-Meckeren, qui ont fait l'amputation de ces excroissances.

L'entrée du vagin est située presqu'au milieu de la vulve, tirant néanmoins un peu plus vers l'anus. Cet orifice, avant l'âge de puberté, est beaucoup plus étroit que le vagin même ; & c'est, selon de Graaf, la marque la plus certaine que l'on puisse avoir de la virginité.

Il y a sur la face intérieure du vagin, des rides circulaires, plus marquées à sa partie antérieure, du côté du canal de l'urine, que vers la partie postérieure ; elles sont assez semblables à celles que l'on voit au palais d'un boeuf, hormis que ces rides n'y sont pas disposées sur une ligne aussi réguliere : aux vierges, à la partie antérieure du vagin, on rencontre quantité de ces rides ; mais dans les femmes qui ont eu plusieurs enfans, ou qui se livrent au libertinage, ces rides s'évanouissent promtement, desorte que la face interne de leur vagin, devient lisse & polie.

Le tissu de la membrane interne du vagin, est parsemé de petites glandes, & les embouchures de leurs conduits excréteurs, s'apperçoivent tout le long de ce canal ; mais elles sont en plus grand nombre près de l'entrée de l'urethre, & à la partie antérieure du vagin. Tous les conduits excréteurs fournissent par leurs embouchures, plus ou moins grandes, une liqueur séreuse qui humecte ce canal ; cette liqueur coule en abondance dans le tems de l'amour. Lorsque cette liqueur s'augmente excessivement, elle cause l'écoulement qu'on nomme fleurs blanches, état très-difficile à guérir. Ettmuller a nommé cet écoulement catharre uterin.

On remarque au vagin un sphincter situé sur le clitoris, qui a trois travers de doigt de largeur, & qui partant de celui de l'anus, monte latéralement autour du vagin, l'embrasse & sert à le fermer, afin d'empêcher l'air extérieur d'y entrer. Jules-César Arantius a fait le premier mention de ce muscle orbiculaire.

La constriction de l'orifice du vagin est aidée par des corps que l'on apperçoit à sa partie inférieure, aux deux côtés de la vulve. Leur substance extérieure est composée d'une membrane très-déliée ; & l'intérieure, que l'abondance du sang coagulé rend noirâtre, est tissue de plusieurs petits vaisseaux, & de fibres entrelassées ; ce qui a porté de Graaf, qui a le premier reconnu ces corps, à les nommer plexus rétiformes : ils servent à retrécir l'entrée du vagin.

On trouve quelquefois à cet orifice, dans les jeunes filles, une espece de membrane, tantôt sémilunaire, tantôt circulaire, nommée par les anatomistes hymen. Voyez HYMEN.

Les caroncules dites myrtiformes, sont des restes de cet hymen déchiré, qui après s'être cicatrisés, forment de petits corps charnus & membraneux ; elles ne sont point la marque du pucelage, elles le seroient plutôt de la défloration. Voyez CARONCULES MYRTIFORMES.

Il y a des femmes qui ont, dès la premiere conformation, l'orifice du vagin plus dilaté que beaucoup d'autres, & plus disposé à se dilater à mesure qu'elles avancent en âge : desorte qu'étant nubiles, elles souffrent moins de l'usage du mariage, que celles qui sont naturellement fort étroites ; sur-tout bientôt après l'écoulement de leurs menstrues, dont la seule acrimonie, dans les filles qui ne jouissent pas d'une bonne santé, peut ronger les fibrilles ou les membranes déliées qui unissent les caroncules ; outre que le flux menstruel, en humectant cet orifice, le rend beaucoup plus susceptible de dilatation.

De Graaf dit qu'il ne connoît point d'autres marques de la virginité, que cette étroitesse de l'orifice du vagin, où l'on observe plus ou moins de rugosités ou caroncules qui se manifestent depuis le premier âge jusqu'à environ vingt ans, dans toutes les femmes qui sont encore vierges : cet auteur ajoute que l'absence de ces caroncules n'est point un signe certain pour convaincre une fille d'impudicité ; d'autant que par une infinité d'accidens qui n'ont donné aucune atteinte à la virginité de la nouvelle épouse, cet orifice peut se trouver assez large pour souffrir la consommation du mariage sans effusion de sang.

L'orifice du vagin est quelquefois si fort retréci par une membrane qui le bouche presque totalement, qu'il n'y reste qu'un petit trou par où les regles s'écoulent ; cet obstacle empêche la consommation du mariage, quand l'orifice est fermé par une membrane ; l'on ne peut remédier à ces deux inconvéniens qu'en incisant & retranchant cette membrane.

Dans le premier cas, il faut avec un bistouri droit, faire quatre petites incisions en forme de la lettre X ; & dans le second, avec une lancette montée, l'on fait une seule ouverture longitudinale à cette membrane, telle que la fit Fabrice d'Aquapendente à une fille qui n'étoit point percée, pour donner issue aux menstrues retenues par cette membrane.

Les ulcérations qui succédent à un accouchement laborieux, sont quelquefois cause qu'il se fait une cohérence entre les parois du vagin ; cet accident arrive aussi quelquefois par la faute du chirurgien, qui néglige dans les pansemens d'interposer quelque chose qui tienne les parois du canal séparés ; desorte que l'on est obligé de séparer de nouveau cette cohérence, & d'en empêcher la réunion par des soins plus attentifs. (D.J.)

VAGIN, (Maladies particulieres du vagin) ce conduit est sujet à des maladies qui lui sont propres, telles sont les hémorrhagies, la chûte ou descente, qui n'est autre chose que la prolongation de la membrane interne du vagin ; les excroissances, qu'on distingue en sarcomes, fungus ou champignons, & la clôture par vice de conformation ou par accident.

I. Les veines du vagin sont sujettes à la dilatation variqueuse, comme les veines du fondement : les femmes grosses, & les filles nubiles, en qui les vaisseaux de la matrice ne se sont pas encore ouverts sont particulierement attaquées de cette maladie, ainsi que les femmes qui ont le corps de la matrice obstrué ; parce que dans toutes ces circonstances, le sang qui doit servir à la menstruation, ne pouvant s'amasser dans les vaisseaux propres à cette fonction, engorge ceux du vagin avec lesquels ils communiquent. Lorsque ces vaisseaux excessivement distendus par la plénitude viennent à se crever, il en résulte un flux hémorrhoïdal, distingué du menstruel, en ce que l'effusion du sang ne se fait pas en tems marqué, mais par intervalle sans regle & sans ordre. La dilatation des veines du vagin est aussi fort souvent une suite des maladies propres de cet organe, telles que les inflammations, rhagades ou excroissances.

Les auteurs qui disent généralement & vaguement que le traitement des hémorrhoïdes du vagin est le même que de celles du siege, n'ont pas assez consulté les différentes causes de ces maladies. Les fomentations faites avec la décoction de graines de lin, des racines d'althéa, de feuilles de bouillon, peuvent bien calmer dans l'un & l'autre cas la tension inflammatoire ; on peut être soulagé par l'usage des linimens prescrits contre le gonflement des hémorrhoïdes, tels que l'onguent populeum, les huiles de pavot, de nénuphar, d'amandes douces battues long-tems en un mortier de plomb, avec l'addition d'un jaune d'oeuf & d'un peu d'opium. Mais on ne parviendra jamais à la guérison radicale du mal secondaire qu'après avoir détruit le primitif : ainsi il faudra, dans le cas d'obstruction de la matrice, obtenir la désopilation de ce viscere, avant que de pouvoir employer efficacement des remedes contre les hémorrhoïdes du vagin qui seroient l'effet de cette obstruction. Nous en disons autant des autres causes.

II. La descente du vagin n'est jamais une chûte ou relaxation de la totalité de ce conduit : la tumeur à laquelle on donne ce nom, est simplement un allongement d'une portion de la tunique intérieure du vagin. Ces prolongations viennent le plus souvent après des accouchemens laborieux, difficiles ou trop fréquens, sur-tout dans les femmes d'une constitution délicate, & sont l'effet de la trop grande distension que le vagin a soufferte. La tunique externe reprend son ressort, & l'interne qui est naturellement ridée ne se rétablit pas si aisément, & s'il y a quelque pli trop allongé, il forme une expansion qui sort de la vulve, comme on voit la tunique intérieure du rectum former la chûte de cet intestin, maladie assez fréquente aux enfans. Voy. CHUTE DU FONDEMENT.

Il n'est pas difficile de distinguer la chûte du vagin de la descente de matrice ; pour peu qu'on connoisse par l'anatomie la disposition naturelle des parties, on ne pourra tomber en aucune méprise sur ce point ; l'introduction du doigt suffira pour s'en assurer. La descente de matrice présente un corps d'un certain volume, ferme, lisse, & où l'on peut aisément reconnoître l'ouverture transversale de son orifice qui s'avance antérieurement, & qui est la partie la plus étroite ; dans la prolongation de la tunique intérieure du vagin, le doigt se porte plus haut que la tumeur, qu'on sait n'être qu'un corps flexible formé par un pli membraneux.

Cette maladie est plus incommode que douloureuse ; elle cause une malpropreté qui exige des soins habituels, faute desquels il résulteroit des inconvéniens ; les malades sont aussi moins capables de remplir les devoirs du mariage. D'ailleurs par la négligence des moyens curatifs, ces allongemens peuvent devenir skirrheux, & former des tumeurs spongieuses, qui donnent lieu à l'engorgement variqueux des vaisseaux, d'où résultent des écoulemens sanguinolens, & quelquefois des pertes de sang.

L'indication curative est de fortifier la partie relâchée par l'usage des astringens, capables par leur effet de la réduire à son état naturel. On se sert avec succès d'une éponge fine, ou d'un pessaire fait avec du linge roulé & trempé dans une décoction de fleurs de sumach, de balaustes, de noix de galle faite avec du gros vin, ou de l'eau de forge de maréchal, ou rendue styptique par l'addition d'un peu d'alun. On peut aussi recevoir avec succès sur une chaise percée, & par le moyen d'un entonnoir, la fumigation des roses de provins seches, d'encens, de mastic, de labdanum en poudre, &c.

III. Les excroissances ont aussi leur siege dans la tunique interne du vagin ; il y en a de molles, de dures ; les unes sont flasques & spongieuses, les autres pleines de vaisseaux variqueux : les excroissances qui sont sans ulcération sont des especes de sarcomes ; si elles sont produites par une végétation charnue à l'occasion d'un ulcere fongueux, on les nomme champignons. Voyez HYPERSARCOSE.

Parmi les excroissances il y en a à base large, d'autres qui ont une racine ou pédicule grêle ; les unes sont bénignes, c'est-à-dire qu'elles dépendent d'un vice purement local ; les autres sont malignes, & viennent ordinairement du vice vénérien : celles-ci demandent d'abord le traitement qui convient à la cause qui les a produites. La cure locale consiste dans la destruction des excroissances : tous les auteurs ont prescrit avec raison de ne pas irriter par des médicamens âcres & caustiques, les excroissances skirrheuses & douloureuses, de crainte qu'elles ne dégénerent plus promtement en cancer. La ligature, si elle est possible, est préférable, ou l'extirpation par l'usage des ciseaux est le moyen le plus sûr. On arrête facilement le sang avec de la charpie trempée dans de l'eau alumineuse. Ambroise Paré conseilloit l'usage d'une eau cathérétique pour consumer les racines des excroissances du vagin, & empêcher leur reproduction. Elle aura lieu principalement pour les excroissances charnues, suites de l'ulcération. Prenez eau de plantain, six onces ; verd-de-gris & alun de roche de chacun, deux gros ; sel commun, deux onces ; vitriol romain & sublimé, de chacun demi-gros : mêlez le tout pour s'en servir au besoin. On se servira ensuite d'injections avec le vin blanc miellé, & de médicamens déssicatifs. Quelques auteurs prescrivent le jus de pourpier avec un peu de poudre de sabine, comme un remede excellent pour faire tomber les verrues du vagin.

IV. La clôture du vagin se borne ou à la simple imperforation de la vulve, voyez IMPERFORATION, où le vagin est fermé dans une grande étendue, par des brides & cicatrices qui sont des suites des ulceres de cette partie. Le vagin fermé contre l'ordre naturel peut nuire à quatre fonctions ensemble, ou séparément ; ce sont la menstruation, l'usage du mariage, la conception & l'accouchement ; il n'y a de ressource que dans l'opération pour détruire ces obstacles. Paul d'Aegine & Fabrice d'Aquapendente ont conseillé cette opération, que M. Astruc a décrite plus amplement dans son traité des maladies des femmes, tome I. (Y)


VAGINALEVAGINALE


VAGISSEMENTS. m. (Gramm.) mot que nous avons emprunté des Latins, qui avoient vagitus pour désigner le cri des enfans nouveaux-nés, & dont nous avons fait vagissement, qui signifie la même chose. Il ne s'emploie guere que dans les traités de science.


VAGNIACAE(Géog. anc.) lieu de la grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin le marque sur la route de Vallum à Portus-Riupis, entre Novimagum & Durobrivae, à dix-huit milles du premier de ces lieux, & à huit milles du second. Plusieurs mettent ce lieu à Maidstone, d'autres à Wrotham, & d'autres à Northfleet. (D.J.)


VAGORITUM(Géog. anc.) ville de la Gaule lyonnoise. Ptolémée, liv. II. ch. viij. la donne aux peuples Aruvii ; Ortélius croit que c'est Vaugiron.


VAGUEVAGUE

Il y a plusieurs autres vague-mestres qui sont subordonnés au vague-mestre général, & qui prennent l'ordre de lui. Ils sont choisis dans les brigades de cavalerie & d'infanterie, & ils ont des aides : ils marchent à la tête des colonnes & des brigades. (Q)


VAGUERv. neut. (Brasserie) c'est remuer l'eau & la farine, ou le grain bruisiné.


VAGUESS. f. effet du mouvement imprimé à la surface des eaux, ou sur la mer, ou sur les rivieres. Voyez LAMES.

VAGUES, s. f. pl. (terme de Brasseur) autrement brassoirs ; ce sont des especes de longs rabots de bois assez semblables à ceux avec lesquels les Limousins courroyent leur mortier. Les brasseurs de biere s'en servent pour remuer & brasser leur biere, soit dans les cuves à matiere où ils la préparent, soit dans les chaudieres où ils la font cuire. (D.J.)

VAGUE, adj. (Gramm.) qui n'est pas limité, circonscrit, déterminé. On dit le vague de l'air, le vague d'une idée, d'un discours, d'une proposition, d'un dessein.

VAGUE, en Anatomie, nom de la huitieme paire de nerfs qu'on appelle aussi sympathiques moyens.

On lui a donné ce nom parce qu'elle se distribue à différentes parties du corps.

La huitieme paire de nerfs naît de la partie postérieure de la moëlle allongée, de la protubérance annulaire, & de la partie antérieure des éminences olivaires par plusieurs filets, qui en s'unissant, sortent du crâne par le trou déchiré postérieur ; le nerf accessoire de la huitieme paire, ou nerf spinal s'y unit avant sa sortie. Voyez ACCESSOIRE.

Cette paire de nerfs se divise ensuite en deux parties principales, dont la plus petite se distribue aux muscles voisins de la langue, à ceux du pharynx, &c. & va ensuite se perdre dans la langue en communiquant avec le grand & le petit hypoglosse. Voyez HYPOGLOSSE.

La grande portion de la huitieme paire après avoir communiqué avec la neuvieme paire & le nerf intercostal, paroît former une espece de ganglion, d'où il se détache un filet qui se distribue au larynx, à la glande thyroïde, &c. qui communique avec le nerf récurrent ; elle descend ensuite avec la veine jugulaire interne, l'artere carotide, en leur donnant des rameaux & à l'oesophage ; en entrant dans la poitrine, elle produit le nerf récurrent qui embrasse à droite l'artere souclaviere, & à gauche l'aorte, & envoie des branches à l'oesophage, à la trachée artere & au larynx. Les différents filets que la huitieme paire jette de chaque côté, forment par leur rencontre mutuelle & leur communication avec les filets du nerf intercostal, différens plexus, dont les principaux sont le plexus pulmonaire, & le plexus cardiaque.

Le plexus cardiaque produit quantité de filets qui vont se distribuer au coeur ; le plexus pulmonaire en produit de même qui se distribuent au poumon. Voyez COEUR & POUMON.

La huitieme paire gagne peu-à-peu l'estomac, & jette chemin faisant différens rameaux à l'oesophage, après cela tous les autres filets forment par leur entrelacement le plexus coronaire stomachique, duquel naissent plusieurs filets de nerfs qui se distribuent à l'estomac. Voyez ESTOMAC.

Le plexus coronaire produit dès sa naissance deux cordons particuliers, qui en s'unissant avec le nerf intercostal, forment le plexus hépatique, le plexus splénique, les plexus mésentériques & les plexus renaux qui distribuent des filets au foie, à la rate, au mésentere & aux reins. Voyez FOIE, RATE, &c.

On a remarqué dans l'ouverture d'un cadavre mort paralytique dans l'hôpital de la Charité de Paris, une tumeur ganglio-forme de la grosseur du doigt dans la huitieme paire un peu avant qu'elle produise le nerf récurrent.

VAGUE année, (calend. de Cappadoce) année des Cappadociens un peu plus courte que l'année julienne ; en voici l'histoire, & les raisons peu connues.

Les Cappadociens avoient une année qui leur étoit propre, & qui différoit absolument de l'année solaire des Romains, ainsi que de l'année luni-solaire des Grecs de l'Asie mineure & de la Syrie, soit pour la grandeur, soit pour les noms des mois, pour leur durée, & pour le lieu de l'année solaire auquel ils répondoient.

Cette année cappadocienne étoit composée de 12 mois de trente jours chacun, auxquels on ajoutoit cinq épagomenes ; ainsi c'étoit une année vague, plus courte d'un quart de jour que l'année julienne, dont le nourous ou le premier jour remontoit d'un jour tous les quatre ans dans l'année solaire, & ne revenoit au même jour qu'au bout de 1460 ans.

Nous ne connoissons que deux nations chez lesquelles l'année vague ait été employée dans l'usage civil, les Egyptiens & les Perses. La Cappadoce n'a jamais rien eu à démêler avec les Egyptiens, si ce n'est peut-être au tems de l'expédition de Sésostris ; & d'ailleurs les noms des mois cappadociens n'ont aucun rapport avec ceux des mois égyptiens : mais voici une raison plus forte. L'année fixe ou julienne n'a été établie dans la Cappadoce que quand le nourous ou premier jour de l'année vague répondoit au 12 Décembre ; or le premier jour de l'année vague égyptienne, celui qui suit les épagomenes, a répondu au 12 Décembre depuis l'an 304, jusqu'à l'an 307 avant Jesus-Christ, & long-tems avant que l'on eût pensé à établir l'usage d'une année solaire fixe, qui ajoutoit un 366e jour tous les quatre ans ; car Jules-César en est le premier auteur.

De-plus, les noms cappadociens de la plûpart des mois sont formés sur ceux des Persans, & non sur ceux des Egyptiens. Ce pays a été long-tems soumis aux Medes & aux Perses, qui avoient à-peu-près la même religion, & qui l'avoient portée dans la Cappadoce ; de-là il faut conclure que c'étoit aussi d'eux que les Cappadociens avoient emprunté leur année vague de 365 jours.

Les Arméniens se servent aujourd'hui d'une année composée comme celle des anciens persans, de douze mois de trente jours chacun, & de cinq épagomenes ; cette année est absolument vague, sans aucune intercalation, & elle remonte tous les quatre ans d'un jour dans l'année julienne. Elle sert dans le pays pour les actes & pour la date des lettres ; mais en même tems elle emploie une autre année, qui est proprement l'année ecclésiastique, & qui sert dans la liturgie pour régler la célébration de la pâque & des fêtes, le tems des jeûnes, & tout ce qui a rapport à la religion ; cette année est fixe au moyen d'un sixieme épagomene qu'on ajoute tous les quatre ans. Les noms des mois sont les mêmes que ceux de l'année vague ; mais le nourous, ou premier jour de l'année qui commence avec le mois de navazardi, est fixé depuis long-tems au onzieme du mois d'Août de l'année julienne, & il ne s'en écarte plus.

Le premier du mois navazardi, ou le nourous de l'année vague, répondoit en 1710 au 27 Septembre julien, c'est le 8 Octobre grégorien, & par conséquent il précédoit de 318 jours le nourous de l'année fixe suivante, ou le onzieme d'Août 1711. Ce précès de 318 jours n'a pu se faire qu'en 1278 ans vagues égaux à 1277 juliens & 47 jours ; ôtant ce dernier nombre de 1709 ans complets, plus 270 jours ; il restera 432 ans 223 jours après l'ére chrétienne, ou le onzieme d'Août de l'an 433 de Jesus-Christ. Ce fut sans-doute alors qu'on établit en Arménie l'usage d'une année fixe, semblable à l'année julienne.

Les Arméniens avoient cessé en 428 ou 429 d'avoir des rois, & ils étoient gouvernés par des satrapes persans. Comme les rois de Perse leur défendoient d'avoir aucun commerce avec les grecs, & même d'en garder les livres, & qu'ils n'en avoient aucuns écrits dans leur propre langue, pour laquelle ils n'avoient pas même de caracteres, ils se proposerent d'en inventer un qui en exprimât les sons, & dans lequel ils pussent écrire une traduction de la bible, des sermonaires, &c. Moïse de Khorenne fut employé à cet ouvrage avec d'autres savans, & ce fut alors qu'on pensa à établir une liturgie propre aux églises arméniennes ; mais comme il étoit très-difficile d'avoir un calendrier qui donnât dans l'année vague le jour de Pâques, & la célébration des fêtes aux mêmes jours que les autres églises chrétiennes qui se régloient sur l'année julienne, ce fut sans-doute par cette raison qu'on établit l'usage d'une année liturgique fixe.

Dans la suite, lorsque les Arméniens se réconcilierent avec l'Eglise latine, & qu'une partie d'entre eux reconnut les papes de Rome, dans une espece de concile tenu à Kerna, au xij. siecle, ils admirent la forme de l'année julienne, que le commerce avec les Francs avoit rendue nécessaire depuis les croisades. Les actes du concile des Sis joignent l'an 756 de l'ere arménienne avec l'an 1307 de l'ére vulgaire, & datent dans l'une & l'autre année par le 19 de Mars. Dans le concile d'Adena, tenu en 1316, où il fut question du calendrier, on ne se sert que des mois juliens & de l'ere vulgaire, & encore aujourd'hui lorsque les arméniens traitent avec les occidentaux, ils emploient les mois juliens. Une lettre ou bulle du patriarche arménien de Valarschapad, publiée par Schroder, porte la date du premier Décembre 1153 de l'ére arménienne, c'est l'an 1702.

Le dictionnaire arménien de Riucola donne le nom de plusieurs mois rapportés aux mois juliens ; mais ce rapport est très-différent de celui qui se trouve dans les liturgies & dans les calendriers entre l'année julienne & l'année arménienne fixe. Riucola avoit sans-doute copié des calendriers réglés au xjv. siecle, pour donner le rapport qu'avoit alors l'année vague avec l'année julienne. Mém. de l'acad. des Insc. tome XIX. (D.J.)


VAGUM(Géog. anc.) promontoire de l'île de Corse. Ptolémée, l. III. c. ij. le marque sur la côte orientale de l'île, entre Mariana-civitas & Mantinumcivitas. Cluvier dit, que c'est le promontoire qui est à l'entrée de l'étang de Brigaglia. (D.J.)


VAHALAIS. m. (Hist. nat. Botan.) racine de l'île de Madagascar ; elle vient de la grosseur de la tête d'un homme ; son goût approche de celui d'une poire ; on la mange ou crue, ou cuite. Elle fait la nourriture la plus ordinaire des habitans.


VAHALIS(Géog. anc.) Tacite écrit Vahalis, & César Valis ; fleuve du pays des Bataves. Le Rhin étant arrivé à l'entrée de leur pays, se partagea de tous tems en deux bras, dont le gauche coula vers la Gaule, & le droit après avoir servi de bornes entre les Bataves & les Germains, se rendit dans l'Océan. Le bras gauche fut appellé Vahalis. La Meuse, dit César, l. IV. c. x. prend sa source au mont Vogesus, aux confins des Lingones ; & après avoir reçu une certaine partie du Rhin nommé le Vahal, elle forme l'île des Bataves. On croit que le nom de ce fleuve venoit du mot germanique waalen, qui signifie détourner, & qu'on l'aura appellé waal, parce que cette branche du Rhin se détournoit vers la Gaule.


VAHATSS. m. (Teinture) le vahats est un arbrisseau de l'île de Madagascar, dont la racine est propre pour la teinture. Lorsqu'on veut se servir de cette racine, on enleve l'écorce qui peut seule donner de la couleur ; & après en avoir réduit une partie en cendres, dont on fait une espece de lessive, on met bouillir dans cette lessive avec l'autre partie d'écorce qu'on a reservée, les matieres qu'on veut teindre, auxquelles il faut prendre garde de ne pas donner un feu trop vif. La couleur que produit cette teinture, est un rouge couleur de feu, ou un jaune éclatant, si l'on y ajoute un peu de jus de citron. (D.J.)


VAHIAS. f. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar. Elle rampe comme le lierre terrestre, & répand une odeur très-aromatique.


VAHON-RANOUS. m. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar ; elle vient d'un gros oignon ; sa racine est très-forte, on en mêle dans les alimens des enfans, afin de chasser les vers. Cette plante croît sur le bord des étangs, sa fleur est fort belle. Ses feuilles broyées & battues avec de l'eau la font écumer comme du savon, aussi s'en sert - on pour se nettoyer le visage.


VAIGRERv. neut. terme de Marine ; c'est poser en place les planches qui font le revêtement intérieur du vaisseau. Voyez VAIGRES.


VAIGREou SERRES, s. f. pl. terme de Marine ; ce sont des planches qui font le bordage intérieur du vaisseau, & qui forment le serrage ; c'est-à-dire la liaison. Voyez encore les articles suivans.

Vaigres de fond. Vaigres les plus proches de la quille, elles n'en sont éloignées que de 5 à 6 pouces ; on ne les joint pas entierement à la quille, afin de laisser un espace pour l'écoulement des eaux, jusqu'à l'archipompe ; cet espace est fermé par une planche qui se leve selon le besoin.

Vaigres d'empâture. Ce sont les vaigres qui sont audessus de celles du fond, Voyez VAIGRES DE FOND, & qui forment le commencement de la rondeur des côtes.

Vaigres de pont. Ce sont des vaigres qui font le tour du vaisseau, & sur lesquels sont posés les bouts des baux du second pont.

Vaigres de fleurs. Vaigres qui montent au-dessus de celles d'empâture, & qui achevent la rondeur des côtes. Voyez FLEURS.


VAILAterme de Chasse ; c'est le terme dont un valet de limier doit user, quand il arrête son limier qui est sur les voies d'une bête, pour connoître s'il est dans la voie.


VAILLANCES. f. (Morale) voyez VALEUR. Il ne faut pas néanmoins renvoyer séchement au mot synonyme, quand on peut faire quelque chose de plus. Je définis donc la vaillance, l'effet d'une force naturelle de l'homme qui ne dépend point de la volonté, mais du méchanisme des organes, lesquels sont extrêmement variables ; ainsi l'on peut dire seulement de l'homme vaillant, qu'il fut brave un tel jour, mais celui qui se le promet comme une chose certaine, ne sait pas ce qu'il sera demain ; & tenant pour sienne une vaillance qui dépend du moment, il lui arrive de la perdre dans ce moment même où il le pensoit le moins. Notre histoire m'en fournit un exemple bien frappant dans la personne de M. Pierre d'Ossun, officier général, dont la vaillance reconnue dans les guerres de Piémont, étoit passée en proverbe ; mais cette vaillance l'abandonna à la bataille de Dreux, donnée en 1562, entre l'armée royale & celle des protestans ; ce brave officier manqua de courage à cette action, & pour la premiere & la seule fois de sa vie, il prit la fuite. Il est vrai qu'il en fut si honteux, si surpris & si affligé, qu'il se laissa mourir de faim, & que toutes les consolations des autres officiers généraux, ses amis, & du duc de Guise en particulier, ne firent aucune impression sur son esprit ; mais ce fait prouve toujours que la vaillance est momentanée, & que la disposition de nos organes corporels la produisent ou l'anéantissent dans un moment. Nous renvoyons les autres réflexions qu'offre ce sujet aux mots COURAGE, FERMETE, INTREPIDITE, BRAVOURE, VALEUR, &c. (D.J.)


VAILLANTadj. qui a de la vaillance. Voyez VAILLANCE.

VAILLANT, terme de Maréchal, cheval vaillant. On appelle ainsi un cheval courageux & vigoureux.


VAINadj. (Gram.) ce mot a plusieurs acceptions fort différentes. On dit d'un homme qu'il est vain, c'est-à-dire qu'il s'estime lui-même, aux yeux des autres, & plus qu'il n'est permis, de quelque qualité qu'il a ou qu'il croit avoir. Voyez l'article VANITE. On dit d'une science que ses principes sont vains, lorsqu'ils n'ont aucune solidité. On dit de la gloire & des plaisirs de ce monde qu'ils sont vains, parce qu'ils passent : de la plûpart de nos espérances qu'elles sont vaines, parce qu'elles nous trompent. On dit encore de presque toutes les choses qui ne produisent pas l'effet qu'on en attend, qu'elles sont vaines ; des prétentions vaines, une parure vaine, la pompe vaine d'un mausolée, d'un tombeau. Un tems vain est celui d'un jour de chaleur qui accable, étouffe, résout les forces, & rend incapable d'occupation.

VAIN PATURAGE, (Jurisprud.) est celui qui se trouve sur les terres & prés après la dépouille, sur les terres en gueret ou en friche, dans les bruyeres, haies, buissons & bois non défensables. Voyez PRÉS & PATURAGES, PATURE. (A)

VAIN, (Maréchal.) cheval vain, c'est celui qui est foible par trop de chaleur, ou pour avoir pris quelques remedes, ou pour avoir été mis à l'herbe, ensorte qu'il n'est plus guere en état de travailler.

VAINE PATURE, (Jurisprud.) est la même chose que vain pâturage. Voyez ci-devant VAIN PATURAGE & les mots PATURAGE, PATURE & PRES. (A)

VAINES, (Véner.) il se dit des fumées légeres & mal pressées des bêtes fauves.


VAINCRESURMONTER, (Synon.) vaincre suppose un combat contre un ennemi qu'on attaque & qui se défend. Surmonter suppose seulement des efforts contre quelque obstacle qu'on rencontre, & qui fait de la résistance.

On a vaincu ses ennemis, quand on les a si bien battus, qu'ils sont hors d'état de nuire. On a surmonté ses adversaires quand on est venu à bout de ses desseins, malgré leur opposition.

Il faut du courage & de la valeur pour vaincre, de la patience & de la force pour surmonter.

On se sert du mot de vaincre à l'égard des passions, & de celui de surmonter pour les difficultés.

De toutes les passions l'avarice est la plus difficile à vaincre, parce qu'on ne trouve point de secours contr'elle, ni dans l'âge, ni dans la foiblesse du tempérament, comme on en trouve contre les autres, & que d'ailleurs étant plus resserrée qu'entreprenante, les choses extérieures ne lui opposent aucune difficulté à surmonter. Synonym. de l'abbé Girard.


VAINQUEURS. m. (Gram.) homme signalé par une victoire. Il se prend au simple & au figuré : il fut moins difficile à Alexandre de vaincre les Perses & les Asiatiques, que ses passions.


VAIRS. m. (terme de Blason) c'est une fourrure faite de plusieurs petites pieces d'argent & d'azur à-peu-près comme un U voyelle, ou comme une cloche de melon. Les vairs ont la pointe d'azur opposée à la pointe d'argent, & la base d'argent à celle d'azur.

On appelle vair affronté, lorsque les vairs ont leurs pointes tendantes au coeur de l'écu, & vair appointé ou vair en pal, quand la pointe d'un vair est opposée à la base de l'autre.

On appelle vair contre vair, lorsque les vairs ont le métal opposé au métal, & la couleur opposée à la couleur : ce qui est contraire à la disposition ordinaire du vair.

Vairé se dit de l'écu, ou des pieces de l'écu chargées de vairs : quand la fourrure est d'un autre émail que d'argent & d'azur, alors on dit vairé de telle couleur ou métal. Senecé porte vairé d'or & de gueules. On appelle aussi des pieces honorables de l'écu vairées, quand elles sont chargées de vair. (D.J.)


VAIRONS. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) varius, seu phoxinus levis, poisson de riviere du double plus petit que le goujon ; il a le corps un peu mince & long d'environ trois pouces ; il est couvert de si petites écailles qu'on les distingue à peine, & il n'a point de barbillons. Il y a sur les côtés du corps une ligne de couleur d'or, qui s'étend depuis la tête jusqu'à la queue ; la couleur qui est au-dessous de cette ligne, varie dans différens individus ; car quelques-uns ont le ventre rouge, d'autres blanc ou bleu ; enfin il y en a qui ont sur les côtés du corps du bleu & de la couleur d'or. Ce poisson se plait dans les eaux peu profondes & qui coulent rapidement. On le trouve ordinairement dans les gués couverts de pierres ou de sable. Ray, synop. meth. piscium. Voyez POISSON.

VAIRON, (Maréchal.) se dit de l'oeil du cheval dont la prunelle est entourée d'un cercle blanchâtre, ou qui a un oeil d'une façon, & l'autre d'une autre. Il se dit aussi d'un cheval de plusieurs couleurs, & dont les poils sont tellement mêlés, qu'il est difficile de distinguer les blancs d'avec les noirs, & les roux d'avec les bais. On l'appelloit autrefois vair.


VAISON(Géog. mod.) petite ville, ou bicoque de France, en Provence, au comtat Venaissin, proche la riviere d'Ouvèse, à douze lieues au nord-est d'Avignon, dont son évêché est suffragant. Long 22. 47. latit. 44. 17.

Le nom latin de Vaison est Vasco, ou plutôt Vasio, Vasiorum civitas, Vasio Vocontiorum, autrefois la capitale des Vocontiens, l'une des grandes villes des Gaules, & du nombre de celles qu'on appelloit foederatoe, c'est-à-dire alliées des Romains, comme nous l'apprenons de Pline. Elle étoit dans la plaine, ainsi qu'on le voit par ses ruines. Elle reçut de bonne heure le christianisme ; car un de ses évêques nommé Daphnus, episcopus vasionensis, envoya un député au concile d'Arles tenu l'an 314.

Cette ville fut ruinée sur la fin du sixieme siecle, soit par les Sarrasins, soit par les Lombards d'Italie, qui ayant passé les monts, ravagerent les pays qui sont entre le Rhône & les Alpes. A la place de cette ancienne ville de Vaison, on a bâti sur une montagne la nouvelle ville, qui n'est, à proprement parler, qu'une méchante bicoque dépeuplée, de la dépendance du pape, sans fortifications, & dont l'évêque a moins de revenu que plusieurs curés ordinaires. (D.J.)


VAISSEAUS. m. (Gram.) il se dit en général de tout ustensile propre à contenir quelque chose de fluide ou de solide. La capacité du vaisseau est indéterminée ; il y en a de grands, de petits, de toutes sortes de formes, & pour toutes sortes d'usage ; le tonneau, la caraffe, le verre, la tasse, le calice, &c. sont des vaisseaux.

VAISSEAU SANGUIN, (Physiol.) Les vaisseaux sanguins sont distingués en arteres & en veines. On nomme arteres les vaisseaux qui reçoivent le sang du coeur, pour le distribuer dans toutes les parties du corps. On appelle veines les vaisseaux qui rapportent de toutes les parties au coeur une portion de sang qui avoit éte distribué dans ces mêmes parties par les arteres.

Ces sortes de vaisseaux se distinguent aisément dans le corps vivant ; les premiers, c'est-à-dire les arteres, ayant deux mouvemens que les veines n'ont pas, ou du moins qui ne s'y montrent pas d'une maniere aussi sensible. Dans l'un de ces mouvemens les arteres sont dilatées, & dans l'autre elles se resserrent. On nomme le premier diastole, & le second systole.

Les anatomistes sont partagés sur le nombre des tuniques des arteres ; les uns les ont multipliées, les autres les ont diminuées. D'autres ont disputé sur leur nature. Sans entrer dans cette discussion, nous en reconnoitrons trois avec la plûpart des écrivains. La plus extérieure vasculeuse, la seconde musculeuse, dont les fibres sont annulaires, & la troisieme nerveuse. Ruysch en ajoute une quatrieme qu'il nomme cellulaire.

Toutes les arteres commencent par deux troncs principaux, dont l'un sort du ventricule droit du coeur pour aller se distribuer aux poumons ; on le nomme artere pulmonaire : le second qui est appellé aorte, prend naissance du ventricule gauche, pour aller se distribuer généralement à toutes les parties, sans en excepter même les poumons ni le coeur.

Les veines commencent où les arteres finissent, de sorte qu'on les considere comme des arteres continuées. Elles ne sont dans leur origine que des enduits d'une petitesse indéfinie, & de l'union de plusieurs rameaux les uns avec les autres, il se forme des troncs d'une grosseur plus considérable, laquelle augmente d'autant plus qu'ils s'éloignent de leurs origines, & qu'ils approchent du coeur.

Les veines n'ont point de mouvement apparent ; il se rencontre dans leur cavité des membranes divisées en soupapes ou valvules, qui facilitent le cours du sang vers le coeur, & empêchent son retour vers les extrêmités. Voyez VALVULE.

Les veines ont moins d'épaisseur que les arteres : ce qui a donné lieu aux anciens de croire que les veines n'étoient formées que d'une seule membrane ou tunique, & que les arteres en avoient deux ; mais les modernes ont découvert que les veines sont composées à-peu-près des mêmes tuniques que les arteres, avec cette différence néanmoins qu'elles y sont plus minces, & n'ont point le même arrangement. La premiere de ces tuniques est membraneuse, n'étant faite que de plusieurs filets, qui s'étendent pour la plûpart suivant la longueur de la veine ; la seconde est vasculeuse ; la troisieme glanduleuse, & la quatrieme est faite de plusieurs fibres annulaires, que quelques-uns disent musculeuses ; car il regne la même variété d'avis sur la tunique des veines que sur celle des arteres.

On doit observer en général que toutes les arteres sont accompagnées dans leurs distributions d'autant de veines, & qu'il se trouve le plus souvent deux veines pour une seule artere. Il n'en est pas ainsi des veines ; car on en rencontre plusieurs qui ne sont accompagnées d'aucune artere ; telles sont pour l'ordinaire les veines extérieures des bras & des jambes, &c. On juge de-là que les ramifications des veines sont plus nombreuses que celles des arteres.

On observe aussi que les troncs & les principales branches tant des arteres que des veines, conservent ordinairement la même situation dans tous les sujets, mais qu'il n'en est pas ainsi de leur ramification, principalement à l'égard des veines ; car leur situation varie beaucoup, non-seulement dans plusieurs sujets, mais même à l'égard des membres d'un même sujet ; les jeux de la nature sont très-fréquens sur cet article. Voyez VAISSEAU sanguin, (Angiol.) (D.J.)

VAISSEAU SANGUIN, (Angiolog.) Les vaisseaux sanguins sont de deux sortes, nommés arteres & veines. L'origine, le décours & les ramifications de ces deux genres de vaisseaux, offrent des variétés sans nombre ; nous exposerons seulement les principales.

1°. Jeux de la nature sur les arteres. Chaque ventricule du coeur produit une maîtresse artere ; l'antérieur jette la pulmonaire ; le postérieur donne naissance à l'aorte.

L'artere bronchiale, devenue fameuse par la description de Ruysch, & par les injections de ses ramifications que j'ai vu souvent dans son cabinet, a une naissance fort incertaine ; tantôt elle vient de la crosse de l'aorte, ou des environs de cette courbure ; quelquefois d'une intercostale, & quelquefois quoique plus rarement, d'un tronc commun avec l'oesophagienne. M. Winslow a vu une communication de l'artere bronchiale gauche, avec la veine azygos ; & il l'a vu une autre fois s'anastomoser dans le corps de cette veine.

L'aorte jette comme on sait, les deux coronaires du coeur, les intercostales & les oesophagiennes. Cependant quelquefois les coronaires sont triples ; les intercostales au nombre de dix de chaque côté, aulieu de sept ou huit qui est le nombre ordinaire ; & on ne rencontre quelquefois qu'une artere oesophagienne, au-lieu de deux. De plus, les oesophagiennes naissent très-souvent des intercostales.

La laryngée est assez souvent double.

Les musculaires du cou varient beaucoup en nombre.

La stylo - mastoïdienne vient souvent du trone de l'occipitale.

L'artere orbitaire qui naît de la maxillaire, est le plus ordinairement double.

Les sous-clavieres & les carotides ont quelquefois deux troncs communs.

Les trachéales, les médiastines & la thymique, ont leur nombre & leur origine incertaine, & qui varie dans tous les sujets. Les trachéales viennent tantôt de la thymique, tantôt de la sous-claviere, tantôt de la carotide, &c. Les médiastines & les péricardines viennent de plusieurs endroits ; la thymique, la mammaire interne, les diaphragmatiques, l'aorte & les intercostales les produisent. La thymique est quelquefois double, & naît quelquefois du tronc commun de la sous-claviere & de la carotide. Les médiastines manquent assez souvent.

La mammaire externe donne des rameaux dont le décours & la distribution varient dans divers sujets.

Les arteres cervicales sortent souvent de la partie supérieure de la sous-claviere ; mais souvent les vertébrales & les carotides les produisent : quelquefois elles viennent d'un seul tronc.

L'artere basilaire se divise quelquefois de nouveau vers l'extrêmité de l'apophyse basilaire, en deux branches latérales.

L'artere intercostale supérieure a une origine très-incertaine ; quelquefois elle naît de l'aorte, d'autres fois de la sous-claviere, & d'autres fois de la cervicale.

La mammaire interne est souvent double ; & les thorachiques inférieures naissent souvent d'un seul tronc.

L'artere brachiale se divise quelquefois au milieu du bras, & quelquefois plus haut ; & sa distribution présente divers jeux de la nature en divers sujets.

L'artere cubitale se termine dans la paume de la main, par une arcade qu'on nomme palmaire, qui n'est pas également bien formée dans tous les sujets.

Passons à la distribution de l'aorte dans le bas-ventre.

L'artere coeliaque se divise quelquefois tout-à-coup près de son origine, en trois branches, à-peu-près en maniere de trépié ; ensuite elle offre plusieurs variétés dans les ramifications de ses branches. Elle fournit dans son cours l'artere gastrique ; mais celle-ci sort quelquefois de même que l'hépatique, de la mésentérique supérieure ; & quelquefois elle est double.

L'artere mésentérique supérieure, que produit l'aorte dans le bas-ventre, n'est pas moins considérable que la coeliaque, & a de même ses variétés dans ses anastomoses.

Les arteres rénales ou émulgentes sont quelquefois doubles de chaque côté ; mais leur grosseur est alors proportionnée à leur nombre.

Les capsulaires viennent tantôt du tronc de l'aorte, tantôt des arteres rénales, souvent des diaphragmatiques, & quelquefois de la coeliaque.

Les arteres spermatiques, qui sont les deux plus petites que produise l'aorte, varient beaucoup dans leur origine & leur décours ; quelquefois l'artere droite passe sur la veine-cave, & quelquefois derriere ; variété qui trouble ceux qui dissequent. Les mêmes arteres se divisent avant que d'arriver aux testicules, tantôt en trois, tantôt en quatre, & tantôt en cinq branches : rien n'est moins fixe.

Les arteres lombaires sortent quelquefois par paires, & non pas séparément, d'un petit tronc commun.

Les arteres sacrées sont quelquefois solitaires, quelquefois au nombre de trois & de quatre. Elles naissent tantôt de l'aorte, tantôt des iliaques, plus rarement des lombaires.

L'artere hypogastrique, qui paroît dans le foetus aussi considérable que le tronc de l'iliaque qui la produit, n'en est qu'une branche dans l'adulte ; sa division varie si fort qu'on n'en sauroit donner une description qui puisse convenir à un nombre même médiocre de sujets.

L'artere honteuse interne est beaucoup plus considérable dans le sexe, à cause de la matrice & du vagin qu'elle arrose. Elle est quelquefois double dans l'un & l'autre sexe, mais plus souvent dans les femmes ; c'est peut-être de-là que dépend dans quelques-unes, l'abondance de leurs regles. D'ailleurs l'artere honteuse interne communique tant avec la honteuse externe, qu'avec la moyenne ; & leur réunion porte par conséquent dans les parties de la génération, la force & la chaleur du tempérament.

Voilà les jeux des principales arteres. Un détail poussé plus loin des petits rameaux artériels, n'offriroit que semblables jeux, dont il seroit difficile de tirer quelque usage ; quoique ces variations aient leur utilité particuliere, en offrant au sang de nouvelles routes, lorsque quelques arteres cessent de faire leurs fonctions.

2°. Jeux de la nature sur les veines. Le coeur ne produit que deux arteres ; mais il reçoit plusieurs grosses veines pulmonaires.

La veine bronchiale varie non-seulement dans son origine, mais quelquefois même elle manque, au-lieu qu'ordinairement elle est double.

La veine azygos est très-considérable, & double dans quelques sujets ; quand elle est fort grosse, alors la veine-cave inférieure est très-étroite ; elle se termine par anastomose, tantôt avec la veine émulgente, tantôt avec une veine lombaire, tantôt immédiatement avec le tronc de la veine-cave inférieure, & tantôt autrement ; car il se trouve ici cent jeux de la nature. Elle reçoit communément les intercostales inférieure, supérieure, les oesophagiennes, souvent les lombaires, & les diaphragmatiques. Mais quelquefois les intercostales inférieures naissent de deux petits troncs communs, & quelquefois d'un seul.

Les veines péricardines, droites & gauches, ont semblablement beaucoup de variations dans leur origine.

Les veines jugulaires externes naissent quelquefois de l'axillaire, & quelquefois de l'union de la sous-claviere & de l'axillaire. Elles sont quelquefois en plus grand nombre que deux de chaque côté. Toutes les branches des jugulaires externes communiquent non-seulement ensemble, mais encore avec les branches de la jugulaire interne. De-là vient la difficulté que les Chirurgiens rencontrent souvent dans la saignée du col ; les ligatures ordinaires ne faisant point gonfler les vaisseaux qu'on doit ouvrir, à cause de l'issue que le sang trouve vers la jugulaire interne.

La veine vertébrale est quelquefois double dans sa partie inférieure ; la veine occipitale en vient quelquefois, & d'autres fois de l'axillaire.

La veine gutturale gauche sort quelquefois de la veine axillaire, comme M. Winslow l'a vu.

La veine axillaire jette quelquefois une branche de communication à la basilique.

La veine porte & la splénique reçoivent un grand nombre de vaisseaux qui viennent du ventricule, du duodénum, de la vésicule du fiel, du pancréas, & de l'épiploon ; mais ces veines varient infiniment dans chaque sujet, pour leur nombre & leur distribution.

La naissance des veines lombaires se trouve dans divers sujets, varier de différentes manieres.

La veine sacrée est quelquefois double, & ensuite se réunit en un seul tronc ; elle est encore quelquefois une branche de l'hypogastrique.

Ce court détail des jeux de la nature sur les vaisseaux sanguins de notre machine, doit suffire. Ceux qui examineront ces vaisseaux dans un grand nombre de cadavres, seront peut-être surpris d'y rencontrer des jeux infinis ; chaque sujet présente un arrangement nouveau. Quand on n'a pas eu l'occasion, ou l'habitude des nombreuses dissections, on croit assez souvent faire des découvertes importantes, lorsqu'il arrive d'observer quelques variétés en ce genre, tandis que les grands anatomistes, à qui ces variétés sont familieres, en gardent le silence dans leurs écrits, ou se contentent d'en avertir une fois pour toutes.

3°. Observation générale sur les jeux des vaisseaux sanguins. Comme entre les exemples de ces jeux, on parle principalement de ceux qui concernent l'aorte & les arteres émulgentes, on pourroit peut-être proposer une conjecture, qui serviroit à expliquer pourquoi il se trouve quelquefois plusieurs arteres émulgentes.

Supposons que dans un embryon qui commence à se développer, un seul petit tronc d'artere sorte de l'aorte, & qu'avant d'arriver au rein, il se divise en plusieurs branches, ainsi qu'on le voit dans la plûpart des cadavres. Dans cet embryon, le petit tronc de l'artere émulgente n'est pour ainsi dire qu'un point ; si les branches croissent, tandis que le petit tronc ne croît pas, & si en même tems les petites parties qui sont dans l'angle d'où partent les branches, vont à augmenter, voilà le petit tronc partagé en deux ou trois petits troncs, qui auront chacun leur ouverture particuliere dans l'aorte. Avec le tems ces deux ou trois petits troncs, pourront devenir fort éloignés les uns des autres, parce que l'espace qui est entr'eux, croîtra à proportion que l'accroissement de l'aorte augmentera.

On peut aussi comprendre comment un de ces troncs, ou une branche de l'artere émulgente, n'entre pas dans le rein à l'endroit de la sinuosité, & qu'il perce ailleurs la substance du rein. Il se peut faire que la substance du rein se développe sur le chemin par où cette artere doit entrer ; alors cette artere aura dans le rein une entrée plus haute ou plus basse que de coutume.

Ordinairement l'aorte fournit un tronc commun pour la sous-claviere & la carotide droite ; elle donne ensuite la carotide gauche, & enfin la sousclaviere gauche. Quelquefois la carotide & la sousclaviere du côté droit, ont chacune une origine distinguée.

La conjecture que l'on vient de proposer, peut encore ici être appliquée ; & elle fourniroit la raison de cette variété.

En effet, il est aisé de concevoir que si dans l'embryon, le tronc commun de la carotide & de la sousclaviere droite manque à se développer, tandis que l'une & l'autre de ces arteres prennent leur accroissement, elles paroîtront par la suite partir immédiatement, & chacune séparément, de la courbure de l'aorte. Si la petite portion de l'aorte qui est entre la carotide gauche & le tronc commun de la carotide & de la sous-claviere droite, ne croît pas, il n'y aura qu'un tronc pour la sous-claviere droite & les deux carotides ; c'est ce qu'on trouve aussi quelquefois.

On peut faire l'application du même principe, à l'égard des petits troncs qui sortent de l'artere iliaque interne, dans lesquels on rencontre beaucoup de variétés. On verra facilement qu'il peut y en avoir, car ce sont cinq ou six petits troncs naissans de l'iliaque interne, dans un espace qui dans l'adulte n'a qu'environ un pouce d'étendue ; ainsi ces petits troncs étant placés, pour ainsi dire l'un sur l'autre dans l'embryon, la moindre variété dans le développement, peut produire de la variété dans leur arrangement & leur distribution. Voyez les Mém. de l'acad. des Scienc. ann. 1740. (D.J.)

VAISSEAUX DU CORPS HUMAIN, (Physiologie) l'exilité, la mollesse, & la délicatesse de plusieurs vaisseaux du corps humain, surpasse l'idée que l'imagination s'en forme, & leur derniere division se perd dans la nuit de la nature.

La plus petite artere, rouge ou sanguine, qui est le plus grand de tous les petits vaisseaux, ne paroit pas surpasser en épaisseur un dixieme de fil d'araignée, & c'est une grosse artere comme l'aorte, relativement à une autre pareille artériole de la substance corticale du cerveau. Les vaisseaux de cette partie sont, suivant Leuwenhoeck, cinq cent douze fois plus fins qu'un globule rouge, qu'il prétend n'être pas plus épais qu'un centieme de fil d'araignée ; c'est donc un prodige continuel que des vaisseaux, dont l'exiguité & la finesse sont immenses, puissent résister aux seuls mouvemens, qui sont absolument nécessaires à la vie & à la santé.

Que dis-je ! ils résistent aux fievres les plus terribles ; mais les tuyaux par lesquels commence la filtration des esprits sont infiniment plus fins, jamais l'art de Ruysch n'a pû y pénétrer. Quelle prodigieuse petitesse ! l'imagination se perd dans l'infini que la nature offre par-tout.

Ces mêmes vaisseaux, qui sont l'objet de notre étonnement dans l'adulte, étoient autant de fois plus petits dans le foetus, que l'adulte est plus grand que le foetus, & le nombre en étoit par conséquent autant de fois plus considérable ; car bien-loin qu'un nouveau-né manque d'aucun vaisseau qui se trouve dans les adolescents, il en a d'autant plus, qu'il est plus près de son origine, comme Ruysch l'a remarqué, en injectant de jeunes sujets de différens âges, & comme la raison le démontre ; c'est l'effet de la continuation de la vie de raccourcir, de boucher, d'ossifier, de détruire tous les vaisseaux de notre machine. (D.J.)

VAISSEAUX, (Botan.) il y en a de capillaires ; ce sont les plus petits vaisseaux des plantes ; ils changent & varient les combinaisons des premiers principes auxquels il n'est pas aisé de remonter, malgré l'analyse des Chymistes. Les vaisseaux capillaires sont la partie la plus déliée qui compose le dessus des feuilles ; ils succent & attirent la pluie, la rosée, l'air, & les atômes aëriens dont les plantes ont besoin pour leur conservation.

Des excrétoires ; les canaux qui vuident les sucs qui ne sont pas propres à la nourriture des plantes, & qui ont été filtrés dans leurs visceres, se nomment excrétoires ; les poils même qui couvrent les feuilles des arbres, sont autant de vaisseaux excrétoires qui rejettent le fluide superflu.

Des longitudinaux ; ce sont les canaux perpendiculaires qui montent le long de la tige d'un arbre, & qui portent le suc dans les parties les plus élevées, ensorte que ces deux termes deviennent synonymes, & expriment dans un végétal les tuyaux qui montent le plus droit.

Des latéraux ; ce sont les vaisseaux séveux, qui au sortir des vaisseaux perpendiculaires s'étendent horisontalement dans les branches des végétaux pour les nourrir en partie, le reste étant réservé aux feuilles dont les véhicules & les vaisseaux capillaires imbibent l'humidité de l'air.

VAISSEAUX DE CHYMIE ; ces vaisseaux sont la partie des meubles chymiques, supellectilis chimica, qui servent à contenir certains sujets de l'art ; non pas pour les conserver, pour en approvisionner le chymiste, mais pour qu'il puisse les exposer par leur moyen aux divers agens chymiques, & principalement au feu, ou diriger, ramasser, retenir les produits de diverses opérations ; car les vaisseaux que les Chymistes emploient aux usages les plus communs, savoir à serrer, à conserver diverses matieres, tels que les bouteilles, les pots, les poudriers, les boîtes, &c. ne sont pas proprement des vaisseaux de chymie, & l'attention scrupuleuse que les Chymistes doivent avoir à ce que la matiere du vaisseau dans lequel ils enferment chaque substance ne puisse point être attaquée par cette matiere, n'a rien de particulier lorsqu'ils l'appliquent à cette derniere espece ; on a cette attention à propos de l'usage économique des vaisseaux, & de celui auquel on les emploie dans tous les arts. Il faut convenir cependant que cet objet mérite une circonspection particuliere lorsqu'il s'agit de matieres chymiques destinées à des procédés de chymie philosophique, ou à des préparations pharmaceutiques. Au reste, cette considération regarde de la même maniere les instrumens (voyez INSTRUMENS DE CHYMIE), mais le choix de la matiere des vaisseaux chymiques proprement dits est bien d'une autre conséquence, & n'est point inspiré comme le précédent, par une prudence & par une expérience vulgaire ; car il ne suffit pas que l'artiste connoisse l'énergie d'une seule substance, qu'il a actuellement sous les sens, il faut qu'il prévoye tous les produits & les événemens divers de l'opération qu'il va exécuter, & qu'il emploie des vaisseaux tellement constitués, s'il est permis de s'exprimer ainsi, & tellement appareillés, qu'ils reçoivent & retiennent ces produits, qu'ils supportent & qu'ils moderent même ces événemens de la maniere la plus avantageuse qu'il est possible. Au reste, il y a sur ceci une espece de tradition dans l'art, & même des loix écrites qui laissent rarement l'artiste dans le cas de méditer ou de tenter beaucoup pour imaginer ou pour choisir la meilleure matiere des vaisseaux & le meilleur appareil. Ce n'est que dans les expériences nouvelles où il pourra avoir ce soin, dont il sera exempt encore, moyennant l'habitude des travaux chymiques & un peu de sagacité de talent, par la considération des travaux analogues sur des sujets analogues ; & il n'arrivera point à un chymiste de distiller, comme M. Halles, du vitriol dans un canon de fusil, sur-tout pour estimer l'air qui se dégorgera de ce corps par ce moyen, parce qu'il se souviendra que l'acide vitriolique, qui s'échappe dans cette opération, attaque le fer avec effervescence, c'est-à-dire émission d'air, & par conséquent porte nécessairement de l'erreur dans l'estimation de l'air réputé entierement fourni par la substance distillée. On trouvera dans différens articles de ce Dictionnaire, & nommément dans les articles particuliers destinés aux diverses opérations chymiques, les principales connoissances de détail nécessaires pour diriger convenablement cette partie de la pratique ou du manuel chymique. Il seroit inutile de répéter ici l'énumération de tous ces différens vaisseaux, dont on trouvera d'ailleurs un tableau, une distribution réguliere dans les planches de chymie. Voyez les Planches avec leur explication : on trouvera encore un article particulier pour chaque vaisseau.

Les Chymistes se font des vaisseaux de terre cuite de poterie, comme les creusets, les têts à rôtir, des cornues, des cucurbites, &c. de verre, tels que des cornues, des alembics, toutes les especes de récipiens les plus employés, &c. de fer fondu, savoir des bassines & des cornues de diverses especes ; de cuivre, comme grands alembics les plus ordinaires, des bassines, des réfrigérans, &c. de plomb, qui fournit les tuyaux des serpentins ; d'étain, savoir les cucurbites pour le bain-marie avec leur chapiteau, &c. d'argent, des cucurbites, des bassines, &c. qu'on substitue avec avantage aux vaisseaux de cuivre qui sont beaucoup plus exposés que ceux d'argent à être entamés par divers sujets chymiques qu'on traite dans ces vaisseaux. Il y a telle opération pour laquelle les vaisseaux d'or seroient très-commodes, par exemple, une cloche à retenir l'acide du soufre, un serpentin pour la distillation des acides minéraux, &c. mais j'ai observé déjà dans quelque autre endroit de ce Dictionnaire, que la pauvreté chymique ne permettoit pas qu'on employât au - moins une fois ce précieux métal à un usage déduit de ses propriétés réelles ; enfin les vaisseaux de bois peuvent servir à traiter les sujets chymiques même par l'application du feu ; le tonneau distillatoire représenté dans les tables de chymie, & dont il est fait mention à l'article DISTILLATION, en est l'exemple & la preuve.

Outre la considération principale qui détermine le choix de la matiere des vaisseaux, & dont nous avons parlé plus haut, savoir leur insolubilité par les matieres à l'action desquelles ils sont exposés dans chaque opération ; outre cette considération, dis-je, il y en a deux autres très-générales pour les opérations qui s'exécutent par le moyen du feu, savoir que le vaisseau résiste au feu, qu'il ne s'y fonde ni éclate, ni se fêle, &c. & 2°. qu'il puisse supporter l'alternative du chaud & du froid qu'occasionnent l'abord libre de l'air, ou l'application faite à dessein d'un corps froid ; voyez REFRIGERANT & DISTILLATION. Les vaisseaux de bonne terre sont ceux qui résistent le mieux au feu, & sur-tout lorsqu'ils sont lutés ; voyez LUT. Le célebre M. Pott a donné sur cette partie importante de manuel chymique, une dissertation dont tous les objets de détail sont trop intéressans pour qu'elle soit susceptible d'extrait. Les artistes ne peuvent se dispenser de la connoître toute entiere ; elle se trouve dans le quatrieme volume de la collection françoise de ses dissertations, sous ce titre : Essai sur la maniere de préparer des vaisseaux plus solides qui puissent soutenir le feu le plus violent, & qui soient les plus propres à contenir les corps en fusion.

Les vaisseaux de métal sont éminemment propres à supporter le rafraîchissement. Les vaisseaux de fer fondu supportent quelquefois le plus grand feu. Les vaisseaux de verre ont besoin d'être lutés pour résister au grand feu, & ils doivent être rafraîchis avec beaucoup de circonspection ; enfin il y a encore une considération particuliere déduite de l'effort que des matieres très-expansibles, l'eau & l'air principalement, font quelquefois au-dedans des vaisseaux, qu'elles peuvent briser, faire sauter en éclat. Pour prévenir cet inconvénient on donne issue à cette matiere expansive, comme on le pratique dans les distillations, au moyen du petit trou du ballon ; voyez DISTILLATION. Ou on emploie des vaisseaux capables de résister aux efforts de la vapeur engendrée au-dedans d'eux, comme lorsqu'on emploie un matras vigoureusement cuirassé, à la préparation de l'éther nitreux (voyez ÉTHER NITREUX) ; ou un vaisseau d'un métal fort épais, comme la machine ou digesteur de Papin. Voyez DIGESTEUR. (b)

VAISSEAUX, (Marine) c'est un bâtiment de charpente construit d'une maniere propre à flotter & à être conduit sur l'eau.

On distingue vaisseaux de guerre & vaisseaux marchands ; la force & la grosseur des vaisseaux, & le nombre de canons qu'ils portent, distinguent les vaisseaux de guerre, des vaisseaux marchands.

Pour connoître l'ensemble & les principales parties d'un vaisseau, il faut voir la pl. I. de la Marine ; fig. 1. & fig. 2. qui sont suffisantes pour toutes les parties antérieures, & la Pl. IV. fig. 1. pour les parties intérieures. Voyez aussi les mots CONSTRUCTION & RANG. On ajoutera cependant ici quelques remarques particulieres sur la construction des vaisseaux en général.

Méthode générale des constructeurs. L'expérience est la base de toutes les regles des constructeurs. Cette expérience consiste à comparer la bonté de différens bâtimens de divers gabarits, & à choisir une moyenne forme qui réunisse les diverses qualités de ces bâtimens. Ils se reglent encore sur les poissons, & ils s'imaginent que de tous les poissons, celui qui va le mieux, doit avoir la forme convenable à un parfait vaisseau. Ce poisson est selon eux le maquereau : ce sont les portions de cet animal que l'on doit suivre. Ainsi l'a du-moins fait un des plus fameux constructeurs françois : c'est M. Hendrick ; & tel est son raisonnement. Le maquereau est cinq fois plus long que large, & sa partie la plus grosse est aux deux premieres parties de sa longueur, & les trois autres vont en diminuant jusqu'à la queue, d'où il conclud que les vaisseaux ayant cette proportion, doivent avoir la même légereté. Comme ce poisson est rond & assez épais, il veut qu'on n'épargne pas les façons aux vaisseaux ; qu'on tienne son estime ronde, & qu'on lui donne beaucoup de hauteur. L'avantage qu'on retire de-là, selon lui, est que le sillage en est plus grand, parce que l'eau passe au-dessous des façons, & ne les choque pas. Outre cela, le plat & la rondeur des étains empêche un grand tangage ou roulis ; ce qui est une qualité essentielle à la bonté d'un bâtiment. Ceux qui font les façons de derriere en poire, n'ont point, dit encore ce constructeur, ces précieux avantages.

D'après ces principes, M. Hendrick a établi ces proportions pour trouver la hauteur de l'étrave ; partagez la quille en cinq parties égales ; prenez-en une ; joignez-la à la hauteur de la quille ; ce sera la hauteur de l'étrave.

Pour déterminer sa quête, il faut partager la quille en douze parties égales, & en prendre une pour la quête.

Pour déterminer la hauteur de l'étambord, partagez la quille en neuf parties égales ; deux de ces parties donneront cette hauteur sur la quille, en y comprenant celle de la mortaise faite sur cette quille, pour ce même étambord. La quête de cette partie du vaisseau doit être la huitieme partie de sa propre hauteur.

On trouve la largeur du maître couple de dehors en-dehors, en partageant la longueur du vaisseau de dedans en-dedans, par le haut en sept parties égales, dont deux donneront la largeur du maître couple, de dehors en-dehors.

Pour avoir la hauteur du fond de cale, partagez le maître couple, de dehors en-dehors, en cinq parties égales.

Deux de ces parties donneront cette hauteur depuis la quille jusqu'au - dessus des baux, en ligne droite.

La hauteur du fond de cale, à prendre dessous la quille, donne la hauteur des façons.

Enfin, pour avoir la longueur de la lisse de hourdi, partagez le maître couple, de dehors en-dehors en trois parties égales, & prenez deux de ces parties.

L'auteur de ces regles a aussi prescrit les dimensions des principales pieces d'un vaisseau ; savoir la quille, l'étambord, l'étrave, les varangues de fond, & les baux du premier pont.

La quille aura autant de pouces en largeur, qu'elle aura de fois sept piés & demi dans sa longueur ; & sa hauteur en-avant sera égale à une fois & demie sa largeur. A l'égard de sa hauteur en-arriere, on la détermine en partageant sa hauteur en-avant en quatre parties égales, & on en prend trois.

L'épaisseur de l'étrave est égale à la largeur de la quille ; sa largeur a deux fois son épaisseur, & on augmente le haut d'un 1/4 de sa largeur d'en-bas.

On donnera à l'épaisseur de l'étambord la largeur de la quille à son ordinaire ; sa largeur d'en-bas aura trois fois son épaisseur, & sa largeur d'en-haut sera la moitié de celle d'en-bas.

La varangue de fond aura autant de largeur & d'épaisseur que la quille.

Et les baux du premier pont auront autant de quarré, que la varangue du fond a d'épaisseur.

Voici un exemple pour rendre sensible l'application de ces regles ; je suppose qu'on veut bâtir un vaisseau de soixante pieces de canon.

La quille sera de 125 piés portant sur terre ; sa largeur sera de 16 pouces 1/2, & sa hauteur de 24 pouces 3/4 en-avant, & de 18 1/2 en-arriere.

L'étrave aura 25 piés 3 pouces de hauteur, & 18 piés 1/2 de quête.

L'étambord aura 27 piés trois pouces de hauteur, & 3 piés 3 pouces de quête.

La longueur de l'étrave à l'étambord par haut de-dedans en-dedans sera de 133 piés.

La largeur du maître couple de-dehors en-dehors, sera de 38 piés 4 pouces.

La longueur de la lisse de hourdi sera de 25 piés & quelques lignes.

Quinze piés quatre pouces sont la hauteur du fond de cale.

La varangue de fond aura de hauteur 16 pouces 1/2 2 piés 8 pouces d'acculement, jusqu'à la premiere lisse, & 12 pouces & quelques lignes d'épaisseur.

Et le ban du premier pont sera de 16 pouces 1/2 en quarré.

Comme tout l'art de la construction proprement dite consiste à bien placer la premiere lisse, M. Hendrick donne une regle particuliere à cet égard ; c'est de partager la longueur de l'étrave en - dedans en trois parties égales, dont il prend la premiere, où il cloue la lisse qu'il conduit jusqu'au bout de la maîtresse varangue, & qu'il fait suivre jusqu'au bas de l'estive.

Ce constructeur ne manque pas de raisons pour appuyer ces regles ; il prétend que les vaisseaux ainsi proportionnés, portent bien la voile ; qu'ils fillent bien ; qu'ils ont un grand fond de cale, capable de contenir beaucoup de vivres, & par-là propres aux voyages de long cours ; que les batteries étant fort élevées au-dessus de l'eau, rendent le tangage plus doux, enfin qu'ils ne craignent point tant l'échouement que les autres vaisseaux.

Ces qualités sont sans-doute excellentes ; mais pour savoir si elles sont réunies par les regles ci-dessus prescrites, il faut lire les articles CONSTRUCTION & TANGAGE.

Mais quelle est la grandeur que doit avoir un vaisseau ? C'est sur quoi M. Hendrick n'a pas jugé à-propos de s'expliquer.

La proportion que j'ai suivie dans cet ouvrage, est celle que les constructeurs ont adoptée d'après l'expérience qui est la moins susceptible des fautes qu'on peut faire dans la construction. Un grand bâtiment a pourtant des avantages dont ne jouit pas un vaisseau médiocre. Premierement, il porte une grande charge, & ce qu'on y met est plus assûré que ce qu'on embarque dans un vaisseau médiocre. En second lieu, il résiste mieux à la tempête ; & par ces deux raisons, il est très-utile pour les voyages de long cours. Enfin, dans un combat il peut, & par son équipage, & par son artillerie, qui sont nombreux, écarter aisément l'ennemi. Ainsi il est en état de se défendre quand un gros tems l'a séparé des autres vaisseaux, avec lesquels il formoit une flotte.

Voilà son beau côté : ses inconvéniens sont, 1°. d'être difficile à loger, parce qu'il y a peu de havre où il puisse entrer & y demeurer à l'abri des vents, & hors de l'insulte & des ennemis ; 2°. d'être plus sensible à une mauvaise construction, les fautes augmentant à proportion de la grandeur du bâtiment ; 3°. de tirer une grande quantité d'eau ; de sorte qu'il est dangereux de siller la nuit près des côtes ou dans des lieux inconnus. Aussi les Anglois, les Hollandois, &c. qui estiment les grands vaisseaux, ne les ramenent jamais chez eux qu'en été, tems où les nuits sont courtes, & où l'on peut par conséquent reconnoître de loin les terres. A tout prendre, je ne serois pas partisan des grands vaisseaux : quelques avantages qu'ils ayent, l'architecture navale est encore trop imparfaite, pour s'exposer aux périls d'une mauvaise construction, qui est inévitable, comme on l'a éprouvé dans l'usage qu'on a fait de ces vaisseaux.

Des rangs des vaisseaux. On distingue les vaisseaux suivant leur grandeur, le nombre de leurs ponts, leur port, & la quantité de canons dont ils sont montés, & on les divise par rangs. Il y en a cinq en France : par deux ordonnances du roi de 1670 & de 1688, ces vaisseaux sont caractérisés de la maniere suivante.

Vaisseaux du premier rang. Ils ont depuis 130 jusqu'à 163 piés de long, 44 piés de large, & 20 piés 4 pouces de creux. Ils ont trois ponts entiers, dont le troisieme est coupé, avec deux chambres l'une sur l'autre ; savoir celle des volontaires ou du conseil, & celle du capitaine, outre la sainte-barbe & la dunette. Leur port est de 1500 tonneaux, & ils sont montés depuis 70 jusqu'à 120 pieces de canon.

Vaisseaux du second rang. Ces vaisseaux ont depuis 110 jusqu'à 120 piés de quille, trois ponts entiers, dont le troisieme est quelquefois coupé, avec deux chambres dans leur château de poupe, outre la sainte-barbe & la dunette. Leur port est de 11 à 1200 tonneaux, & ils sont montés depuis 50 jusqu'à 70 pieces de canon.

Vaisseaux du troisieme rang. Ils ont 110 piés de quille, deux ponts, & n'ont dans leur château de poupe que la sainte-barbe, la chambre du capitaine & la dunette ; mais ils ont un château sur l'avant du second pont, sous lequel sont les cuisines. Leur port est de 8 à 900 tonneaux, & ils sont montés de 40 à 50 pieces de canon.

Vaisseaux du quatrieme rang. La longueur de la quille de ces vaisseaux est de 100 piés ; ils ont deux ponts courant devant arriere, avec leurs châteaux de proue & de poupe, comme les vaisseaux du troisieme rang. Leur port est de 5 à 600 tonneaux, & ils sont montés de 30 à 40 canons.

Vaisseaux du cinquieme rang. Ces vaisseaux ont 80 piés de quille & même moins, & deux ponts courant devant arriere, sans aucun château sur l'avant. Les cuisines sont entre deux ponts dans le lieu le plus commode ; le port est de 300 tonneaux, & ils sont montés de 18 à 20 pieces de canon.

On appelle ces vaisseaux, vaisseaux de ligne, parce que quoique plus petits que les autres, ils sont encore assez forts pour servir dans un corps d'armée.

VAISSEAUX des anciens, (Archit. navale des anc.) tous les vaisseaux armés en guerre chez les anciens, alloient à la voile & à la rame ; mais dans les combats, on abattoit le mât, on plioit les voiles, & on ne se servoit que des rames : les vaisseaux guerroyoient alors comme les oiseaux avec leur bec ; leurs rames leur tenoient lieu d'aîles, & ils tâchoient réciproquement de briser les aîles du vaisseau ennemi ; c'étoit donc dans la rame que consistoit toute la force d'un navire, aussi tiroit-il sa dénomination du nombre des rames.

Les vaisseaux de charge n'alloient qu'à la voile, sans rames, pour épargner les frais de transport. La largeur des vaisseaux de charge étoit ordinairement le quart de la longueur, c'est pour cela qu'on les appelloit , rotundae naves ; les vaisseaux de guerre au contraire se nommoient , longae naves, ils étoient au moins huit fois plus longs que larges. Hiéron, roi de Sicile, fit construire des vaisseaux de transport d'une grandeur extraordinaire, dont le plus considérable pouvoit porter 2000 tonneaux, chaque tonneau pesant 4000 livres.

Au reste, on doit à M. Witsen (Nicolas) un des plus célebres magistrats d'Amsterdam, dans le dernier siecle, un traité curieux de l'architecture navale des anciens, & c'est sans contredit ce que nous avons de meilleur en ce genre ; le lecteur y trouvera les lumieres d'un homme de l'art sur les vaisseaux de guerre des anciens, tant à la voile qu'à la rame, leurs vaisseaux de charge, & leurs vaisseaux de transport ; mais les modernes ont bien renchéri dans cette tactique ; César seroit bien surpris s'il revenoit à Londres, qu'il vît l'architecture navale des Anglois, & les bateaux de Civita-Vecchia. (D.J.)

Lilio Giraldi a donné d'après Maxime de Tyr, la description d'un vaisseau d'un roi phénicien, qui s'en servit pour faire un voyage à Troye ; c'étoit un palais flottant, divisé en plusieurs appartemens richement meublés. Il renfermoit des vergers assez spacieux, remplis d'orangers, de poiriers, de pommiers, de vignes & d'autres arbres fruitiers. Le corps du bâtiment étoit peint de diverses couleurs, & l'or & l'argent y brilloient de toutes parts.

Les vaisseaux de Caligula étoient encore plus magnifiques que celui-ci. L'or & les pierreries enrichissoient leurs pouppes. Des cordes de soie de différentes couleurs en formoient les cordages ; & la grandeur de ces bâtimens étoit telle, qu'elle renfermoit des salles & des jardins remplis de fleurs, des vergers & des arbres. Caligula montoit quelquefois ces vaisseaux ; & au son d'une symphonie formée de toutes sortes d'instrumens, il parcouroit les côtes de l'Italie. Suétone, in Calig.

Cet empereur a encore fait construire des bâtimens qui ont été célebres dans l'antiquité par leur énorme grandeur ; tel a été celui dont il se servit pour faire venir d'Egypte l'obélisque qui fut posé dans le cirque du vatican, & que Suétone appelle le grand obélisque ; c'a été le plus grand vaisseau qu'on ait vû sur mer jusqu'au tems de Pline. On dit que quatre hommes pouvoient à peine embrasser le sapin qui lui servoit de mât. Depuis ce naturaliste, on a essayé de construire de pareils bâtimens ; & ceux qu'on compte sont le grand yave, qui parut au siege de Diu, lequel avoit son château de poupe plus haut que la hune des meilleurs vaisseaux de Portugal ; le caraquon de François I ; le grand jacques & le souverain d'Angleterre, du port de 1637 tonneaux, & dont la quille ne pouvoit être tirée que par vingt-huit boeufs & quatre chevaux ; la fortune de Danemarck & la nonpareille de Suéde, portant deux cent pieces de canon ; enfin, la cordeliere & la couronne. La longueur de ce dernier étoit de 200 piés ; sa largeur de 46 ; sa hauteur de 75 ; & toute la mâture de son grand mât, en y comprenant le bâton de pavillon, étoit de 216 pieces. On peut voir la description de ces deux derniers vaisseaux dans l'hydrographie du P. Fournier, pag. 45. & suiv.

VAISSEAUX CHINOIS, (Marine de la Chine) les vaisseaux chinois pour naviger sur mer, & qui different de leurs bateaux & de leurs barques, sont appellés soma ou sommes par les Portugais.

Ces vaisseaux ne peuvent pas se comparer aux nôtres ; les plus gros ne sont que de 250 à 300 tonneaux de port ; ce ne sont, à proprement parler, que des barques plates à deux mâts ; ils n'ont guere que 80 à 90 piés de longueur. La proue coupée & sans éperon, est relevée en-haut de deux especes d'aîlerons en forme de corne, qui font une figure assez bizarre ; la poupe est ouverte en-dehors par le milieu, afin que le gouvernail y soit à couvert des coups de mer. Ce gouvernail qui est large de cinq à six piés, peut s'élever & s'abaisser par le moyen d'un cable qui le soutient sur la poupe.

Ces vaisseaux n'ont ni artimon, ni beaupré, ni mât de hune. Toute leur mâture consiste dans le grand mât & mât de misaine, auxquels ils ajoutent quelquefois un fort petit mât de perroquet, qui n'est pas d'un grand secours. Le grand mât est placé assez près du mât de misaine, qui est fort sur l'avant. La proportion de l'une à l'autre est communément comme 2 à 3, & celle du grand mât au vaisseau ne va jamais au-dessous, étant ordinairement plus des deux tiers de toute la longueur du vaisseau.

Leurs voiles sont faites de nattes de bambou, ou d'une espece de cannes communes à la Chine, lesquelles se divisent par feuilles en forme de tablettes, arrêtées dans chaque jointure par des perches qui sont aussi de bambou. En-haut & en-bas sont deux pieces de bois : celle d'en-haut sert de vergue : celle d'en-bas faite en forme de planche, & large d'un pié & davantage, sur cinq à six pouces d'épaisseur, retient la voile lorsqu'on veut la hisser, ou qu'on veut la ramasser.

Ces sortes de bâtimens ne sont nullement bons voiliers ; ils tiennent cependant mieux le vent que les nôtres : ce qui vient de la roideur de leurs voiles qui ne cedent point au vent ; mais aussi comme la construction n'en est pas avantageuse, ils perdent à la dérive l'avantage qu'ils ont sur nous en ce point.

Ils ne calfatent point leurs vaisseaux avec du gaudron, comme on fait en Europe. Leur calfas est fait d'une espece de gomme particuliere, & il est si bon qu'un seul puits ou deux à fond de cale du vaisseau suffit pour le tenir sec. Jusqu'ici ils n'ont eu aucune connoissance de la pompe.

Leurs ancres ne sont point de fer comme les nôtres ; elles sont d'un bois dur & pesant, qu'ils appellent bois de fer. Ils prétendent que ces ancres valent beaucoup mieux que celles de fer, parce que, disent-ils, celles-ci sont sujettes à se fausser ; ce qui n'arrive pas à celles de bois qu'ils emploient ; cependant pour l'ordinaire elles sont armées de fer aux deux extrêmités.

Les Chinois n'ont sur leur bord ni pilote, ni maître de manoeuvre ; ce sont les seuls timoniers qui conduisent le vaisseau, & qui commandent la manoeuvre ; ils sont néanmoins assez bons manoeuvriers, mais très-mauvais pilotes en haute mer. Ils mettent le cap sur le rumb qu'ils croyent devoir faire, & sans se mettre en peine des élans du vaisseau, ils courent ainsi comme ils le jugent à-propos. Cette négligence vient en partie de ce qu'ils ne font pas de voyages de long cours.

Mais le lecteur sera bien aise de trouver ici la description détaillée d'un grand vaisseau chinois, faite par cinq missionnaires jésuites pendant leur traverse de Siam à Canton en 1687.

Sa mâture. Cette somme qu'ils monterent, suivant la maniere de compter qui a cours parmi les portugais des Indes, étoit du port de 1900 pics : ce qui à raison de 100 catis ou 125 livres par pic, revient à près de 120 tonneaux ; la pesanteur d'un tonneau est évaluée à deux mille livres. Le gabarit en étoit assez beau, à la reserve de la proue qui étoit coupée, plate & sans éperon. Sa mâture étoit différente de celle de nos vaisseaux, par la disposition, par le nombre & par la force des mâts ; son grand mât étoit placé, ou peu s'en falloit, au lieu où nous plaçons notre mât de misaine, desorte que ces deux mâts étoient assez proche l'un de l'autre. Ils avoient pour étai & pour haubans un simple cordage, qui se transportoit de bas-bord à tribord, pour être toujours amarré audessus du vent. Elle avoit un beaupré & un artimon qui étoient rangés à bas-bord. Au reste ces trois derniers mâts étoient fort petits, & méritoient à peine ce nom. Mais en récompense le grand mât étoit extrêmement gros par rapport à la somme, & pour le fortifier encore davantage, il étoit saisi par deux jumelles qui le prenoient depuis la carlingue jusqu'audessus du second pont. Deux pieces de bois plates fortement chevillées à la tête du grand mât, & dont les extrêmités alloient se réunir sept ou huit piés audessus de cette tête, tenoient lieu de mât de hune.

Sa voilure. Pour ce qui est de la voilure, elle consistoit en deux voiles quarrées faites de nattes, savoir la grande voile & la misaine. La premiere avoit plus de 45 piés de hauteur sur 28 ou 30 de largeur ; la seconde étoit proportionnée au mât qui la portoit. Elles étoient garnies des deux côtés de plusieurs rangs de bambous, couchés sur la largeur de la voile, à un pié près les uns des autres en-dehors, & beaucoup moins serrés du côté des mâts, dans lesquels elles étoient enfilées par le moyen de plusieurs chapelets, qui prenoient environ le quart de la largeur de la voile, en commençant au côté qui étoit sans écoute, desorte que les mâts les coupoient en deux parties fort inégales, laissant plus des trois quarts de la voile du côté de l'écoute, ce qui lui donnoit le moyen de tourner sur son mât comme sur un pivot, sur lequel elle pouvoit parcourir sans obstacle du côté de la poupe au moins 26 rumbs, quand il falloit revirer de bord, portant ainsi tantôt sur le mât, & tantôt y étant seulement attachée par les chapelets. Les vergues y servoient de ralingue par le haut ; un gros rouleau de bois égal en grosseur à la vergue, faisoit le même office par le bas ; ce rouleau servoit à tenir la voile tendue ; & afin qu'il ne la déchirât pas, il étoit soutenu en deux endroits par deux ais, qui étoient suspendus chacun par deux amarres, lesquels descendoient du haut du mât à cet effet. Chacune de ces voiles n'avoit qu'une écoute, un couet, & ce que les Portugais nomment aragnée, qui est une longue suite de petites manoeuvres qui prennent le bord de la voile depuis le haut jusqu'au bas, à un ou deux piés de distance les unes des autres, & dont toutes les extrêmités s'amarroient sur l'écoute, où elles faisoient un gros noeud.

Sa manoeuvre. Ces sortes de voiles se plient & se déplient comme nos paravents. Quand on vouloit hisser la grande voile, on se servoit de deux virevaux & de trois drisses, qui passoient sur trois rouets de poulies enchâssées dans la tête du grand mât. Quand il est question de l'amener, ils y enfonçoient deux crocs de fer, & après avoir largué les drisses, ils en serroient les différens pans à diverses reprises, en halant avec force sur les crocs.

Inconvénient de cette manoeuvre. Ces manoeuvres sont rudes, & emportent beaucoup de tems. Aussi les Chinois, pour s'en épargner la peine, laissoient battre leur voile durant le calme. Il est aisé de voir que le poids énorme de cette voile joint à celui du vent qui agissoit sur le mât, comme sur un levier, eût dû faire plonger dans la mer toute la proue, si les Chinois n'avoient prévenu dans l'arrimage cet inconvénient en chargeant beaucoup plus l'arriere que l'avant, pour contrebalancer la force du vent. De-là vient que quand on étoit à l'ancre, la proue étoit toute hors de l'eau, tandis que la poupe y paroissoit fort enfoncée. Ils tirent cet avantage de la grandeur de cette voile & de la situation sur l'avant, qu'ils font un grand chemin de vent arriere ; mais en échange, de vent largue & de bouline, ils ne peuvent tenir, & ne font que dériver, sans parler du danger où ils sont de virer, quand ils se laissent surprendre d'un coup de vent.

Dans le beau tems, on portoit outre une civadiere, un hunier, un grand coutelas qui se mettoit au côté de la voile, laquelle étoit sans écoute, des bonnettes & une voile quarrée à l'artimon. Toutes ces voiles étoient de toiles de coton.

Disposition de la poupe. La poupe étoit fendue par le milieu, pour faire place au gouvernail dans une espece de chambre qui le mettoit à couvert des coups de mer dans le gros tems. Cette chambre étoit formée par les deux côtés de la poupe, qui laissant une large ouverture en-dehors, se rapprochoient peu-à-peu en-dedans, où ils faisoient un angle rentrant dont la pointe étoit coupée, pour donner au jeu du gouvernail toute la liberté.

Du gouvernail. Ce gouvernail étoit suspendu par deux cables, dont les extrêmités étoient roulées sur un vireveau placé sur la dunete, afin de le baisser & de le lever à-propos. Deux autres cables, qui après avoir passé par-dessous le vaisseau, venoient remonter par la proue à l'avant, où on les bandoit à l'aide d'un virevau, quand ils étoient relâchés, tenoient la place des gonds qui attachent les nôtres à l'estambord. Il y avoit une barre de sept à huit piés de long sans manivelle & sans poulie, pour augmenter la force du timonier. Quatre manoeuvres attachées deux à chaque bord du vaisseau, & dont une de chaque côté faisoit quelques tours sur le bout de la barre, servoient au timonnier à le tenir en état.

Inconvénient de ce gouvernail. Un gouvernail de cette maniere ne se peut faire sentir que foiblement à un vaisseau, non-seulement parce que les cables, par le moyen desquels il lui communique son mouvement, prêtent beaucoup & s'allongent aisément, mais principalement à cause des élans continuels qu'ils lui donnent par le trémoussement où il est sans-cesse ; d'où naît un autre inconvénient, qui est qu'on a toutes les peines du monde à tenir constamment le même rumb dans cette agitation continuelle.

De la boussole. Le pilote ne se servoit point de compas de marine ; il régloit sa route avec de simples boussoles, dont le limbe extérieur de la boîte étoit partagé en vingt-quatre parties égales, qui marquoient les rumbs de vent ; elles étoient placées sur une couche de sable, qui servoit bien moins à les asseoir mollement & à les garantir des secousses du vaisseau (dont l'agitation ne laissoit pas de faire perdre à tout moment l'équilibre aux aiguilles), qu'à porter les bâtons des pastilles dont on les parfumoit sans-cesse. Ce n'étoit pas le seul régal que la superstition chinoise faisoit à ces boussoles, qu'ils regardoient comme les guides assûrés de leur voyage, ils en venoient jusqu'à ce point d'aveuglement, que de leur offrir des viandes en sacrifice.

Le pilote avoit grand soin sur-tout de bien garnir son habitacle de clous : ce qui fait connoître combien cette nation est peu entendue en fait de marine. Les Chinois, dit-on, ont été les premiers inventeurs de la boussole ; mais si cela est, comme on l'assure, il faut qu'ils aient bien peu profité de leur invention. Ils mettoient le cap au rumb où ils vouloient porter, par le moyen d'un filet de soie, qui coupoit la surface extérieure de la boussole en deux parties égales du nord au sud : ce qu'ils pratiquoient en deux manieres différentes ; par exemple pour porter au nord-est, ils mettoient ce rumb parallele à la quille du vaisseau, & détournoient ensuite le vaisseau jusqu'à ce que l'aiguille fût parallele au filet, ou bien, ce qui revient au même, mettant le filet parallele à la quille, ils faisoient porter l'aiguille sur le nord-ouest. L'aiguille de la plus grande de ces boussoles n'avoit pas plus de trois pouces de longueur. Elles avoient toutes été faites à Nangazaqui : un bout étoit terminé par une espece de fleur de lys, & l'autre par un trident.

Du fond de cale. Le fond de cale étoit partagé en cinq ou six grandes soutes séparées les unes des autres par de fortes cloisons de bois. Pour toute pompe, il y avoit un puits au pié du grand mât, d'où sans autre artifice, on tiroit l'eau avec des seaux. Quoique les mers fussent extrêmement hautes & la somme excessivement chargée, cependant par la force de ses membrures & la bonté de son calfat, elle ne fit presque point d'eau.

Composition du calfat. Ce calfat est une espece de composition de chaux, d'une espece de résine qui découle d'un arbre nommé tong-yeon, & de filasse de bambous. La chaux en est la base ; & quand tout est sec, on diroit que ce n'est que de la chaux pure & sans aucun mêlange. Outre que le bâtiment en est beaucoup plus propre, on ne sent point, comme dans nos vaisseaux, cette odeur de gaudron insupportable à quiconque n'y est point accoutumé ; mais il y a encore en cela un avantage plus considérable, c'est que par-là ils se garantissent des accidens du feu, auquel notre brai de gaudron expose nos vaisseaux. Descript. de la Chine par le P. du Halde. (D.J.)

VAISSEAUX JAPONOIS, (Marine du Japon) tous les vaisseaux japonois qu'on voit sur mer, sont faits de bois de sapin ou de cedre, qu'on trouve en abondance dans le pays. Ils sont construits différemment, suivant le but qu'on se propose, & les lieux pour lesquels on les destine.

Les bateaux de plaisir, qui font une espece à part, & dont on se sert seulement pour remonter & descendre les rivieres, ou pour traverser de petites baies, different encore beaucoup dans leur structure, selon la fantaisie de ceux à qui ils appartiennent. Ordinairement ils sont faits pour aller à la rame ; le premier pont est plus bas ; sur celui-là on en construit un autre, qui a des fenêtres ouvertes, & qu'on peut avec des paravents, diviser comme l'on veut, en plusieurs petites chambres ou loges. Le dessus & plusieurs autres parties de ces bateaux sont artistement ornées de diverses banderolles, & d'autres embellissemens.

Les plus grands bâtimens que l'on ait au Japon, sont les vaisseaux marchands, qui s'exposent aux dangers de la mer (quoiqu'ils ne s'éloignent jamais beaucoup des côtes), & qui servent à transporter d'une île ou d'une province à l'autre. Ils méritent une description particuliere, puisque c'est par leur moyen que le commerce s'étend dans toutes les parties de l'empire.

Ils ont pour l'ordinaire quatorze toises de longueur sur quatre de largeur, & ils sont faits pour aller à voiles & à rame. Ils vont en pointe depuis le milieu jusqu'à l'éperon ; les deux bouts de la quille s'élevent considérablement au-dessus de l'eau ; le corps du vaisseau n'est pas convexe, comme celui de nos vaisseaux européens ; mais la partie qui est sous l'eau s'étend presque en droite ligne du côté de la quille. La poupe est large & plate, ayant une grande ouverture dans le milieu, qui va presque jusqu'à fond de cale, & laisse voir tout l'intérieur du bâtiment. On avoit d'abord inventé cette ouverture, pour conduire plus aisément le gouvernail : depuis que l'empereur a fermé l'entrée de ses états à tous les étrangers, il a ordonné expressément qu'on ne bâtit point de vaisseau sans y faire une pareille ouverture ; & cela pour empêcher ses sujets d'aller en haute-mer à quelque dessein que ce soit.

Le tillac s'éleve un peu vers la poupe ; il est plus large sur les côtés, & dans cet endroit il est plat & uni : il est fait seulement de planches de sapin, qui ne sont point fermes, ni attachées ensemble ; il est fort peu au-dessus de la surface de l'eau, quand le vaisseau a toute sa charge. Une espece de cabane de la hauteur d'un homme la couvre presque tout-à-fait : il y a seulement un petit espace vers l'éperon qu'on laisse vuide, pour y serrer les ancres & les cordages ; cette cabane avance hors du vaisseau environ deux piés de chaque côté, & tout-autour il y a des fenêtres qui se brisent, & qu'on peut ouvrir ou fermer comme l'on veut.

Dans le fond il y a de petites chambres pour les passagers, séparées les unes des autres par des paravens & des portes, & dont les planchers font couverts de nattes artistement travaillées ; la plus reculée de ces chambres passe toujours pour la meilleure, & par cette raison elle est destinée au plus apparent des passagers.

Le dessus ou le pont le plus élevé est un peu plat, & fait de planches fort propres & parfaitement bien jointes : quand il pleut on amene le mât, & on le met sur ce pont, & par-dessus on étend la voile, afin que les matelots puissent y être à couvert, & y passer la nuit.

Quelquefois pour le garantir encore mieux de la pluie, on le couvre de nattes de paille, qu'on a toutes prêtes pour cet usage.

Le vaisseau n'a qu'une voile faite de chanvre, & fort ample, & n'a qu'un mât placé environ une toise plus avant que le milieu, du côté de la poupe. On éleve ce mât, qui est aussi long que le vaisseau, avec des poulies, & on l'amene de même sur le pont quand on vient à mouiller.

Les ancres sont de fer, & les cables de paille cordonnée sont plus forts qu'on ne s'imagineroit.

Ces vaisseaux ont communément 30 ou 50 rameurs pour tirer à la rame, lorsque le vent tombe : ces rameurs s'asseient sur des bancs qui sont placés du côté de la poupe ; ils rament en cadence sur l'air d'une chanson, ou sur le ton de quelques paroles, ou sur un son qui sert en même tems à regler leur manoeuvre, & à les animer.

Ils n'étendent pas leurs rames à la maniere des Européens, droit en avant, & fendant justement la surface de l'eau ; mais ils les laissent tomber presque perpendiculairement, & puis ils les relevent : cette maniere de ramer a non-seulement tous les avantages de la nôtre, mais elle donne moins de peine, & paroît beaucoup meilleure, si on considere que les vaisseaux n'ont quelquefois que très-peu d'espace, comme lorsqu'ils passent par des détroits, ou à côté les uns des autres ; & que les bancs des rameurs sont fort élevés au-dessus de l'eau : d'ailleurs leurs rames sont faites précisément pour cet usage, car elles ne sont pas toutes droites comme les nôtres, mais un peu recourbées, avec un joint mobile dans le milieu, lequel cédant à la violente pression de l'eau, fait qu'on peut les relever plus aisément.

Les diverses pieces de la charpente de ces bâtimens, & les planches sont attachées ensemble dans les joints & dans les extrêmités avec des crampons & des bandes de cuivre. L'éperon est orné d'un noeud de franges fait de petits cordons noirs & longs. Les personnes de qualité, dans leurs voyages, font tendre leurs cabanes de drap, auquel leurs armes sont cousues ; & ils mettent leur pique, qui est une marque de leur autorité sur l'arriere du vaisseau, à l'un des côtés du gouvernail ; de l'autre côté il y a une girouette pour l'usage du pilote.

Dans les petits bâtimens, aussi-tôt qu'on a jetté l'ancre, on ôte le gouvernail, & on le met à terre ; ensorte qu'on peut passer au-travers de l'ouverture de la poupe, comme par une porte de derriere, & marchant sur le gouvernail, comme sur un pont, aller à terre. Kaempfer, hist. du Japon. (D.J.)

VAISSEAU SACRE, (Antiq. grecq.) on appelloit ainsi le vaisseau que les Athéniens envoyoient tous les ans à Délos, pour faire des sacrifices à Apollon, & l'on prétend que c'étoit le même sur lequel Thésée avoit mené en Crete les quatorze jeunes enfans que les Athéniens payoient de tribut à Minos. Voyez NAVIRE sacré. (D.J.)

Voici l'explication de quelques façons de parler à l'égard des vaisseaux.

Vaisseau à la bande ; c'est un vaisseau qui cargue, & qui se couche sur le côté, lorsqu'il est sous les voiles, & qu'il fait beaucoup de vent. Voyez encore BANDE.

Vaisseau à l'ancre ; c'est un vaisseau qui a jetté l'ancre à la mer.

Vaisseau à son poste ; c'est un vaisseau qui se tient au lieu qui lui est marqué par son commandant.

Vaisseau beau de combat, ou qui est de beau combat ; vaisseau qui a sa premiere batterie haute, & ses ponts assez élevés, ce qui est un avantage pour bien manier le canon.

Vaisseau corsaire ; voyez CORSAIRE.

Vaisseau démarré ; c'est un vaisseau qui a levé exprès les amarres qui le tenoient, ou dont les amarres ont rompu.

Vaisseau gondolé ; vaisseau qui est ensellé, ou qui est relevé de l'avant & de l'arriere ; ensorte que ses préceintes paroissent plus arquées que celles d'un autre vaisseau.

Vaisseau qui a le côté droit comme un mur ; cela veut dire que le côté du vaisseau n'est pas assez renflé, ou qu'il n'y a pas assez de rondeur dans son fort.

Vaisseau qui a le côté foible ; c'est un vaisseau dont le côté est droit, & qui n'est pas bien garni de bois.

Vaisseau qui a le côté fort ; vaisseau dont le côté a de la rondeur.

Vaisseau qui cargue ; vaisseau qui se couche lorsqu'il est sous les voiles.

Vaisseau qui charge à fret ; vaisseau qui est à louage. Voyez FRET.

Vaisseau qui se manie bien ; c'est un vaisseau qui gouverne bien.

Vaisseau qui se porte bien à la mer ; vaisseau qui a les qualités nécessaires pour bien siller, & pour être doux au tangage.

Vaisseau rallongé ; c'est un vaisseau qui avoit été construit trop court, & qu'on a rallongé pour remédier à ce défaut.

Vaisseaux de bas bord ; ce sont des bâtimens qui vont à voiles & à rames, tels que les galeres, les brigantins, &c. ils ne sont presqu'en usage que sur la Méditerranée.

Vaisseaux de haut bord ; vaisseaux qui ne vont qu'à voiles, & qui peuvent courir toutes les mers.

VAISSEAUX, (Mytholog.) l'usage très-ancien de donner aux vaisseaux le nom des animaux qui étoient représentés sur la proue, a enrichi la mythologie. Elle ne dit point que Persée voyageoit sur un vaisseau, mais qu'il étoit monté sur un cheval aîlé. Dédale s'enfuit de Crete sur un vaisseau à voiles, qui alloit plus vîte que le vaisseau à rames qui le poursuivoit : voilà les aîles avec lesquelles il s'envola. Minerve en construisant le vaisseau des Argonautes avoit employé au gouvernail un des chênes de la forêt de Dodone qui rendoit des oracles ; & cette fable n'est fondée que sur un mot phénicien qui est équivoque, & qui signifie également la parole ou un gouvernail. Virgile n'a garde de dire grossierement que Turnus brûla la flotte de son héros dans le port. Il transforme les vaisseaux d'Enée en des déesses immortelles ; on voyoit déjà, nous dit-il, voler les tisons ardens & les torches enflammées de Turnus ; déjà une épaisse fumée s'élevoit jusqu'aux astres, lorsqu'une voix redoutable se fit entendre : Troyens, dit-elle, ne vous armez point pour la défense de mes vaisseaux ; Turnus embrasera plutôt les mers, que cette flotte sacrée : galeres, nagez & devenez déesses de l'Océan, c'est la mere des dieux qui l'ordonne. Aussitôt chaque galere brise ses cables, & comme des dauphins se plongeant dans le sein de l'onde, elles reparoissent à l'instant, & offrent aux yeux autant d'océanides. Ces nouvelles déesses se souvenant des dangers qu'elles avoient couru, prêtent depuis lors une main secourable à tous les vaisseaux menacés du naufrage, excepté aux vaisseaux des Grecs.... Que d'idées ingénieuses & brillantes dans ce seul endroit de l'Enéide. (D.J.)

VAISSEAUX A FOULER, instrument de Manufacture, autrement piles ou pots, ce sont, pour l'ordinaire, particulierement du côté d'Amiens, de gros troncs d'arbres que l'on a creusés en façon d'auges ou mangeoires d'écuries, où l'on a eu soin de laisser des séparations de distance en distance. C'est dans ces vaisseaux que l'on met les étoffes que l'on veut fouler ou dégorger, ce que l'on appelle reviquer dans les manufactures d'Amiens.

A chaque vaisseau il y a deux pilons ou maillets qui battent alternativement sur les étoffes, & par le moyen desquels elles se tournent comme d'elles-mêmes dans les piles quand on les foule ou qu'on les revique. Comme les pilons ont leur mouvement par le moyen d'un moulin à eau, ceux qui conduisent ces moulins se nomment meuniers-foulons. (D.J.)


VAISSELLES. f. (Gram.) terme collectif ; on comprend sous ce nom tous les vaisseaux destinés au service de la table, pots, plats, assiettes, salieres, &c. en argent, en or, en terre, en fayance, en porcelaine. Pour désigner les assiettes & les plats, on ajoute le mot de plate.

VAISSELLE d'argent d'Amérique, (Orfévrerie d'Amérique) il se fabrique dans l'Amérique espagnole quantité de vaisselle d'argent, qui fait une partie du commerce de contrebande, que les vaisseaux des autres nations de l'Europe ont coutume de faire, soit sur les côtes de la mer du nord, soit sur celles de la mer du sud. Les profits sur cette marchandise sont très-grands ; mais pour n'y être pas trompé, il faut être instruit de la différence qu'il y a entre la vaisselle qui est fabriquée au Pérou, & celle qu'on fait au Mexique.

En général il n'y a rien de fixe ni de positif sur le titre de cette vaisselle, le prix n'en étant pas reglé, & les orfévres travaillant comme il leur plaît. Celle du Mexique est la meilleure, quoique pourtant elle differe de quatre à cinq pour cent du titre des piastres, suivant qu'il y a plus ou moins de soudure.

La vaisselle qui vient du Pérou est encore plus sujette aux alliages forts, car il y en a qui ne rend pas neuf deniers & demi de fin, quoique ce soit de la vaisselle plate ; ensorte qu'il n'en faut acheter qu'à un bas prix. Elle ne vaut ordinairement que 7 piastres & demi le marc. Savary. (D.J.)

VAISSELLE d'étain, (Potier d'étain) c'est ce qui est compris sous les noms d'assiettes, plats, jattes ou bassins, écuelles, &c. ce qui n'est composé que d'une seule piece jettée dans un seul moule ; chacun sait que la forme en est ordinairement ronde ; les parties sont le fond, les côtés du fond, qu'on nomme le bouge, & le bord à l'extrémité duquel est une moulure qu'on appelle filet, & le dessous du filet, plate-bande. Anciennement le bord de la vaisselle étoit tout plat sans filet, & le fond très-petit. On a donné à la mode d'à présent le nom de marly, parce qu'on en présenta le premier service au roi Louis le Grand à Marly, environ l'an 1690 ou 92.

On a inventé depuis d'autres modes de vaisselle, dont les bords sont octogones, avec des gaudrons sur la moulure, & enfin la vaisselle à contour, qui est la derniere mode, & de la même façon que la vaisselle d'argent, & qui se plane de même. Voyez FORGER l'étain.

Il faut pour faire la vaisselle la jetter en moule, épiller, revercher, paillonner ; si c'est de l'étain fin, tourner, & forger ou planer. Voyez ces mots.


VAISSELLÉES. f. (Manufacture de lainage) ce mot se dit de la quantité d'étoffes de laine, qui est contenue dans chaque vaisseau d'un moulin à foulon ; quelques-uns disent aussi pilée. Trévoux. (D.J.)


VAIVODES. m. (Hist. mod.) est proprement un titre qu'on donne aux gouverneurs des principales places de l'empire de Russie.

Les palatins ou gouverneurs des provinces de Pologne prennent aussi la qualité de vaivodes. Voyez PALATINS.

Les Polonois ont aussi donné le nom de vaivodes aux princes de Valaquie & de Moldavie, parce qu'ils ne les regardent que comme des gouverneurs, prétendant que la Valaquie & la Moldavie sont des provinces que leurs gouverneurs ont soustraites à l'obéissance de la république de Pologne, à qui elles étoient autrefois soumises ; partout ailleurs on appelle ces princes hospodar. Voyez HOSPODAR.

Ducange prétend que le nom de vaivode ne signifie autre chose dans la Dalmatie, la Croatie & la Hongrie, qu'un général d'armée. Leunclavius dans son livre intitulé pandectes des Turcs, dit que ce nom signifie communément un capitaine ou commandant. M. l'abbé Fourmont dans la relation de son voyage de Grece, en 1730, appelle woivode l'officier turc qui commandoit dans Athènes, & qui étoit le gouverneur de la ville, qu'il distingue expressément du disdar ou gouverneur de la forteresse. Voyez VAYVODES.


VAIVRou VOIVRE, (Géog. mod.) petit pays de France, au duché de Bar, entre la Meuse & la Moselle. Le principal lieu est le bourg nommé Haton le châtel. (D.J.)


VAJAROU(Géog. mod.) riviere des Indes ; elle a sa source au royaume de Maduré, & tombe dans la Marava. Les gens du pays la saignent tant qu'ils peuvent, pour la culture de leur riz, qui veut toujours avoir le pié dans l'eau, jusqu'à ce qu'il ait acquis sa parfaite maturité. (D.J.)


VAKEBARO(Géog. mod.) vallée du royaume d'Espagne dans l'Asturie. C'est une des cinq vallées qui composent la petite province de Liebana. Elle est fertile en froment, en vin, en bétail, & elle est misérable avec tous ces avantages.


VAKHSCHARLE, (Géog. mod.) riviere de la province de Transoxane, qui donne son nom à la ville de Vakhschah qu'elle traverse. (D.J.)


VAKIÉS. m. (Comm.) poids qui revient à une once, poids de marc. Voyez BATMAN, Diction. du commerce.


VAL(Gram.) espace ou terrein bas, renfermé entre des montagnes, ce que nous entendons aujourd'hui par vallée ; car val n'est plus d'usage.

VAL, s. m. (Poids étranger) petits poids, dont on se sert dans les Indes orientales pour peser les piastres ou réales de huit. Chaque réale doit être du poids de 73 vals ; autrement celui qui les vend, doit en suppléer le prix. (D.J.)

VAL-AVERSA, (Géog. mod.) jurisdiction du pays des Grisons, dans la ligue de la Maison-Dieu, & l'une des dépendances de la communauté de Stallen. Cette vallée est située au pié du mont Septimer, dans un lieu rude & sauvage. On y compte sept paroisses. Les habitans ont eu des seigneurs particuliers, vassaux de l'évêque de Coire ; mais ils ont acheté leur liberté depuis long-tems ; & c'est une acquisition qu'on ne peut trop payer.

VAL - GNA, ou VAL - BREUNA, (Géog. mod.) bailliage d'Italie, dans la dépendance des petits cantons de la Suisse ; ce bailliage n'est qu'une vallée qui contient un petit nombre de villages & quelques mines de cuivre & de plomb. Le nom de Val-Breuna, en allemand Breuner Thal, lui vient des Breunes, ancien peuple dont Pline fait mention entre les Alpes ; ce nom vient de la riviere Breuna qui arrose la vallée. (D.J.)

VAL DE GRACE, (Hist. ecclés.) abbaye de bénédictines, au fauxbourg S. Jacques, fondée au viij. siecle, réformée en 1618, & transférée en 1621 de la paroisse de Biron-le-châtel, située à trois lieues de Paris, dans la capitale par Anne d'Autriche. L'église qui est belle est de Gabriel Leduc ; elle est remarquable par son dôme & par le baldaquin élégant du maître autel. Mignard a peint le dôme ; Moliere a chanté ce morceau de peinture. Le morceau de peinture & le poëme sont des ouvrages médiocres, l'un d'un grand poëte, l'autre d'un peintre ordinaire.

VAL-DES-CHOUX, (Théol.) prieuré dans le diocèse de Langres, à 4 lieues de Chatillon, situé dans une affreuse solitude. C'est un chef-d'ordre, mais peu considérable, & qui n'est qu'une branche de celui de S. Benoît. On dit dans le pays qu'il doit son origine à un certain frere Wiard ou Viard, convers de la chartreuse de Lugny, qui ne trouvant pas l'ordre des chartreux assez austere, se retira dans cette solitude, & y assembla des disciples. Ce qui peut confirmer cette tradition, c'est que les religieux du Val-des-choux avoient l'habit des chartreux dans le commencement de leur institut, & qu'ils portent encore aujourd'hui l'habit blanc : mais ils y ont changé quelque chose. Ils prennent un chaperon, au-lieu du capuchon, qui tenoit autrefois à la cucule ou scapulaire.

L'auteur du supplément de Morery, de qui nous empruntons cet article, remarque que cette tradition est insoutenable, & il le prouve entr'autres raisons : 1°. parce que Jacques de Vitri, auteur contemporain, dit que les moines du Val-des-choux suivoient les usages des cîteaux & non ceux des chartreux : 2°. parce que le premier prieur du Val-des-choux ne fut point le frere Wiard, mais un nommé Gui, qui eut pour successeur Humbert, ainsi que le porte cette inscription de leur tombeau qu'on voit encore dans l'église de ce monastere.

Hic duo sunt fratres, caput ordinis, & prothopatres,

Guido & Humbertus : sit Christus utrisque misertus.

3°. parce qu'une autre inscription qu'on lit dans la même église, montre que le frere Wiard ne se retira au Val-des-choux qu'environ 100 ans après la fondation du monastere l'an 1293, anno Domini M. CC. XCIII. quarto nonas Novembris intravit frater Wiardus in chorum Vallis-caulium. On convient cependant que le premier prieur du Val-des-choux est venu de la chartreuse de Lugny : les constitutions le disent positivement. Voyez le supplément au diction. de Morery.

VAL-DES-ECOLIERS, (Théol.) abbaye dans le diocèse de Langres, & autrefois chef-d'ordre d'une congrégation de chanoines réguliers sous la regle de S. Augustin vers l'an 1212. Guillaume Richard & quelques autres docteurs de Paris, persuadés de la vanité des choses du monde, se retirerent dans cette solitude avec permission de l'évêque diocésain, ils y furent bientôt suivis de grand nombre d'écoliers de la même université ; & c'est de-là que leur solitude prit le nom de Val-des-écoliers. Leur établissement s'augmenta avec tant de succès, que, suivant la chronique d'Alberic, en moins de vingt ans, ils eurent seize maisons. Saint Louis fonda celle de Ste Catherine à Paris, & en établit d'autres en France & dans les Pays-bas. Clément Cornuot, prieur général de cette congrégation, obtint du pape Paul III. la dignité d'abbé pour lui & pour ses successeurs. Depuis l'an 1653, cet institut a été uni à la congrégation des chanoines réguliers de Ste Génevieve de France. Albéric, in chron. Ste Marthe, t. IV. Gall. Christ. Du Molinet, description des habits des chanoines réguliers.

Le continuateur de Morery dit que le premier endroit que les fondateurs du Val-des-écoliers choisirent pour leur demeure, étoit si inaccessible par les bois & les rochers qui l'environnoient, qu'on fut obligé, trente ans après, de transporter l'habitation à une demi-lieue du premier monastere, dans un lieu encore fort solitaire, mais moins desagréable. On y transféra les ossemens de ceux qui étoient déja morts, & sur-tout des quatre fondateurs, qui sont sous une belle tombe au milieu du choeur, sur laquelle on lit ces quatre vers :

Gallia nos genuit, docuit Sorbona, recepit

Hospitio praesul, pavit eremus inops.

Justa pius solvit Christo, quem ereximus ordo,

Ossa que jam Vallis nostra scholaris habet.

Les PP. DD. Martenne & Durand, bénédictins, ont fait imprimer les premieres constitutions de ce monastere, qui sont également instructives & édifiantes, dans leur voyage littéraire, tome I. part. I. & supplém. de Morery.

VAL-MADIA ou VAL-MAGIA, (Géog. mod.) par les Allemands Mayn - Thal ; petit bailliage d'Italie, dans la dépendance des douze anciens cantons suisses. Ce bailliage n'est qu'une longue vallée étroite, serrée entre de hautes montagnes, & arrosée dans sa longueur par une riviere de même nom, & qui de-là coule à Locarno. (D.J.)

VAL-OMBROSA, (Géog. mod.) monastere, chef d'ordre d'Italie, dans la Toscane, aux montagnes de l'Apennin, fondée dans le xj. siecle par S. Gualbert. (D.J.)

VAL-TELLINE, (Géog. mod.) les écrivains latins du moyen âge l'appellent Vallis-Telina, & nomment les habitans Voltureni. Les Allemands ont corrompu le nom de Vallis-Telina en celui de Veltlyn.

Seigneurie des Grisons, à l'entrée de l'Italie, au pié des Alpes, près du comté de Bormio. La vallée qui compose cette seigneurie est fort longue, mais d'une largeur très-inégale. L'Adda la traverse & la partage en deux parties. Elle est divisée en trois tiers, qui forment cinq petits bailliages. Le premier tiers a Tirano pour capitale ; le second tiers a Sondrio ; & le troisieme qui est partagé en deux gouvernemens, a Trahona & Morbegno. Le territoire de Teglio fait un gouvernement à part.

Les cinq gouvernemens de cette vallée ont chacun leur conseil & leurs chefs, qui sont élus par toute la communauté. Ils ont aussi leurs officiers militaires, leurs syndics qui veillent à l'observation des loix, & leurs consuls de justice qui ont soin des orphelins. On fait des assemblées générales pour les affaires qui regardent tous les habitans ; ces assemblées se tiennent à Sondrio.

Plusieurs puissances ont tenté tour-à-tour de s'emparer de cette petite province au commencement du dernier siecle, lorsqu'elle appartenoit aux ligues Grises réformées. On vit en 1620 éclorre le projet de massacrer tous les protestans du pays. On en égorgea environ cinq cent, & ce fut le fruit des intrigues de la maison d'Autriche. Elle s'empara des comtés de Bormio & de Chiavenne, d'où elle chassa les protestans. Les Espagnols vouloient joindre la Val-Telline au Milanez. Le pape Urbain VIII. avoit obtenu qu'on la séquestrât entre ses mains, & ne desespéroit pas de la garder. La France jalouse affranchit ce pays de l'invasion autrichienne ; mais les ministres autrichiens engagerent finalement les Grisons à s'allier avec l'empereur sous des conditions favorables. La capitulation fut conclue à Milan en 1639, & la religion protestante a été bannie du pays.

François I. roi de France, s'étant mis en possession du duché de Milan en 1516, céda aux Grisons la conquête qu'ils avoient faite de la Val-Telline, & des comtés de Chiavenne & de Bormio ; cependant quoique ce pays soit beaucoup meilleur que celui qu'ils habitent, ils n'ont point voulu s'y établir. Ils préferent le séjour de leur premiere patrie aux beautés d'une terre étrangere, & l'amour de la liberté les porte à croire qu'ils sont plus en sûreté dans leurs montagnes, dont aucune puissance ne tentera jamais de les débusquer. (D.J.)

VAL-VERD, (Hist. ecclésiast.) monastere de chanoines réguliers. Ce ne fut d'abord qu'un hermitage, où Jean de Bosco, descendu des anciens ducs de Brabant, se retira au commencement du xiv. siecle. L'hermitage fut successivement habité par deux ou trois hermites, & continua d'être pauvre jusqu'à ce qu'il eut une chapelle, une maison, des revenus, un habit, une regle, & devint chef de maison. Alors il s'unit avec d'autres, & perdit son nom.


VAL-DE-PEGNAS(Géogr. mod.) village d'Espagne, dans le diocèse de Tolede. Il a donné la naissance en 1560 à Balbuena (Bernardo de), l'un des meilleurs poëtes espagnols, qui devint évêque de Puerto-Rico en Amérique. On a de lui 1°. des bucoliques intitulées, le siecle d'or dans les bois d'Eriphile ; 2°. un poëme héroïque sous le titre de el Bernardo ; 3°. la grandeur du Mexique. Il mourut en 1627. (D.J.)


VALABLEadj. (Gram.) qu'on peut faire valoir devant les tribunaux, au jugement des hommes ; ainsi on dit, ce titre est valable ; ce testament est valable ; c'est un contrat très- valable ; c'est une excuse valable. On dit aussi en deniers comptans & valables. Alors il s'oppose à de mauvais aloi, manquant de cours, &c.


VALACHIou VALAQUIE, (Géog. mod.) principauté de l'Europe, possédée pour la meilleure partie par le Turc, & pour le reste par l'empereur. Elle a environ 80 lieues du levant au couchant, & 40 du midi au septentrion. Elle est bornée au nord partie par la Moldavie, partie par la Transylvanie ; au midi, par le Danube ; au levant, par ce même fleuve ; & au couchant, par la Transylvanie. La partie de cette province qui dépend de l'empire turc, est gouvernée par un hospodar ou vaïvode.

Cette province fut anciennement nommée Flaccie, du nom de Flaccus, que Trajan y envoya avec une colonie de trente mille hommes pour cultiver le pays, qui fournit à l'armée romaine une bonne partie des vivres pendant la guerre contre les Scythes & les Sarmates. La Valachie & la Moldavie ne composoient autrefois qu'une seule province des Daces, nommée simplement Valachie ; mais ayant ensuite été divisée en haute & basse, à cause de la riviere qui la partageoit, la derniere a toujours retenu le nom de Valachie, & l'autre a pris celui de Moldavie. Elle avoit autrefois ses princes particuliers, dépendans & tributaires des rois d'Hongrie ; mais tout a changé depuis que Selim II. s'est emparé de cette province en 1574.

Elle est divisée en treize comtés, qui sont habités indifféremment par les Saxons, par les Hongrois & par les naturels du pays. L'hospodar qui la gouverne tire une grosse somme de la dixme de la cire & du miel, dont les peuples font leur principal trafic, ainsi que du blé & du vin qu'on porte en Russie. L'hospodar paye de son côté un argent considérable à la Porte, pour être maintenu dans son gouvernement.

Il n'y a que trois villes dans la Valachie, savoir Tergovitz, où demeure l'hospodar, Briël & Treffort. Le terroir seroit fertile, si les habitans le cultivoient ; mais la plus grande partie est en friche, & les terres sont au premier qui veut les labourer & ensemencer. Cette province est en quelques endroits traversée d'épaisses forêts, & dans d'autres elle manque totalement de bois. On en tire des chevaux, des boeufs & des bêtes à laine. Les maisons des habitans ne sont bâties qu'en terre grasse, & couvertes de roseaux. La langue du pays a un grand rapport avec la latine ; mais dans les cérémonies de la religion qui est celle des Grecs, on se sert de la langue franque. (D.J.)


VALANEINE(Marine) voyez BALANEINE.


VALANTIAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante dont les fleurs sont des bassins partagés ordinairement en quatre parties, quelquefois en trois. Le calice devient un fruit membraneux, semblable en quelque maniere au pié d'un oiseau qui tient dans ses serres une graine de la forme d'un petit rein. Tournefort, Mém. de l'acad. roy. des Sciences, an. 1706. Voyez PLANTE.


VALCUM(Géog. anc.) lieu de la basse Pannonie, entre Silacensis & Mogetiana, à 28 milles de l'un, & à 30 milles de l'autre. Ce lieu n'est pas Wolcowar sur le Danube, comme le pensoit Lazius ; ce seroit plutôt Veltz, bourgade de Hongrie, dans l'Esclavonie. (D.J.)


VALDANUS(Géogr. anc.) fleuve de la Pannonie, selon Pline, l. III. c. xxv. qui met son embouchure dans le Danube, au - dessus de la Save : on l'appelle présentement Valpo ou Walpo. Cette riviere a sa source dans l'Esclavonie ; & après avoir arrosé la ville de Valpo, elle se rend à Wolkowar où elle se jette dans le Danube un peu au-dessous de l'embouchure de la Drave. (D.J.)


VALDELVANGE(Géog. mod.) en allemand Valderfringen ; les François craignant de s'écorcher la langue, écrivent & prononcent Vaudevrange ; ville ruinée de France, en Lorraine dans le bailliage allemand, sur la rive gauche de la Saare. Louis XIV. a détruit cette ville, & a fait construire au-dessus une forteresse qu'on a nommée Saar-Louis, & qui est de ce côté-là le boulevard de la France. (D.J.)


VALDERAS(Géog. mod.) vallée de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur la côte de la mer du sud, au fond d'une profonde baie. Cette vallée a autour de trois lieues de largeur. On y trouve des guaves, des orangers, des limons en abondance ; les pacages gras sont pleins de boeufs & de vaches ; ce sont-là les seuls habitans de ce beau vallon où personne ne s'est encore établi.


VALDICS. f. (Hist. nat. Botan.) valdia ; genre de plante à fleur monopétale en forme d'entonnoir, & découpée le plus souvent en trois parties ; cette fleur a deux calices, elle est enveloppée par l'un de ces calices & soutenue par l'autre ; celui-ci devient dans la suite un fruit rond & mou, qui contient pour l'ordinaire deux semences oblongues. Plumier, nova plant. amer. genera. Voyez PLANTE.


VALDIVIAou BALDIVIA, (Géog. mod.) petite ville de l'Amérique méridionale, au Chili, sur la côte de la mer du sud, avec un port de même nom, lequel port est le plus beau & le plus fort de toute la côte de la mer du Sud.


VALENA(Géog. anc.) ville de la haute Pannonie. Ptolémée, liv. II. ch. xv. la met au nombre des villes qui étoient éloignées du Danube. Cependant Villeneuve & Mollet veulent que ce soit aujourd'hui la ville de Gran, & selon Lazius c'est Valbach.


VALENÇA(Géog. mod.) par les François Valence, petite ville d'Italie, dans le Milanez, capitale de la Laumeline, sur la rive droite du Pô, près de sa jonction avec le Tanaro. Long. 26. 17. lat. 44. 55. (D.J.)

VALENÇA D'ALCANTARA, (Géog. mod.) ville d'Espagne, dans l'Estramadure, sur les frontieres de Portugal, à 7 lieues au sud-ouest d'Alcantara. Elle est bâtie sur un roc avec un vieux château. Long. 11. 30. lat. 39. 10.

VALENÇA DO MINHO, (Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province d'entre Duero-e-Minho, sur les frontieres de la Galice, au bord du Minho, vis-à-vis de Tuy. Long. 8. 56. lat. 41. 54. (D.J.)


VALENCE(Géog. mod.) province d'Espagne, avec titre de royaume. Elle est bornée au nord par l'Aragon & la Catalogne ; au midi & au levant par la mer Méditerranée ; au couchant par la nouvelle Castille, & par le royaume de Murcie. Elle tire son nom de sa capitale, & s'étend du nord au sud de la longueur d'environ 66 lieues sur 25 dans sa plus grande largeur.

Elle est arrosée d'un grand nombre de rivieres, dont les principales sont la Segura, le Xucar, le Guadalaviar, le Morviedro & le Millas ou Millares.

Cette province est une des plus peuplées de l'Espagne. On y compte 7 cités, 64 villes ou bourgs, & 4 ports de mer, entre lesquels est Alicante. Valence est aussi l'un des plus agréables pays de la monarchie. On y jouit d'un printems presque continuel. Les côteaux abondent en excellens vins ; les vallées & les plaines sont couvertes d'arbres fruitiers chargés de fruits ou parés de fleurs dans toutes les saisons de l'année ; on y recueille du riz, du lin précieux, du chanvre, de la soie, de l'huile, du miel & du sucre. La mer y fournit abondamment de poissons, particulierement des aloses & du thon ; les montagnes, quoique rudes & stériles pour la plûpart, y cachent dans leurs entrailles des mines fécondes en alun & en fer, ainsi que des carrieres d'albâtre, de chaux, de plâtre & de calamine.

C'est le pays qu'habitoient anciennement les Celtibériens, les Contestains & les Lusons. Il fut érigé en royaume l'an 788 par Abdalla qui en étoit le gouverneur. Dans le x. siecle, sous le regne de Ferdinand, fils de Sanche roi de Navarre & d'Aragon, le cid don Rodrigue, à la tête de sa chevalerie, subjugua le royaume de Valence. Sans être roi, & sans en prendre le titre, soit qu'il lui préférât celui de cid, soit que l'esprit de chevalerie le rendît fidele au roi Alphonse son maître, il gouverna néanmoins le royaume de Valence avec l'autorité d'un souverain, recevant des ambassadeurs, & se faisant respecter de toutes les nations. Corneille a trouvé l'art de nous intéresser pour lui, & il est vrai qu'il épousa depuis Chimene dont il avoit tué le pere.

Après sa mort arrivée l'an 1096, les Maures reprirent le royaume de Valence, & l'Espagne se trouva toujours partagée entre plusieurs dominations ; mais Jacques, le premier des rois d'Aragon à qui les états ayent prêté le serment de fidélité, reprit sur les Maures en 1238, le beau royaume de Valence. Ils se soumirent à lui, & continuerent de le rendre florissant. C'étoit encore dans ce pays favorisé de la nature qu'habitoit la plus grande partie des Maures qui furent chassés de l'Espagne pour toujours en 1610. Leurs descendans qu'on appelle Maurisques, sont bons laboureurs, robustes, sobres & laborieux.

Le royaume de Valence avoit ci-devant de grands privileges, dont Philippe V. le dépouilla en 1705, pour avoir embrassé le parti de l'archiduc, & en même tems il réunit ce royaume à celui de Castille, pour en être desormais une province. (D.J.)

VALENCE, (Géog. mod.) ville d'Espagne, capitale de la province de même nom, à 65 lieues au sud-ouest de Barcelone, à 45 de Murcie, & à 67 de Madrid.

Cette ville est située à 3 milles de la mer, au bord du Guadalaviar, dans une campagne admirable, où la nature semble avoir répandu tous ses dons à pleines mains, pour servir aux besoins & aux délices de la vie. Indépendamment de la beauté du lieu, des agrémens de sa situation, de la douceur de l'air, de la fertilité du terroir, la mer y forme dans le voisinage un lac de trois lieues d'étendue & d'une lieue de largeur ; c'est ce lac que les Romains nommoient amoenum stagnum, & qui produit divers poissons des plus délicats.

La ville est grande, & contient environ douze mille feux dans son enceinte ; les habitans y sont égayés par la température de l'air, & les femmes y passent pour être les plus belles du royaume. Entre les édifices publics se distingue par sa beauté l'église cathédrale, dont le trésor est très-riche ; le grand-autel de cette église est tout couvert d'argent, & éclairé de quatorze candélabres de même métal, suspendus au-devant. On vante aussi en fait de bâtimens profanes les palais du vice-roi, de la ciuta & de la députation, l'arsenal, la bourse & l'hôtel-de-ville.

On compte à Valence douze portes, dix mille puits ou fontaines d'eau vive, & cinq ponts sur le Guadalaviar ; ils ont quinze pas de largeur, & environ trois cent de longueur. L'incommodité de cette ville est de n'être point pavée, ce qui la rend fort sale en hiver, & remplie de poussiere en été.

Elle est le siege d'une université & d'un archevêché, qui y fut fondé en 1492 par le pape Innocent VIII. L'archevêque jouit de trente à quarante mille ducats de rente, & revêt l'habit de cardinal dans les cérémonies de l'église. Les canonicats de la cathédrale valent chacun trois mille écus de revenu.

Cette ville est habitée par une grande partie de la noblesse du royaume, ainsi que par un grand nombre de négocians, qui profitent de la quantité de mûriers du territoire pour y fabriquer toutes sortes de soieries, & en faire fleurir le commerce. Il y a dans Valence un gouverneur qui se nomme corregidor. La noblesse fait un corps à part, & a une chambre particuliere qu'on nomme la casa de la deputation. Long. suivant Cassini, 16. 46. 15. lat. 39. 30.

Je ne dois pas oublier de dire, à la gloire de Valence, qu'on y trouve divers monumens d'antiquité, parce que c'est en effet une ancienne ville. Elle fut donnée l'an de Rome 616, près de deux cent quarante ans avant Jesus-Christ, à de vieux soldats qui avoient servi sous le fameux Viriatus, de-là vient que les habitans prenoient le nom de veteres, ou de veterani, comme il paroît par l'inscription suivante qu'on a trouvée : C. Valenti hostiliano. Mestio. Quinctio. nobilissimo. Caes. principi juventutis Valentini. vetera. &. veteres. Pompée détruisit cette ville dans le tems de la guerre de Sertorius ; mais elle fut rétablie dans la suite. Les Maures qui s'en étoient saisis, la perdirent dans le xj. siecle, par la valeur de Rodrigue Dias de Bivar, surnommé le cid. Ils la reprirent après sa mort, arrivée l'an 1096, & s'y maintinrent jusqu'en 1238, que Jacques I. roi d'Aragon, la leur enleva pour toujours.

C'est dans cette ville que naquit le pape Alexandre VI. mort à Rome en 1503, à l'âge de 72 ans, laissant en Europe, dit M. de Voltaire, une mémoire plus odieuse que celle des Nérons & des Caligula, parce que la sainteté de son ministere le rendoit plus coupable. Cependant c'est à lui que Rome dut sa grandeur temporelle, & ce fut lui qui mit ses successeurs en état de tenir quelquefois la balance de l'Italie.

Furius, (Fridéric) surnommé Seriolanus, à cause qu'il étoit né à Valence, dont les habitans étoient appellés vulgairement Sériols, mourut à Valladolid l'an 1592. Son traité du conseiller, del concejo y consejero, a été fort estimé, il y en a une traduction latine imprimée à Bâle, in -8°. en 1563, & ensuite à Strasbourg, in -12. On lui fit des affaires pour avoir mis au jour en latin un fort bon traité intitulé Bononia, dans lequel il soutenoit qu'il falloit traduire l'Ecriture-sainte en langue vulgaire. Il ne fallut pas moins que la protection de Charles-quint pour préserver l'auteur de l'orage qu'on éleva contre lui, mais la lecture de son livre a été défendue par l'index du concile de Trente.

Miniana, (Joseph - Emmanuel) naquit à Valence en 1572, entra dans l'ordre des religieux de la rédemption des captifs, & mourut en 1630. Il est auteur de la continuation de l'histoire d'Espagne de Mariana, & il y travailla douze ans. Quoiqu'il promette dans sa préface la plus grande impartialité, personne n'a espéré de la trouver dans une histoire écrite par un religieux espagnol, qui doit raconter tant de choses concernant des troubles de religion arrivés sous Charles-quint & sous Philippe II. aussi n'a-t-il puisé tout ce qu'il dit sur cette matiere, que dans des auteurs remplis des mêmes préjugés que lui ; & pour ce qui regarde les troubles des Pays-bas, il n'a fait qu'abreger le jésuite Strada. En parlant de la mort tragique du prince d'Orange Guillaume I. il loue extrêmement, liv. VIII. ch. xiij. p. 341. col. 1. la constance avec laquelle l'assassin Balthazar Gérard souffrit la mort ; & loin d'insinuer que ce parricide la méritoit, il remarque que la tête de Gérard exposée au bout d'une pique, parut beaucoup plus belle qu'elle n'étoit quand il vivoit. Il traite en même tems de monstres & d'hommes détestables, des gens illustres qui n'ont eu d'autres défauts que de ne pas penser comme l'Eglise romaine. Le pere Miniana auroit dû se souvenir de la disposition où il dit lui-même que doit être un bon historien : " de se regarder comme citoyen du monde, de tout peser à la balance de Thémis avec la derniere exactitude, & sur-tout avec un amour dominant de la vérité ". Au reste, son style n'est point aussi net & aussi dégagé que celui de son modele. Il s'est proposé mal-à-propos d'imiter Plaute, & quelquefois ses phrases par leur concision sont obscures & embarrassées.

Vives (Jean-Louis) naquit à Valence en 1492, & mourut à Bruges en 1540, à 48 ans. Il a beaucoup écrit, & avec peu d'utilité pour le public ; cependant ses ouvrages recueillis & imprimés à Bâle en 1555 en deux vol. in-fol. ont été recherchés dans le xvj. siecle.

N'oublions pas Ferrier (Vincent) dominicain, qui fleurissoit vers le milieu du xjv. siecle. Benoît XIII. le choisit pour son confesseur ; & comme il avoit un talent peu commun pour la prédication, il se rendit bien-tôt fameux. Il fit aussi des miracles en nombre, & fut canonisé. Ce saint thaumaturge, dit le pere d'Orléans, n'avoit pourtant rien de farouche & d'embarrassé lorsque son ministere le mettoit dans le commerce du monde & à la cour des princes. On tâcha de l'attirer dans l'assemblée du concile de Constance, par deux raisons, l'une pour qu'il aidât par son crédit à terminer les affaires épineuses qui occupoient les peres, & l'autre pour l'empêcher d'autoriser les Flagellans, dont la secte avoit fait de grands progrès malgré les édits des empereurs & les bulles des papes.

Vincent Ferrier les favorisoit extrêmement par ses manieres & par ses actions qui ressentoient beaucoup le fanatisme : il marchoit souvent à la tête d'une foule prodigieuse de pénitens, qui se fouettoient jusqu'au sang, & qui couroient par-tout après lui pour l'entendre prêcher. On peut juger que le saint voyoit sans chagrin les fruits de sa prédication, & que si les Flagellans aimoient à l'entendre, il n'étoit pas fâché d'en être suivi. Le concile de Constance eut beau s'y prendre avec dextérité pour ramener le dominicain ; il ne voulut point se rendre à l'assemblée, malgré les sollicitations empressées du roi d'Aragon même. Il mourut à Vannes en Bretagne le 5 d'Avril 1419, jour auquel on célebre sa fête dans l'Eglise romaine depuis sa canonisation. On a de lui quelques ouvrages dont on ne fait aucun cas, ou plutôt qu'on méprise beaucoup aujourd'hui. (D.J.)

VALENCE, (Géog. mod.) ville de France dans le Dauphiné, capitale du Valentinois, sur la rive gauche du Rhône, à 7 lieues au nord-ouest de Die, à 9 lieues de Viviers, à 12 au midi de Vienne, & à 120 de Paris.

Les maisons de Valence sont fort vilaines ; mais le palais épiscopal est bien bâti. L'évêché établi dès le iij. siecle est suffragant de Vienne. Cet évêché vaut environ 16000 liv. de revenu, & a dans son diocèse une centaine de paroisses, deux abbayes d'hommes, & deux de filles.

L'université avoit d'abord été fondée à Grenoble par le Dauphin Humbert II. & fut transférée à Valence par Louis XI. l'an 1454. Elle est composée de trois facultés, & n'a pas soutenu sa premiere réputation. Long. 22. 28. latit. 44. 55.

Valence est une des plus anciennes villes des Gaules ; car elle étoit déjà colonie romaine du tems de Pline le naturaliste. Après l'institution des nouvelles provinces, elle demeura sous la premiere viennoise ; & après la ruine de l'empire romain, elle fut soumise aux Bourguignons, & ensuite aux François Mérovingiens ; sous les Carlovingiens elle fut du royaume de Bourgogne & d'Arles, & reconnut ceux qui n'étant pas de la race de Charlemagne, jouirent de ce royaume.

Baro (Balthazar) né à Valence en 1600, & reçu à l'académie françoise en 1633, fut gentilhomme de mademoiselle Anne-Marie-Louise d'Orléans, fille de Gaston. Il mourut en 1650. L'ouvrage qui lui a fait le plus d'honneur, est le cinquieme tome d'Astrée, qui en formoit la conclusion, & qui ne fut guere moins bien reçu que les quatre autres volumes donnés par M. d'Urfé, dont Baro avoit été secrétaire. Le grand succès de ce roman produisit ceux de Gomberville, de la Calprenede, de des-Marais, & de Scudery. Que de différence entre les romans de ce tems-là, & ceux de Richardson ! Baro fit aussi neuf pieces de théatre imprimées, dont la moins mauvaise est Parthénie tragédie.

Joubert (Laurent), médecin ordinaire du roi, naquit à Valence en 1530, & se rendit célebre par ses leçons. On étoit si prévenu de ses lumieres, qu'Henri III. souhaitant avec passion d'avoir des enfans, le fit venir à Paris, dans l'espérance que l'habileté de ce médecin leveroit tous les obstacles qui rendoient son mariage stérile ; mais son espérance fut trompée. Joubert avoit cependant traité cette matiere dans ses erreurs populaires, & même il l'avoit fait avec une indécence inexcusable ; cet ouvrage devoit contenir six parties, divisées chacune en cinq livres ; mais le public n'en a vu que la premiere, & quelque chose de la seconde ; les ouvrages latins forment deux volumes in-fol. dans les éditions de Francfort, 1582, 1599, & 1645. Il mourut à Lombez en 1582, à 52 ans.

Sautel (Pierre-Juste), jésuite, né en 1613, à Valence, s'est distingué par ses petites pieces en vers latins, lesquelles sont délicates & ingénieuses. On estime son élégie sur une mouche tombée dans une terrine de lait ; son essain d'abeilles distillant du miel dans le carquois de l'Amour ; sa querelle des mouches ; son oiseau mis en cage ; son perroquet qui parle, &c. Il mourut à Tournon, en 1662, âgé de 50 ans. (D.J.)

VALENCE, (Géograph. mod.) petite ville, disons mieux, bourg de France dans l'Agénois, sur la rive droite de la Garonne, vis-à-vis d'Aurignac. (D.J.)

VALENCE, (Géogr. mod.) nos géographes disent petite ville de France dans l'Armagnac, à six lieues au nord d'Auch, sur la Blaise ; cette place ne vaut pas un bourg. (D.J.)

VALENCE, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le haut Languedoc, au diocèse d'Alby, & l'une des douze principales préfectures de ce diocèse.

VALENCE, golfe de, (Géog. mod.) golfe formé par la partie de la mer Méditerranée qui baigne les côtes du royaume de Valence. Il s'étend depuis l'embouchure de l'Ebre, jusqu'au cap nommé la punta del Emperador. (D.J.)

VALENCE, douanne de, (Finance) la douanne de Valence est un droit local destructif du commerce, & qui fatigue à la fois six ou sept provinces, dont il anéantit les communications.

Cette douanne fut établie en 1625. par bail, pour la somme de quatre cent mille livres, à des traitans, pendant trois ans ; son étendue, quant à la perception des droits, est excessive ; la maniere de les percevoir n'est pas moins onéreuse, son effet est de détruire le commerce des bestiaux, autrefois si considérable en Dauphiné. d'occasionner des tours & détours aux marchandises des provinces limitrophes, de diminuer les consommations intérieures & extérieures. La forme du tarif de cette douanne est contre toute bonne politique, en ce qu'elle est susceptible d'une infinité de surprises ; enfin elle a acquis entre les mains industrieuses des régisseurs, une propriété singuliere, c'est celle de pouvoir être perçue deux fois sur la même marchandise. Consid. sur les finances. (D.J.)


VALENCou VALENCEY, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Berry, sur la rive gauche du Nahon, au midi de Selles, avec un château qui n'est point achevé, & qui cependant a autrefois mérité d'être regardé comme une des belles maisons de France. Long. 19. 16. latit. 47. 7. (D.J.)


VALENCIENNES(Géog. mod.) ville de France, dans le Hainaut, sur le bord de l'Escaut, entre Condé & Bouchain, à huit lieues au nord-est de Cambrai, à six au sud-ouest de Mons, & à cinquante de Paris.

Les rois de France avoient un palais à Valenciennes, sous Clovis III. qui y tint une assemblée des grands du royaume, valentinianis in palatio nostro, dit la patente de ce prince ; cependant Valenciennes n'étoit encore qu'une bourgade ; mais sa situation avantageuse la rendit avec le tems une bonne ville. L'Escaut qui la coupe par le milieu, & où il y a de belles écluses, y porte bateau. Comme cette riviere la divise en deux, la ville est aussi de deux dioceses, de Cambrai & d'Arras ; c'est ce qui fait qu'elle a été attribuée par divers auteurs au Hainaut, & par d'autres à la Flandre. Les empereurs de qui Cambrai & le Hainaut relevoient, prétendoient avoir la souveraineté de toute la ville ; mais cette prétention leur étoit disputée par les comtes de Flandre, & par les rois de France de qui ces comtes relevoient. Louis XIV. prit Valenciennes en 1677. & elle lui fut cédée l'année suivante par le traité de Nimegue.

Cette ville, dont Henri Oultreman a donné l'histoire, imprimée à Anvers en 1590. in -4°. contient à-peu-près quatre mille maisons, & environ vingt mille habitans ; les rues sont étroites, mal percées, & toutes tortues ; ses fortifications & la citadelle ont été réparées, & construites en partie par le maréchal de Vauban ; la citadelle est une des plus irrégulieres qu'on puisse voir, mais les redoutes sont belles & bien revêtues.

Il y a dans cette ville un gouverneur, un lieutenant de roi, & bonne garnison ; la citadelle a son gouverneur particulier ; les membres de la magistrature sont nommés tous les ans par le gouverneur de la ville, & par l'intendant de la province. La justice royale qu'on appelle la prévôté-le-comte, s'étend sur les vingt-quatre villages de la prévôté, & connoît des cas royaux dans la ville ; l'appel des jugemens est porté au parlement de Douay. Le commerce de Valenciennes consiste en camelots, bouracans, toiles fines appellées batistes, & belles dentelles. Long. 21. 45. latit. 50. 22.

Froissard, Jean), prêtre, historien & poëte, naquit à Valenciennes vers l'an 1337. & montra dès sa jeunesse un fond de dissipation naturelle, qui exerça souvent la patience de ses maîtres. Il aimoit la chasse, les assemblées, les danses, la bonne chere, le vin, & les femmes. Tout cela paroît par un morceau de ses poésies, où il se dépeint ainsi lui-même :

Et si destoupe mes oreilles,

Quand j'oi vin verser de bouteilles,

Car au boire prens grant plaisir,

Aussi fais en beaus draps vestir,

En viande fresche & nouvelle.

Violettes en leur saisons,

Et roses blanches & vermeilles

Voi volontiers, car c'est raisons,

Et chambres plaines de candeilles,

Jus & dances, & longes veilles,

Et beaus lis pour li rafreschir,

Et au couchier pour mieulx dormir

Especes, (épices) clairet, & rocelle :

En toutes ces choses veir

Mon esperit se renouvelle.

Le goût pour l'histoire remplit un peu le vuide que l'amour des plaisirs laissoit dans son esprit & dans son coeur. Il avoit à peine vingt ans lorsqu'il entreprit d'écrire l'histoire des guerres de son tems, particulierement de celles qui suivirent la bataille de Poitiers. Quatre ans après, en 1356, étant allé en Angleterre, il en présenta une partie à la reine Philippe de Haynaut, femme d'Edouard III. Quelque jeune qu'il fût alors, il avoit déja parcouru toutes les provinces de la France.

L'objet de son voyage en Angleterre étoit de s'arracher au trouble d'une passion qui le tourmentoit depuis long-tems ; mais malgré les amusemens qu'on lui procura, & les caresses dont on l'accabla, rien ne put charmer l'ennui qui le dévoroit ; il résolut de se rapprocher ; cependant ses assiduités & ses soins auprès de sa maîtresse ayant été encore sans succès, il s'éloigna d'elle une seconde fois ; il retourna en Angleterre, & fut nommé clerc, c'est-à-dire secretaire ou écrivain de la chambre de la reine. Elle prenoit souvent plaisir à lui faire composer des poésies amoureuses ; mais ce n'étoit là qu'un amusement qui ne préjudicioit point à des travaux plus sérieux, puisqu'il fit aux frais de cette princesse, pendant les cinq années qu'il passa à son service, plusieurs voyages dont l'objet paroît avoir été de rechercher tout ce qui devoit servir à enrichir son ouvrage.

Après la mort de cette reine, qui l'avoit comblé de biens, il s'attacha à Venceslas de Luxembourg, duc de Brabant, ensuite à Gui, comte de Blois. Ce dernier prince lui donna des lettres de recommandation pour Gaston Phoebus, comte de Béarn, ce qui lui procura le moyen de s'instruire à fonds des provinces du royaume les plus éloignées, où il savoit qu'un grand nombre de guerriers se signaloient tous les jours par de merveilleux faits d'armes. En 1395, il fit une course en Angleterre, où il n'avoit pas été depuis vingt ans ; le roi le gracieusa beaucoup, & le gratifia à son départ de cent nobles dans un gobelet d'argent doré, pesant deux marcs. Il mourut six ans après, âgé d'environ 64 ans.

Son histoire est un ouvrage précieux. Elle comprend tout ce qui s'est passé en France, en Espagne, & en Angleterre, depuis 1326, jusqu'en 1400. Enguerrand de Monstrelet continua cette besogne jusqu'en 1467. On a plusieurs éditions de la chronique de Froissard ; les premieres sont à Paris, chez Jean Petit, & chez Antoine Vérard, en caracteres gothiques. Denys Saulvage la réimprima à Lyon en 1559. la quatrieme édition parut à Paris en 1574 ; mais comme les François accusent Froissard de partialité pour la nation angloise, ils ont par-ci par-là, tronqué son histoire dans toutes leurs éditions.

On dit qu'on garde dans la Bibliotheque de Breslaw, un manuscrit complet de la chronique de Froissard ; c'est sur ce manuscrit qu'elle mériteroit d'être réimprimée. Il faudroit y joindre dans ce cas le mémoire sur la vie de l'historien, par M. de Sainte Palaye, inséré dans le recueil de l'académie des Inscriptions, tom. X. in-4°. p. 564. (D.J.)


VALENGIN(Géog. mod.) comté joint à celui de Neuf-Châtel, & compris parmi les alliés de la Suisse, dont ces deux comtés occupent une partie des quartiers occidentaux. Le comté de Valengin a eu divers seigneurs. Il tire son nom d'une bourgade contenant à peine vingt maisons, & dans laquelle étoit autrefois un château bâti sur un rocher. Les états de Neuf-Châtel investirent en 1707, le roi de Prusse de leur comté & de celui de Valengin ; cette possession lui fut confirmée par le traité d'Utrecht. (D.J.)


VALENTIA(Géogr. anc.) 1°. contrée de la grande-Bretagne, selon Ammien Marcellin, qui en fait le détail suivant.

Les Pictes, dit-il, les Scots, & quelques autres peuples du pays, s'étant jettés sur la province romaine, sous l'empire de Valentinien I. ce prince envoya contre eux Théodose l'ancien, qui repoussa ces peuples, s'empara d'une partie de leurs terres, & fit construire deux forts sur l'isthme qui sépare les deux mers, afin de les tenir plus éloignés. Par-là, les terres des Romains se trouverent augmentées d'un grand pays, dont Théodose fit une cinquieme province, à laquelle il donna le nom de Valentia, pour faire honneur à Valentinien.

Ce pays faisoit partie du royaume des Pictes, qui par ce moyen se trouva considérablement diminué. Cette province comprenoit la meilleure partie de l'Ecosse ; aussi cette invasion nouvelle irrita tellement les Calédoniens, que jamais ils ne cesserent depuis de harceler les Romains & les Bretons leurs sujets. Tant que l'empire romain eut assez de force pour se soutenir, leurs efforts furent inutiles ; mais d'abord qu'il vint à chanceler, c'est-à-dire dès le commencement du cinquieme siecle, les Calédoniens revenant à la charge avec une nouvelle fureur, franchirent toutes les barrieres qu'on leur avoit opposées, & firent de grands ravages dans la province des Romains : ceux-ci les repousserent quelquefois, mais ayant assez à faire chez eux, ils se retirerent de la province de Valentia, & bâtirent de grosses pierres la muraille que l'empereur Sévere avoit élevée deux cent trente ans auparavant, entre l'embouchure de la Tyne & celle de l'Eden.

2°. Valentia, ville & colonie de la Gaule narbonnoise. Ptolémée, l. II. c. x. la donne aux peuples Segalauni. L'itinéraire d'Antonin marque cette ville sur la route de Milan à Lyon, entre Augusta & Ursolae ; c'est aujourd'hui la ville de Valence.

3°. Valentia, ville de l'Espagne tarragonoise. Pline, l. III. c. iij. la met dans le pays des Edétains, à trois milles de la mer, & lui donne le titre de colonie. C'est aujourd'hui Valence, capitale d'un royaume de même nom.

4°. Valentia, autre ville d'Espagne. Le consul Junius donna cette ville avec des terres, aux soldats qui avoient combattu sous Viriatus. Cette ville, selon Mariana, étoit sur le Minho, & son nom s'est conservé jusqu'à présent. C'est aujourd'hui Valença, bourg de Portugal, dans la province de Tra-los-montes, sur la rive gauche du Minho, vis-à-vis de Tuy.

5°. Valentia, ville d'Italie dans la Messapie ou la Calabre ; c'est apparemment le Valetium de Pomponius Méla, l. II. c. iv. qui étoit à l'embouchure du fleuve Pactius.

6e. Valentia, ville de l'île de Sardaigne, dont les habitans sont nommés Valentini par Pline, liv. III. e. vij. (D.J.)


VALENTIANAE(Géog. du moyen âge) nom de la ville de Valenciennes, dans le Hainaut, sur le bord de l'Escaut. Eginhard, ad annum 771, dit que le roi Charles tint une assemblée générale in villa Valentianâ. M. de Longuerue prétend que le fondateur de Valenciennes fut Valentinien I. ou son plus jeune fils ; & que le nom de Valentianae est corrompu de Valentinianae : mais Cellarius regarde l'origine de Valenciennes comme fort incertaine, & pense qu'elle a pris le nom Valentianae de son fondateur nommé Valens. (D.J.)


VALENTIN(Géog. mod.) maison de plaisance du roi de Sardaigne, dans le Piémont, sur le bord du Pô, au-dessus de Turin. Elle est enrichie de belles peintures, & ornée de beaux jardins. (D.J.)


VALENTINE(Géog. mod.) petite ville de France, dans le haut Languedoc, au diocèse de Comminges, proche la rive droite de la Garonne, vis-à-vis Saint-Gaudens ; on attribue la fondation de cette place, entierement dépeuplée, à Philippe-le-Bel ; c'est un grand passage pour entrer en Catalogne & en Aragon. (D.J.)


VALENTINIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) ancienne & fameuse secte de Gnostiques, ainsi appellés de l'hérésiarque Valentin leur chef, qui vivoit dans le onzieme siecle. Voyez GNOSTIQUES.

Le fonds du système des Valentiniens étoit de vouloir expliquer l'Evangile par les principes du platonisme ; c'est pourquoi ils avoient imaginé une généalogie d'éons ou d'éones au nombre de trente, mâles & femelles qui composoient le pléroma ou la divinité. Voyez l'exposition de ce système sous le mot EONS.

Outre cela Valentin & ses sectateurs disoient que les Catholiques, qu'ils appelloient Psychiques, étant incapables d'arriver à la science parfaite, ne pouvoient se sauver que par la foi simple & les oeuvres ; que c'étoit à eux que convenoit la continence & le martyre, mais que les spirituels (c'est le nom que se donnoient les Valentiniens), n'avoient pas besoin de bonnes oeuvres, parce qu'ils étoient bons par nature & propriétaires de la grace qui ne pouvoit leur être ôtée. Ils se comparoient à l'or qui ne se gâte point dans la boue ; c'est pourquoi ils mangeoient indifféremment des viandes immolées aux idoles, & prenoient part aux fêtes des payens & aux spectacles mêmes des gladiateurs. Quelques-uns s'abandonnoient sans mesures aux plaisirs les plus infâmes, disant qu'il falloit rendre à la chair ce qui appartient à la chair, & à l'esprit ce qui appartient à l'esprit. Ils se moquoient des Catholiques qui craignoient les péchés de parole & même de pensée, les traitant de simples & d'ignorans, sur-tout ils condamnoient le martyre, & disoient que c'étoit une folie de mourir pour Dieu.

Pour initier à leurs mysteres il y en avoit qui préparoient une chambre nuptiale, & avec de certaines paroles célébroient un mariage spirituel, à l'imitation de l'union des éones ; d'autres amenoient leurs disciples à l'eau & les baptisoient au nom de l'inconnu pere de tout, en la vérité mere de tout, & en celui qui est descendu, en Jesus, en l'union, la rédemption, & la communauté des puissances ; d'autres disoient que le baptême d'eau étoit superflu, & se contentoient de jetter sur la tête de l'huile & de l'eau mêlée & d'oindre de baume ; d'autres rejettoient toutes les cérémonies extérieures, disant que le mystere de la vertu invisible & ineffable ne pouvoit s'accomplir par des créatures sensibles & corruptibles ; que la rédemption étoit toute spirituelle, & s'accomplissoit intérieurement par la connoissance parfaite. Les Valentiniens se diviserent en plusieurs branches connues sous les noms de Caïnites, d'Ophites, & de Sethiens. Voyez CAÏNITES, OPHITES, THIENSIENS. Fleury, Hist. ecclés. tom. I. l. III. n°. 29. & 30.


VALENTINOIS(Géog. mod.) pays de France, dans le Dauphiné. Il est borné au nord par le Viennois, au midi par le Tricastinois, au levant par le Diois, & au couchant par le Rhône, qui le sépare du Languedoc, comme l'Isere le sépare du Viennois.

Les peuples du Valentinois sont nommés par Pline Segovellauni, par Ptolémée Segalauni, & dans la notice de l'empire Segaulauni.

On ignore les noms des premiers comtes de Valentinois ; on sait seulement que vers la fin du xij. siecle, Raymond, comte de Toulouse, donna le Diois & le Valentinois à Aymar de Poitiers. En 1446, ces deux comtés furent incorporés au Dauphiné. Louis XII. en fit un duché en 1498. Henri II. gratifia Diane de Poitiers, sa maîtresse, de l'usufruit de ce duché. Louis XIII. l'érigea en duché-pairie, dont il fit la donation à Honoré de Grimaldi, prince de Monaco, qui avoit reçu dans sa ville garnison françoise, Valence est la capitale de ce duché. (D.J.)


VALERIA(Géog. anc.) 1°. contrée de la Germanie, & qui comprenoit une portion de la Pannonie. Elle est appellée en conséquence Valeria Pannoniae, par Ammien Marcellin. Selon cet auteur, Galere Maximien ayant abattu des forêts immenses & fait écouler le lac Peizon dans le Danube, donna à cette province le nom de sa femme Valérie, fille de l'Empereur Dioclétien. La Valérie de Pannonie étoit renfermée entre le Danube & la Drave.

2°. Valeria, province d'Italie, selon Paul Diacre, qui dit que la Nurcie lui étoit annexée, & qu'elle étoit entre l'Ombrie, la Campanie, & le Picenum.

3°. Valeria, ville d'Italie, selon Strabon qui, l. V. p. 238. la place dans le Latium, sur la voie Valérienne.

4°. Valeria, ville de l'Espagne tarragonoise ; c'étoit, selon Ptolémée, l. II. c. vj. une des villes des Celtibères. Ses habitans sont nommés Valerienses par Pline, l. III. c. iij. qui les met au nombre des colonies. Cette ville étoit bâtie sur une colline ; les Maures la ruinerent, & selon Vaseus, Cuença sur le Xucar dans la nouvelle Castille, s'est élevée des débris de Valeria. (D.J.)


VALÉRIANES. f. (Hist. nat. Bot.) valeriana, genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir, profondément découpée & soutenue par un calice qui devient dans la suite une semence, le plus souvent oblongue, presque plate, & garnie d'une aigrette. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

VALERIANE, (Bot.) dans le système de Linnaeus, le calice de ce genre de plante n'est qu'une espece de bordure feuillée qui entoure le germe ; la fleur est d'un seul pétale en tuyau, contenant un suc mielleux, & se divisant dans les bords en cinq segmens obtus ; les étamines sont des filets droits, pointus, de la même longueur que la fleur ; leurs bossettes sont arrondies ; le pistil a son germe au-dessous du réceptacle ; le stile fin comme un cheveu est aussi long que les étamines ; le fruit est une capsule qui s'ouvre & tombe ; les graines sont oblongues ; les especes de ce genre de plante offrent de grandes variétés, & presque toutes, cultivées, sauvages, aquatiques, sont employés en maladies.

La grande valériane des jardins, valeriana hortensis, I. R. H. 132, a la racine grosse comme le pouce, ridée, située transversalement & à fleur de terre, fibreuse en dessous, de couleur jaunâtre ou brune en dessus, d'une odeur à-peu-près comme celle de la racine du cabaret, sur-tout quand elle est seche, & d'un goût aromatique.

Elle pousse des tiges hautes d'environ trois piés, grêles, rondes, lisses, creuses, rameuses, garnies d'espace en espace de deux feuilles opposées, lisses, les unes entieres, les autres découpées profondément de chaque côté, comme celles de la scabieuse.

Ses fleurs naissent en ombelles aux sommités des tiges & des rameaux, formant une espece de girandole, petites, de couleur blanche, tirant sur le purpurin, d'une odeur suave, qui approche un peu de celle du jasmin. Chacune de ces fleurs est un tuyau évasé en rosette, taillée en cinq parties avec quelques étamines à sommets arrondis. Quand la fleur est passée, il lui succede une semence applatie, oblongue, couronnée d'une aigrette.

Cette plante se multiplie aisément ; elle fleurit en Mai & Juin.

VALERIANE, (Mat. médic.) grande valériane, & petite ou valériane sauvage, c'est la racine de ces plantes qui est d'usage en Médecine.

La grande valériane & la valériane sauvage différent beaucoup entr'elles quant au degré d'activité. La derniere est beaucoup plus efficace que la premiere, quoique plusieurs médecins aient recommandé l'une ou l'autre presque indistinctement ; ce n'est presque plus que la valériane sauvage qui est usuelle aujourd'hui. La racine de cette plante a, lorsqu'elle est seche (état dans lequel on a coutume de l'employer), une odeur forte, pénétrante, désagréable, & une saveur amere, acerbe, dégoûtante. Elle tient un rang distingué, peut-être le premier rang parmi les remedes anti-épileptiques tirés du regne végétal. Plusieurs auteurs dont le témoignage est très-grave, rapportent des observations d'épilepsie guérie par l'usage de cette racine, à plus forte raison est-elle recommandée & employée avec succès contre les autres maladies convulsives, & principalement dans l'asthme convulsif & la passion hystérique. Cette racine est aussi un emmenagogue éprouvé ; on l'ordonne en substance à la dose d'un gros jusqu'à deux dans une liqueur appropriée, & à celle de demi-once jusqu'à une once en décoction.

Ce remede donné à baute dose, & continué pendant quelques jours, a coutume de produire des sueurs abondantes ; on pourroit par conséquent l'employer avec succès toutes les fois que cette évacuation est indiquée, & sur-tout dans les maladies chroniques, telles que le rhumatisme, certaines maladies de la peau, l'asthme humide, &c.

La racine de la grande valériane entre dans la thériaque, le mithridate, l'orviétan, & les trochisques hedichroï ; & celle de la petite valériane dans l'eau thériacale, l'eau épileptique, l'orvietanum praestantius, la poudre anti-spasmodique & les trochisques de myrthe de la pharmacopée de Paris, l'onguent martiatum, &c. La racine & les feuilles entrent dans l'emplâtre diabotanum, l'extrait dans la thériaque céleste. (b)

VALERIANE GRECQUE, polemonium, genre de plante décrit sous le nom de polemonium. Voyez POLEMONIUM.


VALERIANELLES. f. (Hist. nat. Bot.) Tournefort compte dix especes de valérianelle, du nombre desquelles la principale a été décrite sous le nom vulgaire de mâche qu'on lui donne en françois. Voyez MACHE. (D.J.)


VALERIANELLOIDES. f. (Hist. nat. Botan. exot.) genre de plante dont voici les caracteres : sa racine est fibreuse, vivace, & le produit d'une semence de couleur cendrée oblongue, pointue, petite, semblable à celle du petit cumin. Sa tige est rameuse, cendrée, couverte d'un petit duvet, & fertile. Ses feuilles sont conjuguées, arrondies, inégales, dentelées, soutenues par un pédicule long & sillonné. Il sort d'entre leurs aisselles, d'autres feuilles conjuguées, semblables aux précédentes, & au nombre de quatre. Les sommets des tiges & des branches sont terminés par un épi long & mince, entouré de calices d'une seule piece, découpés en cinq parties, & fortement attachés aux côtés de l'épi. Ces calices soutiennent une fleur d'une seule piece, faite en forme d'entonnoir, divisée en cinq quartiers, & d'un bleu pâle, du dedans du pistil de laquelle s'élevent deux étamines. L'ovaire est au centre du calice, & contient une semence cylindrique, d'où sort un tuyau qui soutient un sommet demi-sphérique. Boërhaave. (D.J.)


VALERYSAINT, (Géog. mod.) ville de France en Picardie, dans le Vimeux, à l'embouchure de la Somme, à 4 lieues d'Abbeville. Elle est divisée en haute & basse ; il y a une abbaye de bénédictins & un port. Les habitans sont presque tous commerçans. Long. 19. 30. lat. 50. 9. (D.J.)

VALERY EN CAUX, SAINT, (Géog. mod.) petite ville de France, en Normandie, au pays de Caux, à 7 lieues de Dieppe, & à 15 de Rouen, avec un petit port. Long. 19. 20. lat. 49. 48.


VALESIENSS. m. pl. (Hist. ecclésiast.) ancienne secte d'hérétiques, ainsi nommés d'un certain Valesius leur chef, inconnu à S. Epiphane, qui faisant mention de cette secte, hérés. 58. avoue que l'on en savoit peu de particularités, si ce n'est que ces hérétiques n'admettoient dans leur société que des eunuques ; ou s'ils recevoient quelqu'un qui ne le fût pas, ils l'empêchoient de manger de la viande, jusqu'à ce qu'il se fût conformé à leur volonté, & alors ils lui en permettoient l'usage, parce qu'il n'étoit plus, disoient-ils, sujet aux mouvemens déréglés de la chair. S. Epiphane place cette hérésie entre celle des Noctiens & celle des Novatiens, ce qui fait conjecturer qu'elle est du troisieme siecle. On ajoute que les Valesiens étoient dans les principes des Gnostiques touchant les anges, & qu'ils rejettoient la loi & les prophetes. Baronius, ad ann. chr. 249. Dupin, bibliot. des aut. ecclés. des trois prem. siecles.


VALETS. m. (Lang. franç.) le terme de valet a été autrefois un titre honorable. Les fils des empereurs étoient appellés varlets ou valets ; Villehardouin s'en sert en plusieurs endroits de son histoire de Constantinople. Fauchet & Pasquier nous apprennent, que les écuyers tranchans étoient appellés varlets. Duchesne dans l'histoire de la maison de Richelieu, rapporte un titre de l'an 1201. dans lequel Guillaume Duplessis se qualifie de valet, qui signifie, dit l'historien, écuyer ou damoisel ; & il ajoute cette particularité, que les nobles qui s'intituloient valets, donnoient à connoître par-là, qu'étant issus de chevaliers, ils prétendoient à l'ordre de chevalerie obtenu par leurs peres. Il cite ensuite plusieurs titres anciens, où un particulier qualifié valet, se dit fils d'un chevalier. Gasse, ancien poëte, parlant du jeune Richard, duc de Normandie, dit :

Ni ere mie chevalier, encor ere valeton,

N'avoir encor envis ne barbe, ne guernon, &c.

Le valet au jeu de cartes, signifie le fils du roi & de la reine. Voyez M. du Cange sur Villehardouin, pag. 162. (D.J.)

VALET, LAQUAIS, (Synon.) le mot de valet a un sens général, qu'on applique à tous ceux qui servent. Celui de laquais a un sens particulier, qui ne convient qu'à une sorte de domestiques. Le premier désigne proprement une personne de service ; & le second un homme de suite. L'un emporte une idée d'utilité, l'autre une idée d'ostentation. Voilà pourquoi il est plus honorable d'avoir un laquais que d'avoir un valet, & qu'on dit que le laquais ne déroge point à sa noblesse, au lieu que le valet-de-chambre y déroge, quoique la qualité & l'office de celui-ci soient au-dessus de l'autre.

Les princes & les gens de basse condition n'ont point de laquais ; mais les premiers ont des valets de pié, qui en font la fonction & qui en portoient même autrefois le nom ; & les seconds ont des valets de labeur.

Le mot laquais est moderne, & veut dire un homme servant à pié ; le mot valet est ancien, & se donna d'abord à des officiers honorables, comme valets tranchans, valets échansons : les écuyers portoient ce nom. Voyez-en l'article. (D.J.)

VALETS D'ARTILLERIE, (Art milit.) ce sont des garçons qui servent les canonniers, chargent le canon, y mettent le feu, le nettoyent, & apportent aux canonniers tout ce qui leur est nécessaire.

VALET, s. m. terme de Marine, peloton fait de fil de carret sur le calibre des canons, pour bourrer la poudre quand on les charge. (D.J.)

VALET, terme de Maréchal, voyez POINÇON. Valet d'écurie, est celui qui a soin de panser, de nourrir & d'accommoder les chevaux.

VALETS DE CHIENS, terme de Venerie, ce sont ceux qui ont soin des chiens.

Valets de limiers, ce sont ceux qui vont au bois pour détourner les bêtes avec leurs limiers, & qui doivent en avoir soin & les dresser.

Valets de levriers, ce sont ceux qui ont le soin des levriers, qui les tiennent & les lâchent à la course.

VALET ou VARLET, s. m. (Outil d'ouvriers) il y a plusieurs ouvriers qui se servent d'outils & d'instrumens qui ont ce nom, quoiqu'ils ne se ressemblent point. Ils sont tous néanmoins appellés de cette sorte, parce qu'ils tiennent lieu de valets ou serviteurs, pour tenir les ouvrages fermes, & dans la situation qui convient pour y travailler. (D.J.)

VALET, s. m. terme d'Artificier ; c'est un cylindre de bois solide, chargé de poudre & percé en plusieurs endroits, où l'on met des pétards. (D.J.)

VALET, terme de Corroyeur ; c'est ainsi qu'on appelle un instrument de fer avec lequel on attache le cuir sur la table, quand on veut l'étirer ou lui donner quelqu'autre façon. Voyez CORROYER, & la fig. Planche du Corroyeur.

VALET, en terme de Doreur, est un morceau de fer courbé à un bout presqu'en maniere d'S, dont on se sert pour contenir l'ouvrage sur l'établi. Voyez ÉTABLI ; voyez la figure & ces outils en particulier, Pl. du Menuisier.

VALET ou SAUTOIR, terme d'Horlogerie ; c'est une petite piece d'acier, qui dans la quadrature d'une montre ou pendule à répétition, contient l'étoile & par conséquent le limaçon des heures dans une situation fixe. Cette piece est mobile sur une tige qui entre dans un canon, situé vers son extrêmité E. Elle porte deux talus formant entr'eux un angle que le petit ressort pousse toujours entre les rayons de l'étoile. Voyez E t a, fig. & Pl. de l'Horlogerie.

Effet du valet. Lorsque par l'action du rouage le bouton S de la surprise qui fait son tour en une heure, rencontre un des rayons de l'étoile, il la fait tourner, & la pointe S bande le petit ressort k, au moyen du talus t. Cette pointe en tournant toujours, parvient enfin au-delà de l'angle formé par les deux talus ; pour lors le valet agissant avec toute la force qui lui est communiquée par le ressort, pousse la pointe par l'autre talus u, jusqu'à ce que les rayons 5 & 6 de l'étoile, se trouvent dans la situation où étoient avant les rayons 6 & 7 ; il en est de même des autres rayons de l'étoile. Voyez ETOILE, QUADRATURE, REPETITION, &c.

VALET, s. m. terme de Manege, bâton qui à l'un de ses bouts a une pointe de fer émoussée ; on s'en sert pour aider & pincer un cheval sauteur. (D.J.)

VALET, (Outil de Menuisier) c'est une forte piece de fer, ronde, de plus d'un pouce de diametre, & en tout à-peu-près de trois piés de longueur. Cette piece est pliée par un bout en forme d'équerre, non pas à angles droits, mais un peu aigus. (D.J.)

VALET, les Miroitiers appellent ainsi ce morceau de bois qui est attaché derriere un miroir de toilette, & qui sert à le soutenir quand on le pose sur la table.

VALET, (Serrur.) barre de fer qui sert à appuyer le battant d'une porte. Quand une porte a deux battans, il faut que l'un d'eux soit assuré par un valet, si l'on veut qu'elle ferme bien. (D.J.)

VALET, (Soierie) espece de liteau, garni d'une cheville pour arrêter le battant en arriere quand on broche, & faciliter le passage des espolins. Il y a encore le valet de l'arbalete du battant ; c'est un morceau de bois servant à tordre la corde qui forme l'arbalete ; & le valet de derriere qui sert à soutenir le poids, ou la bascule qui tient la chaîne tendue.

VALET A PATIN, (Instrument de Chirurgie) pincettes dont le bec allongé ressemble à celui d'une cane, qui servoient aux anciens pour faire la ligature des vaisseaux après l'amputation.

Cet instrument est composé principalement de deux branches ; l'une mâle & l'autre femelle. On peut diviser chaque branche en trois parties, qui sont le corps, l'extrêmité antérieure & la postérieure.

Le corps de la branche mâle a en-dedans une avance plate, arrondie dans son contour, de quatre lignes de saillie, large d'un demi-pouce, & épaisse d'une ligne & demie. Cette éminence est percée dans son milieu, & on remarque à chaque côté de sa base, une échancrure sémi-lunaire ou ceintrée, creusée sur le ventre de la branche.

Le corps de la branche femelle porte intérieurement deux avances, dont les dimensions sont les mêmes que celles de la branche mâle ; elles sont percées dans leur milieu ; elles font sur les côtés & laissent entr'elles une cavité ou mortaise, qui reçoit l'avance de la branche mâle, pour composer une charniere. La jonction des deux pieces est fixée par un clou rivé sur les éminences de la branche femelle.

L'extrêmité antérieure de l'instrument, est la continuation des branches ; elles se jettent légérement en-dehors de la longueur d'un pouce quatre lignes, puis formant un coude très-mousse, elles diminuent considérablement d'épaisseur pour former le bec, qui a près d'un pouce de long, & qui est garni intérieurement de petites rainures & éminences transversales, qui se reçoivent mutuellement. V. la fig. 4. Pl. XVII.

L'extrêmité postérieure est la continuation des branches qui se jettent beaucoup en-dehors ; ces branches diminuent d'épaisseur & augmentent en largeur, depuis le corps jusqu'à l'extrêmité, afin de présenter une surface plus étendue, & d'être empoignée avec plus d'aisance : l'extrêmité est un peu recourbée en-dedans.

Enfin il y a un double ressort, formé par un morceau d'acier plié en deux, dont la base est arrêtée par une vis sur la branche femelle, tout auprès de la charniere, & dont l'usage est d'écarter avec force les branches postérieures de l'instrument, pour que le bec pince sans risque de manquer prise.

On recommandoit de saisir avec le valet à patin, l'extrêmité du vaisseau qu'on vouloit lier ; de laisser ensuite pendre l'instrument, & de faire la ligature avec le fil & l'aiguille, comme nous l'avons dit à l'article AMPUTATION. Voyez aussi LIGATURE.

On ne se sert plus de cet instrument, du moins pour le cas en question. J'en ai donné la description, parce que je crois que cette espece de pince n'est point inutile en Chirurgie. L'avantage qu'elle a sur toutes nos pincettes, c'est qu'au moyen de son ressort, on est dispensé du soin de serrer, & que l'on peut être assuré que ce qui a été bien saisi avec le valet à patin, n'échappera pas. (Y)


VALETTEla cité de la, (Géog. mod.) c'est la plus grande des trois parties, qu'on entend communément sous le nom général de ville de Malthe.

Les Italiens l'appellent Terra-nuova, & les François Villeneuve. Elle tient son nom de son fondateur Jean de la Valette, grand-maître de l'ordre de Malthe.

La cité de la Valette est située sur une péninsule, battue des flots de la mer par trois endroits ; c'est une forte place, entourée de fossés taillés dans le roc, & défendue par de bons bastions, & autres ouvrages à la moderne. Le dedans est orné de rues longues & droites.

Il y a sept églises, & sept palais qu'on nomme auberges, & où peuvent manger tous les religieux, soit chevaliers ou freres servans, tant les profès que les novices des sept langues. Les commandeurs qu'on suppose assez riches pour subsister des revenus de leurs commanderies, ne s'y présentent guere ; chaque chef ou pilier de l'auberge, y occupe un appartement. Le trésor de l'ordre lui fournit une somme, soit en argent, soit en grains, ou en huile, pour les alimens des religieux de son auberge. Sa table particuliere est servie avec abondance, qui se répand sur les tables voisines ; mais avec tout cela, les religieux feroient souvent mauvaise chere, si le pilier de l'auberge ne suppléoit de ses propres fonds à ce qu'il tire du trésor. Comme ceux qui tiennent l'auberge ont droit à la premiere dignité vacante dans leur langue, chacun cherche dans ses épargnes, ou dans la bourse de ses amis, de quoi soutenir avec honneur cette dépense.

L'arsenal n'est pas éloigné du palais du grand-maître, & est sous l'inspection d'un des chevaliers de l'ordre. Le château S. Elme est bâti sur la pointe de la cité de la Valette, dont il n'est séparé que par un fossé taillé dans le roc. Entre ce château & la cité il y a des magasins à blé, qui sont aussi taillés dans le roc.

VALETTE, LA, (Géog. mod.) anciennement Villebois ; petite ville de France dans l'Angoumois, à quatre lieues au midi d'Angoulème, érigée en duché-pairie en 1622. Long. 17. 46. lat. 45. 41. (D.J.)


VALÉTUDINAIRES. m. (Médecine) ce terme est plus en usage parmi les gens qui ne font pas profession de médecine, que parmi les Médecins même ; cependant il a rapport à la Médecine, & est employé pour signifier une personne dont la santé est ou chancelante, ou délicate, ou souvent altérée par différentes maladies qui lui arrivent par intervalles.

En général les femmes, les enfans, les vieillards, & parmi les adultes les pléthoriques, les mélancoliques, les hypocondriaques, & enfin les phthisiques sont généralement valétudinaires ; desorte que valétudinaire peut s'appliquer à tous ceux qui ont quelque maladie chronique, ou qui sont fort sujets aux maladies chroniques.

Le régime des valétudinaires doit être fort différent de celui que l'on prescrit, ou que l'on permet aux gens qui jouissent d'une santé égale & constante ; on doit employer toutes les précautions imaginables pour soutenir leur délicatesse & leur foiblesse contre toutes les maladies qui les menacent.

1°. Les alimens doivent être eupeptiques, aisés à digérer, pris en petite quantité, suivis d'un exercice modéré ; la boisson sera différente selon les circonstances : mais on évitera l'usage des liqueurs, & encore plus leur abus.

2°. Les passions seront tranquilles & calmes ; le chagrin & les autres excès de l'ame seront défendus.

3°. Le sommeil sera prolongé, & on défendra l'usage de tout ce qui pourra le troubler.

Les remedes seront appropriés, mais on se gardera d'en faire une habitude & une coutume ; & comme les remedes demandent un régime convenable, on aura soin de régler le régime pendant leur usage.


VALEURPRIX, (Synonym.) le mérite des choses en elles-mêmes en fait la valeur, & l'estimation en fait le prix.

La valeur est la regle du prix, mais une regle assez incertaine, & qu'on ne suit pas toujours.

De deux choses celle qui est d'une plus grande valeur, vaut mieux, & celle qui est d'un plus grand prix, vaut plus.

Il semble que le mot de prix suppose quelque rapport à l'achat ou à la vente : ce qui ne se trouve pas dans le mot de valeur. Ainsi l'on dit que ce n'est pas être connoisseur que de ne juger de la valeur des choses que par le prix qu'elles coûtent. Girard. (D.J.)

VALEUR DES NOTES, en Musique, outre la position des notes qui en marque le ton, elles ont toutes quelque figure déterminée qui en marque la durée ou le tems, c'est-à-dire qui détermine la valeur de la note.

C'est à Jean de Muris qu'on attribue l'invention de ces diverses figures, vers l'an 1330. Cependant le pere Mersenne, qui avoit lu les ouvrages de cet auteur, assure n'y avoir rien vu qui pût appuyer cette opinion. De plus, l'examen des manuscrits de musique du quatorzieme siecle qui sont à la bibliotheque du roi, ne portent point à juger que les diverses figures de notes qu'on y voit, fussent de si nouvelle invention. Enfin c'est une chose qui me paroît difficile à croire que durant trois cent ans & plus qui se sont écoulés entre Gui Aretin & Jean de Muris, la musique ait été entierement privée du rythme & de la mesure, qui en font l'ame & le principal agrément.

Quoi qu'il en soit, il est certain que les différentes valeurs des notes sont de fort ancienne invention. J'en trouve dès les premiers tems de cinq sortes de figures, sans compter la ligature & le point. Ces cinq sont la maxime, la longue, la breve, la semi-breve & la minime. Toutes ces différentes notes sont noires dans les manuscrits de Guillaume de Machaut ; ce n'est que depuis l'invention de l'imprimerie qu'on s'est avisé de les faire blanches, & ajoutant de nouvelles notes, de distinguer les valeurs par la couleur, aussi bien que par la figure.

Les notes, quoique figurées de même, n'avoient pas toujours une même valeur. Quelquefois la maxime valoit deux longues, ou la longue deux breves ; quelquefois elle en valoit trois, cela dépendoit du mode. Voyez MODE. Il en étoit de même de la breve par rapport à la semi-breve, & cela dépendoit du tems. Voyez TEMS ; & de même enfin de la semi-breve par rapport à la minime, & cela dépendoit de la prolation. Voyez PROLATION.

Il y avoit encore beaucoup d'autres manieres de modifier les différentes valeurs de ces notes par le point, par la ligature & par la position de la queue. Voyez LIGATURE, POINT, QUEUE.

Les figures qu'on ajouta dans la suite à ces cinq premieres, furent la noire, la croche, la double-croche, la triple & même la quadruple croche ; ce qui feroit dix figures en tout : mais dès qu'on eut pris la coutume de séparer les mesures par des barres, on abandonna toutes les figures de notes qui valoient plusieurs mesures, comme la maxime qui en valoit huit, la longue qui en valoit quatre, & la breve ou quarrée qui en valoit deux ; la semi-breve ou ronde, qui valoit une mesure entiere, fut la plus longue valeur de note qui demeura en usage, & sur laquelle on détermina les valeurs de toutes les autres notes ; & comme la mesure binaire qui avoit passé long-tems pour moins parfaite que la mesure à trois tems, prit enfin le dessus, & servit de base à toutes les autres mesures, de même la division soûdouble l'emporta sur la division soûtriple qui avoit aussi passé pour la plus parfaite ; la ronde ne valut plus que quelquefois trois blanches, mais toujours deux seulement ; la blanche deux noires, la noire deux croches, & ainsi toujours dans la même proportion jusqu'à la quadruple croche, si ce n'est dans quelques cas d'exception où la division soûtriple fut conservée & indiquée par le chiffre 3 placé au-dessus ou au-dessous des notes. Voyez Planches & fig. les figures & les valeurs de toutes ces différentes especes de notes.

Les ligatures furent en même tems abolies, dumoins quant aux changemens qu'elles produisoient dans les valeurs des notes. Les queues, de quelque maniere qu'elles fussent placées, n'eurent plus qu'un sens fixe & toujours le même ; & enfin la signification du point fut aussi bornée à valoir exactement la moitié de la note qui est immédiatement avant lui. Tel est l'état où les figures des notes ont été mises par rapport à la valeur, & où elles sont actuellement.

L'auteur de la dissertation sur la musique moderne trouve tout cela fort mal imaginé ; nous avons exposé au mot NOTE quelques-unes de ses raisons. (S)

VALEUR, s. f. (terme de lettre-de-change) ce mot signifie proprement la nature de la chose, comme deniers comptans, marchandises, lettres-de-change, dettes, &c. qui est donnée, pour ainsi dire, en échange de la somme portée par la lettre dont on a besoin. Ricard. (D.J.)

VALEUR INTRINSEQUE, (Monnoie) ce mot se dit des monnoies qui peuvent bien augmenter ou baisser suivant la volonté du prince, mais dont la véritable valeur ne dépend que de leur poids & du titre du métal. C'est toujours sur cette valeur intrinseque des especes qu'elles sont reçues dans les pays étrangers, bien que dans les lieux où elles ont été fabriquées, & où l'autorité souveraine leur donne cours, elles soient portées dans le commerce sur un pié bien plus fort ; mais c'est un mal de plus dans l'état. (D.J.)

VALEUR, s. f. (Hydr.) la valeur des eaux est l'estimation de ce qu'elles peuvent produire en un certain tems. L'expérience y est plus nécessaire que la démonstration ; c'est elle qui a fait connoître ce que fournit par minute un ruisseau, une riviere, un pouce d'eau, une ligne ; c'est par son moyen qu'on sait qu'un muid d'eau contient 288 pintes mesure de Paris, & qu'on peut l'évaluer à 8 piés cubes valant chacun 36 pintes 8e de 288. (K)

VALEUR, (Morale) la valeur est ce sentiment que l'enthousiasme de la gloire & la soif de la renommée enfantent, qui non content de faire affronter le danger sans le craindre, le fait même chérir & chercher.

C'est ce délire de l'héroïsme qui dans les derniers siecles forma ces preux chevaliers, héros chers à l'humanité, qui sembloient s'être approprié la cause de tous les foibles de l'univers.

C'est cette délicatesse généreuse que l'ombre d'un outrage enflamme, & dont rien ne peut désarmer la vengeance que l'idée d'une vengeance trop facile.

Bien différente de cette susceptibilité pointilleuse, trouvant l'insulte dans un mot à double sens, quand la peur ou la foiblesse le prononce, mais dont un regard fixe abaisse en terre la vue arrogante, semblable à l'épervier qui déchire la colombe, & que l'aigle fait fuir.

La valeur n'est pas cette intrépidité aveugle & momentanée que produit le desespoir de la passion, valeur qu'un poltron peut avoir, & qui par conséquent n'en est pas une ; tels sont ces corps infirmes à qui le transport de la fievre donne seul de la vivacité, & qui n'ont jamais de force sans convulsions.

La valeur n'est pas ce flegme inaltérable, cette espece d'insensibilité, d'oubli courageux de son existence, à qui la douleur la plus aigue & la plus soudaine ne peut arracher un cri, ni causer une émotion sensible : triomphe rare & sublime que l'habitude la plus longue, la plus réfléchie & la mieux secondée par une ame vigoureuse, remporte difficilement sur la nature.

La valeur est encore moins cette force extraordinaire que donne la vue d'un danger inévitable, dernier effort d'un être qui défend sa vie ; sentiment inséparable de l'existence, commun, comme elle, à la foiblesse, à la force, à la femme, à l'enfant, seul courage vraiment naturel à l'homme né timide. A votre aspect, que fait le sauvage votre frere ? il fuit. Osez le poursuivre & l'attaquer dans sa grotte, vous apprendrez ce que fait faire l'amour de la vie.

Sans spectateurs pour l'applaudir, ou au-moins sans espoir d'être applaudi un jour, il n'y a point de valeur. De toutes les vertus factices c'est sans-doute la plus noble & la plus brillante qu'ait jamais pu créer l'amour propre ; mais enfin c'est une vertu factice.

C'est un germe heureux que la nature met en nous, mais qui ne peut éclorre, si l'éducation & les moeurs du pays ne le fécondent.

Voulez-vous rendre une nation valeureuse, que toute action de valeur y soit récompensée. Mais quelle doit être cette récompense ? L'éloge & la célébrité. Faites construire des chars de triomphe pour ceux qui auront triomphé, un grand cirque pour que les spectateurs, les rivaux & les applaudissemens soient nombreux ; gardez-vous sur-tout de payer avec de l'or ce que l'honneur seul peut & doit acquiter. Celui qui songe à être riche, n'est ni ne sera jamais valeureux. Qu'avez-vous besoin d'or ? Un laurier récompense un héros.

Il s'agissoit au siege de *** de reconnoître un point d'attaque ; le péril étoit presque inévitable ; cent louis étoient assurés à celui qui pourroit en revenir ; plusieurs braves y étoient déjà restés ; un jeune homme se présente ; on le voit partir à regret ; il reste long-tems ; on le croit tué ; mais il revient, & fait également admirer l'exactitude & le sang froid de son récit. Les cent louis lui sont offerts ; vous vous mocquez de moi, mon général, répond-il alors, va-t-on là pour de l'argent ? Le bel exemple !

Que l'on parcoure dans les fastes de l'histoire, les siecles de l'ancienne chevalerie, où tout jusqu'aux jeux de l'amour avoit un air martial ; où les couleurs & les chiffres de la maîtresse ornoient toujours le bouclier de l'amant ; où la barriere des tournois ouvroit un nouveau chemin à la gloire ; où le vainqueur aux yeux de la nation entiere recevoit la couronne des mains de la beauté ; qu'à ces jours d'honneur l'on compare ces tems d'apathie & d'indolence, où nos guerriers ne soulèvement pas les lances que manioient leurs peres, on verra à quel point les moeurs & l'éducation influent sur la valeur.

La valeur aime autant la gloire qu'elle déteste le carnage ; cede-t-on à ses armes, ses armes cessent de frapper ; ce n'est point du sang qu'elle demande, c'est de l'honneur ; & toujours son vaincu lui devient cher, sur-tout s'il a été difficile à vaincre.

Du tems du paganisme elle fit les dieux, depuis elle créa les premiers nobles.

C'est à elle seule que semblera appartenir la pompe fastueuse des armoiries, ces casques panachés qui les couronnent, ces faisceaux d'armes qui servent de support aux écussons, ces livrées qui distinguoient les chefs dans la mêlée, & toutes ces décorations guerrieres qu'elle seule ne dépare pas.

Ces superbes priviléges, aujourd'hui si prisés & si confondus, ne sont pas le seul apanage de la valeur ; elle possede un droit plus doux & plus flatteur encore, le droit de plaire. Le valeureux fut toujours le héros de l'amour ; c'est à lui que la nature a particulierement accordé des forces pour la défense de ce sexe adoré, qui trouve les siennes dans sa foiblesse ; c'est lui que ce sexe charmant aime sur-tout à couronner comme son vainqueur.

Non contente d'annoblir toutes les idées & tous les penchans, la valeur étend également ses bienfaits sur le moral & sur le physique de ses héros ; c'est d'elle sur-tout que l'on tient cette démarche imposante & facile ; cette aisance qui pare la beauté ou prête à la disgrace un charme qui la fait oublier ; cette sécurité qui peint l'assurance intérieure ; ce regard ferme sans rudesse que rien n'abaisse que ce qu'il est honnête de redouter ; & la grandeur d'ame, & la sensibilité que toujours elle annonce, est encore un attrait de plus dont toute autre ame sensible peut malaisément se défendre.

Il seroit impossible de définir tous les caracteres de la valeur selon ceux des êtres divers que peut échauffer cette vertu ; mais de même que l'on peut donner un sens définitif au mot physionomie, malgré la variété des physionomies, de même peut-on fixer le sens du mot valeur, malgré toutes ces modifications.

Pour y parvenir encore mieux, l'on va comparer les mots bravoure, courage, & valeur, que l'on a toujours tort de confondre.

Le mot vaillance paroît d'abord devoir être compris dans ce parallele ; mais dans le fait c'est un mot qui a vieilli, & que valeur a remplacé ; son harmonie & son nombre le fait cependant employer encore dans la poésie.

Le courage est dans tous les événemens de la vie ; la bravoure n'est qu'à la guerre ; la valeur par-tout où il y a un péril à affronter, & de la gloire à acquérir.

Après avoir monté vingt fois le premier à l'assaut, le brave peut trembler dans une forêt battue de l'orage, fuir à la vue d'un phosphore enflammé, ou craindre les esprits ; le courage ne croit point à ces rêves de la superstition & de l'ignorance ; la valeur peut croire aux revenans, mais alors elle se bat contre le phantome.

La bravoure se contente de vaincre l'obstacle qui lui est offert ; le courage raisonne les moyens de le détruire ; la valeur le cherche, & son élan le brise, s'il est possible.

La bravoure veut être guidée ; le courage sait commander, & même obéir ; la valeur sait combattre.

Le brave blessé s'énorgueillit de l'être ; le courageux rassemble les forces que lui laisse encore sa blessure pour servir sa patrie ; le valeureux songe moins à la vie qu'il va perdre, qu'à la gloire qui lui échappe.

La bravoure victorieuse fait retentir l'arène de ses cris guerriers ; le courage triomphant oublie son succès, pour profiter de ses avantages ; la valeur couronnée soupire après un nouveau combat.

Une défaite peut ébranler la bravoure ; le courage sait vaincre & être vaincu sans être défait ; un échec desole la valeur sans la décourager.

L'exemple influe sur la bravoure ; (plus d'un soldat n'est devenu brave qu'en prenant le nom de grenadier ; l'exemple ne rend point valeureux quand on ne l'est pas) mais les témoins doublent la valeur ; le courage n'a besoin ni de témoins ni d'exemples.

L'amour de la patrie & la santé rendent braves ; les réflexions, les connoissances, la Philosophie, le malheur, & plus encore la voix d'une conscience pure, rendent courageux ; la vanité noble, & l'espoir de la gloire, produisent la valeur.

Les trois cent Lacédémoniens des Thermopyles, (celui qui échappa même) furent braves : Socrate buvant la ciguë, Regulus retournant à Carthage, Titus s'arrachant des bras de Bérénice en pleurs, ou pardonnant à Sextus, furent courageux : Hercule terrassant les monstres ; Persée délivrant Andromede ; Achille courant aux remparts de Troie sûr d'y périr, étonnerent les siecles passés par leur valeur.

De nos jours, que l'on parcoure les fastes trop mal conservés, & cent fois trop peu publiés de nos régimens, l'on trouvera de dignes rivaux des braves de Lacédémone ; Turenne & Catinat furent courageux ; Condé fut valeureux & l'est encore.

Le parallele de la bravoure avec le courage & la valeur, doit finir en quittant le champ de bataille. Comparons à présent le courage & la valeur dans d'autres circonstances de la vie.

Le valeureux peut manquer de courage ; le courageux est toujours maître d'avoir de la valeur.

La valeur sert au guerrier qui va combattre ; le courage à tous les êtres qui jouissant de l'existence, sont sujets à toutes les calamités qui l'accompagnent.

Que vous serviroit la valeur, amant que l'on a trahi ; pere éploré que le sort prive d'un fils ; pere plus à plaindre, dont le fils n'est pas vertueux ? ô fils désolé qui allez être sans pere & sans mere ; ami dont l'ami craint la vérité ; ô vieillards qui allez mourir, infortunés, c'est du courage que vous avez besoin !

Contre les passions que peut la valeur sans courage ? Elle est leur esclave, & le courage est leur maître.

La valeur outragée se vange avec éclat, tandis que le courage pardonne en silence.

Près d'une maîtresse perfide le courage combat l'amour, tandis que la valeur combat le rival.

La valeur brave les horreurs de la mort ; le courage plus grand brave la mort & la vie.

Enfin, l'on peut conclure que la bravoure est le devoir du soldat ; le courage, la vertu du sage & du héros ; la valeur, celle du vrai chevalier. Article de M. DE PEZAY, capitaine au régiment de Chabot, dragons.


VALHALLAS. m. (Mythologie) c'est le nom que la Mythologie des anciens Celtes, Scandinaves ou Goths, donne à un séjour de délices, destiné pour ceux qui périssoient dans les combats ; valhalla étoit le palais du dieu Odin ; les plaisirs dont on y jouissoit étoient conformes aux idées guerrieres de ces peuples avides de combats. Ils supposoient donc que ceux qui étoient admis dans le valhalla, avoient tous les jours le plaisir de s'armer, de passer en revue, de se ranger en ordre de bataille, & de se tailler en pieces les uns les autres ; mais dès que l'heure du festin étoit venue, les héros retournoient dans la salle d'Odin, parfaitement guéris de leurs blessures ; là ils se mettoient à boire & à manger ; leur boisson étoit de la biere & de l'hydromel, qu'ils buvoient dans les crânes des ennemis qu'ils avoient tués, & qui leur étoit versée par des nymphes appellées valkyries. On voit combien une pareille doctrine étoit propre à inspirer le courage & le desir d'une mort glorieuse dans les combats, à ces peuples qui ont conquis la plus grande partie de l'Europe.

L'entrée du valhalla n'étoit promise qu'à ceux qui périssoient dans les combats, toute autre mort étoit regardée comme ignominieuse ; & ceux qui mouroient de maladie ou de vieillesse, alloient dans le niflheim ou dans l'enfer destiné aux lâches & aux scélérats. Voyez l'Introduction à l'histoire de Danemarck, par M. Mallet, & voyez NIFLHEIM.


VALIS. m. (Hist. mod.) c'est le titre que l'on donnoit en Perse avant les dernieres révolutions, à des vice-rois ou gouverneurs établis par la cour d'Ispahan, pour gouverner en son nom des pays dont leurs ancêtres étoient les souverains avant que d'être soumis aux Persans. La Géorgie étoit dans ce cas, ainsi qu'une partie de l'Arabie ; les vice-rois de ces pays s'appelloient vali de Géorgie, vali d'Arabie, &c.


VALIDATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est l'action de faire valoir quelque chose qui sans cela ne seroit pas valable.

Validation de criées ; ce sont des lettres accordées en chancellerie, pour confirmer les criées, lorsqu'il y manque quelque défaut de formalité. Dans les coutumes de Vitry, Château-Thierry, & quelques autres, les Praticiens sont dans l'usage lorsqu'il est question de certifier des criées, d'observer si toutes les significations ont été faites parlant à la partie saisie ; cette formalité y est tellement de rigueur, que pour en couvrir le défaut, on a recours à des lettres de validation de criées ; l'adresse de ces lettres se fait au juge devant lequel les criées sont pendantes. Voyez le style des lettres de chancellerie, par M. de Pimont.

Validation de mariage ; on trouve dans le style de la chancellerie de Dusault, la formule de lettres de validation de mariage pour des gens de la religion prétendue réformée, qui s'étoient mariés, quoique il y eût parenté au degré de l'ordonnance, entre la premiere femme & la seconde, à l'effet d'assurer l'état des conjoints & celui de leurs enfans nés & à naître.

Validation de payement ; sont des lettres que le roi accorde à un comptable pour qu'on lui alloue à la chambre des comptes un payement sur lequel elle pourroit faire quelque difficulté. Voyez le style de chancellerie de Dusault, page 79.


VALIDEadj. (Gram. & Jurisprud.) signifie ce qui est valable selon les loix ; un acte est valide en la forme, lorsqu'il est revêtu de toutes les formalités nécessaires, & il est valide au fond lorsque les dispositions qu'il renferme n'ont rien de prohibé. Voyez ACTE, FORMALITE, FORME, VALABLE, VALIDITE. (A)


VALIDÉ(Hist. mod.) nom que l'on donne chez les Turcs à la sultane mere de l'empereur qui est sur le trône. La sultane validé est toujours très-respectée par son fils, & prend part aux affaires de l'état, suivant le plus ou le moins d'ascendant qu'elle sait prendre sur son esprit. Elle jouit d'une liberté beaucoup plus grande que les autres sultanes qui sont dans le serrail, & peuvent y changer & y introduire ce que la fantaisie leur suggere. La loi veut que le sultan obtienne le consentement de sa mere pour coucher avec quelqu'une des femmes qui y sont renfermées ; ainsi la validé lui amene une fille choisie pour attirer ses regards ; elle trouveroit très-mauvais & se croiroit deshonorée, si son fils ne s'en rapportoit à son choix. Son médecin nommé hekisis effendi, lorsqu'elle tombe malade, est introduit dans son appartement, mais il ne lui parle qu'au-travers d'un voile dont son lit est environné, & ne lui tâte le pouls qu'au-travers d'un linge fin, qu'on met sur le bras de la sultane validé. Elle a un revenu particulier, que l'on nomme Paschmalyk ; il est de mille bourses ou d'environ quinze cent mille francs, dont elle dispose à sa volonté.


VALISES. f. (terme de Coffretier) ustensile de cuir uni ou à poil, servant à mettre des hardes & autres choses, pour porter en voyage sur la croupe d'un cheval, ou autrement. (D.J.)


VALKYRIESS. f. pl. (Mythologie) C'est le nom que les anciens Scandinaves ou Goths donnoient à des Nymphes, qui habitoient le valhalla, c'est-à-dire paradis des héros, ou la demeure d'Odin ; ce dieu les emploie pour choisir ceux qui doivent être tués dans les combats. Une de leurs fonctions étoit de verser à boire aux héros qui avoient été admis dans le palais d'Odin ; c'étoient aussi elles qui présentoient à ce dieu ceux qui mouroient dans les batailles. Voyez l'EDDA des Irlandois.


VALLADOLID(Géog. mod.) en latin Pincium, ville d'Espagne dans la vieille Castille, sur la riviere de Pisuerga, près de son embouchure dans le Duero, à 20 lieues au sud-ouest de Burgos, à 25 au nord-est de Salamanque, & à 35 au nord de Madrid.

Valladolid est une des plus grandes villes d'Espagne. Elle contient soixante & dix couvens de l'un & de l'autre sexe, & des églises à proportion ; d'ailleurs l'étendue de ses places publiques y est très-considérable. On donne sept cent pas de circuit à la seule place du marché nommée el campo ; les maisons de cette place sont égales, & à quatre étages. L'université n'est composée que de quelques colleges. On a fondé dans cette ville en 1752, une académie des sciences & des arts ; mais cette académie ne se presse pas de répandre ses lumieres, car elle n'a point encore publié d'ouvrages. L'évêché de cette cité est suffragant de Tolede, & a été sondé en 1595. Son revenu est évalué à quinze mille ducats. Cette ville a été la résidence des rois de Castille jusqu'à Charles-Quint. Les dehors en sont très-agréables ; c'est une belle plaine couverte de jardins, de vergers, de prés & de champs. Long. 13. 35. lat. 41. 43.

Valladolid est la patrie de quatre ou cinq jésuites, dont les noms ne sont connus qu'en Espagne ; mais il n'en est pas de même de Mercado (Louis de) en latin Mercatus, un des savans médecins du xvj. siecle ; toutes ses oeuvres ont été recueillies & imprimées Francofurti 1654, cinq vol. in-fol. Il mourut en 1593, à 53 ans.

Nunnez (Ferdinand), surnommé Pincianus, du nom latin de sa patrie, a eu la gloire d'apporter le premier l'usage de la langue grecque en Espagne. La noblesse de son extraction lui procura l'honneur d'être fait chevalier de S. Jacques ; mais quoiqu'il fût en même tems intendant des finances de Ferdinand le catholique, il n'employa sa fortune qu'à devenir le propagateur des belles-lettres dans sa patrie ; sourd aux promesses les plus magnifiques, & insensible aux espérances de la cour les plus flatteuses, il consacra son loisir studieux à communiquer aux autres les lumieres qu'il possédoit. Il fit pour la plus grande partie la version latine des septante, imprimée dans la polyglotte du cardinal Ximenès. Emule d'Hermolaüs Barbaro, il publia des commentaires sur Pline, Pomponius Méla & Séneque, tous trois ses compatriotes ; enfin, il mérita les éloges des plus savans hommes, de Juste-Lipse, d'Isaac Vossius & d'autres critiques. Il mourut en 1553, âgé de plus de 80 ans. (D.J.)

VALLADOLID, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans l'audience de Quito, entre Loxa au nord, & Loyola au midi, sur la riviere de Chinchipé. Cette ville autrefois opulente, n'est plus qu'un petit hameau habité par quelques indiens ou métifs. Long. 301. 40. lat. mérid. 4. 31. (D.J.)

VALLADOLID ou VALLISOLETO, (Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement de Méchoacan, proche d'un grand lac, avec un évêché suffragant de Mexico. Latit. 11. 19. (D.J.)

VALLADOLID, (Géogr. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle-Espagne, au Yucatan, environ à 30 lieues au midi oriental de Mérida, près de la côte du golfe de Honduras. Latit. 19.

VALLADOLID, (Géogr. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans le gouvernement de Honduras, sur les confins de l'audience de Nicaragua, dans une belle plaine. Il y a des peres de la Merci, & un évêché.


VALLAGELE, (Géogr. mod.) petit pays de France, qui fait partie du gouvernement de Champagne. Il est borné au nord par le Châlonnois & le Pertois, au midi par le Bassigni, au levant par le Barrois, & au couchant par la Champagne propre. Il est arrosé par l'Aube & la Marne. Vaussy est la capitale ; ses autres villes sont Joinville & Bar-sur-Aube. (D.J.)


VALLAIREadj. (Hist. nat.) nom que donnoient les Romains à la couronne que l'état ou le général décernoit à tout officier ou soldat qui dans l'attaque d'un camp avoit le premier franchi les palissades & pénétré dans les lignes ou retranchemens des ennemis. Ce mot est dérivé de vallum, pieu garni de quelques branches qu'on plantoit sur la crête du retranchement, pour former l'enceinte du camp que les anciens nommoient lorica. Ils donnoient aussi à cette couronne le nom de castrensis, du mot castra, camp.

Aulugelle assure que cette couronne étoit d'or, & néanmoins, au rapport de Pline, l. XXII. c. iij. elle n'étoit pas tant estimée que la couronne obsidionale qui n'étoit que d'herbe ou de gazon. Les Romains pensoient & avec raison qu'il étoit plus glorieux & plus utile à l'état de délivrer & de conserver des citoyens, que de vaincre des ennemis. Voyez COURONNE.


VALLAISLE, (Géog. mod.) en allemand Waliserland ; pays voisin & allié des Suisses. Il est borné au nord par le canton de Berne, au midi par le val d'Aoste, au levant par le canton d'Uri, & au couchant par le lac Leman ou de la république de Genève ; de ce dernier côté, il fait face à la Savoye. Ce pays est une vallée étroite, dont la longueur est d'environ 34 lieues ; sa largeur est fort inégale. Le Rhône traverse le Vallais dans toute sa longueur, du levant au couchant. On le divise en haut & bas Vallais, qui sont l'un & l'autre très-peuplés. Le haut Vallais est partagé en sept communautés, départemens ou jurisdictions, que l'on nomme dixaines en françois, & zehenden en allemand. Le bas Vallais est divisé en six gouvernemens ou bannieres.

Il n'y a peut-être point dans la Suisse de contrée si bien entourée de montagnes que le Vallais, ni si bien fortifiée par la nature ; mais quoique ce pays soit une vallée environnée de hautes montagnes couvertes de neiges, c'est cependant le quartier le plus chaud de la Suisse. Il produit de très-bons vins, dont les vignes sont sur des rochers ; le terroir rapporte aussi suffisamment de blé, de seigle & d'orge pour la nourriture des habitans : ils sont accoutumés à la fatigue, endurcis au travail ; & comme ils vivent frugalement, & respirent un air pur, ils parviennent sans maladies à une vieillesse vigoureuse ; ils paroissent n'être exposés qu'à la difformité du goître, qui peut venir de la mauvaise qualité des eaux ; mais ce mal même n'est pas universel ; tout le pays est cultivé & planté d'arbres fruitiers.

Le haut Vallais, où est la source du Rhône, étoit autrefois occupé par les Seduni qui ont laissé leur nom à la ville de Sion, appellée en latin Seduni, & le bas Vallais par les Veragri, dont la situation a été exactement marquée par César dans le liv. III. de ses commentaires, où il nomme par ordre les Nantuates, les Veragri, & les Seduni, qui occupoient le pays depuis les Allobroges, le lac Léman & le Rhône jusqu'aux hautes Alpes, usque ad summas Alpes, où est la source du Rhône.

Le Vallais fit partie du royaume de Bourgogne sous les Mérovingiens & les Carlovingiens. Les successeurs de Rodolphe, élu l'an 888 roi de la Bourgogne transjurane & septentrionale, jouirent paisiblement de ce même pays jusqu'à Rodolphe III. sous lequel les officiers nommés comtes, s'érigerent en princes, & les évêques aussi, ce qu'ils avoient commencé à faire dès le tems du roi Conrad le Pacifique, pere & prédécesseur de Rodolphe, nommé le lâche, parce qu'il souffrit & autorisa ces usurpations. Les empereurs allemands, qui succéderent à Rodolphe, mirent le gouvernement de la Bourgogne transjurane entre les mains des ducs de Zéringue, qui attaquerent les Vallaisans, mais avec divers succès, & ils furent obligés enfin de les laisser vivre dans leurs montagnes en liberté.

La plus ancienne alliance que les Vallaisans aient faite avec quelques cantons de la Suisse, est celle qu'ils contracterent pour dix ans avec les Bernois l'an 1250, qu'ils renouvellerent en 1448, & qu'ils déclarerent stable & éternelle en 1475. Ils avoient fait une pareille alliance en 1473 avec les cantons de Lucerne, d'Ury & d'Underwald ; & en 1529, ils furent admis par tous les cantons dans l'alliance helvétique. Il fut cependant ajouté dans l'acte une clause, qui portoit que cette alliance seroit renouvellée tous les 25 ans.

Enfin en 1533, l'évêque & la république de Vallais renouvellerent leur alliance avec les trois cantons catholiques, Lucerne, Ury & Underwald ; & les quatres autres, savoir, Schwitz, Zug, Fribourg & Soleurre y acquiescerent.

Ce renouvellement fut en quelque maniere une nouvelle alliance ; car du côté des Suisses tous les cantons catholiques y stipulerent, & du côté des Vallaisans, qui sont fort attachés à l'église romaine, tout l'état y entra pareillement.

Les Vallaisans voulant conserver leur liberté intérieure, pratiquent depuis long-tems un usage singulier pour réprimer les grands qui tenteroient de la leur ravir par leur crédit & leur puissance. C'est ce qu'ils appellent la masse, en allemand matzen, & qui tient quelque chose de l'ostracisme des Athéniens. Le peuple prend un tronc d'arbre ou de vigne, sur lequel il pose une figure de tête d'homme, semblable à une tête de Méduse ; chaque mécontent fiche un clou à cette masse ; & quand elle est chargée de clous, on porte la masse dans l'assemblée des jurisdictions avec le nom de l'homme qu'on redoute, & l'on demande son bannissement. Cette maniere extraordinaire d'obtenir justice dans ce pays-là, y produit beaucoup de bien & peu de mal. (D.J.)


VALLATUM(Géog. anc.) lieu de la Vindélicie. L'itinéraire d'Antonin le place entre Abasina & Summemtorium. On croit communément que le nom moderne est Willenbach. (D.J.)


VALLÉE(Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'Istrie, à 7 milles de la mer, & à 14 au nord de Pola ; elle est ceinte de murailles, & soumise aux Vénitiens.

VALLEE, VALLON, (Synonyme) vallée semble signifier une espace plus étendu ; vallon semble en marquer un plus resserré.

Les poëtes ont rendu le mot de vallon plus usité ; parce qu'ils ont ajouté à la force de ce mot une idée de quelque chose d'agréable ou de champêtre, tandis que celui de vallée n'a retenu que l'idée d'un lieu bas, & situé entre d'autres lieux plus élevés.

On dit la vallée de Josaphat, où le vulgaire pense que se doit faire le jugement universel ; & l'on dit souvent en poésie le sacré vallon, où la fable établit une demeure des muses. A entendre nos aimables décider d'un ton léger du mérite des poëtes anciens & modernes,

On diroit qu'ils ont seuls l'oreille d'Apollon,

Qu'ils disposent de tout dans le sacré vallon.

(D.J.)

VALLEE, (Géog. sacrée) il est parlé dans l'Ecriture de plusieurs vallées de la Judée ; nous n'en citerons ici que quelques-unes, dont les noms se lisent le plus souvent : telles sont la vallée des artisans, sur les confins des tribus de Juda & de Benjamin ; la vallée des bois, dans laquelle étoient bâties Sodome & Gomorrhe ; la vallée de Save ou Royale, ainsi dite parce que Melchisédech y rencontra Abraham ; la vallée de bénédiction, près de Jérusalem, ainsi nommée, parce que les Juifs y remercierent Dieu de la victoire qu'il avoit accordée à Josaphat, II. Paral. xx. 26. la vallée de Gad, située au-delà du Jourdain, le long de l'Arnon, II. Rois, xxiv. 5. la vallée de vision, signifie Jérusalem dans le style prophétique, & par antiphrase, parce qu'elle est située sur une montagne ; la vallée grasse, étoit aux environs de Samarie qui la dominoit ; sa fertilité lui fit donner ce nom ; la vallée des passans marque le grand chemin qui étoit au pié du mont Carmel, pour aller du levant vers la mer. Ezech. xxxix. 11. la vallée des montagnes, désigne les vallées qui étoient autour de Jérusalem, où les habitans de cette ville se sauverent, lorsqu'elle fut assiégée par les Romains ; la vallée du carnage fut ainsi nommée, parce que Josaphat y défit un grand nombre d'ennemis ; c'est la même que la vallée de Josaphat ou du jugement, dont parle Joël, iij. 14. (D.J.)

VALLEE, (Géogr. mod.) mot françois qui signifie la descente d'une montagne rude, escarpée, roide ; il signifie aussi un espace de terre ou de pays, situé au pié de quelque montagne ou côte. On disoit autrefois val ; mais il n'est plus en usage que dans les noms propres : le val de Galice, le val des Choux, le val Suzon. L'un & l'autre mot est formé du latin vallis, dont les Italiens ont fait leur mot val ou valle, & les Espagnols leur mot valle.

On entend ordinairement par une vallée une espece de plaine, le plus souvent traversée par une riviere, bornée à ses côtés par des collines ou des montagnes, & qui a une longueur plus ou moins grande, sans largeur considérable. Il y a des pays fort vastes nommés vallées, comme dans la Sicile, qui est divisée en trois vallées, valle di Mazara, valle di Demona, & valle di Noto. Comme, selon le proverbe, il n'y a point de montagnes sans vallées, le mot de vallée est commun dans les montagnes, par exemple, dans la Suisse, chez les Grisons, dans une partie de la Lombardie & dans les Pyrénées. (D.J.)

VALLEE DE VISION, la, (Critique sacrée) la vallée de vision dans le style figuré, signifie Jérusalem. Elle est nommée vallée par antiphrase, parce qu'elle est située sur une montagne ; & on lui donne le surnom de vision, parce qu'elle est le sujet de la prophétie d'Isaïe, ou parce que le temple de Jérusalem fut bâti sur le mont Morija, qui est la montagne de vision.

VALLEE DE CLUYD, (Géog. mod.) vallée d'Angleterre, dans le comté de Denbig. Elle s'étend du sud-est au nord-ouest jusqu'à l'Océan, de la longueur de 17 milles, sur 5 de largeur. Elle est de toutes parts environnée de hautes montagnes, excepté le long des côtes, où elle est toute ouverte. La riviere de la Cluyd la traverse par le milieu, depuis sa source jusqu'à son embouchure.

VALLEES, pays des quatre, (Géog. mod.) pays de France, dans la Gascogne, sur la gauche de la Garonne, partie dans le diocèse d'Auch, & partie dans celui de Comminge. Il renferme les vallées de la Barthe ou Nestes, Aure, Magnoac & Barousse. (D.J.)


VALLI(Botan. exot.) arbrisseau des Indes que M. Commelin nomme frutex siliquosa, indica, flore papilionaceo, siliquis planis, brevibus, duo aut tria semina isthmia continentibus. Hort. Malab.

Cet arbrisseau s'attache à toutes les plantes de son voisinage. Ses feuilles ressemblent à celles du frêne, & ont quelque acrimonie. Ses fleurs son papilonacées & sans odeur. Ses gousses ont un pouce de long, sur un pouce de circonférence ; elles sont plates, & contiennent deux ou trois semences séparées par une cloison étroite ; ses feves sont d'un goût extrêmement désagréable. Cette plante fleurit au mois d'Août, & son fruit est mûr dans ceux de Décembre & de Janvier. (D.J.)


VALLUMAGGER, VINEAE, TURRES, (Art milit. des Romains) vallum étoit un retranchement que l'on faisoit avec des pieux, une palissade. Agger, élevation pour dominer la ville, que l'on faisoit avec des poutres & des branches d'arbres qu'on couvroit de terre. Vineae, machines qui couvroient ceux qui travailloient à la sappe du mur. Turres, les tours, étoient de bois, & l'on y mettoit des machines pour lancer des pierres, des feux d'artifices, &c. (D.J.)

VALLUM ADRIANI, (Géog. anc.) dans la 124e. année de J.C. l'empereur Adrien passa dans la grande-Bretagne pour y appaiser un soulevement, & après avoir battu les rebelles, il fit tirer pour la premiere fois, dit Spartian in Hadriani vitâ, c. xj. une muraille de 80 milles de longueur, pour empêcher les peuples sauvages du nord, de se jetter sur les sujets des Romains.

Cette muraille, ou ce retranchement, tenoit toute la largeur de l'île, depuis une mer jusqu'à l'autre ; c'est-à-dire, depuis le bord de la Tyne, au voisinage de New-Castle, jusqu'au bord de l'Eden, près de Carlisle, dans le Cumberland, & de Carlisle jusqu'à la mer.

L'auteur des délices de la grande-Bretagne, page 1140, dit : " L'historien qui nous apprend cette circonstance, ne marque pas en quel endroit étoit cette muraille : mais les Ecossois ne doutent nullement, que ce ne fut entre les golfes de Glotta & de Bodotria, dans les mêmes endroits ou Agricola avoit mis des garnisons 40 ans auparavant ; & ils sont persuadés que c'est la même muraille dont il reste des vestiges assez considérables, entre les golfes dont il vient d'être parlé, qui sont ceux de la Cluyd & du Forth. "

Mais il paroîtroit plutôt que c'est le Vallum de Sévere, dont nous ferons l'article, qui doit être placé entre ces deux golfes, & non celui d'Hadrien : car Spartian, in Hadriani vitâ, c. xj. dit positivement que le Vallum de Sévere fut bâti bien loin au-delà de celui d'Hadrien. D'ailleurs, si le mur de ce dernier avoit été entre les golfes de Cluyd & de Forth, il n'auroit pas eu 80 mille pas de longueur, mais seulement 32 mille pas, mesure qu'Aurelius Victor, Epitom. hist. Augustae, & Eutrope, in Severo, l. VII. c. xix. donnent au Vallum de Sévere.

Quoi qu'il en soit, les restes de ce grand & merveilleux ouvrage font voir qu'il étoit digne de la puissance des Romains. D'abord Hadrien ne le fit faire que de gason ; mais dans la suite on l'a bâti de gros quartiers de pierre. Cette muraille étoit haute de 15 piés, & en quelques endroits large de 9, comme on le peut encore voir par les débris qui en restent. Elle comprenoit un espace d'environ cent milles de longueur à-travers des plaines, des vallées, des montagnes & des forêts : de-sorte qu'elle devoit avoir coûté des peines & des dépenses infinies. Elle étoit flanquée de tours, à la distance de mille pas les unes des autres : & tout du long, on avoit bâti une infinité de bourgs & de châteaux. Les Anglois l'appellent the Picts wall, c'est-à-dire, la muraille des Pictes ; parce que les incursions des Pictes furent la cause qui fit que les Romains penserent à un ouvrage de cette nature.

A Walvich, que l'on croit être l'ancienne Gallana, on voit des vestiges d'anciennes fortifications, & particulierement les ruines d'une grande forteresse. Près de cet endroit, la Tyne coupe la muraille, passant par une voute qu'on eut soin d'y construire ; & à quelque distance de la muraille, les deux Tynes se joignent, pour ne faire plus qu'une seule riviere. (D.J.)

VALLUM ANTONII PII, (Géog. anc.) retranchement ou muraille élevée par l'empereur Antonin Pie, dans la grande-Bretagne, pour arrêter les incursions des Calédoniens. On n'est pas d'accord sur l'endroit où fut fait ce retranchement. Cambden prétend qu'il passoit par la ville de Brumeria, aujourd'hui Brampton ; & selon la carte du pere Briet, il commençoit auprès de Berwick, à l'embouchure de la Twede, & entroit dans les terres vers le sud-ouest, en suivant à-peu-près les mêmes limites qui séparoient l'Ecosse de l'Angleterre. (D.J.)

VALLUM SEVERI, (Géog. anc.) l'empereur Sévere étant passé dans la grande Bretagne avec ses deux fils, environ l'an 207 de Jesus-Christ, repoussa les Calédoniens ; & pour les empêcher de revenir dans la province des Romains, il fit élever une muraille qui tenoit toute la largeur de l'île d'une mer à l'autre, entre les golfes de Glotta & de Bodotria, aujourd'hui les golfes de Cluyd & de Forth.

Cette muraille, ou plutôt ce retranchement, puisque Spartien & les autres auteurs anciens lui donnent le nom de vallum, fut apparemment forcé par les Calédoniens : car, sous l'empire de Dioclétien, Carausius, qui dans la suite eut la présomption de prendre la pourpre impériale, dépouilla les Calédoniens de leurs terres, & alla rétablir les bornes de l'empire romain entre les golfes de la Cluyd & du Forth : & soixante ans après ou environ, Théodose, pere de l'empereur Théodose le grand, marchant sur les brisées de Carausius, réduisit en forme de province tout le pays qui est entre l'Angleterre & les deux golfes en question. Il l'appella Valentia, du nom de l'empereur ; & pour en assûrer la possession aux Romains, il rétablit la muraille de Sévere entre les mêmes golfes. Voyez VALENTIA, Géog. anc. (D.J.)

VALLUM STILICONIS ou MURUS STILICONIS, (Géog. anc.) nom d'une muraille ou d'un retranchement, qu'on croit que Stilicon fit tirer dans la grande Bretagne le long du rivage, dans un espace d'environ quatre milles, depuis l'embouchure du Darwent jusqu'à celle de l'Elne, afin de défendre ces côtes contre l'irruption des Scoti, qui sortoient de l'Irlande pour se jetter sur ce pays-là. (D.J.)


VALNA(Géog. mod.) petite méchante ville ou bicoque d'Espagne, dans l'Andalousie, sur une montagne, au midi du Guadalquivir.


VALOGNou VALOGNES, (Géog. mod.) en latin moderne Valoniae ; ville de France, dans la basse Normandie, au diocèse de Coutances, sur un petit ruisseau, à 3 lieues de la mer. Il y a un bailliage, une sénéchaussée, une maîtrise des eaux & forêts, une collégiale, & quelques couvens. Long. 16. 15. latit. 49. 27.

C'est au village de Valdésie, près de Valogne, qu'est né, au commencement du dernier siecle, Jean de Launoi, en latin Launoius, prêtre & célebre docteur en Théologie dans l'université de Paris, savant d'un ordre supérieur, infatigable dans le travail, & critique intrépide. Homme d'un desintéressement à toute épreuve, insensible à toute ambition, il refusa tous les bénéfices qu'on lui offrit, content de ses livres & de sa fortune qui étoit très-médiocre. Sa vie fut simple, & son ame toujours bienfaisante.

La préface de son testament est remarquable. Après les paroles ordinaires, au nom du Pere, &c. il y avoit : " J'aurai bientôt fait, car je n'ai pas beaucoup de biens, ayant détourné mon esprit de leur recherche par de plus nobles soins, & m'étant convaincu de bonne heure qu'un chrétien a beaucoup plus de peine à faire un bon usage des richesses qu'à s'en passer ". On peut dire qu'il est mort la plume à la main : car non-seulement il avoit un livre sous la presse (défense des intérêts du roi), pendant sa derniere maladie, mais même il en corrigea les épreuves un jour avant son décès.

Il mourut à l'hôtel d'Etrée l'an 1678, âgé de plus de 77 ans. Le cardinal d'Etrée n'étant encore qu'évêque de Laon, s'étoit en quelque maniere approprié M. de Launoi. " Et certes ayant un tel personnage auprès de lui, il ne le pouvoit conserver ni chérir avec trop de soins ", dit M. de Marolles. Il fut enterré aux minimes, comme il l'avoit ordonné par son testament ; mais on n'eut pas la liberté de mettre sur son tombeau l'épitaphe qu'on lui avoit préparée, parce que cette épitaphe attribuoit au défunt la louange d'avoir soutenu l'orthodoxie ; & quelque tems après, les minimes déclarerent que les deux puissances, la royale & l'ecclésiastique, leur avoient enjoint de ne souffrir aucune inscription à la gloire de M. de Launoi.

Ses oeuvres ont été recueillies par l'abbé Granet, & imprimées à Genève en 1731, en dix volumes infolio. Ses lettres, qui en font la partie principale, avoient déja paru à Cambridge en 1689, in-fol. Tous les ouvrages de ce savant sont remplis de lecture & de science ecclésiastique. Il y défend avec force les droits du roi, les libertés de l'église gallicane, & la juste autorité des évêques. Son style n'est pas assez orné, & ses raisonnemens ne sont peut-être pas toujours justes ; mais on est amplement dédommagé en le lisant, par la variété des sujets qu'il traite, l'étendue de son érudition, & quantité de traits ingénieux.

Le public lui a certainement de grandes obligations. Quand il n'auroit publié que le livre de autoritate negantis argumenti, il auroit rendu service à la république des lettres ; car il a donné, par cet ouvrage, de belles ouvertures, pour discerner le vrai & le faux dans les matieres historiques.

Il attaqua, dans ses écrits, plusieurs fausses traditions, entr'autres l'arrivée de Lazare & de Magdeleine en Provence ; l'apostolat des Gaules de Denys l'aréopagite ; la cause de la retraite de S. Bruno, fondateur des chartreux ; la vision de Simon Stoch ; les privileges de la bulle sabbatine, &c. Il crut aussi devoir démontrer la fausseté des prétendus privileges des moines, en vertu desquels ils ne vouloient pas reconnoître la jurisdiction des évêques ; & il réfuta les raisons qu'ils alléguoient pour s'attribuer l'administration du sacrement de pénitence. " Ceux qui aiment la vérité, dit M. de Marolles, lui surent autant de gré de ses belles recherches, que les gens qui sont incapables d'honorer la raison, crurent avoir de sujet de se plaindre de ce savant pour avoir fait de telles conquêtes ; & si la superstition s'en afflige, l'Eglise pure doit s'en glorifier ".

M. de Launoi étendit encore sa critique sur le trop grand nombre de saints canonisés dans le calendrier, & les abus qui en résultent. Vigneul Marville rapporte que le curé de S. Eustache de Paris disoit : " Quand je rencontre le docteur de Launoi, je le salue jusqu'à terre, & ne lui parle que le chapeau à la main, & avec bien de l'humilité, tant j'ai peur qu'il ne m'ôte mon S. Eustache qui ne tient à rien ". Il avoit raison, dit M. de Valois, car la vie de S. Eustache est un tissu de fables entassées les unes sur les autres ; & je suis fort surpris, continue-t-il, que la plus grosse paroisse de Paris ait quitté le nom d'une des plus célebres & illustres martyres que nous ayons pour prendre celui d'un saint inconnu & fort suspect.

Godefroi l'historiographe étant sorti de son logis de grand matin le premier jour de l'an, rencontra dans la rue de la Harpe M. de Launoi qui s'en alloit en Sorbonne. Il l'aborda, & lui dit en l'embrassant : " Bon jour & bon an, monsieur ; quel saint dénicherez-vous du ciel cette année " ? M. de Launoi, surpris de la demande, lui répondit : " Je ne déniche point du ciel les véritables saints que Dieu & leur mérite y ont placés, mais bien ceux que l'ignorance & la superstition des peuples y ont fait glisser sans qu'ils le méritassent, & sans l'aveu de Dieu & des savans ".

C'est là-dessus que Ménage fit une bonne épigramme grecque, dans laquelle il compare M. de Launoi au Jupiter d'Homere, qui chassa du ciel toute la racaille des faux dieux qui s'y étoit glissée parmi les véritables, & qui leur donnant du pié au cul, les fit tomber du haut de son trône & des étoiles en terre.


VALOIRv. act. (Gram.) avoir une valeur, un certain prix, soit intrinseque, soit arbitraire : une marchandise doit valoir moins quand elle est commune, que quand elle est rare. Voyez VALEUR.

On dit aussi dans le commerce faire valoir son argent, pour dire en tirer du profit, le mettre à intérêt. Voyez INTERET.


VALOIS(Géog. mod.) pays de France, dans le gouvernement de l'île de France. Il est borné au nord par le Soissonnois ; au midi, par la Brie ; au levant, par la Champagne ; & au couchant, par le Beauvoisis. Il prend son nom d'un vieux chapitre appellé Vadum en latin, & Vé en françois. Ce n'étoit autrefois qu'un comté, que Philippe-Auguste réunit à la couronne ; c'est à-présent un duché qui fut donné en apanage au frere de Louis XIV. & que la maison d'Orléans possede. C'est un pays de plaine abondant en blé. Crépi est la capitale. (D.J.)


VALON(Géog. anc.) fleuve de la Mauritanie tingitane. Ptolémée, l. III. c.j. place son embouchure entre les villes Tingis & Exilissa, c'est-à-dire environ au milieu de la côte du détroit de Gibraltar. (D.J.)


VALONE(Géog. mod.) ville de l'empire turc, dans l'Albanie, sur le bord de la mer, près des montagnes de la Chimere, à 70 milles d'Otrante, avec un port & un archevêché grec. Les Vénitiens la prirent en 1690, & l'abandonnerent quelque tems après, en ayant ruiné les fortifications.


VALOUVERSS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme les idolâtres de l'Indostan, les prêtres de la derniere des tribus, appellée parreas ou poulias, qui est l'objet du mépris du peuple. Il y a parmi une famille sacerdotale, appellée des valouvers, qui prétendent avoir occupé anciennement dans les Indes un rang aussi distingué que les bramines ou prêtres actuels. Les valouvers s'appliquent à l'Astronomie & l'Astrologie ; ils ont des livres qui contiennent des préceptes de morale très-estimés. On dit qu'ils portent un filet de pêcheur autour du col lorsqu'ils font leurs sacrifices.


VALPARAISou VALPARISSO, (Géog. mod.) bourgade de l'Amérique méridionale, au Chili, sur la côte de la mer du sud, dans un vallon, avec un port défendu par une citadelle. Cette bourgade est composée d'une centaine de pauvres maisons, dont la plus grande partie n'est habitée que de noirs, de mulâtres & de métifs, qui sont des matelots & gens de cet ordre ; cependant cette bourgade a pour sa défense deux forteresses ; l'une commande l'entrée du port avec des batteries rasantes ; l'autre a une batterie de vingt pieces de canon de bronze. Quoique Valparaiso soit le principal port du Chili, il n'y entre guere néanmoins que vingt-cinq bâtimens par an. C'est dans ce port que François Drake enleva en 1579 un gros navire espagnol chargé de marchandises précieuses, & entr'autres de douze mille cinq cent livres d'or de Baldivia, le plus pur des Indes occidentales. Long. suivant le P. Feuillée, 305. 19. 30. latit. 33. 2. (D.J.)


VALREAS(Géog. mod.) petite ville de France, dans le comtat Venaissin, & l'une des dépendances du pape ; cette petite ville toute dépeuplée est la plus considérable partie du comtat qui confine avec le Dauphiné ; jugez par-là du reste. (D.J.)


VALROMEY(Géog. mod.) petit pays de France, dans le Bugey, entre les mandemens de Seyssel & de Michaille. C'est un de ceux qui furent cédés à la France en échange de Saluces, par le traité de Lyon de l'an 1601. Il n'a pas vingt paroisses, dont Châteauneuf est la principale. Louis XIII. érigea l'an 1612 la seigneurie de Valromey en marquisat en faveur d'Honoré d'Urfé. (D.J.)


VALSEAUX DE, (Hist. nat. des eaux minérales) eaux minérales de France en Languedoc. On les va prendre dans les mois de Juin, de Juillet & d'Août, & la mode capricieuse est aujourd'hui venue de les prescrire fréquemment, & d'en transporter à Paris & ailleurs.

Le petit bourg qui donne son nom à ces eaux minérales est dans le Vivarais, à 5 lieues du Rhône, & près du torrent de la Volane, au fond d'un vallon. Ce bourg est environné de côteaux fertiles en blé & en vignes.

Les fontaines minérales sont à deux portées de mousquet du bourg près du torrent. L'une de ces sources, appellée la Marie, est du côté du bourg. Les autres, appellées la Marquise, la S. Jean, la Camuse & la Dominique, sont de l'autre côté du ruisseau.

L'eau de la Marie est froide, limpide, aigrelette & diurétique. Elle donne une teinture orangée à la noix-de-galle, & une couleur de vin rouge à la teinture de tournesol. Le sel qu'on en retire par évaporation à la quantité d'environ une drachme sur douze onces d'eau, est nitreux & fermente avec les acides.

L'eau de la Marquise est plutôt salée qu'aigrelette. La teinture qu'elle fournit à la noix-de-galle, approche assez de celle que lui donne la Marie, mais elle donne la teinture de vin plus paillet à l'eau colorée par le tournesol. Le résidu est de même nature que celui de la Marie, seulement en plus grande quantité. La source de cette eau sort entre des fentes de rocher, & est peu considérable.

L'eau de la fontaine S. Jean ne differe de la précédente que par un goût un peu plus stiptique.

La source Camuse, découverte par un médecin nommé le Camus, semble avoir encore moins d'acidité & plus de salure. La rouille qui est dans son canal d'écoulement est aussi plus rougeâtre, du reste elle fait les mêmes changemens avec la noix-de-galle & la teinture de tournesol.

Les sels de ces quatre fontaines, soit le naturel qui se trouve sur les rochers, soit l'artificiel qui se tire par l'évaporation, étant dissous dans un peu d'eau, font une grande effervescence avec l'esprit de vitriol. Ils ne pétillent point sur les charbons allumés, & ne changent point de couleur ; mais ces sels jettés dans le syrop violat, le rendent aussi verd que fait le sel de tartre.

La source Dominique, ainsi nommée d'un jacobin qui l'a découverte, est la moins abondante de toutes. Elle est âpre, vitriolique & désagréable à l'estomac. Le résidu qu'on en tire est en petite quantité ; une livre d'eau ne produisant que huit ou dix grains d'un sel grisâtre, & qui semble un vitriol légerement calciné. La noix-de-galle procure à cette eau une couleur bien différente de celle que lui donnent les eaux des autres fontaines, savoir une couleur bleuâtre & fort peu foncée. Elle rougit aussi la teinture de tournesol d'un rouge beaucoup plus opaque, & le sel de tartre a de la peine à faire revenir cette teinture dans sa couleur de pourpre. Cette eau opere par les vomissemens. (D.J.)


VALSALVAMUSCLE DE, (Anatom.) Valsalva d'Immola, docteur en médecine & en philosophie, professa l'anatomie dans l'université de Boulogne, & fut chirurgien de l'hôpital des Incurables. Il nous a laissé un traité sur l'oreille qui renferme plusieurs choses neuves. Il y a un muscle de l'oreille qui porte son nom, qu'on appelle aussi le muscle antérieur.


VALTELINE(Géog. mod.) Voyez après le mot VAL, l'article VAL-TELLINE.


VALUES. f. (Gramm. & Jurisprud.) est la même chose que valeur ; mais ce terme n'est usité que quand on dit plus value, la moins value ; la plus value est ce que la chose vaut de plus que ce qu'elle a été estimée ou vendue ; la moins value est ce qu'elle vaut de moins. La crue a été introduite pour tenir lieu de la plus value des meubles. Voyez CRUE, ESTIMATION, PRISEE, VENTE. (A)


VALVAE(Archit. anc.) valvae, genit. valvarum, s. f. pl. indique, dans Vitruve, une porte simple, & qui n'a qu'un battant, puisque dans les auteurs elle est opposée à celle qui a deux battans, que les Romains appelloient bifores. Quoique valvae désigne communément les deux battans d'une porte, il est sûr que ce mot n'a cette signification qu'à cause qu'il est au pluriel ; & encore n'a-t-il pas semblé à Ovide que le pluriel fût suffisant pour cela quand il dit, argenti bifores radiabant lumine valvae, car il a jugé que valvae sans bifores n'auroit pû signifier une porte à deux battans. (D.J.)


VALVE(Conchyl.) en latin valva, c'est l'écaille ou l'une des pieces de la coquille.


VALVERDE(Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans l'audience de Lima, dont elle est à 35 lieues. Ses habitans qui sont espagnols, sont riches ; son port qui en est à 6 lieues, se nomme Puerto quemado. Lat. mérid. 14. (D.J.)


VALVULES. f. (Méchan.) est la même chose que soupape. Voyez SOUPAPE. Ce mot vient du mot latin valvae, porte à deux battans, parce que les valvules s'ouvrent & se ferment à-peu-près comme ces sortes de portes.

VALVULE, (Physiologie) petite membrane attachée à la paroi intérieure des veines, pour faciliter le cours du sang vers le coeur, & empêcher son retour vers les extrêmités.

La structure des valvules est une méchanique fort considérable entre les organes qui servent à la distribution des humeurs. Exposons cette méchanique.

Les valvules font le même office à l'égard des humeurs contenues dans le corps des animaux, que font dans les machines hydrauliques, les soupapes, ou les autres machines équipollentes à des soupapes, que l'on emploie pour laisser couler l'eau d'un sens, & lui fermer le passage, en l'empêchant de retourner d'où elle est venue. Or comme on se sert de trois sortes de soupapes, il y a aussi de trois sortes de valvules qui empêchent que les humeurs qu'elles ont laissé passer dans les canaux ne puissent retourner.

Les trois especes de soupapes sont la soupape à clapet, la soupape en cône & la soupape en maniere de porte à deux battans. La soupape à clapet est une lame plate & quarrée, qui étant attachée par un de ses côtés, peut, étant abattue & appliquée sur un trou, le boucher ou le déboucher lorsqu'elle est levée.

L'espece de valvule qui a rapport à ce clapet, est la moins ordinaire ; on en trouve à l'embouchure des ureteres dans la vessie, où la tunique interne de la vessie couvre le trou par où l'uretere, après s'être coulé entre les deux membranes dont la vessie est composée, fait passer l'urine dans la capacité de la vessie ; car cette membrane que l'urine leve pour entrer, est rabattue par la même urine, qui la colle contre les bords du trou après qu'elle est passée.

On a trouvé une pareille valvule dans la vésicule du foie d'un boeuf au milieu de la partie de son fond, où elle est attachée au foie. Cette valvule étoit une membrane qui couvroit un trou faisant l'embouchure d'un rameau de la bile, qui ayant plusieurs racines répandues dans tout le foie, apportoit cette humeur dans la vésicule.

La seconde espece de soupape qui est en cône, agit d'une autre maniere ; car la partie faite en cône laisse passer l'eau qui vient du côté de la pointe du cône, parce qu'elle est poussée par l'eau & levée, en sorte qu'elle ouvre en partie le trou rond du cercle, qu'elle fermoit entierement lorsqu'elle étoit abaissée ; mais elle empêche que l'eau ne retourne, parce que venant vers la base du cône, sa pesanteur fait rentrer le cône dans le trou du cercle qu'elle bouche fort exactement, n'y ayant rien qui bouche si bien un trou, qu'un cône ou foret.

L'espece de valvule qui répond à cette sorte de soupape est appellée sigmoïde, parce que le bord de la membrane qui la compose représente un C, qui est un sigma des anciens caracteres grecs. Cette membrane, qui est comme un sac ou capuchon, fait un cône, lorsqu'étant remplie elle est dilatée ; car la moitié du bord de cette membrane étant attachée à la tunique de la veine, il arrive nécessairement que lorsque le sang monte dans la veine, il pousse la partie détachée, & la collant contre la tunique de la veine, il se fait passage ; au contraire, lorsque le sang vient à descendre, il sépare la partie détachée d'avec la tunique de la veine contre laquelle elle étoit collée, & emplissant le sac, l'arrondit, & lui donne la figure conique dont la base emplit toute la rondeur du conduit de la veine, de même que la base du cône de la soupape remplit la rondeur du cercle qui la soutient.

Il se trouve dans quelques poissons, comme dans la raie, que ces valvules, au-lieu d'être des sacs composés de membranes, sont des chairs solides qui doivent apparemment en se gonflant & en se rétrécissant, faire l'effet que la valvule sigmoïde fait en s'emplissant & en se vuidant de sang. Et il faut supposer que ces chairs ont des pores ouverts vers le côté où le sang doit couler, & qu'ils sont fermés vers celui d'où il vient ; en sorte que lorsque le sang fait effort pour passer, il comprime ces chairs, & en exprime le sang ; & lorsqu'il fait effort pour retourner, il les remplit, & les faisant gonfler, il bouche le passage, y ayant apparence que ces valvules charnues ne sont effectivement autre chose qu'un amas d'une infinité de petits sacs remplis de sang.

Ces valvules sigmoïdes se trouvent presque dans tous les vaisseaux ; il y en a dans les veines & dans les canaux lymphatiques, pour empêcher le retour des humeurs que ces vaisseaux contiennent, & pour aider au cours qu'elles doivent avoir : car les humeurs ne pouvant retourner lorsqu'elles ont passé audessus des valvules, la moindre compression que les veines ou vaisseaux lymphatiques souffrent par le mouvement de la respiration & des muscles de tout le corps, leur fait pousser le sang & la lymphe vers les endroits où les valvules leur donnent le passage libre.

Cela se fait par la même raison qui fait monter un épi de blé le long du bras, quand il est mis entre le bras & la manche de la chemise la queue en haut, & les barbes de l'épi en en-bas, quoique la structure de cette machine soit différente de celle des valvules ; car l'épi monte lorsqu'on remue le bras, parce qu'il ne peut aller en en-bas, & qu'il va aisément en en-haut, attendu que rien ne l'en empêche, & que le mouvement du bras agissant sur l'épi, l'oblige à ne pas demeurer en une place.

Il y a aussi de ces valvules dans le coeur ; savoir trois qui ferment l'aorte à la sortie du ventricule gauche, & empêchent que le sang n'y rentre ; & trois qui de la même maniere ferment la veine artérieuse, & qui empêchent que le sang, qui pour passer dans le poumon est sorti du coeur, n'y rentre. Les gros rameaux de veines ont ordinairement deux valvules vis-à-vis l'une de l'autre, & les petits n'en ont qu'une : quand les valvules doubles sont enflées par le sang qui les emplit, elles ont la figure d'un demi-cône, & celle du tiers d'un cône quand elles sont triples.

La troisieme espece de soupape n'a point encore de nom, mais M. Perrault a cru qu'il lui en étoit dû un à cause qu'elle agit de même que les soupapes. Ces soupapes de la troisieme espece sont ordinairement sans comparaison plus grandes que les autres, qui ne passent guere quatre ou cinq pouces de diametre, aulieu que celles là ont jusqu'à deux ou trois toises ; on s'en sert pour les écluses. Ce sont deux battans de porte que l'eau ferme en les poussant & en les faisant approcher l'un de l'autre ; & elles demeurent en cet état, tant à cause qu'elles sont retenues par des chaînes, que parce qu'elles se soutiennent d'elles-mêmes, étant appuyées l'une contre l'autre, & faisant un angle opposé au cours de l'eau.

Il y a dans le coeur des valvules qui agissent par une même raison : on les appelle tricuspides ou tricuspidales, parce qu'elles ont trois pointes étant de forme triangulaire : car quoique ces petites portes du coeur ne soient pas quarrées, elles font néanmoins le même effet que les portes des écluses qui le sont, en ce que s'approchant & se joignant par leurs côtés elles ferment le passage au sang, & l'empêchent de sortir des ventricules du coeur, quand il y est entré par la veine cave ou par l'artere veineuse. Et de même que les valvules tricuspides se touchent par deux côtés étant attachées au coeur par le troisieme, les portes des écluses se touchent aussi par un côté, & touchent au fond de l'écluse par un autre, le troisieme étant attaché à la muraille.

Or parce que ces valvules ne sont pas d'une matiere ferme, comme les portes qui résistent à l'impulsion de l'eau lorsqu'elles sont jointes l'une contre l'autre, la nature leur a donné un autre moyen de résister à l'impulsion du sang, & cela se fait par un grand nombre de ligamens, qui sont comme autant de petites cordes attachées aux deux bords de chaque valvule, de même que les portes des écluses sont retenues par des chaînes : car ces ligamens empêchent que lorsque le sang a fait approcher les membranes qui font le corps de la valvule, elles ne soient pas poussées plus avant ; si cela arrivoit, elles ne pourroient empêcher le sang de passer & de retourner d'où il est venu.

Il y a de cette espece de valvules dans le coeur à l'extrêmité des vaisseaux qui apportent le sang dans chaque ventricule, savoir la veine cave, qui le rapporte de tout le corps dans le ventricule droit, & l'artere veineuse qui est proprement une veine qui rapporte dans le ventricule gauche le sang que la veine artérieuse a répandu dans le poumon. La veine cave a trois de ces valvules ; mais l'artere veineuse n'en a que deux, parce qu'elle ne rapporte pas tant de sang dans le ventricule gauche, que la veine cave en rapporte dans le droit ; une partie du sang que la veine cave rapporte dans le coeur, & que la veine artérieuse distribue dans le poumon, étant consumée pour nourriture de cette partie, qui en dissipe beaucoup.

Toutes ces valvules, tant les sigmoïdes, que les tricuspidales, se trouvent dans le coeur de presque tous les animaux terrestres qui sont un peu grands : dans les oiseaux elles sont autrement, & les anfractuosités des ventricules sont aussi différentes ; les ventricules même ne sont pas en même nombre ; ceux d'entre les poissons qui ne respirent point, n'ont qu'un ventricule dans le coeur ; mais ce ventricule a deux sacs, qui sont comme ses oreilles : dans l'un de ses sacs, que j'appelle l'oreille droite, la veine cave porte le sang par deux troncs : de l'autre sac, qui est comme l'oreille gauche, l'aorte sort faisant un seul tronc. Les valvules sont dans le coeur à l'entrée de chaque sac ; elles sont sigmoïdes, deux à chaque entrée. Celles qui empêchent que le sang ne retourne dans la veine cave sont mieux fermées, & doivent avoir plus de force pour le retenir, que celles qui l'empêchent de retourner de l'aorte dans le coeur.

Jacques Sylvius, le grand admirateur de Galien, & l'ennemi juré de Vesale, a le premier découvert les valvules qui sont à l'orifice de la veine azygos, de la jugulaire, de la brachiale, de la crurale, & du tronc de la veine cave qui part du foie. Il les nomma épiphyses membraneuses ; Fabricius ab Aquapendente revendique à tort l'honneur de cette découverte ; il n'a que celui d'en avoir donné une plus exacte description, & de leur avoir imposé le nom de valvules, qu'elles retiennent encore aujourd'hui ; nom qui leur convient en effet, tant par rapport à leurs usages, qu'à l'égard de leur structure. Eustachius apperçut le premier la valvule placée à l'orifice de la veine coronaire dans le coeur. Il prétend encore avoir découvert la valvule que quelques auteurs appellent valvula nobilis, placée dans la veine cave, tout proche de l'oreillette droite du coeur. Cependant Jacques Sylvius paroît avoir remarqué cette valvule avant Eustachi ; mais ce dernier l'a bien mieux décrite. (D.J.)

VALVULES du coeur, (Anatom.) especes de soupapes qui sont aux orifices des ventricules du coeur.

Ces valvules ou soupapes sont de deux sortes ; les unes permettent au sang d'entrer dans le coeur, & l'empêchent d'en sortir par le même chemin ; les autres le laissent sortir du coeur, & s'opposent à son retour. Celles de la premiere espece terminent les oreillettes, & celles de la seconde occupent les embouchures des grosses arteres. On a donné à celles-ci le nom de valvules semi-lunaires ou valvules sigmoïdes, & aux autres celui de triglochines ou tricuspides ou mitrales.

Les valvules triglochines ou tricuspides du ventricule droit sont attachées à l'orifice auriculaire du ventricule, & s'avancent dans la même cavité de ce ventricule. Elles sont comme trois languettes fort polies du côté qui regarde l'embouchure de l'oreillette, garnies de plusieurs expansions membraneuses & tendineuses du côté de la cavité ou surface interne du ventricule, & elles sont comme découpées ou dentelées par leurs bords. Les valvules de l'orifice auriculaire du ventricule gauche sont de même forme & structure ; mais il n'y en a que deux, & on les a nommées valvules mitrales à cause de quelque ressemblance à une mitre qu'elles représentent assez grossierement.

Ces cinq valvules sont très-minces, & elles sont attachées par plusieurs cordes tendineuses aux colonnes charnues des ventricules. Les cordages de chaque valvule sont attachées à deux colonnes. Il y a entre ces valvules d'autres petites de la même figure. On peut aussi appeller toutes ces valvules tricuspides en général valvules auriculaires ou valvules veineuses du coeur.

Les valvules semi-lunaires ou valvules sigmoïdes sont au nombre de six, trois à chaque ventricule, & à l'embouchure des grosses arteres. Le nom de valvules artérielles leur convient assez. Elles sont faites à-peu-près comme des paniers de pigeon. Leurs concavités regardent la paroi ou concavité de l'artere, & leurs convexités s'approchent mutuellement. En examinant ces valvules avec le microscope, on trouve des fibres charnues dans la duplicature des membranes dont elles sont composées.

Elles sont vraiment semi-lunaires, c'est-à-dire en forme de croissant, par les attaches de leurs fonds ; mais elles ne le sont pas par leurs bords flottans ; car ces bords représentent chacun deux petits croissans, dont deux extrêmités se rencontrent au milieu du bord, & y forment une espece de petit mamelon. Winslow. (D.J.)

VALVULES des intestins ; " dans le jejunum & l'ileum, la tunique interne ayant plus d'étendue que l'externe, est fort ridée. On a cru que les plis tachés qu'elle forme, faisoient en quelque maniere la fonction des valvules ; c'est pourquoi ils ont été nommés valvules conniventes, en latin valvulae conniventes. "

VALVULES des vaisseaux lactés ; " les vaisseaux lactés qui s'ouvrent dans les intestins, reçoivent la partie du chyle qui est préparée & fluide, & paroissent par intervalles comme s'ils étoient liés & serrés. Quand on les comprime, ils ne laissent pas refluer la liqueur vers les intestins, quoiqu'elle soit aisément poussée vers les glandes : ce qui montre qu'il y a des valvules dans les vaisseaux lactés, mais qui sont trop petites pour être visibles. " Id. ibid. p. 56.

VALVULE du colon, le colon a une grande valvule pour empêcher les excrémens de rentrer dans l'iléon ; il a aussi plusieurs autres valvules pour retarder la descente des matieres. Voyez COLON & EXCREMENT.

Constantin Varole, boulonnois, médecin du pape Grégoire XIII. & qui mourut en 1570, fut le premier qui observa les valvules du colon. Bart. Eustachi, natif de San-Severino en Italie, découvrit vers ce même tems la valvule qui est à l'orifice de la veine coronaire, & cette valvule remarquable qui est à l'orifice du tronc inférieur de la veine cave, près de l'oreillette droite du coeur. Il est vrai qu'il ne la prit pas pour une valvule, mais seulement pour une membrane.

Lancisi, médecin du pape Clément XI. & qui a publié le premier les Tables Anatomiques d'Eustachi, croit que l'usage de cette valvule est d'empêcher le sang de la veine cave supérieure de frapper avec trop de violence contre celui de l'inférieure. M. Winslow qui a examiné cela avec beaucoup de soin, est à-peu-près de même sentiment. Mém. de l'acad. des Sciences.

Mais comme cette valvule diminue peu-à-peu dans les enfans, de même que le trou ovale, & qu'à la fin elle disparoit entierement dans les adultes, il semble qu'elle a quelque autre usage qui regarde principalement la circulation du sang dans le foetus.

En effet, par le moyen de cette valvule, M. Winslow concilie les deux systèmes opposés de la circulation du sang dans le foetus, qui sont expliqués dans l'article CIRCULATION. Voyez CIRCULATION du sang, ETUSETUS.


VAMPIRES. m. (Hist. des superstit.) c'est le nom qu'on a donné à de prétendus démons qui tirent pendant la nuit le sang des corps vivans, & le portent dans ces cadavres dont l'on voit sortir le sang par la bouche, le nez & les oreilles. Le P. Calmet a fait sur ce sujet un ouvrage absurde dont on ne l'auroit pas cru capable, mais qui sert à prouver combien l'esprit humain est porté à la superstition. (D.J.)


VANS. m. (Littérat.) on connoit cet instrument à deux anses, courbé en rond par-derriere, & dont le creux diminue insensiblement sur le devant : ce qui lui donne la forme d'une coquille ; voilà la conque célebre des Egyptiens, des Grecs & des Romains ; nous allons dire pourquoi.

L'enfant chéri d'Osiris & d'Isis, & le serpent qu'on y joignoit, passerent d'Egypte à Athènes, qui étoit une colonie venue de Saïs, & de-là furent portés bien loin ailleurs. Telle est visiblement l'origine de l'usage qu'avoient les Athéniens de placer les enfans dans un van aussitôt après la naissance, & de les y coucher sur un serpent d'or. Cette pratique étoit fondée sur la tradition, que la nourrice de Jupiter l'avoit fait pour le dieu ; & Minerve pour Ericthonius.

De si grands exemples ne pouvoient qu'accréditer dans la Grece l'usage de mettre sur un van les enfans nouvellement nés. C'est pourquoi Callimaque nous dit que Némésis attentive à toutes les bonnes pratiques, posa le petit Jupiter sur un van d'or ; c'étoit en même tems une cérémonie fort ordinaire chez les Athéniens, sur-tout dans les familles distinguées, d'étendre les petits enfans sur des serpens d'or.

Tout le monde sait encore que le van étoit consacré au dieu du vin ; & mystica vannus Iacchi, dit Virgile. Les commentateurs apportent deux raisons de cette consécration du van mystérieux voué à Bacchus, qui sont toutes deux plausibles : l'une, parce qu'Isis avoit ramassé dans un van les membres épars d'Osiris, qui est le même que Bacchus, & que Tiphon avoit mis en pieces. L'autre raison est prise de ce que les vignerons offroient à Bacchus dans un van les prémices de la vendange. (D.J.)

VAN, s. m. (terme de Vanniers) instrument d'osier à deux anses, courbé en rond par-derriere qu'il a un peu relevé, dont le creux diminue insensiblement jusque sur le devant. Les vans servent à vanner les grains pour en séparer la menue paille & la poussiere. Ils sont le principal objet du métier des vanniers-clôturiers. (D.J.)

VAN, (Géog. mod.) ville & château de la grande-Arménie, vers les sources de l'Euphrate, sur les confins des deux empires turc & persan, à 70 lieues au sud-ouest d'Erzeron. Van est aujourd'hui sous la domination du grand-seigneur, & a son château ou sa forteresse sur une montagne voisine ; les habitans sont pour la plûpart arméniens. Tout près de la ville, est un lac du même nom, l'un des plus grands de l'Asie, & qui peut avoir 50 lieues de circuit. C'est le Mantiana palus de Strabon, l. XI. p. 529. Ce lac de Van est aussi nommé lac d'Actamar ; on n'y trouve qu'une sorte de poisson qui est un peu plus gros que nos sardines, & dont il se fait tous les ans un grand débit en Perse & en Arménie. (D.J.)


VAN-RHEEDES. m. (Hist. nat. Botan.) vanrheedia, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond : le pistil sort du milieu de cette fleur & devient dans la suite un fruit qui a la forme d'un citron ; ce fruit est membraneux ou charnu, & il renferme deux ou trois semences ovoïdes & charnues. Plumier, nov. plant. amer. genera. Voyez PLANTE.


VANANTEadj. (terme de Papeterie) la pâte de moyenne qualité, ou celle qui est faite avec des vieux chiffons & drapeaux de toile de chanvre ou de lin, qui ne sont pas de la plus belle qualité, se nomme pâte vanante. C'est avec cette pâte qu'on fabrique le papier de la seconde sorte. Voyez PAPIER.


VANAS(Commerce) terme corrompu du latin, que quelques teneurs de livres mettent d'espace en espace à la marge de leurs écritures, pour marquer qu'ils annullent les articles qui sont vis-à-vis de ce mot, & qu'ils ont mal portés, soit dans le journal, soit dans le grand livre. Voy. ANNULLER. Dictionn. de Commerce.


VANCOHOS. m. (Hist. nat.) espece de scorpion fort dangereux qui se trouve dans l'île de Madagascar ; il ressemble à quelques égards à une araignée. Il a le corps ou le ventre noir, rond & fort gros ; sa piquure est extrêmement dangereuse ; elle cause un évanouissement soudain qui dure quelquefois deux jours, pendant lesquels on a tout le corps froid comme de la glace. On donne dans ce cas au malade les mêmes remedes que contre les poisons, & on le tient le plus chaudement qu'il est possible.


VAND'OEUVRE(Géog. mod.) petite ville de France, dans la Champagne, sur la riviere de Barse, à six lieues au levant de Troyes. Longit. 22. 4. latit. 48. 12.

Cette petite ville est la patrie de Nicolas Bourbon, poëte latin qui vivoit sous le regne de François I. Marguerite de Valois le donna pour précepteur à Jeanne d'Albret de Navarre sa fille, & mere d'Henri IV. Il mourut à Condé, vers l'an 1550. Il a laissé huit livres d'épigrammes, sous le titre de nugae, bagatelles, au sujet duquel du Bellai fit ces deux jolis vers :

Paule, tuum inscribis, Nugarum nomine Librum,

In toto libro nil melius titulo.

C'est un bon mot, mais qui ne doit point détruire le mérite de l'ouvrage même, dont Erasme faisoit grand cas. Bourbon étoit fils d'un riche maître des forges, ce qui lui donna lieu de publier son poëme de la forge en latin ferraria. Il décrit dans cet ouvrage tout le travail de la forge, & de l'occupation des ouvriers qui coupoient le bois, qui faisoient le charbon, qui fouilloient la mine, qui la nettoyoient, qui la voituroient au fourneau pour le fondeur, & pour les forgerons ; il les met tous en action, & il ne laisse à son pere que le soin de les payer & de veiller sur le produit.

Il eut un petit neveu, nommé comme lui Nicolas Bourbon, & comme lui très - bon poëte latin. Ce neveu fut de l'académie françoise, & mourut comblé de pensions en 1644. âgé d'environ 70 ans. Ses poésies parurent à Paris l'an 1630. in-12. On fait grand cas dans ce recueil de la piece intitulée : imprécation contre le parricide d'Henri IV. Les deux beaux vers en l'honneur de ce prince, qui sont à la porte de l'arsenal de Paris, sont encore du même poëte ; les voici, quoique tout le monde les sache par coeur, ou si vous voulez, par cette même raison :

Ethna haec Henrico vulcania tela ministrat,

Tela gigantaeos debellatura furores.

(D.J.)


VANDABANDA(Géog. anc.) contrée de la Sogdiane. Elle est placée par Ptolémée, l. VI. c. xij. entre le mont Caucase & le mont Imaüs. (D.J.)


VANDALESS. m. pl. (Hist. ancienne) nation barbare faisant partie de celle des Goths, & qui, comme cette derniere, étoit venue de Scandinavie. Le nom des Vandales vient, dit-on, du mot gothique vandelen qui signifie encore aujourd'hui en allemand errer, parce que ce peuple changea très - souvent de demeure. Au sortir du nord les Vandales s'établirent dans les pays connus aujourd'hui sous le nom du Brandebourg & du duché de Mecklenbourg. Sous l'empire d'Auguste, une partie de ces barbares vinrent s'établir sur les bords du Rhin ; chassés par Tibere ils allerent s'établir vers l'Orient entre le bosphore cimmérien & le Tanaïs, d'où ils chasserent les Sclaves, dont ils prirent le pays & le nom ; une partie alla s'établir sur les bords du Danube, & occuperent les pays connus aujourd'hui sous le nom de Transylvanie, de Moldavie & de Valachie ; ils se rendirent maîtres de la Pannonie, d'où ils furent chassés par l'empereur Marc-Aurele en 170. Ils firent en 271 de nouvelles irruptions sur les terres de l'empire romain, & furent défaits par Aurélien, par Probus. L'an 409, les Vandales accompagnés des Sueves & des Alains se rendirent maîtres d'une partie de l'Espagne qu'ils partagerent avec ces barbares ; de-là sous la conduite de leur roi Genseric, ils passerent en Afrique en 428. Après plusieurs victoires remportées sur les Romains, ils les forcerent à leur céder la plus grande partie des provinces que l'empire possédoit dans cette partie du monde. En 455, Genseric vint en Italie où il prit & pilla la ville de Rome ; il infesta les côtes de Sicile & de Grece, & continua à harasser les Romains jusqu'à-ce qu'il força l'empereur Zénon à lui céder tous ses droits sur l'Afrique, qui resta aux Vandales jusqu'au regne de Justinien, qui réunit de nouveau à son empire les provinces dont ces barbares s'étoient emparés.


VANDALICIVANDALICI


VANDALIE(Géog. mod.) plusieurs géographes ont donné ce nom à une partie de la Poméranie ducale & du duché de Mecklenbourg en basse-Saxe.

La Vandalie prise pour une contrée de la Poméranie ducale, est bornée par la mer Baltique au nord, le desert de Waldow au midi, les seigneuries de Butow & de Louwenborck au levant, & par la Cassubie au couchant. On lui donne environ quatorze lieues de longueur & autant de largeur. Sa capitale est Stolpe.

La Vandalie regardée comme une contrée du duché de Mecklenbourg en basse-Saxe, est entre l'évêché & le duché de Swerin, la seigneurie de Rostock & celle de Stutgard, la Poméranie royale & le marquisat de Brandebourg. Ce pays peut avoir environ trente lieues du couchant au levant, & dix du nord au sud. On y voit plusieurs petits lacs. Sa capitale est Gustrow. (D.J.)


VANDOISES. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de riviere, qui est une espece de muge que l'on nomme suiffe à Lyon, & dard en Saintonge & en Poitou, parce qu'il s'élance avec une vîtesse semblable à celle d'un dard ; il a le corps moins large que le gardon, & le museau plus pointu ; il est couvert d'écailles de moyenne grandeur, & il a plusieurs petites lignes longitudinales sur la partie supérieure des côtés du corps ; sa couleur est mêlée de brun, de verd, & de jaune ; ce poisson devient fort gras, il a la chair molle & d'un assez bon goût. Rondelet, hist. des poissons de riviere, chap. xiv.


VANGS. m. (Hist. mod.) ce mot signifie petit roi ou roitelet : l'empereur de la Chine le confere aux chefs ou kans des Tartares monguls qui sont soumis à son obéissance, & à qui il ne permet point de prendre le titre de kan, qu'il se réserve ; ces vangs ont sous eux des peït-se & des kong, dont les titres répondent à ceux de ducs & de comtes parmi nous.


VANGERONS. m. (Hist. nat. Ichth.) poisson qui se trouve dans le lac de Lausanne ; il ressemble aux muges par le museau, & à la carpe par la forme du corps & par la qualité de la chair ; il a deux nageoires de couleur d'or près des ouies, deux jaunes sous le ventre, une au-delà de l'anus, & une sur le dos ; la queue est fourchue & revêtue à son origine, par des écailles peu adhérentes. Rondelet, hist. des poissons des lacs, chap. ix. Voyez POISSON.


VANGIONSLES, (Géog. anc.) Vangiones ; peuples de la Gaule belgique, & originaires de la Germanie. César, dans ses commentaires, bel. Gall. l. I. dit qu'ils étoient dans l'armée d'Arioviste, avec les Triboci & les Nemetes ; & Pline, l. IV. c. xvj. nous apprend qu'ils s'emparerent de la partie du pays des Médiomatrices, le long du rivage du Rhin.

Cluvier, Germ. ant. l. II. c. x. croit que ces peuples étoient établis dans les Gaules avant la guerre d'Arioviste, parce que les Marcomans, les Sédusiens, les Harudes, & les Sueves, que ce prince avoit amenés avec lui, ou qui l'avoient joint depuis son arrivée, furent tous chassés de la Gaule, après que César les eut battus : au-lieu que les Németes, les Vangions, & les Triboci demeurerent toujours dans leurs terres, sur la rive gauche du Rhin.

Il paroît que ces trois nations n'étoient point soumises à Arioviste, puisqu'elles demeuroient dans la Gaule belgique. Elles pouvoient être seulement en alliance avec lui, ou peut-être même sous sa protection ; ce qui les engagea à lui donner du secours contre les Romains.

On ne sait point en quel tems les Vangions passerent le Rhin pour s'établir dans les Gaules. Ils occuperent une partie des terres de Mayence & du Palatinat. Borbetomagus, ou Borgetomagus, aujourd'hui Worms, étoit leur ville capitale. (D.J.)


VANILLES. m. (Hist. nat. Bot.) vanilla, genre de plante à fleur polypétale, anomale & composée de six pétales, dont cinq sont semblables & disposés presqu'en rond ; le sixieme occupe le milieu de la fleur, & il est roulé en forme d'aiguiere ; le calice devient dans la suite un fruit en forme de corne molle & charnue, qui renferme de très-petites semences. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.

VANILLE, s. f. (Botan. exot.) gousse américaine qui donne la force, l'odeur, & le goût au chocolat ; cette boisson dont les Espagnols font leurs délices, & qu'ils n'aiment pas moins que l'oisiveté. Quoiqu'ils tirent ce fruit depuis près de deux siecles, des pays qu'ils ont si cruellement ravagés, ils ne savent pas même aussi-bien que nous, ce qui concerne les especes, la culture, la multiplication, & les propriétés de la vanille. Nous ne leur devons point le peu de lumieres que nous en avons, & sur tout le reste, ils nous ont bien dégagés de la reconnoissance.

La vanille est du nombre de ces drogues dont on use beaucoup, & que l'on ne connoît qu'imparfaitement. On ne peut pas douter que ce ne soit une gousse, ou silique, qui renferme la graine d'une plante, & delà lui vient le nom espagnol de vaynilla, qui signifie petite guaîne ; mais on ne connoit ni le nombre des especes, ni quelles sont les especes les plus estimables de ce genre de plante, en quel terroir elles viennent le mieux, comment on les cultive, de quelle maniere on les multiplie, &c. on n'a sur tout cela que des détails peu sûrs & peu exacts. Messieurs les académiciens qui ont été au Pérou, ne nous ont point fourni les instructions qui nous manquent sur cette plante.

Les Américains sont seuls en possession de la vanille, qu'ils vendent aux Espagnols, & ils conservent soigneusement ce trésor qui leur est du moins resté, apparemment parce que leurs maîtres n'ont pas su le leur ôter. On dit qu'ils ont fait serment entr'eux de ne révéler jamais rien aux Espagnols, fût-ce la plus grande de toutes les bagatelles ; c'est en ce cas une convention tacite dont ils ne rendroient que de trop bonnes raisons ; & souvent ils ont souffert les plus cruels tourmens, plutôt que d'y manquer.

D'un autre côté, les Espagnols contens des richesses qu'ils leur ont enlevées, de plus accoutumés à une vie paresseuse, & à une douce ignorance, méprisent les curiosités d'histoire naturelle, & ceux qui les étudient ; en un mot, si l'on en excepte les seuls Hernandez, & le pere Ignacio, espagnols, c'est aux curieux des autres nations, aux voyageurs, aux négocians, & aux consuls établis à Cadix, que nous sommes redevables du petit nombre de particularités que nous avons sur cette drogue précieuse, & qui formeront cet article.

Noms & descriptions de la vanille. Elle est nommée des Indiens mécasubil, & par nos botanistes vanilla, vaniglia, vayniglia, vanillias, piperis arbori jamaïcensis innascens, Pluk. almag. 301.

C'est une petite gousse presque ronde, un peu applatie, longue d'environ six pouces, large de quatre lignes, ridée, roussâtre, mollasse, huileuse, grasse, cependant cassante, & comme coriace à l'extérieur. La pulpe qui est en dedans, est roussâtre, remplie d'une infinité de petits grains, noirs, luisans ; elle est un peu âcre, grasse, aromatique, ayant l'odeur agréable du baume du Pérou : on nous l'apporte du Pérou & du Méxique ; elle vient dans les pays les plus chauds de l'Amérique, & principalement dans la nouvelle Espagne ; on la prend sur des montagnes accessibles aux seuls Indiens, dans les lieux où il se trouve quelque humidité.

Ses especes. On distingue trois sortes principales de vanilles ; la premiere est appellée par les Espagnols, pompona ou bova, c'est-à-dire enflée ou bouffie ; celle de leq, la marchande ou de bon aloi ; la simarona ou bâtarde ; les gousses de la pompona sont grosses & courtes ; celles de la vanille de leq, sont plus déliées & plus longues ; celles de la simarona sont les petites en toute façon.

La seule vanille de leq est la bonne ; elle doit être d'un rouge brun foncé, ni trop noire, ni trop rousse, ni trop gluante, ni trop desséchée ; il faut que ses gousses quoique ridées, paroissent pleines, & qu'un paquet de cinquante pese plus de cinq onces ; celle qui en pese huit est la sobrebuena, l'excellente. L'odeur en doit être pénétrante & agréable ; quand on ouvre une de ces gousses bien conditionnée & fraîche, on la trouve remplie d'une liqueur noire, huileuse & balsamique, où nagent une infinité de petits grains noirs, presque absolument imperceptibles, & il en sort une odeur si vive, qu'elle assoupit, & cause une sorte d'ivresse. La pompona a l'odeur plus forte, mais moins agréable ; elle donne des maux de tête, des vapeurs, & des suffocations. La liqueur de la pompona est plus fluide, & ses grains plus gros, ils égalent presque ceux de la moutarde. La simarona a peu d'odeur, de liqueur & de grains.

On ne vend point la pompona, & encore moins la simarona, si ce n'est que les Indiens en glissent adroitement quelques gousses parmi la vanille de leq. On doute si les trois sortes de vanilles en question, sont trois especes, ou si ce n'en est qu'une seule, qui varie selon le terroir, sa culture & la saison où elle a été cueillie.

Dans toute la nouvelle Espagne, on ne met point de vanille au chocolat ; elle le rendroit mal sain, & même insupportable ; ce n'est plus la même chose quand elle a été transportée en Europe. On a envoyé à nos curieux des échantillons d'une vanille de Caraca & de Maracaybo, villes de l'Amérique méridionale ; elle est plus courte que celle de leq, moins grosse que la pompona, & paroît de bonne qualité ; c'est apparemment une espece différente : on parle aussi d'une vanille du Pérou, dont les gousses sechées sont larges de deux doigts, & longues de plus d'un pié ; mais dont l'odeur n'approche pas de celle des autres, & qui ne se conserve point.

Lorsque les vanilles sont mûres, les Méxicains les cueillent, les lient par les bouts, & les mettent à l'ombre pour les faire sécher ; lorsqu'elles sont séches & en état d'être gardées, ils les oignent extérieurement avec un peu d'huile pour les rendre souples, les mieux conserver, empêcher qu'elles ne se séchent trop, & qu'elles ne se brisent. Ensuite ils les mettent par paquets de cinquante, de cent, ou de cent cinquante, pour nous les envoyer.

Prix & choix de la vanille. Le paquet de vanille composé de cinquante gousses, se vend à Amsterdam depuis dix jusqu'à vingt florins, c'est-à-dire depuis vingt & une jusqu'à quarante-deux livres de notre monnoie, suivant la rareté, la qualité, ou la bonté : on donne un pour cent de déduction pour le promt payement. On choisit les vanilles bien nourries, grosses, longues, nouvelles, odorantes, pesantes, un peu molles, non trop ridées ni trop huileuses à l'extérieur ; il ne faut pas qu'elles ayent été mises dans un lieu humide, car alors elles tendroient à se moisir, ou le seroient déjà ; elles doivent non-seulement être exemptes du moisi, mais être d'une agréable odeur, grasses & souples. Il faut encore prendre garde qu'elles soient égales, parce que souvent le milieu des paquets n'est rempli que de petites vanilles seches & de nulle odeur ; la graine du dedans qui est extrêmement petite, doit être noire & luisante : on ne doit pas rejetter la vanille qui se trouve couverte d'une fleur saline, ou de pointes salines très-fines, entierement semblables aux fleurs de benjoin : cette fleur n'est autre chose qu'un sel essentiel dont ce fruit est rempli, qui sort au-dehors quand on l'apporte dans un tems trop chaud.

Quand on laisse la vanille mure trop long-tems sur la plante sans la cueillir, elle creve, & il en distille une petite quantité de liqueur balsamique, noire & odorante, qui se condense en baume : on a soin de la ramasser dans de petits vases de terre, qu'on place sous les gousses : nous ne voyons point en Europe de ce baume, soit parce qu'il ne se conserve pas dans le transport, soit parce que les gens du pays le retiennent pour eux, soit parce que les Espagnols se le réservent.

Falsification de la vanille. Dès qu'il n'en sort plus de liqueur balsamique, il y a des Méxicains qui connoissant le prix qu'on donne en Europe à la vanille, ont soin, après avoir cueilli ces sortes de gousses, de les remplir de paillettes & d'autres petits corps étrangers, & d'en boucher les ouvertures avec un peu de colle, ou de les coudre adroitement ; ensuite ils les font sécher, & les entremêlent avec la bonne vanille. Les gousses ainsi falsifiées, n'ont ni bonté ni vertu, & nous ne manquons pas d'en rencontrer quelquefois de telles, avec les autres bonnes siliques.

Noms botaniques de la plante à vanille. Cette plante a les noms suivans dans les livres de botanique.

Volubilis, siliquosa, mexicana, foliis plantaginis, Raii, hist. 1330.

Aracus aromaticus... Tlixochitl, seu flos niger, mexicanis dictus, Hernand 38.

Lathyrus mexicanus, siliquis longissimis, moschatis, nigris, Amman. char. plant. 436.

Lobus oblongus, aromaticus. Cat. jam. 70.

Lobus aromaticus, subfuscus, terebinthi corniculis similis. C. B. P. 404.

Lobus oblongus, aromaticus, odore ferè belzuini, J. B. I. 428.

Descriptions de cette plante. Nous n'avons point encore de description exacte de la plante qui fournit la vanille du Mexique, de ses caracteres, & de ses especes.

Les uns la rangent parmi les lierres ; selon eux, sa tige a trois ou quatre lignes de diametre, & n'est pas tout-à-fait ronde. Elle est assez dure, sans être pour cela moins liante & moins souple ; l'écorce qui la couvre est fort mince, fort adhérente, & fort verte ; la tige est partagée par des noeuds éloignés les uns des autres de six à sept pouces ; c'est de ces noeuds que sortent les feuilles toujours couplées ; elles ressemblent beaucoup pour la figure à celles du laurier, mais elles sont bien plus longues, plus larges, plus épaisses, & plus charnues ; leur longueur ordinaire est de cinq à six pouces, sur deux & demi de large ; elles sont fortes & pliantes comme un cuir, d'un beau verd vif, & comme vernissées par-dessus, & un peu plus pâles par-dessous.

Hernandez, dont le témoignage paroît être ici d'un grand poids, prétend que cette herbe est une sorte de liseron, qui grimpe le long des arbres, & qui les embrasse ; ses feuilles ont, suivant lui, onze pouces de longueur ou de largeur, sont de la figure des feuilles de plantin, mais plus grosses, plus longues, & d'un verd plus foncé ; elles naissent de chaque côté de la ligne alternativement ; ses fleurs sont noirâtres.

Plusieurs autres botanistes soutiennent que la plante de la vanille ressemble plus à la vigne qu'à aucune autre ; du moins, c'est ce qui a été certifié par le pere Fray Ignacio de santa Teresa de Jesus, carme déchaussé, qui ayant long-tems résidé dans la nouvelle Espagne, arriva à Cadix en 1721, pour passer à Rome ; ce religieux plus éclairé & plus curieux en physique que ses compatriotes, se fit apporter par quelques valets indiens un grand sep de la plante où croit la vanille.

Comme il avoit déjà quelques connoissances sur cette plante, il appliqua son sep à un grand arbre, & entrelaça dans les branches de cet arbre tous les rejettons ou pampres du sep. Il en avoit laissé le bout inférieur élevé de 4 ou 5 doigts de terre, & l'avoit couvert d'un petit paquet de mousse seche pour le défendre de l'air. En peu de tems la seve de l'arbre pénétra le sep, & le fit reverdir ; au bout d'environ deux mois il sortit à travers le paquet de mousse, 5 ou 6 filamens qui se jetterent en terre : c'étoient des racines qui devinrent grosses comme des tuyaux de plumes au plus. Au bout de deux ans le sep produisit des fleurs, & puis des vanilles qui mûrirent.

Les feuilles sont longues d'un demi-pié, larges de trois doigts, obtuses, d'un verd assez obscur ; les fleurs sont simples, blanches, marquetées de rouge & de jaune.

Quand elles tombent, les petites gousses ou vanilles, commencent à pousser ; elles sont vertes d'abord, & quand elles jaunissent on les cueille. Il faut que la plante ait trois ou quatre ans pour produire du fruit.

Les sarmens de la plante rampent sur la terre comme ceux de la vigne, s'accrochent de même, s'entortillent aux arbres qu'ils rencontrent, & s'élevent par leurs secours. Le tronc avec le tems devient aussi dur que celui de la vigne ; les racines s'étendent & tracent au loin dans la terre ; elles poussent des rejettons qu'on transplante de bouture au pié de quelque arbre, & dans un lieu convenable : cette plantation se fait à la fin de l'hiver, & au commencement du printems.

Ce qu'il y a de singulier, c'est que, comme on a déjà vu que le pratiqua le P. Ignacio, on ne met pas le bout du sarment en terre, il s'y pourriroit. La plante reçoit assez de nourriture de l'arbre auquel elle est attachée, & n'a pas besoin des sucs que la terre fourniroit. La seve des arbres dans ces pays chauds de l'Amérique, est si forte & si abondante, qu'une branche rompue par le vent & jettée sur un arbre d'espece toute différente, s'y collera & s'y enterra elle-même comme si elle l'avoit été par tout l'art de nos jardiniers ; ce phénomène y est commun.

C'en est un autre commun aussi, que de gros arbres qui de leurs plus hautes branches, jettent de longs filamens jusqu'à terre, se multiplient par le moyen de ces nouvelles racines, & font autour d'eux une petite forêt, où le premier arbre, pere ou aïeul de tous les autres, ne se reconnoît plus ; ces sortes de générations répétées, rendent souvent les bois impraticables aux chasseurs.

Description de la plante de vanille de S. Domingue. Cependant la plante de la vanille qui croît dans l'île de S. Domingue, que le R. P. Plumier décrit dans sa Botanique M. S. C. d'Amérique, n'est pas différente de celle dont Hernandez fait la description ; mais celle du botaniste françois est aussi bien détaillée que l'autre l'est mal.

Ce pere l'appelle vanilla flore viridi & albo, fructu nigrescente, Plum. nov. plant. amer. 25. Les racines de cette plante sont presque de la grosseur du petit doigt, longues d'environ deux piés, plongées dans la terre au loin & au large ; d'un roux-pâle ; tendres & succulentes ; jettant le plus souvent une seule tige menue, qui comme la clématite, monte fort haut sur les grands arbres, & s'étend même audessus. Cette tige est de la grosseur du doigt, cylindrique, verte, & remplie intérieurement d'une humeur visqueuse ; elle est noueuse, & chacun de ses noeuds donne naissance à une feuille.

Ces feuilles sont molles, un peu âcres, disposées alternativement, & pointues en forme de lance ; longues de neuf ou dix pouces, larges de trois, lisses, d'un verd-gai, creusées en gouttiere dans leur milieu, & garnies de nervures courbées en arc. Lorsque cette plante est déjà fort avancée, des aisselles des feuilles supérieures il sort de longs rameaux garnis de feuilles alternes ; lesquels rameaux donnent naissance à d'autres feuilles beaucoup plus petites.

De chaque aisselle des feuilles qui sont vers l'extrêmité, il sort un petit rameau différemment genouillé ; & à chaque genouillure se trouve une très-belle fleur, polypétale, irréguliere ; composée de six feuilles, dont cinq sont semblables & disposées presqu'en rose. Ces feuilles de la fleur sont oblongues, étroites, tortillées, blanches en-dedans, verdâtres en-dehors. La sixieme feuille, ou le nectarium, qui occupe le centre, est roulée en maniere d'aiguiere, & portée sur un embryon charnu, un peu tors, semblable à une trompe. Les autres feuilles de la fleur sont aussi posées sur le même embryon, qui est long, verd, cylindrique, charnu. Il se change ensuite en fruit, ou espece de petite corne molle, charnue, presque de la grosseur du petit doigt ; d'un peu plus d'un demi - pié de longueur ; noirâtre lorsqu'il est mûr, & enfin rempli d'une infinité de très-petites graines noires. Les fleurs & les fruits de cette plante sont sans odeur.

On la trouve dans plusieurs endroits de l'île de S. Domingue : elle fleurit au mois de Mai. Cette vanille de S. Domingue ne paroît différer de celle du Mexique, dont Hernandez a fait la description, que par la couleur des fleurs, & par l'odeur des gousses : car la fleur de celle - là est blanche & un peu verte, & la gousse est sans odeur ; mais la fleur de celle du Mexique, suivant la description d'Hernandez, est noire, & la gousse d'une odeur agréable.

Description de la plante de vanille de la Martinique. Le P. Labat assure dans ses voyages d'Amérique, qu'il a trouvé à la Martinique une autre espece de vanille, qu'il décrit ainsi. La fleur qu'elle produit est presque jaune, partagée en cinq feuilles, plus longues que larges, ondées & un peu découpées dans leur milieu. Il s'éleve du centre un petit pistil rond & assez pointu, qui s'allonge & se change en fruit. Cette fleur est à peu-près de la grandeur & de la consistance de celle des pois ; elle dure tout au plus cinq ou six jours, après lesquels elle se fanne, se seche, tombe & laisse le pistil tout nud, qui devient peu-à-peu une silique de cinq, six & sept pouces de long, plus plate que ronde, d'environ cinq lignes de large, & deux lignes d'épaisseur, de la figure à-peu-près de nos cosses d'haricots.

Cette silique est au commencement d'un beau verd, elle jaunit à mesure qu'elle mûrit, & devient tout-à-fait brune lorsqu'elle est seche ; le dedans est rempli de petites graines rondes, presque imperceptibles & impalpables, qui sont rouges avant d'être mûres, & toutes noires dans leur maturité. Avant ce tems-là elles n'ont aucune odeur fort sensible, que celle de sentir le verd ; mais quand elles sont mûres & qu'on les froisse entre les mains, elles rendent une petite odeur aromatique fort agréable.

Le même fait a été mandé à l'académie des Sciences en 1724, par un des correspondans de cette académie demeurant à la Martinique, qui ajoute qu'il en avoit trois piés venus de bouture, qu'il avoit tirés de la nouvelle Espagne, & qui réussissoient parfaitement.

Lieux où croît la bonne vanille. Malgré ces sortes d'attestations, la vanille de la Martinique n'a point pris faveur sur les lieux, ni dans le commerce ; on continue toujours de la tirer de la nouvelle Espagne & du Pérou.

Les endroits où l'on trouve la vanille en plus grande quantité, sont la côte de Caraque & de Carthagène, l'isthme de Darien, & toute l'étendue qui est depuis cet isthme & le golfe de S. Michel, jusqu'à Panama, le Jucatan & les Honduras. On en trouve aussi en quelques autres lieux, mais elle n'est ni si bonne, ni en si grande quantité qu'au Mexique. On dit encore qu'il y en a beaucoup & de belle, dans la terre ferme de Cayenne. Comme cette plante aime les endroits frais & ombragés, on ne la rencontre guere qu'auprès des rivieres, & dans les lieux où la hauteur & l'épaisseur des bois la mettent à couvert des trop vives ardeurs du soleil.

Sa récolte, sa culture & ses vertus. La récolte commence vers la fin de Septembre ; elle est dans sa force à la Toussaint, & dure jusqu'à la fin de Décembre. On ignore si les Indiens cultivent cette plante, & comment ils la cultivent ; mais l'on croit que toute la cérémonie qu'ils font pour la préparation du fruit, ne consiste qu'à le cueillir à tems ; qu'ensuite ils le mettent sécher 15 à 20 jours pour en dissiper l'humidité superflue, ou plutôt dangereuse, car elle le feroit pourrir ; qu'ils aident même à cette évaporation, en pressant la vanille entre les mains, & l'applatissant doucement, après quoi ils finissent par la frotter d'huile de coco ou de calba, & la mettent en paquets qu'ils couvrent de feuilles de balisier ou de cachibou.

La vanille contient une certaine humeur huileuse, résineuse, subtile & odorante, que l'on extrait facilement par le moyen de l'esprit de vin. Après avoir tiré la teinture, la gousse reste sans odeur & sans suc. Dans l'analyse chymique elle donne beaucoup d'huile essentielle, aromatique, une assez grande portion de liqueur acide, & peu de liqueur urineuse & de sel fixe.

Hernandez lui attribue des vertus admirables, mais Hernandez est un mauvais juge ; cependant les auteurs de matiere médicale n'ont presque fait que le copier. Ils prétendent qu'elle fortifie l'estomac, qu'elle aide la digestion, qu'elle dissipe les vents, qu'elle cuit les humeurs crues, qu'elle est utile pour les maladies froides du cerveau, & pour les catharres ; ils ajoutent qu'elle provoque les regles, qu'elle facilite l'accouchement, qu'elle chasse l'arriere-faix : tout cela est exagéré. La vanille peut par son aromate chaud, être un bon stomachique dans les occasions où il s'agit de ranimer les fibres de l'estomac affoibli ; elle deviendra quelquefois par la même raison emménagogue & apéritive ; son huile balsamique, subtile & odorante, la rend souvent recommandable dans les maladies nerveuses, hystériques & hypochondriaques ; c'est pourquoi quelques anglois l'ont regardée avec trop de précipitation, comme un spécifique dans ce genre de maladies.

On la donne en substance jusqu'à une drachme ; & en infusion dans du vin, de l'eau, ou quelqu'autre liqueur convenable, jusqu'à deux drachmes. Il faut considérer qu'elle échauffe beaucoup quand on en prend une trop grande dose, ou qu'on en fait un usage immodéré ; & cette considération doit servir pour indiquer les cas où il ne faut point la mettre en usage. Nos médecins françois l'emploient rarement, la laissent seulement en valeur dans la composition du chocolat dont elle fait l'agrément principal. On s'en servoit autrefois pour parfumer le tabac ; mais les parfums ont passé de mode, ils ne causent à-présent que des vapeurs. Je ne connois aucun traité particulier sur la vanille. (D.J.)


VANITÉS. f. (Morale) le terme de vanité est consacré par l'usage, à représenter également la disposition d'un homme qui s'attribue des qualités qu'il a, & celle d'un homme qui tâche de se faire honneur par de faux avantages : mais ici nous le restraignons à cette derniere signification, qui est celle qui a le plus de rapport avec l'origine de l'expression.

Il semble que l'homme soit devenu vain, depuis qu'il a perdu les sources de sa véritable gloire, en perdant cet état de sainteté & de bonheur où Dieu l'avoit placé. Car ne pouvant renoncer au desir de se faire estimer, & ne trouvant rien d'estimable en lui depuis le péché ; ou plutôt n'osant plus jetter une vue fixe & des regards assurés sur lui-même, depuis qu'il se trouve coupable de tant de crimes, & l'objet de la vengeance de Dieu ; il faut bien qu'il se répande au-dehors, & qu'il cherche à se faire honneur en se revêtant des choses extérieures : & en cela les hommes conviennent d'autant plus volontiers qu'ils se trouvent naturellement aussi nuds & aussi pauvres les uns que les autres.

C'est ce qui nous paroîtra, si nous considérons que les sources de la gloire parmi les hommes se réduisent, ou à des choses indifférentes à cet égard, ou si vous voulez, qui ne sont susceptibles ni de blâme, ni de louange ; ou à des choses ridicules, & qui bien loin de nous faire véritablement honneur, sont très-propres à marquer notre abaissement ; ou à des choses criminelles, & qui par conséquent ne peuvent être que honteuses en elles-mêmes ; ou enfin à des choses qui tirent toute leur perfection & leur gloire du rapport qu'elles ont avec nos foiblesses & nos défauts.

Je mets au premier rang les richesses, quoiqu'elles n'aient rien de méprisable, elles n'ont aussi rien de glorieux en elles-mêmes. Notre cupidité avide & intéressée ne s'informe jamais de la source, ni de l'usage des richesses qu'elle voit entre les mains des autres, il lui suffit qu'ils sont riches pour avoir ses premiers hommages. Mais, s'il plaisoit à notre coeur de passer de l'idée distincte à l'idée confuse, il seroit surpris assez souvent de l'extravagance de ces sentimens ; car comme il n'est point essentiel à un homme d'être riche, il trouveroit souvent qu'il estime un homme, parce que son pere a été un scélérat, ou parce qu'il a été lui-même un fripon ; & que lorsqu'il rend ses hommages extérieurs à la richesse, il salue le larcin, ou encense l'infidélité & l'injustice.

Il est vrai, que ce n'est point-là son intention, il suit sa cupidité plutôt que sa raison : mais un homme à qui vous faites la cour est-il obligé de corriger par toutes ces distinctions la bassesse de votre procédé ? Non, il reçoit vos respects extérieurs comme un tribut que vous rendez à son excellence. Comme votre avidité vous a trompé, son orgueil aussi ne manque point de lui faire illusion ; si ses richesses n'augmentent point son mérite, elles augmentent l'opinion qu'il en a, en augmentant votre complaisance. Il prend tout au pié de la lettre, & ne manque point de s'aggrandir intérieurement de ce que vous lui donnez, pendant que vous ne vous enrichissez guere de ce qu'il vous donne.

J'ai dit en second lieu, que l'homme se fait fort souvent valoir, par des endroits qui le rendent ridicule. En effet, qu'y a-t-il, par exemple, de plus ridicule que la vanité qui a pour objet le luxe des habits ? Et n'est-ce pas quelque chose de plus ridicule que tout ce qui fait rire les hommes, que la dorure & la broderie entrent dans la raison formelle de l'estime, qu'un homme bien vêtu soit moins contre, dit qu'un autre ; qu'une ame immortelle donne son estime & la considération à des chevaux, à des équipages, &c. Je sai que ce ridicule ne paroît point, parce qu'il est trop général ; les hommes ne rient jamais d'eux-mêmes, & par conséquent ils sont peu frappés de ce ridicule universel, qu'on peut reprocher à tous, ou du moins au plus grand nombre ; mais leur préjugé ne change point la nature des choses, & le mauvais assortiment de leurs actions avec leur dignité naturelle, pour être caché à leur imagination, n'en est pas moins véritable.

Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que les hommes ne se font pas seulement valoir par des endroits qui les rendroient ridicules, s'ils pouvoient les considérer comme il faut, mais qu'ils cherchent à se faire estimer par des crimes. On a attaché de l'opprobre aux crimes malheureux, & de l'estime aux crimes qui réussissent. On méprise dans un particulier le larcin & le brigandage qui le conduisent à la potence ; mais on aime dans un potentat les grands larcins & les injustices éclatantes qui le conduisent à l'empire du monde.

La vieille Rome est un exemple fameux de cette vérité. Elle fut dans sa naissance une colonie de voleurs, qui y chercherent l'impunité de leurs crimes. Elle fut dans la suite une république de brigands, qui étendirent leurs injustices par toute la terre. Tandis que ces voleurs ne font que détrousser les passans, bannir d'un petit coin de la terre la paix & la sureté publique, & s'enrichir aux dépens de quelques personnes ; on ne leur donne point des noms fort honnêtes, & ils ne prétendent pas même à la gloire, mais seulement à l'impunité. Mais aussi-tôt qu'à la faveur d'une prospérité éclatante, ils se voient en état de dépouiller des nations entieres, & d'illustrer leurs injustices & leur fureur, en traînant à leur char des princes & des souverains ; il n'est plus question d'impunité, ils prétendent à la gloire, ils osent non-seulement justifier leurs fameux larcins, mais ils les consacrent. Ils assemblent, pour ainsi dire, l'univers dans la pompe de leurs triomphes pour étaler le succès de leurs crimes ; & ils ouvrent leurs temples, comme s'ils vouloient rendre le ciel complice de leurs brigandages & de leur fureur.

Il y a d'ailleurs un nombre infini de choses que les hommes n'estiment, que par le rapport qu'elles ont avec quelqu'une de leurs foiblesses. La volupté leur fait quelquefois trouver de l'honneur dans la débauche : les riches sont redevables à la cupidité des pauvres, de la considération qu'ils trouvent dans le monde. La puissance tire son prix en partie d'un certain pouvoir de faire ce qu'on veut, qui est le plus dangereux présent qui puisse jamais être fait aux hommes. Les honneurs & les dignités tirent leur principal éclat de notre ambition ; ainsi on peut dire à coup sûr que la plûpart des choses ne sont glorieuses, que parce que nous sommes déreglés.

VANITE, VAIN, (Critiq. sacrée) ces mots dans l'Ecriture signifient ce qui n'a rien de solide, Ecclés. j. 2. la fausse gloire, 2. Pier. ij. 18. le mensonge, Ps. xxxvij. 13. les idoles, Jérém. viij. 19. (D.J.)


VANNES. f. (Hydr.) ce sont de gros ventaux de bois de chêne, que l'on hausse ou que l'on baisse dans des coulisses, pour lâcher ou retenir les eaux d'une écluse, d'un étang, d'un canal ; on appelle encore vannes les deux cloisons d'ais, soutenus d'un fil de pieux dans un batardeau. (K)

VANNES, terme de Rivieres ; ce sont encore les dosses dont on se sert pour arrêter les terres à un batardeau, derriere la culée d'un pont de bois.

VANNES, en Fauconnerie, ce sont les grandes plumes des aîles des oiseaux de proie.


VANNEAUS. m. (Hist. nat.) c'est un oiseau gros à-peu-près comme un pigeon ; il a sur la tête une espece de crête, oblongue & noire, le col verd & le reste du corps de différentes couleurs, où on remarque du verd, du bleu & du blanc ; son cri a quelque rapport à celui d'une chevre, il se jette sur les mouches en l'air, il est presque toujours en mouvement, vole rapidement, on diroit que son cri exprime dixhuit. Il habite ordinairement les lieux marécageux ; on le chasse depuis la Toussaint jusqu'à la sainte Catherine ; ils vont seuls l'été, & par bande l'hiver ; on en prend jusqu'à soixante d'un coup de filet ; lorsqu'on tire aux vanneaux & aux étourneaux, il est bon d'avoir deux fusils chargés, car si l'on en tue quelqu'un du premier coup & que les autres le voient, ils y volent tous & tout-autour de la tête du chasseur, ce qui fait qu'on y a ordinairement bonne chasse, surtout en les tirant en l'air, plutôt qu'à terre. On mange les vanneaux sans les vuider, comme la grive, la bécasse, le pluvier & l'alouette.

VANNEAU, (Diete) tout le monde connoit ce proverbe populaire, qui n'a pas mangé d'un vanneau n'a pas mangé d'un bon morceau : mais ce proverbe n'est vrai que du vanneau gras, car les vanneaux sont ordinairement maigres, secs, durs, & par conséquent fort mauvais, ce qui n'empêche point que lorsqu'on en rencontre de gras ils ne soient tendres, succulens, & d'un goût que beaucoup de personnes trouvent exquis. Cependant on peut observer de cet oiseau comme de la bécasse, de la bécassine, du pluvier, &c. qu'il faut que leur suc alimenteux ne soit pas très-accommodé à notre nature, car beaucoup de personnes, & sur-tout celles qui n'y sont point accoutumées, ont un certain dégoût pour cette viande, à laquelle ils trouvent une saveur sauvage & tendante à la corruption, à l'état que Boerhaave appelle alkalescence. Si cette observation est vraie, savoir que les animaux carnivores ne se nourrissent point naturellement des chairs d'autres animaux qui vivent eux-mêmes de matieres animales, on trouveroit dans ce principe la raison du fait que nous avons avancé ; car le vanneau se nourrit de vers & de différentes autres especes d'insectes. Il faut avouer cependant, que les vers & les insectes sont de toutes les substances animales les moins animalisées, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Voy. SUBSTANCE ANIMALE, Chym. Mais aussi on n'a pas naturellement tant de dégoût pour un vanneau ou pour un pluvier que pour la chair d'un animal véritablement carnivore. Voyez VIANDE, Diete. (b)


VANNERv. act. (Gram.) c'est en général agiter dans un van la graine pour la nettoyer. Voyez VAN.

VANNER LES AIGUILLES, (Aiguillier) c'est les faire ressuyer dans du son chaud un peu mouillé, après qu'elles ont été lessivées ou lavées dans de l'eau avec du savon : voici comme on vanne les aiguilles. On les enferme avec du son dans une boîte ronde de bois qui est suspendue en l'air avec une corde, & on agite cette boîte jusqu'à-ce que le son soit entierement sec, & les aiguilles sans aucune humidité. Voyez AIGUILLE, & la machine à vanner les aiguilles, fig. & Pl. de l'Aiguillier.

VANNER, en terme d'Epinglier, c'est séparer le son d'avec les épingles en les remuant sur un plat de bois, comme on remue le froment dans un van, excepté que l'un se fait aux genoux, & l'autre avec les mains seulement.


VANNERIES. f. (Art méchan.) l'art de faire des vans, des paniers, des hottes à jour ou pleins, en clôture, mandrerie ou faisserie, de toutes grandeurs & à toutes sortes d'ouvrages.

Cet art est fort ancien & fort utile. Les peres du désert & les pieux solitaires l'exerçoient dans leurs retraites, & en tiroient la plus grande partie de leur subsistance ; il fournissoit autrefois des ouvrages très-fins pour servir sur la table des grands où l'on n'en voit plus guere, les vases de crystal ayant pris leur place.

La vannerie se divise en trois sortes d'ouvrages principaux ; la mandrerie, la closerie ou clôture, & la faisserie ; on verra ces termes à leur article. Voyez VANNIER.


VANNES(Géog. mod.) ville de France dans la Bretagne, à deux lieues de la mer, avec laquelle elle communique par le canal de Morbihan, à 20 lieues de Nantes, à 22 de Quimper, à 23 de Rennes, & à une centaine de Paris.

Cette ville est arrosée par deux petites rivieres qui rendent son port capable de contenir plusieurs vaisseaux. Le fauxbourg de Vannes surpasse la ville en étendue ; il en est séparé par des murailles & par un large fossé ; il a ses paroisses, ses couvens, ses places, & un hôpital.

Saint Paterne est le premier évêque de Vannes qui nous soit connu ; cet évêché vaut environ 25000 livres de revenu, & l'évêque est en partie seigneur de Vannes. On ne compte dans son diocese que 168 paroisses.

Le principal commerce de Vannes est en blé & en seigle pour l'Espagne. On y trafique aussi en sardines & en congres. Les marchands achetent les sardines au bord de la mer, les salent & les arrangent dans des barriques, où on les presse pour en tirer l'huile, qui sans cela les feroit corrompre. Long. suivant Cassini, 14. 35. lat. 47. 40.

Vannes, aujourd'hui le chef-lieu d'une recette, d'un présidial, & d'une jurisdiction de juges-consuls, tire son nom des anciens peuples Veneti, qui étoient des plus célebres des Gaules du tems de Jules-César. Ptolémée la nomme civitas Dariorigum.

Lorsque les Bretons s'établirent dans l'Armorique, ils n'occuperent pas cette ville qui demeura à ses anciens habitans romains ou gaulois. Elle vint ensuite au pouvoir des Francs, lorsqu'ils se rendirent les maîtres de cette partie des Gaules. L'an 577 Varor, prince des Bretons, s'en empara sur Gontran, l'un des rois françois. Pepin s'en rendit maître l'an 553 ; mais Numénoïus, prince des Bretons, la reprit ensuite ; enfin elle a passé à la couronne avec le reste de la Bretagne. Cette ville avoit été érigée en comté par ses anciens souverains, & réunie à leur domaine par Alain surnommé le Grand. (D.J.)

VANNES, LA, (Géog. mod.) petite riviere de France dans le Sénonois. Elle prend sa source à trois lieues de Troyes, & se jette dans l'Yonne au fauxbourg de Sens. (D.J.)


VANNETSS. m. pl. (Pêche) ce sont des rets qu'on tend en différentes manieres sur la grève que le flux de la mer couvre ; ils doivent avoir leurs mailles de la grandeur marquée par les ordonnances de 1681 & 1684.

VANNETS, (Blason) on appelle ainsi en termes de Blason, les coquilles dont on voit le creux, à cause qu'elles ressemblent à un van à vanner.


VANNETTES. f. en Vannerie, est une espece de corbeille ronde & à bord, faite de clôture ; on s'en sert sur-tout pour épouster l'avoine qu'on donne aux chevaux.


VANNIA(Géog. anc.) ville d'Italie. Ptolémée, liv. III. ch. j. la donne aux Bechuni ; quelques-uns croyent que c'est aujourd'hui Franna, bourg de l'état de Venise ; d'autres prétendent que c'est Lovino, & le pere Briet dit que c'est Civedo ou Cividado. (D.J.)


VANNIANUMVANNIANUM


VANNIERS. m. (Corps de Jurande) celui qui fait ou qui vend des vans, ou tous autres ouvrages d'osier, comme paniers, hottes, clayes, cages, corbeilles, charrieres, verrieres, &c. pelles, boisseaux, soufflets, sabots, échelles, &c.

Il y a à Paris une communauté de maîtres vanniers quincalliers, dont les statuts sont de 1467, confirmés par lettres-patentes de Louis XI. & réformés sous le regne de Charles IX. par arrêt du conseil du mois de Septembre 1561, enregistrés au parlement la même année.

Les différens ouvrages qui distinguent les vanniers, sont ceux de la mandrerie, de la clôture ou closerie, & de la faisserie. La mandrerie dont les maîtres sont appellés vanniers-mandriers, comprend tous les ouvrages d'osier blanc & d'osier verd qui ne sont point à claire-voie, à la réserve des vans à vanner les grains, & des hottes à vin qui sont réservés à la clôture, dont les maîtres se nomment vanniers-cloturiers.

A l'égard de la faisserie, qui est la vannerie proprement dite, son partage consiste dans tout ce qui se fait d'ouvrages à jour de quelque sorte d'osier que ce soit. Cette partie du métier des vanniers donne à ceux qui s'y occupent le nom de vanniers-faissiers. Malgré cette espece de distinction d'ouvrages & de métier, les maîtres vanniers ne s'y assujettissent pourtant pas tellement, qu'il ne s'en trouve qui travaillent tout-à-la fois aux uns & aux autres.

Comme les ouvrages de clôture sont les plus difficiles & demandent les plus habiles ouvriers, & qu'il faut d'ailleurs des outils à part, les clôturiers s'occupent rarement à la mandrerie & à la faisserie ; mais au-contraire les mandriers & les faissiers, convenant en quantité de choses, & se servant des mêmes outils, il est rare que ceux qui exercent la faisserie, ne travaillent pas aussi à la mandrerie.

Les outils & instrumens communs aux trois sortes de vanniers, sont la scie montée & la scie à main, le couteau à travailler, divers vilebrequins, entre autres le vilebrequin à hottriau, l'épluchoir, le poinçon de fer, les fers à clorre, le maillet, le chevalet, l'établi, la sellette, les moules, & le faudoir. Outre ces outils, les clôturiers ont encore la batte de fer, le vilebrequin à Menuisier, la bécasse, le crochet, & la trétoire. (D.J.)


VANS(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France, dans le bas Languedoc, diocèse d'Usez.


VANTAILS. m. (Menuiserie) manteau ou battant d'une porte qui s'ouvre des deux côtés. Il y a aussi des vantaux de fenêtres, ou des volets qui ferment une fenêtre du haut en bas ; on appelloit autrefois de ce nom la partie de l'habillement de tête par laquelle le chevalier respiroit.


VANTERLOUER, (Synonymes) on vante une personne pour lui procurer l'estime des autres, ou pour lui donner de la réputation ; on la loue pour témoigner l'estime qu'on fait d'elle, ou pour lui applaudir.

Vanter, c'est dire beaucoup de bien des gens, & leur attribuer de grandes qualités, soit qu'ils les ayent ou qu'ils ne les ayent pas ; louer, c'est approuver avec une sorte d'admiration ce qu'ils ont dit ou ce qu'ils ont fait, soit que cela le mérite ou ne le mérite point.

On vante les forces d'un homme, on loue sa conduite. Le mot de vanter suppose que la personne dont on parle, est différente de celle à qui la parole s'adresse, ce que le mot de louer ne suppose point.

Les charlatans ne manquent jamais de se vanter ; ils promettent toujours plus qu'ils ne peuvent tenir, ou se font honneur d'une estime qui ne leur a pas été accordée. Les personnes pleines d'amour propre se donnent souvent des louanges ; elles sont ordinairement très-contentes d'elles-mêmes.

Il est plus difficile, selon mon sens, de se louer soi-même que de se vanter, car on se vante par un grand desir d'être estimé, c'est une vanité qu'on par donne, mais on se loue par une grande estime qu'on a de soi, c'est un orgueil dont on se moque. Girard. (D.J.)


VANTILLERv. act. (Charpent.) c'est mettre des dosses ou bonnes planches de deux pouces d'épaisseur pour retenir l'eau. Diction. de Charpent. (D.J.)


VAPEURSS. f. (Physiq.) c'est l'assemblage d'une infinité de petites bulles d'eau ou d'autre matiere liquide, remplies d'air raréfié par la chaleur & élevés par leur légéreté jusqu'à une certaine hauteur dans l'athmosphere ; après quoi elles retombent, soit en pluie, soit en rosée, soit en neige, &c.

Les masses formées de cet assemblage, qui flottent dans l'air, sont ce qu'on appelle nuages. Voyez NUAGE.

Quelques personnes se servent indifféremment du mot de vapeur pour exprimer les fumées qu'envoyent les corps humides & les corps secs, comme le soufre, &c. mais M. Newton avec plusieurs autres auteurs, appellent ces dernieres exhalaisons & non vapeurs.

Sur la maniere dont les vapeurs sont élevées & ensuite précipitées vers la terre, voyez EVAPORATION, ROSEE, PLUIE, &c.

Sur la formation des sources par le moyen des vapeurs, voyez FONTAINE, &c.

La quantité de vapeurs que le soleil fait élever de dessus la surface de la mer, est inconcevable. M. Halley a fait une tentative pour la déterminer. Par une expérience faite dans cette vue & décrite dans les Transactions philosophiques, il a trouvé que de l'eau dont la chaleur est égale à celle de l'air en été, perdoit en vapeurs dans l'espace de deux heures la quantité que demande un abaissement dans la surface de la cinquante-troisieme partie d'un pouce ; d'où on peut conclure que dans un jour où le soleil échauffe la mer pendant douze heures, l'eau qui s'évapore, monte à un dixieme de pouce sur toute la surface de la mer.

Dans cette supposition, dix pouces quarrés en surface donnent d'évaporation environ un pouce cubique d'eau par jour, & chaque pié quarré par conséquent environ une demi-pinte ; chaque espace de quatre piés quarrés donnera deux pintes ; chaque mille quarré 6914 tonneaux ; chaque degré quarré supposé de 69 milles d'Angleterre, donne 33 millions de tonneaux. Or si on suppose la Méditerranée d'environ 40 degrés de long & de 4 de large, en prenant un milieu entre les endroits où elle est le plus large, & ceux où elle l'est le moins, ce qui donne 160 degrés pour l'espace qu'occupe cette mer, on trouvera par le calcul qu'elle peut fournir en évaporations dans un jour d'été 5280 millions de tonneaux.

Mais cette quantité de vapeurs quoique très-grande, n'est qu'une partie de ce que produit une autre cause bien plus éloignée de pouvoir être calculée, qui est celle de l'évaporation produite par le vent, & que tous ceux qui ont examiné la promtitude avec laquelle les vents dessechent, savent être extrêmement considérable. Chambers.

De plus, la partie solide de la terre est presque par-tout couverte de plantes, & les plantes envoyent une grande quantité de vapeurs ; car suivant les observations de M. Halles, dans la statique des végétaux, un tournesol haut de 3 piés 1/2 transpire du-moins de 1 livre 1/4 dans l'espace de 12 heures, ce qui est presque autant que ce qui s'évapore en un jour d'un bac d'eau exposé au soleil, & qui auroit trois piés quarrés de diametre. Par conséquent si on supposoit que toutes les plantes transpirassent également, il ne s'éleveroit pas moins de vapeurs des parties solides de la terre qu'il s'en éleve de la mer.

D'ailleurs il sort aussi du corps des hommes & des animaux une grande quantité de vapeurs, & suivant les observations de M. Halles, ce qui s'évapore du corps d'un homme, est à ce qui s'évapore du tournesol comme 141 à 100 ; si nous joignons à cela les exhalaisons des plantes qui se sechent ou qui se pourrissent, celles qui proviennent de la fumée de toutes les matieres qu'on brûle, enfin les exhalaisons qui s'élevent du sein de la terre même, nous conclurons que l'air est rempli d'une prodigieuse quantité de vapeurs, & que sa substance doit en être comme pénétrée.

A l'égard du méchanisme de l'élévation des vapeurs, ceux qui desireront un plus grand détail sur ce sujet, peuvent avoir recours aux articles cités ci-dessus, & à l'essai de physique de M. Musschenbroeck, article des météores, d'où nous avons tiré en partie ce qui précede.

VAPEUR, VAPOREUX, se dit en Peinture, lorsque la perspective aërienne est bien entendue dans un tableau, & qu'il y regne un très-léger brouillard qui rend les objets tendres & flous. On dit, il regne une belle vapeur dans ce tableau : ces objets sont tendres & vaporeux. Vouvermans & Claude Lorrain excelloient en cette partie.

VAPEURS, en Médecine, est une maladie appellée autrement mal hypochondriaque & mal de rate. Elle est commune aux deux sexes, & reconnoit deux différentes causes.

On croit qu'elle provient d'une vapeur subtile qui s'éleve des parties inférieures de l'abdomen, surtout des hypocondres, & de la matrice au cerveau, qu'elle trouble & qu'elle remplit d'idées étranges & extravagantes, mais ordinairement désagréables. Cette maladie se nomme dans les hommes affection hypocondriaque. Voyez AFFECTION HYPOCONDRIAQUE.

Les vapeurs des femmes que l'on croit venir de la matrice, sont ce qu'on appelle autrement affection ou suffocation hystérique ou mal de mere.

Cette maladie provient également des hypocondres, comme de la matrice. L'idée du public ou du vulgaire sur la fumée qui s'éleve du bas-ventre au cerveau, paroît d'abord vraisemblable, mais elle est fausse & combattue par la théorie & l'anatomie. Cette prétendue fumée n'est rien autre chose que l'irritation des fibres nerveuses des visceres contenus dans le bas-ventre, tels que le foie, la rate, l'estomac & la matrice, qui affecte sympathiquement le cerveau par la communication de la huitieme paire de nerfs avec le grand nerf intercostal ; cette communication qui est étendue dans toutes les cavités, est la cause prochaine & unique de ces maladies & des étranges & bisarres symptomes qui l'accompagnent ; une preuve de ceci est que les remedes qui peuvent détourner les esprits animaux ailleurs, ou causer une irritation différente, en produisant une sensation desagréable, sont excellens dans ces maladies ; or d'où peut provenir un tel prodige, sinon que les esprits sont déterminés ailleurs ? Mais on doit remarquer que les vapeurs attaquent sur-tout les gens oisifs de corps, qui fatiguent peu par le travail manuel, mais qui pensent & rêvent beaucoup : les gens ambitieux qui ont l'esprit vif, entreprenans, & fort amateurs des biens & des aises de la vie, les gens de lettres, les personnes de qualité, les ecclésiastiques, les dévots, les gens épuisés par la débauche ou le trop d'application, les femmes oisives & qui mangent beaucoup, sont autant de personnes sujettes aux vapeurs, parce qu'il y a peu de ces gens en qui l'exercice & un travail pénible du corps empêche le suc nerveux d'être maléficié. Bien des gens pensent que cette maladie attaque l'esprit plutôt que le corps, & que le mal gît dans l'imagination. Il faut avouer en effet que sa premiere cause est l'ennui & une folle passion, mais qui à force de tourmenter l'esprit oblige le corps à se mettre de la partie ; soit imagination, soit réalité, le corps en est réellement affligé. Ce mal est plus commun aujourd'hui qu'il ne fut jamais, parce que l'éducation vicieuse du sexe y dispose beaucoup, & que les jeunes gens se livrent ou à la passion de l'étude, ou à toute autre avec une égale fureur, sans mesure & sans discernement ; l'esprit s'affoiblit avant d'être formé, & à peine est-il né, qu'il devient languissant. La gourmandise, la vie oisive, les plaisirs habituels entretiennent cette malheureuse passion de passer pour bel esprit ; & les vapeurs attaquent le corps, le ruinent & le font tomber en consomption. Voici les remedes les plus efficaces pour ce mal qui devient contagieux, & qui est l'opprobre de la médecine.

1°. Un régime exact, ne manger qu'avec faim & manger peu, éviter les alimens de haut goût, les liqueurs, les passions violentes, les veilles, les jeux & les pertes que l'on y fait, la débauche de toute espece ; desirer peu, ou des choses justes & possibles, travailler beaucoup & plus qu'on ne mange, sont des moyens plus sûrs que toutes les potions cordiales.

2°. Se former une idée véritable de son peu de savoir & de son petit mérite, se croire toujours favorisé, soit de la fortune, soit du prince, soit de la nature, au-delà de ses talens, écouter la raison & se faire de bonnes moeurs, sont des préservatifs contre les vapeurs.

Cependant comme ces remedes ne plairont pas à ceux qui flattés de leurs faux talens, se croiront réellement malades, & avoir besoin de la médecine qui ne peut guere les soulager, nous les renvoyons aux articles du spasme, des convulsions, de la tension, de l'épilepsie, du vertige, de la fureur utérine, de l'affection hypocondriaque & hystérique, & nous leur enjoignons d'user des remedes purgatifs, des amers, des apéritifs combinés avec les toniques : la teinture de castor, le syrop de karabé, les pilules de cachou, de Wildegansius & la liqueur minérale d'Hoffman sont leur ressource.


VAPINCUou VAPINGUM, (Géogr. anc.) ville de la Gaule narbonnoise, sur la route de Mediolanum à Arles, entre Caturigae & Alabonte, selon l'itinéraire d'Antonin. C'est la ville de Gap. (D.J.)


VAQUERv. neut. (Gram.) être vuide, non occupé. Cet appartement est vacant ; il vaque dans cette maison un corps-de-logis en entier ; si ce bénéfice vient à vaquer, tâchez de l'obtenir. Mais voici une acception de ce verbe très-différente de la précédente : il vaque à la prédication ; il vaque à la conversion des hérétiques ; il vaque à deux ou trois fonctions à la fois ; il signifie alors satisfaire, remplir, exercer. Vaquer se prend aussi pour cesser ses fonctions : le parlement vaque certains jours ; les colleges vaquent lorsqu'il y a procession du recteur.


VAQUETTESS. f. pl. (Commerce) peaux de petites vaches, dont il se fait un assez grand commerce à Smirne. Savary. (D.J.)


VARLE, (Géog. mod.) en latin Varus ; riviere qui fait la séparation entre l'Italie & la France. Elle est aussi marquée par tous les anciens géographes, pour une des limites qui séparent la Gaule narbonnoise de l'Italie. Cette riviere prend sa source dans le mont Cema ou Acema, qui fait partie des Alpes maritimes près du château de S. Etienne. Cette montagne s'appelle aussi Cémélion ; c'étoit le nom d'une ancienne ville bâtie au-dessus, dont il ne reste aujourd'hui que des masures, & qui étoit de la Gaule narbonnoise. Du mont Cema, le Var vient arroser le territoire de Glandeve & celui de Nice, où il se décharge dans la mer Méditerranée, à une demi-lieue à l'occident de Nice. Ce n'est point cependant la riviere du Var toute entiere qui formoit la séparation de la Gaule d'avec l'Italie, c'en est seulement la source placée dans les Alpes maritimes ; le comté de Nice qu'elle traverse, faisoit partie de la Gaule narbonnoise, comme il le fit ensuite de la Provence. (D.J.)

VAR, voyez LOUP MARIN.


VARA(Géogr. des Arabes) ce mot est arabe, & signifie dans cette langue derriere & au-delà. Ainsi Vara-Gihoun, dans la géographie des Arabes, désigne la Transoxane (en arabe Maouaralnahar), qui est au-delà du fleuve, car ils qualifient du nom de fleuve par excellence le Gihon, que les Persans nomment en leur langue Roud. Vara-Sihoun, c'est-à-dire ce qui est au-delà de Sihon ou Jaxartes. C'est le Turquestan, appellé aussi des Arabes par la même raison Vara-Khogend, à cause qu'il s'étend au-delà de la ville de Khogend, qui est bâtie sur le fleuve Sihon. (D.J.)


VARAHANGAS. f. (Hist. nat.) résine qui se trouve dans l'île de Madagascar, & qui a l'odeur de l'encens.


VARAIGNES. f. (Saline) on appelle varaigne dans les marais salins l'ouverture par laquelle on introduit l'eau de la mer dans le premier réservoir de ces marais, qui s'appelle jas. La varaigne s'ouvre & se ferme à-peu-près comme on fait avec la bonde des étangs : on ouvre la varaigne dans les grandes marées de Mars, puis on la referme quand la mer vient à baisser, afin de tenir les jas pleins d'eau.


VARALLO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au duché de Milan, dans le val de Sessia, sur la riviere qui donne son nom à cette vallée. A demi-lieue de cette ville, sur une montagne délicieuse, qu'on nomme la montagne de Varallo, est un lieu d'une grande & ridicule dévotion, appellé la nouvelle Jérusalem. (D.J.)


VARAMBON(Géog. mod.) voyez VAREMBON.


VARAMUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie chez les Vénetes. Pline dit, l. III. c. xviij. qu'il se jettoit dans l'Arassus. Léander prétend que son nom moderne est le Caloro. (D.J.)


VARANGUAISS. f. (Marine) c'est ainsi qu'on appelle les marticles dans le levant. Voyez MARTICLES.


VARANGUESS. f. (Marine) ce sont des chevrons de bois, entés & rangés de distance en distance, à angles droits & de travers, entre la quille & la carlingue, afin de former le fond du vaisseau. Voyez CONSTRUCTION.

On appelle maîtresse varangue la varangue qui se pose sous le maître ban. On lui donne aussi le nom de premier gabarit. Les maîtresses varangues de l'avant & de l'arriere sont celles qui font partie des deux grands gabarits. Voyez GABARIT, voyez Pl. I. fig. 1. les varangues, n°. 13. 14. & 15.

Varangues acculées. Varangues rondes en-dedans, qui se posent en allant vers les extrêmités de la quille, proche les fourçats, & au-devant & au derriere des varangues plates. Voyez CONSTRUCTION, voyez Pl. IV. fig. 1. les varangues acculées cotées 14.

Varangues demi-acculées. Varangues qui ont moins de concavité que les varangues acculées, & qui se posent vers les varangues plates, de sorte que les varangues plates sont au milieu ; les varangues demi-acculées viennent ensuite, & les varangues acculées sont les bouts. Voyez Pl. IV. fig. 1. n°. 15.

Varangues plates ou varangues de fond. Ce sont les varangues qui sont placées vers le milieu de la quille, & qui ont moins de rondeur que les varangues acculées. Voyez CONSTRUCTION.

On dit qu'un vaisseau est à plates varangues, lorsqu'il a beaucoup de varangues qui ont peu de rondeur dans le milieu, & par conséquent qu'il a le fond plat. Voyez Pl. IV. fig. 1. les varangues de fond, cotées 13.


VARANOLAC, (Géog. mod.) lac d'Italie, au royaume de Naples, dans la Capitanate, près de la côte septentrionale. Son circuit est de cinq lieues, & il se décharge par un petit canal dans le golfe de Rodia, à deux lieues à l'occident de la petite ville Rodia.


VARAR(Géog. anc.) golfe de la grande Bretagne. Ptolémée, l. II. c. iij. le marque sur la côte orientale, entre l'embouchure du fleuve Loxa & le golfe Tuaesis. Au-lieu de Varar, le grec porte Vara. C'est aujourd'hui le golfe de Murray en Ecosse, Murray Furth. Buchanan croit que la province de Murray, qui est baignée par ce golfe, a été aussi autrefois appellée Varar, nom que la riviere de Farray, qui se jette dans ce golfe, a en quelque sorte retenu. (D.J.)


VARASAYN(Géog. mod.) ville ou, pour mieux dire, bourg du royaume de Navarre, à peu de distance de Pampelune.

C'est dans ce bourg qu'est né en 1491 Aspilcuéta (Martin), que l'on appelle communément le docteur Navarre, Navarrus, grand sectateur de Pierre Lombard, nommé le maître des sentences. Il enseigna seize ans à Conimbre, & reçut beaucoup d'honneur à la cour de Rome, lorsqu'il s'y rendit, à l'âge de 80 ans, pour défendre Caranza son ami, archevêque de Tolede, accusé d'hérésie devant le tribunal de l'inquisition ; la cause fut plaidée & le procès perdu. Il n'auroit pas été difficile à Aspilcuéta d'obtenir les plus hautes dignités, tant civiles qu'ecclésiastiques, mais il leur préféra l'étude & le repos. Il mourut en 1586, âgé de 94 ans & 6 mois. Sa vie a éte faite par plusieurs écrivains, mais la meilleure à été donnée par son neveu, à la tête des oeuvres de son oncle, imprimées à Rome en 1590, en trois volumes in-fol. Lyon 1591, & Venise 1602 ; on ne lit plus aujourd'hui les ouvrages de ce fameux casuiste, excepté peut-être en Espagne. (D.J.)


VARAUCOCOS. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau qui s'attache aux grands arbres. Il produit un fruit violet, de la grosseur d'une pêche, & qui renferme quatre noyaux ; sa chair est pâteuse, mais douce & agréable. L'écorce de l'arbrisseau fournit une matiere résineuse rouge ; la seconde peau brûlée à une chandelle se fond comme la gomme-laque, dont elle a l'odeur.


VARCIA(Géog. anc.) ville de la gaule belgique. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route d'Andrematunum à Cambate. Alting croit que c'est Varcar, village sur la Saône. (D.J.)


VARDARILE, (Géog. mod.) riviere de l'empire turc, dans la Macédoine. Elle a sa source dans les montagnes qui sont aux confins de la Servie, de la Bulgarie & de la Macédoine, & finit par se jetter dans le golfe de Salonique. Le Vardari est l'Axius des anciens. (D.J.)


VARDING(Commerce) petite monnoie, ayant cours en Livonie, dont il faut 60 pour faire un écu d'Allemagne, c'est-à-dire 3 liv. 15 sols de France, ainsi le varding vaut environ cinq liards de notre monnoie.


VARDULESLES, Varduli, (Géog. anc.) peuples de l'Espagne tarragonoise, sur l'Océan cantabrique. Ptolémée, l. II. c. vj. leur donne une ville nommée Menosca. Pomponius Méla, l. III. c. j. & Pline, l. II. c. iij. parlent aussi de ces peuples. Ce dernier, l. IV. c. xx. nomme leurs villes Morosgi, Menosca, Vesperies & Amanus-Portus, où étoit Flaviobriga colonia. On convient que le pays des Vardules est aujourd'hui le Guipuscoa. (D.J.)


VARECHS. m. (Botan.) plante maritime, nommée par Tournefort, fucus maritimus vesiculas habens, I. R. H. Cette herbe se nomme en Bretagne gouémon ; sur les côtes du pays d'Aunis, sar ; & sur les côtes de Normandie, varech, nom qui s'étend même sur tout ce que la mer jette sur ses bords ; d'où vient le droit de varech que dans cette province les seigneurs de fiefs voisins de la mer prétendent avoir sur les effets qu'elle jette sur le rivage ; il est vraisemblable que ce mot dérive de l'anglois wrack ou wreck, qui signifie naufrage, vieux mot normand que ce peuple a porté en Angleterre.

Quoiqu'il en soit, le varech est une espece de fucus des botanistes ; c'est une plante maritime qui pousse plusieurs petites tiges plates, étroites, mais qui s'élargissent peu-à-peu en croissant, & qui se divisent en petits rameaux, portant des feuilles larges, oblongues, ayant quelque ressemblance à celles du chêne, cependant plus petites, attachées avec leurs tiges par une substance tenace, pliante, membraneuse, ordinairement lisses, quelquefois velues ou couvertes d'un poil blanc ; c'est peut-être la fleur de la plante qui est suivie de graines rondes ; il s'y éleve aussi des tubercules vuides, en forme de vessies, tantôt oblongues, tantôt rondes, tantôt plus grosses, tantôt plus petites. Cette plante est souvent basse, & quelquefois elle croît jusqu'à la hauteur d'un pié & demi : pendant qu'elle est récemment cueillie, elle a une vilaine couleur jaune-verdâtre ; mais si on la fait sécher, elle devient noire, principalement celle qu'on a tirée des rivages sablonneux de la mer.

On se servoit autrefois en Crete de cette plante au rapport de Pline, l. XXVI. c. x. pour teindre en pourpre. Horace, ode V. l. III. le confirme, en disant :

Neque amissos colores

Lana refert medicata fuco.

" La laine une fois teinte de pourpre, ne reprend jamais sa premiere couleur ". Nous avons perdu ce secret, & nous ne connoissons point d'espece de fucus qu'on emploie à aucune teinture. Son seul usage en quelques endroits est à fumer les terres ; & en Normandie, à brûler, pour faire cette sorte de soude, qu'on nomme soude de varech, qui se consume en quantité à Cherbourg pour fondre le verre, soit en table, soit en plat.

Lorsque les pêcheurs ou les riverains qui n'ont pas de bateaux ou gabares, trouvent à la basse eau une grande quantité de gouémon, ou qu'ils en font la récolte dans le tems permis & réglé par l'ordonnance, ils ramassent les herbes marines, en font de gros tas ou meulons, qu'ils lient comme ils peuvent avec de mauvais cordages souvent seulement avec du chanvre retors & mal fabriqué ; plusieurs personnes se mettent sur ce gouémon avec des perches, & attendent que le flot souleve leur meulon pour le conduire à la côte au-dessus du plain, & pouvoir ensuite plus aisément l'emporter en haut sur les terres ; si la marée est tranquille & la mer étalle, ils y abordent aisément ; mais pour peu qu'il fasse de moture, & que le vent soit contraire, ils ont peine à gagner le bord ; & si les vagues s'augmentent, comme il arrive souvent sur le coup de la pleine mer, & qu'elles entament tant-soit-peu ces meulons, ils se dissipent & s'éboulent aussitôt ; & pour lors, les hommes & les femmes qui s'y sont exposés, tombent à la mer, & sont souvent noyés, sans qu'on puisse leur donner aucun secours, & il n'est que trop ordinaire dans les paroisses où ces sortes de meulons sont en usage, de voir périr quantité de personnes, & même des familles entieres ; c'est le sujet des remontrances des recteurs des paroisses riveraines, le motif que le seigneur évêque diocésain a eu d'en faire un cas réservé ; ainsi ces meulons doivent être défendus, à peine de punition corporelle ; & les syndics ou gardes jurés des pêcheurs doivent être chargés, lorsqu'ils seront établis le long des côtes de cette province, d'y tenir la main, & de dénoncer aux Officiers du ressort les riverains qui auront contrevenu à la défense.

Les laboureurs emploient le gouémon de différentes manieres ; les uns le répandent sur les terres lorsqu'ils l'ont recueilli à la côte, ou qu'il a été nouvellement coupé ; mais la plûpart en font des fumiers qu'ils nomment mains, qu'ils composent de gouémon, des fumiers de bestiaux & de terres franches, qu'ils laissent consommer ensemble, & qu'ils répandent ensuite sur leurs terres ; un laboureur est estimé d'autant plus à son aise, qu'il a nombre ou quantité de ces mains.

Il y a le long de ces côtes grand nombre de gabares gouémonnieres qui font pendant tout le cours de l'année uniquement le commerce du gouémon, qu'ils ne discontinuent que durant la saison de la pêche du maquereau, où elles sont alors destinées, & dont les équipages sont composés de ces riverains hommes & femmes.

Le grand nombre d'îles désertes & de rochers qui sont couverts de gouémon, facilite aux maîtres de ces gabares le commerce qu'ils en font ; mais ils chargent souvent leurs gabares avec tant d'imprudence, que plusieurs y périssent ; d'autres qui n'ont point de gabares pour aller en mer, s'attroupent à la côte lors des motures & des tempêtes qui rejettent ordinairement grande quantité de gouémon au bord des greves qu'ils ramassent de basse-mer, & dont ils font des meulons liés avec de mauvaises cordes, & sur lesquels ils se risquent de marée montante pour conduire leur gouémon au haut de la pleine mer, la violence des vagues éboule souvent ces meulons, & fait périr ceux qui ont été assez téméraires de s'y exposer ; d'autres enfin se mettent à l'eau avec de longues perches, pour attirer à terre le gouémon qui flotte, & sont quelquefois emportés par le ressac de la lame.

L'ordonnance n'ayant pas pourvu à une pareille témérité, sa majesté intéressée à la conservation de ses sujets, n'a pas mis une police pour contenir ces malheureux riverains : les évêques avertis des malheurs qui arrivent à cette occasion par les recteurs qui les en ont informés, ont fait un cas réservé de cette récolte à eux seuls, pour contenir ceux qui s'exposeroient à périr en se mettant sur ces meulons, c'est tout ce que le juge ecclésiastique a pu de sa part.

VARECH, de la fabrique de la soude. Pour faire la soude, les pêcheurs ramassent tout le varech de flot & de rapport qui vient à la côte ; quand ils ont amassé une quantité de ces herbes, ils les sechent & les brûlent ensuite dans des trous ou especes de fourneaux qu'ils font au pié des falaises.

Voici la maniere de brûler le varech, telle qu'elle se pratique dans le ressort de l'amirauté de Cherbourg.

On construit une fosse longue de 7 à 8 piés, large de 3 à 4, & profonde au-dessus de l'atre de 18 à 20 pouces ; on sépare cette fosse en trois ou quatre au moyen de deux pierres plates, qui en traversent la largeur ; au fond sont des pierres brutes & plates, comme des gros carreaux, & que les riverains trouvent aisément le long de cette côte. Quand les fosses sont faites, on les remplit de varech sec ; on y met le feu, & l'on fournit des plantes toujours jusqu'à-ce que les cendres aient rempli une partie des fosses dont on casse la soude qui s'y est formée pour l'en retirer : ce petit commerce est de conséquence pour les riverains de cette amirauté.

On ne doit brûler les varechs que lorsque le vent chasse à la mer, à cause que la fumée de ces herbes fait du tort aux arbres. Voyez la figure 2. Pl. XVII. de Pêche.

Le commerce de la soude est très-avantageux aux marchands ; car les pêcheurs la leur vendent 30 livres le cent, & ils la revendent au-moins le double.

Le varech sert aussi à fumer les terres.

Dans certains lieux on halle le varech au haut de la côte, par le moyen d'un cheval qui tire une corde passée sur une poulie.

VARECH, (Jurisprudence) l'ancienne coutume de Normandie dit que tout ce que l'eau de la mer aura jetté à terre est varech : la nouvelle coutume comprend sous ce terme tout ce que l'eau jette à terre par la tourmente & fortune de mer, ou qui arrive si près de terre, qu'un homme à cheval y puisse toucher avec sa lance.

Le droit que certains seigneurs prétendent sur les effets que la mer a jettés à bord, s'appelle droit de varech.

La garde du varech appartient au seigneur dans le fief duquel il est trouvé.

S'il y a des choses périssables, elles doivent être vendues par autorité de justice.

Si le propriétaire reclame les effets dans l'an & jour, ils lui sont rendus ; mais après l'an & jour, ils appartiennent au seigneur féodal & au roi.

L'article 602 de la coutume de Normandie adjuge au roi l'or & l'argent, lorsqu'il vaut plus de 20 liv. les chevaux de service, francs-chiens, oiseaux, ivoire, corail, pierres, écarlate, le vair, le gris, les peaux zibelines non encore appropriées à usage d'homme, les pieces de draps & de soie, le poisson royal. Tous les autres effets appartiennent au seigneur.

Ce droit est confirmé en faveur des seigneurs de Normandie par l'ordonnance de la marine, l. IV. tit. ix. art. 3. & suiv.

Elle leur défend seulement de faire transporter les choses échouées dans leurs maisons, avant qu'elles aient été visitées par les officiers de l'amirauté.

Elle leur défend aussi d'empêcher les maîtres de se servir de leur équipage pour alléger leurs bâtimens échoués, & les remettre à flot, ni de les forcer de se servir de leurs valets & vassaux, sous peine de 1500 liv. d'amende, & de perte de leur droit.

L'ordonnance ne veut pas non-plus, que sous prétexte du droit de varech, les riverains prennent aucune part aux effets trouvés sur les flots, ou pêchés en pleine mer, & amenés sur les greves en l'endroit de leurs seigneuries, ni sur les poissons gras, & autres qui y sont conduits & chassés par l'industrie des pêcheurs.

Enfin, elle ordonne de punir de mort les seigneurs de fiefs voisins de la mer, & tous autres qui auroient forcé les pilotes ou locmans de faire échouer les navires aux côtes qui joignent leurs terres pour en profiter, sous prétexte du droit de varech ou autre.

Le titre suivant de la même ordonnance traite de la coupe du varech. Voyez les commentateurs de la coutume de Normandie, tit. de varech, & le commentaire de M. Valin, sur le tit. 9. de l'ordonnance de la marine. (A)

VARECH, (Marine) nom qu'on donne à un vaisseau qui est au fond de l'eau, & hors de service.


VAREMBONou VARAMBON, (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Bresse, près la riviere d'Ain. Elle est de l'élection de Bourg, & députe aux assemblées de la Bresse. Elle a un hôpital, & une église collégiale, soumise immédiatement au saint siége. Au milieu de cette église est le tombeau de son fondateur, le cardinal la Palue, mort l'an 1451. (D.J.)


VARENNES. f. (Gram.) fond plat & marécageux, entre des côteaux ; terrein considérable qui ne se fauche, ni se cultive. Il y a des varennes où le pâturage est bon, & où les paysans menent leurs troupeaux. On appelle jurisdiction de la varenne un tribunal établi au louvre, pour la conservation de la chasse dans les plaines situées à six lieues à la ronde de Paris.

VARENNE, (Commerce) mesure des grains dont on se sert en quelques endroits de la Savoye, particulierement à la Roche ; la varenne pese trente-une livres poids de Genève. Diction. de Comm.


VARENNES(Géog. mod.) autrefois petite ville de France, en Bourbonnois, élection de Moulins, près de l'Allier, aux frontieres de la basse Auvergne.

Cette place ne forme plus à présent qu'un village qui n'a pas cent habitans. (D.J.)


VARESSES. f. (Hist. nat.) animal quadrupede, carnassier, de l'île de Madagascar. Il est de la taille d'un renard ; il a la queue longue & très-fournie, son poil ressemble à celui d'un loup.


VARGIONES(Géog. anc.) peuple de la Germanie, selon Ptolémée, l. II. c. xj. on croit qu'ils habitoient vers les sources du Danube, dans le comté de Barr, en allemand bar-landgrafschaft. (D.J.)


VARIS. m. (Commerce) petit poids en usage parmi les anciens habitans de Madagascar, ou île Dauphine, comme l'appellent les François.

Le vari pese environ un demi-gros poids de marc. Il y a au-dessus le sompi, qui est le poids le plus fort dont ces barbares aient connoissance, & au-dessous le facare, puis le nanqui, & enfin le nanque : le vari, non plus que ces autres poids, ne servent qu'à peser l'or & l'argent. Voyez SOMPI, Dictionn. de Commerce.


VARIA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, selon Strabon, l. III. p. 162. & Ptolémée, l. II. c. vj. Ce dernier la donne aux Berones. Pline, l. III. c. iij. dit qu'elle étoit sur le bord de l'Ebre, dans l'endroit où ce fleuve commence à être navigable. On croit que la ville de Logrono s'est élevée de ses ruines. (D.J.)


VARIABLEadj. (Alg. & Géom.) on appelle quantités variables en Géométrie, les quantités qui varient suivant une loi quelconque. Telles sont les abscisses & les ordonnées des courbes, leurs rayons osculateurs, &c.

On les appelle ainsi par opposition aux quantités constantes, qui sont celles qui ne changent point, comme le diametre d'un cercle, le parametre d'une parabole, &c.

On exprime communément les variables par les dernieres lettres de l'alphabet x, y, z.

Quelques auteurs au-lieu de se servir de l'expression de quantités variables, disent des fluentes. Voyez FLUENTE & FLUXION.

La quantité infiniment petite, dont une variable quelconque augmente ou diminue continuellement, est appellée par les uns sa différence ou différencielle, & par les autres, sa fluxion. Le calcul de ces sortes de quantités est ce qu'on appelle le calcul différentiel ou le calcul des fluxions. Voyez DIFFERENTIEL & FLUXION. Chambers. (O)

VARIABLE, vent variable, est le nom qu'on donne aux vents qui ne paroissent point réglés, mais qui soufflent tantôt dans un tems, tantôt dans un autre, sans paroître observer aucune loi dans leur cours. Tels sont la plûpart des vents qui soufflent sur le continent, sur-tout dans nos climats, & dans les lieux éloignés de la mer. Voyez VENT.


VARIANA(Géog. anc.) ville de la basse-Moesie. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Veminaceum à Nicomédie. L'empereur Justinien releva cette ville qui étoit tombée en ruine. Son nom moderne, selon Lazius, est Varaden.


VARIANAE(Géogr. anc.) ville de la Pannonie, selon l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route de Hemona à Sirmium, entre Sescia & Memneianae, à 24 milles du premier de ces lieux, & à 20 milles du second. Le nom moderne, selon Ortélius, est Wara sur la Drave. (D.J.)


VARIATIONS. f. (en Algebre) est la même chose que permutation, ou en général combinaison. Voyez PERMUTATION & COMBINAISON.

VARIATION, en terme d'Astronomie. La variation de la lune, que Bouillaud appelle reflexio luminis, est la troisieme inégalité du mouvement de la lune, celle par laquelle le vrai lieu de cette planete, excepté dans les quadratures, differe de celui qu'on a trouvé par les deux premieres équations. Voyez LIEU, EQUATION, &c.

M. Newton fait dépendre la variation en partie de la forme de l'orbite lunaire qu'il suppose elliptique, & en partie de l'inégalité des espaces ou aires que la lune décrit en tems égaux dans la supposition que ces espaces ou aires soient terminés par des rayons tirés à la terre. Voyez LUNE.

Pour avoir la plus grande variation de la lune, il faut observer cet astre dans ses octants, & calculer le lieu de la lune pour cet instant. La différence entre le lieu vrai trouvé par l'observation, & celui que donne le calcul, est la plus grande variation. Tycho fait la plus grande variation de 40'30''; Kepler, de 51'49''. M. Newton suppose cette plus grande variation à la moyenne distance entre le soleil & la terre de 35'9''. Pour les autres distances, la plus grande variation est en raison composée de la raison doublée directe des tems de la révolution synodique de la lune, & de la raison triplée inverse des distances du soleil à la terre. Phil. nat. princ. mat. prop. xxix. lib. III. Ce grand philosophe est le premier qui ait expliqué la vraie cause de la variation de la lune. Il a démontré par le calcul qu'elle venoit de l'action du soleil sur cette planete ; que cette action, en dérangeant le mouvement de la lune dans son orbite, devoit tantôt accélérer le mouvement, tantôt le retarder, de maniere que la lune ne peut décrire autour de la terre des secteurs elliptiques exactement proportionnels aux tems correspondans, comme elle feroit suivant les loix de la gravitation, si elle étoit simplement attirée vers la terre. Voyez LUNE. Chambers.

VARIATION, en termes de Navigation, se dit de la déviation de l'aiguille aimantée par rapport à la vraie direction au nord, soit que cette déviation se fasse vers l'ouest, soit qu'elle se fasse vers l'est. On l'appelle aussi déclinaison, voyez DECLINAISON.

La variation ou la déclinaison de l'aiguille est proprement l'angle que l'aiguille magnétique suspendue librement fait avec la ligne méridienne dans le plan de l'horison ; ou ce qui revient au même, c'est un arc de l'horison compris entre le vrai méridien & le méridien magnétique. Voyez AIGUILLE.

Tous les corps magnétiques se rangent d'eux-mêmes à-peu près dans le méridien ; mais il est rare qu'ils s'y placent exactement. Dans un lieu ils déclineront du nord à l'est & du sud à l'ouest ; dans un autre ce sera du nord à l'ouest & du sud à l'est, & cette variation sera aussi différente en différens tems. Voyez MAGNETISME.

On a imaginé différentes hypothèses pour expliquer ce phénomene si extraordinaire ; nous n'en rapporterons que quelques-unes.

La premiere est celle de Gilbert, qui a été suivie par Cabeus, &c.

Ces auteurs pensoient que les terres attiroient l'aiguille, & la détournoient de sa vraie situation méridienne, & ils prétendoient que l'aiguille avoit une déviation plus ou moins grande, suivant qu'elle étoit plus ou moins éloignée de quelque grand continent ; en sorte que si on étoit sur mer, dans un lieu également distant de toutes les terres, l'aiguille n'auroit aucune déclinaison.

Suivant ce système, dans les îles Açores, qui sont également distantes de l'Afrique à l'est, & de l'Amérique à l'ouest, l'aiguille ne doit point avoir de déclinaison. Si de ces îles on va vers l'Afrique, l'aiguille doit commencer à décliner du nord à l'est, & cela d'autant plus qu'on approche plus de la côte. Et continuant ensuite d'aller vers l'est, en s'avançant par terre dans le coeur de l'Afrique, ou en allant vers le cap de Bonne-Espérance, la déclinaison doit diminuer continuellement, à cause que les parties occidentale & orientale de l'Afrique attirent l'aiguille en sens contraires, & diminuent par ce moyen l'action l'une de l'autre. Et enfin si l'on arrive à un lieu où les espaces de terre des deux côtés soient les mêmes, la déclinaison doit encore devenir nulle comme auparavant.

Les observations faites pendant les voyages des Indes orientales sembloient confirmer ce système, car aux Açores la déclinaison étoit en effet nulle, ensuite allant vers le cap de Bonne-Espérance, la variation étoit toujours à l'est ; mais lorsqu'on étoit au cap des Aiguilles qui sépare l'Afrique en deux parties égales, on ne trouvoit aucune variation, jusqu'à-ce qu'en avançant après pour laisser les côtes de l'Afrique à l'ouest, la déclinaison devenoit occidentale.

Mais cette loi n'a point lieu généralement, & le grand nombre d'observations faites de tous les côtés, & rassemblées par le docteur Halley, renversent entierement cette théorie.

D'autres physiciens ont recours à la contexture de l'intérieur de la terre, qui étant pleine de mines, rochers, &c. placés en plus grand nombre vers les poles qu'ailleurs, mais rarement dans la direction du méridien, obligent l'aiguille à tendre en général vers les poles, mais avec des variations.

Quelques-uns veulent que les différentes parties de la terre ayent différens degrés de vertu magnétique, à raison de ce que ces parties contiennent plus ou moins de matiere hétérogene, & propre à diminuer l'effet de celles qui ont la vertu magnétique.

Plusieurs attribuent toute la déclinaison aux mines d'aimant & de fer, qui ayant plus de vertu magnétique que le reste de la terre, attirent l'aiguille avec plus de force.

Enfin il y a des physiciens qui ont imaginé que les tremblemens de terre, ou les grandes marées ont pu déranger plusieurs parties considérables de la terre, & en changer l'axe magnétique qui étoit originairement le même que l'axe de la terre.

Mais toutes ces hypothèses sont détruites par la variation de la variation, c'est-à-dire par le changement continuel de la déclinaison dans le même lieu, phénomene si singulier & cependant démontré par toutes les observations modernes.

C'est ce qui a engagé M. Halley à donner un nouveau système qui est le résultat d'une infinité d'observations, & de plusieurs grands voyages ordonnés à ce sujet par la nation angloise. Cette théorie demande donc un détail plus ample. Les observations sur lesquelles elle est fondée, se trouvent dans les Transactions philosophiques de la maniere suivante.

Observations des variations de l'aiguille, faites en divers lieux & en divers tems.

De toutes ces observations notre savant auteur conclut 1°. que par toute l'Europe la variation pour le présent est occidentale, & qu'elle l'est davantage dans les lieux orientaux que dans les occidentaux, son augmentation se faisant du côté de l'orient.

2°. Que sur les côtes de l'Amérique la variation est occidentale & augmente à mesure que l'on va au nord le long des côtes.

Dans la Terre-neuve à environ 30 degrés du détroit d'Hudson, cette variation est de plus de 20 degrés, & n'est pas moindre que 57 dans la baie de Baffins ; mais lorsque l'on cingle à l'est de cette côte, la variation diminue. D'où il s'ensuit, suivant lui, qu'entre l'Europe & le nord de l'Amérique, il doit y avoir une variation à l'est, ou au-moins une variation nulle.

3°. Que sur la côte du Brésil la variation est à l'est, en augmentant à mesure qu'on va vers le sud ; au cap Frio elle est d'environ 12 degrés. De 20 1/2 degrés à l'embouchure de la riviere de la Plata ; de-là en cinglant au sud-ouest, vers le détroit de Magellan, elle n'est plus que de 17 degrés à son entrée orientale, & de 14 à son entrée occidentale.

4°. Qu'à l'est du Brésil cette variation à l'est diminue, ensorte qu'elle est très-peu de chose à l'île Sainte-Helene, & à celle de l'Ascension, & qu'elle est tout-à-fait nulle à environ 18 degrés de longitude du cap de Bonne-Espérance.

5°. Qu'à l'est de ces mêmes lieux commence la variation à l'ouest, qui s'étend dans toute la mer des Indes ; cette variation est d'environ 18 degrés sous l'équateur, dans le méridien de la partie septentrionale de Madagascar, & de 27 1/2 degrés au 29 degré de latitude méridionale proche le même méridien ; & elle va ensuite en décroissant en allant vers l'est, en sorte qu'elle n'est plus que d'environ 8 degrés au cap Comorin, d'environ 3 degrés à la côte de Java, & entierement nulle vers les îles Moluques, aussi-bien qu'un peu à l'ouest de la terre de Van Diemen.

6°. Qu'à l'est des îles Moluques & de la terre de Van Diemen par des latitudes méridionales, commence une autre variation orientale qui ne paroît pas si forte que la premiere, & qui ne semble pas non plus s'étendre si loin ; car celle qu'on observe à l'île de Rotterdam, est sensiblement moindre que celle qui est à la côte orientale de la nouvelle Guinée ; & en la regardant comme décroissante, on peut bien supposer qu'à environ 20 degrés plus à l'est, c'est-à-dire à 225 degrés de Londres, & à 20 degrés de latitude au sud, commence alors la variation occidentale.

7°. Que la variation observée à Baldivia & à l'entrée occidentale du détroit de Magellan, fait voir que la variation orientale remarquée dans la troisieme observation, décroît très-promtement, & qu'elle ne s'étend guere qu'à quelques degrés dans la mer du Sud en s'éloignant des côtes du Pérou & du Chili, étant suivie d'une petite variation occidentale dans cette plage inconnue, qui est entre le Chili & la nouvelle Zélande, entre l'île de Hound & le Pérou.

8°. Qu'en allant au nord-ouest de Sainte-Helene jusqu'à l'équateur, la variation continue toujours à l'est, & très-petite, étant, pour ainsi dire, presque toujours la même ; en sorte que dans cette partie du monde, la ligne qui est sans variation n'est point du-tout un méridien, mais plutôt une ligne nord-ouest.

9°. Qu'à l'entrée du détroit d'Hudson & à l'embouchure de la riviere de la Plata qui sont à peu-près sous le même méridien, l'aiguille varie dans l'un des lieux de 29 1/2 degrés à l'ouest, & à l'autre 20 1/2 degrés à l'est.

Théorie de la variation de l'aiguille aimantée donnée par M. Halley. Par le moyen de toutes les circonstances que nous venons de rapporter, M. Halley a imaginé cette hypothèse, que tout le globe entier de la terre est un grand aimant, ayant quatre poles magnétiques ou points d'attractions, deux voisins du pole arctique du monde, deux voisins du pole antarctique, & que l'aiguille en quelque lieu qu'elle soit, éprouve l'action de chacun de ces quatre poles, mais toujours une action plus forte du pole dont elle est voisine que des autres.

M. Halley conjecture que le pole magnétique le plus voisin de nous, est placé sur le méridien qui passe par Landsend, & est à environ 7 degrés de distance du pole arctique. C'est ce pole principalement qui régit toute la variation en Europe & en Tartarie, & dans la mer du Nord, quoiqu'à la vérité son action doive être combinée avec celle de l'autre pole septentrional, qui est dans le méridien du milieu de la Californie, & à environ 15 degrés du pole arctique ; cet autre pole régit à son tour la plus grande partie de la variation dans le nord de l'Amérique, les deux Océans qui l'environnent depuis les Açores à l'ouest jusqu'au Japon, & par-delà.

Les deux poles du sud, dans la même hypothese, sont un peu plus distans du pole antarctique, que les deux du nord ne le sont du pole arctique. Le premier de ces deux poles est à environ 16 degrés du pole antarctique dans le méridien qui passe à 20 degrés à l'ouest du détroit de Magellan, c'est-à-dire à 95 degrés à l'ouest de Londres ; & la puissance de ce pole s'étend dans toute l'Amérique méridionale, dans la mer Pacifique & dans la plus grande partie de la mer d'Ethiopie ; l'autre pole méridional semble être le plus puissant de tous, & il est en même tems le plus éloigné du pole antarctique, étant à environ 20 degrés de ce pole dans le méridien qui passe par la nouvelle Hollande à l'île de Celebes, à environ 120 degrés à l'est de Londres. La puissance de ce pole s'étend sur toute la partie méridionale de l'Afrique, sur l'Arabie, la mer Rouge, la Perse, les Indes & toutes leurs îles, toute la mer des Indes depuis le cap de Bonne-Espérance en allant à l'est jusqu'au milieu de la grande mer du Sud qui sépare l'Asie de l'Amérique.

Tel paroît l'état actuel des forces magnétiques sur la terre. Il reste à faire voir comment cette hypothese explique toutes les variations qui ont été observées, & comment elle répond aux différentes remarques faites sur la table de ces observations.

1°. Il est clair que notre pole magnétique d'Europe étant dans le méridien qui passe par Landsend, tous les lieux qui sont plus orientaux que ce méridien, doivent l'avoir à l'ouest de leur méridien, & que par conséquent l'aiguille attirée par ce pole aura alors une déclinaison occidentale, qui augmentera à mesure qu'on ira plus à l'est, jusqu'à-ce qu'ayant passé le méridien où cette déclinaison est dans son maximum, elle aille ensuite en décroissant ; aussi trouve-t-on, conformément à ce principe, qu'à Brest la variation est de 1 3/4, à Londres 4 1/2 degrés, à Dantzick de 7 degrés à l'ouest (en 1683).

Plus à l'ouest du méridien qui passe par ce même pole magnétique, l'aiguille devroit avoir, en vertu de l'attraction de ce pole, une variation orientale ; mais à cause qu'on approche alors du pole de l'Amérique, qui est à l'ouest du premier, & paroît avoir une force plus considérable, l'aiguille est attirée par ce pole à l'ouest assez sensiblement pour contrebalancer la tendance à l'est causée par le premier pole, & pour en causer même une petite à l'orient dans le méridien de ce premier pole. Cependant à l'île de Tercere on suppose que le pole d'Europe l'emporte assez sur l'autre pour donner à l'aiguille une variation à l'est, quoiqu'à la vérité pendant un très-petit espace, le contrebalancement des deux poles ne permettant pas une variation considérable dans toute la partie orientale de l'Océan atlantique, ni sur les côtes occidentales de l'Angleterre, de l'Irlande, de la France, de l'Espagne & de la Barbarie. Mais à l'ouest des Açores, où la puissance du pole de l'Amérique surpasse celle du pole d'Europe, l'aiguille est plus soumise pour la plus grande partie par le pole de l'Amérique, & se dirige de plus en plus vers ce pole à mesure qu'on en approche ; en sorte que lorsqu'on est à la côte de la Virginie, de la nouvelle Angleterre & du détroit d'Hudson, la variation est à l'ouest, & augmente à-mesure qu'on s'éloigne d'Europe, c'est-à-dire qu'elle est moindre dans la Virginie & dans la nouvelle Angleterre, que dans la Terre neuve & dans le détroit d'Hudson.

2°. Cette variation occidentale décroît ensuite à mesure qu'on va dans le nord de l'Amérique ; vers le méridien du milieu de la Californie l'aiguille est dirigée exactement au nord, & en allant plus à l'ouest, comme à Yeço & au Japon, la variation redevient orientale. Vers le milieu du trajet, qui est entre l'Amérique & l'Asie, cette déclinaison n'est guere moindre que de 15 degrés. Cette variation orientale s'étend sur le Japon, la terre de Yeço, une partie de la Chine, la Tartarie orientale, enfin jusqu'au point où la variation redevient occidentale par l'approche du pole d'Europe.

3°. Dans le sud les effets sont entierement les mêmes, à cela près que c'est le bout méridional de l'aiguille qui est attiré par les poles méridionaux ; ensorte que la variation sur les côtes du Brésil, à la riviere de la Plata & au détroit de Magellan, sera orientale, si on suppose un pole magnétique à environ 20 degrés plus à l'ouest que le détroit de Magellan. Et cette variation orientale s'étendra sur la plus grande partie de la mer d'Ethiopie, jusqu'à-ce qu'elle se trouve contrebalancée par la puissance de l'autre pole du sud, c'est-à-dire jusqu'à la moitié du trajet qui est entre le cap de Bonne-Espérance & les îles de Tristan d'Acunha.

4°. De-là vers l'est, le pole méridional d'Asie reprend le dessus, & attirant le bout méridional de l'aiguille, il arrive une variation occidentale qui est très-considérable, & qui s'étend fort loin à cause de la grande distance entre ce pole & le pole antarctique du monde. C'est ce qui fait que vers la mer des Indes, aux environs de la nouvelle Hollande & plus loin, il y a constamment une variation occidentale sous l'équateur même ; elle ne va pas moins qu'à 18 degrés dans les endroits où elle est la plus forte. De plus, vers le méridien de l'île de Celebes, en vertu du pole qui y est supposé, la variation occidentale cesse, & il en naît une orientale qui s'étend jusqu'au milieu de la mer du Sud, entre le milieu de la nouvelle Zélande & du Chili, & laisse ensuite une plage où il se trouve une petite variation occidentale dépendante du pole méridional de l'Amérique.

5°. De tout cela il suit que la direction de l'aiguille dans les zones froides & dans les zones tempérées, dépend principalement du contrebalancement des forces des deux poles magnétiques du même hémisphere, forces qui peuvent aller jusqu'à produire dans le méridien une variation occidentale de 29 1/2 degrés en un endroit, & une variation orientale de 20 1/2 dans un autre.

6°. Dans la zone torride, & particulierement sous l'équateur, il faut avoir égard aux quatre poles à-la-fois, & à leur position par rapport au lieu où l'on est, sans quoi l'on ne pourroit pas déterminer aisément la quantité dont la variation doit être ; parce que le pole le plus proche, quoique le plus fort, ne l'est pas toujours assez pour contrebalancer l'effet des deux poles les plus éloignés concourant ensemble. Par exemple, en cinglant de Sainte-Helene à l'équateur dans une course au nord-ouest, la variation est tant-soit-peu orientale, & toujours de même dans tout ce trajet, parce que le pole méridional de l'Amérique, qui est considérablement le plus proche de ces lieux-là, & qui demanderoit une grande variation à l'est, est contrebalancée par les actions réunies du pole du nord de l'Amérique & du pole méridional de l'Asie, & que dans la route nord-ouest la distance au pole méridional de l'Amérique variant très-peu, ce que l'on perd en s'éloignant du pole méridional de l'Asie, on le gagne en s'approchant du pole septentrional de l'Amérique.

On trouveroit de la même maniere la variation dans les autres lieux voisins de l'équateur, & l'on trouveroit toujours que ce système s'accorde avec les variations observées. Voyez plus bas VARIATION DE VARIATION.

Maniere d'observer la variation ou déclinaison de l'aiguille aimantée. Tirez une méridienne par la méthode enseignée à l'article qui en traite, plaçant ensuite votre boussole, ensorte que le pivot de l'aiguille soit au milieu de la méridienne, l'angle que fera l'aiguille avec cette même méridienne, sera la déclinaison cherchée. Voyez BOUSSOLE.

Comme cette méthode ne sauroit être pratiquée sur mer, on a imaginé différentes manieres d'y suppléer : voici la principale. Suspendez un fil à plomb au-dessus de la boussole, ensorte que l'ombre passe par le centre de cette boussole ; observez le rumb ou le point de la boussole lorsque l'ombre est la plus courte, & vous aurez aussi-tôt la déclinaison cherchée, puisque l'ombre est dans ce cas la méridienne.

On peut s'y prendre aussi de cette maniere. Observez le rumb où le soleil se couche & se leve, ou bien celui du lever & du coucher de quelque étoile, divisez en deux l'axe compris entre ces deux points, ce qui donnera le méridien, & par conséquent la déclinaison. On la trouveroit de même en prenant deux hauteurs égales de la même étoile, soit pendant le jour, soit pendant la nuit.

On y pourroit encore parvenir ainsi. Observez le rumb où le soleil ou quelque étoile se couche ou se leve ; par le moyen de la latitude & de la déclinaison trouvez l'amplitude orientale ou occidentale, cela fait la différence entre l'amplitude ; & la distance du rumb observé au point d'est de la boussole, sera la variation cherchée.

Ou bien encore. Observez la hauteur S I du soleil ou de quelque étoile (Pl. navigat. fig. 20.) dont la déclinaison est connue, & marquez le rumb de la boussole lequel répond à l'astre observé dans cette hauteur. Ayant alors dans le triangle Z P S les trois côtés, P Z complément de la latitude P R, S P complément de la déclinaison D S, & Z S complément de la hauteur S I ; vous aurez l'angle P Z S par la trigonométrie sphérique (voyez TRIANGLE) ; & par conséquent aussi l'angle A Z S qui mesure l'azimuth H I ; cela fait, la distance entre l'azimuth & la distance du rumb observé au point du sud, sera la variation cherchée.

Remarquez que pour avoir l'amplitude orientale ou occidentale avec exactitude il faut avoir égard à la réfraction, dont les loix sont expliquées à l'article REFRACTION.

Afin d'observer plus commodément dans quel rumb on voit un astre, il est bon de se servir d'un instrument garni d'alidades ou de pinnules, ou de quelque chose d'équivalent, au moyen de quoi on déterminera avec plus de précision la position du vertical dans lequel l'astre est placé. Voyez COMPAS AZIMUTHAL.

VARIATION DE LA VARIATION, Variation de variation, c'est le changement qu'on observe dans la déclinaison de l'aiguille dans un même lieu. Cette variation a été premierement remarquée par Gassendi. Suivant M. Halley elle dépend du mouvement des parties intérieures du globe.

Théorie de la variation de la variation. De toutes les observations ci-dessus rapportées sous l'article VARIATION, il semble suivre que tous les poles magnétiques ont un mouvement vers l'ouest, mais un mouvement qui ne sauroit se faire autour de l'axe de la terre ; car alors la variation continueroit d'être la même dans tous les lieux placés sous le même parallele, & les poles magnétiques seroient toujours à la même distance des poles du monde. L'expérience prouve le contraire, puisqu'il n'y a aucun lieu entre l'Amérique & l'Angleterre à la latitude de 51 1/2 degrés où la variation soit de 11 degrés à l'est comme elle a été à Londres : il semble donc que le pole d'Europe s'est plus approché du pole arctique qu'il n'étoit, ou qu'il a perdu une partie de sa force.

Mais ce mouvement des poles magnétiques est-il commun à tous les quatre à-la-fois, ou sont-ce des mouvemens séparés ? ces mouvemens sont-ils uniformes ou inégaux ? la révolution est-elle en aire ou est-ce simplement une vibration autour duquel centre se fait ce mouvement ? ou de quelle maniere se fait cette vibration ? c'est ce qui est entierement inconnu.

Et toute cette théorie semble avoir quelque chose d'obscur & de défectueux ; car de supposer quatre poles à un même globe magnétique afin d'expliquer la variation, c'est déjà une hypothèse qui n'est pas fort naturelle ; mais de vouloir de plus que ces poles se meuvent de maniere à donner la variation de la variation, c'est une supposition véritablement étrange ; en effet, donner une telle solution, ce seroit laisser le problème tout aussi embarrassé qu'auparavant.

Le savant auteur de cette théorie a senti cet inconvénient & y a remédié de la maniere suivante.

Il regarde l'extérieur de la terre comme une croute laquelle renferme au-dedans un globe qui en fait le noyau, & il suppose un fluide qui remplit l'espace compris entre ces deux corps ; il suppose de plus que ce globe intérieur a le même centre que la croute extérieure, & qu'il tourne aussi autour de son axe en vingt-quatre heures, à une très-petite différence près, laquelle étant répétée par un grand nombre de révolutions, devient assez forte pour empêcher les parties du noyau de répondre aux mêmes parties de la croute, & pour donner à ce noyau à l'égard de la croute un mouvement ou à l'est ou à l'ouest.

Or par le moyen de cette sphere intérieure & de son mouvement particulier, on peut résoudre aisément les deux grandes difficultés faites contre la premiere hypothese ; car si la croute extérieure de la terre est un aimant dont les poles soient à une certaine distance de ceux du monde, & que le noyau soit de même un autre aimant ayant les poles placés aussi à une certaine distance de ceux du monde, & différemment des poles de la croute ; par le mouvement de ce globe la distance entre ses poles & ceux de l'extérieur variera, & l'on aura facilement l'explication des phénomènes ci-dessus rapportés. Comme la période de ce mouvement doit être d'une très-longue durée, & que les observations sur lesquelles on peut compter donnent à peine un intervalle de cent ans, il paroît jusqu'à présent presque impossible de fonder aucun calcul sur cette hypothèse, & surtout depuis qu'on a remarqué que quoique les variations croissent ou décroissent régulierement dans le même lieu, elles ont cependant des différences sensibles dans des lieux voisins, qu'on ne sauroit réduire à aucun système régulier & qui semblent dépendre de quelque matiere distribuée irrégulierement dans la croute extérieure de la terre, laquelle matiere en agissant sur l'aiguille, la détourne de la déclinaison qu'elle auroit en vertu du magnétisme général du système entier de la terre. Les variations observées à Londres & à Paris donnent un exemple bien sensible de ces exceptions, car l'aiguille a été constamment de 1 1/2 degrés plus oriental à Paris qu'à Londres, quoiqu'il dût résulter des effets généraux, que cette différence de déclinaison eût dû arriver dans un sens contraire, cependant les variations dans les deux lieux suivent la même marche.

Les deux poles fixes, comme nous l'avons déjà dit, sont supposés ceux du globe extérieur ou croute, & les deux mobiles ceux du globe intérieur ou noyau. Le mouvement de ces poles se fait à l'ouest, ou ce qui revient au même, le mouvement du noyau n'est pas absolument le même que celui de la croute, mais il en differe si peu, qu'en 365 révolutions la différence est à peine sensible. La différence de ces deux révolutions viendra vraisemblablement de ce que la premiere impulsion du mouvement de la terre aura été donnée à la croute, & qu'en se communiquant de-là à l'intérieur, elle n'aura pas donné exactement le même mouvement au noyau.

Quant à la durée de la période, on n'a pas un nombre suffisant d'observations pour les déterminer, quoique M. Halley conjecture avec quelque vraisemblance que le pole de l'Amérique a fait 96 degrés en quarante ans, & qu'il emploie environ sept cent ans à sa révolution entiere.

M. Whiston dans son traité intitulé, New laws of magnetism, nouvelles loix du magnétisme, a fait plusieurs objections contre la théorie de M. Halley qu'on vient d'exposer. En effet, on ne sauroit disconvenir qu'il n'y ait encore du vague & de l'obscur dans toute cette théorie, & nous croyons avec M. Musschenbroeck, qu'on n'est point encore parvenu à une explication suffisante & bien démontrée de ce phénomène singulier, le plus extraordinaire peut-être de tous ceux que la nature nous offre en si grande abondance. Chambers.

De-là & de quelques autres observations de même nature, il paroît clair que les deux poles du globe extérieur sont fixés à la terre, & que si l'aiguille n'étoit soumise qu'à ces poles, les variations seroient toujours les mêmes, à certaines irrégularités près, qui seroient de la même espece que celles dont nous venons de parler. Mais la sphere intérieure ayant un mouvement qui change graduellement la situation de ses poles à l'égard des premiers, elle doit agir aussi sur l'aiguille, & produire une déclinaison différente de la premiere, qui dépende de la révolution intérieure, & qui ne se rétablisse qu'après que les deux corps se retrouvent dans la même position l'un à l'égard de l'autre. Si par la suite les observations apprennent qu'il en est autrement, on en pourra conclure qu'il y a plus d'une sphere intérieure & plus de quatre poles ; ce qui jusqu'à présent ne sauroit être déterminé par les observations dont on a un trop petit nombre, sur-tout dans cette vaste mer du Sud qui occupe la plus grande partie de la terre.

Dans la supposition de quatre poles, dont deux sont fixes & deux variables, on peut aisément reconnoître quels sont ceux qui doivent être fixes. M. Halley pense qu'il est suffisamment prouvé que notre pole d'Europe est celui des deux poles du nord qui se meut, & que c'est-là principalement la cause des changemens qu'éprouve la déclinaison de l'aiguille dans nos contrées ; car dans la baie d'Hudson, qui est sous la direction du pole d'Amérique, le changement de variation, suivant qu'on l'a observé, ne va pas, à beaucoup prés, aussi loin que dans les parties de l'Europe où nous sommes, quoique ce pole de l'Amérique soit beaucoup plus éloigné de l'axe. Quant aux poles du sud, M. Halley regarde celui d'Asie comme fixe, & conséquemment celui d'Amérique comme mobile.

VARIATION, (Marine) c'est un mouvement inconstant de l'aiguille, qui la dérange de sa direction au nord. Voyez DECLINAISON.

On dit que la variation vaut la route, lorsque la variation & le vent sont du même côté ; desorte que l'un corrige la perte que l'autre cause.

VARIATIONS, en Musique, sont différentes manieres de jouer ou de chanter un même air, en y ajoutant plusieurs notes pour orner ou figurer le chant. De quelque maniere qu'on puisse charger les variations, il faut toujours qu'au-travers de toutes ces broderies on reconnoisse le fond de l'air, qu'on appelle le simple ; & il faut en même tems, que le caractere de chaque couplet soit marqué par des différences qui soutiennent l'attention, & préviennent l'ennui.

Les divers couplets des folies d'Espagne sont autant de variations ; il y en a souvent dans les chaconnes ; l'on en trouve plusieurs sur des arie italiennes ; & tout Paris est allé admirer au concert spirituel les variations des sieurs Guignon & Mondonville, & plus récemment des sieurs Guignon & Gavinité sur des airs du Pont-neuf, qui n'avoient guere d'autre mérite, que d'être ainsi variés par les plus habiles violons de France. (S)

VARIATION, CHANGEMENT, (Synonym.) la variation consiste à être tantôt d'une façon & tantôt d'une autre ; le changement consiste seulement à cesser d'être le même.

C'est varier dans ses sentimens, que de les abandonner & les reprendre successivement. C'est changer d'opinion, que de rejetter celle qu'on avoit embrassée pour en suivre une nouvelle.

Les variations sont ordinaires aux personnes qui n'ont point de volonté déterminée ; le changement est le propre des inconstans.

Qui n'a point de principes certains est sujet à varier ; qui est plus attaché à la vérité, n'a pas de peine à changer de doctrine. Girard. (D.J.)


VARICES. f. (Chirurgie) varix ; les Médecins donnent le nom de varice, à ces tubercules inégaux, noueux, & noirâtres des veines, qui ont coutume de se former en différentes parties de l'habitude du corps, mais le plus souvent autour des chevilles, & quelquefois plus haut, comme aux jambes, aux cuisses, au scrotum, & même à la tête & au bas-ventre, ainsi que Celse l'observe, lib. VII. cap. xxxj.

Cette maladie affecte ordinairement les femmes grosses, aussi-bien que les personnes qui ont le sang épais, ou qui sont affligées de douleurs dans les hypocondres, d'une obstruction au foie, ou d'un skirrhe.

Plus les varices augmentent, plus elles deviennent douloureuses & incommodes, par la tension que les membranes souffrent ; elles s'ouvrent même quelquefois, & rendent beaucoup de sang, ou bien elles dégénerent en des ulceres extrêmement malins. Les petites varices sont rarement incommodes ; aussi n'employe-t-on guere les secours de la Chirurgie pour y remédier.

Pour empêcher cependant qu'un mal aussi peu considérable en apparence n'augmente, & ne nuise à la fin au malade, il convient de lui ouvrir la veine sans délai, de lui tirer une bonne quantité de sang, & de lui prescrire ensuite un régime convenable. Cela fait, on assurera le pié malade, le mieux qu'il sera possible, avec un bandage expulsif, en le resserrant à mesure qu'il se lâchera, & se donnant bien de garde de l'ôter, tant qu'on aura lieu de craindre que la maladie augmente.

Celse nous apprend que les anciens délivroient leurs malades des varices dont ils étoient affligés, par le cautere ou l'incision : mais les modernes se servent d'une méthode beaucoup moins cruelle. Lorsque les varices sont devenues d'une grosseur considérable, on se sert du bandage, dont on vient de parler, pour comprimer & fortifier les veines qui sont dilatées au-delà de leur juste mesure ; on a pris soin de tremper auparavant le bandage dans du vin rouge chaud, dans une décoction astringente, ou dans du vinaigre & de l'alun, & l'on applique par-dessus une plaque de plomb fort mince, en l'assurant de façon qu'elle ne puisse point tomber.

Dionis assure qu'il ne connoît point de meilleur moyen pour comprimer les varices, qu'une bottine de peau de chien, ou d'autre peau semblable, que l'on taille & proportionne à la grosseur de la jambe, en y pratiquant des oeillets pour la laçer en-dehors, à l'aide d'un cordon, & la serrer autant que le malade peut le souffrir ; au moyen de quoi la jambe éprouve une compression égale, sans qu'on soit obligé de l'ôter la nuit : on peut faire aussi ces sortes de bottines avec du gros linge.

Le remede le plus efficace contre les varices, si l'on en croit Harris, Dissert. chirurg. viij. est de frotter la partie affectée le plus souvent qu'on peut, avec de la teinture de myrrhe, & de la couvrir ensuite avec l'emplâtre de soufre de Rulland. Ce remede produit beaucoup plus d'effet, lorsqu'on a soin de comprimer la partie avec un bandage, ou avec les bottines dont on vient de parler.

Les chirurgiens de l'antiquité guérissoient les varices par le cautere ou l'excision ; cette derniere opération consistoit à couper la peau qui couvre la varice, à saisir la partie viciée de la veine avec un crochet, à la retrancher entierement, & à panser ensuite la plaie avec une emplâtre. Gouey dans sa chirurgie, prétend que la maniere la plus promte, & en même tems la plus sûre de guérir les varices, est de passer une aiguille courbe enfilée de deux fils cirés au-dessous du vaisseau variqueux, de les couper près de l'aiguille, & d'en couler un au-dessus de la varice ; de lier ces deux fils à un bon pouce l'un de l'autre ; de couper la veine entre deux, & de laisser sortir une quantité suffisante de sang ; après quoi l'on panse la plaie avec quelque digestif, & l'on fait garder le lit au malade jusqu'à ce qu'elle soit tout-à-fait consolidée ; mais cette méthode n'a point eu de partisans, & avec raison.

L'opération des anciens par le cautere, consistoit à couper la peau, à découvrir la veine, & à la cautériser avec un fer rouge, en écartant les lévres de la plaie avec des crochets pour ne point les brûler ; cela fait, on pansoit la plaie avec des remedes propres pour les brûlures. Harris regarde ces méthodes comme insensées & cruelles : il faut avouer cependant que les varices causent quelquefois des douleurs si violentes, qu'il est à craindre qu'il n'en résulte quelque rupture durant la nuit, avec danger de mort ; pour lors l'on est obligé d'avoir recours au bistouri, & à l'aiguille.

De quelque façon que l'on remédie aux varices, il faut pour empêcher qu'elles ne reviennent, s'abstenir de tout aliment grossier, manger peu, & n'user que de liqueurs légeres ; telles que l'eau, le gruau à l'angloise, & autres infusions faites avec des plantes convenables. On doit aussi faire beaucoup d'exercice, se frotter tous les jours les piés, & se faire saigner deux fois par an, dans le printems, & dans l'automne.

Ces précautions sont également nécessaires à ceux dont les varices ne font que commencer, & qui veulent se mettre à couvert des accidens qui demandent le fer & le feu. Muys parle d'une varice compliquée, dont il tiroit tous les ans une livre de sang, à dessein de prévenir l'éruption des ulceres. Heister. (D.J.)

VARICE, (Maréchall.) on appelle ainsi dans le cheval une grosseur au-dedans du jarret près de l'endroit où est située la courbe. C'est la veine crurale qui se dégorge en cet endroit, & y fait une tumeur molle & indolente.


VARICOCELES. m. (Maladie chirurgicale) tumeur contre nature des testicules ou du cordon spermatique, occasionnée par l'engorgement des veines de ces parties : les causes de cette maladie sont les mêmes que celles des varices. Voyez VARICES.

Dans cette maladie on sent le testicule ou le corps pampiniforme composé de gros noeuds : si l'on n'y remédie pas d'abord, la dilatation occasionnée par le sang engorgé, sera suivie de douleur & de gonflement à l'épidydime & au testicule ; elle pourra aussi donner lieu par la suite à une hydrocele. Voyez HYDROCELE.

La situation horisontale du corps est très-avantageuse dans cette maladie, parce que dans cette position le retour du sang devient plus libre.

Quand le malade est debout, il faut qu'il porte un suspensoir, afin de prévenir le tiraillement & la douleur que pourroit causer le poids du scrotum, en laissant les bourses libres & pendantes. Ce bandage doit être par cette raison d'un usage constant dans toutes les tumeurs de cette partie. Voyez SUSPENSOIR.

Si le varicocele a fait beaucoup de progrès, & que les vaisseaux se trouvent généralement engorgés, il faut avoir recours aux saignées & aux autres évacuations générales, pour tâcher de les vuider un peu ; & on employera les topiques astringens pour en rétablir le ressort.

Si la douleur étoit considérable, & si la tumeur menaçoit de quelque autre fâcheux accident, il faudroit inciser les tégumens, découvrir les veines variqueuses, les inciser pour en procurer le dégorgement, & en faire ensuite la ligature ; on observera de ne pas comprendre toutes les ramifications dans la ligature, afin d'en conserver pour le retour du sang.

On trouvera des observations très-intéressantes sur cette maladie, & sur l'opération dont nous venons de parler, dans le traité d'opérations que feu M. Petit avoit promis, & dont les héritiers de ce grand chirurgien ne doivent pas priver le public. (Y)


VARICOMPHALES. m. terme de Chirurgie, tumeur du nombril formée par des vaisseaux veineux dilatés. Elle est bleuâtre ou d'un brun livide, avec ou sans douleur, suivant le degré de plénitude des vaisseaux engorgés, & la disposition inflammatoire accidentelle. La tumeur variqueuse est quelquefois une complication de la hernie intestinale ou épiploïque. Voyez EXOMPHALE. La cure des varices de l'ombilic doit être tentée par l'usage des remedes généraux & l'application locale des remedes astringens aidés d'une compression méthodique. Si ces secours sont sans effet, il faut en venir à l'opération, qui consiste à vuider le sang au moyen d'une incision par la lancette ; lorsque le dégorgement est fait, on applique des plumaceaux & des compresses trempées dans une eau astringente & dessicative que l'on continue jusqu'à la guérison, s'il est possible de l'obtenir. (Y)


VARIÉadj. (Méch.) on appelle en général mouvement varié celui qui n'est pas uniforme, suivant quelque loi que se fasse d'ailleurs ce mouvement. Voyez MOUVEMENT & UNIFORME.


VARIÉTÉS. f. (Gram.) c'est la multitude de choses diverses. On dit la variété des objets rend le spectacle de la nature toujours intéressant ; il amuse par la variété des idées ; la variété des opinions étonne ; pour plaire long-tems, il faut savoir introduire de la variété dans ses ouvrages ; la variété, sur-tout dans les grandes productions, est un des principaux caracteres de la beauté.

VARIETE, (Botan.) les botanistes appellent variétés des différences entre des plantes de même nom, mais des différences inconstantes, passageres, qui tantôt paroissent, & tantôt ne paroissent pas, qui ne se perpétuent point, & semblent ne venir que de quelques accidens. Ainsi les tulipes ont beaucoup de variétés ; car toutes les plantes n'y sont point également sujettes. Ce n'est pas là ce qui fait les différentes especes de fruits ; il faut des différences stables & durables, telles qu'il s'en trouve entre des prunes & des cérises de différens noms. Comme il paroît qu'un grand nombre de ces variétés sont uniquement dûes à la culture, il faudroit trouver par où précisément la culture les produit, & on l'ignore ; on sait seulement en général qu'un terroir plus ou moins convenable à l'arbre, une exposition plus ou moins favorable, & une infinité de petits soins du jardinage font naître des variétés ; mais pour les especes, il semble que la greffe y doive être plus propre que tout autre moyen. (D.J.)


VARINI(Géog. anc.) peuples de la Germanie, qui, selon Pline, l. IV. c. xiv. faisoient partie des Vandales. Spener, not. germ. ant. l. V. c. iv. remarque que ces peuples sont appellés Varni par quelques-uns, Varri par d'autres, Viruni par Ptolémée. Il n'y a point de difficulté à croire qu'ils avoient pris leur nom de la riviere Varna, sur les bords de laquelle ils avoient leur demeure ; & il est probable que ce sont ces mêmes peuples qu'on trouve nommés avec les Anglii dans une ancienne loi des Germains.

Peut-être, dit Spener, qu'une partie de ces peuples vint s'établir en-deçà de l'Elbe, & entra dans l'alliance des Thuringiens ; car dans la loi dont il vient d'être parlé, ils sont nommés immédiatement avant les Thuringiens. Il se pourroit faire aussi que le nouveau nom de Werini auroit été occasionné par celui de la riviere, sur le bord de laquelle ils fixerent leur nouvelle demeure, & que comme le nom de la Varna leur avoit fait donner le nom de Varini ; celui de la riviere Werra les fit appeller Werini. Ce n'est pourtant là qu'une conjecture, & il ne seroit pas impossible que deux rivieres eussent chacune donné le nom à un peuple différent. (D.J.)


VARIOLITEou PIERRE DE PETITE VEROLE, (Hist. nat. Lithol.) variolithus, lapis variolarum, nom donné par les naturalistes à des pierres de différentes couleurs, remplies de taches ou de petits tubercules d'une couleur différente de celle du fond de la pierre. Quelques-uns donnent ce nom à une espece de granite ou des fragmens de granite qui ont été roulés & arrondis comme des galets.


VARIORUMLES, (Littérat. mod.) c'est le nom qu'on donne aux éditions des auteurs classiques, qu'on a faites en Hollande, avec les notes & extraits de divers auteurs. C'est dommage que ces extraits ne soient pas ordinairement bien travaillés, & qu'au lieu de bonnes remarques qui se trouvent dans les excellens commentateurs, & les meilleurs critiques, on se soit contenté de petites observations littérales, de diverses leçons, & d'autres semblables minuties, qui ne contribuent ni à l'avancement des lettres, ni à donner l'intelligence du génie des auteurs. C'est manquer de jugement dans le triage, & gâter le goût. Il faut cependant excepter du nombre des mauvais rhapsodistes dont nous parlons, Graevius, Gronovius, Thysius, Schildius, & peu d'autres, dont les extraits sont bien faits, & dont les notes sont utiles. (D.J.)


VARIQUEUXCORPS variqueux, en Anatomie, est le même que le corps pyramidal. Voyez PYRAMIDAL.

VARIQUEUX, EUSE, qui tient des varices, nom qu'on donne aux tumeurs causées par des varices, & aux vaisseaux veineux trop dilatés. Voyez VARICES.

Il y a des ulceres variqueux. Voyez ULCERE. Le cancer à la mamelle est ordinairement accompagné de l'engorgement variqueux des veines qui l'avoisinent. Voyez CANCER. (Y)


VARISS. m. (Hist. nat.) espece de singe qui se trouve dans l'île de Madagascar. Il est d'une couleur grise ; son museau est fort long, & sa queue est aussi longue & aussi fournie que celle d'un renard.

VARIS, (Géog. anc.) lieu de la grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin le marque sur la route de Segonicium à Deva, entre Cornovium & Deva, à dix-neuf milles du premier de ces lieux, & à trente-deux milles du second. Varis étoit près de la Cluyd. Le lieu s'appelle encore aujourd'hui Bod-Vari, & ses ruines se voient sur une hauteur nommée dans le pays Moyly-Caer, c'est-à-dire, la montagne de la ville. (D.J.)


VARLETS. m. (terme de Jurande) ce mot signifie dans plusieurs des anciens statuts des communautés des arts & métiers, ce que dans d'autres on nomme serviteur, & que présentement on ne connoit plus guere que sous le nom de compagnon. (D.J.)

VARLET, s. m. (Hydr.) est une espece de balancier de bois équarri, gros dans son milieu, & se terminant en deux cônes tronqués, fretés & boullonés, pour recevoir dans son milieu les queues de fer des pieces que le varlet met en mouvement. (K)


VARLOPES. f. (Menuiserie) est un outil qui sert aux Menuisiers & aux Charpentiers, pour corroyer les bois, c'est-à-dire les dresser. Elle est composée de trois pieces, savoir, le fût & le coin qui sont de bois, & d'un fer tranchant. Le fût est un morceau de bois de 26 pouces de long sur deux pouces & demi de large & trois de haut. Sur le bout de devant est une poignée ; au milieu est la lumiere où est le fer tranchant & le coin, & à l'extrêmité sur le derriere est une poignée ouverte dans laquelle passe la main. Voyez les Planches de Menuiserie.

Demi-varlope, est un outil de menuisier, dont les Charpentiers se servent aussi pour dégrossir leur bois. Elle est semblable à la varlope, à l'exception qu'elle est plus courte & plus étroite, & que le tranchant du fer ne s'affute pas si quarrément que celui de la varlope. Voyez les Planches de Menuiserie.

Varlope à onglet, est une espece de rabot ; elle est seulement une fois plus longue, mais le fer toujours au milieu comme au rabot.


VARMOLE, (Géogr. mod.) petite riviere d'Italie, dans l'état de Venise. Elle a sa source dans le Frioul, près de Codropio, & se jette dans le Tajamento. (D.J.)


VARNou VARNE, (Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie, & la capitale de la Drobugie, sur la riviere de Varne, près de son embouchure dans la mer Noire, à seize milles de Rosito du côté du nord. Long. 51. 28. latit. 40. 6.

Quelques géographes prennent Varne pour la Tiberiopolis de Curopalate ; & d'autres veulent que ce soit l'ancienne Odessus de Strabon, entre Calatis & Apollonie. Quoi qu'il en soit, c'est près de cette ville que se donna en 1444 une célebre bataille entre Uladislas VI. roi de Pologne, & le sultan Amurath II. après avoir conclu tout récemment ensemble, sans aucun combat, la paix la plus solemnelle que les Chrétiens & les Musulmans eussent jamais contractée. Amurath jura cette paix sur l'alcoran, & Uladislas sur l'évangile.

Cependant à peine cette paix fut jurée, que le cardinal Julien Césarini persuada à Uladislas, aux chefs hongrois & aux polonois qu'on pouvoit violer ces sermens, parce que cette paix avoit été faite malgré l'inclination du pape. Uladislas séduit par cette raison entra dans les terres du sultan & les ravagea.

Les janissaires vinrent en foule prier Amurath de quitter sa solitude pour se mettre à leur tête. Il y consentit ; les deux armées se rencontrerent près de la ville de Varne, où se donna la bataille. Amurath portoit dans son sein le traité de paix qu'on venoit de conclure ; il le tira au milieu de la mêlée, & pria Dieu qui punit les parjures, de venger cet outrage fait aux loix des nations. Les Chrétiens furent vaincus ; le roi Uladislas fut percé de coups, & périt à l'âge de vingt ans, n'ayant été parjure qu'à l'instigation du légat. Sa tête coupée par un janissaire fut portée en triomphe de rang-en-rang dans l'armée turque, & ce spectacle acheva la déroute. Le cardinal Julien périt aussi dans cette journée ; quelques-uns disent qu'il se noya, & d'autres que les Hongrois mêmes le tuerent.

Mais ce qu'il y a de plus remarquable, ajoute M. de Voltaire, c'est qu'Amurath après cette victoire retourna dans sa solitude, qu'il abdiqua une seconde fois la couronne, qu'il fut une seconde fois obligé de la reprendre pour combattre & pour vaincre. Enfin il mourut à Andrinople en 1451, & laissa l'empire à son fils Mahomet II. qui songea plus à imiter la valeur de son pere que sa philosophie. (D.J.)

VARNA, la, (Géog. mod.) riviere des états du turc, en Europe ; elle a sa source aux montagnes qui sont vers la Romanie, & se jette dans la mer Noire, près du lac de Dwina. C'est le Zirus des anciens. (D.J.)


VARNAVAL(Géog. mod.) ville d'Egypte, sur le bord du Nil, vers le levant, selon Marmol, qui dit que son territoire produit abondamment du blé & du riz. (D.J.)


VARNDORP(Géog. mod.) ville d'Allemagne, en Westphalie, à cinq lieues de Munster, sur l'Ems. Elle appartient à l'évêque de Munster, qui y tient garnison, parce que c'est une clé de ses états. (D.J.)


VARNETON(Géog. mod.) voyez WARNETON.


VAROLEPONT DE, (Anat.) Varole naquit à Boulogne, où il exerça la chirurgie ; il fut ensuite nommé premier médecin du pape Grégoire XIII. & professeur en anatomie dans le principal college de Rome, où il mourut en 1575, à l'âge de 32 ans. Il a découvert le premier l'origine des nerfs optiques ; & l'on donne encore aujourd'hui le nom de pont de Varole à cette éminence du cerveau, qui se nomme aussi protuberance annulaire. Voyez PROTUBERANCE.

Il publia en 1570 une nouvelle maniere de disséquer le cerveau, qu'on appelle encore aujourd'hui la méthode de Varole.


VARRES. f. (Mesure espagnole) c'est la mesure des longueurs dont on se sert en Espagne, particulierement dans le royaume d'Aragon, pour mesurer les étoffes. Sa longueur est semblable à celle de la canne de Toulouse, qui est de cinq piés cinq pouces six lignes, ce qui revient à une aune & demie de Paris, ou trois aunes de Paris font deux varres d'Espagne. (D.J.)

VARRE, s. f. (Pêche) instrument des pêcheurs de l'Amérique, servant à prendre les gros poissons, surtout les tortues. Il est composé de deux pieces principales ; savoir d'une forte hampe de bois, d'environ sept à huit piés de longueur ; & d'une pointe de fer quarrée, qui se place à chaque fois qu'on veut s'en servir dans un trou quarré, percé exprès au bout le plus menu de la hampe, lequel dans cette partie est garni d'une virole.

La pointe de fer qui doit sortir d'environ quatre pouces, est percée auprès de la douille d'un trou assez large pour y passer une longue & forte corde, que l'on arrête au moyen d'un noeud ; & l'on attache aussi une grosse ficelle à la hampe, afin de pouvoir la retirer à soi lorsqu'elle se sépare de la pointe qui reste fichée dans le corps de l'animal, ainsi qu'on le dira.

Cet instrument, de dedans les barques ou canots, se lance avec roideur sur le dos des tortues, qui pendant la nuit dorment à la surface de l'eau, ou s'élevent de tems en tems pour respirer. La pointe de fer pénétrant l'écaille, y demeure fortement attachée, & par les efforts que fait la tortue pour se débarrasser la hampe se détache, flotte sur l'eau, & peut être facilement retirée par le varreur qui n'abandonne point la ficelle dont on a parlé, tandis que ceux qui l'accompagnent filent la corde attachée par une de ses extrêmités à la pointe de fer, & par l'autre au devant du canot, que la tortue entraîne avec une extrême rapidité, jusqu'à ce que ses forces étant affoiblies, elle se laisse tirer à bord.

Les tortues varrées ne vivent pas long-tems, on est obligé de les assommer tout de suite, & d'en saler la chair si l'on se trouve fort éloigné des lieux où l'on veut les transporter.


VARRERv. neut. & act. terme de relation, varrer, c'est prendre à la varre des tortues, quand elles viennent de tems en tems sur l'eau pour respirer.

Lorsqu'on veut varrer, ou prendre les tortues à la varre, on va la nuit avec un canot dans les endroits où l'on a remarqué beaucoup d'herbes coupées sur la surface de l'eau ; car c'est une marque certaine qu'il y a des tortues en cet endroit, qui coupant l'herbe en paissant, en laissent toujours échapper quelque partie, qui monte & surnage sur l'eau : celui qui tient la varre est sur le bout ou la proue du canot.

Le mot de varre est espagnol, il signifie une gaule ou perche ; celle dont on se sert en cette pêche, est de sept à huit piés de longueur, & d'un bon pouce de diamêtre, à-peu-près comme la hampe d'une halebarde. On fait entrer dans un des bouts un clou quarré, de sept à huit pouces de long y compris la douille dont il fait partie ; cette douille a une boucle ou anneau de fer, ou simplement un trou, où est attachée une longue corde proprement roulée sur l'avant du canot, où un des bouts est aussi attaché, & la hampe est aussi attachée à une autre petite corde dont le varreur tient un bout.

Le varreur donc étant debout sur l'avant du canot, la varre à la main droite, examine tout autour de lui s'il voit paroître quelque tortue, ce qui est assez aisé durant la nuit, parce qu'on voit bouillonner la surface de l'eau à l'endroit où la tortue veut lever la tête pour souffler ; ou si la tortue dort sur l'eau, ou qu'un mâle soit avec une femelle, ce qu'on appelle un cavalage, l'écaille qui reluit & qui réflechit la lumiere de la lune ou des étoiles, la lui fait appercevoir aussi-tôt ; à quoi l'on doit ajouter que dans les nuits obscures il reste toujours sur la surface de la terre & des eaux un peu de lumiere, qui est suffisante à ceux qui se couchent sur le ventre pour voir à une distance assez considérable autour d'eux.

Dès qu'il apperçoit la tortue, il marque avec le bout de sa varre à celui qui conduit le canot, le lieu où il faut aller ; & quand il est à portée de la tortue il la varre, c'est-à-dire il la frappe & la perce avec le clou qui est enté dans la hampe. Aussi-tôt que la tortue se sent blessée, elle fuit de toutes ses forces, & elle entraîne le canot avec une très-grande violence ; le clou qui est entré dans son écaille ne la quitte pas, & le varreur qui a retiré sa hampe s'en sert pour enseigner à celui qui est à l'arriere, où il doit gouverner.

Après qu'elle a bien couru les forces lui manquent, souvent même elle étouffe faute de venir sur l'eau pour respirer. Quand le varreur sent que la corde mollit, il la retire peu-à-peu dans le canot, & s'approchant ainsi de la tortue qu'il a fait revenir sur l'eau, morte ou extrêmement affoiblie, il la prend par une patte & son compagnon par l'autre, & ils la mettent dans le canot, & en vont chercher une seconde.

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des ardillons au fer de la varre, ni que le varreur fasse entrer le fer guere plus avant que l'épaisseur de l'écaille, parce que aussi-tôt que la tortue sent la douleur que le clou lui fait en perçant son écaille, elle se resserre de telle façon qu'on a bien plus de peine à retirer le clou, qu'on en avoit eu à le faire entrer.

On sera peut-être surpris de ce qui a été dit ci-dessus, que la tortue entraine le canot avec une grande violence ; mais il sera aisé de se le persuader quand on fera réflexion à la force & à la grandeur qu'ont ces animaux dans l'Amérique, où communément on les trouve de trois piés & demi à quatre piés de long, sur deux piés & demi de large, pesant jusqu'à trois cent livres, & souvent davantage. Labat, Voyage d'Amérique. (D.J.)


VARREURS. m. (Pêche) celui qui fait la pêche de la varre.


VARSAR-ILI(Géog. mod.) petit pays de la Cilicie, appellé aujourd'hui Caramanie. Mahomet I. en fit la conquête l'an 816 de l'hégire. (D.J.)


VARSOVIE(Géog. mod.) en polonois Warsaw ; ville du royaume de Pologne, la capitale de la Mazovie, & en quelque maniere celle du royaume. Elle est située sur la Vistule, à 24 milles de Lublin & de Sendomir ; à 29 de Thorn ; à 33 de Gnesne ; à 40 de Cracovie ; à 50 de Dantzik & de Breslaw ; à 70 de Vilna & de Berlin ; à 80 de Kaminieck, & à 100 de Kiow, dans une vaste & agréable campagne. Long. suivant Cassini, 39. 6. 30. latit. 52. 14. La différence des méridiens entre Paris & Varsovie, est de 18. 48. 45. dont Paris est plus occidental que Varsovie.

Non-seulement les rois de Pologne ont long-tems résidé à Varsovie, mais la république en a fait le lieu de la convocation des dietes & de l'élection de ses rois. On l'a choisie parce qu'elle est sous une bonne température d'air, au centre du pays, & à portée de recevoir les denrées de toutes parts par le secours de la Vistule.

Le palais de la république, où elle loge les rois & où se tiennent les conférences avec les ambassadeurs, n'est qu'un château de brique, de médiocre architecture.

La situation de cette ville au bout de vastes plaines, qui regnent en terrasse le long de la Vistule, fait son plus beau coup-d'oeil. Elle est entourée en croissant, de fauxbourgs où les seigneurs ont leur palais, & les moines leurs couvens. Les rues de ces fauxbourgs sont larges, alignées ; mais ce sont en hiver des abymes de boue faute de pavé. La ville n'est qu'un trou, habité par des marchands & des artisans. Quoique capitale, elle n'a pas même d'évêché ; mais elle a une starostie considérable, tant par son revenu, que par sa jurisdiction. On compte dans cette ville & ses fauxbourgs 50000 ames.

Le lieu nommé Kolo, est fameux par l'élection qu'on y fait des rois de Pologne. Il est à un mille de la ville, & présente un quarré long, partagé en deux ouvertures qui se communiquent. Il a un toît au milieu, comme le couvert d'une halle. Le mot kolo veut dire rond en polonois ; & ce lieu est ainsi nommé, parce que la noblesse est disposée en rond tout-autour : c'est le lieu de la diete de l'élection des rois. Cette élection qui se tient à cheval, se décide à la pluralité des voix ; souvent à coups de sabre ; & toujours par les suffrages des plus forts, soit que le candidat à la couronne ait la majorité des suffrages en sa faveur, ou que n'ayant qu'un petit nombre de voix, il se trouve à portée de se faire reconnoître par la force. (D.J.)


VARTIASS. m. (Hist. mod.) ce sont des bramines ou prêtres indiens, qui ont embrassé la vie monastique ou cénobitique. Ils vivent en communauté sous un général, un provincial & sous d'autres supérieurs choisis d'entr'eux.

Ils font voeu de pauvreté, de chasteté & d'obéissance ; & ils l'observent avec la derniere rigueur. Ils ne vivent que d'aumônes qu'ils envoient recueillir par les plus jeunes d'entr'eux, & ne mangent qu'une fois par jour. Ils changent de couvent tous les trois mois. Ils passent par un noviciat plus ou moins long, suivant la volonté des supérieurs. Leur regle leur interdit la vengeance ; & ils poussent la patience jusqu'à se laisser battre sans marquer de ressentiment. Il ne leur est point permis d'envisager une femme. Ils n'ont d'autre habillement qu'un morceau d'étoffe qui couvre les parties naturelles, & qu'ils font revenir par-dessus la tête. Ils ne peuvent réserver pour le lendemain les aumônes qu'on leur donne. Ils ne font point de feu dans leurs couvents, de peur de détruire quelque insecte. Ils couchent à terre tous ensemble dans un même lieu. Il ne leur est point permis de quitter leur ordre après qu'ils ont fait leurs voeux ; mais on les en chasse lorsqu'ils ont violé celui de chasteté. Les vartias, suivant Thevenot, ont plus de dix mille couvens dans l'Indostan, dont quelques-uns surpassent les autres en austérités. Quelques-uns de ces cénobites ne rendent aucun hommage aux idoles ; ils croient qu'il suffit d'adorer l'être suprème en esprit, & ils sont exempts de toutes les superstitions indiennes.

Il y a aussi des religieuses dans les Indes, qui ne le cedent point aux vartias pour les austérités. Voyez Thevenot, Voyage des Indes.


VARUS(Géog. anc.) fleuve des Alpes, aux confins de la Ligurie & de la Gaule. Son nom lui vient de son cours oblique & serpentant. Ce fleuve, dit Pomponius-Méla, l. II. c. iv. est fort connu, parce qu'il termine l'Italie du côté de la Gaule. La province de Narbonne, dit Pline, l. III. c. iv. est séparée de l'Italie par le fleuve Varus ; & on lit dans Lucain, l. I. vers. 404.

Finis & hesperiae promoto limite Varus.

Outre les auteurs déjà cités, Strabon, Ptolémée, & divers autres, s'accordent à dire que le Varus séparoit la Gaule narbonnoise de l'Italie. On l'appelle présentement le Varro. (D.J.) Voyez VAR.


VARVATESS. f. (Hist. nat. Botan.) espece de plante de l'île de Madagascar, qui ressemble à l'arbre qui produit des capres. Chaque silique contient un pois fort petit, très-bon à manger ; cette plante s'éleve aussi haut qu'un cerisier.


VARZY(Géog. mod.) nom de deux gros bourgs de France, & que l'on qualifie de petites villes ; l'un est à 5 lieues d'Auxerre, & a un chapitre ; l'autre est dans le Nivernois, recette de Clamecy. (D.J.)


VAS BREVEvaisseau court, en Anatomie, est un vaisseau au fond de l'estomac, ainsi appellé à cause de sa brieveté. Voyez ESTOMAC. Il envoie plusieurs petites branches du fond de l'estomac à la rate ; ou de la rate à l'estomac, suivant l'usage que les anciens lui ont attribué : car ils croyoient que par le moyen de ce vaisseau, la rate fournissoit à l'estomac un suc acide, qui agissant sur les tuniques internes & nerveuses de ce viscere, causoit le sentiment de la faim, & qui se mêlant en même tems avec les alimens contenus dans l'estomac, aidoit par son acidité à leur dissolution. Voyez RATE, FAIM, &c.

Mais en examinant avec plus d'attention les petites branches de ce vaisseau, on trouve qu'elles ne pénétrent pas jusqu'au-dedans de l'estomac, & qu'elles ne sont autre chose que des branches de veines, qui servent à reporter le sang dans la veine splénique, d'où il va dans la veine porte. Voyez SPLENIQUE & PORTE.

VASA DEFERENTIA, (Anat.) ce sont les vaisseaux dans lesquels la semence est conduite des testicules aux vesicules seminales.

VASA VERTICOSA, en Anatomie, est le nom latin que Stenon a donné à quantité de lignes plates arrangées en maniere de tourbillon sur la surface interne de la membrane choroïde de l'oeil ; ces lignes sont autant de vaisseaux. Voyez CHOROÏDE & VAISSEAU.


VAS-TU-VIENS-TUS. m. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Bayeux.

Les pêcheurs du Port, lieu dans ladite amirauté, se servent d'une espece particuliere de filet pour faire la pêche du poisson rond à leur côte.

Ils nomment ce filet ou ret vas-tu-viens-tu, & est de la même espece que celui dont se servent les pêcheurs de l'amirauté de Quimper, à la différence que le filet de ces derniers est flottant comme les manets, & qu'il ne forme point d'enceinte. Cette pêche se fait à pié sans bateau ; ceux qui la veulent pratiquer portent tout le plus long qu'ils peuvent à la basse eau, une poulie qu'ils frappent sur une petite ancre, quand le fond est du sable, ou qu'ils amarrent à une roche, s'ils en trouvent. On passe dans la poulie un cordage qui vient double jusqu'à terre, on y attache un filet de l'espece des seines à hareng, de la hauteur environ d'une brasse & demie, flotté & pierré par le bas ; le filet à la marée ne s'éleve du fond qu'à sa hauteur ; quand il y a de l'eau suffisamment pour le soutenir debout, on l'amarre au cordage dont on hale à mesure l'autre côté pour le faire aller sur la poulie, & en s'écartant du lieu où elle est arrêtée ; on forme par cette manoeuvre une espece d'enceinte avec l'autre bout du filet qui est resté à terre, & celui que le cordage de la poulie a tiré au large.

On prend de cette maniere toutes sortes d'especes de poissons ronds, bars, mulets, colins & truites saumonnées, qui se trouvent enclavés dans le circuit du filet.

Quoiqu'on doive regarder ce ret comme une espece de seine particuliere, cependant eu égard à cette côte qui est dure & ferrée, elle se pourroit faire sans inconvénient si les mailles du ret avoient dixhuit à vingt lignes en quarré pour laisser évader les petits poissons, & qu'elle ne fût pratiquée seulement que pendant les mois de Novembre, Décembre, Janvier, Février & Mars seulement, à cause du frai qui n'est point alors à la côte.

Cette pêche se pratique dans la fosse de Port, dans celle nommée le Goulet du Vary ; elle commence ordinairement dans le mois de Décembre, & se continue jusqu'à la fin de Mai ; la pêche des maquereaux que les pêcheurs font alors, la leur fait cesser, & celle du hareng qui lui succede, empêche les pêcheurs de la continuer pendant toute l'année, lorsqu'ils verroient à la côte du poisson pour faire cette pêche avec succès.

Cette pêche se fait également de jour comme de nuit, & avec d'autant plus de succès, lorsque les marsouins qui rangent ordinairement la côte, y chassent le poisson qui donne de lui-même dans le filet pour éviter d'être dévoré. Voyez la fig. 1. Pl. XVII. de Pêche.


VASARII(Géog. anc.) peuples de la Gaule aquitanique. Ptolémée, l. II. c. vij. les place au midi des Itiobriges, c'est-à-dire qu'ils devoient habiter les confins de l'Armagnac. Scaliger les met dans les landes. (D.J.)


VASARIUMS. m. (Antiq. rom.) grande chambre des thermes des anciens, située proche des étuves & des bains chauds, ce qu'on échauffoit par le fourneau nommé hypocauste. (D.J.)


VASCHGERD(Géog. mod.) ville du Turquestan, dans le territoire de Saganian, sur les confins de Tarmed. Long. 92. sa latitude est inconnue. (D.J.)


VASCONES(Géog. an.) peuples de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée les borne au nord, partie par l'Océan cantabrique, partie par les Pyrénées : à l'orient, par le pays des Suessitani : au midi, par le fleuve Ibérius ; & à l'occident, par le pays des Vardules. Pline, l. III. c. iij. les met auprès des Cerretani ; ils habitoient la Navarre. Lorsqu'ils eurent passé les Pyrénées pour s'établir dans la Gaule, ils furent appellés gascons. (D.J.)


VASCONUM SALTUS(Géog. anc.) selon Pline, l. IV. c. xx. & vasconiae saltus, selon Ausone, epist. 15. contrée de l'Espagne tarragonoise, entre les Pyrénées & l'Océan cantabrique. Ce doit être quelque canton de la basse-Navarre, ou du Guipuscoa. (D.J.)


VASCULAIREadj. en Anatomie, se dit de tout ce qui est composé de différens vaisseaux, veines, arteres, &c.

Ainsi on dit, le tissu vasculaire des poumons. Toute la chair d'un corps animal est vasculaire, & n'a aucun parenchyme, comme les anciens ont cru. Voyez CHAIR, PARENCHYME, &c.

VASCULAIRES, GLANDES, voyez l'article GLANDE.


VASCULARIUSS. m. (Hist. anc.) faiseur de vases ; c'étoit le nom d'une sorte d'ouvriers ou d'artisans parmi les Romains, dont le métier consistoit à faire des vases d'or ou d'argent, unis & sans figures en relief.

C'est pour cela, selon Saumaise, que Cicéron dans la sixieme verrine distingue l'ouvrier nommé vascularius, de celui qu'on appelloit caelator, ciseleur ou graveur.

Dans l'art que les Grecs nommoient , & qui consistoit à ajouter des ornemens de pierres précieuses ou de riches métaux à des vases d'une matiere différente ; les faiseurs de vases étoient proprement des orfévres, & ceux qui travailloient aux ornemens, des graveurs ou sculpteurs en métaux. Mais dans l'art nommé , ou l'art de faire des bas-reliefs & des figures en bosse qui ne sont point surajoutées, mais qui naissent du fonds même du métal, le métier de faiseur de vases ou orfévre, & celui de ciseleur ou graveur n'étoient qu'une seule & même profession. Voyez SCULPTURE.


VASCULIFERESplantes VASCULIFERES, adj. plur. (Botan.) chez les Botanistes sont celles qui ont un vaisseau particulier ou loge pour contenir la graine, lequel vaisseau est quelquefois partagé en plusieurs cellules. Voyez PLANTE.

Ces plantes ont toujours une fleur monopétale, soit égale, soit inégale.

Celles de la premiere sorte ont leurs graines contenues, ou en deux cellules, comme la jusquiame, le tabac, le priapéia, la gentiane ; ou en trois cellules, comme le convolvulus, le speculum veneris, le trachelium, le repunculus ou campanula, le repunculus corniculatus, &c. ou en quatre cellules, comme le stramonium.

Les plantes de la seconde sorte, c'est-à-dire qui ont une fleur monopétale, sont comme la linaire, le pinguicula, l'antirrhinum, l'aristoloche, la scrophulaire, la digitale, la pédiculaire, le melampyrum, l'euphraise, &c.


VASES. m. (Archit.) c'est le corps du chapiteau corinthien & du chapiteau composite.

Vase d'amortissement. Vase qui termine la décoration des façades, & qui est ordinairement isolé, orné de guirlandes & couronné de flammes. Cet ornement s'emploie encore au-dedans des bâtimens, audessus des portes, cheminées, &c.

Vase d'enfaîtement. On nomme ainsi les vases qu'on met sur les poinçons des combles, & qui sont ordinairement de plomb, quelquefois doré, comme au château de Versailles, par exemple. (D.J.)

VASE, s. f. (Archit. hydraul.) terrein marécageux & sans consistance. On ne peut fonder sur la vase sans pilotage ni grille.

VASE, (Orfévrerie) les Orfevres travaillent à toutes sortes de vases, soit pour les églises, soit pour les particuliers ; il faut ici leur faire connoître le livre d'un italien fort curieux sur leur art, c'est celui de Jean Giadini ; il a publié à Rome en 1750, in-folio, des modeles de pieces d'orfévrerie propres à fournir des idées pour inventer, & faire toutes sortes de vases élégans, d'or, d'argent ou autre métal. Cet ouvrage contient cent planches gravées sur cuivre, & qui sont d'un fort beau dessein. (D.J.)

VASE, s. m. (Sculpt.) ornement de sculpture, isolé & creux, qui, posé sur un socle ou piédestal, sert pour décorer les bâtimens & les jardins. Il y en a de pierre, de fer, de plomb, de marbre, de bronze, &c. Les premiers servent d'amortissement. Les vases de fer sont employés pour décorer les jardins, de même que les vases de fayance. On peint les premiers d'une couleur à l'huile. On orne les parcs avec des vases de marbre, placés dans les endroits les plus apparens, & on réserve les vases de marbre précieux, tels que ceux de porphyre, d'agate, d'albâtre, &c. pour la décoration du-dedans. Enfin l'usage des vases de bronze, qui sont toujours de moyenne grandeur, est d'embellir les tablettes des terrasses.

Une figure gracieuse & variée, constitue la beauté des vases. On en trouvera des modeles dans l'essai d'Architecture historique de Fischer, l. IV. (D.J.)

VASE D'ALBATRE, (Critique sacrée) il est dit dans l'Evangile, Matth. xxvj. vers. 6. & 7. que Jesus-Christ étant à table à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, Marie, soeur de Marthe & de Lazare, y oignit & répandit sur les piés du Sauveur un vase d'albâtre, plein d'un nard d'épic très-précieux. Ce vase d'albâtre étoit d'une sorte de marbre blanc, dans lequel on conservoit les essences. Pline, l. XXXVI. c. viij. dit que l'on trouvoit ces especes de pierres ou de marbres dans des carrieres aux environs de Thèbes, d'Egypte & de Damas, de Syrie ; on les façonnoit au tour avec assez de facilité, parce que cette pierre n'étoit ni dure, ni cassante. On donna néanmoins le nom d'albâtre en général à tous les vases propres à contenir des liqueurs, de quelque matiere que ces vases fussent composés.

Quelques savans croient que le vase dont il est question dans l'Evangile, étoit de verre, parce que S. Marc dit que la femme qui répandit le parfum sur le Sauveur, brisa ce vase d'albâtre ; mais cela ne prouve rien, parce qu'on peut casser un vase de pierre, comme un vase de verre : enfin, selon d'autres critiques, le mot alabastrum marque plutôt la forme que la matiere du vase, car souvent ce mot signifie un vase qui n'a point d'anse. (D.J.)

VASE de treillage, (Décorat. de jardin) ornement à jour fait de verges de fer & de bois de boisseau, contourné selon un profil qui sert d'amortissement sur les portiques & cabinets de treillage. Les vases de cette espece les plus riches sont remplis de fleurs & de fruits qui imitent le naturel, & ont des ornemens pareils à ceux de sculpture. (D.J.)

VASES ANTIQUES, (Arts, Littérat. antiq.) les vases antiques peuvent se diviser en vases de sacrifices, vases funéraires, vases d'ornemens d'architecture, vases de buffets & coupes, ou vases à boire : nous avons parlé de presque tous ces vases en particulier.

On commença par les faire de corne, de bois, de terre cuite, de pierre, de marbre, d'ivoire ; enfin on les fit de pierres précieuses, d'agate, de crystal, de porcelaine, on les incrusta d'or & d'argent, on y représenta toutes sortes de figures, & la beauté de l'exécution surpassa le prix de la matiere ; on en changea les formes à l'infini, & leurs formes se perfectionnerent au point que ces monumens nous donnent aujourd'hui la plus grande idée du travail des anciens.

Athénée parle d'un vase sur lequel la prise de Troie étoit gravée, c'est-à-dire formoit un ornement en relief. On y lisoit le nom de l'artiste, il se nommoit Mus ; le nom de Parrhasius, auteur de l'inscription qui s'y lisoit aussi, prouve que ce Parrhasius comptoit vivre dans les tems à venir, en s'associant à un ouvrage estimé. Cicéron, dans la sixieme harangue contre Verrès, dit qu'un des fils d'Antiochus, dixieme roi de Syrie, aborda en Sicile, & que Verrès, qui en étoit prêteur, trouva moyen de lui dérober plusieurs vases d'or enrichis de pierres précieuses, dont les rois, & principalement ceux de Syrie, étoient dans l'habitude de se servir ; mais, selon le même auteur, on en distinguoit un qui étoit d'une seule pierre, & qui avoit une anse d'or.

Un fragment d'Athénée nous apprend que Parménion mandoit à Alexandre, qu'il s'étoit trouvé parmi les dépouilles de Darius pour soixante-treize talens babyloniens & douze mines de vases d'or, & pour cinquante-six talens trente-six mines de vases enrichis de pierreries.

On sait que les poids babyloniens étoient d'un cinquieme plus forts que ceux de l'Attique ; ainsi en évaluant le talent attique à 4500 liv. de notre monnoie ou environ, le talent babylonien reviendroit à 5400 livres. Quelqu'étonnant que soit une pareille somme, qui doit monter à un peu plus de sept cent mille francs de notre monnoie, on ne seroit point étonné que cette somme fût peu forte, avec les idées que l'on a des richesses & du luxe des rois de Perse. Mais il en résulte toujours une preuve de la considération que l'on avoit pour ce genre d'ouvrage ; car il n'est pas douteux que les princes n'ont jamais rassemblé que les choses qui peuvent flatter leur vanité, & faire impression tout-à-la-fois sur leurs peuples & sur leurs voisins.

Quand Pline ne nous apprendroit pas en quel tems le goût des vases s'accrédita dans Rome, je ne crois pas qu'on eût été feuilleter les auteurs pour trouver des curiosités de ce genre dans le tems de la république. Entre le nombre des richesses dont Pompée embellit son troisieme triomphe, on voyoit des vases d'or en assez grande quantité pour en garnir neuf buffets. Je ne parlerai point ici des vases myrrhins qui ornoient le triomphe du même Pompée, & qu'il consacra à Jupiter capitolin, je réserve à ces vases un petit article à part.

M. de la Chausse, Pietro Santo-Bartoli, & autres antiquaires nous ont donné le dessein d'un grand nombre de vases, qui ont échappé aux outrages des tems. Le trésor de l'abbaye de S. Denis conserve en particulier trois vases antiques d'agate orientale, qui sont dignes de notre attention.

Le premier est une coupe ronde en forme de gobelet, évidée avec la plus grande exactitude, mais dont la cannelure qui fait l'ornement extérieur est exactement partagée & travaillée avec un soin qui fait admirer, malgré son apparente simplicité, la justesse & la précision de l'ouvrier.

Le second forme une coupe ovale, dont les bords sont très-peu relevés, & qui peut avoir sept à huit pouces dans sa longueur ; elle est admirable par le rapport que les cannelures tenues fort larges & d'un bon goût, dans leur proportion, ont de l'extérieur à l'intérieur : la dureté de la matiere, les outils que l'on peut employer, enfin la difficulté du travail donnent un grand prix à de pareils morceaux.

Mais le plus beau de tous, & peut-être un des plus singuliers qu'il y ait en Europe, est une coupe remarquable, sur-tout par le tems qu'il a fallu pour exécuter ses anses, & la quantité de ses ornemens en relief ; car la matiere est plus recommandable pour son volume que pour sa beauté. Les pampres & les seps de vigne qui renferment tout l'ouvrage, ne laissent rien à désirer. Ce beau morceau est fidelement représenté dans l'histoire de S. Denys, par dom Félibien.

Personne n'ignore que le roi de France a une des plus superbes collections qui puisse se voir en fait de vases. Cette collection en contient plus de huit cent qui sont de pierres précieuses ou de crystal de roche, tous richement montés en or, le plus souvent émaillés avec une grande intelligence. Le plus grand nombre de ces vases a été rassemblé par monseigneur grand-pere du roi ; quelques-uns sont décrits ou indiqués dans la description de Paris, de Piganiol de la Force.

Il est vrai cependant que tout n'est pas antique ; car lors du renouvellement des arts, les princes de l'Europe placerent une partie de leur luxe à faire décorer les vases échappés à la fureur des tems & des barbares, ou bien à en travailler d'autres de nouveaux. Aussi les Graveurs en pierres fines, tant françois qu'italiens, en ont-ils exécuté & restauré un très-grand nombre pendant le cours des deux derniers siecles. Les habiles orfevres de ce tems-là les ont montés avec tant d'élégance, que la plus grande partie fait admirer leur goût, leur adresse & leur savoir.

Le roi possede encore un autre trésor ; c'est un grand in fol. de 220 pages, qu'on garde dans le cabinet de ses estampes ; c'est dommage que ce beau recueil ne se trouve accompagné d'aucune sorte d'explications.

On y voit d'abord douze vases de marbre dessinés d'après l'antique par Errard, peintre du roi, & qui ont été gravés sur ces desseins par Tournier. On y trouve ensuite les desseins de plusieurs autres monumens antiques, principalement des vases de métal de formes singulieres, qui paroissent avoir servi dans les sacrifices, & qui sont en général dessinés avec une telle intelligence & une telle vérité, qu'il n'est pas possible de mieux rendre un objet en faisant même sentir à l'oeil la matiere dont il est formé.

Pour donner une plus juste idée de la forme & des ornemens de ces morceaux rares, on les a non-seulement représentés dans plusieurs aspects différens, mais les figures ou les ornemens qui en font la richesse sont le plus souvent dessinés séparément, & plus en grand ; & quant aux vases qui se trouvent d'agate ou d'autres matieres précieuses, on les a coloriées avec une grande précision, pour en donner une idée plus exacte. De ce nombre sont plusieurs vases qui se conservent au trésor S. Denys : le fameux monument d'agate dont j'ai parlé, s'y trouve beaucoup mieux rendu de toutes les façons que dans les auteurs qui l'ont donné au public ; & la comparaison de ces copies avec leurs originaux, augmente & confirme la confiance que la vérité de la touche & l'exécution peuvent donner à un connoisseur sur les morceaux qu'il ne connoît pas, ou qui n'existent plus.

Ces desseins sont entremêlés d'autres desseins faits par d'excellens artistes du seizieme siecle, la plus grande partie faite pour des ouvrages d'orfévrerie, que l'on exécutoit alors avec autant de goût & de finesse, que de magnificence, pour la décoration des tables & des buffets ; aussi l'on avoit grand soin de choisir pour les exécuter, les hommes les plus habiles & les plus célebres dans l'orfévrerie : ainsi l'on peut assurer qu'elle nous a conservé & ramené le dessein & la sculpture.

Quelques-uns de ces desseins sont d'après Polidor ; mais il ne faut pas passer sous silence ceux d'un orfevre françois, nommé maître Etienne de l'Aulne ; ils sont d'une fermeté de touche merveilleuse.

M. de Caylus parle aussi des études qui ont été faites par un autre habile homme, lequel a fait des recherches fort utiles d'après les monumens antiques, & découvert différens vases & différens instrumens en usage chez les anciens ; toutes ces choses peuvent beaucoup servir à ceux qui font leur étude de l'antique, & l'on doit par conséquent les indiquer, pour recourir dans le besoin à une source aussi exacte qu'abondante.

Ce recueil est encore enrichi de plusieurs vases étrusques, de pateres d'argent, dont les ornemens sont rendus avec la plus grande précision, & dans lesquels on trouve des masques scéniques, disposés de la même maniere & dans la même proportion que sur la belle coupe de saint Denys.

Tout prouve la magnificence des anciens en fait de vases, & les grandes dépenses qu'ils ont faits avec profusion en ce genre. Le luxe, cet ennemi de la durée des empires, & qui n'a pour excuse que la perfection des arts, dont il est un abus ; le luxe, dis-je, ne s'étend que par la séduction qu'il cause dans l'esprit des particuliers, & par l'imitation des princes & des gens riches à laquelle il les engage. Cette imitation, quoiqu'en petit, va presque toujours par-delà leurs fortunes ; malheureusement encore l'engagement que l'usage leur fait prendre, devient successivement général, & par conséquent nécessaire : enfin cette nécessité conduit au dérangement des fortunes, en faisant préférer des choses frivoles qui flattent la vanité, à de plus essentielles qui demeurent cachées. Ainsi pour satisfaire ces prétendus besoins, l'art a cherché les moyens d'imiter la nature, afin de remplacer avec une moindre dépense, ce qu'elle ne pouvoit fournir aux désirs trop étendus des peuples policés. Les anciens n'ont pas été plus sages que nous ; les hommes ont fait & feront toujours les mêmes folies. Extrait d'un mémoire de M. de Caylus, qui est dans le recueil des inscr. tom. XXIII. Voyez aussi son ouvrage des antiquités. (D.J.)

VASES de sacrifice, s. m. pl. (Sculpt. antiq.) vases qui servoient aux anciens pour les sacrifices, & qui étoient souvent employés dans les bas-reliefs de leurs temples, tels que les vases par exemple, nommés proefericulum, simpulum, &c. Le premier étoit une sorte de grande burette, ornée de sculpture ; on en voit encore un de cette façon à la frise corinthienne du temple de Jupiter tonnant, & rapporté dans les édifices antiques de Rome de M. Desgodets, un plus petit vase, en maniere de lampe, qui servoit aux libations des augures, formoit le second, c'est-à-dire le simpule.

On a introduit ces vases dans quelques bâtimens modernes ; mais comme on ne les employe que dans les édifices sacrés, nos calices, burettes, benitiers, &c. conviennent mieux à la décoration de l'architecture de nos églises. (D.J.)

VASES à boire, (Arts & Littérat.) Les hommes commencerent à faire usage des cornes de certains animaux, pour leur tenir lieu de vases à boire, ou de coupe, dont le nom étoit aussi général que celui de verre peut l'être parmi nous. Du tems de Jules-César, les Germains & les Gaulois buvoient dans des cornes de boeuf. Nous voyons que cette espece de vase étoit encore en usage sous Trajan, puisque la corne qu'il trouva dans les dépouilles de Décébale, à la vérité roi d'un peuple barbare, fut consacrée par ce grand prince à Jupiter Césius, lorsqu'il alloit combattre les Parthes, & qu'il traversa la Syrie. Cet usage de coupes de corne régnoit aussi parmi les Juifs, car Samuel prit une corne remplie d'huile, pour sacrer David, & vraisemblablement il ne la versa pas toute entiere sur sa tête : on ne peut douter du long & du grand usage que les hommes, dans tout pays, ont fait des cornes d'animaux, par la façon dont on voit qu'ils les ont employées, soit entieres, soit coupées, & parce qu'ils les ont données pour attribut à un grand nombre de figures seules ou grouppées avec plusieurs autres.

Athénée qui avoit examiné cette matiere à fond, dit que les vases à boire, qu'on appelloit , avoient une coudée de haut, & qu'ils étoient faits en forme de corne. Le même Athénée rapporte encore, & dans le même endroit, que le étoit une sorte de vase semblable à une corne, mais percé par le bas ; apparemment que la main ou le doigt retenant la liqueur, obligeoit le convive à ne rien laisser dedans. Cette invention a été attribuée à Ptolomée Philadelphe : ce prince paroît en avoir été infiniment flatté ; ainsi nous voyons clairement que ces mêmes anciens conserverent cette forme, lors même qu'ils commencerent à employer d'autres matieres à ce même usage. Nous allons voir qu'ils l'ont ensuite altérée, mais sans la rendre méconnoissable : c'est la voie générale de la nature ; les idées des hommes ne vont jamais que de proche en proche, sur-tout dans les arts.

Le tems de ce changement ne peut être fixé ni calculé, d'autant que ces différentes pratiques se sont perpétuées plus ou moins, selon le degré de culture des arts chez les differens peuples. Les deux vases de marbre qui sont placés sur le perron de la vigne Borghese à Rome, sont des imitations de coupes dont les anciens se servoient pour boire : ce sont des cornes terminées par des têtes de boeufs ; leur grandeur & la beauté du travail, semblent persuader qu'ils ont été consacrés à quelque ancien temple de Bacchus.

Quoiqu'on ne puisse déterminer combien de tems les hommes se sont servi de cornes d'animaux en guise de coupes, il est constant que ces premiers vases, donnés par la nature, aussi-bien que ceux qui furent formés à leur imitation, furent dans la suite remplacés par d'autres, dont les formes nous sont rapportées avec une grande variété ; il suffit de lire le livre onzieme d'Athénée, pour en être convaincu.

Les anciens ne négligerent rien encore pour l'élégance du trait, la beauté du travail, & la recherche des matieres des vases destinés à leur table & à l'ornement de leur buffet ; ce luxe a été un de ceux auxquels ils ont été le plus constamment attachés ; & c'est peut-être à ce même luxe qu'ils ont été redevables d'un grand nombre de découvertes dans les arts, & de la recherche des belles matieres que la nature pouvoit leur fournir ; il est prouvé que leur curiosité a été aussi grande en ce genre, que leur attention à les faire valoir par le travail le plus exact, le plus couteux, & le plus difficile à exécuter.

On voit que l'ancienne forme des vases à boire, changea de très-bonne heure dans la Grèce, puisque Homere parle de deux coupes dans son Iliade, très-éloignées de cette forme ; l'une de ces coupes est celle que Vulcain présente aux dieux pour les réconcilier, & l'autre est celle que le poëte, l. II. donne à Nestor. Cette derniere coupe étoit piquée de clous d'or, avec quatre anses, accompagnées chacune de deux colombes ; cette même coupe étoit à deux fonds & fort pesante lorsqu'elle étoit remplie : tout autre que Nestor, un jeune homme même, l'eût difficilement levée de dessus la table ; mais le bon vieillard la levoit encore, & la vuidoit sans peine. Qu'Homere n'ait point décrit d'après nature la coupe qu'il donna à Nestor, ou qu'il l'ait rapportée d'imagination, cette imagination a toujours eu pour fondement des objets réels, & reçus de son tems pour usage en ce genre ; mais Athénée prouve que ces coupes existoient réellement du tems d'Homere & dans le sien. L'on se vantoit de conserver à Capoue la coupe de Nestor ; jactance qui montre que non-seulement des particuliers, mais des villes & des peuples entiers ont toujours attaché de l'opinion aux choses antiques, & que cette opinion a constamment ajouté au mérite réel. La raison de ce préjugé ne viendroit-elle pas de ce que l'esprit, flatté d'embrasser plusieurs idées, se trouve non-seulement touché de l'objet en lui-même, mais qu'il aime à se trouver étendu par les idées des hommes & des tems qui l'ont précédé ?

Anacréon, ce poëte délicieux à qui sa coupe a le plus souvent servi de lyre, nous prouve par ses Odes XVII. & XVIII. que de son tems on faisoit représenter tout ce que l'on vouloit sur les coupes des festins, & que les artistes étoient en état de satisfaire la volonté des particuliers, quant aux compositions & à la dépense. Hérodote parle aussi quelquefois des vases de festin ; & c'en est assez pour prouver l'estime qu'on en faisoit.

Suétone, dans la vie de Néron, c. xlvij. dit que ce prince renversa la table sur laquelle il mangeoit, lorsqu'il apprit la révolte de ses armées, & qu'il brisa deux belles coupes sur lesquelles on avoit gravé des vers d'Homere. Pline dit que ces deux coupes étoient de crystal. Si les hommes n'eussent point été frappés du mérite de ces coupes, un historien n'auroit pas cité leur perte comme une preuve de l'impression que ce prince, tout insensé qu'il étoit, reçut d'une nouvelle qui lui annonçoit ses malheurs.

Les Romains abuserent des formes qu'ils donnerent à leurs vases. Je me contenterai de renvoyer au vers 95. de la seconde satyre de Juvénal. Pline, dans le liv. XIV. c. xxij. ainsi que dans l'avant-propos du liv. XXIII. s'éleve vivement contre l'usage où l'on étoit de son tems, d'employer ces vases obscènes, ce qu'il appelle per obscoenitates bibere. Mém. des Inscriptions, tom. XXIII. (D.J.)

VASE myrrhin, (Littér.) Parmi les riches dépouilles que Pompée, vainqueur de Mithridate, & maître d'une partie de l'Asie, fit voir à Rome, lorsqu'il obtint le triomphe, entre une infinité de bijoux de toute espece, de pierres précieuses, & d'ouvrages inestimables où l'art le disputoit avec la nature, on admira pour la premiere fois plusieurs de ces beaux vases appellés vasa myrrhina. C'étoit une nouveauté pour les Romains, une nouveauté de matiere fragile, & qu'on leur présentoit comme une chose aussi rare qu'elle étoit parfaite : on en voulut à tout prix.

On vit un ancien consul y consumer tout son patrimoine ; acheter un seul de ces vases 70 talens, qui font plus de 150 mille livres de notre monnoie, & boire, tout brisé qu'il étoit, sur ses bords avec la même satisfaction, & peut-être encore avec plus de délices, que quand il étoit entier. Mais Néron, & Pétrone le ministre de ses plaisirs, allerent encore bien au-delà, & je n'ose écrire les sommes qu'ils y dépenserent, on ne me croiroit point. Une pareille folie étoit digne d'un empereur, qui, après avoir rassemblé autant qu'il avoit pu de vases de cette espece, & en avoir enrichi le théâtre sur lequel il osoit faire, à la vue de tout un public, le personnage d'acteur, ne rougissoit point de recueillir jusqu'aux débris de ces vases, de leur préparer un tombeau, & de les y placer à la honte du siecle, avec le même appareil que s'il se fût agi de rendre un honneur semblable aux cendres d'Alexandre.

Il en coûta à Pétrone pour acquérir un bassin, trullum myrrhinum, 300 talens, qui réduits à leur moindre valeur, font la somme de 720 mille livres ; & Néron en dépensa autant pour un vase à deux anses de la même matiere.

Pline, qui s'est attaché à nous décrire l'auguste cérémonie du triomphe de Pompée d'après les actes mêmes qu'il avoit eus en communication, nous parle de vases faits avec de l'or & avec les pierres les plus précieuses qui ornerent ce triomphe, & qui étoient en si grande abondance, c'étoient les vases de Mithridate ; mais le même Pline ne tarde pas à nous avertir que ce fut en cette occasion qu'on vit paroître les premiers vases myrrhins : vases qui furent reçus avec une admiration mêlée, si on peut le dire, de respect, jusque-là que Pompée crut qu'il étoit de son devoir d'en consacrer au moins six dans le temple de Jupiter capitolin.

Ces vases précieux par leur belle forme, leur éclat, leur transparence en plusieurs endroits, nous ignorons quelle en étoit la matiere ; mais on conçoit bien qu'elle n'étoit pas de myrrhe, cette idée seroit ridicule.

Plusieurs sçavans ont jugé que ces vases étoient d'une sorte d'agate, comme par exemple de celle que Pline nomme antachates ; mais cette conjecture souffre aussi de fortes difficultés. Ces vases myrrhins étoient d'une grandeur considérable, ayant une même disposition de figures, avec des ornemens de couleur différente du fonds ; or la nature produit rarement des morceaux d'agate d'une certaine étendue ; on n'y trouve jamais les mêmes dispositions de figures ; il est contre le caractere de l'agate d'être litée en sens contraire comme il le faudroit pour rencontrer dans le même morceau des ornemens d'une couleur différente du fonds.

Ces raisons ont déterminé quelques savans à penser que les vases myrrhins étoient des procédés de l'art, & c'est peut-être le seul sujet sur lequel Jules-César Scaliger & Jérôme Cardan se soient accordés. Ils ont avancé tous les deux que les vases myrrhins venoient de l'Inde, & qu'ils étoient de porcelaine. M. Mariette a adopté dernierement la même opinion, & s'est si bien attaché à la faire valoir dans son traité des pierres gravées, que M. de Caylus avoue que ces preuves l'ont convaincu. Elles me paroissent en particulier d'autant plus vraisemblables, que Properce dit positivement que les vases myrrhins se faisoient au moyen du feu.

Myrrheaque in parthis pocula cocta focis.

(D.J.)

VASES de théâtre. (Antiq. grecq. & rom.) C'étoient, selon Vitruve, certains vaisseaux d'airain ou de poterie qu'il appelle echeia, qui se mettoient en des endroits cachés sous les degrés de l'amphithéâtre, & qui servoient pour la repercussion de la voix.

Lorsque les Grecs eurent bâti des théâtres solides & d'une vaste étendue, ils s'apperçurent que la voix de leurs acteurs ne pouvoit plus porter jusqu'au bout, ils résolurent d'y suppléer par quelque moyen qui en pût augmenter la force, & en rendre les articulations plus distinctes. Pour cela, ils s'aviserent de placer dans de petites chambres pratiquées sous les degrés du théâtre, des vases d'airain de tous les tons de la voix humaine, & même de toute l'étendue de leurs instrumens, afin que tous les sons qui partoient de la scène pussent ébranler quelqu'un de ces vases, suivant le rapport qui étoit entr'eux, & profiter de leur consonnance pour frapper l'oreille d'une maniere plus forte & plus distincte.

Ces vases étoient faits dans des proportions géométriques, & leurs dimensions devoient être tellement compassées, qu'ils sonnassent à la quarte, à la quinte les uns des autres, & formassent ainsi tous les autres accords jusqu'à la double octave. Il faut entendre par leurs dimensions leur hauteur, leur largeur, leurs différens dégrés, & la courbure de leur évasement. On les arrangeoit ensuite sous les gradins du théâtre dans des proportions harmoniques, & il falloit qu'ils fussent placés dans leurs chambres de maniere qu'ils ne touchassent point aux murailles, & qu'ils eussent tout-autour, & par-dessus, une espece de vuide.

Vitruve ne nous apprend point quelle figure ils avoient ; mais comme il ajoute qu'ils étoient renversés & soutenus du côté de la scène par des coins de demi-pié de haut, il y a bien de l'apparence qu'ils avoient à-peu-près la forme d'une cloche ou d'un timbre de pendule, car c'est la plus propre au retentissement dont il s'agit.

Pour les chambres où ils étoient placés, il y en avoit treize sous chaque étage de degrés, & comme elles devoient être disposées de maniere qu'il y eût entre-elles douze espaces égaux, il falloit qu'elles fussent situées dans le milieu de ces étages, & non pas au bas comme le marque M. Perrault, à cause des portes & des escaliers qui se trouvoient au-dessous. Aussi Vitruve dit expressément que si le théâtre n'a qu'un étage de degrés, ces chambres doivent être placées dans le milieu de sa hauteur, & qu'il faut les disposer de même dans les autres étages, si le théâtre en a plusieurs ; car il y en avoit jusqu'à trois rangs dans les grands théâtres, dont l'un étoit pour le genre enharmonique, l'autre pour le cromatique, & le troisieme pour le diatonique, & dont les vases étoient par conséquent arrangés suivant les différentes proportions de ces trois genres de musique.

Toutes ces chambres au reste devoient avoir par en-bas des ouvertures longues de deux piés, & larges d'un demi-pié, pour donner passage à la voix, & il falloit que leurs voûtes eussent à-peu-près la même courbure que les vases, pour n'en point empêcher le retentissement. Par ce moyen, dit Vitruve, la voix s'étendant du centre à la circonférence, ira frapper dans la cavité de ces vases, & les ébranlant suivant leur consonnance, en sera non-seulement rendue plus forte & plus claire, mais encore plus douce & plus agréable.

On prétend qu'il y a des vases de l'espece de ceux des anciens dans l'église cathédrale de Milan, qui est très-propre à l'harmonie ; mais on prétend communément des choses, qui bien examinées, ne se trouvent pas vraies. (D.J.)


VASGAU(Géog. mod.) Voyez WASGAW.


VASIERES. f. (Saline) grand bassin dans les salines, où on fait venir & où on laisse chauffer l'eau pour la faire couler dans les villers par l'arene & les canaux. (D.J.)


VASILICA(Géog. mod.) ou BASILICO, selon M. Delisle, lieu de la Morée, aux environs du golfe de Lépante, à l'occident de Corinthe, anciennement Sicyon.

VASILICA, du tems que les Vénitiens possédoient le pays, étoit une petite ville ; aujourd'hui c'est un petit hameau à trois ou quatre milles de la mer. Il n'y a pas douze maisons dans ce hameau. (D.J.)


VASILIPOTAMOou BASILIPOTAMO, (Géog. mod.) c'est-à-dire le fleuve Royal, riviere de Grèce dans la Morée. Elle coule en serpentant du nord au midi, dans la province de Brazzo di Maina, baigne Misitra, & va se jetter dans le golfe de Colochine, entre Paléopoli & Castro-Rampano.

Cette riviere est l'Eurotas des anciens, si célebre chez les poëtes qui nous peignent ses bords plantés de myrtes, de lauriers & d'oliviers. C'est près de ces mêmes bords que Castor & Pollux avoient coutume de s'exercer, qu'Hélene fut enlevée deux fois, & que Diane se plaisoit à chasser. Ce petit fleuve étoit honoré chez les Lacédémoniens par une loi expresse. Voyez donc EUROTAS. (D.J.)


VASIZALA (Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale dans la Louisiane. Elle se jette dans le golfe du Mexique, après un cours d'environ trente lieues. (D.J.)


VASSALS. m. (Gram. & Jurisprud.) en latin vassallus, & autrefois vassus & vavassor, signifie présentement celui qui tient en propriété un fief de quelque seigneur à la charge de la foi & hommage.

On appelle aussi le vassal seigneur utile, parce que c'est lui principalement qui retire l'utilité du fief servant.

Les vassaux sont aussi appellés hommes du seigneur, à cause de l'hommage qu'ils lui doivent.

En quelques endroits on les appelle hommes de fief, pairs de fief, ou pairs du seigneur.

Il n'y a guere de terme dans la jurisprudence dont l'étymologie ait plus exercé les savans que celui-ci.

Boxhornius prétend que vassus, vassal, vient du celtique gwos ou goas, qui signifie servus, famulus, lesquels termes latins signifioient chez les anciens un jeune homme, un adolescent.

Goldast veut que vassus soit venu de vade, vadimonium, gage, parce que le vassal donnoit, dit-il, un gage à son seigneur pour le bénéfice qu'il recevoit de lui.

Turnebus croit que l'on a dit vassos quasi vasarios, parce que les vassaux étoient des cliens qui étoient préposés sur la vaisselle & meubles des nobles.

Fréderic Bandius fait dériver vassus de l'allemand vassen, qui signifie obliger, lier, vincire, parce que les vassaux étoient attachés à un seigneur.

Pithou, en ses notes sur les capitulaires, tient que le terme vassal, vassus, est françois, & que vassus signifie servilis ; il cite aussi plusieurs auteurs saxons, suivant lesquels vassus chez les Saxons signifie servilis ; entr'autres Trucbaldes, abbé d'Elne, en la vie de S. Lebvin, lequel dit que la nation des Saxons étoit partagée en trois ordres ; savoir, les nobles, les ingénus, & ceux qu'on appelloit lassi, ce qu'il traduit par serviles.

L'opinion de Bandius, qui fait venir vassus de l'allemand vassen, est celle qui nous paroît la plus vraisemblable.

Il est certain en effet qu'anciennement par le terme de vassus, vassal, on entendoit un familier ou domestique du roi, ou de quelqu'autre prince ou seigneur, & qu'il étoit obligé de lui rendre quelque service.

Ce terme de vassus étoit usité dès le commencement de la monarchie, & bien avant l'institution des fiefs ; il est parlé des vassaux du roi & des autres princes dans nos plus anciennes loix, telles que les loix saliques, la loi des Allemands, dans les capitulaires, dans les conciles de ce tems, & dans les plus anciens auteurs, tels que Grégoire de Tours, Marculphe, &c.

Quelques-uns ont prétendu que vassus & vassallus n'étoient pas la même chose, que vassallus étoit le client de celui qu'on appelloit vassus ; mais il paroît que vassus est le nom primitif, & que l'on a ensuite appellé indifféremment les personnes de cette condition vassi seu vassali ; & en quelques endroits vassallitii ou vassalubi, à moins que l'on ne veuille dire que vassali étoit un diminutif de vassi, & que par le terme de vassali ou vassalubi on entendoit les enfans des vassaux. Je croirois néanmoins plutôt que vassalubi étoient non pas des arriere- vassaux ; mais des vassaux ou domestiques d'un ordre inférieur.

Les vassaux qui étoient du nombre des familiers ou domestiques du roi ou de l'empereur, étoient appellés vassi regales seu dominici.

Il ne faut pas croire que ces vassaux royaux ne fussent que des gens de condition servile : ils étoient au-contraire si considérables, qu'ils sont nommés les premiers après les comtes ; on comprenoit sous ce titre de vassaux, tous ceux qui étoient liés envers le roi par la religion du serment.

Ils avoient aussi un privilege singulier ; savoir, que quand ils étoient accusés de quelque crime, & qu'ils étoient obligés de s'en purger par serment, ils n'étoient pas obligés de le faire en personne ; ils faisoient jurer pour eux celui de leurs hommes qui étoit le plus considérable, & qui méritoit le plus de créance.

Ces vassaux royaux étoient quelquefois envoyés par le prince dans les provinces, pour assister les comtes dans l'administration de la justice, & autres affaires publiques ; on trouve nombre de jugemens rendus par les comtes avec les vassaux ; c'est pourquoi ces vassaux étoient quelquefois appellés les vassaux des comtes, quoique dans le vrai ils fussent les vassaux du roi, qui les donnoit pour collegues aux comtes ; ils étoient, comme on voit, à l'égard des comtes, ce que sont encore dans certaines coutumes les hommes de fief ou pairs à l'égard du seigneur.

On envoyoit aussi quelquefois ces vassaux royaux sur les marches & frontieres du royaume pour les garder & défendre.

D'autres étoient envoyés dans les domaines du roi pour les exploiter, & l'on trouve des preuves que ceux qu'on appelloit villici vel praepositi avoient été anciennement vassali.

Lorsque les vassaux royaux alloient au lieu de leur commission, ou qu'ils y étoient résidens, ils recevoient des contributions de même que ces commissaires du roi, qu'on appelloit missi dominici ; ils étoient subordonnés aux comtes, & soumis à leur jurisdiction.

Le prince donnoit à ses vassaux des terres dans les provinces pour en jouir à titre de bénéfice civil, jure beneficii ; concession dont le premier usage étoit venu des Romains, & dont, par succession de tems, se formerent les fiefs.

Ces concessions de bénéfices qui étoient faites aux vassaux n'étoient pas perpétuelles ; elles n'étoient qu'à vie, & même amovibles ; mais elles ne pouvoient être ôtées sans cause légitime. Odon, abbé de Cluny, en la vie de S. Gerand, dit qu'il ne souffroit point qu'aucun seigneur, senior, ôtât par caprice à son vassal les bénéfices qu'il tenoit. C'est un des plus anciens exemples que l'on ait trouvé de la subordination du vassal à son seigneur à raison de son bénéfice ou fief : le même Odon dit que l'ordre de l'état étoit tellement troublé, que les marquis ou gouverneurs des frontieres avoient poussé l'insolence jusqu'à se soumettre les vassaux du roi.

Les bénéfices obligeoient les vassaux non-seulement à rendre la justice, mais aussi à percevoir au nom du seigneur les droits qui en dépendoient pour raison de quoi ils lui payerent une redevance annuelle.

Ils étoient aussi obligés au service militaire, & c'est de-là que dans le dixieme siecle tout possesseur du fief prit le titre de miles, au lieu de celui de vassus.

On distinguoit, comme encore à présent, deux sortes de vassaux ; savoir, les grands, majores, & les petits, minores.

Les princes s'étant créés des vassaux immédiats, par la concession des bénéfices civils, se firent aussi des vassaux médiats, en permettant aux nobles de se créer de même des vassaux, ce qui est l'origine des sous-inféodations, & des arriere-fiefs & arriere vassaux.

Les vassaux des princes signoient autrefois en cette qualité leurs chartes après les grands officiers, comme ils firent encore pendant quelque tems ; avec cette différence, qu'au-lieu d'ajouter à leur nom la qualité de vassallus, ils mettoient celle de miles, ou-bien leur nom simplement sans aucune qualité.

On trouve une charte de Guillaume, comte de Provence, qui est dite avoir été faite en présence des vassaux royaux, dominici, tant romains que saliens, tam romanis quam salicis, ce qui fait connoître que les vassaux étoient quelquefois distingués par la nature de leurs bénéfices, dont les uns tiroient leur origine des Romains, les autres de la loi salique.

Après avoir ainsi expliqué tout ce qui concerne l'origine du terme vassal, il faut venir à ce qui s'est observé par rapport aux vassaux depuis l'institution des fiefs.

Depuis ce tems, on a entendu par le terme de vassal, celui qui tient un fief mouvant d'un autre seigneur à la charge de l'hommage.

Le seigneur est celui qui posséde le fief dominant ; le vassal, celui qui tient le fief servant.

Le vassal & le seigneur ont des devoirs réciproques à remplir l'un envers l'autre ; le vassal doit honneur & fidélité à son seigneur ; celui-ci doit protection à son vassal.

Anciennement le vassal étoit obligé d'assister aux audiences du bailli de son seigneur, & de lui donner conseil, ce qui ne s'observe plus que dans quelques coutumes, comme Artois & autres coutumes voisines.

On appelloit les vassaux pairs & compagnons, parce qu'ils étoient égaux en fonctions.

Quand ils avoient quelque procès ou différend entre eux, ils avoient droit d'être jugés par leurs pairs, le seigneur du fief dominant y présidoit. Cet usage s'observe encore pour les pairs de France, qui sont les grands vassaux de la couronne, lesquels ne peuvent être jugés dans les causes qui intéressent leur personne & leur état qu'au parlement, la cour suffisamment garnie de pairs.

Le vassal payoit une redevance annuelle à son seigneur ; il pouvoit même y être contraint par la saisie de son fief, ou par la vente de ses effets mobiliers. Si les effets n'étoient pas encore vendus, il pouvoit en avoir main-levée, en offrant d'acquiter la redevance, & de payer la redevance.

Si la saisie du fief étoit faite pour droits extraordinaires, elle n'emportoit pas perte de fruits.

Le vassal faisoit la foi pour son fief, mais il n'étoit pas d'usage d'en donner un aveu & dénombrement : lorsque le seigneur craignoit que le vassal ne diminuât son fief, il pouvoit obliger le vassal de lui en faire montrée, & pour engager celui-ci à ne rien cacher, il perdoit tout ce qu'il n'avoit pas montré, quand il n'y auroit manqué que par ignorance.

S'il étoit convaincu d'avoir donné de fausses mesures, il perdoit ses meubles.

Il perdoit son fief pour différentes causes ; savoir, lorsqu'il mettoit le premier la main sur son seigneur, lorsqu'il ne le secouroit pas en guerre, après en avoir été requis, ou lorsqu'il marchoit contre son seigneur, accompagné d'autres que de ses parens, lorsqu'il persistoit dans quelque usurpation par lui faite sur son seigneur, ou s'il désavouoit son seigneur.

Il ne lui étoit pas permis de demander l'amendement du jugement de son seigneur, mais il pouvoit fausser le jugement.

S'il étoit condamné, il perdoit son fief ; mais il étoit mis hors de l'obéissance de son seigneur, si le jugement étoit faux ; il devenoit alors vassal immédiat du seigneur suserain.

Tant que le procès étoit indécis, il ne pouvoit être contraint de payer l'amende au seigneur.

Le vassal, c'est-à-dire, le vasselage pouvoit être partagé entre freres & soeurs. Mais le seigneur ne pouvoit le partager avec un étranger sans son consentement, & sans celui du seigneur dominant.

S'il étoit partagé entre le baron & le vavasseur ou seigneur de simple fief, la moitié appartenante au vavasseur, étoit dévolue au seigneur immédiat du baron.

Il pouvoit être donné en entier à un étranger par son seigneur. Le baron pouvoit aussi le donner au vavasseur ; mais en ce dernier cas, le vassal étoit dévolu au seigneur immédiat du baron.

Lorsque les seigneurs se faisoient entr'eux la guerre, leurs vassaux étoient obligés de les accompagner, & de mener avec eux leurs arriere - vassaux.

Présentement il n'y a plus que le roi qui puisse faire marcher ses vassaux & arriere- vassaux à la guerre, ce qu'il fait quelquefois par la convocation du ban & de l'arriere-ban.

Les devoirs du vassal se réduisent présentement à quatre choses.

1°. Faire la foi & hommage à son seigneur dominant, à toutes les mutations de seigneur & de vassal.

2°. Payer les droits qui sont dûs au seigneur pour les mutations de vassal, tels que le quint pour les mutations par vente, ou autre contrat équipollent, & le relief pour les autres mutations, autres néanmoins que celles qui arrivent par succession & en ligne directe.

3°. Fournir au seigneur un aveu & dénombrement de son fief.

4°. Comparoître aux plaids du seigneur, & pardevant ses officiers, quand il est assigné à cette fin.

Le vassal doit faire la foi & hommage en personne, & dans ce moment mettre un genou en terre, étant nue tête, sans épée ni éperons ; autrefois il joignoit ses mains dans celles de son seigneur, lequel le baisoit en la bouche ; c'est pourquoi quelques coutumes disent que le vassal ne doit au seigneur que la bouche & les mains dans les cas où il ne doit que la foi & hommage.

La confiscation du fief a lieu contre le vassal en deux cas ; savoir, pour désaveu formel, lorsque le désaveu se trouve mal fondé, & pour crime de félonie ; c'est-à-dire, lorsque le vassal offense griévement son seigneur. Voyez le code des loix antiques, le recueil des ordonnances, le glossaire de Ducange, & celui de Lauriere, les auteurs qui ont traité des fiefs, & ci - devant les mots AVEU, DENOMBREMENT, DROITS SEIGNEURIAUX, FIEF, FOI, HOMMAGE, MUTATION, QUINT, REQUINT, RELIEF, SEIGNEURIE, (A)


VASSART(Marine) qualité particuliere du fond de la mer. Voyez FOND.


VASSELAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) est l'état de vassal, la dépendance dans laquelle il est à l'égard du seigneur dont il releve.

Vasselage signifie aussi quelquefois le fief mouvant d'un seigneur, & quelquefois aussi l'on entend par ce terme l'hommage qui est dû au seigneur par le vassal.

On appelloit en Italie vasselage, ce qu'en France on appelloit hommage. Voyez le glossaire de Ducange, au mot vassalaticum.

Vasselage actif, c'est le droit de féodalité qui appartient à un seigneur sur l'héritage mouvant de lui en fief. Voyez Vasselage passif, voyez la coutume de Berry, tit. xij. art. 4.

Vasselage, est l'hommage lige, lequel ne peut plus être dû qu'au roi. Voyez HOMMAGE LIGE.

Vasselage passif, c'est l'état du vassal qui tient un fief de quelque seigneur. Voyez Vasselage actif.

Vasselage simple, est l'état d'un fief qui ne doit que la foi & l'hommage ordinaire & non hommage lige. (A)


VASSETou VASSITH, (Géog. mod.) ville d'Asie, dans l'Iraque babylonienne, sur le Tigre, entre Confah & Bassorah. C'est une ville moderne, bâtie l'an 83 de l'hégire par Hégiah, gouverneur de l'Irac, sous le regne de Abdal-Maleck, cinquieme calife de la race des Ommiades. Long. 81. 30. latit. septentrionale 32. 20. (D.J.)


VASSI(Géog. mod.) en latin du moyen âge Vassiacus ou Vasiacus, ville de France, en Champagne, la principale place du pays de Vallage, au milieu duquel elle est située, sur une petite riviere appellée la Blaise. C'est un lieu fort ancien, & qui étoit déjà un domaine royal, fiscus regius, dès le milieu du septieme siecle, sous le regne de Clovis II. Elle fleurissoit beaucoup avant le massacre des réformés, qu'on eut lieu d'attribuer principalement au duc de Guise, & par lequel commencerent les affreuses guerres civiles en France pour la religion. Long. 19. 23. latit. 47. 4.

Jaquelot (Isaac), célebre théologien calviniste, naquit dans cette ville en 1647, & se vit obligé de sortir de France par la révocation de l'édit de Nantes. Le corps des nobles lui donna une église à la Haye, & le roi de Prusse le nomma son prédicateur à Berlin, où il mourut en 1708, âgé de 61 ans. Il a publié des ouvrages estimés, entr'autres des sermons, un traité de l'existence de Dieu, des dissertations sur le Messie, & finalement un traité de la vérité des livres du vieux & du nouveau Testament, imprimé à Rotterdam en 1715, in-8 °. (D.J.)


VASSOLESS. f. (Marine) pieces de bois que l'on met entre chaque panneau de caillebotis.


VASTAN(Géog. mod.) ville de la basse Arménie, au sud-est de Van, sur le bord du lac de ce nom. Long. 77. 50. latit. 37. 50. (D.J.)


VASTEadj. (Langue françoise) M. de Saint Evremond a fait une dissertation pour prouver que cette épithete designe toujours un défaut : voici comment il se trouva engagé à écrire sur ce sujet en 1667. Quelqu'un ayant dit en louant le cardinal de Richelieu, qu'il avoit l'esprit vaste, sans y ajouter d'autre épithete, M. de Saint-Evremond soutint que cette expression n'étoit pas juste ; qu'esprit vaste se prenoit en bonne ou en mauvaise part, selon les choses qui s'y trouvoient jointes ; qu'un esprit vaste, merveilleux, pénétrant, marquoit une capacité admirable, & qu'au contraire un esprit vaste & demesuré étoit un esprit qui se perdoit en des pensées vagues, en de vaines idées, en des desseins trop grands, & peu proportionnés aux moyens qui nous peuvent faire réussir. Madame de Mazarin, la belle Hortense prit parti contre M. de Saint-Evremond, & après avoir long-tems disputé, ils convinrent de s'en rapporter à MM. de l'académie.

M. l'abbé de Saint-Réal se chargea de faire la consultation, & l'académie polie décida en faveur de Madame de Mazarin. M. de Saint-Evremond s'étoit déjà condamné lui-même avant que cette décision arrivât ; mais quand il l'eût vue, il déclara que son désaveu n'étoit point sincere : que c'étoit un pur effet de docilité, & un assujettissement volontaire de ses sentimens à ceux de Madame de Mazarin ; mais que vis-à-vis de l'académie, il ne lui devoit de la soumission que pour la vérité. Là-dessus il reprit nonseulement l'opinion qu'il avoit d'abord défendue ; mais il nia absolument que vaste seul pût jamais être une louange vraie ; il soutint que le grand étoit une perfection dans les esprits, le vaste un vice ; que l'étendue juste & réglée faisoit le grand, & que la grandeur démesurée faisoit le vaste, qu'enfin la signification la plus ordinaire du vastus des latins, c'est trop spacieux, trop étendu, démesuré, & je crois pour moi qu'il avoit à-peu-près raison en tous points. Je vois du-moins que vastus homo dans Ciceron, est un colosse, un homme d'une taille trop grande, & dans Salluste vastus animus, est un esprit immodéré, qui porte trop loin ses vues & ses espérances. (D.J.)

VASTE, en Anatomie, est un nom commun à deux muscles de la jambe, dont l'un est interne, & l'autre externe. Ils sont appellés vastes à cause de leur grosseur, & ils servent tous deux à étendre la jambe.

VASTE externe, est un muscle qui vient de la racine du grand trochanter, & de la ligne osseuse, étant tendineux en-dehors, & charnu en-dedans ; ensuite descendant obliquement, il devient au contraire tendineux en-dedans, & charnu en-dehors, jusqu'à ce que rencontrant le tendon du muscle droit, il devient entierement tendineux, & se termine conjointement avec lui. Voyez les Planches d'Anatom.

VASTE interne est un muscle qui vient de même par un principe moitié tendineux & moitié charnu de la ligne osseuse, immédiatement au-dessous du petit trochanter. Il se porte ensuite à la partie antérieure du femur, & se continue presque jusqu'au condile interne ; de-là il descend obliquement, & devenant tendineux, se termine avec le vaste externe. Voyez les Pl. anat.


VASTELLUMS. m. (Hist. mod.) grande coupe ou gobelet d'argent ou de bois, dans laquelle les anciens Saxons avoient coutume de boire à la santé dans leurs festins. Matthieu Paris, dans la vie des abbés de S. Alban, dit : Abbas solus prendebat supremus in refectorio, habens vastellum. " Il avoit auprès de lui la coupe de la charité pour boire à la santé des freres. "

C'est ce qu'on appelle en Allemagne le vidricum ou willekom, qui signifie le bien-venu, vase d'une capacité quelquefois très-énorme qu'il faut vuider à l'exemple des Allemands pour en être bien venu.

On croit que c'est de-là que vient la coutume qui regne encore dans le comté de Sussex, & dans quelques autres endroits, d'aller, comme ils disent, à Wasseling au festin où l'on boit copieusement.


VATAN(Géog. mod.) petite ville de France, dans le Berry, à 3 lieues d'Issoudun, entre Bourges au levant, & Loches au couchant, avec une collégiale. Long. 19. 23. latit. 47. 4.

Méri (Jean), naquit à Vatan en 1645, & mourut à Paris, premier chirurgien de l'Hôtel-dieu, en 1722, à 77 ans. Son mérite lui valut une place à l'académie des Sciences, & l'on a de lui dans les mémoires de cette académie, plusieurs dissertations sur les parties les plus délicates de l'anatomie, comme sur l'iris de l'oeil, la choroïde, le nerf optique, l'usage du trou ovalaire, &c. (D.J.)


VATERIAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont le calice est petit, aigu & permanent ; il est composé d'une seule feuille découpée en cinq segmens ; la fleur est formée de cinq pétales déployés & ovoïdes ; les étamines sont une grande quantité de filets plus courts que la fleur ; les bossettes sont simples ; le germe du pistil est arrondi ; le stile est court ; le stigma est gros au sommet ; le fruit est turbiné & a trois cosses ; les graines sont simples & ovales. Linnaei, gen. plant. p. 235. Hort. malab. t. IV. p. 15. (D.J.)


VATESS. f. (Mytholog.) c'étoit chez les Gaulois une classe de druides, qui étoient chargés d'offrir les sacrifices, & s'appliquoient à connoître & à expliquer les choses naturelles, au rapport de Strabon ; je soupçonne qu'ils y étoient fort mal-habiles. (D.J.)


VATIANS. m. (Hist. nat. Bot.) est le nom que les habitans de l'île de Bornéo donnent à une espece de poivre, dont on vante beaucoup les vertus médicinales.


VATICA(Géogr. mod.) grande baie de la Morée, sur la côte de Brazzo-di-Maina, entre le cap S. Ange & l'île de Cervi. Cette baie qui a 40 brasses d'eau à son entrée, pourroit contenir 200 vaisseaux ; mais par malheur dans le passage qui est entre l'île & le continent, il n'y a tout au plus que trois piés d'eau. (D.J.)

VATICA, (Géog. mod.) bourg de la Morée, auprès du cap Malée, vis-à-vis de l'île de Cérigo, au lieu où étoit l'ancienne Boja, selon Niger.


VATICANLE, (Architect. gothiq.) ce palais des pontifes de Rome, est un vaste édifice des plus irréguliers. Le pape Symmaque le commença ; plusieurs de ses successeurs y mirent la main ; & Sixte V. y fit les travaux les plus considérables. Ce bâtiment est contigu à l'église de S. Pierre, & la masque entierement d'un côté.

Ce qu'il y a de plus curieux au vatican, pour les amateurs des beaux-arts, ce sont les tableaux & les peintures à fresque. La salle d'audience pour les ambassadeurs est peinte de cette maniere par Perrin del Vaga. C'est dans cette même salle qu'on voit toujours avec surprise, des tableaux de l'horrible massacre de la S. Barthelemi. Jamais dans le palais des empereurs romains, on ne s'avisa de mettre sous les yeux aucun tableau des proscriptions du triumvirat. La chapelle Sixtine est décorée de la représentation du jugement dernier par Michel-Ange ; la chapelle Pauline offre à la vûe entr'autres ouvrages de ce grand maître, le crucifiement de S. Pierre, & la conversion de S. Paul. Les frises & les voûtes sont de la main de Zucchero. Enfin on ne se lasse pas de considérer au vatican, les batailles de Constantin par Jules Romain ; l'histoire d'Attila par Raphaël ; l'incendie du bourg S. Pierre par le Perrugin ; une Notre-Dame de pitié par Pierre Cortone, & combien d'autres morceaux des premiers peintres d'Italie. (D.J.)

Le vatican est proprement le nom d'une des sept collines sur lesquelles l'ancienne Rome a été bâtie. Au pié de cette colline est la fameuse église de saint Pierre, & le palais magnifique dont nous venons de parler. C'est de-là aussi que viennent diverses phrases figurées, comme les foudres du vatican, c'est-à-dire les anathèmes & les excommunications de la cour de Rome.

Selon Aulugelle le mot vatican est dérivé de vaticinium, prophétie, parce que c'étoit sur cette colline que se rendoient les oracles & les prédictions qu'inspiroit un dieu des anciens latins, nommé Vaticanus.

On croyoit que cette divinité délioit les organes des enfans nouveau-nés ; & quelques-uns veulent que ce fût Jupiter lui-même, en tant qu'on lui attribuoit cette faculté.

La bibliotheque du vatican est une des plus célebres de l'univers, & des plus riches en manuscrits. Vers le commencement du dernier siecle elle fut considérablement augmentée par l'addition de celle des électeurs Palatins. Elle est ouverte pour tout le monde, trois ou quatre jours de la semaine. On y montre un Virgile, un Térence & divers autres anciens auteurs qui ont plus de mille ans ; le manuscrit sur lequel on a fait l'édition des septante, & une grande quantité de manuscrits rabbiniques. Voyez BIBLIOTHEQUE.


VATRENUS(Géog. anc.) riviere d'Italie, dans la Gaule cispadane, où selon Pline, elle arrosoit la ville appellée Forum Cornelii. Au lieu de Vatrenus, quelques exemplaires de Martial, l. III. c. lxvij. lisent Vaternus.

Vaterno Eridanoque pigriores.

Ce fleuve, selon Léander & Cluvier, se nomme aujourd'hui Saterno ou Santerno, & il coule lentement au-dessous de la ville d'Immola, pour aller se perdre dans le Pô. (D.J.)


VAUCELETS(Véner.) cri qui marque qu'on voit la voie de la bête que l'on chasse, ou que l'on en revoit les fumées.


VAUCLUSEFONTAINE DE, (Géog. mod.) fontaine de France, dans le comtat Venaissin, assez près de la ville d'Apt.

Cette fontaine sort d'un antre très-vaste, au pié d'un rocher d'une grande hauteur, coupé à-plomb comme un mur. Cet antre, où la main de l'homme n'a point été employée, paroît avoir cent piés de large sur environ autant de profondeur. On peut dire que c'est une double caverne, dont l'extérieure a plus de soixante piés d'élévation sous l'arc qui en forme l'entrée, & l'intérieure en a presque la moitié.

C'est de cette seconde caverne que sort la fontaine de Vaucluse, avec une telle abondance, que dès sa source elle porte le nom de riviere, & est assez près de-là navigable pour de petits bateaux. Elle fournit sans s'épuiser une grande quantité d'eau claire, nette, pure, qui ne teint point les rochers entre lesquels elle passe, & n'y produit ni mousse, ni rouille. Si la superficie de cette eau paroit noire, cela vient de sa grande profondeur, de la couleur de la voûte qui la couvre, & de l'obscurité qui regne dans ce lieu.

On ne voit point d'agitation, de jet, de bouillon, à l'origine de cette source ou nappe liquide ; mais bientôt après l'eau trouvant une pente considérable, se précipite avec force entre des rochers, écume & fait du bruit, jusqu'à ce qu'étant arrivée à un endroit plus uni, elle coule tranquillement, & forme une riviere qui s'accroît par divers ruisseaux, & va se jetter dans le Rhône, environ à deux lieues audessus d'Avignon, sous le nom de riviere de Sorgue, qu'elle portoit déjà dès sa naissance dans l'antre que nous avons décrit.

Pétrarque né à Arezzo en 1304, & mort à Arqua l'an 1374, avoit sa maison sur la pointe d'un rocher, à quelques cent pas au-dessous de la caverne de Vaucluse. La belle Laure avoit la sienne sur une autre pointe de rocher, assez près de celle de son amant, mais séparée par un vallon. On voyoit encore dans le dernier siecle les masures de ces deux édifices, qu'on appelloit par magnificence les châteaux des deux amans. Leur position alluma les feux de Pétrarque à la premiere vue de sa belle maîtresse, & sa passion nous a valu des chefs-d'oeuvres. Ses canzoni n'exhalent que douceur, tendresse, louanges délicates de l'amante qu'il adore. Eh combien sont-elles diversifiées ces louanges qu'il lui donne ? Combien la langue italienne leur prête-t-elle de graces ? Enfin inspiré par l'amour & par son génie, il immortalisa Vaucluse, les lieux voisins, Laure & lui-même. Voyez comme il s'exprime dans sa canzone xiv.

Chiare fresche, e dolci acque,

Ove le belle membra

Pose colei, che sola à me par donna ;

Gentil Ramo, ove piacque

(Con sospir mi rimembra)

A'lei di fare al ben fianco colonna ;

Herba, e fior, che la gonna

Leggiadra ricoverse

Con l'Angelico seno ;

Aer sacro sereno,

Ou'amor co begli occhi il cor m'aperse ;

Date udienza insieme

Alle dolenti mie parole estreme.

On connoît sans doute l'imitation libre & pleine de graces que M. de Voltaire a faite de cette strophe :

Claire fontaine, onde aimable, onde pure

Où la beauté qui consume mon coeur,

Seule beauté qui soit dans la nature,

Des feux du jour évitoit la chaleur ;

Arbre heureux, dont le feuillage

Agité par les zéphirs,

La couvrit de son ombrage,

Qui rappellez mes soupirs,

En rappellant son image !

Ornemens de ces bords, & filles du matin,

Vous dont je suis jaloux, vous moins brillantes qu'elle,

Fleurs qu'elle embellissoit, quand vous touchiez son sein !

Rossignols dont la voix est moins douce & moins belle !

Air devenu plus pur ! Adorable séjour,

Immortalisé par ses charmes !

Lieux dangereux & chers, où de ses tendres armes

L'amour a blessé tous mes sens ;

Ecoutez mes derniers accens ;

Recevez mes dernieres larmes.

Le reste de l'ode de Pétrarque est également agréable ; mais quoique charmante, je ne trouve point qu'elle surpasse en coloris cette tendresse langoureuse, cette mélancolie d'amour, & cette vivacité de sentimens qui regnent avec tant d'art, de finesse & de naïveté, dans la description poétique de la même fontaine par madame Deshoulieres. Que j'aie tort ou raison, je vais transcrire ici cette description sans aucun retranchement. Ce ne sont que les choses ennuyeuses qu'il faut élaguer dans un ouvrage. " Quand vous me pressez de chanter une fameuse fontaine, dit notre muse françoise à mademoiselle de la Charce son amie, "

Peut-être croyez vous que toujours insensible,

Je vous décrirai dans mes vers,

Entre de hauts rochers dont l'aspect est terrible,

Des prés toujours fleuris, des arbres toujours verds ;

Une source orgueilleuse & pure,

Dont l'eau sur cent rochers divers

D'une mousse verte couverts,

S'épanche, bouillonne, murmure ;

Des agneaux bondissans sur la tendre verdure,

Et de leurs conducteurs les rustiques concerts.

De ce fameux désert la beauté surprenante,

Que la nature a pris soin de former,

Amusoit autrefois mon ame indifférente.

Combien de fois, hélas, m'a-t-elle su charmer !

Cet heureux tems n'est plus : languissante, attendrie,

Je regarde indifféremment

Les plus brillantes eaux, la plus verte prairie ;

Et du soin de ma bergerie

Je ne fais même plus mon divertissement ;

Je passe tout le jour dans une rêverie

Qu'on dit qui m'empoisonnera :

A tout autre plaisir mon esprit se refuse,

Et si vous me forcez à parler de Vaucluse ;

Mon coeur tout seul en parlera.

Je laisserai conter de sa source inconnue

Ce qu'elle a de prodigieux ;

Sa fuite, son retour, & la vaste étendue

Qu'arrose son cours furieux.

Je suivrai le penchant de mon ame enflammée ;

Je ne vous ferai voir dans ces aimables lieux,

Que Laure tendrement aimée,

Et Pétrarque victorieux.

Aussi bien de Vaucluse ils font encore la gloire ;

Le tems qui détruit tout, respecte leurs plaisirs ;

Les ruisseaux, les rochers, les oiseaux, les zéphirs,

Font tous les jours leur tendre histoire.

Oui, cette vive source en roulant sur ces bords,

Semble nous raconter les tourmens, les transports,

Que Pétrarque sentoit pour la divine Laure :

Il exprima si bien sa peine, son ardeur,

Que Laure malgré sa rigueur

L'écouta, plaignit sa langueur,

Et fit peut-être plus encore.

Dans cet antre profond, où sans autres témoins

Que la nayade & le zéphire,

Laure sut par de tendres soins,

De l'amoureux Pétrarque adoucir le martyre ;

Dans cet antre où l'amour tant de fois fut vainqueur,

Quelque fierté dont on se pique,

On sent élever dans son coeur

Ce trouble dangereux par qui l'amour s'explique,

Quand il allarme la pudeur.

Ce n'est pas seulement dans cet antre écarté

Qu'il reste de leurs feux une marque immortelle :

Ce fertile vallon dont on a tant vanté

La solitude & la beauté,

Voit mille fois le jour dans la saison nouvelle,

Les rossignols, les serins, les pinçons,

Répéter sous un verd ombrage,

Je ne sais quel doux badinage,

Dont ces heureux amans leur donnoient des leçons.

Leurs noms sur ces rochers peuvent encore se lire,

L'un avec l'autre est confondu ;

Et l'ame à peine peut suffire

Aux tendres mouvemens que leur mêlange inspire.

Quel charme est ici répandu !

A nous faire imiter ces amans tout conspire.

Par les soins de l'amour leurs soupirs conservés

Enflamment l'air qu'on y respire ;

Et les coeurs qui se sont sauvés

De son impitoyable empire,

A ces déserts sont réservés.

Tout ce qu'a de charmant leur beauté naturelle,

Ne peut m'occuper un moment.

Les restes précieux d'une flamme si belle

Font de mon jeune coeur le seul amusement.

Ah ! qu'il m'entretient tendrement

Du bonheur de la belle Laure !

Et qu'à parler sincerement,

Il seroit doux d'aimer, si l'on trouvoit encore

Un coeur comme le coeur de son illustre amant !

(D.J.)


VAUCOULEURS(Géog. mod.) petite ville de France, dans la Champagne, au Bassigny, sur le bord de la Meuse, à 5 lieues au couchant de Toul, à 8 au sud-ouest de Nanci, & à 65 au levant de Paris.

Comme la vue de ce lieu est belle, & qu'elle donne sur une vallée ornée de fleurs naturelles de toutes sortes de couleurs, la ville en a pris le nom de vallée des couleurs ou Vaucouleurs. Elle faisoit autrefois une petite souveraineté possédée par les princes de la maison de Lorraine ; mais à cause de l'importance de son passage, Philippe de Valois en fit l'acquisition de Jean de Joinville en 1335. On y voit une collégiale, un couvent de religieux, un monastere d'Annonciades & un prieuré.

Vaucouleurs est le siege d'une prevôté composée de vingt-deux paroisses qui sont du diocèse de Toul. Long. 23. 18. latit. 48. 31.

Le pays de Vaucouleurs est connu pour avoir donné la naissance dans le village de Domrémy, à cette fameuse fille appellée Jeanne d'Arc & surnommée la pucelle d'Orléans. C'étoit une servante d'hôtellerie, née au commencement du xv. siecle, " robuste, montant chevaux à poil, comme dit Monstrelet, & faisant autres apertises que filles n'ont point accoutumé de faire ". On la fit passer pour une bergere de 18 ans en 1429, & cependant par sa propre confession elle avoit alors 27 ans. On la mena à Chinon auprès de Charles VII. dont les affaires étoient réduites à un état déplorable, outre que les Anglois assiégeoient alors la ville d'Orléans. Jeanne dit au roi qu'elle est envoyée de Dieu pour faire lever le siege de cette ville, & ensuite le faire sacrer à Rheims. Un gentil-homme nommé Baudricourt avoit proposé au duc de Dunois d'employer cet expédient pour relever le courage de Charles VII. & Jeanne d'Arc se chargea de bien jouer son rôle de guerriere & d'inspirée.

Elle fut examinée par des femmes qui la trouverent vierge & sans tache.

Les docteurs de l'université & quelques conseillers du parlement ne balancerent pas à déclarer qu'elle avoit toutes les qualités qu'elle se donnoit ; soit qu'elle les trompât, soit qu'ils crussent eux-mêmes devoir entrer dans cet artifice politique : quoi qu'il en soit, cette fille guerriere conduite par des capitaines qui ont l'air d'être à ses ordres, parle aux soldats de la part de Dieu, se met à leur tête, leur inspire son courage, & bientôt après entre dans Orléans, dont elle fait lever le siege.

Les affaires de Charles VII. commencerent à prendre un meilleur train. Le comte de Richemont défit les Anglois à la bataille de Patay, où le fameux Talbot fut prisonnier. Louis III. roi de Sicile, fameux par sa valeur & par les inconstances de la fortune pour la maison d'Anjou, vint se joindre au roi son beau-frere. Auxerre, Troyes, Châlons, Soissons, Compiegne, &c. se rendirent à Charles VII. Rheims lui ouvre ses portes ; il est sacré, la pucelle assistant au sacre, en tenant l'étendart avec lequel elle avoit combattu.

L'année suivante elle se jette dans Compiegne que les Anglois assiégeoient ; elle est prise dans une sortie, & conduite à Rouen. Le duc de Bedford crut nécessaire de la flétrir pour ranimer ses Anglois. Elle avoit feint un miracle, le régent feignit de la croire sorciere ; on l'accusa d'hérésie, de magie, & on condamna en 1431 à périr par le feu, celle qui ayant sauvé son roi, auroit eu des autels dans les tems héroïques. Charles VII. en 1454 réhabilita sa mémoire assez honorée par son supplice même.

On sait qu'étant en prison elle fit à ses juges une réponse admirable. Interrogée pourquoi elle avoit ôsé assister au sacre de Charles avec son étendart, elle répondit : " il est juste que qui a eu part au travail, en ait à l'honneur ". Les magistrats n'étoient pas en droit de la juger, puisqu'elle étoit prisonniere de guerre ; mais en la condamnant à être brûlée comme hérétique & sorciere, ils commettoient une horrible barbarie, & étoient coupables de fanatisme, de superstition & d'ignorance. D'autres magistrats du dernier siecle ne furent pas moins coupables en condamnant en 1617 Léonora Galligaï, maréchale d'Ancre, à être décapitée & brûlée comme magicienne & sorciere, & elle fit à ses juges une aussi bonne réponse que Jeanne d'Arc.

On peut lire ici les mémoires de du Bellay, l'abbé Langlet, hist. de la pucelle d'Orléans, & la dissertation de M. Rapin dans le iv. volume de son histoire. Au reste Monstrelet est le seul auteur qui ait été contemporain de Jeanne d'Arc.

Delisle (Claude) naquit à Vaucouleurs en 1644, & mourut à Paris en 1720, à 76 ans. On a de lui quelques ouvrages, entr'autres une relation du voyage de Siam, & un abrégé de l'histoire universelle en sept vol. in-12 ; mais sa principale gloire est d'être le pere de Guillaume Delisle, un des plus grands géographes de l'Europe. (D.J.)


VAUCOURS. m. terme de Poterie ; les potiers de terre nomment vaucour, une espece de table ou de large planche, soutenue sur deux piliers, placés devant la roue dont ces ouvriers se servent pour tourner leurs ouvrages de poterie ; c'est sur le vaucour qu'on prépare & qu'on arrange les morceaux de terre glaise. (D.J.)


VAUDPAYS DE, (Géog. mod.) en latin du moyen âge, comitatus Waldensis ; & en Allemand, Wath ; contrée de la Suisse, dépendante du canton de Berne. Ce pays où le peuple parle le françois ou le roman, & non pas l'Allemand, s'étend depuis le lac de Genève, jusqu'à ceux d'Yverdun & de Morat. Il touche à l'orient au pays de Gex, & le mont-Jura le sépare de la Franche-Comté vers l'occident. Il est assez probable, que ce pays a à-peu-près les mêmes bornes que le pagus Urbigenus de César, dont la ville d'Orbe, en latin Urba, retient le nom.

Quoi qu'il en soit, le pays de Vaud fit partie de la province nommée maxima sequanorum ; & sous les Bourguignons & les Francs, après la ruine de l'empire Romain, il fut de la Bourgogne transjurane. Les empereurs allemands ayant succédé aux rois de Bourgogne, donnerent le pays de Vaud aux princes de Zéringen. Dans la suite des tems, il fut partagé entre trois seigneurs ; savoir, l'évêque de Lausanne, le duc de Savoye, & les deux cantons de Berne & de Fribourg comptés pour un seigneur.

Le premier étoit seigneur de la ville de Lausanne, des quatre paroisses de la Vaux, d'Avenche & de Vevay. Les cantons de Berne & de Fribourg possédoient en commun les trois bailliages d'Orbe, de Granson & de Morat. Le duc de Savoye possédoit tout le reste, qu'il gouvernoit par un grand-bailli joint aux états du pays qui s'assembloient à Moudon. Ces états contenoient quatorze villes ou bourgs, dont les principaux étoient Moudon, Yverdun, Morges, Nyon, Romont, Payerne, Estavayer & Cossonay. Mais tout le pays de Vaud passa sous la puissance de Berne dans le tems de la réformation.

Le duc de Savoye s'avisa pour son malheur, de commencer par chagriner les Genevois, au sujet de leur changement de religion. La ville de Berne lui envoya des députés pour le prier de laisser à Genève, le libre exercice de la religion qu'elle avoit choisie. Les députés n'ayant rien pû obtenir, les Bernois leverent des troupes, entrerent en armes sur les terres du duc, & dans moins de cinq semaines, ils s'emparerent, non-seulement de ce qu'il possédoit dans le pays de Vaud, mais pénétrerent encore dans l'intérieur de la Savoye. Cette conquête se fit en 1536 sur Charles, duc de Savoye, qui avoit été dépouillé de ses états par François I. Enfin par la médiation des autres cantons Suisses, les Bernois remirent au duc tout ce qu'ils lui avoient pris au-delà du lac de Genève, à condition qu'ils demeureroient à perpétuité possesseurs du reste, dont ils sont encore aujourd'hui souverains. Comme ils s'étoient aussi emparés de la ville & de l'évêché de Lausanne, ils en garderent la possession, & abolirent généralement le culte de l'Eglise romaine dans toutes leurs conquêtes.

Rien de plus agréable que les deux quartiers du pays de Vaud, qui sont à droite & à gauche du lac de Zurich, ainsi que la partie qui est située proche du lac de Genève. " On admire ses riches & charmantes rives où la quantité de villes, le peuple nombreux qui les habite, les côteaux verdoyans & parés de toutes parts forment un tableau ravissant, terminé par une plaine liquide d'une eau pure comme le crystal ; pays où la terre par-tout cultivée, & par-tout féconde, offre aux laboureurs, aux pâtres, aux vignerons, le fruit assuré de leurs peines, que ne dévore point l'avide publicain. On voit le Chablais sur la côte opposée, pays non-moins favorisé de la nature, & qui cependant n'offre aux regards qu'un spectacle de misere. On distingue sensiblement les différens effets de deux gouvernemens pour la richesse, le nombre & le bonheur des hommes. C'est ainsi que la terre ouvre son sein fertile, & prodigue ses trésors aux heureux peuples qui la cultivent pour eux-mêmes. Elle semble sourire & s'animer au doux spectacle de la liberté ; elle aime à nourrir des hommes. Au contraire, les tristes masures, la bruyere, les ronces & les chardons qui couvrent une terre à demi-déserte, annoncent de loin qu'un maître absent y domine, & qu'elle donne à regret à des esclaves, quelques maigres productions, dont ils ne profitent pas. "

On connoît à cette peinture, brillante & vraie, l'Auteur d'Emile, d'Héloïse, & de l'Egalité des conditions. (D.J.)


VAUDEMONT(Géog. mod.) en latin Vadani mons, bourg du duché de Lorraine, au département du Barrois. Il a été long-tems le chef-lieu du comté de Vaudemont, mais il a depuis cédé cet honneur à la petite ville de Vezelize. (D.J.)


VAUDEVILLES. m. (Poésie) le vaudeville est une sorte de chanson, faite sur des airs connus, auxquels on passe les négligences, pourvû que les vers en soient chantans, & qu'il y ait du naturel & de la saillie.

Despréaux dans son art Poëtique, a consacré plusieurs beaux vers à rechercher l'origine, & à exprimer le caractere libre, enjoué & badin, de ce petit poëme, enfant de la joie & de la gayeté.

Si on l'en croit, le vaudeville a été en quelque sorte démembré de la satyre ; c'est un trait mordant & malin, plaisamment enveloppé dans un certain nombre de petits vers coupés, & irréguliers, plein d'agrément & de vivacité : Voici comme il en parle, après avoir peint l'esprit du poëme satyrique.

D'un trait de ce poëme, en bons mots si fertile

Le François né malin, forma le vaudeville

Agréable, indiscret, qui conduit par le chant

Passe de bouche en bouche, & s'accroît en marchant.

La liberté françoise en ces vers se déploie ;

Cet enfant de plaisir veut naître dans la joie.

Cependant le vaudeville ne s'abandonne pas toujours à une joie boufonne, il a quelquefois autant de délicatesse qu'une chanson tendre, témoin le vaudeville suivant qui fut tant chanté à la cour de Louis XIV, & dont Anacréon pourroit s'avouer l'auteur.

Si j'avois la vivacité

Qui fit briller Coulange ;

Si j'avois la beauté

Qui fit régner Fontange ;

Ou si j'étois comme Conti

Des graces le modele ;

Tout cela seroit pour Crequi,

Dût-il m'être infidele !

On dit qu'un Foulon de Vire, petite ville de Normandie, inventa les vaudevilles, qui furent d'abord nommés vaudevires, parce qu'on commença à les chanter au Vau de Vire.

André du Chesne, après avoir parlé de ce pays, dans ses antiquités des villes de France, dit que " d'icelui ont pris leur origine ces anciennes chansons qu'on appelle communément vaudevilles pour vaudevires, desquels, ajoute-t-il, fut auteur un Olivier Basselin, ainsi que l'a remarqué Belleforest. "

M. Ménage, qui a cité ces paroles, cite aussi celles de Belleforest, qui se trouvent au II. Vol. de sa cosmographie ; & il conclut de ce passage, & de quelques autres qu'il rapporte, que ceux-là se sont trompés, qui ont cru que ces chansons sont appellées vaudevilles, parce que ce sont des voix de ville, ou qu'elles vont de ville en ville. De ce premier sentiment ont été Jean Chardavoine, de Beaufort, en Anjou, dans un livre intitulé : Recueil des plus belles & des plus excellentes Chansons, en forme de voix de ville ; & Pierre de Saint-Julien, dans ses mêlanges historiques. M. de Callieret est pour le second sentiment, car il fait dire à son commandeur dans ses mots à la mode, que les Espagnols appellent passecalle, une composition en musique, qui veut dire passe-rue, comme, dit-il, nous appellons en France des vaudevilles, certaines chansons qui courent dans le public.

M. d'Hamilton, si connu par les mémoires du comte de Grammont, s'est amusé à quelques vaudevilles, dans lesquels régnent le sel, l'agrément, & la vivacité. Haguenier (Jean) bourguignon, mort en 1738 en a répandu dans le public qui sont gais & amusans ; mais Ferrand (Antoine) mort en 1719, âgé de quarante-deux ans, a particulierement réussi à faire des vaudevilles spirituels, & pleins de la plus fine galanterie. La plûpart ont été mis sur les airs de clavessin de la composition de Couperin. On trouve dans les vaudevilles de M. de Chaulieu, comme dans ses autres poésies négligées, des couplets hardis & voluptueux ; tous ces poëtes aimables n'ont point eu de successeurs en ce genre.

Je crois cependant que notre nation l'emporte sur les autres dans le goût & dans le nombre des vaudevilles ; la pente des François au plaisir, à la satyre, & souvent même à une gaieté hors de saison, leur a fait quelquefois terminer par un vaudeville les affaires les plus sérieuses, qui commençoient à les lasser ; & cette niaiserie les a quelquefois consolés de leurs malheurs réels.

Au reste, dit l'auteur ingénieux de la nouvelle Héloïse ; quand les François vantent leurs vaudevilles pour le goût & la musique, ils ont raison ; cependant à d'autres égards, c'est leur condamnation qu'ils prononcent ; s'ils savoient chanter des sentimens, ils ne chanteroient pas de l'esprit ; mais comme leur musique n'est pas expressive, elle est plus propre aux vaudevilles qu'aux opéra ; & comme l'italienne est toute passionnée, elle est plus propre aux opéra qu'aux vaudevilles. (D.J.)


VAUDEVRANGE(Géog. mod.) ville de Lorraine, dans le baillage allemand, sur la Saare. Voyez VALDEVRANGE. (D.J.)


VAUDOISS. m. pl. (Hist. ecclés.) sectaires qui parurent dans le christianisme au commencement du douzieme siecle ; nous ne pouvons mieux tracer en peu de mots leur origine, leurs sentimens, & leurs persécutions, que d'après l'auteur philosophe de l'essai sur l'histoire générale.

Les horreurs, dit-il, qui se commirent dans les croisades ; les dissensions des papes & des empereurs, les richesses des monasteres, l'abus que tant d'évêques faisoient de leur puissance temporelle, révolterent les esprits, & leur inspirerent dès le commencement du douzieme siecle, une secrette indépendance, & l'affranchissement de tant d'abus. Il se trouva donc des hommes dans toute l'Europe, qui ne voulurent d'autres loix que l'Evangile, & qui précherent à-peu-près les mêmes dogmes que les Protestans embrasserent dans la suite. On les nommoit Vaudois, parce qu'il y en avoit beaucoup dans les vallées de Piémont ; Albigeois, à cause de la ville d'Albi ; Bons-hommes, par la régularité & la simplicité de leur conduite ; enfin Manichéens, nom odieux qu'on donnoit alors en général à toutes sortes d'hérétiques. On fut étonné vers la fin de ce même siecle, que le Languedoc fût tout rempli de Vaudois.

Leur secte étoit en grande partie composée d'une bourgeoisie réduite à l'indigence, tant par le long esclavage dont on sortoit à peine, que par les croisades en terre-sainte. Le pape Innocent III. délégua en 1198. deux moines de Cîteaux pour juger les hérétiques, & nomma un abbé du même ordre pour faire à Toulouse les fonctions de l'évêque. Ce procedé indigna le comte de Foix & tous les seigneurs du pays, qui avoient déja goûté les opinions des réformateurs, & qui étoient également irrités contre la cour de Rome. L'abbé de Cîteaux parut avec l'équipage d'un prince ; ce qui ne contribua que davantage à soulever les esprits. Pierre de Castelnau, autre inquisiteur, fut accusé de se servir des armes qui lui étoient propres, en soulevant secrétement quelques voisins contre le comte de Toulouse, & en suscitant une guerre civile ; cet inquisiteur fut assassiné en 1207, & le soupçon tomba sur le comte.

Le pape forma pour lors la croisade contre les Vaudois ou Albigeois ; on en sait les événemens. Les croisés égorgerent les habitans de la ville de Béziers, réfugiés dans une église ; on poursuivit par le fer & le feu les Vaudois qui oserent se défendre ; au siege de Lavaur on fit prisonniers quatre-vingt gentils-hommes que l'on condamna tous à être pendus ; mais les fourches patibulaires étant rompues, on abandonna les captifs aux croisés qui les massacrerent ; on jetta dans un puits la soeur du seigneur de Lavaur, & on brûla autour du puits trois cent habitans qui ne voulurent pas renoncer à leurs opinions. Les évêques de Paris, de Lizieux, de Bayeux, étoient accouru au siege de Lavaur pour gagner des indulgences.

Rien n'est si connu des amateurs de recherches, que les vers provençaux sur les Vaudois de ce tems-là.

Que non volia maudir, ne jurar, ne mentir,

N'occir, ne avourar, ne prenre de altrui,

Ne stavengar de li suo ennemi,

Los dizons qu'és Vaudez, & los fezons morir.

Ces vers sont d'autant plus curieux, qu'ils nous apprennent les sentimens des Vaudois. Enfin la fureur de la croisade s'éteignit, mais la secte subsista toujours, foible, peu nombreuse, & cachée dans l'obscurité, pour renaître quelques siecles après, avec plus de force & d'avantage.

Ceux qui resterent ignorés dans les vallées incultes qui sont entre la Provence & le Dauphiné, défricherent ces terres stériles, & par des travaux incroyables, les rendirent propres au grain & au pâturage. Ils prirent à cens les héritages des environs, & enrichirent leurs seigneurs. Ils furent pendant deux siecles dans une paix tranquille, qu'il faut attribuer uniquement à la lassitude de l'esprit humain, après qu'il s'est long-tems emporté au zèle affreux de la persécution.

Les Vaudois jouissoient de ce calme, quand les réformateurs de Suisse & d'Allemagne apprirent qu'ils avoient des freres en Languedoc, en Dauphiné, & dans les vallées de Piémont ; aussi-tôt ils leur envoyerent des ministres, on appelloit de ce nom les desservans des églises protestantes : alors ces Vaudois furent trop connus, & de nouveau cruellement persécutés, malgré leur confession de foi qu'ils dédierent au roi de France.

Cette confession de foi portoit qu'ils se croyoient obligés de rejetter le baptême des petits-enfans, parce qu'ils n'ont pas la foi ; de penser qu'il ne faut point adorer la croix, puisqu'elle avoit été l'instrument de la passion de Jesus-Christ ; que dans l'eucharistie le pain demeuroit pain après la consécration, & que l'on fait tort à Dieu quand l'on dit que le pain est changé au corps de Christ ; qu'ils ne reconnoissoient que deux sacremens, savoir le baptême & la cêne ; qu'ils ne prioient point pour les morts ; que le pape ni les prêtres n'ont point la puissance de lier & de délier ; qu'il n'y a d'autre chef de la foi que notre Sauveur ; qu'il est impie à tout homme sur la terre de s'attribuer ce privilege ; enfin qu'aucune église n'a le droit de maîtriser les autres.

La réponse qu'on fit à cette confession de foi fut d'en traiter les sectateurs d'hérétiques obstinés, & de les condamner au feu. En 1540, le parlement de Provence décerna cette peine contre dix-neuf des principaux habitans du bourg de Mérindol, & ordonna que leurs bois seroient coupés, & leurs maisons démolies.

Les Vaudois effrayés députérent vers le cardinal Sadolet, évêque de Carpentras, qui étoit alors dans son évêché. Cet illustre savant, vrai philosophe puisqu'il étoit humain, les reçut avec bonté & intercéda pour eux ; Langeai, commandant en Piémont, fit surseoir l'exécution ; François I. leur pardonna à condition qu'ils abjureroient ; on n'abjure guere une religion sucée avec le lait, & à laquelle on sacrifie les biens de ce monde ; leur résolution d'y persister irrita le parlement provençal, composé d'esprits ardens. Jean Meynier d'Oppede, alors premier président, le plus emporté de tous, continua la procédure.

Les Vaudois enfin s'attrouperent ; d'Oppede aggrava leurs fautes auprès du roi, & obtint permission d'exécuter l'arrêt ; il falloit des troupes pour cette exécution ; d'Oppede, & l'avocat général Guerin, en prirent. Il paroît évident que ces malheureux Vaudois, appellés par le déclamateur Maimbourg, une canaille revoltée, n'étoient point du tout disposés à la révolte, puisqu'ils ne se défendirent pas, & qu'ils se sauverent de tous côtés, en demandant miséricorde ; mais le soldat égorgea les femmes, les vieillards, & les enfans qui ne purent fuir assez tôt. On compta vingt-deux bourgs mis en cendres ; & lorsque les flammes furent éteintes, la contrée auparavant florissante, fut un désert aride. Ces exécutions barbares donnerent de nouveaux progrès au calvinisme ; le tiers de la France en embrassa les sentimens. Essai sur l'hist. géner. tom. II. III. & IV. (D.J.)


VAUTOURVAUTOUR CENDRE, GRAND VAUTOUR, s. m. (Hist. nat. Ornitholog.) vultur cinereus, Wil. oiseau de proie plus gros que l'aigle ; il a trois piés six pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & trois piés deux pouces & demi jusqu'au bout des ongles ; la longueur du bec est de quatre pouces trois lignes, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; & la queue a un peu plus d'un pié ; l'envergure est de sept piés neuf pouces ; les aîles étant pliées s'étendent jusqu'aux trois quarts de la longueur de la queue ; la tête, la gorge, & le haut du cou, sont couverts d'un duvet brun ; il y a de plus sur la gorge plusieurs longues plumes minces qui ressemblent à des poils ; le bas du cou, le dos, le croupion, les grandes plumes des épaules, les petites plumes de la face inférieure & de la face supérieure des aîles, les plumes du dessus & du dessous de la queue, celles de la poitrine, du ventre, des jambes & des côtés du corps, sont d'un brun noirâtre ; les grandes plumes des aîles & celles de la queue ont la même couleur mêlée de cendré ; les piés sont couverts de plumes brunes jusqu'à l'origine des doigts dont la couleur est jaune : les ongles sont noirs : on trouve cet oiseau en Europe ; il reste sur les hautes montagnes, & il se nourrit par préférence de corps morts. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR DES ALPES, vultur alpinus, oiseau de proie de la grandeur de l'aigle ; il a la tête & le cou dégarnis de plumes & couverts d'un duvet blanc ; la peau qui est de chaque côté de la tête, entre l'oeil & le bec, n'a point de duvet, elle est d'un cendré bleuâtre ; il y a au-dessous du cou de longues plumes blanches qui forment une espece de collier ; les plumes du dos, des épaules, du croupion, du dessus de la queue, de la face supérieure des aîles, ont une couleur de rouille claire ; celles de la poitrine, du ventre, des jambes, & du dessous de la queue, sont d'un gris sale, & ont quelques taches de couleur de rouille ; la face intérieure des jambes est blanche ; les grandes plumes des aîles & celles de la queue sont noires ; l'iris des yeux a une couleur de noisette qui tire sur le rouge ; la peau qui couvre la base du bec est noire ; le bec a la même couleur noire, à l'exception de la pointe qui est blanchâtre ; les piés sont de couleur livide ou plombée, & les ongles noirs : on trouve cet oiseau sur les Alpes, & sur les autres montagnes élevées. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR A TETE BLANCHE, vultur albus, Wil. oiseau de proie de la grosseur d'un coq ; il a deux piés trois pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de deux pouces depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche, & l'envergure a cinq piés neuf pouces ; la tête & le cou sont d'un très-beau blanc & ont des taches ou de petites lignes longitudinales brunes ; les plumes du dos, du croupion, du dessus de la queue & de la face supérieure des aîles, sont d'un noir couleur de suie, & ont des taches de couleur de marron, sur-tout celles du dessus des aîles ; il y a sur la poitrine une très-grande tache en forme de bouclier, de couleur de marron rougeâtre, qui s'étend jusqu'aux aîles ; les plumes du ventre, des côtés du corps & du dessous de la queue, sont d'un blanc mêlé d'une teinte de rouge obscur, & elles ont quelques taches de couleur de marron ; les jambes & les piés sont couverts jusqu'à l'origine des doigts de duvet & de très-petites plumes d'un jaune obscur, avec des taches longitudinales ; les plumes de la face inférieure des aîles, ont une très-belle couleur blanche ; les grandes plumes des aîles sont blanches depuis leur origine jusque vers la moitié de leur longueur, le resté est noirâtre ; les plumes de la queue sont blanches à leur origine, ensuite brunes, & elles ont l'extrêmité blanche ; la peau qui couvre la base du bec est d'un jaune couleur de safran ; le bec a une couleur bleuâtre, à l'exception de la pointe qui est noirâtre : on trouve cet oiseau en Europe sur les montagnes ; il se nourrit de petits oiseaux & de rats. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR DU BRESIL, vultur brasiliensis, oiseau de proie, à-peu-près de la grosseur du milan royal ; son bec a deux pouces & demi de longueur, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche, & les aîles étant pliées, s'étendent un peu au-delà du bout de la queue. La tête & le cou sont couverts d'une peau, dont la surface est inégale, & qui a plusieurs couleurs mêlées ensemble, du bleu, du jaune couleur de safran, du blanchâtre & du brun roussâtre : cette peau est nue, il y a seulement quelques poils noirs. Les plumes des aîles, de la queue & de toutes les autres parties du corps sont d'un beau noir, qui change à certains aspects, qui paroît d'une belle couleur pourprée ou d'un beau verd. L'iris des yeux est rougeâtre, & les paupieres sont d'un jaune de safran ; la peau nue qui couvre la base du bec, a une couleur jaune mêlée d'une teinte de bleu, & le bec est blanc ; les piés sont de couleur de chair & les ongles noirs. Cet oiseau se nourrit de corps morts ; il mange aussi des serpens ; il passe la nuit sur des arbres ou sur des rochers. On le trouve à la Jamaïque, au Mexique, à S. Domingue, au Bresil, dans toute la Guiane & au Pérou. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR BRUN, vultur fuscus, oiseau de proie, qui tient le milieu entre le faisan & le paon pour la grosseur ; il a un peu plus de deux piés de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & un pié dix pouces jusqu'au bout des ongles. La longueur du bec est de deux pouces & demi, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées s'étendent jusqu'aux trois quarts de la longueur de la queue. Le dessus de la tête est couvert d'un duvet brun, & le cou a des plumes étroites d'un brun foncé ou noirâtre. Les plumes du dos, du croupion, de la poitrine, du ventre, des côtés du corps, des jambes, & celles du dessus & du dessous de la queue sont brunes ; les petites plumes des aîles ont une couleur brune plus foncée, avec quelques taches blanches ; les grandes plumes des aîles sont d'un brun noirâtre, à l'exception de l'extrêmité des deux ou trois premieres qui est blanche & qui a quelques taches brunes : les plumes de la queue ont une couleur grise-brune. Le bec est noir ; les piés sont jaunâtres, & les ongles noirâtres. On trouve cet oiseau à Malthe. Ornit. de M. Brisson, t. I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR DORE, vultur boeticus, Wil. oiseau de proie, plus grand & plus gros que l'aigle ; il a environ quatre piés huit pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & seulement trois piés sept pouces jusqu'au bout des ongles ; la longueur du bec est à-peu-près de sept pouces, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche : les plus longues plumes des aîles ont près de trois piés de longueur. La tête, la gorge, & le haut du cou sont couverts de duvet d'un blanc roussâtre ; le bas de la face supérieure du cou & la partie antérieure du dos ont des plumes entierement noires, à l'exception du tuyau qui est blanc ; les plumes de la partie postérieure du dos, celles du croupion & du dessus de la queue sont noirâtres. Les plumes du bas de la face inférieure du cou, de la poitrine, du ventre, des côtés du corps, des jambes, du dessous de la queue & celles de la face inférieure des aîles sont d'un doux plus foncé vers la tête, & plus clair vers la queue ; les petites & les moyennes plumes des aîles ont une couleur noire, & il y a quelques taches sur l'extrêmité des plumes moyennes, & des taches blanchâtres sur les petites ; la couleur des grandes plumes des aîles & de celles de la queue est brune. Les piés sont couverts jusqu'à l'origine des doigts de plumes d'un roux clair, & les ongles ont une couleur brune. On trouve cet oiseau sur les Alpes. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR D'EGYPTE, vultur aegyptius, oiseau de proie, de la grosseur du milan royal, il est en entier d'un roux qui tire sur le cendré, avec des taches brunes. Il y a beaucoup de ces oiseaux en Egypte, & on en trouve aussi en Syrie & en Caramanie. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR FAUVE, vultur fulvus, oiseau de proie, plus grand qu'un aigle ; il a trois piés huit pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & trois piés sept pouces & demi jusqu'au bout des ongles ; la longueur du bec est de quatre pouces trois lignes, depuis la pointe jusqu'aux coins de la bouche, & l'envergure est de huit piés : les aîles étant pliées, s'étendent presque jusqu'au bout de la queue. La tête, la gorge & le cou sont couverts d'un duvet blanc qui est très-court, & rare sur le cou, de sorte que le cou paroît être d'un gris-brun & bleuâtre qui est la couleur de la peau. Il y a au bas du cou une espece de collier composé de plumes longues de trois pouces fort étroites, & d'un très-beau blanc ; les plumes du dos, du croupion, du dessus de la queue, & les petites de la face supérieure & de la face inférieure des aîles sont d'un gris roussâtre : il y a quelques plumes blanches parmi celles des aîles. Les plumes de la poitrine, du ventre, des côtés du corps, & celles du dessous de la queue sont d'un blanc mêlé de gris-roussâtre ; la face extérieure des jambes est de même couleur que le dos ; la face intérieure & la partie supérieure des piés sont couverts d'un duvet blanc. Les grandes plumes des aîles & celles de la queue ont une couleur noire. Il y a au milieu de la poitrine une cavité assez grande, & garnie de longues plumes épaisses, & couchées sur la peau & dirigées vers le milieu de la cavité ; ces plumes sont un peu plus brunes que celles du dos. Le bec est noir à sa racine & à son extrêmité, le milieu a une couleur grise-bleuâtre ; les piés sont cendrés & les ongles noirs. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR HUPE, vultur leporarius germanis, Wil. il est plus petit que le vautour doré, & il a plus de six piés d'envergure ; il est d'un roux noirâtre, à l'exception de la poitrine qui n'a presque pas de noirâtre. Ce vautour a une hupe qui ressemble assez bien à des cornes lorsqu'il la dresse ; elle n'est pas apparente quand il vole ; il a le bec & les ongles noirs, & les piés jaunes. Il marche très-vîte, chacun de ses pas a deux palmes de longueur ; il attaque & mange toutes sortes d'oiseaux, & même des lievres, des lapins, des renards & des faons ; il se nourrit aussi de poisson & de cadavres. Il poursuit sa proie non-seulement au vol, mais aussi à la course. Il fait son nid sur les arbres les plus élevés des forêts. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR DES INDES, voyez ROI DES VAUTOURS.

VAUTOUR NOIR, vultur niger, Wil. oiseau de proie, plus grand & plus gros que le vautour doré ; il est entierement noir, à l'exception des plumes des aîles & de la queue qui sont brunes ; les piés ont des plumes jusqu'à l'origine des doigts. On trouve cet oiseau en Egypte. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

VAUTOUR, (Mat. méd.) beaucoup de matieres retirées de cet oiseau ont été mises au rang des remedes comme bien d'autres, & principalement sa fiente. Mais nous ne rappellons tant de fois ce vain fatras des anciens pharmacologistes, que pour donner une étendue convenable au tableau des fausses richesses, que les modernes ont sagement abandonnées. (b)


VAUTRAITS. m. (Vénerie) c'est la chasse qui se fait aux bêtes noires ; les grands seigneurs entretiennent pour courre les bêtes noires un équipage complet, qui se nomme vautrait ; il est composé de lévriers d'attache & de meutes de chiens courans. La chasse du vautrait doit commencer au mois de Septembre, lorsque les bêtes noires sont en bon corps.


VAUVERT(Géog. mod.) bourg que nos géographes nomment petite ville de France, dans le bas Languedoc, diocèse de Nîmes. Ce bourg n'a pas mille habitans. (D.J.)


VAUXLA, (Géog. mod.) pays de Suisse, dans le canton de Berne. C'est le quartier de pays qui se trouve entre Lausanne & Vevay. Il a trois lieues de longueur, & une lieue de largeur. Ce pays est fort raboteux. C'est proprement une chaîne de collines, dont la pente est rude, & qui s'éleve dès le bord du lac de Genève l'espace d'une lieue de largeur. Au-dessus de ces collines, on se trouve dans un pays solitaire, entrecoupé de bois, de champs & de prés. C'est l'extrêmité du Jurat, qui est une forêt de 3 à 4 lieues de longueur, & de deux lieues de largeur, sur une montagne, entre Lausanne & Moudon ; on la traverse dans sa largeur, quand on va de l'une de ces deux villes à l'autre. C'est-là la grande route de France en Allemagne.

Le pays de la Vaux n'est, pour ainsi dire, qu'un seul vignoble, qui porte le meilleur vin que produise le canton de Berne. Il est partagé en quatre paroisses, nommées Lutry, Cully, S. Saphorin & Corsier. On voit dans le temple de S. Saphorin une colonne antique, avec l'inscription suivante, faite à l'honneur de l'empereur Claude l'an 46 de Jesus-Christ. Tib. Claudius Drusi F. Caes. Aug. Germ. Pont. Max. Trib. Pot. VII. Imp. XII. P. P. Cos. IIII. F. A. XXXVII. (D.J.)


VAVASSEURS. m. (Hist. mod. & Juris.) dans les anciennes coutumes d'Angleterre, est un diminutif de vasseur ou vassal, & signifie le vassal d'un autre vassal, ou celui qui tient un fief d'un vassal qui releve lui-même d'un seigneur. Voyez VASSAL.

Cependant Cambden & d'autres prétendent que vavasseur est une dignité immédiatement au-dessous de celle de baron. Il ajoute que ce mot est formé de vas sortitum ad valetudinem, vase élu pour le salut ou la santé ; mais nous avouons que nous n'appercevons pas le rapport de cette étymologie. Celle qu'en donnent d'autres auteurs n'est guere plus heureuse, en disant que vavasseur vient de valvae, quasi obligatus sit adstare ad valvas domini, vel dignus sit eas intrare, c'est-à-dire que le vavasseur est une personne obligée d'attendre à la porte de son seigneur, ou qu'on juge digne d'entrer par cette porte : apparemment comme étoient autrefois les cliens chez les Romains.

Ducange distingue deux sortes de vavasseurs ; savoir les grands vavasseurs, nommés en latin valvasores, qui ne relevoient que du roi ; & les petits vavasseurs qui relevoient des premiers : comme on distinguoit en France grands & petits vassaux.


VAVASSORIES. f. (Hist. mod. Juris.) c'est le nom qu'on donnoit à la terre tenue en fief par un vavasseur.

" Ce qui est dit de la baronie ne doit point avoir lieu pour la vavassorie, ni pour d'autres fiefs audessous de la baronie, parce que ces fiefs inférieurs n'ont point de chef comme la baronie ". Bract. l. II. c. xxxix.

Il y a des vavassories basses ou roturieres, & des vavassories libres ou nobles, conformément à la qualité qu'il a plu au seigneur de donner à son vavasseur.

Les basses vavassories sont celles qui doivent au seigneur féodal des voitures, chevaux de main, rentes & autres services. Les vavassories libres ou franches, sont celles qui sont exemptes de ces servitudes.


VAX-HOLM(Géog. mod.) petite île de Suede, à trois lieues du port de Stockholm. Il y a dans cette île un fort avec une garnison, pour visiter tous les vaisseaux qui veulent entrer à Stockholm, ou qui en sortent.


VAX-VILLA-REPENTINA(Géog. anc.) lieu de l'Afrique propre, sur la route de Carthage à Alexandrie. On trouve dans le trésor de Gruter, p. 390. n°. 2. l'inscription suivante : P. Claudii. Pallanti. Honorat. Repentini. Lec. Pr. Pr. Provinciae Africae. Peut-être que le Repentinus de cette inscription étoit le fondateur du lieu. (D.J.)


VAXELS. m. (Saline) espece de boisseau dont on se sert dans les salines de Lorraine pour mesurer les sels. Le vaxel pese trente-quatre à trente-cinq livres. Il faut seize vaxels pour le muid. Voyez MUID & SEL. Dict. de Commerce.


VAYE, LA RADE DE(Géog. mod.) rade d'Italie, sur la côte de Gènes. C'est une grande anse de sable formée au moyen d'une grosse pointe qu'on appelle le cap de Vaye, qui s'avance en mer, paroissant de loin blanchâtre, & sur le sommet de laquelle il y a quelques vieilles ruines de fortifications.


VAYVODESou WOYWODES, s. m. pl. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne en langue sclavone aux gouverneurs des provinces de Valachie & de Moldavie. Woyna dans cette langue signifie guerre, & woda, conducteur, dux bellicus. Les Polonois désignent aussi sous le nom de woywodes ou vayvodes, les gouverneurs des provinces appellés plus communément palatins. Ce titre est pareillement connu dans l'empire russien ; on le donne aux gouverneurs des provinces dont le pouvoir est très-étendu. La Porte ottomane n'accorde que le titre de vayvodes ou de gouverneurs aux souverains chrétiens de Moldavie, de Valachie qui sont établis par elle, qui sont ses tributaires, & qu'elle dépose à volonté. Voyez VAIVODE.


VAZUA(Géog. anc.) ville d'Afrique propre. Ptolémée, l. IV. c. iij. la marque au nombre des villes situées entre la ville Thabraca & le fleuve Bagradas.


Vou VAY, (Géog. mod.) en latin Vadum, nom qu'on donne en Normandie à des gués qui sont à l'embouchure des rivieres de Vire, d'Oure, & de Tante dans la Manche. (D.J.)


VÉADARS. m. (Calend. judaïque) nom du treizieme mois dans le calendrier judaïque, dont les Juifs font l'intercalation entre le sixieme & le septieme mois, sept fois dans dix-neuf ans ; savoir à la troisieme, à la sixieme, à la huitieme, à la onzieme, à la quatorzieme, à la dix-septieme, & à la dix-neuvieme année. (D.J.)


VEAMINI(Géog. anc.) peuples des Alpes. Pline, l. III. c. xx. les met au nombre de ceux qui furent subjugués par Auguste ; leur nom se trouve dans l'inscription du trophée des Alpes. Selon le P. Hardouin, les Veamini occupoient le pays qui forme aujourd'hui le diocèse de Sénez. (D.J.)


VEASCIUM(Géog. anc.) ville d'Italie, selon Diodore de Sicile, liv. XIV. ch. cxviij. qui dit que les Gaulois, après être sortis de Rome, attaquerent cette ville, qui étoit alliée des Romains ; mais que Camille étant survenu, les défit entierement. Ortélius, qui prétend mal-à-propos que cette ville fut pillée par les Gaulois, n'est pas mieux fondé à croire qu'elle étoit dans l'Etrurie. Plutarque, in Camillo, nous apprend que les Gaulois avoient pris une route toute opposée, puisqu'ils avoient été camper à huit milles de Rome, sur le chemin de Gabies, par conséquent dans le Latium, & à l'orient de Rome. Cela donne lieu de soupçonner que la ville Veascium de Diodore de Sicile, pourroit bien être la ville de Gabies, Gabii. (D.J.)


VEAUS. m. (économ. rust.) le petit de la vache.

VEAU, (Diete & Mat. méd.) la chair du veau très-jeune est médiocrement nourrissante. Elle est regardée comme humectante & rafraîchissante ; & c'est à cause de ces deux dernieres qualités qu'on en emploie la décoction ou le bouillon à demi - fait pour tisane ou boisson ordinaire dans les maladies inflammatoires : cette boisson est connue sous le nom d'eau de veau, elle est très-analogue à l'eau de poulet.

La chair du veau, & sur-tout du jeune veau qui tete encore, a le défaut de la plûpart des chairs des autres animaux très-jeunes, elle lâche le ventre, & purge même quelques sujets. On corrige ces qualités par divers assaisonnemens, soit acides, soit aromatiques & piquans, comme l'oseille, le vinaigre, le poivre, &c. Mais comme ces assaisonnemens sont défendus par eux-mêmes aux sujets délicats & aux convalescens, ce n'est pas une ressource pour eux, & comme d'ailleurs le veau ne sauroit être regardé comme une viande absolument saine, le mieux est de la leur refuser ; quant aux usages diététiques des piés de veau, du foie de veau, &c. voyez ce qui est dit du pié, du foie, &c. des animaux à l'article général VIANDE. (b)

VEAU, (Corroyerie) on tire du veau deux sortes de marchandises pour le négoce, savoir la peau & le poil. Les peaux de veau se préparent par les Tanneurs, Mégissiers, Corroyeurs & Hongrieurs, qui les vendent aux Cordonniers, Selliers, Bourreliers, Relieurs de livres, & autres semblables artisans qui les mettent en oeuvre ; les peaux de veau corroyées qui se tirent d'Angleterre sont les plus estimées.

Le vélin, qui est une espece de parchemin, se fait de la peau d'un veau mort-né, ou de celle du petit veau de lait : c'est le mégissier qui commence à le préparer, & le parcheminier qui l'acheve.

Le poil des veaux se mêle avec celui des boeufs & des vaches, pour faire la bourre qui sert à rembourrer les selles des chevaux, les bâts des mulets, & les meubles de peu de valeur. Les marchands Libraires, les Relieurs de livres, disent qu'un livre est relié en veau-fauve, pour faire entendre que la peau de veau qui le couvre est blanchâtre & toute unie, sans avoir été marbrée, ni rougie, ni noircie. (D.J.)

VEAU PASSE EN SUMAC, (Corroyerie) c'est du veau corroyé en noir du côté de la fleur, auquel on donne avec le sumac une couleur orangée du côté de la chair ; ce sont les maîtres ceinturiers qui emploient cette sorte de cuir. (D.J.)

VEAU FAUVE ; les Relieurs appellent une reliure en veau-fauve celle dont la peau n'est point jaspée, & dont on a conservé la couleur naturelle qui est blanche en son entier. Pour relier en veau-fauve, il faut que les peaux soient belles, sans taches ni autres défectuosités ; il est fâcheux que la délicatesse de ces peaux en ôte promtement la propreté ; au-reste, cette reliure se fait tout-comme les autres. Voyez RELIURE.

VEAU, (Charpent.) les Charpentiers appellent ainsi le morceau de bois qu'ils ôtent avec la scie du dedans d'une courbe droite ou rampante, pour la tailler. (D.J.)

VEAU, (Critique sacrée) cet animal a servi dans l'Ecriture à plusieurs métaphores, où il s'emploie dans des sens différens. Il se prend pour un ennemi en fureur dans le ps. xxj. 13. plusieurs ennemis furieux, vituli multi m'ont environné ; ailleurs des personnes simples & douces sont désignées sous le nom de ces animaux, comme dans Is. xj. 7. l'ours & le veau paîtront ensemble, c'est-à-dire que des gens foibles & simples ne craindront plus ceux qui leur paroissent si redoutables. Ailleurs encore, comme dans Malach. iv. 2. des personnes qui sont dans la joie sont comparés à des veaux qui bondissent dans la prairie ; mais les veaux des levres dans Osée, xiv. 3. reddemus vitulos labiorum nostrorum, est une expression métaphorique bien bizarre pour marquer les louanges, les hymnes, les prieres que les captifs de Babylone adressoient au Seigneur, parce qu'ils n'étoient plus à portée de lui offrir des sacrifices dans son temple. (D.J.)

VEAU D'OR, (Critiq. sacrée) idole que les Israëlites adoroient au pié du mont Sinaï ; l'histoire en est rapportée dans l'Exode chap. xxxij. Ce fut à l'imitation des Egyptiens qu'Aaron fit le veau d'or dans le désert, & Jéroboam ceux qu'il dressa à Dan & à Béthel pour y être adorés des enfans d'Israël, comme les dieux qui les avoient tirés du pays d'Egypte. Les Israëlites se familiariserent peu-à-peu avec la nouvelle religion de Jéroboam. Ils furent enchantés de l'aisance de ce culte, & l'exercerent jusqu'à la ruine de Samarie & la dispersion des dix tribus ; mais pour ce qui regarde le veau d'or d'Aaron, Moïse outré de voir le peuple danser tout-autour, brisa les tables de la loi, prit le veau d'or, le fit fondre, & le réduisit en poudre d'or, par une manipulation qui n'est point décrite, mais qu'il est fort singulier qu'on connût déjà ; il jetta cette poudre dans le torrent, pour anéantir à jamais ce monument de l'idolâtrie des Hébreux. (D.J.)

VEAU MARIN, (Hist. nat.) phoca, animal amphibie, qui a beaucoup de rapport à la vache marine & au lamantin pour la forme du corps & des piés, &c. Sa longueur est d'environ quatre piés depuis le bout du museau jusqu'à l'origine de la queue, qui n'est longue que de trois pouces ; il a les yeux grands & enfoncés dans les orbites, le cou oblong, & la poitrine large ; on ne voit qu'un trou à l'endroit de chacune des oreilles. Le poil de cet animal est court, ferme, & de couleur grise luisante, avec des taches noires sur le dessus du corps ; le dessous est d'un blanc sale & jaunâtre ; il y a des chiens de mer qui sont noirs en entier. Regn. anim. pag. 230. Voyez QUADRUPEDE.

Si les veaux marins peuvent rester long-tems sous l'eau par le secours du trou ovale dont on a parlé, ils font aussi un furieux vacarme quand ils sortent de la mer pour se retirer dans des cavernes, & se livrer à l'amour ; c'est alors, dit M. de Tournefort, qu'ils font des cris si épouvantables pendant la nuit, que l'on ne sait si ce sont des animaux d'un autre monde. Quelques commentateurs de Pline sont partagés si ces animaux crient en veillant ou en dormant ; on voit bien que ces gens-là ne sont pas sortis de leur cabinet ; nos matelots qui vont dans le Levant sont bien mieux instruits, pour avoir vû les veaux marins dans le tems de leur rut, & en avoir tué dans leurs réduits.


VEBEHASOUS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre du Brésil, dont les feuilles ressemblent à celles du chou. Son fruit est d'une grande douceur, qui fait que les abeilles en sont très-friandes.


VECCHIADOSterme de Relation, c'est ainsi que les Grecs d'Athènes moderne nomment les vingtquatre vieillards qu'ils choisissent dans les meilleures familles chrétiennes, pour régler les affaires qui surviennent de chrétien à chrétien.


VECHT(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Westphalie, dans l'évêché de Munster, sur la riviere de son nom.

VECHT, le, (Géog. mod.) 1°. riviere d'Allemagne, en Westphalie ; elle prend sa source dans l'évêché de Munster ; à cinq milles de la ville de ce nom, elle entre dans l'Over-Yssel, & se perd dans le Zuyderzée. 2°. On nomme Vecht, la partie du Rhin, qui sortant d'Utrecht, arrose plusieurs lieux, comme Marsen, Breukelen, Nieuwersluis, Weson, Muyden, & se perd enfin dans le Zuiderzée.


VECTEURRAYON, adj. en Astronomie, est une ligne qu'on suppose tirée d'une planete qui se meut autour d'un centre ou du foyer d'une ellipse, à ce centre ou à ce foyer ; ce mot vient du latin vehere, porter. Voyez PLANETE, &c. Chambers.

On appelle ainsi cette ligne, parce que c'est celle par laquelle la planete paroit être portée, & au moyen de laquelle elle décrit des aires proportionnelles au tems autour du foyer de son orbite que le soleil occupe.


VECTIS(Géogr. anc.) île de la mer Britannique. Ptolémée, liv. II. c. ij. la marque au midi du grand port ; mais quelques exemplaires, au-lieu de Vectis, lisent Victesis, . Pline, l. IV. c. xvj. la connoit sous le nom de Vectis ; & Eutrope, aussi-bien que le panégyriste de Maximilien, écrivit Vecta. Je jugerois, dit Ortélius, que ce seroit l'Icta de Diodore de Sicile ; mais je n'adopterois pas les fables qu'il débite par rapport au reflux de la mer ; le nom moderne de cette île est Wight. (D.J.)


VEDAMS. m. (Hist. superst.) c'est un livre pour qui les Brames ou nations idolâtres de l'Indostan ont la plus grande vénération, dans la persuasion où ils sont que Brama leur législateur l'a reçu des mains de Dieu même. Cet ouvrage est divisé en quatre parties à qui l'on donne des noms différens. La premiere que l'on nomme rogo, roukou ou ouroukou Vedam traite de la premiere cause & de la matiere premiere ; des anges ; de l'ame ; des récompenses destinées aux bons, des peines réservées aux méchans ; de la production des êtres & de leur destruction ; des péchés, & de ce qu'il faut faire pour en obtenir le pardon, &c. La seconde partie se nomme jadara ou issurevedam, c'est un traité du gouvernement ou du pouvoir des souverains. La troisieme partie se nomme sama-vedam, c'est un traité de morale fait pour inspirer l'amour de la vertu & la haine du vice. Enfin la quatrieme partie appellée addera-vedam, brama-vedam, ou latharvana-vedam, a pour objet le culte extérieur, les sacrifices, les cérémonies qui doivent s'observer dans les temples, les fêtes qu'il faut célébrer, &c. On assure que cette derniere partie s'est perdue depuis long-tems, au grand regret des bramines ou prêtres, qui se plaignent d'avoir perdu parlà une grande partie de leur considération, vû que si elle existoit, ils auroient plus de pouvoir que les rois mêmes ; peut-être sont-ce ces derniers qui, jaloux de leur autorité, ont eu soin de soustraire les titres sacrés sur lesquels celle des prêtres pouvoit être établie aux dépens de la leur.

On voit par-là que le vedam est le fondement de la théologie des Brames, le recueil de leurs opinions sur Dieu, l'ame & le monde ; on ajoute qu'il contient les pratiques superstitieuses des anciens pénitens & anachoretes de l'Inde. Quoi qu'il en soit, la lecture du vedam n'est permise qu'aux bramines ou prêtres & aux rajahs ou nobles, le peuple ne peut pas même le nommer ni faire usage des prieres qui y sont contenues, non-seulement parce que ce livre contient des mysteres incompréhensibles pour le vulgaire, mais encore parce qu'il est écrit dans une langue qui n'est entendue que des prêtres ; on prétend même que tous ne l'entendent point, & que c'est tout ce que peuvent faire les plus habiles docteurs d'entre eux. En effet, on assure que le vedam est écrit dans une langue beaucoup plus ancienne que le sanskrit qui est la langue savante connue des bramines. Le mot vedam signifie science. Les Indiens idolâtres ont encore d'autres livres sur qui la religion est fondée ; tels sont le shaster & le pouran. Voyez ces deux articles. Le respect que les bramines ont pour le vedam est cause qu'ils n'en veulent communiquer des copies à personne ; malgré ces obstacles les jésuites missionnaires sont parvenus à obtenir une copie du vedam par le moyen d'un bramine converti ; le célebre dom Calmet en a enrichi la bibliotheque du Roi en 1733. Voyez l'Histoire universelle d'une société de savans d'Angleterre, hist. mod. tom. VI. in-8°.


VEDELA, (Géog. mod.) petite riviere de France, dans la Touraine. Elle passe à Richelieu, & se jette dans la Vienne, près de Chinon. (D.J.)


VEDETTES. f. (Art milit.) c'est dans le service de la cavalerie ce qu'on appelle sentinelle dans celui de l'infanterie. Les vedettes se placent dans les lieux les plus favorables, pour découvrir le plus d'étendue de terrein qu'il est possible dans les environs du camp ; elles sont tirées des grand-gardes ou gardes ordinaires. Voyez GARDE ORDINAIRE. (Q)


VEDIANTII(Géog. anc.) peuples d'Italie, dans les Alpes, selon Pline, liv. III. c. v. qui nomme leur ville Oppidum Vediantiorum civitatis Cemelion. Ces peuples, dit le P. Hardouin, faisoient partie des Liguriens Capillati. Ptolémée, l. III. c. nomme leur ville Cemelenum vendiontiorum, & la place dans les Alpes maritimes ; c'est aujourd'hui Cimiez, près de Nice. (D.J.)


VEDRA(Géog. anc.) fleuve de la grande Bretagne. Ptolémée, l. II. c. ij. marque l'embouchure de ce fleuve, entre celle de l'Alaunus & Dunum sinus, sur la côte orientale de l'île ; cette riviere se nomme présentement Weere. (D.J.)


VEDROS. m. (Commerce) mesure de liquides usitée en Russie, qui contient environ 25 pintes.


VEERE(Géogr. mod.) Voyez WEERE.


VEGA-RÉAL(Géog. mod.) grande plaine de l'île Hispaniola. Cette plaine a environ soixante-dix lieues de long du nord au sud, & dix dans sa plus grande largeur. Elle est arrosée de quelques grandes rivieres aussi larges que l'Ebre ou le Guadalquivir, & d'un nombre prodigieux de petits ruisseaux, d'une eau pure & fraîche. La plus grande partie de cette plaine formoit autrefois un royaume, dont la capitale étoit au méme lieu, où les Espagnols bâtirent depuis la ville de la Conception de la Vega. (D.J.)


VEGELVEGER, & BEGè ou BEGER, (Géog. mod.) dans quelques cartes ; petite ville d'Espagne, dans l'Andalousie, à l'entrée du détroit de Gibraltar, sur une colline, près du rivage de l'Océan, à 7 lieues au midi de Cadix, dans un terroir sec & aride. Long. 11. 30. latit. 36. (D.J.)


VEGESELA(Géog. anc.) l'itinéraire d'Antonin marque deux villes de ce nom en Afrique, l'une dans la Numidie, & l'autre dans la Byzacene ; la derniere étoit un siege épiscopal. (D.J.)


VÉGÉTABLEadj. en Physiologie, est un terme qu'on applique à toutes les plantes, entant qu'elles sont capables de croître, c'est-à-dire à tous les corps naturels qui ont les parties organisées pour la génération & pour l'accroissement, mais non pas pour la sensation. Voyez PLANTE.

On suppose que dans les végétaux il y a un principe de vie, que l'on appelle communément l'ame végétative. Voyez VEGETATIF & VEGETATION.

Boerhaave définit savamment le corps végétable, un corps engendré de la terre, à laquelle il adhere ou tient par des parties, nommées racines, par le canal desquelles il reçoit la matiere de sa nourriture & de son accroissement, & formé de sucs & de vaisseaux distingués sensiblement les uns des autres ; ou bien, c'est un corps organisé, composé de sucs & de vaisseaux que l'on peut toujours distinguer les uns des autres, & auquel croissent des racines ou des parties, par lesquelles il adhere à quelqu'autre corps dont il tire la matiere de sa vie & de son accroissement.

Cette définition nous donne une idée juste & parfaite du corps végétable ; car en disant qu'il consiste en sucs & en vaisseaux, on le discerne du fossile ; & en disant qu'il adhere à quelqu'autre corps & qu'il en tire sa nourriture, on le distingue parfaitement d'un animal. Voyez FOSSILE, ANIMAL.

On le définit un corps organisé, parce qu'il est formé de différentes parties, lesquelles concourent ensemble à l'exercice des mêmes fonctions. Voyez ORGANISE.

Il adhere par quelques unes de ses parties à un autre corps ; puisque nous ne connoissons point de plante sur la terre si vague & si flottante qui ne soit toujours adhérente à un corps tel qu'il soit, quoique ce corps soit de différente nature, comme est la terre à l'égard de nos plantes communes, la pierre à l'égard des plantes de roche, comme l'eau à l'égard des plantes de mer, & enfin comme l'air à l'égard de quelques mucilages.

Pour ce qui est d'un petit nombre de plantes qui semblent flotter sur l'eau, leur maniere de croître est un peu anomale ou irréguliere. M. de Tournefort a fait voir que toutes les plantes ne naissent point absolument des semences, mais il y en a qui, au-lieu de jetter de la semence, déposent ou font tomber une petite goutte de seve, laquelle, en s'enfonçant dans l'eau, atteint par sa pesanteur naturelle jusqu'au fond de la mer, ou rencontre en chemin quelque rocher où elle s'attache, prend racine & jette des branches : telle est, par exemple, l'origine du corail.

Ajoutez à cela qu'il est indifférent de quelle maniere une plante jette sa racine, soit en-haut, soit en-bas ; par exemple, l'aloës, le corail, la mousse & les champignons ont souvent la racine en-haut & croissent vers la terre.

La structure vasculaire des végétables a été rendue fort sensible par une expérience de M. Willugby : on coupe quelques branches des plus épaisses de bouleau, on applique à leurs extrêmités une espece de bassin ou réservoir de cire molle ; on l'emplit d'eau, & on tient les branches droites : dans cet état, l'eau descend en peu de minutes dans les vaisseaux de bois, & s'écoule entierement à-travers la longueur des branches en tombant goutte-à-goutte & très-promtement, ce qu'elle continue de faire tant que l'on verse de l'eau dans le bassin. La même expérience réussit dans le sycomore & le noyer, mais l'écoulement n'est pas si copieux. Voyez les Transactions philosophiques, n °. 70.

Il y a des secrets pour hâter l'accroissement des végétables d'une maniere surprenante. M. Boyle fait mention d'un savant qui, à la fin du repas, régala ses amis d'une salade de laitue qu'il avoit semée en leur présence immédiatement avant de se mettre à table.

Les Chymistes nous fournissent aussi une sorte de végétaux fort extraordinaires, comme l'arbre de Diane, l'arbre de Mars, &c. En effet de l'or, de l'argent, du fer & du cuivre ayant été préparés dans de l'eau-forte, il s'en éleve une espece d'arbre qui végete & croît à vue-d'oeil, & étend ses branches & ses feuilles de toute la hauteur de l'eau jusqu'à ce qu'il ait épuisé & dépensé toute la matiere qui est au fond. Voyez ARBRE DE DIANE, &c.

Cette eau est appellée par les Chymistes flent water, & c'est Rhodocanasses, chymiste grec, qui en a communiqué le secret.

Huile végétable, voyez HUILE.


VÉGÉTALadj. & subst. (Gram.) c'est le terme le plus étendu de la Botanique. Il se dit de toute plante & de tout ce qui croît par la végétation, ou à la maniere des plantes. Voyez VEGETAUX, VEGETATION METALLIQUE.

VEGETAL, (Chymie ou analyse végétale) une substance végétale, une matiere végétale est pour le chymiste un corps quelconque provenu du regne végétal, soit que ce corps soit organisé, tel que les végétaux entiers, ou leurs différentes parties, tiges, racines, fleurs, &c. ou qu'il soit non-organisé, comme divers sucs concrets ou liquides, tels que les baumes, les résines, la gomme, &c. & enfin les produits quelconques des travaux chymiques sur les substances végétales, tels que l'esprit-de-vin, l'alkali fixe, diverses huiles, &c. sont encore des substances végétales.

Les matieres végétales organisées, ou tissues, texta, (voyez TISSU, Chymie) ne different chymiquement des matieres végétales non organisées, que par leur ordre respectif de composition ; elles sont entre elles comme le composé est à ses principes ; car le tissu végétal est chymiquement formé par le concours de plusieurs de ces matieres végétales non organisées, soutenues par une charpente terreuse plus ou moins renforcée, & dans laquelle réside principalement l'organisation, dont les Chymistes ne se mettent point en peine, ou ce qui est la même chose, qui n'est point un objet chymique.

Les substances végétales de la premiere espece, les végétaux proprement dits, sont offerts immédiatement par la nature ; les substances végétales non organisées qui sont, comme nous venons de l'observer, les principes communs des végétaux, se présentent aussi quelquefois d'eux-mêmes, comme la gomme vulgaire, les baumes, les bitumes, que les Chymistes regardent avec beaucoup de probabilité, comme ayant une origine végétale. (Voyez CHARBON DE TERRE, &c.) Mais plus souvent ils ne sont manifestés que par l'art qui les a successivement tirés des végétaux pour divers usages. Il est clair par le simple énoncé que les substances végétales de la troisieme espece, savoir les produits des opérations chymiques, sont toujours des présens de l'art.

L'énumération des différentes substances organisées, sur lesquelles les Chymistes se sont exercés, est assez connue ; elle renferme les tiges soit ligneuses, soit herbacées, les racines ligneuses, charnues, bulbeuses, &c. les écorces, les feuilles, les calices des fleurs, les pétales, les pistils, les étamines, & même leurs poussieres, les semences, & toutes leurs différentes especes d'enveloppe, parmi lesquelles on doit compter les pulpes des fruits & leurs écorces ; toutes leurs especes de plantes moins parfaites ou moins connues, comme champignons, mousses, & vraisemblablement toutes les especes de fleurs ou moisissures, &c.

Les substances végétales de la seconde espece, c'est-à-dire, celles qui proviennent soit naturellement, soit par art, des substances précédentes, sont une eau aromatique ou non aromatique ; le principe aromatique, l'acide spontané, l'alkali volatil spontané, le principe vif, piquant, indéfini, tel que celui de l'oignon, de la capucine, &c. l'huile essentielle, différentes especes d'huiles grasses, le baume, la résine, la gomme ou le mucilage, la gomme résine, l'extrait, la résine extrait, le corps muqueux, le sel essentiel, acidule, la partie colorante verte, & plusieurs autres matieres colorantes.

Nous énoncerons dans la suite de cet article toutes les substances végétales de la troisieme espece, c'est-à-dire véritablement artificielles.

Les Chymistes ont procédé à l'analyse des végétaux entiers ou de leurs parties, c'est-à-dire, des substances végétales de notre premiere espece, par deux moyens différens ; savoir par la distillation analytique, c'est-à-dire exécutée à la violence du feu, & sans intermede ; (voyez DISTILLATION) & par l'analyse menstruelle, &c. Voyez MENSTRUELLE, analyse.

Toutes ces substances ont fourni assez généralement par le premier moyen, les produits suivans ; 1°. une eau ou flegme limpide, quelquefois aromatique, quelquefois inodore, selon que la matiere traitée est aromatique ou inodore ; mais dans le dernier cas même, annonçant jusqu'à un certain point la substance particuliere qui l'a fourni ; & toujours très-distinctement le regne auquel appartient cette substance, le regne végétal ; 2°. un flegme coloré & légerement empreint de l'odeur empyreumatique ; 3°. un flegme plus coloré, un peu trouble, & chargé d'une petite quantité d'esprit salin, quelquefois acide, mais plus souvent alkali ; une petite quantité d'huile jaunâtre & assez limpide, un peu d'air ; 4°. une liqueur plus saline, trouble, de l'huile plus abondante, plus dense & noirâtre, de l'air ; 5°. le plus souvent de l'alkali volatil concret ; une huile qui devient de plus en plus dense & noire, de l'air ; 6°. il reste enfin un résidu charbonneux, qui étant brûlé ou calciné à l'air libre, donne par la lixiviation de l'alkali fixe & quelques sels neutres ; savoir du tartre vitriolé ou du sel marin, ou bien l'un & l'autre.

Tels sont les produits communs & à peu-près universels d'un végétal traité par la distillation analytique : ce sont ceux qu'ont obtenus constamment les premiers chymistes de l'académie des Sciences, MM. Dodart, Bourdelin, Tournefort, Boulduc, &c. ceux qui sont exposés dans un livre très-connu ; la matiere médicale de Geoffroy, &c. Mais la doctrine chymique dominante sur les produits caractéristiques & respectifs de la distillation analytique des végétaux & des animaux, n'en est pas moins que l'acide est ce produit spécial & propre aux végétaux, & que l'alkali volatil est ce produit propre & spécial aux animaux ; sur quoi il est observé dans un mémoire sur l'analyse des végétaux, imprimé dans le second volume des mémoires présentés à l'acad. royale des Sciences, par divers savans, &c. qu'on a toujours lieu d'être étonné sans doute de voir des erreurs de fait qu'une seule expérience doit détruire, se répandre & subsister ; que l'établissement de l'opinion particuliere dont il s'agit ici, & qui est moderne, est d'autant plus singulier, que tous les chymistes qui ont fait une mention expresse des distillations analytiques des végétaux, ont dénommé très-expressément parmi les produits de ces distillations, les esprits & les sels alkalis volatils ; que la présence de l'acide mentionné par tous ces chymistes est presque toujours fort équivoque, tandis que celle de l'alkali volatil est toujours très-évidente ; qu'on distingue très - vainement par ce produit les plantes de la famille des cruciferes de Tournefort, dont l'alkali volatil spontané qui se dégage de quelques-unes au plus léger degré de feu, ne doit être ici compté pour rien, puisque ces plantes n'ont rien de particulier quant au produit alkali volatil de leurs distillations analytiques ; puisqu'au contraire on retire par cette distillation, de plusieurs plantes des autres classes plus d'alkali volatil, même concret, que des plantes cruciferes qui contiennent le plus d'alkali volatil spontané ; par exemple, de la laitue & de l'oseille plus que du cochlearia ; & enfin que ce n'est qu'à la distillation des bois, & principalement à celle des bois durs & résineux, que convient la doctrine que nous combattons ; car ces bois donnent en effet abondamment de l'acide, & fort peu d'alkali volatil : & il est presque hors de doute que c'est de leur analyse particuliere, qu'on a déduit par une conséquence prématurée, ce qu'on a avancé trop généralement sur la distillation des végétaux.

Il est observé dans le même écrit que cette ancienne maniere de procéder à la décomposition des végétaux, est imparfaite & vicieuse ; parce qu'une analyse réguliere doit attaquer par rang les différens ordres de combinaison qui concourent à la formation du corps examiné ; & que l'analyse par la violence du feu atteint tout-d'un-coup au contraire les derniers ordres de combinaison dont elle simplifie les principes trop brusquement ; car, est-il ajouté, c'est avoir une idée très-fausse de l'analyse chymique, que de prétendre qu'on doive pousser immédiatement celle d'un corps quelconque jusqu'aux produits exactement simples, comme sembloient l'exiger les physiciens, qui rejettoient la doctrine des Chymistes, parce que les produits de leurs analyses, qu'ils appelloient les principes chymiques, n'étoient pas des corps simples ; tandis qu'au contraire le vice réel de leurs opérations consistoit précisément en ce qu'elle simplifioit trop ces principes.

On conclut de ces observations qu'il faut absolument substituer à cette maniere de procéder, la méthode nouvelle de l'analyse menstruelle ou par combinaison, par le moyen de laquelle on retire des végétaux les principes immédiats & évidemment inaltérés de leur composition ; chacun desquels peut être successivement & distinctement soumis à une analyse ultérieure. Il est dit aussi dans ce mémoire que les Chymistes n'ont encore que des connoissances fort imparfaites sur l'analyse particuliere de chacune des substances qu'on retire des végétaux par l'application de diverses menstrues, & qui sont celles dont nous avons fait mention plus haut, sous le nom de seconde espece de substance végétale ; savoir le baume, l'extrait, la gomme, &c. & que ce n'est presque que sur la résine & les matieres analogues, savoir les baumes, les bitumes, &c. que les Chymistes ont des notions distinctes.

Les substances végétales artificielles, dont nous avons annoncé plus haut l'énumération, sont outre les produits de la distillation analytique ci-dessus détaillée, les produits spéciaux des trois fermentations proprement dites ; savoir l'esprit-de-vin, le tartre, la lie du vin, le vinaigre, l'alkali volatil, l'esprit foetide putride, absolument indéterminé jusqu'à présent, & enfin la suie végétale.

On trouvera dans ce Dictionnaire des articles particuliers pour toutes les substances végétales de la seconde & de la troisieme espece ; pour l'extrait, la gomme, la résine, les principes odorans, sous le mot ODORANT ; l'huile essentielle, & l'huile grasse, l'esprit-de-vin sous le mot VIN ; le vinaigre, le tartre, la suie, &c. & dans ces articles, la maniere d'obtenir, de préparer, d'extraire, ou de produire la substance particuliere qui en fait le sujet. Les procédés nécessaires à cet objet sont, par exemple, exposés avec beaucoup de détail à l'article EAU DISTILLEE, à l'article HUILE, à l'article EXTRAIT, &c. Celui-ci a été spécialement destiné à la substance végétale très-composée, ou proprement dite au TISSU VEGETAL. (b)

VEGETAL, acide, (Chymie & Médec.) l'acide végétal est le quatrieme & dernier acide simple connu. C'est le plus volatil de tous ; c'est celui qui est le plus fréquemment en usage, puisqu'il entre dans une grande partie de nos mets. Voyez acides en général à l'article SEL. Une saveur astringente, une odeur assez agréable, le caractérisent assez pour que nous ne nous arrêtions pas davantage sur cet article.

On le retire par la distillation de quelques végétaux, comme la canne à sucre, du tartre (voyez TARTRE), & des substances qui ont subi une fermentation acide, après avoir été successivement du moût & du vin. La différence des sels que donnent ces différentes substances doit bien nous convaincre que tous les corps sont composés des mêmes élémens, & que la différente combinaison, un peu plus ou un peu moins, en font toute la différence. C'est par les voies les plus simples que la nature opere tant de merveilles. Notre admiration augmentera lorsque nous considérerons que ce moût qui précédemment avoit été acide, n'a fait que revenir à son ancien état. Quoique, à dire le vrai, ce n'est que par conjecture que nous soupçonnons que le verjus est, à quelque différence près, le même acide que le vinaigre, encore que leurs saveurs ne se ressemblent pas exactement. M. Gellert va plus loin ; il prétend que tous les végétaux contiennent le même acide, ce qui nous paroît bien éloigné de la vérité, puisqu'avec l'acide vitriolique & un peu d'essence de citron on fait une limonade semblable à celle que produisent les citrons, ce qu'on n'obtiendroit jamais avec le vinaigre distillé.

Dans l'état ordinaire, le vinaigre contient un principe huileux & tartareux, qui, en le privant d'une partie de son activité, empêche de faire avec ce menstrue toutes les dissolutions dont il est capable. La Chymie se sert de deux moyens, pour l'avoir dégagé de cette terre & de cette huile. Le premier est de le distiller. On a par cette opération une liqueur transparente beaucoup plus acide que n'est le vinaigre ordinaire, mais encore bien affoiblie par la grande quantité de phlegme qu'elle contient. On a donc imaginé une seconde méthode, qui consiste à prendre un sel neutre, dont l'acide est le vinaigre, à le dessécher, & en le décomposant distiller l'acide à un feu violent. Le vinaigre radical qui en résulte ne cede peut-être en rien aux autres acides pour sa force ; communément c'est du verdet qu'on le retire. Lorsqu'on veut concentrer le vinaigre sans le débarrasser de la terre & de l'huile dont la distillation le dépouille, on l'expose à une forte gelée : la partie phlegmatique se gele, tandis que l'acide conservant sa fluidité, s'écoule à-travers les lames de la glace.

Homberg & Neumann ont calculé que du fort vinaigre ne contient qu'une soixantieme partie d'acide, Boerhaave ne lui en accorde pas une quatre-vingtieme : nous sommes persuadés que si on débarrassoit encore cette quatre-vingtieme partie de tout le phlegme superflu, elle se réduiroit à beaucoup moins.

Quoique les Chymistes ayent fait plusieurs expériences avec le vinaigre simple ou distillé, ils en ont peu fait avec le radical. Il reste donc encore bien des choses à éprouver & à découvrir sur cet acide, auquel les Chymistes n'ont peut-être pas donné toute l'attention qu'il méritoit. Geoffroy ne lui a accordé aucune colonne dans sa table des rapports ; M. Gellert omet plusieurs métaux & plusieurs terres dans la sienne. Il place l'or, l'argent, l'étain & le mercure comme indissolubles dans l'acide du vinaigre, & cependant le contraire vient d'être démontré au sujet du mercure ; il ne fait pas mention des terres calcaires : enfin il prouve combien peu on a fait de recherches sur un sujet aussi intéressant. En général on peut dire que cet acide est le plus foible de tous, que les sels qu'il forme avec les alkalis & les métaux sont décomposés par les acides minéraux. Quoique cet acide ne puisse pas dissoudre un grand nombre de métaux étant appliqué à nud, cependant il les dissout presque tous lorsqu'ils ont été précipités de leurs dissolvans propres. On peut le dulcifier avec l'esprit-de-vin, & en retirer un éther, suivant le procédé & la découverte de M. le comte de Lauragais.

Le vinaigre pris en petite quantité, délayé dans beaucoup d'eau, est, comme les autres acides, un tempérant propre à calmer la soif & la fievre ; mais il a une propriété singuliere, c'est qu'en même tems qu'il est un violent astringent, rafraîchissant & diurétique, il excite abondamment la transpiration, & par ces raisons il peut, étant pris immodérément, conduire à un desséchement, à un marasme général. L'assemblage de ces qualités le rend d'un très-grand secours dans les maladies pestilentielles, où il faut en même tems corriger la corruption de l'air infecté par la pourriture des cadavres, tempérer le mouvement du sang & exciter la transpiration. Il sert dans les tems de contagion à purifier les viandes, les habits, les appartemens, &c. Pour augmenter sa vertu, on le rend aromatique par l'infusion de quelques végétaux : les formules en sont sans nombre. Il est d'un très-grand usage dans la Pharmacie ; on en fait l'oxycrat, médicament souvent aussi utile que simple. On en compose l'oxymel, dont les anciens médecins faisoient un bien plus grand usage que nous ; extérieurement c'est un rafraîchissant, répercussif, astringent très-fort.

Lorsque dans les mets on emploie le vinaigre, on en compose toujours une espece de savon, puisque c'est avec des graisses ou des huiles & du sel qu'on le mêle. Quand le savon n'est ni trop huileux, ni trop acide, il est à son point de perfection, & le mets préparé est au goût de tout le monde ; les parties huileuses qui entrent dans la composition du vinaigre, facilitent le mêlange savonneux.

VEGETALE, terre, (Hist. nat.) humus, humus vegetabilis ; c'est la terre qui se trouve à la surface, elle est plus ou moins noire ou jaune ; c'est cette terre qui contribue à la croissance des plantes qui, par leurs racines qui pourrissent, lui rendent continuellement une portion de ce qu'elles en ont reçu. On voit par-là que la terre végétale est bien éloignée d'être une terre simple ; elle doit être un mêlange d'argille, de terre calcaire, de sable, de gravier, de parties ferrugineuses, &c. auquel s'est joint une portion de la partie terreuse, huileuse & saline, des végétaux qui s'y pourrissent & s'y décomposent. Une des principales qualités de cette terre est d'être bien divisée, afin d'être propre à se prêter, pour ainsi dire, aux racines jeunes encore des plantes, pour cela il faut qu'elle ne soit ni trop compacte, ni trop spongieuse. Quand elle est trop dense, elle serre trop fortement les racines des plantes & empêche de s'étendre ; joignez à cela qu'elle retient les eaux qui ne pouvant point la traverser assez promtement, ou y séjournant trop long-tems, pourrissent & endommagent les végétaux. Une terre trop grasse & trop chargée de glaise est dans ce cas. Voyez GLAISE.

D'un autre côté, si la terre végétale est trop poreuse & trop légere, l'eau, si nécessaire pour la végétation & qui est le véhicule qui doit porter le suc nourricier aux plantes, n'y séjourne point assez pour produire cet effet, elle passe comme au-travers d'un crible. Telle est une terre végétale, qui seroit trop sablonneuse ou trop remplie de craie.

Pour remédier à ces inconvéniens dans le premier cas, c'est-à-dire lorsque la terre sera trop grasse, il faudra la diviser & la rendre plus légere, en y joignant soit de la craie, soit du gravier, soit du sable. Quant au second inconvénient, c'est-à-dire lorsque la terre végétale sera trop maigre, on pourra y joindre une terre plus grasse, du fumier, de la marne argilleuse, &c.

L'on voit donc que tout le mystere de la fertilisation des terres dépend de rencontrer la juste proportion qui est nécessaire, pour que les terres soient dans un état de division qui facilite la circulation des eaux, & qui ne les arrête ni trop ni trop peu. Voyez les articles GLAISE & MARNE.

La terre végétale s'appelle aussi terreau, terre franche, terre des jardins.


VEGÉTATIF(Jardinage) s'emploie en parlant de l'esprit végétatif, de l'ame végétative des plantes. Voyez VEGETATION.


VÉGÉTATION(Hist. nat. Botan.) phénomene de la nature qui consiste dans la formation, l'accroissement, & la perfection des plantes, des arbres, & de tous les autres corps de la nature, connus sous le nom de végétaux.

La vie & l'accroissement sont les caracteres distinctifs de ces corps, différens des animaux en ce qu'ils n'ont pas de sentiment ; & des minéraux, en ce qu'ils ont une véritable vie, puisqu'on les voit naître, s'accroître, jetter des semences, devenir sujets à la langueur, aux maladies, à la vieillesse, & à la mort.

La végétation est quelque chose de distinct de la vie dans les plantes. Quoiqu'une plante morte cesse aussi de végéter, néanmoins il y a beaucoup de plantes qui vivent sans qu'elles donnent la moindre marque de végétation. La plûpart des plantes aquatiques conservent la vie dans les tems de sécheresse, & ne recommencent à végéter que lorsque l'eau revient dans les mares ou dans les ruisseaux. Une graine qui n'est point exposée à la chaleur ni à l'humidité, est vivante, & ne végete pas, & peut même demeurer très-long-tems dans cet état de non- végétation : on a vu certains haricots rouges de l'Amérique tirés du cabinet de l'empereur, où ils étoient conservés depuis plus de 200 ans, germer & végéter par les soins d'un habile jardinier.

Quelquefois la végétation est si foible, qu'elle n'est presque point sensible ; bien des arbres de la zone torride restent long-tems dans nos serres sans faire de progrès ; & la plûpart de nos arbres qui se dépouillent de leurs feuilles en hiver ne paroissent végéter qu'aux yeux des observateurs attentifs ; enfin, les oignons des plantes bulbeuses passent un tems considérable de l'année dans un état de non- végétation. Mais lorsque dans le printems & dans l'automne, tous ces êtres vivans poussent de nouvelles feuilles & de nouveaux bourgeons, & que la nature se pare de toutes les nuances de leur verdure & de l'éclat de leurs fleurs, c'est alors que le phénomene de la végétation est brillant, & qu'il se laisse voir dans toute son étendue.

La vie des végétaux est variable en durée, suivant la nature de chaque espece ; il y a des plantes qui ne durent pas plus de deux à trois mois ; il y a des arbres, comme l'adansonia du Sénégal, qui vivent plus de 500 ans ; quelle que soit cette durée, on peut toujours distinguer quatre âges dans le cours de la vie des végétaux ; celui de leur naissance, c'est-à-dire, de leur germination ; celui de leur accroissement ; celui de leur perfection ; & enfin, celui de leur décrépitude. Nous examinerons les différentes circonstances du phénomene de la végétation dans tous ces âges, en considérant en même tems les effets de la chaleur, de l'humidité, de l'air, & des autres instrumens qui y contribuent ; & nous tâcherons de rapprocher chaque phénomene particulier des loix de Physique qui nous sont connues.

La semence mûre & parfaite de tout être végétal, propre à représenter un jour l'espece dont elle dérive, est composée essentiellement d'un germe, c'est-à-dire, du rudiment de la plante qui doit naître : d'une autre partie qu'on appelle lobe (qui quelquefois est simple, le plus souvent double, & multiplié dans un très-petit nombre d'especes), enfin des enveloppes qui servent à conserver la semence, & à attirer de la terre l'humidité nécessaire à la germination : ces dernieres sont simples, doubles, triples, seches, succulentes, coriaces ou ligneuses, & de différentes figures, comme on le voit dans les différens fruits.

Choisissons, par exemple, la semence d'un amandier, & suivons les progrès de sa germination.

Lorsqu'une amande a resté pendant l'hiver dans de la terre médiocrement humide, elle se renfle aux premieres chaleurs du printems ; sa membrane s'épaissit, paroît toute abreuvée d'humidité, & bientôt par le gonflement de ses lobes, elle sépare les deux coques ligneuses qui la couvroient : alors la membrane déchirée laisse sortir la radicule, qui fait la plus grosse partie du petit germe qu'on voit à la pointe de l'amande : la plume qui est l'autre partie de ce germe & qui doit former la tige, reste encore pliée & renfermée entre les lobes.

Insensiblement la radicule s'allonge, se courbe, jusqu'à ce qu'elle parvienne à s'enfoncer perpendiculairement dans la terre ; les parties de la plume s'étendent pareillement & se développent ; les lobes se séparent ; la petite plante sort de terre, prend une situation verticale, & s'éleve en gardant pendant quelque tems ses lobes, dont elle continue de tirer sa subsistance, jusqu'à ce que la petite racine se soit assez étendue & ramifiée pour pomper de la terre les sucs nécessaires à l'accroissement de la plante.

Le germe reste attaché aux lobes par le moyen de deux anses ou appendices qui sortent de sa partie moyenne, & qui ne sont autre chose que deux paquets de vaisseaux qui vont se distribuer dans la substance des lobes : il paroît que l'usage de ces lobes est absolument nécessaire à la jeune plante, & qu'il s'étend encore assez long-tems après qu'elle est formée, & qu'elle s'est élevée hors de terre, ils continuent de lui procurer une nourriture plus parfaite & moins crue que celle que tirent ses radicules ; en effet, la quantité d'huile que renferme la substance farineuse des lobes, & que leur mucilage rend miscibles avec l'eau, forme une espece d'émulsion très-propre à nourrir cette plante délicate ; du-moins est-il vrai que toutes celles à qui on retranche les lobes de très-bonne heure, périssent en peu de tems, ou languissent, & ne prennent jamais un entier accroissement.

Le suc préparé dans les lobes passe donc immédiatement dans la radicule, & la fait croître avant la plume ; car celle-ci ne commence guere à se développer, que lorsque la radicule est fixée, & qu'elle a acquise une certaine longueur. Cette structure & cette observation sur l'allongement de la radicule antérieur au développement de la plume, ne prouvent-elles pas que les racines sont de tout tems destinées à recevoir & à préparer la nourriture de la tige & des autres parties ?

Lorsque les racines sont assez allongées, multipliées, formées, pour donner à la nourriture qu'elles tirent de la terre les qualités nécessaires à l'accroissement de la jeune plante, le secours des lobes devient inutile ; ils tombent après s'être flétris & desséchés, ou bien ils se changent dans quelques especes en feuilles séminales.

La structure de la nouvelle plante ne présente encore rien de bien organisé ; la radicule, ainsi que la plume, ne paroissent composées que d'une substance spongieuse, abreuvée d'humidité, recouverte d'une écorce plus épaisse dans la radicule que dans la plume, mais dans laquelle on distingue à peine quelques fibres longitudinales.

Il est difficile d'assigner le premier terme de la germination ; c'est un mouvement insensible excité sans doute par la chaleur de la terre, quand la semence est suffisamment pénétrée d'humidité. On sait plus certainement que l'humidité & la chaleur sont absolument nécessaires à cette action : aucune graine ne germe dans un endroit parfaitement sec, ni dans un milieu refroidi au terme de la glace : mais les degrés de chaleur & d'humidité se combinent à l'infini dans les différentes especes de plantes. Il y a des plantes, comme le mouron, l'aparine, la mâche, qui germent au solstice d'hiver, pour peu que le thermomêtre soit au-dessus de la congelation ; il y a des haricots & des mimoses à qui il faut 35 ou 40 degrés de chaleur : quantité de graines ne germent que dans l'eau ou dans une terre absolument humide ; les amandes & les semences huileuses se pourrissent dans une terre trop mouillée, & ne réussissent jamais mieux que dans une couche de sable & à couvert, comme dans un cellier.

L'air contribue presque autant que la chaleur & l'humidité au succès de la germination : plusieurs graines ne germent point dans le vuide ; celles qui y germent périssent en peu de tems : mais lorsqu'on laisse rentrer l'air dans le récipient, celles qui n'ont pas germé, levent assez vîte, & prennent un promt accroissement. Beaucoup de graines ne germent point quand elles sont trop enfoncées dans la terre, surtout si elle n'a pas été labourée, & que l'air ne peut pas y pénétrer ; plusieurs y périssent pendant les chaleurs de l'été ; d'autres, comme celle des raiforts, & des autres cruciferes, s'y conservent pendant 20 ans, & ne germent que lorsque la terre ouverte par un labour les ramene près de la surface, & leur rend la communication avec l'air.

On doit encore regarder le fluide électrique comme une des causes qui favorisent la germination : des graines de moutarde, & d'autres électrisées plusieurs jours de suite pendant l'espace de 10 heures, ont germé trois jours plus tôt que de pareilles graines qui n'étoient pas électrisées, & au bout de huit jours les premieres avoient fait une crue de plus du double. Peut-être ce fluide qui est si abondamment répandu sur la terre quand le tonnerre éclatte, contribue-t-il beaucoup aux progrès rapides de la végétation que l'on observe après les tems d'orage.

Les gelées blanches, les pluies froides, & les arrosemens à contre-tems, font périr bien des plantes dans le tems de la germination ; les vents du nord les desséchent ; l'ardeur du soleil les épuise, & tous les extrêmes leur nuisent. Les circonstances les plus favorables à la germination sont une chaleur douce, humide & graduée, un lieu un peu ombragé, dans lequel l'air s'entretienne chargé de vapeurs humides.

A mesure que la racine s'allonge, la petite tige croît aussi ; les premieres feuilles se développent & s'étendent successivement ; toutes ces parties ne paroissent d'abord formées que par un tissu cellulaire, qui n'est qu'un amas de vésicules très-minces, remplies d'un suc très-aqueux, contenues par l'épiderme, (membrane extensible & élastique déjà formée dans la semence), qui se multiplient prodigieusement dans l'accroissement des végétaux.

Bientôt on commence à distinguer plusieurs faisceaux de fibres longitudinales, dont le nombre augmente chaque jour ; ces faisceaux se lient entr'eux par des paquets de fibres transversales, le tout forme un réseau à mailles, par lesquelles la substance cellulaire du centre communique avec celle qui est répandue entre ce premier plan de fibres & l'épiderme : il se formera par la suite dans la concavité de ce plan circulaire un second plan tout-à-fait semblable, & ensuite un troisieme, & ainsi successivement ; la substance cellulaire remplira toujours l'intervalle entre chaque plan, & la communication de toutes ces cellules reste libre par les mailles de tous ces différens réseaux, qui sont à-peu-près les uns vis-à-vis des autres.

C'est ainsi que se forme la couche corticale de la premiere année, & qui sera toujours la plus près de l'épiderme tant que l'arbre subsistera, elle est composée, comme l'on voit alternativement du corps réticulaire fibreux, & de la substance cellulaire. Toute l'écorce s'appelloit anciennement le livre, parce qu'on peut la fendre en autant de feuillets qu'elle a de plans fibreux, & que dans cet état elle représente les feuillets d'un livre : aujourd'hui on entend par le livre ou liber seulement, la plus intérieure des couches fibreuses de la substance corticale, celle qui est immédiatement contiguë au bois.

Nous regarderions volontiers le livre, comme un organe particulier, distinct du bois & de l'écorce : formé dès la naissance de l'arbre, & destiné à former le bois par les productions de sa face interne, & l'écorce par celle de sa face extérieure : son organisation paroît moyenne entre celle des couches ligneuses & celle des couches corticales ; on n'apperçoit guere autre chose qu'un vaisseau fibreux traversé de vaisseaux, & rempli de substances cellulaires : mais on observe que ces vaisseaux sont dans tous les tems plus abreuvés de seve ; qu'il s'étend, qu'il s'accroît & qu'il se repose dans tous les sens, quand il a été coupé ou déchiré, au-lieu que les plaies du corps ligneux ne se reparent jamais, non-plus que celles des couches corticales extérieures : enfin le livre est comme séparé du bois dans le tems que la seve est abondante, mais il reste attaché à l'écorce, ce qui la fait regarder comme une partie de cet organe.

Lorsque l'écorce d'un jeune arbre a acquis un peu d'épaisseur, si on coupe sa tige transversalement, on apperçoit vers le centre un petit cercle de fibres blanches, plus dures, plus solides, plus droites & plus serrées que celles de la couche corticale : ce sont les premieres fibres du bois, celles qui formeront la charpente de l'arbre, & qui seront le principe de sa solidité. Les plans de fibres ligneuses se forment & s'enveloppent successivement, comme ceux de la substance corticale, avec cette différence que la premiere couche sera toujours la plus près du centre & la derniere formée la plus près de l'écorce, au-lieu que le contraire arrive dans la formation des couches corticales. Il y a encore cette différence que le tissu cellulaire est bien plus rare & bien plus mince entre les couches ligneuses qu'entre celles des fibres corticales, ce qui fait qu'elles sont bien plus difficiles à séparer par le déchirement ; cependant par la macération & l'ébullition, on vient à-bout de les séparer par feuillets, comme ceux de l'écorce.

Il est très-difficile de déterminer l'origine de la premiere couche ligneuse ; mais il y a toute apparence qu'elle est formée comme toutes celles qui la recouvrent, & qu'elle est une production du livre, c'est-à-dire, de la couche corticale la plus intérieure.

Il se forme chaque jour un anneau de vaisseaux séveux à la partie interne du liber, qui se durcit peu-à-peu, & forme le second plan de la couche ligneuse, après celui-ci il s'en forme un troisieme, & ainsi successivement jusqu'à l'hiver ; cette couche ligneuse de la premiere année devient toujours & plus dure & plus dense, à mesure que l'arbre vieillit : ainsi donc la couche annuelle qui forme quelqu'un des cercles concentriques qu'on observe sur la coupe horisontale d'un tronc d'arbre est composée de toutes les couches journalieres qui se sont formées pendant le tems favorable à la végétation, c'est-à-dire, depuis le printems jusqu'à l'hiver.

Au même tems que le livre fournit à la production du bois par sa face intérieure, il distribue aussi quelques vaisseaux séveux à l'écorce, & forme une nouvelle couche corticale, qui sera le livre de l'année suivante : mais les productions ligneuses sont beaucoup plus abondantes que celles de la partie corticale, comme on en peut juger en comparant toute la masse ligneuse avec la masse corticale : dans un vieux noyer la proportion du solide ligneux au solide cortical étoit de 5 à 1 ; dans un jeune noyer elle étoit de 3 à 1 : il est vraisemblable que cette proportion varie un peu dans les autres arbres.

Ce que nous venons d'exposer touchant la formation des couches ligneuses & corticales, nous montre de quelle maniere se fait l'accroissement des arbres en grosseur : la premiere couche corticale qui s'est formée, reste toujours la plus extérieure ; elle est continuellement forcée de se dilater à mesure que l'arbre grossit, & cette dilatation produit les grandes mailles qu'on observe sur les vieilles écorces des grands arbres ; il en est ainsi des autres couches qui se forment successivement dans l'intérieur de la premiere.

La premiere couche ligneuse reste toujours au-contraire la plus petite ; & si elle change, c'est plutôt pour se retrécir & se condenser ; il y a du-moins lieu de le croire par la diminution continuelle, & l'évanouissement total du noyau médullaire dans le tronc des vieux arbres, aussi-bien que par la dureté & la densité du coeur.

A mesure que les couches ligneuses s'éloignent du centre, elles sont moins dures & moins compactes ; les plus nouvelles, qui sont aussi les plus blanches & les plus légeres, restent tendres & molles pendant quelque tems, & sont connues dans cet état sous le nom d'aubier. Voici quelques expériences & des observations qui confirment ces vérités.

Si on fait une incision sur le tronc d'un jeune arbre, & qu'après avoir mesuré l'épaisseur de son écorce, on enfonce une épingle dans la derniere couche de celle-ci, immédiatement sur le livre, & qu'on bande ensuite exactement la plaie, on verra au-bout de quelques années, qu'il s'est formé de nouvelles couches corticales entre l'épingle & le livre, & que l'épaisseur de l'écorce n'a pas changé : donc l'accroissement de l'écorce se fait par la formation de nouvelles couches vers l'intérieur.

Si on enleve sur le tronc d'un jeune arbre une piece d'écorce de deux ou trois pouces en quarré, sans endommager le livre, & qu'ensuite on couvre exactement la plaie, pour prévenir le desséchement, il se formera sur le livre une nouvelle couche corticale, qui s'élevant & croissant peu-à-peu, formera enfin une cicatrice : après quelques années on verra en sciant l'arbre qu'il s'est formé de nouvelles couches corticales, entre le fond de la plaie & le livre, d'où l'on peut conclure que l'écorce qui a rempli la plaie, & les couches qui se sont formées depuis sous son fond, sont des productions du livre.

On observe que les caracteres gravés sur l'écorce des jeunes arbres croissent & s'étendent dans toutes leurs dimensions ; mais cependant beaucoup plus en largeur (& il en est de même de toutes les cicatrices des plaies qu'ils ont souffertes) ; n'est-ce point une preuve que les couches extérieures continuellement poussées par celles qui se forment intérieurement, ainsi que par les nouvelles couches du bois, sont forcées à se dilater, & à élargir successivement les mailles de leur réseau, & par conséquent que l'extension de leur circonférence est continuelle ?

Si on enleve sur le tronc d'un arbre vigoureux une bande d'écorce circulaire de 5 à 6 pouces de long, & de 2 à 3 pouces de largeur, & qu'on applique immédiatement sur le bois une plaque d'étain fort mince, ou-bien une feuille de papier ; qu'ensuite on assujettisse cette bande (qui doit tenir au reste de l'écorce par une de ses extrêmités), de maniere que la plaie puisse se cicatriser ; on s'appercevra en sciant l'arbre au bout de quelques années, qu'il se sera formé plusieurs couches ligneuses par-dessus la plaque d'étain ; or on ne sauroit dire que ces nouvelles couches ligneuses soient produites par celles qui sont sous la plaque d'étain, elles ont donc été formées du côté de l'écorce, c'est-à-dire, par le livre.

On a fendu l'écorce jusqu'au bois aux deux extrêmités du diametre horisontal du tronc d'un jeune arbre, & on a enfoncé dans le bois deux clous d'épingle jusqu'à la tête, ayant ensuite mesuré avec un compas d'épaisseur, l'intervalle entre les deux têtes des clous, on a fermé & cicatrisé la plaie. Au bout de quelques années on a reconnu en sciant l'arbre qu'il s'étoit formé de nouvelles couches de bois pardessus la tête des clous, & l'intervalle mesuré entre ces deux têtes, a été trouvé exactement le même, donc les parties du bois qui sont une fois formées ne grossissent plus, & l'augmentation du corps ligneux vient des nouvelles couches qui se forment successivement par le livre.

Les écussons du pêcher appliqués sur le prunier, & ceux du saule sur le peuplier, font voir au-bout de quelque tems (par la différente couleur des deux bois), qu'il s'est formé sous ces écussons des lames très-minces de bois, qu'on reconnoît aisément pour être du pêcher ou du saule : or ces petites lames n'ont pu être formées que de la substance de leurs écussons, c'est-à-dire, de la petite portion de liber qu'ils renfermoient.

De plus, si on laisse exprès un peu de bois de pêcher ou de saule sous de semblables écussons, la greffe, qui réussit alors bien plus difficilement, laissera voir qu'il s'est formé une couche de bois toute nouvelle, entre celui qu'on avoit laissé & le livre de l'écusson, par lequel cette greffe s'est unie avec le sujet, tandis que l'ancien bois meurt ou languit sans jamais se coller au bois du sujet.

La formation des couches corticales & ligneuses nous a conduit à examiner d'abord comment les arbres croissent en grosseur ; reprenons notre arbre nouvellement germé, pour considérer comment il s'éleve, & comment se fait l'allongement de sa tige. Nous ne sommes pas plus instruits sur la cause de l'allongement des fibres & des vaisseaux, que sur celle de leur formation : ces mysteres dépendent d'un méchanisme trop subtil pour nos sens, & des loix que le Créateur a imposées à chaque organisation qu'il a créées ; tout ce que nous pouvons appercevoir, c'est que ces fibres croissent par la formation de nouveaux organes, & que l'accroissement cesse quand ces organes ont acquis la perfection qu'ils doivent avoir.

Tant que les fibres du germe se conservent tendres & souples, elles s'allongent par l'admission des nouveaux sucs, & par les principes solides qu'ils y déposent ; les vésicules cellulaires se gonflent & se multiplient, & fournissent au livre la matiere de son accroissement : à mesure que son organisation se perfectionne, il forme à son tour les fibres corticales du côté de l'épiderme, & les fibres ligneuses du côté du centre.

A peine donc la tige du jeune arbre est-elle redressée & sortie d'entre les lobes, qu'on apperçoit dans sa tige les premieres fibres de l'écorce & du livre déjà formées au-dessus des lobes : tant que celles-ci sont molles & souples, elles sont capables d'allongement ; dès qu'elles sont endurcies, elles cessent de croître : comme elles se forment d'abord vers le bas de la tige, c'est-là précisément qu'elles s'endurcissent le plus promtement, & c'est aussi par cette partie qu'elles croissent le moins ; & comme le jeune arbre tire chaque jour plus de nourriture en grandissant, aussi l'allongement de la partie tendre & herbacée de sa tige augmente-t-il de jour-en-jour, tant que la saison favorise la végétation. Enfin aux approches de l'automne l'accroissement diminue, & s'arrête tout-à-fait, par un ou plusieurs boutons qui terminent la jeune tige.

Si on arrache ce jeune arbre, & qu'on le fende suivant sa longueur depuis le bouton jusqu'à la racine, on observera dans le centre un noyau médullaire cylindrique qui s'étend depuis la racine jusqu'au sommet du bouton ; & s'il s'est formé des feuilles & des boutons le long de la tige, il y aura pareillement des productions de la moëlle qui iront s'y distribuer : ce noyau médullaire paroîtra accompagné d'une couche ligneuse fort épaisse vers le bas, & qui se termine en une lame très-mince au haut de la tige, excepté qu'elle s'épaissit un peu vers le bouton : le livre est alors tellement uni au bois, qu'on ne peut le distinguer que par la blancheur & le brillant de ses fibres ; enfin on verra les différentes couches de l'écorce plus épaisses aussi vers la base, & qui vont se perdre dans les écailles du bouton ; tâchons de confirmer ces vérités, & de les rendre plus claires par quelques expériences.

Lorsque la tige d'un arbre nouvellement formé n'avoit encore qu'un pouce & demi de hauteur, on l'a divisée en dix parties, & on a enfoncé jusqu'au centre de petits fils d'argent très-fins à l'endroit de chaque division : au bout de l'année tous ces fils s'étoient écartés les uns des autres, mais inégalement : l'écartement de ceux qui étoient vers le bas étoit le moins considérable, mais ceux qui étoient vers le haut s'étoient fort éloignés : tout étant demeuré en cet état, l'année suivante le bouton forma une nouvelle pousse ; lorsqu'elle eut 4 à 5 lignes, on la divisa de même en dix parties, & on y piqua d'autres fils d'argent ; ces fils s'éloignerent les uns des autres à-peu-près dans la même proportion que ceux de l'année précédente, mais ceux de cette premiere année ne s'écarterent presque point.

On a enfoncé deux clous jusqu'au bois dans la tige d'un jeune arbre très-vigoureux à la distance d'une toise exactement : on a remarqué au bout de plusieurs années que cet intervalle étoit resté le même, quoique l'arbre eût grandi considérablement, & qu'il fût aussi beaucoup grossi.

On observe que les branches latérales qui sortent du tronc d'un jeune arbre étêté restent toujours à la même hauteur tant que l'arbre est vivant, ainsi que les noeuds & les plaies qui ont pénétré jusqu'au bois : il paroît donc clairement établi que les jeunes tiges, ainsi que les nouveaux bourgeons, s'étendent dans toute longueur, mais beaucoup plus vers leur extrêmité supérieure où la tige reste tendre pendant plus long-tems : mais que cet allongement diminue à mesure que le bois se forme, & qu'il cesse absolument quand les fibres ligneuses sont une fois endurcies.

On peut appliquer aux branches & aux racines tout ce que nous venons de dire touchant la structure & l'extension des parties du tronc en longueur & en grosseur, le méchanisme étant absolument le même : on observera seulement quant aux racines que leur allongement ne se fait point dans toute leur longueur, même lorsqu'elles sont les plus tendres, mais seulement par leur extrêmité : on en voit la preuve dans les filets que l'on divise en parties égales avec un fil d'argent : les intervalles entre ces fils demeurent absolument les mêmes, quoique la racine continue à croître par son extrêmité : & si on vient à couper seulement 3 ou 4 lignes de son extrêmité, sa longueur est bornée, & elle ne deviendra jamais plus grande, elle ne s'étendra plus que par des rameaux.

Les feuilles sont les premieres productions de la tige ; les premieres de toutes sont déjà formées dans la plume (je ne parle pas des feuilles séminales, qui ne sont que les lobes de la semence qui s'étend quelquefois, & prennent la couleur verte des feuilles) : on y reconnoît leur figure & leur proportion : elles se développent aussi-tôt que la graine est germée, & elles s'étendent en croissant dans toutes leurs dimensions : elles accompagnent un bouton, pour lequel elles semblent destinées ; car elles ne tardent guere à se flétrir & à tomber, lorsque ce bouton a acquis tout ce qui lui est nécessaire pour produire un bourgeon. Les feuilles sont formées des mêmes substances que le tronc : une portion des vaisseaux ligneux, enveloppée des productions de l'écorce & de l'épiderme, semble se prolonger en s'écartant du tronc : ce faisceau détaché & allongé en maniere de queue, s'amincit ensuite en s'élargissant pour former le corps de la feuille : les fibres ligneuses avec leurs vaisseaux forment la principale nervure, & jettant des rameaux à droite & à gauche, elles font un réseau à grandes mailles, dont l'intervalle est rempli par la substance cellulaire : l'écorce couvre des deux côtés ce réseau ligneux ; on la distingue aisément par la finesse de ses vaisseaux, par la petitesse de ses mailles, & par la délicatesse de son parenchyme : dans le plus grand nombre des plantes & des arbres cette, écorce est parsemée de glandes & de poils de toutes sortes de figures, qui font autant de canaux par lesquels la feuille absorbe ou transpire une grande quantité de vapeurs.

Cette écorce est recouverte de l'épiderme à laquelle elle est intimement adhérente : c'est une membrane transparente très-serrée & très-élastique, précédée d'une infinité de pores pour laisser passer les vaisseaux excrétoires ou absorbans de la feuille : au reste cette épiderme est très-aisément affectée par la chaleur & par l'humidité : elle fait éprouver à la feuille différens mouvemens, suivant que les différentes qualités de l'air alterent son ressort.

On ne sauroit douter que les feuilles ne contribuent beaucoup à la perfection des bourgeons. Les arbres qu'on dépouille de leurs feuilles dans le commencement du printems périssent ou ne font que des pousses languissantes : les bourgeons de l'année suivante sont petits & maigres, & ne portent point de fruit, c'est ce qu'on observe aisément sur la vigne lorsque la gelée du printems en détruit les feuilles & les jeunes pousses.

L'abondance & la vigueur des feuilles entretient puissamment le cours de la seve, & contribue par-là à l'accroissement de l'arbre : si on dépouille un jeune arbre vigoureux dans le fort de sa seve, & lorsque son écorce se détache aisément du bois, on observera que la seve cessera de monter, & qu'en un jour ou deux l'écorce sera tout-à-fait adhérente au bois.

Les boutons qui se trouvent dans les aisselles des feuilles, ainsi que celui qui termine la tige, doivent être regardés comme les germes des bourgeons, c'est-à-dire, des nouveaux arbres qui se formeront l'année suivante : ils sont formés par une expansion de la substance médullaire, enveloppée de fibres ligneuses du livre d'écorce, & enfin de plusieurs écailles enduites souvent d'une matiere résineuse qui les préserve de l'humidité & de la gelée : on pourroit les regarder comme des especes de serres, dans lesquelles ces jeunes arbres trop tendres sont défendus des rigueurs de l'hiver : on observe que les boutons des arbres qui croissent entre les tropiques, sont dépourvus de ces enveloppes dures, qui ne sont nécessaires qu'à ceux qui vivent dans des climats où ils ont à essuyer de violentes gelées.

Les feuilles sont toutes formées dans le bouton, comme elles l'étoient dans la plume : elles se développent & s'allongent de la même maniere que celles de la tige, & le corps du bourgeon s'accroît aussi de la même maniere que le jeune arbre nouvellement sorti de sa graine.

Enfin, lorsque l'arbre a acquis un certain degré d'accroissement, il se fait sur le dernier bourgeon une production d'un nouvel ordre, & qui semble être la perfection de tout l'ouvrage de la végétation : c'est celle des parties qui doivent servir à multiplier l'espece, & dont nous donnerons le détail, lorsque nous aurons parlé des liqueurs & des mouvemens de la seve dans les végétaux : il nous suffit d'annoncer présentement que l'écorce de l'extrêmité du bourgeon se dilate dans toute la circonférence pour former le calice de la fleur : que la corolle paroît formée de même par le livre, les étamines par le corps ligneux, & le pistil qui renfermera les semences, par la substance médullaire.

Nous n'avons regardé jusqu'ici les fibres des couches ligneuses & corticales que comme des parties solides qui entrent dans la composition des végétaux ; nous devons les considérer maintenant comme des vaisseaux qui contiennent des fluides, & tâcher de déterminer leurs fonctions & leurs usages.

Le plus ample de tous ces vaisseaux est sans contredit le tissu cellulaire ; son étendue immense depuis la racine jusqu'au sommet des plus grands arbres, sa présence au centre, entre les couches ligneuses & dans presque toute l'écorce, dans la plus grande partie des feuilles, des fleurs & des fruits, mais principalement dans l'arbre naissant & dans toute l'étendue des bourgeons, doit le faire regarder comme un réservoir où la nature dépose les sucs qu'elle destine à la nourriture & à l'accroissement des végétaux ; il est vraisemblable que les cellules de ce tissu communiquent avec les vaisseaux qui le traversent, & auxquels il est toujours étroitement uni : c'est du-moins ce qu'on doit conclure de la facilité avec laquelle une plante hâlée se rétablit dans son état de fraîcheur après une pluie d'orage, ou bien quand on l'arrose, & aussi de différentes teintes que ce tissu reçoit lorsqu'on fait tremper les racines ou des rameaux de plantes dans des liqueurs colorées. Au reste ce tissu renferme différens sucs suivant la nature des vaisseaux auprès desquels il est situé ; ainsi sous l'épiderme des feuilles le parenchyme est rempli du suc qui doit s'exhaler par la transpiration dans les racines ; il reçoit les sucs de la terre, & les transmet aux vaisseaux du bois ; autour du livre il contient cette humeur gélatineuse qui sert à la nutrition immédiate des parties.

Après le tissu cellulaire, les vaisseaux les plus remarquables par leur grandeur sont les vaisseaux propres & les trachées ; les vaisseaux propres contiennent des sucs tout-à-fait différens de la seve & particuliers à chaque plante ; on les observe dans toute la substance des végétaux ; quelquefois, mais rarement, dans la moëlle, on en voit entre les couches du bois ; mais c'est dans l'épaisseur de l'écorce qu'ils se trouvent le plus ordinairement ; ils s'étendent en ligne droite suivant la longueur de la tige & des branches, depuis les racines jusqu'aux feuilles.

La couleur, l'odeur & le goût de ces différens sucs les font aisément reconnoître ; ainsi dans le figuier, le tithymale & les campanules, ils contiennent un suc laiteux ; dans l'éclaire il est jaune, dans quelques especes de lapathum il est rouge, dans les pruniers & les abricotiers c'est un suc gommeux, dans les pins, les térébinthes & les sumachs, c'est une résine claire & inflammable.

Ce sont ces différens sucs contenus dans les vaisseaux propres qui donnent aux plantes le goût, l'odeur & les autres qualités qu'elles possedent ; on reconnoit par l'âcreté que l'on sent en mâchant, l'éclaire & le tithymale, soit peu de tems après leur naissance, soit que leurs vaisseaux propres soient déja formés dans le germe, & il y a lieu de croire qu'ils s'accroissent par une organisation particuliere. Au reste l'intérieur de ces vaisseaux, qui sont assez gros dans les arbres résineux, lorsqu'on a nettoyé les sucs qu'ils contiennent, laisse voir au microscope des flocons cellulaires très-fins, qui pourroient bien être l'organe sécretoire des sucs propres. Nous ne connoissons guere de quel usage sont ces sucs dans la végétation ; nous voyons seulement que les sucs gommeux & résineux servent à enduire les écailles des boutons & à les défendre de l'humidité qui pourroit y pénétrer, & les faire périr pendant l'hiver.

Lorsqu'on coupe avec précaution l'écorce d'un très-jeune arbre, & qu'on rompt doucement sa tige en la tordant un peu, on apperçoit à l'endroit de la fracture des filets blancs, brillans, élastiques, qui paroissent au microscope comme un ruban tourné en maniere de tire-bourre, & qui forment un vaisseau spiral & cylindrique.

On n'apperçoit point ces sortes de vaisseaux dans l'écorce ni dans la moëlle ; ils ne sont bien sensibles que dans le jeune bois de l'arbre naissant & des bourgeons ; à mesure que le bois s'endurcit, on les découvre plus difficilement, & ils sont tellement adhérens au vieux bois, qu'il n'est plus possible de les en separer ; c'est sur-tout dans les pétales des feuilles & le long de leurs principales nervures, qu'ils se trouvent en plus grand nombre ; on les observe aussi dans les pédicules des fleurs, dans l'intérieur des calices, dans les pétales & dans toutes les parties de la fructification. La ressemblance de ces vaisseaux avec les trachées des insectes leur a fait donner le même nom par Malpighi, qui les regardoit effectivement comme les organes de la respiration dans les plantes.

Des expériences faites avec la machine pneumatique ont fait voir depuis long-tems que les végétaux ne sauroient subsister sans air, & qu'ils périssent bientôt ou languissent quand ils en sont privés ; elles ont encore démontré que les arbres & les plantes & les fruits contiennent actuellement une assez grande quantité d'air semblable à celui que nous respirons.

D'un autre côté M. Halles a fait voir par ses expériences analytiques, que les végétaux contiennent une assez grande quantité d'air fixé, c'est-à-dire qui ne réagit pas par sa vertu élastique, à moins que cette propriété ne lui soit rendue par l'action du feu ou de la fermentation. Par exemple, le coeur de chêne & les petits pois contiennent l'un 256, & l'autre 396 fois leur volume d'air, auquel la distillation rend la vertu élastique ; or les expériences suivantes prouvent que cet air a pu être introduit dans les végétaux par la voie des trachées.

On a scellé au haut du récipient d'une machine pneumatique des bâtons de différens arbres dont un bout étoit à l'air, & l'autre trempoit dans une cuvette pleine d'eau dans le récipient ; on a remarqué, après avoir pompé, quantité de bulles d'air qui sortoient d'entre les fibres ligneuses, & sur-tout des vaisseaux les plus voisins du livre, & qui traversoient l'eau de la cuvette.

On a coupé une branche de pommier à laquelle on a conservé toutes ses feuilles ; on l'a fait entrer par le gros bout dans un long tuyau de verre blanc, & on a scellé la jointure avec un mêlange impénétrable à l'air, on a placé aussi-tôt l'autre extrêmité du tuyau dans une cuvette pleine d'eau, & on a vu l'eau s'y élever, à mesure que la branche pompoit l'air dont le tuyau étoit rempli.

On a enfermé dans un matras les racines d'un jeune pommier, & on a introduit en même tems la plus courte branche d'un petit siphon de verre ; on a bien cimenté la tige de l'arbre & le siphon à l'orifice du matras, & tout-de-suite on a plongé l'autre branche du siphon dans un vaisseau rempli d'eau ; l'eau s'y est élevée de quelques pouces : ce qui prouve que les racines ont aspiré une partie de l'air du matras.

Il est donc certain que l'air pénetre librement dans les arbres & dans les plantes au-travers de leurs tiges, de leurs feuilles & de leurs racines, indépendamment de celui qui y arrive avec l'eau qu'ils aspirent, sur-tout l'eau de la pluie qui en contient toujours beaucoup, & qu'elle ne laisse échapper que difficilement ; & il paroît également certain que ce fluide n'y sauroit pénétrer que par les trachées.

Malpighi regardoit les trachées comme des vaisseaux uniquement destinés à recevoir de l'air. Grew a prétendu qu'elles recevoient aussi de la lymphe, & M. Duhamel a observé en hiver les grosses trachées des racines d'ormes toutes remplies de liqueur qui s'écouloit librement lorsque la racine étoit dans une position verticale, quelle que fût l'extrêmité que l'on mît en bas. Mais les expériences qui ont été faites par M. Reichel sur différentes plantes auxquelles il a fait pomper de l'eau colorée avec le bois de Fernambouc, ne permettent plus de douter que les trachées ne reçoivent & ne transmettent la seve lymphatique depuis la racine jusque dans les fruits, & même dans les semences ; en effet lorsqu'on plonge dans cette eau colorée, soit une plante arrachée avec toutes ses racines, soit une branche séparée du tronc, on voit bientôt la liqueur s'élever dans les vaisseaux de la plante ; & en examinant ces vaisseaux avec attention, on reconnoit qu'il n'y a guere que les trachées & un peu du tissu cellulaire qui la reçoivent. Les expériences qui suivent confirmeront cette vérité.

Lorsqu'on a fait germer des feves & des lupins dans l'eau colorée, on a vu qu'elle avoit pénétré par les vaisseaux spiraux qui naissent de toute la circonférence des lobes, & se portent en-dedans, les uns jusqu'au bout de la radicule sous l'écorce, les autres jusque dans la plume & sur les nervures des feuilles.

Ayant fait tremper dans la même liqueur une branche de balsamine femelle, on a vu au bout de deux heures, & sans le secours de la loupe, des lignes rouges qui s'étendoient dans toute la longueur de la branche & sur les principales nervures des feuilles ; la section transversale de cette branche a fait voir que le tissu cellulaire de l'écorce n'étoit point changé de couleur : que l'orifice des trachées les plus près du livre étoit teint de rouge, ainsi que le tissu cellulaire qui avoisine ces vaisseaux : que la plûpart des trachées, quoique teintes, étoient vuides ; mais qu'il y en avoit cependant plusieurs remplies de liqueur colorée.

On a vu dans une balsamine chargée de fleurs & de fruits & mise avec ses racines dans l'eau colorée, des filets rouges qui s'étendoient depuis le bas de la tige jusqu'à l'extrêmité des branches ; au bout de 24 heures on les appercevoit sur les nervures des feuilles, & jusque dans la membrane qui tapisse les capsules séminales ; en fendant les branches suivant leur longueur, on voyoit qu'outre les vaisseaux spiraux qui étoient teints en rouge, le tissu cellulaire paroissoit aussi teint d'un jaune orangé.

La même expérience a été réitérée avec une branche de stramonium à fleurs blanches & une plante entiere de stramonium avec ses racines ; il a paru bientôt des lignes rouges qui s'étendoient jusque sur les pétales, & que le microscope a fait reconnoître pour des vaisseaux spiraux ; cette liqueur pénétroit aussi dans le calice, aux étamines, au stile, mais sur-tout à la partie inférieure du calice & dans la cloison qui sert de placenta aux semences.

L'usage des trachées est donc aussi d'élever & de conduire la seve depuis les racines jusque dans les feuilles, dans les fleurs & dans les fruits. Il y a lieu de croire que les autres vaisseaux ligneux sont destinés au même usage, quoiqu'avec le secours des meilleurs microscopes on n'ait encore pu découvrir de cavité dans les petites fibrilles ligneuses ; car au printems dans le tems des pleurs, la seve se porte avec tant d'abondance dans tous ces vaisseaux, qu'on la voit sortir sur la coupe d'un tronc d'orme, de bouleau ou de vigne, non seulement des trachées, mais aussi de tous les points du corps ligneux.

On comprend assez souvent sous le nom de seve deux liqueurs bien différentes qu'il est nécessaire de distinguer, savoir la lymphe ou la seve aqueuse, qui est pompée par les racines, & qui montant par les vaisseaux du corps ligneux jusque dans le parenchyme des feuilles, fournit à leur abondante transpiration, celle en un mot que tout le monde apperçoit couler d'un cep de vigne taillé dans la saison des pleurs ; l'autre liqueur qu'on peut regarder comme la seve nourriciere, est moins limpide, & est en quelque sorte gélatineuse ; elle differe de la précédente autant que la lymphe differe du chyle dans les animaux ; elle réside dans les parties qui prennent un accroissement actuel, comme dans les boutons, dans les bourgeons, dans l'organe du livre & dans ses dernieres productions, depuis les racines jusqu'à l'extrêmité des feuilles ; les jardiniers jugent de la présence de cette seve par le développement sensible des boutons, par l'extension visible des parties herbacées, & par la facilité qu'ils ont alors de séparer le bois d'avec l'écorce.

La plus grande partie de la lymphe qui est aspirée par les plantes, n'est que de l'eau pure qui sert de véhicule à une très-petite quantité de matiere propre à nourrir les végétaux : cette matiere consiste 1°. dans une terre extrêmement subtilisée, telle que l'eau la peut entraîner avec soi sans perdre sa transparence ; & l'expérience journaliere prouve qu'il n'y en a pas de meilleure que celle qui est tirée des débris des végétaux, lorsque la fermentation ou la pourriture a fait une parfaite résolution de leurs parties. A cette terre se joignent des sels, & peut-être par leurs moyens quelques substances huileuses : ces matieres se combinent quelquefois avec des sucs qui se déposent pendant l'hiver dans l'intérieur des vaisseaux séveux : par exemple, celle qui découle au printems par les incisions profondes que l'on fait aux érables blancs du Canada, quoiqu'elle paroisse semblable à de l'eau la plus pure & la mieux filtrée, contient néanmoins un quarantieme de vrai sucre dont elle se charge sans doute en s'élevant dans les vaisseaux séveux, ou bien peut-être l'eau passe t-elle toute sucrée dans les racines, après s'être chargée de cette substance sur les feuilles qui sont tombées à l'automne, & qui se sont conservées sous la neige pendant l'hiver.

Il nous suffit ici d'observer que l'eau qui doit porter les sucs nourriciers dans les secrétoires, forme la plus grande partie de la lymphe qui est aspirée par les racines, & qu'après avoir servi à cet usage, elle sort par les pores des feuilles sous la forme d'une vapeur insensible.

Cette transpiration étant à-peu-près la dépense journaliere des végétaux, nous sert de mesure pour déterminer la quantité & les mouvemens de cette seve aqueuse que les racines doivent tirer de la terre pour y suppléer : examinons donc d'après les expériences de M. Halles, les phénomenes de cette transpiration.

On a pris un grand soleil de jardin helianthus annuus, qui avoit été élevé exprès dans un pot ; on a couvert le pot d'une plante de plomb laminé percée de trois trous, savoir l'un au centre pour laisser passer la tige de la plante ; l'autre vers la circonférence afin de pouvoir arroser, & le troisieme vers le milieu auprès de la tige, pour recevoir un tuyau de verre par lequel l'air pût communiquer sous la platine : on cimenta exactement toutes les jointures, & le trou destiné aux arrosemens fut bouché avec un bouchon de liege. On pesa le pot matin & soir pendant un mois à-peu-près tous les deux jours ; déduction faite de deux onces par jour, pour ce qui s'évaporoit par les pores du pot, il résulta qu'en 12 heures d'un jour fort sec & fort chaud, la transpiration moyenne de ce soleil montoit à vingt onces, & à près de trois onces pendant une nuit chaude, seche, & sans rosée : elle étoit nulle lorsqu'il y avoit eu tant-soit-peu de rosée ; mais lorsque la rosée étoit assez abondante, ou que pendant la nuit il tomboit un peu de pluie, le pot & la plante augmentoient du poids de deux à trois onces.

Ayant mesuré exactement la surface de toutes les feuilles des racines & la coupe horisontale de la tige, on a trouvé que la hauteur du solide d'eau évaporé par la surface de toutes les feuilles, étoit 1/65 de pouce en 12 heures, 1/65 de pouce par celui qui a été aspiré par la surface totale des racines, & de 34 pouces pour celui qui a passé par la coupe horisontale de la tige. On a trouvé par de semblables expériences répétées sur différentes plantes, que les solides d'eau transpirés en 12 heures de jour par la surface de chacune de ces plantes, sont de

1/165 de pouce pour le soleil,

1/191 de pouce pour un cep de vigne,

1/86 de pouce pour un chou,

1/104 de pouce pour un pommier,

1/243 de pouce pour un citronnier.

On a arraché au mois d'Août un pommier nain, & après l'avoir pesé on a mis ses racines dans un bacquet qui contenoit une quantité d'eau connue ; elles attirerent 15 livres d'eau en dix heures de jour, & l'arbre transpira dans le même tems 15 livres huit onces, c'est-à-dire, huit onces de plus que ses racines n'avoient attiré.

On a mis dans des caraffes pleines d'eau & bien jaugées, des branches de pommier, de poirier, d'abricotier, & de cerisier ; on avoit coupé de chaque arbre deux branches à-peu-près égales, à l'une desquelles on conserva toutes ses feuilles, au lieu qu'on les arracha à l'autre : les branches qui avoient conservé leurs feuilles, tirerent à raison de 15, 20, 25, & même 30 onces d'eau en 12 heures de jour ; & lorsqu'on les pesa le soir, elles étoient plus légeres que le matin. Celles qui étoient dépouillées de leurs feuilles, n'avoient tiré qu'une once, & fort peu transpiré ; car elles étoient plus pesantes le soir que le matin.

Des branches d'arbres verts traitées de la même maniere, tirerent très-peu, & transpirerent aussi fort peu.

On a ajusté une branche de pommier garnie de toutes ses feuilles à un tuyau de verre de neuf piés & d'un demi-pouce de diametre ; l'ayant ensuite rempli d'eau & renversé la branche, elle pompa l'eau du tuyau à raison de trois piés dans une heure : ensuite on coupa la branche à 15 pouces au-dessous du tuyau, & on mit tremper la partie retranchée dans une caraffe pleine d'une quantité d'eau connue. On recueillit avec précaution l'eau qui continua à sortir du bâton, & il n'en passa que six onces en 30 heures, quoiqu'il y eût toujours dans le tuyau de verre une colonne d'eau de sept piés de hauteur. Dans le même tems le reste de la branche garnie de feuilles, tira 18 onces d'eau de la caraffe : la force qui a fait transpirer l'eau par les feuilles, en a donc fait élever trois fois davantage dans le même tems que le poids d'une colonne de sept piés n'en a pu faire descendre.

Cette force avec laquelle l'eau est aspirée contre son propre poids, est bien plus grande encore qu'elle ne paroît dans cette expérience ; car lorsqu'on a ajusté une pareille branche de pommier garnie de toutes ses feuilles à un tuyau de verre assez gros pour contenir avec la branche une ou deux livres d'eau, & qu'à l'autre extrêmité de ce tuyau on en a soudé exactement un autre de deux piés de long, & d'un quart de pouce de diametre ; & qu'après avoir rempli d'eau tout cet appareil, & mis le doigt sur l'ouverture du petit tuyau, on l'a renversé & plongé son extrêmité dans une cuvette pleine de mercure : on a observé que l'eau fut aspirée par la branche avec assez de vîtesse & assez de force, pour faire élever le mercure à 12 pouces dans le petit tuyau ; ce qui est équivalent à une colonne d'eau de 14 piés ; & il n'est pas douteux que le mercure ne se fût éleve encore davantage sans les bulles d'air qui sortoient de la branche, & qui s'élevant au-dessus de l'eau, faisoient nécessairement baisser le mercure.

Cette expérience ne réussissoit jamais mieux que quand le soleil frappoit vivement sur les feuilles : le mercure baissoit de quelques pouces vers le soir, & quelquefois même tout-à-fait ; mais il remontoit le lendemain dès que le soleil frappoit la branche. Cette force au reste est proportionnelle à celle qui anime la transpiration : dans l'expérience faite avec une branche de pommier privée de ses feuilles, le mercure ne monta pas du tout : dans toutes celles qui furent faites avec les arbres qui transpirent peu, il s'éleva très-peu ; ainsi les arbres verts ne le firent point monter.

On a remarqué dans toutes les expériences qu'on a faites sur la transpiration, que la plus abondante étoit toujours dans un jour fort sec & fort chaud ; M. Guettard a observé de plus qu'il est nécessaire que la plante soit frappée immédiatement du soleil : par exemple, lorsqu'on enferme deux branches d'un même arbre, & à-peu-près égales, chacune dans un ballon de verre pour recevoir la liqueur qu'elle transpire, celle qui reçoit immédiatement les rayons du soleil transpire plus que celle qui est dans l'autre ballon couvert d'une serviette, dans la proportion de 18 gros trois quarts à 4 gros & demi. Pareillement lorsqu'il a enfermé trois branches à peu-près égales d'une même plante, chacune dans un ballon, dont l'un étoit entierement exposé au soleil, l'autre ombragé par une toile posée sur quatre pieux à quelque distance du ballon, & le troisieme couvert immédiatement d'une serviette, la premiere a plus transpiré à elle seule que les deux autres ensemble ; & celle dont le ballon a été couvert immédiatement a transpiré le moins. Enfin, il a encore éprouvé que deux branches de grenadier enfermées chacune dans un ballon, l'un exposé au soleil, mais sous un chassis de verre fermé, & dans un air plus chaud que l'autre, qui recevoit immédiatement les rayons du soleil : la branche enfermée dans celui-ci a néanmoins plus transpiré que celle qui étoit sous le chassis dans un air plus chaud.

Ces observations sont conformes à celles qu'on a faites sur les pleurs de la vigne au printems, & sur la liqueur qui s'écoule des érables en Canada. La vigne ne pleure jamais en plus grande abondance que quand elle est exposée à l'action vive du soleil. Dans les premiers tems les pleurs cessent à son coucher, & ne reparoissent que quelques heures après son lever, & il en est de même de la seve des érables ; lorsque cet écoulement est bien établi & que les nuits sont tempérées, il se fait jour & nuit, mais bien plus abondamment pendant le jour : s'il survient des nuages, ou si l'on intercepte les rayons du soleil, les pleurs diminuent aussi-tôt, ou bien s'arrêtent. En Canada dans les tems de gelée, la seve coule dans les érables du côté du midi, & l'arbre est sec du côté du nord.

On apperçoit dans le phénomene des pleurs un exemple bien frappant de l'efficacité des rayons du soleil sur les parties des plantes, puisqu'ils donnent aux vaisseaux séveux non-seulement la puissance d'attirer de la terre une si grande quantité d'humidité, & de l'élever dans les tiges, mais aussi celle de la pousser dehors avec une grande force : car M. Halles ayant un jour ajusté une jauge mercurielle à un cep de vigne qu'il avoit coupé à la hauteur de deux piés & demi, il observa que la séve en sortoit avec tant de force, qu'en 12 jours de tems elle fit élever le mercure dans la jauge à plus de 32 pouces, & à 38 dans une autre expérience. Ainsi la force avec laquelle la lymphe des pleurs est chassée dans la vigne, est au-moins égale au poids d'une colonne d'eau de 36 à 43 piés. Cette expérience prouve bien aussi la nécessité des valvules, du-moins dans les racines.

Lors donc qu'on réfléchit sur la grande influence que les rayons du soleil ont sur la transpiration des plantes & sur l'écoulement de la lymphe dans les arbres qui pleurent, on ne sauroit douter qu'ils ne soient la principale cause de l'élévation de la séve dans les végétaux ; mais en examinant en particulier l'action de cet astre sur chacune des parties d'un arbre ou d'une plante, on ne sauroit s'empêcher de reconnoître que c'est lui qui les met en mouvement, & qui leur imprime le pouvoir qu'elles ont d'élever la seve & de la distribuer dans tous les réservoirs où elle doit aller : rappellons-nous donc à cet effet les observations suivantes.

Lorsque le soleil remonte sur notre horison, la seve lymphatique qui paroissoit arrêtée pendant l'hiver, commence à s'émouvoir ; elle s'éleve avec plus d'abondance, à mesure que la chaleur du soleil augmente, & c'est aux environs du solstice que s'est fait la plus grande dépense ; elle diminue alors insensiblement jusqu'à l'hiver, tant par la diminution de la durée des jours, que par l'obliquité des rayons du soleil qui croît alors de plus en plus.

La même influence se remarque dans les effets journaliers : au tems des pleurs, c'est dans la plus grande ardeur du soleil que les vignes, les bouleaux, les érables, répandent le plus abondamment leur lymphe. Ces écoulemens cessent ou diminuent au coucher du soleil, ou bien lorsqu'un nuage intercepte ses rayons. C'est dans les mêmes circonstances que les feuilles transpirent le plus abondamment chaque jour, & que les racines auxquelles on a fixé des tuyaux de verre attirent l'eau avec le plus de vivacité.

De toutes les parties qui sont exposées à l'action du soleil, il n'y en a pas qui reçoivent ce mouvement de transpiration & d'aspiration d'une maniere plus sensible que les feuilles ; à mesure qu'elles se développent, on voit croître la quantité journaliere de la transpiration ; & un arbre bien pourvu de feuilles, tire toujours plus que celui qui en est dépouillé.

Après les feuilles, les boutons qui sont à leur origine, & que les jardiniers appellent les yeux, sont les parties les plus propres à élever la seve : ces boutons sont un raccourci des bourgeons de l'année suivante ; ils sont composés pour la plus grande partie, de petites feuilles qui n'attendent que le moment de se développer ; or c'est par l'action du soleil sur ces boutons que la seve lymphatique s'éleve au printems avant le développement des bourgeons. Un bouleau à qui on a coupé la tête en hiver, ne pleure point à la nouvelle saison, comme ceux à qui on a conservé toutes leurs branches & leurs boutons ; & celui à qui on retranche les branches dans le tems même des pleurs, cesse bientôt d'en répandre avec la même abondance que lorsqu'il étoit entier.

Les arbres qui sont dépouillés de leurs feuilles au commencement de l'été, par les insectes ou autrement, tirent encore assez de seve pour s'entretenir par l'action du soleil sur leurs boutons : il y en a plusieurs dont les boutons se dessechent par la trop grande action du soleil, & l'arbre périt sans ressource : dans d'autres les jeunes boutons s'ouvrent & développent leurs nouvelles feuilles, alors l'arbre reprend sa seve avec la même abondance qu'auparavant, mais ses productions, l'année suivante, se ressentent de cet effort anticipé.

L'action du soleil sur l'écorce peut aussi, pendant quelque tems, faire élever la seve, comme on le voit dans les jeunes arbres à qui on a coupé la tête : mais l'écorce ne paroît recevoir cette action qu'autant qu'elle contient des germes de boutons qui doivent bientôt se développer : car lorsque ce développement est tardif, sur-tout dans les arbres qui transpirent beaucoup naturellement, l'écorce ne sauroit suffire, & l'arbre périt.

Enfin l'action du soleil sur les racines contribue aussi à élever la seve : cependant cette puissance des racines est encore plus foible que celle de l'écorce : car si l'on voit les souches des arbres qui sont coupés à ras de terre pousser en peu de tems des rejettons très-vigoureux ; on doit plutôt attribuer cet effet à l'action des boutons qui se forment au bourrelet du tronc coupé, ou sur l'écorce de quelque racine fort près de l'air, qu'à la puissance immédiate des racines, puisque si l'on détruit cette souche, ou qu'on enleve son écorce avec le bourrelet, les racines cessent de tirer, & périssent bien-tôt après. Cette observation ne regarde pas les arbres dont les racines courent horisontalement, & qui par leur communication avec l'air extérieur sont disposés à faire beaucoup de rejettons.

Fondés sur les observations que nous venons de rapporter, ne pourroit-on pas hasarder les conjectures suivantes sur les causes de l'élevation de la seve dans les végétaux ?

1°. Que les racines attirent par leurs extrêmités capillaires, qui sont d'une très-grande étendue & d'un tissu fort spongieux, l'humidité de la terre que le soleil entretient continuellement autour d'elles.

2°. Qu'elles transmettent cette humidité aux vaisseaux du bois par l'élasticité de leur écorce, sans lui permettre de rétrograder, puisqu'on voit dans les expériences de M. Halles sur les pleurs de la vigne, que ses racines ont soutenu sans être forcées, le poids d'une colonne d'eau de plus de quarante-trois piés.

3°. Que l'action du soleil sur toutes les parties des végétaux, & particulierement sur les feuilles, excitent dans les fibres spirales des jeunes trachées, des vibrations qui s'étendent jusqu'aux racines, en vertu desquelles la lymphe est déterminée uniformément vers le haut.

4°. Que ce mouvement est favorisé par l'air qui s'insinue par les pores de l'écorce, & surtout par toutes les cicatrices du pétale des feuilles qui sont tombées les années précédentes.

5°. Enfin que ce mouvement est encore aidé par la structure particuliere des vaisseaux séveux, par leurs anastomoses fréquentes dans toute sorte de sens, par la communication perpétuelle avec le tissu cellulaire, dont les cavités forment autant de réservoirs & de points de repos.

Les mouvemens de la seve nourriciere sont plus difficiles à déterminer que ceux de la seve lymphatique ; cette seve, bien plus obscure dans son origine, & plus lente dans sa marche, ne présente pas des phénomenes aussi frappans que ceux de la transpiration, & des pleurs, dont on peut peser & mesurer la quantité. Il est croyable que la seve nourriciere est le produit de la lymphe, dont les parties propres à l'organisation ont été séparées dans des vaisseaux sécretoires, dont la structure nous est encore inconnue, tandis que la lymphe superflue est dissipée par la transpiration.

Le livre paroît être l'organe où réside cette matiere propre à la nourriture & à l'accroissement des végétaux : nous avons vu que c'est de cet organe que partent d'un côté les nouvelles couches des fibres ligneuses, & de l'autre la nouvelle couche corticale toujours plus mince que celle du bois.

Lors donc que l'action du soleil a fait élever une quantité suffisante de seve lymphatique (dont un arbre peut perdre une certaine quantité sans aucun préjudice), les extrêmités du livre qui se terminent aux boutons commencent à s'allonger par l'arrivée des nouveaux sucs, préparés apparemment dans le tissu cellulaire, qui se prolonge aussi en même tems par la formation de nouvelles cellules. Ce développement sensible des bourgeons est le premier signe du mouvement de la seve nourriciere : peu de tems après le tissu cellulaire, qui unit le livre à la derniere couche du bois, commence à s'imbiber de la seve qui lui est fournie par le livre dans toute l'étendue du tronc ; & comme il est encore fort tendre, c'est en ce moment qu'on peut le séparer du bois fort aisément. Mais comme dans cet intervalle les bourgeons se sont assez étendus pour transpirer promtement la lymphe qui monte par les vaisseaux du bois ; cette seve ne paroît plus sous d'autre forme que sous celle d'une vapeur qui ne se répand plus comme les pleurs, lorsqu'on taille le bois.

Il paroît donc par ces observations que la seve nourriciere commence à se mouvoir dans le livre qui forme les boutons aux parties les plus élevées de l'arbre, qu'ensuite elle se manifeste dans les autres parties du livre en descendant peu-à-peu jusqu'à la racine : car si on juge de son mouvement par la facilité qu'a l'écorce à se séparer du tronc, il est certain que cette séparation est possible sur les jeunes branches, avant que de l'être au bas du tronc : il en est de même dans les derniers tems de la seve, à la fin d'Août l'écorce du tronc & du vieux bois est déjà sort adhérente, quand elle peut encore se séparer dans les jeunes branches, comme si cette seve n'étoit plus produite en assez grande quantité pour s'éloigner du lieu de son origine.

Ce mouvement de la seve nourriciere observé par les jardiniers, & l'observation des bourrelets qui se forment toujours plus gros au-dessus des ligatures qu'on fait plutôt autour du tronc d'un arbre qu'audessous, ont sans doute fait naître l'idée de la circulation de la seve, qui sans être semblable à la circulation du sang dans les animaux, a cependant quelque réalité dans le sens des observations que nous venons de rapporter.

Lorsque la seve nourriciere est plus abondante qu'il n'est nécessaire par l'allongement des bourgeons, & la production des couches ligneuses, elle se porte du côté de l'écorce vers les endroits où elle trouve le moins de résistance, & là perçant peu-à-peu l'écorce & se formant une enveloppe de la portion du livre qu'elle a dilaté, elle forme insensiblement un bouton dans lequel, par l'effet de l'organisation du livre, il doit se former un bourgeon avec toutes les parties qui en dépendent.

Il n'y a pas d'endroit dans toute l'étendue du livre où il ne puisse se former une semblable éruption ; mais l'expérience fait voir que toutes ne sont pas de même nature, & que quelques-unes de ces productions sont organisées pour devenir des boutons à feuilles, d'autres des boutons à fleurs, d'autres enfin des boutons de racines, ce sera la circonstance dans laquelle se trouvera quelque jour chaque partie du livre qui déterminera s'il en doit sortir un bouton à feuilles ou une racine ; ainsi lorsque dans un tems de repos (par rapport à la seve nourriciere), on coupera une branche d'arbre ou un bâton, quelle que soit l'extrêmité qu'on enfoncera en terre, toutes les éruptions du livre formeront des racines, & tendront toujours naturellement vers le bas ; & les éruptions qui se feront dans les parties de la branche qui sera à l'air, deviendront des boutons à feuilles, & tendront toujours à s'élever.

L'organe du livre fait encore une sorte de production bien plus compliquée que les précédentes ; mais si parfaite, qu'il semble que ce soit son dernier effort : j'entends celle des parties de la fructification, destinées à produire des semences capables de multiplier les especes, & de les représenter jusqu'à la fin du monde telles que Dieu les a créées au commencement.

Les botanistes distinguent sept sortes de parties qui concourent à la fructification ; savoir, le calice, la corolle, les étamines, le pistil, le fruit, la semence & le support, ou la base de toutes ces parties.

Le calice est une expansion de l'écorce qui s'évase à l'extrêmité d'un bourgeon ; il est doublé d'une membrane, qui est une production du livre, & dans laquelle les liqueurs colorées font découvrir des trachées : on peut le regarder comme une enveloppe destinée à défendre les parties essentielles de la fructification, & aussi à faire transpirer la lymphe qui surabonde dans ces parties : il en est de même des pétales, autre espece d'enveloppe, qui différent du calice en ce qu'elles n'ont rien de commun avec l'écorce que leur épiderme, & qu'elles sont privées de glandes corticales dans leur parenchyme : elles sont aussi beaucoup plus fournies de trachées : les pétales ont souvent à leur partie interne des lacunes ou cavités melliferes, ou bien la nature forme exprès des cornets de différente forme, dans laquelle elle ramasse cette liqueur dont les abeilles composent leur miel.

Les calices & les pétales ne sont pas des parties essentielles de la fructification : elles manquent absolument dans quelques plantes ; dans beaucoup d'autres il n'y en a qu'une des deux, cependant le plus grand nombre en est pourvu.

Les étamines sont des parties essentielles de la fructification ; elles contiennent le principe de la fécondation des semences, & sans leur secours, les embryons ne feroient qu'avorter. On les regarde comme une production du corps ligneux ; mais leur substance toujours herbacée, le grand nombre des vaisseaux spiraux qui les traverse, & leur disposition à s'étendre & à devenir monstrueuse dans les fleurs doubles, fait voir qu'elles appartiennent plus particulierement au livre. Leur figure varie & aussi leur situation ; elles naissent quelquefois sur le pistil même, quelquefois à sa base, assez souvent dans l'intérieur des pétales, quelquefois sur les bords du calice, & enfin sur des organes particuliers & fort éloignés des pistils. Elles sont communément composées d'un filet portant à son sommet une double capsule où sont renfermées des poussieres qui paroissent au microscope autant de petites capsules de différentes figures ; elles se rompent dans l'eau avec éclat, & répandent une liqueur spiritueuse, qui est le vrai principe de la fécondation.

Du centre de la fleur s'éleve le pistil ou l'ovaire, organe aussi essentiel à la fructification que les étamines : il est composé du germe, d'un stile & d'un stigmate, corps spongieux & humide, propre à retenir les poussieres des étamines, & à s'imbiber de la liqueur spiritueuse qu'elles contiennent. La principale de toutes ces parties est le germe qui renferme les embryons des semences, & qui ne commence à croître qu'après la fécondation.

Cette fécondation s'opere par l'activité de la liqueur spiritueuse des poussieres, qui pénétre par le tissu spongieux du stigmate, & le long du stile jusqu'aux embryons, & vivifie leur germe à-peu-près comme fait la semence du mâle dans les animaux.

Dans le plus grand nombre des végétaux les étamines sont avec les pistils, sous les mêmes enveloppes, ensorte que les poussieres sont portées immédiatement sur le stigmate, le matin quand la fleur s'épanouit : dans les plantes qui ont sur le même pié des fleurs mâles, séparées des fleurs femelles, les capsules des étamines ont beaucoup d'elasticité, & répandent fort loin leurs poussieres, c'est ce qu'on peut observer sur la pariétaire : enfin dans les plantes & dans les arbres qui n'ont que des fleurs mâles ou femelles sur chaque individu, les poussieres qui sont alors très-abondantes, sont lancées avec effort & portées fort loin par le vent : de plus ces poussieres conservent assez long-tems leur vertu prolifique au point qu'on peut transporter à 30 ou 40 lieues des rameaux de fleurs de palmier mâle, & opérer la fécondation en les attachant sur des palmiers femelles. Mais si les individus femelles sont trop éloignés de ceux qui portent les étamines, elles restent stériles, & tous leurs germes avortent.

C'est donc envain qu'on a prétendu que des petits corps organisés descendoient tous formés par les vaisseaux du stile, & devenoient les embryons : on ne remarque absolument aucune voie par où des corps organisés puissent descendre dans l'ovaire, ni aucune force qui puisse les y arranger symmétriquement, & les attacher chacun par leur cordon ombilical aux parois & aux cloisons des capsules ; les parties extérieures sur lesquelles les poussieres séminales doivent tomber sont plutôt spongieuses & renflées, & ne paroissent que disposées à s'imbiber de la liqueur spiritueuse qui sort de ces poussieres : bien plus, avant que les étamines soient en état de répandre leur poussiere, on trouve les embryons des semences dans les ovaires rangés dans le même ordre où ils doivent être jusqu'au tems de leur perfection : jusqu'au moment de l'éruption des poussieres, ils font peu de progrès dans leur accroissement ; mais immédiatement après leur fécondation ils croissent très-rapidement.

Le germe qui contient ces embryons se change bientôt en un fruit (sec, mol, pulpeux, capsulaire, légumineux, &c.) qui s'accroît jusqu'à un terme déterminé, c'est-à-dire, jusqu'à ce que les semences qu'il contient aient acquis un juste degré de maturité : alors les vaisseaux de ce fruit cessent de recevoir de nouveaux sucs ; leurs fibres se dessechent, & en même tems leur ressort augmente au point que la dessication étant suffisante, le fruit s'ouvre avec effort, & les semences dont le cordon ombilical est aussi desseché, tombent à terre pour y germer & reproduire autant de pareilles especes : chaque semence étant organisée de telle sorte qu'elle doit toujours représenter le même individu dont elle sort, suivant l'ordre précis du créateur.

La perfection des semences paroît être l'unique objet de la nature dans la végétation des plantes annuelles : dès que ses vues sont remplies, les feuilles se dessechent, & la plante dépourvue de boutons capables de prolonger sa vie, cesse de végéter & périt : dans les plantes vivaces & dans les arbres, les boutons qui se forment chaque année perpétuent cette puissance qui fait élever la seve, & renferment des bourgeons qui se développeront d'eux-mêmes, quand la chaleur du soleil leur donnera de l'activité au printems suivant. C'est pourquoi lorsque ces boutons que les feuilles portent dans leurs aisselles, ont acquis leur juste grosseur, & que leurs enveloppes écailleuses sont formées au point qu'elles peuvent les défendre des injures du tems pendant l'hiver, l'affluence de nouveaux sucs leur devient inutile, & même leur seroit préjudiciable : dès-lors les feuilles ne reçoivent plus la seve nourriciere qui entretient leur souplesse & leur fraîcheur, leurs fibres se dessechent, l'agitation des vents les sépare des branches & les emporte. Elles laissent à leur origine une cicatrice que le tems efface, mais par laquelle l'air s'insinue dans les vaisseaux spiraux.

Cette défoliation qui laisse dans les boutons de nouveaux instrumens capables d'élever la seve aux premieres chaleurs du printems, ne fait que ralentir dans un arbre le mouvement vital sans l'éteindre : mais lorsqu'après une longue suite d'années les fibres ligneuses qui se sont toujours endurcies sont aussi devenues plus fragiles ; que l'arbre parvenu à sa hauteur, n'a pris depuis long-tems de l'accroissement que dans ses branches, que leur poids & l'effort des vents font enfin casser : l'arbre se couronne, l'humidité des pluies pénetre par toutes les plaies, & pourrit insensiblement le tronc : alors il ne subsiste plus que par le peu de bois qui reste encore uni à l'écorce : il se mine peu-à-peu, la carie gagne enfin le livre, & arrêtant la vie de l'arbre dans sa source, termine insensiblement sa végétation.


VÉGÉTATIONVÉGÉTATION

Peu de chymistes ont travaillé avec plus de succès sur les végétations métalliques que M. Homberg. On a de lui, dans les mémoires de Mathématique & de Physique, année 1692, une observation, dans laquelle non - seulement il donne une maniere plus promte que la commune de faire l'arbre de Diane, mais il enseigne encore de nouvelles méthodes pour la production d'autres végétations semblables, & il explique la formation de ces végétations par des raisons assez claires. Toutes ces végétations, à l'exception d'une pour laquelle il ne faut qu'une simple amalgamation d'or ou d'argent, avec du mercure, sans addition d'aucune autre liqueur ; toutes ces végétations, dis-je, se forment au milieu d'un liquide & au fond du vaisseau. Le seul arbre de mars se forme au-dessus du liquide, qui est même enlevé tout entier au haut du vaisseau, & quelquefois en très-peu de tems. Ainsi il doit être regardé comme une espece de végétation métallique, différente des autres. Celles dont parle M. de la Condamine dans les mémoires de l'académie des Sciences, sont encore des végétations d'une autre espece, & méritent le nom de végétation par la maniere dont elles se forment.

Il a mis sur une agate polie, ou sur un verre posé horisontalement, un peu de solution d'argent, faite à l'ordinaire par l'esprit-de-nitre, & au milieu de cette liqueur épanchée qui n'avoit que très-peu d'épaisseur, il a placé un clou de fer par la tête. Dans l'espace de quelques heures, il s'est formé autour de cette tête-de-clou un très-grand nombre de petits filets d'argent, qui, à mesure qu'ils s'éloignoient du centre commun, diminuoient de grosseur & se divisoient en plus petits rameaux. C'est-là ce qui avoit l'air de végétation.

M. de la Condamine juge avec beaucoup de vraisemblance, que la cause générale de ce fait est le principe établi en Chymie, qu'un dissolvant qui tient un métal dissous l'abandonne dès qu'on lui présente un autre métal qu'il dissoudra plus facilement. Ici le nitre a abandonné l'argent pour aller dissoudre du fer ou la tête du clou.

On peut conclure de ce principe qu'on fera la même expérience sur tous les autres métaux, en substituant à la solution d'argent une solution d'un métal quelconque, & au fer un métal plus aisé à dissoudre par le dissolvant du métal qu'on aura choisi ; & c'est en effet ce que M. de la Condamine a trouvé par un grand nombre d'expériences différemment combinées.

Il a eu des végétations horisontales, des arbrisseaux plats avec plusieurs variétés, soit en ce que les arbrisseaux ont demandé plus ou moins de tems, soit en ce qu'ils ont été plus ou moins touffus de ramifications.

On a supposé jusqu'ici que le verre sur lequel se faisoit l'expérience étoit posé horisontalement, mais il peut aussi être incliné. Toute la différence sera qu'il y aura plus de ramifications, que l'arbrisseau sera plus touffu au-dessus du centre, ou à la tête du clou qu'au-dessous. La raison en est qu'entre les courans qui doivent tous aller vers ce centre, les inférieurs y trouvent plus de difficulté, puisqu'ils n'y peuvent aller qu'en remontant. Les végétations de cette espece se font également bien sur des verres ou glaces de toutes couleurs, & l'esprit s'amuse volontiers à ces sortes d'artifices. (D.J.)


VÉGÉTAUX(Jardinage) sont tous les êtres qui vivent de la substance de la terre. On entend par ce mot toutes les plantes en général que l'on peut renfermer sous deux especes, les arbres & les herbes.

Le terme de végétal a été donné aux plantes, parce qu'on a cru devoir appeller végétation l'action par laquelle les plantes croissent, vegetans dicitur ab anima vegetante.

Les végétaux se distinguent en arbres, arbustes, arbrisseaux ou frutex, sous-arbrisseaux ou sufrutex, herbes, légumes, oignons, roseaux & chiendents.

Ils se peuvent encore diviser en plantes terrestres & aquatiques ; les terrestres sont celles qui croissent sur la terre, au-lieu que les aquatiques ne s'élevent bien que dans l'eau.

Les unes & les autres se subdivisent en plantes ligneuses ou boiseuses, en bulbeuses & en fibreuses ou ligamenteuses, qu'on peut encore appeller herbacées.

Les plantes ligneuses ou boiseuses sont tous les arbres dont la consistance, tant dans les branches que dans les tiges & les racines, est assez dure pour former du bois ; elles se divisent en arbres sauvages & en domestiques.

Les sauvages sont ceux qui viennent sans culture, dans les bois & les campagnes.

Les domestiques se cultivent dans les jardins, & sont proprement les arbres à fruit.

Les plantes bulbeuses renferment toutes les plantes qui ont des oignons, soit légumes ou fleurs.

Les plantes fibreuses ou ligamenteuses n'ont que des racines très-menues, ou de petits ligamens ; cela regarde les fleurs les plus délicates, les blés & autres chiendents, les plantes médicinales cultivées, les herbes sauvages, que l'on appelle simples, les légumes & les herbes potageres.

Il y a encore les plantes annuelles, les pérenelles & les parasites.

Les plantes annuelles ne durent qu'un an, les pérenelles ou vivaces durent plus long-tems.

Les plantes parasites vivent aux dépens des autres, tels que l'agaric & le gui de chêne ; elles végetent sur les autres, & leurs racines se nourrissent sur l'écorce de ces plantes auxquelles elles sont attachées.

Les parties des végétaux sont la graine, la racine, la tige ou le tronc, l'écorce, les yeux, les bourgeons, les branches, les feuilles, les fleurs & les fruits.

On expliquera toutes ces parties différentes à leur article.


VEGGIou VEGLIA, (Géograph. mod.) île du golfe de Venise, sur la côte de la Morlaquie, au voisinage de l'île de Cherzo. On lui donne environ cent milles de tour. C'est la plus belle île de cette côte. Elle produit du vin, de la soie, & des petits chevaux estimés. Sa capitale qui porte le même nom, est sur le bord de la mer, du côté du midi, où elle a un port capable de contenir dix galeres & quelques vaisseaux. Cette ville est honorée d'un évêché. Long. 32. 27. latit. 46. 12.

L'île de Veggia est nommée Kar par les Esclavons, & ce pourroit être la Curica de Ptolémée. Après la décadence de l'empire, elle se gouverna quelque tems par ses propres loix, ayant des princes particuliers, dépendans des rois de Dalmatie. L'un d'eux la céda, à ce qu'on croit, à la république de Venise en 1480, du-moins depuis ce tems-là les Vénitiens en ont joui tranquillement. Ils y envoyent pour la gouverner un noble avec titre de provéditeur. (D.J.)


VEGIUM(Géogr. anc.) ville maritime de la Liburnie, selon Pline, l. III. c. xxj. Ptolémée, l. II. c. xvij. qui la marque entre Ortopla & Argyrutum, la nomme Vegia. (D.J.)


VEGLIA(Géog. mod.) île du golfe de Venise. Voyez VEGGIA.


VÊGRELA, ou LA VESGRE, (Géog. mod.) petite riviere de France, dans le Hurepoix. Elle a sa source au-dessus de Houdan où elle passe, & vient couler dans l'Eure, un peu au-dessous d'Ivry. (D.J.)

VEGRES, voyez VAIGRES.


VEGUERS. m. (Jurisprud.) terme de palais usité seulement dans le Béarn, où il se dit de certains huissiers qui ont spécialement le droit de signifier des exploits aux gentilshommes, à la différence des bayles qui n'en peuvent signifier qu'aux rôturiers. Voyez BAYLE.


VÉHÉMENTadj. (Gram.) il se dit d'un mouvement, d'une action violente, forte, impétueuse. La véhémence des flots & des vents ; un orateur, un discours véhément.


VÉHÉRIE(Jurisprud.) veheria seu vicaria, vicedognatus, vice-dominatus, vicairie, office, jurisdiction ou district du véhier, viguier ou vicaire.

Ce terme est usité en quelques provinces, & notamment en Dauphiné. Voyez-ci-après VEHIER. (A)


VÉHEURS. m. (Jurisprud.) vieux terme de pratique, qui n'est usité qu'en Normandie, où il se dit des témoins qui assistent à la vue ou visite d'un héritage. Voyez VISITE.


VÉHICULES. f. (Gram.) dans son sens littéral, signifie une chose qui en charrie ou porte une autre avec elle ou sur elle. Voyez VOITURE, CHARIOT, ROUE.

C'est dans ce sens-là que les anatomistes disent que le serum est le véhicule qui voiture les globules du sang. Voyez SANG.

En Pharmacie, une liqueur qui sert à délayer une autre, ou dans laquelle on détrempe une médecine pour la rendre moins desagréable au goût d'un malade, est appellée aussi un véhicule.

L'eau est le véhicule de la matiere nutritive des végétaux. Voyez VEGETATION & EAU.


VÉHIERS. m. (Gram. & Jurisprud.) veherius, ucerius, viguerius seu vicarius, le même officier qu'on appelle ailleurs viguier, & qu'en Dauphiné on appelle véhier. C'étoit le lieutenant du seigneur, & l'on croit qu'il rendoit la justice en son nom.

Il y avoit deux sortes de véhiers : les uns ecclésiastiques, les autres laïques.

Le véhier ou vicaire ecclésiastique de Romans étoit ordinairement un chanoine de l'église de S. Bernard, que l'archevêque de Vienne, abbé de cette église collégiale, nommoit à cet office ou bénéfice. Jean XXII. supprima les charges de mitral de Vienne & de viguier de Romans pour les réunir à la mense archiépiscopale.

Le mitral de Vienne & le véhier de Romans avoient les mêmes fonctions ; l'un & l'autre avoit droit d'établir un juge dans la ville, qui avoit jurisdiction sur les habitans, ainsi qu'on l'apprend d'une sentence arbitrale de l'an 1274, par laquelle on voit que ce vicaire ou véhier, outre la nomination du juge, avoit encore celle de plusieurs autres officiers qui prêtoient tous serment entre ses mains. Quoiqu'il pût subroger à ses fonctions de judicature, il lui étoit libre de les exercer en personne, sur - tout en certaines causes dont il se réservoit ordinairement la connoissance, & auxquelles l'archevêque ne pouvoit pas commettre un autre juge.

L e véhier laïque étoit un officier préposé par le seigneur à la recette des deniers provenant de sa justice. Une reconnoissance de 1318 justifie qu'outre le véhier de l'archevêque de Vienne, il y avoit à Romans un officier du dauphin, que l'on appelloit du même nom. Sa recette étoit composée des amendes & condamnations de justice, des émolumens du sceau, du tribut qui se levoit sur les mariages pour le plat ou mets du seigneur, & autres droits semblables.

La plûpart des véheries ayant été inféodées, ont conservé leurs droits ; mais elles ont entierement perdu leurs fonctions. Dans le tems qu'elles subsistoient, le véhier avoit pour sa part le tiers de sa recette, ainsi qu'il en est fait mention dans plusieurs anciens hommages rendus pour ces véheries.

Suivant un rapport fait par les gens des comptes en 1494, il y avoit dans Grenoble trois véheries, savoir celle de Giere, de Portetroine & de Clérien ; ces véheries avoient retenu ces noms des premiers seigneurs auxquels elles avoient été inféodées.

Ceux de Portetroine & de Clérien n'avoient chacun proprement qu'une moitié de la véherie épiscopale.

Dans la suite le dauphin acquit les véheries de Giere & de Portetroine : ce qui augmenta beaucoup ses droits.

Les anciens aveux de ces véheries font connoître que ceux qui les tenoient, se reconnoissoient hommes liges du dauphin ou de l'évêque pour celles qui relevoient de ce prélat, & que de chaque véherie dépendoit une maison forte destinée pour l'habitation du véhier.

La véherie de Clérien qui est demeurée à des seigneurs particuliers, a conservé pour tout reste des anciens droits qui y étoient attachés, une douzieme des langues de boeufs que l'on tue dans la ville.

Les reconnoissances passées pour la véherie de Bernin, font mention d'un droit sur les petits bans, banna minuta. On entendoit par-là les peines pécuniaires imposées par les statuts des lieux pour des contraventions, à la différence des condamnations de justice, qui sont les amendes ordinaires prononcées par les sentences des juges. Ce véhier profitoit des petits bans quand ils étoient au-dessous de trois sols six deniers ; au-dessus il n'en retiroit que le tiers. Il avoit aussi le droit de nommer seul un banier pour la garde des champs & des vignes dans le tems des moissons & des vendanges, le tiers du droit de passage dû par les étrangers qui amenoient paître des bestiaux dans le lieu, le droit de langues de boeufs ; il avoit aussi le droit d'étalonner seul les mesures du vin & les autres mesures des blés & moulins conjointement avec le châtelain.

La véherie de Moirene est celle dont on a conservé les plus anciens titres dans les privileges de ce lieu, qui sont de l'an 1164. Le véhier nommé aymo vicarius est donné par le seigneur pour garant de l'observation des franchises. Cet officier avoit une portion des bans & amendes imposés pour certains crimes.

Le véhier de Payrins étoit tenu de payer au dauphin à chaque mutation de seigneur & de possesseur, une redevance de 35 liv. viennoises & deux draps de toile d'Allemagne pour le plait ou mutation de la véherie. Voyez les mémoires de Valbonay, Chorier hist. du Dauphiné, & les mots VÉHERIE, VICAIRE, VIGUIER, VIGUERIE. (A)


VEIES(Géog. anc.) Veii, ville d'Italie, dans l'Etrurie, près du Tibre, à environ cent stades de Rome. C'étoit une ville puissante, riche & forte ; dumoins les historiens nous la représentent comme une ville aussi étendue & aussi peuplée qu'Athènes. Les habitans qui craignoient les Romains, ne s'étoient pas contentés de la situation avantageuse de leur ville, ils avoient encore employé l'art pour la fortifier. Depuis long-tems les Veïens & les Romains vivoient dans une perpétuelle mésintelligence, & commettoient à toute heure des hostilités sur les terres les uns des autres, jusque - là que Florus, l. I. c. xiij. nomme les Veïens assidui & anniversarii Romanis hostes.

Enfin dans l'année 348 de la fondation de Rome, les Romains prirent la résolution de réduire cette puissante ville. Ils commencerent alors ce siege si fameux, que l'histoire compare pour la difficulté & pour la longueur avec celui de Troie. Ce ne fut que dans l'année 357, qu'ils emporterent cette ville. Comme l'armée romaine étoit extrêmement nombreuse, elle donna l'assaut de tous côtés. Les Veïens occupés par-tout ne firent point attention à une mine qu'on creusoit sous leur ville, & ne furent pas en état de repousser l'ennemi lorsqu'il entra chez eux par le souterrein. Les Romains enfouis s'ouvrirent un passage dans l'enceinte du temple de Junon. Le temple principal de cette ville étoit consacré à cette déesse ; & selon la coutume des anciens, il étoit placé dans la haute ville.

Les Romains sortis de la mine eurent encore différens combats à livrer ; mais ils furent vainqueurs, pillerent les maisons, & mirent le feu en différens quartiers. On vendit à l'enchere tous les prisonniers de condition libre ; & l'argent que l'on en tira, fut attribué au fisc. Camille, après le partage du butin fait dans les maisons, ordonna le dépouillement des temples, & forma le dessein de transporter religieusement à Rome la statue de Junon ; en conséquence il choisit dans son armée des jeunes gens bien faits, à qui il ordonna de se purifier par des ablutions & de se revêtir d'habits blancs.

Ce fut à eux qu'il confia le soin de porter à Rome le simulacre de la déesse, & les offrandes qu'on lui avoit faites de tout tems. La jeune troupe entra dans son temple avec un grand air de modestie & de vénération. D'abord Camille toucha la statue, liberté qui n'étoit permise, parmi les Etruriens, qu'à un seul prêtre d'une famille marquée. On dit qu'ensuite il lui demanda si elle consentoit de venir à Rome, & que la statue, selon les uns, lui fit signe, & selon les autres, lui répondit qu'elle partiroit volontiers. Elle fut placée sur le mont Aventin, où elle demeura longtems dans un temple.

Ainsi périt la fameuse ville de Veïes, qui fut dépouillée tout-à-la-fois de ses richesses, de ses habitans & de ses dieux. On peut juger de sa force par la difficulté que Rome eut à la soumettre. Dix ans suffirent à peine à la réduire. On n'en discontinua le siege ni pendant l'hiver, ni pendant l'été. Enfin elle fut prise par la sappe, & l'artifice y eut plus de part que la valeur même.

Les habitans de Veïes sont appellés Veïentes par Cicéron, l. I. de divinat. c. xliv. & Veïentani par Pline, l. III. c. v. C'étoit une colonie grecque venue en Italie d'Argos, où Junon étoit particulierement adorée. Le pays des Veïens composoit un quartier de l'Etrurie, qui n'étoit séparé des Sabins & des Latins que par le Tibre ; c'est aujourd'hui la partie la plus orientale du patrimoine de S. Pierre.

Les Romains ne détruisirent pas entierement la ville de Veïes. Tite-Live, l. XXXIX. c. ix. fait entendre qu'elle subsistoit encore après la guerre punique ; & Rome y envoya une colonie que Frontin nomme Colonia vejus. Depuis elle tomba tellement en ruine, qu'on n'en reconnoissoit plus la place. Holstein a eu beaucoup de peine à en trouver quelques vestiges sur une colline escarpée, vis-à-vis de l'île Farnesia, aujourd'hui Isola ; cette position s'accorde avec celle que Denys d'Halicarnasse donne à la ville de Veïes. (D.J.)


VEILLANE(Géog. mod.) ou plutôt Vigliana, petite ville d'Italie, dans le Piémont, au marquisat de Suze, près de la Doire, appellée Doria-Riparia, à 14 milles au nord - ouest de Turin. Long. 24. 55. latit. 44. 53. (D.J.)


VEILLES. f. (Physiolog.) dans l'économie animale, état du corps humain dans lequel les actions des sens internes & externes, & des muscles peuvent se faire facilement, sans trouver aucune résistance. Je suis sûr que je veille lorsque mes yeux ouverts apperçoivent les corps qui m'environnent ; car mes yeux voyent confusément quand j'ai envie de dormir, & je ne vois plus rien quand je dors. Je veille si j'entends les sons qui sont à la portée de mon oreille ; je dors si je ne les entends pas. Je veille lorsque je marche ou je parle à volonté ; je veille lorsque mon cerveau est dans cette disposition physique, au moyen de laquelle les impressions externes appliquées à mes organes excitent certaines pensées. Je veille enfin lorsque le principe moteur des muscles, au moindre changement du principe pensant, est prêt à être déterminé vers les muscles, quoique souvent il n'y coule point actuellement.

VEILLE, (Antiq. rom.) vigilia, partie de la nuit. Les Romains divisoient la nuit en quatre parties égales. La premiere commençoit ordinairement depuis six heures du soir jusqu'à neuf ; la seconde depuis neuf jusqu'à minuit ; la troisieme depuis minuit jusqu'à trois heures du matin ; la quatrieme depuis trois heures jusqu'à six. La même chose se pratiquoit dans les villes de guerre, & par-tout où il y avoit des garnisons. (D.J.)

VEILLE, (Hist. ecclés.) on appelle veille le jour qui précede la fête de quelque saint. Ce nom signifioit autrefois non pas le jour, mais la nuit pendant laquelle les Chrétiens veilloient sur les tombeaux des martyrs, en chantant des hymnes à l'honneur de ceux dont on devoit solemniser la fête le lendemain. On appella ces sortes de veilles, natalitiae, non par rapport au jour de la naissance, mais par rapport à une autre vie plus heureuse que celle qu'ils avoient perdue.

Plusieurs savans croyent qu'on commença les veilles dans le second siecle de l'église, & que ce fut pour célébrer le martyre de S. Polycarpe, évêque de Smyrne ; mais cette époque est fort contestée, & véritablement il est difficile de la fixer : ce qu'il y a de plus vrai, est que c'étoit sur le tombeau des martyrs que l'on solemnisoit la veille du jour du martyre du saint que l'on invoquoit.

On avoit accoutumé de publier la fête des martyrs que l'on devoit célébrer : cette publication se faisoit secrettement dans les tems de persécution par un homme préposé pour cette fonction, & que l'on appelloit cursor. C'étoit principalement pendant la nuit que les assemblées se faisoient, comme nous l'apprenons de Tertullien & de Clément d'Alexandrie ; on éclairoit les lieux d'assemblée par le moyen des cierges & d'autres matieres qui produisoient une lumiere suffisante pour suppléer au défaut du jour.

Il est aisé de comprendre que dans la suite des tems cette pratique religieuse tomba dans plusieurs abus, & le scandale devint si public, que dans le septieme siecle on défendit les veilles nocturnes : ce qui fut confirmé par plusieurs conciles généraux & par des synodes particuliers. (D.J.)

VEILLE des armes la, (Hist. de la Chevaler.) ancienne cérémonie, qui consistoit en ce que la veille que quelqu'un devoit être fait chevalier, il passoit la nuit à veiller dans une chapelle où étoient les armes dont il devoit être armé le lendemain ; & en ce sens on disoit, faire la veille des armes. Voyez l'hist. de la Chevalerie par M. de Sainte-Palaye. (D.J.)

VEILLE - LA - DRISSE, (Marine) commandement de se tenir prêt à mener les huniers.

VEILLE - L'ECOUTE - DE - HUNE, (Marine) commandement de tenir l'écoute de hune prête à être larguée.

VEILLE-LES-HUNIERS, (Marine) c'est la même chose que veille-les-drisses. Voyez VEILLE-LA-DRISSE.


VEILLERv. act. & neut. (Gram. franç.) c'est être dans l'état qu'on désigne par veille. Voyez l'article VEILLE.

Veiller une personne, se dit en deux sens bien différens. Il signifie passer la nuit auprès d'un malade pour en avoir soin, comme, on le veille toutes les nuits : je l'ai déja veillé deux fois ; & il signifie aussi épier une personne, la suivre de près, comme, on le veille de près, on le veille avec tant de soin qu'il ne sauroit échapper.

Veiller sur les actions, sur la conduite de quelqu'un, se prend en bonne & en mauvaise part ; exemples : il veille sur toutes les actions de son ennemi ; un bon pere doit veiller sur la conduite de ses enfans.

Veiller à quelque chose, se prend toujours pour en avoir soin ; je veillerai à votre affaire. M. Despréaux s'est servi fort agréablement du verbe veiller.

Ces pieux fainéans veilloient à bien dormir.

(D.J.)

VEILLER, (Jurisprud.) signifie en cette matiere être attentif à la conservation de ses droits ; c'est en ce sens que l'on dit que vigilantibus jura prosunt. Un créancier, en formant son opposition, veille pour empêcher que l'on ne purge ses droits par un décret, par des provisions d'un office, par des lettres de ratification d'une rente sur le roi. Le tuteur est obligé de veiller à la conservation des biens de ses mineurs. Tant que le vassal doit, le seigneur veille, & vice versà, c'est-à-dire que le seigneur qui a saisi, fait les fruits siens, tant que le vassal néglige de prêter la foi, ou au contraire que le vassal gagne les fruits, tant que le seigneur ne saisit pas. Voyez CREANCIER, DECRET, OPPOSITION, SAISIE, TUTEUR, SEIGNEUR, VASSAL. (A)

VEILLER, (Marine) c'est prendre garde à quelque chose. On dit qu'il faut veiller les mâts & non le côté, quand on veut faire entendre que les mâts d'un vaisseau sont bons, & qu'ils vireront plutôt que de démâter. On dit encore qu'une ancre est à la veille, quand elle est prête à être mouillée, & qu'une bouée est à la veille, lorsqu'elle flotte sur l'eau, & qu'elle montre où l'ancre est mouillée.

VEILLER, (terme de Fauconnerie) c'est empêcher l'oiseau de dormir, afin de le dresser.


VEILLOIRS. m. terme d'ouvriers en cuir ; on nomme ainsi parmi les ouvriers qui travaillent en cuir, comme bourreliers, maletiers, cordonniers, savetiers, &c. une petite table sur laquelle les compagnons mettent leur chandelle & leurs outils lorsqu'ils commencent à veiller, & autour de laquelle ils s'arrangent pour profiter tous de la lumiere. Savary. (D.J.)


VEILLOTES. f. terme de Faucheur ; petit tas de foin qu'on fait, lorsque l'herbe du pré est fauchée, & qu'on fane à dessein de la réduire le plus tôt qu'il est possible en foin. (D.J.)


VEINES. f. en Anatomie, est le nom que l'on donne aux vaisseaux ou conduits qui reçoivent le sang de toutes les parties du corps, où les arteres l'ont distribué, & le rapportent au coeur. Voyez Pl. d'Anatom. Angéiol. Voyez aussi SANG, &c.

Les veines ne sont qu'une continuation des extrêmités des arteres capillaires, qui se réfléchissent vers le coeur. Voyez CAPILLAIRE & ARTERE.

Comme elles se réunissent à mesure qu'elles approchent du coeur, elles forment à la fin trois grosses veines ou troncs ; savoir, la veine cave descendante, qui rapporte le sang de toutes les parties au-dessous du coeur. La veine cave ascendante, qui rapporte le sang de toutes les parties au-dessus du coeur. Et la veine porte, qui va se rendre au foie. Voyez CAVE, COEUR, PORTE, &c.

L'anastomose des veines & des arteres a été vue au microscope dans les piés, les queues, &c. des grenouilles, & d'autres animaux amphibies, premierement par Leuwenhoeck : mais depuis elle a été observée en d'autres animaux, & surtout dans l'épiploon du chat, par Cowper ; on l'a remarquée dans différentes parties du corps humain ; mais elle n'est pas constante, &c. Voyez ANASTOMOSE, CIRCULATION, &c.

Les tuniques des veines sont quatre, & les mêmes que celles des arteres, excepté que la tunique musculaire est fort mince dans toutes les veines, ainsi que dans les arteres capillaires ; la pression du sang contre les parois des veines étant moindre que contre celles des arteres, parce que la force du coeur est fort affoiblie dans les capillaires. Voyez Pl. anatom. (Angéiol.) Voyez aussi l'article PHLEBOTOMIE.

Les veines n'ont point de battement, parce que le sang y est poussé d'une maniere uniforme, & qu'il coule d'un canal étroit dans un plus grand. Mais elles ont un mouvement péristaltique, qui dépend de leur tunique musculaire. Voyez POULS, &c.

Les veines capillaires s'unissent les unes avec les autres, comme il a été dit des arteres capillaires ; mais leur direction est entierement contraire : car au-lieu qu'une artere est un tronc qui se divise en plusieurs branches & plusieurs capillaires, une veine est un tronc formé de la réunion de plusieurs capillaires. Voyez CAPILLAIRE.

Dans toutes les veines qui sont perpendiculaires à l'horison, excepté dans celles de la matrice, & dans la veine porte, il y a de petites valvules ou soupapes. Quelquefois il n'y en a qu'une, quelquefois il y en a deux, & d'autres fois trois, placées ensemble, comme autant de demi-dez attachés aux parois des veines, avec leurs ouvertures tournées vers le coeur.

Ces valvules sont pressées contre les parois des veines par le sang qui coule vers le coeur ; mais elles empêchent le sang de revenir du coeur, & en fermant les veines, soutiennent le poids du sang dans les gros troncs. Voyez VALVULE.

Les veines sont distinguées par rapport à leur situation, en supérieure & inférieure, ascendante & descendante ; en droite, comme la mésentérique, & en gauche, comme la splénique ; en interne, comme la basilique, & en externe, comme la céphalique.

Plusieurs veines tirent aussi leurs noms des parties où elles se trouvent, comme les jugulaires, les diaphragmatiques, les rénales, les iliaques, les hypogastriques, les épigastriques, les axillaires, les crurales, les ombilicales, les surales, la sciatique, la saphene, la médiane, la céphalique, la thorachique, la souclaviere, l'intercostale, la coronale, l'hémorrhoïdale, la cervicale, la thymique, la mammillaire, la gastrique, la stomachique, l'épiploïque, la splénique, &c.

On distingue aussi les veines à raison de leurs fonctions particulieres, en spermatiques, émulgentes, &c. Voyez toutes ces veines représentées dans la Pl. anat. (Angéiol.) & leur descriptions particulieres dans leur articles propres. Voyez JUGULAIRE, &c.

VEINE, (Maréchal.) presser la veine. Voyez PRESSER. Barrer la veine. Voyez BARRER.

VEINES, se dit aussi des raies ou des ondes de différentes couleurs qu'on apperçoit sur plusieurs sortes de bois, de pierres, &c. comme si elles y eussent été peintes ; & que les peintres même imitent souvent, en peignant les menuiseries, &c.

En général le marbre est rempli de pareilles veines. Voyez MARBRE.

Le lapis lazuli a des veines qui ressemblent à de l'or. Voyez LAPIS.

Ovide parlant des métamorphoses des hommes en pierres, dit : quae modo vena fuit, sub eodem nomine mansit.

Les veines dans les pierres sont un défaut qui vient pour l'ordinaire d'inégalité dans leur consistance, comme d'être trop dures ou trop tendres ; défaut qui fait éclater & fendre les pierres dans ces endroits.

Veine est un mot qui se dit aussi dans le même sens que stratum, pour exprimer les différentes dispositions ou especes de terre qu'on rencontre en creusant. Voyez STRATUM.

Ainsi on dit une veine de sable, une autre de roc, &c. une veine d'ocre, de vitriol, d'alun, de calamine, de charbon, &c. Les eaux minérales acquierent leurs différentes qualités en passant par des veines de vitriol, de soufre, &c. Voyez MINERAL.

On dit dans le même sens une veine d'or, d'argent, de mercure, &c. & on entend par-là certaines parties de la terre dans lesquelles on trouve de la mine de ces métaux, qui se distribue en différentes branches, comme font les veines dans le corps. Voyez MINE, &c.

Tavernier donne une description des veines qui sont dans les mines de diamans de Golconde, avec la maniere de les tirer. Voyez DIAMANT.

VEINES métalliques, (Hist. nat.) voyez l'article FILON.

VEINE, (Architecture) c'est une beauté & un défaut dans la pierre, dans le marbre & dans le bois. Nous allons distinguer ces défauts pour chaque matiere d'après Daviler.

Veine de bois. C'est une variété qui fait la beauté des bois durs pour le placage, & c'est un défaut dans ceux d'assemblage de menuiserie, parce que la veine est alors une marque de tendre ou d'aubier.

Veine de marbre ; c'est une variété qui fait la beauté des marbres mêlés. Les veines grises sont un défaut dans les marbres blancs, pour la sculpture, quoiqu'elles fassent la beauté des marbres blancs.

Veine de pierre ; défaut de la pierre qui provient d'une inégalité de consistance par le dur & le tendre. La pierre se moie & se délite à l'endroit de ce défaut, qui est encore une tache au parement, qui fait rebuter la pierre dans les ouvrages propres. (D.J.)

VEINES d'eau, (Archit. Hydraul.) ce sont dans la terre des filets d'eau qui viennent d'une petite source, ou qui se séparent d'une grosse branche, & qu'on recueille, comme des pleurs de terre dans des réservoirs. (D.J.)


VEINEUXEUSE, adj. en Anatomie, qui appartient aux veines. Voyez VEINE.

Artere veineuse, voyez ARTERE, POUMON, CIRCULATION, &c.


VEIRATvoyez MAQUEREAU.


VEIROS(Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans l'Alentejo, sur la riviere d'Anhalouva, près de Fonteira. Elle est défendue par un château. (D.J.)


VEISSELS. m. (Com.) mesure des grains dont on se sert à Chambery en Savoye. Le veissel pese 140 livres poids de Genève. Dictionn. de Comm.


VEITSAINT, ou FIUME, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'Istrie, sur le golfe de Venise, à 12 lieues au sud-est de Capo d'Istria, avec un port. Elle dépend de la maison d'Autriche. Long. 32. 10. latit. 45. 24. (D.J.)

VEIT, SAINT, (Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la basse Carinthie, au confluent des rivieres de Glan & de Wunich, au nord-ouest & à 4 lieues de Clagenfurt. Elle est entre quatre montagnes. Long. 31. 47. latit. 46. 51.


VEJENTANUM(Géog. anc.) maison de campagne, en Italie, au bord du Tibre, sur la voie Flaminienne. Cette maison, dont parle Suétone, l. VII. in Galbâ, c. j. appartenoit à Livie, femme d'Auguste, & elle fut nommée ad-Gallinas. (D.J.)


VEJOVIou VEJUPITER, (Mythol.) c'est-à-dire, Jupiter vengeur ; il avoit sous ce nom un temple à Rome près du capitole ; il étoit représenté avec des flêches à la main, pour marquer que ce dieu est toujours prêt à punir les criminels, & à venger les crimes secrets ; les coupables tâchoient de l'appaiser par le sacrifice d'une chevre. (D.J.)


VELABRES. m. (Topogr. de Rome) velabrum ; le vélabre étoit un lieu de Rome, proche le quartier des Toscans. Il étoit séparé en deux par le marché aux poissons, & tout garni de boutiques, surtout de vendeurs d'huile.

Velabrum pour vehiculabrum, lieu où l'on passe en voiture, velabrum dicitur à vehendo. La raison en est que le vélabre étant un lieu fort bas au pié du mont Aventin, il se trouvoit inondé toutes les fois que le Tibre se débordoit, & alors on avoit besoin de voitures pour y passer.

Ceux qui tirent ce nom de velum, voile, ne prennent pas garde, dit le P. Sanadon, que le velabre s'appelloit ainsi, long-tems avant que Quintus Catullus se fut avisé de le faire couvrir de toiles. Tarquin, cinquieme roi de Rome, remédia aux inondations que souffroit le vélabre, par ces prodigieux conduits souterrains & bien voutés, où l'eau du fleuve se retiroit dans les débordemens, & dont Pline admiroit encore la beauté & la fermeté 800 ans après. Agrippa y fit aussi d'autres ouvrages. (D.J.)


VÉLAIRES. m. (Antiq. rom.) velarius, huissier de la chambre de l'empereur chez les Romains. Les empereurs avoient des huissiers à la porte de leur chambre, qui étoient préposés pour l'ouvrir, en levant le voile ou la portiere ; on les appelloit velarii, & c'est ainsi qu'ils sont nommés dans les anciennes inscriptions. Gruter en cite une conçue en ces termes : Thalius praepositus velariorum domùs Augustae ; & ensuite L. Flavius supra velarios de domo Aug. (D.J.)


VELAMENTUMVELAMENTUM


VELAou TORTELLE, (Hist. nat. Bot.) erysimum ; genre de plante à fleur en croix composée de quatre pétales. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit ou une silique composée de deux panneaux, & divisée en deux loges par une cloison intermédiaire ; cette silique renferme des semences qui sont le plus souvent minces & arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre le port des plantes de ses especes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

L'espece commune d'érysimum est nommée erysimum vulgare, par C. B. P. & Tourn. I. R. H. 228. sa racine est simple, de la grosseur du petit doigt ou environ, blanche, ligneuse, âcre, & ayant la saveur de la rave ; ses tiges sont hautes de deux coudées, cylindriques, fermes, rudes & branchues ; ses feuilles sont en grand nombre vers le bas, longues d'une palme & plus, velues, divisées de chaque côté en plusieurs lobes, comme triangulaires ; celui qui est à l'extrêmité est plus ample, & partagé en trois.

Ses fleurs sont très-petites, disposées en longs épis sur les rameaux ; elles sont en croix, composées de quatre pétales, jaunes, contenues dans un calice à quatre feuilles velues ; leur pistil se change en une silique longue au-moins d'un demi-pouce, cylindrique, terminée par une corne partagée en deux loges qui contiennent de petites graines brunes, d'une saveur piquante.

On trouve fréquemment cette plante sur les murs, les masures, & le long des haies ; elle est fort estimée pour résoudre & enlever par l'expectoration, la mucosité gluante qui se trouve dans la gorge, dans les bronches, & dans les vésicules du poumon ; elle agit par ses parties subtiles, volatiles & âcres, qui incisent, résolvent, & détergent.

Après l'incendie de Londres, les botanistes observerent une grande quantité de l'espece de vélar ; nommée erysimum latifolium majus glabrum, qui parut sur plus de deux cent arpens de terre, où l'incendie s'étoit étendue. Ce fait singulier prouve bien & la grande multitude de semences de plantes répandues par-tout, & la nécessité de certaines circonstances pour les faire éclorre. La terre est donc pleine d'une infinité inconcevable de végétaux parfaitement formés en petit, & qui n'attendent pour paroître en grand, que certains accidens favorables ; & l'on pourra imaginer de-là, quoique très-imparfaitement, combien de différentes richesses la nature renferme dans son sein ! (D.J.)

VELAR, ou TORTELLE, (Mat. méd. & Pharmac.) cette plante est de la classe des cruciferes de Tournefort ; elle est dans un état moyen ou tempéré relativement au principe mobile, c'est-à-dire à l'alkali volatile spontané, qui est propre à toutes les plantes de cette classe. La plante entiere est d'usage : on peut l'employer comme anti-scorbutique, avec les autres matieres végétales analogues ; c'est sur-tout sa graine qui est recommandée contre cette maladie ; elle approche beaucoup pour la saveur de celle de roquette & de moutarde. Les auteurs la recommandent aussi à la dose d'un gros en substance, dans la suppression d'urine, & dans les ulceres des poumons.

Mais la vertu la plus célébrée du velar, c'est celle que les médecins lui ont assez généralement reconnue de guérir l'asthme, la toux invétérée, & surtout l'enrouement & l'extinction de voix ; qualités qu'on a attribué cependant aussi aux navets & aux choux, qui à la vérité son fort analogues au vélar. Rondelet qui a mis le premier cette plante en usage, l'a spécialement employée pour rétablir la voix ; & on dit qu'il l'a rendue par ce seul remede à plusieurs chantres de tout âge qui l'avoient entierement perdue ; c'est de cette tradition que vient sans-doute le nom de syrop du chantre, qu'on donne communément à un syrop de vélar composé, qui est fort usité contre l'enrouement. Voici la préparation de ce syrop, selon la pharmacopée de Paris.

Syrop composé de vélar, ou syrop du chantre. Prenez orge entier, raisins secs mondés, réglisse seche rapée & pilée, de chacun deux onces ; bourache & chicorée, de chacune trois onces ; faites bouillir dans douze livres d'eau commune jusqu'à la dissipation de la quatrieme partie ; passez avec expression ; d'autre part prenez vélar frais trois livres, racine d'aulnée & de pas d'âne récente, de chacune deux onces, capillaire de Canada une once, sommités seches de romarin & de stoechas, de chacun demi-once ; semences d'anis, six gros ; fleurs seches de violette, de bourache, & de buglose, de chacun deux gros : ayant haché ou pilé ce qui doit être haché ou pilé, versez sur toutes ces matieres la précédente décoction encore bouillante ; macérez pendant vingt-quatre heures dans un alembic d'étain ou de verre, alors retirez par la distillation au bain marie, huit onces de liqueur, de laquelle vous ferez un syrop en y fondant le double de son poids de beau sucre à la chaleur du bain marie.

Prenez le résidu de votre distillation, passez-le avec une forte expression, clarifiez-le au blanc-d'oeuf avec trois livres de sucre & une livre de beau miel, & cuisez-le en consistance de syrop que vous mêlerez, lorsqu'il sera presque refroidi, avec le précédent.

La dose de ce syrop est d'une ou de plusieurs onces dans une décoction ou une infusion convenable, telle que l'eau-de-vie, l'infusion de thé, de pié de chat, de coquelicot, &c.

On trouve aussi dans les boutiques un syrop de vélar simple, qui n'est pas inférieur à celui-ci, ou du moins qui lui seroit fort analogue quant aux principes fournis par le vélar, si on le préparoit par la distillation, comme le syrop composé. On ne devine pas trop pourquoi la pharmacopée de Paris néglige de retenir dans le syrop simple, le principe mobile du vélar qu'elle ménage dans le syrop composé. Le vélar entre dans le syrop composé de rossolis. (b)


VELAUDORUM(Géogr. anc.) ville des Séquaniens ; l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Milan à Strasbourg, en prenant par les Alpes graïennes. Elle est entre Vesuntio & Epamantadurum, à vingt-deux milles du premier de ces lieux, & à douze milles du second. (D.J.)


VELAWLE, ou LE VELUWE, (Géogr. mod.) quartier de la province de Gueldre ; il contient cette partie de la Gueldre-hollandoise, renfermée entre le Rhin, l'Issel, & le Zuiderzée, & confine au couchant à la province d'Utrecht. C'est un pays de landes & de bruyeres. Le Vélaw a été long-tems un arriere-fief de l'église d'Utrecht ; mais le duché de Gueldre étant tombé entre les mains de princes très-puissans, les évêques n'eurent plus aucune seigneurie directe ni utile, dans le duché de Gueldre. Les principales places du Vélaw sont Arnheim & Harderwick. (D.J.)


VÉLAYLE, (Géog. mod.) contrée de France, dans le gouvernement militaire de Languedoc. Elle est bornée au nord par le Forez, au midi par le Gévaudan, au levant par le Vivarais, & au couchant par la haute Auvergne. C'est un petit pays de montagnes couvertes de neige une partie de l'année, & dans lesquelles cependant on nourrit des bestiaux qui font subsister le canton. Il se tient dans le Vélay de petits états particuliers, auxquels préside l'évêque du Puy, capitale du Vélay, nommée Rovesio par Ptolémée, & dans la carte de Peutinger ; mais elle quitta ce nom peu de tems après, pour prendre celui des peuples Velavi.

César dit que ces peuples étoient dans la dépendance des Auvergnats, in clientelâ Arvernorum. Ils étoient du nombre des Celtes, qui furent joints par Auguste à l'Aquitaine. Le Vélay, après la division de l'Aquitaine en deux provinces, fut mis sous la premiere dans le quatrieme siecle ; il tomba dans le cinquieme sous le pouvoir des Visigoths ; & dans le sixieme, après la mort d'Alaric, sous la domination des Francs. Ceux du Vélay étoient comme les Auvergnats leurs voisins, sujets des rois d'Austrasie, qui tenoient une partie de l'Aquitaine.

Le duc Eudes se rendit maître du Vélay, & son petit-fils en fut dépouillé par Pepin, dont les descendans jouirent de ce pays jusqu'au regne de Louis d'Outremer. Ce roi donna le Vélay à Guillaume Têtes d'étoupes, comte de Poitiers & duc d'Aquitaine. Ses successeurs donnerent une partie du Vélay en fief, & l'autre partie à l'évêque de la ville du Puy, dans laquelle on avoit établi le siege épiscopal du Vélay. (D.J.)


VELCERA(Géog. anc.) ville de l'Illyrie. Ptolémée, l. II. c. xvij. la marque sur la côte, entre l'embouchure du fleuve Oënus & la ville Seni. Thevet dit que le nom moderne est Bacharin. (D.J.)


VELCY-ALLÉ(Venerie) cri dont doit user le valet de limier en parlant à son chien, pour l'obliger à suivre les voies d'une bête quand il en a rencontré ; ce cri peut servir aussi pour faire guéter & reguéter les chiens courans.

Velcy-va-avant, cri que doit dire le valet de limier en parlant à son chien, lorsqu'il court une bête qui va d'assurance, & quand il en revient des voies, & quand ce sont des foulées ou des portées, il doit dire, velcy-va-avant par les foulées, ou portées, ou par les fumées, s'il s'en trouve & que c'en soit la saison.

Velcy-revary-volcelets, se dit d'un cerf qui ruse, & qu'on voit revenir sur les mêmes voies.


VELDENTZ(Géog. mod.) château d'Allemagne au cercle du bas Rhin, près de la Moselle, chef-lieu d'un comté enclavé dans l'archevêché de Treves, trois milles au-dessus de Traerbach. Longit. 24. 35. latit. 49. 51. (D.J.)


VELDIDENA(Géog. anc.) lieu de la Germanie, à 33 milles de Vipetenum, selon l'itinéraire d'Antonin. On croit que c'est aujourd'hui Wilten, abbaye de l'ordre de Prémontré, au voisinage d'Inspruck. (D.J.)


VÉLESCY-ALLÉ(Venerie) cri dont on doit user quand on voit des fuites de loup, de sanglier, & de renard.


VELETTES. f. (Ichthyolog.) nom que donnent les Provençaux à un petit poisson fort singulier, qui flotte par milliers sur la surface de la Méditerranée. Je ne sache que M. de la Condamine qui l'ait décrit.

Ce petit poisson est de forme ovale, à-peu-près de la grandeur d'une moule, mais sans coquille, fort plat, n'ayant pas une ligne d'épaisseur ; sa longueur est depuis sept à huit lignes jusqu'à un pouce & demi, & sa largeur à peu-près la moitié de sa longueur ; quelques marins ont rapporté en avoir vu comme la main vers nos îles d'Amérique, & d'une autre espece sur nos rivieres.

Quoi qu'il en soit, le corps de ceux dont il est ici question, est une substance molle, visqueuse, de couleur d'indigo foncé ; les bords sont plus minces & plus transparens ; le milieu est couvert de quantité de petits filets de relief argentés, qui forment des ovales concentriques & paralleles, lesquelles se perdent & deviennent imperceptibles, en approchant des bords. Toutes ces ovales sont traversées de plusieurs lignes qui partent de leur centre commun, comme dans les toiles d'araignées de jardin ; le centre qui forme une éminence pointue, est l'endroit le plus relevé du corps de l'animal ; le dessous vers le bord, est hérissé d'une prodigieuse quantité de filamens bleus, de trois à quatre lignes de long, qui paroissent être les pattes ou les nageoires de ce poisson, & qui ne se distinguent bien que dans l'eau. Il nage, ou pour mieux dire, il flotte sur la surface de la mer selon sa longueur, mais ce qui l'aide à s'y soutenir, & qui lui fait donner le nom de velette, est une espece de crête qui s'éleve verticalement sur la surface supérieure.

Cette crête lui sert pour-ainsi dire de voile, que les Provençaux nomment vêle ; elle est à-peu-près aussi haute que l'animal est large ; elle le traverse en ligne droite, obliquement ; l'obliquité de la voile est toujours du même sens, c'est-à-dire de gauche à droite, en passant de la partie antérieure à la postérieure ; son contour est à-peu-près demi-circulaire, excepté qu'il se termine au sommet par un angle saillant. Cette crête, voile, ou cartilage, comme on voudra la nommer, est très-mince, transparente & semblable à du talc ; en la regardant de près, on la voit traversée d'un nombre infini de rameaux déliés qui forment une espece de rézeau ; elle a au toucher quelque solidité, à-peu-près comme de la corne très-mince, mais elle est bordée d'une membrane plus déliée, plus molle & plus transparente, qui se flétrit & s'affaisse aussitôt que l'animal est hors de l'eau, d'où l'on peut à peine le retirer sans le blesser.

M. de la Condamine a mis plusieurs de ces insectes de mer dans un vaisseau rempli d'eau, où ils n'ont pas paru vivre plus d'une heure. On reconnoit qu'ils ne sont plus vivans, lorsqu'ils ne se soutiennent plus sur l'eau, comme dans leur situation ordinaire, qu'ils enfoncent plus d'un côté que de l'autre, ou qu'ils sont tout-à-fait renversés la voile en bas. Mémoires de l'acad. des Sciences, ann. 1732. p. 320. (D.J.)


VELEZ DE GOMERE(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume de Fez, sur la côte de la Méditerranée, à quarante lieues de Malaga. Il y a un méchant arsenal, & un château où réside le gouverneur. Son port est capable de contenir quelques petits vaisseaux. Le pays ne produit qu'un peu d'orge, & n'offre par-tout que roches. C'est le port de la Méditerranée le plus proche de Fez. Longitude 13. 32. latit. 35. (D.J.)

VELEZ-MALAGA, (Géogr. mod.) ville d'Espagne, au royaume de Grenade, dans une grande plaine, à deux milles de la mer, & à quatorze milles de Malaga. Long. 13. 52. latit. 36. 27. (D.J.)


VELIA(Géog. anc.) ville de la Lucanie, dans le golfe Eléate, vis-à-vis des îles Oënétrides, sur le Héles, ou l'Halles ; cette ville se nomme aujourd'hui Pisciota, & la riviere l'Alente. Les îles Oënétrides sont Poncia & Isacia. Vélia est appellé par les Grecs Elea ; & d'abord qu'elle fut fondée par les Phocéens, elle s'appella Hylea ; Strabon, l. VI. dit qu'auprès du golfe Poestanus, il y en a un autre qui lui est contigu, où l'on voit une ville qui fut appellée Hycla, par les Phocéens ses fondateurs, Ella par d'autres, du nom d'une certaine fontaine, & que de son tems on nommoit Elea.

Selon Etienne le géographe, la ville d'Eléa avoit pris son nom d'une riviere qui la baignoit, & de son tems cette ville se nommoit Véléa. Cette riviere est l'Héles, d'où on appella la ville Héléa, & dans la suite l'aspiration fut changée en la lettre V. Pline, l. III. c. v. Cicéron, l. VII. epist. xix. & Velléius Paterculus, l. II. c. lxxix. disent Vélia.

Le nom des habitans varie comme celui de la ville, les anciens écrivent quelquefois Eléates, quelquefois Velienses, & Virgile, Aeneid. l. VI. vers. 366. dit :

Portusque require Velinos.

Ses médailles se connoissent par ce mot, . Cette ville a été la patrie de Zénon Eléate, l'un des principaux philosophes de l'antiquité, & qui florissoit dans la soixante & dix-neuvieme olympiade. Il fut disciple de Parménide, & l'un des plus beaux hommes de son tems, en quoi il ressembloit à Apulée, à Pythagore, & à plusieurs autres philosophes. Zénon est nommé le Palamede d'Elée, dans le sophiste de Platon ; c'étoit un philosophe qui renversoit beaucoup d'opinions, & qui en gardoit très-peu pour lui. Ses sentimens étoient à-peu près les mêmes que ceux de Xénophanes & de Parménides, touchant l'unité, l'incompréhensibilité, & l'immutabilité de toutes choses ; vous en trouverez l'exposition dans ce Dictionnaire.

On a eu soin à l'article SIDON, de distinguer les différens philosophes qui ont porté le nom de Zénon, car il ne faut pas les confondre ; celui - ci est non - seulement connu pour être l'inventeur de la dialectique la plus captieuse, mais sur - tout pour avoir entrepris de redonner la liberté à sa patrie opprimée par un tyran. Son projet ayant été découvert, il souffrit avec une fermeté extraordinaire les tourmens les plus rigoureux. Voyez ce qu'en rapporte Diogene Laërce, liv. IX. avec le commentaire de Ménage. (D.J.)


VELIATES(Géog. anc.) peuples d'Italie. Pline, l. III. c. xv. qui les met dans la huitieme région, les surnomme Vecteri. Ce sont les mêmes Veliates qu'il place dans la Ligurie ; car la Ligurie étoit dans la huitieme région, & ce sont les Veleates de Valerius Flaccus.


VÉLIE(Topogr. de Rome) c'étoit une éminence sur le mont Palatin, exposée au soleil levant, & qui avoit vûe sur la place romaine. Cette éminence, dit Varron, fut nommée Vélie, à velendâ lanâ, parce qu'on y conduisoit les moutons, pour leur arracher la laine, avant qu'on eût l'usage de les tondre. Valerius Publicola bâtit d'abord sa maison au haut de cette éminence ; mais comme on crut qu'il aspiroit à la royauté, & qu'il vouloit s'en faire un lieu de défense, parce que la situation naturelle de sa maison avoit l'air d'une forteresse, il la démolit & en bâtit une autre au pié de la colline, afin que du sommet, ainsi qu'il s'en expliqua lui-même dans son apologie, le peuple pût l'accabler plus aisément de pierres, si jamais il trahissoit ses devoirs. (D.J.)


VELIKA(Géog. mod.) petite ville de Hongrie, dans l'Esclavonie, au-dessous du confluent des rivieres Velika & Pakra. Il y a des géographes qui prennent Velika pour l'ancienne Variona.

VELIKA, LA, (Géog. mod.) riviere de Hongrie en Esclavonie. Elle prend sa source dans la partie septentrionale du comté de Creits, & se perd dans la Save, à quelques lieues au-dessous de Sissek. (D.J.)


VELIKIE-LOUKou VELIKUTOUKI, (Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans la partie occidentale du duché de Rzeva, entre Rzeva la déserte & Nevel, avec un château sur la riviere pour sa défense. Le nom de cette ville en langue du pays veut dire les grands prés. Long. 49. 15. lat. 56. 33. (D.J.)


VÉLINS. m. sorte de parchemin plus fin, plus uni & plus beau que le parchemin ordinaire : il est fait de peau de veau, d'où lui vient son nom. Voyez l'article PARCHEMIN & PAPIER.

S. Jérôme place la découverte du vélin sous le regne d'Attalus ; il n'est pas le seul de ce sentiment. Tzetzès avance la même chose, ainsi qu'un écrivain anonyme dont Saumaise rapporte les paroles dans ses exercitations sur Pline. L'un & l'autre font honneur de cette invention à Cratès le grammairien, contemporain d'Attalus, & son ambassadeur à Rome ; il y arriva l'année même de la mort d'Ennius, à ce que prétend Suetone, quoique sans aucun fondement ; mais nous avons indiqué plus particulierement l'époque du vélin au mot PAPIER. (D.J.)

VELIN, (Doreurs) les maîtres peintres & doreurs du pont Notre-Dame & du quai de Gèvres, nomment ainsi des bordures de bois uni, qui servoient autrefois à encadrer des images de vélin d'une certaine grandeur, qui ont servi depuis de modele déterminé pour toutes les estampes de leur volume.

VELIN, (Manufact.) c'est ce qu'on appelle communément point royal ou point de France. La manufacture de ce vélin a été inventée dans la ville d'Alençon, & s'est communiquée dans quatre villes circonvoisines, où l'on ne le nomme point autrement que vélin, quoique ce terme soit inconnu à Paris & ailleurs. On appelle fil à vélin & aiguilles à vélin, les fils fins & les petites aiguilles dont se servent les vélineuses. Quoique cette sorte d'ouvrage soit inventé dans le dernier siecle, on ne sait pourtant pas ce qui lui a donné le nom de vélin. Peut-être est-ce le vélin effectif ou le parchemin, sur lequel les ouvrieres travaillent, & qu'elles appellent parches. Savary.


VELINO LE(Géog. mod.) riviere d'Italie ; elle a sa source au royaume de Naples dans l'Apennin, à environ 45 milles de l'endroit où elle se jette dans la Nera, & à 4 milles au-dessus de Terni. La cascade du Velino, nommée la cascata del Marmore, est préférable à celle de Tivoli, & ne cede qu'à celle de Niagara, dans l'Amérique septentrionale. Cette cascade consiste en ce que le Velino, grossi de plusieurs eaux, court rapidement à un rocher uni, & large de 60 pas, taillé à-plomb par la nature, & élevé d'environ 300 piés au-dessus d'un autre rocher que la chûte continuelle des eaux a creusé comme un vaste gouffre ; ce dernier rocher est semé de pointes inégales, où l'eau qui tombe de si haut se brise en une infinité de parties, qui jaillissant en l'air, fait comme une bruine ; les rayons du soleil en tombant dessus, se réfléchissent diversement, & forment des milliers d'arcs-en-ciel qui changent & qui se succedent les uns aux autres d'une maniere admirable. (D.J.)


VELINUS LACUS(Géog. anc.) lac d'Italie chez les Sabins, au nord de Casperia, & présentement appellé Lago di Rieti. Lorsque l'on assembla à Rome les députés des villes & des colonies, qui avoient intérêt au projet que l'on avoit proposé de détourner le cours des rivieres & des lacs qui causoient les inondations du Tibre ; les habitans de Réate empêcherent, selon Tacite, Ann. l. I. c. lxxix. qu'on ne bouchât le passage par où le lac Velinus se décharge dans la Néra.

Pline, l. III. c. xij. dit que les Sabins habitoient sur les bords des lacs Velini, parce que ce lac est divisé en plusieurs parties qui sont formées par le fleuve Velinus, dont parle Virgile au vers 517 de l'Enéid. l. VII.

Sulfureâ Noralbus aquâ fontesque Velini.

Ce fleuve Velinus étoit accru de la riviere Télonia, fameuse par la défaite de Rutilius, selon Orose, l. V. c. xviij. On voyoit autour du lac Velinus, des champs fertiles & de gras pâturages que Virgile, Aeneid. l. V. v. 712. appelle rosea rura Velini. (D.J.)


VÉLITESS. m. pl. (Art milit. des Rom.) les vélites étoient l'une des quatre sortes de soldats qui composoient les légions. On prenoit les plus jeunes & les plus pauvres, pour en former des vélites ; leur paie étoit moins forte que celle des autres soldats, & on les armoit à la légere. On les nommoit quelquefois antesignani, parce qu'on les plaçoit souvent avant les enseignes aux premiers rangs, & qu'ils commençoient le combat.

Ils avoient pour armes défensives, un petit bouclier rond, d'un pié & demi de diametre ; une espece de petit casque, d'un cuir fort, couvert de quelque peau de bête sauvage, comme de loup ; mais sans armure, afin d'être plus dispos. Leurs armes offensives étoient l'épée, le javelot, d'un bois de la grosseur du doigt, long de trois piés, avec une pointe longue de huit pouces, mais si fine que ce javelot ne pouvoit être tourné contre celui qui l'avoit lancé.

Les vélites armés de frondes, ne servoient que pour escarmoucher ; aussi leur étoit-il permis de fuir, n'ayant point d'armes défensives pour en venir aux mains. Ils se rangeoient d'abord à la queue des troupes, & de là ils s'avançoient aux premiers rangs ; quelquefois on les plaçoit dans les intervalles de la premiere ligne, d'où ils escarmouchoient entre les deux armées ; quand le choc commençoit ils se retiroient derriere les autres, d'où ils lançoient leurs traits, ou des pierres avec la fronde, par-dessus la tête de ceux des premiers rangs ; c'est ce qu'ils pouvoient faire avec d'autant plus de facilité, qu'on donnoit peu de hauteur à ces premiers rangs. Avant l'institution de cette milice, la premiere ligne de la légion servoit d'infanterie légere. Enfin on employoit souvent les vélites pour accompagner la cavalerie dans les promtes expéditions.

Leur établissement ne se fit que dans la seconde guerre punique, selon Valere Maxime, l. II. c. iij. qui fait l'honneur de cette idée à un centurion nommé Quintus Maevius. Ils étoient également distribués dans chaque corps, n'ayant point de commandant particulier. Selon Tite-Live, il y en avoit 20 dans chaque manipule ; ce qui faisoit 60 par cohorte, & 600 par légion quand elle étoit de 6000 hommes. Avant qu'il y eût des vélites, les troupes qui formoient l'infanterie légere s'appelloient rorarii & accensi. Voyez LEGION & MILITAIRE, discipline des Romains.

J'ajouterai seulement que pour bien entendre les historiens romains qui parlent souvent des vélites, il faut savoir que ces sortes de soldats armés à la légere, se divisoient en frondeurs qui jettoient des pierres ; en dardeurs qui lançoient le javelot, & en archers qui tiroient des fleches.

Sous les empereurs Trajan, Adrien & Antonin le pieux, les vélites portoient un corcelet de fer, ou une cuirasse à écailles de poisson ; mais les frondeurs en particulier, n'étoient vêtus que de leurs habits à pans du bas retroussés. Les archers ou tireurs d'arc avoient le pot en tête, une cotte-d'armes à écailles, un carquois garni de fleches, & du côté gauche une épée. Enfin ils portoient à la main l'arc avec lequel ils tiroient des fleches. (D.J.)


VELITIAE(Géog. anc.) ville d'Italie. Festus, de verbor. signif. en fait mention au mot novae curiae, en ces termes : Velitia res divinae siunt in veteribus curiis. Elle tiroit son nom des peuples Velitienses, dont parle Pline, quoique la plûpart des exemplaires imprimés de cet ancien lisent Vellicenses, au lieu de Velitienses. (D.J.)


VELITIS(Hist. nat.) nom que les anciens donnoient à une espece de sable, dont ils faisoient usage pour la composition du verre ; ils choisissoient pour cela le sable le plus pur qui se trouvoit sur le bord des rivieres, & ils le mêloient avec le natron ou sel alkali minéral. Ce sable se nommoit aussi hyalitis du mot grec , qui signifie verre.


VELITRAE(Géog. anc.) Vélitres, ville d'Italie, dans le Latium, & la capitale des Volsques, aujourd'hui Velitri ou Velletri. Ancus mit le siége devant cette ville, & la pressa tellement, que les habitans réduits à l'extrêmité, firent sortir de leurs murs leurs vieillards en état de supplians. Ceux-ci promirent de réparer au gré du roi, les torts que leurs concitoyens pouvoient avoir faits aux Romains, & de livrer les coupables. Ancus se laissa gagner par cette soumission, & mit les habitans de Velitrae au nombre des alliés.

L'an 259 de la fondation de Rome, Virginius ayant battu les Volsques, entra pêle-mêle dans la ville de Velitrae avec les fuyards, & n'épargna qu'un petit nombre d'habitans qui mirent les armes bas. Trois ans après, la peste y fit de si grands ravages, qu'à peine il resta dans cette ville la dixieme partie des citoyens. Ceux qui échapperent furent contraints de se donner à la république de Rome, & de la supplier d'envoyer chez eux des habitans pour repeupler leur ville ; les Romains y envoyerent une colonie.

Environ cent cinquante ans après, les habitans de Vélitres, quoique colonie romaine, s'allierent avec les ennemis de Rome. On usa d'une grande sévérité à leur égard, leur ville fut rasée. Son sénat fut transporté ailleurs, & l'on ordonna à tous ses habitans, d'aller fixer leur demeure de l'autre côté du Tibre. Si quelqu'un entreprenoit de le repasser, on l'obligeoit à payer mille as d'airain, & l'on avoit droit d'exiger cette somme de lui, en le saisissant au corps. Les campagnes de leurs sénateurs furent distribuées à une nouvelle colonie.

La ville de Velitrae reprit ensuite son ancienne forme. Suétone nous apprend que la famille d'Auguste étoit une des principales de cette ville. Les habitans sont appellés Veliternus populus, par Tite-Live, liv. VIII. ch. xij. & Veliterni, par Pline, liv. III. ch. v. On voit dans Gruter, p. 297. une ancienne inscription, où il est parlé d'une victoire remportée sur ces peuples. Moenius.... de Veliterneis, predie k. Oct. (D.J.)


VELLAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom d'un genre de plante dont voici les caracteres, selon Linnaeus ; le calice est cylindrique, droit, composé de quatre feuilles obtuses, minces, & qui tombent avec la fleur ; la fleur est à quatre pétales, disposés en croix, de forme ovale, & de la longueur du calice ; les étamines sont six filets, dont il y en a deux opposés l'un à l'autre, & qui sont plus courts que les quatre autres ; les bossettes sont simples ; le germe du pistil est ovale ; le style est conique ; le stigma est simple ; le fruit est une gousse ronde, à crête pendante, contenant deux loges, & divisée par une pellicule deux fois aussi considérable que la gousse même ; les semences sont rondelettes. Linnaei, gen. plant. p. 317. (D.J.)

VELLA, (Géog. mod.) ville de la haute Ethiopie, au royaume de Dancali, à 20 lieues du détroit de Babelmandel, à 77d du premier méridien, & à 3 de latit. septentrionale. (D.J.)

VELLA, la, (Géog. mod.) ou la Verra, riviere d'Italie, dans la partie orientale de l'état de Gènes. Elle prend sa source dans l'Apennin, & se jette dans la Magra, à 4 milles au-dessus de Sarzana. On croit que c'est le Boactus des anciens. (D.J.)


VELLACASSES(Géog. anc.) ce nom est aussi écrit Velocasses dans César, Bel. Gall. l. II. cap. xij. Pline, l. IV. cap. xviij. écrit Vellocasses, & met les Vellocasses dans la Gaule narbonnoise : Lugdunensis Gallia, dit-il, habet Loxovios, Vellocasses, Galatas, Venetos. En effet, Auguste tira ces quatre peuples de la Gaule belgique pour les mettre dans la Gaule lyonnoise. (D.J.)


VELLANIS(Géog. anc.) ville de la haute-Moesie. Ptolémée, l. III. c. x. la marque parmi les villes qui étoient éloignées du Danube. Si nous en croyons Lazius, le nom moderne est Larzy. (D.J.)


VELLATES(Géog. anc.) peuple de la Gaule aquitanique, selon Pline, l. IV. c. xix. Ces peuples, dit le P. Hardouin, sont les Velauni de Ptolémée, l. II. c. vij. & ils habitoient entre les Auscii & les Rhuteni. (D.J.)


VELLAUNODUNUM(Géogr. anc.) ville de la Gaule celtique, ou lyonnoise. César, de Bell. gall. l. VII. dit que c'étoit une ville des Senones, dont il s'empara. On ne s'accorde point sur le nom moderne de cette ville des Sénonois : M. de Valois a cru que c'étoit Montargis ; mais cela ne se peut, parce que Montargis est une ville du moyen âge. Vigenere a ouvert le premier l'avis, que ce pouvoit être Château-Landon, à 4 lieues de Montargis, sur le grand chemin de Paris à Lyon. Il se trouve en effet quelqu'affinité entre Landon & Laudunum, car pour le mot de château, c'est une épithete moderne ; cependant M. Lancelot estime, que c'est plutôt Seviniere, qui est à une ou deux lieues de Châtillon-sur-Loir, environ à moitié chemin de Sens à Orléans. André Duchesne veut que ce soit aujourd'hui Villeneuve-le-roi, lieu dépendant du ressort de Sens ; mais le plus grand nombre des géographes françois s'en tient à l'opinion de Vigenere. Ce qu'il y a de sûr, c'est que Vellaunodunum n'étoit pas éloignée d'Agendicum, Sens, puisque César en partant de cette derniere ville, se rendit le lendemain devant Vellaunodunum. (D.J.)


VELLAVou VELAUNI, (Géog. anc.) peuples de la Gaule celtique. Ptolémée leur donne une ville nommée Ruesium ou Ruessum. Quelques-uns veulent que cette ville soit la même qu'Anicium ou Podium, Pui-en-Vélay ; cependant la ville Vellava étoit, selon Grégoire de Tours, l. X. c. xxv. à quelque distance d'Anicium. (D.J.)


VELLEIACIUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Gaule cispadane, aux environs de Plaisance, au milieu des collines. Pline, l. VII. c. xlix. dit qu'on y avoit vû six hommes de cent dix ans, quatre de six vingt ans, & un de cent quarante ans. (D.J.)


VELLEIENadj. (Gramm. & Jurisprud.) ou sénatus-consulte velleïen, est un decret du sénat, ainsi appellé parce qu'il fut rendu sous le consulat de M. Silanus & de Velleius Tutor, du tems de l'empereur Claude, par lequel on restitua les femmes contre toutes les obligations qu'elles auroient contractées pour autrui, & qu'on auroit extorquées d'elles par violence, par autorité & par surprise, pourvu qu'il n'y eût eu aucune fraude de leur part.

On entend aussi quelquefois par le terme de velleïen simplement, le bénéfice accordé par ce sénatusconsulte.

Les loix romaines n'avoient pas d'abord porté les précautions si loin que ce sénatus-consulte en faveur des femmes & filles.

La loi julia permettoit au mari de vendre les biens dotaux de sa femme, pourvu qu'elle y donnât son consentement ; il lui étoit seulement défendu de les hypothéquer, du consentement même de sa femme, parce qu'on pensa qu'elle se prêteroit plus volontiers à l'hypotheque de ses fonds qu'à la vente.

Cette loi n'avoit porté ses vues que sur le fonds dotal, & non sur les meubles & choses mobiliaires même apportées en dot, elle ne concernoit d'ailleurs que les fonds dotaux situés en Italie ; mais quelques-uns tiennent que la femme qui étoit sur le point de se marier, pouvoit prendre certaines précautions par rapport à ses fonds dotaux qui étoient situés hors l'Italie.

Quoi qu'il en soit, elle avoit toute liberté de disposer de ses paraphernaux, & conséquemment de s'obliger jusqu'à concurrence de ses biens, bien entendu que l'obligation fût contractée par la femme pour elle-même, & non pour autrui.

En effet, il fut d'abord défendu par des édits d'Auguste & de Claude, aux femmes de s'obliger pour leurs maris.

Cette défense ne fut faite qu'aux femmes mariées, parce que dans l'ancien droit que l'on observoit encore en ces tems-là, toutes les personnes du sexe féminin étoient en tutele perpétuelle, dont elles ne sortoient que lorsqu'elles passoient sous l'autorité de leurs maris ; c'est pourquoi la prohibition de cautionner ne pouvoit concerner que les femmes mariées.

Mais sous l'empereur Claudius, les filles & les veuves ayant été délivrées de la tutele perpétuelle, tout le sexe féminin eut besoin du même remede, la pratique s'en introduisit sous le consulat de M. Silanus & de Velleïus Tutor, & elle fut confirmée par l'autorité du sénat.

Le decret qu'il fit à cette occasion est ce que l'on appelle le sénatus-consulte velleïen.

Il fut ordonné par ce decret que l'on observeroit ce qui avoit été arrêté par les consuls Marcus Silanus & Velleïus Tutor, sur les obligations des femmes qui se seroient engagées pour autrui ; que dans les fidéjussions ou cautionnemens & emprunts d'argent que les femmes auroient contractés pour autrui, l'on jugeoit anciennement qu'il ne devoit point y avoir d'action contre les femmes, étant incapables des offices virils, & de se lier par de telles obligations ; mais le sénat ordonna que les juges devant lesquels seroient portées les contestations au sujet de ces obligations, auroient attention que la volonté du sénat fût suivie dans le jugement de ces affaires.

Le jurisconsulte Ulpien, qui rapporte ce fragment du sénatus-consulte velleïen, applaudit à la sagesse de cette loi, & dit qu'elle est venue au secours des femmes à cause de la foiblesse de leur sexe, & qu'elles étoient exposées à être trompées de plus d'une maniere ; mais qu'elles ne peuvent invoquer le bénéfice de cette loi s'il y a eu du dol de leur part, ainsi que l'avoient décidé les empereurs Antonin le pieux & Sévere.

Cette loi, comme l'observent les jurisconsultes, ne refuse pas toute action contre la femme qui s'est obligée pour autrui ; elle lui accorde seulement une exception pour se défendre de son obligation, exception dont le mérite & l'application dépendent des circonstances.

Le bénéfice ou exception du velleïen a lieu en faveur de toutes les personnes du sexe, soit filles, femmes ou veuves, contre toutes sortes d'obligations verbales ou par écrit ; mais il ne sert point au débiteur principal, ni à celui pour qui la femme s'est obligée.

Plusieurs jurisconsultes tirent des annotations sur le sénatus-consulte velleïen, ainsi qu'on le peut voir dans le titre du digeste ad S. C. velleianum.

L'empereur Justinien donna aussi deux loix en interprétation du velleïen.

La premiere est la loi 22. au cod. ad S. C. velleianum, par laquelle il ordonne que si dans les deux années du cautionnement fait par la femme, pour autre néanmoins que pour son mari, elle approuve & ratifie ce qu'elle a fait, telle ratification ne puisse rien opérer, comme étant une faute réitérée, qui n'est que la suite & la conséquence de la premiere.

Mais cette même loi veut que si la femme ratifie après deux ans, son engagement soit valable, ayant en ce cas à s'imputer de l'avoir ratifié après avoir eu un tems suffisant pour la réflexion.

Cette loi de Justinien ne regardoit que les intercessions des femmes faites pour autres que pour leurs maris ; car par rapport aux obligations faites pour leurs maris, Justinien en confirma la nullité par sa novelle 134. chap. viij. dont a été formée l'authentique si quae mulier, insérée au code ad senatus-consult. velleianum.

La disposition de ces loix a été long-tems suivie dans tout le royaume.

Le parlement de Paris rendit le 29 Juillet 1595, un arrêt en forme de réglement, par lequel il fut enjoint aux notaires de faire entendre aux femmes qu'elles ne peuvent s'obliger valablement pour autrui, surtout pour leurs maris, sans renoncer expressément au bénéfice du velleïen, & de l'authentique si quae mulier, & d'en faire mention dans leurs minutes, à-peine d'en répondre en leur nom, & d'être condamnés aux dommages & intérêts des parties.

Mais comme la plûpart des notaires ne savoient pas eux mêmes la teneur de ces loix, ou ne les savoient pas expliquer, que d'ailleurs ces sortes de renonciations n'étoient plus qu'un style de notaire, le roi Henri IV. par un édit du mois d'Août 1606, fait par le chancelier de Sillery, abrogea la disposition du sénatus-consulte velleïen, de l'authentique si quae mulier, fit défenses aux notaires d'en faire mention dans les contrats des femmes, & déclare leurs obligations bonnes & valables, quoique la rénonciation au velleïen & à l'authentique n'y fussent point insérées.

Cet édit, quoique général pour tout le royaume, ne fut enregistré qu'au parlement de Paris. Il est observé dans le ressort de ce parlement, tant pour le pays de droit écrit, que pour les pays coutumiers.

Il y a cependant quelques coutumes dans ce parlement, où les femmes ne peuvent s'obliger pour leurs maris ; telles sont celles d'Auvergne, de la Marche & du Poitou, dont les dispositions sont demeurées en vigueur, l'édit de 1606 n'ayant dérogé qu'à la disposition du droit, & non à celle des coutumes.

La déclaration du mois d'Avril 1664 déclare, qu'à la vérité les obligations passées sans force ni violence par les femmes mariées à Lyon & dans les pays de Lyonnois, Mâconnois, Forès & Beaujolois, seront bonnes & valables, & que les femmes pourront obliger tous leurs biens dotaux ou paraphernaux mobiliers & immobiliers, sans avoir égard à la loi julia, que cette déclaration abroge à cet égard.

On tient que cette déclaration fut rendue à la sollicitation du sieur Perrachon, pour-lors fermier général de la généralité de Lyon, qui la demanda pour avoir une plus grande sûreté sur les biens des sousfermiers, en donnant à leurs femmes la liberté d'engager leurs biens dotaux, & en les faisant entrer dans les baux.

Cette déclaration n'ayant été faite que pour les pays du Lyonnois, Forès, Beaujolois & Mâconnois, elle n'a pas lieu dans l'Auvergne, quoique cette province soit du parlement de Paris, la coutume d'Auvergne ayant une disposition qui défend l'aliénation des biens dotaux.

L'édit de 1606 qui valide les obligations des femmes, quoiqu'elles n'ayent point rénoncé au velleïen & à l'authentique si quae mulier, est observé au parlement de Dijon depuis 1609, qu'il y fut enregistré.

Les renonciations au velleïen & à l'authentique ont aussi été abrogées en Bretagne par une déclaration de 1683, & en Franche-Comté par un édit de 1703.

Le sénatus-consulte velleien est encore en usage dans tous les parlemens de droit écrit ; mais il s'y pratique différemment.

Au parlement de Grenoble la femme n'a pas besoin d'avoir recours au bénéfice de restitution pour être relevée de son obligation.

Dans les parlemens de Toulouse & de Bordeaux, elle a besoin du bénéfice de restitution, mais le tems pour l'obtenir est différent.

Au parlement de Toulouse elle doit obtenir des lettres de rescision dans les dix ans, on y juge même qu'elle ne peut renoncer au sénatus-consulte velleïen, ce qui est contraire à la disposition du droit.

Au parlement de Bordeaux, le tems de la restitution ne court que du jour de la dissolution du mariage ; néanmoins si l'obligation ne regardoit que les paraphernaux, que le mari n'y fût pas intéressé, les dix ans couroient du jour du contrat.

En Normandie, le sénatus-consulte velleïen n'a lieu qu'en vertu d'un ancien usage emprunté du droit romain, & qui s'y est conservé ; car l'édit de 1606 n'a point été régistré au parlement de Rouen ; le sénatus-consulte velleïen y est même observé plus rigoureusement que dans le droit romain ; en effet, la rénonciation de la femme au bénéfice de cette loi, n'y est point admise, & quelque ratification qu'elle puisse faire de son obligation, même après les dix années, elle est absolument nulle, & on la déclare telle, quoiqu'elle n'ait point pris de lettres de rescision.

Le sénatus-consulte velleïen est considéré comme un statut personnel, d'où il suit qu'une fille, femme, ou veuve domiciliée dans un pays où cette loi est observée, ne peut s'obliger elle ni ses biens pour autrui, en quelque pays que l'obligation soit passée, & que les biens soient situés. Voyez au digeste & au code, les tit. ad senatus-consultum velleïanum, la novelle 134. cap. viij. Pausus, ij. 11. Lucius, Fillau, Duperrier, le Brun, Stockmans, Coquille, Lapeyrere, Hevin, Bretonnier, Froland, Boulenois, & les mots FEMME, OBLIGATION, DOT, LOI JULIA. (A)


VELLÉITÉS. f. dans les écoles de Philosophie, est définie communément, une volonté foible, froide & languissante.

D'autres disent qu'elle emporte impuissance d'obtenir ce qu'on demande. D'autres prétendent que c'est un desir passager pour quelque chose dont on ne se soucie pas beaucoup, & qu'on ne veut pas se donner la peine de chercher : comme, Catus amat piscem, sed non vult tangere limpham. Si on examinoit bien toute sa vie, on trouveroit que la cause pour laquelle on a eu si peu de succès, c'est qu'on n'a presque point eu de volonté ; mais qu'excité par le desir de la chose, retenu par la paresse, la pusillanimité, la vue des difficultés, on n'a eu que des demi-volontés. Les Italiens ont un proverbe qui contient le secret de devenir pape ; & ce secret c'est de le vouloir.


VELLELAc'est le terme qu'on doit dire quand on voit le lievre, le loup & le sanglier.


VELLETRIVELETRI, ou VELITRI, (Géog. mod.) en latin Velitrae, ancienne ville d'Italie, dans la campagne de Rome, près de la mer, sur une hauteur, à 6 milles d'Albano, à 8 de Marano, à 14 de Segni, & à 20 de Rome.

Cette ville, autrefois la capitale des Volsques, est aujourd'hui la demeure des doyens du sacré college. Elle a infiniment souffert dans les révolutions de l'empire, & dans les guerres civiles qui ont mis tant de fois l'Italie en feu ; ses rues sont encore belles, & ses maisons ont quelque apparence, mais elles sont presque sans habitans, excepté des religieux & des religieuses. Le palais Ginetti, élevé par l'architecte Lunghi, passe pour un ouvrage de magnificence & de goût ; c'est la seule chose curieuse à voir dans cette ville. Le prince Lobkowitz fit sur Vélétri en 1744, la même entreprise que le prince Eugene avoit faite sur Crémone en 1702, & elle eut le même succès. Long. 30. 36. lat. 41. 40. (D.J.)


VELLICA(Géog. anc.) ville de Cantabrie vers les sources de l'Hebre, aujourd'hui la Guardia, ou Medina del Pomar. Peut-être que cette ville étoit célebre par le culte du dieu Endovellicus, & que c'étoit le lieu où il avoit pris naissance, ce qui l'avoit fait nommer Endo-Vellicus, l'Endo de Vellica, comme l'Apollon de Delphes, l'Hercule de Tyr. Ce fut sous les murailles de cette ville que les généraux d'Auguste battirent les Cantabres, au rapport de Florus, l. IV. c. xij. (D.J.)


VELLICATIONS. f. chez les Médecins, est l'action de piquotter, de pincer. Ce mot se dit plus particulierement d'une sorte de convulsions soudaines qui arrivent aux fibres des muscles. Voyez FIBRE & CONVULSION.


VELLONS. m. (terme de Monnoie) ce mot espagnol signifie, en fait de monnoie, ce qu'on appelle en France billon ; il se dit particulierement des especes de cuivre.


VELOCITÉS. f. (Phys.) est la même chose que vîtesse ; ce dernier mot est plus usité.


VELOUR(Géog. mod.) ville des Indes, au royaume de Carnate, à l'ouest de Cangi-Vouran & d'Alcatile. Il y a toujours un gouverneur dans cette ville, & la forteresse est une des principales du pays.


VELOURS(Etoffe de soie) le velours uni se fait avec une chaîne par le tissu communément appellé toile ; une seconde chaîne communément appellée poil, & de la trame ; on fortifie la seconde chaîne de plus ou moins de brins, suivant le nombre de poils dont on veut le qualifier.

La quantité de poil augmente la qualité & la force du velours ; on en désigne le nombre par les barres jaunes qui sont aux lisieres ; on fabrique depuis un poil & demi jusqu'à 4 poils ; ils se font ordinairement de 11 24es d'aune. Voyez ÉTOFFE DE SOIE.

Il se fait aussi des velours frisés, des velours coupés & frisés, des velours à la reine, des velours à quarreau tout coupé, des velours ras, des velours cannelés, des velours chinés ; on a poussé ce genre d'étoffe jusqu'à faire des velours à deux endroits, & de deux couleurs opposées l'une sur un côté, l'autre de l'autre ; mais cela n'a pas été suivi. Cette étoffe se fabrique en divers endroits, comme Lyon, Gènes & autres lieux. Voyez ÉTOFFE DE SOIE.

Maniere dont on travaille le velours ciselé. Comme nous avons rapporté à ce genre d'étoffe presque toute la fabrication des autres, nous allons en traiter au long ; ensorte que celui qui se donnera la peine de bien entendre cet article, ne sera étranger dans aucune manufacture d'ourdissage, n'ayant jamais qu'à passer du plus composé au moins composé. Nous tâcherons d'être exact & clair ; & s'il nous arrive de pécher contre l'une ou l'autre de ces qualités, ce sera ou par la difficulté même de la matiere, ou par quelqu'autre obstacle insurmontable. Car nous avons fait construire & monter un métier complet sous nos yeux ; nous l'avons ensuite démonté, & nous nous sommes donnés la peine de travailler.

Nous avons ensuite jetté sur le papier les choses ; puis nous avons fait revoir le tout par d'habiles manufacturiers.

Ce mémoire a deux parties. Dans la premiere, on verra l'ordre que nous avons suivi dans notre essai ; dans la seconde, ou dans les notes, on verra l'ordre que l'on suit dans une manufacture réglée.

Nous traiterons 1°. des parties en bois du métier, & de leur assemblage.

2°. Des parties en fil, en soie, en ficelle, & autres matieres, de leur disposition & de leur usage.

3°. Des outils, de leurs noms & de la maniere de s'en servir.

4°. De la main d'oeuvre, du dessein, de la lecture, & de la maniere de travailler.

Du bois du métier. Les parties A B, a b, qui ont mêmes dimensions, mêmes façons & même situation, ont depuis A, a, jusqu'à B, b, 6 piés de longueur ; leur équarrissage est de 6 à 7 pouces ; elles s'assemblent par des tenons de dimensions convenables avec les pieces C D, c d. Elles sont perpendiculaires au plan & paralleles entr'elles. On les appelle les piliers de devant du métier.

Les parties E F, e f, qui ont mêmes dimensions, mêmes façons, & même situation entr'elles, qui sont paralleles l'une à l'autre, & aux parties A B, a b, qui s'assemblent par des tenons aux pieces C d, c d, s'appellent les piliers de derriere.

Les parties C D, c d, qui ont mêmes dimensions, mêmes façons, même disposition, qui sont paralleles entr'elles, qui reçoivent dans leurs mortaises C, c, les tenons des piliers de devant, & dans leurs mortaises D, d, les tenons des piliers de derriere, ont 12 piés de longueur, sur 6 à 7 pouces d'équarrissage, & s'appellent les estases ou traverses d'en-haut.

Les estases ont à chacune de leur extrêmité une ouverture quarrée ou oblongue G H, g h, qui reçoivent les tenons des deux pieces de bois G g, H h. Ces tenons sont percés, & peuvent admettre un petit coin de bois. Les pieces de bois servent, à l'aide des coins, à tenir les estases fermement à la même distance & sur le même parallélisme ; & on les appelle par cette raison les clés du métier.

On a pratiqué à l'extrêmité inférieure de chacune des pieces A B, a b, une ouverture oblongue I K ; la piece de bois I K a deux tenons qui remplissent les ouvertures I & K, & chacun de ces tenons est percé, & peut admettre un petit coin qui sert, avec la piece I K, à tenir les piliers de devant fermement à la même distance, & sur le même parallélisme.

Il y a encore aux extrêmités des quatre piliers quatre mortaises L M, l m, qui servent à recevoir les tenons de deux barres de bois L M, l m, paralleles entr'elles & aux estases, & servant à tenir paralleles entr'eux les piliers.

Ces barres L M, l m, ont, à une distance convenable des piliers de derriere, chacune une ouverture oblongue N O. La piece N O a deux tenons qui entrent dans les mortaises N, O, & elle sert à plusieurs usages. Le premier est de tenir les barres L M, l m, paralleles & à la même distance. Le second est de soutenir les marches.

Les pieces P Q 1, P Q 2, P Q 3, & qu'on voit ici au nombre de sept, percées par leur extrêmité Q, traversées des pieces de fer r s, & soutenues au-dessus de la barre n o, par deux pitons plantés dans cette barre, s'appellent les marches.

Il n'y en a que sept ici, mais il peut y en avoir davantage ; c'est selon l'ouvrage que l'on travaille. Par exemple, dans le velours à jardin, en supposant qu'il y ait cinq marches de pieces, il y a certainement quatre marches de poil.

Les barres L m, l m, ont à leur extrêmité L, l, chacune une mortaise. Cette mortaise reçoit l'extrêmité de la piece T V, t u, dont le côté parallele au pilier de devant s'applique exactement contre ce pilier, & l'autre côté taillé en console a un autre usage, dont nous parlerons ci-après.

Elle est échancrée à sa partie supérieure ; & c'est dans cette échancrure circulaire que se place la moulure pratiquée à l'un des bouts de l'ensuple. Cette piece T V, t u, s'appelle tenon.

Avant que d'assembler avec les piliers les barres L m, l m, & la traverse I K ; on passe les deux piliers de devant dans les ouvertures des morceaux de bois parallélogrammatiques X Y, x y ; ils embrassent les piliers, & les tenons les tiennent fermement appliqués l'un à l'autre, & c'est sur leurs extrêmités X Y, que l'ouvrier pose ses navettes. On les appelle banques.

Le pilier de devant, qui est à droite, est percé circulairement en Z. Cette ouverture reçoit un morceau de fer ou broche, dont l'extrêmité cachée par le pilier est en vis, & s'arrête par un petit écrou de fer. Cette broche dans l'autre extrêmité a une tête, passe à-travers une espece d'S de fer ou crochet, & fixe ce crochet au côté du pilier, comme on le voit. Ce crochet s'appelle chien. On voit la broche en Z, avec le chien. L'extrêmité recourbée du chien est ouverte par le milieu, ou plutôt évidée. On verra dans la suite l'usage de cette configuration.

On a attaché parallélement entr'eux, aux deux piliers de derriere, deux morceaux de bois, faits comme deux valets, excepté que leur partie supérieure est échancrée circulairement ; cette échancrure circulaire reçoit la moulure de l'ensuple de derriere. Voyez ces morceaux de bois ou tasseaux de derriere, 1, 2. On les appelle oreillons.

On voit à la partie antérieure des estases deux petites tringles de bois placées intérieurement & parallélement de chaque côté, à chaque estase. Ces tringles sont dentelées. On les appelle acocats. Elles servent à avancer ou reculer le battant à discrétion. Voyez les acocats 34, 34.

Entre les deux piliers de devant est une planche supportée par ces deux piliers ; elle sert de siege à l'ouvrier, & s'appelle la banquette.

Voilà ce que l'on peut appeller la charpente ou la cage du métier. Cette cage est composée de toutes les parties dont nous venons de parler assemblées, comme on les voit dans la premiere figure, où l'on appercevra encore sous les banques une caisse ou coffre 5, pour recevoir l'ouvrage à mesure qu'il se fait, & entre les piliers de devant, les extrêmités du derriere du siege de l'ouvrier.

Pour tenir l'ensuple fermement appliquée & contre l'échancrure circulaire des tenons, & contre la partie éminente de ces tenons au-dessus de la banque, on met un petit coin 6 entre le pilier & la moulure de l'ensuple. On appelle ce petit coin une taque.

Il y a encore à la surface intérieure des piliers de derriere parallélement à l'ensuple, deux broches de fer qui tiennent deux bobines, qu'on appelle restiers. Ces restiers sont montés de fils, qu'on appelle cordelines.

Il part du pilier de devant pour aller au pilier de derriere une corde, qu'on appelle corde de jointe. Il y a dans cette corde un roquet ou roquetin, qu'on appelle roquet de jointe.

De la cantre. Imaginez un chassis A B C D, dont la forme soit parallélogrammatique, qui soit divisé longitudinalement par une tringle de bois qui coupe ses deux petits côtés en deux parties égales, & qui soit par conséquent parallele aux deux grands côtés ; que les grands côtés & la tringle de bois soient percés de trous correspondans, capables de recevoir des petites broches de fer, & de les tenir paralleles les unes aux autres, & aux petits côtés du chassis ; que ce chassis soit soutenu sur quatre piliers assemblés deux à deux, les deux de devant ensemble, pareillement les deux de derriere, par deux traverses, dont l'une passe de l'extrêmité d'un des piliers de devant, à l'autre extrêmité du pilier de devant ; & l'autre traverse passe de l'extrêmité d'un des piliers de derriere à l'extrêmité de l'autre pilier de derriere, que ces quatre piliers soient consolidés par une traverse qui s'assemble d'un bout avec la traverse des piliers d'enhaut, & de l'autre bout avec la traverse des piliers d'en-bas ; que les deux piliers d'en-haut ou les plus grands, soient de même hauteur ; que les deux piliers d'en-bas soient aussi entr'eux de la même hauteur, mais plus bas que les piliers d'en-haut ; que toutes ces parties soient assemblées les unes avec les autres, & leur assemblage formera la cantre.

La cantre en deux mots n'est donc autre chose qu'un chassis oblong, soutenu sur quatre piliers, dont les deux derniers sont plus hauts que les deux de devant, & partagé en deux parties égales par une traverse percée d'autant de trous qu'on veut à égale distance, dont chacun correspond à deux autres trous pratiqués aux grands côtés du chassis, capables de recevoir de petites broches de fer, & de les tenir paralleles aux petits côtés.

Il est nécessaire de donner plus d'élévation à la cantre d'un côté ou d'un bout que d'un autre. Cette différence d'hauteur empêche les branches des roquetins de se mêler ; & on peut à chaque instant appercevoir quand il y en a quelques-uns de cassés, ce qui ne pourroit pas paroître, si la hauteur étoit égale par-tout.

Nous supposerons ici les côtés de la cantre percés de 25 trous seulement.

La cantre se place entre les piliers de derriere du métier, & s'avance presque jusqu'à la traverse qui soutient les marches.

On a de petites broches toutes prêtes, avec des especes de petites bobines, qu'on appelle des roquetins.

Les broches sont fort minces, elles servent aux roquetins d'axes sur lesquels ils peuvent se mouvoir.

Il faut distinguer dans ces roquetins deux moulures principales ; l'une garnie de soie, & l'autre d'un fil, à l'extrêmité duquel pend un petit morceau de plomb. La soie & le fil étant dévidés chacun sur leur moulure, en sens contraire, il est évident que si l'on prend un bout de la soie, & qu'on le tire, il ne pourra se dévider de dessus sa moulure, qu'en faisant monter le petit poids qui réagira contre la force qui tirera le bout de soie. Cette réaction tiendra toujours le fil de soie tendu, & ne l'empêchera pas de se dévider, la bobine entiere ou le roquetin pourront se mouvoir sur la petite broche de fer dans laquelle il est enfilé par un trou qui le traverse dans toute sa longueur.

On charge chacune des petites broches d'un nombre égal de roquetins, tous garnis de leur soie & de leur plomb ; ce nombre de roquetins est partagé sur chaque broche en deux parties égales par la traverse du chassis de la cantre, il faut observer en enfilant les roquetins dans les verges du chassis, de tourner le plomb de maniere que la soie se dévide en-dessus & non en-dessous.

La soie est de la même ou de différentes couleurs sur tous les roquetins, selon l'espece de velours qu'on se propose d'exécuter.

C'est le dessein qui fait varier le nombre des roquetins.

Nous supposerons ici que chaque verge portoit 8 roquetins.

La cantre étoit composée de 200 roquetins ; elle l'est ordinairement de huit cent & de mille. On voit maintenant l'usage de la traverse qui divise le chassis en deux parties égales, & qui met dans la supposition présente cent roquetins d'un côté, & cent de l'autre, ou quatre roquetins par broche d'un côté, & quatre de l'autre.

Des maillons, des mailles de corps & des aiguilles de plomb. Après qu'on a formé la cage du métier, garni la cantre de ses roquetins, & placé cette cantre entre les piliers de derriere du métier, de maniere que la chûte de l'inclinaison du chassis soit tournée vers les marches.

On se pourvoit au-moins d'autant de petits anneaux de verre, tels que nous les allons décrire, qu'il y a des roquetins. Je dis au-moins ; car à parler exactement, on ne se regle point sur les roquetins de la cantre pour la quantité de maillons, aiguilles, &c. Au-contraire, on ne forme la cantre que sur la quantité de cordages dont on veut monter le métier, parce qu'on fait des velours à 800 roquetins & à 1000, suivant la beauté qu'on veut donner à l'étoffe, les velours à 1000 étant plus beaux que ceux de 800. Dans ce cas, le métier est la premiere chose qu'on dispose, après quoi on se conforme à la quantité convenable des roquetins, ou à-proportion du cordage. Ces petits anneaux sont oblongs ; ils sont percés à leur extrêmité de deux petits trous ronds ; & au milieu, ou entre ces deux petits trous ronds, d'un troisieme beaucoup plus grand, & à-peu-près quarré ; les bords de ces trois trous sont très-polis & très-arrondis. On appelle ces petits corps ou anneaux de verre, maillons.

Il faut avoir autant d'aiguilles de plomb qu'il y a de roquetins ou de maillons. Ces aiguilles de plomb sont percées à l'une de leur extrêmité d'un petit trou, ont environ 3 lignes de longueur, & pesent à-peu-près chacune 2 onces.

On prend un fil fort, on en passe un bout dans un des trous ronds d'un maillon ; on ramene ce bout à l'autre bout, & on fait un noeud ordinaire avec tous les deux : on passe un autre fil dans l'autre trou rond du même maillon qu'on noue, comme on l'a prescrit pour le premier trou.

On garnit de la même maniere tous les maillons de deux fils doubles, passés chacun dans un de leurs trous ronds.

Puis on prend un maillon avec ces deux fils doubles ; on passe le noeud d'un de ces fils doubles dans le trou de l'aiguille, on prend le noeud de l'autre fil double, on le passe entre les deux brins de fil qui sont unis par le premier noeud, & l'aiguille de plomb se trouve attachée à l'extrêmité nouée du premier des fils doubles.

On en fait autant à toutes les aiguilles, & l'on a quatre choses qui tiennent ensemble. Un premier fil double, dont les deux extrêmités sont nouées ensemble, & qui forme une boucle dans laquelle l'un des trous ronds d'un maillon est enfilé ; le maillon ; un second fil double, dont les deux extrêmités sont nouées ensemble, & qui forme une boucle dans laquelle l'autre trou rond du maillon est enfilé, & l'aiguille qui tient à l'extrêmité nouée de ce second double fil.

Le premier fil double s'appelle maille de corps d'en-haut.

Le second fil double s'appelle maille de corps d'en-bas.

Il y a donc autant de mailles de corps d'en-haut que de maillons ; autant de maillons que de mailles de corps d'en-bas ; autant de mailles de corps d'enbas que d'aiguilles, & autant d'aiguilles de mailles de corps d'en-bas, de maillons, de mailles de corps d'en-haut, que de roquetins.

Après ces premieres dispositions, on commence à monter le métier, ou à faire ce que les ouvriers appellent remettre.

Pour cet effet, on prend une tringle de bois, on la passe entre les fils des mailles de corps d'en-haut, de maniere que tous les noeuds soient à côté les uns des autres ; on suppose cette tringle aux deux estases, ensorte que les maillons soient à la portée de la main de l'ouvrier assis.

On ne passe point de tringle de bois pour suspendre les maillons & les aiguilles. Dans le bon ordre, on attache chaque maille de corps d'en-haut à l'arcade qui doit la retenir ; l'arcade étant attachée à la corde de rame, tout le corps composé de mailles, maillons & aiguilles se trouve suspendu, comme il doit l'être lorsque le métier travaille. Nous expliquerons moins ici comment les choses s'exécutent dans une manufacture toute montée, & où l'on n'a rien à desirer du côté des commodités, que dans un lieu où tout manque, & où l'on se propose de monter un métier.

Il s'assied le dos tourné vers le devant du métier, la tringle & les mailles de corps sont entre lui & la cantre. Alors un autre ouvrier placé vers la cantre, prend le fil de soie du premier roquetin de la premiere rangée d'en-haut à gauche, & le donne au premier ouvrier qui le passe dans l'ouverture du milieu du premier maillon qu'il a à sa gauche ; on lui tend le fil de soie du second roquetin de la même rangée parallele au grand côté gauche de la cantre, qu'il passe dans le trou du milieu du second maillon à gauche ; on lui tend le fil du troisieme roquetin de la premiere rangée, parallele au grand côté gauche de la cantre, qu'il passe dans le trou du milieu de la premiere rangée parallele au grand côté gauche de la cantre, & ainsi de suite jusqu'à la fin de cette premiere rangée. Il passe à la seconde, sur laquelle il opere de la même maniere, en commençant ou par son premier roquetin d'en-haut, ou par son premier roquetin d'en-bas. Si l'on commence par le premier roquetin d'en-haut, on descendra jusqu'en-bas, & il faudra observer le même ordre jusqu'à la fin des rangées, commençant toujours chaque rangée par les premiers roquetins d'en-haut ; au-lieu que si après avoir commencé la premiere rangée par son premier roquetin d'en-haut, on commence la seconde par son premier roquetin d'en-bas ; il faudra commencer la troisieme par son premier roquetin d'en-haut, la quatrieme par son premier roquetin d'en-bas, & ainsi de suite.

On verra dans la suite la raison de la liberté qu'on a sur cet arrangement, qui n'influe en rien sur l'ouvrage, mais seulement sur le mouvement de certains roquetins de la cantre, qui fournissent de la soie, & qui se reposeroient, si l'on avoit choisi un autre arrangement, lorsqu'on vient à tirer les cordes du sample.

Les fils de soie des roquetins sont collés au bord des roquetins, afin qu'on puisse les trouver plus commodément ; il faut que l'ouvrier qui les tend à l'autre ouvrier, ait l'attention de bien prendre tous les brins ; sans quoi la soie de son roquetin se mêlera ; il faudra la dépasser du maillon, & chercher un autre bout, ce qu'on a quelquefois bien de la peine à trouver, au point qu'il faut mettre un autre roquetin à la place du roquetin mêlé. Les 200 fils de roquetin de la cantre se trouveront donc passés dans les 200 maillons ; le premier fil de la premiere rangée à gauche du haut de la cantre, dans le premier maillon à gauche, & ainsi de suite dans l'un ou l'autre des ordres dont nous avons parlé.

Il faut observer que celui qui reçoit & passe les fils des roquetins dans les maillons, les reçoit avec un petit instrument qui lui facilite cette opération. Ce petit instrument n'est autre chose qu'un fil-de-laiton assez mince, dont l'ouvrier tient un bout dans sa main ; son autre bout est recourbé, & forme une espece de petit hameçon ; il passe cet hameçon dans le trou du milieu du maillon, accroche & attire à soi le fil de soie qui lui est tendu, & qui suit sans peine le bec de l'instrument à-travers le maillon. Cet instrument s'appelle une passette.

L'ouvrier a à côté de soi, à sa gauche, une autre tringle de bois placée perpendiculairement & posée contre les suspensoirs de la premiere tringle, qui soutient les mailles de corps ; cette seconde tringle soutient une navette qu'on y a attachée, & l'ouvrier passe derriere cette navette les fils des roquetins, à mesure qu'il les amene avec la passette à-travers les maillons ; ils sont arrêtés là entre le dos de la navette & la tringle, & ne peuvent s'échapper.

Lorsqu'il y en a un certain nombre de passés à-travers les maillons, & de retenus entre la tringle & la navette, il les prend tous, & forme un noeud commun à leur extrêmité ; ce noeud les arrête & les empêche de s'échapper, comme ils en font effort en vertu des petits plombs qui pendent des roquetins, & qui tirent en sens contraire.

Ces paquets de fils de roquetins noués & passés par les maillons, s'appellent des berlins. Ainsi faire un berlin, c'est nouer un paquet de fils de roquetins passés par les maillons, afin de les empêcher de s'échapper.

Après qu'on a passé tous les fils de roquetins par les maillons, on place le cassin.

Pour procéder méthodiquement, le cassin & tout ce qui en dépend, peut & même doit être placé avant que de placer les branches des roquetins dans les maillons.

Imaginez deux morceaux de bois de quatre piés de longueur sur trois pouces d'équarrissage, assemblés parallelement à un pié & demi de distance l'un de l'autre par deux petites traverses enmortaisées à deux pouces de chacune de leurs extrêmités ; concevez sur chacun de ces deux morceaux de bois un triangle rectangle, construit de deux morceaux de bois, dont l'un long de quatre piés sur trois pouces d'équarrissage, fasse la base, & l'autre long de deux piés sur trois pouces d'équarrissage, fasse le côté perpendiculaire. Ces deux côtés s'emmortaisent ensemble par leurs extrêmités qui forment l'angle, & par leurs deux autres extrêmités avec l'une des deux pieces dont nous avons parlé d'abord. Imaginez ensuite une petite traverse qui tienne les deux extrêmités des triangles fixes dans la même position, ensorte que les deux triangles placés parallelement ne s'inclinent point l'un vers l'autre, & une autre traverse placée parallelement à la précédente de l'une à l'autre base des triangles, à une distance plus ou moins grande de celle du sommet, selon l'ouvrage que l'on a à exécuter.

Soit cet intervalle parallélogrammatique formé par deux parties égales des bases, & deux traverses paralleles, dont l'une va d'un des sommets des triangles à l'autre, & l'autre coupe les deux bases ; soit, dis-je, cet intervalle rempli de petites poulies, nous supposerons ici qu'il y en a cinq rangées de dix chacune, paralleles aux traverses, ou dix rangées de cinq chacune, paralleles aux parties des bases ou aux deux autres côtés de l'espace parallelogrammatique. Cet assemblage des deux morceaux de bois fixés parallelement par deux traverses, & sur chacun desquels on construit un triangle, qu'on tient paralleles par deux autres traverses, & où ces traverses forment avec les parties des bases qu'elles occupent, une espace parallelogrammatique, un espace rempli de poulies rangées parallelement, est ce qu'on appelle un cassin.

On pose cette machine sur les deux estases du métier, de maniere que les cassins de sa base soient perpendiculaires aux estases, & que les bases des triangles soient tournées vers quelque mur voisin. Il faut aussi laisser entre le cassin & les piliers de devant du métier une certaine distance, parce que cette distance doit être occupée par plusieurs lisses, par l'ensuple. Fixez le cassin sur les estases avec de bonnes cordes qui le tiennent immobile, & même en état de résister à quelque effort. C'est pour lui faciliter cette résistance, & par une autre raison qu'on concevra mieux dans la suite, je veux dire de laisser de l'intervalle & un jeu plus libre aux ficelles qui passent sur les poulies, qu'elles ont été disposées sur les bases, & non sur les côtés des triangles ; car il semble d'abord qu'on eût pu s'épargner les bases, en plaçant les poulies sur les côtés perpendiculaires des triangles.

Cela fait, cherchez contre le mur qui regarde les devants du cassin, un point un peu plus élevé que le sommet du cassin, mais répondant perpendiculairement au milieu de la traverse d'en-haut du cassin. Plantez en ce point un piton de fer qui soit fort ; passez-y une corde à laquelle soit attaché par le milieu un gros bâton : ce bâton s'appelle bâton des cramaillieres du rame.

Attachez à chaque extrêmité de ce bâton deux cordes doublées, afin que le bâton puisse tenir dans la boucle d'un des doubles, & qu'on puisse fixer un autre bâton dans l'autre boucle. On appelle ces cordes cramaillieres du rame ; & l'autre bâton qui est retenu par cramaillieres, qui est tourné, & auquel on a pratiqué deux moulures, une à chaque extrêmité, dans lesquelles sont placées les boucles des extrêmités des cramaillieres, s'appelle bâton de rame.

Sur ces bâtons sont montées autant de cordes qui l'environnent par un bout, & d'une longueur telle que leur autre extrêmité passant sur les poulies du cassin, puisse descendre jusqu'entre les estases.

On commence par enverger ces cordes, afin qu'on puisse les séparer facilement, & les faire passer chacune sur la poulie qui leur convient.

Pour enverger ces cordes & tout autre paquet de cordes, on les laisse pendre, puis on tient l'index de la main gauche & le pouce paralleles ; on prend la premiere, on la place sur l'index, & on la fait passer sous le pouce. On prend la seconde corde qu'on fait passer sous l'index & sur le pouce ; la troisieme qu'on fait passer sur l'index & sous le pouce, la quatrieme qu'on fait passer sous l'index & sur le pouce, & ainsi de suite. Il est évident que toutes ces cordes se trouveront rangées sur les doigts de la même maniere que sur le bâton de rame, & qu'elles feront angle entre les doigts, c'est-à-dire qu'elles seront croisées ; on prend ensuite une ficelle dont on passe un bout le long de l'index, & l'autre bout en même sens le long du pouce ; on prend ensuite les extrêmités de cette ficelle, & on les noue : ce qui tient les cordes de rame croisées.

La totalité de ces cordes passées sur les poulies du cassin s'appelle le rame.

Il y a autant de cordes de rame que de poulies au cassin, par conséquent dans l'exemple que nous avons choisi, il y a cinquante cordes de rame.

La premiere corde de rame à gauche passe sur la premiere poulie d'en-bas de la premiere rangée parallele au côté gauche du cassin ; la seconde corde passe sur la seconde poulie en montant de la même rangée ; la troisieme corde sur la troisieme poulie en montant de la même rangée ; la quatrieme corde sur la quatrieme poulie en montant de la même rangée ; la cinquieme corde sur la quatrieme poulie en montant ; la sixieme corde sur la premiere poulie d'en-bas de la seconde rangée ; la septieme corde sur la seconde poulie en montant de la seconde rangée ; la huitieme corde sur la troisieme poulie, & ainsi de suite en zigzag de rangées en rangées.

Quand on a passé toutes les cordes du rame sur les poulies du cassin dans l'ordre que nous venons d'indiquer, on en fait un berlin, c'est-à-dire qu'on les lie toutes en paquet par le bout, afin qu'elles ne s'échappent point.

Il y a dans chacune de ces cordes du rame un petit anneau de fer enfilé. On appelle cet anneau oeil de perdrix.

Les cordes du rame passées sur les poulies, on a des ficelles qu'on plie en deux ; on prend une, deux ou trois de ces ficelles, on les plie toutes ensemble en deux, & on y fait ensuite une boucle, d'où il arrive qu'il part du noeud de chaque boucle deux, quatre, six, huit & dix bouts ; on prépare de ces petits faisceaux de cordes, autant qu'on a de poulies au cassin : il en faut donc cinquante ici. Ce sont ces faisceaux de cordes pliées en deux & jointes ensemble par le noeud d'une boucle, une-à-une, ou deux-à-deux, ou trois-à-trois, qu'on appelle arcades. Il faut qu'il y ait autant de bouts de ficelles aux arcades que de roquetins à la cantre, que de maillons, que de mailles de corps, & il faut qu'il y ait à chaque boucle des arcades, autant de bouts que l'on veut que le dessein soit répété de fois sur la largeur de l'étoffe. Dans l'exemple proposé, nous voulons que le dessein soit répété quatre fois ; il faut donc prendre deux ficelles, les plier en deux, & les unir par une boucle, au-delà du noeud, de laquelle il partira quatre bouts.

Après qu'on a préparé les ficelles ou faisceaux, ou boucles, qui doivent former les arcades, on a une planche percée d'autant de trous qu'il y a de bouts de ficelles aux arcades, ou de mailles de corps, ou de maillons, ou de fils de roquetins, ou de roquetins à la cantre.

Les trous de cet ais percé sont par rangées ; il y a autant de trous sur la largeur de la planche qu'il a de poulies dans une rangée du cassin parallele au côté du cassin.

On peut considérer ces rangées, ou relativement à la longueur de la planche, ou relativement à sa largeur. Je vais les considérer relativement à la largeur & relativement à la longueur. Commençons par la longueur. Il est évident que les quatre ficelles qui partent d'un faisceau d'arcades, étant destinées à rendre quatre fois le dessein, par conséquent destinées à lever chacune la premiere de chaque quart du nombre des mailles de corps, puisque toutes les mailles de corps sont destinées toutes à former toute la largeur de l'étoffe, & que le dessein doit être répété quatre fois dans toute la largeur de l'étoffe ; or il y a 200 mailles de corps : donc les quatre brins du premier faisceau d'arcades répondront à la premiere corde de maille de chaque cinquantaine ; en deux cent il n'y a que quatre cinquantaines. En supposant donc quarante trous selon la longueur de la planche par rangées, & cinq trous par rangées selon la largeur, il est évident que la planche sera percée de deux cent trous, & qu'en faisant passer la premiere ficelle du premier faisceau d'arcade dans le premier des dix premiers trous de la premiere rangée longitudinale, la seconde ficelle du même faisceau dans le premier trou de la seconde dixaine ; la troisieme dans le premier trou de la troisieme dixaine, & la quatrieme dans le premier trou de la quatrieme dixaine ; ces quatre brins répondront à la premiere de chaque quart des trous ; car puisqu'il y a quarante trous sur chaque rangée longitudinale, & cinq trous sur chaque rangée latitudinale, on aura cinq fois dix trous ou cinquante trous, avant que d'en venir au second brin, cinq fois encore dix trous, avant que d'en venir à la seconde ficelle du même faisceau ou cinquante autres trous, & ainsi de suite.

Ces trous sur la planche sont à quelque distance les uns des autres, & sont percés en tiers point, ou ne se correspondent pas. On a suivi cet arrangement pour faciliter le mouvement de toutes ces cordes.

On passe la premiere ficelle du premier faisceau d'arcade dans le premier trou en commençant à gauche de la premiere rangée latitudinale : la premiere du second faisceau dans le second trou de la même rangée : la premiere du troisieme faisceau dans le troisieme trou de la même rangée : la premiere du quatrieme faisceau dans le quatrieme trou de la même rangée : la premiere du cinquieme faisceau dans le cinquieme trou de la même rangée. On passe la premiere ficelle du sixieme faisceau dans le premier trou en commençant à droite de la seconde rangée latitudinale ; la premiere du septieme faisceau dans le second trou de la même rangée, ainsi de suite jusqu'à cinquante ; quand on est parvenu à cinquante, il est évident qu'on a épuisé toutes les premieres ficelles de tous les faisceaux d'arcades, & qu'on rencontre alors les secondes. On passe les cinquante secondes comme les cinquante premieres, les cinquante troisiemes comme les cinquante secondes, les cinquante quatriemes comme les cinquante troisiemes ; & les deux cent cordes d'arcades se trouvent passées dans les deux cent trous de l'ais percé.

Voyons maintenant ce que deviendra cet ais percé de ses cinquante trous, dans lesquels passent deux cent fils dans l'ordre que nous venons de dire, de maniere qu'ils se meuvent tous quatre-à-quatre, les quatre du premier faisceau par les quatre premiers trous de chaque cinquante, les quatre du second faisceau par les quatre seconds trous de chaque cinquantaine, les quatre du troisieme faisceau par les quatre troisiemes trous des quatre cinquantaines, & ainsi de suite. On fait un berlin de tous ces bouts de ficelle, afin qu'ils ne s'échappent point des trous de l'ais, & l'on enfile dans une broche de fer tous les faisceaux, en faisant passer la broche par les boucles de chaque faisceau.

On suspend ensuite cet ais percé par deux ficelles qui l'embrassent aux estases ; sa longueur tournée vers le devant du métier. Les bouts des ficelles qui passent par ses trous, s'étendent vers les mailles de corps, & les faisceaux enfilés dans la broche sont tournés vers le cassin.

On prend la premiere maille de corps, & on l'attache au premier bout des ficelles d'arcades qui passe par le premier trou à gauche de la rangée latitudinale, ou de cinq trous ; on attache la seconde maille de corps à la seconde ficelle qui passe par le second trou de la même rangée ; la troisieme maille, à la troisieme ficelle de la même rangée ; la quatrieme maille à la quatrieme ficelle de la même rangée ; la cinquieme maille à la cinquieme ficelle de la même rangée ; la sixieme maille à la premiere ficelle qui passe par le premier trou à droite de la seconde rangée, parallele à la précédente ; la septieme maille à la seconde ficelle du second trou de la même rangée, & ainsi de suite.

L'usage est d'attacher les arcades aux cordes de rame, avant que d'attacher les mailles de corps aux arcades. Car comment seroit soutenue l'arcade, la maille du corps y étant attachée, si l'arcade même n'est pas attachée à quelque chose ? D'ailleurs quel embarras ne seroit-ce pas de manier toutes ces mailles de corps dont le maillon seroit rempli de soie ? Convenons donc que la maille de corps & le maillon, seront plus aisés à manier quand ils seront vuides, que quand ils seront pleins.

De-là on passe au cassin ; on prend la ficelle qui passe sur la premiere poulie d'en-bas de la rangée de cinq poulies paralleles au côté gauche du cassin, & l'on y attache le premier faisceau d'arcades, ou le faisceau dont le premier bout passe dans le premier trou à gauche de la premiere rangée latitudinale. On prend la ficelle qui passe sur la seconde poulie, en montant de la même rangée, & l'on y attache le second faisceau d'arcades, ou celui dont le premier bout passe dans le second trou de la même rangée latitudinale. On prend la ficelle qui passe sur la troisieme poulie en montant de la même rangée, & on y attache le troisieme faisceau d'arcades, ou celui dont le premier bout passe par le troisieme trou de la premiere rangée latitudinale. On prend le quatrieme faisceau d'arcades, ou celui dont le premier bout passe par le quatrieme trou de la premiere rangée latitudinale, & on l'attache à la ficelle qui passe sur la quatrieme poulie en montant de la même rangée. On prend la ficelle de la cinquieme poulie en montant de la même rangée, & on y attache le cinquieme faisceau d'arcades, ou le faisceau dont le premier bout passe par le cinquieme trou de la premiere rangée latitudinale. On prend la ficelle qui passe sur la premiere poulie d'en-haut de la seconde rangée, & on y attache le sixieme faisceau d'arcade, ou celui dont le premier bout passe dans le premier trou à droite de la seconde rangée latitudinale, & ainsi de suite pour les autres ficelles & les autres faisceaux d'arcades.

Il s'ensuit de cet arrangement, qu'il y a autant de cordes de rames que de poulies au cassin, que de faisceaux d'arcades, ou quatre fois plus que de ficelles d'arcades, ou quatre fois moins que de trous à la planche, ou quatre fois moins que de mailles de corps, que de maillons, que de fils de roquetins, que de mailles de corps d'en-bas, & que d'aiguilles de plomb.

Les mailles de corps, maillons, mailles de corps, & les mailles d'en-bas, forment donc avec une partie des arcades qui est au-dessous de la planche, une espece de parallelepipede de ficelles, dont la hauteur est de quatre à cinq piés, dont les faces tournées vers le devant & derriere du métier sont faites de quarante ficelles, & celles qui sont paralleles aux côtés du métier, sont faites de cinq ficelles, & dont la masse est de deux cent ficelles.

Voici une table qui représente à merveille les rapports & les correspondances des roquetins, des fils de roquetins ou maillons, des mailles de corps, des arcades, de la planche percée, des poulies du cassin, & du rame.

Les ficelles d'arcades qui sont au-dessus de l'ais percé, forment une espece de pyramide à quatre faces, dont le sommet est tourné vers le cassin, & est placé aux noeuds des arcades des cordes de rames, & dont les faces qui regardent le devant & le derriere du métier ont quarante ficelles, & celles qui regardent les côtés ont cinq ficelles.

La partie des cordes de rames qui va des arcades aux poulies du cassin, est une autre pyramide à quatre côtés, opposée au sommet à la précédente inclinée sur le plan dans lequel sont placées les poulies du cassin ; ses faces tournées vers le devant & derriere du métier n'ont que cinq ficelles, & ses faces tournées vers les côtés du métier en ont dix. Cela est évident pour quiconque a bien entendu tout ce que nous avons dit jusqu'à présent.

Planche percée

Maillons ou mailles de corps.

Cantre.

Aiguilles, mailles de corps d'en-bas, mailles de corps d'en-haut.

Ais ou planche percée, sa figure, ses trous, leurs dispositions, ou celle des fils d'arcade, ou le nouvelle forme que prennent les mailles de corps. On voit les mailles de corps partagées en cinquantaine. La cinquantaine G H des mailles de corps répond à le cinquantaine G H, & ainsi de suite ; & les mailles de chaque cinquantaine, aux trous marqués des mêmes chiffres.

Cela fait, on peut tirer la tringle de bois attachée aux estases, & qui soutenoit les mailles de corps ; elles tiennent maintenant aux arcades, les arcades aux ficelles du rame, & les cordes du rame au bâton de rame, le bâton de rame aux cramailleres, & les cramailleres à leur bâton, leur bâton à deux cordes, & ces cordes à un point fixe.

Il faut observer qu'en attachant les mailles de corps aux arcades, & les arcades aux cordes de rames, on a fait d'abord des boucles & non des noeuds, afin de pouvoir mettre toutes les ficelles de longueur convenable, tenir les maillons à-peu-près de niveau les uns aux autres, portant les noeuds des mailles de corps tous dans un même plan horisontal, de même que les noeuds des arcades & des cordes de rame.

C'est ici le lieu d'apprendre à faire un noeud fort commode, à l'aide duquel sans rien dénouer en tirant l'un ou l'autre des côtés du noeud, on fait descendre ou monter un objet. Voici comment on s'y prendra : prenez un bout de ficelle de telle longueur qu'il vous plaira ; attachez en un bout à un objet fixe ; faites une boucle à un pouce de cet objet ; que cette boucle ne soit ni grande ni petite ; prenez le bout qui reste de la ficelle après la boucle faite ; passez-le dans la boucle, ensorte que cela forme une seconde boucle : prenez l'extrêmité du bout passé dans la premiere boucle ; passez ce bout dans la seconde boucle, de maniere que vous en ayez même une troisieme ; vous arrêterez cette troisieme boucle, en nouant le bout de la ficelle, avec la partie qui forme la troisieme boucle, & laissant subsister cette troisieme boucle.

Cela fait, on prend l'ensuple de derriere sur laquelle est disposée la soie croisée sur le dévidoir, & tenue croisée par le moyen d'un petit cordon de soie dont on passe un des bouts le long des angles que font les fils croisés, ramenant le même bout le long des autres angles opposés au sommet des mêmes fils croisés, & nouant ensuite les deux bouts ensemble.

L'ensuple de derriere est un rouleau de bois auquel on a pratiqué à chaque extrêmité, une moulure dans laquelle s'applique les deux tasseaux échancrés attachés aux piliers de derriere du métier. On dispose la soie sur l'ensuple, en la faisant passer à-travers un rateau ou une espece de peigne : au sortir des dents du peigne, on prend les bouts de soie ; on a deux petites baguettes rondes, entre lesquelles on les serre ; on enveloppe d'un tour ou deux ces baguettes avec la soie ; il y a une rainure dans l'ensuple ; on enferme ces deux baguettes dans la rainure ; on continue d'envelopper ensuite la soie sur l'ensuple, à mesure qu'elle sort du peigne, jusqu'à ce qu'on soit à la fin.

C'est dans cet état qu'est l'ensuple, lorsqu'on la met sur les tasseaux échancrés.

Pour achever le montage du métier.

On est deux : l'un entre le corps de mailles & l'ensuple de derriere, & l'autre entre l'ensuple de devant ou les deux piliers de devant, & le corps.

On commence par substituer des envergures à la ficelle, qui passoit par les angles opposés au sommet formé par les fils.

Ces envergures sont des bâtons percés par leur longueur ; lorsqu'ils sont à la place du cordon, & qu'ils tiennent les fils de soie croisés, on les arrête chacun d'un petit cordon de soie qu'on noue, afin que s'ils venoient à s'échapper d'entre les soies, elles ne se mêlassent point, mais qu'on pût toujours replacer les bâtons, les séparer, & les tenir croisés.

Cela fait, celui qui est entre l'ensuple de derriere & les mailles de corps, divise les fils de soie par berlins qu'il tient de la main gauche ; de la droite, il sépare les fils avec le doigt par le moyen des envergures. Pour concevoir cette séparation, imaginez deux fils croisés & formant deux angles opposés au sommet où ils sont appliqués l'un contre l'autre. Il est évident que si ces deux fils sont tenus croisés par deux bâtons passés entre les deux côtés d'un angle d'un côté, & les deux côtés d'un angle de l'autre, le sommet de l'angle se trouvera entre les bâtons ; de plus que si la partie d'un des fils qui forme un côté d'un des angles, passe dessus un des bâtons, la partie qui forme le côté de l'autre angle passera dessous, & qu'en supposant que la partie du fil que l'ouvrier a de son côté qui forme le côté de l'angle qui est à gauche, passe sous le bâton qui est à gauche, l'autre passera dessous le bâton qui est à droite, & qu'en pressant du doigt cette derniere partie, on séparera très-distinctement un des fils de l'autre ; & que s'il y en avoit un troisieme qui croisât le dernier, c'est-à-dire, dont la partie qui fait le côté de l'angle qui est à gauche, passât sur le bâton, & l'autre dessous, en pressant du doigt la premiere partie de ce fil, on la feroit sortir ou l'écarteroit du second fil.

Il est encore évident qu'on fait sortir de cette maniere les fils les uns après les autres, selon leur vraie disposition, & que s'il en manquoit un qui se fût rompu, on connoîtroit toujours sa place.

Car il faut pour faire sortir les fils presser du doigt alternativement la partie de fils qui passent dessus & qui passent dessous les bâtons ; au lieu que s'il manquoit un fil, il faudroit presser deux fois du même côté. S'il manquoit un fil, il s'en trouveroit deux sur une même verge ; ce qui s'appelle en terme de l'art soraire.

L'ouvrier qui tient la chaîne de la main gauche, sépare les fils les uns après les autres, par le moyen de leur encroisement & des envergures, avec l'un des doigts de la droite ; observant bien de ne pas prendre un brin pour un fil, cela est fort facile.

Comme il y a beaucoup plus de fils à la chaîne que de fils de poil ou de roquetins, ou de mailles de corps, & que l'opération que je décris consiste à distribuer également tous les fils de la chaîne entre les mailles de corps, il est évident qu'il passera entre chaque maille de corps un nombre plus ou moins grand de fils de chaîne, qu'il y aura moins de roquetins & plus de fils de chaîne.

Ici nous avons supposé deux cent roquetins, & par conséquent deux cent mailles de corps ; nous allons maintenant supposer douze cent fils à la chaîne, sans compter ceux de la lisiere qu'on fait ordinairement d'une autre couleur. Pour savoir combien il faut placer de fils de chaîne entre chaque fil de roquetin ou maille de corps, il n'y a qu'à diviser le nombre des fils de chaîne par celui des mailles de corps, & dire par conséquent ici, en 1200 combien de fois 200, ou en 12 combien de fois deux ; on trouve 6, c'est-à-dire, qu'il faut distribuer entre chaque maille de corps, six fils de chaîne.

Mais en distribuant entre chaque maille de corps six fils de chaîne, il y aura une maille de corps qui se trouvera libre, que la chaîne n'embrassera pas ; mais la chaîne faisant le fond de l'étoffe, & les mailles de corps ne servant qu'au mouvement des fils de roquetins qui sont destinés à figurer sur le fond de l'étoffe ; il faut que tous ces fils de roquetins soient embrassés par les fils de chaîne.

Comment donc faire ? car voici deux conditions qui semblent se contredire ; l'une que les mailles de corps soient toutes prises dans la chaîne, & l'autre que la chaîne soit également distribuée entre les mailles de corps.

Voici comment on s'y prend. Par exemple dans le cas présent on commence par mettre trois fils de chaîne sur la premiere maille de corps, ou hors du corps, on met ensuite six fils de chaîne entre la premiere & la seconde maille de corps, six entre la seconde & la troisieme, & ainsi de suite.

D'où il arrive qu'il reste à la deuxcentieme maille de corps, trois fils de chaîne qui sont sur elle & hors du corps, & que l'on satisfait à toutes les conditions. Ainsi l'ouvrier qui est entre le corps & l'ensuple de derriere, commence dans le cas dont il s'agit, par séparer avec un des doigts de la main droite, trois fils de chaîne, qu'il donne à l'ouvrier qui est entre le corps & l'ensuple de devant ; cet ouvrier les prend & les met entre une navette attachée à une tringle de bois fixée à son côté gauche, à l'estase, ou au cassin. Le premier ouvrier sépare six fils de chaînes, qu'il tend au second, qui les passe entre la premiere & la seconde maille de corps, & ainsi de suite jusqu'à la fin de la chaîne & des mailles de corps.

Les mailles de corps & les maillons ou fils de roquetin sont placés de maniere que la chaîne passe audessus des maillons ou fils de roquetins, à-peu-près de la hauteur de trois ou quatre pouces.

Il faut observer deux choses, c'est qu'il y a sur la premiere & derniere maille de corps, outre les trois fils de chaîne dont nous avons parlé, les fils qui doivent composer la lisiere, qui sont en plus ou moins grand nombre, selon que l'on veut que la lisiere soit plus ou moins grande, ou forte ; ici il y a de chaque côté du corps pour faire la lisiere, quarante fils ; ces fils de la lisiere sont placés sur l'ensuple de derriere avec la chaîne, & envergés comme elle.

Après cette premiere distribution, on prend le châtelet, ou autrement dit la petite carette, & on la place sur les estases à côté du cassin ; ou plutôt tout cela doit être placé avant aucune opération.

La belle & bonne méthode pour monter un métier, soit velours, soit broché, est de bien ajuster & attacher le rame, les arcades & le corps, les ayant passés ainsi qu'il vient d'être exposé ; après quoi on enverge les mailles de corps selon l'ordre qu'elles ont été passées, & on passe dans l'envergure deux cannes ou baguettes assez fortes pour rendre le corps parallele à l'ensuple de devant ou de derriere : on fait descendre les deux cannes ou baguettes, près des aiguilles, à quatre pouces environ de distance l'une de l'autre, & quand il s'agit de passer les branches de roquetin dans les maillons, on n'a besoin que de suivre l'envergure du corps. Ordinairement on passe la chaîne du velours entre les maillons, & après que la chaîne est passée, on tire l'envergure qui devient inutile, parce que chaque maille de corps est suffisamment séparée par les fils de la chaîne, qui ont précédé cette opération. Les roquetins sont toujours passés les derniers, au-lieu qu'ici c'est la premiere chose par laquelle on a débuté pour plus de clarté.

Pour se former une idée de la carette, imaginez, comme au cassin, deux morceaux de bois paralleles, de même grosseur, longueur, & tenus à quelque distance l'un de l'autre, & parallelement par deux petites traverses. Sur chacun de ces morceaux, on en assemble deux autres perpendiculairement, à quelque distance de l'extrêmité des premiers qui servent de base à la carette ou au châtelet ; ces deux derniers ont plus ou moins de hauteur ; ils sont percés par leur extrêmité chacun d'un trou correspondant qui puisse recevoir une verge de fer.

Perpendiculairement à l'extrêmité des pieces qui servent de base, & parallelement à ces morceaux perpendiculaires & percés, on en éleve deux autres qui s'assemblent avec la piece de base, qui sont un peu plus bas que les morceaux percés, & qui sont assemblés par leur extrêmité par une traverse.

On a autant de petits morceaux de bois plats, & allant un peu en diminuant par les bouts, de la longueur de trois piés, & percés tous par le milieu, qu'il y a de lisses à l'ouvrage : on enfile ces morceaux de bois dans la verge de fer : on met entre chacun & les deux pieces perpendiculaires de la carette qui doit leur servir d'appui, en recevant dans les trous faits à leur extrêmité, la broche qui les traverse, des petites roulettes de bois pour tenir ces especes de petits leviers séparés, qui outre les trous qui sont au milieu, en ont encore chacun un à chaque extrêmité, dans une direction contraire à celui du milieu : car ces trous des extrêmités sont percés de bas en haut, & ceux du milieu sont percés horisontalement ; on appelle ces petits leviers aleirons ; la verge de fer leur sert de point d'appui, & leur queue est soutenue sur la traverse des petites pieces perpendiculaires à l'extrêmité des deux pieces qui sont paralleles aux morceaux percés qui reçoivent la broche ou fil de fer. Cet assemblage des aleirons, des morceaux de bois parallelement tenus par des traverses, des deux pieces percées par le haut & fixées à quelque distance des pieces paralleles de bases, & des deux autres moindres pieces, moins hautes que les précédentes, & assemblées par une traverse qui joint leur bout & placés tout-à-fait à l'extrêmité des pieces de base & moins haute que les pieces percées ; cet assemblage s'appelle la carette ou le châtelet ; on le met à quelque distance du cassin, sur les estases, les extrêmités du devant des aleirons répondans à l'endroit où doivent être placées les lisses, & les extrêmités de derriere des aleirons, ou ceux qui portent sur la traverse & qui sont plus bas, débordant l'estase : on fixe le châtelet ou la carette dans cet état.

La carette fixée, on prend des ficelles qu'on passe par l'extrêmité de derriere des aleirons, & on attache à ces ficelles des contrepoids capables de faire relever les extrêmités de devant des aleirons lorsqu'ils seront tirés, il y a un contrepoids à chaque aleiron ; les ficelles qui joignent des extrêmités de derriere des aleirons, aux contrepoids, sont passées auparavant dans un petit morceau de bois plat percé d'autant de trous qu'il y a de ficelles ; ces petits morceaux de bois empêchent les contrepoids de se mêler, & tiennent les ficelles dans une direction toujours parallele : on appelle les contrepoids carreaux ; ensuite on prend des ficelles qu'on plie en quatre, il faut qu'elles aient, pliées en quatre, environ un pouce & demi de longueur ; ces ficelles pliées en quatre, forment deux boucles à l'une de leur extrêmité : on fait un gros noeud à l'autre, de maniere qu'en passant les quatre brins par le trou fait à l'extrêmité de devant des aleirons, ils ne s'en échapassent pas ; ces quatre brins formant deux boucles, passées par le trou des aleirons, sont tournées en bas vers les marches ; & le noeud est en-dessus des aleirons : on prend autant de ces ficelles pliées en quatre, qu'il y a d'aleirons, & on les en garnit tous comme nous venons de dire.

Puis à chacune de ces boucles, on pratique le noeud coulant que nous avons appris à former, ce noeud à l'aide duquel un objet monte ou descend à discrétion ; il part donc deux boucles de l'extrêmité de chaque aleiron, & de chacune de ces boucles, un noeud coulant.

Ces noeuds coulans sont destinés à tenir les lisses suspendues à la hauteur convenable ; il faut que les mailles des lisses de chaîne ou de piece, soient paralleles à la partie supérieure de l'ensuple de devant & de derriere, ensorte que les fils de chaîne, les mailles de remisse, ou de toutes les lisses de piece ou de chaîne, & la partie supérieure des ensuples, sont toutes dans un même plan horisontal.

On suspend ensuite les lisses de chaînes aux noeuds coulans qui partent des extrêmités des aleirons, & on les tient dans la situation que nous venons d'indiquer.

Mais pour bien entendre ceci, il faut savoir ce que c'est qu'une lisse.

Il faut distinguer dans la lisse plusieurs parties : les premieres sont deux petits morceaux de bois plats, d'environ un pouce & demi de largeur, sur quatre à cinq lignes d'épaisseur.

Ces petits morceaux sont façonnés en queue d'aronde à leur extrêmité, & percés selon leur épaisseur d'un trou à chaque extrêmité, à quelque distance de la queue d'aronde : on appelle ces petits morceaux de bois lisserons : il y a deux lisserons à chaque lisse.

On a ensuite une ficelle assez longue pour aller d'un bout à l'autre du lisseron, & pour pouvoir s'attacher fermement aux trous des deux queues d'aronde du lisseron, & se tenir couchée sur l'épaisseur du lisseron : on prend sur cette ficelle une distance égale à celle de l'intervalle des deux trous qui traversent l'épaisseur du lisseron, ou même égale à la distance entiere du lisseron, excepté les queues d'aronde.

On fixe sur cette partie de la ficelle des bouts de fils pliés en deux, & formant une boucle : on a dans cet intervalle au-moins autant de boucles qu'il y a d'unités au quotient du nombre des fils de la chaîne & de la lisiere, divisés par le nombre des lisses de pieces : car les lisses de pieces augmentent ou diminuent en nombre, selon la qualité de l'étoffe que l'on veut travailler ; cette ficelle armée de ses morceaux de fils formant des boucles qui feront partie de ce qu'on appelle mailles de lisses, s'appelle la cristelle.

L'autre lisseron a sa queue d'aronde, sa cristelle, ses boucles, comme celui qui se vient de décrire, mais il faut observer que quand on a armé la cristelle de ses boucles, il a fallu les passer dans les boucles de l'autre ; ce sont ces boucles passées l'une dans l'autre, qui forment ce qu'on appelle la maille de lisse.

Les deux lisserons, les deux cristelles, avec les mailles de lisses, font ce qu'on appelle une lisse.

Lorsque les cristelles sont faites, on les finit sur l'épaisseur des lisserons, en passant le lisseron sous la cristelle, pour le lisseron d'en-haut, & sur la cristelle pour celui-d'en-bas, & attachant ensuite ces cristelles aux queues d'aronde des lisserons.

Quand on a les lisses, on prend les noeuds coulans qui descendent des aleirons, on les passe dans les trous percés dans l'épaisseur des lisserons, & on fait un noeud qui les empêche d'en sortir, & les lisses sont suspendues.

On commence par suspendre les lisses de pieces. Il doit y avoir dans l'exemple que nous avons choisi, cinq lisses de pieces ; & puisqu'il y a quatre-vingt fils de lisiere, & douze cent fils de chaîne, il faut diviser mille deux cent quatre-vingt par cinq, pour savoir combien il doit y avoir de mailles de lisses à chaque lisse : or mille deux cent quatre-vingt, divisé par cinq, donne deux cent cinquante-six, c'est-à-dire qu'il doit y avoir à chaque lisse de chaîne, deux cent cinquante-six mailles.

L'assemblage des cinq lisses de pieces, s'appelle remisse.

Dans les métiers montés comme il faut, on ne met point d'arbalête au lisseron d'en-bas, on y attache seulement à deux pouces de distance, un autre lisseron beaucoup plus court, auquel on donne le nom de faux lisseron, lequel est percé dans le milieu du dos, de la quantité de trous nécessaires pour la quantité d'estrivieres, dont chacune est passée dans un trou du faux lisseron. Cette façon de placer les estrivieres, rend la marche plus douce, & use moins de cordes.

On passe par les trous des lisserons d'en-bas des lisses, de petites ficelles qu'on appelle arbalêtes, parce qu'en effet elles font avec le lisseron, la figure d'une arbalête dont la corde seroit tournée vers le manche ; on attache à chaque arbalête une ficelle qui va trouver une marche à laquelle elle s'attache, & qu'elle tient suspendue ; cette ficelle s'appelle estriviere.

D'où l'on voit qu'en appuyant le pié sur la marche ; on tire l'estriviere qui tire l'arbalête, l'arbalête tire le lisseron, le lisseron tire la lisse, la lisse tire les noeuds coulans qui font descendre les extrêmités des aleirons, qui font lever leur autre extrêmité, & monter les carreaux qui remettent la lisse dans son premier état, si on ôte le pié de dessus la marche.

Lorsque les cinq lisses de pieces sont suspendues, il s'agit de distribuer entr'elles les fils de poils ou de roquetins, & les fils de chaîne, de lisiere, ou de piece.

La lisiere ne se passe ordinairement que quand les autres fils sont passés.

Voici comment on s'y prend.

On commence par les fils de chaînes ou de pieces, ou plutôt par ceux de lisiere.

Afin de les passer plus commodément, & les prendre bien dans l'ordre qu'ils doivent être pris, il faut faire passer l'envergure au-delà du corps.

Voici comment on s'y prend. On approche le plus près du corps que l'on peut, les deux verges ; puis on passe sa main le long de la verge la plus proche du corps ; on écarte le plus que l'on peut les deux parties de la chaîne, de maniere qu'elles paroissent séparées au-delà du corps ; alors on insere la main gauche entr'elles, observant bien de ne pas laisser à l'une un fil qui appartienne à l'autre, & de la gauche on tire la verge la plus voisine du corps, & on la met à la place de la main droite : cela fait, on presse le plus qu'on peut vers le corps, celle qui reste, & l'on éloigne le plus qu'on peut celle qu'on a déplacée ; il arrive de-là que l'endroit où les fils se croisent, s'avance au-delà du corps ; lorsqu'on s'en apperçoit, on insere la main droite entre les côtés des angles opposés au sommet, on tire de la gauche l'autre verge, & l'on la substitue à la main droite. Il est évident qu'en s'y prenant ainsi, l'envergure se trouve entre le corps & les lisses.

Cela fait, on continue l'opération à deux, un des ouvriers se place à côté des lisses, l'un est placé derriere les lisses à côté de l'envergure, l'autre est placé devant.

Les berlins de la chaîne sont attachés l'un après l'autre à une corde qui prenant à un pié de devant d'un côté, vient s'attacher à un pié de devant de l'autre, & forme une espece d'arc ; l'autre est placé vis-à-vis de lui, il prend les berlins de la chaîne & de la lisiere, & il commence par séparer un fil de lisiere à l'aide de l'envergure ; il le tire ensuite du berlin, & le présente au premier qui le prend & le passe dans la premiere maille de la lisse la plus voisine des lisses de poils ; pour la passer, voici ce qu'il fait.

On sait que cette maille est composée de deux boucles qui se coupent à angles droits ; or il prend la boucle d'en-bas, il y passe les doigts de la main gauche, en écarte les fils, l'éleve un peu au-dessus de l'extrêmité de la boucle d'en-haut, dont il écarte pareillement les fils qui la forment, en avançant les mêmes doigts & s'aidant de la droite, & il se fait une ouverture entre ces fils, dans laquelle il passe le fil de lisiere qui lui est présenté, puis il retire ses doigts, les boucles qui forment la maille se rapprochent par le poids des lisserons & des marches ; il ne faut point de marches quand on remet, elles embarrasseroient & chargeroient trop les lisses ; le fil de lisiere se trouve pris entre les boucles ou dans la maille, & ne peut plus ni descendre ni baisser, sans que la lisse descende ou baisse, quoiqu'il puisse fort bien glisser horisontalement.

Ce fil passé, l'ouvrier qui l'a passé le met derriere la navette attaché à la tringle qui est placée à sa gauche où il est arrêté ; cependant l'autre sépare un second fil de lisiere qui sort ensuite du berlin, qu'il tend à l'ouvrier qui le passe, comme nous avons dit, dans la premiere maille de la seconde lisse en descendant vers le corps ; il passe le troisieme fil dans la premiere maille de la troisieme lisse, en s'avançant vers le corps ; le quatrieme fil dans la premiere maille de la quatrieme lisse, en s'avançant vers le corps ; le cinquieme fil dans la premiere maille de la cinquieme lisse ou derniere vers le corps, du moins dans l'ouvrage que nous nous proposons de faire, où nous n'avons que cinq lisses de piece.

Lorsqu'il a passé le cinquieme fil dans la premiere maille de la cinquieme lisse, ou de la lisse la plus voisine du corps, il passe le sixieme fil dans la seconde maille de la premiere lisse de piece la plus voisine des lisses de poil ; le septieme dans la seconde maille de la seconde lisse, en s'avançant vers le corps, c'est-à-dire qu'il continue & reprend son opération toujours de la même maniere, jusqu'à-ce qu'il soit à la fin de la lisiere.

Quand il en est à la chaîne, il suit un ordre renversé, c'est-à-dire qu'il passe le premier fil de piece dans la premiere maille vacante de la lisse la plus voisine du corps, c'est la neuvieme maille, car il y a quarante fils de lisiere qui divisés par cinq, donnent huit, c'est-à-dire qu'ils occupent huit mailles de chaque lisse.

Il passe le second fil de piece dans la neuvieme maille de la lisse qui suit la plus voisine du corps, & ainsi de suite jusqu'à la cinquieme ; à la cinquieme, il revient à la lisse la plus voisine du corps ; cela fait, il recommence jusqu'à-ce qu'il ait épuisé les fils de piece, c'est-à-dire qu'il ne reste plus huit mailles vacantes dans chaque lisse ; pour remplir ces huit mailles vacantes, des quarante autres fils de lisiere, il abandonne l'ordre des fils de chaîne, & il reprend pour les passer l'ordre de lisses qu'il a suivi en passant les quarante premiers.

Cela fait, tous les fils de piece & de lisse se trouvent passés ; mais dans cette opération le remetteur a eu soin d'en faire des berlins, à mesure qu'ils augmentoient en nombre, afin de les empêcher de s'échapper, & celui qui les lui tendoit, avoit grand soin de les lui tendre en entier, c'est-à-dire bien séparés & avec tous leurs brins.

On distribue ensuite les fils de roquetin ou de poil, c'est précisément dans cette occasion qu'on doit commencer à passer les branches de roquetin dans les mailles de corps, ensuite entre celles du remisse, & après sur les deux lisses qui leur sont destinées. La distribution des fils de roquetin ne se fait pas comme celle des fils de piece.

Les fils de poil seront distribués entre les mailles de corps, tandis que les fils de roquetin passeront dans les maillons ; ici c'est le contraire, les fils de piece passent dans les mailles de lisse, & les fils de roquetin ou de poil passent entre elles ; mais voyons comment ils s'y distribuent. Il y a mille deux cent quatre-vingt mailles de lisse, & il n'y a que deux cent fils de roquetin.

De ces mille deux cent quatre-vingt mailles de lisse, comme il ne doit point y avoir d'ouvrage dans la lisse, il est évident que le fil de roquetin n'y devant point entrer, on commencera donc par en ôter quarante de chaque côté, ce qui les réduit à douze cent, c'est dans ces douze cent que les fils de roquetin doivent être contenus ; il est donc évident que c'est six mailles de lisse pour un fil de roquetin ; mais en s'y prenant ainsi, le premier ou le dernier fil de roquetin ne seroient pas compris dans les douze cent mailles de lisse ; pour cet effet après les quarante mailles d'un côté accordées aux fils de lisse, on en ôte encore trois, c'est-à-dire la neuvieme de la premiere lisse, ou de la plus voisine du corps, la neuvieme de la lisse suivante, & la neuvieme de l'autre, puis on passe un fil de roquetin ; on continue ensuite à distribuer un fil de roquetin entre les mailles de lisse, en comptant de six en six mailles il est évident qu'il reste après les neuf cent fils de roquetin distribués entre les mailles de lisse, comme nous venons de prescrire, trois mailles de lisse, plus les quarante destinées aux fils de lisiere.

On observe à mesure qu'on passe un fil de roquetin, de le fixer derriere la navette, & de faire des berlins quand il y en a un certain nombre de passés.

Cela fait, on place les deux lisses de poil ; nous allons voir comment les fils, tant de chaîne que de roquetin les occupent.

Ces deux lisses sont construites & attachées aux aleirons comme les premieres ; mais c'est encore ici l'ordre renversé ; les fils de poil ou de roquetin étoient distribués entre les mailles des autres lisses & les fils de piece ou de chaîne passoient dans les mailles, ici ce sont les fils de roquetin qui passent dans les mailles, & les fils de chaîne ou de piece sont distribués entre elles.

Pour ceux de lisieres, ils sont tous au-dehors de ces deux lisses, & vont droit au peigne sans les traverser.

On commence par passer les fils de roquetin dans les mailles ; ces lisses de poil n'ont pas plus de mailles chacune, qu'il y a de fils de roquetin, c'est-à-dire deux cent dans l'exemple que nous avons choisi.

D'où l'on peut conclure qu'un fil de roquetin passe dans deux mailles de lisse ; car chaque lisse ayant autant de mailles qu'il y a de fils de roquetin, les deux lisses ensemble auront deux fois plus de mailles qu'il n'y a de fils de roquetin.

Pour passer le premier fil de roquetin dans les deux lisses, on commence par tenir une de ces lisses plus haute que l'autre ; la premiere ou la plus voisine de l'ensuple de devant.

Il arrivera de-là que les mailles de ces lisses ne se trouveront plus dans le même plan, ne se correspondront plus ; mais que les boucles d'enbas de celles de devant s'ouvriront dans les boucles d'enhaut de celles de derriere ; & que si l'on prend un fil de roquetin & qu'on le conduise horisontalement à-travers les fils des deux premieres marches de ces lisses, ce fil de roquetin se trouvera entre les fils de la boucle d'enhaut de la derniere lisse, & entre les fils de la boucle d'enbas de la premiere, & cela d'un bout à l'autre des lisses.

D'où l'on voit que ces fils peuvent se mouvoir librement en montant dans la lisse de derriere, & librement en descendant dans la lisse de devant ; mais que la lisse de devant fera descendre tous les fils de roquetin, en descendant, & que la lisse de derriere les fera tous monter avec elle ; voila pour le passage des fils de roquetin dans les lisses de poil.

Quant à la distribution des fils de piece dans ces lisses, c'est la même que la distribution entre les mailles de corps.

Il y a ici autant de mailles de lisse de poil que de maillons ou que de fils de roquetin, & il y a six fois plus de fils de piece ; c'est donc six fils de piece pour un fil de poil ou de roquetin.

Mais comme il faut toujours que les fils de roquetin soient enfermés dans les fils de piece à cause de leur destination, qui est de former le dessein dans la piece, & que si l'on commençoit par mettre 6 fils de chaîne puis un fil de roquetin, & ainsi de suite, le dernier fil de roquetin se trouveroit hors de la chaîne ; on commence au contraire à laisser les trois premiers fils de chaîne, puis on prend un fil de roquetin, puis six fils de chaîne, puis un fil de roquetin, & ainsi de suite ; d'où il arrive que le dernier fil de roquetin a sur lui trois fils de chaîne.

Il faut observer qu'on n'a pas besoin de faire passer ici les envergures pour la distribution des fils ; car on est dirigé par les mailles des lisses précédentes pour les fils de chaîne, & par les maillons pour les fils de roquetin.

On a soin de tenir ces fils arrêtés à mesure qu'on les passe, & d'en faire toujours des berlins.

On tient les lisses de poil ou de roquetin un peu plus haut que les autres, afin que les fils de poil ou de roquetin se séparent davantage de la chaîne en-dessus, & que l'ouvrier puisse travailler plus commodément, soit avec les navettes, soit avec les fers de frisés & de coupés.

Cela fait, il ne s'agit plus que de distribuer dans le peigne tous ces fils.

Le peigne est composé de petites lames fort minces, assez proches les unes des autres, fixées paralleles les unes aux autres, dans deux petites traverses rondes.

On choisit dans ce peigne une quantité de dents proportionnée à la quantité de fils qu'on a à y distribuer, & à la grandeur de l'étoffe qu'on veut faire ; si l'on prenoit trop de dents pour la quantité de fils, alors le tissu seroit rare & l'étoffe mauvaise, le dessein mal exécuté.

Si au contraire on en prenoit trop peu, il se trouveroit trop de fils dans chaque dent du peigne, la séparation s'en feroit difficilement, il y auroit un frottement qui useroit les soies & les feroit casser, les fils se trouveroient les uns sur les autres, l'étoffe seroit trop compacte, mauvaise, & mal faite.

On a ici à distribuer dans les dents du peigne, quatre - vingt fils de lisiere, quarante de chaque côté de la chaîne, douze cent fils de chaîne, & entr'eux deux cent fils de roquetin.

On peut prendre d'abord quatre dents pour les quarante fils de lisiere d'un côté, dix à chaque dent, cent dents pour les fils de chaîne & de roquetin, c'est-à-dire douze fils de chaîne, & deux fils de roquetin à chaque dent.

Prenez quatre dents pour les quarante autres fils de lisiere, dix à chaque dent.

Si on baisse les lisses de roquetin, alors on ne verra que les fils de piece ou de chaîne s'élever, tous les autres fils de roquetin seront en-dessous.

Si au-contraire on baisse le remisse ou toutes les lisses de chaîne, on ne verra que les fils de roquetin, toute la chaîne sera en-dessous.

Mais on demandera peut-être comment il se peut faire que n'y ayant que deux fils de roquetin sur douze de chaîne, ces deux fils de roquetin suffisent pour couvrir toute la chaîne, quand en baissant les lisses de chaîne on la fait passer en-dessous.

Cela se fait par deux causes ; par le peu d'intervalle des dents qui sont fort serrées les unes contre les autres, & qui rassemblent deux cent fils dans un assez petit intervalle ; & la seconde cause, c'est que les deux cent fils ont beaucoup plus de brins que les fils de piece. Les deux cent dents du peigne ne doivent contenir que quatre pouces, puisque les velours ordinaires ne sont composés que de soixante-quinze portées de chaîne faisant à quatre - vingt fils chaque portée, six mille fils, & que la largeur ordinaire de l'étoffe n'est que de vingt pouces environ ; douze cent fils par conséquent ne font que la cinquieme partie de six mille fils.

Cela fait, on arrête les fils devant le peigne en en faisant des berlins, & l'on place le battant.

Imaginez un morceau de bois auquel, par sa partie supérieure, on a pratiqué une rainure ; soient aux extrêmités de ce bois, deux autres morceaux assemblés comme on voit, soit dans ces deux morceaux paralleles, un troisieme morceau de bois mobile, & cannelé à sa partie inférieure ; on place le peigne verticalement dans la cannelure de ces deux morceaux de bois, dont celui de dessus est mobile ; on approche celui de dessous, de maniere que le peigne puisse jouer sans toutefois s'échapper.

Les deux morceaux de bois dans lesquels la piece placée au-dessus du peigne, semblable & parallele à celle du dessus, est assemblée verticalement, s'appellent l'ame du battant.

Il y a de chaque côté attaché à cette ame deux petites tringles de bois encochées ; ce sont les supentes du battant.

Quant au porte battant, c'est un morceau de bois quarré, à l'extrêmité duquel il y a deux tenons ronds dans lesquels on place deux especes de viroles de bois, mobiles sur les tenons.

On attache le porte - battant aux battants par des cordes qui passent dans les coches des supentes du battant, & qui l'embrassent par-derriere le porte-battant.

C'est à l'aide de ces coches qu'on monte ou descend le battant, en faisant descendre ou monter les cordes qui l'attachent au porte-battant, d'une, de deux, ou de plusieurs coches.

Les extrêmités du porte-battant, ou plutôt les deux viroles mobiles de bois placées dans les tenons ronds de ses extrêmités, sont placés sur deux autres tringles de bois, encochées & placées contre les estases, & parallelement à ces précédens ; on appelle ces tringles acocats. L'usage des acocats est de soutenir le battant, & de l'approcher ou de l'éloigner à discrétion, en faisant mouvoir les viroles de bois ou roulettes dans les coches des acocats.

Quand on a placé le battant, on prend l'ensuple de devant, & on la met sur les tasseaux, ou entre les tenons & les piliers de devant ; cet ensuple ou ensuble de devant est à-peu-près semblable à celle de derriere ; elle a pareillement deux moulures à ses extrêmités, avec une cannelure transversale ; ces moulures sont pour la facilité du mouvement de l'ensuple sur elle-même, dans l'échancrure des tasseaux ou tenons, & la cannelure sert à placer le composteur.

Le composteur est fait de deux petites baguettes rondes, égales, dont les diametres pris ensemble sont plus grands que celui de la cannelure ; d'où il arrive que si l'on attache des ficelles à l'une de ses baguettes & qu'on la place dans la cannelure ; qu'ensuite on prenne l'autre baguette & qu'on la mette aussi dans la cannelure, de maniere qu'elle porte en partie sur la premiere baguette placée & contre les parois d'enhaut de la cannelure, & qu'elle soit embrassée à l'extérieur par les ficelles de la premiere baguette, on aura beau tirer les ficelles de la premiere baguette autour de l'ensuple ; on ne la fera pas sortir pour cela, car elle ne pourroit sortir qu'en déplaçant la baguette placée sur elle ; mais elle ne peut la déplacer, car les ficelles passant sur cette baguette la retiennent dans l'état où elle est, & le tout demeure immobile.

On prend tous les berlins qu'on a faits pour empêcher tous les fils de s'échapper à - travers le peigne ; on les traverse d'une broche de bois, de maniere que partie des fils passe au-dessus de la broche, partie endessous.

On prend de bonne ficelle, qu'on passe en double dans les extrêmités & les autres parties découvertes de la broche ; on attache ces ficelles à une des baguettes du composteur ; on dispose cette baguette & celle qui lui est tout-à-fait semblable, dans la cannelure de l'ensuple : puis on fixe l'ensuple dans cet état, c'est-à-dire la cannelure un peu tournée en-dessous & la ficelle un peu enveloppée autour de l'ensuple.

Pour fixer l'ensuple, on a adapté à l'une de ses extrêmités un morceau de fer, dans le milieu duquel l'extrêmité de l'ensuple s'emboîte quarrément ; cette boîte quarrée de fer est garnie par une de ses ouvertures d'une plaque ronde de fer, ouverte aussi dans son milieu pour laisser passer l'extrêmité de l'ensuple dans la boîte, & dentelée par les bords. Ce morceau de fer s'appelle roulette.

Le chien est une espece d'S de fer dont nous avons déja parlé, dont l'extrêmité s'engraîne dans les dents de la roulette, & tient l'ensuple en arrêt. On acheve de finir l'ensuple, en plaçant entr'elle contre le pilier de devant, un petit coin de bois que l'on appelle une taque.

Cela fait, on va à l'autre ensuple, à celle de derriere ; il y a au bas de chaque pié de derriere du métier, deux morceaux de bois percés de trous, selon leur longueur, attachés aux piés parallelement l'un à l'autre.

On peut passer dans ces trous une broche de fer, & cette broche de fer fixe une corde qui lui est attachée, & qui passe entr'eux longitudinalement.

Cette corde vient chercher la moulure de l'ensuple, & s'entortille autour d'elle ; on l'appelle corde du valet : après qu'elle a fait plusieurs tours, trois ou quatre seulement, & pas davantage ; on a une espece de morceau de bois échancré par un bout, & percé ; le trou reçoit la corde du valet, & l'échancrure s'applique sur la moulure de l'ensuple ; l'autre bout de ce morceau de bois est encoché. On pend un poids à cette extrêmité encochée, ce poids tire cette extrêmité, & fait tourner l'autre sur la moulure ; l'autre ne peut tourner sans tirer la corde, la corde ne peut être tirée, sans tirer l'ensuple ; & l'ensuple ne peut être tirée, sans que la chaîne ne soit tendue ; on appelle ce morceau de bois qui fait l'office de levier à l'extrêmité de l'ensuple, un valet. Il y a un valet à l'autre extrêmité, si le valet tire trop, on raccourcit le levier, en rapprochant le poids d'une coche ou de deux plus près de l'ensuple.

En s'y prenant ainsi, on bande la chaîne & la lisiere à discrétion ; quant aux filets de roquetin, ils sont tendus à discrétion aussi ; par les petits poids de plomb qui tiennent à chaque roquetin, & qu'on fait toujours assez pesants pour le service qu'on en attend.

Voilà maintenant le métier tout arrangé, il n'est plus question que d'une petite opération dont nous allons parler, pour qu'il soit ce qu'on appelle monté.

Mais avant que de passer à cela, il ne sera pas hors de propos de dire un mot de cette multitude de lisses, de pieces, ou de chaînes.

Nous en avons cinq, & on en emploie quelquefois beaucoup davantage.

On voit évidemment qu'elles partagent ici la chaîne en cinq parties égales.

Que quand on en baisse une, on ne fait baisser que le cinquieme de la chaîne, & que pour baisser toute la chaîne, il faut les faire baisser toutes.

Il est encore à propos de savoir, que si la premiere lisse ou la plus voisine du corps répond à la premiere marche à droite, il n'en est pas ainsi des autres.

Voici l'ordre que l'on suit, la premiere marche tire la premiere lisse ; la seconde marche la quatrieme lisse ; la troisieme marche, la seconde lisse ; la quatrieme marche, la cinquieme lisse ; la cinquieme marche, la troisieme lisse : ainsi de suite pour cinq lisses, comme pour un plus grand nombre ; c'est-là ce que les ouvriers appellent passe de deux en deux.

L'ouvrier en travaillant fait jouer ces marches les unes après les autres, quand il fait le satin.

La sixieme marche tire la premiere lisse de poil.

La troisieme marche tire la seconde lisse de poil.

Dans le cas donc qu'il y ait douze cent fils à chaîne, & que l'on ait cinq marches, & qu'il y ait douze fils de chaîne à chaque dent ;

Voici comment se fait le satin, ou plutôt une petite table de la combinaison des marches, des lisses & des fils.

Avec un peu d'attention sur cette table, on s'appercevra tout d'un coup que ce qui se passe dans soixante fils, ou dans l'intervalle de cinq dents, se passe dans tout le reste.

Voici comment se fait le satin dans l'étoffe dont il s'agit ici, & qu'on a pris pour exemple ; y ayant cinq marches, la chaîne est divisée en cinq parties égales, & il n'y a qu'un cinquieme qui travaille à chaque marche dans l'ordre représenté par la table.

La premiere marche étant attachée à la premiere lisse, quand on la presse, on baisse la premiere lisse & on en sépare de la chaîne le cinquieme ; 1 6, 11 4, 9 2, 7 12, 5 10, 3 8 ; quand on presse la seconde marche, la quatrieme lisse se baisse ; & on sépare le cinquieme, 4 9, 2 7, 12 5, 10 3, 8 1, 6 11, & ainsi des autres, comme on voit par la table.

Passons maintenant à la partie la plus importante du métier, je veux dire, le sample.

On a un bâton, tout semblable à celui de rame ; il a une moulure à chaque bout ; l'entre-deux des moulures est rempli de cordes ou ficelles, il y en a autant qu'au rame ; elles sont croisées comme celui de rame l'étoit. Les ficelles doivent être assez longues pour atteindre à celles du rame.

Ce bâton s'appelle bâton des cordes du sample. Le bâton armé de ses ficelles croisées s'appelle sample.

Il n'y a de différence entre le sample & le rame, que dans la longueur des cordes, & les yeux de perdrix qui sont au rame.

Pour placer le sample, on s'y prend comme par le rame, on fixe à terre un bâton, vis-à-vis du devant du cassin qu'on appelle bâton de sample ; on passe à ses deux extrêmités deux cordes qui font boucles étant nouées chacune par leurs bouts. On peut les appeller les cramailleres du bâton des cordes de sample : on fixe à ces deux cordes les moulures du bâton des cordes du sample.

On prend toutes ces cordes à poignées, & à l'aide de leur croisement ou envergure, on les sépare les unes d'avec les autres, & les unes après les autres.

On passe la premiere corde de sample dans l'oeil de perdrix de la corde de rame qui passe sur la premiere poulie d'en-bas de la premiere rangée verticale que l'ouvrier a à sa gauche, & l'y attache en faisant un noeud. Observant que sa corde de sample ne soit pas lâche ; mais au contraire, bien tendue ; pour cet effet, il faudra que celle de rame fasse angle à l'endroit où elle sera tirée par l'oeil de perdrix ; cet angle est ordinairement très-obtus.

Il passe la seconde corde du sample dans l'oeil de perdrix de la corde du rame, qui passe sur la seconde poulie en montant de la même rangée & l'y attache. La troisieme corde de sample dans l'oeil de perdrix de la corde qui passe sur la troisieme poulie de la même rangée. La quatrieme dans l'oeil de perdrix de la corde qui passe sur la quatrieme poulie en montant de la même rangée. La huitieme corde dans l'oeil de perdrix de la corde qui passe sur la cinquieme poulie de la même rangée. La sixieme corde dans l'oeil de perdrix de la corde qui passe sur la premiere poulie d'en-haut de la seconde rangée verticale ; la septieme corde dans l'oeil de perdrix, de la corde qui passe sur la seconde poulie en descendant de la même rangée ; & ainsi de suite remplissant les yeux de perdrix, de chaque corde, de chaque rangée, suivant les rangées en zig-zag ; d'où il s'ensuit que chaque corde de sample tire les mêmes arcades, les mêmes mailles de corps, les mêmes maillons, les mêmes fils de roquetins que chaque corde de rame.

Ainsi la premiere corde de sample tire, dans l'exemple proposé, les quatre premiers fils de chaque quatre cinquantaine de fils de roquetin ; la seconde corde de sample, les quatre seconds fils de chaque quatre cinquantaine de fils de roquetin, & ainsi de suite ; d'où l'on voit que par le moyen de ces ficelles du sample, des cordes de rames correspondantes, des arcades, des mailles de corps, des maillons, des mailles de corps d'en-bas, & des aiguilles ; on a la facilité de faire paroître en tel endroit de la chaîne, que l'on voudra tel fil, & autant de fils de roquetin qu'on le desirera.

Et par conséquent, on a le moyen d'exécuter à l'aide de la trame, de la chaîne, & de ces fils de roquetins qu'on peut faire paroître dans la chaîne & sur la trame, quelque figure donnée que ce soit.

Il ne s'agira plus que de savoir quelles sont les ficelles du sample qu'il faudra tirer.

Or nous allons maintenant parler de la maniere de déterminer ces ficelles.

Après avoir observé que la chaîne peut être d'une couleur, ou le fond, & les figures tracées dans la chaîne sur la trame, ou sur les fils des navettes qui courent entre les parties séparées, soit de la chaîne, soit des fils de roquetin, & qui les tiennent séparées, d'une autre couleur.

En travaillant ainsi à l'aide de la chaîne seulement, de la lisse, des cordes du sample, & des fils de roquetin ; on voit évidemment qu'en supposant la faculté de déterminer les cordes de sample à tirer pour une figure quelconque, on exécuteroit sur la chaîne cette figure ; on feroit alors ce qu'on appelle une étoffe à fleur.

Nous venons de monter un métier, c'est-à-dire de le mettre en état d'exécuter tout dessein qui ne demande pas plus de cordes que nous en avons employé ; & même de repéter quatre fois ce dessein dans la largeur de l'étoffe : ce qui seroit 20 fois dans la largeur de l'étoffe ordinaire, s'il n'y avoit que 50 cordes. Car on a pu remarquer que chaque ficelle de sample tirant une ficelle de rame, & chaque ficelle de rame tirant un faisceau d'arcades, 4 bouts d'arcades, ou 4 maillons, & les 200 maillons se trouvant divisés en cinquantaines, & les 4 maillons tirés paroissant toujours sur la chaîne dans des endroits semblables de chaque cinquantaine ; car ce sont ou les 4 premiers de chaque cinquantaine, ou les 4 trentiemes, &c. On doit repéter le dessein dans la chaîne, à chaque cinquantaine de fils de roquetin, ou chaque douze dents & demie du peigne, parce qu'il y a deux fils de roquetin dans chaque dent ; partant 24 fils en 12 dents, & 25 en 12 dents & demie. Cette façon de dire & demie n'est pas tout à fait juste ; car les fils de roquetin ne partagent pas également les fils de la dent, & ne sont pas à égale distance l'un de l'autre, & de l'extrêmité de la dent, pour qu'on puisse dire une demie-dent. Je veux dire seulement qu'il faut vingt-quatre dents, & un fil de la vingt-cinquieme pour avoir une cinquantaine de fils de roquetin.

J'ai oublié de dire en parlant des piliers de derriere du métier, qu'il y avoit à la face intérieure de chacun, un peu au-dessus de la chaîne, deux broches paralleles à l'ensuple, dans laquelle sont passées deux especes de bobines, qu'on appelle restins.

Autre chose encore à ajouter. C'est une corde attachée par ses deux bouts à deux murs qui se regardent, & parallele à celles des rames, mais beaucoup plus forte, & placée à côté du cassin, du côté du châtelet, qu'on appelle arbalete.

L'arbalete sert à soutenir la gavassiniere ; elle sert aussi à soutenir un petit bâton qui flotte sur le sample : les cordes qui soutiennent ce bâton s'appellent cordes de gance, & le bâton, bâton de gance.

La gavassiniere est une longue corde pliée en deux, dans la boucle de laquelle passe l'arbalete. Les deux bouts de cette corde sont noués au bâton de rame. Elle est bien tendue ; & comme elle ne peut être bien tendue qu'elle ne tire & ne fasse faire angle à la corde qui la soutient, c'est par cette raison qu'on appelle cette corde arbalete. Nous dirons ailleurs pourquoi on appelle l'autre dont les brins sont paralleles aux ficelles du sample, gavassiniere.

Il ne nous reste plus à parler que du dessein, de la lecture, du travail, & des outils qui y servent.

Pour le dessein, on a un papier réglé, divisé en petits carreaux par des lignes horisontales & verticales. Il faut qu'il y ait dans la ligne horisontale autant de petits carreaux, que de cordes au sample.

Pour faciliter la lecture du dessein, on divise la ligne horisontale par dixaines, c'est-à-dire que de dix en dix divisions de l'horisontale, la verticale est plus forte que ses voisines, & se fait remarquer.

Il y a aussi des horisontales plus fortes les unes que les autres : on divise la verticale en certain nombre de parties égales, & par chaque partie de cette verticale on tire des horisontales paralleles.

Il y a de ces horisontales un plus grand ou plus petit nombre, & elles sont plus longues selon que le dessein est ou plus courant, ou plus long & plus large ; & il y a des verticales un plus grand nombre, & elles sont plus longues, selon que le dessein est plus large & plus long.

On divise pareillement le nombre des horisontales en parties égales, & on fait l'horisontale de chaque partie égale, plus forte que les autres.

Si l'horisontale est divisée de dix en dix, & la verticale de huit en huit, on a ce que les ouvriers appellent un dessein en papier de dix en huit.

On trace sur ce papier un dessein, comme on voit dans nos Pl. Les quarrés horisontaux représentent les coups de navette, qui doivent passer pour faire le corps de l'étoffe ; & les quarrés verticaux représentent les cordes de sample.

Les quarrés horisontaux représentent aussi les fils de roquetins.

Les quarreaux qui restent blancs marquent les fils de roquetin, qu'il ne faut point faire paroître sur l'étoffe, Les autres quarreaux colorés marquent les fils de roquetins qu'il faut faire paroître.

Ces fils peuvent être de différentes couleurs ; mais pour plus de simplicité nous les supposerons ici tous de la même couleur, bleus par exemple.

Si l'on voit le bleu de différente couleur, c'est que ce dessein est destiné à faire du velours ciselé.

Le bleu-clair marque le frisé, & le bleu fort noir marque le coupé.

Il faut observer en faisant un dessein, que le frisé soit toujours en plus grande quantité que le coupé, parce que comme on verra, le coupé ne se fait que sur le frisé ; & le frisé sert à empêcher le poil du coupé de tomber, il le tient élevé & l'empêche de tomber.

Les autres desseins ne se tracent pas autrement, & il n'y a guere de différence dans la maniere de les lire.

Pour lire un dessein, on commence par enverger, ou plutôt encroiser le sample, afin de ne pas se tromper en comptant les cordes.

Puis on fixe à l'estase, à chaque côté du sample, deux barres de bois ; on insere entre ces barres & le sample, deux autres morceaux de bois qui le tirent en arriere, & le tiennent plus tendu ; l'un en-haut & l'autre en-bas. Les verges qui appuient en-devant sur les barres de bois, empêchent qu'il n'aille tout en arriere. Il est donc tenu par haut & par bas, en arriere, par les bâtons placés entre lui & les barres, & tenu en-devant par les verges de son envergure.

Puis au-dessous du premier morceau de bois & de la premiere verge, on place un instrument que nous allons décrire, entre le sample & les barres de bois, contre lequel il est pressé par le sample qui est ici en arriere. Cet instrument consiste en trois morceaux de bois plats, assemblés par un bout par une cheville de bois, autour de laquelle il se meut librement, dont le dernier est divisé à sa surface extérieure, en un certain nombre de crans larges & profonds, à égale distance les uns des autres ; les deux autres s'appliquent sur celui-ci & le couvrent quand il en est besoin, & peuvent aussi s'assembler par l'autre bout, au moyen d'une autre cheville de bois. Cet instrument s'appelle un escalette, & son usage principal est de faciliter encore la lecture du dessein, en facilitant le compte des cordes.

Pour cet effet, lorsqu'on l'a appliqué comme j'ai dit, on met dans chaque cran dix cordes de sample, c'est-à-dire autant de cordes de sample, qu'il y a de divisions dans la ligne horisontale du dessein.

Cela fait, on met sur cette lame de bois divisée, la seconde qui la couvre ; on applique sur cette seconde la seconde ; on passe sur cette seconde & sur le dessein la troisieme, & on les fixe toutes trois par l'autre bout.

On voit que par ce moyen, le dessein se trouve pris entre les deux lames restantes ; la liseuse le dispose entre ses lames, de maniere qu'il n'y ait que sa premiere rangée de petits quarreaux qui débordent les lames, soit par en-haut, soit par en-bas.

Alors elle prend à côté d'elle des ficelles, toutes prises d'une certaine longueur ; elle examine sur le dessein, ou on lui dit combien il y a de couleurs au dessein ; elle attache chacune des couleurs à un de ses doigts, c'est-à-dire que cette couleur, ou les ficelles qui lui correspondent, au sample, doivent passer sous les doigts auxquels elle les a attachées, & sous tous les autres : ainsi des autres couleurs. Quand il y a plus de couleurs que de doigts, elle en attache au poignet, au milieu du bras, ou bien elle prend le parti de lier chaque couleur séparément ; mais ce n'est pas la maniere des habiles liseuses.

Mais pour éviter toute confusion, nous supposerons seulement deux couleurs, comme on voit au dessein dans nos Pl.

Elle commence par la premiere ligne. Je suppose qu'elle ait attaché le verd-clair ou de frisé au doigt du milieu, & le gros verd ou coupé à l'index.

Elle voit que les six premiers quarrés, ou les six premieres divisions sont blanches ; elle passe six cordes du sample, ou les six premieres cordes de la premiere dixaine, contenue dans la premiere coche de l'escalette à gauche. Puis elle prend le reste de cette dixaine qu'elle passe sous l'index, sur le doigt du milieu & sous les autres doigts ; elle y joint la premiere corde de la seconde dixaine, parce qu'elle est aussi verd-clair ou frisé, & qu'elle a attaché le verd-clair au doigt du milieu. Elle prend ensuite les six cordes suivantes de cette seconde dixaine qu'elle passe sous l'index & sous les autres doigts. Elle prend la huitieme corde de la même dixaine qu'elle passe sous l'index, sur le doigt du milieu & sous les autres doigts ; puis les deux cordes restantes de la même dixaine, qu'elle passe sur l'index & sous les autres doigts ; & ainsi de suite jusqu'au bout de la ligne.

S'il y avoit eu plusieurs couleurs, elles les eût attachées à d'autres parties de la main ; & les auroit séparées toutes en les plaçant sur ces parties, à mesure qu'elles se seroient présentées.

Puis elle auroit pris des ficelles qui sont à sa gauche, autant qu'elle eût eu de couleurs ; elle n'en prend donc que deux ici. Elle eût avec une de ces ficelles pliée en deux, & dont elle auroit substitué à l'index l'un des bouts, renfermé & séparé dans la boucle tous les verds découpés, pour avec l'autre qu'elle eût pareillement pliée en deux, & dont elle eût aussi substitué un des bouts à l'autre doigt, elle eût renfermé & séparé dans la boucle les verds-clairs. Puis elle eût un peu tordu ensemble ces bouts, & les auroit fixés à côté d'elle à sa droite, en leur faisant faire un tour autour d'une corde, attachée par un bout à l'estase, & par l'autre bout à un des bâtons de l'envergure : on l'appelle corde des embarbes.

Elle eût ensuite passé à la lecture de la seconde ligne, qu'elle eût expédiée comme la précédente, & eût été de suite jusqu'à la fin de la lecture du dessein. Les ficelles dont elle se sert pour séparer les couleurs s'appellent des embarbes.

Il est facile de savoir le nombre des embarbes, quand on sait le nombre des lignes du dessein ; celui de ses dixaines, & celui des couleurs.

Lorsque toutes les embarbes sont placées, ou que la lecture du dessein est achevée, on travaille à faire les gavassines & les lacs ; & voici comment on s'y prend.

On plante à un mur, ou à quelqu'autre partie solide, placée immédiatement derriere le sample, un piton, un anneau, auquel on attache une corde assez forte ; puis on passe derriere le sample ; on prend une petite ficelle qu'on fait passer sur la premiere corde du sample, que l'on enferme dans une boucle ; on enferme la seconde dans une boucle encore, on en fait autant à toute la ficelle du sample ; puis on tire fortement toutes ces ficelles ou boucles formées de la même ficelle, en arriere, vers la grosse corde attachée au piton ; on la fixe à cette corde : cette corde, avec l'assemblage de toutes ces boucles formées d'une seule ficelle, dans chacune desquelles est séparée & renfermée une corde du sample, s'appelle le lac à l'angloise ; il sert à séparer facilement les cordes du sample, & à ne pas se tromper dans le choix qu'on en doit faire pour former les lacs.

Cela fait, on prend des ficelles de même longueur, qu'on joint deux-à-deux ou trois-à-trois, selon qu'il y a un plus grand nombre de couleurs au dessein : ici une seule ficelle pliée en deux suffit ; car nous n'avons proprement que deux couleurs, ou qu'une seule séparée en deux.

On plie cette ficelle en deux ; on renferme entre ces deux brins, ou dans sa boucle, la partie de la gavassiniere que l'on a le plus à droite ; puis on arrête la boucle par un noeud, en sorte que la partie de la gavassiniere soit, pour ainsi dire, enfilée dans la boucle faite avec de la ficelle, & n'en puisse sortir ; on fait avec la gavassiniere autant de ces boucles qu'il y a des lignes au dessein ; & ces ficelles bouclées, & tenues par leur boucle dans la partie la plus à gauche de la gavassiniere qui les enfile toutes les unes après les autres, s'appellent des gavassines.

Après cette premiere réparation, on prend du fil fort ; on se saisit de la premiere ou derniere embarbe ; placée, on la tire à soi ; on voit quelles sont les cordes de sample qu'elle embrasse ; on fait en zig-zag avec le fil deux fois autant de boucles qu'il y a des cordes de sample séparées par l'embarbe ; toutes ces boucles sont du même fil continu ; on enfile de ces boucles celles que l'on a de son côté dans un de ses doigts, les autres embrassent chacune une des cordes du sample séparées par l'embarbe ; on les égalise, & on leur donne une certaine longueur, puis on coupe le fil, & on attache ces deux bouts ensemble par un noeud.

Cela fait, on prend un des bouts de la gavassine qu'on passe sous l'autre partie parallele à la premiere, à la place à droite de la gavassiniere ; on passe ce bout à la place du doigt dans lequel on tenoit les boucles enfilées : on fixe toutes ces boucles à ce bout de la gavassine par un noeud, & l'on a formé ce qu'on appelle un lac.

On ôte ensuite l'embarbe, car elle ne sert plus de rien ; les fils qu'elle séparoit sont tenus séparés dans les boucles du lac.

On tire ensuite la seconde embarbe ; on prend du fil, & l'on forme des boucles toutes semblables à celles du premier lac ; on attache ces boucles par un noeud à l'autre bout de la gavassine, observant seulement que la partie de la gavassiniere qui est la plus à gauche, soit prise entre les deux bouts de la gavassine ; & partant que si celui qui tenoit le premier lac passoit sous cette partie de gavassine, l'autre passât dessus.

Si la gavassine étoit composée d'un plus grand nombre de bouts & de lacs, il faudroit observer la même chose.

Cela fait, c'est-à-dire les embarbes étant épuisées par la formation des lacs, de même que les bouts de gavassine (car il n'y a pas plus de bouts à la gavassine, que de lacs, ni de lacs que d'embarbe), on peut commencer à travailler. J'ai oublié de dire qu'à mesure qu'on formoit les lacs, & qu'on garnissoit les gavassines, on les tenoit séparées & attachées en haut à un empêchet ou autre arrêt, afin d'empêcher la confusion : voilà donc le bois du métier monté ; la cantre placée, les fils de roquetin passés dans les maillons entre les remises, dans les mailles des lisses de poil & dans les dents du peigne, les ensuples placées, & la chaîne disposée comme il convient, le dessein lu, en un mot tout disposé pour le travail ; voyons maintenant comment on travaille, & comment, à l'aide de la disposition & de la machine précédente, on execute sur la chaîne le dessein sur le sample.

Voici ce qui nous reste à faire ; car à cette occasion nous parlerons & des outils qu'on emploie, & de quelques autres opérations qui n'ont point encore pu avoir lieu. Voici donc la maniere de faire le velours ciselé. Celui qui a bien entendu ce que nous venons de dire, sera en état de se faire construire un métier & de le monter ; & celui qui entendra bien ce que nous allons dire, sera en état de faire du velours ciselé & de travailler.

Travail ou opération par laquelle on exécutera en velours ciselé le dessein qu'on vient de lire sur le sample. Il faut commencer par avoir à ses côtés deux petites navettes, telles qu'on les voit, Pl. de soierie, ici faites en bateau, dans lesquelles sont sur une petite branche de fer qui va de l'un à l'autre bout, une bobine garnie de soie, dont le bout passe par une ouverture faite latéralement, & tournée vers l'ouvrier ; ces navettes sont placées sur les deux bouts de la banque.

Premiere opération. On enfoncera en même tems la premiere marche de piece du pié droit, & les deux marches de poil du pié gauche.

On passera une des navettes.

On enfoncera la seconde marche de piece seule du pié droit.

On passera la même navette.

On enfoncera la troisieme marche de piece du pié droit, & les deux de poil du pié gauche.

On passera la navette.

On enfoncera la quatrieme marche de piece seule du pié droit.

On passera la navette, & ainsi de suite.

C'est ainsi qu'on formera le satin & le fond, & ce que l'ouvrier appelle la tirelle.

Seconde opération, ou commencement de l'exécution du dessein. Il faut avoir tout prêts des fers de deux especes ; des fers de frisé, & des fers de coupé. Les fers de frisé sont des petites broches rondes, de la largeur de l'étoffe, armées par un bout d'un petit bouton de bois fait en poire, dans le noeud de laquelle ce fer est fixé ; ces fers sont de fer véritable. On en trouve par-tout ; il n'y a aucune difficulté à les faire. Son petit manche en poire s'appelle pedonne. Les fers de coupés ne sont pas ronds, ils sont, pour ainsi dire, en coeur ; ils ont une petite cannelure on fente dans toute leur longueur ; il est plus difficile d'en avoir de bois : ils sont de laiton. Il n'y a qu'un seul homme en France qui y réussisse ; c'est un nommé Roussillon de Lyon. Ces fers ont aussi leurs pedonnes, mais mobiles ; on ne les arme de leurs pedonnes ou petits manches en poire, que quand il s'agit de les passer.

L'usage des pedonnes ou manches en poire, c'est d'écarter les fils, & de faciliter le passage des fers tant de coupé que de frisé.

Il faut avoir, pour l'ouvrage que nous allons exécuter, quatre fers de frisé, & trois fers de coupé.

On distingue dans le travail du velours ciselé cinq suites d'opérations à-peu-près semblables, qu'on appelle un course, & chaque suite d'opérations un coup ; ainsi un course est la suite de cinq coups.

Premier coup. On met un fer de frisé entre la chaîne & le poil qu'on sépare l'un de l'autre, en enfonçant les cinq marches de piece du pié droit, sans toucher à celles de poil ; ce qui fait paroître tout le poil en-dessus.

On enfonce la premiere marche de piece du pié droit, & les deux de poil en même tems du pié gauche. Coup de battant. On passe la navette qui va & vient. Coup de battant. On lâche les deux lisses de poil, & l'on enfonce la seconde marche de piece du pié droit. Coup de battant. On passe la navette qui va & vient. Coup de battant. On enfonce les deux marches de poil, pié gauche, & la troisieme de piece, pié droit. Coup de battant. On passe l'autre navette, qui va seulement. Coup de battant. En le donnant, on laisse aller les marches de poil, & l'on tient seulement celle de piece, qui est la troisieme du pié droit. On fait passer ensuite cette troisieme marche sous le pié gauche, on y joint la quatrieme & la cinquieme ; on les enfonce toutes trois du pié gauche, & en même tems on enfonce du pié droit la premiere & la seconde ; ce qui finit le premier coup.

Second coup. Il y a vis-à-vis du sample une fille, qu'on appelle une tireuse de son emploi, qui est de tirer les gavassines les unes après les autres à mesure qu'elles se présentent. La tireuse tire la gavassine, la gavassine tire le lac, & le lac amene les cordes qui doivent opérer la figure ; la tireuse prend les cordes amenées par le lac, & les tire. Une gavassine est, comme on sait, composée de deux lacs. On tient les deux premieres marches sous le pié droit, on conserve les trois suivantes sous le pié gauche, on y joint la premiere de poil. Coup de battant. On passe un fer de frisé. La tireuse laisse élever ou descendre les deux lacs. Coup de battant. La tireuse reprend le lac de dessous ou de coupé & le tire seul. On arme le fer de coupé de sa pedonne, & on le passe. La tireuse laisse aller le lac de coupé. Coup de battant, ou même plusieurs, jusqu'à - ce que le fer de coupé soit monté sur celui de frisé. On laisse aller les deux premieres marches. On enfonce la troisieme du pié droit, qui est celle par laquelle on a fini le coup précédent ; on laisse aller en même tems du pié gauche les quatre & cinq marches de piece ; mais l'on enfonce de ce pié les deux de poil. Coup de battant. On passe la navette qui va & vient. Coup de battant. On passe le pié droit sur la quatrieme marche, tenant toujours les deux de poil enfoncées du pié gauche. Coup de battant. On laisse aller les deux de poil, en donnant un coup de battant. On enfonce les deux de poil du pié gauche, tenant toujours la quatrieme du pié droit. Coup de battant. On passe à la cinquieme de piece du pié droit, tenant toujours enfoncées celles de poil du pié gauche. Coup de battant. On passe la navette qui va seulement. Coup de battant ; en le donnant on laisse aller le poil, & l'on tient toujours la cinquieme de piece enfoncée du pié droit. On la passe sous le pié gauche, & du pié droit on enfonce les quatre premieres, tandis que du pié gauche on tient la cinquieme enfoncée. On bat trois coups & davantage, & l'on finit par-là le second coup.

Troisieme coup. La tireuse tire la gavassine suivante. On enfonce la premiere de poil du pié gauche ; ainsi l'on a le pié droit sur les quatre premieres de piece, & le gauche sur la cinquieme de piece, & la premiere de poil. On passe un fer de frisé. Coup de battant. La tireuse laisse aller les deux lacs, & reprend celui de dessus ou de coupé, & le tire. Coup de battant. On passe un fer de coupé ; la tireuse laisse aller son lac de coupé. Coup de battant. On laisse aller les quatre premieres de piece ; on passe le pié droit sur la cinquieme, ou sur celle qui a fini le coup précédent ; en même tems on enfonce du pié gauche les deux de poil. Coup de battant. On pousse la navette qui va & vient. Coup de battant. On laisse aller les deux marches de poil, & la cinquieme de piece, & on revient à la premiere de piece. Coup de battant. On passe la navette qui va & vient. Coup de battant. On enfonce les deux marches de poil du pié gauche ; on quitte la premiere de piece, & on prend la seconde du pié gauche. On passe la navette qui va seule. On laisse aller le poil, & on fait passer la seconde de piece sous le pié gauche ; on y joint les trois autres, & on enfonce la premiere de piece du pié droit. Coup de battant, & fin du troisieme coup.

Quatrieme coup. On tire la gavassine suivante. On tient la premiere enfoncée du pié droit, & l'on joint aux quatre autres que l'on tient du pié gauche, la premiere de poil. Coup de battant. On passe un fer de frisé. On laisse aller les deux lacs ; on reprend celui de coupé ou de dessus, & on le tire. Coup de battant. On passe le fer de coupé. On laisse aller le lac de coupé. Coup de battant. On laisse aller la premiere marche, on passe le pié droit sur la seconde, qui est celle qui a fini le coup précédent, & l'on enfonce du gauche les deux marches de poil. Coup de battant. On passe la navette qui va & vient. Coup de battant. On laisse aller la seconde ; on prend la troisieme, & on laisse aller le poil, en donnant un coup de battant. On passe la navette qui va & vient. Coup de battant. On enfonce les deux marches de poil du pié gauche, & on prend la quatrieme du pié droit. Coup de battant. On passe la navette qui va seule. Coup de battant. On laisse aller les deux marches de poil ; on passe la quatrieme & la cinquieme sur le pié gauche ; on enfonce du pié droit les trois premieres. Trois coups de battant plus ou moins, & fin du quatrieme coup.

Cinquieme coup. L'ouvrier retire le premier fer de frisé ; la tireuse tire la gavassine suivante. On joint à la quatrieme & cinquieme de piece qu'on tient du pié gauche la premiere de poil, tenant les trois premieres du pié droit. Coup de battant ; on passe le fer de frisé : coup de battant ; on laisse les lacs, & on reprend celui de coupé sans le tirer. On prend alors un petit instrument, formé d'un petit morceau d'acier plat quarré, tranchant par un de ses angles, & fendu jusqu'à son milieu, & même plus loin, afin que, par le moyen de cette fente, l'ouvrier puisse écarter à discrétion la partie tranchante, tandis qu'il s'en sert : on appelle cet instrument une taillerole. On prend donc la taillerole, & l'on applique son angle tranchant dans la rainure du fer de coupé, tous les fils de roquetin qui la couvrent sont coupés, & c'est-là ce qui forme le poil. Cela fait, la tireuse tire le lac de coupé ; on passe le fer de coupé, la tireuse laisse aller le lac de coupé : on laisse les trois marches qu'on tenoit du pié droit, on passe ce pié sur la quatrieme : on laisse aller la premiere de poil, & la cinquieme de piece qu'on tenoit encore du pié gauche ; on enfonce de ce pié les deux de poil. Coup de battant : coup de navette qui va & vient. Coup de battant ; on laisse aller les marches de poil, & la quatrieme de piece ; on passe à la cinquieme ; coup de battant ; on passe la navette qui va & vient : coup de battant ; on enfonce les deux de poil du pié gauche, & la premiere de piece, pié droit : coup de battant ; on passe la navette qui va seule : coup de battant ; on laisse aller le poil, & la premiere de piece ; on enfonce du pié gauche les cinq premieres de piece, trois coups de battant plus ou moins, & fin du cinquieme coup, & de ce qu'on appelle un course. Il ne s'agit plus que de recommencer.

On continue l'ouvrage de cette maniere. Lorsqu'on en a fait une certaine quantité, on prend une barre de fer pointue par un bout & fourchue par l'autre, on enfonce le bout pointu ou aminci dans des trous pratiqués à l'ensuble, ce qui la fait tourner sur elle-même ; le velours s'enveloppe, & l'on peut continuer de travailler ; mais lorsqu'il y a assez d'ouvrage fait pour que l'ensuble ne puisse être tournée sans que le velours ne s'appliquât sur lui-même, il faut recourir à un nouveau moyen ; car le velours s'appliquant sur le velours, ne manqueroit pas d'en affaisser le poil & de se gâter.

Voici donc ce dont il s'agit, c'est d'éviter cet inconvénient, de ne pas tomber dans un autre, & de faire tenir le velours à l'ensuble.

On avoit jadis des ensubles avec des pointes qui entroient dans le velours & l'arrêtoient, mais on a trouvé que si les pointes remplissoient le premier objet, elles ne répondoient pas tout-à-fait au second, car elles laissoient des trous au velours, le mâchoient & le piquoient. On a tout naturellement abandonné les ensubles à pointes, & imaginé ce qu'on appelle un entaquage.

Les velours ciselés ou à fleurs, frisés & coupés, ne sont point entaqués.

De l'entaquage. Voici ce qu'on entend par un entaquage. Imaginez trois pieces liées & jointes ensemble, dont la premiere s'appelle l'entaquage, c'est une lime des plus grosses, un morceau de bois pareil à la lime, avec un morceau de fer semblable aux deux autres ; une boîte de fer les tient unis, mais non contiguës ; elles laissent entr'elles de l'intervalle. On passe le velours entre le morceau de bois & celui de fer, la lime reste derriere, l'envers du velours repose sur elle ; on fait faire un tour à l'entaquage, le velours fait aussi un tour sur lui ; on le met en pente dans la boîte qui l'applique fort juste aux bouts de l'entaquage ; mais comme ces bouts de l'entaquage sont plus gros, que les trois pieces jointes qui arrêtent le velours, ses parties ne touchent point le velours. On met la boîte & l'entaquage dans la chanée de l'ensuble ; on couvre le tout avec une petite espece de coulisse, qui ne ferme pas entierement la chaîne, il reste une petite ouverture par laquelle le velours sort & s'applique sur l'ensuble, en sortant entre l'ensuble & le bord de la chaîne & celui de la coulisse sans y toucher ni autre chose, c'est-à-dire garanti de tout inconvénient.

Le canard se met devant l'ensuble, entr'elle & l'ouvrier ; il empêche que l'ouvrier ne gâte son ouvrage en appuyant son estomac dessus ; il faut un canard pour toutes les especes de velours.

De la machine à tirer. Il y a quelquefois un si grand nombre de fils de roquetin, que la tireuse ne pourroit venir à bout de les tirer, sur-tout sur la fin d'un jour que ses bras seroient las, que pour l'aider on a imaginé une espece singuliere de levier.

Il a trois bras, tous trois dans le même plan, mais dont deux sont placés l'un au - dessus de l'autre parallelement, & laissent entr'eux de la distance ; de ces deux leviers paralleles, celui d'en-haut est fixé dans deux pieces de bois perpendiculaires & paralleles que traverse seulement celui d'en-bas, tout cet assemblage est mobile sur deux rouleaux, qui sont retenus entre deux morceaux de bois placés parallelement, à l'aide desquels les leviers paralleles peuvent s'avancer & se reculer.

Lorsque la tireuse veut tirer, elle fait avancer les deux leviers paralleles, elle passe entre ces leviers le paquet de ficelle de sample qu'elle veut tirer ; de maniere que ce paquet passe dessus le levier d'en-haut, & dessous le levier d'en-bas.

Il y a un troisieme levier appliqué perpendiculaire à celui d'en-haut ; elle prend ce levier, elle l'entraîne, & avec lui les ficelles du sample qui sont sur lui.

Il est encore d'autres outils qu'il faut avoir. Il faut avoir une fourche pour tirer les fers de frise : cette fourche est un morceau de fer recourbé par le bout, & la courbure est entr'ouverte ; on met la pedonne dans cette ouverture, & on la tire. Des forces pour couper les noeuds de la soie, ce qui s'appelle remonder ou éplucher la soie. Un montefer, c'est une forte pince, plate & quarrée par le bout, avec laquelle on tire les fers de frisé qui cassent quelquefois, & pour faire tirer le fer de frisé à la pedonne. Des pinces pour nettoyer l'ouvrage, c'est-à-dire en ôter les petits brins de soie cassés, qui font un mauvais effet.

Il n'y a qu'une certaine quantité de soie montée sur l'ensuble de derriere. Quand cette quantité est épuisée & qu'une piece est finie, s'il s'agit d'en monter une autre ; voici comment on s'y prend.

On approche la nouvelle piece que l'on veut monter de celle qui finit : cette nouvelle piece est toute envergée ; on sépare, par le moyen de l'envergure, de petits fils que l'on trempe dans de la gomme, & qu'on tord avec le premier fil de la piece qui finit, & ainsi des autres fils : cela fait, on ôte les envergures de la nouvelle piece qui se trouve toute montée & toute jointe à l'autre ; & l'ouvrier continue de travailler. Celui qui fait ces opérations s'appelle tordeur, & l'opération s'appelle tordre.

Il faut encore avoir un devidoir pour le fil des lacs qu'on devide dans un panier, d'où il vient plus aisément quand on fait ses lacs.

Observations. Les cassins ordinaires ont huit rangs de cinquante poulies ; & par conséquent les rames 400 cordes, les samples 400 ; les arcades 800 brins, & partant la planche percée 800 trous, c'est-à-dire 100 rangées de 8 trous, ou 8 rangées de 100 trous. En supposant encore qu'il n'y ait que deux brins à chaque arcade, & qu'on ne veuille que répéter une fois ce dessein.

Il faut un rouet à cannettes. On entend par cannette cette espece de petite bobine, qui est enfermée dans la navette. Ce rouet est une assez jolie machine, & qui vaudra la peine d'être décrite, & que nous décrirons aussi.

Il faut avoir une espece de coffre ou de caisse à chauffrette, elle sert à relever le poil du velours, en la faisant passer sur cette caisse dans laquelle on a allumé du feu.

Il faut un temple : c'est une machine qui sert à tenir l'ouvrage tendu. Imaginez une petite tringle de bois plate, fendue par un bout, & percée de trous selon son épaisseur, qu'il y ait dans la fente une rainure ou coulisse, dans laquelle puisse se mouvoir un petit morceau de bois ou bâton.

Assemblez dans la fente de ce morceau de bois, un autre qui ait l'air d'une petite pelle, dont la queue soit percée de trous ; capable de recevoir une broche qui traversera en même tems les trous pratiqués dans l'épaisseur du premier morceau ; que cette pelle soit percée de pointes, de même que l'extrêmité aussi fendue de l'autre morceau. Fixez l'épaisseur de l'une & de l'autre de ces parties dans la lisse ; faites mouvoir l'une & l'autre partie jusqu'à-ce que toute la machine soit droite, il est évident que les parties de cette machine peuvent se redresser, & la queue de la partie faite en pelle se loger dans la fente de l'autre sans tendre l'ouvrage. On arrêtera ensuite la queue de cette partie par le bâton mobile dans la rainure, dont nous avons parlé.

Velours à fond or. Pour faire le velours cizelé à fond or ou argent, on ajoute à la chaîne & aux roquetins un poil de la couleur de la dorure, quatre lisses à grand colisse pour le poil, si on veut accompagner la dorure, ce qui ne se pratique guere ; on passe la chaîne dans les maillons avec les roquetins, & toutes les fois qu'on passe les deux fers, on passe deux coups de navette de dorure à deux bouts, ce qui fait quatre bouts de dorure entre les fers. On fait tirer les lacs de frisé & de coupé aux coups de dorure, afin qu'elle se trouve à l'envers de l'étoffe ; & quand il est question de passer les fers sous les lacs de frisé & de coupé, comme la chaîne qui est passée dans les roquetins est tirée comme eux, on a soin de faire baisser avec une lisse de rabat sous laquelle la chaîne est passée, cette même chaîne, afin qu'il ne se trouve que la soie des roquetins de levée, sous laquelle on passe les fers à l'ordinaire.

Ceux qui se piquent de faire cette étoffe comme il faut, ne mettent que deux lisses de poil à grand colisse, & six portées & un quart de poil pour les 1000 roquetins.

Velours uni. Le velours uni est la plus belle & la plus riche de toutes les étoffes figurées ; on donne le nom d'étoffe figurée à toutes celles dont la chaîne ou le poil fait une figure, sans que la tire ou la navette y ait aucune part.

Le velours uni est composé de quarante portées doubles pour la chaîne, ou quatre-vingt portées, ou de soixante portées simples, & de 20 portées de poil, monté sur des 20 de peigne ; c'est la façon d'Italie.

Les velours de quarante portées doubles sont montés sur quatre lisses de fond ; & ceux de soixante portées simples, sur six lisses. Ce sont les meilleurs ; & on ne les fait pas autrement à Gènes.

On ne détaillera point ici la façon dont la soie est distribuée dans les poils de velours, étant suffisamment expliquée dans un autre article ; on ne parlera que du travail de cette étoffe.

Elle est montée sur six lisses de chaîne, comme il a été dit, & deux de poil, parce qu'une gêneroit trop. Les fils sont passés dans les lisses dessus & dessous la boucle, ou entre les deux boucles de la maille, comme dans les taffetas unis. Ce qui s'appelle passés à coup tors.

Le velours doit avoir une lisiere qui indique sa qualité, ou qui le caractérise. Le velours à quatre poils doit avoir quatre chaînettes de soie jaune entre quatre autres de rouge ; le velours à trois poils & demi, quatre chaînettes d'un côté, & trois de l'autre ; le velours à trois poils trois chaînettes de chaque côté, ainsi des autres.

Le velours à six lisses doit avoir quatre marches pour la chaîne, & une pour le poil.

Quand la tête du velours est faite, & qu'on commence à le travailler, on enfonce la premiere marche du pié droit qui fait baisser une lisse, & celle du poil qui est du pié gauche, & on passe un coup de navette garnie de trame de la couleur de la chaîne & du poil. Au deuxieme coup on passe la même navette, & on enfonce la deuxieme marche du pié droit qui fait baisser deux lisses. Au troisieme coup on enfonce la troisieme marche & celle du poil qui fait baisser une lisse, & on passe un troisieme coup d'une seconde navette.

On laisse aller la troisieme marche du pié droit & celle du poil, & on enfonce les quatre marches de pieces, savoir deux de chaque pié, & on passe le fer dont la cannelure se trouve du côté du peigne. C'est le premier coup.

Au second coup on reprend la troisieme marche du côté droit qui fait baisser une lisse & celle du poil, & on les enfonce toutes les deux, & on reprend la premiere navette pour la passer. On baisse ensuite la quatrieme marche du côté droit qui fait baisser deux lisses, & on passe un second coup de la même navette. On reprend ensuite la premiere marche du pié droit qui fait baisser une lisse, & enfonçant celle de poil, on passe un troisieme coup avec la seconde navette ; ce coup passé, on met le pié sur les quatre marches de chaîne, & on passe le second fer.

Le second fer étant passé, on recommence à la premiere marche, comme il a été dit plus haut ; on passe les trois coups de navette, & on coupe le fer qui est passé ensuite de la même façon que les deux premiers. C'est la façon dont on travaille le velours à six lisses ; les autres tant petits que gros, sont travaillés à-peu-près de même.

Il faut observer que les velours sont montés d'une façon différente des autres étoffes ; dans les autres étoffes il faut faire lever les lisses pour les travailler ; dans les velours il faut les faire baisser.

Le velours à quatre lisses se travaille comme celui à six.

Démonstration de l'armure du velours à six lisses.


VELOUTÉadj. (Gram.) il se dit de tout ce qui a, soit à l'oeil, soit au toucher, l'apparence du velours.

VELOUTE, (Joaillerie) il se dit des couleurs des pierreries qui sont brunes & foncées, particulierement des rubis & des saphirs, quand les uns sont d'un rouge-brun, & les autres d'un bleu-foncé. (D.J.)

VELOUTE, ce qui est fait en maniere de velours. Le velouté d'un gallon est la laine ou la soie qui en forment les compartimens, quand elles sont coupées, comme au velours, avec la regle cannelée de cuivre.

VELOUTEE, (Anat.) est le nom qui se donne en particulier à une des membranes de l'estomac ; laquelle se nomme en latin crusta villosa. Voyez les Pl. d'Anat. Splanch. Voyez aussi ESTOMAC.

Elle tire son nom d'une multitude innombrable de poils ou fibrilles, dont sa surface interne est garnie, & qui forment comme une espece de velours. Voyez CRUSTA villosa.

VELOUTEE, tunique des intestins, (Anatomie) la tunique veloutée des intestins est la premiere tunique interne des intestins grèles, dans laquelle le chyle est renfermé. On la nomme tunique veloutée ou tunique villeuse, à cause de certains poils semblables à ceux du velours, dont elle paroît couverte ; ces poils sont plutôt des mamelons latéralement applatis, en partie simples & unis, en partie composés & comme branchus, selon l'observation de M. Helvétius, insérée dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1721. Quand on examine ces poils apparens avec une bonne loupe, on y découvre une infinité de pores, & ils paroissent comme de petites éponges.

La tunique veloutée est vaste, de couleur cendrée, remplie, comme nous venons de le dire des mamelons ou papilles ; elle est percée de tuyaux aqueux & muqueux, de vaisseaux lactés, de grands pores distingués des autres conduits, qui s'ouvrent au même endroit ; elle est humectée & lubréfiée continuellement d'humeurs aqueuses & glutineuses.

Elle est trois fois plus longue que la tunique nerveuse, qui est immédiatement couchée sur elle, surtout dans l'intestin nommé jejunum, où elle se replie, s'éleve, forme des valvules, & en conséquence est fort ridée, principalement où la tunique vasculeuse, glanduleuse & nerveuse, est attachée au mésentere, par sa partie convexe. De-là le chyle & les excrémens sont partout sans-cesse arrêtés, les matieres les plus épaisses sont continuellement délayées, surtout vers la fin de l'ileum ; les excrémens qui s'y épaississent, sont enduits d'humeurs onctueuses ; les choses âcres y produisent un sentiment très-douloureux ; elle éprouve en conséquence une irritation vive, quand la nature veut les expulser, & un resserrement dans les vaisseaux absorbans, qui empêche ces matieres âcres de pénétrer dans les parties intérieures du corps.

La membrane veloutée des intestins, se trouvant plus exposée à l'action des liqueurs aqueuses est fournie d'une plus grande quantité de sucs nécessaires pour la défendre de leur action, & se conserve dans un état naturel, tant qu'elle est enduite de sa mucosité ; toutes les fois que cette mucosité est emportée trop rapidement, comme il arrive dans les diarrhées & les dissenteries ; ou lorsqu'elle n'est pas séparée en une suffisante quantité, comme il arrive dans les inflammations & les autres obstructions des vaisseaux des intestins, il est aisé de juger des suites que peut avoir un accident de cette espece, & combien les médecins doivent s'attacher à suppléer par le moyen de l'art à ce qui manque alors à la nature.

Mais le phénomene le plus surprenant, & celui dont on parle le moins, est l'épaississement qui arrive quelquefois à la tunique veloutée des intestins, lorsqu'un corps dur est logé pendant un tems considérable dans quelqu'endroit particulier de ce conduit. Voyez à ce sujet les observations de médec. d'Edimbourg, tome IV.

Comme nous ne pouvons entrer dans ce détail, nous nous contenterons de finir par indiquer en deux mots l'usage de la tunique veloutée des intestins. Elle sert à couvrir les orifices des vaisseaux, à les défendre contre les effets nuisibles des matieres qui peuvent passer ou être contenues dans le conduit intestinal, & à transmettre ses impressions à la tunique nerveuse. (D.J.)


VELOUTERv. act. (Rubanerie) c'est donner à la soie ou à la laine dont on fait des galons, un poil semblable à celui du velours. (D.J.)


VELSBILLICH(Géog. anc.) petite ville d'Allemagne, dans l'électorat de Trèves, à deux lieues au nord de Trèves, sur une petite riviere. Longit. 24. 12. lat. 49. 50. (D.J.)


VELTAE(Géogr. anc.) peuples de la Sarmatie européenne. Ptolémée, liv. III. ch. v. les place sur l'Océan, dans une partie du golfe Vénédique. (D.J.)


VELTAGES. m. terme de Jaugeur, mesurage qui se fait des barriques, tonnes, tonneaux, pipes, & autres telles futailles, avec l'instrument que l'on appelle Velte. (D.J.)


VELTES. f. (Jaugeage) instrument qui sert à velter, c'est-à-dire à jauger & mesurer les tonneaux, pour en connoître la continence. La velte est une espece de jauge dont on se sert en quelques villes & provinces de France, comme en Guienne, à Bordeaux, dans l'île de Ré, à la Rochelle, à Bayonne, à Coignac, &c. & dans quelques pays étrangers, comme à Amsterdam, Lubec, Hambourg, Embden, &c.

La velte a différens noms, suivant les lieux où elle est d'usage ; dans quelques-uns on l'appelle verge, dans d'autres verle, & dans d'autres encore verte, viertel & viertelle. (D.J.)

VELTE, s. f. (Mesure de liquides) la velte est une mesure des liquides, particulierement des vins & des eaux-de-vie ; elle a autant de noms, & sert dans les mêmes lieux que la velte à jauger. La velte mesure, contient trois pots, le pot deux pintes, & la pinte pese à-peu-près deux livres & demie, poids de marc. (D.J.)


VELTERmesurer avec la velte. Voyez JAUGER.


VELTEURofficier ou commis qui mesure avec la velte ; c'est ce qu'on appelle ailleurs jaugeur. Voyez JAUGEUR. Dict. de Comm. tom. III. lett. V. p. 553.


VELTZ(Géog. mod.) bourgade de la haute Autriche, près de Lintz ; c'est dans cette bourgade que mourut en 1690 à l'âge de quarante-sept ans révolus, Charles V. duc de Lorraine, un des plus grands capitaines de son siecle, & qui rendit le plus de services à l'empereur. On dit qu'il lui écrivit en mourant la lettre suivante : " Sacrée majesté, suivant vos ordres, je suis parti d'Inspruk pour me rendre à Vienne, mais je suis arrêté ici par un plus grand maître ; je vais lui rendre compte d'une vie que je vous avois consacrée toute entiere ; souvenez-vous que je quitte une épouse qui vous touche, des enfans à qui je ne laisse que mon épée, & des sujets qui sont dans l'oppression ". (D.J.)


VELUadj. (Gramm.) qui est couvert de poil. La peau de la plûpart des animaux quadrupedes est velue ; il y a des plantes dont la feuille, & même l'écorce sont velues. Il y a des hommes qui sont presque aussi velus que des animaux.

VELUE, s. f. terme de Chasse ; c'est la peau qui est sur la tête des cerfs, des daims & des chevreuils lorsqu'ils la poussent.


VELUMS. m. (Littérat.) MM. Menard & de Caveirac se sont trompés, en expliquant le mot velum par tapisseries ; ils auroient dû rapporter quelque passage des anciens auteurs, qui nous apprît que les anciens étoient dans l'usage de tapisser leurs temples, & prouver par quelque autorité bien précise, qu'ils ont employé le mot velum pour exprimer une piece de tapisserie. Vela n'étoient certainement autre chose que des rideaux ou des portieres, & pour s'en convaincre on n'a qu'à jetter les yeux sur ce qu'ont dit les savans interpretes du nouveau Testament sur ces mots de l'Evangile, velum templi scissum est, &c. (D.J.)


VELVOTE(Botan.) espece de linaire, selon Tournefort, qui l'appelle linaria segetum, I. R. H. 169. Voyez LINAIRE. (D.J.)

VELVOTE FEMELLE ou VERONIQUE FEMELLE, (Botan.) ce sont deux noms vulgaires donnés à l'espece de linaire, que Tournefort appelle en Botanique linaria segetum, nummulariae folio, villoso. Voyez LINAIRE. (D.J.)

VELVOTE ou VERONIQUE FEMELLE, (Mat. Méd.) les feuilles de velvote sont fort ameres, un peu astringentes, & ont une certaine odeur d'huile. Cette plante est fort vulnéraire, tempérante, & détersive, apéritive, & résolutive. Son infusion, sa décoction, ou son eau distillée sont employées à la dose de quatre à six onces ; & son suc depuis trois onces jusqu'à cinq, deux ou trois fois le jour. On la loue dans le cancer, la goutte, les dartres, la lepre, l'hydropisie & les écrouelles. Pena & Lobel rapportent qu'un garçon barbier guérit un ulcère carcinomateux qui dévoroit le nez d'une personne, & qui devoit être coupé. Il dissuada de l'amputation, il fit boire du suc de cette plante & en fit faire des linimens, de sorte qu'il guérit le corps entier qui avoit de la disposition à devenir lépreux ; il avoit appris ce remede de son maître barbier. Le suc de cette plante répandu dans les ulcères sordides & cancéreux les déterge, les arrête, & les guérit. On en fait un onguent que Tournefort vante pour les ulcères, les hémorrhoïdes, les écrouelles, & tous les vices de la peau.

Quelques-uns emploient encore utilement la velvote dans les lavemens pour les cours de ventre & la dyssenterie ; les feuilles de cette plante entrent dans le baume vulnéraire. Geoffroi, Mat. méd.


VEMIUou WEHEMIUM. Voyez l'article TRIBUNAL SECRET DE WESTPHALIE ; c'est un brigandage, semblable à celui de l'inquisition, qui subsista long-tems en Allemagne, dans des tems de superstition & de barbarie.


VEMPSUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium, selon Ptolémée, l. III. c. j. quelques-uns veulent que ce soit présentement Val-Montone.


VEN PIS. m. (Hist. mod.) nom d'une montagne de la Chine, située dans la province de Quey-Chen, au midi de la capitale, appellée Quey yang fu ; elle a, dit-on, exactement la forme d'un cone isocele.


VENA-MEDENI(Médec. des Arabes) le vena-medeni des auteurs arabes n'est autre chose, suivant toute apparence, que la maladie causée par les petits insectes nommés dragoneaux, qui s'enfoncent dans les chairs, & y excitent des ulceres ; ce qu'il y a de singulier, c'est qu'Agatharchide le cnidien, qui fleurissoit sous Ptolomée Philometor, en a parlé le premier. Cet homme celebre est connu par plusieurs anciens écrivains qui font une honorable mention de lui.

M. le Clerc le range parmi les médecins de son tems, quoique ce ne fut pas sa profession, mais parce que dans son histoire il parle d'une maladie dont Hippocrate ni ses prédécesseurs n'ont rien dit.

Plutarque nous informe, sur l'autorité de cet historien, que les peuples qui habitent autour de la mer Rouge, entr'autres maladies étranges auxquelles ils sont sujets, sont souvent tourmentés de certains petits insectes qui se trouvent dans leurs jambes ou dans leurs bras, & leur mangent ces parties. Ces animaux montrent quelquefois un peu la tête, mais sitôt qu'on les touche, ils rentrent & s'enfoncent dans la chair, où s'y nichant de tous côtés, ils y causent des inflammations insupportables. Plutarque ajoute qu'avant le tems d'Agatharchide, ni même depuis, personne n'avoit rien vu de semblable en d'autres lieux. Le mal des contrées bordées par la mer Rouge, & que produit cet insecte, est certainement le vena-medeni des Arabes. Le même insecte cause encore aujourd'hui les mêmes maux, non-seulement aux peuples dont il est ici parlé, mais à ceux qui habitent les côtes de la Guinée, & les parties méridionales de la Perse. Vous en trouverez la preuve dans l'histoire naturelle de la Mecque ; & quant à cet insecte qui se loge entre cuir & chair, voyez son article au mot DRAGONEAU. (D.J.)


VENABULUMS. m. (Armes des Rom.) espece de demi-pique, dont le fer étoit fort large ; c'est pourquoi Virgile a dit : lato venabula ferro ; on s'en servoit à la chasse des bêtes fauves. (D.J.)


VÉNAFRE(Géog. mod.) en latin Venafrum, ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Terre de Labour, près du Volturne, avec titre de principauté, & un ancien évêché suffragant de Capoue ; elle est à vingt milles au nord de cette ville, & à quelques milles du comté de Molise. Long. 31. 44. lat. 41. 30. (D.J.)


VENAFRUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Campanie, sur le Vulturnus, & la derniere ville de cette province vers le nord ; son territoire s'avançoit sur les frontieres du Latium & du Samnium. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Rome à Benevent, en prenant par la voie Prénestine, & il la place entre Casinum & Theanum, à seize milles du premier de ces lieux, & à dix-huit milles du second.

Cette ville qui retient son ancien nom, car on la nomme aujourd'hui Venafro, se trouve appellée castrum Benafranum, civitas Benafrana, urbs Benafro, Venabris.

Venafrum, selon Pline, l. III. c. v. eut le titre de colonie romaine ; elle étoit célebre anciennement par la bonté de son huile d'olives, ce qui a fait dire à Horace, liv. II. ode vj.

.... Ubi non Hymetto

Mella decedunt, viridique certat

Bacca Venafro.

Pline, liv. XIII. ch. ij. après avoir dit que l'Italie l'emporte sur tout le reste du monde, ajoute, que l'huile de Venafrum l'emporte sur celle du reste de l'Italie. C'est de-là que, parmi les Romains, pour dire de l'huile excellente, on disoit simplement venafranum. On lit dans Juvénal, satyre v. vers 86. ipse venafrano piscem perfundi. (D.J.)


VENAISONS. f. c'est la graisse de cerf qu'on appelle de même aux autres bêtes, c'est le tems où il est le meilleur à manger & qu'on le force plus aisément, ce sont les cerfs de dix cors & les vieux qui en ont le plus ; on appelle bêtes de grosse venaison, les bêtes fauves, cerfs, daims & chevreuils avec leurs femelles & faons, & les bêtes noires, sangliers & marcassins : on appelle basse venaison, le lievre & le lapin.


VENAISSINLE COMTAT, ou LE COMTAT VENAISCIN, (Géog. mod.) pays situé entre la Provence, le Dauphiné, la Durance & le Rhône, & qui dépend du saint siége ; on l'appelle en latin du moyen âge Vendascensis ou Vendauscensis comitatus ; & il a pris son nom de la ville de Venasque.

Le comtat Venaissin, possédé depuis le onzieme siecle par les comtes de Toulouse, fut confisqué & conquis dans le treizieme sur le comte Raimond-leVieux, durant la guerre des Albigeois. Raimond-leJeune le laissa à sa fille Jeanne, & à son gendre Alphonse, qui en jouirent jusqu'à leur mort. Philippe-le-Hardi, roi de France, héritier de son oncle & de la comtesse de Toulouse, céda l'an 1273 le comtat Venaissin au pape Grégoire X. & depuis ce tems-là les papes l'ont gouverné par des officiers nommés recteurs.

Suarez a donné en latin la description du comtat Venaissin & de la ville d'Avignon ; cet ouvrage qui est assez estimé, a été mis au jour à Rome en 1658, in-4 °. (D.J.)


VÉNALITÉVÉNALITé

Il commence par rapporter à ce sujet ce qu'a écrit Loyseau dans son chapitre de la vénalité des offices. Loyseau est mort en 1628 ; le témoignage de ce jurisconsulte en pareille matiere a plus de poids que celui des historiens qui se sont copiés les uns les autres. Louis XI. dit-il, rendit les offices perpétuels par son ordonnance de 1467 ; donc auparavant on ne les achetoit pas. Charles VIII. par son ordonnance de 1493 défendit de vendre les offices de judicature ; cette loi s'étoit si bien maintenue avant ces deux rois, que Pasquier rapporte deux arrêts de la chambre des comptes de 1373 & de 1404, par lesquels des officiers qui avoient payé pour leurs offices, furent destitués.

Louis XII. commença à mettre en vente les offices, mais ce ne fut que ceux de finance. Nicole, Gilles & Gaguin disent à ce sujet, " Que ce fut pour s'acquiter des grandes dettes faites par Charles VIII. son prédécesseur, pour le recouvrement du duché de Milan, & ne voulant surcharger son peuple, qu'il prit de l'argent des offices, dont il tira grandes pécunes. Loyseau, tom. III. chap. j. n°. 86. D'ailleurs il défendit par un édit de 1508, la vente des offices de judicature ; mais comme en France une ouverture pour tirer de l'argent, étant une fois commencée, s'accroît toujours ", le roi François I. étendit la vente des offices de finance à ceux de judicature.

Ce n'est pas que long-tems auparavant il n'y eût une maniere indirecte de mettre les offices à prix d'argent, comme il paroit par la chronique de Flandre, c.xxxiij. où il est dit que le roi Philippe-le-Bel, " poursuivant la canonisation de saint Louis, en fut refusé par le pape Boniface VIII. parce qu'il fut trouvé qu'il avoit mis ses bailliages & prevôtés en fermes ". C'est qu'on se servoit alors du prétexte d'affermer les droits domaniaux, & on bailloit quant & quant à ferme l'office de prevôt, vicomte, &c. parce qu'ils administroient tout-à-la-fois la ferme & la justice ; mais ce n'étoit point vendre les offices, comme on le fit depuis, & l'on pouvoit dire que ce n'étoit que la terre que l'on affermoit.

Ainsi donc le regne de François I. est l'époque qui paroît la plus vraisemblable de la vénalité des charges, parce qu'alors il y en eut de vendues en plus grand nombre ; mais y a-t-il une loi qui fixe cette époque ? & comment peut-on expliquer ce qu'on lit par-tout d'offices, même de judicature, qui furent vendus long-tems avant ce regne, & de la défense qui en fut faite depuis ?

Pour répondre d'abord aux exemples de la vente de quelques offices de judicature, antérieure au regne de François I. il paroit certain à M. le président Hénault, que la vénalité de ces sortes d'offices n'étoit pas même tolérée ; les ordonnances de Charles VII. de Charles VIII. & de Louis XII. en fournissent la preuve ; cette preuve se trouve encore antérieurement. Voyez le dialogue des avocats intitulé Pasquier. Voyez le vol. VII. du recueil des ordonnances ; on y lit dans les lettres du 19 Novemb. 1393, concernant les procureurs du Châtelet de Paris, pour cause de ladite ordonnance, ledit office de procuration étoit accoutumé d'être exposé en vente, & par titres d'achat, aucuns y avoient été ou étoient pourvûs. On voit des plaintes des Etats-généraux à Louis XI. dans le recueil de Quênet, sur ce que l'on avoit vendu des charges de judicature ; Philippe de Comines rapporte la même chose.

Les exemples de ces ventes sont en grand nombre, mais ces exemples nous fournissent en même tems la preuve, que ces ventes n'étoient point autorisées, par les plaintes que l'on en portoit au souverain ; cela n'empêchoit pas que ce trafic ne continuât par les grands ou les gens en place, qui vendoient leur crédit sans que le roi en fût informé, ou sans qu'il parût s'en appercevoir ; c'est dans ce sens qu'il semble que l'on doit entendre tous les passages qui déposent de la vénalité des charges ; c'étoient des abus, & par conséquent ce ne sont ni des autorités ni des époques.

Nous restons toujours au regne de François I. sans que ce prince ait cependant donné des loix au sujet de la vénalité ; loin de-là, pour sauver le serment que l'on étoit obligé de faire au parlement, de n'avoir point acheté son office ; ce trafic étoit coloré du titre de prêt pour les besoins de l'état, & par conséquent n'étoit pas une vente : à la vérité Henri II. se contraignit moins ; on lit dans un édit de 1554, qui regle la forme suivant laquelle on devoit procéder aux parties casuelles pour la taxe & la vente des offices que ce prince ne fait aucune distinction des offices de judicature à ceux de finance, & qu'il ordonne que tous ceux qui voudroient se faire pourvoir d'office, soit par vacation, résignation, ou création nouvelle, feroient enregistrer leurs noms chaque semaine, & que le contrôleur-général feroit des notes contenant les noms & qualités des offices qui seroient à taxer, &c.

Le peuple qui croyoit que la vénalité des charges entraînoit celle de la justice, ne voyoit pas sans murmurer ce système s'accréditer ; les grands d'ailleurs n'y trouvoient pas leur compte, puisqu'ils ne pouvoient mettre en place des hommes qui leur fussent dévoués ; ce fut par cette double raison que Catherine de Médicis, lors de l'avénement de François II. à la couronne, voulut faire revivre l'ancienne forme des élections.

Ce n'est pas que les élections n'eussent leur inconvénient ; car où n'y en a-t-il pas ? Elles étoient accompagnées de tant de brigues, que dans l'édit donné par François II. il fut dit que le parlement présenteroit au roi trois sujets, entre lesquels le roi choisiroit : les choses n'en allerent pas mieux ; tous les offices vacans furent remplis de gens dévoués tantôt au connétable, tantôt aux Guises, tantôt au prince de Condé, & rarement au roi, en sorte que l'esprit de parti devint le mobile de tous les corps bien plus que l'amour du bien public, & vraisemblablement une des causes des guerres civiles.

Sous le regne de Charles IX. le système de la vénalité reprit le dessus, & peut-être est-ce-là la véritable époque de celle des offices de judicature ; ce ne fut pas toutefois en prononçant directement que les offices de judicature seroient désormais en vente, mais cela y ressembloit beaucoup. Le roi permit à tous les possesseurs de charges qui, sans être vénales de leur nature, étoient réputées telles à cause des finances payées pour les obtenir, de les résigner en payant le tiers denier ; les charges de judicature qui étoient dans ce cas, entrerent comme les autres aux parties casuelles ; le commerce entre les particuliers en devint public, ce qui ne s'étoit point vu jusqu'alors ; & quand elles vinrent à tomber aux parties casuelles faute par les résignans d'avoir survêcu quarante jours à leur résignation, on les taxa comme les autres, & on donna des quittances de finance dans la forme ordinaire.

On comprend que ce commerce une fois autorisé, les élections tomberent d'elles-mêmes, & qu'il n'étoit pas besoin d'une loi pour les anéantir.

Ainsi on peut regarder les édits de Charles IX. à ce sujet, qui sont des années 1567 & 1568, comme les destructeurs de cet ancien usage de l'élection, qui n'a pas reparu depuis, malgré l'ordonnance de Blois de 1579, qui à cet égard n'a point eu d'exécution. Les dispositions de ces édits furent renouvellées en différentes fois par Charles IX. lui-même, & ensuite par Henri III. Enfin l'édit de 1604, qui a rendu héréditaires tous les offices sans distinction, même ceux des cours souveraines, a rendu à cet égard les offices de judicature de même nature que tous les autres, & depuis il n'a plus été question de charges non- vénales.

On pourroit conclure avec raison de ce qui vient d'être dit, que le regne de François I. ne doit pas être l'époque de la vénalité des charges : ce n'en est pas en effet l'époque, si j'ose dire judiciaire, mais c'en est la cause véritable, puisque ce fut sous son regne qu'une grande partie de ces charges s'obtint pour de l'argent.

Il résulte donc de ce détail que Charles IX. a établi positivement par ses édits la vénalité des offices de judicature ; celle des charges de finance l'avoit été par Louis XII. & nous lisons dans les mémoires de Duplessis Mornay, tom. I. pag. 456. que ce furent les Guises qui mirent les premiers en vente les charges militaires sous le regne d'Henri III.

Telles sont les époques de la vénalité de toutes les charges dans ce royaume. Cette vénalité a-t-elle des inconvéniens plus grands que son utilité ? c'est une question déja traitée dans cet ouvrage. Voyez CHARGES, OFFICES, &c.

Nous nous contenterons d'ajouter ici qu'en regardant la vénalité & l'hérédité des charges de finance & de judicature comme utiles, ainsi que le prétend le testament politique du cardinal de Richelieu, on conviendra sans peine qu'il seroit encore plus avantageux d'en restreindre le nombre effréné. Quant aux charges militaires, comme elles sont le prix destiné à la noblesse, au courage, aux belles actions, la suppression de toute vénalité en ce genre ne sauroit trop tôt avoir lieu. (D.J.)


VENANT SAINT(Géog. mod.) petite ville de France, dans l'Artois, sur la Lys, à 2 lieues au levant d'Aire, & à 12 au sud-est de Dunkerque. Elle a des écluses, & quelques fortifications pour sa défense. Long. 20. 15. latit. 50. 37. (D.J.)


VÉNASQUE(Géog. mod.) 1°. en latin du moyen âge Vendasca ou Vendausca ; ville des états du pape dans le comtat Venaissin dont elle a été autrefois la capitale, & auquel elle a donné son nom ; c'est aujourd'hui une petite place misérable, Carpentras lui ayant enlevé ses prérogatives, & en particulier son épiscopat.

2°. Vénasque, ou plutôt Benasca, est encore le nom françois d'une petite ville d'Espagne, au royaume d'Aragon, sur la riviere d'Essera, avec un château où on tient garnison. Son terroir produit d'excellent vin. (D.J.)


VENCE(Géogr. mod.) en latin Vencium ; ville de France, dans la Provence, à 2 lieues au nord-est d'Antibes, & à 3 de Grasse, avec évêché suffragant d'Embrun. C'est un très-petit évêché qui n'a que 23 paroisses, & dont le revenu peut aller à dix mille livres. On a tenté plusieurs fois sans succès d'unir cet évêché à celui de Grasse. Il a en partie la seigneurie temporelle de la ville de Vence. Cette ville si chetive aujourd'hui, appartenoit autrefois aux peuples Nérasiens, & Ptolémée en fait mention. Elle fut attribuée par les Romains à la province des Alpes maritimes. Long. 24. 46. lat. 43. 44. (D.J.)


VENCUS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) nom chinois d'un excellent fruit fort commun dans leur pays & dans les Indes orientales ; c'est le jambos d'Acosta, le pompebinos des Hollandois de Batavia, le jamboa, ou jambeïro des Portugais. Voyez JAMBEIRO.


VENDANGES. f. VENDANGER, (Econom. rust.) c'est faire la récolte des vignes, des muscats, chasselas, bourdelais, verjus, pommiers, poiriers, cormiers dont on fait différentes liqueurs, telles que du vin, du verjus, du poiré, du cidre & du cormié.

VENDANGER, (Critiq. sacrée) la récolte des vins, chez les Hébreux, étoit accompagnée de festins & de réjouissances, Is. xxv. 6. mais vendanger a dans l'Ecriture des significations métaphoriques tirées du dépouillement qu'on fait de la vigne ; ainsi ce mot se prend pour ravager, & les Hébreux se servent assez souvent de cette métaphore. (D.J.)


VENDÉE, LA(Géog. mod.) petite riviere de France en Poitou. Elle a sa source près des bois du Pays-de-Serre, & tombe dans la mer vis-à-vis de Marans. (D.J.)


VENDENIS(Géog. anc.) ville de la haute Moesie. Elle est marquée par Ptolémée, l. III. c. jx. au nombre des villes qui étoient éloignées du Danube. Le nom moderne est Ravenitzen, selon Lazius.


VENDEURS. m. (Gramm. & Comm.) celui qui vend. Voyez VENDRE. Ce terme se dit en général de toute personne qui cede & livre à une autre quelque chose, soit héritage, soit contrat, soit marchandise, pour un prix convenu entr'elles. Celui qui vend ce qui ne lui appartient pas s'appelle faux vendeur ou stellionataire. Voyez STELLIONATAIRE.

VENDEUR, en fait de marchandises, ne se dit guere que de celui qui vend de petites denrées ou des friandises. Un vendeur d'allumettes, un vendeur de petits pâtés, &c. On le dit aussi des femmes qui font ces sortes de petits négoces. Une vendeuse de pain d'épice, de pommes, d'oranges, &c.

VENDEURS, se dit aussi de certains officiers du châtelet de Paris, institués pour crier, priser & vendre les meubles saisis qui se vendent publiquement au plus offrant & dernier enchérisseur par ordre de justice, ou volontairement après le décès des propriétaires. Les sergens à verge du châtelet de Paris prennent le titre de jurés-priseurs, crieurs, & vendeurs de meubles. Voyez PRISEUR. Dictionn. de Comm.

VENDEUR, juré-vendeur, c'est en France un officier établi par le roi pour ce qui concerne la vente de certaines especes de marchandises. On les appelle jurés, à cause du serment qu'ils font lorsqu'ils sont reçus à cet office, & aussi parce qu'ils font quelques-unes des fonctions de ce qu'on appelle jurés dans les corps des marchands & les communautés des arts & métiers.

Il y a à Paris plusieurs jurés-vendeurs, entr'autres des jurés-vendeurs de vin, des jurés-vendeurs de cuirs, des jurés-vendeurs de marée ou poisson de mer, & des jurés-vendeurs de volailles, & quelques autres moins considérables.

Ces officiers sont établis pour payer comptant aux marchands forains lorsqu'ils sont convenus avec les acheteurs, les sommes auxquelles se monte la vente de leurs marchandises, desquelles ces vendeurs se chargent à leur propre compte, & en font à leurs risques, périls & fortunes le recouvrement sur les acheteurs.

Pour faire ces avances, les vendeurs sont tenus de faire un certain fonds ordinairement réglé par les édits & déclarations de leur établissement, qui en cas de mort est remboursé à leurs héritiers, & remplacé par le nouveau vendeur qui est pourvu de l'office vacant.

Chaque communauté de vendeurs doit avoir son bureau pour s'assembler, & son registre pour y enregistrer les ventes & prix des marchandises, les noms des marchands forains & ceux des acheteurs. Ils ont aussi leurs officiers qu'ils élisent tous les ans, savoir un ou deux receveurs, deux ou plusieurs syndics ; quelques-uns n'en ont point, mais des caissiers & des commis.

Pour les peines des vendeurs & les intérêts de l'argent qu'ils avancent, ils reçoivent certains droits qui leur sont attribués, lesquels leur doivent être payés par les marchands forains, & déduits sur le prix des marchandises qui ont été vendues. Enfin, ceux qui ont acheté, & pour qui le prix de la vente a été avancé aux forains par les vendeurs, peuvent être contraints au payement sans qu'il soit besoin d'aucune sentence ou jugement qui les y condamne.

Chaque communauté de jurés-vendeurs a outre cela de certains droits & fonctions qui leur sont propres, & dont on trouvera un détail très-circonstancié, aussibien que de leur création, nombre, augmentation, privileges, &c. Dict. de Comm.

VENDEUR d'eau-de-vie, VENDEUSE d'eau-de-vie, ce sont à Paris de pauvres gens qui gagnent leur vie en débitant à petites mesures, depuis quatre deniers jusqu'à un sou au plus, l'eau-de-vie qu'ils ont achetée au pot ou à la pinte des détailleurs.

L'ordonnance de 1680 défend aux commis des aides, de faire payer ni exiger aucuns droits de ces petits regrattiers, revendeurs d'eau-de-vie à porte-col, ou au coin des rues, à peine de concussion. Dict. de Comm.


VENDICATIONSVENDICATIONS

On peut voir à ce sujet, dans l'histoire d'Angleterre de Rapin, un extrait détaillé des registres de la cour des vendications, au couronnement du roi Jacques II. & de la reine Marie son épouse. En voici quelques articles pour exemple.

I. Le lord grand chambellan vendica, c'est-à-dire réclama, au susdit couronnement, le droit d'aller porter ce jour-là la chemise & les habits au roi, & d'habiller sa majesté ; d'avoir quarante verges de velours cramoisi pour une robe, comme aussi le lit du roi & ce qui en dépend ; la garniture de la chambre où il avoit couché la nuit précédente, avec les habits qu'il portoit la veille, & sa robe de chambre ; de présenter de l'eau à sa majesté avant & après dîner, & d'avoir les bassins, les essuiemains, & la coupe d'essai. Accordé, à la reserve de la coupe d'essai. Il reçut les quarante verges de velours, & le reste des profits fut estimé à deux cent livres sterlings.

II. Le comte de Derby contre-vendiqua l'officier du lord grand-chambellan, avec les avantages, &c. Refusé.

III. Le champion du roi vendiqua son office, en qualité de seigneur de Scrivilsbi, fief du comté de Lincoln, de s'acquiter des devoirs de sa charge, & d'avoir une coupe & le couvert d'or, avec le cheval que monte sa majesté, la selle, les armes, les harnois, & vingt verges de satin cramoisi. Accordé, à la reserve du satin.

IV. Le même office fut contre-vendiqué par une autre branche de la même famille. Refusé.

V. Le lord feudataire de Lyston, en Essex, vendiqua le droit de faire des gaufres pour le roi & pour la reine, & de leur servir à table ; d'avoir tous les instrumens d'argent & d'autres métaux qui servoient à cet usage, avec le linge, & des livrées pour lui & pour deux valets. Accordé ; mais le service se fit, avec son agrément, par les officiers du roi, & les profits furent évalués à 30 livres sterlings.

VI. Le lord maire avec les citoyens de Londres, vendiqua le droit de servir du vin au roi après le dîner, dans une coupe d'or, & de garder la coupe & le couvercle pour sa peine ; avec douze autres citoyens qu'ils avoient choisis d'entr'eux, d'assister le grand sommelier d'Angleterre dans son office, & d'avoir une table à main gauche de la salle. Refusé, sous le regne du roi Jacques, parce que ce prince s'étoit emparé alors des libertés de la cité. Malgré cela ils firent l'office par grace ; ils dînerent dans la salle, & ils eurent la coupe pour leur peine.

VII. Le même lord maire & les citoyens de Londres vendiquerent le droit de servir la reine de la même maniere. Refusé dans ce tems-là par la même raison.

VIII. Le maire & les bourgeois d'Oxford, vendiquerent en vertu d'une patente, le droit de servir le roi dans l'office de sommelerie, conjointement avec les citoyens de Londres, avec tous les profits qui en dépendent ; entr'autres trois coupes d'érable pour leur salaire ; comme aussi, par la grace du roi, une grande jatte dorée avec son couvercle. Accordé.

IX. Le seigneur feudataire de Bardol d'Addington, en Surrey, vendiqua le privilege de trouver un homme qui fît un mets de gruau dans la cuisine du roi, & pour cela demanda que le chef de cuisine de sa majesté en fît l'office. Accordé, & le susdit seigneur feudataire l'apporta sur la table du roi, &c.

La cour des vendications s'établit par proclamation avant chaque couronnement, décide les différentes prétentions, & fait insérer dans les registres les vendications qu'elle a accordées ou refusées. (D.J.)


VENDITIONS. f. (Jurisprud.) est la même chose que vente. Voyez ci-après VENTE.


VENDOISES. f. (Pêche) est un poisson différent de la carpe en ce qu'il est blanchâtre & plus applati ; mais il est de meilleur goût, & n'est pas si commun ; il a le museau pointu, au reste on le trouve dans les mêmes endroits que la carpe.


VENDOME(Géog. mod.) ville de France, dans la Beauce, capitale du Vendômois, sur la droite du Loir, à sept lieues au nord-est de Blois, à quinze au nord-est de Tours, & à trente-sept au sud-ouest de Paris. Il y a bailliage, élection, maréchaussée, grenier-à-sel, & plusieurs couvens, entr'autres de cordeliers, de capucins, d'ursulines, &c.

Les écrits qui ont été faits dans le dernier siecle pour prouver la sainte larme de Vendôme, ne sont ni philosophiques, ni raisonnables. Je suis fâché d'y trouver celui du P. Mabillon en réponse à la dissertation de M. Thiers, qui démontroit la fausseté de cette relique, & en conséquence il en avoit demandé la suppression à M. l'évêque de Blois. Long. de Vendôme 18. 44. latit. 47. 46.

Cette ville a la gloire d'avoir eu d'augustes seigneurs dont descendoit Henri IV.

Louis, prince de Condé, frere du roi de Navarre, naquit à Vendôme en 1530, & fut tué en 1569 à la bataille de Jarnac, près d'Angoulême. Voyez JARNAC. (Géog. mod.)

Il eut pour fils Henri de Bourbon I. du nom, prince de Condé, sur lequel voyez JEAN D'ANGELI, Saint, (Géog. mod.)

Souchay (Jean-Baptiste) peut être regardé comme né à Vendôme ; mais il a fait ses études à Paris, où il mourut en 1746, à 59 ans ; il fut reçu de l'académie des Inscriptions en 1726, professeur d'éloquence au college royal en 1732, & deux ans après il obtint un canonicat.

On a de lui 1°. une édition d'Ausone, 2°. une traduction françoise de la Pseudodoxia epidemica du savant Thomas Brown, médecin, en deux vol. in-12, sous le titre d'essai sur les erreurs populaires, 3°. une édition des oeuvres diverses de M. Pélisson en trois vol. in-12, 4°. des remarques sur la traduction de Josephe, par M. d'Andilly, Paris 1744, six volumes in-12, 5°. une édition des oeuvres de Boileau en 1740, deux vol. in-4 °, 6°. une édition mal conçue de l'Astrée d'Honoré d'Urfé, Paris 1733, en dix volumes in-12, 7°. plusieurs dissertations dans les mémoires de l'académie des Belles-Lettres. (D.J.)


VENDOMOIS(Géog. mod.) petit pays de France, borné au nord par le Perche, au midi par la Touraine, au levant par le Blaisois, & au couchant par le Maine. On le divise en haut & en bas Vendômois. Le haut comprend Vendôme, capitale, & quarante-six paroisses.

L'ancien nom de Vendômois étoit Vendocinum ; il faisoit dès le tems de Charles-le-chauve, un pays séparé qu'on nommoit pagus Vendocinus ; il étoit ci-devant de l'évêché de Chartres ; mais aujourd'hui il est de l'évêché de Blois. Ce pays a eu dès la fin du dixieme siecle ses comtes héréditaires qui devinrent aussi comtes de Castres en Languedoc.

C'est d'eux que descendoit Charles de Bourbon, créé duc de Vendôme par François I. Antoine de Bourbon, fils de Charles, épousa l'héritiere de Navarre, & laissa son fils unique Henri IV. qui fut premierement roi de Navarre & ensuite roi de France. Ce prince donna le duché de Vendôme son ancien patrimoine, à César son fils naturel, qu'il avoit eu de Gabrielle d'Estrée. César épousa Françoise de Lorraine en 1609, & laissa le duché de Vendôme à Louis son fils. Louis épousa en 1652 Victoire Mancini, niece du cardinal Mazarin, de laquelle il eut Louis Joseph duc de Vendôme, marié en 1710 avec Marie Anne de Bourbon-Condé, & mort en Catalogne en 1712, sans laisser de postérité.

Ronsard (Pierre de) poëte françois du xvj. siecle, naquit dans le Vendômois en 1525. Il devint page du duc d'Orléans, & ayant passé au service de Jacques Stuart, roi d'Ecosse, il demeura deux ans dans ce royaume. De retour en France il se livra tout entier à la poésie, & y acquit une réputation extraordinaire. Les rois Henri II. François II. Charles IX. & Henri III. le comblerent de faveurs. Marie Stuart lui fit présent d'un buffet fort riche, où étoit un vase en forme de rosier, représentant le Parnasse & un Pégase au-dessus, avec cette inscription : à Ronsard l'Apollon de la source des muses.

La ville de Toulouse lui envoya une Minerve d'argent massif pour le premier prix des jeux floraux qu'elle lui décerna, & le présent fut accompagné d'un décret qui déclaroit Ronsard le poëte françois par excellence. On peut juger par tous ces faits de la grande réputation dont jouissoit ce poëte. Il mourut en 1585, âgé de 60 ans. Du Perron qui fut depuis cardinal, prononça son oraison funebre.

Ronsard avoit véritablement la sorte de génie qui fait le poëte. Il y joignit une érudition assez vaste. Il s'étoit familiarisé avec les anciens, & sur-tout avec les poëtes grecs, dont il savoit la langue. Mais le manque de goût de son siecle, & le peu qu'il en avoit lui-même, au lieu de perfectionner en lui la nature, ne firent que la corrompre. Imitateur servile des Grecs qu'il adoroit avec raison, il voulut enrichir notre langue de leurs dépouilles. Il remplit ses ouvrages d'allusions fréquentes à leurs histoires, à leurs fables, à leurs usages. Il admit dans ses vers le mêlange de différens dialectes de nos provinces. Il habilla même à la françoise une quantité prodigieuse de termes grecs ; il en devint inintelligible. Ainsi malgré tous ses talens sa réputation ne lui survécut guere ; & depuis Malherbe ses ouvrages ne sont plus lus.

Il supprima dans son édition de 1585, un sonnet qu'il avoit fait en 1557, & que Binet, auteur de sa vie, a transformé en satyre contre Philibert de Lorme, ajoutant que cette satyre fut cause que l'architecte ferma la porte des tuileries au poëte. Quoique l'anecdote de Binet me paroisse une fable, je vais transcrire ici le sonnet dont il s'agit, d'autant mieux qu'il est peu connu.

Penses-tu, mon Aubert, que l'empire de France

Soit plus chéri du ciel que celui des Médois,

Que celui des Romains, que celui des Grégeois,

Qui sont de leur grandeur tombés en décadence ?

Notre empire mourra, imitant l'inconstance

De toute chose née, & mourront quelquefois

Nos vers & nos écrits, soit latins ou françois,

Car rien d'humain ne fait à la mort résistance.

Ah, il vaudroit mieux être architecte ou maçon

Pour richement timbrer le haut d'un écusson

D'une crosse honorable, en lieu d'une truelle.

Mais de quoi sert l'honneur d'écrire tant de vers,

Puisqu'on n'en sent plus rien quand la parque cruelle,

Qui des muses n'a soin, nous a mis à l'envers.

(D.J.)


VENDREv. act. (Gram. & Comm.) en général signifie aliener, transporter à un autre la propriété d'une chose qui nous appartient, & que nous lui cédons & livrons moyennant un certain prix ou somme d'argent dont on demeure d'accord.

Les marchandises ou autres effets mobiliers se vendent ou de gré-à-gré par une simple tradition, ou par force à l'encan, par autorité de justice. Voyez ENCAN. Les immeubles, comme terres, maisons, moulins, &c. se vendent aussi ou volontairement par un simple contrat ou par un contrat qui doit être suivi d'un decret volontaire, ou forcément par un decret précédé d'une saisie réelle. Voyez CONTRAT, DECRET, SAISIE REELLE.

Tout ce qui se vend par force, marchandises, meubles & immeubles, doit être crié & adjugé publiquement au plus offrant & dernier enchérisseur, en payant par lui le prix de la chose adjugée. Voyez ADJUGER & ENCHERISSEUR.

Il y a cependant des choses qui se vendent & s'adjugent à cri public, quoique la vente n'en soit pas forcée ; tels sont les bois, les domaines, & autres choses appartenantes au roi, les marchandises venues par les vaisseaux de la compagnie des Indes, &c. Dictionn. de Commerce.

VENDRE des marchandises, signifie précisément s'en défaire, les débiter, les livrer, pour un certain prix, ou à certaines conditions ; il y a différentes manieres de vendre les marchandises, que nous allons rapporter & expliquer d'après l'auteur du dictionnaire de Commerce.

Vendre en gros, c'est vendre tout-d'un-coup & en une seule fois une partie considérable de marchandises.

Vendre en détail, c'est débiter par petites parties les marchandises qu'on a achetées en gros.

Vendre comptant, c'est recevoir le prix de la marchandise vendue dans le moment qu'elle est livrée.

Vendre au comptant ou pour comptant, ne signifie pas la même chose que l'expression précédente, mais que le vendeur accorde quelquefois à l'acheteur jusqu'à trois mois de tems pour payer un argent qu'il regarde comme comptant.

Vendre à crédit ou à terme, c'est vendre à condition d'être payé dans un tems dont le vendeur convient avec l'acheteur.

Vendre partie comptant & partie à crédit ou à terme, c'est recevoir sur le champ une partie du prix de la chose vendue, & donner du tems pour le reste.

Vendre à crédit pour un tems à charge de discompte ou d'excompte, à tant pour cent par mois pour le promt payement, c'est une convention suivant laquelle le vendeur s'engage de faire un rabais ou diminution sur le prix des marchandises qu'il a vendues, supposé que l'acheteur desire de lui payer avant le tems, & cela à proportion de ce qui en restera à expirer, à compter du jour que le payement doit être fait. Voyez DISCOMPTE & EXCOMPTE.

Vendre à profit, c'est vendre suivant son livre journal d'achat, ou conformément à sa facture à tant par cent de gain. Voyez JOURNAL & FACTURE.

Vendre pour payer de foire en foire, ou d'une foire à l'autre, c'est proprement vendre à crédit pour un tems.

Vendre pour son compte, c'est vendre pour soi-même.

Vendre par commission, c'est vendre pour le compte d'un autre moyennant un certain salaire qu'on nomme droit de commission. Voyez COMMISSION.

Vendre partie comptant, partie en lettres ou billets de change, & partie à terme ou à crédit, c'est recevoir une partie du prix en argent comptant, une autre en lettres ou billets de change, & donner du tems pour payer le reste.

Vendre partie comptant, partie en promesses, & partie en troc, c'est recevoir une partie en argent comptant dans le moment de la vente, une autre en promesses ou billets, dont les payemens doivent se faire dans les tems stipulés, & prendre pour l'autre partie certaines marchandises du prix desquelles on convient, & qu'on nomme marchandises en troc. Voyez TROC.

Vendre au bassin, se dit à Amsterdam de certaines ventes publiques, dans lesquelles le vendu-meester frappe sur un bassin de cuivre avec une baguette lorsqu'il veut délivrer les cavelins. Voyez BASSIN, VENTE AU BASSIN, CAVELIN & VENDU-MEESTER.

Vendre hors la main, c'est vendre en particulier.

Vendre se dit aussi de la maniere de débiter les marchandises & denrées, dont les unes, comme les métaux, les soies, fils, laines, épiceries, &c. se vendent au poids ; les autres, comme les draps, étoffes, toiles, dentelles, rubans, &c. se vendent à l'aune, à la canne ou autre semblable mesure de longueur ; d'autres, comme les grains, graines, légumes, farine, charbon de bois & de terre, se vendent au muid, au septier, à la mine, au boisseau, &c. les liqueurs, comme le vin, l'eau-de-vie, le cidre, la biere, se vendent en détail à la pinte, chopine, pot, &c. & en gros, à la barrique, au tonneau, à la pipe, au bussard, au muid, à la queue, &c. enfin certaines marchandises se vendent au compte, c'est-à-dire au cent, au quarteron, à la douzaine, à la grosse, &c.

Vendre signifie quelquefois tromper, trahir. Ce négociant est plus fin que son associé, il le vendroit à beaux deniers comptans.

Se vendre se dit dans le négoce de plusieurs marchandises, & signifie avoir cours ou débit ; les blés, les vins, les toiles se vendent bien.

Enfin vendre a plusieurs significations dans le commerce, comme marchandise qui plaît est à demi vendue. Ce marchand vend bien ses coquilles, c'est-à-dire qu'il vend ses marchandises plus cher qu'un autre. Diction. de commerce.

VENDRE, (Critique sacrée) un hébreu, dans une urgente nécessité, pouvoit vendre sa propre liberté par la loi du Lévitique, xxv. 39. cependant il étoit défendu à celui qui l'achetoit de le traiter comme un esclave, mais il devoit le garder comme un ouvrier à gages ; de même quand un hébreu pressé par le besoin vendoit sa fille, c'étoit à condition que son maître l'épouseroit & lui donneroit le rang de seconde femme, Exod. xxj. 7. ainsi quand il vouloit la renvoyer, il étoit obligé de lui donner une récompense ; ce qui ne se pratiquoit pas envers les esclaves que l'on renvoyoit libres. La loi du Lévitique, c.xxij. permettoit aussi de vendre un voleur qui ne pouvoit restituer ce qu'il avoit dérobé. On vendoit encore les débiteurs insolvables & leurs enfans, comme il paroît par Matth. xviij. 25. mais celui qui vendoit un homme libre pour esclave étoit puni de mort, Exod. xxj. 16. Etre vendu pour faire le mal, est une expression familiere dans l'Ecriture, qui signifie s'abandonner, se livrer tout entier à mal faire, III. Rois xxj. 25. (D.J.)

VENDRE, port de, (Géogr. mod.) port de France, dans le Roussillon, sur la côte de la Méditerranée, au pié de plusieurs montagnes, à un mille & demi nord-ouest du cap d'Esbiere. Le port de Vendre est une espece de calanque, longue d'environ quatre cent toises, & large de cent en certains endroits. C'étoit autrefois un très-bon port, mais il est présentement comblé en partie. La latitude de ce port est 42. 30. & la variation 6d. nord-ouest. (D.J.)


VENDREDIS. m. (Astronom.) est le sixieme jour de la semaine, consacré autrefois par les païens à Vénus, dont il a conservé le nom ; il est appellé dans l'office de l'Eglise feria sexta : c'est le jour consacré à Dieu chez les Turcs, comme le dimanche chez les Chrétiens.


VENDUVENDUE, adj. (Gram. & Comm.) effet ou marchandise qui a été donné à prix d'argent. Vin vendu, épiceries vendues.


VENDU-MEESTERS. m. (Comm.) qu'on nomme aussi asflager ; c'est à Amsterdam un commissaire établi par les bourguemestres pour présider aux ventes qui se font au bassin, c'est-à-dire aux ventes publiques, soit volontaires, soit forcées.

Le jour fixé pour la vente & dans le lieu marqué pour la faire, le vendu-meester se place sur une espece de bureau, ayant à ses côtés les courtiers du vendeur, & devant lui une table avec un bassin de cuivre pour frapper dessus lorsqu'il veut imposer silence, ou adjuger les lots aux derniers enchérisseurs. Les courtiers sont chargés de ce qu'on appelle les plokpenins ou deniers-à-dieu, que le vendeur doit donner à l'acheteur. Voyez PLOKPENIN.

Le vendu-meester commence par lire le placard qui contient la liste des lots de marchandises & les conditions auxquelles on veut les vendre, ensuite il propose chaque lot suivant son numero ; & lorsqu'après diverses encheres il s'apperçoit que personne n'enchérit plus, il frappe un coup sur le bassin pour adjuger le lot au dernier enchérisseur, & jette dans la cour par une espece de tuyau de bois un plokpenin, qui est ramassé par un domestique destiné à cet usage, qui le porte à l'acheteur auquel la partie a été adjugée, & dont il reçoit deux sols pour sa peine. Dès le lendemain les marchandises sont délivrées aux acheteurs, du nom desquelles, aussi-bien que des lots & du prix des marchandises, le vendu-meester & les courtiers conservent une note, à laquelle les marchands peuvent avoir recours pour voir s'ils n'ont point été trompés par leurs commissionnaires. Dictionnaire de commerce.


VENDUM(Géog. anc.) ville que Strabon, l. IV. p. 207. met au nombre de quatre que possédoient les Japodes, dont les terres s'étendoient depuis le Danube jusqu'à la mer Adriatique. Lazius veut que Vendum soit Windischgratz. (D.J.)


VÉNEDESLES, (Géog. anc.) Venedi ; ce sont des peuples originaires de la Sarmatie, & qui passerent ensuite avec les Slaves dans la Germanie, où ils s'emparerent des terres que les Germains avoient abandonnées, pour aller chercher d'autres demeures. Ils s'établirent entre l'Elbe & la Vistule ; le tems de cette migration est incertain. On la place communément à la fin du cinquieme siecle, ou au commencement du sixieme.

Ils sont nommés Venedae par Ptolémée, Vinidae & Veneti par Jornandès, & par d'autres Vinidi. Ils habiterent d'abord sur la côte du golfe Vénédique selon Ptolémée, l. III. c. v. & c'est delà qu'ils passerent dans la Germanie, où ils occuperent presque tout le pays qui est au-delà de l'Elbe.

Jornandès, de rebus Getic. nous apprend qu'avant cette migration, les Vénedes furent vaincus par Hermanricius roi des Goths, & qu'ils furent soumis à ce prince. Le même auteur ajoute que ce peuple étoit divisé en trois cités, connues sous le nom de Slaves, d'Otrates & de Vénedes. Ils avoient cependant tous la même origine, & même ils se diviserent encore en un plus grand nombre de cités, qui prirent des noms différens suivant les lieux où ils s'étendirent.

On appella Behemi ceux qui s'emparerent de la Bohème ; Maharenses ceux qui habiterent sur le bord du Maurus ou Maharus ; les Sorabi se fixerent sur la Sala ; les Poloni sur la Vistule ; les Daleminici sur l'Elbe ; les Haveli sur le Havel ; les Lini, les Uchri & les Redarii, au voisinage de l'Oder ; les Luitici & les Wagrii s'établirent au-delà de l'Oder ; sur la côte en-deça de la Vistule, étoient les Cassubi & les Pomerani, & en-deçà de l'Oder, les Wiltgii ou Ludici ; les Obotriti se mirent près des Saxons d'au-delà de l'Elbe. (D.J.)


VENEDICI MONTES(Géog. anc.) montagnes de la Sarmatie européenne, selon Ptolémée, l. III. c. v. Elles sont, dit Spener, dans le quartier où habiterent d'abord les Vénedes, & où demeuroient les Aestii du tems de Tacite. (D.J.)


VENEDICUS SINUS(Géog. anc.) Ptolémée, l. III. c. v. donne ce nom à cette partie de la côte de la mer Baltique qui est au-dessus de la Vistule, & où le Chronus, le Rubo, le Truntus & le Chesimus avoient leur embouchure.


VENELLI(Géog. anc.) peuples de la Gaule lyonnoise, selon Ptolémée, l. II. c. viij. César écrit Unelli, & les nomme avec les Osismii, les Veneti & les Rhedones ; il nous fait entendre en même tems que les Unelli habitoient quelque port dans la province de Bretagne. (D.J.)


VENEN(Hist. nat. Bot.) arbre qui croît dans les parties les plus orientales de l'Indostan. Il est épineux, & porte des fleurs blanches d'une odeur très-agréable. Son fruit est assez gros ; son écorce est semblable à celle du coin ; sa chair est rougeâtre & a le goût du verjus. Ses fleurs fournissent une liqueur très-aromatique ; & l'on fait une liqueur propre à boire avec le suc de son fruit.


VENENUM(Littérat.) ce mot dans les auteurs n'indique pas toujours du poison ; il se prend dans Lucain pour un médicament propre à embaumer les corps. Il désigne au figuré dans Plaute, des attraits, des charmes : Aetas, corpus tenerum & morigeratio, haec sunt venena formosarum mulierum. " La jeunesse, un beau corps & la complaisance, voilà les charmes des belles ". Enfin le mot venenum signifie souvent une teinture ; ainsi l'emploie Virgile : Alba nec Assyrio fucatur lana veneno. " La laine blanche n'est point teinte en couleur de pourpre. " Les anciens appelloient vestes flammeae, ou venenatae indifféremment, les vétemens qu'on teignoit en écarlate avec le kermès. Servius nous apprend que dans certaines cérémonies sacrées, le prêtre devoit être en robe écarlate, & comme il répete la même chose en divers endroits, tantôt il se sert du mot flammea, tantôt du mot venenata. (D.J.)


VENER(Géog. mod.) ou VANER, lac de Suede, le plus grand du royaume. Il s'étend entre la Gothie, le Vermeland & la Dalie. Sa longueur est de 25 milles, & sa plus grande largeur de 14. Il reçoit plus de vingt rivieres tant grandes que petites, & renferme plusieurs îles. Wanesborg est le lieu le plus considérable qu'on trouve sur ses bords.


VÉNÉRATIONRESPECT, (Synon.) ce sont des égards qu'on a pour les gens ; mais on leur témoigne de l'estime par la vénération, & on leur marque de la soumission par le respect.

Nous avons de la vénération pour les personnes en qui nous reconnoissons des qualités éminentes ; & nous avons du respect pour celles qui sont fort audessus de nous, ou par leur naissance, ou par leur poste.

L'âge & le mérite rendent vénérable ; le rang & la dignité rendent respectable.

La gravité attire la vénération du peuple ; la crainte qu'on lui inspire le tient dans le respect. L'abbé Girard. (D.J.)


VENERIES. f. c'est l'art de chasser les bêtes sauvages avec des chiens courans. Cet art très-étendu, lorsqu'on veut en parcourir tous les détails, a été de tout tems fort cultivé en France. Une preuve de sa considération & de l'importance qu'on y a attachée, c'est qu'une grande partie des métaphores usuelles de la langue sont tirées des termes usités dans la vénerie. Nous avons plusieurs livres dans lesquels l'art de chasser est traité à fond. Entre ces ouvrages on distingue avec avantage ceux de Jacques du Fouilloux & de Robert de Salnove. Ils doivent être consultés par tous ceux qui veulent acquérir une connoissance approfondie des différentes pratiques de la chasse. Les manoeuvres qu'ils ont décrites, sont celles que l'expérience a consacrées, & qui pour la plûpart sont encore en usage aujourd'hui. Il est donc inutile que nous exposions ici toutes ces manoeuvres particulieres. Le détail que nous pourrions faire de quelques-unes, ne dispenseroit pas de consulter les traités composés exprès, & encore moins d'acquérir par l'expérience les connoissances de routine qu'on ne prend point dans les livres. Il nous suffit d'indiquer ici sommairement les points sur lesquels doit principalement se fixer l'attention du veneur.

La vénerie comprend toutes les especes de chasse qu'on peut faire avec des chiens courans ; celles du cerf, du daim, du chevreuil, du sanglier, du loup, du renard. Toutes ces chasses ont beaucoup de principes communs. Si chacune d'elles exige quelque différence dans le choix des chiens qui y conviennent, on emploie les mêmes moyens pour les rendre obéissans, sages, & gardant le change. Voyez MEUTE. Mais la connoissance des principes communs à toutes les chasses ne suffit pas au veneur ; il a besoin d'être instruit, relativement à chacun de ces animaux, de leurs inclinations distinctives, de leurs refuites, & de tous les différens moyens qu'ils emploient pour échapper à la poursuite. Voyez INSTINCT, LOUP, SANGLIER, &c. Ces connoissances sont sur-tout nécessaires pour le travail qui précede la chasse même, & duquel son succès dépend assez souvent.

Pour prendre à force ouverte des animaux sauvages, il est essentiel de ne pas fatiguer les chiens de meute par une quête inutile & souvent longue. Si d'ailleurs on veut joindre à la certitude de prendre le plaisir que donnent l'appareil & le bruit d'une meute nombreuse, il faut disposer avantageusement les relais. Il est donc nécessaire de savoir d'avance où est l'animal qu'on veut attaquer, & de prévoir, en raison de la connoissance qu'on a du pays & des inclinations des animaux de cette espece, quelles pourront être ses refuites lorsqu'il sera lancé. Le travail par lequel on s'assure de l'endroit où l'on ira attaquer, est une partie considérable de la vénerie. Elle exige des connoissances très-fines & en assez grand nombre.

Presque tous les animaux sauvages, carnassiers ou autres, cherchent leur nourriture pendant la nuit ; & à la pointe du jour ils entrent dans les parties de bois qui leur servent de retraite : c'est ce qu'on appelle se rembucher. Mais les bêtes de chaque espece sont portées d'inclination à adopter des retraites différentes. Plusieurs même en changent selon les saisons. Un bon veneur doit être instruit de tous ces faits ; s'il va au bois pour le cerf, il doit savoir que depuis le mois de Décembre jusque vers celui d'Avril ces animaux se retirent en hordes dans le fond des forêts, dans les futaies où ils trouvent du gland, ou qui sont voisines des jeunes taillis : que pendant le printems & la meilleure partie de l'été ils cherchent les buissons tranquilles & à portée des bons gagnages : que dans le tems du rut ils sont presque toujours sur pié, & n'ont point de rembuchement assuré. Il en est de même des autres animaux. La différence des saisons les porte à changer de retraite. Les loups, par exemple, qui pour l'ordinaire habitent les bois les plus fourrés & les plus épais, n'y rentrent guere pendant l'été lorsque les seigles & les blés sont assez hauts pour les couvrir. Dans cette saison les plaines deviennent bois pour eux.

Il ne suffit pas au veneur d'être instruit des connoissances relatives aux animaux qu'il veut détourner ; il faut qu'il soit muni d'un bon limier qui ait le nez fin & bien exercé, qui ne laisse point aller les vieilles voies, & qui ne s'emporte point jusqu'à crier sur celles qui sont fraîches. De la sûreté du chien dépend souvent le succès de la quête du veneur. Le limier en mettant le nez à terre, & en tirant sur le trait auquel il est attaché, indique la voie récente de l'animal pour lequel il a été dressé. Le veneur est averti par-là de porter les yeux à terre, & de chercher à revoir la voie de la bête dont son chien se rabat. Lorsque la terre est molle, & qu'elle reçoit parfaitement l'image du pié de l'animal, le jugement n'est pas difficile à porter ; mais lorsque la terre est seche, il y faut beaucoup plus d'attention, de travail & de connoissances. Par exemple, si c'est pour un cerf qu'on est au bois, le veneur doit observer les portées, prendre le contrepié pour lever des fumées, tâcher de connoître les allures, en un mot réunir, autant qu'il peut, tous les différens signes par lesquels on peut s'assurer de l'âge de l'animal. En général il est toujours très-utile de prendre le contrepié des bêtes qu'on a détournées ; on apprend par-là toute l'histoire de leur nuit : cette histoire donne quelque connoissance de leur caractere particulier, & indique une partie des ruses dont on pourra avoir à se défier pendant la chasse. On sent combien toutes ces précautions demandent d'expérience & de travail. Le veneur malhabile ou négligent est souvent trompé par l'animal rusé qu'il a devant lui. Il en est qui sans être actuellement inquiétés, ne rentrent au bois qu'en cherchant par des feintes à dérober le lieu de leur retraite ; ils font une douzaine de pas dans le bois, & reviennent ensuite sur leurs voies pour aller se rembucher ailleurs : c'est ce qu'on appelle faux rembuchement. Si le veneur n'a donc pas l'attention d'examiner si son animal ne sort pas après avoir paru rentrer, il court risque de faire un faux rapport, & de se décréditer si l'on faisoit souvent buisson creux sur sa parole. Lorsque le veneur est bien assuré que la bête qu'il suit, est rentrée dans le bois sans en être sortie, lorsqu'il a bien pris toutes les connoissances dont nous avons parlé, relativement à son âge, &c. il n'a plus qu'à en prendre les devants, pour savoir l'enceinte où elle s'est arrêtée. Si son chien lui en remontre, & qu'il la trouve passée, il doit répéter la même manoeuvre jusqu'à ce qu'il soit assuré qu'elle ne passe plus. Mais en général il est plus sûr de prendre d'abord les grands devants ; il est même presque toujours dangereux de trop raccourcir l'enceinte ; le veneur peut alors se nuire à lui-même, inquiéter la bête en lui donnant vent du trait, & la faire partir ; ce danger existe sur-tout par rapport aux animaux vivant de rapine, comme le loup ; la finesse de leurs sens & leur inquiétude naturelle les rendent très-difficiles à détourner.

Lorsque les veneurs sont rassemblés, & qu'ils ont fait leur rapport, on choisit entre les différens animaux détournés celui qu'on veut attaquer. On dispose les relais d'après la présomption qu'on peut avoir des refuites que fera la bête ; le veneur qui doit laisser courre, conduit la troupe & la meute à ses brisées. Les brisées sont des branches qu'il a jettées le matin pour se reconnoître, sur la voie de l'animal qu'il a suivi avec son limier. Lorsqu'on est bien sûr que cet animal est seul dans l'enceinte, on peut y faire entrer sans chaleur les chiens de meute qui le rapprochent & vont le lancer. Mais en général il est plus sûr de faire lancer à trait de limier par le veneur qui a détourné. Lorsqu'on a vu la bête, & qu'elle n'est point accompagnée, on met les chiens de meute sur la voie ; & quand elle est ainsi attaquée, c'est la chasse proprement dite. La charge des veneurs est alors de suivre leurs chiens, & de les appuyer sans trop les échauffer : de les redresser promtement lorsqu'ils se fourvoient : de connoître ceux des chiens qui méritent créance : piquer à ceux-là, & y rallier les autres : de ne donner les relais que dans les momens où l'animal n'étant point accompagné, les chiens peuvent avoir le tems de goûter la voie avant d'être exposés à rencontrer du change : d'éviter par la maniere de découpler ces chiens de relais, les inconvéniens que pourroit occasionner la fougue de ceux qui sont trop ardens : de reprendre, autant qu'il est possible, les chiens qui s'écartent de la meute : les ramener sur la voie, & rendre par-là la mort de l'animal plus assurée, plus bruyante & plus solemnelle. Voyez MEUTE.

Chaque animal, lorsqu'il est chassé, a des ruses communes à son espece, & en outre il peut en avoir de particulieres qui doivent être l'objet de l'attention du veneur. Ainsi son métier demande autant d'intelligence que de routine ; & en général un bon corps, un esprit actif, beaucoup de facilité à supporter le travail ; mais sur-tout un goût décidé pour la chasse qui supplée presque à tout le reste, & qui est le vrai génie de la chasse. Article de M. LEROI.

Eloge historique de la chasse. Dans tous les tems les hommes se sont exercés à la chasse, & l'ont aimée : les plus forts & les plus robustes en ont fait choix : on en trouve des exemples dans les siecles les plus reculés. Dans la Genèse il est dit que Nemrod arriere-petit-fils de Noë fut un violent chasseur, c'est-à-dire, le plus hardi, le plus adroit, & le plus infatigable dans cet exercice. Ismaël fils d'Abraham & d'Agar, son esclave, s'établit dans le désert où il devint un adroit chasseur. Esaü ne fut pas moins habile dans cet art. Les enfans d'Israël chassoient dans le désert. Samson brûla les blés des Philistins par le secours des renards qu'il prenoit, & en leur attachant des flambeaux ardens à la queue, & les laissant courir à travers les champs. David chassoit les bêtes qui attaquoient les troupeaux de son pere. Dans le Pseaume 41, il est parlé du cerf altéré qui soupire avec ardeur après les eaux du torrent. L'écriture sainte qui nous transmet l'histoire réelle du genre humain, s'accorde avec la fable pour constater l'ancienneté de la chasse. C'est une occupation divinisée dans la théologie payenne. Diane étoit la déesse des chasseurs ; on l'invoquoit en partant pour la chasse, & au retour, on lui sacrifioit l'arc, les fleches & le carquois ; Apollon partageoit avec elle l'encens des chasseurs ; on leur attribuoit à l'un & à l'autre l'art de dresser les chiens. Céphale, favori de la divinité chasseresse, étoit excellent veneur, il eut pour compagnon le jeune Actéon fort heureux dans l'exercice de la vénerie. Apollon & Diane y éleverent Chiron à cause de sa vertu & de son courage. Diane avoit une telle affection pour ses chiens, qu'elle couronnoit dans une solemnité annuelle, à la fin de chaque automne, ceux qui avoient le mieux rempli leurs devoirs, elle leur imposoit des noms convenables à leurs inclinations. Xenophon dans son livre de venatione, s'est appliqué à donner la signification de beaucoup de ces noms de chiens, tels qu'on les leur donnoit de son tems. Quiconque entendroit bien le vieux langage gaulois, verroit que ceux de miraud, de briffaud, & autres semblables que portent présentement nos chiens de chasse, n'ont signifié autre chose que l'arrêteur, le pilleur, &c. toutes qualités propres à ces chiens. On donne à Pollux la gloire d'avoir le premier dressé des chiens à la chasse, & d'avoir appris la science du connoisseur. Castor a été le premier qui ait dressé des chevaux pour courre le cerf. Persée passoit chez les Grecs pour le plus ancien chasseur de l'antiquité, mais Castor & Pollux lui ont disputé à bon droit cet honneur. Hercule combattit le furieux lion de la forêt de Nemée : on sait l'histoire d'Adonis & de Méléagre. Orcon a ajusté les meutes : Hippolite inventa les filets. Les Grecs disoient que les chiens mal dressés font haïr & abhorrer la vénerie à ceux qui l'aiment le plus. Alexandre le grand s'exerçoit à la chasse dans les intervalles de ses travaux militaires ; il avoit un vieux chien en qui il avoit une si grande confiance, qu'il le faisoit porter à la chasse ; à un défaut ou embarras on le mettoit à terre, & alors il faisoit des coups de maître, après quoi il étoit soigneusement reporté au logis, & bien traité. Albert le grand rapporte qu'Alexandre chargea Aristote d'écrire sur la chasse, & que pour fournir à la dépense de cette étude, il lui envoya huit cent talens, c'est-à-dire, un million quatre cent vingt mille livres, & qu'il lui donna un grand nombre de chasseurs & de pêcheurs pour travailler sous ses ordres, & lui apporter de tous côtés de quoi faire ses observations. Cyrus aimoit beaucoup la chasse, tous les jeunes seigneurs de sa cour s'y exerçoient continuellement avec lui ; il y menoit lui - même ses soldats en tems de paix, pour les former ou les entretenir aux exercices de la guerre, les rendre promts à cheval, adroits, agiles, vigoureux ; il enjoignoit aux gouverneurs des provinces de mener souvent à la chasse les jeunes seigneurs de leurs gouvernemens ; il fit remplir les charges les plus honorables de la monarchie de Babylone par ses veneurs ; il faisoit faire des parcs pour dresser ses chiens, les anciens les avoient inventés pour ce sujet & pour ajuster les meutes. Avant le regne d'Artaxerxes, il n'appartenoit qu'au maître de tuer ou d'affoiblir ce qu'on chassoit ; ce prince permit à ceux qui chassoient avec lui de frapper & tuer s'ils pouvoient les premiers ce qu'on poursuivoit ; il paroît cependant que ce roi alloit moins à la campagne pour chasser que pour respirer un bon air, puisque le jeune Cyrus, pour engager les Lacédémoniens à se liguer avec lui contre son frere, alléguoit entr'autres raisons qu'il n'étoit pas chasseur. Xenophon grand philosophe & grand général, après sa belle retraite des dix mille, se retira à Sillonte où il fit bâtir une chapelle à Diane, s'amusant à la chasse avec ses fils & ses amis ; ce fut aussi là qu'il composa ses ouvrages, principalement ce qu'il a écrit sur la vénerie, dont il faisoit beaucoup de cas & de grands éloges ; il pensoit que cet exercice fait les meilleurs soldats, qu'il n'y a ni art ni métier qui ait plus de ressemblance & de proportion avec la guerre, que la chasse ; qu'elle accoutume les hommes au froid, au chaud, aux fatigues ; qu'elle échauffe le courage, éleve l'ame, rend le corps vigoureux, les membres plus souples & plus agiles, les sens plus fins ; qu'elle éloigne la vieillesse, & que le plaisir qu'elle procure fait souvent oublier les plus grands besoins. La chasse, dit M. Rousseau, Emile, t. III. p. 228, endurcit le coeur aussi bien que le corps. " On a fait Diane ennemie de l'amour, & l'allégorie est très-juste, les langueurs de l'amour ne naissent que dans un doux repos, un violent exercice étouffe les sentimens tendres : dans les bois, dans les lieux champêtres, l'amant, le chasseur sont si diversement affectés, que sur les mêmes objets, ils portent des images toutes différentes ; les ombrages frais, les bocages, les doux asyles du premier, ne sont pour l'autre que des viandis, des forts, des remises ; où l'un n'entend que rossignols, que ramages, l'autre se figure les cors & les cris des chiens ; l'un n'imagine que dryades & nymphes, l'autre que piqueurs, meutes & chevaux. " Lycurgue & Agesilas portoient singulierement leur attention à ce que leurs veneurs fussent bien traités à leur retour de chasse. Les Spartiates aimoient les parties de chasse, & ceux qui ne pouvoient y aller, prêtoient leurs chiens & leurs chevaux à ceux qui n'en avoient point. Les veneurs de l'antiquité étoient ordinairement fort dévots, ils tenoient que les dieux ont pris plaisir à voir les homme s'adonner à un exercice aussi innocent que l'est la vénerie ; ils consacroient les premices de leurs chasses & de leurs prises à leur chaste Diane.

Les Romains nés guerriers firent de la chasse une affaire importante : elle fut l'école de tous leurs grands hommes ; chez ce peuple chacun pouvoit chasser soit dans son fonds, soit dans celui d'autrui. L. Emilius donna au jeune Scipion un équipage de chasse semblable à ceux des rois de Macédoine ; après la défaite de Persée, Scipion passa à chasser tout le tems que les troupes resterent dans ce royaume. Tout l'amusement de la jeunesse romaine, dit Pline dans son panégyrique à Trajan, & l'école où se formoient tous les grands capitaines, étoit la chasse : on peut dire au-moins que le courage fit les chasseurs, & l'ambition les guerriers. Les Grecs & les Romains ont toujours regardé la vénerie comme la source de la santé & de la gloire, le plaisir des dieux, des rois & des héros. Jules César faisant l'éloge des peuples du Nord, dit qu'ils sont habiles & attentifs à la guerre & à la chasse ; il donna lui-même à Rome de très-beaux spectacles de chasse pendant cinq jours. Pompée, après avoir subjugué les africains, exerça la vénerie parmi eux. Les Romains usoient d'un piege assez singulier ; ils plaçoient des miroirs sur les routes que tenoient ordinairement les animaux dangereux, & pendant qu'un d'entr'eux s'amusoit à considérer son semblable qu'il croyoit voir dans le miroir, les chasseurs cachés derriere ou sur les arbres des environs, le tiroient à leur aise. Le sépulcre des Nasons découvert près de Rome, & qui se trouve représenté dans les antiquités de Graevius fournit un exemple de cette ruse de chasse, laquelle est confirmée par un passage de Claudien.

La chasse, selon Pline, a donné naissance aux états monarchiques. Dans les premiers tems, dit cet historien, les hommes ne possédoient rien en propre, ils vivoient sans crainte & sans envie, n'ayant d'autres ennemis que les bêtes sauvages ; leur seule occupation étoit de les chasser ; de sorte que celui qui avoit le plus d'adresse & de force, se rendoit le chef des chasseurs de sa contrée, & les commandoit dans les assemblées qu'ils tenoient pour faire un plus grand abatis de ces bêtes ; mais dans la suite ces troupes de chasseurs vinrent à se disputer les lieux les plus abondans en gibier, ils se battirent, & les vaincus demeurerent soumis aux vainqueurs : c'est ainsi que se formerent les dominations. Les premiers rois & les premiers conquérans furent donc des chasseurs. La collection de Philippe d'Inville présente une infinité de témoignages de l'antiquité, en faveur de la chasse, & les éloges qu'en ont fait Platon, Xenophon, Polybe, Pollux, Cicéron, Virgile, Horace, Seneque, Pline le jeune, Justin, Simmaque, Vegece, &c. Ce concours unanime prouve combien la chasse a été regardée utile au prince & à la jeune noblesse destinée à être le soutien des états par sa bravoure.

Les Lapons négligent la culture de leurs terres pour ne vivre que de gibier & de poisson : presque tous les Tartares ne subsistent aussi que de leur chasse & de leurs haras ; quand le gibier leur manque, ils mangent leurs chevaux, & boivent le lait de leurs cavales. Les lettres curieuses des jésuites missionnaires à la Chine, contiennent des relations de chasses faites par des armées entieres de plusieurs milliers d'hommes. Elles sont très-fréquentes chez les Tartares mongules. Les Indiens de l'Amérique chassent continuellement, pendant que leurs femmes sont occupées des soins domestiques. Quand ces sauvages entreprennent de longs voyages, ils ne comptent pour leur subsistance que sur les fruits que la nature leur offre par-tout en abondance, ou sur les bêtes qu'ils pourront tuer dans leur chemin. On peut assurer que la moitié des habitans du monde ne vit encore que de la chasse.

Nos premiers rois se sont conservé les grandes forêts de leur royaume : ils y passoient des saisons entieres pour prendre le plaisir de la chasse. On voit dans Grégoire de Tours que le roi Gontran devint si jaloux de sa chasse, qu'il en coûta la vie à trois de ses courtisans pour avoir tué un bufle sans sa permission. Il étoit pour lors dans les montagnes de Vauges, où il avoit placé une de ces réserves de chasse. Charlemagne & ses premiers successeurs n'eurent point de séjour fixe, par le plaisir de chasser dans différens endroits ; ces monarques passoient leur regne à aller successivement d'Aix-la-Chapelle dans l'Aquitaine, & du palais de Casenveil dans celui de Verberie en Picardie. Toutes les assemblées générales de la nation où les grands parlemens auxquels les rois présidoient en personne sur tout ce qu'il y avoit de plus illustre parmi les françois, se terminoient toujours par une chasse. Les chasseurs voulant faire choix d'un saint pour célébrer leur fête sous son auspice, réclamerent avec toute la France S. Martin ; ensuite le royaume ayant changé de protecteur, les chasseurs n'adopterent qu'en partie S. Denis que tous les ordres de l'état s'étoient choisi ; ils voulurent un patron qui eût eu leur goût, & pratiqué leur exercice, & eurent recours à S. Hubert, dont on débitoit que la vocation étoit venue par l'apparition qu'il eut en chassant d'un cerf qui portoit une croix entre son bois. La fête de ce saint, qui arrive présentement le 3 Novembre, a beaucoup varié, ou plutôt y ayant eu plusieurs translations du corps de ce saint, chacune en fut une fête ; ainsi il y avoit une S. Hubert en Avril, une en Mai, qui est le véritable tems de sa mort ; une autre en Septembre, une en Novembre, qui est celle qu'on a retenue, & enfin une en Décembre. Il n'y avoit cependant que celles de ces fêtes qui arrivoient en Mai & en Novembre, au verd naissant, & à la chûte des feuilles, qui se célébrassent avec plus d'éclat & & de solemnité, parce qu'elles arrivoient dans le tems de deux grandes assemblées de la nation ; celle du printems au champ de Mars, & celle d'automne ; ces deux occasions étant les plus favorables pour lier de nombreuses parties de chasse, pendant que la grande noblesse étoit réunie & en train de se mouvoir.

Il paroît par des monumens certains que dès le onzieme siecle, S. Hubert, nouveau patron des chasseurs, étoit encore réclamé contre la rage ; cette maladie attaquant plus ordinairement les chiens que tous les autres animaux par l'altération extrême qu'ils souffrent quelquefois à la campagne, ou quand on les néglige dans les chenils, ceux qui avoient soin des meutes, prioient le saint de préserver leurs bêtes de la rage, & la dévotion des valets passant jusqu'aux maîtres, ceux-ci adresserent leurs prieres au même saint pour qu'il les préservât de tout fâcheux accident dans le métier de la chasse. Arrien dit qu'il y avoit des chasseurs dans les Gaules qui sacrifioient tous les ans à Diane ; ils avoient pour cela une espece de tronc dans lequel ils mettoient pour un lievre pris deux oboles, pour un renard une dragme, pour une biche quatre dragmes ; ainsi tous les ans à la fête de Diane, ils ouvroient ce tronc, & de l'argent qui s'y trouvoit, ils achetoient une victime, les uns une brebis, les autres une chevre, quelques autres un veau ; le sacrifice étant achevé, & ayant offert les prémices des victimes à Diane, les chasseurs faisoient bonne chere, & la faisoient faire à leurs chiens qu'ils couronnoient de fleurs, afin qu'il parût que la fête se faisoit pour eux.

Dans une entrevue faite entre la reine Jeanne de Bourbon, femme du roi Charles V. & la duchesse de Valois sa mere, le duc de Bourbon donna un spectacle de chasse aux deux princesses dans le voisinage de Clermont : il y prit un cerf, & leur en fit présenter le pié par son grand - veneur. François I. que Fouilloux appelle le pere des chasseurs, s'étant égaré un jour à la chasse, fut obligé de se retirer chez un charbonnier, de la bouche duquel il entendit la vérité, peut-être, pour la premiere fois. On conte la même histoire d'Antiochus.

Accidens arrivés à la chasse. Adonis est blessé à mort par un sanglier : la Phénicie & l'Egypte retentissent des cris qui se font à ses funérailles ; son sang est changé par Vénus en une fleur, (l'anémone.) Méléagre mourut après avoir tué le monstrueux sanglier de Calydon : l'empereur Basile de Grece fut tué par un cerf aux abois : Théodebert, roi d'Austrasie, mourut de la chûte d'une branche d'arbre qu'un bufle qu'il poursuivoit lui fit tomber sur la tête, l'animal ayant heurté l'arbre avec ses cornes. Amé VI. comte de Savoye, périt d'une chûte de cheval, étant à la poursuite d'un sanglier dans une forêt près de Thonon en Chablais. Marie, duchesse de Bourgogne, la plus riche héritiere de son tems, mourut d'une semblable chûte dans un retour de chasse. Chilpéric I. & Childéric II. furent tués en revenant de chasser ; le dernier pour avoir fait châtier indignement un seigneur de sa cour. On lit dans le manuscrit de Phoebus, au chapitre du Rut, qu'il a vu des cerfs tuer des valets de limiers, & des limiers en les lançant, & d'autres venir sur les chevaux. Il parle encore d'un Godefroy d'Harcourt blessé au bras d'un coup de fleche à la chasse à l'arbalête. Sous le regne d'Henri IV. il y eut deux veneurs de S. M. tués par des cerfs, l'un dans la forêt de Livry, il s'appelloit Clairbois ; l'autre appellé S. Bon, dans la forêt de Sennar. En 1725, M. le duc de Melun fut tué dans la forêt de Chantilly par un cerf qui lui donna un coup d'andouiller dans le corps. De mon tems, M. de Courchange, veneur de M. le comte d'Evreux fut tué sur le champ par un cerf en traversant une route : il y eut aussi un gentilhomme de M. le comte de Toulouse qui fut tué à la chasse du lievre dans la plaine de S. Denis, d'une chûte de cheval ; il se nommoit M. Dâbeau. J'ai vu plusieurs veneurs de S. M. culbutés de dessus leurs chevaux par des cerfs : M. de Lasmartre a été blessé à la cuisse par un cerf aux abois dans la forêt de Sennar. Quand les cerfs sont aux abois, ils sont plus dangereux, principalement dans la saison du rut ; aussi dit-on au cerf la biere, au sanglier le barbier.

Histoires de chasses, faits curieux. On lit dans le Roy modus du déduit royal, chap. j. que le roi Charles le Bel chassant dans la forêt de Bertilly, prit six-vingt bêtes noires en un jour, tant aux filets qu'aux lévriers. Fouilloux rapporte qu'un seigneur de la ville de Lambale avec une meute de chiens, lança un cerf en une forêt dans son comté de Penthiévre, le chassa & pourchassa l'espace de quatre jours, tellement qu'enfin il l'alla prendre près la ville de Paris. On voit dans la salle du présidial à Senlis cette inscription : " En l'an.... le roi Charles VI chassant dans la forêt de Hallade, prit le cerf duquel vous voyez la figure (elle est détruite) portant un collier d'or où étoit écrit ; Hoc me Caesar donavit ; de ce lieu on voit l'endroit où il fut relancé ".

Jean Sobiesky, roi de Pologne, entretenoit pour la chasse cinq cent janissaires turcs, pris au milieu des combats, conservant leurs armes & leurs vêtemens ; on leur marquoit une enceinte dans une forêt ; ils tendoient les filets en laissant une ouverture qui répondoit à la plaine : des chiens tenus en lesse formoient un croissant à une assez grande distance ; derriere eux le roi, les veneurs & les curieux décrivoient une même ligne. Le signal donné, d'autres chiens perçoient dans la forêt, & chassoient indifféremment tout ce qui se rencontroit ; bien-tôt on voyoit sortir des cerfs, des élans, des aurox, taureaux sauvages d'une beauté, d'une force & d'une fierté singuliere ; des loups cerviers, des sangliers, des ours, & chaque espece de chiens attaquoit la bête qui lui étoit propre, laquelle ne pouvoit rentrer dans la forêt, ni s'arrêter aux filets, parce que les janissaires y veilloient. Les veneurs ne se mettoient du combat que lorsque les chiens étoient trop foibles. Cette multitude d'hommes, de chevaux, de chiens, & d'animaux sauvages, le bruit des cors, la variété des combats, tout cet appareil de guerre orné d'une magnificence convenable, étonnoit les curieux du midi. Hist. de Jean Sobiesky.

M. de Ligniville rapporte une chasse qui a duré trois jours avec les mêmes hommes, chiens & chevaux. Louis XIII. qui suivant M. de Selincourt parfait chasseur, fut le plus grand, le plus habile, le plus adroit chasseur de son royaume, fit dans sa jeunesse sa premiere chasse avec la fauconnerie dans la plaine S. Denis, en présence de la reine & de toutes les dames de la cour, placées sur une bute de terre au lieu nommé la planchette ; tous les vols suivoient le roi dans tous ses voyages.

La seconde chasse faite par Louis XIII. fut aux chiens courans ; car outre les équipages pour le cerf, les chevreuils, loups, lievres & sangliers, il y avoit toujours cent cinquante chiens qui suivoient S. M. dans tous ses voyages ; il n'y avoit point de jour que huit veneurs au moins n'allassent tous les matins dans les bois près desquels le roi passoit, & qui ne lui fissent leur rapport de ce qu'ils avoient rencontré, cerfs, biches, renards, &c. des situations des buissons ; s'ils étoient en plaine, côteaux, ou lieux humides ; quelles étoient les refuites, &c. de sorte que le roi étoit informé à son lever de quelle bête il pourroit avoir du plaisir, & comment elle seroit portée par terre par trente lesses de levriers qui suivoient l'équipage par-tout.

Quand le roi vouloit chasser, l'ordre étoit donné aux gendarmes, chevaux-légers & mousquetaires, pour s'assembler à l'heure du départ ; les chasseurs alloient devant, & voyoient où étoit le vent pour disposer les accourts ; les toiles étoient ajustées pour cacher les levriers, & le roi trouvoit tout disposé à son arrivée : ceux de sa suite bordoient le côté du mauvais vent, & se rangeant à cinquante pas les uns des autres le pistolet à la main, se tenoient prêts pour la chasse dès qu'elle commenceroit. Le roi donnoit le signal, & dès que les chiens découplés commençoient à chasser, la décharge se faisoit du côté du mauvais vent, ce qui donnoit une telle terreur aux bêtes, qu'elles fuyoient du côté des accourts, & à leur sortie du bois, les levriers cotiers étoient donnés, puis ceux de l'autre côté, de sorte que les bêtes alloient au fond de l'accourt où étoient les gros levriers qui les coëffoient, & le roi en avoit tout le plaisir.

Sur le champ, chacun reprenoit sa place pour voir sortir d'autres bêtes, lesquelles étoient encore courues, & toutes celles qui étoient dans les bois étoient portées par terre, ce qui duroit tout le haut du jour & souvent fort tard, principalement quand il y avoit des loups, car ces animaux ne sortoient qu'à force, & même il y en avoit qui se sauvoient du côté défendu par les cavaliers, dont ils aimoient mieux essuyer les coups, que de sortir du côté de l'accourt qu'ils avoient éventé. Ces deux chasses que nous venons de décrire étoient pleinement royales. Le parfait Chasseur, par M. de Selincourt.

Le même auteur dit avoir vu un cerf chassé pendant trois jours par trois équipages différens : voici comment il rapporte le fait. Les équipages de M. le duc d'Angoulême, de M. de Souvray & de M. de Metz étoient à Grosbois ; il fut laissé courre un cerf (on ne marque point son âge) en Brie, l'assemblée au mont Tetis, & fut couru la premiere journée jusqu'à la nuit, ayant mesuré tous les buissons & forêts de Brie, & revenant à la nuit dans le lieu où il avoit été lancé ; il fut brisé la tête couverte. Le lendemain ces messieurs voulurent voir par curiosité ce que deviendroit ce cerf le second jour, & ils résolurent de le courre avec un autre équipage & d'autres chevaux ; il fut attaqué le lendemain matin où il avoit été brisé, il fut très-bien donné aux chiens ; il recommença a prendre le même chemin qu'il avoit fait le jour de devant, il mesura tous les mêmes lieux, & revint à la nuit dans le lieu où il avoit été lancé, & fut encore brisé la tête couverte. Tous ces messieurs le soir ne savoient que dire, ni Duvivier, Artonge, Desprez, & tous les autres vieux chasseurs crurent tous que c'étoit un sorcier ; enfin, ils dirent qu'il y avoit encore un équipage qui n'avoit point couru, qui étoit celui de M. d'Angoulême, & qu'il falloit voir ce qui arriveroit de cela. Le lendemain dès la pointe du jour, ils allerent frapper aux brisées, ils lancerent le cerf encore à cinq cent pas de là, & le coururent encore six grandes lieues, au bout desquelles ils le prirent sec comme bois, mourant plutôt de faim que pris de force ; car s'il eût eu le loisir de viander, ils ne l'auroient jamais pris, & tous demeurerent d'accord que si ce cerf eût couru sur une même ligne, il fût allé à plus de soixante lieues de-là.

On voit au château de Malherbe la figure d'une biche qui avoit un bois comme un cerf, & qui portoit huit andouillers, laquelle après avoir été courue par deux veneurs du roi Charles IX. fut prise par les chiens pour un cerf : ces veneurs l'ayant détournée en prenant chacun un côté de l'enceinte, l'un la vit pisser de si près qu'il la jugea être une biche ; il n'en dit rien à son compagnon, il dit seulement en termes vagues que cela ne valoit rien à courre. L'autre qui en avoit vu la tête, la jugea être celle d'un cerf, & dans cette confiance laissa courre ; elle fut prise enfin & reconnue biche, & celui qui l'avoit vue pisser sans l'avoir dit à son compagnon, fut cassé pour avoir donné lieu à une telle méprise. La Briffardiere, nouveau traité de la vénerie, ch. xiv. Il y a bien d'autres exemples de biches portant tête de cerf.

La premiere chasse que le roi Louis XV. a faite avec sa vénerie, étoit le jour de S. Hubert, 3 Novembre 1722, dans le parc de Villerscotterêt ; on y attaqua un cerf à sa seconde tête, & il y fut pris. Sa majesté revenoit de Rheims où elle avoit été sacrée.

Le 13 Juillet 1740, on attaqua à Compiegne un cerf dix corps dans les bordages près la croix du S. Cygne ; on le prit au village de Troly. Il étoit monté sur le haut d'une chaumiere où il se promenoit avec deux chiens qui l'aboyoient ; M. de Lasmastre, lieutenant de la vénerie, y grimpa, & fut lui couper le jarret : le cerf culbuta de haut en bas, & se tua. Le roi & toute la cour y étoit.

Dans la forêt de Fontainebleau, à la fin de Septembre 1750, on y prit un cerf dix corps, qui avoit la tête velue comme un cerf qui n'a pas touché au bois au commencement de Juillet. Après la mort il fut examiné, il n'avoit point de dintier ni dehors ni dedans ; apparemment que des loups, ou un chicot, ou une balle de braconnier en avoit fait l'opération avant qu'il eût touché au bois, puisqu'il n'y a point touché après.

Chiens courans. Les auteurs anciens ne disent rien sur l'origine des chiens courans. Phaebus, dans son chapitre xix. rapporte qu'il y en avoit de son tems de très-bons en Espagne ; mais qu'ils ne chassoient bien que quand ils avoient un animal près d'eux : il parle d'une autre espece qui chassoit lentement & pesamment, mais tout le jour ; & d'une troisieme qu'il nomme beaux, à qui le vent, ni la pluie, ni la chaleur ne faisoient quitter la voie de ce qu'ils avoient attaqué. Il cite encore une autre qualité de chiens qu'il nomme cerfs beaux, muz cerfs, parce qu'ils étoient beaux, bons & sages pour le cerf qu'ils chassoient toujours quoiqu'il fût mêlé avec le change ; ils ne disoient mot jusqu'à ce que l'animal fut séparé du change & pris. Le même auteur fait mention d'une autre espece de chiens sages qu'il appelle chiens beaux restis, lesquels ne vouloient chasser que le cerf. Le nom de restis leur étoit donné parce que quand un cerf étoit accompagné, ils demeuroient tout court, & n'alloient pas plus loin, s'ils n'étoient avec le veneur. Les mêmes chiens ne chassoient pas si-bien dans le tems du rut, & ne gardoient pas si-bien le change, les animaux étant tous échauffés ; de même ils chassoient les biches dans la saison où elles mettent bas, comme si c'eût été des cerfs échauffés ; ils ne chassoient pas si-bien depuis le commencement de Mai jusqu'à la S. Jean, à cause de l'odeur des herbes. Enfin il dit qu'il préfere les chiens courans aux levriers, allans & autres, parce que les premiers chassent tout le jour, &c. ibid.

Fouilloux s'étend davantage sur l'origine des chiens courans. Il tire de bien plus loin leur généalogie. Il dit qu'un certain Brutus descendant d'un roi des Latins, étant à la chasse, tua son pere croyant tuer un cerf. Son peuple voulut se soulever contre lui, ce qui l'obligea à s'enfuir dans la Grece d'où il vint en Bretagne avec son fils Turnus & un bon nombre de chiens courans. Ce sont les premiers qui aient paru en France. Le premier chien blanc fut donné par un pauvre gentilhomme à Louis XII. qui en fit peu de cas, les chiens dont sa meute étoit composée, étant gris ; il le donna au sénéchal Gaston qui en fit présent à son tour au grand sénéchal de Normandie, lequel donna en garde à un veneur nommé Jacques Bresé ; celui-ci lui fit couvrir des lices & en tira race. L'année d'après Anne de Bourbon, qui aimoit fort la vénerie, envoya une lice appellée bande, pour être couverte par ce chien nommé souillard ; l'on en tira deux ou trois portées dont il sortit quinze ou seize chiens. cleraud, joubard, miraud, marteau, briffaud, hoise, &c. depuis la race s'en est toujours augmentée ; & elle fut renforcée par François I. qui fit couvrir les lices qui en étoient sorties, par un chien fauve nommé miraud, que l'amiral d'Annebaud lui avoit donné, &c. Les chiens fauves descendent de la meute d'un seigneur breton appellé Huet de Nantes... Suivant Charles IX. les chiens gris dont se servoient anciennement les rois de France & les ducs d'Alençon, étoient connus sous le regne de S. Louis. Il y a trois sortes de chiens courans, selon le rapport de Charles IX. dans son livre de la chasse royale, ch. vij. Les premiers qui aient été en notre Europe ont été la race des chiens noirs, & celle des blancs ; mais cette derniere fut depuis confondue avec celle des chiens greffiers blancs. Toutes les deux sont venues de S. Hubert. Dans la suite S. Louis qui aimoit fort la chasse, étant allé à la conquête de la Terre-sainte, envoya acheter en Tartarie une meute de chiens qu'on disoit excellens pour la chasse du cerf ; il les amena à son retour en France ; c'est la race des chiens gris, la vieille & ancienne race de cette couronne. On dit que la rage ne les prend jamais. Les chiens gris sont grands, hauts sur jambes & d'oreilles. Ceux de la vraie race sont de couleur de poil de lievre, ils ont l'échine large & forte, le jarret droit, le pié bien formé ; mais ils n'ont pas le nez si bon que les chiens noirs, ce qui fait que leur façon de chasser est toute différente ; car les autres chassent dans la voie juste ; ceux-ci au-contraire étant extrêmement vîtes chassent à grandes randonnées, loin des voies & à la vue les uns des autres. Le plus souvent au partir de la couple, ils s'en vont comme s'ils chassoient sans avoir rien devant eux, & leur furie seule les transporte. Comme ils n'ont pas le nez excellent, ils ne chassent que quand l'animal est près d'eux, & rarement ils sont sages dans le change ; s'ils y tournent on ne peut pas les rompre, il faut se rompre le cou & les jambes pour les tenir. Si un cerf s'enfuit droit devant lui sans retour ni change, ils le prendront bien vîte ; mais s'il ruse, on peut les coupler & les ramener au chenil.

Voici ce que dit Salnove, ch. ij. des chiens gris. Ils formoient les premieres meutes de nos rois depuis S. Louis. Ils étoient fort considérés des nobles, pourvu qu'ils fussent vrais chiens courans & non corneaux, c'est-à-dire chiens engendrés d'un mâtin & d'une chienne courante, ou d'une mâtine & d'un chien courant. Ceux-ci sont plus vîtes que les autres, ils coupent, ne retournent point, ne requêtent, ne crient que rarement, & sont très-nuisibles dans une meute. Les chiens gris peuvent chasser plus souvent que les autres, ils s'entretiennent en bon corps, sont peu pillards, moins sujets aux maladies que les autres chiens, ils chassent tout ce qu'on veut sans se rebuter dans l'hiver comme dans l'été, n'appréhendant ni le chaud ni le froid, & criant bien. La derniere meute des chiens gris dont Salvone parle, appartenoit à M. le comte de Soissons, sous Louis XIII. Depuis ce tems il n'est plus fait mention de cette espece de chiens. Il nous est venu dans l'équipage de Louis XV. des chiens de Normandie à poil gris ; ce sont des limiers qui ont le nez excellent ; ils sont vigoureux, mais pillards comme des mâtins, & s'étranglant souvent les uns les autres ; peut-être est ce un reste de cette ancienne race de chiens gris que S. Louis fit venir de Tartarie ; mais ceux-ci ont des qualités & des défauts que les autres n'avoient pas : il n'est pas possible de trouver de meilleurs limiers.

Les chiens blancs greffiers, selon le rapport de Charles IX. ch. x. ont tant de bonté, qu'on n'en sauroit dire assez de bien : ils réunissent toutes les qualités des chiens noirs & des gris, sans tenir rien de ce qu'ils ont de mauvais ; ils ont le chasser brave & en vrais chiens courans ; ils sont plus vîtes que les gris, & plus sages que les noirs ; ils n'appellent jamais qu'ils n'aient le nez dans les voies ; quand le change bondit, c'est alors qu'ils se glorifient en leur chasser ; s'ils sont bien conduits, ce sont vrais chiens de roi. On les nomme greffiers, parce que sous le regne de Louis XII. on fit couvrir par un chien blanc de la race de S. Hubert une braque d'Italie qui appartenoit à un secrétaire du roi, que dans ce tems on appelloit greffier. Le premier chien qui en sortit fut tout blanc, hors une tache fauve qu'il avoit sur l'épaule ; ce chien étoit si bon qu'il se sauvoit peu de cerfs devant lui ; il fit treize petits tous aussi excellens que leur pere, & peu-à-peu la race s'éleva, de sorte que quand François I. monta sur le trône, sa meute n'étoit composée que de ces chiens. La maison & le parc des loges de Saint-Germain ne furent faits que pour y élever les chiens de cette race.

Les chiens noirs sont ceux qu'on appelle chiens de S. Hubert, dont les abbés de S. Hubert ont toujours conservé la race en mémoire de leur saint. Ceux qui sont de la vraie race ont des marques de feu sur les yeux & aux extrêmités ; ils vont doucement, n'ont pas grand'force, sont timides dans le change & nullement entreprenans ; ils ont le nez bon, mais ils sont meilleurs à la main que pour chasser. Charles IX. Les chiens noirs, ainsi que le rapporte Salnove, ch. x. sont inférieurs aux blancs. M. le cardinal de Guise en avoit une meute, & M. le duc de Souvrai, l'un des meilleurs chasseurs de son tems, en avoit une autre ; c'étoient de grands chiens, beaux & bien taillés, & qui prenoient des cerfs dans les pays où il y avoit force changes.

Ligniville, dans son manuscrit, parle d'une race de chiens qui se nommoient merlans ; ils étoient en grande réputation en Lorraine ; ils gardoient le change naturellement. Son altesse le duc François de Lorraine, en présenta à Henri IV. qui les trouva fort bons. Le même auteur dit avoir vu couvrir une lice par un loup, & que les chiens qui en sortirent ne valoient rien. Xénophon rapporte que de son tems il avoit vu deux races de chiens, des castors & des renardiers.

" Tous chiens courans, dit Charles IX. chap. xj. d'autre poil & race que ceux dont j'ai parlé, sont chiens bâtards de l'une & l'autre race mêlées ensemble, comme les chiens fauves qui sortent des gris & des blancs ; de ce poil sont venus les chiens de la Hunaudaye. D'autres que l'on appelloit Dubois, qu'un gentilhomme du pays de Berry a donnés aux rois mes prédécesseurs. On peut faire état desdits chiens quant à la vîtesse, mais ils ont faute de nez. Il y a d'autres races de chiens blancs & de chiens de S. Hubert ; mais ce sont communément gros chiens pesans qui ne sont à estimer.

Il y a une autre espece de chiens qu'on appelle chiens de la Loue, que j'estime & prise beaucoup ; ce sont petits chiens qui sont poil blanc, qui chassent aussi joliment bien ; comme ils sont gentils & beaux, on les appelle chiens de la Loue, parce que c'étoit un gentilhomme du Berry qui porte ce nom-là, qui, du tems du feu roi mon grand-pere, prit la peine de les élever. Le roi les voyant si beaux & si gentils, les donna au feu roi mon pere son fils qui pour lors étoit dauphin. Quant à ceux qui ont deux nez, ce sont chiens courans sans courre, car ils sont de race de chiens courans ; mais toutefois jusqu'à présent on ne leur a fait faire autre métier que de limier, & y sont fort bons & excellens. Et afin que je dise ce que c'est que les deux nez qu'ils ont, ce n'est pas qu'ils ayent quatre nazeaux, mais c'est que le bout de leur nez & muffle est fendu, de façon qu'entre les deux narines il y a une fente jusqu'aux dents ; il s'en trouve de tout poil ".

Chiens anglois. Fouilloux n'en parle point dans son traité de vénerie, ni Charles IX. dans son livre de la chasse royale. Salnove en fait mention dans son ch. xiij. De son tems ils étoient en usage en France ; il leur trouvoit une obéissance qu'ils n'ont pas aujourd'hui : ils avoient le nez bon, s'attachant bien à la voie, ne la quittant pas, y étant juste, & ils chassoient avec plus de régularité que les chiens françois. Aujourd'hui ces chiens sont bien changés, ils sont légers comme des levriers, percent dans les fourrés & dans les pays clairs ; ont toujours la tête des chiens françois, chassent bien, sont vigoureux, tenant sur pié toute la journée ; quand ils se sont faits sages, il n'y en a pas de meilleurs ; mais ils ne crient pas si bien que les chiens françois, particulierement ceux du nord, qu'on nomme chiens du renard, lesquels ont 22 pouces de hauteur, la queue & les oreilles raccourcies. Les veneurs ne peuvent pas les tenir dans les enceintes, tant ils ont de vîtesse & de légereté. Il y a une autre espece de chiens en Angleterre, qu'on nomme chiens du cerf, qui sont un peu plus grands ; ils sont environ de 24 pouces, & n'ont point les oreilles ni la queue coupées ; ils chapent bien, crient de même ; sont vigoureux, mais moins vîtes que les précédens ; ils vont du même pié que les chiens françois, & sont bien plus obéissans que les autres anglois ; ils ont le nez excellent, & se font sages bien plus vîte. Ce sont ceux que je désirerois qu'il y eût dans la meute du roi avec les chiens françois ; par-là la meute seroit plus ensemble, il n'y auroit pas toujours une tête de chiens en avant bien loin des autres, ce qui à la vérité fait prendre des cerfs, mais fait faire aussi des chasses bien désagréables.

Il y a aussi une troisieme espece de chiens qu'on nomme bicles, pour chasser le lievre, ils ont 14 à 15 pouces. Une petite meute de cette espece est charmante pour la chasse du lievre & du chevreuil. La petite meute du cerf de S. M. Louis XV. a été commencée en 1726 par des chiens de cette espece, auxquels on faisoit d'abord chasser le lievre, on les mit ensuite au chevreuil, puis au daim, & enfin au cerf où elle est encore actuellement. Elle est composée de presque tous chiens anglois du Nord.

M. de Ligniville fait bien l'éloge des chiens anglois, ils ont, dit-il, le sentiment excellent, puisqu'ils démêlent & s'approchent ce qui est fort longé ; la voix bonne & forte, ils chassent à grand bruit ; ils sont si vîtes, que peu de chevaux peuvent les tenir, à moins que ce soient des chevaux anglois, barbes ou turcs, & en haleine ; enfin ils sont de grande force à chasser, tiennent long-tems sur pié, & il seroit extraordinaire de trouver un cerf qui les fit rendre. Avec ces quatre qualités, on peut les regarder comme la meilleure race de chiens, quand ils sont bien dressés & ajustés par les meilleurs veneurs.

Chiens françois. La meute du roi Louis XV. est composée pour la plus grande partie de chiens françois, qui ont été élevés au chenil que S. M. a fait construire exprès à Versailles. Il y en a de la premiere beauté, la plûpart bâtards anglois qui sont moulés, vigoureux & chassent bien ; s'ils étoient réduits & sages, ils feroient la plus belle meute du monde ; mais la quantité de jeunes chiens qu'on y met tous les ans, fait tourner la tête à ceux qui sont sages & à ceux qui commencent à le devenir ; l'autre partie de la meute est de chiens anglois, moitié du nord, & moitié chiens du cerf : il y en a environ 1/4 d'anglois dans la meute qui est de 140 chiens. Il n'y a plus dans la vénerie de race ancienne ; toutes les especes de chiens d'aujourd'hui ont été croisées de lices normandes, de chiens françois, d'anglois, tout cela a été confondu ; on tire race des plus belles lices & des plus beaux chiens de la meute, anglois ou françois : on tâche de proportionner la taille qui est pour la grande meute de 24 à 25 pouces françois, je dis pouces françois qui ont 12 lignes, car le pouce anglois n'en a qu'onze, c'est à quoi l'on doit prendre garde quand on fait venir des chiens d'Angleterre.

M. de Selincourt, dans son parfait chasseur, ch. 12. dit, qu'il y a trois sortes de chiens courans en France, aussi bien qu'en Angleterre. Les chiens pour le cerf, sont de la plus grande race, que l'on appelloit anciennement royale. Leur naturel étoit de chasser le cerf, & de garder le change dès la seconde ou troisieme fois qu'ils chassoient ; mais, depuis que les races angloises se sont confondues avec les françoises, l'on n'y connoît plus rien : ces belles races de chiens se sont évanouies, & de ces mêlanges de races il n'est resté que la curiosité du pelage : l'on a choisi pour courre le cerf, les chiens blancs les plus grands que l'on peut trouver de race mêlée, parce qu'on a remarqué, que de ce poil, ils sont de plus haut nez, gardent mieux le change, sont plus fermes & tiennent mieux dans les chaleurs que les autres. Les Anglois font de même que les François, & ne se servent que des plus grands chiens blancs qu'ils ont, pour courre le cerf. Ils sont très-vîtes & crient peu ; ils sont mêlés avec des levriers, qui, naturellement rident (terme que je ne trouve pas). Les Anglois ont, outre cela, de trois sortes de chiens ; les plus grands & les plus beaux sont dits de race royale ; ils sont blancs, marquetés de noir. Ils gardent fort bien le change, & sont dressés de telle sorte, qu'ils chassent tous ensemble sans oser se jetter à l'écart, de peur du châtiment que les valets de chiens anglois, qui sont très-rudes, leur donnent avec de grandes gaules qu'ils portent exprès : les seconds sont appellés beaubis, & les troisiemes bigles, dont il y en a de deux sortes, de grands & de petits ; on a confondu toutes ces races avec les françoises.

Figure & taille des chiens courans. Aucun auteur n'a désigné la taille des chiens courans ; mais ils décrivent bien leur figure. Voici le tableau que Fouilloux en fait. Il faut, dit-il, ch. vj. qu'un chien courant pour être beau, ait la tête de moyenne grosseur, plus longue que camuse, les nazeaux gros & ouverts, les oreilles larges de moyenne épaisseur, les reins courbés, le rable gros, les hanches grosses près des reins, & le reste grêle jusqu'au bout, le poil de dessous le ventre rude, la jambe grosse, la partie du pié seche & en forme de celle d'un renard, les ongles gros. On ne voit guere un chien retroussé, ayant le derriere plus haut que le devant, être vîte. Le mâle doit être court & courbé, & la lice longue. Les nazeaux ouverts signifient chien de haut nez. Les reins courbés & le jarrêt droit, signifient vîtesse. La queue grosse près des reins, longue & déliée au bout, signifient force aux reins, & que le chien est de longue haleine. Le poil rude au-dessous du ventre, dénote qu'il est vigoureux, ne craignant pas les eaux. La jambe & les ongles gros, le pié de renard, démontrent qu'il n'a point les piés foibles, qu'il est fort sur les membres pour courre long-tems sans s'engraver.

Salnove, c. iv. dit qu'il faut qu'un chien courant ait la tête plus longue que grosse, que le front en soit large, l'oeil gros & gai, qu'il ait au milieu du front un épi, qui soit de poils plus gros & plus longs, se joignant par le bout à l'opposite l'un de l'autre. Je ne dis pas, continue-t-il, qu'il le faille à tous, mais quand il s'y rencontre, c'est un signe évident de vigueur & de force. Il faut aussi que le chien soit bien avalé, les oreilles passant le nez de quatre doigts au plus, & non comme celles qui le passent d'un grand demi pié ; nous appellons les chiens qui les ont ainsi clabots, à cause qu'ils demeurent à chasser dans trois ou quatre arpens de terre ou de bois, où ils retournent & rebattent les voies plusieurs fois ; ce qui les y oblige, c'est qu'ils ont naturellement peu de force. Il faut aussi que les chiens courans aient, s'il se peut, une petite marque à la tête qui ne descende pas au-dessous des yeux, qu'ils n'aient point les épaules larges ni trop étroites, que les reins en soient hauts en forme d'arc & larges, la queue grosse auprès des reins, en aménuisant jusqu'au bout, qui sera épié & relevé en s'arrondissant sur les reins, & non tournée comme une trompe, ce qui est marque de peu de force & de vîtesse (mais l'on en peut faire des limiers). La cuisse en doit être troussée, le jarret droit & la jambe nerveuse, le pié petit & sec, les ongles gros & courts, qu'ils ne soient pas ergotés, au-moins pour courre, cela n'importe ; c'est la taille & les signes qu'il faut aux chiens courans & aux lices, pour être assurément bons. Le rein gros & la chair fort dure sur les reins, sont deux qualités qu'exige M. de Ligniville dans le choix des chiens.

Nous avons, dit le même M. de Ligniville de deux tailles de chiens courans ; des esclames (terme de fauconnerie, Dictionnaire de chasse par M. Langlois, p. 81.) approchant de la taille des levriers à lievres ; d'autres plus gousseaux & mieux fournis comme levriers d'attaches. Les chiens esclames sont bien faits, arpés, c'est-à-dire ayant les hanches larges & étrignés comme levriers. Ces chiens doivent être vîtes pour les vues, de grandes jambes, force & vîtesse pour un jour ; les chiens d'autres tailles harpés, mais plus gousseaux & mieux fournis des reins, & larges, plus ensemble, sans excès en leur taille, ne le doivent point céder à la fin du jour & des chasses à leurs compagnons, même s'il est question de charper trois jours de suite, comme on fait quelquefois. Je tiens que les chiens mieux fournis ne se rendent pas sitôt que les autres.

Le chien esclame doit avoir la tête plus longue que le gousseau, & celui-ci plus courte, toutes les deux doivent être proportionnées à la taille ; le reste leur sera commun sans excès à leur grandeur & taille, la tête seche, nerveuse, le dessus du front plein de petites veines, les yeux élevés, noir-clair, grand & large front, les tempes creuses, plutôt courtes oreilles que trop longues, sans poil au-dedans, le col assez long & délicat pour être promt au mouvement, la poitrine large & grossette, les aisselles un peu distantes des épaules, les jambes de devant petites, droites, rondes & fermes, le pli des cuisses droit, les côtés non creusés, mais un peu relevés, les reins charnus, ni trop longs ni trop courts, les flancs entre le mol & le dur & bien troussés, les cuisses potelées, charnues en bas, larges par le haut, retirées en-dedans, le ventre avec ce qui en dépend bien vuidé, la queue remuante, droite, grosse près des reins plutôt que déliée, & venant à proportion à diminuer, déliée vers le bout, venant aboutir au noeud du jarret, s'il la tourne le long du tour & creux de la cuisse, les jambes de devant beaucoup plus hautes que celles de derriere, & les piés petits, serrés & ronds. Voilà la taille d'un chien robuste, agile, léger & beau à voir, convenable aux efforts, tels qui sont choisis dans la meute de Xenophon & dont Cyrus & Alexandre se servoient.

Il n'y a rien à ajouter au tableau que M. de Ligniville fait du chien courant ; il le peint comme sont aujourd'hui nos plus beaux chiens françois & bâtards anglois qui sont moulés ; il n'en marque point la hauteur, sinon celle du levrier pour lievres. La taille de ces beaux chiens qui sont aujourd'hui dans la grande meute du roi, est de 24 à 25 pouces de hauteur.

Les Anglois, dit M. de Selincourt, observent réguliérement ce qu'il faut faire pour avoir de bons chiens courans, & pour en avoir quantité ; car ils gardent des lices exprès, qui ne vont jamais à la chasse, de toutes les meilleures races qu'ils aient, pour leur servir de lices portieres, lesquelles ils laissent libres dans leurs basses-cours, comme les mâtines, qui n'avortent jamais, qui leur font tous les ans deux portées, dont ils n'en gardent jamais plus de six de chaque portée ; si bien qu'il n'y a point de lice qui ne leur donne tous les ans, l'un portant l'autre, une douzaine de chiens ; & comme ils abondent en laitage, & que leurs lices sont toujours en liberté, ils les nourrissent mieux que tous autres, & poussent leurs petits chiens jusqu'à l'âge de cinq mois, qu'ils ont fait leurs gueules à force de lait ; en telle sorte qu'ils deviennent beaux, grands & forts, & sont plus prêts à chasser à un an, que les autres à dix-huit mois ; & ainsi font-ils de toute autre race de chiens.

Si les françois imitoient les anglois, qui font nourrir tous leurs jeunes chiens ensemble, & dès l'âge de six mois, les menant à la campagne pour leur apprendre à être obéissans, ne leur permettant pas que jamais ils se séparent les uns des autres ; ils auroient des chiens sages & obéissans, qui chasseroient toujours ensemble ; car les chiens françois ont des qualités plus relevées que les chiens anglois. Ils ont les voix plus hautaines, chassent plus gaiement, la queue plus haute, tournent mieux, requêtent incomparablement mieux, rentrent mieux dans les voies, trouvent mieux les retours, & se font plus entendre de deux lieues, qu'une meute angloise ne feroit d'un quart de lieue, parce qu'ils chassent le nez haut à plus d'un pié de terre ; au lieu que les anglois chassent le nez bas & d'une voix étouffée contre terre. Tous les avantages des chiens françois s'évanouissent par la mauvaise nourriture qu'on leur donne, les faisant nourrir séparément ; les uns par des laboureurs, & les autres par des bouchers, en plein libertinage jusqu'à un an ou quinze mois ; pendant lequel tems ils acquierent des qualités si vicieuses, qu'avant d'entrer au chenil, ils sont incorrigibles, & que l'obéissance & la crainte ne peuvent plus rien sur leurs vicieuses habitudes, & que ce n'est qu'à force de coups qu'on les peut réduire, encore n'en peut - on venir à bout : si bien qu'une meute ne devient sage qu'à force de vieillir.

La Briffardiere, nouveau traité de vénerie, c. xxxvj. dit peu de chose sur les races de chiens courans : il donne aux chiens blancs la préférence sur tous les autres poils, & sur ceux d'une taille médiocre, qui sont plus vigoureux & courent plus long-tems que les chiens élancés & de haute taille : ces derniers n'ont que le premier feu, & après le premier relais, ils ne sauroient plus suivre les autres ; il propose, quand on a une meute de chiens blancs, de les faire chasser le lievre deux fois la semaine, & que les piqueurs n'épargnent pas les coups de fouet, pour les rendre attentifs & dociles, pour leur apprendre à s'ameuter avec les autres, s'y rallier & tourner où l'on voudra : après, leur faire chasser le cerf ou le chevreuil, & en peu de tems ils seront formés : quand les lices deviennent en chaleur, les faire couvrir par les meilleurs chiens, comme il est dit ci-devant ; les séparer de la meute douze jours avant de mettre bas, &c.

Phoebus, dans son chapitre xxiij. du Chenil, dit comme les chiens doivent demeurer & comme ils doivent être tenus. De son tems il y avoit un préau qui étoit construit exprès, avec une porte de derriere, pour que les chiens allassent au soleil, qui y donnoit tout le jour ; les chiens pouvoient y aller quand ils vouloient : il prétend que cette construction de chenil avec un préau, les empêchoit de devenir galeux si souvent ; (je serois bien de son sentiment, que le grand air ne peut faire que du bien aux chiens, sur-tout dans les beaux jours.) Il faisoit ficher des bâtons en terre, environnés de paille, hors les bancs où ils se couchoient, pour que les chiens y vinssent pisser ; il en faisoit mettre jusqu'à six. Si l'on frottoit quelqu'un de ces bâtons avec du galbanum, tous les chiens iroient pisser contre. La méthode n'étoit que très-bonne ; cela les empêchoit de pisser sur les bancs où ils se couchoient, ce qui faisoit que leurs lits étoient toujours secs : l'on n'a plus cette habitude ; prétendant que des chiens, en jouant ou en se battant, ou en sortant de vîtesse pour l'ébat ou pour manger la mouée, qu'ils pourroient s'étrufler, se blesser de différentes façons ; je laisse la chose à décider. Il y avoit de son tems, des cheminées dans les chenils, pour les réchauffer dans l'hiver & quand ils revenoient de la chasse, ayant eu la pluie quelquefois toute la journée sur le corps, avoir battu l'eau dans des étangs ou des rivieres, la boue, la crotte. Fouilloux parle de l'usage des cheminées. Il faisoit bouchonner les chiens après la chasse, pour faire tomber la boue & la crotte. L'on avoit conservé cet usage jusqu'au regne de Louis XIV. j'ai vu de grandes cheminées, environnées de grillages de fer, dans les chenils de Versailles ; je crois que c'est la peur du feu qui les a fait détruire ; je les approuverois cependant, pour le bien & la conservation des chiens : à l'égard du feu, on peut prendre des précautions comme on les prenoit dans ce tems-là, où il n'est point mention qu'il soit arrivé d'accident.

Phoebus, dans son chap. xxiv. dit, qu'il faisoit mener ses chiens à l'ébat deux fois le jour, le matin & le soir, au soleil, en beau & grand pré ; on les y peignoit & bouchonnoit tous les matins, on les menoit dans des lieux où il y avoit des herbes tendres ou blé verd, pour qu'ils se purgeassent ; on leur donnoit de la paille fraiche une fois le jour, & celle de dessus les bancs on la mettoit dessous les piés. Charles IX. leur faisoit donner de l'eau fraîche deux fois le jour, les faisoit rendre obéissans à l'ébat ; il vouloit qu'on ne les laissât pas écarter, qu'on les fît rentrer dans la meute, en les corrigeant & les nommant par leurs noms, qu'on les tînt en crainte & obéissance le plus qu'on pourroit ; qu'on les pansât deux fois le jour : c'étoit la méthode du regne de Charles IX. & de Salnove ; ils ajoutent, sans y manquer, si on les veut avoir beaux, vigoureux, & toujours en bon corps. Il y avoit deux petits valets de chiens ordinaires, qui couchoient au chenil. Ligniville dit qu'il faut des planches le long des murailles où couchent les chiens, pour les garantir de l'humidité des murs contre lesquels ils s'appuient. La précaution est très-bonne ; on les faisoit panser le matin à six heures en été, & à cinq le soir, en hiver à huit heures du matin & à trois du soir ; on les faisoit promener & mener à l'ébat après leurs pansemens, les y laissant une heure dehors. M. de Selincourt recommande la même chose, disant que si les chiens ne sont bien pansés & tenus proprement, qu'il en arrive toujours deux accidens fort grands & fâcheux, qui sont la gale & la rage ; il recommande de même des cheminées dans les chenils & grand feu au retour des chasses froides & humides en hyver.

On ne peut rien ajouter pour la propreté des chiens à l'usage que les anciens en avoient ; je suivrois avec plaisir leur méthode ; aujourd'hui on s'est relâché sur bien des bonnes choses qu'on a abolies pour en introduire d'autres qui ne les valent pas, comme de laver les chiens le lendemain des chasses en hiver avec de l'eau glacée dans un grand chenil qui n'a de chaleur que ce que les chiens lui en donnent ; cela doit leur être bien contraire. On ne les panse plus, ou on ne le fait que très-rarement ; quand ils ont été lavés, en voilà jusqu'à la prochaine chasse sans qu'on les peigne ni qu'on les brosse ; je ne désaprouverai pas qu'on les lave dans l'été, dans les jours de chaleur le lendemain des chasses : cela les délasse, & ne peut que leur faire du bien ; mais cela n'empêcheroit point qu'ils ne fussent pansés avec le peigne & la brosse tous les jours une fois jusqu'au jour de la chasse. En lavant les chiens en hiver avec de l'eau froide, vos vieux chiens qui à peine sont réchauffés de la veille, se mettent les uns sur les autres pour trouver de la chaleur, se salissent autant qu'ils l'étoient auparavant, ne peuvent se réchauffer qu'avec bien de la peine, ils maigrissent à vue-d'oeil, & ne durent pas long-tems. Les auteurs anciens disent que leurs chiens courans duroient en bonté & force neuf ans dans leurs meutes ; aujourd'hui quand ils en durent six, c'est beaucoup.

Si les chiens, dit Fouilloux, avoient des poux & puces, pour y remédier, il faut les laver une fois la semaine avec un bain fait de cresson sauvage, autant de feuilles de lapace, de marjolaine sauvage, de la sauge, du romarin & de la rue, faire bouillir le tout jusqu'à ce que les herbes soient bien cuites & consommées, les ôter de dessus le feu, les laisser refroidir jusqu'à ce qu'elles soient tiedes, puis bien laver les chiens ou les bien bouchonner, ou les baigner l'un après l'autre : cela se doit faire dans les grandes chaleurs trois fois le mois au-moins, une poignée de chaque herbe pour un sceau d'eau, suivant la quantité plus ou moins.

M. de Selincourt, dans son ch. xiij. des équipages, donne de très-bons conseils que j'ai transcrit mot-à-mot. Il y a, dit-il, deux saisons de l'année auxquelles il faut donner plus de soin au maintien d'une meute pour la garantir de toutes les maladies qui regnent en ces deux saisons, l'une est le printems, l'autre l'automne. En celle du printems, parce que le soleil remonte & donne vigueur à toutes choses, qu'en ce tems les animaux sont en leur plus grande force, & principalement les cerfs ; & qu'aux chasses qui se font en Avril, les chiens font plus d'efforts en une qu'en plusieurs, en tout tems de l'année ; c'est pourquoi il faut purger les chiens, les saigner, les panser, & les tenir plus nets qu'en toute autre saison, & leur donner une meilleure nourriture, ayant soin de ceux qui sont maigres, & par conséquent plus susceptibles des maux qu'ils peuvent communiquer à tous les autres, leur donner de la soupe, & les remettre en état.

Quant à l'automne qui rend tous les corps des animaux plus débiles & plus lâches, c'est en cette saison qu'il en faut avoir un soin plus particulier.

Quand on en a grand soin & qu'on tient les chiens proprement, on ne voit guere de meutes attaquées d'aucunes maladies générales qui les ruinent ; & ce ne sont jamais que les grands excès des curées trop fréquentes & des grands efforts que fait une meute qui leur causent la rage de glai ; grande rage qui infecte l'air des chenils & qui se communique. La premiere se guérit, si elle arrive au printems, par des remedes rafraîchissans ; la seconde qui n'est que particuliere, se guérit par des saignées & par des purgations de sené ; la troisieme se guérit par des bains salés, ou par le bain de la mer, & en séparant les chiens les uns des autres le plus promtement que faire se pourra.

Salnove, ch. xij. rapporte qu'il y avoit une ancienne coutume dans la vénerie du roi, que les chiens mangeoient du pain de froment, du plus blanc & du meilleur ; les valets de chiens en prenoient pour leur nourriture sans en abuser.

Il faut faire une très-exacte visite des grains & farines dont on nourrit les chiens, lesquelles sont quelquefois échauffées par la quantité ou épaisseur de grains qu'on met dans les greniers, & quelquefois aussi on fait le pain avec de l'eau puante, par la négligence, paresse, & saleté des boulangers, qui ne se donnent pas la peine de vuider tous les jours leur grande chaudiere, dans laquelle la vieille eau a croupi & formé du verd-de-gris ; ils remettent de l'eau par-dessus, la font chauffer, & font le pain avec, ce qui est très-contraire aux chiens, & peut leur donner des maladies qui commencent par des dégoûts, suivis de cours de ventre, de flux de sang, & même de la rage, à laquelle aboutissent tous ces maux ; une seule fournée de pain mal cuit rend toute la meute malade une semaine entiere, & principalement les chiens les plus voraces, & qui mangent ordinairement le mieux.

Il faut mettre le boulanger sur le pié de vuider & nettoyer sa chaudiere tous les jours, cela ne peut faire qu'un très-bon effet pour garantir du verd-de-gris, qui est un poison, quand même la chaudiere seroit étamée.

Le boulanger doit aussi examiner la farine qu'on lui livre, & si elle n'étoit pas bonne ne la pas recevoir : celui qui a la direction de l'équipage doit y être bien attentif, & s'en rapporter pour l'examen à lui-même, & s'il étoit absent qu'on reçût de mauvaise farine, faire punir celui qui l'a livrée & celui qui l'a reçue ; au moyen d'une pareille exactitude le service pour la nourriture des meutes sera toujours bien fait.

On donne aujourd'hui du pain d'orge pur aux chiens du roi, cela leur tient le corps frais & en embonpoint ; la nourriture en est bonne ; ils en mangent deux fois le jour : les jours de chasse on doit leur donner à déjeûner, mais le quart de ce qu'ils ont coutume de manger, pour ne les pas trop remplir, mais seulement les soutenir tout le jour que la chasse dure, car souvent ils ne rentrent que bien avant dans la nuit ; ces jours-là on leur prépare une bonne mouée, qu'on leur fait manger après la chasse ; & après qu'ils ont mangé leur soupe ou mouée, on leur fait faire la curée.

Service du chenil. Voici ce qui est en usage pour les meutes du roi sa majesté Louis XV. pour le service du chenil.

Dans l'été, les valets des chiens doivent se trouver au chenil à cinq heures du matin, pour sortir & promener les limiers, les lices en chaleur, & les boiteux ou malades ; le valet de chien qui sort de garde & qui a passé la nuit dans le chenil avec les chiens, est chargé de bien nettoyer & balayer chaque chenil, de mettre la paille de dessus les bancs par terre, & de la paille blanche neuve sur les bancs, de nettoyer & vuider les baquets où l'on met leur eau ; le valet de chien qui prend la garde est chargé d'aider à son camarade à nettoyer & enlever les fumiers, & de mettre de l'eau fraîche dans tous les chenils. A six heures on promene la meute ; on les tient ensemble le plus qu'il est possible, à la réserve de ceux qui se vuident ou prennent du verd ou de l'herbe pour les purger, ce qu'il faut leur laisser faire, & laisser un homme pour rester auprès d'eux jusqu'à ce qu'ils aient fini ; pendant ce tems on promene les autres.

Il faut que celui qui a la direction de la meute examine les chiens boiteux, ceux qui paroissent n'avoir pas la gaieté ordinaire, qu'il voye s'ils ont la gueule bonne, c'est-à-dire si un chien est malade. Pour cela on lui lave les levres, & si on lui remarque une pâleur qui n'est pas ordinaire, on est sûr qu'il est malade, on lui tâte les côtes vis-à-vis le coeur ; quand il a la fievre on en sent les battemens bien plus vifs & plus fréquens que d'ordinaire ; on le fait séparer sur-le-champ, & on le traite suivant la maladie qu'on lui trouve ; il faut avoir du papier, un crayon, & écrire chaque chien boiteux ou incommodé, pour le panser suivant son mal, & ne le point mener à la premiere chasse, jusqu'à ce qu'il soit bien refait & rétabli ; par ce moyen on sait le tems de son incommodité, le genre de sa maladie ou accident, & celui qui est en état d'être mené à la chasse ou non. Après les avoir fait promener trois quarts d'heure ou une heure, on les ramene au chenil, que les deux valets de chiens ont bien balayé, nettoyé, renouvellé de paille blanche & d'eau fraîche ; il faut les faire panser, les bien peigner & brosser, ce qui se fait en cette maniere : chaque valet de chiens est obligé d'avoir une étrille, brosse, peigne, ciseaux, & une couple : chacun prend un chien avec sa couple, lui met les deux piés de devant sur le bord du banc où couchent les chiens, commence à le bien peigner, à rebrousser ses poils d'un bout à l'autre, & après on le brosse bien par tout le corps ; on doit leur passer la main sous le ventre, entre les cuisses, les épaules, voir s'il n'y a point de crotte seche, & l'ôter s'il s'en trouve, à chaque chien on doit bien nettoyer la brosse avec l'étrille ; en les pansant on doit examiner s'ils n'ont point de dentée de la nuit ; s'ils en ont, il faut leur couper le poil ; de même s'il y avoit quelques dartres qui voulussent venir on leur coupe le poil pour les panser suivant le mal. Quand on a fini de panser les chiens & qu'il ne s'en trouve plus par l'appel qui en est fait par les valets de chiens, chacun serre ses ustensiles ; on met au gras, c'est-à-dire qu'il doit y avoir un petit chenil à côté du grand, qui ait communication par une porte l'un dans l'autre, & on met dans le petit les chiens qui sont trop gras (pour bien chasser) ; quand l'on y a mis ceux que l'on juge à propos, le premier valet de chiens examine s'il y en a une grande quantité, on y fait rester le dernier valet de chiens, après quoi on entre les auges dans lesquelles on casse le pain ; on les laisse manger environ une heure ; on examine ceux qui ne mangent pas, s'ils n'ont point l'air triste ou fatigué de la chasse, ou mal au ventre, suivant ce qu'on leur remarque on les sépare ou on leur donne du lait ou du bouillon, de la soupe ou de la viande, ce qui paroît à propos ; quand on voit qu'ils ne mangent plus & qu'il se trouve assez de pain, pour que les chiens gras & gourmands n'en mangent trop, on leur ouvre la porte, après quoi on finit le reste des autres, on ôte les auges & l'on panse les boiteux & les malades : on les laisse tranquilles jusqu'à quatre à cinq heures du soir qu'on recommence la même cérémonie, à la réserve du pansement, du peigne, & de la brosse, qu'on ne doit faire que le matin : dans l'hiver on ne les doit sortir qu'à huit heures & le soir à trois.

Le premier valet de chiens est chargé du pansement des boiteux, malades, ou blessés ; il a quatre sols par jour de plus que ses camarades ; ces pansemens se font toujours sous les yeux & les ordres de celui qui a la direction de la meute & qui en rend compte au commandant ; il lui fait part aussi de tous les détails qui concernent le service de la meute & prend ses ordres pour les chasses, les départs, les chiens à mettre aux relais, ceux qu'il faut reformer, généralement tout ce qui est du détail de la meute, & des valets de chiens.

Quand la meute doit chasser, celui qui en a la direction doit avoir un petit état de tous les chiens boiteux de la derniere chasse, des malades, fatigués, maigres, enfin de tous ceux qu'il ne croit point en état d'aller à la chasse ; arranger en conséquence le tout, par ordre de meute & de relais ; ayant ôté tout ce qui ne doit point marcher, il voit d'un coup d'oeil ce qui lui reste de chiens pour la chasse, suivant l'heure du départ de la meute ; si c'est le matin, on avance l'heure ordinaire pour les sortir à l'ébat qu'on fait moins long ce jour-là qu'un autre ; après qu'ils sont rentrés on met au gras, & on leur casse le quart du pain qu'ils ont coutume de manger, comme il a déja été dit ; un moment après on laisse venir les gras, quand ils ont fini, ce qui est bientôt fait, on sépare tous ceux que l'on a marqués ne devoir point aller à la chasse, relais par relais ; quand cela est arrangé de cette façon, & la séparation faite, on les sort dans la cour, & on les fait rentrer la porte entre-baillée pour les compter un à un ; vous devez trouver le compte que vous avez arrangé sur votre billet ; il faut panser les boiteux qui restent, & après vous faites préparer les couples pour le nombre des chiens qui vont à la chasse ; celui qui est de garde demeure au chenil pour avoir soin de ceux qui restent, & les autres vont se préparer, & doivent se trouver au chenil pour coupler ; il faut, en couplant les chiens, les égaliser autant qu'il est possible, tant du poil que de la taille, & s'il y a des chiens querelleurs & de mauvaise humeur, il faut les mettre avec une lice, sans que cela dérange les places que les chiens tiennent à chaque relais. On couple une demi-heure avant celle du départ : quand l'heure dite est arrivée, on fait partir les chiens accompagnés de celui qui en a la direction ; c'est le premier piqueur qui ne va plus au bois, & à qui on donne deux chevaux pour conduire l'équipage au rendez-vous, se promener pendant la chasse, & se rendre utile suivant son savoir ; il doit y avoir deux valets de chiens à pié à la tête des chiens, & l'on donne des chevaux aux autres pour contenir les chiens, afin qu'ils ne s'écartent pas de la meute. Un d'eux va devant, pour faire arrêter & ranger les voitures ; si l'on doit séparer des relais en chemin, le valet de chien à pié, du relais qu'on sépare, prend les chiens dudit relais ; son camarade à cheval étant au rendez-vous, & ayant été au bois, ne peut point les accompagner ; il les conduit à l'aide des palfreniers dudit relais à l'endroit qu'on lui a nommé, où son compagnon va le rejoindre après avoir fait son rapport au commandant. Les chiens étant arrivés au rendez-vous, dans une place éloignée des chevaux, à l'ombre dans l'été & au soleil dans l'hiver, le rapport étant fait, celui qui a la conduite de l'équipage prend les ordres du commandant pour la distribution des relais qui sont venus au rendez-vous, les envoie aux endroits nommés, & se tient prêt avec les chiens de meute, pour les conduire où l'on doit attaquer sitôt que le roi est arrivé, ou qu'il en reçoit l'ordre ; étant à l'enceinte on fait prendre la meute avec les contre hardes, c'est une double couple au milieu de celle qui tient les deux chiens couplés ensemble ; chaque homme en prend huit ou dix, plus ou moins suivant le nombre de chiens qu'il y a de meute, & les hommes qui sont pour cela ; on fait un détachement d'une harde de six vieux chiens, avec lesquels on va fouler l'enceinte pour faire partir le cerf ; l'usage des vieux chiens est très-bon pour cela, il se pratique à petite meute, & ils s'en trouvent bien. Sitôt que le cerf est lancé, & qu'il s'est fait voir, on mene les chiens de meute sur la voie, on les découple, & ils chassent : les valets de chiens à pié suivent la chasse, ramassent les chiens traîneurs, les menent doucement pour les donner dans un besoin, ou à la fin d'un cerf.

Quand un cerf se fait prendre bien loin du séjour de l'équipage, qu'il est tard quand la chasse est finie, on doit coucher au plus prochain endroit commode ; le lendemain on part du matin pour rentrer au séjour : on envoie les valets de chiens à cheval, dans tous les endroits où la chasse a passé, pour ramener les chiens qui n'ont pas pu suivre, ou qui se sont écartés après du change. L'usage de la vénerie est que sa majesté défraye hommes, chiens, & chevaux : quand les retraites sont longues, & qu'il y a assez de jour pour rentrer au logis, on doit faire manger un pain ou deux aux chiens en route ; cela les met en état de faire le chemin plus à leur aise ; on fait rafraîchir de même l'équipage sur le compte du roi.

On donne à chaque valet de chiens qu'on oblige à coucher dehors, vingt sols, & on leur rend le déboursé qu'ils ont faits pour leurs chevaux.

Curée. De retour de la chasse on attend que les valets de chiens à cheval soient rentrés ; en attendant on dépouille le cerf, on leve les morceaux, le commandant prend ce qu'il juge à propos, celui qui a la direction du chenil dispose du reste : ensuite on tient les membres, la carcasse, le cimier, & la pance vuidée & lavée, enfermés ou éloignés de l'endroit où on fait manger la mouée versée dans des auges : on ouvre la porte du chenil : il faut avoir la précaution qu'il y ait un homme à chaque porte en l'ouvrant, & qu'il s'y tienne jusqu'à ce que les chiens soient tous passés, de crainte qu'ils ne s'y heurtent, & ne s'étruslent ; il seroit à propos qu'elles s'ouvrissent en-dehors, il y auroit moins de danger : quand ils ont mangé leur mouée, on dispose la curée dans l'endroit qui est choisi pour cela, s'il étoit possible que ce fût sur l'herbe, cela n'en seroit que mieux : on y disperse le cerf, & on tient les chiens sous le fouet en les laissant crier ; ce qui fait un bruit mélodieux pour ceux qui aiment la chasse ; quand on les a tenu quelques minutes dans cette position, on leur abandonne le cerf dispersé, & ils font la curée, on leur crie halaly, pour les animer davantage ; l'on s'est relâché de même sur les trompes dont les valets de chiens devroient toujours se servir à la curée ; ce qu'on ne pratique plus qu'à Fontainebleau, cependant cela ne peut faire qu'un très-bon effet, en animant les chiens, & accoutumant les jeunes à connoître la trompe & à y venir quand ils sont séparés de la meute ; d'ailleurs la meute du roi doit être distinguée par les plus brillantes opérations, on n'auroit pas dû laisser abolir cet ancien usage. Il y a encore une méthode qui s'est introduite depuis un tems, qui est de mettre les chiens au gras les jours de chasse ; je ne comprens pas comment l'on n'en reconnoît point l'abus, il en résulte différens inconvéniens : 1°. les chiens qui sont dans l'embonpoint, souvent sont les plus vigoureux, les meilleurs, & ceux qui ont le plus travaillé, soit pour chasser ou avoir battu des eaux froides, ce qui les a mal menés ; vous leur donnerez pour leur peine le reste des autres, dont la plûpart n'ont servi de rien à la chasse, cela me paroît contraire au bien de la chose. 2°. En voulant mettre au gras la nuit comme il arrive presque toujours, les valets de chiens ouvrent la porte des gras, & à grands coups de fouet dans le chenil, crient aux gras ; il en entre des gras, des maigres, des jeunes, des vieux, des craintifs, tous pêle-mêle : on ferme la porte, & l'on vient annoncer qu'on a mis aux gras ; c'est un ouvrage très-mal fait, & une méthode qui est beaucoup plus nuisible qu'utile au bien du service.

Anciennement on donnoit aux chiens quand le cerf étoit pris, le foie, le coeur, le poulmon, & le sang mêlés avec du lait, du fromage & du pain, le tout bien mêlangé & coupé : on mettoit le tout sur la nappe du cerf, ce qui a fait conserver le nom de nappe à la peau du cerf. Il n'y avoit pas un si grand nombre de chiens dans les meutes qu'aujourd'hui : on donnoit le forhu après.

On a aussi supprimé le forhu, qui avoit été de tous les tems en usage, & qui faisoit un bon effet ; quand les chiens avoient fait la curée, & qu'il n'y avoit plus que les os, un valet de chien qui tenoit le forhu au bout d'une fourche, crioit tayoo, les chiens quittoient les os sans peine, & s'assembloient autour de lui : pendant ce tems on ramassoit les os, on les jettoit dans l'endroit destiné pour cela : on approchoit les chiens du chenil, & on leur jettoit le forhu, en attrapoit qui pouvoit ; voici le bon effet de cette pratique : elle les faisoit quitter sans peine les os du cerf, ce qui ne se fait qu'à grands coups de fouets redoublés, étant animés ils se laissent couper le corps, & ne quittent qu'à force de coups ; ces pauvres animaux qui un instant avant étoient caressés & animés, l'instant d'après vous les écrasez de coups de fouets pour les faire quitter ; c'est un contraste qui ne doit pas faire un bon effet : le forhu prévenoit cela ; si-tôt qu'ils entendoient crier tayoo, ils quittoient les os pour se rassembler au forhu : on avoit peu de peine à les y faire aller, au premier coup de fouet ils partoient, & cela leur en épargnoit beaucoup d'autres ; en second lieu cela les accoutumoit à connoître un tayoo, & à s'y porter, ce qui peut faire encore un très-bon effet à la chasse ; des chiens sans voies qui l'entendoient crier, s'y portoient.

Le forhu, terme ancien, est en usage parmi tous les auteurs qui ont écrit de la chasse ; c'est la pance du cerf bien vuidée, nettoyée & lavée qui étoit mise au bout d'une fourche avec les boyaux, un valet de chiens des plus grands & des plus forts tenoit la fourche ; quand les chiens avoient fini la curée, il se mettoit au milieu d'eux en criant tayoo, ils quittoient aisément les os pour se rassembler autour du valet de chiens ; il y en avoit plusieurs qui sautoient en l'air pour l'attraper, quand ils étoient tous rassemblés, en les rapprochant du chenil, on le jettoit au milieu d'eux, cela n'étoit pas long à être dissipé ; on les menoit après à la mouée, ceux qui n'en avoient pas assez mangé avant la curée achevoient de se remplir, quand ils avoient fini, on les faisoit rentrer au chenil : quand les chiens rentrent au chenil, la porte doit être tenue entre-baillée pour les compter, & voir s'il en manque ; quand cela arrive, on met un poëslon de mouée dans un petit chenil avec de la paille blanche & de l'eau, on recommande de laisser les portes de la cour du chenil entre-ouverte, pour qu'ils puissent entrer & aller dans le chenil où ils trouvent ce dont ils ont besoin ; le lendemain, s'il en manque, on les appelle tous par leurs noms avec la liste ; on connoît ceux qui manquent, de quels relais ils sont, & on envoye deux valets de chiens les chercher ; si la chasse a fait une grande refuite, il faut envoyer un homme à cheval. Comment voulez-vous qu'un homme qui a fait toute la chasse à pié la veille, qui est rentré tard & a fatigué, puisse faire dix à douze lieues, l'allée, le revenir, & le chemin que la chasse a fait ? il le promet, mais il n'en fait rien ; avec un cheval l'on seroit assuré qu'il feroit le chemin ; il ne faudroit qu'un vieux cheval pour cela, qui épargneroit peut-être bien des accidens, car des chiens qui manquent deux ou trois jours & quelquefois plus, peuvent être mordus par des chiens enragés, sans qu'on le sache, ils sont remis avec les autres, au bout de quelque tems ils deviennent malades au milieu de la meute ; voilà comme la plûpart des malheurs des meutes arrivent : si elle a fait peu de pays, un homme à pié suffit ; le lendemain des chasses s'ils ont les piés échauffés, sans être dessolés, on peut les leur saucer dans de l'eau & du sel, cela les rafraîchit ; s'ils sont dessolés, on les sauce dans du restrainctif. Pour les voyages & routes, Salnove dit que la marche ordinaire des chiens courans doit être par jour de six lieues, qu'on en faisoit quatre le matin en été, qu'on les faisoit diner, & quand le grand chaud étoit passé, on faisoit les deux lieues pour aller à la couchée, ch. lj. Ligniville dit que rien ne gâte ni n'estropie tant que les grandes retraites : le bon veneur fait retraite partout.

Marche de l'équipage en route. Quand le roi veut chasser dans les forêts de Fontainebleau, de Compiegne, de Senart, Saint-leger, &c. il donne ses ordres au grand veneur qui les donne au commandant ; celui-ci fait assembler les officiers de service à qui il donne l'ordre qu'il a reçu pour le jour du départ de l'équipage, & l'endroit où il doit aller ; il regle l'heure & l'endroit où l'on doit aller coucher ; s'il y a plusieurs jours de marche, on choisit un valet de limier des plus intelligens pour aller devant la veille du départ de l'équipage où il doit aller coucher, pour marquer grange ou écurie pour loger les chiens commodément, que l'endroit ferme bien, que les fenêtres ne soient point trop basses, afin que les chiens n'y puissent sauter, la faire bien nettoyer, la rendre propre, y faire faire une belle paille blanche & de bonne eau fraîche, prendre du monde pour cette opération, & chercher pareillement des endroits plus petits pour y mettre les limiers, les lices en chaleur & les boiteux, y faire pareillement mettre de belle paille & de l'eau fraîche, qu'il y ait une cour qui ferme bien, de crainte qu'il ne sorte quelques chiens ; on fait porter ordinairement le pain pour le souper des chiens, on le leur fait casser dans des vanettes, & on le leur porte dans l'endroit, on leur en donne autant qu'ils en veulent manger ; il n'y auroit pas grand mal quand on leur casseroit le matin quelques pains sur la paille un peu avant de les coupler, ils en feroient mieux la route. Pour ne pas retarder la marche de l'équipage, il faut faire mener doucement les vieux chiens. Les limiers sont conduits par un valet de limier, un valet de chien à cheval & un valet de chien à pié, quand il y en a beaucoup, s'il y en a peu, un valet de chien à cheval, & un à pié suffisent : en passant des forêts, si l'on fait bien, on les prend à la harde de peur qu'ils n'échappent, parce qu'ils sont moins dociles que les chiens de la meute ; on prévient encore par-là bien d'autres accidens. Les lices sont menées par un valet de chien à pié la veille du départ : le boulanger part deux jours avant l'équipage, pour préparer le pain, la mouée, & tout ce qui concerne son état, afin que rien ne manque à l'arrivée de la meute. Le roi donne les voitures nécessaires pour porter dans les voyages les ustenciles du fourni, du chenil, & les bagages des officiers & autres de service.

Tous les officiers de la vénerie doivent accompagner la meute en habit d'ordonnance, il doit y avoir un valet de limier devant l'équipage avec un fusil chargé pour tirer sur les chiens qui se trouveroient seuls sans maître, & qui auroient mauvaise mine, ou avertir ceux à qui les chiens appartiendroient de les prendre, les attacher, & s'éloigner du chemin ; de même avertir les voitures de s'arrêter avant d'arriver à la meute : quand la route est longue, & qu'il n'y a point de bois à passer, on doit laisser les vieux chiens & les plus sages en liberté, & les autres doivent être couplés en arrivant ; à l'entrée de quelque forêt il faut tout coupler, & que les chiens soient bien environnés de cavaliers, le fouet haut de crainte qu'ils n'éventent ou n'aient connoissance de voyes qui ne feroient que passer, ou des animaux ; on ne fait faire à l'équipage que huit à dix lieues par jour, quelquefois douze ; quand on va de Versailles à Compiegne, on a été coucher à la Chapelle, partir à minuit, rafraîchir à Garche, donner du pain & de l'eau aux chiens, envoyer les vieux chiens quatre heures devant la meute, le lendemain faire dix lieues, & tout arriver en bon état : cela s'est pratiqué dans les chaleurs du mois de Juin en 1764. A la moitié de la route, on fait rafraîchir les valets de chiens, & donner du pain aux chiens ; ceux de l'équipage qui veulent boire un coup, le font : tout cela est sur le compte du roi.

Meutes. Les meutes n'étoient pas si considérables anciennement, en nombre de chiens, qu'elles le sont aujourd'hui. Phoebus faisoit mener à la chasse plusieurs especes de chiens ; outre les chiens courans, il avoit des levriers, des allans qui servoient à arrêter & terrasser les animaux, apparemment qu'il les faisoit donner avec les levriers dans des détroits, plaines ou futayes.

Fouilloux, & Charles IX. ne disent rien de positif sur le nombre des chiens dont les meutes étoient composées ; on faisoit six relais chacun d'environ six chiens, ils étoient conduits chacun par un gentilhomme & son domestique à l'endroit qu'on leur destinoit : il y avoit, selon les apparences, autant de meutes de chiens que de relais, ce qui pouvoit aller environ à soixante chiens à la chasse ; suivant cet état, il falloit que la meute fût composée de quatrevingt chiens ; il y en a toujours de boiteux d'une chasse à l'autre, des malades, fatigués, & lices en chaleur ; c'est aussi le nombre que Salnove donne à-peu-près aux meutes de son tems ; on faisoit de même six relais. Il dit, ch. 9. qu'il a vu plusieurs années dans la meute du Roi jusqu'au nombre de trente chiens découplés ou laissés courre, n'y ayant qu'un seul valet de chien devant eux qui tenoit deux houssines en ses mains, suivant celui qui laissoit courre avec son limier qui chassoit de gueule, en renouvellant de voies lancer le cerf & sonner pour donner les chiens qui pourtant ne passoient pas que le valet de chien ne se fût détourné à droit ou à gauche, & qu'il n'eût laissé tomber ces houssines à terre, ou au-moins fort bas. Du tems de Salnove on menoit donc à la chasse environ 60 chiens, puisqu'il y en avoit trente de meute, & six relais qui ne doivent pas moins être que de cinq ou six chiens chacun. Ligniville dit que le nombre de vingt-cinq chiens suffit pour forcer ce qu'ils ameutent & chassent.

Le même dit aussi avoir dressé & ajusté des meutes de cinquante à soixante chiens par les regles de vénerie qui étoient très-bien au commandement & obéissans à la voix des veneurs.

Toutes les meutes bien dressées dont il parle, n'étoient que de cinquante à soixante chiens, entre autres celle de M. le prince de Conti, & celle du cardinal de Guise, qu'il avoit vues les premieres, & qui chassoient si juste qu'elles prenoient par tout pays un cerf. Les meutes de M. de Soissons & de M. le duc de Vendôme, qui avoient été dressées par messieurs de S. Cer, & M. de Carbignac, veneurs d'Henri IV. prenoient quelquefois 50 à 60 cerfs sans en manquer un.

Il a vu en Angleterre les chiens de sa majesté britannique prendre un cerf qui se mêloit avec plus de 2 ou 300 daims, & avec plus de 100 cerfs, desquels les chiens le séparoient partout, & pas un chien ne tournoit au change. Ils séparoient l'animal qu'ils chassoient également à vûe, comme par les voies.

Avec les mêmes chiens, il a vu le lendemain attaquer un daim, le chasser, se mêler avec des hardes de cerfs & de daims, le séparer partout, & le prendre.

Ils chassoient tous les jours, hors le dimanche, le cerf ou le daim. Ils ne faisoient point de relais ; on attaquoit avec toute la meute, sans en manquer un. Ils avoient la précaution en Angleterre de les faire porter où le roi vouloit chasser, dans des carrosses faits exprès ; on les rapportoit de même. Les veneurs en Angleterre, n'alloient point aux bois pour y détourner le cerf ; ils ne s'appliquoient point à avoir les connoissances du pié, ni des fumées, & ne se servoient point de limiers ; ils menoient leur meute dans les parcs ; attaquoient un cerf ou un daim dans les hardes d'animaux, où le gros des chiens tournoit les autres, s'y rallioient & ne se séparoient plus.

Le roi Jacques demanda à Henri IV. de lui envoyer des plus habiles de ses veneurs, pour montrer aux siens les connoissances du pié du cerf, & la maniere de le détourner & le laisser courre avec le limier, afin qu'il pût courre dans les forêts de ses états, & plus dans des lieux fermés comme ses parcs, où jusque-là il avoit toujours couru, & n'avoit pu connoître les cerfs qu'en les voyant. Le roi y envoya messieurs de Baumont, du Moustier, & quelques valets de limiers : depuis de S. Ravy & plusieurs autres bons chasseurs, y sont allés.

Les veneurs que Ligniville a connus en Angleterre, étoient des plus habiles pour dresser des meutes ; il en fait un grand éloge, & si les jeunes veneurs faisoient quelques fautes volontaires, ou par ignorance, que le roi en eût connoissance, il donnoit aussitôt des ordres pour y remédier. Il assure avoir beaucoup appris en ayant vu chasser la meute du roi d'Angleterre pendant 4 ou 5 mois, avec tout l'ordre & regles de chasses possibles, & que les veneurs anglois distinguoient le cerf qu'ils avoient attaqué, quand il se mêloit dans des hordes d'autres cerfs, à ne s'y pas tromper.

Salnove, ch. ix. dit que la meute du roi étoit de chiens blancs, qui étoient d'une sagesse & hardiesse admirables ; que dans les forêts de S. Germain, de Fontainebleau & de Monceaux, où il y avoit une quantité de cerfs innombrable ; ils chassoient un cerf quatre ou cinq heures. Quand il se mêloit avec 5 ou 600 cerfs, ils le séparoient, le maintenoient parmi tout ce change jusqu'à ce qu'ils l'eussent porté par terre.

Aucun auteur n'a écrit avec tant de détail pour former de bons veneurs & dresser les meutes, que M. de Ligniville : ce qu'il en dit est très-instructif.

Pour faire une bonne meute, il observoit de n'avoir que 50 à 60 chiens, tous du même pié. Quand il avoit un chien qui étoit trop vîte, qui avoit toujours la tête bien loin devant les autres, il lui faisoit mettre un collier avec trois plates longes traînantes, sur lesquelles le chien en courant mettoit les piés de derriere ; il lui faisoit baisser le col, & arrêtoit sa grande vîtesse, & le faisoit aller du même pié que les autres. Il y en a eu à qui l'on a mis des colliers de plomb de trois à quatre livres ; mais cela fatigue trop un chien (j'adopterois plutôt la plate longe). Quand un chien coupoit par ambition pour être à la tête, il ne le gardoit pas dans sa meute ; il vouloit que ses chiens chassassent toujours ensemble : pour peu qu'il remarquât qu'ils fissent une file, il faisoit arrêter la tête, & attendoit les autres jusqu'au dernier, cela arrive souvent dans la chasse, comme quand le maître étoit éloigné, ou à attendre un relais qui avançoit. Il vouloit que ses veneurs fussent toujours collés aux chiens, sans les presser ; quand les chiens étoient à bout de voie à un retour, ils remarquassent s'il n'y en avoit pas quelqu'un qui trouvât le retour plutôt que le gros de la meute, & qui s'en allât ; pour lors il envoyoit l'arrêter jusqu'à ce que tous fussent ralliés. Il y a des chiens qui sentent la voie double, qui ne se donnent pas la peine d'aller jusqu'au bout du retour, qui abrégent par ce moyen, & s'en vont seuls. Mais pour faire de belles chasses il faut que tous les chiens soient ensemble, ils en chassent bien mieux & à plus grand bruit ; & jamais ne chassent si bien quand ils sentent la voie foulée par d'autres qui sont devant eux, cela les décourage. Le veneur étant bien à ses chiens, remarque quand le cerf est accompagné, les bons chiens balancent, les timides demeurent ; c'est pour lors qu'il doit les laisser faire, sans trop les échauffer, ni intimider, jusqu'à ce que le cerf soit séparé du change, ce qu'il remarquera à ses bons chiens qui renouvellent de gaieté, & crient bien mieux.

Si le cerf étant accompagné, pousse le change & fait un retour, les chiens qui ne sont point encore sages percent en avant, & emmenent les autres ; mais le veneur attentif au mouvement de ses chiens, observera que les bons chiens tâtent les branches, pissent contre, si on ne les anime pas trop, croyant que le cerf perce ; vous les verrez revenir chercher la voie de leur cerf. Pour lors il faut envoyer rompre les chiens qui s'en vont en avant après le change. Pendant ce tems vous retournez dans vos voies juste, jusqu'à ce qu'avec vos bons chiens vous ayez trouvé la voie, ou ayez relancé. Quand vos chiens sont bien juste dans le droit, vous les arrêtez pour attendre qu'on vous rallie ceux qui ont tourné au change ; & quand tout est bien rallié, vous laissez chasser vos chiens bien ensemble ; on les appuie ; on parle aux bons ; on sonne : cela fait la chasse belle, & accoutume les chiens à chasser ensemble, les rend obéissans, les fait sages, & les dresse. Les vieux & les bons apprennent aux jeunes, à bout de voie, à retourner dans les chemins, routes ou plaines ; à mettre le nez à terre pour être juste à la voie. Je dis que les vieux apprennent aux jeunes, c'est quand la meute est à bout de voie, les vieux retournent la chercher dans les chemins, mettent le nez à terre & crient, les jeunes vont à eux, apprennent que quand on est à bout de voie il faut retourner pour la retrouver, l'ayant vu faire aux bons chiens, & dans les routes ou chemins qu'un cerf aura longé, les vieux s'en rabattent, chassent & crient, les jeunes mettent aussi le nez à terre, & s'accoutument à chasser dans tous les endroits, & se forment ainsi.

Il faut une distance convenable pour parler & appuyer les chiens, les tenir en obéissance, les faire chasser ensemble ; ne jamais attendre qu'ils soient trop éloignés ; il les faut tenir dans la justesse de vénerie ; ne les pas trop presser ; les appuyer à côté de la voie. Si les veneurs vont dans la voie du cerf, ils courent risque de passer sur le corps des derniers chiens, de les rouler & de les estropier (ce que j'ai vu arriver) ; & les chiens qui viennent derriere dans la voie, ne chassent plus avec le même plaisir, sentant la voie foulée par les cavaliers.

Il faut observer que quand on découple la meute dans la voie du cerf, il y faut être bien juste ; car au-dessus ou au-dessous, les chiens s'en vont de fougue, sans voie, & attaquent tout ce qui leur part, & l'on a de la peine à les y remettre. Cela fait le commencement d'une vilaine chasse, les veneurs ne se doivent mettre à la queue de leurs chiens qu'après que le dernier sera découplé.

Ligniville dit qu'il a été plus de dix ans à avoir peu de plaisir à la chasse, pour trop mettre de jeunes chiens dans sa meute, & qu'il s'en revenoit souvent sans rien prendre. Le tems, l'expérience & l'exercice lui ont dessillé les yeux ; depuis il n'en a mis que ce que la nécessité exige, & lesquels ont été mieux dressés & ajustés à ceux du petit nombre : la quantité nuit beaucoup.

Il en mettoit tous les ans la sixieme partie de sa meute ; dans une meute composée de 60 chiens, il en mettoit 10 de la même taille, même race & même vîtesse.

Il dit encore que pour forcer un cerf il falloit science de veneur & force de chiens ; qu'il ne faut pas laisser soustraire sa meute en donnant par trop ses chiens, sous espérance d'avoir force jeunesse à mettre au chenil ; ne jamais se défaire de la tête de la meute, ni des chiens de confiance : il faut peu de chose pour mettre une meute en désordre. Il faut l'âge, la vie, le soin & le travail d'un vrai bon veneur pour la rendre excellente.

Il ajoute qu'il faut exercer les chiens deux ou trois fois la semaine ; que ceux qui ont besoin de repos doivent être à la discrétion du veneur ; combien de jours de repos il leur faut pour être en corps raisonnable, pour avoir force, haleine & sentiment dans les chaleurs. S'ils sont par trop défaits, ils n'ont pas assez de force ; s'ils sont trop pleins, ils manquent d'haleine & de sentiment.

Des lices ouvertes pour en tirer race. Si vous voulez avoir de beaux chiens, dit Fouilloux, ch. vij. ayez une bonne lice qui soit de bonne race, forte & proportionnée de ses membres, ayant les côtés & les flancs grands & larges. Pour la faire venir en chaleur ; prenez deux têtes d'aulx, un demi rognon du dehors d'un castor, avec du jus de cresson alénois, une douzaine de mouches cantharides ; faites bouillir le tout ensemble dans un pot tenant une pinte, avec de la chair de mouton, & faites-en boire deux ou trois fois en potage à la lice, elle deviendra en peu de tems en chaleur, & faites-en autant au chien pour le réchauffer ; il faut tâcher de la faire couvrir s'il est possible, dans le plein cours de la lune. Le même auteur prétend, que si l'on donne pendant neuf jours à une lice qui n'a point encore porté, neuf grains de poivre dans du fromage, elle ne deviendra point en chaleur. Dans toutes les portées, il y aura des chiens qui ressembleront à celui par lequel la lice aura été couverte la premiere fois ; si c'est un mâtin, levrier, basset, &c. toutes les portées en tiendront un peu. Il faut observer de donner à la lice un jeune chien, plutôt qu'un vieux ; les jeunes chiens en seront bien plus légers & plus vigoureux. Il ne faut pas baigner les lices dans le tems de leur chaleur, cela leur est contraire, leur glace le sang, leur donne des rhumatismes, des tranchées & autres maladies. Quand les lices sont pleines, il ne faut pas les mener à la chasse, mais les laisser en liberté dans une cour ; quand elles ont conçu, elles sont ennuyées, dégoutées ; il leur faut faire du potage, au-moins une fois le jour. Il ne faut pas faire couper une lice quand elle est en chaleur, elle seroit en danger de mourir, & autant qu'il est possible, qu'elle n'ait point rapporté quand on la coupe : en le faisant, il faut prendre garde de couper les racines. Quinze jours après sa chaleur, elle est bonne à couper, quand même elle auroit été couverte, mais le plus sage est qu'elle ne l'ait point été. On ne doit tenir, selon Salnove, ch. xv. dans une meute de cinquante à soixante chiens, que cinq ou six lices ouvertes, que l'on appelle portieres ; on ne doit s'en servir que pour porter des chiens. Elles doivent être choisies hautes, longues & larges de coffre, qu'elles soient de bonne & ancienne race, & de vrais chiens courans sans aucun défaut. Pour en être plus assuré, il faut que celui qui a le gouvernement des chiens tienne un état généalogique de tous ceux qui sont dans la meute, afin de mieux connoître les races ; savoir si dans les portées d'où elles sont, il n'y en a point qui tombent du haut-mal, ou qui soient sujets à la goutte, querelleurs, pillars, méchans, obstinés à la chasse, &c. & ne tirer race que de ceux où l'on ne connoît aucun défaut. Avec ces précautions, on ne peut avoir que de beaux & de bons chiens. Pour faire devenir la lice en chaleur, on peut lui donner deux ou trois fois une omelette avec de l'huile de noix, une demi douzaine d'oeufs, & de la mie-de-pain de froment, à laquelle étant presque cuite, on ajoutera une douzaine de mouches cantharides ; & si c'est une lice qui n'ait jamais porté, on ne la provoquera point par ce moyen à la chaleur, qu'elle n'ait quatorze à quinze mois, âge où elle peut porter de beaux chiens & les nourrir. Néanmoins si elle devient plus tôt en chaleur d'inclination d'un mois ou deux, vous ne laisserez pas de la faire couvrir, & non pas devant qu'elle ait passé sa plus grande chaleur ; vous la tiendrez enfermée pour empêcher qu'elle ne soit couverte par d'autres chiens, que par celui que vous lui destinez.

Salnove est à cet égard du sentiment de Fouilloux ; il a remarqué que toutes les portées jusqu'à la troisieme, tiennent de la premiere. Si vous avez la curiosité de conserver les couleurs de poils dans votre meute, il faut tenir la lice dans un endroit où elle ne voie que des chiens de la couleur que vous demandez. Il faut que sa plus grande chaleur soit passée pour la faire couvrir, afin qu'elle retienne mieux ; vous devez choisir l'un de vos meilleurs chiens, l'un des plus beaux, des mieux faits, des plus vigoureux, criant bien & de bonne race. Si c'est une lice qui n'ait jamais porté, il la faudra tenir avec un couple dont vous lui aurez bridé la gueule, pour l'empêcher de vous mordre vous & le chien, autrement elle auroit de la peine à souffrir celui-ci. Si l'un d'eux étoit ou plus petit, ou plus grand, il le faudroit soulager au besoin, en choisissant un lieu ou plus haut ou plus bas. Mais si c'est une lice qui ait déja porté, il suffira que vous la fassiez enfermer avec le chien, faisant observer par la fente de la porte ou par une fenêtre, pour être assuré qu'elle est couverte, & il faut qu'elle le soit jusqu'à deux fois ; vous la tiendrez ensuite enfermée comme auparavant, jusqu'à ce qu'elle soit tout-à-fait refroidie ; vous jugerez qu'elle le sera, quand vous lui verrez le bouton entierement retiré comme avant sa chaleur ; cela étant vous la remettrez avec les autres dans le chenil & la pourrez faire chasser, jusqu'à ce que ses mamelles grossissent & s'avalent ; mais avant cela, vous connoîtrez qu'elle est pleine par la dureté du bout de la mamelle ; c'en est aussi une marque certaine si elle bat les chiens, & qu'elle ne puisse les souffrir. Lorsqu'elle sera avalée, vous la sortirez du chenil pour la mettre en liberté. Il la faut bien nourrir de potage & de lait, quand il en sera besoin lui donner du pain de froment, & non de seigle qui relâche ; si elle est dégoutée, donnez-lui du lait récemment tiré. Salnove, ch. xv.

Voici ce que Charles IX. dit sur le même sujet. Il faut être curieux de choisir une lice qui soit grande de corps, qui ait le coffre large, le jarret droit, le poil court & gros, sans être gras, qu'elle soit harpée, & ait l'échine large. Il faut que le chien qui doit la couvrir soit semblable, d'autant que les petits tiendront toujours du pere & de la mere ; il faut aussi qu'ils ayent le nez bon & soient vîtes. Après avoir choisi chiens & lices de pareille beauté & bonté, il faut les accoupler ensemble.

Pour faire entrer une lice en chaleur, afin d'en avoir plus promtement de la race, il faut la mettre & tenir avec des lices en chaleur, l'enfermer dans un tonneau qui soit barré afin qu'elle n'en puisse sortir ; il faut au-travers des barreaux lui montrer de petits chiens, les lui faire sentir ; si malgré tout cela elle ne devient point en chaleur, il faut faire couvrir d'autres lices devant elle, & alors elle ne tardera pas à être en chaleur. Quand elle y sera, il faut attendre qu'elle commence à se refroidir pour la faire couvrir, car dans sa grande chaleur, elle ne tiendroit pas ; il ne la faut faire couvrir que deux fois, & depuis qu'elle est couverte il la faut laisser en liberté, car la nature lui a bien donné le jugement, que pour conserver ce qu'elle a créé dedans son corps, elle se garde soigneusement ; vous diriez qu'elle est gouvernée par quelque raison ; jamais elle ne s'allonge & s'efforce de peur de se blesser ; si elle est obligée de passer par quelque endroit étroit & mal aisé, elle se ménage & se conserve fort curieusement. Pour la nourriture, si on lui donne son saoul à manger, elle ne se portera pas bien ; le bon traitement l'engraisseroit desorte qu'elle ne pourroit aisément faire ses petits, elle les rendroit morts ou en mauvais état ; au contraire, il n'y a point de danger de la tenir un peu maigre. Il ne faut pas lui donner de potage salé ni de viande crue, car cela la feroit avorter ; c'est pourquoi on ne donne jamais la curée aux lices pleines ; on reconnoît qu'une lice l'est, quand les mamelles se nouent, le coffre s'élargit, & que le ventre s'abaisse ; cela ne s'apperçoit que quinze jours après qu'elle a été couverte.

M. de Ligniville s'étend peu sur cet article : voici ce qu'il en dit. Il demande que la lice ait le rable fort gros, la chair dure & les côtés ouverts, sans avoir le ventre avalé, les flancs larges qui proviennent des côtés ouverts, comme lévriers & tous chiens harpés qui en sont plus vîtes & ont plus de force & de reins que les autres. Il faut que le chien & la lice aient quatre qualités pour en tirer race. Ces qualités sont, un sentiment exquis, la voix belle, de la vîtesse, & beaucoup de force.

M. de la Briffardiere ne dit rien de plus. Les lices portent soixante-trois à quatre jours plus ou moins, & font jusqu'à douze petits ; ce qui n'est pas à souhaiter, car dans cette grande quantité ils ne sont jamais si beaux, si grands, si bien formés, que quand il y en a la moitié de moins.

L'on observe aujourd'hui une partie de ce qui est dit ci-dessus, pour le choix & les qualités du chien & de la lice. On laisse à la nature le soin de mettre cette derniere en chaleur : sitôt qu'elle y est, & que les chiens vont après, on la sépare ; & au bout de 12 jours, on lui donne le chien destiné pour la couvrir ; le surlendemain on la fait couvrir par le même chien une seconde fois. (Il y a bien des meutes où on ne les fait couvrir qu'une fois, & elles retiennent de même.) On laisse toujours un jour entre les deux couvertures ; on laisse aussi reposer le chien une chasse après qu'il a couvert la lice. Quand celle - ci paroît pleine, on l'envoie au chenil destiné pour cela. On observe aussi de ne point faire couvrir une jeune lice à sa premiere chaleur ; on attend à la seconde ; elle est alors bien plus formée, & mieux en état de porter ; & les chiens qui en sortiront seront bien plus beaux & plus vigoureux. Il arrive aussi qu'une lice qui devient en chaleur à un an ou quinze mois, si elle est couverte & qu'elle ait une portée, cela l'effile, la rend foible & délicate pour toujours. Il ne faut pas faire couvrir les lices par de vieux chiens ; passés six ans ils n'y sont plus propres. On doit choisir le chien bien sain, sur-tout qu'il ne tombe point du haut mal ; ne pas lui faire couvrir trop jeune de lice ; à deux ans il est dans sa force ; avant ce tems, cela l'effileroit. Il faut laisser passer une chaleur après que la lice aura mis bas, avant de la faire recouvrir, afin qu'elle ait le tems de se rétablir.

Phoebus dit que les lices viennent en chaleur deux fois l'an, qu'elles n'y viennent que quand elles ont au-moins un an ; que leur chaleur dure vingt-un jours, quelquefois vingt-six ; que si on les baigne dans une riviere, elles seront moins de tems en chaleur ; ce qui, comme le remarque Fouilloux, leur est très-contraire ; qu'elles portent neuf semaines, &c.

Une lice coupée chasse toujours, & dure autant que deux lices ouvertes dont on tire des portées.

Si l'on veut faire couler une lice, il faut la faire jeûner un jour, & lui donner, mêlé avec de la graisse, le lait de tithymale ; toutesfois cela est périlleux, si les chiens sont formés. Le suc de sabine dans du lait donné le matin à jeun à la lice, pendant deux ou trois jours de suite, fait le même effet. On les fait couler aussi en leur donnant le matin du plomb à lievre dans un verre d'huile.

Si l'on ne veut pas qu'une chienne nourrisse, on peut lui faire perdre le lait avec de l'eau de forge, dans laquelle les maréchaux éteignent le fer rouge & leurs outils, en lui frottant matin & soir le bout des mamelles avec cette eau pendant huit jours. J'en ai fait plusieurs fois l'expérience.

Du soin qu'on doit avoir des lices lorsqu'elles font leurs chiens, & quand elles les nourrissent, & des soins que demandent les petits. Quand on s'apperçoit (Charles IX. ch. xiij.) que la lice veut mettre bas, il faut que ceux qui en ont soin, soient attentifs à ce que les petits sortent les uns après les autres sans se serrer, jusqu'à ce que le dernier soit sorti. Or quand la lice est délivrée, il faut lui changer sa nourriture, lui en donner plus qu'auparavant & de meilleure, comme potages, viandes, & autres choses qui la peuvent engraisser & rétablir. Si elle a plus de chiens qu'elle n'en peut nourrir, il faut ne lui en laisser que trois, & donner les autres à d'autres chiennes qui aient des petits du même âge, sur-tout des levrettes, si l'on peut en avoir ; elles sont meilleures pour cela que les autres, pour deux raisons ; 1°. à cause de leur grandeur & force, ce qui fait qu'elles ont plus de lait que les chiennes plus petites, & plus d'étendue : de sorte que les petits sont plus à leur aise. 2°. c'est que les chiens qui en sont nourris retiennent la vîtesse du levrier. Pour faire que lesdites levrettes ou autres chiennes, à qui l'on veut faire nourrir d'autres petits, ne fassent difficulté de les recevoir au lieu des leurs, il en faut tuer un & frotter de son sang ceux que vous mettez sous cette nourrice ; en les voyant ainsi couverts du sang du leur, elle les léchera, & les prendra comme si elle en étoit la vraie mere. (Aujourd'hui on n'est plus dans cet usage. On mêle avec les petits de la mâtine les étrangers qu'on veut qu'elle nourrisse ; on reste auprès, on les remue ensemble, afin qu'ils prennent l'odeur des siens qu'on lui ôte à mesure qu'elle s'accoutume avec les autres sans leur faire du mal.) Il y a des lices qui à force de lécher leurs petits, les mangent ; & si on le craint, il faut les emmuseler quand on les quitte, jusqu'à ce qu'on revienne auprès d'elles pour les faire manger. Ce danger n'est plus à craindre au bout de neuf jours. On doit laisser teter les petits pendant deux mois. Le lieu où l'on tient la lice tant qu'elle a ses petits, doit être chaud, sans feu ; si on peut les mettre au bout d'une écurie ou étable à vache, ils y seront bien sur-tout en hiver ; mais il faut leur faire faire une séparation avec des clayes, de peur que les animaux n'en approchent & ne les écrasent. Cette chaleur est douce & tempérée.

Les lices qui mettent bas au mois de Janvier, ont communément des chiens plus beaux que les autres, parce que tandis qu'il fait froid, ils demeurent toujours sous la mere qui les en garantit ; vient ensuite le printems, &c.

Les petits chiens, dit Phoebus, naissent aveugles, & ne voient clair qu'au bout de neuf jours ; ils commencent à manger au bout d'un mois ; il faut ne les retirer de dessous leurs meres, qu'au bout de deux ; leur donner du lait de chevre ou de vache avec de la mie de pain matin & soir ; pour le soir, on peut leur donner, à cause que la nuit est froide, de la mie de pain trempé avec du bon bouillon gras, & les nourrir ainsi jusqu'à ce qu'ils aient six mois ; alors leurs dents de lait étant tombées, on peut leur apprendre à manger du pain sec avec de l'eau peu à peu, car les chiens nourris de graisse & de soupe depuis les six premiers mois, sont de mauvaise garde, & n'ont pas aussi bonne haleine que quand ils vivent de pain & d'eau.

Il y a, au rapport de Fouilloux, ch. viij. des saisons où les petits chiens sont difficiles à élever. Ordinairement ils sont sans force & sans vigueur, quand ils naissent sur la fin d'Octobre, à cause de l'hyver qui commence à regner, & parce qu'alors les laitages dont on les nourrit n'ont pas une bonne qualité. Une autre mauvaise saison est en Juillet & Août, à cause des grandes chaleurs, des mouches & des puces qui les tourmentent. La vraie saison est en Mars, Avril & Mai, que le tems est tempéré, que les chaleurs ne sont pas fortes, & que c'est le tems que la nature a marqué principalement pour la naissance des animaux sauvages, ainsi que des vaches, des chevres, des moutons, &c. Si une lice met bas en hyver, il faut prendre un muid ou une pipe bien seche, la défoncer par un bout, puis mettre de la paille dedans ; coucher le muid ou pipe en quelque lieu où l'on fasse ordinairement bon feu, & mettre le bout défoncé du côté de la cheminée, afin qu'ils aient la chaleur du feu. Il faut que la mere soit bien nourrie de bons potages de viande de boeuf & de mouton, pendant qu'elle alaite. Quand les petits commenceront à manger, il faut les accoutumer au potage qu'on ne salera point, mais dans lequel on mettra beaucoup de sauge & d'autres herbes chaudes ; & si l'on voyoit que le poil leur tombât, il faudroit les frotter d'huile de noix & de miel mêlés ensemble, en les tenant proprement dans leur tonneau, & changeant leur paille tous les jours. Quand ils commenceront à marcher, il faut avoir un gros filet lassé à mailles de presse, & attaché avec un cercle au bout du tonneau, pour les empêcher de sortir, de peur qu'on ne leur marche sur le corps, & leur donner à manger souvent & assez dans leur tonneau. Ceux qui naissent en été, doivent être mis en lieu frais où les autres chiens n'aillent pas ; on doit mettre sous eux quelques clayes ou ais avec de la paille par-dessus qu'il faut changer souvent, de crainte que la fraîcheur de la terre ne leur fasse du mal. Il faut les placer dans un endroit obscur pour qu'ils ne soient pas tourmentés des mouches ; on doit aussi les frotter deux fois la semaine au moins avec un mêlange d'huile de noix & de safran en poudre, ce qui fait mourir toutes sortes de vers, fortifie la peau & les nerfs des chiens, & empêche que les mouches, puces & punaises ne les tourmentent. On peut aussi frotter la lice de même, en y ajoutant du suc de cresson sauvage, de peur qu'elle ne porte des puces à ses petits : quand ceux-ci auront trois semaines, il leur faut ôter un noeud ou deux de la queue avec une pelle rouge sur une planche. Quand ils commenceront à boire & à manger, il leur faut donner du bon lait pur tout chaud, soit de vache, de chevre ou de brebis. On ne doit les mettre aux villages qu'à deux mois pour plusieurs raisons, dont la premiere est que plus ils tetent, plus ils tiennent de la complexion & du naturel de la mere ; & ceux qui seront nourris par leur mere propre, seront toujours meilleurs. L'autre raison est que, si vous les séparez avant deux mois, ils seront frileux, étant accoutumés à être échauffés par la mere.

Les anciens ont prétendu qu'on connoissoit les meilleurs chiens en les voyant teter ; que ceux qui tetent le plus près du coeur sont les plus vigoureux, parce que le sang est en cet endroit plus vif & plus délicat. D'autres ont dit les reconnoître dessous la gorge, à un certain signe du poil, en forme de poireau ; les bons en ont un nombre impair, les mauvais un nombre pair ; il y en a qui ont regardé deux ergotures aux jambes de derriere, comme un mauvais signe, une ou point comme une bonne marque. D'autres veulent que les chiens qui ont le palais noir soient bons ; que ceux qui l'ont rouge soient mauvais, & que s'ils ont les naseaux ouverts, cela prouve qu'ils sont de haut nez. Un auteur assure que pour connoître les meilleurs chiens d'une portée, il faut les ôter de dessous leur mere, & les éloigner de leur lit ; & que ceux qu'elle reprendra les premiers pour les y reporter, seront assûrement les meilleurs. Quoi qu'il en soit, ceux qui ont les oreilles longues, larges & épaisses, le poil de dessous le ventre gros & rude sont les meilleurs ; Fouilloux assure l'avoir éprouvé.

Quand les petits chiens auront été nourris deux mois sous la mere, qu'on verra qu'ils mangeront bien, il les faut envoyer au village, en quelque lieu qui soit près des eaux, & loin des garennes. S'ils manquoient d'eau, quand ils viendroient en force, ils pourroient être sujets à la rage, parce que leur sang seroit sec & ardent ; & s'ils étoient près des garennes, ils pourroient se rompre & s'éfiler après les lapins.

On doit les nourrir aux champs de laitage, de pain, & de toutes sortes de potages, cette nourriture leur est beaucoup meilleure que celle des boucheries, d'autant plus qu'ils ne sont point enfermés, & qu'ils sortent quand ils veulent, qu'ils apprennent le train de la chasse, mangent de l'herbe à leur volonté, s'accoutument au froid, à la pluye, en courant après les animaux privés nourris parmi eux. Au contraire, si on les nourrissoit aux boucheries, le sang & la chair les échaufferoient tellement, que quand ils seroient grands dès les deux ou trois premieres courses qu'ils feroient à la pluie, ils se morfondroient, deviendroient plutôt galeux, seroient sujets à la rage, & à courir après les animaux privés pour en manger le sang, sans apprendre ni à quêter, ni à chasser en aucune maniere.

On doit retirer les petits chiens du village à dix mois, & les faire nourrir au chenil tous ensemble, afin qu'ils se connoissent & s'entendent. Il y a une grande différence entre une meute de chiens nourris ensemble & de même âge, & une de chiens amassés ; après que vous les aurez retirés au chenil, il leur faut pendre des billots de bois au col, pour leur apprendre à aller au couple.

Le pain qu'on leur donne, doit être un tiers d'orge, un tiers de seigle, & un tiers de froment ; ce mêlange les entretient frais & gras, & les garantit de plusieurs maladies. Le seigle seul les relâcheroit trop, le froment seul les constiperoit ; en hiver on leur donnera des carnages, principalement à ceux qui sont maigres & qui courent le cerf, mais non à ceux qui courent le lievre. Les meilleures chairs & celles qui les remettroient le plutôt sont celles de cheval, d'âne, de mulet. On peut mêler quelquefois un peu de soufre dans leur potage pour les échauffer.

Voici ce que dit à ce sujet Charles IX. c. xiv. & xv. après que les petits chiens ont tetté deux mois, il les faut tirer de dessous la mere, & les mettre dans un endroit où ils soient bien nourris de pain de gruau, lait & autres choses semblables, sans qu'ils en aient faute ; on doit les laisser en liberté dans la maison d'un laboureur ; & afin qu'ils s'accoutument au chaud & s'endurcissent les piés, il faut que le laboureur qui les a en garde, les mene avec lui quand il va aux champs : jusqu'à l'âge de six mois ils ne pensent qu'à jouer ; mais quand ils entrent au septieme, on ne doit point les perdre de vue, de peur qu'ils ne chassent les lapins, les lievres, & autres animaux sauvages, ce qui ne peut leur servir de rien ; mais au-contraire ils s'éfilent, n'étant point encore assez formés.

Quand le laboureur les a nourris jusqu'à huit mois, comme il est dit ci-dessus, il faut qu'il les change de façon de vivre, & qu'il leur donne du pain tout sec, le meilleur qu'il peut trouver. Depuis cet âge jusqu'au bout de l'an qu'ils doivent demeurer chez lui, il est besoin qu'il leur attache des bâtons au col pour les apprendre à aller au couple, & qu'il les mene parmi le monde & les animaux, afin qu'ils ne soient point hagards quand ils entrent au chenil.

Dès que les chiens ont un an accompli, il est nécessaire de les tirer d'avec le laboureur, & s'il y a quelque gentilhomme qui ait une meute de chiens pour lievres, on doit les lui donner, & laisser pour quatre mois, car il n'y a rien qui leur fasse sitôt le nez bon que de chasser avec de bons chiens ; ils apprennent à requêter, & d'autant que le sentiment d'un lievre n'est si grand que celui du cerf, & qu'il ruse plus souvent, cela leur fait le sentiment meilleur, plus délié & plus subtil ; il faut que le gentilhomme les fasse chasser avec sa meute deux fois la semaine, qu'il les tienne sujets & obéissans, & pour ce faire, qu'il ait quelques valets de chiens à pié avec la gaule, qui les fassent tirer où ils entendent sonner. Il faut aussi ne jamais sonner à faute, c'est-à-dire, que la bête ne soit passée, ou que ce ne soit pour faire curée, car cela leur feroit perdre toute créance.

Tandis que le chien est chez le gentilhomme, on doit le nourrir de pain sec, & le bien traiter de la main, ce qui lui profite autant que toute autre nourriture : l'endroit où on le tient doit être souvent renouvellé de paille fraîche, & tenu proprement. Après qu'il aura demeuré quatre mois chez le gentilhomme, il l'en faut tirer & le mettre au chenil. Il n'appartient à nul de nommer chenil le lieu où l'on met les chiens, qu'à celui qui a meute royale de chiens, qui peut prendre le cerf en tout tems sans autre aide que de ses chiens.

Salnove, ch. xvj. dit à-peu-près la même chose sur les lices & les jeunes chiens ; seulement il ajoute qu'il faut mettre peu de paille les deux ou trois premiers jours après la délivrance de la lice, de peur que le trop ne fît étouffer les petits, & qu'on doit les changer tous les jours de paille pour les garantir des puces & de la galle ; que s'ils en étoient atteints, il faudroit les frotter d'huile de noix & de lait chaud. Quand la lice est en travail, on doit lui donner du potage, du lait, & même des oeufs frais ; s'il étoit long, lui faire avaler seulement les jaunes, retirer le premier chien de dessous elle, & ainsi des autres, de crainte qu'elle ne les étouffe pendant son travail. Pour la premiere portée, il faut demeurer près de la lice deux ou trois jours, afin d'empêcher qu'elle ne tue ses petits par imprudence ou par malice, ou qu'elle ne les mange ; car si elle prenoit cette mauvaise habitude, il seroit ensuite mal-aisé de l'en empêcher ; si cela arrivoit, il faudroit la faire couper pour s'en servir à la chasse.

Pour les petits que vous mettez sous la mâtine, il faut observer ce qui est dit dans Charles IX. avoir un état bien en regle de la couverture, du nom du pere & de la mere, du jour de leur naissance, du nombre des mâles, & de celui des femelles, afin que la race s'en connoisse à l'avenir, & aussi pour savoir quand il les faudra retirer de dessous la mere pour les sevrer, le tems qu'il les faudra faire nourrir chez le laboureur, quand il faudra les en retirer pour les mettre au chenil ; & quand on voudra en tirer race, vous en sachiez l'âge, ainsi que pour les faire couvrir à-propos, & qu'ils ne soient pour cela ni trop jeunes, ni trop vieux, ce qui ne doit être qu'à deux ans pour les mâles, plus tôt cela les affoibliroit ; & passé quatre ans ils feroient des chiens sans force & sans vigueur ; il faut donner aux petits chiens pendant cinq à six jours du lait sortant du pis de la vache, ou bien le faire chauffer, afin de leur empêcher les tranchées qui ne manqueroient pas de venir sans cette précaution, ce qui pourroit les faire maigrir. Lorsque vos petits auront un mois, vous leur donnerez deux fois le jour du lait, ou une fois seulement, avec un peu de mie de pain ; si les meres en ont assez d'ailleurs pour les tenir en bon état : sinon, vous les sevrerez à six semaines, après quoi il faudra les tenir encore un mois au-moins chez vous, pour les accoutumer à manger du potage de lait, que vous leur donnerez pour les rendre plus forts, avant que de les faire nourrir chez le laboureur.

Evérer ou énerver les chiens. Pour faire cette opération, il faut un rasoir ou un bistouri bien tranchant ; un poinçon fort aigu, ou une petite branche de bois en forme de fosset. On fait prendre le chien ou la chienne (car cette opération leur est commune) avec une couple, on lui ouvre la gueule, dans laquelle on passe un mouchoir qu'on tient des deux côtés pour la maintenir ouverte ; on prend la langue avec la main qui doit être enveloppée d'un mouchoir ; pour que la langue ne glisse point pendant l'opération, on la renverse pour voir & sentir un petit nerf long comme la moitié du petit doigt, & gros comme un ferret d'aiguillette, formé comme un ver, ayant les deux bouts pointus. C'est ce corps qui pique le chien lorsqu'il est ému par le sang qui bout dans ses veines lors de l'accès de la rage, desorte qu'il croit qu'il sera soulagé toutes les fois qu'il appuyera ce nerf ou ver fortement contre quelque chose en la mordant. Ce nerf grossit en proportion de l'âge & de l'accès de la rage. Après avoir fait tirer la langue du chien, il la faut tendre le long de ce nerf seulement, pour y passer par-dessous le bout du poinçon, & l'ayant pris, vous l'enleverez en même tems avec assez de facilité, parce qu'il n'a aucune adhérence, après quoi vous laisserez aller le chien, qui se guérira de sa salive. On fait cette opération à l'âge de trois ou quatre mois ; elle prévient tout accident dans les meutes & les chenils, puisque les chiens auxquels on l'a faite, s'ils deviennent enragés, ne mordent jamais, & meurent de la rage, comme d'une autre maladie, cela peut aussi détourner le mal, ou du-moins le rendre plus facile à guérir. Salnove, c. xvij.

Phoebus faisoit éverrer ses chiens courans.

Gaston de Foix dit qu'il faut ôter un ver que le chien a sous la langue, lui donner après du pain avec de la poudre de chélidoine, mêlés dans de la vieille graisse, ajoutant que cela est contre la rage quand un chien a été mordu. S'il y a plaie, il veut qu'on y applique de la feuille de rue, du sel, de la graisse de porc, le tout mêlé avec du miel. Claude Gaucher Damartinoy, aumônier de Charles IX. auteur d'un poëme intitulé, les plaisirs des champs, dans le chapitre de la chasse, dit qu'il faut faire éverrer les chiens quand ils ont atteint quinze mois. Fouilloux sans rien dire de positif sur cela rapporte seulement que plusieurs ont prétendu que ce ver que les chiens ont sous la langue est la cause qui les fait devenir enragés, ce qu'il nie, quoiqu'on dise que le chien éverré est moins sujet à cette maladie. Quoi qu'il en soit, il ne rejette, ni n'approuve cette opération. Nous avons vu ce que pense Salnove à ce sujet. M. de la Briffardiere dans son nouveau traité de vénerie, p. 371, à l'occasion de la rage, dit que c'est une sage précaution d'énerver les chiens à qui il n'en arrive jamais aucun inconvénient. Elle est si utile, qu'on ne devroit jamais la négliger ; car jamais les chiens énervés ne courent, ni ne mordent quand ils sont enragés. On prétend même que les jeunes chiens en viennent mieux, & se tiennent plus gras.

On ne devroit donc jamais mettre des chiens dans des meutes, qu'ils n'eussent été auparavant éverrés. La meute du roi a été gouvernée par un veneur nommé la Quête, pendant quarante ans, & il n'est arrivé pendant ce tems aucun accident de rage dans la meute de sa majesté, parce qu'il n'y entroit aucun chien qu'il ne fît éverrer.

Depuis lui on a négligé cette opération, aussi voilà cinq fois que les deux meutes du cerf de S. M. ont été attaquées de la rage. Je me suis trouvé à un voyage de Saint-Leger en 1764, de service pour celui qui a la conduite de l'équipage. J'ai fait énerver toute la meute, qui étoit composée de 82 chiens & 11 limiers, avec l'approbation du commandant ; le tems nous apprendra quel en sera le résultat, & autant qu'il y aura des chiens à qui on n'aura pas fait l'opération, je la leur ferai faire, elle n'est suivie d'aucun fâcheux accident ; le chien énervé le matin, mange à l'ordinaire du pain le soir. On a toujours dit éverrer, quoique ce soit un nerf & non un ver que le chien a sous la langue. M. de la Briffardiere nomme l'opération énerver, & ce doit être sa vraie dénomination.

Après l'opération, continue Salnove, vous mettrez vos chiens chez des laboureurs, qui seront en pays de froment & non de seigle, dont la nourriture ne vaut rien pour de jeunes chiens, parce qu'elle passe trop promtement, & ne nourrit pas assez, pour leur faire le rable large, & toutes les autres parties à-proportion, comme il faut que les chiens courans les aient pour être forts ; il ne faut pas non plus qu'ils soient près des forêts ou des garennes, en y chassant ils s'éfileroient ou se feroient prendre par des loups, ou même par des passans. Il faut donc que cette nourriture se fasse où il y ait des plaines, prairies ou pâturages, où l'on nourrisse des vaches, afin que le lait, qui est la principale nourriture des chiens à cet âge, ne leur manque pas. On récompensera le maître pour l'obliger à en nourrir d'autres avec le même soin. Salnove & Charles IX. recommandent, pour rendre les petits chiens plus beaux, de donner aux filles de quoi les rendre jolies. Mais sur-tout qu'on ne les fasse pas nourrir à des bouchers, cela les rend trop gras, trop foibles, trop pesans, & les accoutume tellement à la chair, que si on ne leur en donne souvent, ils deviennent maigres, sans vigueur, ne voulant pas la plûpart du tems manger du pain.

Leur nourriture doit être jusqu'à sept mois, selon le même auteur, de pain de froment mêlé avec du lait, & ensuite de l'orge. L'eau & la paille fraîche ne doivent point leur manquer : à 10 ou 12 mois on les retire pour les mettre au chenil, les accoutumer avec les autres, & les rendre obéissans. Salnove condamne les billots ; selon lui la meilleure & plus sûre méthode c'est, après avoir mis dans le chenil les jeunes chiens avec ceux qui sont dressés, de les mener à l'ébat avec eux deux fois le jour, coupler un jeune chien avec un vieux, après avoir choisi les plus doux, les plus patiens, les moins querelleurs, afin qu'ils les souffrent quelques jours se mouvoir & sauter autour d'eux sans les mordre ; & qu'il y ait des valets de chiens attentifs pour les déharder, les faire suivre & marcher avec les vieux, en les caressant de tems-en-tems, & lui démêlant les jambes qui se prennent dans les couples ; on continuera ainsi sept à huit jours. C'est le tems qu'il faut à un jeune chien pour aller au couple. Les valets des chiens de garde doivent être plus exacts & plus attentifs au chenil quand on a mis de jeunes chiens, jusqu'à ce qu'ils soient accoutumés avec les vieux.

Tout ce que Salnove dit dans ce chapitre des jeunes chiens mis au chenil est en usage aujourd'hui. Cet auteur blâme qu'on nomme, qu'on sonne au chenil. Fouilloux est d'un sentiment contraire. Je crois qu'il est nécessaire que les chiens connoissent la trompe pour se rallier, & pour y venir quand ils sont égarés.

Usage qui se pratique présentement pour élever les jeunes chiens. J'ai rapporté le précis de tous les sentimens des auteurs qui ont écrit sur la chasse en françois, sur l'origine des chiens courans, leurs figures, celles des lices destinées pour rapporter, leurs couvertures ; quand elles mettent bas, les soins qu'on doit en prendre, la quantité de petits qu'on doit leur laisser pour les nourrir, du tems qu'on doit les laisser sous leurs meres, ce que l'on doit observer pour les sevrer, pour les accoutumer à manger, le tems qu'il faut les mettre à la campagne chez les laboureurs, celui de les retirer & de les mettre au chenil, & les accoutumer à aller aux couples.

Je vais donner l'usage qui se pratique aujourd'hui pour les meutes du roi.

Sa majesté Louis XV. a fait construire un chenil à Versailles pour les éleves des jeunes chiens ; la distribution des logemens, chenils, cours, bassins, ne laisse rien à desirer pour toutes les commodités nécessaires, & chaque âge des jeunes chiens qui n'ont nulle communication les uns avec les autres.

Ce que je croirois à-propos, seroit d'y joindre une basse-cour, & qu'il y eût des vaches & autres animaux pour plusieurs raisons. La premiere, c'est que les petits chiens que l'on accoutume à prendre du lait au bout de six semaines ou deux mois qu'ils ont tetté, l'auroient pur & tout chaud sortant du pis de la vache ; on seroit sûr qu'il n'auroit point été baptisé, comme est celui de la plûpart des laitieres qui l'apportent de la campagne, & qui mêlent celui du soir avec celui du matin. Une seconde raison est que dans l'écurie ou étable où seroient les animaux, je ferois faire au bout une séparation de claie, dans laquelle séparation il y auroit des petits compartimens de treillage pour y mettre les petits chiens de différens âges & leurs nourrices ; cette chaleur douce & naturelle se communiqueroit à eux, & pour l'hiver cela feroit un très-bon effet ; ils ne maigriroient ni ne dépériroient point comme ils font la plûpart, dans les froids qui leur sont très-contraires, rien n'étant plus frileux que les petits chiens, & on seroit à portée de leur distribuer le lait avant qu'il eût le tems de se refroidir.

Quand ils commenceroient à se promener, je leur ferois voir les animaux en rentrant & en sortant, afin de les enhardir à tout, & qu'ils ne fussent ni hagars ni effrayés pour la moindre chose, comme ils le sont tous en sortant du chenil des éleves.

Nourriture des jeunes chiens. Le pain qu'on est dans l'usage à-présent de donner aux chiens du roi, est de farine d'orge ; je demanderois que pour celui qu'on donne aux petits chiens jusqu'à l'âge de six mois, on fît bluter la farine d'orge avec moitié farine de froment, afin qu'il n'y eût ni son ni paille dans le pain qu'on leur donneroit, pour qu'ils le mangeassent mieux, qu'ils ne trouvassent rien de rude ni piquant à leurs petites gueules & petits gosiers, & qu'ils eussent moins de crainte en mangeant ; je leur ferois mettre de la mie de ce pain dans du lait soir & matin, & pendant la journée toujours des petits morceaux de ce même pain dans quelque chose de propre & où ils pussent atteindre pour en manger quand ils auroient faim. Comme ces petits animaux ont l'estomac chaud, & que leur digestion se fait promtement, ils ne souffriroient pas la faim si long-tems, & quand on leur donneroit à manger leur pain trempé dans du lait, ils le mangeroient moins avidement, & n'en prendroient pas à se faire devenir le ventre comme des tambours : ce qui est bien contraire à un chien courant. Salnove dit qu'on leur donnoit autrefois du pain de froment avec du lait jusqu'à sept mois. Je leur donnerois donc, comme il a été dit, le matin, du pain trempé dans le lait, dans la journée, du pain à ceux qui auroient faim, & le soir, si l'on veut, au lieu de lait avec du pain, je leur donnerois de la mouée. Cette mouée, comme elle se fait aujourd'hui, n'étoit point en usage autrefois : c'est une très-bonne nourriture ; on la fait avec les issues de boeuf, c'est-à-dire, piés, coeur, mou, foie, rate & pance bien lavés & bien nettoyés ; on les fait cuire ; on trempe du pain dans le bouillon, & la viande est coupée par petits morceaux, qu'on mêle avec le pain trempé : ce qui fait un mêlange très-nourrissant. On proportionne la quantité d'issues de boeuf au nombre de chiens qui doivent en manger ; pour vingt grands chiens il faut une issue ; ainsi on peut se régler sur la quantité de grands & de petits chiens ; il faut la donner à une chaleur modérée, c'est-à-dire, qu'on y puisse souffrir le doigt sans se brûler, & la faire manger aux petits chiens le soir : cela les soutiendra mieux que le lait & le pain pour leurs nuits qui sont souvent froides & longues.

On doit continuer cette nourriture jusqu'à six mois qu'il faut commencer à leur faire manger du pain tel qu'on le donne aux autres chiens de la meute, leur donner pendant quelque tems une fois de la mouée par jour, la leur diminuer peu-à-peu & les accoutumer à ne manger que du pain, afin que quand on les met dans le chenil avec les autres, ils y soient faits, & n'y maigrissent point. Quand on leur feroit manger de tems-en-tems de la chair de cheval crue, sur-tout dans l'hiver, depuis six mois jusqu'à un an, cela ne peut faire qu'un bon effet ; il faut observer, si on leur donne de cette viande, que l'animal ne soit mort que de mal forcé, comme tours de reins, jambe cassée & autres accidens qui font tuer les chevaux sans être malades.

Il y a des exemples à rapporter sur cela : la plûpart des chiens anglois ne sont nourris que de chair de cheval ; nous avons eu dans la meute du roi des chiens d'un nommé Maisoncelle, qui élevoit des jeunes chiens aux environs de Paris ; il ne les nourrissoit que de chair de cheval ; nous n'avons point eu de chiens françois plus vigoureux ; ils avoient 26 pouces, & étoient très-beaux. M. le duc de Gramont avoit un équipage avec lequel il chassoit le cerf & le chevreuil ; il ne faisoit vivre ses chiens que de chevaux morts ; à la réforme de son équipage on en a mis environ une douzaine dans la meute du roi, qui étoient très-bons & vigoureux.

A un an on les doit mettre au chenil : c'est l'âge pour les accoutumer avec les autres à aller aux couples ; pour les y faire peu-à-peu, il faut d'abord les mettre avec des vieux chiens doux & sages, les mâles avec les lices, & les lices avec des mâles, les accoutumer à manger le pain sec avec les autres, à faire les curées, à apprendre leurs noms & l'obéissance, connoître les valets de chiens & la trompe. A quinze mois on fait chasser les lices, & à dix-huit les mâles : c'est l'usage qui est observé dans la vénerie du roi. Quand on les mene à la chasse les premieres fois, ils vont couplés avec les autres aux brisées ; un valet de chiens les prend à la harde, à laquelle il ne doit y en avoir que six pour pouvoir les mener plus aisément ; il se promene pendant la chasse ; s'il la voit passer, il se met sur la voie, afin de donner de l'émulation aux jeunes chiens en leur faisant voir passer & crier les autres, & tâcher de se trouver à la mort d'un cerf pour les faire fouler ; à la seconde chasse, si celui qui en est chargé peut se trouver à la fin d'un cerf qui ne doive pas durer long-tems, il peut les découpler, après en avoir demandé la permission à ceux qui peuvent la lui donner, & à la mort du cerf les laisser fouler ; & quand on dépouilleroit un peu du col, leur laisser manger de la venaison toute chaude : c'est une petite curée qui doit faire un très-bon effet ; aux chasses suivantes, on les peut découpler avec les autres, & avoir soin que les valets de chiens à pié les reprennent quand on les verra trainer derriere les autres ou dans les routes. Si l'on veut courre un second cerf, il faut les faire recoupler & renvoyer au logis, & observer cela jusqu'à ce qu'ils ayent atteint toute leur force, qui est à deux ans ; sans cela si on les laisse chasser tout le jour, & un second cerf, l'ambition des jeunes chiens étant de suivre les autres, quand on donne un relais frais, ils ne peuvent plus atteindre, ils s'efforcent, s'effilent, maigrissent, ont de la peine à prendre le dessus, & souvent ne reviennent point, périssent de maigreur, & ne peuvent plus prendre de force.

Jeunes chiens dans la meute pour les mener à la chasse. Quand on met une grande quantité de jeunes chiens dans la meute, & que l'âge exige de les faire chasser, on peut en mettre deux à chaque relais de ceux qui ont déjà été à la chasse & découplés jusqu'à ce qu'ils aient pris assez d'haleine & de force pour suivre les autres ; sur seize à vingt chiens qu'il y a ordinairement à chaque relais, les deux jeunes chiens ne peuvent y faire aucun tort ; les vieux les maîtriseront toujours ; si la chasse prenoit un parti contraire au relais, & qu'on l'envoyât chercher, on fait deharder le relais, afin qu'ils aillent plus à leur aise deux-à-deux qu'à la harde ; on les emmene au petit galop ; le valet de chien à pié doit prendre les deux jeunes qui avoient été mis au relais, les mener doucement, & les faire boire quand ils trouvent de l'eau ; s'il rejoint la chasse, & qu'elle aille bien, il les découplera, afin qu'ils chassent avec les autres.

Il seroit à-propos de les promener dans les forêts où l'on veut les faire chasser, pour qu'ils apprennent à connoître les chemins, afin que quand ils se trouveroient égarés & seuls, ils reconnussent les routes pour revenir au chenil, & cela plusieurs fois avant de les découpler, & changer de promenade chaque fois, pour leur apprendre à connoître tous les cantons de la forêt.

La meute de S. M. Louis XV étoit composée de cent quarante chiens ; en 1764, le roi en a réduit le nombre à cent. L'on mene ordinairement cent ou quatre-vingt-dix chiens à la chasse partagés en quatre parties ; les chiens de meute qui sont les plus jeunes & les plus vigoureux sont découplés les premiers au nombre de 40 à 50 ; les trois autres relais sont composés du reste. A mesure qu'un chien de meute se fait sage, il est descendu à la vieille meute ; ceux de la vieille meute qui baissent un peu de vigueur & de vîtesse, sont mis à la seconde vieille meute ; & quand ceux-ci baissent, ils sont descendus de même aux six chiens, qui sont le troisieme & dernier relais ; les trois relais sont ordinairement de dix-huit à vingt chiens chacun, menés par un valet de chiens à cheval, & un à pié, qui ont à leur harde huit à dix chiens, & l'on n'en peut pas mener davantage ; (quand il n'y en auroit que huit à chaque harde, cela n'en feroit que mieux quand il faut avancer, & sur-tout au galop, ce qui arrive assez souvent) en les tenant, le grand nombre les gêne beaucoup ; ainsi, il reste toujours environ quarante à cinquante chiens au chenil les jours de chasse ; ce sont les lices en chaleur, celles qui sont pleines, les malades, les maigres, les boiteux & les fatigués de la derniere chasse, cela fait que le nombre est toujours à-peu-près égal à la chasse ; pour cela on a réglé tous les relais sur la liste au nombre de vingt-quatre, pour que chaque relais se trouve rempli du nombre ci-dessus ; quand même ils se trouveroient tous en état, l'on n'en mene pas davantage à chaque relais pour la raison déja dite.

Maladies & mort des chiens en l'année 1763. En 1763, le nombre des chiens qu'on menoit à la chasse diminua bien par la maladie épidémique qui s'est jettée sur les chiens dans toute l'Europe, & dont la plus grande partie sont morts ; on a été réduit dans la grande meute du roi à ne mener à la chasse que quarante à cinquante chiens au plus : cette maladie a commencé en Angleterre, est venue en France, en Piémont, en Italie, en Allemagne, & dans presque toutes les provinces du royaume. Toutes les meutes du roi, des princes, seigneurs & gentilshommes en ont été attaquées, & la plûpart sont morts ; les chiens de basse-cour, de meûniers, bouchers, bergers & de chambre n'en ont pas été exempts.

Les limiers de la grande & petite meute du roi, sont presque tous morts ; on a été obligé, les jours de chasse, d'aller chercher à voir un cerf ; les piqueurs & valets de limiers alloient à cheval parcourir dans les endroits où le roi vouloit courre, ils cherchoient à voir un cerf quelques momens avant l'heure d'attaquer, & en venoient faire le rapport ; on y alloit avec ce qu'il y avoit de chiens de meute au nombre de dix à douze qui s'étoient découplés, & autant à chacun des trois relais ; S. M. étoit obligée de chasser avec ce petit nombre.

L'on n'a pas encore pû trouver de remede à ce malheureux mal ; on en essaie tous les jours de nouveaux sans qu'on puisse trouver le véritable : la moitié des chiens des meutes du roi sont morts de cette maladie.

Les chasses que l'on fait avec ce petit nombre de chiens sont des plus belles ; en voilà plusieurs où tout le nombre des chiens menés à la chasse se trouvent à la mort du cerf, qui se monte depuis quarante jusqu'à soixante chiens, des chasses plus, & d'autres moins.

Le grand nombre de chiens ne fait pas faire de plus belles chasses, au contraire, quand on attaque plusieurs cerfs ensemble avec quarante à cinquante chiens de meute, que cela se sépare en quatre ou cinq parties, on cherche l'occasion d'en trouver un séparé seul pour y faire découpler la vieille meute, mais cela n'empêche pas les autres chiens de chasser séparément ; on fait ce qu'on peut pour les rompre & les enlever, ils en entendent d'autres, ils échappent & y vont ; plusieurs cerfs se trouvent échauffés ensemble, les voies se croisent, les chiens tournent au plus près d'eux ; si ce n'est pas le cerf à quoi ils ont tourné qu'on veut chasser, on rompt les chiens, pendant ce tems quelques chiens forlongent le cerf, on remet les autres sur la voie qui est foulée par ceux qui sont en avant ; ils chassent mollement, la plûpart de l'équipage est dispersé, & cela fait faire de très-mauvaises chasses.

Je serois du sentiment de M. de Ligniville, de n'avoir à la chasse que soixante à soixante & dix chiens, vingt à vingt-deux de meute, & seize à chacun des trois relais ; quand les chiens de meute se sépareroient, le nombre étant moindre, il seroit bien plus aisé de les arrêter & de les rallier à la voie du cerf qu'on veut chasser, & de les accoutumer à l'obéissance, ce qui feroit faire toujours de bien plus belles chasses ; les veneurs & les chiens seroient bien plus ensemble, & l'amusement du maître plus complet. Je suivrois encore le conseil de M. de Ligniville, de ne pas mettre un trop grand nombre de jeunes chiens à la fois dans la meute ; il n'en mettoit par an que la sixieme partie du nombre dont sa meute étoit composée. Il dit les inconvéniens du grand nombre ; il faut faire réformer tous les chiens inutiles, comme les vieux qui ne peuvent plus tenir avec les autres, ceux qui au bout de six mois ne veulent point chasser, & ceux qui sont lourds, épais & mal faits ; je ne voudrois que des chiens qui chassassent bien ensemble, & autant qu'il seroit possible qui fussent du même pié, criant bien ; c'est un bel ornement à la chasse qu'un beau bruit de chiens.

On pourroit garder six ou huit chiens avec les vieux qui ne peuvent plus tenir comme les autres, ceux qui sont lourds, épais, pour en faire une harde qui serviroit pour fouler l'enceinte où on feroit rapport, & faire partir le cerf.

Si l'on mene le nombre de soixante-dix chiens à la chasse, & comme il est dit ci-dessus, qu'il faille encore trouver six chiens de la meute pour fouler l'enceinte, il est aisé d'en prendre le nombre sur les chiens de meute & ceux de relais ; qu'il y en ait dixhuit ou vingt de meute pour découpler dans la voie du cerf que les vieux chiens auront lancé, il y en aura assez pour soutenir jusqu'à la vieille meute, dans les deux bas relais ; quand il n'y en auroit que quatorze, cela fait très-peu de différence ; c'est celui qui a le détail de l'équipage qui doit arranger le plus ou le moins suivant l'état de la meute de chaque chasse ; mais dans les sécheresses, les refuites des cerfs dans des plaines & terres labourées, il se trouvera quelquefois la moitié de la meute dessolée ; la chasse d'après ces chiens-là ne peuvent y aller, il faut quinze à vingt jours pour que la peau de dessous les piés soit assez revenue & ferme pour qu'on les puisse mener à la chasse ; si la chasse d'après il s'en trouve encore un certain nombre de dessolés, il en reste peu pour la troisieme chasse ; en cela on mene ce qu'on peut ; quand le nombre seroit réduit à quarante, cela n'empêcheroit pas de chasser : on doit faire force usage de restrainctif, dont il sera parlé aux remedes des maladies des chiens.

Nous croirions faire un larcin à l'Encyclopédie si nous n'insérions dans cet article le précis des idées de M. de Buffon sur le chien, le cerf, & la chasse ; nous nous permettrons aussi de remarquer quelques inadvertances qui ont échappé à cet illustre écrivain.

Les chiennes produisent six, sept, & quelquefois jusqu'à douze petits ; elles portent neuf semaines. La vie des chiens est bornée à quatorze ou quinze ans, quoiqu'on en ait gardé quelques-uns jusqu'à vingt. La durée de la vie est dans le chien, comme dans les autres animaux, proportionnelle au tems de l'accroissement ; il est deux ans à croître, il vit aussi sept fois deux ans ; l'on peut connoître son âge par les dents, qui dans la jeunesse sont blanches, tranchantes, & pointues, & qui à mesure qu'il vieillit deviennent noires, mousses, & inégales ; on le connoit aussi par le poil, car il blanchit sur le museau, sur le front, & autour des yeux.

Le chien, lorsqu'il vient de naître, n'est pas encore entierement achevé. Les chiens naissent communément les yeux fermés ; les deux paupieres ne sont pas simplement collées, mais adhérentes par une membrane qui se déchire lorsque le muscle de la paupiere supérieure est devenu assez fort pour la relever & vaincre cet obstacle, & la plûpart des chiens n'ont les yeux ouverts qu'au dixieme ou douzieme jour. Dans ce même tems les os du crâne ne sont pas achevés, le corps est bouffi, le museau gonflé, & leur forme n'est pas encore bien dessinée ; mais en moins d'un mois ils apprennent à faire usage de tous leurs sens, & prennent ensuite de la force, & un promt accroissement. Au quatrieme mois ils perdent quelques-unes de leurs dents, qui, comme dans les autres animaux, sont bien-tôt remplacées par d'autres qui ne tombent plus ; ils en ont en tout quarante-deux ; savoir six incisives en haut & six en bas, deux canines en haut & deux en bas, quatorze machelieres en haut & douze en bas ; mais cela n'est pas constant, & il se trouve des chiens qui ont plus ou moins de dents machelieres. Dans ce premier âge les mâles comme les femelles s'accroupissent pour pisser, ce n'est qu'à neuf ou dix mois que les mâles & quelques femelles commencent à lever la cuisse, & c'est dans ce même tems qu'ils commencent à être en état d'engendrer.

Les chiens présentent quelque chose de remarquable dans leur structure ; ils n'ont point de clavicules, & ont un os dans la verge ; leur mâchoire est armée d'une quarantaine de dents, dont quatre canines sont remarquables par leurs pointes & leur longueur, que l'on observe de même dans le lion & plusieurs autres animaux carnassiers. On reconnoit la jeunesse des chiens à la blancheur de leurs dents, qui jaunissent & s'émoussent à mesure que l'animal vieillit, & sur-tout à des poils blanchâtres qui commencent à paroître sur le museau : la durée ordinaire de la vie des chiens est environ de quatorze ans ; cependant on a vû un barbet vivre jusqu'à l'âge de dix-sept ans, mais il étoit décrépit, sourd, presque muet, & aveugle.

Les mâles s'accouplent en tout tems ; la chaleur des femelles dure environ quatorze jours ; elles ne souffrent l'approche du mâle que vers la fin de ce tems, & elles entrent en chaleur deux fois par an. Le mâle & la femelle sont liés & retenus dans l'accouplement par un effet de leur conformation & par le gonflement des parties ; ils se séparent d'eux-mêmes après un certain tems, mais on ne peut les séparer de force sans les blesser, sur-tout la femelle. Celle-ci a dix mamelles, elle porte cinq à six petits à-la-fois, quelquefois davantage (on en a vû en avoir jusqu'à douze & quatorze) ; le tems de sa portée dure deux mois & deux ou trois jours : on dit qu'elle coupe avec ses dents le cordon ombilical & qu'elle mange l'arrierefaix : le nouveau-né s'appelle petit chien.

Les yeux de ces petits animaux ne commencent à s'ouvrir qu'au bout de quelques jours. La mere leche sans cesse ses petits & avale leur urine & leurs excrémens pour qu'il n'y ait aucune odeur dans son lit ; quand on lui enleve ses petits elle va les chercher & les prend à sa gueule avec beaucoup de précaution ; on prétend qu'elle commence toujours par le meilleur, & qu'elle détermine ainsi le choix des chasseurs, qui le gardent préférablement aux autres.

On ne peut réfléchir sans admiration sur la force digestive de l'estomac des chiens ; les os y sont ramollis & digérés, le suc nourricier en est extrait. Quoique l'estomac des chiens paroisse assez s'accommoder de toutes sortes d'alimens, il est rare de leur voir manger des végétaux cruds ; lorsqu'ils se sentent malades ils broutent des feuilles de gramen, qui les font vomir & les guérissent. Les crottes ou excrémens que rendent ces animaux sont blanchâtres, sur-tout lorsqu'ils ont mangé des os ; ces excrémens blancs sont nommés par les Apothicaires magnésie animale ou album graecum ; & la Médecine qui ne se pique pas de satisfaire le goût par ses préparations, se l'est approprié comme médicament : cependant on est revenu, à ce qu'il paroît, de l'usage de cette substance prise intérieurement pour la pleurésie, on en fait tout-au-plus usage à l'extérieur dans l'esquinancie, comme contenant un sel ammoniacal nitreux. On prétend que ces excrémens sont si âcres, qu'ils détruisent entiérement les plantes, excepté la renouée, le polygonum, & le sophia des Chirurgiens, & que leur causticité est telle qu'aucun insecte ne s'y attache.

Tout le monde a remarqué que lorsqu'un chien veut se reposer, il fait un tour ou deux en pivotant sur le même lieu. Les chiens ont mille autres petites allures distinctes qui frappent trop les yeux de tout le monde pour que nous en parlions. L'attachement que quelques personnes ont pour cet animal va jusqu'à la folie. Les Mahométans ont dans leurs principales villes des hôpitaux pour les chiens infirmes, & Tournefort assure qu'on leur laisse des pensions en mourant, & qu'on paye des gens pour exécuter les intentions du testateur. Il arrive quelquefois aux chiens de rêver en dormant : ils remuent alors les jambes & aboient sourdement.

Quelques auteurs prétendent que les chiens contractent les maladies des personnes avec qui on les fait coucher, & que c'est même un excellent moyen de guérir les goutteux ; mais comme un homme qui prend la maladie d'un autre ne le soulage pas pour cela, il y a toute apparence qu'un malade ne peut recevoir de soulagement d'un chien qu'on lui applique, que dans le cas où la chaleur de l'animal attaqueroit la maladie, en ouvrant les pores, en facilitant la transpiration, & en donnant issue à la matiere morbifique. Quoi qu'il en soit, comme les chiens, en léchant les plaies qu'ils ont reçues, les détergent & en hâtent la consolidation, on a vu des personnes guéries avec succès, de plaies & d'ulceres invétérés, en les faisant lécher par des chiens. C'étoit la méthode de guérir d'un homme que l'on a vu long-tems à Paris, & que l'on nommoit le médecin de Chaudrai, du lieu où il faisoit son séjour.

Rage. De tous les animaux que nous connoissons, les chiens sont les plus sujets à la rage ou hydrophobie, maladie causée à ces animaux par la disette de boire & de manger pendant plusieurs jours, ou quelquefois par la mauvaise qualité de matieres corrompues dont ils se nourrissent assez souvent (suivant M. Mead, médecin anglois), ou encore par le défaut d'une abondante transpiration, après avoir long-tems couru. Cette maladie terrible rend le chien furieux, il s'élance indifféremment sur les hommes & sur les animaux, il les mord, & sa morsure leur cause la même maladie, si on n'y porte un promt remede. Cette maladie gagne d'abord les parties du corps les plus humides, telle que la bouche, la gorge, l'estomac ; elle y cause une ardeur, un déssechement, & une irritation si grande, que le malade tombe dans une aliénation de raison, dans des convulsions, dans une horreur & une appréhension terrible de tout ce qui est liquide : aussi ne faut-il pas s'étonner si les animaux, ainsi que les hommes, dans cet état de fureur, ont une aversion insoutenable pour l'eau. Cet effet, ainsi qu'on l'apprend des malades, dépend de l'impossibilité où ils sont d'avaler les liquides : car toutes les fois qu'ils font effort pour le faire, il leur monte alors, à ce qui leur semble, quelque chose subitement dans la gorge qui s'oppose à la descente du fluide. Les symptomes de cette maladie sont des plus terribles, & malheureusement les remedes connus ne font pas toujours des effets certains. On emploie le plus communément les bains froids & les immersions dans la mer, quelquefois sans succès : on a imaginé aussi de faire usage de la pommade mercurielle qui, à ce qu'il paroît, n'est pas non plus toujours infaillible. Comme cette maladie paroît être vraiment spasmodique, on y a employé avec succès les calmans, tels que l'opium & les antispasmodiques ; ainsi qu'on le voit dans la dissertation du docteur Nugent, médecin à Bath. Lemery conseille en pareil cas, l'usage fréquent des sels volatils, &c.

Comme il arrive souvent dans plusieurs maladies des hommes, que la crainte & l'inquiétude influent plus sur un malade que le mal réel, M. Petit, chirurgien, offre dans l'histoire de l'académie, an. 1723. un expédient pour savoir si le chien dont on a été mordu, & que l'on suppose tué depuis, étoit enragé ou non ; il faut, dit-il, frotter la gueule, les dents, & les gencives du chien mort, avec un morceau de chair cuite que l'on présente ensuite à un chien vivant ; s'il le refuse en criant & hurlant, le mort étoit enragé, pourvu cependant qu'il n'y eût point de sang à sa gueule ; si la viande a été bien reçue & mangée, il n'y a rien à craindre.

Les chiens sont encore sujets à plusieurs autres maladies.

Dans l'Amérique méridionale les chiens sont attaqués d'une espece de maladie vénérienne qui ressemble à la petite vérole. Les habitans du pays l'appellent peste.

Le chien courant que M. de Buffon a fait dessiner, a été choisi par M. de Dampierre, qui a autant de connoissance que de goût dans tout ce qui concerne la chasse.

Les chiens courans ont le museau aussi long & plus gros que celui des mâtins ; la tête est grosse & ronde, les oreilles sont larges & pendantes, les jambes longues & charnues, le corps est gros & allongé, la queue s'éleve en-haut & se recourbe en-avant, le poil est court & à-peu-près de la même longueur sur tout le corps, les chiens courans sont blancs ou ont des taches noires ou fauves sur un fond blanc.

Il y en a de trois sortes : savoir, les chiens françois, les chiens normands ou baubis, & les chiens anglois.

Description du chien courant. Il faut que les chiens courans françois aient les naseaux ouverts, le corps peu allongé de la tête à la queue, la tête légere & nerveuse, le museau pointu ; l'oeil grand, élevé, net, luisant, plein de feu ; l'oreille grande, souple & pendante ; le col long, rond & flexible ; la poitrine étroite sans être serrée, les épaules légeres, la jambe ronde, droite & bien formée ; les côtés forts, le rein court, haut, large, nerveux, peu charnu ; le ventre avalé, (c'est un défaut qu'on n'a pas fait remarquer à M. de Buffon ; il ne doit être ni trop retroussé, ni trop avalé, il faut un milieu) ; la cuisse ronde & détachée, le flanc sec & décharné, le jarret court & large, la queue forte à son origine, velue (il la faut à poil ras), longue, déliée, mobile, sans poil à l'extrêmité ; le poil du ventre rude, la patte seche, peu allongée, & l'ongle gros, &c. Les chiens normans ou baubis ont le corsage plus épais, la tête plus courte, & les oreilles moins longues. Les chiens anglois ont la tête plus menue, le museau plus long & plus effilé, le corsage, les oreilles & les jarrets plus courts ; la taille plus légere, & les piés mieux faits : ceux de la race pure sont ordinairement de poil gris moucheté.

Le chien qu'on a presenté à M. de Buffon à l'équipage du daim, pour le faire dessiner pour un limier, n'est pas assez beau ; il le nomme bien un metis de race de basset & de mâtin ; il y en avoit à la vénerie de bien plus beaux & de vraie race de limiers de Normandie, qui auroient mieux rempli son objet.

Chiens de Calabre. Ces chiens sont très-grands parce qu'ils viennent de très-grands danois mêlés avec de grands épagneuls ; il y a quelques années qu'on en fit peindre à Versailles deux très-beaux, de la haute taille du danois, fort courageux, & très-ardens à la chasse du loup ; ils participoient des caracteres des danois & des épagneuls pour la forme du corps & pour le poil ; les chiens ont cinq doigts y compris l'ongle, qui est un peu au-dessus du pié en-dedans, & que M. de Buffon compte pour le pouce. Le chien courant que M. de Buffon a fait dessiner, avoit deux piés neuf pouces, depuis le bout du nez jusqu'à l'anus.

Hauteur du train de devant, 1 pié 9 pouces 9 lig.

Hauteur du train de derriere, 1 pié 10 pouces.

Longueur des oreilles, 6 pouces 6 lignes.

Les chiens passent pour avoir dix mamelles, cinq de chaque côté, savoir quatre sur la poitrine, & six sur le ventre.

Les chiens ont neuf vraies côtes, trois de chaque côté, & quatre fausses.

Les vertebres de la queue du chien sont au nombre de vingt.

M. de Buffon ne dit rien du ver que les chiens ont sous la langue, ni de l'opération de couper les lices, & de ce qu'on leur ôte pour empêcher la génération, soit testicules ou autres choses, on leur ôte deux petites glandes.

Il y a dans les mémoires de l'académie des Sciences, l'histoire d'une chienne qui ayant été oubliée dans une maison de campagne, a vêcu quarante jours sans autre nourriture que l'étoffe ou la laine d'un matelat qu'elle avoit déchiré.

Epreuve de M. de Buffon. Il éleva une louve prise à l'âge de deux mois dans la forêt ; il l'enferma dans une cour avec un jeune chien du même âge ; ils ne connoissoient l'un & l'autre aucun individu de leur espece ; la premiere année ces jeunes animaux jouoient perpétuellement ensemble, & paroissoient s'aimer. A la seconde année ils commencerent à se disputer la nourriture & à se donner quelques coups de dents ; la querelle commençoit toujours par la louve. A la fin de la troisieme année ces animaux commencerent à sentir les impressions du rut, mais sans amour : car loin que cet état les adoucît ou les rapprochât l'un de l'autre, ils devinrent plus féroces, ils maigrirent tous deux, & le chien tua enfin la louve, qui étoit devenue la plus foible & la plus maigre.

M. de Ligniville a fait une expérience pareille, mais qui a mieux réussi, puisqu'il en est sorti des chiens, mais qui ne valoient rien pour la chasse.

Dans le même tems M. de Buffon fit enfermer avec une chienne en chaleur, un renard que l'on avoit pris au piege. Ces animaux n'eurent pas la moindre querelle ensemble ; le renard s'approchoit même assez familierement, mais dès qu'il avoit flairé de trop près sa compagne, le signe du desir disparoissoit, & il s'en retournoit tristement dans sa hutte. Lorsque la chaleur de cette chienne fut passée, on lui en substitua jusqu'à trois autres successivement, pour lesquelles il eut la même douceur, mais la même indifférence : enfin on lui amena une femelle de son espece qu'il couvrit dès le même jour.

On peut donc conclure de ces épreuves faites d'après la nature, que le renard & le loup sont des especes non-seulement différentes du chien, mais séparées & assez éloignées pour ne pouvoir les rapprocher, du moins dans ces climats.

Xénophon dit qu'il avoit des chiens qu'il nommoit renardiers en espece.

Le cerf. M. de Buffon, tom. XI. p. 85. Voici l'un des animaux innocens, doux & tranquilles qui ne semblent être faits que pour embellir, animer la solitude des forêts, & occuper loin de nous les retraites paisibles de ces jardins de la nature. Sa forme élégante & légere, sa taille aussi svelte que bien prise, ses membres flexibles & nerveux, sa tête parée plutôt qu'armée d'un bois vivant, & qui, comme la cime des arbres, tous les ans se renouvelle, sa grandeur, sa légéreté, sa force, le distinguent assez des autres habitans des bois ; & comme il est le plus noble d'entr'eux, il ne sert qu'aux plaisirs des plus nobles des hommes ; il a dans tous les tems occupé le loisir des héros ; l'exercice de la chasse doit succéder aux travaux de la guerre, il doit même les précéder ; savoir manier les chevaux & les armes sont des talens communs au chasseur & au guerrier ; l'habitude au mouvement, à la fatigue, l'adresse, la légéreté du corps, si nécessaires pour soutenir, & même pour seconder le courage, se prennent à la chasse, & se portent à la guerre ; c'est l'école agréable d'un art nécessaire, c'est encore le seul amusement qui fasse diversion entiere aux affaires, le seul délassement sans mollesse, le seul qui donne un plaisir vif sans langueur, sans mêlange & sans satiété.

Que peuvent faire de mieux les hommes qui par état sont sans cesse fatigués de la présence des autres hommes ? Toujours environnés, obsédés & gênés, pour ainsi dire, par le nombre, toujours en bute à leurs demandes, à leur empressement, forcés de s'occuper des soins étrangers & d'affaires, agités par de grands intérêts, & d'autant plus contraints, qu'ils sont plus élevés ; les grands ne sentiroient que le poids de la grandeur, & n'existeroient que pour les autres, s'ils ne se déroboient par instans à la foule même des flatteurs. Pour jouir de soi-même, pour rappeller dans l'ame les affections personnelles, les desirs secrets, ces sentimens intimes mille fois plus précieux que les idées de la grandeur, ils ont besoin de solitude ; & quelle solitude plus variée, plus animée que celle de la chasse ? Quel exercice plus sain pour le corps, quel repos plus agréable pour l'esprit ?

Il seroit aussi pénible de toujours représenter que de toujours méditer. L'homme n'est pas fait par la nature pour la contemplation des choses abstraites ; & de même que s'occuper sans relâche d'études difficiles, d'affaires épineuses, mener une vie sédentaire, & faire de son cabinet le centre de son existence, est un état peu naturel, il semble que celui d'une vie tumultueuse, agitée, entraînée, pour ainsi dire, par le mouvement des autres hommes, & où l'on est obligé de s'observer, de se contraindre & de représenter continuellement à leurs yeux, est encore une situation plus forcée. Quelque idée que nous voulions avoir de nous-mêmes, il est aisé de sentir que représenter n'est pas être, & aussi que nous sommes moins faits pour penser que pour agir, pour raisonner que pour jouir. Nos vrais plaisirs consistent dans le libre usage de nous-mêmes ; nos vrais biens sont ceux de la nature : c'est le ciel, c'est la terre, ce sont ces campagnes, ces plaines, ces forêts dont elle nous offre la jouissance utile, inépuisable. Aussi le goût de la chasse, de la pêche, des jardins, de l'agriculture est un goût naturel à tous les hommes ; & dans les sociétés plus simples que la nôtre, il n'y a guere que deux ordres, tous deux relatifs à ce genre de vie ; les nobles dont le métier est la chasse & les armes, les hommes en sous-ordre qui ne sont occupés qu'à la culture de la terre.

Et comme dans les sociétés policées on aggrandit, on perfectionne tout, pour rendre le plaisir de la chasse plus vif & plus piquant, pour ennoblir encore cet exercice le plus noble de tous, on en a fait un art. La chasse du cerf demande des connoissances qu'on ne peut acquérir que par l'expérience ; elle suppose un appareil royal, des hommes, des chevaux, des chiens, tous exercés, stylés, dressés, qui par leurs mouvemens, leurs recherches & leur intelligence, doivent aussi concourir au même but. Le veneur doit juger l'âge & le sexe ; il doit savoir distinguer & reconnoître si le cerf qu'il a détourné (a) avec son limier (b), est un daguet (c), un jeune cerf (d), un cerf de dix cors jeunement (e), un cerf de dix cors (f), ou un vieux cerf (g), & les principaux indices qui peuvent donner cette connoissance, sont le pié (h) & les fumées (i). Le pié du cerf est mieux fait que celui de la biche, sa jambe est (k) plus grosse & plus près du talon, ses voies (l) sont mieux tournées, & ses allures (m) plus grandes ; il marche plus régulierement ; il porte le pié de derriere dans celui de devant, au lieu que la biche à le pié plus mal fait, les allures plus courtes, & ne pose pas régulierement le pié de derriere dans la trace de celui du devant.

Dès que le cerf est à sa quatrieme tête (n), il est assez reconnoissable pour ne s'y pas méprendre ; mais il faut de l'habitude pour distinguer le pié du jeune cerf de celui de la biche ; & pour être sûr, on doit y regarder de près & en revoir (o) souvent & à plusieurs endroits. Les cerfs de dix cors jeunement, de dix cors, &c. sont encore plus aisés à reconnoître & à juger, ils ont le pié de devant beaucoup plus gros que celui de derriere ; & plus ils sont vieux, plus les côtés des piés sont gros & usés : ce qui se juge aisément par les allures qui sont aussi plus régulieres que celles des jeunes cerfs, le pié de derriere posant toujours assez exactement sur le pié de devant, à moins qu'ils n'aient mis bas leurs têtes ; car alors les vieux cerfs se méjugent (p) presque autant que les jeunes cerfs, mais d'une maniere différente & avec une sorte de régularité que n'ont ni les jeunes cerfs, ni les biches ; ils posent le pié de derriere à côté de celui de devant, & jamais au-delà ni en-deçà.

Lorsque le veneur, dans les sécheresses de l'été, ne peut juger par le pié, il est obligé de suivre le contrepié (q) de la bête pour tâcher de trouver des fumées, & de la reconnoître par cet indice qui demande autant & peut-être plus d'habitude que la connoissance du pié ; sans cela il ne lui seroit pas possible de faire un rapport juste à l'assemblée des chasseurs ; & lorsque sur ce rapport l'on aura conduit les chiens à ses brisées, (r) il doit encore savoir animer son limier & le faire appuyer sur les voies jusqu'à ce que le cerf soit lancé ; dans cet instant celui qui laisse courre (s) (on ne fait plus usage de lancer à trait de limier, on découple dans l'enceinte une demi-douzaine de vieux chiens pour lancer le cerf, & les veneurs foulent l'enceinte à cheval en faisant du bruit pour le faire partir), sonne pour faire découpler (t) les chiens, & dès qu'ils le sont, il doit les appuyer de la voix & de la trompe ; il doit aussi être connoisseur & bien remarquer le pié de son cerf, afin de le reconnoître dans le change (u) ou dans le cas qu'il soit accompagné. Il arrive souvent alors que les chiens se séparent & font deux chasses ; les piqueurs (x) doivent se séparer aussi & rompre (y) les chiens qui se sont fourvoyés (z) pour les ramener & les rallier à ceux qui chassent le cerf de meute. Le piqueur doit bien accompagner ses chiens, toujours piquer à côté d'eux, toujours les animer sans trop les presser, les aider dans le change (quand un cerf est accompagné), les faire revenir sur un retour pour ne se pas méprendre ; tâcher de revoir du cerf aussi souvent qu'il est possible, car il ne manque jamais de faire des ruses ; il passe & repasse souvent deux ou trois fois sur ses voies ; il cherche à se faire accompagner d'autres bêtes pour donner le change, & alors il perce, il s'éloigne tout-de-suite, ou bien il se jette à l'écart, se cache & reste sur le ventre ; dans ce cas lorsqu'on est en défaut (a), on prend les devants, on retourne sur les derrieres ; les piqueurs & les chiens travaillent de concert ; si l'on ne retrouve pas la voie du cerf, on juge qu'il est resté dans l'enceinte dont on vient de faire le tour ; on la foule de nouveau ; & lorsque le cerf ne s'y trouve pas, il ne reste d'autres moyens que d'imaginer la refuite qu'il peut avoir faite, vû le pays où l'on est, & d'aller l'y chercher ; dès qu'on sera tombé sur les voies, & que les chiens auront relevé le défaut (b), ils chasseront avec plus d'avantage, parce qu'ils sentent bien que le cerf est déja fatigué ; leur ardeur augmente à mesure qu'il

(a) Détourner le cerf, c'est tourner tout-autour de l'endroit où un cerf est entré, & s'assurer qu'il n'est pas sorti.

(b) Limier, chien que l'on choisit ordinairement parmi les chiens courans, & que l'on dresse pour détourner le cerf, le chevreuil, le sanglier, &c.

(c) Daguet, c'est un jeune cerf qui porte les dagues, & les dagues sont la premiere tête, ou le premier bois du cerf qui lui vient au commencement de la seconde année.

(d) Jeune cerf, qui est dans la troisieme, quatrieme ou cinquieme année de sa vie.

(e) Cerf de dix corps jeunement, cerf qui est dans la sixieme année de sa vie.

(f) Cerf de dix corps, qui est dans la septieme année de sa vie.

(g) Vieux cerf, cerf qui est dans la huitieme, neuvieme, dixieme &c. année de sa vie.

(h) Le pié, empreinte du pié du cerf sur la terre.

(i) Fumées, fientes du cerf.

(k) On appelle jambes les deux os qui sont en-bas à la partie postérieure, & qui font trace sur la terre avec le pié.

(l) Voies, ce sont les pas du cerf.

(m) Allures du cerf, distance de ses pas.

(n) Tête, bois ou cornes du cerf.

(o) En revoir, c'est d'avoir des indices du cerf par le pié.

(p) Se méjuger, c'est, pour le cerf, mettre le pié de derriere hors de la trace de celui de devant.

(q) Suivre le contre pié, c'est suivre les traces à rebours.

(r) Brisées, endroit où le cerf est entré, & où l'on a rompu des branches pour le remarquer.

Nota. Que comme le pié du cerf s'use plus ou moins, suivant la nature des terreins qu'il habite, il ne faut entendre ceci que de la comparaison entre cerf du même parc, & que par conséquent il faut avoir d'autres connoissances, parce que dans le tems du rut, on court souvent des cerfs venus de loin.

(s) Laisser courre un cerf, c'est le lancer avec le limier, c'est-à-dire le faire partir.

(t) Découpler les chiens, c'est détacher les chiens l'un d'avec l'autre, pour les faire chasser.

(u) Change, c'est lorsque le cerf en va chercher un autre, pour le substituer à sa place.

(x) Les piqueurs sont ceux qui courent à cheval après les chiens, & qui les accompagnent pour les faire chasser.

(y) Rompre les chiens, c'est les faire quitter ce qu'ils chassent, & les rappeller.

(z) Se fourvoyer, c'est s'écarter de la voie, & chasser quelqu'autre cerf que celui de la meute.

(a) Etre en défaut, c'est lorsque les chiens ont perdu la voie du cerf.

(b) Relever le défaut, c'est retrouver les voies du cerf, & le lancer une seconde fois.

s'affoiblit, & leur sentiment est d'autant plus distinctif & plus vif, que le cerf est plus échauffé ; aussi redoublent-ils de jambes & de voix ; & quoiqu'il fasse alors plus de ruses que jamais, comme il ne peut plus courir aussi vîte, ni par conséquent s'éloigner beaucoup des chiens, ses ruses & ses détours sont inutiles ; il n'a d'autre ressource que de fuir la terre qui le trahit, & de se jetter à l'eau pour dérober son sentiment aux chiens. Les piqueurs tournent autour & remettent ensuite les chiens sur la voie (s'il en est sorti). Le cerf ne peut aller loin, dès qu'il a battu l'eau (c), quand il est sur ses fins (d) (abois), où il tâche encore de défendre sa vie, & blesse souvent les chiens de coups d'andouillers, & même les chevaux des chasseurs trop ardens, jusqu'à ce qu'un d'entr'eux lui coupe le jarret pour le faire tomber, & l'acheve ensuite en lui donnant un coup de couteau-de-chasse au défaut de l'épaule. Depuis quelque tems on porte une carabine, pour empêcher le désordre qu'il feroit dans la meute étant aux abois. On célebre en même tems la mort du cerf par des fanfares ; on le laisse fouler aux chiens, & on les fait jouir pleinement de leur victoire en leur faisant faire curée (e).

Toutes les saisons, tous les tems ne sont pas également bons pour courre le cerf (f). Au printems, lorsque les feuilles naissantes commencent à parer les forêts, que la terre se couvre d'herbes nouvelles & s'émaille de fleurs, leur parfum rend moins sûr le sentiment des chiens ; & comme le cerf est alors dans sa plus grande vigueur, pour peu qu'il ait d'avance, ils ont beaucoup de peine à le joindre. Aussi les chasseurs conviennent-ils que la saison où les biches sont prêtes à mettre bas, est celle de toutes où la chasse est la plus difficile, que dans ce tems les chiens quittent souvent un cerf mal mené pour tourner à une biche qui bondit devant eux ; & de même au commencement de l'automne lorsque le cerf est en rut (g), les limiers quêtent sans ardeur ; l'odeur forte du rut leur rend peut-être la voie plus indifférente, peut-être aussi tous les cerfs ont-ils dans ce tems à-peu-près la même odeur. En hiver pendant la neige on ne peut pas courre le cerf ; les chiens n'ont point de sentiment ; on voit les limiers mêmes suivre la voie plutôt à l'oeil qu'à l'odorat. Dans cette saison comme les cerfs ne trouvent point à viander (h) dans les forts, ils en sortent, vont & viennent dans les pays découverts, dans les petits taillis, & même dans les terres ensemencées ; ils se mettent en hardes (i) dès le mois de Décembre, & pendant les grands froids ils cherchent à se mettre à l'abri des côtes ou dans des endroits bien fourrés où ils se tiennent serrés les uns contre les autres, & se réchauffent de leur haleine ; à la fin de l'hiver ils gagnent les bordages des forêts, & sortent dans les blés. Au printems ils mettent bas (k) ; la tête se détache d'elle-même, ou par un petit effort qu'ils font en s'accrochant à quelque branche ; il est rare que les deux côtés tombent précisément en même tems (cependant cela n'est pas sans exemple ; j'ai trouvé les deux côtés de tête d'un cerf dix cors jeunement dans la forêt de Saint-Leger-aux-Plainveaux, qui n'étoient pas à trois piés de distance l'un de l'autre), & souvent il y a un jour ou deux d'intervalle entre la chûte de chacun des côtés de la tête. Les vieux cerfs sont ceux qui mettent bas les premiers, vers la fin de Février ou au commencement de Mars ; les cerfs de dix cors ne mettent bas que vers le milieu ou la fin de Mars ; ceux de dix cors jeunement dans le mois d'Avril ; les jeunes cerfs au commencement, & les daguets vers le milieu & la fin de Mai ; mais il y a sur tout cela beaucoup de variétés, & l'on voit quelquefois de vieux cerfs mettre bas plus tard que d'autres qui sont plus jeunes. Au reste la mue de la tête des cerfs avance lorsque l'hiver est doux, & retarde lorsqu'il est rude & de longue durée.

Dès que les cerfs ont mis bas, ils se séparent les uns des autres, & il n'y a plus que les jeunes qui demeurent ensemble ; ils ne se tiennent pas dans les forts, mais ils gagnent le beau pays, les buissons, les taillis, & fourrés ; ils y demeurent tout l'été pour y refaire leur tête, & dans cette saison ils marchent la tête basse, crainte de la froisser contre les branches, car elle est sensible tant qu'elle n'a pas pris son entier accroissement. La tête des plus vieux cerfs n'est encore qu'à moitié refaite vers le milieu du mois de Mai : on dit en proverbe, à la mi-Mai mi-tête, à la mi-Juin, mi-graisse, & n'est tout-à-fait allongée & endurcie que vers la fin de Juillet ; celle des plus jeunes cerfs tombant plus tard, repousse & se refait aussi plus tard ; mais dès qu'elle est entierement allongée, & qu'elle a pris de la solidité, les cerfs la frottent contre les arbres pour la dépouiller de la peau dont elle est revêtue, & comme ils continuent à la frotter pendant plusieurs jours de suite, on prétend qu'elle se teint de la couleur de la seve du bois auquel ils touchent, qu'elle devient rousse contre les hêtres & les bouleaux, brune contre les chênes, & noirâtre contre les charmes & les trembles. On dit aussi que les têtes des jeunes cerfs qui sont lisses & peu perlées, ne se teignent pas à beaucoup près autant que celles des vieux cerfs, dont les perlures sont fort près les unes des autres, parce que ce sont ces perlures qui retiennent la seve qui colore le bois ; mais je ne puis me persuader que ce soit la vraie cause de cet effet, ayant eu des cerfs privés & enfermés dans des enclos où il n'y avoit aucun arbre, & où par conséquent ils n'avoient pû toucher au bois, desquels cependant la tête étoit colorée comme celle des autres.

Peu de tems après que les cerfs ont bruni leur tête, ils commencent à ressentir les impressions du rut ; les vieux sont les plus avancés : dès la fin d'Août & le commencement de Septembre, ils quittent les buissons, reviennent dans les forts, & commencent à chercher les bêtes *.

Quand les cerfs touchent aux bois pour nettoyer leur tête de la peau qui est dessus, le premier petit baliveau ou petit arbre qu'on apporte au rendez-vous auquel le cerf a frotté sa tête, & qui est dépouillé de son écorce, se nomme frayoir, il est présenté au commandant, à qui l'on fait rapport du cerf qui l'a fait ; le commandant le présente au grand veneur, le grand veneur au roi ; il y a un droit établi dans la vénerie pour le premier frayoir. Salnove, dans son chapitre vij. dit que quand un gentilhomme de la vénerie apportoit le frayoir, il avoit un cheval, & à un valet de limier un habit ; à présent le roi donne pour le premier frayoir huit cent livres, qui sont partagés aux huits valets de limiers, & le grand veneur leur donne aussi cent livres, qui leur fait à chacun cent douze livres dix sols, & souvent ce ne sont pas eux qui apportent le premier frayoir : c'est le reglement qui est en usage aujourd'hui dans la vénerie, & c'est toujours le premier valet de limier qui le tient quand le commandant le présente au grand veneur,

(c) Battre l'eau, battre les eaux, c'est traverser, après avoir été long tems chassé, une riviere ou un étang.

(d) Abois, c'est lorsque le cerf est à l'extrêmité & tout-à-fait épuisé de forces.

(e) Faire la curée, donner la curée, c'est faire manger aux chiens le cerf ou la bête qu'ils ont prise.

(f) Courre le cerf, chasser le cerf avec des chiens courans.

(g) Rut, chaleur, ardeur d'amour.

(h) Viander, brouter, manger.

(i) Harde, troupe de cerfs.

(k) Mettre bas, c'est lorsque le bois des cerfs tombe.

* Les bêtes, en terme de Chasse, signifient les biches.

& le grand veneur au roi. Voyez le nouveau traité de la vénerie, Paris 1750. p. 27.

Rut : ils raient (l) d'une voix forte, le col & la gorge leur enflent, ils se tourmentent, ils traversent en plein jour les guérets & les plaines, ils donnent de la tête contre les arbres & les sépées, enfin ils paroissent transportés, furieux, & courent de pays en pays, jusqu'à ce qu'ils ayent trouvé des bêtes, qu'il ne suffit pas de rencontrer, mais qu'il faut encore pour suivre, contraindre, assujettir : car elles évitent d'abord, elles fuient, & ne les attendent qu'après avoir été long-tems fatiguées de leurs poursuites. C'est aussi par les plus vieilles que commence le rut, les jeunes biches n'entrent en chaleur que plus tard, & lorsque deux cerfs se trouvent auprès de la même, il faut encore combattre avant que de jouir ; s'ils sont d'égale force, ils se menacent, ils grattent la terre, ils raient d'un cri terrible, & se précipitant l'un sur l'autre, ils se battent à outrance, & se donnent des coups d'andouillers (m) si forts que souvent ils se blessent à mort ; le combat ne finit que par la défaite ou la fuite de l'un des deux, & alors le vainqueur ne perd pas un instant pour jouir de sa victoire & de ses desirs, à moins qu'un autre ne survienne encore, auquel cas il part pour l'attaquer & le faire fuir comme le premier. Les plus vieux cerfs sont toujours les maîtres, parce qu'ils sont plus fiers & plus hardis que les jeunes qui n'osent approcher d'eux ni de la bête, & qu'ils sont obligés d'attendre qu'ils l'aient quittée pour l'avoir à leur tour ; quelquefois cependant ils sautent sur la biche pendant que les vieux combattent, & après avoir joui fort à la hâte, ils fuient promtement. Les biches préférent les vieux cerfs, non parce qu'ils sont plus courageux, mais parce qu'ils sont beaucoup plus ardens & plus chauds que les jeunes ; ils sont aussi plus inconstans ; ils ont souvent plusieurs bêtes à la fois ; & lorsqu'ils n'en ont qu'une, ils ne s'y attachent pas, ils ne la gardent que quelques jours, après quoi ils s'en séparent & vont en chercher une autre auprès de laquelle ils demeurent encore moins, & passent ainsi successivement à plusieurs, jusqu'à ce qu'ils soient tout-à-fait épuisés.

Cette fureur amoureuse ne dure que trois semaines ; pendant ce tems ils ne mangent que très-peu, ne dorment ni ne reposent, nuit & jour ils sont sur pié, & ne font que marcher, courir, combattre & jouir ; aussi sortent-ils de-là si défaits, si fatigués, si maigres, qu'il leur faut du tems pour se remettre & reprendre des forces : ils se retirent ordinairement alors sur les bords des forêts, le long des meilleurs gagnages où ils peuvent trouver une nourriture abondante, & ils y demeurent jusqu'à ce qu'ils soient rétablis. Le rut pour les vieux cerfs commence au premier Septembre, & finit vers le vingt ; pour les cerfs dix cors, & dix cors jeunement, il commence vers le dix Septembre, & finit dans les premiers jours d'Octobre ; pour les jeunes cerfs c'est depuis le vingt Septembre jusqu'au quinze Octobre ; & sur la fin de ce même mois il n'y a plus que les daguets qui soient en rut, parce qu'ils y sont entrés les derniers de tous : les plus jeunes biches sont de même les dernieres en chaleur. Le rut est donc entierement fini au commencement de Novembre, & les cerfs dans ce tems de foiblesse sont faciles à forcer. Dans les années abondantes en glands, ils se rétablissent en peu de tems par la bonne nourriture, & l'on remarque souvent un second rut à la fin d'Octobre, mais qui dure beaucoup moins que le premier.

Les biches portent huit mois & quelques jours ; elles ne produisent ordinairement qu'un faon (n), très-rarement deux ; elles mettent bas au mois de Mai & au commencement de Juin, elles ont grand soin de dérober leur faon à la poursuite des chiens, elles se présentent & se font chasser elles-mêmes pour les éloigner, après quoi elles viennent le rejoindre. Toutes les biches ne sont pas fécondes, il y en a qu'on appelle brehaignes, qui ne portent jamais ; ces biches sont plus grasses & prennent beaucoup plus de venaison que les autres, aussi sont-elles les premieres en chaleur. On prétend aussi qu'il se trouve quelquefois des biches qui ont un bois comme le cerf, & cela n'est pas absolument contre toute vraisemblance.

Dans le nouveau traité de vénerie, 1750. ch. xiv. des têtes bisarres, pag. 40. il est dit qu'au château de Malherbe, on y voyoit la figure d'une biche qui portoit un bois qui avoit huit andouillers, qui fut prise par les chiens du roi Charles IX. Depuis on a apporté cette tête à sa majesté Louis XV. à Fontainebleau.

M. de Ligniville, grand veneur de Lorraine, qui a écrit sur la chasse, dont le manuscrit est à la bibliotheque du roi, rapporte qu'étant en Angleterre, le roi Jacques I. lui fit voir dans son parc de Pilbok une biche qui avoit son faon, & qui portoit une perche fort longue, & une petite, qu'il y avoit long-tems qu'elle y étoit connue.

Le faon ne porte ce nom que jusqu'à six mois environ, alors les bosses commencent à paroître, & il prend le nom de herre jusqu'à ce que ces bosses allongées en dagues lui fassent prendre le nom de daguet. Il ne quitte pas sa mere dans les premiers tems, quoiqu'il prenne un assez long accroissement, il la suit pendant tout l'été ; en hiver les biches, les herres, les daguets, & les jeunes cerfs se rassemblent en hardes, & forment des troupes d'autant plus nombreuses que la saison est plus rigoureuse. Au printems ils se divisent, les biches se recelent pour mettre bas, & dans ce tems il n'y a que les daguets & les jeunes cerfs qui aillent ensemble. En général, les cerfs sont portés à demeurer les uns avec les autres, à marcher de compagnie, & ce n'est que la crainte ou la nécessité qui les disperse ou les sépare.

Le cerf est en état d'engendrer à l'âge de dix-huit mois, car on voit des daguets, c'est-à-dire des cerfs nés au printems de l'année précédente, couvrir des biches en automne, & l'on doit présumer que ces accouplemens sont prolifiques ; ce qui pourroit peut-être en faire douter, c'est qu'ils n'ont encore pris alors qu'environ la moitié ou les deux tiers de leur accroissement ; que les cerfs croissent & grossissent jusqu'à l'âge de huit ans, & que leur tête va toujours en augmentant tous les ans jusqu'au même âge ; mais il faut observer que le faon qui vient de naître se fortifie en peu de tems, que son accroissement est promt dans la premiere année, & ne se ralentit pas dans la seconde ; qu'il y a déja surabondance de nourriture, puisqu'il pousse des dagues, & c'est-là le signe le plus certain de la puissance d'engendrer ; mais ceux qui ont un tems marqué pour le rut, ou pour le frai, semblent faire une exception à cette loi. Les poissons fraient & produisent avant que d'avoir pris le quart, ou même la huitieme partie de leur accroissement : & dans les animaux quadrupedes ceux qui, comme le cerf, l'élan, le daim, le renne, le chevreuil, &c. ont un rut bien marqué, engendrent aussi plus tôt que les autres animaux.

Il y a tant de rapport entre la nutrition, la production du bois, le rut & la génération dans ces animaux, qu'il est nécessaire, pour en bien concevoir les effets particuliers, de se rappeller ici ce que nous avons établi de plus général & de plus certain au sujet de la génération : elle dépend en entier de la surabondance de la nourriture : tant que l'animal croît,

(l) Raire, crier.

(m) Andouillers, cornichons du bois de cerf.

(n) Faon, c'est le petit cerf qui vient de naître.

c'est toujours dans le premier âge que l'accroissement est le plus promt, la nourriture est entierement employée à l'extension, au développement du corps, il n'y a donc nulle surabondance, par conséquent nulle production, nulle secrétion de liqueur séminale, & c'est par cette raison que les jeunes animaux ne sont pas en état d'engendrer ; mais lorsqu'ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement, la surabondance commence à se manifester par de nouvelles productions. Dans l'homme, la barbe, le poil, le gonflement des mamelles, l'épanouissement des parties de la génération, précédent la puberté. Dans les animaux en général, & dans le cerf en particulier, la surabondance se marque par des effets encore plus sensibles ; elle produit la tête, le gonflement des daintiers (o), l'enflure du col & de la gorge, venaison (p). (M. de Buffon nomme venaison la graisse du cerf ; dans la vénerie, c'est sa chair & non sa graisse ; quand la chair est bien vermeille, on dit que la venaison est belle, & quand elle est pâle, on dit que la venaison n'est pas belle) ; & comme le cerf croît fort vîte dans le premier âge, il ne se passe qu'un an depuis sa naissance, jusqu'au tems où cette surabondance commence à se marquer au-dehors par la production du bois : s'il est né au mois de Mai, on verra paroître dans le même mois de l'année suivante, les naissances du bois qui commence à pousser sur le têct (q). Ce sont deux dagues qui croissent (sur deux pivots, qui sont deux bosses, sur lesquelles le bois se forme sur le massacre du cerf), s'allongent & s'endurcissent à mesure que l'animal prend de la nourriture ; elles ont déja vers la fin d'Août pris leur entier accroissement & assez de solidité, pour qu'il cherche à les dépouiller de leur peau en les frottant contre les arbres ; & dans le même tems il acheve de se charger de venaison, qui est une graisse abondante, produite aussi par le superflu de la nourriture, qui dès-lors commence à se déterminer vers les parties de la génération, & à exciter le cerf à cette ardeur du rut qui le rend furieux. Et ce qui prouve évidemment que la production du bois & celle de la liqueur séminale dépendent de la même cause ; c'est que si vous détruisez la source de la liqueur séminale, en supprimant par la castration les organes nécessaires pour cette sécrétion, vous supprimez en même tems la production du bois ; car si l'on fait cette opération dans le tems qu'il a mis bas sa tête, il ne s'en forme pas une nouvelle ; & si on ne la fait au contraire que dans le tems qu'il a refait sa tête, elle ne tombe plus, l'animal en un mot reste pour toute sa vie dans l'état où il étoit, lorsqu'il a subi la castration ; & comme il n'éprouve plus les ardeurs du rut, les signes qui l'accompagnent disparoissent aussi, il n'y a plus de venaison, plus d'enflure au col ni à la gorge, & il devient d'un naturel plus doux & plus tranquille. Ces parties qu'on a retranchées étoient donc nécessaires, non-seulement pour faire la sécrétion de la nourriture surabondante, mais elles servoient encore à l'animer, à la pousser au-dehors dans toutes les parties du corps, sous la forme de la venaison, & en particulier au sommet de la tête, où elle se manifeste plus que par-tout ailleurs par la production du bois. Il est vrai que les cerfs coupés ne laissent pas de devenir gras, mais ils ne produisent plus de bois, jamais la gorge ni le col ne leur enflent, & leur graisse ne s'exalte ni ne s'échauffe comme la venaison des cerfs entiers qui, lorsqu'ils sont en rut, ont une odeur si forte, qu'elle infecte de loin ; leur chair même en est si fort imbue & pénétrée, qu'on ne peut ni la manger ni la sentir, & qu'elle se corrompt en peu de tems, au lieu que celle du cerf coupé se conserve fraîche, & peut se manger dans tous les tems.

Remarque sur la castration. M. de Buffon est du sen timent de tous les naturalistes & auteurs, tant anciens que modernes, & même de la tradition dans la vénerie du roi, que dans les cerfs à qui on a fait la castration, dans quelqu'état que les têtes se trouvent, elles y restent, c'est-à-dire, que si l'opération se fait après qu'ils ont mis bas, il ne leur poussera pas un nouveau bois ; que si un cerf a sa tête formée dans l'opération, elle ne tombera point ; enfin que dans tel état que sa tête se trouve à la castration, elle y reste.

Voici ce qui paroît détruire ce sentiment. M. l'abbé de Sainte-Aldégonde, aumônier du roi, dit qu'on lui a apporté deux faons mâles, qu'il a fait élever ; après les six mois de faon, ils sont devenus herres ; à l'entrée de leur seconde année, daguets ; à l'entrée de leur troisieme année, ils ont mis bas leurs dagues ; M. l'abbé a profité de l'occasion pour les faire couper, de crainte que par la suite leur bois ayant repoussé ils ne blessassent quelqu'un, étant persuadé qu'ils ne leur repousseroit rien sur la tête ; à son grand étonnement leur bois a cru, comme si on ne leur avoit pas fait l'opération, & il est parvenu à la hauteur, grosseur, & garni d'andouillers, comme il en auroit poussé à des cerfs de leur âge ; mais la différence qui s'y est rencontrée, c'est qu'ils n'ont point eu la tête parfaitement dure, que la peau est encore dessus, & que les bouts des andouillers sont mous, tendres & sensibles ; voici la seconde année depuis l'opération, & qu'ils se trouvent dans cet état : ce fait a été rendu à S. M. par M. l'abbé, qui m'a fait l'honneur de m'en faire le détail, comme il est écrit.

En Bretagne, on avoit apporté un faon à un particulier, qui l'avoit élevé avec du lait & beaucoup de soin, il est devenu herre au bout d'un an, il lui est poussé des dagues qu'il a gardées un an suivant l'usage ; après ce tems il les a mis bas, il avoit deux ans, il lui est venu un bois qui étoit sa seconde tête, qu'il a gardé de même & a mis bas, il avoit alors trois ans accomplis ; il lui est poussé un autre bois qui faisoit sa troisieme tête, qu'il a mis bas de même & toujours dans le mois de Mai, il lui en est poussé un autre qui lui faisoit sa quatrieme tête, il avoit pour lors cinq ans ; le particulier l'a donné à un marchand de bois à Paris, chez lequel j'ai été le voir au mois d'Octobre 1764. Ce cerf étoit dressé à tirer, on lui avoit fait faire une petite voiture qu'il menoit ; celui à qui il avoit été donné voulut l'amener à Paris avec sa voiture ; après avoir fait environ quarante lieues, l'animal se trouva si fatigué qu'il ne pouvoit plus marcher, on le mit dans une voiture bien lié & garroté, il a été amené, mais dans un très-mauvais état, il s'étoit débattu, les cordes lui avoient fait des découpures à plusieurs endroits, on l'a traité avec soin, il s'est bien rétabli, il a mis bas sa quatrieme tête, toujours dans le mois de Mai, il lui est poussé sa tête de cerf dix cors jeunement, qui est venu à sa maturité, comme les autres, dans le mois de Septembre ; sa tête étant presque tout-à-fait nettoyée de ses lambeaux, son maître lui a fait faire l'opération de la castration ; au bout de trois semaines dans le mois d'Octobre, son bois est tombé, il a été remplacé par deux dagues sans andouillers de la hauteur d'un demi-pié, avec la peau qui les couvre : ces deux dagues ne sont point venues en maturité, elles sont restées molles, velues, conservant la chaleur naturelle ; il y avoit un an qu'il avoit mis bas sa tête de dix cors jeunement, par conséquent il avoit sept ans, & devoit être cerf de dix cors ; mais par l'effet de l'opération, il n'avoit poussé que deux dagues, menues comme celle d'un daguet. Il y a une observation à faire, c'est que

(o) Les daintiers du cerf sont ses testicules.

(p) Venaison, c'est la graisse du cerf qui augmente pendant l'été, & dont il est surchargé au commencement de l'automne, dans le tems du rut.

(q) Le têct est la partie de l'os frontal, sur laquelle appuie le bois du cerf.

quelque tems après l'opération, il a eu la jambe gauche cassée entre le jarret & la jointure du derriere, on a voulu la lui remettre sans avoir pu réussir ; la jambe lui est tombée en pourriture, cela pouvoit avoir contribué par les souffrances qu'il a éprouvées, à empêcher qu'il n'eût poussé un autre bois que les dagues.

J'ai vu ses mues de seconde tête, celle de sa troisieme, un côté de sa quatrieme ; celles de dix cors jeunement ont été perdues, je ne les ai pas vues ; ces mues n'étoient pas si hautes ni si grosses que celles des cerfs des forêts, elles étoient blanches comme de l'ivoire, sans gouttiere ni perlures.

Cet exemple & celui rapporté par M. l'abbé de Sainte-Aldégonde, détruisent ce que les auteurs assurent, & ce que les anciens ont tous débité, que dans quel état qu'un cerf se trouvât quand on lui faisoit la castration, il y restoit, c'est-à-dire, qu'un cerf à qui on faisoit cette opération, s'il avoit sa tête ou son bois fait, ce bois restoit dans cet état sans tomber, que s'il n'en avoit point, il n'y en poussoit pas ; le cerf du marchand de bois prouve le contraire du premier cas, puisqu'il a mis bas trois semaines après l'opération ; & le deuxieme cas démontre par l'exemple que rapporte M. de Sainte-Aldégonde, que ces cerfs ont poussé après l'opération un bois, mais qui n'a point durci, puisqu'il y a plus d'un an que l'opération leur a été faite.

Voici un autre fait qui a quelque rapport à cela. En 1750 le roi chassant dans la forêt de Fontainebleau, vit un très-gros cerf qui n'avoit pas touché au bois, quoique ce fût à la fin de Septembre, cela parut étonnant, on rassembla un nombre de chiens, il fut chassé & pris ; à la mort sa tête fut trouvée ce qu'elle avoit paru, c'est-à-dire couverte de la peau que les cerfs ont dessus, jusqu'à ce qu'ils aient touché aux bois ; on examina s'il avoit des daintiers, ils ne se trouverent point, ni en-dehors, ni en-dedans, car on en fit l'ouverture ; apparemment que les loups, ou un coup de feu, ou un chicot, lui avoit fait l'opération depuis qu'il avoit mis bas, sa tête étant revenue & n'ayant pu toucher au bois par la même raison des jeunes cerfs de M. l'abbé de Sainte-Aldégonde. Cependant il avoit le ventre noir, & sentoit le rut, il pouvoit s'échauffer dans la saison & saillir les biches, comme on a vu faire à des chevaux hongres sur des jumens.

Un autre preuve que la production du bois vient uniquement de la surabondance de la nourriture, c'est la différence qui se trouve entre les têtes des cerfs de même âge, dont les unes sont très-grosses, très-fournies, & les autres grêles & menues ; ce qui dépend absolument de la quantité de nourriture : car un cerf qui habite un pays abondant, où il viande à son aise, où il n'est troublé ni par les chiens, ni par les hommes, où après avoir repu tranquillement il peut ensuite ruminer en repos, aura toujours la tête belle, haute, bien ouverte, l'empaumure (r) large & bien garnie, le merrain (s) gros & bien perlé avec grand nombre d'andouillers forts & longs ; au-lieu que celui qui se trouve dans un pays où il n'a ni repos, ni nourriture suffisante, n'aura qu'une tête mal nourrie, dont l'empaumure sera serrée, le merrain grêle, & les andouillers menus & en petit nombre ; ensorte qu'il est toujours aisé de juger par la tête d'un cerf s'il habite un pays abondant & tranquille, & s'il a été bien ou mal nourri. Ceux qui se portent mal, qui ont été blessés ou seulement qui ont été inquiétés & courus, prennent rarement une belle tête, & une bonne venaison ; ils n'entrent en rut que plus tard ; il leur a fallu plus de tems pour refaire leur tête, & ils ne la mettent bas qu'après les autres ; ainsi tout concourt à faire voir que ce bois n'est comme la liqueur séminale, que le superflu, rendu sensible, de la nourriture organique qui ne peut être employée toute entiere au développement, à l'accroissement, ou à l'entretien du corps de l'animal.

La disette retarde donc l'accroissement du bois, & en diminue le volume très-considérablement ; peut-être même ne seroit-il pas impossible, en retranchant beaucoup la nourriture, de supprimer en entier cette production, sans avoir recours à la castration : ce qu'il y a de sûr, c'est que les cerfs coupés mangent moins que les autres ; & ce qui fait que dans cette espece, aussi-bien que dans celle du daim, du chevreuil, & de l'élan, les femelles n'ont point de bois, c'est qu'elles mangent moins que les mâles, & que quand même il y auroit de la surabondance, il arrive que dans le tems où elle pourroit se manifester au-dehors, elles deviennent pleines ; par conséquent le superflu de la nourriture étant employé à nourrir le foetus, & ensuite à alaiter le faon, il n'y a jamais rien de surabondant ; & l'exception que peut faire ici la femelle du renne, qui porte un bois comme le mâle, est plus favorable que contraire à cette explication ; car de tous les animaux qui portent un bois, le renne est celui qui, proportionnellement à sa taille, l'a d'un plus gros & d'un plus grand volume, puisqu'il s'étend en-avant & en-arriere, souvent tout le long de son corps ; c'est aussi de tous celui qui se charge le plus abondamment (t) de venaison ; & d'ailleurs le bois que portent les femelles est fort petit en comparaison de celui des mâles. Cet exemple prouve donc seulement que quand la surabondance est si grande qu'elle ne peut être épuisée dans la gestation par l'accroissement du foetus, elle se répand au-dehors & forme dans la femelle, comme dans le mâle, une production semblable, un bois qui est d'un plus petit volume, parce que cette surabondance est aussi en moindre quantité.

Ce que je dis ici de la nourriture ne doit pas s'entendre de la masse ni du volume des alimens, mais uniquement de la quantité des molécules organiques que contiennent ces alimens : c'est cette seule matiere qui est vivante, active & productrice ; le reste n'est qu'un marc, qui peut être plus ou moins abondant, sans rien changer à l'animal. Et comme le lichen, qui est la nourriture ordinaire du renne, est un aliment plus substantiel que les feuilles, les écorces, ou les boutons des arbres dont le cerf se nourrit, il n'est pas étonnant qu'il y ait plus de surabondance de cette nourriture organique, & par conséquent plus de bois & plus de venaison dans le renne que dans le cerf. Cependant il faut convenir que la matiere organique qui forme le bois dans ces especes d'animaux, n'est pas parfaitement dépouillée des parties brutes auxquelles elle étoit jointe, & qu'elle conserve encore, après avoir passé par le corps de l'animal, des caracteres de son premier état dans le végétal. Le bois du cerf pousse, croît, & se compose comme le bois d'un arbre : sa substance est peut-être moins osseuse que ligneuse ; c'est, pour ainsi dire, un végétal greffé sur un animal, & qui participe de la nature des deux, & forme une de ces nuances auxquelles la nature aboutit toujours dans les extrêmes, & dont elle se sert pour rapprocher les choses les plus éloignées.

Le cerf qui n'habite que les forêts, & qui ne vit,

(r) Empaumure, c'est le haut de la tête du cerf qui s'élargit comme une main, & où il y a plusieurs andouillers rangés inégalement comme des doigts.

(s) Merrain, c'est le tronc, la tige du bois de cerf.

(t) Le rangier (c'est le renne) est une bête semblable au cerf, & a sa tête diverse, plus grande & chevillée ; il porte bien quatre-vingt cors, quelquefois moins ; sa tête lui couvre le corps, il a plus grande venaison que n'a un cerf en sa saison. Voyez la chasse de Phoebus.

pour ainsi dire, que de bois, porte une espece de bois qui n'est qu'un résidu de cette nourriture : le castor qui habite les eaux & qui se nourrit de poisson, porte une queue couverte d'écailles : la chair de la loutre & de la plûpart des oiseaux de riviere, est un aliment de carême, une espece de chair de poisson. L'on peut donc présumer que des animaux auxquels on ne donneroit jamais que la même espece de nourriture s'assimileroient en entier à la forme de la nourriture, comme on le voit dans le bois du cerf & dans la queue du castor. Aristote, Théophraste, Pline, disent tous que l'on a vu du lierre s'attacher, pousser, & croître sur le bois des cerfs lorsqu'il est encore tendre. Si ce fait est vrai, il seroit facile de s'en assurer par l'expérience ; il prouveroit encore mieux l'analogie intime de ce bois avec le bois des arbres.

Le cerf n'est pas seulement tourmenté par les vers des tumeurs, il l'est encore par des vers d'une autre espece qui naissent dans son gosier, & qui sont faussement accusés d'occasionner la chûte des bois du cerf.

La mouche, qu'on nomme mouche de la gorge du cerf, sait qu'auprès de la racine de la langue des cerfs, il y a deux bourses qui lui sont affectées pour le dépôt de ses oeufs ; elle connoît aussi la route qu'il faut tenir pour y arriver. Elle prend droit son chemin par le nez du cerf, au-haut duquel elle trouve deux voies, dont l'une conduit au sinus frontal, & l'autre aux bourses, dont nous venons de parler. Elle ne se méprend point ; c'est par celle-ci qu'elle descend pour aller chercher vers la racine de la langue les bourses qui en sont voisines. Elle y dépose des centaines d'oeufs qui deviennent des vers, & qui croissent & vivent de la mucosité que les chairs de ses bourses fournissent continuellement. Lorsqu'ils sont arrivés à leur grosseur, ils sortent du nez du cerf & tombent à terre, s'y cachent & y subissent leur métamorphose qui les conduit à l'état de mouche. Dictionnaire de M. Valmont de Bomare article mouche, p. 493.

Les mouches des tumeurs des bêtes à cornes sont extrêmement velues, comme les bourdons ; elles font, comme eux, un grand bruit en volant, mais elles n'ont que la bouche & deux aîles ; c'est sur les taureaux, les vaches, les boeufs, les cerfs que cette mouche hardie va déposer ses oeufs. Les daims, les chameaux, & même les rennes n'en sont point exemts : elle se glisse sous leur poil, & avec un instrument qu'elle porte au derriere & qu'on pourroit comparer à un bistouri, elle fait une ouverture dans la peau de l'animal, & y introduit ses oeufs ou ses vers, car on ignore si elle est ovipare ou vivipare. Ce bistouri ou cette tariere est d'une structure très-curieuse : c'est un cylindre écailleux composé de quatre tuyaux qui s'allongent à la maniere de lunettes ; le dernier est terminé par trois crochets, dont la mouche se sert pour percer le cuir de l'animal ; le plus souvent cette piquure ne paroît point inquiéter le moins du monde ces animaux ; mais si quelquefois la mouche perçant trop loin, attaque quelque filet nerveux, alors la bête à cornes fait des gambades, se met à courir de toutes ses forces, & entre en fureur. Aussi-tôt que l'insecte naissant commence à sucer les liqueurs qui remplissent la plaie, la partie piquée s'enfle, s'éleve comme une bosse ; les plus grosses ont environ 16 à 17 lignes de diametre à leur base, & un pouce & un peu plus de hauteur. A peine ces bosses sont-elles sensibles avant le commencement de l'hiver, & pendant l'hiver même, quoiqu'elles ayent été faites dès l'automne précédent.

Il paroît que les vers qui habitent ces tumeurs ne font point de mal à leur hôte, car l'animal ne s'en porte pas moins bien, ne maigrit point, & conserve tout son appétit ; il y a même des paysans qui préferent les jeunes bêtes qui ont de ces bosses à celles qui n'en ont pas, l'expérience leur ayant appris qu'elles méritent cette préférence. On peut penser que toutes ces plaies font sur l'animal l'effet des cauteres, qui sont plus utiles que nuisibles en faisant couler les humeurs extérieurement. Lorsque le ver est arrivé à son état de perfection, il sort par l'ouverture de la bosse, & se laisse tomber à terre ; il est digne de remarque que c'est toujours le matin qu'il prend son tems, après que les fraîcheurs de la nuit sont passées, & avant que la grande chaleur du jour soit arrivée, comme s'il prévoyoit que la fraîcheur de l'air l'engourdiroit, & que la chaleur le dessécheroit, si elle le trouvoit en route. Le ver se fourre sous quelque pierre ou sous quelque trou, où il subit sa métamorphose.

M. de Buffon ne dit rien des taons vivans qui se trouvent entre cuir & chair des cerfs, biches, daims, &c. dans l'hiver, qui sont presque gros comme le bout du petit doigt, dont on trouve beaucoup à la fin de l'hiver & au commencement du printems autour de la tête du cerf.

M. de Valmont ne dit rien sur ce sujet.

Les auteurs anciens donnent au cerf une bien plus longue vie que les modernes.

Oppien, dans son poëme de la vénerie, liv. II. dit qu'il cherche & combat les serpens, les tue, les mange ; & après va chercher dans les fleuves des cancres qu'il mange, ce qui le guérit aussi-tôt, & qu'il vit autant que font quatre corneilles.

Modus ne dit rien de la durée de la vie des cerfs.

Phoebus, dans son premier chapitre, dit que le cerf vit cent ans ; que plus il est vieux, plus il est beau de son corps & de sa tête, & plus luxurieux il est, mais qu'il n'est pas si vîte, si léger ni si puissant ; que quand le cerf est très-vieux, il bat du pié pour faire sortir les serpens courroucés, & qu'il en avale & mange, & puis va boire, courre çà & là, l'eau & le venin se mêlent ensemble, & il jette toutes les mauvaises humeurs qu'il a au corps, & lui revient chair nouvelle.

Fouilloux, chap. xvj. rapporte le sentiment d'Isidore, que le cerf est le vrai contraire du serpent ; & que quand il est vieux, décrépit & malade, il s'en va aux fosses & cavernes des serpens, puis avec les narines souffle & pousse son haleine dedans, ensorte que par la force & la vertu d'icelle il contraint le serpent de sortir dehors ; lequel étant sorti, il le tue avec le pié, puis le mange & le dévore ; après il s'en va boire, alors le venin s'épand par tous les conduits de son corps ; quand il sent le venin, il se met à courir pour s'échauffer. Bientôt après il commence à se vuider, & purger tellement qu'il ne lui demeure rien dans le corps, sortant par tous les conduits que la nature lui a donné, & par ce moyen se renouvelle & se guérit, faisant mutation de poil.

Charles IX. chap. vj. rapporte qu'Oppien dit qu'un cerf peut vivre quatre fois plus que la corneille, comme il est écrit ci-dessus ; il donne cent ans de vie à chaque corneille, cela feroit quatre cent ans.

Pline donne un exemple de leur longue vie, il écrit que cent ans après Alexandre le grand on a pris des cerfs avec des colliers au col, qu'on leur avoit attaché du tems dudit Alexandre ; étant lesdits colliers cachés de leur peau, tant ils avoient de venaison. Quand ils sont malades, Ambrosius dit qu'ils mangent des petits rejettons d'olivier, & se guérissent ainsi.

Pline écrit qu'ils n'ont jamais de fievre, qui plus est qu'ils remédient à cette maladie, qu'il y a eu des princesses qui ayant accoutumé de manger tous les matins un peu de chair de cerf, ont vécu fort long-tems, sans jamais avoir eu aucune fievre, pourvu que les cerfs ayent été tués d'un seul coup.

Salnove ne dit rien de positif sur la longue vie des cerfs ; voici comme il s'explique.

Salnove ne doute pas que la nature enseigne aux cerfs les simples pour les guérir lorsqu'ils sont malades ; le cerf peut vivre long-tems sans accident, il s'en trouve peu de mort ; mais d'en savoir l'âge, cela ne se peut, ou bien de connoître s'il est jeune cerf, ou cerf dix cors ou vieux cerf.

M. de Selincourt ne dit rien dans son parfait chasseur sur la longueur de la vie des cerfs.

Il n'est pas aisé de décider de la durée de la vie des cerfs. Les Naturalistes sont partagés à cet égard. Quelques-uns prétendent qu'ils peuvent vivre deux cent ans. L'auteur du livre dit : " Pour moi, sans entrer dans aucune discussion à ce sujet, mon sentiment est que les cerfs ne peuvent vivre plus de quarante ans ". Il seroit aisé d'en faire l'expérience, en mettant dans un parc un jeune cerf avec quelques biches, ils y tiendroient le rut, & il faudroit en retirer les faons qui en proviendroient, de peur qu'ils ne se battissent entr'eux, & qu'à la fin ils ne tuassent le vieux cerf. Nouveau traité de vénerie 1750, p. 140.

Le poëme des dons des enfans de Latone ne dit rien sur la vie des cerfs.

Dans l'école de la chasse de M. le Verrier de la Contrie, I. part. au chap. j. de la chasse du cerf, p. 80. l'auteur cite Phoebus, qui fixe la durée de sa vie à cent ans, il le réfute, en disant que les meilleurs naturalistes ne donnent aux cerfs que quarante ou cinquante ans de vie, & non cent. Il est toujours constant qu'il est de longue vie, quoique sujet à deux grandes incommodités, ce que l'auteur a remarqué dans deux qu'il a élevés : la premiere est une rétention d'urine ; la seconde, est une démangeaison vive & douloureuse, causée par de gros vers blancs, appellés taons, qui s'engendrent & proviennent pendant l'hiver de la mauvaise nourriture, dont il est obligé de faire son viandis ; comme la nature pousse au-dehors tout ce qui lui est contraire, ces vers cheminent entre cuir & chair pour trouver par où sortir : les uns vont le long du dos, les autres le long du cou, mais ne pouvant passer outre les oreilles, ils descendent sous la gorge, où ils s'amassent & y séjournent jusqu'à ce qu'ils ayent tous pû sortir par la bouche & les narines. Quand on vient à lever la tête d'un cerf pris dans cette saison, on en trouve quelquefois dans le gavion gros comme les deux poings ; ces sortes de vers affoiblissent & font maigrir extraordinairement les cerfs, mais ils se guérissent de cette maladie aux mois de Mars & d'Avril ; en Mars, en mangeant le bouton qui précede le nouveau bois, & le bourgeon des arbres fruitiers ; en Avril, avec le nouveau bois même, les blés verds, & autres herbes tendres & nouvelles.

Quant à leur rétention d'urine, ils s'en guérissent singulierement : ils tuent à coups de pié un crapeau ou une vipere, la mangent, & se mettent ensuite à courir de toutes leurs forces, puis se jettent à l'eau ; ceci n'est point un conte fait à loisir (c'est toujours l'auteur de l'école de la chasse qui parle), j'en ai la preuve de mes yeux : Isidore est de plus mon garant, & nombre de personnes qui, en ouvrant des cerfs, ont trouvé dans leur panse de ces sortes de reptiles.

Le cerf s'épuise si fort pendant le rut, qu'il reste tout l'hiver dans un état de langueur ; sa chair est même alors si dénuée de bonne substance, & son sang si fort appauvri, qu'il s'engendre des vers sous sa peau, lesquels augmentent encore sa misere, & ne tombent qu'au printems lorsqu'il a repris, pour ainsi dire, une nouvelle vie par la nourriture active que lui fournissent les productions nouvelles de la terre.

Toute sa vie se passe donc dans des alternatives de plénitude & d'inanition, d'embonpoint & de maigreur, de santé, pour ainsi dire, & de maladie, sans que ces oppositions si marquées & cet état toujours excessif alterent sa constitution, il vit aussi long-tems que les autres animaux qui ne sont pas sujets à ces vicissitudes. Comme il est cinq à six ans à croître, il vit aussi sept fois cinq ou six ans, c'est-à-dire trente-cinq ou quarante ans (u). Ce que l'on a débité sur la longue vie des cerfs, n'est appuyé sur aucun fondement ; ce n'est qu'un préjugé populaire qui régnoit dès le tens d'Aristote, & ce philosophe dit avec raison que cela ne lui paroît pas vraisemblable, attendu que le tems de la gestation & celui de l'accroissement du jeune cerf n'indiquent rien moins qu'une très-longue vie. Cependant, malgré cette autorité, qui seule auroit dû suffire pour détruire ce préjugé, il s'est renouvellé dans des siecles d'ignorance par le cerf qui fut pris par Charles VI. dans la forêt de Senlis, qui portoit un collier, sur lequel étoit écrit, Caesar hoc me donavit, & l'on a mieux aimé supposer mille ans de vie à cet animal & faire donner ce collier par un empereur romain, que de convenir que ce cerf pouvoit venir d'Allemagne où les empereurs ont dans tous les tems pris le nom de Caesar.

Il est très-certain que ce cerf a été représenté dans la salle du présidial à Senlis ; j'ai été pour l'y voir, mais il n'y étoit plus, l'inscription étoit encore sur la muraille, & je l'ai transcrite mot à mot, comme la voici, dans l'année 1756, le 30 Juin, en allant à Compiegne. " En l'an, &c. effacé, le roi Charles VI. chassant dans la forest de Hallatte prit le cerf dont vous voyez la figure, portant un collier d'or, où étoit écrit, hoc me Caesar donavit, de ce lieu en l'endroit où il fut relancé ".

La tête des cerfs va tous les ans en augmentant en grosseur & en hauteur depuis la seconde année de leur vie jusqu'à la huitieme ; elle se soutient toujours belle, & à-peu-près la même pendant toute la vigueur de l'âge ; mais lorsqu'ils deviennent vieux, leur tête décline aussi. Il est rare que nos cerfs portent plus de vingt ou vingt-deux andouillers lors-même que leur tête est la plus belle (depuis quarante-six ans que je suis dans les chasses du cerf, je n'en ai vu qu'un à Fontainebleau qui en portoit vingt-six, attaqué à Massory, & pris à la riviere dans le mois de Juillet, il n'avoit pas touché au bois il y a 40 ans), & ce nombre n'est rien moins que constant ; car il arrive souvent que le même cerf aura dans une année un certain nombre d'andouillers, & que l'année suivante il en aura plus ou moins, selon qu'il aura eu plus ou moins de nourriture & de repos ; & de même la grandeur de la tête ou du bois du cerf dépend de la quantité de nourriture ; la qualité de ce même bois dépend aussi de la différente qualité des nourritures ; il est comme le bois des forêts, grand, tendre, & assez léger dans les pays humides & fertiles ; il est au contraire court, dur & pesant dans les pays secs & stériles. Il en est de même encore de la grandeur & de la taille de ces animaux, elle est fort différente, selon les lieux qu'ils habitent : les cerfs de plaines, de vallées ou de collines abondantes en grains ont le corps beaucoup plus grand, & les jambes plus hautes que les cerfs des montagnes seches, arides & pierreuses ; ceux-ci ont le corps bas, court & trapu, ils ne peuvent courir aussi vîte, mais ils vont plus long-tems que les premiers ; ils sont plus méchans, ils ont le poil plus long sur le massacre, leur tête est ordinairement basse & noire, à-peu-près comme un arbre rabougri, dont l'écorce est rembrunie, au-lieu que la tête des cerfs de plaine est haute & d'une couleur claire - rougeâtre, comme l'écorce des arbres

(u) Pour moi, sans entrer dans aucune discussion à ce sujet, mon sentiment est que les cerfs ne peuvent vivre plus de quarante ans. Nouveau traité de la Vénérie, p. 141.

qui croissent en bon terrein. Les petits cerfs trapus n'habitent guere les futayes, & se tiennent presque toujours dans les taillis, où ils peuvent se soustraire plus aisément à la poursuite des chiens ; leur venaison est plus fine, & leur chair est de meilleur goût que celle des cerfs de plaine. Le cerf de Corse paroît être le plus petit de tous ces cerfs de montagne, il n'a guere que la moitié de la hauteur des cerfs ordinaires, c'est, pour ainsi dire, un basset parmi les cerfs ; il a le pelage (x) brun, le corps trapu, les jambes courtes ; & ce qui m'a convaincu que la grandeur & la taille des cerfs en général dépendoit absolument de la quantité & de la qualité de nourriture, c'est qu'en ayant fait élever un chez moi, & l'ayant nourri largement pendant quatre ans, il étoit à cet âge beaucoup plus haut, plus gros, plus étoffé que les plus vieux cerfs de mes bois, qui cependant sont de la belle taille.

Le pelage le plus ordinaire pour les cerfs est le fauve ; cependant il se trouve, même en assez grand nombre, des cerfs bruns, & d'autres qui sont roux : les cerfs blancs sont bien rares. Mgr. le Duc, pere de M. le prince de Condé, avoit dans sa ménagerie à Chantilly, des cerfs blancs, il en a fait passer dans les forêts voisines, ils ont communiqué dans le tems du rut avec les biches, il en est sorti des faons marqués de blanc & de fauve, qui se sont élevés & répandus dans les forêts des environs, il y en a eu un dans la forêt de Montmorenci qui avoit la face & les quatre piés blancs, il est venu dans le tems du rut aux environs de Versailles à Fausserpause, il a laissé de son espece, plusieurs faons en sont venus très-ressemblans ; ils se sont élevés, en ont fait d'autres de leur espece, & se sont répandus dans les forêts voisines, à Scenart, à Saint-Leger, aux Alluets, &c. Ce premier cerf à nez blanc est venu à Fausserpause pendant plus de six à sept ans, toujours dans la saison du rut, & il s'en retournoit, à la fin il a disparu, mais il y en a encore de très-ressemblans, il en est entré un de son espece mais bien plus blanc, dans la forêt de Marly par une breche, celui-ci fera des faons fauves & blancs, qui semblent être des cerfs devenus domestiques, mais très-anciennement ; car Aristote & Pline parlent des cerfs blancs, & il paroît qu'ils n'étoient pas alors plus communs qu'ils ne le sont aujourd'hui. La couleur du bois comme la couleur du poil, semble dépendre en particulier de l'âge & de la nature de l'animal, & en général de l'impression de l'air : les jeunes cerfs ont le bois plus blanchâtre & moins teint que les vieux. Les cerfs dont le pelage est d'un fauve clair & délayé, ont souvent la tête pâle & mal teinte ; ceux qui sont du fauve vif, l'ont ordinairement rouge ; & les bruns, sur-tout ceux qui ont du poil noir sur le col, ont aussi la tête noire. Il est vrai qu'à l'intérieur le bois de tous les cerfs est à-peu-près également blanc, mais ces bois different beaucoup les uns des autres en solidité & par leur texture, plus ou moins serrée ; il y en a qui sont fort spongieux & où même il se trouve des cavités assez grandes : cette différence dans la texture suffit pour qu'ils puissent se colorer différemment, & il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la seve des arbres pour produire cet effet, puisque nous voyons tous les jours l'ivoire le plus blanc jaunir ou brunir à l'air, quoiqu'il soit d'une matiere bien plus compacte & moins poreuse que celle du bois du cerf.

Le cerf paroît avoir l'oeil bon, l'odorat exquis, & l'oreille excellente ; lorsqu'il veut écouter, il leve la tête, dresse les oreilles, & alors il entend de fort loin ; lorsqu'il sort dans un petit taillis ou dans quelqu'autre endroit à demi découvert, il s'arrête pour regarder de tous côtés, & cherche ensuite le dessous du vent pour sentir s'il n'y a pas quelqu'un qui puisse l'inquiéter. Il est d'un naturel assez simple, & cependant il est curieux & rusé ; lorsqu'on le siffle ou qu'on l'appelle de loin, il s'arrête tout court & regarde fixement & avec une espece d'admiration, les voitures, le bétail, les hommes, & s'ils n'ont ni armes, ni chiens, il continue à marcher d'assurance (y) & passe son chemin fierement & sans fuir : il paroît aussi écouter avec autant de tranquillité que de plaisir, le chalumeau ou le flageolet des bergers, & les veneurs se servent quelquefois de cet artifice pour le rassurer, ce qui ne s'est jamais pratiqué dans la vénerie. En général, il craint bien moins l'homme que les chiens, & ne prend de la défiance & de la ruse, qu'à mesure & qu'autant qu'il aura été inquiété : il mange lentement, il choisit sa nourriture ; & lorsqu'il a viandé, il cherche à se reposer pour ruminer à loisir, mais il paroît que la rumination ne se fait pas avec autant de facilité que dans le boeuf ; ce n'est pour ainsi dire, que par secousses que le cerf peut faire remonter l'herbe contenue dans son premier estomac. Cela vient de la longueur & de la direction du chemin qu'il faut que l'aliment parcoure : le boeuf a le col court & droit, le cerf l'a long & arqué ; il faut donc beaucoup plus d'effort pour faire remonter l'aliment, & cet effort se fait par une espece de hoquet, dont le mouvement se marque au-dehors & dure pendant tout le tems de la rumination.

Il a la voix d'autant plus forte, plus grosse & plus tremblante, qu'il est plus âgé ; la biche a la voix plus foible & plus courte, elle ne rait pas d'amour, mais de crainte : le cerf rait d'une maniere effroyable dans le tems du rut, il est alors si transporté, qu'il ne s'inquiéte ni ne s'effraie de rien, on peut donc le surprendre aisément, & comme il est surchargé de venaison, il ne tient pas long-tems devant les chiens, mais il est dangereux aux abois, & il se jette sur eux avec une espece de fureur. Il ne boit guere en hiver, & encore moins au printems ; l'herbe tendre & chargée de rosée lui suffit ; mais dans les chaleurs & sécheresses de l'été, il va boire aux ruisseaux, aux mares, aux fontaines, & dans le tems du rut, il est si fort échauffé qu'il cherche l'eau partout, nonseulement pour appaiser la soif brûlante, mais pour se baigner & se rafraîchir le corps. Il nage parfaitement bien, & plus légerement alors que dans tout autre tems, à cause de la venaison dont le volume est plus léger qu'un pareil volume d'eau : on en a vû traverser de très-grandes rivieres ; on prétend même qu'attiré par l'odeur des biches, les cerfs se jettent à la mer dans le tems du rut, & passent d'une île à une autre, à des distances de plusieurs lieues ; ils sautent encore plus légerement qu'ils ne nagent, car lorsqu'ils sont poursuivis, ils franchissent aisément une haie, & même un palis d'une toise de hauteur ; leur nourriture est différente suivant les différentes saisons ; en automne, après le rut, ils cherchent les boutons des arbustes verds, les fleurs de bruyeres, les feuilles de ronces, &c. en hiver lorsqu'il neige, ils pelent les arbres & se nourrissent d'écorces, de mousse, &c. & lorsqu'il fait un tems doux, ils vont viander dans les blés au commencement du printems ; ils cherchent les chatons des trembles, des marsaules, des coudriers, les fleurs & les boutons du cornouiller, &c. en été ils ont dequoi choisir, mais ils préferent les seigles à tous les autres grains, & la bourgenne à tous les autres bois. La chair du faon est bonne à manger, celle de la biche & du daguet n'est pas absolument mauvaise, mais celle des

(x) Pelage, c'est la couleur du poil du cerf, du daim, du chevreuil.

(y) Marcher d'assûrance, aller d'assûrance, c'est lorsque le cerf va d'un pas réglé & tranquille.

cerfs a toujours un goût desagréable & fort * ; ce que cet animal a de plus utile, c'est son bois & sa peau ; on la prépare, & elle fait un cuir souple & très durable ; le bois s'emploie par les Couteliers, les Fourbisseurs, &c. & l'on en tire par la chymie des esprits alkali-volatils, dont la Médecine fait un fréquent usage.

Lorsque le faon a environ six mois, alors il change de nom, il prend celui de here : les bossettes croissent & s'allongent, elles deviennent cylindriques, & dans cet état on leur donne le nom de couronne (en termes de chasse on les nomme pivots) ; ils sont terminés par une face concave, sur laquelle pose l'extrêmité inférieure du bois.

Le premier que porte le cerf ne se forme qu'après sa premiere année ; il n'a qu'une simple tige sur chaque pivot fans aucune branche ; c'est pourquoi on donne à ces tiges le nom de dagues, & au cerf celui de daguet, tant qu'il est dans sa seconde année ; mais à la troisieme année, au lieu de dagues il a un bois dont chaque perche jette deux ou trois branches, que l'on appelle andouillers.

Alors l'animal est nommé cerf à la seconde tête ; ce nom lui reste jusqu'à ce qu'il ait mis bas sa seconde tête ; celle qui lui repousse à la quatrieme année lui fait prendre le nom de cerf à sa troisieme tête, qu'il conserve jusqu'à ce qu'il ait mis bas cette troisieme tête, & celle qui lui repousse à la cinquieme année, lui fait prendre le nom de cerf à sa quatrieme tête, qu'il conserve de même jusqu'à ce qu'il ait mis bas cette quatrieme tête, celle qui lui repousse lui fait prendre le nom de dix cors jeunement qu'il conserve pendant sa sixieme année ; quand il met bas cette tête, à celle qui lui repousse à sa septieme année, il prend le nom de cerf dix cors, après il n'y a plus de terme que celui de gros & vieux cerfs ; dans ces âges le nombre des andouillers n'est pas fixe ; il y a plusieurs exemples de daguets qu'on a pris avec les meutes de S. M. lesquels portoient des andouillers sur leurs dagues, qui étoient chassés pour des cerfs à leur seconde tête, & qui à la mort ne se trouvoient que daguets, parce qu'ils n'avoient point de meule, les daguets n'en ayant jamais ; les meules sont une petite couronne en forme de bague, qui croît au bas du mérain des cerfs, & elles ne prennent cette forme qu'après que les dagues sont tombées, & qu'il leur pousse leur seconde tête, les daguets n'ont point de meule, mais seulement de petites pierrures détachées à l'endroit où les meules se forment à l'accroissement de leur seconde tête, quand le nombre des andouillers est au nombre pair, & qu'il y en a autant d'un côté que de l'autre, & particulierement ceux qui forment l'empaumure, c'est-à-dire, andouillers de chaque côté à l'empaumure, cela se dit porter douze, parce que l'on compte de cette façon ; l'andouiller qui croît le plus près des meules, se nomme premier andouiller, celui qui suit surandouiller, & celui d'après chevillure ; or il est à présumer que tous les cerfs doivent avoir ces trois andouillers le long du mérain, que tous les andouillers qui sont au-dessus doivent être compris de l'empaumure, ainsi ayant trois andouillers le long du mérain, & trois à l'empaumure, cela fait six, autant de l'autre côté, fait douze, qu'on dit que le cerf qui a ce même nombre doit porter, & s'il n'y avoit que deux andouillers à l'empaumure d'un côté & trois de l'autre, on dit porter douze mal semée : quand un cerf n'auroit qu'un premier andouiller, point de sur-andouiller, ni de chevillure, & qu'il auroit trois andouillers à l'empaumure de chaque côté, on doit toujours dire porter douze, comme je l'ai déjà dit, qu'il n'y a que les andouillers de l'empaumure que l'on compte en supposant toujours les andouillers au-dessous, qu'ils y soient ou non ; un cerf qui a les trois premiers andouillers, & qui n'en a point à l'empaumure, il est dit porter huit ; s'il y a un andouiller à l'empaumure, si petit qu'il puisse être, pourvu qu'il déborde le mérain à y accrocher la bouteille, on le compte, & on dit porter dix ; s'il y en a autant de l'autre côté, s'il n'y en a qu'un d'un côté & point de l'autre, il est dit porter dix mal semée ; ainsi du plus grand nombre comme celui-ci, p. 143.

L'extrêmité inférieure de chaque perche est entourée d'un rebord en forme d'anneau, que l'on nomme la meule : ce rebord est parsemé de tubercules appellés pierrures, & il y a sur les perches ou mérain, & sur la partie inférieure des andouillers d'autres tubercules plus petits appellés perlures : ceux-ci sont séparés les uns des autres dans quelques endroits par des sillons qui s'étendent le long du mérain & des andouillers, & que l'on nomme gouttiere : à mesure que le cerf avance en âge le bois est plus haut, plus ouvert, c'est-à-dire, que les perches sont plus éloignées l'une de l'autre ; le mérain est plus gros, les andouillers sont plus longs, plus gros & plus nombreux, les meules plus larges, les pierrures plus grosses, & les gouttieres plus grandes. Cependant à tout âge il arrive dans ces parties des variétés qui dépendent de la qualité des nourritures & de la température de l'air.

Lorsque le bois est tombé, la face supérieure des prolongemens de l'os du front reste à découvert (en terme de vénerie il se nomme pivot) ; mais bientôt le périoste & les tégumens qui embrassent chaque pivot en l'entourant s'allongent, leurs bords se réunissent sur la face supérieure, & forment sur cette face une masse qui a une consistance molle, parce qu'elle contient beaucoup de sang, & qui est revêtue de poils courts à-peu-près de la même couleur que celui de la tête de l'animal : cette masse se prolonge en-haut, comme le jet d'un arbre devient la perche du bois, & pousse à mesure qu'elle s'éleve des branches latérales qui sont les andouillers. Ce nouveau bois, qu'on appelle un refrais, est de consistance molle dans le commencement de son accroissement : la réaction qui se fait contre les pivots, forme les meules par la portion de matiere qui déborde autour de l'extrêmité inférieure de chaque perche. Le bois a une sorte d'écorce qui est une continuation des tégumens de la tête ; cette écorce ou cette peau est velue, & renferme des vaisseaux sanguins, qui fournissent à l'accroissement du bois ; ils rampent & se ramifient le long du mérain & des andouillers.

Les troncs & les principales branches de ces vaisseaux y creusent des impressions en forme de sillons longitudinaux, qui sont les gouttieres. Les petites branches & leurs ramifications tracent d'autres sillons plus petits, qui laissent entr'eux sur la surface du bois des tubercules, des pierrures & des perlures ; ces tubercules sont d'autant plus larges & plus élevés que les vaisseaux entre lesquels ils se trouvent, sont plus gros, & par conséquent plus éloignés les uns des autres à l'extrêmité du mérain & des andouillers,

* M. de Buffon n'a point mangé de la chair du cerf dans la saison qu'elle est bonne, puisqu'il la trouve d'un goût desagréable & fort ; il est vrai qu'elle est telle dans le tems du rut, mais quand il est passé, & que les cerfs sont refaits & rétablis, elle est très-bonne à manger, quand on sait bien l'accommoder. Elle étoit si peu mauvaise, qu'anciennement on portoit à la bouche du roi les petits filets, la langue, le muffle & les oreilles : j'ai encore vu de mon tems y porter les petits filets & la langue ; on s'est relâché sur cela, ils n'ont point été redemandés, & on ne les y a plus portés ; on les portoit à la bouche jusqu'à ce que les cerfs fussent en rut, pour-lors on cessoit jusqu'à la S. Hubert qu'on les reportoit. J'ai vu aussi porter quelquefois la hampe du cerf, qui est la poitrine, à la bouche de sa majesté qui les demandoit. Le roi mange actuellement les dintiers, & même dans le tems du rut par régal. Depuis qu'on ne porte plus à la bouche les petits filets & la langue, ces morceaux sont pris par ceux à qui l'assemblée en pain, vin & viande tombe les jours que l'on chasse, soit valets de limiers ou valets de chiens.

les ramifications sont très-petites ; il n'y a point de perlures, ou elles seroient si petites, qu'elles se détruiroient par le moindre frottement. La substance du nouveau bois de cerf se durcit par le bas, tandis que la partie supérieure est encore tuméfiée & molle ; mais lorsqu'il a pris tout son accroissement, l'extrêmité acquiert de la solidité, alors il est formé en entier, quoiqu'il ne soit pas aussi compact qu'il le devient dans la suite ; la peau dont il est revêtu se durcit comme un cuir, elle se desseche en peu de tems, & tombe par lambeaux, dont le cerf accélere la chûte en frottant son bois contre les arbres.

Il y a au-dessus de l'angle antérieur de chaque oeil du cerf une cavité dont la profondeur est de plus d'un pouce : elle s'ouvre au-dehors par une fente large d'environ deux lignes du côté de l'oeil, & longue d'un pouce, elle est dirigée en ligne droite du côté de la commissure des levres ; cette cavité a, pour l'ordinaire, un pouce de longueur, & environ huit lignes de largeur dans le milieu : la membrane qui la tapisse, est plissée dans le fond & très-mince ; elle renferme une sorte de sédiment de couleur noire, de substance grasse, tendre & légere ; on donne à ces cavités le nom de larmiers, & à la matiere qu'elles contiennent celui de larmes, ou de bezoard de cerf ; mais le premier sembleroit être plus convenable que l'autre. Ces cavités sont dans tous les cerfs & dans toutes les biches ; mais on ne les trouve pas toujours pleines de matiere épaissie ; souvent il n'y en a qu'une petite quantité, & sa consistance est très-molle.

Le cerf a de chaque côté du chanfrein, près de la fente dont il vient d'être fait mention, le poil disposé en épi, comme celui qui est sur le front du cheval.

Il se trouve sur la face extérieure de la partie supérieure du canon des jambes de derriere, un petit bouquet de poil auquel on a donné le nom de brosse, parce qu'il est un peu plus serré & un peu plus long que celui du reste du canon.

Le faon en naissant est moucheté, il perd sa livrée à l'âge d'environ neuf mois.

Le coeur du cerf est situé comme celui du boeuf ; il a aussi deux os semblables à ceux du coeur du boeuf par leur position & leur figure ; la biche a un os dans le coeur, mais à proportion beaucoup plus petit que dans le cerf. En terme de vénerie on nomme l'os du coeur du cerf croix de cerf.

Les testicules des cerfs sont posés dans le milieu du scrotum, l'un en avant, & l'autre en arriere ; dans quelques sujets, le testicule droit se trouvoit en avant ; dans d'autres c'étoit le gauche ; dans tous, les deux testicules se touchoient par le côté intérieur, & ils adheroient l'un à l'autre par un tissu cellulaire assez lâche, pour qu'on pût le remettre l'un à côté de l'autre, mais dès qu'on donnoit quelque mouvement au scrotum ou aux cuisses de l'animal, on retrouvoit les testicules dans leur premiere situation. En terme de vénerie, on nomme les testicules daintiers.

La biche a deux mamelles comme la vache, & chaque mamelle a deux mamelons.

Les dents incisives du cerf sont au nombre de huit à la mâchoire inférieure.

Le cerf & la biche ont de plus que le taureau deux crochets dans la mâchoire supérieure, un de chaque côté ; ils ont rapport par leur position aux dents canines, & ils leur ressemblent encore par leur racine, mais au-lieu d'être pointus, ils sont arrondis à leur extrêmité, & ils sont lisses ; quand il y a une espece de larme noire dans le blanc lisse de la dent, elles sont belles, & on les fait monter en bague, sa majesté & le grand veneur prennent souvent les plus belles.

Il y a six dents mâchelieres de chaque côté de chacune des mâchoires : ces dents ressemblent à celle du taureau par leur position & leur figure, comme par leur nombre.

Le bézoard de cerf. Il est de figure ovoïde applatie, & de couleur jaunâtre au-dehors, & blanche au-dedans ; il a deux pouces une ligne de longueur, un pouce dix lignes de largeur, & quinze lignes d'épaisseur ; sa surface est lisse & polie, il pese trois onces cinq gros & demi.

Le bézoard, pierre précieuse, qui naît dans l'estomac d'un animal des Indes. Il s'en trouve aussi dans l'estomac de quelques boeufs & de quelques cerfs.

Il y a en Guinée une espece de petits cerfs qui paroît confinée dans certaines provinces de l'Afrique, & des Indes orientales ; l'on en avoit apporté un mâle & une femelle à M. de Machault, pour lors ministre de la marine ; le mâle mourut dans le voyage, & la femelle arriva en bon état ; j'ai été la voir à l'hôtel du ministre à Compiegne, elle étoit en liberté, & mangeoit pour lors des feuilles de laitue ; elle étoit formée dans toutes les parties de son corps comme les biches de ce pays-ci, mais elle n'étoit pas plus grosse qu'un chat de la moyenne espece ; elle n'avoit pas un pié de haut, par le volume à-peu-près elle ne devoit pas peser cinq livres ; elle étoit leste autant que par proportion de sa taille elle devoit l'être.

Grand-veneur, M. Langlois, procureur du roi en la varenne du Louvre, siege de la grande-vénerie, a donné un petit traité dont nous allons donner un précis.

L'office de grand-veneur est ancien, mais le titre n'est que du tems de Charles VI. Il y avoit auparavant un maître-veneur ; Geoffroy est le veneur qui soit connu sous le regne de S. Louis en 1231. Plusieurs de ses successeurs eurent la même qualité jointe à celles de maître ou enquêteur des eaux & forêts.

Le grand-veneur étoit autrefois appellé le grand-forestier.

Quand ils perdirent cette qualité, ils eurent celle de maître-veneur & gouverneur de la vénerie du roi.

Louis d'Orguin fut établi le 30 Octobre 1413, grand-veneur & gouverneur de la vénerie, sous le regne de Charles VI.

Jean de Berghes, sieur de Cahen & de Marguillier en Artois, fut le premier qui fut honoré du titre de grand-veneur de France par lettres du 2 Juin 1418. M. de Gamache a été grand-veneur sous le même regne. L'école de la chasse par M. Leverrier de la Conterie, p. 8. p. 80.

Il n'est plus mention du nom des grands-veneurs, depuis Charles VI. jusqu'aux regnes d'Henri IV. qu'on nomme ceux qui l'ont été, Louis XIII. Louis XIV. & Louis XV.

Salnove nomme M. le prince Guimené & M. le duc de Montbazon, grands-veneurs sous Henri IV. & Louis XIII.

Dans le nouveau traité de vénerie par M. de la Briffardiere, dans son instruction à la vénerie du roi, page 20. dit que sous le regne d'Henri le grand, le duc d'Aumale étoit grand-veneur ; après lui, le duc d'Elboeuf fut revêtu de cette charge : & depuis le regne de Louis XIII. on a vu la charge de grand-veneur exercée successivement par M. le prince de Condé, M. le duc de Montbazon, M. le prince de Guimené, M. le chevalier de Rohan.

J'ai lu dans un endroit, sans pouvoir me souvenir dans quel auteur, que M. de Saucourt avoit été grand-veneur, apparemment entre M. le chevalier de Rohan & M. le duc de la Rochefoucault.

A la mort de M. le duc de la Rochefoucault, M. le comte de Toulouse en a exercé la charge ; à sa mort, M. le duc de Penthievre son fils, en a été revêtu ; pendant sa minorité M. le prince de Dombes l'a exercé ; à sa majorité, il l'a exercé lui-même, & en a revêtu M. le prince de Lamballe son fils, & il en fait encore les fonctions jusqu'à sa majorité.

Salnove & M. de la Briffardiere ne sont pas d'accord des grands-veneurs sous les regnes d'Henri IV. & de Louis XIII. Salnove dit que M. le prince Guimené & M. le duc de Montbazon, étoient grands-veneurs sous Henri IV. & M. de la Briffardiere les met sous le regne de Louis XIII. Je crois qu'on peut s'en rapporter à Salnove qui a servi dans la vénerie sous Louis XIII. il étoit à portée de le savoir au juste.

Edit du roi du.... Octobre 1737, qui supprime partie des charges de la grande vénerie. Art. premier. Des quarante-quatre charges de gentilshommes, il y en a trente-huit de supprimées : plus, toutes les charges de fourriers, valets de chiens ordinaires à cheval, & ceux servant par quartiers ; les valets de limiers, autres valets de chiens servant par quartier ; les petits valets de chiens, maréchaux ferrans, chirurgiens, boulangers, & châtreurs de chiens.

Il y avoit anciennement sous les ordres du grand-veneur quatre lieutenans qui servoient comme de capitaines, chacun dans leurs quartiers, & qui en son absence recevoient les ordres du roi, pour les donner à toute la vénerie. Nouveau traité de vénerie, p. 20. introduction.

Commandant. Les places de commandant de la vénerie du roi, sont établies depuis que les lieutenans en charge n'ont plus fait de fonctions.

Il y a un commandant qui prend les ordres du grand-veneur, & en son absence du roi, qui les lui donne pour les chasses qu'il juge à propos de faire ; il distribue les ordres, comme il en a été déjà parlé.

Dans le premier volume de l'école de la chasse, par M. Leverrier de la Conterie, p. 2, il est dit qu'un prince, amateur de la chasse, doit choisir un commandant qui ait de la naissance, qui l'entende, qui l'aime, & pense assez juste pour préférer à tout le plaisir de son prince. Ces quatre qualités sont absolument nécessaires.

Un commandant est responsable de ce qui se passe au chenil & à la chasse par la faute des officiers & autres du service ; & il doit se faire un point d'honneur d'amuser son prince. Du choix du commandant dépend la bonté de l'équipage, & le bon ordre dans lequel il doit être tenu. Il faut un gentilhomme né avec le goût décidé pour la chasse, & qui ait blanchi avec fruit dans le métier ; qu'il ait des moeurs, humain envers ceux qui lui sont subordonnés, poli avec tout le monde.

M. de Ligniville. Celui qui commande, s'il n'est parfaitement instruit, on lui en fera bien accroire. Il y a des veneurs si ambitieux, qu'ils demandent souvent beaucoup plus de quête qu'ils n'en peuvent faire. Il y en a aussi à qui on donne des quêtes qui sont toujours mal faites par l'ignorance & la paresse de ceux-ci ; c'est au commandant à connoître l'ambition des uns & la négligence des autres, pour réprimer l'un, & réveiller l'émulation des autres.

Le commandant doit se rendre le protecteur & le pere des veneurs. Les plus grands princes & seigneurs ont donné le titre de compagnon de vénerie à ceux avec lesquels ils prenoient le plaisir de la chasse. Quand un commandant a fait monter un veneur au grade pour faire chasser les chiens, il ne l'aura pas fait avancer, qu'il n'ait vu des preuves de son savoir par les beaux laissés-courre qu'il aura faits ; l'intelligence, l'âge, la conduite, les talens qui sont nécessaires dans cette partie : d'après cela, il le doit traiter avec bonté & amitié. Si c'est un homme de sentiment, il ne se dédira sûrement pas ; mais si on lui fait essuyer des désagrémens, ce pauvre veneur devient triste, mélancolique, se dégoûte du service, ne le fait plus que par honneur ; le plaisir est banni de lui. Cet exercice demande qu'on soit dégagé de toute autre chose étant à la chasse ; qu'on ne pense & agisse que pour remplir les devoirs de la place qu'on occupe ; qu'on soit à l'abri des craintes ; que le plaisir seul d'amuser son maître soit toutes les pensées & les actions du veneur à la chasse. Les réprimandes publiques, les mortifications qu'on fait souvent subir à d'honnêtes gens par pur caprice, sont bien à craindre pour ceux qui se font un principe de ne point manquer dans leurs services. Il peut arriver des fautes en croyant bien faire ; si-tôt qu'un habile & zélé veneur s'en apperçoit, il est assez puni de l'avoir commise ; il en sera tout honteux & consterné. Qui est-ce qui ne commet point de faute ? C'est celui qui n'a rien à faire, & qui n'est chargé de rien.

Les mauvais sujets doivent être traités comme ils le méritent après les fautes réitérées ; il les faut punir ; & s'ils ne se corrigent pas, que les réprimandes & menaces n'y fassent rien, les redescendre à leur premier état, & si cela n'y fait rien, les renvoyer avec du pain : le roi & les princes ne voudroient pas voir des malheureux, qui auroient eu l'honneur de les servir dans leurs plaisirs, être des misérables. Il ne faudroit qu'un pareil exemple à celui d'être descendu, pour exciter & réveiller l'émulation.

Il faut que le commandant soit comme le pere de famille, attentif aux besoins de ceux qui lui sont subordonnés. S'ils n'ont pas de quoi vivre de leurs appointemens & revenus de leurs places, qu'il sollicite pour eux des supplémens ; qu'il sache faire récompenser les anciens & bons serviteurs qui se sont exposés, sacrifiés pour leur service. Les bontés du maître doivent couler sur eux par le canal du commandant ; de même ceux qui ont de grosses familles, qui ont peine à vivre & qui n'ont pas d'autres ressources, n'en doivent point être abandonnés ; il faut secourir les malheureux dans la peine.

La place de commandant est la plus honorable de la vénerie, après le grand-veneur.

Ses appointemens sur l'état de ceux de la vénerie, sont de quinze cent livres ; il a en sus sur la cassette trois mille livres payés par quartiers ; c'est-à-dire, en quatre payemens.

Le roi leur donne en sus des pensions sur le trésor royal & des gratifications, qui ne sont accordées qu'autant qu'ils ont d'ancienneté & qu'il plaît à S. M. de leur faire du bien. Ils ont un carrosse & une chaise entretenus aux dépens du roi, quatre chevaux, un cocher & un postillon de même.

Pour l'habillement de l'ordonnance, il est pareil à celui du roi du grand-veneur ; ils ont des trompes.

Voilà l'état des commandans de la vénerie du roi.

Ecuyer. Celui de l'écuyer est de même.

Gentilshommes. Celui des gentilshommes est de trois mille livres payées sur la cassette. S. M. leur donne des pensions & gratifications suivant leur ancienneté & la volonté de S. M. Ils n'ont rien sur l'état des appointemens de la vénerie ; leur habillement est pareil à celui du commandant ; leur service est d'aller au bois, de piquer à la queue des chiens, ils ne sont pas tenus d'autres services ; ils avancent au grade de commandant : ils sont deux dans la vénerie.

Pages. Les pages sont au nombre de deux ; on les prend fort jeunes suivant l'usage ; ils apprennent à connoître les chiens, à aller au bois ; ils ont deux chevaux à la chasse, pour apprendre cet art. Leur service est d'aider à aller rompre ; d'être sur les aîles à voir ce qui se passe, pour se rendre utiles. Ils parviennent au grade de gentilhomme. Leur habillement est pour la chasse le surtout des pages de la grande-écurie, & l'habit de grande livrée de la petite écurie, chapeau bordé, bourdaloue, &c. Ils ont ceinturon, couteau de chasse, bottes, trompe, bas, souliers, quarante sols par jour, & une gratification sur la cassette pour leur bois & chandelle.

Piqueurs. L'état de la vénerie est de cinq piqueurs ; le premier & le plus ancien est chargé du soin & du détail de la meute ; les quatre autres sont pour aller au bois & piquer à la queue des chiens, les bien connoître, pour en distinguer la sagesse, la bonté & la vigueur, afin de les remarquer & avoir de la confiance dans les occasions aux plus sages.

Il faut, pour être bon piqueur, avoir passé les grades du service de la vénerie, pour en connoître les détails, avoir été au bois avec un bon maître pendant deux ans, cela ne feroit qu'une perfection de plus pour l'écolier. Toutes les saisons sont différentes pour le travail du bois ; il faut les avoir suivies avec attention & goût ; à vingt & vingt-cinq ans est l'âge pour les faire monter à ce grade, pour en tirer du service ; il le faut choisir dans les éleves, qu'il aime la chasse par goût & non par intérêt, ou pour avancer ; qu'il soit d'une bonne santé, vigoureux, ne craignant ni le froid ni le chaud, ni la pluie, neige, gelée, que tout lui soit égal ; qu'il ne craigne point de percer les enceintes, fourrées ou non, à la queue de ses chiens, ni de franchir un fossé ; il faut qu'un bon piqueur soit collé, pour ainsi dire, à ses chiens, pour les remarquer manoeuvrer, & savoir quand il arrive du désordre par le change ou par la sécheresse, afin de leur aider dans ces occasions ; connoître les chiens timides dans le change, les chiens sages & hardis, & ceux en qui l'on n'a point encore de confiance, afin de savoir à quoi s'en tenir, & prendre son parti suivant les occurences ; savoir retourner à propos & prendre garde de le faire trop promtement dans les sécheresses au bord d'une route ou chemin, ou si des cavaliers auroient passé dans l'un ou l'autre, pour lors les chiens peuvent demeurer court, & le cerf s'en aller : choses à prendre garde dans une pareille incertitude, les uns retournent dans les voyes, les autres prennent avec des bons chiens au-dessus & au-dessous. Il faut pareillement qu'il s'applique à connoître son cerf par la tête, si elle est brune, blonde ou rousse ; si elle est ouverte, rouée ou serrée ; si le pelage est brun, blond ou fauve ; si c'est un pié long ou rond, creux ou paré, les pinces grosses ou menues, la jambe large ou étroite, haut ou bas jointe, les os gros ou menus ; de même la figure du pié de derriere, s'il y a quelque remarque à y faire, en revoir avec attention sur le terrein ferme, comme dans le terrein mol ou sableux, ce qui fait un changement au revoir. D'après toutes ces observations, le piqueur se distinguera dans tous les momens de la chasse, & fera peu de fautes : il faut prendre garde que le trop d'ardeur ne l'entraîne pour se faire voir un des premiers aux chiens, sans se donner la peine de mettre l'oeil à terre de crainte que cela ne l'arriere ; il arrivera du change, les chiens se sépareront, il tournera à une partie, il reverra d'un cerf devant eux sans savoir si c'est le cerf de meute, il est long-tems à se décider s'il rompra ou appuyera, cela le met dans l'embarras, & connoissant son cerf, il appuye ou arrête.

S'il peut avoir une bonne voix & une belle trompe, cela fait un ornement de plus à la chasse. Il faut qu'il soit sage sur le vin & le reste ; un veneur qui s'est trop adonné à l'un ou à l'autre vice, fait mal son service, il se trouve assommé par la débauche, & ne peut pas les jours de chasse remplir le service du bois où il va pour y dormir au coin d'une enceinte, & sa quête se fait tout d'un somme ; & à la chasse il est mou, fatigué, & ne remplit point les devoirs de sa place, pour lors il y faut mettre ordre ; il y a toujours une intervalle de trois jours d'une chasse à l'autre, c'est assez pour se reposer & réparer la fatigue de chaque chasse.

Les piqueurs ont cinq chevaux chacun à la chasse, ainsi que les commandans & gentils-hommes ; le premier est pour attaquer de meute, le second à la vieille meute, le troisieme à la seconde, le quatrieme aux six chiens, & le cinquieme au relais volant, où il n'y a que des chevaux & point de chiens.

Le premier piqueur n'a que deux chevaux pour accompagner l'équipage au rendez-vous, & aux brisées où l'on attaque, & se promener ; il n'est tenu d'aucun autre service que de se trouver, s'il peut, à la fin de la chasse pour ramener les chiens au logis : il a de plus que les autres 300 livres pour le soin des chiens, 300 livres pour les têtes des cerfs qui lui appartenoient, que le roi prend ; il est chauffé & éclairé toute l'année.

L'habillement des piqueurs ne differe des premiers que par les bordées, boutons, boutonnieres, galons sur les coutures, bord de chapeau, le bordé, & boutonniere de la veste qui sont d'argent, & aux premiers ils sont or ; les grands galons sont les mêmes ; ceinturon & couteau de chasse de même, paremens & collet de velours, la même position des galons pareille ; on leur donne une trompe à l'habillement comme à tous ceux qui en doivent avoir.

L'habit est bleu, doublé de rouge, paremens de velours, & collet de même ; veste & culotte écarlate, l'habit bordé, boutons & boutonnieres d'argent, un grand galon or & argent travaillé ensemble, l'or dans le milieu, & les deux bandes de chaque côté, large de plus de deux pouces ; un de ces grands galons est posé à côté des boutonnieres, à chaque côté du haut en bas ; deux de ces grands galons sur le velours de chaque manche, un en bande, l'autre en pointe, & forme deux petits fers à cheval dessus & en dedans, & une bande de ce grand galon qui prend sous le premier galon qui couvre toute la couture du parement, & rentre en-dedans la manche ; il y a de même dessous un même galon qui fait le même effet, la poche est bordée d'un petit galon, & un grand qui couvre presque la poche, qui est en grande patte longue ; un autre grand galon qui est posé sur la poche au-dessous de la patte, remonte aux hanches, est plié de façon qu'il forme une pointe qui gagne la fourche de l'habit par derriere, où il y a encore un autre grand galon de chaque côté de ladite fourche croisé par en-haut, qui gagne les deux pointes du galon qui remonte de la poche, le tout lié ensemble ; en outre il y a deux bordés dans les plis, & deux grands galons de chaque côté ; sur toutes les coutures un galon d'argent large de deux pouces. Le ceinturon est couvert du même grand galon or & argent ; le bord de chapeau, le bourdaloue, bouton & ganse est pareillement donné. Les habits complets tels qu'ils sont dits, se montent à près de 700 livres : ceux du grand-veneur & commandant, &c. passent au-dessus à cause de l'or.

Appointemens des piqueurs. Ils ont chacun 1100 liv. sur l'état des appointemens de la vénerie ; ils sont payés, ainsi que tous ceux qui sont sur l'état de la vénerie, tous les mois ; ils ont ensuite chacun une pension sur le trésor ; il y en a de plus fortes les unes que les autres, depuis 300 liv. jusqu'à 480 ; il n'y en a point eû de 500 liv. S. M. donne à la S. Hubert à chaque piqueur 200 livres ; hors Versailles ils ont 10 sols par jour : le roi leur donne des pensions & gratifications sur sa cassette, aux uns plus, & les autres moins.

Valets de limiers. Les valets de limiers sur l'état de la vénerie, sont au nombre de huit, dont deux à cheval, pour faire avancer les relais ; les autres à pié, pour garder les cerfs détournés le matin, jusqu'à ce qu'on vienne attaquer, ou que l'on chasse.

Pour faire un bon valet de limier, il faut choisir parmi les dix valets de chiens, celui qui a le plus de bonne volonté, de goût pour la chasse, de bonne santé, vigoureux, intelligent ; le mettre entre les mains d'un maître habile, & l'y laisser deux ans pour qu'il connoisse chaque façon de travailler au bois dans les différentes saisons, & à juger les cerfs dans les différentes forêts, dont les piés ne se ressemblent point ; d'après cela lui confier un limier & une quête : s'il ne se dédit pas après qu'il aura l'habit galonné, s'il a de la voix, de la trompe, qu'il sache mener un cheval, & qu'il ait de la conduite, on peut après l'avoir éprouvé étant valet de chien à cheval, si l'on en a été content, le faire monter à cheval pour faire avancer les relais ; c'est-là l'école pour faire un piqueur ; si tous les suffrages se réunissent en sa faveur, on peut lui donner la premiere place qui viendra à vaquer dans cette partie, & l'on feroit des éleves ; par ce moyen il y auroit toujours des sujets prêts à remplacer ceux qui manqueroient, sans s'arrêter aux rangs ; ce n'est pas que je conseille l'injustice, au contraire à chaque sujet qui auroit les qualités susdites, il y en auroit une bien grande de lui faire des passe-droits à leurs rangs ; mais je parle de ceux à qui la nature n'a pas donné les dons nécessaires pour la chasse ; il faut leur trouver des places à quoi ils puissent être bons, qu'elles soient à-peu-près équivalentes à ce qu'ils perdroient, afin qu'ils se trouvent dédommagés du tems qu'ils auront passé à faire leur possible pour atteindre aux talens qu'ils n'ont pas pû acquérir ; cela feroit des heureux, des contens, & l'équipage du roi se trouveroit rempli de sujets capables ; bannir les ivrognes, les libertins, les paresseux, & faire faire un noviciat de six mois ou un an à ceux sur lesquels on jetteroit les yeux pour les recevoir dans le service ; il ne faudroit pour cela ni protecteurs, ni recommandation, que les dispositions seules.

Valets de limiers. L'habillement des valets de limiers est pareil à celui des piqueurs sans nulle différence.

Les appointemens sont de 360 liv. par an, payés fur l'état de la vénerie ; on leur a donné du vivant de monseigneur le comte de Toulouse, grand-veneur, par supplément qui est enregistré à la chambre des comptes, à chacun 150 liv. qu'ils reçoivent tous les ans ; une partie ont des pensions de 300 liv. chacun.

Le roi leur donne à la S. Hubert à chacun 24 liv.

Le grand-veneur 10 livres, aux étrennes chacun 48. liv.

Sa majesté leur donne au freouet à chacun 100 liv. & le grand-veneur 12 liv. 10 sols. Ils ont chacun environ six assemblées par année qui sont composées de trente bouteilles de vin commun, pris à l'échansonnerie du roi ; vingt livres de viande au grand commun, & vingt livres de pain à la paneterie, ce qui peut valoir en argent environ 72 liv.

Ils ont du grand-veneur 5 liv. 10 sols par chasse, & chaque fois qu'ils vont au bois pour reconnoître par ordre qu'il leur fait, environ 50 liv.

Ils ont 10 sols par jour en campagne hors de Versailles, ce qui leur fait 100 liv.

Cela leur fait environ 1200 liv. avec pension ; ils ont encore en sus les débris de leur habillement 100 liv. qui leur fait 1300 liv.

Chaque veneur qui va au bois doit avoir deux limiers, afin que s'il arrive accident à un, l'on ait pour ressource un autre qu'on aura dressé, ce qui mérite être expliqué.

Assemblées. Les assemblées autrefois étoient les déjeunés de chasse que l'on faisoit porter aux rendez-vous, composées comme il est dit ci-dessus, de la quantité de pain, vin & viande ; depuis un tems dont je ne trouve nulle part la date, on a réglé les assemblées à deux par semaines ; les valets de limiers en ont une, & les valets de chiens l'autre ; que la meute du roi chasse ou ne chasse pas, elles sont délivrées sur le certificat du commandant, deux par semaine comme il est dit ; à la louveterie ils en ont pareillement deux, & au vautrait, qui est l'équipage du sanglier, la même chose, & même quantité de l'un & de l'autre.

Le jour de S. Hubert, elle est donnée double à la vénerie.

Valets de chiens. Pour le service des chiens il y a dix valets de chiens dans la vénerie, dont trois à cheval & sept à pié. Les trois à cheval vont au bois, & menent chacun un relais pour la chasse. Le premier est la vieille meute ; le deuxieme la seconde ; le troisieme les six chiens : ils ont chacun un valet de chiens à pié. Chaque relais est composé de 16 à 18 chiens en deux hardes, une pour le valet de chiens à cheval, & une pour celui à pié : ainsi des deux autres relais.

Le valet de chiens à cheval étant arrivé à la place où doit être son relais, & avoir mis ses chiens à l'ombre dans l'été, & au soleil dans l'hiver, à l'abri des mauvais vents & pluie, il laisse auprès d'eux le valet de chiens à pié pour prendre garde qu'ils ne se mordent, ne se hardent, & qu'ils ne coupent point leurs couples ; & les attacher de façon à pouvoir se coucher.

Le valet de chiens à cheval doit aller en avant aux écoutes, du côté que doit venir la chasse, ou qu'on vienne l'avertir, afin de n'être point surpris de l'un ou de l'autre.

Il y a encore quatre valets de chiens à pié, dont un reste au chenil les jours de chasse ; ordinairement c'est celui qui se trouve de garde ce jour-là, pour avoir l'oeil aux chiens qui ne vont point à la chasse ; tenir le chenil bien propre, bien net, de belle paille blanche, & de bonne eau fraîche pour le retour de ceux qui ont chassé ; faire manger les limiers, les lices en chaleur, les boiteux, & panser les malades. Il reste trois valets de chiens à pié, à qui on donne deux chevaux à deux, pour aider à mener les chiens au rendez-vous ; & le troisieme va à pié à la tête des chiens, pour les mener pareillement en route, comme à la chasse. Leur habillement est un habit de grande livrée du roi ; une veste bleue avec boutons & boutonnieres d'argent ; une culotte de panne bleue, ou de drap comme ils la veulent ; un bord de chapeau, bourdaloue, gance & bouton d'argent. Les trois à cheval ont d'augmentation un surtout bleu, bordé de livrée, & une seconde culotte. Ils ont en sus une souquenille de coutil, pour le service du chenil : l'on habille ordinairement la vénerie tous les ans ; cela a varié pendant quelques années.

Leurs appointemens sont de 20 sols par jour ; ils ont en sus 10 sols à tous les endroits hors de Versailles ; ils ont environ chacun deux assemblées par an, c'est-à-dire 30 bouteilles de vin, 20 livres de pain, & 20 livres de viande, qu'on leur délivre au grand-commun, à l'échansonnerie & à la paneterie pour chaque assemblée. A la S. Hubert le roi leur donne 400 liv. pour la brioche qui lui est présentée, & en sus quatre louis pour leur souper. Toute la famille royale, le grand-veneur, princes & seigneurs à qui l'on présente des brioches de S. Hubert, donnent chacun, & cela fait masse. Ils ont au partage 50 à 60 liv. environ. Le premier a 4 sols par jour pour le pansement des chiens, de plus que ses camarades.

Ils ont en sus les nappes des cerfs, les suifs dans la saison, les fumiers, & 10 livres pour leurs ustensiles, comme ciseaux, peignes, brosses, étrilles, tous les ans.

Les roi donne ses ordres au grand-veneur pour envoyer les équipages où il veut chasser ; le jour & l'endroit de la forêt où il juge à-propos de faire son rendez-vous ; le grand-veneur donne l'ordre au commandant ; le commandant aux officiers & autres, fait la distribution des quêtes. L'heure du départ de l'équipage se dit à celui qui en a la direction, qui est le premier piqueur à qui le commandant dit de même la distribution des relais, si elle se doit faire avant l'arrivée de la meute au rendez-vous.

Le plus ancien piqueur a le détail de l'équipage, ce qui concerne seulement la meute, pour avoir l'oeil que les valets de chiens fassent bien leur devoir ; que rien ne manque pour la propreté des chenils ; si la nourriture, si les farines, le pain, les mouées sont bonnes & fraîches ; si la paille n'a pas de mauvaise odeur ; s'ils sont bien peignés, bien brossés ; si l'on n'en passe pas légérement quelques-uns, & si on n'en oublie pas ; si à l'ébat il ne s'en trouve pas de malades, de boîteux, de tristes, afin de les faire examiner & traiter suivant le mal, & les faire séparer.

Le boulanger de la vénerie est habillé de drap bleu, parement rouge, bordé, boutons & boutonnieres d'argent, veste bordée & culotte rouge, bord, bourdaloue, bouton & gance. Il a 30 sols par jour, & 10 sols hors de Versailles ; il est logé, chauffé, éclairé, c'est-à-dire une chandelle par jour ; il a à son profit la braise & la cendre.

Distinctions accordées aux officiers de la vénerie du roi. (M. de la Briffardiere.) Nos rois ont accordé de tout tems de grands privileges aux officiers de leur vénerie.

Il y a une ordonnance de Philippe Auguste, rendue en 1218, qui donne aux officiers de la vénerie différentes exemptions & privileges ; & en 1344, Philippe le Bel les exempta de toutes contributions de tailles, subsides, d'emprunts, de guet, de gardes, de péages, passage & logement de guerre.

Ces exemptions & privileges furent confirmés depuis successivement en 1547 par Henri II. en 1594 par Henri le Grand, en 1639 par Louis XIII. qui déclare en outre tous les officiers de la vénerie & fauconnerie commensaux de sa maison, & en cette qualité exempts de taille & de tout autre subside.

Enfin par la déclaration rendue à Poitiers par le feu roi, en l'année 1652, en faveur des officiers de la vénerie, il est dit expressément :

" Nous confirmons par ces présentes, tous les privileges, franchises, libertés & immunités, exemptions & affranchissemens accordés aux officiers de nos maisons royales, employés aux états de la cour des aides, & à leurs veuves durant leur viduité, voulant qu'elles soient quittes de toutes contributions ".

Sous le regne d'Henri le Grand, le duc d'Aumale étoit grand-veneur, après lui le duc d'Elboeuf, & depuis le regne de Louis XIII. jusqu'à présent, on a vu la charge de grand-veneur exercée successivement par M. le prince de Condé, M. le duc de Montbazon, M. le prince de Guimené, M. le chevalier de Rohan, M. le duc de la Rochefoucault, M. le comte de Toulouse ; après la mort de M. le comte de Toulouse, M. le prince de Dombes a fait les fonctions de grand-veneur jusqu'à la majorité de M. le duc de Penthievre, qui l'a exercée jusqu'à la majorité de M. le prince de Lamballe, qui a eu la survivance de M. le duc de Penthievre.

Ecurie pour le service de la vénerie. Après avoir détaillé le nombre d'officiers qui sont sur l'état du service de la vénerie, je vais faire celui de l'écurie pour le même service.

Il y a un écuyer qui a l'habit complet comme le commandant, de même 1500 liv. sur l'état des appointemens, & aussi 3000 liv. sur la cassette. Sa majesté lui donne en sus des pensions & gratifications suivant sa volonté ; il a un carrosse, deux chevaux, pour le mener ; il a une chaise pour aller au rendez-vous & voyage, avec plusieurs chevaux pour relayer, un cocher, un postillon payés & habillés sur l'état de la vénerie.

Un sous-écuyer pour l'acquisition des chevaux, qui a 1000 francs sur l'état ; il a des pensions & gratifications suivant la volonté du grand-veneur. On lui paye son habillement, & à chaque voiture de chevaux anglois qu'il achete, il a une gratification & tous ses frais payés.

Il y a en sus un piqueur, habillé avec le même uniforme que ceux de l'équipage ; il a de plus une redingote bleue, bordée d'argent, avec boutons & boutonnieres : mais cela ne se donne que tous les trois habillemens ; il a une culotte rouge de plus. Ses appointemens sont de 1000 francs ; il a des pensions & gratifications en sus. Son service est de dresser les chevaux, & les proposer à l'écuyer pour être donnés suivant ceux à qui ils peuvent servir ; d'avoir l'oeil que rien ne leur manque pour la nourriture, les soins ; & les jours de chasse, placer pour chacun aux relais, les chevaux destinés au service, & en état de marcher.

Il y a de plus un aide à monter à cheval pour le soulager à dresser les jeunes chevaux & réduire les fougueux, qui a un surtout bleu bordé d'argent, avec boutons & boutonnieres de même : il a pareillement la redingote de même que le piqueur, la veste est rouge bordée d'argent, boutons & boutonnieres & deux culottes, les paremens de l'habit sont de drap rouge, ainsi que la doublure qui est de la même couleur en serge.

Il y a un délivreur pour les fourrages, qui a le même uniforme que l'aide à monter à cheval.

Il y a un maréchal, qui a le même uniforme que l'aide à monter à cheval. Il a 50 sols par mois pour chaque cheval, pour leur fournir les fers, les médicamens, &c. on lui passe un garçon sur l'état de la vénerie.

Le sellier est habillé de même uniforme ci-dessus ; on lui passe un garçon sur l'état ; on lui fournit tout ce qui concerne son état.

Les palfreniers sont habillés d'un habit de grande livrée, veste bleue, bordée d'un galon de soie, une culotte de drap ou panne, un manteau tous les trois habillemens, bord de chapeau, bourdaloue, bouton & gance ; ils ont 20 sols par jour, & 10 sols d'augmentation hors Versailles : ils ont chacun quatre chevaux à panser ; on leur donne 25 liv. pour les bottes.

Il y a en sus des surnuméraires, qui ont surtout de bouracan, veste, culotte de drap, bord de chapeau comme les palfreniers ; ils n'ont point de manteau, & on leur donne la même paie. Il y en a à-peu-près autant comme de palfreniers à la grande livrée, c'est-à-dire de trente-six à quarante ; cela feroit de soixante-douze à quatre-vingt pour les deux parties. Mais ceux de la petite meute sont compris dans ce même nombre de palfreniers & surnuméraires, & les autres détaillés ci-devant, ne sont que pour le service de la grande meute : on leur donne 25 livres pour les bottes.

Le grand-veneur n'a point de nombre de chevaux marqué pour lui ; il en fait mettre à son rang ce qu'il juge à propos.

Le commandant en a six à son rang, & toujours cinq à la chasse ; un de meute, un de vieille meute, un de seconde vieille meute, un de six chiens, & un de relais volant.

Les deux gentilshommes en ont autant & même position.

Chaque piqueur autant, hors celui qui a le détail de la meute, qui n'en a que deux.

Les pages en ont chacun deux à la chasse, & un qui se repose à l'écurie.

Les deux valets de limiers à cheval ont chacun trois chevaux à leur rang, dont deux à la chasse, & un qui se repose pour chacun.

Les trois valets de chiens à cheval en ont chacun un à chaque chasse ; s'il s'en trouve un de boiteux, ou malade d'une chasse à l'autre, on en prend un dans les chevaux de suite, dont il y en a un certain nombre pour monter les palfreniers qui sont destinés à relayer ceux pour qui on leur donne des chevaux à chaque relais.

L'on fait monter le nombre des chevaux pour le service des deux meutes du cerf ; les chevaux neufs, ceux du service, ceux de carrosse & de chaise, ceux de suite, au nombre de 300 chevaux.

La nourriture des chevaux de la vénerie est un boisseau d'avoine par jour, en deux ordinaires, mesure de Paris, une botte de foin, & une botte de paille, du poids chaque de 10 à 11 livres.

La grande vénerie du roi étoit composée sous le regne de Louis XIII. d'un grand-veneur, quatre lieutenans, quatre sous-lieutenans, quarante gentilshommes de la vénerie qui servoient, savoir un lieutenant & un sous-lieutenant & dix gentilshommes par trois mois. Il y a encore huit gentilshommes ordinaires qui ont été choisis de tout tems parmi les susdits nommés pour servir actuellement dans la vénerie ou le tems qu'il plait au roi, qui sont ceux à qui l'on doit avoir plus de créance quand le choix en a été bien fait.

Il y a aussi deux pages de la vénerie, quatre aumoniers, quatre médecins, quatre chirurgiens & quatre maréchaux, un boulanger, douze valets de limiers servant trois par trois mois, & deux ordinaires que l'on appelle de la chambre, quatre fourriers servant aussi un par quartier, quatre maîtres-valets de chiens à cheval & un ordinaire, douze valets de chiens à pié servant par quartier, quatre ordinaires qui sont deux grands & deux petits valets de chiens qui doivent demeurer auprès des chiens jour & nuit.

La vénerie du roi étoit composée en 1763 d'un grand-veneur, Mgr. le prince de Lamballe : d'un commandant, M. de Lasmartre : d'un écuyer, M. de Vaudelot : deux gentilshommes, deux pages, quatre piqueurs, huit valets de limiers, dont deux à cheval : dix valets de chiens, dont trois à cheval, un boulanger, un châtreur.

Sa Majesté a en-sus une seconde meute pour le cerf sous les ordres du même grand-veneur, qui est servi par une partie des officiers du grand équipage : un commandant, M. Dyauville, d'augmentation : le même écuyer de la grande meute, un gentilhomme de la grande meute & un d'augmentation, un des deux pages de la grande meute, trois piqueurs d'augmentation, deux valets de limiers de la grande meute, dix valets de chiens d'augmentation, un boulanger d'augmentation, un maréchal d'augmentation, un aide-à-monter à cheval d'augmentation, un garçon délivreur d'augmentation, & environ 120 chiens sans les limiers, un aumônier, un médecin, un chirurgien, un trésorier en charge, un argentier en charge, un contrôleur, un sous-écuyer, un piqueur pour l'écurie, un aide-à-monter à cheval, un délivreur, un sellier, un maréchal, environ 300 chevaux pour le service des deux meutes, plus de trente-six palfreniers avec l'habit de grande livrée, & environ un pareil nombre avec des surtouts & la même paie.

Sous les regnes précédens la vénerie étoit bien plus considérable ; & presque tous les employés étoient en charge. Salnove & la Briffardiere en font le détail.

Louis XIII. créa six officiers ordinaires qui demeurent dans la vénerie sans en sortir, pour faire chasser & piquer à la queue des chiens ; ils sont réduits aujourd'hui à quatre, qui sont les quatre piqueurs qui avoient sur l'état le titre de gentilhomme, qui ne leur est pas continué sur l'état de distribution des appointemens sous ce regne-ci.

La plûpart des charges de la vénerie ont été supprimées à la mort de Mgr. le comte de Toulouse, grand-veneur, en 1737 ; il y en a encore quelqu'une de lieutenant, dont ceux qui servent, ne sont pas pourvus : une de trésorier, une d'argentier ; voilà celles qui sont à ma connoissance ; toutes les autres places qui sont occupées dans la vénerie, le sont par des officiers & autres que le grand-veneur propose au roi, & qu'il reçoit, suivant les talens, le mérite ou l'ancienneté.

Les charges ci-dessus dépendent du grand-veneur ; elles sont à son profit.

En 1764 j'ai fait le relevé des charges de la vénerie chez M. le grand-veneur à l'hôtel de Toulouse à Paris. Voici ce qu'on m'a donné.

Un lieutenant ordinaire, quatre lieutenans par quartiers. Le roi nomme & donne ces places & charges.

Quatre sous-lieutenans par quartier, six gentilshommes. M. le grand-veneur donne ces places & charges.

Compagnie des gardes à cheval. Un lieutenant, un sous-lieutenant, six gardes.

Ordre pour la chasse. Quand le roi veut chasser avec son équipage de la vénerie, il en fait part au grand veneur, de l'endroit, du jour, du lieu de l'assemblée, & de l'heure qu'il se rendra au rendez-vous ; le grand veneur le dit au commandant de la vénerie, qui se rend au chenil à l'heure du souper des chiens ; tous les gentilshommes, officiers & autres du service s'y trouvent ; là il fait la distribution des quêtes à chacun suivant leur rang ; leur dit le rendez-vous & l'heure que le roi s'y rendra ; il dit aussi l'heure qu'il faut que les chiens partent du logis pour le rendez-vous, & si l'on séparera des relais en chemin ; le premier piqueur prend ses ordres sur tout cela. Dans le partage des quêtes il met ordinairement un valet de limier à pié dans chaque quête avec un des officiers ci-dessus à cheval ; celui qui est à pié, reste pour garder les cerfs qui se trouvent dans leurs quêtes, & celui qui est à cheval, se rend au rendez-vous pour faire le rapport & conduire à ses brisées ; si l'on va à lui, il prend un peu devant pour demander à son compagnon si le cerf n'est pas sorti de l'enceinte où il étoit détourné ; s'il y est encore, au carrefour au pié de l'enceinte l'on fait prendre les chiens ; on envoie du monde tout-autour de ladite enceinte ; on va aux brisées avec une demi-douzaine de chiens, qui sont découplés derriere le valet de limier dans la voie aux brisées ; le valet de limier prend la voie avec son limier, & croise l'enceinte pour lancer le cerf. Les piqueurs entrent à cheval, font du bruit, foulent l'enceinte jusqu'à ce que le cerf soit parti ; si-tôt qu'il a été vu, on crie tayoo ; si c'est à une route ou à un chemin, on fait avancer les chiens de meute & on les découple dans la voie juste, & on chasse.

Si dans l'endroit que le roi juge à-propos de chasser, il faut que les veneurs aillent coucher dehors (c'est-à-dire à portée de leurs quêtes), le commandant fait avertir, & à son retour du château il distribue l'ordre & les quêtes, afin qu'on ait le tems d'arriver de bonne heure à l'endroit qui est le plus prochain village de leur quête, & l'on n'attend pas à l'heure du souper des chiens pour donner l'ordre ces jours-là.

Depuis plusieurs siecles que les chasseurs ont reconnu S. Hubert pour leur patron, il n'y a point de royaume, souveraineté ni principauté où il y ait des meutes & véneries, qui n'en célebre la fête par une grande chasse qui se fait ce jour-là, qui arrive le 3 Novembre, même les princes protestans en Allemagne. La famille royale ce jour-là accompagne sa majesté à la chasse, les princes & seigneurs s'y joignent, & cela fait un concours bien brillant ; ce jour-là on dit une messe du grand matin, où les veneurs qui vont aux bois, se trouvent ; l'on y rend un pain beni au nom du roi pour la vénerie ; c'est le premier piqueur qui en est chargé ; le commandant porte le cierge, & va à l'offrande. On donne un écu pour la messe & un morceau de pain beni au prêtre ; le reste est partagé aux officiers du service. Les valets de chiens de la vénerie y font bénir pareillement les brioches qui doivent être présentées au roi, à la reine, à la famille royale, au grand-veneur, à tous les princes & seigneurs de la cour ; sa majesté donne pour la brioche des valets de chiens 400 liv. & quatre louis pour leur souper ; le chirurgien de la vénerie a 400 liv. chaque piqueur 200 liv. chaque valet de limiers 24 liv. le boulanger 48 liv. le châtreur 150 liv. Sa majesté donne en-sus pour l'écurie une somme.

Le grand-veneur donne à l'équipage du roi 100 l. pour les piqueurs, 80 l. pour les valets de limiers, 40 liv. pour les valets de chiens, & 16 pour le boulanger. La reine donne aussi à la S. Hubert pour la vénerie 800 liv. dont 400 liv. pour les piqueurs, 200 liv. pour les valets de limiers, & 200 liv. pour les valets de chiens.

Sa majesté donne aussi ce jour-là l'assemblée double, c'est-à-dire que chaque chasse, ou deux fois la semaine, il est donné sur le certificat du commandant vingt livres de pain à la paneterie, trente-deux bouteilles de vin à l'échansonnerie, & vingt livres de viande de boucherie au grand commun, pour chaque assemblée ; & le jour de S. Hubert il est délivré 40 livres de pain, 64 bouteilles de vin & 40 livres de viande : le tout est doublé ce jour-là ; cela appartient aux valets de limiers & valets de chiens, qui l'ont chacun leur tour, c'est-à-dire, un valet de limiers l'a au commencement de la semaine, & un valet de chiens à la fin. Ces assemblées étoient autrefois les déjeunés de chasse que le roi faisoit porter au rendez-vous pour les veneurs ; depuis un tems qui m'est inconnu, il a été réglé comme il est dit ci-dessus ; j'en ai parlé ailleurs. Article de M. VINFRAIS l'aîné, de la vénerie du roi.

VENERIE ROYALE, (Géog. mod.) maison de plaisance des rois de Sardaigne, entre le Pô, la Sture & la Doria, à 3 milles de Turin. Les François incendierent ce beau palais en 1693. Long. 25. 14. lat. 45. 56.


VÉNÉRIENadj. ce qui appartient à Vénus. Voyez VENUS. Acte vénérien, est la copulation ou le commerce charnel des deux sexes. Voyez COÏT & GENERATION. Il est ainsi appellé à cause de Vénus qui passoit pour la déesse de l'amour.

Les plaisirs vénériens sont les plaisirs de l'amour. Les remedes vénériens, c'est-à-dire qui excitent à l'amour, s'appellent autrement aphrodisiaques, &c.


VÉNÉRIENNEmaladie VENERIENNE, lues venerea, vérole ou grosse vérole, est une maladie contagieuse, qui se contracte par une humeur impure, reçue ordinairement dans le coït ; & se manifeste par des ulceres & des douleurs aux parties naturelles & ailleurs. Voyez VEROLE.

On dit communément que cette maladie parut pour la premiere fois en Europe en 1493. D'autres néanmoins veulent qu'elle soit beaucoup plus ancienne, & prétendent que les anciens l'ont connue, mais sous d'autres noms.

Becket en particulier, a tâché de montrer qu'elle est la même chose que ce que nos ancêtres appelloient la lepre ; & qui dans plusieurs anciens écrits anglois, dans des chartres, &c. est nommée brenning ou burning, c'est-à-dire brûlure ou incendie.

Cet auteur pour prouver son opinion a recherché les actes concernant les mauvais lieux qui se tenoient anciennement sous la jurisdiction de l'évêque de Winchester. Voyez MAUVAIS LIEUX.

Dans des constitutions touchant ces mauvais lieux, & qui sont datées de l'an 1162, il est ordonné entre autres choses, " que tout teneur de mauvais lieu ne pourra garder aucune femme qui soit attaquée de la maladie dangereuse appellée burning ". Et dans un autre manuscrit de vélin, qui est présentement sous la garde de l'évêque de Winchester, & qui est daté de 1430, il est encore ordonné, " que tout teneur de mauvais lieu ne pourra garder chez lui aucune femme attaquée de la maladie appellée brenning ; mais qu'il la mettra dehors, sous peine de payer au seigneur une amende de 100 schellings ". Voyez BRULURE.

Becket pour confirmer son sentiment, cite une description de la maladie, tirée d'un manuscrit de Jean Arden, écuyer & chirurgien du roi Richard II. & du roi Henri IV. Arden définit la maladie appellée brenning, une certaine chaleur interne, & une excoriation de l'urethre.

Cette définition suivant la remarque de Becket, donne une parfaite idée de ce qu'on appelle une chaude-pisse ; elle s'accorde avec les dernieres & les plus exactes découvertes anatomiques ; & elle est exempte de toutes les erreurs où Platerus, Rondelet, Bartholin, Wharton & d'autres écrivains modernes sont tombés au sujet de cette maladie. Voyez CHAUDE-PISSE & GONORRHEE.

Quant à l'idée que la lepre est la même chose que la vérole, il faut convenir que beaucoup de symptomes de ces deux maladies se ressemblent assez ; cependant on ne sauroit faire grand fond là-dessus. Voyez LEPRE.

C'est une tradition commune, que la maladie vénérienne parut pour la premiere fois dans l'armée françoise qui étoit campée devant Naples, & qu'elle fut causée par quelques alimens mal-sains. De-là vient que les François la nomment maladie de Naples, & les Italiens mal françois.

Mais d'autres remontent beaucoup plus haut, & croient qu'elle n'est autre chose que l'ulcere horrible dont Job fut attaqué. C'est pourquoi dans un missel imprimé à Venise en 1542, il y a une messe à l'honneur de S. Job, pour ceux qui sont guéris de cette maladie, parce qu'on croyoit qu'ils avoient été guéris par son intercession.

Mais l'opinion la plus commune parmi les plus habiles médecins, est que la maladie vénérienne vient originairement des Indes occidentales, & que les Espagnols l'apporterent des îles de l'Amérique, où elle étoit fort commune avant que les Espagnols y eussent jamais mis le pié. De-là vient que les Espagnols la nomment sarva de Indias, ou las bubas. Herrera dit néanmoins que les Espagnols porterent cette maladie au Mexique, au lieu de l'avoir apportée de ce pays-là.

Lister & d'autres prétendent qu'elle doit sa premiere origine à une sorte de serpent dont on aura été mordu, ou dont on aura mangé la chair. Il est certain que les hommes qui ont été piqués du scorpion, sont fort soulagés par le coït ; mais Pline assure que les femmes en sont fort incommodées : ce qui prouve bien que la maladie vient originairement de quelque personne ainsi empoisonnée.

Lister ajoute qu'il n'y a pas lieu de douter que la maladie vénérienne ne soit venue d'une pareille cause ; car lorsqu'un homme a été mordu de quelque bête venimeuse, la verge devient extrêmement tendue, le malade attaqué de satyriasis ne respire que le coït, la nature semblant demander cela pour remede.

Mais ce qui guérit les hommes ainsi mordus, se trouve pernicieux aux femmes, qui par ce moyen sont infectées du venin, & le communiquent aux autres hommes qui ont commerce avec elles ; & c'est ainsi que la maladie s'est répandue.

Les premiers symptomes qui surviennent ordinairement après qu'on a eu affaire avec une personne infectée, sont une chaleur, une enflure & une inflammation de la verge, ou de la vulve, avec une ardeur d'urine.

Le second & le troisieme jour il survient d'ordinaire une gonorrhée, appellée autrement chaudepisse, qui au bout de quelques jours est suivie d'une chaude-pisse cordée. Voyez GONORRHEE & CORDEE.

Quelquefois néanmoins il n'y a point de gonorrhée ; mais le virus pénetre dans les aînes à-travers la peau, & il y vient des bubons ou poulains, avec des pustules malignes dans toutes les parties du corps. Voyez BUBON.

Quelquefois aussi il vient au scrotum & au périné des ulceres calleux appellés chancres. D'autres fois il vient entre le prépuce & le gland un ulcere calleux & carcinomateux ; & dans quelques-uns les testicules se tuméfient. Voyez CHANCRES.

Ajoutez à cela de violentes douleurs nocturnes, des nodus, des chaleurs à la paume de la main & à la plante des piés ; & de-là des gersures, des excoriations, des condylomes, &c. autour du fondement ; des chûtes de poil ; des taches rouges, jaunes ou livides ; l'enrouement, le relâchement, & l'érosion de la luette ; des ulceres au palais, & au nez ; des tintemens d'oreille, la surdité, l'aveuglement, la gratelle, la consomption, &c. Mais tous ces symptomes attaquent rarement la même personne.

Sydenham observe que la maladie vénérienne se communique par la copulation, l'allaitement, le tact, la salive, la sueur, la mucosité des parties naturelles, la respiration ; & qu'elle se manifeste premierement dans les parties où elle est reçue. Lorsque le virus est reçu avec le lait de la nourrice, il se manifeste ordinairement par des ulceres de la bouche.

Le traitement varie suivant la différence des symptomes & des degrés de la maladie. Pour ce qui est du premier degré qui est la gonorrhée virulente, Voyez CHAUDE-PISSE & GONORRHEE.

Voici la méthode du docteur Pitcarn. Après avoir fait vomir deux ou trois fois, il ordonne le mercure doux deux fois par jour, durant quelques jours. Lorsque la bouche fait mal, il laisse le mercure doux pendant trois ou quatre jours, & il purge de deux jours l'un. Dès que la bouche ne fait plus de mal, il recommence l'usage du mercure doux, & ainsi alternativement, jusqu'à-ce que les symptomes cessent. Voyez MERCURE.

On tient communément que la salivation mercurielle est le seul remede efficace pour la maladie vénérienne confirmée. Cependant il y a des gens qui croient que les frictions mercurielles, données en petite quantité & de loin-à-loin sans exciter la salivation, non-seulement sont moins fâcheuses & moins dangereuses, mais encore réussissent mieux dans cette maladie que la salivation. Voyez SALIVATION.

Sydenham dit qu'il fait saliver tout de suite, sans aucune évacuation préliminaire, ni préparation quelconque. Voici quelle est sa méthode. Il ordonne un onguent, fait avec deux onces de sain-doux & une once de mercure crud. Il veut que le malade se frotte lui-même les bras & les jambes trois soirs de suite avec le tiers de cet onguent, mais sans toucher les aisselles, ni les aînes, ni l'abdomen. Après la troisieme friction, les gencives s'enflent d'ordinaire, & la salivation survient. Si elle ne vient pas assez-tôt, il ordonne huit grains de turbith minéral dans de la conserve de roses rouges ; ce qui produit le vomissement, & ensuite la salivation. Si après cela elle diminue avant que les symptomes ayent entierement disparu, il la ranime par une dose de mercure doux. La diete & le régime sont les mêmes que pour la purgation.

Les fumigations mercurielles peuvent être de quelque utilité dans le traitement de la maladie vénérienne. Voyez FUMIGATION.

Les sauvages de l'Amérique sont fort sujets à la maladie vénérienne, mais ils ont des secrets pour s'en débarrasser qui sont, dit-on, beaucoup plus sûrs & moins dangereux que les frictions mercurielles, ou que les préparations du mercure que l'on emploie ordinairement pour la guérison de ces maux. M. Kalm, de l'académie royale de Suede, ayant voyagé dans cette partie du monde, est parvenu à découvrir le remede dont ces peuples se servent, & qu'ils cachoient avec le plus grand soin aux Européens. Ils emploient pour cet effet la racine d'une plante que M. Linnaeus a décrite sous le nom de lobelia, & que Tournefort appelle rapuntium americanum, flore dilutè caeruleo, en françois la cardinale bleue. On prend cinq ou six de ces racines, soit fraîches, soit séchées, on en fait une décoction dont on fait boire abondamment au malade le matin & dans le cours de la journée. Cette boisson purge à proportion de la force de la décoction, que l'on fait moins forte lorsqu'elle agit trop vivement. Le malade s'abstient pendant la cure, des liqueurs fortes & des alimens trop assaisonnés ; ordinairement en observant ce régime, il est guéri en quinze jours ou trois semaines. On se sert de la même décoction pour laver les ulceres vénériens qui peuvent s'être formés sur les parties de la génération. Les sauvages dessechent aussi ces ulceres avec une racine séchée & pulvérisée que l'on répand sur la partie affligée ; cette racine est celle d'une plante, que M. Linnaeus appelle geum, floribus nutantibus, fructu oblongo, seminum caudâ molli plumosâ, Flora Suecica, p. 424 ; c'est la même que G. Bauhin désigne sous le nom de caryophyllata aquatica, nutante flore, 321 ; en françois benoite de riviere.

Lorsque le malade a fait usage pendant quelques jours de la décoction de la lobelia décrite ci-dessus, sans que l'on apperçoive aucun changement, on prend quelques racines d'une plante, que M. Gronovius appelle ranunculus, foliis radicalibus, reniformibus, crenatis, caulinis, digitatis, petiolatis, Gronovii flos virginiana 166 ; en françois renoncule de Virginie. Après avoir lavé ces racines, on en met une petite quantité dans la décoction de lobelia ; mais il faut en user avec précaution, de peur d'exciter des irritations, des purgations trop vives & des vomissemens. Toutes ces plantes se trouvent en Europe, ou peuvent s'y multiplier avec facilité.

M. Kalm nous apprend que d'autres sauvages d'Amérique se servent avec encore plus de succès pour la même maladie de la décoction d'une racine désignée par M. Linnaeus sous le nom de ceanothus, ou de celastus inermis, foliis ovatis serratis, trinerviis, Hort. Cliffort. 73, & Gronovii flor. virginiana 25. Cette plante est plus difficile à avoir que les autres ; cependant il y en a des piés au jardin royal des plantes ; M. Bernard de Jussieu soupçonne que cette racine est la même qu'une racine inconnue qui lui fut donnée il y a quelques années, & dont la décoction guérissoit en trois jours les gonorrhées les plus invétérées ; jamais il n'a pu découvrir le lieu natal de cette racine si efficace quelque peine qu'il se soit donné pour cela : ce savant botaniste croit que le ceanothus est la plante appellée evonymus novi belgii, corni faeminae foliis, Commelin. hort. Amstel. I. p. 167. Tab. LXXXVI. M. Kalm dit que cette décoction est d'un beau rouge, & se fait de même que celle de la lobelia. Il nous dit que lorsque le mal est fort enraciné, on joint à la décoction du ceanothus celle du rubus, caule aculeato, foliis ternatis, Linnaei flor. suecica 410 ; c'est le rubus vulgaris fructu nigro de G. Bauhin, 479 ; en françois ronce. M. Kalm assûre de la façon la plus positive qu'il n'y a point d'exemple qu'un sauvage n'ait point été soulagé & parfaitement guéri de la vérole la plus invétérée en faisant usage de ces remedes. Voyez les mémoires de l'académie de Stockholm, année 1750.


VENERISLACUS(Géog. anc.) Pline, l. XXXII. c. ij. parle de ce lac qu'il place à Hiérapolis de Syrie. C'étoit, selon Lucien, lib. de deâ Syria, un étang fort poissonneux, dans la ville même, près du temple de Junon. On y trouvoit de grands poissons qui avoient chacun leur non. J'en ai vu un plusieurs fois, dit Lucien, qui portoit sur l'aîleron de l'épine du dos un petit ouvrage d'or qu'on y avoit appliqué. On prétend, ajoute-t-il, ce que je n'ai pas vérifié, que cet étang a deux cent brasses de profondeur ; il y a au milieu un autel de pierre, qu'on diroit qui se remue vraisemblablement, parce qu'il est élevé sur des colonnes qui sont au fond de l'eau. Cet autel étoit toujours encensé par des personnes qui y abordoient à toute heure à la nage pour leurs dévotions. On y célébroit aussi de grandes fêtes, qu'on appelloit les descentes du lac. On y portoit tous les dieux, & Junon la premiere, de peur que Jupiter n'envisageât devant elle les poissons : elle le devançoit donc, & le prioit de se retirer, ce qu'il faisoit à la fin, après avoir un peu contesté. Voilà bien Lucien qui plaisante de toutes les superstitions de son tems. (D.J.)

VENERIS PORTUS, (Géog. anc.) port de la Gaule narbonnoise, sur la côte de la mer Méditerranée. Pomponius Méla, l. II. c. v. le marque entre les promontoires des Pyrénées, au voisinage & au nord de Cervaria. Ce port étoit fameux à cause d'un temple de Vénus qui y étoit bâti. C'est aujourd'hui le port Vendres.

2°. Veneris Portus, port d'Italie, dans la Ligurie. L'itinéraire d'Antonin le met entre Segesta & Portus Delphini, à trente milles du premier de ces lieux, & à dix-huit milles du second. Ce port, qui étoit aux confins de l'Etrurie, conserve encore présentement son ancien nom ; on l'appelle Porto-Venere.

3°. Veneris Portus, port d'Egypte, sur la côte du golfe arabique. Après le promontoire Drepanum vient, selon Ptolémée, l. IV. c. v. Myoshormus, autrement Muris-statio, fameux entrepôt, qui fut appellé ensuite Magnus-Portus, enfin Portus-Veneris. Strabon, l. XVI. fait aussi mention de ces différens noms. (D.J.)

VENERIS AENEADIS TEMPLUM, (Géog. anc.) 1°. Denys d'Halicarnasse, l. I. cap. l. dit qu'on nommoit ainsi le temple que les Troïens bâtirent à l'honneur de Vénus, lorsqu'ils furent arrivés sur la côte de l'Epire, & qu'ils eurent pris terre dans la péninsule appellée Leucas. Du tems de Denys d'Halicarnasse, ce temple étoit dans une petite île, entre la ville & l'isthme de cette péninsule qui avoit été creusée. 2°. Le même Denys d'Halicarnasse nous apprend que les Troyens éleverent un autre temple du même nom dans l'Epire, sur le promontoire d'Actium. Ils y bâtirent aussi le temple des grands dieux ; & ces deux temples subsistoient encore de son tems.

VENERIS ARSINOES FANUM, (Géograp. anc.) temple d'Egypte, sur le promontoire Zephirium, entre Canope & Alexandrie, selon Strabon, l. XVII. p. 800.


VENERSBOURGou WANERSBOURG, (Géog. mod.) petite ville de Suede, dans la Westrogothie, sur le lac Vener. (D.J.)


VENETI(Géog. anc.) il faut distinguer les Veneti de la Gaule, des Veneti d'Italie.

1°. Les Venetes de la Gaule celtique ou lyonnoise, dans l'Armorique, habitoient la péninsule au-dessus des Namuetes. César, l. III. Bell. Gall. c. jx. appelle leur pays Venetia ; je dis leur pays, car il ne leur donne aucune ville ; mais il dit que ces peuples avoient un grand avantage sur toutes les côtes des cités armoriques, à cause de leur habileté dans la marine, & de leurs vaisseaux qui alloient naviger dans la Grande-Bretagne. Il ajoute que comme la situation de la plûpart de leurs bourgades étoit sur les extrêmités des petites langues de terre avancées dans la mer, on n'en pouvoit approcher ni par terre, quand le flux de la haute mer venoit à s'enfler sur la côte, ce qui arrive tous les jours deux fois en douze heures ; ni par mer, parce que la marée se retirant, laissoit les vaisseaux embarrassés sur la vase & sur le sable ; de sorte que ces deux obstacles empêchoient d'assieger ces bourgades. On sait qu'encore aujourd'hui il y a plusieurs villes en Bretagne dans cette situation ; telles sont Vannes, Hennebon, Blavet, Quimperlay, Concarneau, Brest & autres, que le flux de la mer baigne en partie lorsqu'elle est haute, & laisse à sec quand elle est basse.

Les Venetes d'Italie habitoient à l'orient des Euganéens, & s'étendoient jusqu'à la mer, depuis la derniere embouchure du Pô près de Ravenne, jusqu'aux confins des Carni, aujourd'hui la Carniole, dans le Frioul.

Les Venetes ou Hénetes d'Italie, paroissent tirer leur origine de peuplades illyriennes qui entrerent en Italie dans le cours du seizieme siecle avant Jesus-Christ.

Ces Venetes ou Hénetes se conserverent long-tems sans aucun mêlange avec d'autres nations, & nous devons les distinguer des Liburnes, quoique Virgile, qui s'exprimoit en poëte, les confonde ensemble.

Hérodote, l. V. nous atteste l'origine illyrienne de ces Venetes, voisins d'Adria, dont Patavium ou Padoue étoit la capitale.

Strabon dit, que selon quelques auteurs, les Hénetes d'Italie étoient une colonie de venetes de la gaule : mais cette opinion avoit été d'avance réfutée par Polybe, qui nous les donne pour une nation beaucoup plus ancienne dans le pays que les Gaulois, & parlant une langue toute différente, quoiqu'ayant avec eux quelques traits de conformité, sur-tout par rapport à l'habillement. Tite-Live en parle sur le même ton. Ces Venetes étoient toujours en guerre avec les Gaulois, & par cette raison, ils firent de très-bonne heure alliance avec les Romains : ils contribuerent même à sauver Rome, par une diversion qui força les Gaulois à en lever le siege, pour aller défendre leur propre pays.

Les Grecs ont fort connu les Venetes, ils avoient quelques colonies sur leurs côtes, où ils porterent, entr'autre culte, ceux de la Diane de Calydon, & de la Junon d'Argos.

La tradition de la colonie troienne d'Antenor, étoit vraisemblablement fondée sur la ressemblance du nom des Venetes avec celui des Hénetes de l'Asie mineure, dont parle Homere, mais aucun monument n'a pu servir à l'appuyer. Le nom de Patavium, qu'on suppose bâtie par Anténor, tient beaucoup de celui de Patavio, ville de la Pannonie, sur la Drave : Cluvier, qui veut, à cause de la ressemblance du son, que le nom de Patavium soit le même que celui des Bataves, situés à l'embouchure du Rhin, ne songe pas que suivant l'observation de Polybe, les Vénetes parloient un autre langage que les Celtes, & que Patavium subsistoit long-tems avant l'invasion des gaulois.

Au reste, l'ancienne Venetia est aujourd'hui le Frioul, le Vicentin, & toute la partie maritime de l'état de Venise, qui borde le fond du golfe adriatique. (D.J.)


VENETICAEVENETICAE


VENETSS. m. terme de Pêche : c'est le nom que l'on donne dans quelques endroits au filet dont on forme les bas-parcs. Voyez PARCS.


VENEURS. m. c'est ainsi qu'on appelle en général le chasseur de certaines bêtes, comme le cerf, le chevreuil, le loup ; il faut qu'un veneur sache s'il veut prendre un cerf à force, qu'il y a une maniere de parler au chien quand il chassera le cerf, toute différente de celle qu'on doit observer lorsqu'il poursuit un sanglier ou autre bête noire : dans le premier cas, on crie & l'on sonne hautement, & d'un ton qui réjouit ;& dans le second, on parle au chien rudement ; on l'excite par des cris furieux. Le veneur en lançant un cerf, ou autre pareille bête, doit crier à son chien voile-ci, vai avant ; mais lorsque c'est un sanglier, ou autres animaux de cette nature, & qui mordent, il doit parler en pluriel, & dire voilez-ci, allez avant. Voyez VENERIE.

VENEUR (LE GRAND) DE FRANCE, officier du roi, qui a la surintendance de la vénerie, & prête serment entre les mains de sa majesté. Depuis Geffroi, maître veneur du roi, en 1231, sous S. Louis, jusqu'à M. le duc de Penthievre, qui occupe aujourd'hui cette charge, on compte trente-six grands veneurs.


VÉNÉZUELA(Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale. Elle est bornée au septentrion par la mer du Nord, au midi par la nouvelle Grenade, au levant par la province de Cumana, & au couchant par celle de Rio de la Hacha, sur un golfe de même nom. Le terroir produit en quelques endroits deux recoltes. Cette province a été découverte en 1499, par Alphonse Ojéda qui avoit sur son bord Améric Vespuce, riche marchand florentin. Sa capitale se nomme Macaraïbo, dont la longitude est 309. latit. 10. 12.

Ojéda & Vespuce ayant découvert en Amérique par les onze degrés de latitude septentrionale, un grand golfe, le nommerent Vénézuela, ou petite Venise, à cause d'un village qu'ils y trouverent bâti sur pilotis, dans des petites îles, avec des especes de ponts de communication de l'une à l'autre.

Quelques années après, le facteur royal Jean d'Amquez eut ordre, en 1527, d'aller s'y établir avec 60 hommes qu'on lui donna. Il débarqua à l'endroit où Ojéda avoit trouvé cette bourgade, bâtie à la maniere de Venise, au milieu d'une lagune ; & il s'allia avec Manauré, cacique puissant, ce qui lui facilita l'exécution des ordres dont il étoit chargé. Il bâtit la ville de Coro dans une situation très-avantageuse, & il se rendit maître sans beaucoup de peine de toute cette belle province, comme aussi des îles de Curaçao ou Coraçol, d'Otuba, & de Bonayre, qui ne sont qu'à 14 lieues.

Les Velses, riches marchands d'Augsbourg, qui avoient fait de grandes avances à Charles-Quint, ayant oui parler de Vénézuela, comme d'un pays abondant en or, en obtinrent de cet empereur le domaine à titre de paiement, pendant un tems limité, & à de certaines conditions. Ils confierent l'exécution de leur entreprise à un allemand nommé Affinger, qui arriva à Vénézuela, en 1529 avec trois navires qui portoient quatre cent hommes de pié ; mais cette colonie périt bientôt, parce qu'Affinger au lieu de gagner l'amitié des Indiens, ne songea qu'à satisfaire son avarice par toutes sortes d'actions barbares, ce qui revolta les peuplent qui le tuerent, & lui couperent la tête, juste récompense de ses cruautés.(D.J.)


VENGEANCE(Droit naturel) peine qu'on fait souffrir à son ennemi, soit par raison, soit par ressentiment d'une offense qu'on en a reçue.

La vengeance est naturelle ; il est permis de repousser une véritable injure, de se garantir par-là des insultes, de maintenir ses droits, & de venger les offenses où les loix n'ont point porté de remede ; ainsi la vengeance est une sorte de justice ; mais j'entends la voix des sages, qui me disent qu'il est beau de pardonner, qu'on doit de l'indulgence à ceux qui nous ont manqué en des choses légeres, & du mépris à ceux qui nous ont réellement offensé : l'homme qui a profité des lumieres de tous les siecles, condamne tout ce qui n'est que pure vengeance ; celles qui partent d'une ame basse & lâche, il les abhorre, & les compare à des fleches honteusement tirées pendant la nuit. Enfin il est démontré que les personnes d'un esprit vindicatif ressemblent aux sorciers, qui font des malheureux, & qui à la fin sont malheureux eux-mêmes ; je conclus donc que c'est une grande vertu d'opposer la modération à l'injustice qu'on nous a faite. (D.J.)


VENGEUR DU SANG(Critique sacrée) la loi de Moïse permettoit au vengeur du sang, qui devoit être le plus proche parent ou héritier d'une personne tuée par quelque cas fortuit, de venger son sang ; c'est-à-dire, que si ce parent trouvoit le meurtrier involontaire hors des bornes de l'asile, il lui étoit permis parla loi de le tuer sans autre façon ; encore même que le malheureux homicide eût été déclaré innocent par les juges, l'héritier du sang ne sera point coupable de meurtre, dit le législateur, Nombre, c. xxv. v. 27.

Il ne s'ensuit point de-là néanmoins, que ce vengeur du sang, en tuant à son tour l'homicide involontaire, fût innocent devant le tribunal de la conscience, devant Dieu, & selon le droit naturel ; mais Moïse avoit jugé à propos, par des raisons politiques, d'accorder l'impunité au vengeur du sang devant les juges civils ; ainsi ces mots, il ne sera point coupable de meurtre, veulent dire seulement, les juges civils ne pourront pas le condamner comme meurtrier. Apparemment que le législateur regardoit dans ce cas particulier, qu'il y avoit de la faute du mort, qui auroit dû ne pas sortir des bornes de l'asyle, comme la loi l'avoit défendu pour de très-bonnes raisons ; il n'ignoroit donc pas la loi, ensorte que pour ne point s'exposer aux malheurs qui en pouvoient résulter, il devoit auparavant, pour se mettre à couvert de la loi, faire dans l'asyle même, & sans en sortir, son accommodement avec le plus proche parent, ou l'héritier de celui qu'il avoit tué par malheur, & fort involontairement. (D.J.)


VENIATS. m. (Gram. & Jurisprud.) terme latin usité dans le discours françois pour exprimer l'ordre qui est donné à quelqu'officier de justice, soit par son supérieur ou par le roi même pour venir en personne rendre compte de sa conduite. Voyez LETTRE DE CACHET. (A)


VENICNIUMVENICNIUM


VÉNIELPECHE, (Théolog.) les théologiens catholiques définissent le péché véniel, un péché qui affoiblit en nous la grace sanctifiante, quoiqu'il ne nous l'ôte pas, telle qu'une legere impatience, un murmure, un doute involontaire contre la foi, &c.

La confession des péchés véniels n'est pas absolument nécessaire, mais elle est fort utile soit pour humilier, soit pour purifier de plus en plus le pécheur. Ce qui caractérise le péché véniel, & le différencie du péché mortel, c'est quand sa matiere est legere, ou que le consentement de la volonté est imparfaite.

Les prétendus reformés rejettent cette distinction de péchés mortels & véniels, & soutiennent que tous les péchés, quelque griefs qu'ils soient, sont véniels, c'est-à-dire, pardonnables ; or tout cela n'est qu'une dispute de mots ; car les catholiques conviennent également qu'il n'y a point de péchés irrémissibles. Mais les protestans ajoutent que tous les péchés quelques legers qu'ils puissent être, sont mortels, parce qu'ils offensent tous Dieu. Doctrine également opposée à la religion, qui dicte que les plus justes ne sont pas exempts des fautes de foiblesse & d'infirmité ; & à la raison qui démontre que tous les péchés ne sont pas égaux, ainsi que le prétendoient les stoïciens. Voyez STOÏCIEN.


VÉNILIES. f. (Mythol.) Venilia, nymphe, femme de Daunus, & soeur d'Amate, mere de Lavinie, qui eut Turnus pour fils, selon Virgile. Vénilie, dit Varron, est l'eau qui vient baigner la riviere. (D.J.)


VENIMEUXVÉNÉNEUX, (Synon.) on dit l'un & l'autre ; les scorpions & les viperes sont des bêtes vénéneuses ou venimeuses ; on tire des remedes des serpens les plus venimeux ou les plus vénéneux.

Venimeux se dit seul dans le figuré ; une langue venimeuse, pour médisante. Venimeux dans le propre est beaucoup plus en usage que vénéneux.

Selon l'académie, venimeux ne se dit proprement que des animaux, ou des choses auxquelles ces animaux ont communiqué leur venin ; & vénéneux ne se dit ordinairement que des plantes ; la chenille est venimeuse ; la ciguë est vénéneuse. (D.J.)


VENIRv. n. (Gram.) se transporter d'un lieu où l'on est dans un autre. Voilà son acception la plus commune. Il en est beaucoup d'autres, comme il paroît par les exemples suivans. Venir se dit d'un lieu où l'on n'est pas, à celui où l'on est, & aller se dit du lieu où l'on est au lieu où l'on n'est pas. Viendrez-vous à notre campagne. Venez à la promenade avec nous. L'orage vient de ce côté. Il vient du vent par cette ouverture. Il lui est venu mal aux yeux. Il en est venu à-bout, quoique la chose fût difficile. Je ne sais comment cette pensée me vint. Cette affaire vint aux oreilles du prince. La mort, la mort, il en faut venir-là. Il en vint à un tel point d'insolence, qu'il fallut la réprimer. Je viens de chez lui. Il vient de me parler. Il vient d'être expédié. Cela vient à vue d'oeil. On vient au monde avec la pente au mal. Cet ouvrage est bien venu. La mode en vient. Les blés viennent mal en cet endroit. La raison ne lui viendra jamais. Cette nouvelle vient de bon lieu. Il m'est venu un bon lot. Il vient à mourir au moment où l'on en avoit besoin. Venez au fait. Ils en vinrent aux mains. Ce secours me vient à-propos, &c.


VENISE(Géog. mod.) ville d'Italie, capitale de la république, & sur le golfe de même nom, au centre des Lagunes, à 1 lieue de la Terre-ferme, à 33 de Ravenne, à 40 au nord-est de Florence, à 50 au levant de Milan, à 87 au nord de Rome, & à 95 de Vienne en Autriche. Long. suivant Cassini, 30. 11. 30. lat. 45. 25. & Long. suivant Manfredi, 30. 12. 45. lat. 45. 33.

Elle doit sa naissance aux malheurs dont l'Italie fut affligée dans le cinquieme siecle, par les ravages des Goths & des Visigoths. Quelques familles de Padoue se retirerent à Rialto : les autres îles des Lagunes devinrent ensuite le refuge de ceux qui se déroberent aux fureurs d'Attila dans le sac d'Aquilée, & de quelques villes des environs, que le roi des Huns détruisit ; les misérables restes de toutes ces villes peuplerent les îles des Lagunes, & y bâtirent des cabanes, qui furent les fondemens de la superbe Venise, aujourd'hui l'une des plus belles, des plus considérables, & des plus puissantes villes de l'Europe.

De quelque endroit qu'on y aborde, soit du côté de la terre-ferme, soit du côté de la mer, l'aspect en est toujours également singulier. On commence à l'appercevoir de quelques milles de loin, comme si elle flottoit sur la surface de la mer, & environnée d'une forêt de mâts de vaisseaux & de barques, qui laissent peu-à-peu distinguer ses principaux édifices, & en particulier ceux du palais & de la place de saint Marc.

Cette ville est toute bâtie sur pilotis, & a été fondée non-seulement dans les endroits où la mer parut au commencement découverte, mais encore où l'eau avoit beaucoup de profondeur, afin qu'en rapprochant par ce moyen un grand nombre de petites îles qui environnoient celle de Rialto, qui étoit la principale, & les joignant par des ponts, on pût en former le vaste corps de la ville, dont la grandeur, la situation & la majesté extérieure font un effet admirable. Tout le monde connoît les beaux vers de Sannazar à la gloire de Venise, & elle a eu raison de les graver sur le marbre.

Viderat Adriaticis Venetam Neptunus in undis

Stare urbem, & toto dicere jura mari :

I, nunc tarpeias, quantùmvis Jupiter arces

Objice, & illa tui moenia Martis, ait.

Si Tiberim Pelago confers, urbem aspice utramque,

Illam homines dices, hanc posuisse deos.

Quoique Venise soit ouverte de toutes parts, sans portes, sans murailles, sans fortifications, sans citadelle & sans garnison ; elle est cependant une des plus fortes places de l'Europe. On y compte environ cent cinquante mille habitans, soixante-douze paroisses dont les églises sont fort petites, une trentaine de couvens de religieux, & au-moins autant de monasteres de religieuses, outre plusieurs confrairies de pénitens, qu'on appelle écoles. Elle contient un assemblage prodigieux des plus beaux tableaux de la peinture ; elle possede tous ceux de Tintoret, de Paul Véronèse, & les plus précieux ouvrages du Titien.

Un très-grand nombre de canaux qui donnent de toutes parts entrée dans la ville, & la traversent de tous les sens, la divisent en une si grande quantité d'îles, qu'il y a des maisons seules entourées d'eau des quatre côtés ; mais s'il n'y a point d'endroits à Venise où l'on ne puisse aborder en gondole, il n'y en a guere aussi où l'on ne puisse aller à pié, par le moyen de plus de quatre cent ponts, qui procurent la communication d'un grand nombre de petites rues qui percent la ville, & de plusieurs quais qui bordent les canaux.

Il est vrai que la plûpart de ces quais sont si peu larges, que deux personnes ont de la peine à passer de front ; les plus spacieux n'ont ni appui, ni balustrades, & sont coupés vis-à-vis de chaque maison par des marches qui descendent dans les canaux, afin de pouvoir entrer commodément dans les gondoles, & en sortir.

Ces fréquentes descentes qu'on appelle des rives, étrécissent si fort ces quais, que les passans sont obligés, sur-tout pendant la nuit, de se ranger près des maisons, pour ne pas s'exposer à tomber dans l'eau. La profondeur du grand canal est considérable ; mais celle des autres canaux n'est que de 5 à 6 piés, lorsque par la marée l'eau est à la plus grande hauteur.

A l'égard des ponts, la plûpart sont de pierre & de brique, & ils sont si délicatement bâtis, que l'arche n'a ordinairement que 8 pouces d'épaisseur. Les bords & le milieu sont de chaînes de pierre dure, & assez élevés pour donner passage aux gondoles & aux grandes barques, qui vont incessamment par les canaux. On y monte de chaque côté par quatre ou cinq marches d'une pierre blanche, qui approche de la nature du marbre, &qui devient si glissante, que pendant la pluie & la gelée, il est difficile de s'empêcher de tomber ; & comme ces ponts n'ont point de garde-fous, la chûte n'est pas peu dangereuse.

rien ne contribue davantage à la beauté de Venise, que son grand canal, qui a près de 2 milles de longueur, & 50 à 60 de largeur. Comme il fait plusieurs retours dans le milieu de la ville, on la traverse souvent deux à trois fois pour aller en gondole par le chemin le plus court d'un côté de la ville à l'autre. Son eau est toujours assez belle à cause de so profondeur, & du courant du flux & du reflux : les galeres & les grandes barques chargées y trouvent assez de fonds. Il est bordé des plus beaux palais ; mais outre qu'il lui manque un quai continué d'un bout à l'autre, les palais qui le bordent sont entremêlés de petites maisons qui les déparent.

Ce grand canal qui partage Venise en deux partie presque égales, n'a que le seul pont de Rialto qui se trouve au centre de la ville ; c'est un pont fort large, & tout bâti de pierres de taille aussi dures que le marbre ; il a couté 250000 ducats ; mais comme l'incommodité seroit trop grande pour les habitans, si l'on étoit obligé d'aller chercher le pont toutes les fois qu'on veut passer d'un côté de la ville à l'autre, ily a de distance en distance dans toute la longueur du canal, des gondoliers établis par la police, pour porter les passans à un prix réglé en quelqu'endroit qu'ils veulent aller.

Toutes les rues sont pavées de briques, mises sur le côté ; & comme il n'y passe ni carrosses, ni chevaux, ni charettes, ni trainaux, on y marche fort commodément. Les bouts de chaque rue ont été tenus assez larges, & on a ménagé un grand nombre de petites places, outre celle que chaque église a devant son portail.

On a pratiqué dans toutes ces places, des cîternes publiques d'eau de pluie, qui se ramasse dans des gouttieres de pierre placées au haut des maisons, & tombe par des tuyaux dans les éponges des cîternes. Ceux qui veulent avoir encore de meilleure eau & en plus grande quantité, en envoient remplir des bateaux dans la Brente, & la font jetter dans leurs cîternes, où elle se purifie & devient très-bonne à boire.

La place de S. Marc fait du côté de la mer, le plus bel aspect de Venise. Il y a toujours vis-à-vis de cette place une galere armée, prête à défendre le palais dans quelque émotion populaire. Elle sert encore à l'apprentissage des forçats, dont on équipe les galeres de la république. Cette place est fermée du côté de l'orient par le palais ducal de S. Marc, qui est un gros bâtiment quarré, enrichi de deux portiques l'un sur l'autre. On voit au premier étage de ce palais, un grand nombre de chambres dans lesquelles s'assemblent autant de différens magistrats pour y rendre la justice. La premiere rampe du second étage conduit aux appartemens du doge ; la seconde mene aux salles du college de prégadi, du scrutin, du conseil des dix, des inquisiteurs d'état, & du grand-conseil ; les murailles sont tapissées çà & là de tableaux des maîtres de l'école Lombarde, & d'autres célébres peintres.

L'église de S. Marc est proprement la chapelle du doge, & on y fait toutes les cérémonies solemnelles. Cette église est collégiale, & n'a aucune jurisdiction au-dehors. Les vingt-six chanoines qui la composent, ainsi que le primicier ou le doyen du chapitre, sont à la nomination du doge ; c'est toujours un noble vénitien qui est pourvû de la dignité de primicier, dont le revenu est d'environ 5000 ducats, sans une abbaye qu'on y joint ordinairement.

L'église de S. Marc est remarquable par ses richesses qu'on appelle communément le trésor de Venise ; cependant il faut distinguer le trésor de l'église, du trésor de la république. Les reliques sont le trésor de l'église ; & parmi ces reliques, on voit des châsses d'or & d'argent enrichies de pierreries, avec une bonne quantité d'argenterie pour l'usage & pour l'ornement de l'autel.

Dans un lieu joignant celui où l'on garde les reliques, on voit les richesses du trésor de la république, arrangées sur les tablettes d'une grande armoire, dont le fonds est de velours noir, pour le faire éclater davantage. Une balustrade dans laquelle se tient le procurateur qui en a les clés, empêche qu'on ne puisse approcher d'assez près pour y atteindre de la main. Les richesses de ce trésor consistent en corcelets d'or, couronne ducale, quantité de vases d'agate, de cornaline, &c.

La république avoit autrefois dans son trésor des richesses beaucoup plus considérables, entr'autres une chaîne d'or qu'on étendoit le long du portique du palais, & douze à quinze millions d'or monnoyé qu'on étaloit aux yeux du peuple dans certains jours de solemnités ; mais la guerre de Candie a épuisé & le prix de la chaîne, & les douze ou quinze millions d'or monnoyés.

L'arsenal de Venise est le fondement des forces de l'état. Son enceinte est fermée de murailles, flanquées de petites tours. On fabrique dans cette enceinte les vaisseaux, les galeres, & les galéasses. Les salles de l'arsenal sont remplies de toutes sortes d'armes, pour les troupes de terre & de mer. Sous ces mêmes salles sont des magasins séparés qui contiennent toutes sortes d'attirail & d'équipage de guerre. L'arsenal se gouverne comme une petite république. On y fait bonne garde, & les ouvriers y travaillent sous l'autorité de trois nobles vénitiens, qui résident dans l'arsenal, & qu'on ne change que tous les trois ans. La république entretient ordinairement trois ou quatre cent ouvriers dans son arsenal pendant la paix.

Outre les avantages que Venise partage avec les autres villes maritimes, elle en retire encore un particulier de sa situation au milieu des lagunes, qui sont comme le centre où aboutissent diverses rivieres, entr'autres le Pô, l'Adige, la Brente, la Piave, & quantité de canaux que la république a fait creuser pour le commerce étranger, commerce sans lequel Venise seroit bientôt misérable, & qui même est à présent réduit à celui d'Allemagne & de Constantinople : mais la banque de Venise dont le fonds est fixé à cinq millions de ducats, conserve encore son crédit.

Les Venitiens, suivant la coutume fanfaronne d'Italie, ont donné une description superbe de leur capitale, sous le titre de Splendor orbis Venetiarum, 2. vol. in-fol. avec figures. Crasso (Lorenzo) a de son côté publié en italien les éloges des hommes de Lettres nés à Venise ; cette bibliographie parut en 1666, en 2. vol. in 4 °. Il est certain que Venise a produit depuis la renaissance des Lettres des savans distingués en tout genre ; on en jugera par mon triage.

Entre les papes natifs de cette ville, j'y trouve Eugene IV. Paul II. & Alexandre VIII.

Eugene IV. appellé auparavant Gabrieli Condolmerio, étoit d'une famille obscure ; il fut élu cardinal en 1408, & pape en 1431, pendant la tenue du concile de Bâle. Les peres de ce concile déclarerent que le pontife de Rome n'avoit ni le droit de dissoudre leur assemblée, ni même celui de la transférer. Sur cette déclaration Eugene pour marquer sa puissance, ordonna la dissolution du concile, en convoqua un nouveau à Ferrare, & ensuite à Florence, où l'empereur grec, son patriarche, & plusieurs des prélats grecs, signerent le grand point de la primatie de Rome. Dans le tems qu'Eugene rendoit ce service aux Latins en 1439 ; le concile de Bâle le déposa du pontificat, & élut Amédée VIII. duc de Savoye, qui s'étoit fait hermite à Ripaille par une dévotion que le Poggio est bien loin de croire réelle. Cet anti-pape prit le nom de Félix V. & dix ans après, il donna son abdication, qui lui procura de Nicolas V. un indult par lequel le pape s'engage de ne nommer à aucun bénéfice consistorial dans ses états, sans le consentement du souverain ; Eugene mourut en 1447.

Paul II. en son nom Pierre Barbo, neveu par sa mere d'Eugene IV. succéda à Pie II. l'an 1464, & mourut d'apopléxie l'an 1471, à 54 ans. Platine qu'il avoit dépouillé de tous ses biens, & mis deux fois très-injustement en prison, ne l'a point ménagé dans ses écrits. Ce qu'il y a de certain, c'est que ce pape n'aimoit pas les gens de Lettres, & qu'il supprima le collége des abréviateurs, composé des plus beaux esprits de Rome : Humanitatis studia ita oderat, ut ejus studiosos uno nomine haereticos appellaret. Il étendit la bulle des cas réservés aux papes, beaucoup plus loin que ses prédécesseurs, afin de s'enrichir davantage. Il obligea les cardinaux de signer toutes les bulles sans leur en donner aucune connoissance. Il envoya en France en 1467, le cardinal d'Arras, pour faire vérifier au parlement les lettres-patentes, par lesquelles le roi Louis XI. avoit aboli la pragmatique-sanction ; mais le procureur général & l'université de Paris s'opposerent à cet enregistrement. C'est encore Paul II. qui par une bulle du 19 Avril 1470, réduisit le jubilé à 25 ans, en espérance, dit Du-Plessis Mornay, de jouir de cette foire l'an 1475 ; mais ce fut son successeur Sixte IV. qui en tira le profit.

Alexandre VIII. de son nom Pierre Ottoboni, succéda à 79 ans au pape Innocent XI. en 1689, & mourut deux ans après. Il avoit en mourant fait deux choses ; 1°. fulminé une bulle contre l'assemblée du clergé de France, tenue en 1682, & 2°. distribué à ses neveux tout ce qu'il avoit amassé d'argent. Ce dernier trait de sa vie fit dire à Pasquin, qu'il auroit mieux valu pour l'Eglise être sa niece que sa fille.

Passons aux savans nés à Venise : je trouve d'abord les Barbaro ; & si leur famille n'est pas une des vingtquatre nobles, elle est du-moins la plus illustre dans les Lettres.

Barbarus (François) réunit les sciences au maniment des affaires d'état ; en même tems qu'il rendit de grands services à sa patrie, il traduisit du grec la vie d'Aristide & de Caton, après avoir donné son ouvrage de re uxoriâ ; il mourut l'an 1454.

La même année naquit son petit-fils Barbarus (Hermolaüs) un des savans hommes de son siecle. Les emplois publics dont il fut chargé de très-bonne heure auprès de l'empereur Frédéric, & de Maximilien son fils, ne le détournerent point de l'étude. Il traduisit du grec plusieurs ouvrages d'Aristote, ainsi que Dioscoride, qu'il mit au jour avec un docte commentaire. Il étoit ambassadeur de Venise auprès d'Innocent VIII. lorsque le patriarche d'Aquilée vint à mourir. Aussi-tôt le pape lui conféra cette place, qu'il eut l'imprudence d'accepter sans le consentement de ses supérieurs ; la république fut irritée, le bannit, & confisqua ses biens. Cependant il n'étudia jamais avec tant d'application que depuis que sa patrie l'eut maltraité. Sa disgrace nous a procuré le meilleur de ses ouvrages, son édition de Pline, publiée l'an 1492 ; il y corrigea près de cinq mille passages ; il a rompu la glace, & s'il a souvent fait des plaies à son auteur, il l'a aussi très-souvent rétabli ; il mourut à Rome l'an 1493.

Barbarus (Daniel) mort en 1569, à l'âge de 41 ans, avoit été ambassadeur en Angleterre, & fut un des peres du concile de Trente. Il a donné la prattica della perspettiva, Venise 1559 ; & il mit au jour dans la même ville l'an 1567, un commentaire sur Vitruve. Il étoit en même tems si prévenu pour Aristote, qu'il lui auroit volontiers prêté serment de fidélité, s'il n'avoit pas été chrétien.

Bembo (Pierre) en latin Bembus, noble vénitien, l'un des plus polis écrivains du xvj. siecle, naquit en 1470. Il parut beaucoup à la cour du duc de Ferrare, & à celle du duc d'Urbin, qui étoient alors le rendez-vous des plus beaux esprits. Léon X. le nomma son sécretaire avec Sadolet, avant que de sortir du conclave, où il fut promu à la papauté. Paul III. le créa cardinal en 1538, & lui donna un évêché ; il mourut l'an 1547, dans sa 77 année ; Jean de la Caza a écrit sa vie.

Son premier livre est un traité latin, de monte Aetna, qui parut l'an 1486 : à l'âge de vingt-six ans, il écrivit gli Azolani, qui sont des discours d'amour, ainsi nommés, parce qu'on suppose qu'ils furent faits dans le château d'Azolo. Ils ont été traduits en françois en 1545 ; on le blâme justement d'avoir donné cet ouvrage, & d'autres poésies encore plus licencieuses, que Scaliger appelloit elegantissimas obscaenitates. Nous parlerons de son histoire de Venise à l'article de cette république.

Egnatio (Jean-Baptiste) en latin Egnatius ; célebre humaniste du xvj. siecle, étoit disciple d'Ange Politien. Il enseigna les Belles-Lettres dans Venise sa patrie avec une réputation extraordinaire, & n'obtint que dans un âge décrépit la démission de son emploi ; mais on lui conserva une pension de deux cent écus de rente, ducentos aureos nummos, & ses biens furent affranchis de toutes sortes d'impôts. Il laissa sa petite fortune, sa belle bibliotheque, son cabinet de médailles, & sa collection d'antiques, à trois illustres familles de Venise ; il mourut en 1553, âgé de 80 ans.

Ses ouvrages sont 1°. de romanis principibus vel Caesaribus, libri tres. L'abbé de Marolles a traduit ce livre en françois l'an 1664, 2°. de Origine Turcarum, 3°. observationes in Ovidium ; 4°. Interpretamenta in familiares epistolas Ciceronis ; 5°. de exemplis illustrium virorum, &c. Mais il parloit mieux qu'il n'écrivoit, & ne mérite pas dans ses livres la qualité de cicéronien qu'on lui a donnée.

Corradus rapporte un fait assez curieux sur la facilité de son élocution. Egnatius étant sur le point de finir une harangue, vit entrer le nonce du pape dans l'auditoire ; il recommença son discours, le répéta tout différemment, & avec encore plus d'éloquence que la premiere fois ; de sorte que ses amis lui conseillerent de continuer ses harangues, ses leçons, & de ne plus écrire.

Paul & Alde Manuce, ont fait beaucoup d'honneur à leur patrie par leur érudition. Le premier né en 1512, fut nommé par Pie IV. chef de l'Imprimerie apostolique ; il mourut en 1574, à 62 ans. On a de lui, 1°. une édition estimée des oeuvres de Cicéron avec des notes & des commentaires : 2°. des épîtres en latin & en italien ; 3°. les traités de legibus romanis ; de dierum apud Romanos veteres ratione ; de senatu romano ; de civitate romanâ ; de comitiis Romanorum.

Manuce (Alde) dit le jeune, fils de Paul, & petit-fils d'Alde Manuce, le premier imprimeur de son tems, surpassa la réputation de son pere. Il vint à Rome, où il enseigna les humanités, mais avec si peu de profit, qu'il fut obligé pour vivre de vendre la magnifique bibliotheque que son pere, son ayeul, & ses grands-oncles, avoient recueillie avec un soin extrême, & qui, dit-on, contenoit quatre-vingt mille volumes. Il mourut en 1597, sans autre récompense que les éloges dûs à son mérite. Ses ouvrages principaux, sont des commentaires sur Cicéron, & sur l'art poétique d'Horace, de quaesitis per epistolas libri tres ; commentarius de orthographiâ ; Tractatus de notis veterum, & d'autres livres sur les Belles-Lettres en latin & en italien.

Fra-Paolo Sarpi (Marco) que nous nommons en françois le pere Paul, est un des hommes illustres dont Venise a le plus de raison de se glorifier. Il naquit en 1552, & montra dès son enfance deux qualités qu'on voit rarement réunies, une mémoire prodigieuse, & un jugement exquis ; il prit l'havit de servite en 1566, & s'appliqua profondément à l'étude des Langues, de l'Histoire, du Droit canon, & de la Théologie ; ensuite il étudia la Philosophie expérimentale, & l'Anatomie. Il fut tiré de son cabinet pour entrer dans les affaires politiques, à l'occasion du fameux différend qui s'éleva entre la république de Venise, & la cour de Rome, au sujet des immunités ecclésiastiques.

Le pere Paul choisi par la république pour son théologien, & l'un de ses consulteurs, prit la plume pour la défense de l'état, & écrivit une piece sur l'excommunication. Cette piece a paru en françois sous le titre de droit des souverains, défendu contre les excommunications, &c. mais dans l'italien, elle est intitulée : Consolation de l'esprit pour tranquilliser les consciences de ceux qui vivent bien, contre les frayeurs de l'interdit publié par Paul V. Il mit au jour plusieurs écrits à l'appui de cet ouvrage, & fit un traité sur l'immunité des lieux sacrés dans l'étendue de la domination vénitienne.

Il eut la plus grande part au traité de l'interdit publié au nom des sept théologiens de la république, dans lequel on prouve en dix-neuf propositions, que cet interdit étoit contre toutes les loix, que les ecclésiastiques ne pouvoient y déférer avec innocence, & que les souverains en devoient absolument empêcher l'exécution. La cour de Rome le fit citer à comparoître ; au lieu d'obéir, il publia un manifeste pour prouver l'invalidité de la citation.

Le différend entre la république de Venise & le pape, ayant été terminé en 1607, le pere Paul fut compris dans l'accommodement ; mais quelques mois après, il fut attaqué en rentrant dans son monastere, par cinq assassins qui lui donnerent quinze coups de stilets ; dont il n'y en eut que trois qui le blesserent dangereusement, deux dans le col & un au visage.

Le sénat se sépara sur le champ à la nouvelle de cet attentat, & la même nuit les sénateurs se rendirent au couvent des Servites, pour les ordres nécessaires aux pansemens du malade. On ordonna qu'il seroit visité chaque jour par les magistrats de semaine, outre le compte que les médecins viendroient en rendre journellement au sénat. On décerna des récompenses à quiconque indiqueroit les assassins, ou tueroit quelqu'un qui voudroit attenter désormais à la vie du pere Paul, ou découvriroit quelque conspiration contre sa personne. Enfin après sa guérison, le sénat lui permit de se faire accompagner par des gens armés, & pour augmenter sa sûreté, lui assigna une maison près de S. Marc. La république créa chevalier Aquapendente qui l'avoit guéri, & lui fit présent d'une riche chaîne & d'une médaille d'or. C'est ainsi que le sénat montra l'intérêt qu'il prenoit à la conservation de ce grand homme, & lui-même prit le parti de vivre plus retiré du monde qu'il n'avoit encore fait.

Dans sa retraite volontaire, il écrivit son histoire immortelle du concile de Trente, dont il avoit commencé à recueillir les matériaux depuis très-longtems. Cette histoire fut imprimée pour la premiere fois à Londres en 1619, in-fol. & dédiée au roi Jaques I. par l'archevêque de Spalatro. Elle a été depuis traduite en latin, en anglois, en françois, & en d'autres langues ; le pere le Courayer en a donné une nouvelle traduction françoise, imprimée à Londres en 1736, en deux volumes in-fol. & réimprimée à Amsterdam la même année, en deux volumes in-4°. c'est une traduction précieuse.

Le style & la narration de cet ouvrage sont si naturels & si mâles, les intrigues y sont si bien développées, & l'auteur y a semé par-tout des réflexions si judicieuses, qu'on le regarde généralement comme le plus excellent morceau d'histoire d'Italie. Fra-Paolo a été très-exactement informé des faits, par les archives de la république de Venise, & par quantité de mémoires de prélats qui s'étoient trouvés à Trente.

Le cardinal Pallavicini n'a remporté d'approbation que celle de la cour de Rome. Il s'avisa trop tard de nous fabriquer l'histoire du concile de Trente., & sa conduite nous a dispensé d'ajouter foi à ses discours. Il est vrai qu'il nous parle des archives du Vatican, qu'on lui a communiquées, mais c'est une affaire dont on croit ce que l'on veut, sur-tout quand les pieces ne sont pas publiques ; ajoutez que les sources du Vatican ne sont pas des sources fort pures. Le style pompeux du Pallavicini tombe en pure perte, & la maniere dont il traite Fra-Paolo, ne lui a pas acquis des suffrages. On dit qu'en échange des fautes réelles, il a saisi celles d'impression, pour en faire des erreurs à l'auteur.

Le nom de Paolo étoit devenu si fameux dans toute l'Europe, que les étrangers venoient en Italie pour le voir ; que deux rois tâcherent par des offres fort avantageuses, de l'attirer dans leurs états ; & que divers princes lui firent l'honneur de lui rendre visite. Je ne dois point oublier dans ce nombre le prince de Condé, qui étant journellement admis aux délibérations du sénat, obtint de ce corps la permission de voir & d'entretenir le fameux Servite, qui s'occupoit dans son couvent de choses plus importantes que d'affaires monastiques.

Je sai bien que le cardinal du Perron dit en parlant du pere Paul, " je n'ai rien trouvé d'éminent dans ce personnage, & n'ai vu rien en lui que de commun " ; mais ce jugement sur un homme si supérieur en toutes choses à celui qui le tenoit, est inepte, ridicule, plein de malignité & de fausseté.

Paolo mourut couvert de gloire le 14 Janvier 1623. âgé de 71 ans, ayant conservé son jugement & son esprit jusqu'au dernier soupir ; il se leva, s'habilla lui même, lut, & écrivit comme de coutume la veille de sa mort. On lui fit des funérailles très-distinguées. Le sénat lui éleva un monument, & Jean-Antoine Vénério, patrice vénitien, composa l'épitaphe qu'on y grava. Quoique plusieurs rois & princes souhaitassent d'avoir son portrait, il s'excusa constamment de se faire peindre, & même il le refusa à son intime ami Dominique Molini.

Mais voici ce qu'écrivit le chevalier Henri Wotton, dans sa lettre du 17 Janvier 1637, au docteur Collins professeur en théologie à Cambridge. " Puisque je trouve une bonne occasion, Monsieur, si peu de tems après celui où les amis ont coutume de se faire de petits présens d'amitié, permettez-moi de vous envoyer en guise d'étrennes, une piece qui mérite d'avoir une place honorable chez vous, c'est le portrait au naturel du fameux pere Paul, servite, que j'ai fait tirer par un peintre que je lui envoyai, ma maison étant voisine de son monastere. J'y ai depuis mis au bas un titre de ma façon, Concilii tridentini eviscerator : vous verrez qu'il a une cicatrice au visage, qui lui est restée de l'assassinat que la cour de Rome a tenté, un soir qu'il s'en retournoit à son couvent : (reliquiae wottonianae) ".

Fra-Paolo, dit le P. le Courayer, à l'imitation d'Erasme, de Cassander, de M. de Thou, & autres grands hommes, observoit de la religion romaine, tout ce qu'il en pouvoit pratiquer sans blesser sa conscience ; & dans les choses dont il croyoit pouvoir s'abstenir par scrupule, il avoit soin de ne point scandaliser les foibles. Egalement éloigné de tout extrême, il désapprouvoit les abus des Catholiques, & blâmoit la trop grande chaleur des Protestans. Il désiroit la réformation des papes, & non leur destruction ; il en vouloit à leurs abus, & non à leur place ; il étoit ennemi de la superstition, mais il adoptoit les cérémonies ; il s'asservissoit sans répugnance à l'autorité de l'église dans toutes les choses de rit & de discipline, mais il souhaitoit aussi qu'on les rectifiât ; il haïssoit la persécution, mais il condamnoit le schisme ; il étoit catholique en gros, & protestant en détail ; il abhorroit l'inquisition comme le plus grand obstacle aux progrès de la vérité. Enfin il regardoit la réformation comme le seul moyen d'abaisser Rome, & l'abaissement de Rome, comme l'unique voie de faire refleurir la pureté de la religion.

Sa vie a été donnée par le pere Fulgence, & par le pere le Courayer : on peut y joindre son article, qui est dans le dictionnaire historique & critique de M. Chaufepié. M. Amelot de la Houssaye a traduit avec des remarques le traité des bénéfices ecclésiastiques de Fra-Paolo. Il y a une traduction angloise du même ouvrage, par Thomas Jenkins, lord-maire d'Yorck, avec une nouvelle vie du pere Paul, par M. Lockman, Londres 1736, in-8°. Les lettres de Fra-Paolo ont été traduites de l'italien en anglois, par M. Edouard Brown, & cette traduction a paru à Londres en 1693. in-8°.

Paruta (Paul), célebre écrivain politique du seizieme siecle, naquit à Venise en 1540. passa par toutes les grandes charges de sa patrie, fut honoré de plusieurs ambassades, & mourut procurateur de S. Marc, l'an 1598, âgé de 59 ans. M. de Thou fait un grand éloge de Paruta : c'étoit, dit-il, un homme d'une rare éloquence, & qui démêloit avec beaucoup d'adresse les affaires les plus embarrassées. Vir rarâ in explicandis negotiis solertiâ & eloquentiâ ; quas virtutes variis legationibus in Italia.... exercuit, & scriptis quae magno in pretio inter prudentiae civilis sectatores merito habentur, consignavit.

L'ouvrage de Paruta, intitulé della perfettione della vita politica, libri tre, parut à Venise en 1579, infol. 1586, in-12. 1592, in-4 °. outre plusieurs autres éditions. Il a été traduit en françois par Gilbert de la Brosse, sous le titre de perfection de la vie politique, Paris 1682, in-4 °. Il y en a aussi une traduction angloise, par Henry Cary, comte de Monmouth, imprimée à Londres en 1657, in-4°.

Un autre de ses ouvrages est : Discorsi politici, ne i quali si consideranno diversi fatti illustri e memorabili de principi e di republiche antiche e moderne, divisi in due libri. Venise 1599, in-4°. Genes 1600, in-4°. & Venise 1629, in-4°. Samuel Sturmius en a donné une traduction latine à Brême en 1660, in-12. Le premier livre contient quinze discours, qui roulent sur la forme des anciens états ; le second en renferme dix, qui traitent des assaires de la république de Venise, & des choses arrivées dans les derniers tems. Cet ouvrage & le précédent ont mérité à l'auteur la qualité d'excellent politique.

Je parlerai de son histoire de Venise, en italien, à la fin de l'article de cette république ; c'est assez de dire ici qu'on peut puiser dans tous les ouvrages de cet historiographe, des maximes judicieuses & pleines d'équité pour le gouvernement des états. De-là vient que Boccalini le représente enseignant la politique, & les vertus morales sur le parnasse. Le pere Niceron a donné son article dans les Mémoires des hommes illustres, tom. XI. p. 288.

Ramusio (Jean-Baptiste), fut employé par la république de Venise, pendant quarante ans, dans les affaires, & mourut à Padoue l'an 1557, âgé de 72 ans. Il a publié trois volumes de navigations décrites par divers auteurs. Le premier contient la description de l'Afrique ; le second comprend l'histoire de la Tartarie ; le troisieme concerne les navigations au nouveau monde. Le total renferme un recueil d'anciens voyages estimés.

Trivisano (Bernard), naquit à Venise en 1652, & s'avança par son mérite aux dignités de sa patrie. Il mourut en 1720, âgé à-peu-près de 69 ans. Son ouvrage le plus considérable parut à Venise en 1704, in-4°. sous le titre de Meditazioni filosofiche, dont Bayle parle avec éloge. Cet auteur, dit-il, n'a point trouvé d'autre voie pour se tirer d'embarras sur la prédestination, que d'élever au-dessus des nues, les privileges de la liberté humaine. Voyez de plus grands détails dans le Giorn. del' letter. tom. XXXIV. pag. 4. & suiv.

Aux hommes illustres dans les lettres, dont Venise est la patrie, j'ajoute une dame célebre qui reçut le jour dans cette ville vers l'an 1363, je veux parler de Christine de Pisan, sur laquelle la France a des droits. J'aurois dû commencer ma liste par cette dame, mais elle couronnera l'article de Venise, & l'embellira beaucoup, graces au détail de sa vie, que j'emprunterai d'un mémoire de M. Boivin le cadet, inseré dans le Recueil de littérature, tom. II. in-4°. pag. 704.

Thomas Pisan, pere de Christine, né à Boulogne en Italie, étoit le philosophe le plus renommé, & peut-être le plus habile de son siecle. Il vint à Venise, s'y maria, & y fut aggrégé au nombre des sénateurs. Il y vivoit honorablement dans le tems que sa femme lui donna une fille qui fut nommée Christine ; mais la célébrité du pere devint si grande, qu'on le sollicita de la part des rois de France & de Hongrie, de s'attacher à leur service, & l'on lui offrit des conditions fort avantageuses, en considération de son profond savoir.

Thomas Pisan se détermina pour la France, tant à cause du mérite personnel de Charles le Sage, & de la magnificence de sa cour, que par le desir de voir l'université de Paris ; cependant il ne se proposa d'abord que de passer un an dans cette capitale, & laissa sa femme & ses enfans à Boulogne.

Le roi fut charmé de le voir, & ayant connu son mérite, lui donna une place dans son conseil. Ce prince, bien-loin de consentir qu'il retournât au-bout d'un an en Italie, voulut absolument qu'il fit venir sa famille en France, & qu'il s'y établit pour y vivre honorablement des bienfaits dont il avoit dessein de le combler. Thomas obéit, & sa famille passa en France. La femme & les enfans de cet astronome, habillés magnifiquement à la lombarde, parurent devant le roi qui les reçut très-gracieusement dans son château du louvre, un jour du mois de Décembre (vers l'an 1368), fort peu de tems après leur arrivée.

Christine qui pouvoit avoir alors environ cinq ans, fut élevée à la cour en fille de qualité, & son pere cultiva son esprit par l'étude des lettres humaines. Elle fut recherchée en mariage dans sa premiere jeunesse, par plusieurs personnes, mais un jeune homme de Picardie, nommé Etienne du Castel, qui avoit de la naissance, du savoir, & de la probité, l'emporta sur tous ses rivaux. Il épousa Christine qui n'avoit encore que quinze ans ; & bientôt après il fut pourvu de la charge de notaire & secrétaire du roi, qu'il exerça avec honneur, aimé & considéré du roi Charles V. son maître.

Christine fut fort satisfaite du choix que son pere avoit fait d'un tel gendre. Voici de quelle maniere elle s'exprime, parlant elle-même de son mariage. " A venir au point de mes fortunes, le tems vint que je approchoie l'aage auquel on seult les filles asséner de mari ; tout fusse-je ancore assez jeunette, nonobstant que par chevaliers, autres nobles, & riches clercs, fusse de plusieurs demandée, (& cette vérité ne soit de nul reputée ventence : car l'auctorité de l'onneur & grant amour que le roy à mon pere démontroit, estoit de ce cause, non mie valeur). Comme mondit pere reputast cellui plus valable, qui le plus science avec bonnes moeurs avoit ; ainsi un jone escolier gradué, bien né, & de nobles parents de Picardie, de qui les vertus passoient la richece, à cellui qu'il réputa comme propre fils, je fus donnée. En ce cas ne me plains-je de fortune : car à droit eslire en toutes convenables graces, si comme autrefois ai dit, à mon gré mieux ne voulsisse. Cellui, pour sa souffisance, tost après nostre susdit bon prince, qui l'ot agréable, lui donna l'office, comme il fut vaquant, de notaire, & son secrétaire à bourses & à gages, & retint de sa cour très-amé serviteur. "

La félicité des nouveaux époux ne fut pas longue. Le roi Charles mourut l'an 1380, âgé de 44 ans. L'astronome déchut de son crédit : on lui retrancha une grande partie de ses gages ; le reste fut mal payé. On peut juger de l'estime que Charles faisoit de cet officier par les pensions qu'il lui donnoit. Thomas étoit payé tous les mois de cent francs de gages, c'est-à-dire, si je ne me trompe, de près de 700 liv. par rapport à la monnoie d'aujourd'hui. Ses livrées & les gratifications qu'il recevoit n'alloient à guere moins ; & par-dessus tout cela, on lui faisoit encore espérer un fonds de terre de 500 livres de revenu (3500 liv. de notre tems), pour lui & pour ses héritiers ; l'astronomie, & particulierement celle que l'on nomme judiciaire, étoit à la mode dans ces tems-là, où la plûpart des princes, même ceux qui avoient de la piété, étoient tellement prévenus en faveur de cette science superstitieuse, qu'ils n'entreprenoient rien de considérable qu'après l'avoir consultée.

La vieillesse, accompagnée de chagrins & d'infirmités, mit au tombeau Thomas Pisan quelques années après la mort du roi son bienfaiteur. Etienne du Castel, gendre de Thomas, se trouva le chef de sa famille. Il la soutenoit encore par sa bonne conduite & par le crédit que sa charge lui donnoit, lorsqu'il fut emporté lui-même par une maladie contagieuse en 1389, à l'âge de 34 ans. Christine qui n'en avoit alors que vingt-cinq, demeura veuve chargée de trois enfans & de tous les embarras d'un gros ménage. " Or me convint, dit-elle, mettre main à oeuvre, ce que moi nourrie en délices & mignotemens n'avoïe appris, & être conduisaresse de la nef demourée en la mer ourageuse sans patron ; c'est à savoir le désolé mainage hors de son lieu & pays. A donc m'essourdirent angoisses de toutes pars. Et comme ce soient les més de veufves, plais & procès m'avironérent de tous lez ; & ceux qui me devoient m'assaillirent, afin que ne m'avançasse de leur rien demander ".

Le veuvage de Christine fut effectivement traversé d'une infinité de soins & de disgraces. Elle en passa les premieres années à la poursuite des procès qu'elle fut obligée d'intenter contre les débiteurs de mauvaise foi, ou de soutenir contre des chicaneurs qui lui faisoient d'injustes demandes. Enfin après avoir couru long-tems de tribunal en tribunal sans obtenir justice, rebutée par les grosses pertes qu'elle faisoit tous les jours, & lasse de mener une vie si contraire à son inclination, elle prit le parti de se renfermer dans son cabinet, & ne chercha plus de consolation que dans la lecture des livres que son pere & son mari lui avoient laissés.

Elle-même nous apprend dans son style agréable & naïf, de quelle maniere elle se conduisit pour se remettre à l'étude. " Ne me pris pas, dit-elle, comme présomptueuse aux parfondesses des sciences obscures, &c. Ains, comme l'enfant, que au premier on met à l'a, b, c, d, me pris aux histoires anciennes des commencemens du monde ; les histoires des Ebrieux, des Assiriens, & des principes des signouries, procédant de l'une en l'autre, dessendant aux Romains, des François, des Bretons, & autres plusieurs historiographes : après aus déductions des sciences, selon ce que en l'espace du tems y estudia en pos comprendre : puis me pris aus livres des poëtes ".

Elle ajoute que le style & les fictions poétiques lui plûrent extrêmement. " A donc, dit-elle, fus-je aise, quand j'os trouvé le style à moi naturel, me délitant en leurs soubtiles couvertures, & belles matieres, mutiées sous fictions délitables & morales ; & le bel style de leurs mettres & prose, déduite par belle & polie rhétorique ".

Instruite suffisamment de l'histoire & de la fable, & se sentant capable de produire quelque chose d'elle-même, elle suivit son génie, & se mit à la composition en l'année 1399, étant âgée de 35 ans. Six ans après, elle publia le livre intitulé, vision de Christine, dans lequel elle assure qu'elle avoit déja composé quinze volumes. " Depuis l'an 1399, dit-elle, que je commençay jusques à cestui 1405, ouquel encores je ne cesse compilés en ce tandis quinze volumes principaulx, sans les autres particuliers petis dictiez, lesquieulx tous ensemble contiennent environ LXX quayers de grans volume, comme l'expérience en est magnifeste ".

Ses premiers ouvrages furent ce qu'elle appelle de petits dictiés, c'est-à-dire de petites pieces de poésie, des ballades, des lais, des virelais, des rondeaux. Elle avoit commencé à en faire dès le tems même de ses procès & des plus grands embarras de son veuvage. La ballade où elle se plaint de ce que les princes ne la daignent entendre est de ces tems-là. C'est elle-même qui nous l'apprend dans le récit de ses bonnes & de ses mauvaises fortunes, où elle dit encore expressément qu'au milieu de ses adversités & de ses plus cruels chagrins elle ne laissoit pas de faire des vers. " Ne m'avoit ancores tant grévée fortune que ne fusse, dit-elle, accompagnée des musettes des poëtes.... Icelles me faisoient rimer complaintes plourables, regraitant mon ami mort, & le bon tems passé, si comme il appert au commencement de mes premiers dictiés ou principe de mes cent ballades, & meismement pour passer tems & pour aucune gayeté attraire à mon cuer douloureux, faire dis amoureux & gays d'autruy sentement, comme je dis en un mien virelay ".

Ce fut apparemment à l'occasion de ces dis amoureux que la médisance publia par-tout que cette veuve étoit véritablement folle d'amour. Il est vrai que dans ces petites pieces que Christine avoue, il y en a de fort tendres, & que si elle n'avoit eû soin d'avertir ses lecteurs, que les sentimens qu'elle y exprime ne sont pas les siens, mais ceux d'autrui, il n'y auroit personne qui n'y fût trompé.

Les mauvais discours que l'on fit d'elle à ce sujet lui donnerent du chagrin, comme elle le témoigne dans le troisieme livre de sa vision. " Ne fu-il pas dit de moi par toute la ville que je amoie par amours, dit-elle. Je te jure m'ame, que icelui ne me cognoisçoit, ne, ne savoit que je estoie : ne fu onques homme ne créature née qui me veist en public, ne en privé, en lieu où il fut.... Et de ce me soit Dieu tesmoing que je dis voir.... Dont comme celle qui ignocent me sentoie aucune fois, quand on me le disoit m'en troubloie, & aucune fois m'en sousrioye, disant, Dieu & icelluy & moi savons bien qu'il n'en est rien ".

Christine eut donc beaucoup à souffrir de la médisance qui attaquoit sa réputation ; mais elle put se consoler par son innocence & par le succès de ses ouvrages. Les premieres productions de sa muse lui acquirent l'estime non-seulement des François, mais des étrangers. Le comte de Salisbury, favori de Richard II. roi d'Angleterre, étant venu en France, à l'occasion du mariage de ce prince avec Isabelle, fille de Charles VI. fit connoissance avec Christine, dont les ouvrages lui avoient plû : comme il aimoit la poésie, & faisoit lui-même des vers, gracieux chevalier, aimant dictiez, & lui-même gracieux dicteur, cette conformité de goût fit qu'il conçut beaucoup d'affection pour Christine ; & lui voyant un fils qu'elle cherchoit à placer, il lui offrit de l'emmener avec lui en Angleterre, & de le faire élever avec le sien. Christine y consentit, & son fils, pour lors âgé de treize ans, passa en Angleterre avec ce seigneur anglois en 1398.

A quelque tems de-là, Richard fut détrôné par Henri de Lancastre, & le comte de Salisbury fut décapité, pour sa grant loyauté vers son droit seigneur. Cependant Henri qui venoit d'usurper la couronne, vit les dictiés & autres ouvrages que Christine avoit envoyés au comte de Salisbury ; il en fut si content, qu'il chercha dès-lors tous les moyens d'attirer à sa cour cette illustre veuve. Ecoutons la raconter ce fait elle-même dans son charmant langage.

" A donc très-joyeusement prist mon enfant vers lui, & tint chierement & en très-bon estat. Et de fait par deux de ses héraulx, notables hommes venus par-deçà, Lencastre & Faucon, rois d'armes, me manda moult à certes, priant & promettant du bien largement que par-delà je allasse. Et comme de ce, je ne fusse en rien temptée, considérant les choses comme elles étoient, dissimulé tant que mon fils pusse avoir disant grant mercis, & que bien à son commandement estoie ; & à brief parler, tant fit à grant peine & de mes livres me cousta, que congié ot mondit fils de me venir quérir par-deçà pour mener là, qui ancore n'y vois. Et ainsi reffusay l'eschoite de icelle fortune pour moy & pour lui, parce que je ne puis croire que fin de desloyal viengne à bon terme. Or fut joyeuse de voir cil que je amoie, comme mort le m'eust seul fils laissié, & trois ans sans lui os esté ".

Si Christine avoit été d'humeur à quitter la France, elle auroit trouvé des établissemens dans plus d'une cour étrangere ; mais elle aima mieux demeurer dans ce pays, où d'ailleurs elle étoit considérée par tous les princes du royaume. Elle s'attacha d'abord d'une façon toute particuliere à Philippe, duc de Bourgogne, qui lui donna des marques réelles de son estime en prenant à son service le fils aîné de cette dame nouvellement revenu d'Angleterre, & en lui fournissant à elle-même pendant quelque tems de quoi soutenir son état ; mais elle perdit ce protecteur en 1404, & sa mort, dit-elle, fut le renouvellement des navreures de mes adversités.

La réputation qu'elle s'étoit acquise & la faveur des grands ne l'avoient pourtant pas mise à son aise. La mauvaise foi de ses débiteurs & la perte de plusieurs procès l'avoient réduite en un état où elle avoit besoin non-seulement de protection, mais de secours. Elle avoit à sa charge une mere âgée, un fils hors de place, & de pauvres parentes. Elle dit qu'elle étoit trois fois double, c'est-à-dire qu'elle avoit six personnes sur les bras. Avec tout cela elle avoue qu'elle conservoit un reste d'ambition fondée sur le souvenir de sa naissance & de son ancien état, & que sa plus grande crainte étoit de découvrir aux yeux du public le délabrement de ses affaires. " Si te promets, dit-elle à dame Philosophie, que mes semblans & abis, peu apparoit entregens le faissel de mes ennuys : ains soubs mantel fourré de gris & soubs surcot d'escarlate n'ont pas souvent renouvellé, mais bien gardé, avoie espesses fois de grands friçons ; & en beau lit & bien ordené, de males nuis : mais le repas estoit sobre, comme il affiere à femme vefve, & toutes fois vivre convient ".

Au reste quelque soin qu'elle prît de cacher son indigence, il étoit impossible que l'on ne s'en apperçût ; & c'est, à ce qu'elle assûre, ce qui lui faisoit le plus de peine, lorsqu'elle étoit obligée d'emprunter de l'argent, même de ses meilleurs amis. " Mais quand il convenoit, dit-elle, que je feisse aucun emprunt où que soit pour eschever plus grant inconvénient, beau sire dieux, comment honteusement à face rougie, tant fust la personne de mon amistié, le requeroïe, & ancore aujourd'hui ne suis garie de cette maladie, dont tant ne me greveroit, comme il me semble, quant faire le mestent, un accès de fievre ".

Christine étoit âgée de 41 ans lorsqu'elle se plaignoit ainsi des disgraces de la fortune ; cependant elle éprouvoit des consolations dans ses adversités. De trois enfans que son mari lui avoit laissés, il lui restoit un fils & une fille, tous deux également recommandables par les qualités du corps & de l'esprit ; c'est du-moins l'idée qu'elle en donne en faisant leur éloge. " N'as-tu pas un fils, lui dit dame Philosophie, aussi bel & gracieux, & bien moriginés, & tel que de sa jonece, qui passe pas vingt ans du tems qu'il a estudié en nos premieres sciences & grammaire, on ne trouveroit en rhétorique & poétique langage, naturellement à luy propice, gaires plus aperte & plus soubtil que il est, avec le bel entendement & bonne judicative que il a ".

Parlant ensuite de sa fille, elle fait dire à dame Philosophie : " Ton premier fruit est une fille donnée à Dieu & à son service, rendue par inspiration divine, de sa pure voulonté, oultre ton gré, en l'église & noble religion des dames à Poissy, où elle, en fleur de jonece & très-grant beauté, se porte tant notablement en vie contemplative & dévotion, que la joye de la relacion de sa belle vie souvente fois te rend grand reconfort ". Ce passage nous apprend que la fille de Christine étoit l'aînée de son fils, & qu'elle avoit pris le voile contre le gré de sa mere. Peut-être le mauvais état des affaires de sa famille avoit-il contribué à lui faire embrasser ce parti.

Changea-t-il ce triste état des affaires de famille ? c'est ce que nous ignorons. Nous voudrions apprendre que le fils fit un bon mariage, & que Christine fut heureuse sur la fin de ses jours ; car outre qu'elle étoit aimable de caractere, elle réunissoit aux graces de l'esprit, les agrémens de la figure. Nous savons qu'elle étoit bien faite, & qu'elle avoit l'art de se mettre avec beaucoup de goût.

Les portraits que nous avons de Christine dans quelques-uns de ses livres enluminés de son tems, s'accordent avec l'idée qu'elle même a eu soin de nous donner de sa physionomie, lorsqu'entre les avantages dont elle reconnoît qu'elle est redevable au Créateur, elle met celui " d'avoir corps sans nulle difformité & assez plaisant, & non maladis, mais bien complexionné ".

De toutes les mignatures où elle est représentée, la plus parfaite, au jugement de M. Boivin, est celle qui se trouve dans le manuscrit 7395, à la tête du livre intitulé, la cité des dames.

On y voit une dame assise sous un dais, la tête penchée sur la main gauche, & le coude appuyé sur un bureau. Elle a le visage rond, les traits réguliers, le teint délicat & assez d'embonpoint. Ses yeux sont fermés, & elle paroît sommeiller. Sa coëffure est une espece de cul-de-chapeau, bleu ou violet, en pain de sucre, ombragé d'une gaze très-déliée, qui étant relevée tout-autour, laisse voir à nud le visage, & ne cache pas même les oreilles. Une chemise extrêmement fine, dont on n'apperçoit que le haut & qui est un peu entr'ouverte, couvre suffisamment les épaules & la gorge. Une robe bleue brodée d'or par le bas, & doublée de feuille-morte, s'ouvre sur le sein, comme aujourd'hui les manteaux de femme, & laisse entrevoir un petit corset de couleur de pourpre bordé d'un passement d'or.

Il ne me reste plus qu'à indiquer les ouvrages de Christine en vers & en prose. Voici d'abord la liste de ses poésies : cent ballades, lais, virelais, rondeaux ; jeux à vendre, ou autrement vente d'amours ; autres ballades ; l'épître au dieu d'amours ; le débat des deux amans ; le livre des trois jugemens ; le livre du dit de Poissy ; le chemin de lonc estude ; les dits moraulx, ou les enseignemens que Christine donne à son fils ; le roman d'Othéa, ou l'épistre d'Othéa à Hector ; le livre de mutacion de fortune.

Ses oeuvres en prose sont 1°. l'histoire du roi Charles le Sage, qu'elle écrivit par ordre du duc de Bourgogne ; 2°. la vision de Christine ; 3°. la cité des dames ; 4°. les épistres sur le roman de la Rose ; 5°. le livre des faits d'armes & de chevalerie ; 6°. instruction des princesses, dames de cour, & autres lettres à la reine Isabelle en 1405 ; 7°. les proverbes moraulx & le livre de prudence. (D.J.)

VENISE, république de, (Hist. mod.) c'est d'une retraite de pêcheurs que sortit la ville & la république de Venise. Ces pêcheurs chassés de la terre-ferme par les ravages des barbares dans le v. siecle, se refugierent à Rialto, port des Padouans, & ils bâtirent des cabanes qui formerent une petite bourgade que Padoue gouverna par des tribuns. Attila ayant dévasté Padoue, Pavie, Milan, & détruit la fameuse Aquilée, les misérables restes de ces villes acheverent de peupler toutes les îles des Lagunes, celles du bord de la mer, & particulierement le Lido de Malamoque. Comme il ne restoit plus à ces peuples aucune espérance de retourner dans leurs habitations, ils penserent à s'en construire de plus assurées, & tirerent pour ce dessein les pierres & le marbre des palais démolis en terre-ferme ; chaque île à l'exemple de Rialto, établit pour sa police des tribuns particuliers.

En 709, les tribuns des douze principales îles des Lagunes, jugeant qu'il étoit nécessaire de donner une nouvelle forme au gouvernement des îles qui s'étoient extraordinairement peuplées, résolurent de se mettre en république, & d'élire quelqu'un d'entre eux pour en être le chef ; mais comme ils reconnoissoient qu'ils ne pouvoient en user de la sorte contre le droit que la ville de Padoue s'arrogeoit dans ces lieux où ils avoient été chercher leur sureté, ils obtinrent de l'empereur Léon, souverain de tout le pays, & du pape Jean V. la permission d'élire leur prince, auquel ils donnerent le nom de duc ou de doge. Le premier qu'ils élurent s'appelloit Paul-Luce Anafeste.

Il n'y avoit point encore de ville de Venise ; Héraclée dont il ne reste aujourd'hui que quelques ruines, fut le premier siege de cette nouvelle république ; ensuite les doges résiderent à Malamoque & à Rialto, où Pepin roi d'Italie, donna aux habitans cinq milles quarrés d'étendue en terre-ferme, avec une pleine liberté de trafiquer par terre & par mer. Le même Pepin voulut que l'île de Rialto jointe aux îles d'alentour, portât le nom de Venise, Venetiae, qui étoit alors celui de toute la côte voisine des Lagunes.

Telle a été l'origine du nom & de la république de Venise, dont la nécessité du commerce procura bientôt la grandeur & la puissance. Il est vrai qu'elle payoit un manteau d'étoffe d'or aux empereurs, pour marque de vassalité ; mais elle acquit la province d'Istrie par son argent & par ses armes.

Les Vénitiens devenant de jour en jour une république redoutable, il fallut dans les croisades s'adresser à eux pour l'équipement des flottes ; ils y gagnerent des richesses & des terres. Ils se firent payer dans la croisade contre Saladin 85000 marcs d'argent pour transporter seulement l'armée dans le trajet, & se servirent de cette armée même pour s'emparer des côtes de la Dalmatie, dont leur doge prit le titre. La Méditerranée étoit couverte de leurs vaisseaux, tandis que les barons d'Allemagne & de France bâtissoient des donjons, & opprimoient les peuples.

Gènes rivale de Venise lui fit la guerre, & triompha d'elle sur la fin du xiv. siecle ; mais Gènes ensuite déclina de jour en jour, & Venise s'éleva sans obstacle jusqu'au tems de Louis XII. & de l'empereur Maximilien, intimidant l'Italie, & donnant de la jalousie aux autres puissances qui conspirerent pour la détruire. Presque tous les potentats ennemis les uns des autres, suspendirent leurs querelles, pour s'unir ensemble à Cambrai contre Venise. Jamais tant de rois ne s'étoient ligués contre l'ancienne Rome. Venise étoit aussi riche qu'eux tous ensemble. Elle se confia dans cette ressource, & sur-tout dans la désunion qui se mit bientôt entre tant d'alliés. Il ne tenoit qu'à elle d'appaiser Jules II. principal auteur de la ligue ; mais elle dédaigna de demander cette grace, & elle osa attendre l'orage. C'est peut-être la seule fois qu'elle ait été téméraire.

Les excommunications plus méprisées chez les Vénitiens qu'ailleurs, furent la déclaration du pape. Louis XII. envoya un héraut d'armes annoncer la guerre au doge. Il redemanda le Crémonois qu'il avoit cédé lui-même aux Vénitiens, quand ils l'avoient aidé à prendre le Milanois. Il revendiquoit le Bressan, Bergame, & d'autres terres sur lesquelles il n'avoit aucun droit. Il appuya ses demandes à la tête de son armée, & détruisit les forces vénitiennes à la célebre journée d'Agnadel, près de la riviere d'Adda. Alors chacun des prétendans se jetta sur son partage ; Jules II. s'empara de toute la Romagne, & pardonna aux Vénitiens qui, revenus de leur premiere terreur, résistoient aux armes impériales. Enfin il se ligua avec cette république contre les François qui le méritoient, & cette ligue devint funeste à Louis XII.

Sur la fin du même siecle, les Vénitiens entrerent avec le pape & le roi d'Espagne Philippe II. dans une croisade contre les Turcs. Jamais grand armement ne se fit avec tant de célérité. Philippe II. fournit la moitié des frais ; les Vénitiens se chargerent des deux tiers de l'autre moitié, & le pape fournit le reste. Dom Juan d'Autriche, ce célebre bâtard de Charles-quint, commandoit la flotte. Sébastien Veniero étoit général de la mer pour les Vénitiens. Il y avoit eu trois doges dans sa maison, mais aucun d'eux n'eut autant de réputation que lui. Les flottes ottomanes & chrétiennes se rencontrerent dans le golfe de Lépante, où les chrétiens remporterent une victoire d'autant plus illustre, que c'étoit la premiere de cette espece ; mais le fruit de cette bataille n'aboutit à rien. Les Vénitiens ne gagnerent aucun terrain, & les Turcs reprirent l'année suivante le royaume de Tunis.

Cependant la république de Venise jouissoit depuis la ligue de Cambrai d'une tranquillité intérieure qui ne fut jamais altérée. Les arts de l'esprit étoient cultivés dans la capitale de leur état. On y goûtoit la liberté & les plaisirs ; on y admiroit d'excellens morceaux de peinture, & les spectacles y attiroient tous les étrangers. Rome étoit la ville des cérémonies, & Venise la ville des divertissemens ; elle avoit fait la paix avec les Turcs après la bataille de Lépante, & son commerce quoique déchu, étoit encore considérable dans le Levant ; elle possédoit Candie, & plusieurs îles, l'Istrie, la Dalmatie, une partie de l'Albanie, & tout ce qu'elle conserve de nos jours en Italie.

Au milieu de ses prospérités elle fut sur le point d'être détruite en 1618, par une conspiration qui n'avoit point d'exemple depuis la fondation de la république. L'abbé de S. Réal qui a écrit cet événement célebre avec le style de Salluste, y a mêlé quelques embellissemens de roman ; mais le fond en est très-vrai. Venise avoit eu une petite guerre avec la maison d'Autriche sur les côtes de l'Istrie. Le roi d'Espagne Philippe III. possesseur du Milanès, étoit toujours l'ennemi secret des Vénitiens. Le duc d'Ossone viceroi de Naples, dom Pedre de Tolede gouverneur de Milan, & le marquis de Bedemar son ambassadeur à Venise, depuis cardinal de la Cueva, s'unirent tous trois pour anéantir la république. Les mesures étoient si extraordinaires, & le projet si hors de vraisemblance, que le sénat tout vigilant & tout éclairé qu'il étoit, ne pouvoit en concevoir de soupçon ; mais tous les conspirateurs étant des étrangers de nations différentes, le sénat instruit de tout par plusieurs personnes, prévint les conjurés, & en fit noyer un grand nombre dans les canaux de Venise. On respecta dans Bedemar le caractere d'Ambassadeur, qu'on pouvoit ne pas ménager ; & le sénat le fit sortir secrétement de la ville, pour le dérober à la fureur du peuple.

Venise échappée à ce danger, fut dans un état florissant jusqu'à la prise de Candie. Cette république soutint seule la guerre contre l'empire turc pendant près de 30 ans, depuis 1641 jusqu'à 1669. Le siege de Candie, le plus long & le plus mémorable dont l'histoire fasse mention, dura près de 20 ans ; tantôt tourné en blocus, tantôt ralenti & abandonné, puis recommencé à plusieurs reprises, fait enfin dans les formes deux ans & demi sans relâche, jusqu'à ce que ce monceau de cendres fût rendu aux Turcs avec l'île presque toute entiere, en 1669.

Venise s'épuisa dans cette guerre ; le tems étoit passé où elle s'enrichissoit aux dépens du reste de l'Europe, par son industrie & par l'ignorance des autres chrétiens. La découverte du passage du cap de Bonne-Espérance avoit détourné la source de ses richesses. En un mot, ce n'étoit plus cette république qui dans le xv. siecle avoit excité la jalousie de tant de rois : elle leur est encore moins redoutable aujourd'hui. La seule politique de son gouvernement subsiste ; mais son commerce anéanti, lui ôte presque toute sa force ; & si la ville de Venise est par sa situation incapable d'être domptée, elle est par sa foiblesse incapable de faire des conquêtes. Essai sur l'histoire générale par M. de Voltaire, t. I. II. III. IV. V.

On ne manque pas d'auteurs sur l'histoire de cette république : voici les principaux par ordre des tems.

1°. Justiniani (Bernard), mort procurateur de S. Marc, l'an 1489, dans la 82 année de son âge, a fait le premier l'histoire de Venise intitulée, de origine urbis Venetiarum, rebusque ejus, ab ipsà ad quadringente simum usque annum gestis historia. Venise 1492 in-fol. & dans la même ville en 1534 in-fol. Cette histoire est divisée en quinze livres, & va jusqu'à l'an 809. Elle a été traduite en italien par Louis Domenichi, & imprimée en cette langue à Venise en 1545, & en 1608 in-8°. avec une table des matieres.

2°. Sabellicus (Marc-Antoine Coccius), né sur le milieu du xv. siecle, à Viscovaro bourg d'Italie dans la Sabine, fut appellé par le sénat de Venise pour deux emplois honorables & lucratifs ; l'un étoit celui d'écrire l'histoire de la république, l'autre d'enseigner les belles-lettres. Il s'acquitta mieux du dernier que du premier, car son ouvrage historique, rerum Venetarum historiae, fut rempli de flateries & de mensonges : c'est qu'il étoit payé pour être sincere & exact à l'égard de ses écoliers, & pour se garder de l'être à l'égard des narrations. Scaliger remarque que Sabellicus avoit avoué lui-même que l'argent des Vénitiens étoit la source ds ses lumieres historiques.

3°. Suazzarini (Dominico), contemporain de Sabellicus, écrivit l'histoire de Venise beaucoup plus abrégée, & tâcha d'imiter le style de Tacite.

4°. Le cardinal Bembo fut nommé par la république en 1530, pour en écrire l'histoire. On voulut qu'il la commençât où Sabellicus l'avoit finie (environ l'an 1486), & qu'il la continuât jusque à son tems. Cet intervalle comprenoit 44 années ; il ne remplit point cet intervalle, car il termina son ouvrage à la mort de Jules II. Cette histoire est divisée en douze livres, & fut imprimée à Venise l'an 1551, & contrefaite la même année à Paris, chez Michel Vascosan in-4°. On en donna une nouvelle édition à Bâle, l'an 1567, en trois volumes in-8°. avec les autres oeuvres de l'auteur. Il ne put tirer aucun profit du travail d'André Navagiero, qui avoit eu avant lui la même commission, mais qui ordonna en mourant qu'on brûlât tous ses écrits.

Quoique Bembus ait été l'une des meilleures plumes latines du xvj. siecle, il faut avouer qu'il a montré trop d'affectation à ne se servir dans ses écrits, & sur-tout dans son histoire, que des termes de la pure latinité. On rit de lire dans cet auteur, qu'un pape avoit été élu par la faveur des dieux immortels, deorum immortalium beneficiis. Il aimoit cette expression ; car il rapporte dans un autre endroit que le sénat de Venise écrivit au pape : " Fiez-vous aux dieux immortels dont vous êtes le vicaire sur la terre ", uti fidat diis immortalibus quorum vicem geris in terris.

Après cela, on ne doit point s'étonner qu'il se soit servi du mot de déesse, en parlant de la sainte Vierge. C'est dans une lettre où Leon X. reproche aux habitans de Recanati d'avoir donné de mauvais bois pour le bâtiment de Notre-Dame de Lorette, & leur commande d'en donner de meilleur, " de peur, dit-il, qu'il ne semble que vous vous soyez mocqué de nous & de la déesse même ", ne tùm nos, tùm etiam deam ipsam, inani lignorum inutilium donatione lusisse videamini.

Les termes que le christianisme a consacrés, comme fides, excommunicatio, ont paru barbares à cet écrivain ; il a mieux aimé se servir de persuasio pour fides, & de aqua & igne interdictio, pour excommunicatio ; mais l'histoire de Venise de Bembo mérite encore plus la critique du côté de la bonne foi, comme Bodin l'a prononcé dans sa méthode sur l'histoire.

5°. Paruta, né à Venise en 1540, & mort procurateur de S. Marc en 1598, comme je l'ai déjà dit en parlant de la ville de Venise, a publié entre autres ouvrages, une grande histoire de Venise, intitulée Istoria venetiana, lib. xij. Venise, 1605, 1645, & 1704, in-4°. En qualité d'historiographe de la république, il fut chargé de continuer l'histoire du cardinal Bembo qui avoit fini à l'année 1513, année de l'élévation de Leon X. au pontificat. Il en écrivit le premier livre en latin, pour se conformer à Bembo, mais il changea de dessein dans la suite, & composa son ouvrage tout en italien. Cet ouvrage contient en douze livres tout ce qui est arrivé de plus considérable à la république depuis l'an 1513 jusqu'en 1552. Il a été joint au recueil des historiens de Venise, publié en 1718 sous ce titre général : Istorici delle Cose veneziane, i quali hanno scritto per publico decreto. Henri Cary a traduit l'histoire de Paruta en anglois ; & sa traduction a été imprimée à Londres en 1658 in-4°.

6°. Morosini (André), né à Venise en 1558, & mort dans les grands emplois de sa patrie l'an 1618 à 60 ans, a fait une histoire latine de la république, qui parut sous ce titre : Historia Veneta ab anno 1521, ad annum 1615. Venetiis 1603, in-fol. Cette histoire est une continuation de celle de Paruta.

7°. Nani (Jean-Baptiste), noble vénitien, fut honoré des premiers emplois de la république, & chargé par le sénat de continuer l'histoire de la république. Il divisa son ouvrage en deux parties ; & imprimoit la seconde, lorsqu'il mourut en 1678 âgé de 62 ans. La premiere partie a été traduite en françois, & imprimée en Hollande en 1702 en quatre volumes in-12. L'ouvrage est intéressant ; mais l'auteur dans tout ce qui concerne sa patrie, a plus suivi les sentimens naturels que la vérité de l'histoire ; on en a fait une nouvelle édition en 1720, & elle entre dans le recueil des historiens de Venise.

8°. Le dernier écrivain de cette histoire est le sénateur Diedo, dont l'ouvrage intitulé, Storie della republica di Venezia, a paru à Venise en 1751 en deux volumes in-4°.

Les François, à qui les langues latine & italienne sont inconnues, peuvent lire Amelot de la Houssaye, histoire du gouvernement de Venise ; S. Disdier, description de la république de Venise ; l'abbé Laugier, histoire de Venise, depuis sa fondation jusqu'à nos jours. Paris, 1762, en cinq vol. in-12. (D.J.)

VENISE, gouvernement de, (Droit polit.) ce gouvernement dont les Vénitiens cachent aux étrangers le régime avec tant de soin, commença en 709 par se mettre en république avec un chef auquel on donna le nom de duc ou doge. Ces princes de la république ayant sans cesse augmenté leur puissance, les principaux citoyens résolurent enfin de la modérer. S'étant assemblés dans l'église de S. Marc, ils établirent en 1172 un conseil indépendant, & créerent douze tribuns qui pourroient s'opposer aux ordonnances du prince. Ces tribuns eurent encore le droit d'élire chaque année quarante personnes par quartier, pour composer le grand conseil qu'on venoit de créer, de sorte qu'il étoit de deux cent quarante citoyens, la ville de Venise étant divisée en six quartiers ; & comme ce conseil se renouvelloit tous les ans, chacun avoit espérance d'y entrer.

L'ordre de ce gouvernement dura cent dix-sept ans, c'est-à-dire jusqu'en 1289, que le doge Pierre Gradenigo entreprit de changer entierement la face de la république, & d'établir une véritable aristocratie, en fixant à perpétuité le grand conseil à un nombre de citoyens & à leurs descendans. Il fit passer à la Quarantie criminelle, qui est une chambre souveraine de quarante juges, un decret portant que tous ceux qui avoient composé le grand conseil des quatre années précédentes, seroient ballotés dans cette chambre, & que ceux qui auroient douze balles favorables, composeroient eux & leurs descendans le grand conseil à perpétuité.

La noblesse vénitienne est divisée en différentes classes. La premiere comprend les familles des douze tribuns qui furent les électeurs du premier doge, & qui se sont presque toutes conservées jusqu'à présent. A ces douze maisons qu'on appelle électorales, on en a joint douze autres, dont l'ancienneté va presque de pair avec les douze premieres ; mais toutes sont extrêmement déchues de leur ancien éclat par le luxe & la pauvreté.

La seconde classe de la noblesse vénitienne se trouve composée des nobles qui ont pour titre le tems de la fixation du grand conseil, & dont les noms étoient écrits dès ce tems-là dans le livre d'or, qui est le catalogue qu'on fit alors de toutes les familles de la noblesse vénitienne. On met au rang de cette noblesse du second ordre les trente familles qui furent aggrégées à la noblesse en 1380, parce qu'elles avoient secouru la république de sommes considérables pendant la guerre contre les Génois.

Dans la troisieme classe de la noblesse vénitienne on comprend environ quatre-vingt familles qui ont acheté la noblesse moyennant cent mille ducats, dans le besoin d'argent où la république se trouva réduite par la derniere guerre de Candie. On ne fit aucune distinction entre les personnes qui se présenterent, c'est-à-dire, depuis le gentilhomme de terre-ferme jusqu'à l'artisan. Cette troisieme sorte de noblesse vénitienne ne fut point d'abord employée dans les grandes charges de la république. On lui préféroit les nobles d'ancienne origine.

Les citadins qui sont les bonnes familles des citoyens vénitiens, composent un second état entre la noblesse & le peuple. On distingue deux sortes de citadins : les premiers le sont de naissance, étant issus de ces familles, qui avant la fixation du grand-conseil avoient la même part au gouvernement qu'y a présentement la noblesse vénitienne. Le second ordre des citadins est composé de ceux qui ont par mérite ou par argent obtenu ce rang dans la république. Les uns & les autres jouissent des mêmes privileges. La république fait semblant d'honorer les vrais citadins, & leur donne toutes les charges qu'on tient au-dessous d'un noble vénitien. La dignité de grand-chancelier est le plus haut degré d'élévation où puisse prétendre un citadin. Le rang & la grandeur de cette charge en rendroit la fonction digne d'un des premiers sénateurs, si la république jalouse de son autorité, n'avoit réduit cet emploi au seul exercice des choses où la charge l'oblige, sans lui donner ni voix, ni crédit, dans les tribunaux où il a la liberté d'entrer.

La dignité de grand-chancelier, celle de procurateur de S. Marc & celle du doge sont les seules qui se donnent à vie. Voyez les mots DOGE & PROCURATEUR de S. Marc.

Comme la république a voulu conserver dans l'ordre extérieur de son gouvernement une image de la monarchie, de l'aristocratie & de la démocratie, elle a représenté un prince souverain dans la personne de son doge : une aristocratie dans le prégadi ou le sénat, & une espece de démocratie dans le grand-conseil, où les plus puissans sont obligés de briguer les suffrages ; cependant le tout ne forme qu'une pure aristocratie.

Une des choses à quoi le sénat s'est appliqué avec grand soin, a été d'empêcher que les princes étrangers n'eussent aucune connoissance de ses délibérations ni de ses maximes particulieres ; & comme il eût été plus facile à la cour de Rome qu'à aucune autre d'en venir à-bout, & même de former un parti considérable dans le sénat, par le moyen des ecclésiastiques, la république ne s'est pas seulement contentée de leur en interdire l'entrée, elle n'a même jamais souffert que la jurisdiction ecclésiastique ordinaire se soit établie dans ses états avec la même autorité que la plûpart des princes lui ont laissé prendre, & elle a exclu tous les ecclésiastiques, quand même ils seroient nobles vénitiens, de tous les conseils & de tous les emplois du gouvernement.

Le sénat ne nomme aucun vénitien au pape pour le cardinalat, afin de ne tenter aucun de ses sujets à trahir les intérêts de la république, par l'espérance du chapeau. Il est vrai que l'ambassadeur de Venise propose au pape les sujets de l'état qui méritent cet honneur, mais il fait ses sollicitations comme simple particulier, & ne forme aucune demande au nom du sénat. Aussi le cardinalat n'est pas à Venise en aussi grande considération qu'il l'est ailleurs.

Le patriarche de Venise est élu par le sénat ; il ne met à la tête de ses mandemens, que N... divinâ miseratione Venetiarum patriarcha, sans ajouter, comme les autres prélats d'Italie, sanctae sedis apostolicae gratiâ.

Soit encore que la république ait eu dessein d'ôter aux ecclésiastiques les moyens d'avoir obligation à d'autres supérieurs qu'au sénat, soit qu'elle n'ait eu d'autre vue que de maintenir l'ancien usage de l'église, elle a laissé l'élection des curés à la disposition des paroissiens, qui doivent choisir celui des prêtres habitués de la même paroisse qui leur paroît le plus digne. Tous ceux qui possedent des maisons en propre dans l'étendue de la paroisse, nobles, citadins & artisans, s'assemblent dans l'église, dans le terme de trois jours après la mort du curé, & procedent à l'élection par la pluralité des voix, faute de quoi la république nomme un curé d'office.

Il est vrai que l'inquisition est établie à Venise ; mais elle y est du-moins sous des conditions qui diminuent l'atrocité de sa puissance. Elle est composée à Venise du nonce du pape, du patriarche de Venise toujours noble vénitien, du pere inquisiteur toujours de l'ordre de S. François, & de deux principaux sénateurs qui sont assistans, & sans le consentement desquels toutes les procédures sont nulles, & les sentences hors d'état d'être mises à exécution.

L'hérésie est presque la seule matiere dont l'inquisition de Venise ait droit de connoître ; les désordres qui suivent l'hérésie, ou qui peuvent l'entretenir, ont des juges séculiers qui prennent connoissance de ces matieres. Tous ceux qui font profession d'une autre religion que de la catholique, ne sont point soumis à l'inquisition ; & depuis le catalogue des livres défendus, qui fut dressé lorsque la république reçut l'inquisition, il n'est point permis au saint office d'en censurer d'autres que ceux que la république elle-même censure. Outre cela, le sénat entretient deux docteurs qu'on appelle consulteurs d'état, l'un religieux, & l'autre séculier, qui sont chargés d'examiner les bulles, les brefs & les excommunications qui viennent de Rome, & qu'on ne reçoit jamais sans l'approbation de ces deux docteurs.

Le college, le prégadi & le grand conseil font mouvoir l'état. Le college est composé du doge, de ses six conseillers, des trois chefs de la quarantie criminelle, des six sages-grands, de cinq sages de terre-ferme, & des cinq sages des ordres, en tout vingt-six personnes. Voyez DOGE, QUARANTIE, SAGES-GRANDS, &c.

Mais toute l'autorité de la république est partagée entre le sénat ou le prégadi (dont il faut consulter l'article en particulier) & le grand-conseil. Le premier regle souverainement les affaires d'état ; le second dispose absolument de toutes les magistratures. Il a droit de faire de nouvelles loix, d'élire les sénateurs, de confirmer les élections du sénat, de nommer à toutes les charges, de créer les procurateurs de S. Marc, les podestats & les gouverneurs qu'on envoie dans les provinces ; enfin le grand-conseil est l'assemblée générale des nobles, où tous ceux qui ont vingt-cinq ans, & qui ont pris la veste, entrent avec le droit de suffrage. De même tous les membres du college, ceux du conseil des dix, les quarante juges de la quarantie-criminelle, & tous les procurateurs de S. Marc entrent au prégadi, de sorte que son assemblée est d'environ 280 membres, dont une partie a voix délibérative, & le reste n'y est que pour écouter.

Le conseil des dix prend connoissance des affaires criminelles qui arrivent entre les nobles, tant dans la ville que dans le reste de l'état. Voyez DIX conseil des.

Le tribunal des inquisiteurs d'état est composé de trois membres, qui sont deux sénateurs du conseil des dix, & un des conseillers du doge. Ce tribunal fait frémir, & par sa puissance, & parce que les exécutions de ce tribunal sont aussi secrettes que leur jugement. Voyez INQUISITEURS d'état.

Pour prévenir les désordres du luxe, le gouvernement de Venise a établi des magistrats appellés sopra-proveditori alle pompe. Ce sont des sénateurs du premier ordre, qui par des ordonnances severes ont réglé la table, le train & les habits de la noblesse vénitienne.

La république prend aussi connoissance des affaires générales & particulieres des religieux & des religieuses. Elle a établi à cet effet trois sénateurs avec une autorité fort étendue sur la discipline extérieure des couvens ; ces trois magistrats ont un capitaine de sbirres qui visite les parloirs, outre quantité d'espions gagés ; mais cette sévérité apparente est plutôt par montre d'un gouvernement exact, & pour empêcher les supérieurs ecclésiastiques de s'en mêler, que pour guérir un mal qui ne leur paroît pas moins nécessaire que peu capable de remede, la jeune noblesse vénitienne faisant un de ses plus grands plaisirs du commerce qu'elle entretient avec les religieuses.

La république gouverne les états de terre-ferme par des nobles qu'elle y envoie, avec les titres de podestats, provéditeurs, gouverneurs, &c. Elle envoie aussi quelquefois dans les provinces trois des premiers sénateurs, auxquels elle donne le nom d'inquisiteurs de terre-ferme, & qui sont chargés d'écouter les plaintes des sujets contre les gouverneurs, & de leur rendre justice ; mais tout cela n'est qu'une pure ostentation.

Il résulte de la connoissance du gouvernement de Venise, que c'est une aristocratie despotique, & que la liberté y regne moins que dans plusieurs monarchies. Ce sont toujours sous différens noms des magistrats d'un même corps, des magistrats qui ont les mêmes principes, les mêmes vues, la même autorité, exécuteurs des loix & législateurs en même tems. Il n'y a point de contrepoids à la puissance patricienne, point d'encouragement aux plébéïens, qui à proprement parler, sont sous le joug de la noblesse, sans espérance de pouvoir le secouer. (D.J.)

VENISE, état de, (Géog. mod.) l'état de la république de Venise se partage en quatorze provinces, dont il y en a six vers le midi ; savoir le Dogado ou duché de Venise, le Padouan, le Vicentin, le Véronois, le Bressan & le Bergamasc. Le Crémasque est au midi du Bressan, & la Polésine de Rovigo est au sud du Crescentin. Les quatre suivantes sont à son nord du midi au septentrion : savoir la Marche Trévisane, le Feltrin, le Bellunèse & le Cadorin. A l'orient de celle-ci sont le Frioul, qui lui est contigu, & l'Istrie sur le golfe de Venise, presque vis-à-vis le Ferrarois. Le Dogado s'étend en long depuis l'embouchure du Lizouzo jusqu'à celle de l'Adige, & comprend les îles des Lagunes, de Venise, de Maran, & tout le quartier qui est vers la côte du golfe, depuis Carvazere jusqu'à Grado, ainsi que plusieurs îles qui sont aux environs de la capitale. (D.J.)

VENISE, terre de, (Hist. nat.) bolus veneta, nom d'une terre d'un beau rouge, qui s'emploie dans la peinture sous le nom de rouge de Venise. M. Hill observe que cette terre n'est point bolaire, mais une ochre très-fine, douce au toucher, d'un rouge presque aussi vif que celui du minium, & qui colore fortement les doigts. Cette terre est d'un goût astringent, & ne fait point effervescence avec les acides. On la tire de Carinthie d'où elle passe par les mains des Vénitiens qui la falsifient, & qui la débitent au reste de l'Europe pour la peinture. Voyez Hill's, natural history of fossils.

VENITIENS NOBLES, (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme à Venise les chefs de la république, parmi lesquels on choisit le doge, les procurateurs de S. Marc, les provéditeurs, les ambassadeurs, & tous ceux qui doivent remplir les fonctions les plus importantes de l'état. On divise les nobles vénitiens en trois classes : la premiere est celle des nobles qu'on nomme elettorali ; dans cette classe sont les douze plus anciennes familles de la république. La seconde classe est celle des familles qui ont été admises aux privileges de la noblesse depuis l'an 1380. Enfin la troisieme classe est celle des nobles qui ont acquis la noblesse pour de l'argent ; on dit qu'il en coute cent mille ducats pour obtenir cette distinction. On distingue à Venise les nobles de terre-ferme qui habitent la partie du continent qui est sujette à la république ; ces derniers ne sont point si considérés que les nobles de Venise qui sont en possession de la souveraineté.


VÉNITIENNES. f. (Soierie) étoffe d'abord fabriquée à Venise, & ensuite imitée en France. Il y en a d'unies, de façonnées, avec de l'or & de l'argent, ou seulement avec de la soie ; c'est une espece de gros-de-tours, dont la tissure est extrêmement fine.


VENLO(Géograph. mod.) ville des Pays-bas, dans le haut quartier de la province de Gueldre, sur la rive droite de la Meuse, à 4 lieues au-dessus de Ruremonde.

Venlo tire son nom des deux mots flamands veen & loo, qui signifient terre marécageuse & basse. C'étoit un petit bourg que Rénaud, duc de Gueldre, entoura de murailles en 1343, & lui donna le titre de ville. Elle a été prise & reprise plusieurs fois dans toutes les guerres des Pays-bas. Enfin par le traité de Barriere, l'empereur l'a cédée aux Etats-généraux en toute propriété & souveraineté. On y compte trois à quatre mille habitans, qui sont presque tous catholiques, & qui jouissent de l'exercice public de leur religion ; ce sont pour la plûpart des petits marchands, bateliers, voituriers, & de semblables professions, partagés en petits corps de métiers.

Le commerce étoit autrefois très-florissant dans cette ville, mais il est extrêmement déchu depuis le partage du haut-quartier de Gueldre, entre quatre différentes puissances. Ce partage a donné lieu à l'établissement de plusieurs péages sur la Meuse, dont le nombre, & les droits qu'on y fait payer, ont causé la ruine du trafic.

La monnoie regne à Venlo sur le pié de celle des pays voisins, comme Clèves, Juliers, & autres, & en Allemagne.

La police y a été réglée par la résolution de L. H. P. du 25 Mai 1726. L'état entretient à Venlo un receveur pour la perception du verponding. L'amirauté de Rotterdam y a aussi ses officiers ; & les Etats-généraux ont établi dans cette ville un conseil supérieur, pour juger les causes civiles qui seroient portées par revision, ou en premiere instance, tant de la ville que de tout le district sous leur domination. Long. 23. 38. lat. 51. 22.

C'est à Venlo que Guillaume, duc de Clèves, demanda pardon à genoux à l'empereur Charles-Quint pour s'être révolté contre lui en 1543. C'est aussi dans cette même place qu'on fit le premier essai des bombes, expérience fatale, qui depuis a été si funeste à une infinité de belles villes. Il y a encore un autre événement digne de remarque par rapport à Venlo ; c'est que les Espagnols, dans le dessein de détruire le commerce que les Hollandois entretenoient avec l'Allemagne par le Rhin, entreprirent en 1627, de faire un canal pour détourner ce fleuve, & le joindre à la Meuse. Le canal commençoit au-dessous de Rheinberg, passoit à l'abbaye de Campen à Gueldre ; puis après avoir coupé la petite riviere du Niers, il devoit se rendre dans la Meuse à Venlo. Il auroit eu 18 lieues d'étendue ; & on l'avoit déjà appellé le nouveau Rhin, ou la Fosse eugénienne, du nom de l'infante Isabelle Eugénie, &c. On commença d'y travailler le 21 Septembre ; mais cet ouvrage fut abandonné la même année, ou parce que l'Espagne ne jugea pas à-propos de continuer la dépense, ou parce qu'elle prévit que ce canal n'auroit pas l'effet qu'elle attendoit.

Je connois deux savans célebres dont Venlo est la patrie, Goltzius & Puteanus.

Goltzius (Hubert), naquit dans cette ville en 1526, & mourut à Bruges, en 1583, à 57 ans. C'est un excellent antiquaire, qui voyagea dans toute l'Europe pour chercher les preuves de l'histoire par les médailles ; & par-tout son mérite lui ouvrit les cabinets des curieux. Il n'étoit pas seulement antiquaire, mais dessinateur, peintre & graveur. Comme il craignoit qu'on ne laissât glisser dans ses ouvrages des fautes qu'on eût pu lui imputer, il établit dans sa maison une imprimerie, dans laquelle il faisoit imprimer ses livres, les corrigeant lui-même avec beaucoup de soin. Il a publié sur les médailles deux livres précieux ; 1°. Siciliae & magnae Graeciae Numismata. 2°. Thesaurus rei antiquariae. On l'avoit soupçonné d'avoir imposé au public sur plusieurs médailles, mais M. Vaillant a pris sa défense, & lui a rendu la justice qu'il méritoit, après un examen des plus approfondis.

Outre les deux ouvrages dont nous venons de parler, on a encore de Goltzius d'autres bons livres sur l'histoire romaine, & en particulier, 1°. vita & res gestae Augusti, Antverpiae, 1644, avec des commentaires de Nonius. 2°. Imperatorum imagines à C. Julio Caesare ad Carolum Quintum, ex veteribus numismatibus. 3°. Fasti magistratuum & triumphorum Romanorum, ab urbe conditâ usque ad Augusti obitum.

Puteanus (Erycius), naquit a Venlo en 1574, passa en Italie l'an 1597, & fut nommé professeur en éloquence à Milan, l'an 1601. La ville de Rome l'agrégea en 1603, au nombre de ses citoyens & de ses patriciens. Il se rendit à Louvain l'an 1606, pour y succéder à la chaire que Juste-Lipse avoit occupée avec tant de gloire. Il s'acquit beaucoup de considération dans les Pays-bas, & y posséda le titre d'historiographe du roi d'Espagne, & celui de conseiller de l'archiduc Albert. Il mourut l'an 1646, âgé de 72 ans.

C'étoit un homme d'érudition, & qui entretenoit un prodigieux commerce de lettres. Elles ont été recueillies avec ses autres oeuvres, & imprimées à Louvain en 1662, en V. tomes in-8°. Son statera belli & pacis, fit beaucoup de bruit & pensa le ruiner. L'auteur conseilloit la paix, & faisoit voir que la continuation de la guerre nuiroit infiniment aux Espagnols.

Il s'expliqua nettement sur les avantages que les ennemis avoient déjà remportés, & sur les victoires qu'ils pouvoient attendre. C'étoit un livre d'un tout autre tour que celui de ceux qui, pour animer leur nation à continuer la guerre, lui étalent mille descriptions artificieuses de ses forces, & de la foiblesse de l'ennemi.

L'événement justifia que Puteanus ne se trompoit pas ; car si l'Espagne avoit conclu la paix avec les Provinces-unies l'an 1633, elle se seroit épargnée bien des dépenses, des malheurs & des pertes. Je conviendrois cependant que l'historiographe du prince, ne médita pas assez dans cette occasion sur les belles paroles de Salluste, qu'il mit au commencement de son livre, & qui lui montroit sagement les raisons pour lesquelles il est dangereux de donner conseil aux rois. Scio ego, dit l'historien romain, quàm difficile atque asperum factu sit, consilium dare regi, aut imperatori ; postremò cuiquam mortali, cujus opes in excelso sunt : quippe cùm & illis consultorum copiae adsint ; neque de futuro quisquam satis callidus, satisque prudens sit. (D.J.)


VENNONIou VENII, (Géog. anc.) peuples de la Rhétie ; Dion Cassius, l. LIV. p. 538. les met au nombre des peuples des Alpes, qui prirent les armes contre les Romains, & furent vaincus par Publius Silius. Ce sont les Vinnones de Ptolémée, l. II. c. xij. & les Venones de Strabon, l. IV. p. 204. Ce sont aussi les Vennonetes de Pline, l. III. c. xx. qui les nomme entre les peuples qui furent subjugués par Auguste. (D.J.)


VENNONOE(Géog. anc.) ville de la Grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de la Muraille à Portus Rutupis, entre Maudvessedum & Bennavenna, à douze milles du premier de ces lieux, & à dix-sept milles du second. Sur cela M. Vesseling remarque, que les Anglois conviennent que Vennonoe ou Venonoe, doit être cherchée aux environs de Cleycester, lieu ou deux chemins milliaires se joignoient, & par où on alloit de Lindum à Londres. On prétend que le terrein des environs est le plus élevé de toute la Grande-Bretagne, & qu'on y avoit des sources, d'où naissent des rivieres qui coulent de différens côtés. Cambden, qui lit Vennonoe & Bennones, veut que le nom moderne soit Benfordbridge. (D.J.)


VENOSA(Géog. mod.) en latin Venusia, ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Basilicate, sur une petite riviere, au pié de l'Apennin, avec un évêché suffragant d'Acereuza. Elle a titre de principauté. Long. 33. 28. latit. 40. 46.

Luca (Jean Baptiste), qui devint cardinal, étoit né à Venosa de parens obscurs, & mourut en 1683, âgé de 66 ans. Il a mis au jour une relation de la cour de Rome, relatio curiae romanae, où il traite amplement de toutes les congrégations, tribunaux & autres jurisdictions de cette cour. (D.J.)


VENOSTES(Géog. anc.) peuples des Alpes, selon Pline, l. III. c. xx. Ils furent du nombre de ceux qu'Auguste subjugua, & leur nom se trouve dans l'inscription du trophée des Alpes. Ils habitoient, selon le P. Hardouin, dans la vallée où l'Adige prend sa source, & qu'on nomme présentement Val Venosca. (D.J.)


VENREDIS. m. (Calendrier) ce mot se trouve dans Nicod pour vendredi, terme fort commun parmi le peuple de Champagne ; c'est aussi comme il faudroit parler, selon la remarque du même Nicod, qui ajoute, que ce mot est composé de deux mots corrompus, vener, qui est pris de Venus en latin, & de di, qui est tiré de dies, jour de Vénus, dies Veneris, qui est le sixieme jour de la semaine ; les ecclésiastiques le nomment sexta feria. Il faudroit donc dire venredi ; mais le françois, pour rendre la prononciation plus aisée, interpose la consonne d. L'italien dit venerdi, & l'espagnol viernes ; d'un autre côté le languedocien & le peuple voisin retournent ce mot, & disent divendres. (D.J.)


VENTS. m. (Phys.) une agitation sensible dans l'air, par laquelle une quantité considérable d'air est poussée d'un lieu dans un autre.

Les vents sont divisés en permanens, réglés, & variables, en généraux & particuliers.

Les vents permanens ou constans, sont ceux qui soufflent toujours du même côté ; il y a un de ces vents extrêmement remarquable entre les tropiques, lequel souffle constamment de l'est à l'ouest, & qu'on appelle vent général alisé. Voyez ALISE.

Les vents réglés ou périodiques, sont ceux qui reviennent constamment dans de certains tems. Tels sont les vents de terre & de mer qui soufflent de la terre à la mer sur le soir, & de la mer à la terre le matin. Tels sont encore les vents alisés, changeans & particuliers, qui dans certains mois de l'année soufflent d'un côté, & qui soufflent du côté opposé dans les autres mois. Par exemple, les vents appellés moussons, qui sont sud est depuis Octobre jusqu'en Mai, & nord ouest depuis Mai jusqu'en Octobre, entre la côte de Zanguebar & l'île de Madagascar. Voyez MOUSSON.

Les vents variables, sont ceux qui soufflent, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, & qui commencent ou cessent sans aucune regle, soit par rapport aux lieux, soit par rapport aux tems. Tels sont les vents observés dans l'intérieur de l'Angleterre, quoique quelques-uns paroissent suivre certaines heures, comme le vent d'ouest qui est assez fréquent sur le soir, le vent du sud dans la nuit, & le vent du nord le matin. Voyez TEMS.

Le vent général est celui qui souffle dans le même tems & du même côté, sur une partie considérable de la terre & pendant la plus grande partie de l'année. Il n'y a de vent à qui on donne ce nom, que le vent général alisé.

Ce vent a cependant des interruptions car 1°. dans les terres on ne s'en apperçoit presque pas, à cause qu'il est rompu par les montagnes, &c. 2°. en mer auprès des côtes, il est aussi détourné par les vapeurs, les exhalaisons & les vents particuliers qui viennent de terre ; ensorte qu'on ne le peut guere regarder comme général, qu'en pleine mer ; 3°. & en pleine mer même, il est sujet à être altéré par les nuages poussés des autres régions.

Les vents particuliers renferment tous les autres, excepté les vents généraux alisés.

Les vents particuliers d'un petit canton sont appellés vents topiques, tel est le vent du nord au côté occidental des Alpes, qui ne s'étend que sur environ deux lieues de long & beaucoup moins en largeur.

L'histoire des vents est assez bien connue par les soins de plusieurs physiciens qui ont voyagé ou qui se sont appliqués dans leur pays pendant plusieurs années à la connoissance de ce méteore. M. Muschenbroëck a donné sur ce sujet une dissertation fort curieuse à la fin de ses Essais de physique ; où il fait entrer non seulement tout ce qu'il a observé lui-même, mais encore tout ce qu'il a pû recueillir des écrits de M. Halley, de M. Derham, &c. mais il s'en faut bien que nous soyons autant instruits touchant les causes ; j'entends les plus éloignées, celles qui occasionnent les premiers mouvemens dans l'athmosphere : car on sait en général que les vents viennent immédiatement d'un défaut d'équilibre dans l'air, c'est-à-dire de ce que certaines parties se trouvant avoir plus de force que les parties voisines, s'étendent du côté où elles trouvent moins de résistance. Mais quelle est la cause qui produit ce défaut d'équilibre ; c'est ce qu'on ne sait encore que très-imparfaitement : nous allons cependant rapporter les principales opinions des Philosophes sur cette matiere.

Cause physique des vents. Quelques philosophes, comme Descartes, Rohault, rapportent le vent général au mouvement de rotation de la terre, & tirent tous les vents particuliers de ce vent général. L'athmosphere, disent ils, enveloppe la terre & tourne autour d'elle, mais elle se meut moins vîte que la terre ; desorte que les points de la terre qui sont, par exemple, situés sous l'équateur, se meuvent plus vîte d'occident en orient, que la colonne d'air qui est au-dessus. C'est pourquoi ceux qui habitent ce grand cercle doivent sentir continuellement une espece de résistance dans l'athmosphere, comme si l'athmosphere se mouvoit à leur égard d'orient en occident.

Ce qui semble confirmer cette hypothèse, c'est que les vents généraux n'ont guere lieu qu'entre les tropiques, c'est-à dire dans les latitudes où le mouvement diurne est le plus promt.

Mais on en voit aisément l'insuffisance par les calmes constans de la mer Atlantique vers l'équateur, par les vents d'ouest qui soufflent à la côte de Guinée, & les moussons d'ouest périodiques dans la mer des Indes sous l'équateur.

D'ailleurs, l'air étant adhérent à la terre par la force de la gravité, a dû avec le tems acquérir la même vîtesse que celle de la surface de la terre, tant à l'égard de la rotation diurne, qu'à l'égard du mouvement annuel autour du soleil qui est environ trente fois plus considérable. En effet, si la couche d'air voisine de nous se mouvoit autour de l'axe de la terre avec moins de vîtesse, que la surface du globe qui lui est contiguë, le frottement continuel de cette couche contre la surface du globe terrestre, l'obligeroit bientôt à faire sa rotation en même tems que le globe ; par la même raison la couche voisine de celle-ci en seroit entraînée, & obligée à faire sa rotation dans le même tems ; desorte que la terre & son athmosphere parviendroit fort promtement à faire leur rotation dans le même tems autour de leur axe commun, comme si l'un & l'autre ne faisoient qu'un seul corps solide ; par conséquent, il n'y auroit plus alors de vents alisés.

C'est ce qui a engagé le docteur Halley à chercher une autre cause qui fût capable de produire un effet constant, & qui ne donnant point de prise aux mêmes objections, s'accordât avec les propriétés connues de l'eau & de l'air, & avec les loix du mouvement des fluides. M. Halley a cherché cette cause, tant dans l'action des rayons du soleil sur l'air & sur l'eau, pendant le passage continuel de cet astre sur l'Océan, que dans la nature du sol & la situation des continens voisins. Voici une idée générale de son explication.

Suivant les loix de la statique, l'air qui est le moins rarefié par la chaleur & qui est conséquemment le plus pesant, doit avoir un mouvement vers celui qui est plus rarefié, & par conséquent plus léger : or, quand le soleil parcourt la terre par son mouvement diurne apparent, ou plutôt quand la terre tourne sur son axe, & présente successivement toutes ses parties au soleil, l'hémisphere oriental sur lequel le soleil a déja passé, contient un air plus chaud & plus rarefié que l'hémisphere occidental ; c'est pourquoi cet air plus rarefié doit en se dilatant, pousser vers l'occident l'air qui le précede, ce qui produit un vent d'est.

C'est ainsi que le vent général d'orient en occident peut être formé dans l'air sur le grand Océan. Les particules de l'air agissant les unes sur les autres, s'entretiennent en mouvement jusqu'au retour du soleil, qui leur rend tout le mouvement qu'elles pouvoient avoir perdu, & produit ainsi la continuité de ce vent d'est.

Par le même principe, il s'ensuit que ce vent d'est doit tourner vers le nord dans les lieux qui sont au septentrion de l'équateur, & tourner au contraire vers le sud dans les lieux qui sont plus méridionaux que l'équateur ; car près de la ligne l'air est beaucoup plus rarefié qu'à une plus grande distance, à cause que le soleil y donne à plomb deux fois l'année, & qu'il ne s'éloigne jamais du zénith de plus de 23 degrés ; & à cette distance, la chaleur qui est comme le quarré du sinus de l'angle d'incidence n'est guere moindre, que lorsque les rayons sont verticaux. Au lieu que sous les tropiques, quoique le soleil y frappe plus long-tems verticalement, il y est un tems considérable à 47 degrés de distance du zénith, ce qui fait une sorte d'hiver dans lequel l'air se refroidit assez pour que la chaleur de l'été ne puisse pas lui donner le même degré de mouvement que sous l'équateur ; c'est pourquoi l'air qui est vers le nord & vers le sud étant moins rarefié, que celui qui est au milieu, il s'ensuit que des deux côtés, l'air doit tendre vers l'équateur. Voyez CHALEUR.

La combinaison de ce mouvement avec le premier vent général d'est, suffit pour rendre raison des phénomenes des vents généraux alisés, lesquels souffleroient sans cesse & de la même maniere, autour de notre globe, si toute sa surface étoit couverte d'eau comme l'Océan atlantique & éthiopique. Mais comme la mer est entrecoupée par de grands continens, il faut avoir égard à la nature du sol & à la position des hautes montagnes. Car ce sont les deux principales causes qui peuvent altérer les regles générales des vents. Il suffit, par exemple, qu'un terrein soit plat, bas, sablonneux, tels qu'on nous rapporte que sont les déserts de Libye, pour que les rayons du soleil s'y mêlent & échauffent l'air d'une maniere si prodigieuse, qu'il se fasse continuellement un courant d'air, c'est-à-dire, un vent de ce côté là.

On peut rapporter à cette cause, par exemple, le vent des côtes de Guinée, qui porte toujours vers la terre, & qui est ouest au lieu d'être est ; car on imagine bien quelle doit être la chaleur prodigieuse de l'intérieur de l'Afrique, puisque les seules parties septentrionales sont d'une chaleur si considérable, que les anciens avoient cru que tout l'espace renfermé entre les tropiques ne pouvoit pas être habité. Voyez ZONE & TORRIDE.

Il ne sera pas plus difficile d'expliquer les calmes constans qui regnent dans certaines parties de l'Océan atlantique vers le milieu ; car dans cet espace qui est également exposé aux vents d'ouest vers la côte de Guinée, & aux vents alisés d'est, l'air n'a pas plus de tendance d'un côté que de l'autre, & est par conséquent en équilibre. Quant aux pluies qui sont fréquentes dans ces mêmes lieux, elles sont encore aisées à expliquer, à cause que l'athmosphere diminuant de poids par l'opposition qui est entre les vents, l'air ne sauroit retenir les vapeurs qu'il reçoit. Voyez PLUIE.

Comme l'air froid & dense doit à cause de son excès de pesanteur presser l'air chaud & raréfié, ce dernier doit s'élever par un courant continuel & proportionnel à sa raréfaction ; & après s'être ainsi élevé, il doit pour arriver à l'équilibre, se répandre & former un courant contraire ; ensorte que par une sorte de circulation le vent alisé de nord-est doit être suivi d'un vent de sud-ouest. Voyez COURANT, COURANT INFERIEUR, &c.

Les changemens instantanés d'une direction à celle qui lui est opposée, qu'on voit arriver dans le vent lorsqu'on est dans les limites des vents alisés, semblent nous assûrer que l'hypothèse précédente n'est pas une simple conjecture ; mais ce qui confirme le plus cette hypothèse, c'est le phénomene des moussons qu'elle explique aisément, & qu'on ne sauroit guere comment expliquer sans son secours. Voyez MOUSSONS.

Supposant donc la circulation dont nous venons de parler, il faut considérer que les terres qui touchent de tous les côtés à la mer septentrionale des Indes, telles que l'Arabie, la Perse, l'Inde, &c. sont pour la plûpart au-dessous de la latitude de 30d., & que dans ces terres, ainsi que dans celles de l'Afrique, qui sont voisines de la Méditerranée, il doit y avoir des chaleurs excessives, lorsque le soleil est dans le tropique du cancer ; qu'au contraire l'air doit y être assez tempéré lorsque le soleil s'approche de l'autre tropique, & que les montagnes voisines des côtes sont, suivant qu'on le rapporte, couvertes de neige, & capables par conséquent de refroidir considérablement l'air qui y passe. Or de-là il suit que l'air qui vient, suivant la regle générale du nord-est à la mer des Indes, est quelquefois plus chaud, & quelquefois plus froid que celui qui par cette circulation retourne au sud-ouest, & par conséquent il doit arriver tantôt que le vent, ou courant inférieur, vienne du nord-est, & tantôt du sud-ouest.

Les tems où les moussons soufflent, font voir suffisamment qu'ils ne sauroient avoir d'autre cause, que celle qu'on vient d'exposer ; car en Avril lorsque le soleil commence à réchauffer ces contrées vers le nord, les moussons sud-ouest se levent & durent tout le tems de la chaleur, c'est-à-dire, jusqu'en Octobre ; le soleil s'étant alors retiré, & l'air se refroidissant dans les parties du nord, tandis qu'il s'échauffe dans les parties du sud, les vents de nord est commencent & soufflent pendant tout l'hiver jusqu'au retour du printems ; & c'est sans-doute par la même raison, que dans les parties australes de la mer des Indes, les vents de nord-ouest succédent à ceux de sud-est, lorsque le soleil approche du tropique du capricorne. Voyez MAREE.

Voilà l'idée générale de l'explication de M. Halley ; quelque ingénieuse qu'elle soit, il semble qu'elle est un peu vague, & qu'elle manque de cette précision nécessaire pour porter dans l'esprit une lumiere parfaite ; cependant la plûpart des physiciens l'ont adoptée ; mais ces savans ne paroissent pas avoir pensé à une autre cause générale des vents, qui pourroit être aussi considérable que celle qui provient de la chaleur des différentes parties de l'athmosphere. Cette cause est la gravitation de la terre & de son athmosphere vers le soleil & vers la lune, gravitation qui produit le flux & reflux de la mer, comme tous les Philosophes en conviennent aujourd'hui, & qui doit produire aussi nécessairement dans l'athmosphere un flux & reflux continuel.

Cette hypothèse ou cette explication de la cause des vents généraux a cet avantage sur celle de M. Halley, qu'elle donne le moyen de calculer assez exactement la vîtesse & la direction du vent, & par conséquent de s'assurer si les phénomenes répondent aux effets que le calcul indique : au lieu que l'explication de M. Halley ne peut donner que des raisons fort générales des différens phénomenes des vents, &, comme nous l'avons déjà dit, assez vagues. Car, quoiqu'on ne puisse nier que la différente chaleur des parties de l'athmosphere ne doive y exciter des mouvemens, c'est à-peu-près à quoi se bornent nos connoissances sur ce sujet. Il paroît difficile de démontrer en rigueur de quel côté ces mouvemens doivent être dirigés.

Au contraire, si on calcule dans l'hypothèse de la gravitation les mouvemens qui doivent être excités dans l'athmosphere par l'action du soleil & de la lune, on trouve que cette action doit produire sous l'équateur un vent d'est perpétuel ; que ce vent doit se changer en vent d'ouest dans les zones tempérées, à quelque distance des tropiques ; que ce vent doit changer de direction selon le plus ou le moins de profondeur des eaux de la mer ; que les changemens qu'il produit dans le baromêtre doivent être peu considérables, &c. Nous ne pouvons donner ici que les résultats généraux que le calcul donne sur ce sujet ; ceux qui voudront en savoir davantage, pourront avoir recours à quelques dissertations où cette matiere a été plus approfondie, & qui ont été composées à l'occasion du sujet proposé par l'académie des sciences de Berlin, pour l'année 1746.

Le mouvement de la terre autour de son axe, peut aussi être regardé sous un autre aspect comme une autre cause des vents ; car l'athmosphere se charge & se décharge continuellement d'une infinité de vapeurs & de particules hétérogenes ; desorte que les différentes colonnes qui la composent, souffrent continuellement une infinité de variations, les unes étant plus denses, les autres plus rares. Or l'athmosphere tournant avec la terre autour de son axe, ses parties tendent sans cesse à se mettre en équilibre, & y seroient effectivement, si l'athmosphere demeuroit toujours dans le même état. Mais comme ces parties sont continuellement altérées dans leur pesanteur & leur densité, leur équilibre ne sauroit subsister un moment ; il doit être continuellement rompu, & il doit s'ensuivre des vents variables presque continuels. Des exhalaisons qui s'amassent & qui fermentent dans la moyenne région de l'air, peuvent encore occasionner des mouvemens dans l'athmosphere ; c'est la pensée de M. Homberg & de plusieurs autres savans ; & si les vents peuvent naître de cette cause, comme il est probable, on ne doit point être surpris qu'ils soufflent par secousses & par bouffées ; puisque les fermentations auxquelles on les attribue, ne peuvent être que des explosions subites & intermittentes. Ces fermentations arrivent très-fréquemment dans les grottes soûterraines par le mêlange des matieres grasses, sulphureuses, & salines qui s'y trouvent : aussi plusieurs auteurs ont-ils attribué les vents accidentels à ces sortes d'éruptions vaporeuses. Connor rapporte qu'étant allé visiter les mines de sel de Cracovie, il avoit appris des ouvriers & du maître même, que des recoins & des sinuosités de la mine, il s'éleve quelquefois une si grande tempête, qu'elle renverse ceux qui travaillent & emporte leurs cabanes. Gilbert, Gassendi, Scheuchzer, font mention d'un grand nombre de cavernes de cette espece, d'où il sort quelquefois des vents impétueux, qui prenant leur naissance sous terre, se répandent dans l'athmosphere, & y continuent quelque tems.

On ne sauroit donc douter qu'il ne sorte des vents de la terre & des eaux : il en sort des antres, des gouffres, des abîmes. Il en naît un en Provence de la montagne de Malignon, lequel ne s'étend pas plus loin que le penchant de la montagne. Il en naît un autre dans le Dauphiné, près de Nilfonce, lequel s'étend assez peu ; l'on voit quelquefois en plein calme les eaux de la mer se friser tout-d'un-coup autour d'un navire ; avant que les voiles s'enflent, les flots se former en sillons, se pousser les uns les autres vers un certain côté ; puis on sent le souffle du vent. Or comment se forment ces sortes de vents ? Pour le comprendre, on peut comparer les creux soûterrains à la cavité d'un éolipyle, les chaleurs soûterraines à celles du feu, sur lequel on met l'éolipyle & les fentes de la terre, les antres, les ouvertures, par où les vapeurs peuvent s'échauffer, au trou de l'éolipyle ; mettez sur le feu un éolipyle, qui contienne un peu d'eau ; bien tôt l'eau s'évapore, les vapeurs sortent rapidement, forcées de passer en peu de tems d'un grand espace par un petit, poussent l'air ; & cette impression rapide fait sentir une espece de vent de même que les fermentations, les chaleurs soûterraines, font sortir brusquement de certains endroits de la terre & des eaux, comme d'autant d'éolipyles de grands amas de vapeurs ou d'exhalaisons. Ces exhalaisons, ces vapeurs élancées violemment, chassent l'air selon la direction qu'elles ont reçue en sortant de la terre & des eaux.

L'air chassé violemment communique son mouvement à l'air antérieur ; de là ce courant sensible d'air, en quoi consiste le vent ; de-là ce flux successif d'air, qui semble imiter le mouvement des flots, & fait les bouffées. En effet, quelquefois lorsque le tems est serein, & l'air tranquille, sur la Garonne proche de Bordeaux, dans le lac de Genève, & dans la mer, on voit des endroits bouillonner tout-à-coup, & dont les bouillonnemens sont suivis de vents impétueux, de furieuses tempêtes. Qu'est ce qui produit les typhons, ces vents si redoutables dans les mers des Indes ? Les vapeurs & les exhalaisons soûterraines, car avant les typhons, les eaux de la mer deviennent tiedes ; on sent une odeur de soufre, & le ciel s'obscurcit. M. Formey.

On cite encore l'abaissement des nuages, leurs jonctions, & les grosses pluies, comme autant de causes qui font naître ou qui augmentent le vent : & en effet, une nuée est souvent prête à fondre par un tems calme, lorsqu'il s'éleve tout-d'un coup un vent impétueux : la nuée presse l'air entre elle & la terre, & l'oblige à s'écouler promtement.

Cette agitation violente de l'air forme un vent qui dure peu, mais impétueux. Ces sortes de vents sont suivis ordinairement de pluies, parce que les nuées, dont la chûte les produit, se resolvent en gouttes dans leur chûte. Quelquefois les mariniers apperçoivent au-dessus d'eux une nuée qui paroît d'abord fort petite, parce qu'elle est fort élevée, mais qui semble s'élargir peu à peu, parce qu'elle descend & s'approche, & dont la chûte sur la mer est accompagnée de pluie, d'orage, & de tempête.

La hauteur, la largeur, & la situation des montagnes, retrécit quelquefois le passage des vapeurs & de l'air agités, & cause par-là de l'accélération dans leur mouvement. Ce mouvement devient sensible, & c'est un vent réel ; aussi quand les vaisseaux passent le long de la côte de Gènes, où il y a de hautes montagnes, & qu'ils sont vis-à-vis de quelques vallées dont la direction regarde la mer, on sent un vent considérable qui vient des terres. M. Formey.

Comme quelques auteurs modernes ont cru pouvoir pousser la théorie des vents au point d'y appliquer les regles des Mathématiques, nous allons donner au lecteur une idée de leur travail, avec quelques remarques.

Loix de la production des vents. Si le ressort de l'air est affoibli dans quelque lieu plus que dans les lieux voisins, il s'élevera un vent qui traversera le lieu où est cette moindre élasticité. Voyez AIR & ELASTICITE.

Car, puisque l'air fait effort par son élasticité pour s'étendre de tous les côtés, il est clair que si cette élasticité est moindre dans un lieu que dans un autre, l'effort de l'air le plus élastique surpassera celui de l'air qui l'est moins, & que par conséquent l'air le moins élastique résistera avec moins de force que celui qui est pressé par une plus grande force élastique ; ensorte que cet air moins élastique sera chassé de sa place par l'air le plus élastique.

2°. Or comme le ressort de l'air augmente proportionnellement au poids qui le comprime, & que l'air plus comprimé est plus dense que l'air moins comprimé, tous les vents iront du lieu où l'air est le plus dense dans ceux où il est le plus rare.

3°. L'air le plus dense étant spécifiquement plus pesant que le plus rare, toute légéreté extraordinaire de l'air produira nécessairement un vent extraordinaire, ou une tempête. Il n'est donc pas étonnant qu'on s'attende à un orage, lorsqu'on voit baisser considérablement le baromêtre. Voyez BAROMETRE.

4°. Si l'air vient à être soudainement condensé dans quelqu'endroit, & si cette altération est assez grande pour affecter le baromêtre, il y aura un vent qui soufflera.

5°. Mais comme l'air ne sauroit être condensé soudainement, qu'il n'ait été auparavant raréfié considérablement ; l'air sera agité du vent lorsqu'il se refroidira après avoir été violemment échauffé.

6°. De la même maniere si l'air vient à être soudainement raréfié, son ressort sera soudainement augmenté, ce qui le fera couler aussitôt vers l'air contigu, sur lequel n'agit point la force raréfiante. Ensorte que dans ce cas, le vent viendra de l'endroit où l'air sera soudainement raréfié.

7°. Le soleil dont la force pour raréfier l'air est connue, doit avoir une grande influence sur la production des vents. Ces dernieres loix de la production des vents, ne paroissent pas s'accorder trop bien avec les premieres ; par ces dernieres, on prétend sans-doute expliquer comment la chaleur du soleil doit faire mouvoir l'athmosphere d'orient en occident, & par celles qu'on a données d'abord, il sembleroit qu'on pourroit expliquer de même comment le soleil seroit mouvoir l'athmosphere dans un sens contraire, si en effet elle se mouvoit ainsi. Telle est la nature de presque toutes les explications que les physiciens essayent de donner des différens phénomenes de la nature ; elles sont si vagues & si peu précises, qu'elles pourroient servir à rendre raison de phénomenes tout contraires. Voyez CHALEUR, RAREFACTION.

8°. Il sort pour l'ordinaire des caves, un vent qui est plus ou moins fort suivant les circonstances.

On connoît par expérience les vents qui s'élevent, ou les changemens qui leur arrivent, par le moyen des girouettes qui sont au-dessus des maisons ; mais on ne connoît par ce moyen que les vents qui soufflent à la hauteur où ces girouettes sont placées, & M. Wolf assure d'après des observations de plusieurs années, que les vents plus élevés qui poussent les nuages, sont différens de ceux qui font tourner les girouettes. M. Derham de son côté, a fait des remarques qui ne s'éloignent pas de celles-là. Physic. Théor. l. I. c. ij.

Cet auteur rapporte qu'en comparant plusieurs suites d'observations faites en Angleterre, en Irlande, en Suisse, en Italie, en France, dans la nouvelle Angleterre, &c. on trouve que les vents qui soufflent dans ces différens pays, ne s'accordent gueres communément, excepté lorsqu'ils sont d'une violence extraordinaire, & qu'ils soufflent pendant un tems considérable du même côté, & plus, suivant lui, lorsque ces vents sont au nord ou à l'est, que dans les autres points. Il remarque encore que les vents qui sont violens dans un lieu, sont souvent foibles ou modérés dans un autre, suivant que ce second lieu est plus ou moins éloigné du premier. Phil. Tr ans. n °. 267. & 321.

Loix de la force & de la vîtesse du vent. Le vent n'étant autre chose qu'une agitation dans l'air, c'est-à-dire dans un fluide sujet aux mêmes loix que les autres, sa force pourra s'estimer exactement. " Ainsi la raison de la pesanteur spécifique de l'air à celle d'un autre fluide, étant donnée avec l'espace que ce fluide pousse par la pression de l'air, décrit dans un tems donné ; on pourra trouver l'espace que l'air poussé par la même force, décrira dans le même tems, en employant la regle suivante ".

1°. La pesanteur spécifique de l'air est à celle de tout autre fluide, en raison renversée du quarré de l'espace que ce fluide, poussé par une force quelconque, parcourt dans un tems donné, au quarré de l'espace que l'air décrit dans le même tems, en vertu de la même impulsion. Supposant donc que la proportion de la pesanteur spécifique de cet autre fluide à celle de l'air, soit celle de b à c, & que l'espace parcouru par ce même fluide, soit s, tandis que celui qui est parcouru par l'air dans le même tems, est nommé x, on aura par cette regle x = (b 2 : c) ainsi si l'on veut que l'eau poussée par une force donnée, fasse deux piés dans une seconde de tems, on aura s = 2, & la pesanteur spécifique de l'eau étant supposée à celle de l'air, comme 970 à 1, b sera 970, & c = 1, ce qui donnera x = (9701 4) = 3880 = 623 piés. Dans ce cas la vîtesse du vent sera à celle de l'eau mue par la même force, comme 623 à 2, ou ce qui revient au même, lorsque l'eau fera 2 piés dans une seconde, l'air en fera 623.

2°. Il suit de la même formule que s = (cx2 : b) c'est-à-dire que l'espace parcouru dans un tems donné, par un fluide, en vertu d'une impression quelconque, se trouve, en prenant d'abord la quatrieme proportionnelle à trois nombres dont les deux premiers expriment le rapport des pesanteurs spécifiques des deux fluides, & dont le troisieme exprime l'espace parcouru par le vent, dans le tems donné ; & en prenant ensuite la racine quarrée de cette quatrieme proportionnelle.

M. Mariotte ayant trouvé par différentes expériences qu'un vent passablement fort fait parcourir à l'air 24 piés dans une seconde, on trouvera l'espace que l'eau poussée par la même force que l'air parcouroit dans le même tems, en faisant c = 1, x = 28, b = 970, car on aura alors s, ou l'espace cherché = (576 : 970) = 311/31.

3°. La vîtesse du vent étant donnée, on déterminera la pression capable de produire cette vîtesse, par la regle suivante : l'espace parcouru par le vent, dans une seconde de tems, est à la hauteur qu'un fluide devroit avoir dans un tube vuide, pour avoir une pression capable de donner cette vîtesse, dans la raison composée de la pesanteur spécifique de ce fluide, à celle de l'air, & du quadruple de la hauteur qu'un corps parcourt en tombant pendant une seconde, à cet espace dont on vient de parler, parcouru par l'air dans une seconde.

Plusieurs physiciens ont essayé de mesurer la vîtesse des vents, en lui donnant à emporter de petites plumes & d'autres corps légers ; mais les expériences qu'on a faites sur ce sujet, s'accordent fort peu entr'elles. M. Mariotte prétend que la vîtesse du vent le plus impétueux, est de 32 piés par seconde. M. Derham la trouve environ deux fois plus grande.

Il a fait ses expériences avec des plumes légeres, & de la semence de pissenlis, que le vent emporta avec la même rapidité que l'air même. Il fit en 1705, le 11 Août, un furieux orage qui renversa presque tout un moulin à vent. Le vent qui souffloit alors, parcouroit 66 piés d'Angleterre dans une seconde, & par conséquent 45 milles d'Angleterre dans l'espace d'une heure ; mais l'orage extraordinaire de 1703. fut encore plus furieux, puisqu'alors le vent parcouroit 50 à 60 milles en une heure. Ces vents rapides ont quelquefois tant de force qu'ils renversent presque des rocs entiers, & qu'ils déracinent des arbres de 100 & 200 ans, quelque gros qu'ils puissent être.

Il y a au-contraire d'autres vents dont le cours est si lent qu'ils ne sauroient dévancer un homme à cheval ; d'autres ont une vîtesse médiocre, & ne parcourent que dix milles d'Angleterre par heure. M. Formey.

La force du vent se détermine par une machine particuliere qu'on appelle anemometre, laquelle étant mise en mouvement par le moyen d'aîles semblables à celles d'un moulin à vent, éleve un poids qui s'écartant de plus en plus du centre du mouvement, en glissant le long d'un bras creusé en gouttiere & adapté sur l'aissieu des voiles, résiste d'autant plus qu'il est plus élevé, jusqu'à ce que devenant en équilibre avec la force du vent sur les voiles, il en arrête le mouvement. Une aiguille fixée sur le même axe à angle droit avec le bras, montre en s'élevant ou en descendant, la force du vent sur une espece de cadran divisé en degrés. Voyez ANEMOMETRE.

On trouvera dans le traité du navire de M. Bouguer, la description d'un anemometre, que cet habile géomêtre a inventé, & auquel nous renvoyons. Ce n'est autre chose qu'un morceau de carton appliqué à un peson d'Allemagne. M. Poleni a aussi donné la description d'un instrument semblable, dans la piece qui a remporté le prix de l'académie en 1733.

Qualités & effets du vent. 1°. " Un vent qui vient du côté de la mer, est toujours humide, & de plus froid en été & chaud en hiver, à moins que la mer ne soit gelée : ce qui peut se prouver ainsi. " Il s'éleve continuellement une vapeur de la surface de toute eau, & cette vapeur est beaucoup plus considérable qu'on ne peut l'imaginer lorsque l'eau est exposée à l'action des rayons du soleil ; c'est un fait qu'il est aisé de reconnoître, en exposant à l'air un vase rempli d'eau, & en remarquant que l'eau diminue sensiblement au bout d'un assez petit espace de tems. Voyez VAPEUR.

De-là il suit que l'air qui est au dessus de la mer est chargé de beaucoup de vapeurs : or les vents qui viennent du côté de la mer, balayant & ramassant ces vapeurs, doivent être par conséquent humides.

De plus en été l'eau s'échauffe moins que la terre par l'action des rayons du soleil ; au-lieu qu'en hiver l'eau de la mer est plus chaude que la terre, qui est souvent couverte de glace & de neige : or comme l'air qui est contigu à un corps, partage son degré de froid ou de chaud, il s'ensuit que l'air contigu à la mer est plus chaud en hiver que celui qui est contigu à la terre ; & que le même air est réciproquement plus froid en été. On peut dire encore que les vapeurs que l'eau exhale en hiver, étant plus chaudes que l'air dans lequel elles s'élevent, ainsi qu'on le peut juger par la condensation de ces vapeurs qui les rend visibles aussitôt qu'elles s'élevent dans l'air ; il faut que ces vapeurs échauffent continuellement la partie de l'athmosphere qui est au-dessus de la mer, & en rendent la chaleur plus considérable que dans celle qui est au-dessus de la terre ; mais en été, les rayons du soleil réfléchis de la terre dans l'air, étant en bien plus grand nombre que ceux qui sont réfléchis de l'eau dans l'air, l'air contigu à la terre échauffé par une plus grande quantité de rayons que celui qui est contigu à la mer, sera par conséquent plus chaud. De tout-celà il s'ensuit que les vents de mer produisent des tems épais & couverts, & des brumes.

2°. " Les vents qui viennent des continens sont toujours secs, chauds en été, & froids en hiver " : car comme il s'éleve beaucoup moins de vapeurs de la terre que de l'eau, il faut aussi que l'air qui est audessus des terres soit beaucoup moins chargé de vapeurs que celui qui est au-dessus des mers. D'ailleurs les vapeurs ou exhalaisons qui s'élevent de la terre, par les grands degrés de chaleur, sont beaucoup plus déliées & moins sensibles que celles qui viennent de l'eau. Il faut donc que le vent qui vient du continent amene peu de vapeur, & qu'il soit par conséquent sec. De plus la terre étant plus échauffée dans l'été, que ne l'est l'eau, quoique exposée aux mêmes rayons du soleil, il faut donc que l'air qui est contigu à la terre, & par conséquent le vent qui vient de terre, soit plus chaud que celui qui vient de la mer : on verroit de la même maniere que les vents de terre doivent être plus froids en hiver que les vents de mer ; & on verroit aussi que ces mêmes vents de terre, en hiver, doivent rendre le tems froid, clair & sec. Voyez TEMS.

Quoiqu'il en soit, les vents du nord & du sud, qui sont communément estimés les causes des tems froids & des tems chauds, doivent être plutôt regardés, suivant M. Derham, comme les effets du froid & du chaud de l'athmosphere : car nous voyons fréquemment un vent chaud de sud se changer subitement en un vent de nord, s'il survient de la neige ou de la grêle ; & de même le vent qui est au nord, dans une matinée froide, se changer en vent de sud quand le soleil a échauffé la terre, & retourner ensuite sur le soir au nord ou à l'est, lorsque la terre se refroidit. Voyez à l'article du BAROMETRE, les effets du vent sur le baromêtre.

La nature qui ne fait rien d'inutile, sait mettre les vents à profit : ce sont eux qui transportent les nuages, pour arroser les terres, & qui les dissipent ensuite pour rendre le beau tems ; leurs mouvemens purifient l'air, & la chaleur ainsi que le froid se transmettent d'un pays à un autre. Quelquefois aussi les vents nous sont nuisibles, comme lorsqu'ils viennent d'un endroit mal sain, ou lorsqu'ils apportent des graines de mauvaises plantes dans des endroits où on desireroit qu'il n'en crût point. Quel secours ne tirons-nous pas des moulins à vent, pour moudre le grain, extraire l'huile des semences, fouler les draps, &c. De quelle utilité le vent n'est il pas à la navigation ? le secours du vent est si commode, & ses avantages sont si bien connus, que nous nous en procurons souvent quand nous en manquons : le forgeron se sert d'un soufflet pour allumer son feu ; le boulanger nettoie son blé en le faisant passer devant une espece de roue, qui en agitant l'air, chasse la poussiere, &c.

VENT, dans la Navigation, est l'agitation de l'air considérée comme servant à faire mouvoir les navires. Voyez NAVIGATION.

La division des vents dans la Navigation est relative aux points de l'horison d'où ils soufflent, en cardinaux & collatéraux.

Les vents cardinaux sont ceux qui soufflent des points cardinaux, c'est-à-dire de l'est, de l'ouest, du nord & du sud. Voyez CARDINAL.

Les vents collatéraux sont ceux qui sont entre les vents cardinaux. Le nombre de ces vents est infini, ainsi que les points d'où ils soufflent. Mais il n'y en a qu'un petit nombre qu'on considere dans la pratique, ou plutôt auxquels on ait donné des noms particuliers.

Les Grecs ne considérerent d'abord que les quatre vents cardinaux ; ils y joignirent ensuite quatre autres vents collatéraux. Quant aux Romains, ils ajouterent aux quatre vents cardinaux vingt vents collatéraux, auxquels ils donnerent des noms particuliers qu'on trouve dans Vitruve.

Les modernes dont la navigation est beaucoup plus perfectionnée que celle des anciens, ont donné des noms à vingt-huit des vents collatéraux qu'ils partagent en principaux & secondaires ; divisant ensuite les secondaires en premiere & seconde espece. Voyez RHUMB. Les noms françois des rhumbs & des vents collatéraux principaux sont composés des noms cardinaux, & sont toujours précédés de nord ou de sud.

Les noms des vents collatéraux secondaires du premier ordre sont composés des noms des cardinaux & des principaux collatéraux dont ils sont voisins. Ceux du second ordre sont composés des noms des cardinaux ou principaux collatéraux voisins, en y ajoutant le nom du cardinal ou du collatéral principal le plus proche précédé du mot quart. Les Latins avoient donné des noms particuliers à chacun de ces vents. On trouvera tous ces noms dans la table suivante.

Noms des rhumbs de vent.

Les noms anciens joints ici aux modernes, à la maniere du P. Riccioli, ne sont pas précisément les mêmes que ceux que les anciens avoient donnés aux vents ; mais ce sont seulement les noms qui suivant leurs dénominations doivent exprimer les vents des modernes. Car la division des anciens n'étant pas la même que la nôtre, les noms dont ils se sont servis ne peuvent pas exprimer exactement nos vents.

Quant aux vrais noms anciens des vents qui, suivant Vitruve, sont au nombre de vingt-quatre, ils sont tous exposés dans la table suivante.

Quant à l'usage des vents dans la Navigation, voyez NAVIGATION, RHUMB, &c.

VENT, (Marine) c'est un mouvement de l'air, qui a des directions différentes, & qui sert par-là à pousser les vaisseaux à quelque endroit de la terre qu'ils veuillent aller. C'est donc une connoissance essentielle pour les marins que celle des vents. Aussi tous les navigateurs intelligens se sont attachés à les observer dans leurs voyages, & à en tenir compte : & voici un précis du fruit de leurs observations.

1°. Entre les tropiques, le vent d'est souffle pendant tout le cours de l'année, & ne passe jamais le nord-est ou sud-est.

2°. Hors les tropiques on trouve des vents variables, qu'on appelle vents de passages, dont les uns soufflent tous d'un même côté, & dont les autres sont périodiques, & soufflent pendant six mois d'un certain côté, & pendant les six autres mois d'un autre côté. On donne à ceux-ci le nom particulier de moussons. Dans la grande mer du Sud, dans la partie de la mer des Indes qui est au sud de la ligne, dans une partie de la mer du nord, & dans la mer Ethiopique, le vent d'est souffle toujours depuis 30 deg. de latit. boréale, jusqu'à 30 deg. de latit. méridionale ; mais il est plus méridional au sud de l'équateur, savoir sur l'est-sud-est ; & plus septentrional au nord de l'équateur, à environ est-nord-est.

Ceci doit s'entendre du vent de passage qui regne en pleine mer ; car à la distance de 150 ou 200 milles des côtes, le vent de passage souffle dans la grande mer du Sud, du côté de l'ouest de l'Amérique méridionale ; ce qui est causé vraisemblablement en partie par les côtes, & en partie par ces hautes montagnes qu'on appelle les Andes. Du côté de l'est des côtes ce vent souffle jusqu'auprès du rivage, & il se mêle même avec les vents des côtes. Enfin au nord de la mer Indienne regne le vent ordinaire de passage, depuis Octobre jusqu'en Avril, & il est diamétralement opposé dans les autres mois.

3°. Le long de la côte du Pérou & de Chili, regne un vent de sud, de même que le long de la côte de Monomotapa & de celle d'Angola, il y a presque toujours aux environs de la côte de la Guinée un vent de sud-ouest.

4°. On divise les vents qui soufflent près des côtes, en vents de mer, & en vents de terre. Le vent de mer s'éleve en plusieurs endroits sur les 9 heures du matin, & il augmente toujours jusqu'à midi ; après quoi il décroît jusqu'à 3 heures après midi, où il cesse entierement : ce vent souffle droit sur la côte lorsque le tems est serein. Les vents de terre les plus forts se font sentir dans les baies profondes, & presque point, ou fort peu, dans les côtes élevées.

5°. Les grandes tempêtes, les vents violens & momentanés, & encore ceux qui soufflent de tous côtés, que les marins appellent travades ou ouragans ; & les vents qui accompagnent les orages, n'entrent point dans l'histoire des vents, parce qu'ils ne sont point de longue durée.

Ce n'est point ici le lieu de rechercher la cause des vents ; il faut recourir pour cela à l'article vent du Dictionn. universel de mathématique & de physique, où l'on trouvera le titre des ouvrages qui contiennent des connoissances plus détaillées sur le météore qui vient de faire le sujet de cet article. Voyez encore les articles suivans à l'égard des noms des vents. Voyez ROSE DE VENT. Voyez Marine, Pl. XXI. fig. 3. les noms des 32 rumbs des vents de la boussole.

Vent alisé, nom qu'on donne au vent qui souffle entre les tropiques, presque toujours du même côté ; savoir depuis le nord-est jusqu'à l'est, au nord de la ligne ; & depuis le sud-est jusqu'à l'est, au sud de la ligne.

Vent arriere, on appelle ainsi le vent dont la direction ne fait qu'une même ligne avec la quille du vaisseau.

Vent d'amont, vent d'orient qui vient de terre : on l'appelle sur les rivieres vent solaire ou vent équinoxial.

Vent d'aval, vent malfaisant qui vient de la mer & du sud ; c'est aussi l'ouest & le nord-ouest.

Vent de bouline, c'est un vent dont la direction fait un angle aigu avec la route du vaisseau. Voy. ALLER A LA BOULINE.

Vent de quartier, nom qu'on donne au vent qui est perpendiculaire à la route du vaisseau.

Vent en poupe, voyez vent arriere.

Vent en poupe largue la soute, cela signifie que le vent étant bon de bouline, on peut donner des vivres à l'équipage comme à l'ordinaire, supposé qu'on en eût retranché.

On dit encore que le vent en poupe fait trouver la mer unie, parce qu'on ne se sent point alors de l'agitation de la mer.

Vent largue, nom d'un vent qui fait un angle obtus avec la route. Voyez LARGUE.

Vent routier, vent qui sert pour aller & pour venir en un même lieu.

Vents variables, ce sont des vents qui changent & qui soufflent tantôt d'un côté, tantôt d'un autre.

On appelle encore sur mer vent à pic, un vent qui n'a point de direction déterminée ; & on dit que le vent est au soleil, lorsqu'il n'y a point de vent.

Vent, au plus près de, terme de Marine. Voyez ALLER au plus près du vent.

VENT, (Critique sacrée) ; ce mot, outre sa signification ordinaire, désigne les parties de la terre d'où les vents soufflent. Les anges assembleront les élus des quatre vents, c'est-à-dire d'un bout du monde à l'autre, Matth. xxiv. 31. Les vents dans Zach. vj. 5. marquent les quatre monarchies qui se sont succédées ; comme les vents regnent successivement dans l'air, ils se prennent figurément pour des ennemis puissans : Inducam quatuor ventos à quatuor plagis coeli. Jérém. xlix. 35. c'est-à-dire je ferai fondre de toutes parts des ennemis sur les Elamites. Enfin ventus urens, un vent brûlant, dénote un malheur inopiné, Job. xxvij. 21. Pascere ventum, c'est prendre des peines inutiles. Seminare ventum, c'est perdre son travail. Observare ventum, c'est laisser échapper l'occasion par trop de circonspection. (D.J.)

VENT, (Physiolog.) les vents qui sortent soit par la bouche, soit par l'anus, sont de l'air que ces visceres chassent de leur cavité, en se mettant dans une contraction assez forte, pour surmonter les puissances qui s'opposent à la sortie des matieres contenues dans ces cavités. Ces puissances sont deux sphincters, dont l'un ferme l'orifice supérieur de l'estomac, & l'autre l'anus. Quant à ce qui concerne les vents, comme maladie, Voyez FLATUOSITE. (D.J.)

VENT, (Maréchal.) avoir du vent, se dit d'un cheval qui commence à devenir poussif. Porter le nez au vent, ou porter au vent, c'est la même chose. Voyez PORTER.

VENT DU BOULET, c'est dans l'artillerie, la différence qu'on observe entre le calibre de la piece & celui du boulet, afin qu'il y entre facilement & qu'il en sorte de même, sans causer beaucoup de frottement dans l'ame du canon ; ce qui ralentiroit le mouvement du boulet, & useroit le métal de la piece trop promtement. Voyez BOULET.

VENT, (Jardinage) le vent est l'élément le plus nuisible aux jardins, c'est une agitation violente de l'air. Les Jardiniers & les Vignerons en craignent de plusieurs sortes.

Il y a le vent d'amon, celui d'aval, de galerne, de bise, les vents roux & ceux du nord.

Le vent d'amon est un vent de terre, il vient d'orient ou du levant.

Celui d'aval ou d'abas est son opposé, c'est un vent de mer ; il vient d'occident ou du couchant, & est très-malfaisant.

Le vent de galerne vient d'orient, & est très-froid ; il gele ordinairement les vignes & les fruits ; les Italiens l'appellent greco, il souffle entre l'orient & le septentrion.

Le vent de bise est un vent froid & sec, qui gele les vignes & perd les fleurs. Il regne dans le fort de l'hiver, & souffle entre l'est & le septentrion : sur l'Océan on l'appelle nord, & les Italiens le nomment la tramontana, ainsi le vent du nord & celui de bise sont les mêmes.

Le roux-vent ou le vent-roux est un vent froid & sec : que les Jardiniers craignent beaucoup dans le mois d'Avril, parce qu'il gâte les jets tendres des arbres fruitiers, ce qui fait recoquiller leurs feuilles.

Les modernes distinguent les quatre vents cardinaux en trente-deux parties égales ou rumbs, ce qui regarde plus la navigation que l'agriculture & le jardinage.

On dit encore en parlant des arbres, un arbre à plein-vent, c'est-à-dire en plaine campagne ou isolé dans un verger.

VENT, terme de Fauconnerie, aller contre le vent se dit quand l'oiseau vole, ayant le bec tourné du côté du vent ; aller vau le vent, c'est quand il a le balai ou queue tournée contre le vent ; bander le vent se dit de l'oiseau, quand il tient les chemins & fait la cresserelle ; chevaucher le vent, tenir le bec au vent, c'est quand l'oiseau résiste au vent sans tourner la queue ; prendre le haut-vent se dit quand l'oiseau vole au-dessus du vent ; vent léger, c'est celui qui est doux, gracieux & propre pour bien voler ; vent clair est celui qui souffle lorsque le tems est beau & serein.

VENTS, (Mythologie) les vents nuisibles étoient, selon Hésiode, fils des géans Typhéus, Astréus & Persée ; mais les vents favorables, savoir Notus, Borée & Zéphire, étoient enfans des dieux. Homere & Virgile établissent le séjour des vents aux îles Eoliennes. C'est-là, dit le poëte latin, que dans un antre vaste & profond Eole tient tous les vents enchaînés, tandis que les montagnes qui les renferment retentissent au-loin de leurs fureurs ; s'ils n'étoient sans cesse retenus, ils confondroient bien-tôt le ciel, la terre, la mer & tous les élémens.

L'antiquité payenne sacrifioit aux vents pour se les rendre favorables. Hérodote le dit des Perses. Xénophon rapporte dans l'expédition du jeune Cyrus, que le vent du nord causant un grand dommage à l'armée, un devin conseilla de lui sacrifier ; on obéit, & le vent cessa. Pausanias raconte qu'on voyoit près de l'Asope une montagne consacrée aux vents, & qu'un prêtre y faisoit chaque année des sacrifices pour appaiser leurs violences. Les Troyens étant prêts à s'embarquer, Anchise, pour se rendre les vents propices, immole une brebis noire aux vents orageux, & une blanche aux aimables zéphirs. Séneque assûre qu'Auguste étant dans les Gaules, dédia un temple au vent Circéus ; c'est le vent d'ouest ou quart de nord-ouest, que les Gaulois honoroient particulierement, dans la croyance qu'ils lui devoient la salubrité de l'air. Enfin on a découvert en Italie divers autels consacrés aux vents. (D.J.)


VENTA(Géogr. anc.) ce mot, dans la Géographie, signifie une taverne ou une hôtellerie dans la campagne. Il y en a un bon nombre en Espagne, & sur-tout dans la Castille où elles sont situées sur les grands chemins, & généralement très-mauvaises. (D.J.)

VENTA-BELGARUM, (Géogr. anc.) ville de la grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Regnum à Londres, entre Clausentum & Calleva Atrebatum, à dix milles du premier de ces lieux, & à vingt-deux milles du second. Ptolémée, l. II. c. iij. qui a connu cette ville, la donne aussi aux Belges.

César, l. V. bel. gal. c. xij. nous apprend pourquoi on trouve des Belges, des Atrébates, &c. dans la grande-Bretagne. La partie intérieure de la Bretagne, dit-il, est habitée par des peuples qui y étant passés du pays des Belges ou dans le dessein de butiner ou de faire la guerre, s'appellent presque tous des noms des cités où ils ont pris naissance ; & après avoir guerroyé dans le pays, ils y sont demeurés, & y ont commence à cultiver les terres. Venta fut la capitale des Belges établis dans la grande-Bretagne ; & c'est aujourd'hui la ville de Winchester. Son évêque se trouve appellé Wentanus, parce que la ville est nommée Wenta par Osberne, in vitâ S. Elphegi, c. ij. & par divers autres écrivains. (D.J.)

VENTA-ICENORUM, (Géogr. anc.) ville de la grande Bretagne. Il y a dans l'itinéraire d'Antonin une route qui conduit de Venta-Icenorum à Londres, qui en étoit à cent trente-huit milles ; & on y compte trente-deux milles de Venta-Icenorum à Sitomagum. Ptolémée, l. II. c. iij. nomme cette ville Venta-Simenorum ; mais il faut sans-doute lire Icenorum ; car il est constant que les Iceni ont été une nation puissante dans la grande Bretagne. En effet Tacite, ann. l. XII. c. xxxj. l'appelle Valida gens : desorte qu'il ne seroit pas naturel que Ptolémée, qui donne jusqu'aux noms des bourgs de la grande-Bretagne, eût passé sous silence celui d'un peuple considérable. Comme le manuscrit de Ptolémée de la bibliotheque palatine dit au-lieu de , c'est une nouvelle raison qui autorise le changement de en .

On voit aujourd'hui les ruines de cette ville dans Norfolckshire sur le bord de la riviere Wentfar, près d'un lieu nommé Caster. Ces ruines occupent trente acres d'étendue ; & l'on y a déterré quelques médailles. Un peu plus haut, il y a vers la source de la riviere un vieux retranchement quarré de vingtquatre acres d'étendue, qu'on croit être les restes de quelques ouvrages des Romains. (D.J.)

VENTA-SILURUM, (Géog. anc.) ville de la grande-Bretagne. Il en est fait mention dans l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route d'Isca à Calliva, entre Isca & Abone, à neuf milles du premier de ces lieux, & à pareille distance du second.

Quoique cette ville ait perdu toute sa splendeur, puisqu'on n'en découvre que les ruines, elle ne laisse pas de conserver encore son ancien nom. On l'appelle Caer-Gwent, c'est-à-dire Urbs Venta ; Caër & Cair, dans la langue bretonne, signifioit une ville ou un château.

On croit avec beaucoup de vraisemblance que Chepstow, dans le comté de Monmouths, s'est aggrandi des ruines de la ville de Venta-Silurum, qui étoit la capitale de la province, & qui lui donnoit même son nom ; car ce pays a été long-tems appellé Guent Wenstland.

Elle étoit située à quatre milles de Chepstow, en tirant vers le sud-ouest. On y voit encore les restes des murailles qui avoient environ mille pas de tour, & l'on y a déterré divers monumens d'antiquité, comme des pavés à la mosaïque & des médailles.

On trouve dans l'histoire qu'il y a eu dans cette ville une académie, où S. Tathay, breton, fut appellé pour enseigner. (D.J.)


VENTAILS. m. (Menuis.) c'est une piece de bois mobile, composée d'une ou de deux feuilles d'assemblage, qui sert à fermer une porte ou une croisée ; on le nomme aussi battant. (D.J.)


VENTES. f. (Gram. & Jurisprud.) est un contrat par lequel une personne cede à une autre quelque chose qui lui appartient, moyennant un certain prix que l'acquéreur en paye au vendeur.

Ce contrat est du Droit des gens, & l'un des plus anciens qui soit usité.

L'usage des échanges est cependant plus ancien que celui des ventes proprement dites : car avant que l'on connût la monnoie, tout le commerce se faisoit par échange ; celui qui avoit du grain, en donnoit pour avoir des veaux, moutons, &c. & ainsi du reste. Mais celui qui avoit besoin d'une chose, n'ayant pas toujours de son côté quelque chose qui convînt à celui qui pouvoit lui fournir celle qui lui étoit nécessaire, on fit choix d'une matiere dont la valeur publique & constante pût servir à faciliter les échanges, en la rendant propre à être changée contre toute sorte de choses, selon la quantité que l'on mettroit de cette matiere, qui est ce que l'on a appellé or & argent monnoyé ; desorte qu'il est vrai de dire que l'usage de la monnoie a été inventé pour faire ce que l'on appelle une vente proprement dite, c'est à-dire une vente à prix d'argent.

On comprend pourtant quelquefois sous le terme de vente différentes sortes d'aliénations, telles que le bail à cens ou emphytéotique, le bail à vente, la dation en payement, &c. mais communément l'on n'entend par le terme de vente que celle dite & faite à prix d'argent.

Pour former une vente proprement dite, il faut que trois choses se rencontrent ; savoir la chose qui fait l'objet de la vente, qu'il y ait un prix fixé à la chose vendue, & que le consentement des deux parties intervienne pour former le contrat.

Le prix de la vente est arbitraire à l'égard de l'acheteur : mais il y a un prix réel à l'égard du vendeur, & qui dépend de l'estimation lorsque le vendeur se prétend lésé. Voyez LESION.

La vente s'accomplit cependant par le seul consentement, quoique la chose vendue ne soit pas encore délivrée, ni le prix payé.

Le consentement pour la vente d'une chose mobiliaire peut se donner verbalement & sans écrit, & tout peut se consommer de la main-à-la-main ; mais pour la vente d'un immeuble, il faut que le consentement respectif soit donné par écrit sous seing privé ou devant notaire.

Toutes personnes en général peuvent vendre & acheter, à-moins qu'il n'y ait quelque incapacité particuliere qui empêche l'un de vendre, ou l'autre d'acheter ; comme les mineurs qui ne peuvent vendre leurs immeubles sans nécessité & sans certaines formalités ; les gens de main-morte, qui ne peuvent sans lettres-patentes acquérir des immeubles autres que des rentes sur le roi ou sur le clergé, les diocèses, pays d'états, villes ou communautés.

On peut aussi vendre toutes sortes de choses, pourvu qu'elles ne soient pas hors du commerce, comme les choses saintes ou les marchandises prohibées ; on peut même vendre une chose incertaine, comme un coup de filet.

Entre les choses corporelles, les unes se vendent en gros & en bloc ; d'autres se vendent au nombre, au poids, à la mesure.

Dans toutes les ventes, outre les engagemens qui y sont exprimés, il y en a encore d'autres, dont les uns sont une suite naturelle de la vente ; les autres dérivent de la disposition des loix, coutumes & usages.

Les engagemens du vendeur sont de délivrer la chose vendue, quand même le contrat n'en diroit rien ; de garder & conserver la chose jusqu'à la délivrance ; d'en garantir la jouissance à l'acquéreur ; de déclarer les défauts de la chose vendue, s'il les connoît, & de la reprendre si elle a des vices & des défauts qui en rendent l'usage inutile ou trop incommode à l'acquéreur, ou d'en diminuer le prix s'il y a lieu, soit que ces défauts fussent connus ou non au vendeur.

La délivrance des choses mobiliaires vendues se fait ou par la remise de la main-à-la-main, en les faisant passer du pouvoir du vendeur en celui de l'acheteur, ou par la délivrance des clés si les choses vendues sont gardées sous clé, ou par la seule volonté du vendeur & de l'acheteur, soit que la remise ne puisse en effet être faite, ou que l'acheteur eût déja la chose vendue en sa possession à quelque autre titre, comme d'emprunt ou de dépôt.

La délivrance d'un immeuble vendu se fait par le vendeur en se dépouillant de la possession de cet immeuble, & le laissant à l'acheteur, ou bien en lui remettant les titres s'il y en a, ou les clés si c'est un lieu clos, ou en menant l'acheteur sur les lieux, ou en les lui montrant & consentant qu'il se mette en possession, ou enfin en se réservant par le vendeur l'usufruit, ou en reconnoissant que s'il possede, ce n'est plus que précairement.

Quand le vendeur est véritablement le maître de la chose qu'il vend, l'acheteur, au moyen de la délivrance, en devient pleinement le maître, avec le droit d'en jouir & disposer, en payant le prix ou donnant au vendeur les sûretés qui sont convenues.

Celui qui a acheté de bonne foi de quelqu'un qui n'étoit pas propriétaire, ne le devient pas lui-même, à-moins qu'il n'ait acquis la prescription ; mais comme possesseur de bonne foi, il fait toujours les fruits siens.

Lorsqu'une même chose est vendue à deux différens acheteurs, le premier à qui elle a été délivrée, est préféré, quoique la vente faite à l'autre fût antérieure.

La délivrance doit être faite au tems porté par le contrat ; ou s'il n'y a point de tems fixé, elle doit être faite sans délai ; & faute de la faire à tems, le vendeur doit indemniser l'acheteur du préjudice qu'il a pû souffrir de ce retardement.

La vente une fois consentie, s'il ne dépend plus du vendeur de l'annuller en refusant de faire la délivrance, ni de l'acheteur en refusant de payer le prix, chacun doit remplir ses engagemens.

Le premier engagement de l'acheteur consiste à payer le prix dans le tems, le lieu & les especes convenues.

Faute du payement du prix lorsqu'il est exigible, le vendeur peut retenir la chose vendue, il peut même demander la résolution de la vente, & l'acheteur doit les intérêts de ce prix du jour qu'il est en retard de payer.

Le prix de la vente peut porter intérêt ou par convention, ou en vertu d'une demande suivie de condamnation, ou par la nature de la chose vendue, lorsqu'elle produit des fruits ou autres revenus.

Le contrat de vente est susceptible de toutes sortes de clauses & conditions, soit sur le sort des arrhes si l'acquéreur en donne, soit sur le payement du prix, soit sur la résolution de la vente : on peut stipuler que le vendeur aura la liberté de reprendre la chose dans un certain tems, qui est ce que l'on appelle faculté de rachat ou remeré ; on peut aussi stipuler que la vente sera résolue faute de payement.

Tant que la vente n'est point accomplie, ou que le vendeur est en demeure de délivrer la chose, la perte ou diminution qui survient est à la charge du vendeur ; mais la vente étant une fois accomplie, la perte est à la charge de l'acheteur.

Dans les ventes des choses qui doivent être livrées au nombre, au poids ou à la mesure, les changemens qui arrivent avant la livraison regardent l'acheteur, car jusque-là il n'y a point de vente parfaite.

Un contrat de vente peut être nul par quelque vice inhérent à la vente, comme s'il y a dol forcément, par exemple, quand on a vendu une chose volée ; la vente peut aussi être annullée par l'événement de quelque condition, dont on l'avoit fait dépendre ; par la révocation que font les créanciers du vendeur, si elle a été faite en fraude, par le retrait féodal, ou lignager, par une faculté de rachat, par un pacte résolutoire, enfin par le consentement mutuel du vendeur & de l'acheteur.

Il est permis au vendeur qui souffre une lésion d'outre-moitié, de faire rescinder la vente.

Pour régler le juste prix, on estime la chose eu égard au tems de la vente ; & s'il résulte de l'estimation que la chose a été vendue au-dessous de la moitié de sa valeur, il est au choix de l'acquéreur de payer le supplément du juste prix, ou de souffrir que le vendeur soit restitué contre la vente.

Il peut arriver que l'acheteur soit évincé de la chose vendue, ou troublé dans sa possession par quelqu'un qui prétend avoir quelque droit sur la chose ; en l'un ou l'autre cas, il a son recours de garantie contre le vendeur. Voyez GARANTIE.

Le vendeur étant obligé de déclarer les défauts de la chose qu'il vend ; lorsqu'il ne les a pas déclarés, il y a lieu à la redhibition ou résolution de la vente, lorsque le défaut est tel que l'acheteur n'eût pas acquis s'il en avoit eû connoissance. Voyez REDHIBITION.

Si le défaut n'est pas capable de rompre la vente, il y a seulement lieu à la diminution du prix. Voyez au digeste les titres de contract. empt. de actionibus empti, & au code de pactis, de rescind. vendit. de rebus alienandis vel non. Despeisses, tit. de l'achat, Donat. tit. du contrat de vente, & les mots ACHAT, ACHETEUR, ACQUISITION, ADJUDICATION, CONTRAT, DATION EN PAYEMENT, ÉCHANGE, VENDEUR. (A)

VENTE A L'AMIABLE, est celle qui se fait de gré-à-gré, & non par autorité de justice.

VENTE DE BOIS, on entend par ce terme nonseulement la vente proprement dite d'un bois, mais aussi la coupe qui est vendue, & le canton ou emplacement dans lequel se fait cette coupe. Voyez BOIS, COUPE.

VENTE A LA CHANDELLE ou A L'EXTINCTION DE LA CHANDELLE. Voyez ci-après VENTE A L'EXTINCTION, &c.

VENTE PAR DECRET, est l'adjudication d'un immeuble qui se vend par autorité de justice, après les formalités d'un decret. Voyez ADJUDICATION, CRIEES, DECRET, SAISIE-REELLE.

VENTE A L'ENCAN, est celle qui se fait par enchere en justice ; ce terme vient du latin, in quantum, dont on se servoit pour demander aux enchérisseurs à combien ils mettroient la chose ; c'est pourquoi dans certains endroits l'on dit encore inquant, inquanter. Voyez ENCHERE.

VENTE A L'ESSAI, est celle qui est faite sous condition que si la chose vendue ne convient pas à l'acheteur, il pourra la rendre au bout d'un certain tems. Voyez la loi 3. ff. de contract. empt.

VENTE A L'EXTINCTION DE LA CHANDELLE. Voyez CHANDELLE ETEINTE.

VENTE A L'EXTINCTION DES FEUX, est la même chose que vente à l'extinction de la chandelle. Voyez CHANDELLE ETEINTE.

VENTE A FACULTE DE RACHAT, voyez FACULTE DE RACHAT, RACHAT & REMERE.

VENTE A LA FOLLE-ENCHERE, voyez ADJUDICATION, ENCHERE, FOLLE-ENCHERE.

VENTE FORCEE, est celle qui se fait par autorité de justice, telles que la vente sur une saisie-exécution, la vente par decret ou sur trois publications. Elle est opposée à vente volontaire. Voyez EXECUTION, CRIEES, DECRET, SAISIE REELLE.

VENTE FRANCS-DENIERS, est celle dont le prix doit être délivré en entier au vendeur, & sans aucune déduction, ce qui se stipule dans les coutumes où le vendeur est chargé de payer les droits seigneuriaux.

VENTE IMAGINAIRE, étoit une vente fictive qui se pratiquoit chez les Romains dans certains actes, comme dans les testamens appellés per aes & libram, où le testateur feignoit de vendre sa famille, & faisoit venir un acheteur, appellé emptor familiae, qui étoit celui qu'il instituoit son héritier. Voyez TESTAMENT per aes & libram.

VENTE SANS JOUR ET SANS TERME, est celle qui est faite sous la condition d'être payé comptant du prix de la chose vendue.

VENTE JUDICIAIRE, est celle qui est faite en jugement, c'est-à-dire, par autorité de justice : ce titre convient principalement aux adjudications qui se font par le juge, plutôt qu'aux ventes qui se font par le ministere d'un huissier. Voyez VENTE FORCEE.

VENTE JUDICIELLE, est la même chose que vente judiciaire.

VENTE AU PLUS OFFRANT ET DERNIER ENCHERISSEUR, est celle qui se fait sur des encheres, & où l'adjudication est faite au profit de celui qui a offert le plus haut prix. Voyez ADJUDICATION & ENCHERES.

VENTE A PRIX D'ARGENT, est celle qui est faite moyennant une somme d'argent qui est réellement payée pour la vente, à la différence de certaines ventes qui se font en paiement de quelque chose, ou dont le prix est compensé avec quelqu'autre objet.

VENTE SUR TROIS PUBLICATIONS, est la vente que l'on fait en justice d'un immeuble sans formalité de criées, & sur trois publications seulement, ce que l'on permet ainsi, lorsque les biens ne peuvent supporter toutes les formalités d'un decret. Voyez le tit. de la vente des immeubles par decret.

VENTE PUBLIQUE, est celle qui se fait par autorité de justice. Voyez DECRET, SAISIE-EXECUTION, SAISIE-REELLE.

VENTE-RECELEE ET NON-NOTIFIEE, est celle qui n'a pas été déclarée au seigneur féodal dans le tems porté par la coutume, pour raison de quoi l'acquéreur encourt une amende. Voyez l'article 33. de la coutume de Paris.

VENTE SIMULEE, est celle qui n'est pas sérieuse, & qui n'est faite en apparence que pour tromper quelqu'un.

VENTE VOLONTAIRE, est celle que le vendeur fait de son bon gré, & sans y être contraint pour personne ; elle est opposée à la vente forcée. Voyez DECRET, VENTE FORCEE.

VENTE POUR L'UTILITE PUBLIQUE, est une vente forcée que les particuliers sont obligés de faire, lorsque le bien public le demande, comme quand on ordonne qu'une maison sera prise pour aggrandir une église, ou pour construire des murailles, fossés & autres fortifications d'une ville. Voyez le Bret, tr. de la souver. liv. IV. ch. x.

VENTES, (Jurisprud.) ce terme se prend pour le droit qui est dû au seigneur pour la vente d'un bien tenu de lui en roture. Voyez LODS ET VENTES.

VENTE ET DEVOIRS, c'est-à-dire les droits & devoirs dûs au seigneur pour la vente.

VENTES ET GANTS, ce sont les lods & le droit que l'on paie au seigneur pour la saisie ou mise en possession. Voyez le gloss. de M. de Lauriere au mot gants ; la coutume de Tours, art. 112.

VENTES ET HONNEURS ; ces termes sont joints dans quelques coutumes pour exprimer les droits dûs au seigneur pour la vente d'un héritage.

VENTES ET ISSUES, sont des doubles droits de ventes dûs l'un par le vendeur, pour la permission de vendre ; l'autre pour le seigneur, pour la permission d'acquérir : il s'en trouve de semblables en quelques endroits des provinces d'Anjou & Maine ; mais ces droits ne sont pas établis par la coutume, ils sont seulement autorisés, lorsque le seigneur est fondé en titres. Voyez la coutume d'Anjou, art. 156. celle du Maine, art. 174. & Bodreau sur cet article.

Lods & ventes, sont les droits dûs au seigneur pour la vente d'un héritage roturier. Voyez LODS.

VENTE de coupes de bois, (Eaux & Forêts) coupe de bois d'un certain nombre d'arpens qui se fait chaque année dans une forêt après la vente. On dit mettre une forêt en coupe ou vente réglée. (D.J.)

VENTE par recépage, (Eaux & Forêts) ces sortes de ventes sont celles qui se font dans les forêts gâtées par délits ou par incendie, ou de jeunes taillis qui ont été excessivement abougris par la gelée ou par les bestiaux. Cette vente est une des sept ventes dont il est parlé dans les ordonnances des eaux & forêts. Les autres sont la vente des taillis, la vente des baliveaux sur taillis, les ventes par éclaircissement, celle par piés d'arbres, la futaie & les bois chablis. (D.J.)

VENTE USEE, (Eaux & Forêts) on appelle vente usée, celle dont le tems est passé lorsque l'adjudicataire doit avoir coupé & enlevé le bois qui lui a été vendu. Les maîtres particuliers font les récollemens des ventes usées dans nos forêts, bois & buissons, six semaines après le tems de coupe, & vuidange expirés. (D.J.)


VENTEAUS. m. (Archit. hydraul.) c'est un assemblage de charpente qui sert à fermer la porte d'une écluse. Cette charpente est composée 1°. d'un chassis formé d'un poteau tourillon, arrondi du côté de son chardonnet ; d'un poteau busqué, ayant une de ses faces taillées en chanfrein pour se joindre à la pointe du busc avec l'autre venteau ; & de deux entretoises principales, l'une en-haut, l'autre en-bas. 2°. De plusieurs autres entretoises intermédiaires servant à fermer la carcasse du venteau. 3°. D'un nombre de fils & de bracons qui servent à lier & à appuyer les entretoises. 4°. De montans formant le guichet pratiqué dans chaque venteau, qu'on ferme d'une vanne ou ventail à coulisse. 5°. Du bordage, dont toute cette carcasse est revêtue extérieurement. Voyez l'Architecture hydraulique de M. Belidor, t. III. l. I. c. xiij. (D.J.)


VENTER(Marine) cela signifie qu'il fait du vent.


VENTEUXadj. se dit en Médecine de différentes choses.

1°. On dit qu'un aliment est venteux, c'est-à-dire, qu'il contient beaucoup d'air, qui venant à se raréfier par la chaleur de la digestion distend l'estomac & les intestins, & produit par ce moyen des vents qui s'échappent par en-haut ou par en-bas ; on fait ce reproche aux légumes, aux pois, aux féves.

2°. On dit une colique venteuse, c'est-à-dire, une douleur de l'estomac ou des intestins, produite par un air raréfié qui distend le diametre d'une partie du canal intestinal ou de l'estomac, & qui occasionne une compression & un étranglement des nerfs, un engorgement dans les vaisseaux, d'où naissent des inflammations, des tranchées.

3°. On dit qu'un remede est venteux, tels sont les remedes légumineux, comme la casse, & autres de cette nature ; en général tout aliment & tout médicament venteux veulent être interdits aux gens délicats, & dont les fibres sont trop susceptibles de vibration & d'irritation.


VENTIERS. m. (Eaux & Forêts) marchand de bois qui achete des forêts, & qui les fait exploiter ; il est ainsi nommé des ventes qu'il ouvre, & établit sur les lieux de l'exploitation. (D.J.)


VENTILATEURS. m. (Physiq.) machine par le moyen de laquelle on renouvelle l'air dans les lieux où ce renouvellement est nécessaire.

Le premier projet d'une semblable machine fut lu dans une assemblée de la société royale de Londres, au mois de Mai 1741. Au mois de Novembre suivant M. Triewald, ingénieur du roi de Suede, écrivit à M. Mortimer, secrétaire de la société royale, qu'il avoit inventé une machine propre à renouveller l'air des entreponts les plus bas des vaisseaux, & dont la moindre pouvoit, en une heure de tems puiser 36172 piés cubiques d'air.

Cet ouvrage, imprimé par ordre du roi de Suede, & récompensé d'un privilege exclusif accordé à l'auteur, porte que la machine qui en fait le sujet, est également propre à pomper le mauvais air des vaisseaux & des hôpitaux. La même idée est venue, à-peu-près dans le même tems à deux personnes fort éloignées l'une de l'autre.

Le célebre M. Halles, un des grands physiciens de ce siecle, & l'un des mieux intentionnés pour le bien public, a inventé un ventilateur d'un usage presque universel. M. Demours, médecin de Paris, en a traduit en françois la description. Paris, in-12. 1744.

Le ventilateur de M. Halles est composé de deux soufflets quarrés de planches, qui n'ont point de panneaux mobiles, comme les soufflets ordinaires, mais seulement une cloison transversale, que l'auteur nomme diaphragme, attachée d'un côté par des charnieres au milieu de la boîte, à distance égale des deux fonds ou panneaux, & mobile de l'autre, au moyen d'une verge de fer vissée au diaphragme, laquelle verge est attachée à un levier, dont le milieu porte sur un pivot ; de maniere que lorsqu'un des diaphragmes baisse, l'autre hausse, & ainsi alternativement. A chaque soufflet il y a quatre soupapes, tellement disposées, que deux s'ouvrent en-dedans, deux en-dehors. Deux donnent entrée à l'air, & deux sont destinées à sa sortie. Il est aisé de concevoir que celles qui donnent entrée à l'air s'ouvrent en-dedans, & les autres en-dehors. La partie de chaque soufflet où se trouvent les soupapes qui servent à la sortie de l'air, est enfermée dans une espece de coffre placé au-devant des soufflets, vis-à-vis l'endroit ou les endroits, où l'on veut introduire l'air nouveau, ce qui se fait par le moyen de tuyaux mobiles adaptés au coffre, qu'on allonge tant qu'on veut, en y ajoutant de nouveaux, & par conséquent que l'on conduit où l'on veut.

Il ne faut être ni médecin, ni physicien pour connoître la nécessité de la bonne constitution de l'air & de son renouvellement. Investis de toutes parts par ce fluide actif & pénétrant, qui s'insinue au-dedans de nous-mêmes par différentes voies, & dont le ressort est si nécessaire au jeu de nos poumons & à la circulation de nos liqueurs, pourrions-nous ne nous pas ressentir de ses altérations ? L'humidité, la chaleur, les exhalaisons dont il se charge diminuent son ressort, & la circulation du sang s'en ressent. Rien n'est donc plus avantageux que de trouver le moyen de corriger ces défauts. S'ils sont préjudiciables aux personnes en santé, combien ne sont-ils pas plus nuisibles à celles qui sont malades, & sur-tout dans les hôpitaux ? Aussi se sert-on du ventilateur avec succès dans l'hôpital de Winchester. Pour peu qu'on ait fréquenté les spectacles, on sait les accidens auxquels les spectateurs sont exposés, lorsque les assemblées y sont nombreuses, soit par rapport à la transpiration qui diminue le ressort de l'air, ou aux lumieres qui l'échauffent. L'expédient d'ouvrir les loges, le seul qu'on ait imaginé jusqu'aujourd'hui, est fort à charge à ceux qui les remplissent. Un ventilateur n'en entraîneroit aucun, & en le faisant jouer de tems-en-tems, il produiroit un effet si considérable, qu'en dix ou douze minutes, on pourroit, d'une maniere insensible, renouveller entierement l'air de la comédie françoise. Cet instrument peut procurer dans les salles des spectacles un autre avantage presque aussi utile. On peut, par son moyen, en échauffer l'air, sans avoir besoin des poëles, que bien des spectateurs ne peuvent supporter.

On peut introduire le ventilateur dans les mines les plus profondes, pour en pomper l'air mal sain. M. Halles distingue d'après les ouvriers qui travailloient aux mines de Derbishire, quatre especes de vapeurs qui s'élevent des mines. La premiere, qui rend la flamme des lumieres orbiculaire, & la fait diminuer par degrés ; cause des défaillances, des convulsions, des suffocations. La seconde est appellée odeur de fleur de pois. La troisieme espece se rassemble en maniere de globe couvert d'une pellicule, qui, venant à s'ouvrir, laisse échapper une vapeur qui suffoque les ouvriers ; & la quatrieme est une exhalaison fulminante, de la nature de celle de la foudre, laquelle venant à s'enflammer, produit par son explosion les effets de ce météore. Voyez EXHALAISON.

Il ne faut introduire l'air dans les hôpitaux, que d'une maniere lente & imperceptible, & cela le plus près du platfond qu'il soit possible, en sorte que l'issue pour l'air mal sain soit aussi pratiquée dans le platfond.

La transpiration des plantes leur rendant l'air des serres aussi préjudiciable que l'est aux hommes un air chargé de leur transpiration, la même machine peut être employée pour les serres.

Comme on peut faire usage du ventilateur en tout tems, il mérite sans contredit la préférence sur la voile, dont on se sert ordinairement pour éventer les vaisseaux, parce qu'elle fait trop d'effet quand le vent est fort, trop peu dans le calme, & que l'on ne se sert pas de la voile à éventer quand le vaisseau fait voile. Or on ne peut douter que les vapeurs abondantes de la transpiration, jointes à celles qui s'élévent de l'eau qui croupit toujours à fond de cale, avec quelque soin qu'on pompe, ne demandent un continuel renouvellement d'air ; mais ce renouvellement est encore bien plus nécessaire dans les vaisseaux neufs, où les exhalaisons de la seve rendent l'air renfermé bien plus à craindre. Il ne faut pourtant point s'attendre que l'eau croupissante ne donne point d'odeur, en se servant du ventilateur ; mais on peut y remédier en partie, en y jettant souvent de nouvelle eau de mer.

La principale objection qu'on fasse contre le ventilateur, est tirée du surcroît de travail qu'impose la nécessité de le faire jouer ; mais M. Halles prouve que quand il faudroit le faire agir continuellement, chacun de ceux de l'équipage n'auroit tous les cinq jours qu'une demi-heure de travail. Or cet inconvénient est-il comparable aux avantages qui en reviennent à tous ceux qui sont dans le vaisseau ? mais il s'en faut de beaucoup qu'on soit asservi à ce surcroît de travail pendant une demi-heure tous les cinq jours. Quel mal au-reste quand il seroit plus considérable ? l'exercice est le préservatif du scorbut, & le scorbut la perte des matelots.

La nécessité de procurer du renouvellement d'air aux vaisseaux, n'est pas difficile à prouver. Les vapeurs qui s'exhalent du corps humain, sont très-corruptibles, & ce sont elles qui causent souvent des maladies dans les prisons. Combien ne doivent-elles pas être plus nuisibles dans un vaisseau où il y a beaucoup plus de monde ? il sort suivant le calcul de M. Halles, plus d'une livre d'humidité par l'expiration, dans l'espace de vingt-quatre heures. Les expériences du même physicien prouvent que huit pintes d'air non renouvellé, se chargent de tant d'humidité en deux minutes & demie, qu'il n'est plus propre à la respiration. Or cinq cent hommes d'équipage transpireront par jour 4245 livres. On peut conclure de-là combien peu l'air chargé de ces vapeurs est propre à être respiré. Cependant la respiration est nécessaire à la circulation du sang & du chyle, en leur fournissant les principes actifs, qui leur sont nécessaires. Il est vrai que le vinaigre répandu dans les vaisseaux, des draps qu'on y étend après les en avoir imbibés, font un bon effet, en corrigeant les parties alkalines de la transpiration ; mais il n'est pas possible que le vinaigre les corrige toutes ; l'air perdra donc une partie de l'élasticité qui le rend si nécessaire à la respiration, & par conséquent c'est faire une chose nuisible à la santé, que de s'étudier avec tant de soin à avoir des chambres chaudes & bien closes.

Rien n'échappe aux attentions de M. Halles. La soute aux biscuits ne communiquant point avec les autres endroits du vaisseau, dont son ventilateur a renouvellé l'air, il en destine un petit, uniquement pour renouveller celui de la soute, & fait voir par l'expérience & le calcul, qu'une heure suffit pour introduire dans la soute un air entierement nouveau. Il faut seulement prendre garde de choisir un tems sec & serein.

Comme l'introduction d'un air nouveau ne détruit pas les calendres, les vers & les fourmis qui sont en grand nombre dans les vaisseaux, sur-tout dans les pays chauds, le ventilateur vient encore au secours : on peut par son moyen introduire dans la soute des vapeurs de soufre enflammé. Il est encore aisé de concevoir que le ventilateur est également propre à entretenir la sécheresse de la poudre à canon ; mais un de ses principaux avantages est de purifier le mauvais air de l'archipompe du vaisseau, qui suffoque quelquefois ceux qui sont obligés d'y descendre.

On a imaginé bien des moyens de conserver le blé, pour l'empêcher de s'échauffer, & le préserver des insectes, mais il n'y en a aucun que le ventilateur ne surpasse. Il n'est question que d'y faire entrer de nouvel air, qui force celui qui a croupi entre les grains, de céder sa place à un plus frais ; pour cet effet, on latte le plancher de distance en distance, & l'on cloue sur les lattes une toile de crin, ou des plaques de tole percées de trous, & en introduisant de l'air au-dessous des toiles ou toles, au moyen du ventilateur, on oblige l'air croupissant de céder la place à celui qu'on introduit. Si l'on a dessein de faire mourir les insectes, lesquels, ce qu'il faut remarquer, s'engendrent d'autant moins que le grain est tenu plus frais, on y fait passer un air chargé des vapeurs de soufre allumé : on en fait autant pour préserver tous les autres grains des mêmes accidens ; & ce qu'il y a de très-remarquable, c'est qu'en introduisant de nouvel air pur, on emporte aisément l'odeur du soufre, la vapeur de ce minéral s'arrête à l'écorce, & n'altere le grain en aucune maniere, comme plusieurs expériences le prouvent. Le ventilateur séche aussi très-promtement le blé mouillé, sans qu'il soit dur sur la meule, comme celui qui a été séché au fourneau. On peut faire usage de cet instrument dans les années humides, où la récolte n'a point été faite dans un tems favorable, ou lorsqu'on sera obligé d'avoir recours à l'eau pour emporter en lavant, la rouille ou la nielle qui infectent le grain. D'ailleurs le goût de relant que prend le blé, ne venant que de ce qu'il s'échauffe par l'humidité, en l'emportant au moyen du ventilateur, on le garantira de ce défaut qui n'est pas sans-doute indifférent pour la santé. La seule attention est d'introduire dans le blé un air sec, soit par sa disposition naturelle, soit que l'art vienne au secours, en le puisant dans quelque étuve, ou autre endroit échauffé. Le ventilateur a encore un avantage pour la conservation du blé, c'est qu'on est dispensé d'avoir des greniers si vastes, puisqu'on peut mettre le blé à une épaisseur beaucoup plus considérable que si l'on ne faisoit point usage de cette machine. D'où suit un second avantage, c'est que l'état, ou chaque particulier, peut prévenir les disettes, en amassant des blés dans les années abondantes, sans courir risque de voir gâter les magasins. Tels sont les principaux usages du ventilateur, mais il y en a encore divers autres, qui ont bien leur mérite, & sur lesquels on peut consulter l'ouvrage même, ou du moins l'extrait qu'en a donné le Journal des savans, dans le mois de Novembre 1744. Cet article nous a été donné par M. FORMEY.


VENTILATIONS. f. (Gramm. & Jurisprud.) est l'estimation particuliere que l'on fait de chacun des objets compris dans une même vente, & qui ont été vendus pour un seul & même prix.

Le cas le plus ordinaire de la ventilation est lorsque plusieurs héritages, relevans de différens seigneurs, ont été vendus par un même contrat & pour un même prix, la ventilation est nécessaire pour fixer les droits dûs à chaque seigneur à proportion de la valeur des héritages qui sont mouvans de lui.

La ventilation se fait en estimant séparément chaque héritage, eu égard au prix total de la vente.

Dans les adjudications par decret, la ventilation se fait aux dépens des seigneurs ; mais dans les ventes volontaires, quand la ventilation n'est pas faite par le contrat, les différens seigneurs sont en droit chacun de la demander, & en ce cas elle se fait aux dépens de l'acquéreur, parce que c'est à lui à s'imputer de n'avoir pas fait fixer dans le contrat le prix particulier de ce qui relevoit de chaque seigneur, afin que chacun pût connoître à quoi montoient ses droits.

Dans le cas où la ventilation est faite par le contrat, les seigneurs ne sont pas pour cela obligés de s'y tenir, s'ils prétendent qu'elle soit frauduleuse & qu'on ait rejetté la plus forte partie du prix sur certains objets, soit pour empêcher le retrait de ces héritages, soit pour diminuer les droits de quelques-uns des seigneurs ; mais dans ce cas celui qui demande une autre ventilation doit en avancer les frais : & si par l'événement de la nouvelle ventilation, il se trouve que celle qui étoit portée au contrat ne soit pas juste, & qu'il paroisse de la fraude, les frais de la nouvelle ventilation doivent être à la charge de l'acquéreur.

La nouvelle ventilation peut se faire à l'amiable entre les parties, ou par experts, comme quand elle est ordonnée par justice.

La loi si plura ff. de aedil. edict. Tronçon, sur Paris, art. 29. Voyez Basnage, sur la coutume de Normandie, art. 271. la coutume d'Orléans, art. 9. & Billecoq, en son traité des fiefs, p. 138. Voyez les mots DROITS SEIGNEURIAUX, ESTIMATION, FIEF, SEIGNEUR. (A)


VENTILLERv. n. terme de Charpenterie, c'est mettre des dosses ou de bonnes planches de quelques pouces d'épais pour retenir l'eau. (D.J.)


VENTOLIERadj. en Fauconnerie, se dit de l'oiseau de proie qui se plait au vent & s'y laisse emporter ; il se dit aussi de celui qui bande le bec au vent, qui chevauche au vent sans tourner la queue, & qui résiste au vent le plus violent.


VENTOTENE(Géog. mod.) petite île de la mer Tyrrhénienne, en-deçà de Terracine, & à côté de l'île Ponza. C'est la Pandataria des anciens. (D.J.)

VENTOUSE, (Méd. thérap.) cucurbita, cucurbitula, espece de coupe ou de vase dont on a trouvé anciennement que la figure approche de celle d'une courge, & qu'on emploie en médecine comme un épispastique ou remede vésicatoire des plus efficaces. Voyez VESICATOIRE.

Les ventouses peuvent être de plusieurs matieres, comme de plusieurs formes, en ne prenant celles-ci que pour autant de modes de la premiere ; il y en avoit autrefois d'argent, de cuivre, de verre, de corne, &c. Ces dernieres s'appelloient cornicula ; mais on n'emploie guere plus aujourd'hui que celles de cuivre, celles d'argent ayant même été rejettées du tems d'Oribase, par le défaut de se trop échauffer, quia vehementer igniuntur, rejicimus (Voyez Oribase, med. collect. lib. VII. chap. xvj.), & les autres n'étant pas propres à résister à la violence du feu ; celles de verre pourroient néanmoins être encore employées dans le cas où il seroit important de fixer la quantité de sang qu'on veut extraire par ce remede. Quant à la forme, il y en a qui sont plus ou moins rondes, plus ou moins larges ou hautes, dont la pointe est plus ou moins aiguë, ou plus ou moins obtuse, &c. Les ventouses des Egyptiens ressemblent presque à de petits cors ou cornets. Voyez en la figure & la description dans Prosper Alpin, de med. Aegypt. lib. II. c. xiij. A l'égard de la maniere d'appliquer les ventouses, voyez VENTOUSER, (Chirurgie.)

L'effet des ventouses est 1°. en rompant l'équilibre entre les organes, d'occasionner une augmentation de ton ou de vie dans la partie qui y attire les humeurs, & la constitue tumeur : ce qui se rapporte assez aux phénomènes de l'inflammation ; 2°. d'attirer méchaniquement au-dehors par une espece de suction les humeurs déja ramassées par le premier effet.

On divise communément les ventouses en seches inanes & en scarifiées, &c. L'une & l'autre espece ont été employées de tout tems en médecine, & dans presque toutes les maladies. Nous ne saurions mieux constater l'antiquité & l'efficacité de ce remede que par un passage d'Hérodotus qui vivoit avant Hippocrate, & qu'Oribase nous a conservé dans ses collections méd. liv. VII. chap. xvij. Cucurbitula materiam quae in capite est, evacuare potest, itemque dolorem solvere, inflammationem minuere, inflationes discutere, appetitum revocare, imbecillem exolutumque stomachum roborare, animi defectiones amovere, quae in profundo sunt ad superficiem traducere, fluxiones siccare, sanguinis eruptiones cohibere, menstruas purgationes provocare, facultates corruptionis effectrices attrahere, rigores sedare, circuitus solvere, à propensione in somnum excitare, somnum conciliare, gravitates levare, atque haec quidem quaeque his similia praestare cucurbitularum usus potest. A ce magnifique éloge des propriétés des ventouses on peut ajouter qu'Hippocrate & les autres anciens en parlent d'après leurs expériences, comme les remedes les plus propres à détourner le sang d'une partie sur une autre, & en général à produire des révulsions & évacuations très-utiles. On sait avec quel succès ce pere de la médecine s'en servoit, en les appliquant sur les mamelles, pour arrêter les hémorrhagies de l'uterus. Les méthodiques ont rempli de ces remedes leur regle ciclique ou leur traitement par diatritos ; ils les comptoient parmi leurs principaux métasyncritiques ou recorporatifs ; en conséquence ils en appliquoient dans certaines maladies, comme la phrénesie, non-seulement sur la tête & sur toutes les parties voisines, mais encore sur les fesses, sur le bas-ventre, sur le dos & sur les hypocondres. Aretée est encore un des médecins qui se soit le plus servi de ces remedes, & avec le plus de méthode, sur-tout dans les maladies aiguës. Dans la pleurésie, par exemple, il veut qu'on emploie les ventouses ; mais après le septieme jour & non avant, ce qui est remarquable ; " car, dit-il, les maladies qui exigent l'application des ventouses avant le septieme jour, n'ont pas une marche tranquille. Non enim placidi morbi sunt quicumque ante septimum cucurbitam requirunt. Les méthodiques ne les appliquoient non plus qu'après le cinq ou le septieme. Notre auteur demande ensuite que la ventouse soit faite d'argille, qu'elle soit légere, & d'une grandeur & forme à pouvoir couvrir tout l'espace qu'occupe la douleur ; il veut qu'on excite beaucoup de flamme dans la ventouse, pour qu'elle soit bien chaude avant l'extinction du feu. Le feu éteint, il faut scarifier & tirer autant de sang que les forces du malade pourront le permettre ; on répandra sur les endroits scarifiés du sel avec du nitre, qui à la vérité sont des substances piquantes, mais salutaires. Si le malade est vigoureux & d'un bon tempérament, il convient d'employer le sel, non pas immédiatement sur la plaie, mais de le répandre sur du linge arrosé d'huile qu'on étendra ensuite sur l'endroit scarifié. Le second jour il est à-propos d'appliquer une seconde ventouse au même endroit, celle-ci ayant un avantage réel sur la premiere, en ce qu'elle ne tire pas du corps le sang ou l'aliment, alimentum, mais simplement de la sanie, & que par cette raison elle ménage plus les forces. Voyez morb. acut. lib. I. cap. x. de curat. pleurit.

Quelques autres nations éloignées, outre les peuples orientaux, sont encore en possession des ventouses. Chez les Hottentots, " pour les coliques & les maux d'estomac, leur remede ordinaire est l'application des ventouses. Ils se servent d'une corne de boeuf dont les bords sont unis. Le malade se couche à-terre sur le dos, pour s'abandonner au médecin qui commence par appliquer sa bouche sur le siege du mal, & par sucer la peau ; ensuite il y met la corne, & l'y laisse jusqu'à ce que la partie qu'elle couvre, devienne insensible ; il la retire alors pour faire deux incisions de la longueur d'un pouce ; & la remettant au même lieu, il l'y laisse encore jusqu'à ce qu'elle tombe remplie de sang : ce qui ne manque point d'arriver dans l'espace de deux heures. " Voyez hist. génér. des voyages, tom. XVIII. liv. XIV.

Les ventouses sont encore très-bonnes pour attirer au-dehors le venin des morsures des animaux. Dans la plûpart des maladies soporeuses elles sont recommandées par des auteurs tant anciens que modernes. Rhasès se vante d'avoir guéri le roi Hamet, fils de Hali, qui étoit tombé en apoplexie, en lui faisant appliquer une ventouse au col. Voyez dans Forestus pag. 523. Elles ont quelquefois réussi dans les apoplexies avec paralysie, appliquées à la fesse du côté opposé à la partie affectée. Les ventouses sont encore bonnes entre les deux épaules & au-dessous de l'ombilic dans le cholera morbus ; mais il faut avoir l'attention de les changer de tems-en-tems, crainte qu'elles ne causent de la douleur, & n'excitent des vessies sur la peau, ainsi que l'a noté Aretée, & après lui plusieurs modernes. Voyez de Heers, obs. med.

Les ventouses ont beaucoup perdu de leur ancienne célébrité ; il est pourtant d'habiles médecins de nos jours qui les emploient avec succès. Cet article est de M. FOUQUET, docteur en médecine de la faculté de Montpellier.

VENTOUSE, s. f. (Hydr.) est un tuyau de plomb élevé & branché à un arbre un pié ou deux plus haut que le niveau du réservoir, afin que la ventouse ne dépense pas tant d'eau, quand les vents en sortant de la conduite la jettent en-haut. De cette maniere il n'y a que les vents qui sortent ; les ventouses sont les seuls moyens de soulager les longues conduites, & d'empêcher les tuyaux de crever.

On soude encore une ventouse sur le tuyau descendant d'un réservoir ; alors les vents y rejettent l'eau par le bout recourbé du tuyau.

Les ventouses renversées ne sont plus d'usage ; ce sont de petites soupapes renversées & soudées sur le bout d'un tuyau, de sorte que les vents les faisoient hausser & baisser, & elles perdoient beaucoup d'eau, on ne les employoit que pour éviter d'élever des tuyaux au niveau du réservoir. (K)

VENTOUSE, s. f. (Méchan. des cheminées) c'est le nom qu'on donne à une espece de soupirail pratiqué sous la tablette ou aux deux angles de l'âtre d'une cheminée, pour chasser la fumée. Ce soupirail est un trou fait en trapèse, pratiqué au milieu de l'âtre, qu'on ferme avec une porte de tole, qui s'ouvre en-dehors au moyen de deux especes de gonds dans lesquels elle tourne. L'air de dehors vient de cette trape, comme il entre dans ces cellules, & forme en sortant un soufflet qui donne sur les charbons, & qui les allume quelque peu embrasés qu'ils soient. Ce soupirail doit donc allumer aisément & promtement le feu, & empêcher par-là la fumée. C'est aussi là tout son usage. Ce soupirail appellé soufflet, parce qu'il en fait l'office, est de l'invention de M. Perrault. (D.J.)

VENTOUSE d'aisance, (Archit.) bout de tuyau de plomb ou de poterie, qui communique à une chaussée d'aisance, & qui sort au-dessus du comble pour donner de l'air frais & nouveau au cabinet d'aisance, & en diminuer par-là la mauvaise odeur ; c'est une fort bonne invention. (D.J.)

VENTOUSE, s. f. (Verrerie) ce mot se dit dans les fours à verre, de chacune des six ouvertures ou ouvreaux où sont placés les pots à fondre ou à cueillir. (D.J.)


VENTOUSER(terme de Chirurgie) opération qui a pour objet d'attirer le sang & les humeurs vers la peau, & de tirer du sang dans certains cas.

On prend une petite cucurbite de verre, connue sous le nom de ventouse ; on rarefie l'air dans la cavité de ce vaisseau, en y introduisant la flamme d'une lampe ou celle d'un peu d'esprit-de-vin allumé, puis on applique sur le champ la ventouse sur la partie qu'on veut ventouser.

La maniere la plus ordinaire de procurer la raréfaction de l'air, est d'attacher quatre petites bougies sur un morceau de carte taillé en rond ; on allume ces bougies, & l'on place cette espece de chandelier sur la partie qu'on couvre avec la ventouse. On ne l'appuie fermement sur la peau qu'après que l'air a été bien échauffé & raréfié. Lorsque la ventouse porte exactement, les bougies s'éteignent, & la tumeur s'éleve. Il est à-propos de frotter la partie qu'on veut ventouser, avec une serviette chaude, afin d'y attirer le sang. Dès que la ventouse est appliquée, on la couvre d'une serviette chauffée, afin d'entretenir plus long-tems la chaleur.

Les ventouses sont seches ou humides. On nomme ventouse seche celle après laquelle on ne fait point de scarifications ; elle a pour objet de procurer la transpiration, & d'attirer les humeurs du centre à la circonférence. Quand on incise le lieu ventousé, les ventouses sont appellées humides ou scarifiées. Celles-ci sont considérées comme les vicaires ou substituts de la saignée : ce qui est fort en usage en Allemagne où la saignée n'est pas si fréquente qu'en France. Pour avoir du sang des scarifications, il faut appliquer de nouveau la ventouse, & en réiterer l'application jusqu'à ce qu'on ait tiré la quantité de sang nécessaire. L'opération finie, on essuie bien tout le sang, on lave la partie avec du vin tiede, on applique ensuite un emplâtre dessicatif tel que celui de ceruse.

On recommande les ventouses sur les épaules dans les affections soporeuses, contre les maux de tête invétérés, les fluxions habituelles sur les yeux, qui ont résisté à tous les autres secours. On applique aussi les ventouses sur la région des reins, dans le lumbago, ou douleurs rhumatisantes de cette partie, &c.

Les Anglois ventousent sans feu. Au lieu de raréfier l'air enfermé dans la ventouse par le moyen de la chaleur, on le fait en pompant avec une seringue appliquée à un orifice supérieur de la ventouse pratiquée exprès. La tumeur se forme comme dans l'application de la ventouse échauffée. Voici la raison de ce phénomène. L'air enfermé dans la ventouse étant raréfié, la partie se trouve déchargée d'une grande partie de l'air qui la pressoit, & de celui qui presse tout le reste du corps ; en conséquence de quoi le sang & les humeurs dilatent les vaisseaux, & forment une tumeur vers la partie ventousée, où il y a moins de résistance que par-tout ailleurs.

Les anciens appliquoient des ventouses aux mamelles pour arrêter les regles, & aux cuisses pour les provoquer, sur le nombril pour la colique, sur la tête pour relever la luette, &c. Ils croyoient aussi que l'application d'une ventouse sur le nombril étoit capable de retenir l'enfant dans la matrice, & de retarder un accouchement qui auroit menacé d'être prématuré, &c. (Y)


VENTRE(Anat.) en latin venter, en grec . Le ventre chez les anatomistes modernes, veut dire dans sa signification la plus étendue, une cavité remarquable où sont contenus quelques-uns des principaux visceres. A prendre ce mot dans ce sens, tout le corps est divisé en trois ventres, dont l'inférieur s'appelle communément l'abdomen ; celui du milieu thorax, & le supérieur la cavité de la tête.

Hippocrate appelle le thorax le ventre supérieur, , & nomme l'abdomen le ventre inférieur, . Mais d'autre fois lorsqu'il parle de la laxité ou de la constriction du bas-ventre, il nomme , les affections des gros boyaux ; & dans un endroit du quatrieme épidem. le mot , est employé pour signifier les excrémens des intestins.

VENTRE du cheval, (Maréchal.) ses mauvaises qualités sont de descendre trop bas, ce qu'on appelle ventre de vache ou ventre avalé.

VENTRE, (Critique sacrée) ce mot se prend pour le fond de quelque chose, Jon. ij. 3. & au figuré pour le coeur, l'ame. Vous connoitrez la beauté de la sagesse, lorsque vous la garderez au fond de votre coeur, in ventre tuo, xxij. 18. Les fruits du ventre, fructus ventris, ce sont les enfans : vous aurez pour héritier de votre trône, unum de fructu ventris, un de vos fils, Ps. cxxxj. 11. (D.J.)

VENTRE, terme d'artillerie, qui se dit d'un canon lorsqu'il est couché à terre sans affut. Ainsi un canon est sur le ventre lorsqu'il n'a point d'affut.

VENTRE, c'est dans le mortier la partie proche de sa culasse, qui s'appuie sur le coussinet de l'affut. Voyez MORTIER. (Q)

VENTRE DE CHEVAL, (Chymie) les Chymistes n'entendent autre chose par ce mot que le fumier récent. On trouve aussi quelquefois dans leurs livres à la place de cette expression, celle de bain de fumier. Ils se servent de la chaleur qui s'excite naturellement dans le fumier, pour exécuter quelques opérations, & principalement des digestions. Voyez DIGESTION, (Chymie)

Ce sont principalement les Alchymistes qui exécutent leurs longues digestions à la chaleur du ventre de cheval.

Il est assez connu que les fours à faire éclorre des poulets, proposés par M. de Réaumur, s'échauffent par la chaleur du fumier ou du ventre de cheval. On entend encore par ventre de cheval, un appareil plus compliqué, dans lequel le vaisseau qui contient le fumier est adapté à un bain-marie, ou à un bain de vapeurs. Celui-là sert aux mêmes usages, savoir aux digestions faites principalement dans des vues alchymiques. (b)

VENTRE, (Jurisp.) ce terme en droit, a différentes significations.

Quelquefois par là l'on entend la mere d'un enfant, comme quand on dit que le ventre affranchit, & que la verge annoblit, partus sequitur ventrem.

Quelquefois par le terme de ventre on entend l'état d'une femme ou fille enceinte. On ordonne l'inspection du ventre par des matrones, pour vérifier si une femme ou fille est enceinte.

Quelquefois enfin ce terme ventre se prend pour l'enfant dont une femme ou fille est enceinte. On donne un curateur au ventre lorsqu'il s'agit des intérêts de l'enfant conçu & non encore né, ou pour veiller sur la mere & sur l'enfant, soit de crainte qu'il n'y ait supposition de part, ou pour empêcher que la mere ne fasse périr son fruit, ou qu'elle ne dérobe la connoissance de son accouchement, & ne détourne son enfant. Voyez au digeste le tit. de inspiciendo ventre, & ci-devant les mots CURATEUR AU VENTRE, INSPECTION, MATRONE. (A)

VENTRE, s. m. (Architect.) bombement d'un mur trop vieux, foible ou chargé, qui boucle & qui est hors de son à-plomb. Ainsi quand un mur est en cet état, on dit qu'il fait ventre, & qu'il menace ruine. (D.J.)

VENTRE, ou gorge, (Hydraul.) on appelle ainsi une fondriere entre deux montagnes, qui se rencontre dans la conduite des eaux, & qu'on est obligé de traverser pour raccorder les différens niveaux des montagnes, & donner à l'eau un écoulement naturel. (K)

VENTRE, terme de Potier d'étain, c'est la partie du milieu d'un vase, comme d'une pinte, qui est un peu plus grosse, plus large & plus élevée que les autres parties. (D.J.)

VENTRE, terme de Tourneur, sorte de planchette de bois, que le tourneur met devant son estomac lorsqu'il veut planer ou percer du bois ; on le nomme aussi poitrail. (D.J.)


VENTRI-LOQUES. m. (Médecine) ce nom est formé des deux mots latins venter, ventre, & loqui, parler ; il répond au grec ; on s'en sert en médecine pour désigner des malades qui parlent la bouche fermée, & semblent tirer les paroles de leur ventre. Galen. in exeges. vocum Hippocr. Hippocrate fait mention de ces sortes de malades (epidem. lib. V. & VII.) il dit qu'on entend dans leur poitrine des sons très-distincts, semblables à ceux que rendent certaines devineresses inspirées par Python ; voyez l'article suivant VENTRILOQUE (art divinat.) ; & il attribue cet effet aux collisions de l'air qui en traversant les bronches, rencontre des matieres visqueuses, épaisses, qui s'opposent à la sortie. Salomon Reiselius parle d'un célebre buveur célibataire, âgé de 36 ans, nommé André Stocklin, qui étoit plus exactement ventri-loque ; cet homme déjà sujet à bien d'autres incommodités, sentoit depuis 6 ans des bruits assez considérables dans son ventre, assez analogues au sifflement des viperes ; ses domestiques qui entendoient ce bruit, ne doutoient pas qu'il ne fût produit par quelque animal ; le malade rapportoit ces sons au-dessous de l'estomac, & quelquefois il le sentoit monter jusqu'au cardia, ce qui lui excitoit des douleurs très-vives : ce bruit augmentoit aprés qu'il avoit mangé des alimens doux, & les amers le dissipoient : cet homme étant mort, & son cadavre ouvert, on trouva les intestins & l'estomac si distendus par les vents, qui, à la moindre pression, rendoient un son assez sensible, à-peu-près semblable à celui qui se faisoit entendre dans cet homme vivant (ephemer. natur. curios. decad. II. ann. vij. observ. 13.) Il n'est pas difficile de trouver la raison de ces phénomenes ; le bruit étoit évidemment produit par les intestins distendus, lorsqu'ils rouloient l'un sur l'autre, ou qu'il survenoit quelque spasme ; & si ce spasme s'étendoit jusqu'à l'orifice supérieur de l'estomac, l'air n'ayant plus d'issue, distendoit ce viscere, occasionnoit une colique venteuse, excitoit la douleur ; les corps doux ou muqueux sont ceux qui contiennent le plus d'air, & qui en laissent échapper une très-grande quantité lorsqu'ils viennent à fermenter, ils sont les sujets les plus propres à prendre promtement le mouvement de fermentation ; ainsi il n'est pas étonnant que l'usage des alimens de cette nature en produisant beaucoup de vents ait reveillé & animé ces bruits ; les amers ont moins d'air, sont très-peu disposés à entrer en fermentation, ils l'arrêtent plutôt, sur-tout ceux qui, comme le houblon, l'absinthe, le quinquina, &c. contiennent une substance extractive, analogue à la résine soluble dans l'eau & l'esprit-de-vin, & qui peuvent fournir par-là même aux liqueurs fermentées, la partie que Becher appelle la substance moyenne ; aussi les amers sont-ils généralement regardés comme d'excellens carminatifs, opposés à la génération des vents, & propres à les détruire.

Les malades ventri-loques sont très-rares ; s'il s'en présentoit, on pourroit, en profitant de l'observation précédente, déterminer facilement le genre de remedes qu'il faudroit employer, & le régime convenable.

VENTRI-LOQUE, (Art divinat.) devineresses connues aussi sous les noms d'engastrimuthoi & engastri manteis, qu'on croyoit rendre des oracles par le ventre ; voyez Foësius oeconom. Hippocrat. Cette espece de divination est appellée par Aristophane , à cause d'un certain Eurycle, qui étoit bien décidement ventri-loque, & qui étoit affiché pour devin à Athènes ; cependant elle paroît avoir été particulierement réservée aux pythonisses, auxquelles on donnoit indistinctement ce nom, & celui de ventriloque : les traducteurs de l'ancien & du nouveau Testament ont toujours rendu ou ventri-loque par pythonisse. Voy. ce mot. Telle étoit celle dont il est parlé (Reg. lib. I. cap. 28.) qui évoqua l'ombre de Samuël à la priere de Saül. Telle est aussi, suivant S. Augustin (de doctr. christian. cap. xxiij. lib. II.), cette femme dont il est question (act. apostol. c. xvj.) qui étoit inspirée par Python.

On doit distinguer deux façons de rendre les oracles par le ventre, pour faire accorder les auteurs qui ont écrit sur les ventri-loques ; les uns ont assuré avec Cicéron (de divinat. lib. II.) qu'elles recevoient le démon dans leur ventre, d'où elles tiroient les réponses qu'elles rendoient par la bouche ; ils nous représentent la pythonisse de Delphes montée sur le trépié, écartant les jambes, & attirant par en-bas l'esprit fatidique, ensuite pénétrée de cet esprit, entrant en fureur & répandant les oracles. Suivant d'autres, ces devineresses prophétisoient, la bouche fermée, faisant avec le ventre certains bruits qui signifioient tout ce que le spectateur crédule & intéressé vouloit ; c'est à ces ventri-loques que Hippocrate compare les malades dont nous avons parlé. Voyez l'article précédent VENTRI-LOQUE, Médecine.

Il y a aussi des ventri-loques, suivant Tertullien, qui rendoient les oracles par les parties de la génération ; un auteur moderne a dans un badinage ingénieux métamorphosé les femmes en ventri-loques de cette espece : Caelius Rhodiginus assure avoir vu une femme qui l'étoit réellement. cap. x. lib. VIII.

Adrien Turnebus rapporte qu'un homme qui couroit les pays, pouvoit, sans remuer les levres, faire un bruit assez considérable, & proferer distinctement quelques paroles, & qu'il tiroit beaucoup d'argent de tous ceux qu'un phénomene aussi singulier attiroit après lui. (m)


VENTRICULEventriculus, comme qui diroit petit ventre, en Anat. est un diminutif de ventre, & signifie une cavité plus petite que celle que nous entendons par un ventre, ou plutôt une partie d'un ventre, ou une moindre cavité contenue dans une plus grande. Voyez VENTRE.

Ventricule est aussi un nom qu'on donne par excellence à l'estomac. Voyez ESTOMAC.

Quant à l'action du ventricule dans le vomissement, Voyez VOMISSEMENT.

VENTRICULE, ardeur du ventricule. Voyez ARDEUR.

Les ventricules du coeur sont les deux cavités qui se rencontrent dans son corps musculeux, dont l'une est épaisse & ferme, l'autre mince & mollasse. On donne communément à ce dernier le nom de ventricule droit, & à l'autre celui de ventricule gauche ; quoique suivant leur situation naturelle le ventricule droit est antérieur, & le gauche postérieur.

Chacun de ces ventricules est ouvert à la base par deux orifices, dont l'un répond à une des oreillettes, & l'autre à l'embouchure d'une grosse artere. Le ventricule droit s'abouche avec l'oreillette du même côté, & avec le tronc de l'artere pulmonaire. Le ventricule gauche s'abouche avec l'oreillette gauche, & avec le gros tronc de l'aorte. On trouve vers le contour de ces orifices plusieurs pellicules mobiles, que les Anatomistes appellent valvules, dont quelques-unes s'avancent dans les ventricules sous le nom de valvules triglochines, & les autres dans les gros vaisseaux sous le nom de valvules sémilunaires. Voyez VALVULE SEMILUNAIRE, &c.

Les ventricules ont leur surface interne fort inégale ; on y trouve quantité d'éminences & de cavités. Les éminences les plus considérables sont des allongemens charnus fort épais, qu'on appelle colonnes. A l'extrêmité de ces colonnes charnues sont attachés plusieurs cordages tendineux, qui par l'autre bout tiennent aux valvules triglochines. Voyez COEUR.

On a aussi donné le nom de ventricule à quatre cavités particulieres du cerveau, dont deux appellées les ventricules latéraux, beaucoup plus longues que larges, avec très-peu de profondeur, séparées l'une de l'autre par une cloison transparente, sont immédiatement situées sous la voûte médullaire ; on les nomme aussi ventricules antérieurs ou supérieurs du cerveau. Le troisieme ventricule est un canal particulier, situé au bas de l'épaisseur des couches des nerfs optiques, & directement au-dessous de leur union ; ce canal s'ouvre en-devant dans l'entonnoir, & sous l'ouverture commune antérieure où il communique avec les ventricules latéraux. Il s'ouvre en-arriere sous l'ouverture commune postérieure, & communique avec le quatrieme ventricule, qui est une cavité oblongue qui se termine en-arriere comme le bec d'une plume à écrire, située sur la surface supérieure de la portion postérieure de la moëlle allongée. Voyez MOËLLE ALLONGEE, CERVEAU, &c.

VENTRICULE, maladies du, (Médec.) un sac membraneux, musculeux, ouvert par deux orifices, doué d'un mouvement assez fort, & qui lui est particulier, situé dans la partie moyenne supérieure du ventre, & suspendu au diaphragme où il est attaché, est ce qu'on nomme le ventricule. Il répand quantité d'humeur salivaire, appellée suc gastrique, & beaucoup de mucosité. Il reçoit les alimens qu'on a pris, les digere, & les conduit par le pylore dans le duodenum.

Conséquemment à sa construction & à ses différentes fonctions, il est exposé à beaucoup de maladies, dont plusieurs ont un titre particulier, comme la nausée, le vomissement, les rots, l'ardeur, la satiété, le dégoût, la cacochylie ou l'amas de mauvaises humeurs, la cardialgie, & les maladies qui ont rapport à la faim & à la digestion.

Le ventricule chargé d'une trop grande quantité d'alimens ; a besoin d'être évacué par le vomissement méchanique, ou bien il faut que de lui-même il se débarrasse peu-à-peu de ce qui le surcharge. Après cette opération, on évitera dans la suite de tomber dans le même excès de nourriture : mais s'il contient de la mucosité, de la pituite, ou quelqu'autre humeur tenace, il faut avoir recours aux résolutifs stomachiques, en même tems qu'aux doux purgatifs ; si la maladie résiste à l'usage de ces remedes, on tentera les vomitifs. Sil y a dans le ventricule des matieres putrides, rances, bilieuses, l'usage des acides savonneux est excellent ; après cela, on évacuera les matieres viciées par les selles, ou par le vomissement. Quand il se trouve dans le ventricule des corps étrangers, comme le calcul, on doit avoir recours aux dissolvans ; les mercuriels tueront les vers ; mais s'il y a du sang ou du pus contenu dans la capacité de ce viscere, il est à-propos d'user de doux minoratifs, crainte d'irriter l'ulcere, ou d'occasionner une nouvelle effusion de sang. Lorsque le ventricule est gonflé par des vents, on vient à-bout de les dissiper par les remedes généraux propres à cette maladie.

La trop grande compression du ventricule, s'évanouit insensiblement, lorsque la cause qui la produisoit, ne subsiste plus ; la contusion, la piquure & les blessures de cette partie sont dangereuses ; la nature seule en peut procurer la guérison ; mais il faut que ceux qui se trouvent dans ces cas, se contentent d'une diete très-ménagée.

Dans la trop grande dilatation & la hernie du ventricule, on évitera soigneusement de trop manger ; on tentera de guérir, ou du-moins de diminuer ces sortes de maladies par l'usage des remedes corroborans. Quand après une trop longue abstinence le ventricule s'est resserré, on vient à-bout de lui rendre sa capacité ordinaire, par des alimens doux & des boissons semblables qu'on augmentera par degré. La corrosion & l'excoriation du ventricule se guérit souvent par de doux antiseptiques. La cure de l'hémorrhagie de cette partie, appartient à l'article du vomissement de sang. L'inflammation, le rhumatisme, l'érésipele qui viennent attaquer le ventricule, se connoissent par la fievre & la cardialgie, accompagnées d'ardeur & d'anxiété autour de la région de ce viscere, & par l'augmentation du mal à chaque fois que le malade prend des alimens, mal qui lui semble aussi grand, que si on lui brûloit l'estomac. On traite cette maladie, en faisant un usage moderé des boissons & des remedes antiphlogistiques, & en évitant les vomitifs & les purgatifs dont on avoit usé auparavant.

Les ulceres du ventricule veulent souvent des remedes balsamiques, joints aux alimens liquides & mucilagineux. Le relâchement, l'humidité, & l'hydropisie de ce viscere demandent les corroborans, les échauffans & les stomachiques long-tems continués.

Pour guérir la langueur, la foiblesse, la pesanteur, le froid de cette partie, maladies qui dénotent l'affoiblissement de son mouvement vital, il est semblablement nécessaire de recourir aux stomachiques, aux corroborans, & aux échauffans. Si l'ardeur du ventricule n'est pas causée par des acres contenus dans sa cavité, il la faut modérer de même que dans l'inflammation. Comme l'anxiété procede de différentes causes, elle exige aussi différens traitemens. Enfin, lorsque le ventricule est agité de fortes convulsions sympathiques, on les calmera par les antispasmodiques, & les anodins donnés en même tems à petite dose. (D.J.)

VENTRICULE des oiseaux, (Anat. comparée) le ventricule, ou pour me servir quelquefois de l'expression la plus ordinaire, l'estomac des oiseaux est placé tout autrement qu'il ne l'est dans les autres animaux ; il est presque joint au dos, enfermé de ce côté par l'os des reins, & tellement recouvert en-devant par les intestins, que lorsqu'on fend par une incision les tégumens du ventre, depuis ce qu'on nomme le brechet jusqu'à l'anus, on apperçoit ces derniers qui se présentent sans qu'on puisse découvrir que très-difficilement l'estomac qui est dessous.

Cette position du ventricule donne aux oiseaux la facilité la plus grande de couver, puisque les parties qui doivent poser presque immédiatement sur les oeufs ou sur les petits, sont des parties molles capables de se prêter sans danger à la compression qu'elles doivent éprouver ; ce qui n'arriveroit pas si l'estomac, sur-tout après qu'ils auroient mangé, étoit obligé d'essuyer cette compression.

D'un autre côté, cette même structure exige que les petits soient couvés après qu'ils sont éclos ; leur estomac qui n'est alors défendu de l'impression de l'air, que par une lame d'os fort mince, & presque cartilagineuse, perdroit trop vîte la chaleur nécessaire pour la digestion, si l'incubation ne la lui rendoit de tems en tems.

Les observations de M. Hérissant lui ont appris, que l'estomac du coucou étoit placé d'une façon toute différente. En disséquant un de ces oiseaux, il fut bien étonné de trouver après l'ouverture du ventre, des morceaux de viande crue, au lieu des intestins qu'il s'attendoit d'y voir : il soupçonna d'abord que ces morceaux de viande avoient été portés dans cet endroit par quelque ouverture accidentelle faite au ventricule ; mais les ayant enlevés sans rien déranger, il vit qu'ils étoient dans ce viscere ; qu'il étoit placé si fort en avant, qu'il l'avoit ouvert avec les tégumens, & qu'il recouvroit les intestins ; au lieu que dans les autres oiseaux il en est recouvert.

La capacité de ce ventricule égaloit celle d'un moyen oeuf de poule ; il est garni en-dedans de plis dans lesquels on trouve une matiere gélatineuse ; l'entrée de l'oesophage est fermée comme l'ouverture d'une bourse ; on trouve au-dessus beaucoup de grains glanduleux régulierement arrangés, qui, quand on les exprime, rendent de la liqueur. L'ouverture du pylore ou l'entrée de l'intestin, étoit aussi plissée sur ses bords ; mais ce que cet estomac avoit de plus particulier, c'étoit d'être adhérent par un tissu cellulaire à toutes les parties qui l'environnoient. Cette conformation parut si singuliere à M. Hérissant, qu'il soupçonna que l'oiseau qu'il avoit disséqué pouvoit bien être monstrueux ; mais la dissection de plusieurs autres de la même espece lui ayant toujours présenté la même structure, il fallut enfin la regarder comme constante.

De cette position de l'estomac, il suit qu'il est aussi difficile au coucou de couver ses oeufs & ses petits, que cette opération est facile aux autres oiseaux ; les membranes de son estomac chargées du poids de son corps, & comprimées entre les alimens qu'elles renferment & des corps durs, éprouveroient une compression douloureuse & très-contraire à la digestion.

Il suit encore de la structure de ce volatile, que ses petits n'ont pas le même besoin d'être couvés que ceux des autres oiseaux, leur estomac étant plus à l'abri du froid sous la masse des intestins ; & c'est peut-être la raison pour laquelle le coucou donne toujours ses petits à élever à de très-petits oiseaux.

Mais pour revenir au ventricule des oiseaux en général, les Physiciens remarquent qu'il est composé de quatre muscles en-dehors, & en-dedans d'une membrane dure, calleuse, & raboteuse ; laquelle est disposée de telle maniere, qu'elle fait comme deux meules, que les muscles poussent à plusieurs reprises pour leur faire écraser les semences ; or l'épaisseur de la membrane calleuse n'empêche pas, que lorsqu'elle est pressée tout-à-l'entour par les muscles, ses côtés ne s'approchent aisément pour comprimer ce qu'elle contient, parce qu'elle est toute plissée ; cette membrane sert d'antagoniste aux muscles qui la laissent agir, lorsqu'étant relâchés, leur action cesse. Mais afin de rendre l'action de ces muscles & de cette membrane calleuse plus efficace, les oiseaux ont un instinct d'avaler des cailloux, lesquels étant mêlés parmi les semences, aident à broyer les parties les plus dures de la nourriture.

Les autruches qui avalent des morceaux de fer ne le font pas pour s'en nourrir, ainsi que les anciens le pensoient ; elles les prennent pour s'en servir à broyer la nourriture dans leur estomac : car elles avalent indifféremment tout ce qu'elles rencontrent de dur & de solide. Bien loin que ces volatiles se nourrissent de métaux, on a reconnu par expérience à Versailles, qu'ils meurent quand ils en ont beaucoup avalé ; la dissection a fait voir, que les doubles que les autruches avoient avalés, s'étoient changés en verd-de-gris par le frottement mutuel de ces doubles, que l'on y trouva usés seulement par les endroits où ils se pouvoient toucher.

A proportion que la nourriture particuliere à chaque oiseau est différente, la préparation, les organes qui y sont destinés, de même que ceux qui servent à la coction, sont aussi différens. Dans le genre des oiseaux, ceux qui vivent de chair ont bien moins de parties pour ces usages, que ceux qui vivent de semences. Les aigles, les vautours, les cormorans, les onocrotales, n'ont qu'un ventricule simplement membraneux & renforcé de quelques fibres charnues ; mais aussi ces oiseaux ne se servent point de cailloux pour broyer leur nourriture.

Enfin, la variété du ventricule des oiseaux se trouve bien marquée entre ceux qui vivent de grain, & ceux qui sont destinés à se nourrir de proie ; l'estomac des derniers est sans gésier, tout membraneux, & assez semblable à celui de l'homme ; autre animal rapace, qui vit de fruits, de chair, de poisson, & de coquillages. Le ventricule des chats-huants est un peu tendineux, comme s'il servoit indifféremment à digérer la chair & autre nourriture que cet oiseau peut attraper. (D.J.)


VENTRIERE(Architect.) c'est une grosse piece de bois équarrie qu'on met devant une rangée de pal-planches, afin de mieux couvrir un ouvrage de maçonnerie, soit contre l'effort du courant de l'eau, soit contre la poussée des terres. (D.J.)

VENTRIERE, (ouvrage de Bourrelier) c'est la sangle dont on se sert pour élever des chevaux, quand on veut les embarquer, ou les tenir suspendus. (D.J.)

VENTRIERE, (Maréchal.) partie du harnois du cheval de train, fait d'une longe de cuir, qui empêche que le harnois ne tombe, & qui passe sous le ventre.


VENTZA(Géog. mod.) bourgade de l'Albanie, sur le bord méridional du golfe de Larta, vis-à-vis de la Prévisa. C'est, selon Sophien, l'ancienne Anactorium. (D.J.)


VENUES. f. (Gram. & Jardinage) on dit d'un bel arbre, bien droit, qu'il est d'une belle venue.


VÉNUSS. f. (Astronomie) l'une des planetes inférieures. On la représente par ce caractere . Voyez PLANETE.

Vénus est aisée à reconnoître par son éclat & sa blancheur, qui surpassent celles de toutes les autres planetes. Sa lumiere est si considérable, que lorsqu'on la reçoit dans un endroit obscur, elle donne une ombre sensible.

Cette planete est située entre la Terre & Mercure. Elle accompagne constamment le Soleil, & ne s'en écarte jamais de plus de 47 degrés. Lorsqu'elle précede le Soleil, c'est-à-dire, lorsqu'elle va en s'en éloignant, on l'appelle Phosphore, ou Lucifer, ou l'étoile du matin. Lorsqu'elle suit le Soleil, & qu'elle se couche après lui, on la nomme Hesperus ou Vesper, ou étoile du soir. Voyez PHOSPHORUS, &c.

Le demi-diametre de Vénus est à celui de la Terre, comme 10 à 19 ; sa distance du Soleil est la 723/1000 partie de celle de la Terre au Soleil. Son excentricité est de 5/1000 de sa moyenne distance, l'inclinaison de son orbite de 3° 23'. Voyez INCLINAISON, EXCENTRICITE.

Le tems de sa révolution dans son orbite est de 224 jours 17 heures ; & son mouvement autour de son axe se fait en 23 heures. Voyez PERIODE & REVOLUTION.

Le diametre de Vénus vu du Soleil, selon M. le Monnier, ne seroit que d'environ 15''. Lorsque cette planete s'approche le plus de la Terre, son diametre apparent est de 85''. Or la distance de Vénus périgée est à la distance moyenne de la Terre au Soleil, à-peu-près comme 21 est à 82. Donc si Vénus venoit à se trouver au centre du Soleil, elle ne paroîtroit plus que sous un angle de 21''46'''; d'où il suit que le diametre apparent de Vénus est à celui du Soleil, comme 1 à 84 environ.

Vénus a des phases comme la Lune, qu'on peut appercevoir avec le télescope ; & ce qu'il y a de singulier, c'est que le tems où elle jette le plus de lumiere, n'est pas celui où elle est pleine, c'est au-contraire dans le croissant ; ce qui vient de ce qu'elle se trouve dans ce cas beaucoup plus proche de la Terre, que dès qu'elle est pleine. Au-lieu que quand elle est pleine, elle est éloignée de la Terre le plus qu'il est possible ; ensorte que sa distance devenant alors trop grande, fait que la force de la lumiere par rapport à la Terre, diminue en plus grande raison que la quantité de lumiere qu'elle reçoit du soleil n'augmente. Le plus grand éclat de Vénus n'arrive donc pas (fig. 49. astron.) lorsque Vénus est au point A, & qu'elle est pleine par rapport à la Terre qui est en T ; mais lorsque cette planete est environ au point O de son orbite, où elle paroît en croissant, r m q étant sa partie éclairée par le Soleil, & m q la partie que l'on voit de la Terre.

Je suppose, par exemple, que Vénus soit quatre fois plus proche de la Terre au point O, que lorsqu'elle étoit en A ; il est évident qu'une même partie du disque lumineux de Vénus sera seize fois plus grande ; ainsi, quoique nous ne puissions appercevoir, lorsque Vénus est en O, qu'environ la quatrieme partie de son disque éclairé ; il est cependant vrai de dire, que son éclat est bien plus augmenté, à cause de sa proximité, qu'il ne doit être affoibli par la perte que nous faisons d'une partie du disque.

Si l'on veut connoître plus précisément quelle doit être la situation de Vénus, pour qu'elle nous paroisse dans son plus grand éclat, on peut voir dans les Transactions philosophiques, n°. 349. la solution que le célebre astronome M. Halley a donnée de ce problème. Ce savant mathématicien a démontré que cela arrive soit avant, soit après la conjonction inférieure, lorsque l'élongation de Vénus au Soleil est d'environ 40 degrés ; c'est-à-dire lorsque l'angle T S O est d'environ 40 degrés : on n'apperçoit alors que la quatrieme partie environ du disque de Vénus ; mais cette planete est alors si brillante, qu'on la voit en plein jour à la vue simple, lors même que le Soleil est dans les plus grandes hauteurs sur l'horison. Il n'y a rien assurement de plus digne de notre attention, ni de plus étonnant que cette lumiere & la route de Vénus, qui même, quoiqu'elle ne lui soit pas propre (puisque ce n'est qu'une lumiere empruntée du Soleil qu'elle nous réfléchit) est néanmoins si vive, & lancée avec tant de force, qu'elle est supérieure à celle de Jupiter & de la Lune, lorsque ces planetes sont à pareille distance, c'est-à-dire à même degré d'élongation du Soleil. Car si on compare leur lumiere à celle de Vénus, à la vérité celle-ci devroit paroître moins considérable, parce que leurs diametres apparens surpassent celui de Vénus. Mais d'un autre côté la lumiere de Jupiter ou de la Lune paroît si foible, qu'elle n'étincelle jamais, sur-tout celle de Jupiter, qui tire un peu sur la couleur du plomb ; au-lieu que Vénus lance une lumiere vive & éclatante, qui semble nous éblouir presque à chaque instant.

M. de la Hire, en 1700, vit avec un télescope de 16 piés des montagnes sur Vénus, qu'il jugea plus grandes que celle de la Lune. Voyez LUNE.

MM. Cassini & Campani, dans les années 1665 & 1666, découvrirent des taches sur le disque de Vénus, par le moyen desquelles on a déterminé le mouvement que cette planete a autour de son axe. Voyez TACHE, &c.

Vénus paroît quelquefois sur le disque du Soleil, comme une tache ronde. Voyez PASSAGE.

L'année prochaine, 1761 (ceci est écrit en Juillet 1760), elle doit passer ainsi sur le disque du Soleil, & M. Halley a fait voir qu'au moyen de cette observation on pourroit avoir la parallaxe du Soleil à une cinquieme partie près, pourvu que l'observation en soit faite selon les circonstances que cet auteur marque. On trouve le détail de ces circonstances, & l'explication de la méthode de M. Halley dans les institutions astronomiques de M. le Monnier, ainsi qu'une méthode pour déterminer l'orbite de Vénus par l'observation de son passage sur le Soleil, méthode qui a été donnée à l'académie en 1677, par M. Picard.

En 1672 & en 1686, M. Cassini, avec un télescope de 54 piés, crut voir un satellite à cette planete, & qui en étoit distant d'environ les 3/5 du diametre de Vénus. Ce satellite avoit les mêmes phases que Vénus ; mais sans être bien terminé. Son diametre supposoit à peine le quart de celui de Vénus.

M. Gregori regarde comme plus que probable que c'étoit véritablement un satellite de Vénus qu'on apperçoit rarement, à cause que sa surface peut être couverte de taches, & n'être point propre à renvoyer les rayons de lumiere. Il dit à cette occasion, que si le disque de la Lune étoit par-tout comme il paroît dans les taches, on ne la verroit point du tout à la distance où est Vénus.

Ce qui est surprenant, c'est que quelques recherches que M. Cassini ait faites depuis en divers tems pour achever une découverte de si grande importance, il n'a jamais pu y réussir, & nul autre astronome dans l'espace de 54 ans n'a pu voir ce phénomene après lui, non pas même M. Bianchini, si célebre par les découvertes sur la planete de Vénus, pour lesquelles il a employé d'excellentes lunettes de Campani, de plus de 100 piés de longueur.

Enfin, en 1741 M. Short, écossois, revit ou crut revoir ce même satellite, si c'en est un, avec les mêmes apparences que M. Cassini a décrites. Mais cette nouvelle apparition du satellite de Vénus n'a pas été de plus longue durée que les deux premieres. L'observation avoit été faite à Londres le 3. Novembre 1740 ; & au mois de Juin suivant M. Short n'avoit encore pu revoir le satellite prétendu. Il apperçut d'abord comme une petite étoile fort proche de Vénus, dont il détermina la distance à Vénus. Prenant ensuite une meilleure lunette, il vit avec une agréable surprise que la petite étoile avoit une phase, & la même phase que Vénus ; son diametre étoit un peu moins que le tiers de celui de Vénus, sa lumiere moins vive, mais bien terminée. M. Short le vit pendant une heure avec différens télescopes, jusqu'à-ce que la lumiere du jour ou du crépuscule le lui ravit entierement. Les deux observations de M. Cassini n'avoient guere duré qu'une heure non plus.

Si c'est là un satellite de Vénus, il devient encore plus difficile de déterminer quel peut être l'usage des satellites. Seroit-ce de suppléer, pour ainsi dire, à la lumiere que les planetes ne reçoivent pas du Soleil ? Mais voilà une planete plus proche du Soleil que nous, & qui en a un aussi gros que notre Lune ; d'ailleurs Mars ne paroît point avoir de satellite, quoiqu'il soit plus éloigné du Soleil que la Terre. Voyez l'histoire de l'acad. 1741.

Les phénomenes de Vénus démontrent la fausseté du système de Ptolémée, puisque ce système suppose que l'orbite de Vénus enveloppe celle de la Terre, & qu'elle est placée entre le Soleil & Mercure. Car il suit de ce système qu'elle ne devroit jamais paroître au-delà de la distance qui est entre nous & le Soleil, ce qui arrive cependant souvent, ainsi que toutes les observations s'accordent à le prouver. Voyez SYSTEME, TERRE, &c.

L'orbite de Vénus n'est pas dans le même plan que l'écliptique ; mais elle est, comme on l'a dit, inclinée à ce plan, avec lequel elle fait un angle de 3 degrés environ.

La position du noeud de cette planete, & le vrai mouvement de ce noeud, ne sauroient être mieux déterminés que par le passage de Vénus sur le Soleil qu'on attend en 1761. Le mouvement de ce noeud, dont M. de la Hire a publié diverses observations en 1692, a cependant été déjà calculé ; mais les astronomes sont fort peu d'accord entr'eux sur ce sujet. (O)

VENUS, (Astron.) les curieux feront bien de lire sur la planete de Vénus, l'ouvrage de Bianchini (François) mis au jour à Rome, en 1728, in-fol. sous ce titre : Hesperi & phosphori phaenomena, sive observationes circa planetam venerem, &c. c'est-à-dire, nouveau phénomenes de la planete de Vénus, ou la description de ses taches, le tournoyement sur son axe en vingt-quatre jours & huit heures, le parallélisme du même axe, & la parallaxe de cette planete, dédié à Dom Juan V. roi de Portugal.

M. de Fontenelle, hist. de l'acad. des Sc. an. 1729. remarque que Vénus est très-difficile à observer, autant & de la maniere dont il le faudroit pour en apprendre tout ce que la curiosité astronomique demanderoit.

M. Bianchini commença par la recherche de la parallaxe de cette planete, & il trouva qu'elle étoit de 24 secondes. Cependant, il ne faut pas trop compter encore sur cette observation : selon l'historien de l'académie, c'est plutôt la maniere de trouver la parallaxe de Vénus, qui est enfin trouvée par M. Bianchini, que ce n'est cette parallaxe même. Il fut plus heureux dans l'observation, encore plus importante, des taches de Vénus, qu'il fit en 1626 ; il les vit, & les distingua assez nettement pour y établir, selon lui, vers le milieu du disque, sept mers, qui se communiquent par quatre détroits, & vers les extrêmités deux autres mers sans communication avec les premieres ; les parties qui sembloient se détacher du contour de ces mers, il les appella promontoires, & en compta huit, & il imposa des noms à ces mers, à ces détroits, & à ces promontoires. Les astronomes se servent du privilége des célebres navigateurs qui font des découvertes de terres inconnues, auxquelles ils imposent des noms.

M. Bianchini a déterminé aussi l'axe de la rotation de Vénus, & sa rotation même, qu'il a fixée à vingtquatre jours & huit heures. Enfin une découverte remarquable & plus certaine qu'il a faite, est celle du parallélisme constant de l'axe de Vénus sur son orbite, pareil à celui que Copernic fut obligé de donner à la terre. Je me borne à indiquer ces découvertes du savant Italien : ceux qui aiment les détails sur ces matieres, & qui souhaiteront d'être instruits des différentes observations qu'il a faites sur ce sujet, peuvent avoir recours à ce qu'en a dit M. de Fontenelle, & aux curieux extraits qu'on a donné de l'ouvrage de M. Bianchini, dans la bibliotheque Italique, où l'on trouvera même par-ci par-là, des remarques qui sont intéressantes pour ceux qui aiment l'astronomie. (D.J.)

VENUS, (Mythol.) déesse de l'amour :

Tu dea, tu rerum naturam tota gubernas,

Nec sine te quicquam dias in luminis oras,

Exoritur, neque fit laetum, nec amabile quicquam.

C'est Lucrece qui invoque en ces mots cette déesse si célebre dans l'antiquité payenne. Homere la dit fille de Jupiter & de Dioné. Hésiode la fait naître près de Cythere ; mais voici les traits sous lesquels les poëtes l'ont dépeinte.

Accompagnée de son fils Cupidon, des jeux, des ris, des graces, & de tout l'attirail de l'amour, elle fit sur la terre les délices des hommes, & celles des Dieux, quand les Heures chargées du soin de son éducation la conduisirent dans l'Olympe. Elle étoit alors montée sur un char, trainé par deux colombes, dans une nuée d'or & d'azur. Elle avoit cette éclatante beauté, cette vive jeunesse, & ces graces tendres qui séduisent tous les coeurs ; sa démarche étoit douce & légere comme le vol rapide d'un oiseau qui fend l'espace immense des airs.

Jamais elle ne faisoit un pas sans laisser après elle une odeur d'ambroisie qui parfumoit tous les environs ; elle ne pouvoit même ni parler, ni remuer la tête sans répandre une odeur délicieuse dont l'air d'alentour étoit embaumé. C'est le prince des poëtes latins qui nous le dit, & on doit l'en croire :

Avertens roseâ cervice refulsit,

Ambrosiaeque comae divinum vertice odorem

Spiravere.

Ses cheveux flottoient tantôt sur ses épaules découvertes, & tantôt étoient négligemment attachés par derriere avec une tresse d'or ; sa robe avoit plus d'éclat que toutes les couleurs dont Iris se paroit dans ses plus beaux jours ; elle étoit quelquefois flottante, & quelquefois nouée par cette divine ceinture sous laquelle paroissoient les graces.

Qui ne connoît ce ceste ou cette ceinture mystérieuse de la déesse, qu'Homere semble lui avoir dérobée, pour la mieux décrire. In eo deliramenta omnia inclusa erant. Ibi inerat amor, inerat desiderium, inerat & amantium colloquium ; inerat & blandi loquentia quae furtim mentem prudentium subripit. Là se trouvoient tous les charmes, les attraits les plus séduisans, l'amour diversifié sous mille formes enchanteresses, les desirs renaissans sans cesse, les amusemens délicats & voluptueux, les entretiens secrets, les innocentes ruses, & cet heureux badinage qui gagne l'esprit & le coeur des personnes mêmes les plus raisonnables. En un mot le ceste de Vénus avoit tant de vertu pour inspirer la tendresse, que Junon fut obligée de l'emprunter le jour qu'elle voulut gagner les faveurs du maître du monde, en se trouvant avec lui sur le mont Ida.

Il ne faut pas s'étonner qu'à cette peinture qu'on nous fait de Vénus, les dieux ne fussent quelquefois éblouis de sa beauté suprême, comme le sont les yeux des foibles mortels, quand Phébus, après une longue nuit, vient les éclairer par ses rayons. Jupiter lui-même ne pouvoit voir les beaux yeux de cette déesse mouillés de larmes, sans en être extrêmement ému. Enfin elle tenoit sous son empire presque tous les héros du monde, & la plûpart des immortels.

La rose, le myrthe appartiennent à la déesse de Paphos. Les cygnes, les colombes & les moineaux sont ses oiseaux favoris ; les uns ou les autres ont l'honneur de tirer son char ; & souvent on les voit sur sa main.

Voilà l'idée que les poëtes, les peintres, & les sculpteurs, nous donnent de la mere de l'amour ; les monumens nous font voir cette divinité sortant du sein de la mer, tantôt soutenue sur une belle coquille par deux tritons, & tenant ses grands cheveux ; tantôt montée sur un dauphin & escortée des Néréïdes. Selon cette opinion, elle étoit surnommée Epipontia, Anadiomene, Aphrodite, Tritonia, &c.

Platon distingue deux Vénus, la céleste, & la mere de Cupidon. Cicéron en admet quatre principales : la premiere, dit-il, est fille du Ciel & du Jour, de laquelle nous avons vu un temple en Elide ; la seconde est née de l'écume de la Mer ; la troisieme, fille de Jupiter & de Dioné, eût Vulcain pour mari ; la quatrieme, née de Syria & de Tyrus, s'appelle Astarté, elle épousa Adonis.

Pausanias dit qu'il y avoit chez les Thébains trois statues de Vénus, faites du bois des navires de Cadmus ; la premiere étoit Vénus céleste, qui marquoit un amour pur ; la seconde étoit de Vénus la populaire, qui marquoit un amour déréglé ; & la troisieme de Vénus préservatrice, qui détournoit les coeurs de la sensualité.

Mais de toutes ces Vénus dont les mythologistes font mention, c'est la Vénus Anadiomène, qui s'est attirée presque tous les hommages des Grecs & des Romains. C'est elle dont l'histoire a été chargée de la plûpart des galanteries éclatantes, comme de celles de Mars. Cependant, si nous en croyons plusieurs modernes, il n'a jamais existé d'autre Vénus qu'Astarté, femme d'Adonis, dont le culte fut mêlé avec celui de la planete de ce nom. Ce culte passa de Phénicie dans les îles de la Grece, & sur-tout dans celle de Cythère, aujourd'hui Cérigo, où elle eut le premier temple. Les Phéniciens l'avoient érigé en son honneur, lorsqu'ils donnerent à cette île de l'Archipel le nom de Cythère, c'est-à-dire des rochers, parce que cette île en est environnée.

Les autres lieux spécialement consacrés à Vénus, étoient Gnide, Idalie, aujourd'hui Dalion, Amathonte nommée de nos jours Limisso, & la ville de Paphos dans l'île de Chypre, qu'on appelle à présent Basta. Dans tous ces endroits les temples de Vénus ouverts à la licence de l'amour, apprirent à ne pas respecter la pudeur. Oh Vénus, dit un payen, j'ai brûlé comme d'autres, de l'encens sur vos autels ; mais maintenant revenu à moi-même, je déteste cette infâme mollesse avec laquelle les habitans de vos îles, célebrent vos mysteres & vos fêtes. Voyez VENUS fête de, (Littérat.)

Je n'oublierai pas de parler de ses temples ; les poëtes ont enrichi leurs ouvrages des noms de cette déesse ; ils l'appellent Aphrodite, Amathusia, Callipyga, Aurea, Cypris, Cythérée, Dionée, Cnidienne, Myrtea, Paphienne, &c. Elle est surnommée Ridens, Philoméïdes, Gelarisa, autant d'épithetes de son goût pour les ris & les jeux.

Enée apporta de Sicile en Italie une statue de Vénus Erycine. On lui fit bâtir depuis un temple à Rome avec de magnifiques portiques, hors de la porte colline ; ce nom fut donné à la déesse, parce qu'elle étoit révérée sur le mont Erix en Sicile, qui est aujourd'hui monte san Juliano ; dans le val de Mazara, proche de Trepano, ou plutôt la déesse & la montagne prirent ce nom d'un roi Erix, fils de Vénus & de Buté.

Praxitèle fit deux statues de Vénus, l'une vêtue, que ceux de Cos acheterent ; & l'autre nue, qu'il vendit aux Cnidiens. Le roi Nicomède voulut acheter cette derniere à un prix immense, mais les Cnidiens refuserent ses offres. La beauté de cette statue attiroit un concours de gens qui venoient de tous côtés pour l'admirer.

Entre les statues de Vénus qui nous restent, la plus belle est la Vénus de Médicis ; on en a fait l'article. La Vénus de M. Maffei semble être faite pour ce passage de Térence, sine Cerere & Baccho friget Venus. Elle est accompagnée de deux cupidons, tenant un Thyrse entouré de pampres & couronné d'épis de blé. Elle a trois fleches dans sa main droite, pour marquer peut-être qu'elle décoche plus sûrement ses traits quand Cérès & Bacchus sont de la partie. On sait que les Spartiates représentoient Vénus armée, & cette idée qui enchantoit l'un & l'autre sexe, ne pouvoit convenir qu'à Lacédémone. (D.J.)

VENUS Anadiomène, (Peint. ant.) ce tableau étoit le chef-d'oeuvre d'Apelles. Vénus étoit peinte sortant toute nue du sein de la mer, & c'étoit sur le modele de la belle concubine d'Alexandre, dont ce peintre admirable devint si tendrement épris en la peignant dans cet état, qu'Alexandre par une générosité aussi estimable qu'aucune de ses victoires, ne put s'empêcher de la lui donner ; magnus animo, major imperio sui, nec minor hoc facto, quàm victoriâ aliquâ, dit Pline, l. XXXV. c. x. Auguste mit dans le temple de Jules César, ce magnifique tableau. Voyez l'article d'Apelles au mot PEINTRES anciens. (D.J.)

VENUS Victrice, (Mythol.) cette déesse fut ainsi nommée par les poëtes, en conséquence du prix de la beauté qu'elle remporta sur Pallas & sur Junon ; elle est représentée ayant le bras appuyé sur un bouclier, tenant une victoire de la main droite, & son sceptre de la main gauche ; d'autres fois elle est représentée tenant de la main droite un morion, au-lieu de la victoire, & tenant de la gauche la pomme que lui adjugea l'amoureux Paris ; aussi lui promit-elle pour récompense une des plus belles femmes du monde, & elle lui tint si bien sa parole, qu'elle le favorisa de tout son pouvoir dans l'enlevement d'Hélene.

VENUS la voilée, (Mythologie) Plutarque parle d'un temple dédié à Venus la voilée. On ne sauroit, dit-il, entourer cette déesse de trop d'ombres, d'obscurité & de mysteres. Cette idée est aussi vraie qu'ingénieuse. La pudeur est si nécessaire aux plaisirs, qu'il faut la conserver même dans les tems destinés à la perdre. Le voile est une maniere délicate d'augmenter les charmes & d'enrichir les appas ; ce qu'on dérobe aux yeux, leur est rendu par la libéralité de l'imagination. Lisez sur ce sujet les réflexions semées çà & là dans la nouvelle Héloïse ; elles sont pleines d'esprit & de délicatesse. (D.J.)

VENUS Uranie, (Mythologie) ou la Vénus céleste, étoit fille du Ciel & de la Lumiere ; c'est elle, selon les anciens, qui animoit toute la nature.

Lucrece l'invoque au commencement de son ouvrage, & en fait un portrait qui contient toutes ses qualités.

Aeneadum genetrix, hominum divûmque voluptas,

Alma Venus, coeli subter labentia signa.

Quae mare navigerum, quae terras frugiferenteis.

Concelebras, per te quoniam genus omne animantûm

Concipitur, visitque exortum lumina solis, &c.

Cette Vénus Uranie n'inspiroit que des amours chastes, au-lieu que la Vénus terrestre présidoit aux plaisirs sensuels.

On voit à Cythere, dit Pausanias, un temple de Vénus Uranie, qui passe pour le plus ancien & le plus célebre de tous les temples que Vénus ait dans la Grece. Elle avoit à Elis un autre temple de sa statue d'or & d'ivoire, ouvrage de Phidias. On représentoit cette déesse ayant un pié sur une tortue pour remarquer la modestie qui lui étoit propre, car, selon Plutarque, la tortue étoit le symbole de la retraite. Les Perses, au rapport d'Hérodote, tenoient des Assyriens & des Arabes le culte qu'ils rendoient à Uranie, c'étoit la lune ; les Arabes l'adoroient sous le nom de Melitta, & leur Dyonisius étoit le soleil. (D.J.)

VENUS de Médicis, (Sculpt. antiq.) statue antique de marbre blanc, haute de cinq piés. Elle a pris son nom de Cosme de Médicis, qui fit l'acquisition de ce chef-d'oeuvre de l'art.

C'est, disent les curieux qui l'ont vue dans le palais ducal de Florence, le plus beau corps & le plus bel ouvrage du monde. Cette incomparable statue a la tête un peu tournée vers l'épaule gauche ; elle porte la main droite au-devant de son sein, mais à quelque distance ; de l'autre main elle cache, & cependant sans y toucher, ce qui fait la distinction des deux sexes. Elle se panche doucement, & semble avancer le genou droit, afin de se cacher mieux s'il lui est possible. La pudeur & la modestie sont peintes sur son visage avec une douceur, un air de jeunesse, une beauté & une délicatesse inexprimables. Son bras rond & tendre s'unit insensiblement à sa belle main. Sa gorge est admirable, &, pour tout dire, si le vermillon & la voix ne manquoient à cette statue, ce seroit une parfaite imitation de la plus belle nature. (D.J.)

VENUS, fêtes de, (Antiq. rom.) les fêtes de Vénus commençoient le premier jour du mois d'Avril, qui pour cela se nommoit mensis Veneris. Les jeunes filles faisoient des veillées pendant trois nuits consécutives ; elles se partageoient en plusieurs bandes, & l'on formoit dans chaque bande plusieurs choeurs. Le tems s'y passoit à danser & à chanter des hymnes en l'honneur de la déesse. Un ancien a dit en parlant de ces fêtes :

Jam tribus choros videres

Feriatos noctibus

Congreges inter catervas

Ire per saltus tuos,

Floreas inter coronas

Myrteas inter casas.

" Vous verriez pendant trois nuits une aimable jeunesse, libre de tout autre soin, se partager en plusieurs bandes, y former des choeurs, se répandre dans vos bocages, se couronner de guirlandes de fleurs, s'assembler sous des cabanes ombragées de myrte ". Le même auteur y fait trouver aussi les graces & les nymphes : mais Horace semble avoir mis de la distinction dans les fonctions de toutes ces déesses. Les nymphes & les graces entrent dans les danses ; mais Vénus qui est, pour ainsi dire, la reine du bal, ouvre la fête, forme l'assemblée, distribue la jeunesse en différens choeurs, & leur donne le mouvement, choros ducit. Les fleurs nouvelles, & sur-tout le myrte consacré à la déesse, y étoient employés. L'ancienne hymne en fait mention en plusieurs endroits.

Cras amorum copulatrix

Inter umbras arborum

Implicat casas virentes

E flagello myrteo.

" Demain Vénus doit réunir les amours. Elle dressera des tentes de verdure avec des branches de myrte.

Ipsa nympha diva lucos

Jussit ire myrteos.

Vénus assemble les nymphes dans les bosquets de myrte.

Floreas inter coronas,

Myrteas inter casas.

Parmi des guirlandes de fleurs, sous des cabanes ombragées de myrte ". Voilà comme on célébroit les fêtes de Vénus. (D.J.)

VENUS, (Art numismat.) les médailles nous présentent deux Vénus ; la céleste & celle de Paphos. La Vénus céleste ou uranie, figure sur les médailles avec son astre, ou avec le soleil, dans une posture modeste ; l'inscription est Venus coelestis. Les courtisannes qui vouloient contrefaire les sages, se défendoient par Vénus uranie ; mais c'est sous la figure de Vénus paphienne que Julia, fille de Titus, & Faustine la jeune se trouvent représentées sur quelques-unes de nos médailles. Dans les médailles de cette espece, Vénus est dépeinte presque nue, appuyée sur une colonne, avec le casque, & les armes de Mars dans les mains. L'inscription porte Veneri victrici ou Veneri genitrici.

Il y a dans Athénée des vers de Philémon, comique grec, où il explique la raison qui porta Solon, à permettre des courtisannes à Athénes, & à faire bâtir un temple à Vénus la populaire, avec l'inscription ; ce n'est pas néanmoins la seule mere des amours qui fut appellée du nom de ; le pere & le roi du ciel eut aussi cette épithete, mais dans un sens plus noble & plus digne d'un dieu. (D.J.)

VENUS, (Jeux de hasard des Romains) les Latins nommoient aux osselets vénus ou venerius jactus le coup qui arrivoit quand toutes les faces des osselets étoient différentes. Ce coup déclaroit le roi du festin ; c'est pour cela qu'Horace dit, ode VII. lib. II.

Quem venus arbitrum

Dicet bibendi.

Voyons au sort celui que vénus établira roi de la table. Le même coup étoit appellé basilicus, coïes & suppus. (D.J.)

VENUS, pierre de, (Hist. nat.) gemma veneris, nom donné par quelques auteurs à l'améthyste. Voyez cet article.

VENUS, (Chymie) les Chymistes ont souvent désigné le cuivre par le mot de vénus, c'est ainsi qu'on dit du vitriol de vénus, au-lieu de dire du vitriol cuivreux, &c. Voyez CUIVRE.

VENUS, (Médecine) le plaisir de vénus pris à propos ou à contre-tems, n'est point indifférent pour affermir ou pour détruire la santé ; car il est certain, par l'expérience, que la semence retenue cause dans le corps un engourdissement, & produit quelquefois des désordres terribles dans le système nerveux. D'ailleurs la semence doit être bien ménagée, étant la partie la plus subtile du sang. L'éjection de la semence demande un tempérament sain & vigoureux, parce qu'elle épuise les forces & affoiblit les personnes. De-là vient qu'Hippocrate répondit si sagement au sujet du tems qu'il falloit user du coït : c'est, dit-il, quand on est d'humeur à s'affoiblir ; ainsi les personnes foibles ou trop jeunes, ou trop vieilles, & les convalescentes doivent s'en abstenir. On ne doit pas non plus user de ces plaisirs après une forte application d'esprit ou de longues veilles, parce que ce sont des causes qui affoiblissent déja le corps par elles-mêmes ; outre que le coït est bon aux personnes robustes & saines, il est salutaire lorsque l'estomac est vuide, que l'on transpire bien, qu'on a bien dormi, usé de bains, & pris des alimens nourrissans & faciles à digérer, &c. mais le coït est plus favorable au printems que dans toute autre saison. Pour le réïtérer souvent, on doit éviter les excès dans le boire & le manger, la faim, les travaux, l'étude excessive, les saignées, les veilles, les purgations, & tout ce qui peut affoiblir ou détruire les forces.

Celse dit que le coït est avantageux lorsqu'il n'est point suivi de langueur, ni de douleur, qu'alors aulieu de diminuer les forces, il les augmente. On doit s'en abstenir après le repas, le travail ou les veilles. La modération sur ce point est importante : on doit là-dessus consulter son tempérament. Selon Celse, on doit s'en abstenir l'été, parce qu'il peut causer une trop grande commotion ; & l'expérience apprend que le coït enleve les maladies, & qu'il en peut produire d'autres. Le coït est salutaire aux femmes cachéctiques & dont les regles sont supprimées, parce que la semence rend aux solides & aux fluides leur premiere qualité ; car, selon Hippocrate, le coït échauffe le sang & facilite le flux menstruel, d'autant que la suppression arrive en conséquence de l'étroitesse & de la contraction des vaisseaux de l'utérus. Hoffman.

Nombre d'auteurs citent des expériences de personnes qui ont ruiné leur santé par l'usage immodéré de ce plaisir ; & Celse, déja cité, dit que pendant la santé on doit ménager les secours assûrés contre beaucoup de maladies ; souvent des maladies légeres en elles-mêmes deviennent sérieuses & funestes, parce que le corps se trouve malheureusement épuisé par l'usage immodéré des plaisirs de vénus.


VÉNUS(Astronom.) satellites de Vénus. Depuis la découverte des satellites de Jupiter & de Saturne, qui ne sont que des lunes semblables à celle qui tourne autour de la planete que nous habitons, l'analogie a dû faire soupçonner l'existence de pareils astres autour des autres corps. Pourquoi ce présent n'auroit-il été fait qu'à certaines planetes, tandis qu'il s'en trouve d'intermédiaires, qui par leur éloignement sembloient devoir jouir des mêmes avantages, & qui ne sont pas moins importans dans le systême des corps assujettis à notre soleil : tels sont Mercure, Vénus & Mars ? Ces sortes d'inductions prennent une nouvelle force, si on considere attentivement les phénomenes de ces planetes secondaires à l'égard de la planete principale dont ils dépendent. Soumises aux mêmes loix générales, leurs révolutions périodiques sont déterminées par leurs distances au centre du mouvement qui leur est commun.

Mais sans chercher des raisons pour expliquer les variétés que nous offrent les productions de l'Etre suprême, contentons-nous de rapporter les faits. Il vaut mieux arrêter l'esprit qui ne court que trop vîte au systême.

Toutes les observations faites sur Mars nous mettent en droit de conclure qu'il est dépourvu de satellite. Cette planete est trop voisine de la nôtre pour que nous ayons pu tarder jusqu'à cette époque à le découvrir, les circonstances dans lesquelles il se présente à nos yeux sont d'ailleurs trop favorables pour qu'il ait pu échapper à l'époque de l'invention des lunettes. La phase ronde qu'il auroit toujours eu à notre égard le rendoit trop sensible pour n'être pas apperçu de Galilée.

Il n'en étoit pas ainsi de Vénus : placée entre le soleil & nous, les observations faites sur cette planete ont été plus délicates, plus rares, plus sujettes à des variations, que des circonstances de toute nature rendent très-difficiles à saisir, la perfection des instrumens, l'habileté des observateurs, des travaux sans nombre entrepris pour les progrès de l'astronomie ; tous ces efforts suffisent à peine pour nous instruire de la révolution de cette planete sur son axe. Qu'on ne soit donc pas surpris si les observations que nous allons rapporter ont été si peu répétées malgré les veilles & les peines de nos astronomes les plus infatigables.

La premiere observation du satellite de Vénus est dûe à M. Cassini : il s'exprime en ces termes dans sa découverte de la lumiere zodiacale, in-fol. 1685. Paris. Seb. Cramoisi, p. 45. " A 4 heures 15 minutes, 28 Août 1686, en regardant Vénus par la lunette de 34 piés, je vis à 3/5 de son diametre vers l'orient une lumiere informe, qui sembloit imiter la phase de Vénus, dont la rondeur étoit diminuée du côté de l'occident. Le diametre de ce phénomene étoit à-peu-près égal à la quatrieme partie du diametre de Vénus, je l'observai attentivement pendant un quart d'heure, & après avoir interrompu l'observation l'espace de 4 ou 5'je ne la vis plus, mais le jour étoit grand ".

M. Cassini avoit vu une lumiere semblable qui imitoit la phase de Vénus, le 25 Janvier 1672, pendant 10'depuis 6 h. 52'du matin, jusqu'à 7 h. 2'vers les 7 h. du matin, que la clarté du crépuscule fit disparoître cette lumiere. La plupart des astronomes chercherent inutilement ce satellite, aucun ne l'apperçut jusqu'à M. Short, qui le revit 54 ans après, pendant qu'il observoit Vénus avec un télescope de 16°.

Cette observation étant une de celles qui constate le plus l'existence du satellite de Vénus, par l'impossibilité d'y supposer que l'observateur ait été trompé par des illusions optiques, mérite une attention particuliere ; c'est pourquoi je la rapporterai telle qu'elle se trouve dans les transactions philosophiques & dans l'histoire de l'académie de 1741.

" M. Short, à Londres, le 3 Novembre 1741, un matin avec un télescope de 16° 1/2 qui augmentoit 50 à 60 fois le diametre de l'objet, apperçut d'abord comme une petite étoile fort proche de Vénus, sur quoi ayant adapté à son télescope un oculaire plus fort & un micrometre, il trouva la distance de la petite étoile à Vénus de 10'20''; Vénus paroissant alors très-distinctement, & le ciel fort serein ; il prit des oculaires trois ou quatre fois plus forts, & vit avec une agréable surprise que la petite étoile avoit une phase, & la même phase que Vénus ; son diametre étoit un peu moins que le tiers de celui de Vénus, sa lumiere moins vive, mais bien terminée ; le grand cercle qui passoit par le centre de Vénus & de ce satellite (qu'il seroit difficile de qualifier autrement), faisoit un angle d'environ 18 à 20°. avec l'équateur ; le satellite étant un peu vers le nord, & précédant Vénus en ascension droite. M. Short le considera à différentes reprises, & avec différens télescopes pendant une heure jusqu'à ce que la lumiere du jour le lui ravit entierement. "

Ce fut en vain que M. Short chercha par la suite à faire de nouvelles observations de ce satellite. Il ne put découvrir avec son fameux télescope de 12 piés (le plus grand qui eût été fait jusqu'alors), ce que le hazard lui avoit offert dans un télescope de 16° 1/2, il paroissoit donc qu'on devoit encore être incertain de l'existence de ce satellite : on n'en trouve aucunes traces dans toutes les observations postérieures des astronomes de l'Europe, jusqu'à l'année 1761 ; les observations de ce satellite devinrent pour lors plus fréquentes.

Le fameux passage de Vénus sur le soleil, cette époque si célebre vit renaître le zèle de tous les savans. Ce passage étoit une occasion plus intéressante que toute autre de constater l'existence du satellite de Vénus, & de l'observer au cas qu'on pût le découvrir. Tandis que les nations s'empressoient à l'envi de faire voyager des académiciens dans toutes les parties du monde habitable, des savans cultivoient en silence leur goût pour l'astronomie, & se préparoient à l'observation du 6 Juin, pour contribuer par leurs travaux à cette correspondance générale, qui devoit seule prouver les résultats qu'avoit annoncé le grand Halley. M. Baudouin avoit fait dresser dans l'observatoire de la marine sur les bains de Julien, rue des Mathurins, une lunette de 25 piés, il se proposa de faire des recherches sur l'existence de cet astre. Il crut devoir associer à son travail un astronome éloigné de la capitale, & sur l'assiduité duquel il pût compter. Il engagea donc M. Montaigne, de la société de Limoges, à s'appliquer à la recherche de ce satellite. M. Montaigne est un philosophe sans faste, occupé dans le fond de sa retraite du plaisir de jouir de ses connoissances, plutôt que du desir d'en acquérir de nouvelles ; observant par pur délassement, il se détermina plutôt que tout autre astronome à un travail dans lequel on avoit si souvent échoué. Quoi qu'il en soit, il étoit réservé à l'observateur de Limoges d'être assez heureux pour chercher ce satellite dans une de ces circonstances favorables, où nonseulement il est visible, mais où il n'exige même que des instrumens médiocres.

Il apperçut donc le 3 Mai 1761 sur les 9 heures 1/2 du soir, environ à 20'de distance de Vénus, un petit croissant assez foible, & situé de la même maniere que Vénus. Le diametre de ce petit croissant étoit à-peu-près le quart de celui de la planete, & la ligne menée du centre de Vénus à celui de ce satellite, faisoit avec le vertical de cette planete & au-dessous d'elle vers le midi un angle d'environ 20°.

Le lendemain 4 Mai à la même heure, notre observateur apperçut encore le même phénomene, mais un peu plus éloigné d'environ 30''ou 1', & dans la partie septentrionale à l'égard du vertical de Vénus avec lequel il faisoit un angle d'environ 10°.

Le 5 & 6 on ne put faire aucune observation, à-cause d'un brouillard épais qui tenoit l'athmosphere jusqu'à la hauteur de Vénus, dont on pouvoit à-peine observer le disque. On fut plus heureux le 7, & l'on vit encore le satellite toujours à la distance d'environ 25 à 26'du centre de Vénus, mais au-dessus d'elle vers le nord dans un plan qui passoit par la planete, le satellite faisoit un angle de 45°. avec le vertical de Vénus.

Les jours suivans le satellite ne fut point apperçu jusqu'au 11 du même mois, qu'il parut encore vers les 9 heures, toujours à-peu-près à même distance de Vénus, & faisant encore un angle de 45°. avec le vertical, mais dans la partie méridionale. Il est très-remarquable que le satellite paroissoit également, soit que Vénus se trouvât dans le champ de la lunette avec le satellite, soit qu'elle ne s'y trouvât point ; mais qu'il s'appercevoit avec beaucoup plus de facilité, lorsque tenant Vénus hors de la lunette il y conservoit le satellite. La foiblesse de sa lumiere étoit presque toujours absorbée en présence de Vénus. C'est ainsi que les astronomes ont attention de tenir Jupiter hors du champ de leurs instrumens, lorsqu'ils observent les immersions de ses satellites, principalement celles des 3 & 4. L'éclat de la planete empêche de saisir l'instant précis où le satellite recouvre la lumiere.

Toutes ces observations furent communiquées à M. Baudouin qui lut à ce sujet deux mémoires à l'académie royale des Sciences, dans lesquels il essayoit d'en déduire les élémens de l'orbite de ce satellite. Quoique les conséquences y soient développées avec toute l'adresse & la sagacité possibles, néanmoins les élémens de cet orbite exigent encore quelques observations, pour qu'on la puisse déterminer d'une maniere invariable.

La lunette de M. Montaigne étoit dépourvue de micrometre, & toutes ses distances n'étoient fixées que par estime. Il est à remarquer cependant qu'on en peut conclure avec assez de certitude, que l'orbite ou satellite doit être à-peu-près perpendiculaire à l'écliptique, que la ligne de ses noeuds tomberoit à-peu-près au 22°. de la vierge, & qu'il seroit presque aussi éloigné de Vénus, que la lune l'est de la terre.

Parmi les apparitions, il y en a eu d'autres de la même année rapportées par différens observateurs, & dans des pays très-différens ; une des plus remarquables est sans contredit celle du P. la Grange, jésuite. Ce savant cultivoit à Marseille l'Astronomie depuis nombre d'années ; muni d'excellens instrumens, & entr'autres du télescope de 6 piés de foyer du P. Pezenas, construit par M. Short en 1756, dont l'effet est de grossir 800 fois, & égale celui d'une lunette qui auroit 1600 piés. Son expérience reconnue & son exactitude dans les observations, rendent précieuses celles que nous allons rapporter.

Il n'y vit point de phase comme l'avoient apperçue tous les autres observateurs ; & ce qui n'est pas moins surprenant, c'est qu'il lui parut que ce petit astre suivoit une route perpendiculaire à l'écliptique. Cette direction qui par ce qui précede se concluoit des observations de Limoges, parut si étrange au P. la Grange, qu'il ne fit point difficulté d'abandonner toutes les conséquences qu'il avoit déduites de ses observations. Elles furent faites des 10 au 12 Février 1761, à trois jours différens.

Nous joindrons les apparitions de ce satellite à Auxerre. Les 15, 28 & 29 Mars 1765, vers les 7 heures 1/2 du soir, M. de Montbaron, conseiller au présidial d'Auxerre, répéta ses observations avec son télescope de 32 pouces, en changea le petit miroir, varia les oculaires, tint Vénus hors du champ de son instrument pendant qu'il observoit son satellite, le fit voir à nombre de personnes pendant des heures entieres, ne négligea rien de tout ce qui pouvoit accroître la certitude de l'apparition de cet astre.

On trouve aussi dans le Journal étranger, Août 1761, une autre observation tirée du London evening post, & qui fut communiquée à l'auteur de cette feuille périodique, par une lettre du 6 Juin de Saint-Neost, dans le comté d'Hutingdon. Cette observation est d'autant plus remarquable qu'elle a été faite pendant le passage de Vénus sur le soleil. Tandis en effet que l'observateur anglois étoit occupé de ce fameux passage, il apperçut un phénomene qui lui parut décrire sur le disque du soleil une route différente de celles des taches qu'on observe de tems à autres.

Son télescope lui fit appercevoir qu'il décrivoit la même ligne que Vénus, mais seulement plus proche de l'écliptique. Il seroit néanmoins à désirer que cette observation fût revêtue de caracteres plus authentiques ; car comment imaginer qu'un tel phénomene eût échappé à tous les observateurs qui pendant la durée de ce passage avoient tous les yeux fixés sur le soleil dans toutes les parties du monde ? Quoi qu'il en soit, il y a lieu de croire que l'on a dans l'Angleterre d'autres observations du satellite de Vénus ; il semble que l'on n'y doute plus de son existence, d'après ce qu'en dit M. Bonnet dans son premier livre des considérations de la nature.

Malgré tant de témoignages qui établissent l'existence du satellite de Vénus, il semble que l'on soit encore dans le cas de douter de sa réalité, à-cause de la rareté de ses apparitions. Les astronomes qui ne l'ont point apperçu, pensent que ceux qui ont observé ce satellite s'en sont laissé imposer par des illusions optiques, contre lesquelles ils auroient été d'autant moins en garde, qu'ils les ignorent ; ce qui pourtant n'est pas sujet à de moindres difficultés.

Comment en effet concevoir que tant de personnes dans des lieux si éloignés & avec des instrumens si différens, ont tous été trompés de la même maniere, dans le même tems & sur le même objet ? Quelque vraisemblance que puissent avoir les objections qu'on peut faire contre les observations où l'on s'est servi de lunettes ordinaires, il suffit pour les faire regarder au-moins comme douteuses, qu'il y en ait une où les mêmes illusions soient absolument impossibles ; & c'est ce que nous trouvons dans le rapport de M. Short de 1740. En effet, quel degré de confiance n'ajoute pas à son observation le nom de cet artiste célebre, le plus fameux des opticiens, celui de tous les astronomes qui ait connu le mieux les télescopes & l'art de s'en servir, à qui les observations astronomiques sont si familieres, & qui donne encore dans la société royale de Londres, les plus grandes preuves de son habileté.

Mais je vais encore plus loin. Supposons contre toute vraisemblance, qu'il ait pu se tromper dans sa premiere observation, de quelque maniere que ses yeux aient été affectés dans le premier moment, les différens oculaires qu'il adapta à son télescope, tous plus forts les uns que les autres, auroient dû lui faire connoître sur les lieux son erreur ; & c'est précisément le contraire qui arriva, puisqu'il apperçut son phénomene plus distinctement avec une phase semblable à celle de la planete principale, & telle qu'elle avoit déja été observée cinquante-quatre ans auparavant par M. Cassini.

J'ajouterai de plus que le degré de certitude ne laisse plus entrevoir le plus léger doute, par l'attention scrupuleuse avec laquelle M. de la Lande dans son voyage à Londres en 1764, eut soin de demander à H. Short lui-même, toutes les circonstances de son observation.

Ce savant, dont le nom passera à la postérité la plus reculée, crut devoir immortaliser sa découverte en la prenant pour type, & fit graver la phase du satellite telle qu'il l'apperçut en 1740. Il s'en sert en forme de cachet depuis cette époque.


VENUSIA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans les terres, aux confins de la Pouille & de la Lucanie : Ptolémée, l. III. c. j. la donne aux Peucentini, & Pline, l. III. c. xj. aux Daunici ; l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Milan à la Colomne.

C'étoit une ville des Samnites, dont ils furent dépossédés par les Romains dans les guerres qu'ils eurent avec ces peuples ; ensuite, de peur qu'ils ne la reprissent, & que ce passage ne leur donnât la facilité de faire de nouvelles incursions jusque dans le Latium, ils y envoyerent une colonie romaine, pour tenir en bride la Lucanie d'un côté, & la Pouille de l'autre ; Venuse se nomme aujourd'hui Venosa, & elle est dans la Basilicate.

Horace, le prince des lyriques latins, naquit à Venuse, l'an de Rome 689, sous le pontificat de L. Aurele Cotta II. & de L. Manlius Torquatus II. Il mourut l'an 746, ou huit ans avant Jesus-Christ, à l'âge de près de 57 ans, & environ un mois avant Mécénas.

Il étoit d'un caractere aimable, desintéressé, plein de douceur pour ses valets, & d'affection pour ses amis. Auguste l'appelloit Homuncio lepidissimus ; ennemi de la superstition, il se mocquoit des idoles, des songes, & des miracles. Il fit à Athènes sa philosophie, & y apprit la morale par raisonnement & par principes : étudiant sur-tout les auteurs grecs, il a su le premier imiter leurs poésies, & quelquefois les surpasser ; plein de justesse pour le choix des mots & des figures, il rend agréable tout ce qu'il dit, & peint tout ce qu'il touche, par des images vraies, & naturelles. Son génie ne se lasse point à la fin de ses grandes pieces ; & sa verve lyrique s'éleve quelquefois à un degré sublime ; j'en donnerai pour exemple les deux strophes suivantes, Ode 34. l. I. qui sont de la plus grande beauté.

.... Namque Diespiter

Igni corusco nubila dividens,

Plerumque per purum tonantes

Egit equos, volucremque currum :

Quo bruta tellus, & vaga flumina,

Quo Styx, & invisi horrida Taenari

Sedes, Atlanteusque finis

Concutitur. Valet ima summis

Mutare, & insignia attenuat deus,

Obscura promens ; hinc apicem rapax

Fortuna cum stridore acuto

Sustulit, hîc posuisse gaudet.

" Oui, c'est un dieu qui perce les nues par des feux étincelans ; c'est lui qui poussant dans les airs ses foudroyans coursiers, fait rouler son rapide char, dont il épouvante toute la nature : l'énorme masse de la terre en ressent de violentes secousses ; les fleuves épars dans la vaste étendue de son enceinte, en sont troublés ; l'atlas est ébranlé d'un bout à l'autre ; le Styx & l'affreux Tenare, séjour redouté des humains, sont remplis d'effroi ; parlons sérieusement. Les dieux peuvent, quand ils le voudront, abaisser celui-ci, élever celui-là ; obscurcir la gloire la plus éclatante, produire au grand jour un mérite inconnu ; j'en conviens. Mais je sai aussi qu'ils se déchargent toujours de ce soin sur la fortune, qui avec un bruiant fracas, arrache le faîte de la grandeur, & le transporte ailleurs, sans d'autre raison que le plaisir de contenter son caprice ".

Horace a dit de lui, crescam laude recens ; croître en réputation, & conserver toujours la fleur de la nouveauté, voilà les plus riches dons des muses ! Mais ce n'est pas faussement qu'Horace se les est promis ; car encore aujourd'hui ses ouvrages conservent une fleur nouvelle, comme s'ils avoient en eux mêmes, une ame exempte de vieillesse. Aussi ses écrits feront les délices des gens de bien, tant que la poésie latine subsistera dans le monde. (D.J.)


VENZONE(Géog. mod.) petite ville d'Italie ; dans le Frioul, au pays de la Carnia, sur la rive gauche du Tajamento, proche son confluent avec la Fella. (D.J.)


VEPILLUM(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre ; Ptolémée, l. IV. c. iij. la marque au nombre des villes qui étoient au midi de Carthage, entre les fleuves Bagradus & Triton. (D.J.)


VÊPRESS. f. plur. (Hist. ecclés.) dans l'Eglise romaine, c'est une partie de l'office divin ou du breviaire qu'on chante ou qu'on récite le soir ou l'après-dînée. Les vêpres, ainsi nommées du mot vespere, soir, sont composées de cinq pseaumes avec leurs antiennes, un capitule, une hymne, le cantique magnificat, avec une antienne & un oremus. On distingue pour les fêtes premieres & secondes vêpres ; les premieres vêpres sont celles qu'on chante la veille, & les secondes celles qui se disent le jour même de la fête ; suivant le rit ecclésiastique, les fêtes commencent aux premieres vêpres, & se terminent aux secondes.

Cet office paroît avoir été institué dans l'Eglise dès la premiere antiquité : l'auteur des constitutions apostoliques, livre VIII. chap. xxv. parlant du pseaume 141, l'appelle , pseaume qu'on récitoit à la lueur des lampes, parce qu'on le chantoit à vêpres. Il fait aussi mention de plusieurs autres prieres, actions de graces, &c. que l'évêque récitoit alors ou sur le peuple assemblé, ou avec les fideles. Il rapporte aussi l'hymne ou la priere du soir, , & , dont S. Basile nous a conservé quelques fragmens dans son livre, de Spiritu Sancto, c. xxj. Il y a apparence qu'on y chantoit encore d'autres pseaumes ; Cassien dit que les moines d'Egypte y récitoient douze pseaumes ; qu'on y joignoit deux lectures ou leçons ; l'une de l'ancien, & l'autre du nouveau-Testament ; qu'on entremêloit les pseaumes de prieres, & qu'on terminoit le dernier par la doxologie. Dans les églises de France, on disoit aussi jusqu'à douze pseaumes entremêlés de capitules semblables à nos antiennes ; & enfin, dans celles-ci, aussi-bien que dans celles d'Espagne, on terminoit les vêpres par la récitation de l'oraison dominicale, comme il paroît par le IV. concile de Tolede, Can. 9. & par le 111. d'Orléans, c. xxix. ceux qui ont traité des offices divins, disent que les vêpres ont été instituées pour honorer la mémoire de la sépulture de Jesus-Christ ou de sa descente de la croix. C'est ce que porte la glose, vespera deponit. Bingham, orig. ecclés. tom. V. lib. XIII.

VEPRES SICILIENNES, (Hist. mod.) époque fameuse dans l'histoire de France ; c'est le nom qu'on a donné au massacre cruel qui se fit en Sicile de tous les François, en l'année 1282 le jour de Pâques, & dont le signal fut le premier coup de cloche qui sonna les vêpres.

Quelques-uns prétendent que cet événement tragique arriva la veille de Pâques ; d'autres le jour de l'Annonciation ; mais la plûpart des auteurs le mettent le jour même de Pâques. On attribue ce soulevement à un nommé Prochyte cordelier, dans le tems que Charles d'Anjou premier de ce nom, comte de Provence, & frere de S. Louis, régnoit sur Naples & Sicile. Le massacre fut si général, qu'on n'épargna pas même les femmes siciliennes enceintes du fait des François.

On a donné à-peu-près dans le même sens le nom de matines françoises, au massacre de la S. Barthélemy en 1572 ; & celui de matines de Moscou, au carnage que firent les Moscovites de Démétrius & de tous les Polonois ses adhérens qui étoient à Moscou, le 27 Mai 1600, à six heures du matin, sous la conduite de leur duc Choutski.


VERS. m. (Gram.) petit animal rampant, qui n'a ni vertebres ni os, qui naît dans la terre, dans le corps humain, dans les animaux, dans les fruits, dans les plantes, &c. Il y en a un grand nombre d'espece. Voyez les articles suivans.

VER AQUATIQUE, (Insectologie) ce ver n'a guere que sept ou huit lignes de longueur ; il semble cependant qu'il compose lui seul une classe, du-moins ne connoît-on point de classe d'animaux sous laquelle on le puisse ranger.

Les animaux terrestres vivent sur la terre, les aquatiques dans l'eau, & les amphibies tantôt sur la terre, & tantôt dans l'eau. Celui-ci a les deux extrêmités de son corps aquatiques ; sa tête & sa queue sont toujours dans l'eau, & le reste de son corps est toujours sur terre ; aussi se tient-il sur le bord des eaux tranquilles, une eau agitée ne lui conviendroit pas ; aussi-tôt que l'eau le couvre un peu plus que nous venons de dire, il s'éloigne ; si au contraire l'eau le couvre moins, il s'en approche dans l'instant.

Il est composé comme plusieurs insectes de différens anneaux ; il en a onze entre la tête & la queue ; ils sont tous à-peu-près sphériques, & ressemblent à des grains de chapelet, enfilés les uns auprès des autres. De plus, il est presque toujours plié en deux comme un syphon, & marche dans cette situation ; & ce qui est de plus particulier, c'est que le milieu de son corps avance le premier vers l'endroit dont l'animal s'approche ; de sorte que c'est l'anneau qui est au milieu du coude, qui va le premier ; ce n'est pas par un mouvement vermiculaire qu'il marche de la sorte.

Il a des jambes fort petites à la vérité, & elles sont encore une de ses singularités, car elles sont attachées à son dos ; d'où il suit qu'il est continuellement couché sur le dos, & que sa bouche est tournée enhaut ; ce qui lui est fort commode pour attirer la proie dont il se nourrit : outre quatre petits crochets dont sa bouche est entourée, il a deux autres petites parties faites en maniere de loupe qu'il agite continuellement dans l'eau ; & cette petite agitation entretient un mouvement dans l'eau, qui fait que les petits corps qui y nagent, viennent d'assez loin se rendre dans sa bouche ; lorsqu'il a attiré un morceau convenable, il avance la tête, il le saisit avidement, & l'avale.

Quoique tout ce qu'il prend de cette maniere soit fort petit, il mange beaucoup, proportionnellement à sa grosseur ; car, continuellement il y a de petits corps qui entrent dans sa bouche, parmi lesquels se trouvent plusieurs petits insectes qui nagent sur l'eau.

Outre les mouvemens dont nous avons parlé, ce ver en peut exécuter encore deux autres par le moyen de ses jambes ; il peut se mouvoir de côté, parce qu'elles ne sont pas seulement mobiles de devant en arriere, elles le sont aussi de gauche à droite, & de droite à gauche. Il fait quelquefois usage de ces deux mouvemens, lorsqu'il veut aller dans des endroits peu éloignés de celui où il est. Il se meut parallélement à ses deux parties pliées ; mais s'il veut marcher à reculons, ou faire aller sa tête & sa queue les premieres, ses jambes ne sauroient lui servir ; il n'a pour se mouvoir dans ce sens que son mouvement vermiculaire ; aussi se meut-il de la sorte plus rarement & plus difficilement. Lorsqu'il est entierement plongé dans l'eau, il s'y étend tout de son long & nage comme les autres vers, en se pliant à différentes reprises.

La description de cet animal nous a paru si merveilleuse, qu'on ne croit pas s'être trop étendu ; en effet, il paroît extraordinaire que la tête & la queue de cet animal vivant dans l'eau, le reste de son corps vive sur la terre, qu'il ait les jambes sur le dos, & que lorsqu'il marche naturellement, il fasse avancer le milieu de son corps comme les autres animaux font avancer leur tête. Mém. de l'acad. des Sciences, année 1714. (D.J.)

VER A QUEUE DE RAT, (Insectolog.) insecte aquatique dont il faut dire un mot, à cause de sa queue qui le distingue de tous les autres insectes ; cette queue, quoique plus grande que l'animal, n'est cependant que l'étui d'une autre queue beaucoup plus longue, qui s'y trouve repliée sur elle-même, & qui entre jusque dans le corps du ver. Cette derniere queue est le conduit de sa respiration. Il s'éleve jusqu'à la surface de l'eau pour prendre l'air ; & tandis qu'il se tient lui-même au fond, il peut faire parvenir sa queue jusqu'à cette surface, lors même qu'il se trouve à cinq pouces de profondeur : de sorte qu'il peut allonger sa queue près de cinq pouces ; ce qui est une longueur bien considérable pour un insecte dont le corps est tout au plus long de 7 à 8 lignes. (D.J.)

VER-A-SOIE, (Science microscop.) le ver-à-soie est un animal dont chaque partie, soit dans l'état de ver, soit dans celui de mouche, mérite quelques regards ; mais comme Malpighi & Leuwenhoeck ont examiné cet insecte très-attentivement, & qu'ils ont publié leurs observations avec les figures anatomiques qui les développent, je renvoie les curieux à ces observations, & à celles qu'ils feront eux-mêmes. C'est assez d'avertir ici ceux qui veulent s'engager à de plus grandes recherches, de ne pas négliger la peau que les vers-à-soie quittent trois fois avant que de filer ; car les yeux, la bouche, les dents, les ornemens de la tête se distinguent encore mieux dans la peau abandonnée, que dans les animaux même. Une bonne observation des changemens du ver-à-soie, de l'état de chenille à celui de nymphe, ou de chrysalide, & de là à celui de teigne ou de papillon, peut donner une idée générale des changemens de toutes les chenilles, quoiqu'il y ait quelques petites différences dans la maniere. Swammerdam assure qu'en y faisant bien attention, on pourroit tracer & distinguer le papillon sous chacune de ces formes, qui n'en sont que les différentes couvertures ou habillemens.

Si l'on presse la queue du ver-à-soie mâle, on trouvera de petits animalcules dans son semen, plus longs que larges ; leur longueur est d'environ le demi-diametre d'un cheveu. M. Backer dit qu'ayant pris un ver-à-soie mâle, qui ne faisoit que de sortir de son état de teigne, & ayant pressé plusieurs fois & doucement sa queue, il en sortit dans une minute de tems, une petite goutte de liqueur blanche, tirant sur le brun. Il mit promtement cette goutte sur un talc qui étoit prêt à la recevoir ; il la délaya avec un peu d'eau qu'il avoit échauffée dans sa bouche à ce dessein, & il fut agréablement surpris d'y voir quantité de petits animaux qu'elle contenoit, & qui y nageoient avec vigueur : mais pour réussir dans cette expérience, il faut la faire avant que la teigne ait été accouplée avec sa femelle. (D.J.)

VER A TUYAU, espece particuliere de vers marins qui donnerent une terrible allarme à la Hollande dans les années 1731 & 1732, en rongeant les piliers, digues, vaisseaux, &c. de quelques-unes des Provinces-unies.

Les plus gros & les mieux formés que M. Massuet ait vus, avoient été envoyés de Staveren, ville de la Frise, renfermés dans une grosse piece de bois, qui étoit presqu'entierement rongée : voici comment il les décrit.

Ces vers sont un peu plus longs que le doigt du milieu, & ont le corps beaucoup plus gros qu'une plume d'oie. La queue est moins grosse que le reste du corps, & le cou est encore plus mince que la queue. Ils sont d'un gris-cendré, & on leur remarque quelques raies noires, qui s'étendent vers la queue. Leur peau est toute ridée en certains endroits, & forme quelquefois de grosses côtes qui regnent depuis le cou jusqu'à l'endroit où le corps commence à se rétrecir. Leur tête, où l'on ne distingue aucune partie, est renfermée entre deux coquilles qui forment ensemble comme un bourrelet. Une membrane les joint l'une à l'autre par derriere, & les attache en même tems à la tête. Par devant elles sont séparées, & un peu recourbées en dedans.

Lorsqu'on les examine de près, on voit qu'elles ont à l'extrêmité intérieure une espece de bouton extrêmement petit, qui est de même substance que le reste de la coquille. Elles ont encore toutes les deux une entaille, qui ne semble être faite que pour donner lieu à la tête de pouvoir s'étendre, & s'élargir sur les côtés. En effet, le sommet de la tête est tout à découvert & de figure oblongue, de maniere que les deux bouts qui ont le plus d'étendue, répondent directement aux deux entaillures. On voit encore de chaque côté au bas, ou au défaut du bourrelet, une sorte d'allongement un peu arrondi, & tourné vers le dos : telle est la forme du casque.

Mais il y a encore quelque chose de bien remarquable dans ces insectes. Ce sont deux petits corps blanchâtres & fort durs, placés aux deux côtés de trois fibres charnues, par lesquelles la queue finit. Ces corps sont à-peu-près de la longueur de ces fibres, qu'ils compriment & qu'ils tiennent comme assujetties au milieu d'eux. Ils sont attachés à un pédoncule fort délié & assez court, qui part comme les fibres de l'extrêmité de la queue. Ils sont un peu applatis & de figure oblongue. On voit à leur extrêmité une échancrure qui représente assez bien un v renversé. Chacun de ces petits corps ou appendices est composé de deux lames, entre lesquelles on apperçoit dans le fond de l'échancrure un trou qui pénetre jusqu'aux pédoncules. Ce conduit forme entre les deux lames une espece de concavité, qui fait qu'elles paroissent un peu relevées en dehors. On conçoit aisément par la maniere dont ces corps sont taillés, qu'ils doivent être fourchus ; aussi le sont-ils vers leur extrêmité. Ils sont même fort durs, fermes, & d'une substance pareille à celle des yeux d'écrevisse : c'est du moins ce qui paroît lorsqu'on les a réduits en poudre. Ils ne perdent rien de leur volume après la mort du ver, quoique le reste du corps se réduise presque à rien lorsqu'on le fait sécher.

Un corps aussi mou & aussi foible que l'est celui des vers en question, avoit besoin de quelque enveloppe particuliere qui le mit à l'abri de toutes les injures des corps étrangers. Aussi étoient-ils tous renfermés dans des tuyaux de figure cylindrique, blanchâtres, quelquefois assez minces, d'autres fois fort durs & fort épais. La superficie interne de ces tuyaux étoit beaucoup plus lissée que l'externe, qui paroissoit raboteuse en certains endroits. Ils sembloient faits de la même matiere qui compose les premieres lames de la surface interne des écailles d'huitres ; mais ils sont ordinairement moins durs, & se brisent plus aisément. Ceux des gros vers étoient toujours beaucoup plus épais & plus fermes que ceux des petits.

Dans un grand nombre de ces tuyaux on pouvoit introduire une grosse plume d'oie.

Lorsque le bois n'étoit pas encore fort endommagé, ils étoient pour la plûpart disposés selon le fil du bois ; mais aux endroits où le bois se trouvoit entierement vermoulu, on en trouvoit qui étoient placés de biais, en travers & presque en tous sens.

La formation de ces tuyaux s'explique comme celle des coquilles, qui sont la demeure des limaçons. Tous les animaux de quelque espece qu'ils soient, transpirent ; il sort de leur corps par une infinité de petits vaisseaux excrétoires une humeur plus ou moins subtile, & qui est différente selon la nature de chaque espece d'animaux : cette excrétion se fait à chaque instant.

Les vaisseaux qui portent cette matiere hors du corps, se voient presque toujours à l'aide d'un microscope : on les découvre même sans le secours de cet instrument, dans la plûpart des limaçons. Lorsque cette humeur est portée hors des vaisseaux, on la remarque souvent sur la superficie du corps, où elle s'arrête en abondance. Celle des limaçons & des vers à tuyau est épaisse, visqueuse & fort tenace. Au lieu de s'évaporer en l'air comme celle des autres animaux, elle s'arrête autour du ver, & forme insensiblement une enveloppe dont il est lui-même le moule. Cette enveloppe est d'abord extrêmement mince ; mais avec le tems de nouvelles parties qui s'exhalent du corps du ver, s'entassent les unes sur les autres, & forment de cette maniere diverses couches qui rendent le tuyau & plus épais, & plus ferme qu'il n'étoit dans sa premiere origine. Voyez l'ouvrage de M. Massuet intitulé, Recherches intéressantes sur l'origine, la formation, &c. de diverses especes de vers à tuyau qui infectent les vaisseaux, les digues, &c. de quelques-unes des Provinces-unies.

VER-DE-FIL, s. m. (Hist. nat. des insect.) en latin seta ; ver aquatique & terrestre, de la grosseur d'un fil ou d'une soie. Les chenilles en nourrissent quelquefois dans leurs entrailles, & l'on a vu telle chenille longue d'un pouce, fournir de ces vers qui ont plusieurs pouces de longueur, & qui ne sont pas à beaucoup près si gros que la chanterelle d'un violon. Ce ver ressemble tellement à une corde de boyau, qu'à moins de l'avoir vu remuer, on auroit de la peine à se persuader que ce fut un animal. (D.J.)

VER DE GUINEE, maladie à laquelle les negres sont sujets. C'est un corps étranger, espece de ver de la grosseur d'un gros fil, ayant quelquefois plusieurs aunes de longueur. Il croît entre cuir & chair, s'insinuant insensiblement dans toutes les parties du corps, où il occasionne des enflûres & des douleurs, moins vives à la vérité qu'elles ne sont fatigantes & ennuyeuses.

Ce mal ne doit point être négligé. Aussitôt qu'un negre en est soupçonné, il faut le faire baigner & le visiter attentivement ; & si l'on s'apperçoit de quelque élévation en forme de bubon sur la partie tuméfiée, on juge (comme le disent les negres) que la tête du ver est dans cet endroit. Alors on y applique un emplâtre suppuratif pour ouvrir le bubon, & découvrir la cause du mal. En effet, on remarque au milieu de la plaie une espece de petit nerf, qui n'a guere plus d'apparence qu'un gros fil blanc. Il s'agit de le tirer en dehors avec beaucoup d'adresse & de patience, pour ne pas le rompre, car il s'ensuivroit des accidens fâcheux.

Le moyen le plus en usage dans toute l'Amérique, est de lier cette extrêmité apparente avec une soie ou un fil, dont on laisse pendre les deux bouts de trois ou quatre pouces, pour les rouler bien doucement autour d'un petit bâton ou d'une carte roulée. Pour peu qu'on sente de résistance, il faut arrêter sur le champ, & frotter la plaie avec un peu d'huile, appliquant par dessus la carte une compresse qu'on assujettit sur la partie avec un bandage médiocrement serré. Vingt-quatre heures après on recommence l'opération, continuant de rouler le nerf, en pratiquant à chaque fois qu'il résiste le même traitement dont on vient de parler.

Cette opération est délicate & longue, mais très-sûre. Lorsque le prétendu ver est sorti, il ne s'agit plus que de guérir la plaie suivant les méthodes ordinaires ; ensuite on purge le malade qui recouvre ses forces & son embonpoint en fort peu de tems.

L'origine de ce mal (que les Espagnols nomment culebrilla, petite couleuvre) n'est pas bien connue. Les moins ignorans en attribuent la cause à la malignité des humeurs, déposées & fixées dans quelque partie du tissu cellulaire.

D'autres, sans aucun fondement, croient que le ver de Guinée se forme par l'insertion d'un petit insecte, répandu dans l'air ou dans l'eau de certaines rivieres. Si cela étoit, pourquoi les hommes blancs, & les negres créols qui se baignent souvent, ne seroient-ils pas infectés de cette vermine aussi fréquemment que le sont les negres bossals ou étrangers, venus de la côte d'Afrique dans les terres de l'Amérique ? Il y a cependant quelques exemples de negres créols attaqués de ce mal ; mais ils sont très-rares, & l'on peut conjecturer que dès leur naissance ils en avoient déja contracté le principe de parens africains.

J'ai aussi connu en Amérique quelques blancs, qui dans l'île de Curaçao & sur la côte de Carthagene, avoient été guéris de la culebrilla ; ils prétendoient n'en avoir ressenti les effets qu'après s'être baignés dans des eaux stagnantes. Si ce fait est véritable, il prouve en faveur de ceux qui admettent l'insertion des insectes.

VER DE TERRE, (Insectolog.) le ver de terre, quelque vil & méprisable qu'il paroisse, ne laisse pas d'être pourvu de tous les organes dont il a besoin. Ses intestins & ses articulations sont merveilleusement formées ; son corps n'est qu'une enchaînure de muscles circulaires ; leurs fibres, en se contractant, rendent d'abord chaque anneau plus renflé, & s'étendant ensuite, les rendent plus longs & plus minces : ce qui contribue à faire que l'insecte pénetre plus aisément dans la terre.

Son mouvement, lorsqu'il rampe, est semblable à celui qu'on voit faire à un fil, quand après l'avoir étendu, on en lâche un des bouts ; le bout relâché est attiré par celui que l'on tient. Il en est à-peu-près de même du ver. Il s'étend & s'accroche par les inégalités de sa partie antérieure ; & sa partie postérieure ayant lâché prise, le ver se raccourcit, & son bout postérieur s'approche de l'autre.

Ce qui facilite ce mouvement élastique, est que ces vers ont à la partie antérieure des crochets par où ils s'accrochent à leur partie postérieure. En faisant des efforts, comme pour se redresser lorsqu'ils se sont pliés en double, ces crochets lâchent tout-à-coup prise, & causent ces élancemens par lesquels l'insecte saute d'un lieu à un autre. Lyonnet. (D.J.)

VER LUISANT, (Insectolog.) petit insecte remarquable pour briller dans l'obscurité. Nos auteurs le nomment pyrolampis, cicindela foemina volans ; & cette derniere dénomination est fort juste ; car il n'y a que le ver femelle qui brille dans l'obscurité ; le mâle ne brille point du tout.

Autre singularité : la femelle ne se transforme jamais, & le mâle subit un changement de forme total ; c'est un scarabée aîlé, & sa femelle un insecte rampant à six jambes, qui n'a presque aucun rapport avec le mâle.

Le corps de celui-ci est oblong & un peu plat ; ses aîles sont plus courtes que son corps ; sa tête est large & plate ; ses yeux sont gros & noirs.

La femelle marche lentement, & a beaucoup de ressemblance à la chenille ; sa tête est petite, applatie, pointue vers le museau ; dure & noire ; ses trompes sont petites ; & ses jambes de médiocre longueur ; son corps est plat & formé de douze anneaux, au lieu que le corps du mâle n'en a que cinq ; sa couleur est brune avec une moucheture de blanc sur le bas du dos.

On trouve souvent le ver luisant pendant le jour ; mais dans la nuit on le distingue aisément de tout autre insecte par la clarté brillante qu'il jette près de la queue, & cette clarté sort du dessous du corps ; c'est cette lueur qui instruit le mâle de quel côté il doit voler ; d'ailleurs ce phare qui guide le mâle au lieu où est sa femelle, n'est pas toujours allumé, dit quelque part M. de Fontenelle. Parlons plus simplement : les vers femelles ne luisent que dans les tems chauds, qui sont peut-être ceux que la nature a destinés à leur accouplement.

On peut voir sur cet insecte les observations de Richard Waller dans les Transactions philosophiques. Il est fort bien représenté dans le théatre des insectes de Mouffet.

On a parlé du scarabée luisant du Brésil au mot CUCUIO, & nous parlerons de celui de Surinam au mot vielleur, qui est le nom que les Hollandois lui ont donné ; voyez donc VIELLEUR. (D.J.)

VER-MACAQUE, s. m. (Hist. nat.) le ver appellé dans les Indes orientales culebrilla, chez les Maynas suglacuru, est le même qu'on nomme à Cayenne vermacaque, c'est-à-dire ver-singe ; sa tête & sa queue, disent quelques-uns de nos auteurs, sont extraordinairement minces & pointues ; son corps est très-délié, & a plusieurs pouces de long ; cet animal se loge entre cuir & chair, & y excite une tumeur de la grosseur d'une feve. On se sert d'onguent émollient pour amollir cette tumeur, & préparer une issue à la tête de l'insecte ; quand on peut l'avoir au dehors, on tâche de le lier avec un fil, pour tirer l'insecte tout entier hors de la tumeur, en le roulant sur un petit morceau de bois enduit de quelque graisse. M. de la Condamine dessina à Cayenne l'unique qu'il ait vu, & a conservé ce ver dans l'esprit-de-vin. On prétend, ajoute-t-il, qu'il naît dans la plaie faite par la piquure d'une sorte de moustique ou de maringouin ; mais l'animal qui dépose l'oeuf, n'est pas encore connu. (D.J.)

VER PALMITE, s. m. (Hist. nat. Insectolog.) insecte très-commun dans plusieurs des îles Antilles, provenant d'un scarabé gros à peu-près comme un hanneton, noir comme du jayet, armé d'une trompe très-dure un peu courbée en-dessous ; il paroît avoir l'odorat subtil & l'oeil perçant ; car à peine un palmier est-il abattu, qu'on le voit s'assembler par troupes, & s'introduire dans l'intérieur de l'arbre pour y déposer ses oeufs qui éclosent en peu de tems, & produisent un ver, lequel ayant acquis toute sa force, est de la grosseur du doigt, & long environ de deux pouces, d'une forme ramassée, couvert d'une peau blanche un peu jaunâtre, assez ferme & plissée ; sa tête est presque ronde & très-dure, étant couverte d'une espece de casque couleur de marron foncé, dont la partie inférieure se termine par deux fortes mâchoires en forme de pinces ; ce ver tire sa nourriture de la substance du palmier, en cheminant devant lui jusqu'au tems de sa transformation ; alors il s'enveloppe dans les fibres de l'arbre, se dépouille de sa peau, & se change en une belle chrysalide très-délicate & très blanche, mais qui brunit aussi-tôt qu'on lui fait prendre l'air ; au bout de douze ou quinze jours, cette chrysalide s'ouvre, les fibres ligneuses dont elle étoit enveloppée s'écartent, & laissent échapper le scarabé noir dont on a parlé, qui cherche aussi-tôt à s'accoupler & à produire un nouveau ver.

Les vers palmites pris dans leur grosseur parfaite, font un mets dont les habitans de la Martinique & ceux de la Grenade sont très-friands ; ils les noyent dans du jus de citron, les lavent bien, les enfilent dans des brochettes de bois dur, & les font rôtir devant un feu de charbon ; l'odeur que ces vers exhalent en cuisant, flatte l'odorat, & invite à en goûter ; mais leur figure modere un peu l'appétit de ceux qui n'en ont jamais mangé. La peau du ver palmite est mince, croquante, renfermant un peloton d'une graisse plus fine que celle du chapon, très-agréable à voir & d'un très-bon goût.

VER SOLITAIRE, voyez TAENIA.

VERS MARINS, terme de pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Saint Valeri-en-Somme ; sortes de vers que l'on ramasse après avoir foui le sable découvert par la basse-mer, & qui servent d'appât aux lignes ou cordes des pêcheurs.

Les pêcheurs de Saint-Valery qui font dans des gobelettes la pêche à la ligne armée d'épines au lieu d'ains de fer, emportent chacun dix pieces, & le garçon ou le mousse cinq pour sa part : ce qui donne cinquante-cinq pieces d'applets & une tésure de 3300 brasses ; les piles qu'ils nomment peilles, au bout desquelles est l'épinette, sont frappées de demi-brasse en demi-brasse, & n'ont qu'environ chacune vingt pouces de longueur : ce qui donne pour chaque tésure ou cours d'applets de l'équipage d'une gobelette, plus de 700 épinettes ou hameçons de bois ; on les amorce avec des vers marins fort abondans à cette côte ; ces mêmes filets servent aussi amorcés de même à la pêche à pié.

Ce sont ordinairement les femmes & les filles qui vont défouir les vers marins avec une mauvaise petite bêche ; elles font ce travail lorsque la marée s'est entierement retirée, & qu'elle est au plus bas ; elles connoissent la différente qualité de ces vers par les traînées qu'ils font sur le sable en s'y enfouissant : ce que les pêcheurs nomment chasse de vers. Les vers noirs qui sont gros comme le petit doigt, sont les plus recherchés ; les vers rouges qu'ils nomment verotis, sont les moins estimés, & on ne s'en sert qu'au défaut des autres.

Outre les vers que ces femmes pêchent pour les ains de leurs maris ; elles en vendent encore beaucoup aux pêcheurs du bourg d'Ault, du Treport & de Dieppe, qui les viennent acheter de leurs mains. Les pêcheurs de Saint-Valery ont eu souvent de grandes discussions avec les pêcheurs de Crotoy & de Rotionville qui sont placés par le travers de leurs côtes, sur les ressorts de l'amirauté d'Abbeville, au sujet de cette petite pêche sur les sables du ressort de cette derniere amirauté, l'embouchure de la Somme étant fort variable, & laissant de cette maniere les sables d'un ressort souvent d'une marée à l'autre, sur celui qui lui est opposé & voisin.

VERS, terme de chasse, ce sont des vers qui s'engendrent l'hiver entre la nappe & la chair des bêtes fauves, qui se coulent & vont le long du col aux cerfs, aux daims & aux chevreuils entre le massacre & le bois, pour leur ronger & leur faciliter à mettre bas leurs têtes.

Vers, maladie des oiseaux de proie ; on connoit que les oiseaux ont des vers, lorsqu'ils sont paresseux, que leurs émeus ne sont ni purs ni blancs, & qu'ils remuent leur balai de côté & d'autre ; ces vers qui sont extrêmement déliés, s'attachent au gosier, autour du coeur, du foie & des poumons. Pour les faire mourir, faites prendre aux oiseaux un bol gros comme une feve de poudre d'agaric ou d'aloës mêlée avec de la corne de cerf brûlée & du dictamne blanc, incorporant le tout ensemble avec quantité suffisante de miel rosat ; quand les oiseaux ont pris ce médicament, il faut les porter sur le poing, & ne les point quitter qu'ils n'aient rendu leurs émeus, après quoi on leur donne un pât bon & bien préparé.

VERS, qui naissent dans le corps humain ; ils se trouvent ou dans les intestins, y compris l'estomac, ou hors des intestins. Les vers qui naissent hors des intestins sont de diverses especes, ou plutôt se réduisent sous différentes classes, selon les lieux où ils naissent.

On en compte de dix sortes ; savoir, les encéphales, les pulmonaires, les hépatiques, les cardiaires, les sanguins, les vésiculaires, les spermatiques, les helcophages, les cutanés, & les ombilicaux, sans compter les vénériens. Les vers des intestins sont de trois sortes, les ronds & longs, les ronds & courts, & les plats. Les ronds & longs s'engendrent dans les intestins grêles, & quelquefois dans l'estomac ; les ronds & courts dans le rectum, & s'appellent ascarides. Les plats se nourrissent ou dans le pylore de l'estomac, ou dans les intestins grêles, & se nomment taenia. Voyez TAENIA. Les vers qui s'engendrent dans le corps de l'homme, tant ceux des intestins, que ceux qui viennent aux autres parties, prennent souvent des figures monstrueuses en vieillissant.

Les encéphales, ils naissent dans la tête, où ils font sentir de si violentes douleurs, qu'ils causent quelquefois la fureur. Il y en a de quatre sortes, les encéphales proprement dits, qui viennent dans le cerveau ; les rinaires, qui viennent dans le nés ; les auriculaires, qui viennent dans les oreilles, & les dentaires qui viennent aux dents.

Les encéphales proprement dits sont rares ; mais il y a certaines maladies où ils régnent, & l'on a vu des fievres pestilentielles ne venir que de-là. Celle qui fit tant de ravage à Benevent, & dont presque tout le monde mouroit, sans qu'on pût y apporter aucun remede, en est un grand témoignage. Les médecins s'aviserent enfin d'ouvrir le corps d'un malade, qui étoit mort de cette contagion, & ils lui trouverent dans la tête un petit ver vivant, tout rouge & fort court ; ils essayerent divers remedes sur ce ver, pour découvrir ce qui le pourroit tuer : tout fut inutile, excepté le vin de mauve, dans quoi on fit bouillir des raiforts ; on n'en eut pas plutôt jetté dessus que le ver mourut. On donna ensuite de ce remede à tous les autres malades, & ils échapperent presque tous.

Les rinaires ou nasicoles, s'engendrent dans la racine du nés. Ils sortent quelquefois d'eux-mêmes par les narines ; quelquefois ils font tomber en fureur les malades. Ceux qui ont lu Fernel, savent l'histoire de ce soldat, qui mourut le vingtieme jour de sa maladie, après être devenu furieux, & dans le nés duquel on trouva après sa mort deux vers velus, longs comme le doigt, qui s'y étoient engendrés. Ambroise Paré nous a donné la figure de ces vers. Kerkring, dans ses observat. anatomiq. donne encore la figure d'un ver velu & cornu, qui sortit du nés d'une femme à Amsterdam, le 21 Septembre 1668, & qu'il conserva vivant jusqu'au 3 Octobre, sans lui rien donner à manger. Il ajoute une chose remarquable, c'est que ce ver en produisit un autre avant que de mourir. Il sort aussi souvent par le nés des vers, qui n'ont point été engendrés dans cette partie, mais qui viennent des intestins, comme nous l'expliquerons après.

Les auriculaires s'engendrent dans les oreilles. Qu'il y en ait, c'est un fait dont l'expérience ne permet pas de douter, & dont M. Andry dit avoir vu plusieurs exemples. Une jeune fille âgée de dix ans, & malade d'écrouelles, avoit une douleur violente à l'oreille droite ; cette partie suppuroit de tems en tems, & quelquefois devenoit sourde. M. Andry y employa divers remedes, dont le peu de succès lui fit soupçonner qu'il y avoit des vers. L'événement justifia son soupçon ; car y ayant fait appliquer un onguent, qu'il fit composer à ce dessein, il en sortit un fort grand nombre de vers extrêmement petits, dont plusieurs étoient vivans.

Ces vers étoient jaunes, un peu longs, & si menus, que sans la grande quantité qui les faisoit remarquer, à peine auroit-il pu les distinguer. Tarantanus dit avoir vu sortir de l'oreille d'un jeune homme malade d'une fiévre aiguë, deux ou trois vers qui ressembloient à des graines de pin. Panarolus parle d'un malade, qui après avoir été tourmenté d'une violente douleur dans l'oreille, rendit par cette partie, ensuite d'une injection qui y fut faite avec du lait de femme, plusieurs vers semblables à des mites de fromage, après quoi la douleur cessa. Kerkring donne encore la figure de cinq vers, qu'un homme rendit par l'oreille, en 1663, dans un bourg nommé Quadich, lesquels sont faits comme des cloportes, si ce n'est qu'ils n'ont que dix piés.

Les dentaires qui s'engendrent aux dents, se forment d'ordinaire sous une croute amassée sur les dents par la malpropreté ; ce ver est extrêmement petit, & a une tête ronde, marquée d'un point noir, le reste du corps long & menu, à-peu-près comme ceux du vinaigre ; ce que M. Andry a observé par le microscope dans de petites écailles qu'un arracheur de dents enleva de dessus les dents d'une dame, en les lui nettoyant. Il n'y avoit presque point de ces écailles qui fût sans quelques vers. Ces vers rongent les dents peu-à-peu, y causent de la puanteur, mais ne font pas sentir de grandes douleurs ; car c'est une erreur de s'imaginer que les violens maux de dents soient causés par les vers.

Les pulmonaires. Ces vers qui se forment dans les poumons sont rares, mais cependant il s'en trouve ; & Fernel dit en avoir vu des exemples. Ce qu'il y a de certain, c'est que des malades en ont jetté quelquefois en toussant, qui étoient tellement enveloppés dans des crachats, qu'on ne pouvoit douter qu'ils vinssent d'ailleurs que de la poitrine, comme le remarque Brassavolus. De ces vers les uns ressemblent à des moucherons, d'autres sont faits comme des pignons, & d'autres comme de petites punaises.

Les hépatiques. Ils se trouvent dans le foie ; mais tous les médecins ne conviennent pas qu'ils s'y forment, parce que la bile du foie doit empêcher les vers de s'engendrer dans cette partie. Cependant comme le foie est sujet à des hydropisies dans lesquelles il est souvent plus plein d'eau que de fiel, il n'est pas impossible qu'il ne s'y engendre alors des vers, & ce n'est guere aussi que dans ces occasions qu'il est arrivé d'y en trouver.

Les cardiaires. Il y en a de deux sortes ; les cardiaires proprement dits, & les péricardiaires. Les premiers sont dans le coeur, & les autres dans le péricarde. Il y a eu des pestes où l'on trouvoit de ces vers dans la plûpart des corps qu'on ouvroit. Ils causent de grandes douleurs, & quelquefois des morts subites. Sphererius rapporte qu'un gentilhomme de Florence s'entretenant un jour avec un étranger dans le palais du grand-duc de Toscane, tomba mort tout-d'un-coup ; que comme on craignit qu'il n'eût été empoisonné, on l'ouvrit, & on lui trouva un ver vivant dans la capsule du coeur. On demandera peut-être comment il peut y avoir des vers dans une partie qui est dans un si grand mouvement que le coeur ; mais il suffit de faire reflexion à la structure de ce muscle, pour connoître que cela est très-facile. On sait qu'à la base du coeur sont deux cavités faites en cul-de-sac, l'une à droite, l'autre à gauche, que l'on appelle les ventricules ; que ces ventricules sont remplis de petites colonnes charnues produites par les fibres droites du coeur, & ont plusieurs enfoncemens, & plusieurs petites fentes qui rendent la surface interne de ces mêmes ventricules rude & inégale. Or c'est dans ces inégalités que ces vers sont retenus, non-obstant le mouvement continuel du sang qui entre & qui sort.

Les sanguins. Ils se trouvent dans le sang, & sortent quelquefois par les saignées, comme l'assurent Rhodius, Riolans, Ettmuller, avec plusieurs autres auteurs. M. Andry dit aussi qu'il l'a vu arriver en deux occasions ; il rapporte que M. de Saint-Martin, fameux chirurgien à Paris, lui a attesté que saignant un malade, & le sang s'étant arrêté tout-à-coup, il remarqua, en écartant les levres de l'ouverture, un corps étranger, qui en bouchoit le passage ; qu'il fit faire aussi-tôt un léger détour au bras, & qu'en même tems il vit sortir avec le sang qui s'élança violemment, un ver cornu de la longueur d'un perce-oreille. M. Daval, docteur de la faculté de médecine de Paris, a aussi dit à M. Andry avoir vu plusieurs fois des vers sortir par les saignées. Les vers qui s'engendrent dans le sang, ne sont pas toujours de même figure ; cependant ceux qu'on y trouve le plus ordinairement, se ressemblent assez, & la maniere dont ils sont faits mérite bien d'être remarquée. Leur corps est figuré comme une feuille de mirthe, & tout parsemé de filamens semblables à ceux qu'on remarque sur les feuilles naissantes des arbres ; ils ont sur la tête une espece d'évent, comme en ont les baleines, par lequel ils rejettent le sang dont ils se sont gorgés. Ces mêmes vers se remarquent dans le sang des autres animaux ; & pour les voir il faut prendre des foies de veaux ou de boeufs, tout récemment tirés des corps, les couper en petits morceaux, puis les jetter dans de l'eau & les y bien broyer avec la main ; on en verra sortir alors avec le sang, plusieurs vers, qui auront un mouvement fort sensible, si ces foies sont bien frais. Ces sortes de vers sont connus aux paysans du Languedoc, qui les appellent valberes, du nom d'une herbe qui passe chez eux pour produire dans le corps beaucoup de vermine. Voyez Borel, observ. de phys. & de médec. Il est à remarquer que ces vers sont blancs, & non rouges ; ce qui paroît d'abord extraordinaire, puisqu'il semble qu'ils devroient être de la couleur du sang, mais ce qui les rend blancs, est qu'ils se nourrissent de chyle, & non de sang ; car quoique le sang paroisse tout rouge, il est rempli d'une infinité de parties blanches & chyleuses, qui n'ont pas encore eu le tems de se changer en sang : or ce sont sans doute ces petites parties dont les vers se nourrissent.

Les vesiculaires. Ils se trouvent dans la vessie & dans les reins, & sortent avec l'urine. Il y en a de plusieurs figures différentes. Tulpius parle d'un ver qui fut rendu par la vessie, lequel étoit long & rond comme ceux des intestins, & rouge comme du sang. Il y en a d'autres où l'on découvre un nombre presque innombrable de piés, une queue pointue, marquée d'un point noir au bout, & une tête large, avec deux petites éminences aux deux côtés, le dessus du corps rond & lisse, & le ventre raboteux. Un médecin d'Amsterdam, dont parle Tulpius, en jetta douze de cette sorte en urinant, leur figure ressembloit à celle des cloportes. Louis Duret, après une longue maladie, en rendit par les urines de semblables, comme le rapporte Ambroise Paré. On en voit d'autres qui n'ont que six piés, trois de chaque côté vers la tête, & qui du reste sont tout blancs & assez semblables à des mites de fromage. Il y en a d'autres qui ressemblent à des sangsues, à cela près qu'ils ont deux têtes comme les chenilles, l'une à un bout, l'autre à l'autre. Ces vers vivent quelquefois assez long tems après être sortis, pourvu qu'on les tienne dans de l'eau tiede, comme on fit celui dont parle Balduinus Ronseus, lequel fut conservé vivant plus de sept mois par ce moyen. Il y en a d'autres qui sont faits comme des especes de sauterelles. Le comte Charles de Mansfeld, malade d'une fievre continue à l'hôtel de Guise, en jetta par les urines un semblable. Il y a des personnes en santé dont les urines sont toutes pleines de vers.

Les spermatiques : ils existent dans la semence ; mais il ne faut pas les confondre avec les destructeurs de notre corps, puisqu'ils sont au contraire les principes de nos semblables & le germe de la propagation. Voyez GENERATION.

Les helcophages : ils naissent dans les ulceres, dans les tumeurs, dans les apostumes. Les grains de la petite verole en sont quelquefois tout remplis. Les charbons, les bubons pestilentiels en contiennent un grand nombre ; les chairs gangrenées en sont toutes pleines. Hauptman rapporte qu'un de ces vers ayant été mis sur du papier, après avoir été tiré d'une partie gangrenée, en produisit sur le champ cinquante autres, ainsi qu'on le remarqua par le microscope. Ambroise Paré parle d'un ver velu qui avoit deux yeux & deux cornes avec une petite queue fourchue, lequel fut trouvé dans une apostume à la cuisse d'un jeune homme. Le fameux Jacques Guillemeau tira lui-même ce ver, & le donna à Ambroise Paré, qui le conserva vivant plus d'un mois, sans lui rien donner à manger.

Les cutanés : ils naissent sous la peau entre cuir & chair. Il y en a de plusieurs sortes : les principaux sont les crinons, les cirons, les bouviers, les soies & les toms. Les crinons sont ainsi appellés, parce que quand ils sortent, ils ressemblent à de petits pelotons de crin. Ces vers viennent aux bras, aux jambes, & principalement au dos des petits enfans, & font sécher leur corps de maigreur, en consumant le suc qui est porté aux parties. Divers modernes font mention de ces vers qui ont été inconnus aux anciens. Ettmuller en a donné une description étendue & des figures exactes. Ces vers, selon qu'ils paroissent dans le microscope, ont de grandes queues, & le corps gros. Les crinons n'attaquent guere que les enfans à la mamelle. Ils s'engendrent d'une humeur excrémenteuse arrêtée dans les pores de la peau, & qui est assez ordinaire à cet âge. Le ciron est un ver qui passe pour le plus petit des animaux, & on le nomme ainsi, parce que la cire est sujette à être mangée de cet animal, quand elle est vieille. Le ciron se traîne sous la peau, qu'il ronge peu-à-peu ; il y cause de grandes démangeaisons & de petites ampoules, sous lesquelles on le trouve caché quand on le pique. On a découvert par le microscope toutes les parties du ciron ; il a six piés placés deux-à-deux près de la tête, avec lesquels il fait de longs sillons sous la peau. Ce ver a été connu des anciens, & Aristote en parle Hist. anim. l. V. c. xxxj. Les bouviers sont ainsi nommés, parce que les boeufs y sont quelquefois sujets. Ces vers se traînent sous la peau comme les cirons ; mais ils sont plus gros, & causent des démangeaisons presque universelles. Ils sortent souvent d'eux-mêmes, & percent la peau en divers endroits. La maladie qu'il cause, s'appelle passio bovina ; elle a besoin d'un promt secours, sans quoi il en peut arriver de fâcheux accidens.

Les soies sont des vers qui ne se voient point dans ces pays, mais qui sont communs dans l'Ethiopie & dans les Indes : ils ressemblent à de petits cordons de soie torse, & naissent ordinairement dans les jambes & aux cuisses. Ils sont d'une longueur extraordinaire, les uns ayant une aune, les autres deux, les autres trois, & quelquefois quatre. Les negres d'Afrique y sont fort sujets, & les Américains contractent cette maladie par la contagion des negres qu'ils fréquentent : elle se communique même souvent à ceux qui ne sont ni américains, ni africains. Ces vers causent des douleurs de tête & des vomissemens ; mais quand on en est délivré, on se porte bien. Lorsqu'ils sont en état d'être tirés, on le connoît par une petite apostume, qui se forme à l'endroit où aboutit une des extrêmités du ver ; on perce alors cette apostume, & puis on prend un petit morceau de bois rond, long de la moitié du doigt & fort menu, auquel on tortille d'abord ce qui se présente, ensuite on tourne ce bois comme une bobine, & le corps du ver se roule à l'entour comme du fil qu'on devideroit. On s'y prend de la sorte de peur de le rompre, parce que ce ver est fort délié, & qu'il y a du danger à ne le pas tirer en entier ; car la partie qui reste, cause des fievres dangereuses. Ce ver a deux têtes, l'une à un bout, l'autre à l'autre, comme certaines chenilles ; & ce qui est remarquable, c'est qu'il y a toujours une de ces deux têtes qui est comme morte, tandis que l'autre paroît vivante. Il vient à la cuisse des chardonnerets un ver presque semblable. Spigelius dit en avoir vu un à la cuisse d'un de ces oiseaux, lequel avoit un pié de long. Cette étendue paroît incroyable ; mais la maniere dont le ver étoit situé doit ôter tout étonnement, savoir en zig-zag. C'est ainsi que Spigelius l'a remarqué, & c'est à-peu-près de la même maniere que sont disposés ceux qui viennent aux jambes des Ethiopiens. Celui des chardonnerets est mince, comme une petite corde de luth : lorsqu'il est parfait & qu'il commence à se mouvoir, il perce la peau, & sort quelquefois de lui-même ; le plus souvent l'oiseau le tire avec son bec. Enfin les toms sont de petits vers qui viennent aux piés, où ils causent des tumeurs douloureuses, grosses comme des feves. On n'en voit que dans cette partie de l'Amérique, qui est aux Indes occidentales. Thevet rapporte, dans son histoire de l'Amérique, que lorsque les Espagnols furent dans ce pays-là, ils devinrent fort malades de ces sortes de vers par plusieurs tumeurs ; ils y trouvoient dedans un petit animal blanc, ayant une petite tache sur le corps. Les habitans du pays se guérissent de ce ver par le moyen d'une huile qu'ils tirent d'un fruit, nommé hibout, lequel n'est pas bon à manger ; ils conservent cette huile dans de petits vaisseaux faits avec des fruits appellés chez eux carameno ; ils en mettent une goutte sur les tumeurs, & le mal guérit en peu de tems.

Les ombilicaux. Ce sont des vers que l'on dit qui viennent au nombril des enfans, & qui les font souffrir beaucoup, leur causent une maigreur considérable, & les jettent dans une langueur universelle : les levres pâlissent, la chaleur naturelle diminue, & tout le corps tombe dans l'abattement. On n'a point d'autre signe de ce ver, sinon qu'ayant lié sur le nombril de l'enfant un goujon, on trouve le lendemain une partie de ce poisson rongée ; on en remet un autre le soir, & l'on réitere la chose jusqu'à trois ou quatre fois, tant pour s'assurer du séjour du ver, que pour l'attirer par cet appât ; ensuite on prend la moitié d'une coquille de noix, dans laquelle on mêle un peu de miel, de la poudre de crystal de Venise & de sabine ; on applique cette coquille sur le nombril, le ver vient à l'ordinaire, & attiré par le miel, mange de cette mixtion qui le fait mourir ; après quoi on fait avaler à l'enfant quelque médicament abstersif pour entraîner le ver. M. Andry dit qu'il auroit beaucoup de penchant à traiter ce ver de fable, sans le témoignage d'Ettmuller & de Sennert, qui lui font suspendre son jugement. Le premier assure que Michael a guéri de ce ver plusieurs enfans, en observant la méthode que nous venons de dire. Le second rapporte aussi l'autorité d'un témoin oculaire, qui est Bringgerus, lequel dit qu'une petite fille de six mois, ayant une fievre qu'on ne pouvoit guérir, la mere soupçonna que c'étoit un ver au nombril, & réussit à l'en faire sortir.

Les vénériens. Ce sont des vers que l'on prétend se trouver dans presque toutes les parties du corps de ceux qui sont attaqués de la maladie vénérienne.

Figures monstrueuses. Les uns deviennent comme des grenouilles, les autres comme des scorpions, les autres comme des lézards ; aux uns il pousse des cornes, aux autres il pousse une queue fourchue, aux autres une espece de bec comme à des oiseaux ; d'autres se couvrent de poils & deviennent tout velus ; d'autres se revêtent d'écailles & ressemblent à des serpens. Toutes ces figures se développent lorsqu'ils vieillissent. Or comme la barbe ne sort à l'homme qu'à un certain âge ; que les cornes ne poussent à certains animaux que quelque tems après leur naissance ; que les fourmis prennent des aîles avec le tems ; que les vieilles chenilles se changent en papillons ; que le ver à soie subit un grand nombre de changemens, il n'y a pas lieu de s'étonner que les vers du corps de l'homme puissent prendre en vieillissant toutes ces figures extraordinaires qu'on y remarque quelquefois. Cela n'arrive que par un simple accroissement de parties qui rompent la peau dont l'insecte est couvert, & que les Naturalistes appellent nymphe. Ceux qui voudront savoir quels sont les effets des vers dans le corps humain, les signes de ces vers, les remedes qu'on doit employer contre eux, &c. n'ont qu'à lire le traité de M. Andry, de la génération des vers dans le corps de l'homme.

VER, (Critiq. sacrée) ; l'Ecriture compare l'homme à cet insecte rampant, pour marquer sa bassesse & sa foiblesse. Job, xxv. 6 : le ver qui ne meurt point, Marc, ix. 43, est une expression métaphorique qui désigne les remords toujours renaissans d'une conscience criminelle. (D.J.)


VER SACRUM(Hist. anc.) printems sacré : expression qui se trouve dans les anciens historiens latins & dans quelques monumens antiques, & sur la signification de laquelle les savans sont partagés. M. l'abbé Couture pensoit que par ver sacrum on devoit entendre le voeu qu'on faisoit dans les grandes calamités, d'immoler aux dieux tous les animaux nés dans un printems ; & il se fondoit sur ce qu'après la bataille de Trasimene & la mort du consul C. Flaminius, la république romaine consternée voua aux dieux un printems sacré, c'est-à-dire, comme il fut déterminé par un decret du sénat, tout le bétail qui seroit né depuis le premier jour de Mars jusqu'au dernier d'Avril inclusivement.

M. Boivin a cru que par ver sacrum il falloit entendre les colonies qui sous la protection des dieux sortoient de leur pays pour aller s'établir dans un autre : ce qu'il fonde sur l'autorité de Pline, qui parlant des Picentins, dit qu'ils descendoient des Sabins qui avoient voué un printems sacré, c'est-à dire qui les avoient envoyés en colonie, Picentini orti sunt à Sabinis, voto vere sacro, & sur celle de S. Jerôme, qui sur l'an 1596 de la chronique d'Eusebe, dit que les Lacédémoniens fonderent la ville d'Héraclée en y envoyant un ver sacrum. Lacedaemonii ver sacrum Heracliam destinantes urbem condunt. Denys d'Halicarnasse, Strabon, Plutarque & plusieurs autres anciens & modernes paroissent favorables à ce dernier sentiment.

M. Leibnitz avoit expliqué dans le même sens le mot ver sacrum trouvé sur des monumens déterrés dans l'église de Paris, des colonies des Gaulois, que Bellovese & Sigovese conduisirent autrefois dans la Germanie & dans l'Italie. Mém. de l'acad. tom. III.


VERA(Géog. anc.) 1°. nom d'une ville de Médie, selon Strabon, qui dit qu'Antoine s'en empara dans son expédition contre les Parthes ; 2°. nom d'un fleuve de la Gaule, selon Ortélius. (D.J.)

VERA, (Géog. mod.) ville d'Espagne, au royaume de Grenade, proche la riviere de Guadalmaçar, sur les confins du royaume de Murcie. Quelques-uns la prennent pour la Virgi des anciens. Long. 16. 20. latit. 36. 40. (D.J.)

VERA, la, (Géog. mod.) riviere des états du turc, en Europe. Elle prend sa source vers les confins de la Bulgarie, & se décharge dans le golfe de Salonique. Cette riviere que M. Delisle nomme Calico, & qu'on appelle aussi Verataser, est prise pour le Chidorus des anciens. (D.J.)


VERA-CRUou VERA-CRUX, (Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur le golfe du Mexique. Elle est petite, pauvre & habitée par peu d'espagnols, qui pour la plûpart sont mariniers ou facteurs. Toutes les flottes qui arrivent d'Europe dans la nouvelle Espagne, mouillent dans ce port ; & dès que les flottes sont parties, tous les blancs se retirent dans les terres à cause du mauvais air qu'on respire dans cette ville. Elle éprouva en 1742 un tremblement de terre qui abattit une partie des murs. Long. 278. 45. latit. 19. 10. (D.J.)


VERA-PAou VERA-PAX, (Géog. mod.) province de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne. Elle est bornée au nord par l'Yucatan, au midi par la province de Soconusco, au levant par celle de Honduras, & au couchant par celle de Chiapa. Elle a environ 30 lieues de longueur & de largeur. C'est un pays affreux par ses hautes montagnes, par ses profondes vallées, par ses précipices & par ses épaisses forêts. Il est coupé de quantité de rivieres. Les Espagnols n'y ont que des bourgades, où ils sont entremêlés avec les sauvages. (D.J.)


VÉRACITÉ(Morale) la véracité ou vérité morale dont les honnêtes gens se piquent, est la conformité de nos discours avec nos pensées ; c'est une vertu opposée au mensonge.

Cette vertu consiste à faire ensorte que nos paroles représentent fidelement & sans équivoque nos pensées à ceux qui ont droit de les connoître, & auxquels nous sommes tenus de les découvrir, en conséquence d'une obligation parfaite ou imparfaite, & cela, soit pour leur procurer quelque avantage qui leur est dû, soit pour ne pas leur causer injustement du dommage.

La véracité en fait de conventions, s'appelle communément fidélité ; elle consiste à garder inviolablement ses promesses & ses contrats ; c'est l'effet d'une même disposition de l'ame de s'engager & de vouloir tenir sa parole ; mais il n'est pas permis de tenir une convention contraire aux loix naturelles ; car en ce cas elles rendent illicite l'engagement. (D.J.)


VERAGRI(Géog. anc.) peuple des Alpes, dont le chef lieu est nommé Octodorus ou Octodorus, par César, l. III. Bell. Gall. c. j. ce qui fait que Pline, l. III. c. xx. donne à tout le peuple, ou du moins à une partie, le nom d'Octodurenses.

Octodurus qui, selon le sentiment de la plûpart des géographes, est aujourd'hui Martigni ou Martignach, se trouvoit dans la vallée Pennine, qui dans la suite donna son nom aux Veragri de César & de Pline ; car ils sont appellés Vallenses dans la notice de la province des Alpes graïennes & pennines.

Cellarius, géogr. ant. l. II. c. iij. croit que l'on doit placer les Veragri dans la Gaule narbonnoise, ainsi que les Seduni & les Nantuates ; & il en donne deux raisons : premierement, parce que César, au commencement du III. livre de ses commentaires, les joint avec les Allobroges, depuis les confins desquels ils s'étendoient, jusqu'aux plus hautes Alpes ; en second lieu, parce que Ptolémée marque tous ces peuples dans l'Italie, quoiqu'ils habitassent au-delà des Alpes pennines. Si donc, ajoute Cellarius, ils étoient placés entre les Allobroges & les Alpes pennines, desorte qu'ils pouvoient en quelque maniere être regardés comme habitans d'Italie, on ne peut point les joindre avec les Helvétiens, & les comprendre dans la Gaule belgique ; mais on doit les laisser dans la narbonnoise, qui étoit entre l'Italie & la Belgique, du côté des Helvétiens. (D.J.)


VERAGUA(Géog. mod.) province de l'Amérique septentrionale. Elle est bornée au levant par celle de Costa-Ricca, & au couchant par celle de Panama, le long de la mer du Nord & de la mer du Sud. Elle a environ 50 lieues du levant au couchant, & 24 du midi au nord. Le pays est montueux, & en quelque sorte impénétrable par l'abondance de ses bois. Il est riche en mines ; son terroir est assez fertile en maïs. Christophle Colomb découvrit cette province en 1592 ; & les Espagnols y envoyerent ensuite des colonies. Le gouverneur demeure dans la ville de la Conception. On fond & on raffine l'or dans celle de Santa-Fé, & les officiers du roi y ont leurs commis. (D.J.)


VÉRAou BARRAS, s. m. (Mesure de longueur) espece d'aune dont on se sert en Portugal pour mesurer les longueurs des draps, & autres étoffes. Elle est de quelque chose moindre que l'aune de France ; ensorte que cent six véras de Lisbonne ne font que cent aunes de Paris.


VERATvoyez MAQUEREAU.


VERBALLE, adj. (Gram.) qui est dérivé du verbe. On appelle ainsi les mots dérivés des verbes ; & il y a des noms verbaux & des adjectifs verbaux. Cette sorte de mots est principalement remarquable dans les langues transpositives, comme le grec & le latin, à cause de la diversité des régimes.

J'ai démontré, si je ne me trompe, que l'infinitif est véritablement nom : voyez INFINITIF ; mais c'est, comme je l'ai dit, un nom verbe, & non pas un nom verbal : je pense qu'on doit seulement appeller noms verbaux ceux qui n'ont de commun avec le verbe que le radical représentatif de l'attribut, & qui ne conservent rien de ce qui constitue l'essence du verbe, je veux dire, l'idée de l'existence intellectuelle, & la susceptibilité des tems qui en est une suite nécessaire. Il est donc évident que c'est encore la même chose du supin que de l'infinitif ; c'est aussi un nom verbe, ce n'est pas un nom verbal. Voyez SUPIN.

Par des raisons toutes semblables, les participes ne sont point adjectifs verbaux ; ce sont des adjectifs-verbes, parce qu'avec l'idée individuelle de l'attribut qui leur est commune avec le verbe, & qui est représentée par le radical commun, ils conservent encore l'idée spécifique qui constitue l'essence du verbe, c'est à-dire, l'idée de l'existence intellectuelle caractérisée par les diverses terminaisons temporelles. Les adjectifs verbaux n'ont de commun avec le verbe dont ils sont dérivés, que l'idée individuelle mais accidentelle de l'attribut.

En latin les noms verbaux sont principalement de deux sortes : les uns sont terminés en io, gén. ionis, & sont de la troisieme déclinaison, comme visio, actio, tactio ; les autres sont terminés en us, gen. ûs, & sont de la quatrieme déclinaison, comme visus, pactus, actus, tactus. Les premiers expriment l'idée de l'attribut comme action, c'est-à-dire, qu'ils énoncent l'opération d'une cause qui tend à produire l'effet individuel désigné par le radical ; les seconds expriment l'idée de l'attribut comme acte, c'est à-dire qu'ils énoncent l'effet individuel désigné par le radical sans aucune attention à la puissance qui le produit : ainsi visio c'est l'action de voir, visus en est l'acte ; pactio signifie l'action de traiter ou de convenir, pactus exprime l'acte ou l'effet de cette action ; tactio, l'action de toucher ou le mouvement nécessaire pour cet effet, tactus, l'effet même qui résulte immédiatement de ce mouvement, &c. Voyez SUPIN.

Il y a encore quelques noms verbaux en um, gén. i, de la seconde déclinaison, dérivés immédiatement du supin, comme les deux especes dont on vient de parler ; par exemple, pactum, qui doit avoir encore une signification différente de pactio & de pactus. Je crois que les noms de cette troisieme espece désignent principalement les objets sur lesquels tombe l'acte, dont l'idée tient au radical commun : ainsi pactio exprime le mouvement que l'on se donne pour convenir ; pactus, l'acte de la convention, l'effet du mouvement que l'on s'est donné ; pactum, l'objet du traité, les articles convenus. C'est la même différence entre actio, actus & actum.

Les adjectifs verbaux sont principalement de deux sortes, les uns sont en ilis, comme amabilis, flebilis, facilis, odibilis, vincibilis ; les autres en undus, comme errabundus, ludibundus, vitabundus, &c. Les premiers ont plus communément le sens passif, & caractérisent sur-tout par l'idée de la possibilité, comme si amabilis, par exemple, vouloit dire par contraction ad amari ibilis, en tirant ibilis de ibo, &c. Les autres ont le sens actif, & caractérisent par l'idée de la fréquence de l'acte, comme si ludibundus, par exemple, signifioit saepè ludere ou continuo ludere solitus.

Il peut se trouver une infinité d'autres terminaisons, soit pour les noms, soit pour les adjectifs verbaux : voyez Vossii anal. ij. 32. & 33. mais j'ai cru devoir me borner ici aux principaux dans chaque genre ; parce que l'Encyclopédie ne doit pas être une grammaire latine, & que les especes que j'ai choisies suffisent pour indiquer comment on doit chercher les différences de signification dans les dérivés d'une même racine qui sont de la même espece ; ce qui appartient à la grammaire générale.

Mais je m'arrêterai encore à un Point de la grammaire latine qui peut tenir par quelque endroit aux principes généraux du langage. Tous les grammairiens s'accordent à dire que les noms verbaux en io & les adjectifs verbaux en undus prennent le même régime que le verbe dont ils sont dérivés. C'est ainsi, disent ils, qu'il faut entendre ces phrases de Plaute. (Amphitr. I. iij.) quid tibi hanc curatio est rem ? (Aulul. III. Redi.) sed quid tibi nos tactio est ? (Trucul. II. vij.) quid tibi hanc aditio est, quid tibi hanc notio est ? Cette phrase de T. Live (xxv.) Hanno vitabundus castra hostium consulesque, loco edito castra posuit ; & celles-ci d'Apulée, carnificem imaginabundus ; mirabundi bestiam. Les réflexions que j'ai à proposer sur cette matiere paroîtront peut-être des paradoxes ; mais comme je les crois néanmoins conformes à l'exacte vérité, je vais les exposer comme je les conçois : quelque autre plus habile ou les détruira par de meilleures raisons, ou les fortifiera par de nouvelles vues.

Ni les noms verbaux en io, ni les adjectifs verbaux en undus, n'ont pour régime direct l'accusatif.

1°. On peut rendre raison de cet accusatif, en suppléant une préposition : curatio hanc rem, c'est curatio propter hanc rem ; nos tactio, c'est in nos ou super nos tactio ; hanc aditio, hanc notio, c'est ergà hanc aditio, circà hanc notio ; vitabundus castra consulesque, suppl. propter ; carnificem imaginabundus, suppl. in (ayant sans cesse l'imagination tournée sur le bourreau) ; mirabundi bestiam, suppl. propter. Il n'y a pas un seul exemple pareil que l'on ne puisse analyser de la même maniere.

2°. La simplicité de l'analogie qui doit diriger partout le langage des hommes, & qui est fixée immuablement dans la langue latine, ne permet pas d'assigner à l'accusatif une infinité de fonctions différentes ; & il faudra bien reconnoître néanmoins cette multitude de fonctions diverses, s'il est régime des prépositions, des verbes relatifs, des noms & des adjectifs verbaux qui en sont dérivés ; la confusion sera dans la langue, & rien ne pourra y obvier. Si l'on veut s'entendre, il ne faut à chaque cas qu'une destination.

Le nominatif marque un sujet de la premiere ou de la troisieme personne : le vocatif marque un sujet de la seconde personne : le génitif exprime le complément déterminatif d'un nom appellatif : le datif exprime le complément d'un rapport de fin : l'ablatif caractérise le complément de certaines prépositions : pourquoi l'accusatif ne seroit-il pas borné à désigner le complément des autres prépositions ?

Me voici arrêté par deux objections. La premiere, c'est que j'ai consenti de reconnoître un ablatif absolu & indépendant de toute préposition : voyez GERONDIF : la seconde, c'est que j'ai reconnu l'accusatif lui-même, comme régime du verbe actif relatif ; voyez INFINITIF. L'une & l'autre objection doit me faire conclure que le même cas peut avoir différens usages, & conséquemment que j'étaie mal le système que j'établis ici sur le régime des noms & des adjectifs verbaux.

Je réponds à la premiere objection, que, par rapport à l'ablatif absolu, je suis dans le même cas que par rapport aux futurs : j'avois un collegue, aux vues duquel j'ai souvent dû sacrifier les miennes : mais je n'ai jamais prétendu en faire un sacrifice irrévocable ; & je désavoue tout ce qui se trouvera dans le VII. tome n'être pas d'accord avec le système dont j'ai répandu les diverses parties dans les volumes suivans.

On suppose (art. GERONDIF) que le nom mis à l'ablatif absolu n'a avec les mots de la proposition principale aucune relation grammaticale ; & voilà le seul fondement sur lequel on établit la réalité du prétendu ablatif absolu. Mais il me semble avoir démontré (REGIME, art. 2.) l'absurdité de cette prétendue indépendance, contre M. l'abbé Girard, qui admet un régime libre : & je m'en tiens, en conséquence, à la doctrine de M. du Marsais, sur la nécessité de n'envisager jamais l'ablatif, que comme régime d'une préposition. Voyez ABLATIF & DATIF.

Pour ce qui est de la seconde objection, que j'ai reconnu l'accusatif comme régime du verbe actif relatif ; j'avoue que je l'ai dit, même en plus d'un endroit : mais j'avoue aussi que je ne le disois que par respect pour une opinion reçue unanimement, & pensant que je pourrois éviter cette occasion de choquer un préjugé si universel. Elle se présente ici d'une maniere inévitable ; je dirai donc ma pensée sans détour : l'accusatif n'est jamais le régime que d'une préposition ; & celui qui vient après le verbe actif relatif, est dans le même cas : ainsi amo Deum, c'est amo ad Deum ; doceo pueros grammaticam, c'est dans la plénitude analytique doceo ad pueros circà grammaticam, &c. voici les raisons de mon assertion.

1°. L'analogie, comme je l'ai déjà dit, exige qu'un même cas n'ait qu'une seule & même destination : or l'accusatif est indubitablement destiné, par l'analogie latine, à caractériser le complément de certaines prépositions ; il ne doit donc pas sortir de cette destination, sur-tout si l'on peut prouver qu'il est toujours possible & raisonnable d'ailleurs de l'y ramener. C'est ce que je vais faire.

2°. Les grammairiens ne prétendent regarder l'accusatif comme régime que des verbes actifs, qu'ils appellent transitifs, & que je nomme relatifs avec plusieurs autres : ils conviennent donc tacitement que l'accusatif désigne alors le terme du rapport énoncé par le verbe ; or tout rapport est renfermé dans le terme antécédent, & c'est la préposition qui en est, pour ainsi dire, l'exposant, & qui indique que son complément est le terme conséquent de ce rapport.

3°. Le verbe relatif peut être actif ou passif : amo est actif, amor est passif ; l'un exprime le rapport inverse de l'autre : dans amo Deum, le rapport actif se porte vers le terme passif Deum ; dans amor à Deo, le rapport passif est dirigé vers le terme actif Deo : or Deo est ici complément de la préposition à, qui dénote en général un rapport d'origine, pour faire entendre que l'impression passive est rapportée à sa cause ; pourquoi, dans la phrase active, Deum ne seroit-il pas le complément de la préposition ad, qui dénote en général un rapport de tendance, pour faire entendre que l'action est rapportée à l'objet passif ?

4°. On supprime toujours en latin la préposition ad, j'en conviens ; mais l'idée en est toujours rappellée par l'accusatif qui la suppose, de même que l'idée de la préposition à est rappellée par l'ablatif, lorsqu'elle est en effet supprimée dans la phrase passive, comme compulsi siti pour à siti. D'ailleurs cette suppression de la proposition dans la phrase active n'est pas universelle : les Espagnols disent amar à Dios, comme les Latins auroient pu dire amare ad Deum, (être en amour pour Dieu), & comme nous aurions pu dire aimer à Dieu. Eh, ne trouvons-nous pas l'équivalent dans nos anciens auteurs ? Et pria A ses amis que cil roulet fut mis sur son tombel (que cette inscription fût mise sur son tombeau) : Dict. de Borel, verb. roulet. Que dis-je ? nous conservons la préposition dans plusieurs phrases, quand le terme objectif est un infinitif ; ainsi nous disons j'aime à chasser, & non pas j'aime chasser, quoique nous disions sans préposition j'aime la chasse ; je commence à raconter, j'apprends à chanter, quoiqu'il faille dire, je commence un récit, j'apprends la musique.

Tout semble donc concourir pour mettre dans la dépendance d'une préposition l'accusatif qui passe pour régime du verbe actif relatif : l'analogie latine des cas en sera plus simple & plus informe ; la syntaxe du verbe actif sera plus rapprochée de celle du verbe passif, & elle doit l'être, puisqu'ils sont également relatifs, & qu'il s'agit également de rendre sensible de part & d'autre la relation au terme conséquent ; enfin les usages des autres langues autorisent cette espece de syntaxe, & nous en trouvons des exemples jusques dans l'usage présent de la nôtre.

Je ne prétends pas dire que, pour parler latin, il faille exprimer aucune préposition après le verbe actif ; je veux dire seulement que, pour analyser la phrase latine, il faut en tenir compte, & à plus forte raison après les noms & les adjectifs verbaux. (E. R. M. B.)

VERBAL, (Gram. & Jurisprud.) est ce qui se dit de vive voix & sans être mis par écrit.

On appelle cependant procès-verbal un acte rédigé par écrit, qui contient le rapport ou relation de quelque chose ; mais on l'appelle verbal, parce que cet écrit contient le récit d'une discussion qui s'est faite auparavant verbalement ; en quoi le procès verbal differe du procès par écrit, qui est une discussion où tout se déclare par écrit. Voyez PROCES.

Appel verbal est celui qui est interjetté d'une sentence rendue à l'audience : on l'appelle verbal, parce qu'anciennement il falloit appeller de la sentence illico, sur le champ, ce qui se faisoit devant le juge.

Requête verbale ; on a donné ce nom à certaines requêtes d'instruction, qui se faisoient autrefois en jugement & de vive voix ; on les a depuis rédigées par écrit pour débarrasser l'audience de cette foule de requêtes qui consumoient tout le tems sans finir aucune cause. (A)


VERBANUS LACUS(Géog. anc.) lac d'Italie, dans la Transpadane. Strabon, liv. IV. p. 209. lui donne 400 stades de longueur, & un peu moins de 150 stades de largeur. Il ajoute que le fleuve Ticinus le traverse, & Pline, l. II. ch. ciij. dit la même chose. C'en est assez pour faire voir qu'ils entendent parler du lac appellé présentement Lago-Maggiore, au-travers duquel passe le Tésin. (D.J.)


VERBASCUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante que l'on appelle vulgairement en françois mollaine ou bouillon-blanc ; c'est sous ce dernier nom qu'on en trouvera les caracteres dans cet ouvrage. Tournefort distingue quinze especes de bouillon-blanc, dont la plus commune est à grandes fleurs jaunes, verbascum latifolium, luteum, I. R. H. 146.

Cette plante croît à la hauteur de 4 ou 5 piés ; sa tige est couverte de laine ; ses feuilles sont grandes, molles, velues, cotonneuses, blanches ; les unes éparses à terre, les autres attachées alternativement à leur tige. Ses fleurs sont des rosettes à cinq quartiers, jointes les unes aux autres en touffe, & de couleur jaune ; il leur succede quand elles sont tombées, des coques ovales, lanugineuses, pointues, divisées en deux loges, où l'on trouve de petites semences anguleuses & noires. Cette plante est une des meilleures herbes émollientes de la Médecine. (D.J.)


VERBES. m. (Gram.) en analysant avec la plus grande attention les différens usages du verbe dans le discours, voyez MOT, art. I. j'ai cru devoir le définir, un mot qui présente à l'esprit un être indéterminé, désigné seulement par l'idée générale de l'existence sous une relation à une modification.

L'idée de mot est la plus générale qui puisse entrer dans la notion du verbe ; c'est en quelque sorte le genre suprême : toutes les autres parties d'oraison sont aussi des mots.

Ce genre est restraint à un autre moins commun, par la propriété de présenter à l'esprit un être : cette propriété ne convient pas à toutes les especes de mots ; il n'y a que les mots déclinables, & susceptibles surtout des inflexions numériques : ainsi l'idée générique est restrainte par-là aux seules parties d'oraison déclinables, qui sont les noms, les pronoms, les adjectifs, & les verbes ; les prépositions, les adverbes, les conjonctions, & les interjections s'en trouvent exclus.

C'est exclure encore les noms & les pronoms, & restraindre de plus en plus l'idée générique, que de dire que le VERBE est un mot qui présente à l'esprit un être indéterminé ; car les noms & les pronoms présentent à l'esprit des êtres déterminés. Voyez NOM & PRONOM. Cette idée générique ne convient donc plus qu'aux adjectifs & aux verbes ; le genre est le plus restraint qu'il soit possible, puisqu'il ne comprend plus que deux especes ; c'est le genre prochain. Si l'on vouloit se rappeller les idées que j'ai attachées aux termes de déclinable & d'indéterminatif, voyez MOT ; on pourroit énoncer cette premiere partie de la définition, en disant que le VERBE est un mot déclinable indéterminatif : & c'est apparemment la meilleure maniere de l'énoncer.

Que faut-il ajouter pour avoir une définition complete ? Un dernier caractere qui ne puisse plus convenir qu'à l'espece que l'on définit ; en un mot, il faut déterminer le genre prochain par la différence spécifique. C'est ce que l'on fait aussi, quand on dit que le VERBE désigne seulement par l'idée générale de l'existence sous une relation à une modification : voilà le caractere distinctif & incommunicable de cette partie d'oraison.

De ce que le verbe est un mot qui présente à l'esprit un être indéterminé, ou si l'on veut, de ce qu'il est un mot déclinable indéterminatif ; il peut, selon les vûes plus ou moins précises de chaque langue, se revêtir de toutes les formes accidentelles que les usages ont attachées aux noms & aux pronoms, qui présentent à l'esprit des sujets déterminés : & alors la concordance des inflexions correspondantes des deux especes de mots, sert à désigner l'application du sens vague de l'un au sens précis de l'autre, & l'identité actuelle des deux sujets, du sujet indéterminé exprimé par le verbe, & du sujet déterminé énoncé par le nom ou par le pronom. Voyez IDENTITE. Mais comme cette identité peut presque toujours s'appercevoir sans une concordance exacte de tous les accidens, il est arrivé que bien des langues n'ont pas admis dans leurs verbes toutes les inflexions imaginables relatives au sujet. Dans les verbes de la langue françoise, les genres ne sont admis qu'au participe passif ; la langue latine & la langue grecque les ont admis au participe actif ; la langue hébraïque étend cette distinction aux secondes & troisiemes personnes des modes personnels. Si l'on excepte le chinois & la langue franque, où le verbe n'a qu'une seule forme immuable à tous égards, les autres langues se sont moins permis à l'égard des nombres & des personnes ; & le verbe prend presque toujours des terminaisons relatives à ces deux points de vûe, si ce n'est dans les modes dont l'essence même les exclut : l'infinitif, par exemple, exclut les nombres & les personnes, parce que le sujet y demeure essentiellement indéterminé ; le participe admet les genres & les nombres, parce qu'il est adjectif, mais il rejette les personnes, parce qu'il ne constitue pas une proposition. Voyez INFINITIF, PARTICIPE.

L'idée différentielle de l'existence sous une relation à une modification, est d'ailleurs le principe de toutes les propriétés exclusives du verbe.

I. La premiere & la plus frappante de toutes, c'est qu'il est en quelque sorte, l'ame de nos discours, & qu'il entre nécessairement dans chacune des propositions qui en sont les parties intégrantes. Voici l'origine de cette prérogative singuliere.

Nous parlons pour transmettre aux autres nos connoissances ; & nos connoissances ne sont rien autre chose que la vûe des êtres sous leurs attributs : ce sont les résultats de nos jugemens intérieurs. Un jugement est l'acte par lequel notre esprit apperçoit en soi l'existence d'un être, sous telle ou telle relation à telle ou telle modification. Si un être a véritablement en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, nous en avons une connoissance vraie : mais notre jugement est faux, si l'être n'a pas en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit. Voyez PROPOSITION.

Une proposition doit être l'image de ce que l'esprit apperçoit par son jugement ; & par conséquent elle doit énoncer exactement ce qui se passe alors dans l'esprit, & montrer sensiblement un sujet déterminé, une modification, & l'existence intellectuelle du sujet sous une relation à cette modification. Je dis existence intellectuelle, parce qu'en effet, il ne s'agit primitivement, dans aucune proposition, de l'existence réelle qui suppose les êtres hors du néant ; il ne s'agit que d'une existence telle que l'ont dans notre entendement tous les objets de nos pensées, tandis que nous nous en occupons. Un cercle quarré, par exemple, ne peut avoir aucune existence réelle ; mais il a dans mon entendement une existence intellectuelle, tandis qu'il est l'objet de ma pensée, & que je vois qu'un cercle quarré est impossible : les idées abstraites & générales ne sont & ne peuvent être réalisées dans la nature ; il n'existe réellement, & ne peut exister nulle part un animal en général qui ne soit ni homme, ni brute : mais les objets de ces idées factices existent dans notre intelligence, tandis que nous nous occupons pour en découvrir les propriétés.

Or c'est précisément l'idée de cette existence intellectuelle sous une relation à une modification, qui fait le caractere distinctif du verbe ; & de-là vient qu'il ne peut y avoir aucune proposition sans verbe, parce que toute proposition, pour peindre avec fidélité l'objet du jugement, doit exprimer entr'autres choses, l'existence intellectuelle du sujet sous une relation à quelque modification, ce qui ne peut être exprimé que par le verbe.

De-là vient le nom emphatique donné à cette partie d'oraison. Les Grecs l'appelloient ; mot qui caractérise le pur matériel de la parole, puisque , qui en est la racine, signifie proprement fluo, & qu'il n'a reçu le sens de dico que par une catachrese métaphorique, la bouche étant comme le canal par où s'écoule la parole, & pour ainsi dire, la pensée dont elle est l'image. Nous donnons à la même partie d'oraison le nom de verbe, du latin verbum, qui signifie encore la parole prise matériellement, c'est-à-dire en tant qu'elle est le produit de l'impulsion de l'air chassé des poumons & modifié, tant par la disposition particuliere de la bouche, que par les mouvemens subits & instantanés des parties mobiles de cet organe. C'est Priscien (lib. VIII. de verbo init.) qui est le garant de cette étymologie : VERBUM à verberatu aëris dicitur, quod commune accidens est omnibus partibus orationis. Priscien a raison ; toutes les parties d'oraison étant produites par le même méchanisme, pouvoient également être nommées verba, & elles l'étoient effectivement en latin : mais c'étoit alors un nom générique, au lieu qu'il étoit spécifique quand on l'appliquoit à l'espece dont il est ici question : Praecipuè in hâc dictione quasi proprium ejus accipitur quâ frequentiùs utimur in oratione. (Id. ib.) Telle est la raison que Priscien donne de cet usage : mais il me semble que ce n'est l'expliquer qu'à demi, puisqu'il reste encore à dire pourquoi nous employons si fréquemment le verbe dans tous ces discours.

C'est qu'il n'y a point de discours sans proposition ; point de proposition qui n'ait à exprimer l'objet d'un jugement ; point d'expression de cet objet qui n'énonce un sujet déterminé, une modification également déterminée, & l'existence intellectuelle du sujet sous une relation à cette modification : or c'est la désignation de cette existence intellectuelle d'un sujet qui est le caractere distinctif du verbe, & qui en fait entre tous les mots, le mot par excellence.

J'ajoute que c'est cette idée de l'existence intellectuelle, qu'entrevoit l'auteur de la grammaire générale dans la signification commune à tous les verbes, & propre à cette seule espece, lorsqu'après avoir remarqué tous les défauts des définitions données avant lui, il s'est arrêté à l'idée d'affirmation. Il sentoit que la nature du verbe devoit le rendre nécessaire à la proposition ; il n'a pas vû assez nettement l'idée de l'existence intellectuelle, parce qu'il n'est pas remonté jusqu'à la nature du jugement intérieur ; il s'en est tenu à l'affirmation, parce qu'il n'a pris garde qu'à la proposition même. Je ferai là-dessus quelques observations assez naturelles.

1°. L'affirmation est un acte propre à celui qui parle ; & l'auteur de la grammaire générale en convient lui-même. (Part. II. c. xiij. édit. 1756.) " Et l'on peut, dit-il, remarquer en passant que l'affirmation, en tant que conçue, pouvant être aussi l'attribut du verbe, comme dans affirmo, ce verbe signifie deux affirmations, dont l'une regarde la personne qui parle, & l'autre la personne de qui on parle, soit que ce soit de soi-même, soit que ce soit d'un autre. Car quand je dis, Petrus affirmat, affirmat est la même chose que est affirmans ; & alors est marque MON AFFIRMATION, ou le jugement que je fais touchant Pierre ; & affirmans, l'affirmation que je conçois & que j'attribue à Pierre ". Or, le verbe étant un mot déclinable indéterminatif, est sujet aux loix de la concordance par raison d'identité, parce qu'il désigne un sujet quelconque sous une idée générale applicable à tout sujet déterminé qui en est susceptible. Cette idée ne peut donc pas être celle de l'affirmation, qui est reconnue propre à celui qui parle, & qui ne peut jamais convenir au sujet dont on parle, qu'autant qu'il existe dans l'esprit avec la relation de convenance à cette maniere d'être, comme quand on dit, Petrus affirmat.

2°. L'affirmation est certainement opposée à la négation : l'une est la marque que le sujet existe sous la relation de convenance à la maniere d'être dont il s'agit ; l'autre, que le sujet existe avec la relation de disconvenance à cette maniere d'être. C'est à-peu-près l'idée que l'on en prendroit dans l'Art de penser. (Part. II. ch. iij.) Je l'étendrois encore davantage dans le grammatical, & je dirois que l'affirmation est la simple position de la signification de chaque mot, & que la négation en est en quelque maniere la destruction. Aussi l'affirmation se manifeste assez par l'acte même de la parole, sans avoir besoin d'un mot particulier pour devenir sensible, si ce n'est quand elle est l'objet spécial de la pensée & de l'expression ; il n'y a que la négation qui doit être exprimée. C'est pour cela même que dans aucune langue, il n'y a aucun mot destiné à donner aux autres mots un sens affirmatif, parce qu'ils le sont tous essentiellement ; il y en a au contraire, qui les rendent négatifs, parce que la négation est contraire à l'acte simple de la parole, & qu'on ne la suppléeroit jamais si elle n'étoit exprimée : malè, non malè ; doctus, non doctus ; audio, non audio. Or, si tout mot est affirmatif par nature, comment l'affirmation peut-elle être le caractere distinctif du verbe ?

3°. On doit regarder comme incomplete, & conséquemment comme vicieuse, toute définition du verbe qui n'assigne pour objet de sa signification, qu'une simple modification qui peut être comprise dans la signification de plusieurs autres especes de mots : or, l'idée de l'affirmation est dans ce cas, puisque les mots affirmation, affirmatif, affirmativement, oui, expriment l'affirmation sans être verbes.

Je sais que l'auteur a prévû cette objection, & qu'il croit la résoudre en distinguant l'affirmation conçue, de l'affirmation produite, & prenant celle-ci pour caractériser le verbe. Mais, j'ose dire, que c'est proprement se payer de mots, & laisser subsister un vice qu'on avoue. Quand on supposeroit cette distinction bien claire, bien précise, & bien fondée ; le besoin d'y recourir pour justifier la définition générale du verbe, est une preuve que cette définition est au moins louche, qu'il falloit la rectifier par cette distinction, & que peut être l'eût-on fait, si l'on n'avoit craint de la rendre d'ailleurs trop obscure.

4°. L'auteur sentoit très-bien lui-même l'insuffisance de sa définition, pour rendre raison de tout ce qui appartient au verbe. C'est, selon lui, un mot dont le PRINCIPAL USAGE est de désigner l'affirmation.... l'on s'en sert encore pour signifier d'autres mouvemens de notre ame,... mais ce n'est qu'en changeant d'inflexion & de mode, & ainsi nous ne considérons le VERBE dans tout ce chapitre, (c. xiij. Part. II. éd. 1756.) que selon sa principale signification, qui est celle qu'il a à l'indicatif. Il faut remarquer, dit-il ailleurs, (ch. xvij.) que quelquefois l'infinitif retient l'affirmation, comme quand je dis, scio malum esse fugiendum ; & que souvent il la perd & devient nom, principalement en grec & dans la langue vulgaire, comme quand on dit.... je veux boire, volo bibere. L'infinitif alors cesse d'être verbe, selon cet auteur ; & par conséquent, il faut qu'il avoue que le même mot avec la même signification, est quelquefois verbe & cesse quelquefois de l'être. Le participe dans son système, est un simple adjectif, parce qu'il ne conserve pas l'idée de l'affirmation.

Je remarquerai à ce sujet que tous les modes, sans exception, ont été dans tous les tems réputés appartenir au verbe, & en être des parties nécessaires ; que tous les grammairiens les ont disposés systématiquement dans la conjugaison ; qu'ils y ont été forcés par l'unanimité des usages de tous les idiomes, qui en ont toujours formé les diverses inflexions par des générations régulieres entées sur un radical commun ; que cette unanimité ne pouvant être le résultat d'une convention formelle & réfléchie, ne sauroit venir que des suggestions secrettes de la nature, qui valent beaucoup mieux que toutes nos réflexions ; & qu'une définition qui ne peut concilier des parties que la nature elle même semble avoir liées, doit être bien suspecte à quiconque connoît les véritables fondemens de la raison.

II. L'idée de l'existence intellectuelle sous une relation à une modification, est encore ce qui sert de fondement aux différens modes du verbe, qui conserve dans tous sa nature, essentiellement indestructible.

Si par abstraction, l'on envisage comme un être déterminé, cette existence d'un sujet quelconque sous une relation à une modification ; le verbe devient nom, & c'en est le mode infinitif. Voyez INFINITIF.

Si par une autre abstraction, on envisage un être indéterminé, désigné seulement par cette idée de l'existence intellectuelle, sous une relation à une modification, comme l'idée d'une qualité faisant partie accidentelle de la nature quelconque du sujet ; le verbe devient adjectif, & c'en est le mode participe. Voyez PARTICIPE.

Ni l'un ni l'autre de ces modes n'est personnel, c'est-à dire qu'ils n'admettent point d'inflexions relatives aux personnes, parce que l'un & l'autre expriment de simples idées ; l'un, un être déterminé par sa nature ; l'autre, un être indéterminé désigné seulement par une partie accidentelle de sa nature ; mais ni l'un ni l'autre n'exprime l'objet d'un jugement actuel, en quoi consiste principalement l'essence de la proposition & du discours. C'est pourquoi les personnes ne sont marquées ni dans l'un ni dans l'autre, parce que les personnes sont dans le verbe des terminaisons qui caractérisent la relation du sujet à l'acte de la parole. Voyez PERSONNE.

Mais si l'on employe en effet le verbe pour énoncer actuellement l'existence intellectuelle d'un sujet déterminé sous une relation à une modification, c'est-à-dire s'il sert à faire une proposition, le verbe est alors uniquement verbe, & c'en est un mode personnel.

Ce mode personnel est direct, quand il constitue l'expression immédiate de la pensée que l'on veut manifester ; tels sont l'indicatif, l'impératif, & le suppositif, voyez ces mots. Le mode personnel est indirect ou oblique, quand il ne peut servir qu'à constituer une proposition incidente subordonnée à un antécédent ; tels sont l'optatif & le subjonctif. Voyez ces mots.

Il est évident que cette multiplication des aspects sous lesquels on peut envisager l'idée spécifique de la nature du verbe, sert infiniment à en multiplier les usages dans le discours, & justifier de-plus en plus le nom que lui ont donné par excellence les Grecs & les Romains, & que nous lui avons conservé nous-mêmes.

III. Les tems dont le verbe seul paroît susceptible, supposent apparemment dans cette partie d'oraison, une idée qui puisse servir de fondement à ces métamorphoses & qui en rendent le verbe susceptible. Or il est évident que nulle autre idée n'est plus propre que celle de l'existence à servir de fondement aux tems, puisque ce sont des formes destinées à marquer les diverses relations de l'existence à une époque. Voyez TEMS.

De-là vient que dans les langues qui ont admis la déclinaison effective, il n'y a aucun mode du verbe qui ne se conjugue par tems ; les modes impersonnels comme les personnels, les modes obliques comme les directs, les modes mixtes comme les purs : parce que les tems tiennent à la nature immuable du verbe, à l'idée générale de l'existence.

Jules-César Scaliger les croyoit si essentiels à cette partie d'oraison, qu'il les a pris pour le caractere spécifique qui la distingue de toutes les autres : tempus autem non videtur esse affectus VERBI, sed differentia formalis propter quam VERBUM ipsum VERBUM est. (de caus. L. L. lib. V. cap. cxxj.) Cette considération dont il est aisé maintenant d'apprécier la juste valeur, avoit donc porté ce savant critique à définir ainsi cette partie d'oraison : VERBUM est nota rei sub tempore. (ibid. cap. cx.)

Il s'est trompé en ce qu'il a pris une propriété accidentelle du verbe, pour l'essence même. Ce ne sont point les tems qui constituent la nature spécifique du verbe ; autrement il faudroit dire que la langue franque, la langue chinoise, & apparemment bien d'autres, sont destituées de verbes, puisqu'il n'y a dans ces idiomes aucune espece de mot qui y prenne des formes temporelles ; mais puisque les verbes sont absolument nécessaires pour exprimer les objets de nos jugemens, qui sont nos principales & peut-être nos seules pensées ; il n'est pas possible d'admettre des langues sans verbes, à moins de dire que ce sont des langues avec lesquelles on ne sauroit parler. La vérité est qu'il y a des verbes dans tous les idiomes ; que dans tous ils sont caractérisés par l'idée générale de l'existence intellectuelle d'un sujet indéterminé sous une relation à une maniere d'être ; que dans tous en conséquence, la déclinabilité par tems en est une propriété essentielle ; mais qu'elle n'est qu'en puissance dans les uns, tandis qu'elle est en acte dans les autres.

Si l'on veut admettre une métonymie dans le nom que les grammairiens allemands ont donné au verbe en leur langue, il y aura assez de justesse : ils l'appellent das zeit-wort ; le mot zeit-wort est compose de zeit (tems), & de wort (mot), comme si nous disions le mot du tems. Il y a apparence que ceux qui introduisirent les premiers cette dénomination, pensoient sur le verbe comme Scaliger ; mais on peut la rectifier, en supposant, comme je l'ai dit, une métonymie de la mesure pour la chose mesurée, du tems pour l'existence.

IV. La définition que j'ai donnée du verbe, se prête encore avec succès aux divisions reçues de cette partie d'oraison ; elle en est le fondement le plus raisonnable, & elle en reçoit, comme par réflexion, un surcroît de lumiere qui en met la vérité dans un plus grand jour.

1°. La premiere division du verbe est en substantif & en adjectif ; dénominations auxquelles je voudrois que l'on substituât celles d'abstrait & de concret. Voy. SUBSTANTIF, art. II.

Le verbe substantif ou abstrait est celui qui désigne par l'idée générale de l'existence intellectuelle, sous une relation à une modification quelconque, qui n'est point comprise dans la signification du verbe, mais qu'on exprime séparément ; comme quand on dit, Dieu EST éternel, les hommes SONT mortels.

Le verbe adjectif ou concret est celui qui désigne par l'idée générale de l'existence intellectuelle sous une relation à une modification déterminée, qui est comprise dans la signification du verbe ; comme quand on dit, Dieu EXISTE, les hommes MOURRONT.

Il suit de ces deux définitions qu'il n'y a point de verbe adjectif ou concret, qui ne puisse se décomposer par le verbe substantif ou abstrait être. C'est une conséquence avouée par tous les grammairiens, & fondée sur ce que les deux especes désignent également par l'idée générale de l'existence intellectuelle ; mais que le verbe adjectif renferme de plus dans sa signification l'idée accessoire d'une modification déterminée, qui n'est point comprise dans la signification du verbe substantif. On doit donc trouver dans le verbe substantif ou abstrait, la pure nature du verbe en général ; & c'est pour cela que les philosophes enseignent qu'on auroit pu, dans chaque langue, n'employer que ce seul verbe, le seul en effet qui soit demeuré dans la simplicité de la signification originelle & essentielle, ainsi que l'a remarqué l'auteur de la grammaire générale. (Part. II. chap. xiij. édit. 1756.)

Quelle est donc la nature du VERBE être, ce verbe essentiellement fondamental dans toutes les langues ? Il y a près de deux cent ans que Robert Etienne nous l'a dit, avec la naïveté qui ne manque jamais à ceux qui ne sont point préoccupés par les intérêts d'un système particulier. Après avoir bien ou mal à propos distingué les verbes en actifs, passifs, & neutres, il s'explique ainsi : (Traité de la grammaire françoise, Paris 1569. pag. 37.) " Oultre ces trois sortes, il y a le verbe nommé substantif, qui est estre : qui ne signifie action ne passion, mais seulement il dénote l'estre & existence ou subsistance d'une chascune chose qui est signifiée par le nom joinct avec lui : comme je suis, tu es, il est. Toutesfois il est si nécessaire à toutes actions & passions, que nous ne trouverons verbes qui ne se puissent resouldre par luy ".

Ce savant typographe, qui ne pensoit pas à faire entrer dans la signification du verbe l'idée de l'affirmation, n'y a vu que ce qui est en effet l'idée de l'existence ; & sans les préjugés, personne n'y verroit rien autre chose.

J'ajoute seulement que c'est l'idée de l'existence intellectuelle, & je me fonde sur ce que j'ai déja allégué, que les êtres abstraits & généraux, qui n'ont & ne peuvent avoir aucune existence réelle, peuvent néanmoins être, & sont fréquemment sujets déterminés du verbe substantif.

Mais je ne déguiserai pas une difficulté que l'on peut faire avec assez de vraisemblance contre mon opinion, & qui porte sur la propriété qu'a le VERBE être, d'être quelquefois substantif ou abstrait, & quelquefois adjectif ou concret : quand il est adjectif, pourroit on dire, outre sa signification essentielle, il comprend encore celle de l'existence ; comme dans cette phrase, ce qui EST touche plus que ce qui A ETE, c'est-à dire, ce qui EST EXISTANT touche plus que ce qui A ETE EXISTANT : par conséquent on ne peut pas dire que l'idée de l'existence constitue la signification spécifique du verbe substantif, puisque c'est au contraire l'addition accessoire de cette idée déterminée qui rend ce même verbe adjectif.

Cette objection n'est rien moins que victorieuse, & j'en ai déja préparé la solution, en distinguant plus haut l'existence intellectuelle & l'existence réelle. Etre est un verbe substantif, quand il n'exprime que l'existence intellectuelle : quand je dis, par exemple, Dieu EST tout puissant, il ne s'agit point ici de l'existence réelle de Dieu, mais seulement de son existence dans mon esprit sous la relation de convenance à la toute-puissance ; ainsi est, dans cette phrase, est substantif. Etre est un verbe adjectif, quand à l'idée fondamentale de l'existence intellectuelle, on ajoute accessoirement l'idée déterminée de l'existence réelle ; comme Dieu EST, c'est-à-dire, Dieu EST EXISTANT REELLEMENT, ou Dieu est présent à mon esprit avec l'attribut déterminé de l'EXISTENCE REELLE.

Quoi que le VERBE être puisse donc devenir adjectif au moyen de l'idée accessoire de l'existence réelle, il ne s'ensuit point que l'idée de l'existence intellectuelle ne soit pas l'idée propre de sa signification spécifique. Que dis-je ? il s'ensuit au-contraire qu'il ne désigne par aucune autre idée, quand il est substantif, que par celle de l'existence intellectuelle ; puisqu'il exprime nécessairement l'existence ou subsistance d'une chascune chose qui est signifiée par le nom joinct avec lui ; que cette existence n'est réelle que quand être est un verbe adjectif ; & qu'apparemment elle est au-moins intellectuelle quand il est substantif, parce que l'idée accessoire doit être la même que l'idée fondamentale, sauve la différence des aspects, ou que le mot est le même dans les deux cas, hors la différence des constructions.

Il faut observer que cette réflexion est d'autant plus pondérante, qu'elle porte sur un usage universel & commun à toutes les langues connues & cultivées, & qu'on ne s'est avisé dans aucune de changer le verbe substantif en adjectif, par l'addition accessoire d'une idée déterminée autre que celle de l'existence réelle, parce qu'aucune autre n'est si analogue à celle qui constitue l'essence du verbe substantif, savoir l'existence intellectuelle. Dans tous les autres verbes adjectifs, le radical du substantif est détruit, il ne paroît que celui de l'idée accessoire de la modification déterminée ; & les seules terminaisons rappellent l'idée fondamentale de l'existence intellectuelle, qui est un élément nécessaire dans la signification totale des verbes adjectifs.

2°. Les verbes adjectifs se soudivisent communément en actifs, passifs, & neutres. Cette division s'accommode d'autant mieux avec la définition générale du verbe, qu'elle porte immédiatement sur l'idée accessoire de la modification déterminée qui rend concret le sens des verbes adjectifs : car un verbe adjectif est actif, passif ou neutre, selon que la modification déterminée, dont l'idée accessoire modifie celle de l'existence intellectuelle, est une action du sujet, ou une impression produite dans le sujet sans concours de sa part, ou simplement un état qui n'est dans le sujet ni action ni passion. Voyez ACTIF, PASSIF, NEUTRE, RELATIF, art. I.

Toutes les autres divisions du verbe adjectif, ou en absolu & relatif, ou en augmentatif, diminutif, fréquentatif, inceptif, imitatif, &c. ne portent pareillement que sur de nouvelles idées accessoires ajoutées à celle de la modification déterminée qui rend concret le sens du verbe adjectif ; & par conséquent elles sont toutes conciliables avec la définition générale, qui suppose toujours l'idée de cette modification déterminée.

Après ce détail où j'ai cru devoir entrer, pour justifier chacune des idées élémentaires de la notion que je donne du verbe, détail qui comprend, par occasion, l'examen des définitions les plus accréditées jusqu'à présent ; celle de P. R. & celle de Scaliger ; je me crois assez dispensé d'examiner les autres qui ont été proposées ; si j'ai bien établi la mienne, les voilà suffisamment refutées, & je ne ferois au-contraire qu'embarrasser de plus en plus la matiere, s'il reste encore quelque doute sur ma définition. Je n'ajouterai donc plus qu'une remarque pour achever, s'il est possible, de répandre la lumiere sur l'ensemble de toutes les idées que j'ai réunies dans la définition générale du verbe.

La grammaire générale dit que c'est un mot dont le principal usage est de signifier l'affirmation. Cette idée de l'affirmation, que j'ai rejettée, n'est pas la seule chose que l'on puisse reprocher à cette définition, & en y substituant l'idée que j'adopte de l'existence intellectuelle, je définirois encore mal le verbe, si je disois simplement que c'est un mot dont le principal usage est de signifier l'existence intellectuelle, ou même plus briévement & avec plus de justesse, un mot qui signifie l'existence intellectuelle. Cette définition ne suffiroit pas pour expliquer tout ce qui appartient à la chose définie ; & c'est un principe indubitable de la plus saine logique, qu'une définition n'est exacte qu'autant qu'elle contient clairement le germe de toutes les observations qui peuvent se faire sur l'objet défini. C'est pourquoi je dis que le verbe est un mot déclinable indéterminatif qui désigne seulement par l'idée générale de l'existence intellectuelle, sous une relation à une modification.

Je sais bien que cette définition sera trouvée longue par ceux qui n'ont point d'autre moyen que la toise, pour juger de la briéveté des expressions ; mais j'ose espérer qu'elle contentera ceux qui n'exigent point d'autre briéveté que de ne rien dire de trop. Or :

1°. Je dis en premier lieu que c'est un mot déclinable, afin d'indiquer le fondement des formes qui sont communes au verbe, avec les noms & les pronoms ; je veux dire les nombres sur-tout, & quelquefois les genres.

2°. Je dis un mot déclinable indéterminatif ; & parlà je pose le fondement de la concordance du verbe, avec le sujet déterminé auquel on l'applique.

3°. J'ajoute qu'il désigne par l'idée générale de l'existence, & voilà bien nettement l'origine des formes temporelles, qui sont exclusivement propres au verbe, & qui expriment en effet les diverses relations de l'existence à une époque.

4°. Je dis que cette existence est intellectuelle ; & par-là je prépare les moyens d'expliquer la nécessité du verbe dans toutes les propositions, parce qu'elles expriment l'objet intérieur de nos jugemens ; je trouve encore dans les différens aspects de cette idée de l'existence intellectuelle, le fondement des modes dont le verbe, & le verbe seul, est susceptible.

5°. Enfin je dis l'existence intellectuelle sous une relation à une modification : & ce dernier trait, en facilitant l'explication du rapport qu'a le verbe à l'expression de nos jugemens objectifs, donne lieu de diviser le verbe en substantif & adjectif, selon que l'idée de la modification y est indéterminée ou expressément déterminée ; & de soudiviser ensuite les verbes adjectifs en actifs, passifs, ou neutres, en absolus ou relatifs, &c. selon les différences essentielles ou accidentelles de la modification déterminée qui en rend le sens concret.

J'ose donc croire que cette définition ne renferme rien que de nécessaire à une définition exacte, & qu'elle a toute la briéveté compatible avec la clarté, l'universalité & la propriété qui doivent lui convenir ; clarté qui doit la rendre propre à faire connoître la nature de l'objet défini, & à en expliquer toutes les propriétés essentielles ou accidentelles : universalité qui doit la rendre applicable à toutes les especes comprises sous le genre défini, & à tous les individus de ces especes, sous quelque forme qu'ils paroissent : propriété enfin, qui la rend incommunicable à tout ce qui n'est pas verbe. (B. E. R. M.)

VERBE, s. m. (Théolog.) terme consacré dans l'Ecriture, & parmi les théologiens, pour signifier le fils unique de Dieu, sa sagesse incréée, la seconde personne de la sainte Trinité, égale & consubstantielle au pere.

Il est à remarquer que dans les paraphrases chaldaïques des livres de Moïse, ce Verbe qui est appellé par les Grecs , & par les Latins sermo ou verbum, est nommé memra, & l'on prétend avec fondement que les auteurs de ces paraphrases ont voulu désigner sous ce terme le fils de Dieu, la seconde personne de la sainte Trinité : or leur témoignage est d'autant plus considérable qu'ayant vêcu avant Jesus-Christ, ou du tems de Jesus-Christ, ils sont des témoins irréprochables du sentiment de leur nation sur cet article ; dans la plûpart des passages où se trouve le nom sacré de Jehovah, ces paraphrastes ont substitué le nom de Memra qui signifie le Verbe, & qui differe du Pitgama qui en chaldéen signifie le discours ; & comme ils attribuent au Memra tous les attributs de la divinité, on en infere qu'ils ont cru la divinité du Verbe.

En effet c'est selon eux le Memra qui a créé le monde ; c'est lui qui apparut à Abraham dans la plaine de Mambré, & à Jacob au sommet de Béthel. C'étoit ce même Verbe qui apparut à Moïse sur le mont Sinaï, & qui donna la loi aux Israélites. Tous ces caracteres & plusieurs autres où les paraphrastes emploient le nom de Memra, désignent clairement le Dieu tout-puissant, & les Hébreux eux-mêmes ne le désignoient que par le nom Jéhovah ; ce Verbe étoit donc Dieu, & les Hébreux le croyoient ainsi du tems que le targum a été composé. Voyez TARGUM.

Le Memra répond au cachema, ou à la sagesse dont parle Salomon dans le livre des proverbes & dans celui de la sagesse, où il dit que Dieu a créé toutes choses par son Verbe, omnia in Verbo tuo fecisti, & qu'il appelle la parole toute-puissante de Dieu, omnipotens sermo tuus.

Philon, fameux juif qui a vêcu du tems de Jesus-Christ, & qui avoit beaucoup étudié Platon, se sert à-peu-près des mêmes manieres de parler. Il dit par exemple, lib. de mundi opificio, que Dieu a créé le monde par son Verbe, que le monde intelligible n'est autre que le Verbe de Dieu qui créa le monde, que ce Verbe invisible est la vraie image de Dieu. Les Platoniciens, pour marquer le Créateur de toutes choses, se servoient quelquefois du mot , qui est employé dans saint Jean pour signifier le Verbe éternel. Les Stoïciens s'en servoient aussi contre les Epicuriens qui soutenoient que tout étoit fait au hasard & sans raison, au-lieu que les Platoniciens & les Stoïciens prétendoient que tout avoit été fait par le ou la raison, & la sagesse divine. Au reste, c'est par surabondance de droit que nous citons ces philosophes & Philon lui-même ; car on doute avec raison que les Platoniciens, les Stoïciens, & Philon, aient entendu par ce terme le Verbe de Dieu, & Dieu lui-même, de la maniere que nous l'entendons, & les Ecritures seules nous fournissent assez de preuves convaincantes de la divinité du Verbe.

L'autorité des paraphrastes embarrasse les nouveaux Ariens ; pour l'éluder Grotius a prétendu que Dieu avoit produit, selon les Juifs, un être subalterne, dont il se servit pour la création de l'Univers ; mais cet être qui crée, quel qu'il soit, est nécessairement Dieu, puisqu'il n'y a que Dieu qui ait ce pouvoir, & le targum l'attribue à Memra ou au Verbe. M. le Clerc écrivant sur le premier chapitre de S. Jean, dit à-peu-près la même chose, & soutient que Philon dans tout ce qu'il a dit du , ne regarde pas le Verbe comme une personne distincte, mais qu'il en fait un ange & un principe inférieur à la divinité ; mais les orthodoxes ne se croient pas obligés à conformer leurs idées à celles de Philon, ou à les justifier. Ils ne font pas profession de le prendre pour guide en matiere de foi, ils s'en rapportent à ce qu'en a dit l'apôtre S. Jean dans son évangile, dans sa premiere épitre, & dans son apocalypse, où mieux instruit de la divinité du Verbe que Philon, & par des lumieres dont celui-ci ne fut jamais favorisé, il nous a dévoilé la nature du Verbe, sur tout lorsqu'il a dit : au commencement étoit le Verbe, & le Verbe étoit avec Dieu, & le Verbe étoit Dieu. Il étoit au commencement avec Dieu : toutes choses ont été faites par lui, & rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui, &c.

Les Ariens ont nié la divinité & la consubstantialité du Verbe, mais leurs erreurs ont été condamnées par les conciles, & entr'autres par celui de Nicée, qui ont fixé le langage de l'Eglise sur cette importante matiere : elles ont été renouvellées dans le seizieme siecle, par Servet, Socin, & leurs disciples, connus sous le nom d'antitrinitaires. Voyez ARIENS, SERVETISTES, SOCINIENS, UNITAIRES.

Le Verbe est engendré du Pere éternel, & cela de toute éternité, parce que le pere n'a pu être un seul instant sans se connoître, ni se connoître sans produire un terme de cette connoissance, qui est le Verbe. Le Verbe procede donc du Pere, par voie de connoissance & d'entendement. Les théologiens disent qu'il procede de la connoissance de l'essence divine, & de ses attributs absolus, & non seulement de la connoissance que le pere a de lui-même & de sa nature, mais encore de celle de lui même & du S. Esprit, & enfin de celle des choses possibles & des choses futures, parce qu'il est l'image de toutes ces choses, aussi-bien que de la nature divine. Voyez FILS, GENERATION, PERE, TRINITE, PERSONNE, PROCESSION, &c.


VERBÉRATIONS. f. (Physiq.) est un terme usité par quelques auteurs, pour exprimer la cause du son, qui vient d'un mouvement de l'air frappé de différentes manieres par les différentes parties du corps sonore qui a été mis en mouvement. Voyez SON.

Ce mot est formé du latin verbero, je frappe. Chambers.


VERBERIE(Géog. mod.) bourg de France dans la Picardie, sur le bord de l'Oise, à 4 lieues de Senlis, & à égale distance de Compiegne. Il est connu par trois conciles qui s'y sont tenus ; l'un en 853, le deuxieme l'an 863, & le troisieme l'an 869. Ce bourg a une église paroissiale, ainsi qu'une fontaine d'eaux minérales, froides, insipides, & qui participent d'un sel semblable au sel commun. (D.J.)


VERBEUXadj. (Gram.) qui dit peu de choses en beaucoup de paroles. Montagne est un des premiers qui ayent employé ce mot. Il dit : " à bien vienner, à prendre congé, à saluer, à présenter mon service, & tels complimens verbeux des loix cérémonieuses de notre civilité ; je ne connois personne si sottement stérile de langage que moi ".


VERBIAGES. m. (Gram.) amas confus de paroles vuides de sens. Il y a bien du verbiage aux yeux de la logique & du bon sens. Il y a peu de poëtes que les regles séveres de la poésie n'aient fait verbiager quelquefois.


VERBINUM(Géog. anc.) ville de la Gaule belgique, dans le pays des Veromandui. L'itinéraire d'Antonin la place sur la route de Bagacum Nerviorum à Durocortorum Remorum, entre Duronum & Catusiacum, à 10 milles de la premiere de ces places, & à 6 de la seconde. Le nom moderne de Verbinum est Vervins. (D.J.)


VERBOQUETS. m. (Méchan.) contre lien, ou cordeau qu'on attache à l'un des bouts d'une piece de bois ou d'une colonne, & au gros cable qui la porte, pour la tenir mieux en équilibre, & pour empêcher qu'elle ne touche à quelque saillie ou échaffaud, & qu'elle ne tournoie quand on la monte. On dit aussi virebouquet, parce que la corde fait tourner la piece dans le sens que l'on veut. (D.J.)


VERCEIL(Géog. mod.) en latin Vercellae ; ville d'Italie dans le Piémont, sur les confins du Milanès, au confluent de la Sessia & de la Cerva, à 15 lieues au sud-ouest de Milan, & à égale distance au nord-est de Turin. Elle est la capitale d'une seigneurie de son nom, & est honorée d'un siege épiscopal. On y voit plusieurs couvens de l'un & de l'autre sexe. Son hôpital est un des beaux d'Italie ; ses rues sont larges ; ses fortifications sont régulieres, & composent quatorze bastions tous revêtus : cependant les François prirent cette ville en 1704. Elle a eu différens maîtres, après avoir été libre & république ; enfin elle tomba sous la domination des ducs de Milan, & delà sous celle des ducs de Savoye qui la possédent aujourd'hui. Long. 25. 48. lat. 45. 19.

Baranzano (Redemptus), religieux, a été dans le xvij. siecle l'un des premiers de son pays, qui ait osé s'écarter de la route d'Aristote en philosophant. Cependant la Mothe le Vayer rapporte que ce bon barnabite l'avoit assuré plusieurs fois, & toujours sous le bon plaisir de Dieu, qu'il se feroit revoir à lui, s'il partoit le premier de ce monde. Il ne tint pas sa parole, quoiqu'il soit mort plus de 40 ans avant M. le Vayer ; & il vérifia la sentence de Catulle, Epigr. iij.

Qui nunc it per iter tenebricosum,

Illuc undè negant redire quemquam.

Panthaleon, auteur presqu'inconnu du xv. siecle, naquit à Verceil ; il devint premier médecin de Philibert I. quatrieme duc de Savoie, vers l'an 1470. Il a fait un livre de lacticiniis, imprimé à Lyon en 1525, in-4°. (D.J.)


VERCELLAE(Géog. anc.) ville d'Italie dans la Transpadane. Ptolémée, l. III. c. j. la donne aux peuples Lybyci. Pline, l. III. c. xvij. dit qu'elle devoit son origine aux Salyi ou Salluvii. Tacite, Hist. l. I. c. lxx. la met au nombre des municipes les mieux fortifiées de la Transpadane.

Selon l'itinéraire d'Antonin qui la nomme Vercellis & Vergellenorum, elle étoit sur la route de Milan à Vienne, en passant les Alpes graïennes entre Novare & Ivrée, à 16 milles de la premiere de ces places, & à 33 de la seconde.

S. Jerôme, Epist. xvij. écrit aussi Vercellis. Il la place dans la Ligurie au pié des Alpes, & dit qu'elle étoit puissante autrefois ; mais que de son tems elle étoit à demi ruinée, & n'avoit qu'un petit nombre d'habitans. Cette ville conserve encore son ancien nom : on l'appelle présentement Verceil. Voyez VERCEIL. (D.J.)


VERCHE-REVIER(Géog. mod.) c'est-à-dire riviere-fraîche ; nom d'une riviere de la Laponie suédoise. Elle entre dans la Laponie moscovite, & se jette enfin dans la mer Blanche. (D.J.)


VERCHERES. f. (Jurisp.) vercheria ; terme usité dans quelques provinces, comme en Auvergne : pour exprimer un verger, ou lieu planté d'arbres & de légumes. Quelques-uns ont cru mal à-propos que verchere signifioit un fonds donné en dot à une fille, sous prétexte que dans quelques anciennes chartes il est parlé de vercheres qui avoient été données en dot, le terme verchere désignant la qualité de la culture du bien, & non le titre auquel il est donné. Voy. le glossaire de Ducange au mot vercheria, & à la lettre B, au mot berbicaria, article vercheria. (A)


VERDadj. (Optiq.) est une des couleurs primitives des rayons de lumieres. Voyez COULEUR, RAYON & LUMIERE.

S'il tombe de l'urine, du jus de citron, ou de l'esprit de vitriol sur un ruban verd, il devient bleu, parce que ces liqueurs mangent tellement le jaune qui entre dans cette couleur, qu'il n'y reste plus que le bleu. Voyez BLEU, JAUNE, &c. Chambers.

VERD, (Physiq.) il y a des écrivains fort distingués, qui ont regardé comme un effet de la providence, le soin qu'elle a eu de tapisser la terre de verd, plutôt que de toute autre couleur, parce que le verd est un si juste mêlange du clair & du sombre, qu'il réjouit & fortifie la vûe, au-lieu de l'affoiblir ou de l'incommoder. De là vient que plusieurs peintres ont un tapis verd pendu tout auprès de l'endroit où ils travaillent, pour y jetter les yeux de tems-en-tems, & les délasser de la fatigue que leur cause la vivacité des couleurs. Toutes les couleurs, dit Newton, qui sont plus éclatantes, émoussent & dissipent les esprits animaux employés à la vûe ; mais celles qui sont plus obscures ne leur donnent pas assez d'exercice, au lieu que les rayons qui produisent en nous l'idée du verd, tombent sur l'oeil dans une si juste proportion, qu'ils donnent aux esprits animaux tout le jeu nécessaire, & par ce moyen ils excitent en nous une sensation fort agréable. Que la cause en soit tout ce qu'il vous plaira, on ne sauroit douter de l'effet, & c'est pour cela même que les Poëtes donnent le titre de gai à cette couleur. (D.J.)

VERD, s. m. (Teinturerie) le verd des Teinturiers n'est pas une couleur simple, mais elle se fait du mêlange de deux des couleurs qu'on appelle simples ou primitives. C'est de l'union du jaune & du bleu que se font toutes les sortes de verd qu'on donne aux étoffes déjà fabriquées, ou aux soies, laines, fils & cotons qu'on met à la teinture, pour en fabriquer. Les principaux verds que produit ce mêlange, suivant le plus ou le moins qu'on met de chacune de ces deux couleurs, sont :

Il n'est pas possible de rapporter tous les différens verds que peut produire la teinture, ne dépendant que du teinturier d'en faire à son gré de nouvelles, en augmentant ou diminuant la dose de l'une & de l'autre couleur primitive, avec lesquelles il les compose. Les couleurs d'olive, depuis les plus brunes jusque aux plus claires, ne sont que du verd rabattu avec de la racine, ou du bois jaune, ou de la suie de cheminée.

Tout verd doit être premierement teint en bleu, puis rabattu avec bois de campêche & verdet, & ensuite gaudé, n'y ayant aucun ingrédient dont on puisse se servir seul pour teindre en verd. On appelle verd naissant, cette couleur vive & agréable qui ressemble à celle qu'ont les feuilles des arbres au printems ; on la nomme aussi verd gai & verd d'émeraude. Le verd de mer est la couleur dont paroît la mer quand elle est vue de loin ; elle tire un peu sur le bleu, ou comme on dit en terme de Teinture, elle est plus lavée que le verd gai. Le verd brun tire sur le noir, aussi en est il mêlé pour le brunir. L'urine, le jus de citron, & l'esprit de vitriol, déteignent les verds, & les rendent bleus, leur acide consommant le jaune de la gaude. (D.J.)

VERD de Corroyeur, (Corroyerie) il est composé de gaude, dont il faut une botte sur six seaux d'eau, à quoi l'on ajoute, après que le tout a bouilli six heures à petit feu, quatre livres de verd-de-gris. (D.J.)

VERD D'AZUR, (Hist. nat.) nom donné par quelques personnes à la pierre appellée communément lapis armenus.

VERD DE MONTAGNE, (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme une substance minérale, de la couleur du verd-de-gris artificiel, qui est formée par la nature, & qui se montre dans les souterrains de quelques mines de cuivre. On l'appelle aussi aerugo nativa, ochra cupri viridis, chysocolla viridis, viride montanum. Ce n'est autre chose que du cuivre mis en dissolution dans le sein de la terre. Sa couleur verte varie pour les nuances, & est tantôt plus, tantôt moins foncée. Le verd de montagne varie aussi pour la consistance & la figure ; il y en a qui est comme de la terre, tandis que d'autre est plus compacte & feuilletée, & quelquefois solide comme la malachite. Le verd de montagne est quelquefois en petites houpes soyeuses, & formé d'un assemblage de petites stries ou d'aiguilles, comme dans la mine de cuivre soyeuse de la Chine. D'autres fois cette substance est en globules, & en petits points répandus dans de la pierre : c'est une vraie mine de cuivre.

La Hongrie fournit, dit-on, le plus beau verd de montagne, il se trouve ordinairement joint avec une terre calcaire, qui fait effervescence avec les acides ; l'action du feu lui fait perdre sa couleur. Cependant cette regle n'est point générale, & M. Pott a trouvé du verd de montagne sur qui les acides n'agissoient point. En effet, la couleur verte du cuivre peut se joindre avec des terres de différentes natures.

Le verd de montagne est une couleur qui s'employe dans la peinture.

VERD DE PRATA, (Hist. nat.) en italien verde di Prata. Nom donné à un marbre d'un verd tirant sur le jaune, rempli de veines bleuâtres suivant les uns, & de veines rouges suivant d'autres. Son nom vient de Prata en Toscane, d'où on le tire.

VERD ANTIQUE, (Hist. nat.) les Italiens appellent verde antico ou verd antique, un marbre verd, rempli de taches ou de veines blanches : les anciens l'appelloient marmor Tiberium ou marmor Augustum : il venoit d'Egypte, d'où ces empereurs l'avoient fait venir.

VERD MODERNE, (Hist. nat.) on nomme ainsi un marbre verd, rempli de taches & de veines blanches & noires, que les Italiens nomment verde moderno, o cipollino moderno, ou verde meschio, cipollacio pardiglio, bigio antico. Il est d'un verd pâle, très-dur, prend très-bien le poli ; il se trouve en Italie. Scheuchzer dit qu'il se trouve un marbre verd, mêlé de veines & de taches noires, pourpres & blanches, dans le canton de Berne en Suisse. On trouve aussi un marbre verd, tacheté de blanc & de noir, à Brieg en Silésie. Voyez d'Acosta, natural history of fossils.

VERD-DE-GRIS, ou VERDET, (Chymie) on entend sous cette dénomination toute rouille verte ou bleue, qui se forme sur tous les vaisseaux & instrumens qui sont faits de cuivre ou d'autres compositions métalliques non malléables, où le cuivre entre, & qui sont connues sous différens noms, comme laiton, bronze, similor, &c. dont on se sert dans les arts pour faire une infinité de machines.

Cette rouille qu'on appelle verdet ou verd-de-gris, & qui se forme sur ces différens instrumens, est une dissolution de cuivre, que presque tous les dissolvans tant aqueux, huileux, acides, salins, &c. attaquent.

Ce n'est pas de ce verd-de-gris que j'ai à parler dans cet article ; c'est de celui qui se prépare depuis plusieurs siecles à Montpellier, où il forme une branche de commerce très considérable.

Depuis très-long-tems, les habitans de la seule ville de Montpellier étoient en possession de préparer tout le verd-de gris que les étrangers demandoient ; & les personnes qui le fabriquoient, s'imaginoient qu'on n'en pouvoit faire que dans cette seule ville. On leur a démontré le contraire, comme on le verra dans la suite de cet article. Depuis plusieurs années, on en fabrique dans les villes & villages des environs de Montpellier.

Je vais donner le détail de tout ce qui concerne l'art de faire le verd-de-gris, & de tout ce qui concourt à faire cette opération, d'après les mémoires que j'ai donnés, qui sont imprimés dans le volume des années 1750, 1753 de l'académie royale des Sciences.

Pour traiter cette matiere avec ordre, nous examinerons le cuivre qu'on employe, & la maniere dont on le prépare ; les vaisseaux de terre dont on se sert ; la nature du vin, le choix qu'on en doit faire, & la maniere de préparer les grappes ou raffles. Nous rapporterons ensuite scrupuleusement la maniere dont on s'y prend pour faire cette opération.

Le cuivre dont on se sert pour faire le verd-de-gris, se tire de Suede par la voie d'Hambourg. Il est en plaques circulaires de 20 à 21 pouces de diamêtre ; son épaisseur est d'une demi-ligne à peu de chose près ; chaque plaque est du poids de quatre livres & demie jusqu'à six.

On retire de chaque plaque circulaire par le moyen du ciseau 28 lames, auxquelles les chauderonniers donnent en les coupant différentes figures ; les unes ont celle d'un parallélogramme ; les autres ont deux angles droits & un côté curviligne. Ces figures différentes sont très-utiles pour l'arrangement des lames dans les vases.

On bat chaque lame en particulier sur une enclume, pour corriger les inégalités que le ciseau peut avoir laissées sur les bords, & pour polir leur surface, afin que la dissolution se fasse plus uniformément, & qu'on puisse les racler plus commodément ; ces lames sont du poids de deux onces jusqu'à quatre onces & demie.

Quelques particuliers préparent les lames neuves de cuivre avant de s'en servir ; cette préparation consiste à les ensevelir pendant trois ou quatre jours dans du verd-de-gris. Ils assurent que par cette préparation elles ne s'échauffent pas tant, lorsqu'elles sont mêlées avec les grappes, & que la dissolution s'en fait mieux. D'autres n'emploient point cette méthode qu'ils regardent comme inutile ; il est vrai que les lames se dissolvent sans cette préparation, mais non pas si aisément ; ainsi je pense qu'il convient de les préparer de cette façon lorsqu'elles sont neuves ; l'acide surabondant qui est dans le verdet, dans lequel on les ensevelit, les pénetre, & par-là facilite la dissolution. Ce qui prouve ultérieurement l'utilité de cette préparation, c'est que les lames qui ont déjà servi se rouillent plus tôt, parce qu'elles ont été pénétrées par l'acide du vin dans les opérations antérieures.

Les vaisseaux dont on se sert pour faire le verd-de-gris, sont des especes de jarres ou d'urne, qu'on appelle dans la langue vulgaire du pays oule, c'est-à-dire pot. Si on ne prépare ces vaisseaux, ils perdent le vin qu'on y met. Cette préparation consiste à les faire bien tremper huit ou dix jours dans de la vinasse, ou dans du vin si on n'avoit point de vinasse.

Ils sont de poterie, mais mal cuite ; & quand ces pots ont été bien pénétrés par la vinasse, on les lave avec la même liqueur, pour détacher & emporter quelques parties tartareuses qui s'étoient attachées aux parois ; après ils sont très-propres pour faire le verd-de-gris.

L'expérience a appris que plus ces vases ont servi, plus ils sont propres à cette préparation ; mais après un certain tems on a soin de les écurer exactement avec du sable & de la vinasse, pour emporter les parties grasses & mucilagineuses qui par des opérations réitérées s'attachent à leurs parois.

Ces vaisseaux de terre sont d'une grandeur différente ; on ne sçauroit là-dessus établir rien de positif. Communément ils ont seize pouces de hauteur, quinze pouces ou environ de diamêtre à la partie la plus large ; leur ouverture est de douze pouces ou environ, autour de laquelle regne un rebord courbé en-dedans, qui a un pouce & demi de largeur.

On range dans ces vaisseaux cent lames de cuivre, plus ou moins ; il est de l'intérêt du particulier d'y en placer beaucoup ; par-là il consomme moins de vin.

Tous les vins ne sont pas également propres à faire le verd-de-gris. Les vins verds, aigres & moisis, comme aussi ceux qui sont doux donnent peu de verd-de-gris. Les vins blancs en général sont moins propres à faire cette préparation, que les vins rouges de bonne qualité ; les premiers en se décomposant comme les vins doux, engraissent ou graissent les grappes & les vases : on ne demande pas que les vins aient une belle couleur, il suffit qu'ils n'aient pas les qualités que nous venons d'indiquer, mais il faut qu'ils aient du feu (comme parlent les particuliers) c'est-à-dire qu'ils soient spiritueux : aussi tout l'essai qu'ils font du vin pour connoître s'il est propre pour cette opération, consiste à le faire brûler ; celui qui brûle le mieux est toujours préféré, & lorsqu'il ne brûle point, on le rejette. Plus un vin rouge donne d'eau de-vie, plus il est propre pour le verd-de-gris ; ainsi quand le particulier qui en fait employe de bon vin rouge, qui brûle bien & qui est bien spiritueux, il doit être assuré d'avoir une bonne recolte de verdet, pourvû que les autres causes qui concourent à cette opération ne soient point dérangées dans leur action, comme nous l'exposerons dans la suite de cet article. C'est donc principalement du choix du vin que dépend le succès de cette préparation.

Les vins de Saint-George, de Saint-Drezery & de quelqu'autres terroirs des environs de Montpellier, sont extrêmement renommés : si on n'aimoit pas mieux les réserver pour les boire, ce qui est plus avantageux à tous égards, on pourroit les employer pour le verd-de-gris, ils donneroient pour chaque vase deux livres & jusqu'à trois livres de verdet, pourvû que toutes les autres causes fussent d'ailleurs dans l'état convenable.

Les grappes ou rafles demandent des préparations avant de les employer : on les ramasse dans le tems des vendanges. La premiere préparation consiste à les faire bien sécher au soleil ; il faut avoir soin de les remuer de tems en tems, pendant qu'elles sont exposées à l'air, & prendre garde qu'il ne pleuve dessus : si on négligeoit ces précautions, on les verroit bien-tôt noircir, elles deviendroient peu propres à faire aigrir le vin, & il faudroit absolument les rejetter, comme le pratiquent en pareil cas les femmes qui sont du verdet. Lorsque les grappes sont parfaitement séches, on les serre au haut de la maison : je ferai remarquer, que lorsqu'on serre les grappes séchées au soleil, il ne faut pas les mettre dans un endroit où il y ait de l'huile, & moins encore, comme le font par mégarde quelques particuliers les envelopper dans des draps qui ont été imbibés d'huile (tels sont ceux qui ont servi à serrer les olives avant de les porter au moulin), parce qu'elles s'engraissent, & deviennent peu propres à l'opération que nous allons décrire, comme aussi on ne doit point employer des vaisseaux de terre qui ont contenu quelque corps gras ou huileux ; ils s'engraissent aussi-bien que les grappes. La seconde préparation consiste à fouler ces grappes de vin, comme on va l'exposer sur le champ.

Procédé dont on se sert aujourd'hui pour faire le verd-de-gris. On prend une certaine quantité de grappes bien séchées au soleil, & on les fait tremper pendant huit ou dix jours dans de la vinasse ; par cette macération, elles acquierent environ le double de leur poids : au défaut de vinasse, on peut les faire macérer dans du vin. Cette premiere opération, & toutes celles qui suivent se font à la cave ; quelques particuliers en petit nombre les font au rez-de-chaussée, & en d'autres lieux plus élevés. Voyez mémoires de l'acad. royale des Sciences année 1753. pag. 626.

Les grappes étant bien pénétrées de vinasse ou de vin, on les laisse égoutter un moment sur une corbeille ; ensuite en les mêlant bien, on en forme un peloton qu'on met dans le vase de terre ; chaque peloton contient environ deux livres de grappes séches, qui imbibées pesent environ quatre liv. on verse par-dessus trois pots de vin qui équivalent à quatre pintes de Paris. On appelle cette manoeuvre dans le pays, aviner ; on a soin de retourner ces grappes sens-dessus-dessous, pour qu'elles soient bien humectées par le vin ; on couvre ensuite le vase d'un couvercle, qui est fait avec les ronces & la paille de seigle, qui a un pouce d'épaisseur, & autour duquel il y a un rebord, afin qu'il ferme exactement le vaisseau.

J'ajouterai, que quand on ne met pas les grappes tout-à-la-fois dans le vase, on les remue mieux, & que lorsqu'on fait le mêlange de vin & des grappes, il faut les bien battre ensemble, jusqu'à faire écumer le vin ; mais on ne peut bien faire cette manoeuvre qu'avec la moitié de grappes qui entrent dans chaque vase. Dès qu'on a battu dans un vaisseau la moitié du vin & des grappes suffisant pour le charger : on agite de même l'autre moitié de vin & de rafles dans un second ; après quoi on met les grappes de ce second dans le premier pour achever de le charger.

Toutes les grappes qui entrent dans un vase ayant été bien pénétrées par le vin, la fermentation se fait beaucoup mieux ; cette agitation rapide, communiquée au vin, favorisant sa décomposition.

Plusieurs particuliers qui font du verdet, remuent les grappes au bout de deux, trois, quatre, cinq & six jours, suivant que la saison plus ou moins froide, & le vin plus ou moins spiritueux les pressent : c'est pour empêcher qu'elles ne s'échauffent trop ; la fermentation acide commençant alors, la chaleur dénote que le vin se décompose. Ils observent de tenir les pots bien bouchés, afin que la fermentation ne se fasse pas trop vîte : d'autres au contraire, trouvent cette manoeuvre défectueuse, parce qu'elle interrompt le mouvement intestin qui s'excite dans le vin par le moyen des grappes, & fait perdre ce premier esprit qui s'est développé par ce mouvement : c'est par cette seule raison que la plûpart ne remuent plus les grappes après avoir aviné ; la fermentation n'étant point troublée & se faisant par degrés, on ne perd rien de l'esprit & de l'acide le plus volatil qui est le véritable dissolvant du cuivre.

Parmi ceux qui manoeuvrent de cette maniere, les uns quand ils apperçoivent que la fermentation est en bon train, les autres quand elle tire vers sa fin, mettent les grappes sur deux morceaux de bois, dont chacun ordinairement est un parallélépipede de 10 pouces de longueur, d'un pouce 3 lignes de largeur, & de 7 lignes d'épaisseur. Ils placent ces deux morceaux de bois en forme de croix, à 1 ou 2 pouces de distance de la superficie du vin changé en vinasse : la plûpart attendent que la grande chaleur des grappes soit passée ; ils les laissent dans cette situation trois ou quatre jours pour faire, disent-ils, monter l'esprit ; au bout de ce tems ils couvent, c'est-à-dire qu'ils regardent les grappes de raisins comme prêtes à recevoir les lames de cuivre, & ont soin d'ôter du vase la vinasse & les morceaux de bois.

Les personnes qui s'adonnent à cette préparation reconnoissent de plusieurs manieres le point de la fermentation, & je vais donner celles qui me paroissent le plus essentielles. Ce sont des femmes qui font toute la manoeuvre de cette opération ; elles disent que quand il y a une espece de rosée qui ne recouvre que les grappes, placées vers le milieu de la couche supérieure, & qui ne paroît point sur les autres grappes de la même couche qui sont autour de la paroi du vase ; cette rosée est une marque que la fermentation est au point desiré, & qu'on doit saisir cet instant pour ranger les lames de cuivre ; car ce tems manqué, l'acide & l'esprit le plus pénétrant, & le plus volatil, qui est le principal agent de la dissolution de ce métal, se dissipent.

Mais quoique ces attentions suffisent pour connoître le point de fermentation nécessaire à l'opération que nous décrivons, ce que je vais dire des moyens employés pour connoître mieux le point requis de la fermentation acide, de maniere à ne pas s'y tromper, est d'une extrême importance, puisqu'il ne s'agit pas moins que de déterminer avec précision le moment auquel on doit mettre les grappes avec les lames de cuivre. On reconnoit que la fermentation est au degré requis & qu'il faut couver, à une pellicule extrêmement mince qui se forme à la surface du vin changé en vinasse (l'on dit alors que le vin est couvert). Je ne puis mieux comparer cette pellicule qu'à celles qui se forment dans les sources d'eaux minérales vitrioliques ferrugineuses ; tous les chymistes savent qu'il s'en forme dans toutes les liqueurs qui sont sujettes à passer à la fermentation acide. On ne peut bien appercevoir cette pellicule que quand les grappes sont suspendues sur des morceaux de bois ; pour la bien voir, il faut d'abord plonger la main dans le vase, & se faire jour par un de ses côtés, après quoi l'on prend doucement les dernieres grappes qui sont les plus voisines de la superficie du vin, & avec le secours d'une chandelle allumée on distingue très-bien la pellicule lorsqu'elle est formée ; autrement les grappes étant mêlées avec le vin, pour peu qu'on les remue, elles la détruisent ; & il est presque impossible de l'appercevoir. La méthode que je viens de rapporter, est plus exacte qu'aucune autre ; c'est par elle qu'on s'assure que le vin ne donne plus de cet acide uni à la partie inflammable qui s'éleve & s'attache aux grappes, & qui étant le premier dissolvant du cuivre, influe essentiellement sur la réussite de l'opération.

Voici un autre moyen pour reconnoître quand la fermentation est finie : on va visiter de-tems-en-tems les pots de verdet, on ôte le couvercle ; & si on apperçoit que le dessous est mouillé, c'est une marque que le vin se décompose, & qu'il se fait alors une vraie distillation ; l'humidité du couvercle augmente par degrés, & dure plus ou moins de tems, à proportion de la bonté du vin & du degré de chaleur qui le presse. Dès que le dessous du couvercle est sec, après cette grande humidité, on peut être assûré que le vin a cessé de fournir, en se décomposant, le dissolvant volatil du cuivre, & que les grappes sont prêtes pour le couvage.

Voici encore un autre indice non moins assuré que ceux que je viens de rapporter, pour reconnoître le moment précis où il faut couver. On met sur les grappes une plaque de cuivre chauffée, posée de plat à un des côtés du vase, & qu'on couvre de grappes ; elle se change en six heures de tems en un verd d'éméraude ; & au bout de deux jours on découvre sur la partie verte de cette lame, quelques taches blanchâtres qui indiquent sûrement, comme je l'ai éprouvé, que la fermentation a atteint le degré requis.

Le nombre des jours ne décide rien pour cette fermentation ; la saison, l'air, la qualité du vin l'accélerent plus ou moins ; en été, elle est parfaite dans trois jusqu'à dix jours, tandis qu'en hiver il faut douze, quinze, vingt jours & quelquefois davantage.

Dans cette fermentation, les grappes se chargent des parties du vin qui ont la propriété de dissoudre le cuivre. Quand elles en sont bien chargées, & qu'on le reconnoit aux signes que nous avons donnés, on rejette le vin qui est devenu vinasse (c'est-à-dire un foible vinaigre). On laisse égoutter un moment les grappes sur une corbeille en les mêlant bien ; puis on les range dans les vases couche par couche avec les lames de cuivre qu'on a fait chauffer, observant que la premiere & la derniere couche soient de grappes ; ensuite on couvre le vaisseau avec le même couvercle.

Lorsqu'on a ainsi rangé les lames de cuivre avec les grappes, on les laisse pendant trois ou quatre jours, & quelquefois davantage ; on a soin cependant de les visiter de tems-en-tems pour reconnoître le moment où l'on doit retirer les lames de cuivre. On les retire lorsqu'on apperçoit sur celles qui ont verdi, des points blancs qui ne sont qu'une crystallisation, comme nous le dirons. Les particuliers qui font du verd-de-gris, disent qu'alors les lames se cotonnent. Le mot cotonner est encore un terme de l'art. Lorsqu'on apperçoit ces points blancs, il faut tout-de-suite retirer du vase les lames de cuivre ; si on les y laisse plus long-tems, toute la partie verte se détache des lames, tombe dans le vase, & s'attache si intimement aux grappes, qu'il est fort difficile de la recueillir.

Quand on examine attentivement les grappes qui ont servi à cette préparation, & que les particuliers font sécher à cause qu'elles sont trop grasses, on y voit des parties de verd-de-gris qui viennent de ce qu'on a laissé les lames trop long-tems avec les grappes dans les vases.

Il faut remarquer que les grappes qui ont servi, ne demandent plus la préparation qu'on fait aux neuves : préparation qui, comme on l'a déja dit, consiste à les faire tremper dans de la vinasse ou dans du vin. Cette préparation seroit nécessaire si les grappes s'étoient engraissées ; dans ce cas, après les avoir fait sécher, on les prépare comme si elles n'avoient jamais servi. Nous avons dit que les grappes s'engraissent lorsqu'elles sont enduites d'une huile mucilagineuse, qui est un des plus grands obstacles de la formation du verd-de-gris ; sur quoi je remarquerai ici en passant, qu'on doit être fort attentif à ne point serrer les grappes dans les endroits où il y a de l'huile, & à ne les point envelopper dans les linges qui en ont été imbibés ; comme aussi il ne faut jamais mettre des substances grasses, huileuses, dans les pots qui doivent servir à cette opération.

Les femmes connoissent si fort le dommage que l'huile peut porter à leur travail, qu'elles ne descendent jamais avec une lampe dans les caves où elles préparent le verd-de-gris ; elles se servent de chandelle ; une seule goutte d'huile qui seroit tombée par mégarde dans le vase leur feroit perdre le produit de ce vase. L'expérience d'une dame de cette ville, qui fait faire une grande quantité de verd-de-gris, prouve incontestablement ce fait. Un domestique qui portoit du vin à la cave dans un grand chauderon, y laissa tomber une lampe pleine d'huile ; on ne s'apperçut de cet accident qu'après avoir mis du vin dans plusieurs vases ; lorsqu'on voulut juger du degré de fermentation, on trouva les grappes & les vases engraissés au point qu'on fut obligé de jetter le vin & les grappes, & de faire écurer les pots.

Je reviens à la suite de l'opération : dès que les lames se cotonnent, on les tire du vase, & on les range sur un de leurs côtés à un coin de la case, où on les laisse pendant trois ou quatre jours (cela s'appelle mettre au relais). Elles se sechent pendant ce tems-là ; alors on les trempe par leurs côtés dans la vinasse ; mais la plûpart les trempent aujourd'hui avec l'eau, de maniere qu'il n'y ait que leur extrêmité qui y soit plongée ; on les laisse égoutter en les tenant quelque tems suspendues ; puis on les range dans leur premier ordre pour les faire sécher, & on renouvelle à trois reprises cette manoeuvre, en observant de mettre huit jours d'une trempe à l'autre. Lorsque les lames de cuivre sont seches, quelques-uns les trempent dans du vin ; d'autres, comme je l'ai déjà dit, les trempent dans l'eau ; par-là ceux-ci ont un verd-de-gris plus humide, plus pesant, moins adhérent à la lame, & conservent même leurs lames, qui sont moins rongées par l'acide du vin affoibli par l'eau. Le verd-de-gris ainsi nourri est moins coloré & inférieur à l'autre, pour les différens usages auxquels on l'emploie : c'est ce qui a déterminé M. l'Intendant de la province à défendre cette manoeuvre par une ordonnance où il enjoint de se servir du vin ou de vinasse pour humecter les lames : c'est ce qu'on appelle vulgairement nourrir le verd-de-gris.

Lorsque les plaques de cuivre sont au relais, plusieurs particuliers les enveloppent d'une toile fort claire mouillée d'un peu de vin, & d'autres les arrosent de tems-en-tems, & les entourent de grappes.

Les tems du relais & de la nourriture du verd-de-gris est ordinairement de 24 à 30 jours. Le seul coup-d'oeil décide de sa perfection, qui est plus ou moins avancée, selon que la dissolution du cuivre a été plus ou moins parfaite. Cette opération dépend de tant de circonstances, qu'il seroit trop long de les rapporter dans cet article. Je renvoie mes lecteurs au second mémoire que j'ai donné sur le verd-de-gris. Mémoires de l'acad. royale des Sciences de Paris, année 1753.

Au relais, la matiere dissoute se gonfle, s'étend & forme une espece de mousse unie, verte, qu'on racle soigneusement avec un couteau émoussé : cette mousse s'appelle verd-de-gris ou verdet.

Dès qu'on a exactement raclé les lames, les uns les exposent à l'air libre pour les faire sécher ; les autres les font sécher & chauffer dans un fourneau fait exprès qu'ils ont à leur cave, & les préparent par-là pour une seconde opération.

Les lames de cuivre, par les dissolutions réitérées, perdent considérablement de leur masse, & deviennent peu propres à cette opération, non qu'elles ne soient aisées à dissoudre, mais parce qu'étant réduites en lames extrêmement minces, elles ne peuvent plus être raclées sans se plier & se rompre par quelqu'un de leurs côtés ; alors on les vend aux Chauderonniers qui les fondent pour leur usage.

Nous remarquerons que quand on fait du verd-de-gris, il ne faut pas se contenter d'avoir le nombre de lames de cuivre qui peuvent être contenues dans les vases, il faut en avoir un pareil nombre de réserve ; ainsi chaque pot contenant cent lames de cuivre, il faut, pour faire un pot de verd-de-gris, avoir deux cent lames, pour deux pots quatre cent lames, & de cette façon les vaisseaux & les grappes ne restent pas oisifs, & on fait dans le même tems une plus grande quantité de verdet. Voici la maniere dont il faut procéder ; quand on a tiré les lames du vase, & qu'on les a mises au relais, on verse tout-de-suite trois pots de vin sur les grappes pour préparer une nouvelle fermentation ; lorsque cette fermentation est au point requis, on place dans le même vase les cent lames de cuivre qu'on a réservées, que l'on retire, & que l'on met au relais quand elles sont couvertes de verdet ; alors on verse de nouveau du vin sur les grappes, pour préparer une nouvelle dissolution.

On observera encore que quand on fait une grande quantité de verd-de-gris, comme certains particuliers qui en ont jusqu'à cinq cent pots, il faut mettre dans de grandes auges ou dans de grands tonneaux, à un coin de la cave, toute la vinasse qu'on a tirée des vases (nous avons dit quel étoit l'usage de cette vinasse), soit pour faire macérer les grappes, soit pour imbiber les pots neufs, ou pour tremper les lames quand elles sont au relais, ou pour pêtrir le verdet.

On ne jette la vinasse que quand elle est devenue claire, & qu'elle n'a presque plus de force.

Les particuliers après avoir raclé & ramassé le verd-de-gris, le mettent dans des sacs de toile, & le portent au poids du roi devant l'inspecteur, pour juger s'il est de la qualité requise, c'est-à-dire s'il n'est pas trop humide, & s'il n'est point mêlé avec de corps étrangers ; puis ils le vendent à des marchands commissionnaires, qui le préparent avant de l'envoyer. Pour cet effet ils font pêtrir le verd-de-gris dans de grandes auges avec de la vinasse, & ensuite ils le font mettre dans des sacs de peau blanche, qu'on expose à l'air pour les faire sécher ; cette matiere pêtrie & serrée dans ces sacs s'y durcit à un tel point, qu'elle ne forme qu'une seule masse. On range ensuite ces sacs dans de grands tonneaux avec de la paille ; on les y serre & presse bien, & on les envoie dans différens pays, & principalement en Hollande.

Huit onces de verd-de-gris, tel qu'on le porte aux marchands, & préparé avec le cuivre neuf, & mouillé pendant qu'il étoit au relais avec la vinasse, exposé au soleil pendant trois ou quatre jours, jusqu'à ce qu'il ait pu se mettre en poudre, ont été réduites à quatre onces par la perte qu'elles ont faite de l'eau surabondante que contient l'acide du vin & d'un peu d'huile inflammable. Ces quatre onces mises dans une cornue de verre à laquelle on avoit ajusté un ballon, ayant été distillées au feu de sable, jen ai retiré un esprit acide qui a pesé deux onces & demie d'une odeur forte & nauséabonde, paroissant huileux ; cet acide est ce que les chymistes appellent l'acide radical ou esprit de vénus, qui est extrêmement concentré, le cuivre lui communiquant une odeur désagréable, & me semble encore plus de volatilité. Ce vinaigre ou acide radical est un bon dissolvant de terres absorbantes. J'ai retiré de ce qui a resté dans la cornue, & qui pesoit une once & demie, par le moyen du flux noir & exposé au feu de forge pendant une heure dans un creuset bien fermé, un bouton de cuivre qui a pesé une once deux gros : ce qui démontre que huit onces de verd-de-gris préparé comme je l'ai dit plus haut, contiennent en dissolution une once & deux gros de cuivre.

On appelle verdet distillé les crystaux retirés d'une teinture bien chargée de verd-de-gris ordinaire faite dans l'esprit de vinaigre, filtrée, évaporée & crystallisée (cette dissolution s'appelle teinture de vénus). Ces crystaux qui forment pour l'ordinaire des lozanges ou des rhombes, sont de toute beauté & fort transparens. On m'a assuré qu'on les fabriquoit à Grenoble, & que l'artiste en faisoit un secret, & qu'il avoit beaucoup gagné à cette préparation. On sait que tout dépend dans la plûpart des opérations chymiques, d'un tour de main que le bon chymiste praticien attrappe par le long usage de travailler. Je pense que tout le mystere de cette opération est de dissoudre dans du bon vinaigre distillé le plus de verdet que faire se pourra, de bien filtrer cette dissolution, & de la faire évaporer lentement dans un vaisseau de verre un peu large à la chaleur de l'athmosphere, & de laisser crystalliser dans le même endroit, & prendre bien garde qu'il n'y tombe des ordures. J'ai réussi moi-même à avoir de cette maniere de très-beaux crystaux. Les chymistes appellent ces crystaux crystaux de vénus ou de verdet, les peintres & les marchands leur ont donné le nom de verdet distillé ; ils sont fort employés dans la peinture tant à la détrempe qu'à l'huile. A la détrempe on les emploie mêlés avec le sucre candi pour illuminer des estampes, sur-tout celles où il y a beaucoup de feuillages. A l'huile il est employé avec succès pour donner un beau verd aux chaises à porteur & autres meubles. Sa couleur est durable ; seulement elle noircit un peu avec le tems.

L'emploi du verd-de-gris qu'on prépare à Montpellier se borne pour l'usage de la Médecine à l'extérieur ; les Chirurgiens s'en servent quelquefois comme d'un escarotique pour manger les chairs que débordent & qui sont calleuses, en en saupoudrant la partie malade. Dans ce cas il faut que le verdet soit bien sec & réduit en poudre pour qu'il agisse, ayant perdu alors toute son eau surabondante : on l'emploie encore avec succès dans des collyres officinaux pour les yeux. Il entre dans le collyre de Lanfranc, dans le baume verd de Metz, dans l'onguent égyptiac & des apôtres, & dans les emplâtres divins & manus Dei.

La grande consommation du verd-de-gris se fait pour la teinture & la peinture ; en France on l'emploie beaucoup pour peindre en vert à l'huile les portes & les fenêtres des maisons de campagne. On s'en sert encore dans les maisons pour peindre les portes & certains meubles ; mais le grand emploi du verdet se fait en Hollande & dans quelques autres pays du Nord. Les Hollandois s'en servent pour peindre en vert toutes les portes & les murs de clôture de leurs jardins qui sont faits tout en bois tant à la ville qu'à la campagne. La quantité de verd-de-gris que nous envoyons dans ce pays est prodigieuse ; on m'a assuré que le grand usage qu'on fait encore en Hollande du verd-de-gris, c'est pour teindre les chapeaux en noir. Enfin, un fameux teinturier de cette ville m'a dit qu'il n'employoit le verd-de-gris qu'à une seule teinture, savoir pour teindre en noir les étoffes de laine. C'est une chose bien particuliere, que les Chymistes ayent ignoré jusqu'aujourd'hui que le verd-de-gris qui est un sel neutre, & qui a pour base le cuivre, donne le noir aux étoffes, & qu'ils ayent été persuadés qu'il n'y avoit que le fer qui peut donner un beau noir. J'ai remarqué moi-même que l'encre ordinaire tenue un certain tems dans un écritoire de cuivre, devenoit plus noire ; même le noir des chauderons de cuivre est aussi fort brillant & fort beau.

On se sert encore du verdet ordinaire comme du verdet distillé pour colorer des estampes, du papier, &c. Voici la maniere dont on le prépare : on fait dissoudre du verd-de-gris dans une dissolution de crystal de tartre faite avec l'eau de pluie. Cette dissolution de crême de tartre dissout très-bien le verd-de-gris, & les deux dissolutions colorent très-bien le papier, & lui donnent quand il est bien sec un luisant qui paroît brillanté ; cela vient du tartre qui s'est crystallisé sur le papier, & le verd est plus ou moins foncé, selon qu'on a chargé la dissolution du tartre de verd-de-gris. Article de M. MONTET, maître apoticaire, & membre de la société royale des Sciences de Montpellier.

VERD D'IRIS, (Arts) espece d'extrait qu'on tire de l'iris à fleurs bleues, iris vulgaris violacea hortensis & sylvestris, & qui sert à peindre en mignature ; cette couleur tendre peut se faire de la maniere suivante.

Cueillez de grand matin avant le lever du soleil des plus belles fleurs d'iris, séparez-en la partie extérieure qui est verte & satinée, & ne vous servez que de cette partie. Pilez-la dans un mortier de verre, versez ensuite par-dessus quelques cuillerées d'eau dans laquelle vous aurez fait fondre un peu d'alun & de gomme ; broyez bien le tout ensemble, jusqu'à ce que votre eau ait la couleur & la consistance nécessaire ; ensuite passez ce jus dans un linge fort, mettez-le dans des coquilles, & laissez-le sécher à l'ombre. (D.J.)

VERD DE VESSIE, (Arts) pâte dure qu'on prépare avec le fruit de nerprun.

Pour faire cette pâte, on écrase les baies du nerprun quand elles sont noires & bien mûres ; on les presse, & l'on en tire le suc qui est visqueux & noir ; on le met ensuite évaporer à petit feu sans l'avoir fait dépurer, & l'on y ajoute un peu d'alun de roche dissout dans de l'eau, pour rendre la matiere plus haute en couleur & plus belle ; on continue un petit feu sous cette liqueur, jusqu'à ce qu'elle ait pris une consistance de miel ; on la met alors dans des vessies de cochon ou de boeuf qu'on suspend à la cheminée, ou dans un autre lieu chaud, & on l'y laisse durcir pour la garder ; les Teinturiers & les Peintres s'en servent.

On doit choisir le verd de vessie dur, compact, pesant, de couleur verte, brune ou noire, luisant extérieurement ; mais qui étant écrasé ou pulvérisé, devienne tout-à-fait verd, & d'un goût douçâtre.

VERD, (Maréchal.) on appelle ainsi l'herbe verte que le cheval mange dans le printems ; mettre un cheval au verd, c'est le mettre pâturer l'herbe pendant le printems ; donner le verd, voyez DONNER.

VERD, en termes de Blason, signifie la couleur verte. Voyez VERD & COULEUR. On l'appelle verd dans toutes les armoiries de ceux qui sont au-dessous du degré des nobles ; mais dans les armoiries des nobles, on l'appelle émeraude, & dans celles des rois, on l'appelle vénus.

Dans la Gravure on le marque par des diagonales ou des hachures qui prennent de l'angle dextre du chef à l'angle senestre de la pointe. Voyez les Pl. de Blason.

En France les hérauts d'armes lui donnent le nom de synople.

VERD bonnet, (Jurisprud.) voyez ci-devant BONNET VERD, & BANQUEROUTE, BANQUEROUTIER. (A)

VERDS ET BLEUS, (Hist. rom.) on nomma verds & bleus, deux partis qui régnoient à Rome, & qui tiroient leur origine de l'affection que l'on prend dans les théatres pour de certains acteurs plutôt que pour d'autres. Dans les jeux du cirque, les chariots dont les cochers étoient habillés de verd, disputoient le prix à ceux qui étoient habillés de bleu, & chacun y prenoit intérêt avec passion. Suétone rapporte que Caligula attaché à la faction des verds, haïssoit le peuple, parce qu'il applaudissoit à l'autre parti.

Ces deux factions qui se répandirent dans toutes les villes de l'empire, étoient plus ou moins furieuses à proportion de la grandeur des villes, c'est-à-dire, de l'oisiveté d'une grande partie du peuple. On voit sous Justinien les habitans de Constantinople divisés avec acharnement pour les bleus ou les verds.

Mais les divisions toujours nécessaires dans un gouvernement républicain pour le maintenir, ne pouvoient être que fatales à celui des empereurs ; parce qu'elles ne produisoient que le changement du souverain, & non le rétablissement des loix, & la cessation des abus.

Justinien qui favorisa les bleus, & refusa toute justice aux verds, aigrit les deux factions, & par conséquent les fortifia. Pour prendre une idée de l'esprit de ces tems-là, il faut voir Théophanes, qui rapporte une longue conversation qu'il y eut au théatre entre les verds & l'empereur.

Ces deux factions allerent jusqu'à anéantir l'autorité des magistrats : les bleus ne craignoient point les loix, parce que l'empereur les protégeoit contre elles ; les verds cesserent de les respecter, parce qu'elles ne pouvoient plus les défendre.

Tous les liens d'amitié, de parenté, de devoir, de reconnoissance, furent ôtés ; les familles s'entredétruisirent ; tout scélérat qui voulut faire un crime, fut de la faction des bleus ; tout homme qui fut volé ou assassiné, fut de celle des verds. Grandeur des Romains.


VERDELLO(Hist. nat.) nom donné par les Italiens à un marbre verd.

Ils donnent aussi ce nom à une pierre verte plus dure que le marbre, dont les orfévres d'Italie se servent pour toucher ou essayer l'or & l'argent. Voyez TOUCHE, pierre de.


VERDEREvoyez VERDIER.


VERDEREULEvoyez VERDIER.


VERDERIES. f. (Gram. & Jurisprud.) office de verdier ou gruyer, officier préposé pour la conservation des eaux & forêts. Voyez ci-après VERDIER. (A)


VERDEou VERD-DE-GRIS, (Teint.) Voyez VERD-DE-GRIS.


VERDEURVERDURE, (Gram. franç.) verdeur signifie proprement la seve qui est dans les plantes, & l'âpreté des fruits qui ne sont pas dans leur maturité.

On dit du vin fait de raisins qui n'étoient pas bien mûrs, qu'il a de la verdeur ; pour verdure, il signifie d'ordinaire la couleur verte des plantes ; la verdure des prés ; la verdure des feuilles. Ce mot se prend aussi pour les plantes & les herbes mêmes ; se coucher sur la verdure ; joncher les rues de verdure ; des ouvrages de verdure.

On appelle encore verdure une tapisserie de paysages où le verd domine, & qui représente principalement des arbres ; voilà une charmante verdure.

Les jardiniers appellent verdures, les plantes dont la bonté & l'usage consistent dans la feuille, comme l'oseille, le persil, &c.

Verdeur se dit au figuré de la vigueur de la jeunesse. On voit quelques vieillards qui ont encore de la verdeur. (D.J.)


VERDIERVERDRIER, VERDUN, VERDEREULE, VERDERE, BRUYAN, BRUAN, s. m. (Hist. nat. Ornitholog.) chloris, Aldrovand. Wil. Oiseau à peu-près de la grosseur du moineau, il a cinq pouces six lignes de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & neuf pouces d'envergure ; la longueur du bec est de six lignes & demie ; les aîles étant pliées, s'étendent un peu au-delà du milieu de la longueur de la queue. La tête, la face supérieure & les côtés du cou sont d'un verd d'olive mêlé d'un peu de cendré ; il y a de chaque côté de la tête entre le bec & l'oeil, une tache d'une couleur cendrée foncée. Les plumes du croupion, du dessus de la queue, de la poitrine, de la gorge & de la face inférieure du cou, sont d'un verd d'olive tirant sur le jaune. Le haut du ventre & les jambes ont une couleur jaune, le bas-ventre est d'un bleu mêlé d'une légere teinte de jaune. Les plumes du dessous de la queue ont une couleur jaune mêlé de cendré ; celle de la face inférieure des aîles, & le bord de chaque aîle vers le pli qui répond à celui du poignet sont jaunes. Les neuf premieres grandes plumes des aîles ont les barbes extérieures jaunes, & les barbes intérieures, & l'extrêmité noirâtres ; dans toutes les autres le côté extérieur est cendré, & le côté intérieur a une couleur noirâtre, à l'exception du bord, qui est blanchâtre : les petites plumes des aîles sont d'un verd d'olive mêlé de cendré. La queue est composée de douze plumes, & un peu fourchue, parce que les six plumes du milieu sont plus courtes que les autres. Les six du milieu ont une couleur noirâtre, à l'exception du bord extérieur qui est d'un verd d'olive, & de l'extrêmité qui est cendrée ; les trois autres de chaque côté sont jaunes à leur origine, ensuite noirâtres & cendrées à l'extrêmité, elles ont le tuyau noir à leur origine.

La femelle differe du mâle par ses couleurs ; elle a la tête, la face supérieure du cou & le dos gris, cependant l'origine de chaque plume tire un peu sur le verd d'olive ; cette couleur n'est pas apparente, quand les plumes sont couchées les unes sur les autres ; les plumes du croupion & du dessus de la queue sont d'un verd d'olive tirant sur le jaune : la gorge, la face inférieure du cou, la poitrine, les côtés du corps & les jambes ont une couleur grise claire. Les plumes du ventre & du dessous de la queue sont d'un blanc mêlé d'une légere teinte de jaune ; la face inférieure & le bord des aîles ont une couleur jaune : les neuf premieres grandes plumes des aîles sont noirâtres, à l'exception du bord extérieur, qui est d'un jaune verdâtre, & de l'extrêmité qui a une couleur cendrée ; les autres ont le côté extérieur & l'extrêmité gris, & le côté intérieur noirâtre : les petites plumes des aîles sont d'un verd d'olive tirant sur le jaune, à l'exception de celles du premier rang, dont les intérieures sont grises, & les extérieures ont une couleur noirâtre. Les plumes de la queue sont de même couleur que celles du mâle. Cet oiseau niche dans les buissons.

On donne aussi le nom de verdier à un oiseau connu sous le nom de bruant. Voyez BRUANT.

VERDIER, s. m. (Gram. & Jurisprud.) viridarius ou virillarius, est un officier préposé pour la conservation des eaux & forêts.

Quelques-uns prétendent que ces sortes d'officiers ont été appellés verdiers, viridarii, quasi viridariorum curae praepositi, les forêts étant les plus beaux vergers de la France.

Mais il est plus vraisemblable qu'ils furent nommés viridarii, soit à cause de la verdure des forêts dont ils avoient la garde, soit parce que pour être reconnus, ils avoient coutume de porter à leurs chapeaux ou chaperons, une petite branche, ou des feuilles de chêne verd.

Il est parlé de ces officiers dans les capitulaires de Louis le Débonnaire & de Lothaire, où il est dit que les rois ont droit de tiers & danger dans les forêts de Normandie, dont la redevance consiste en coupe de bois, glandée, pascage, droit de grurie, & autres émolumens ; & que pour empêcher que l'on ne fraudât ces droits, on a institué des gruyers, verdiers, gardes & autres ; instituti sunt gruarii, virillarii, custodes silvarii aliique quibus silvarum procuratio demandata.

Les verdiers ont aussi été appellés gruyers, segrayers, forestiers, châtelains, maîtres-sergens, maîtres-gardes, & selon l'usage des tems & des lieux : on les appelle encore en quelques endroits verdiers, en d'autres gruyers ; & c'est sous ce nom que l'ordonnance des eaux & forêts les désigne.

Les anciennes ordonnances nomment tous ces officiers également & comme exerçans les mêmes fonctions : quelquefois les gruyers sont nommés les premiers de tous les verdiers.

On les a appellés châtelains, parce que c'étoient ordinairement les châtelains ou concierges des châteaux, qui avoient aussi la garde des forêts & dépendances.

Ils sont aussi appellés maîtres-sergens ou maîtres-gardes, comme étant préposés au-dessus de tous les sergens & gardes des forêts.

Dans les provinces de Normandie, Touraine & Bretagne les verderies ou offices de verdiers, ainsi que ceux des sergens à garde avoient été inféodées par le roi ; mais comme les propriétaires en négligeoient les fonctions, elles ont été supprimées par arrêt du conseil, & lettres-patentes du mois d'Août 1669.

Suivant une ordonnance de Philippe V. du 2 Juin 1319, les verdiers ou maîtres-sergens faisoient les livraisons de bois aux usagers ; & par une autre ordonnance de Philippe le Bel, du 20 Avril 1309, on voit que les verdiers de Normandie devoient apporter au bailli leur compte & les parties de leurs exploits un mois devant l'échiquier ; & que faute de le faire, ils perdoient leurs gages de ce terme. C'étoit le vicomte qui devoit taxer les amendes, & les verdiers étoient obligés de donner caution aux baillifs pour leur recette, sans quoi elle leur étoit ôtée.

Dans les autres provinces ils rendoient compte au maître des eaux & forêts des livraisons par eux faites aux usages.

Rogeau, en son indice des droits royaux, a supposé que le verdier étoit en plus grande charge que les maîtres-sergens & gardes, en quoi il s'est trompé, étant le même office qui a reçu différens noms, selon l'usage de chaque pays. Voyez le tit. ix. de l'ordonnance des eaux & forêts, & le mot GRUYERE. (A)


VERDILLONS. m. (Haute-lisserie) ; c'est la partie du métier ou chassis des tapissiers-hautelissiers, à laquelle s'attachent par en-haut & par en-bas, les fils de la chaîne des tapisseries de haute-lisse. Le verdillon est double, & chaque rouleau ou ensuble a son verdillon enchâssé dans une longue rainure, qui est de la longueur des rouleaux. (D.J.)


VERDIRv. act. terme de Relieur ; c'est mettre du verd-de-gris sur la tranche d'un livre, & le brunir quand il est sec.


VERDISO(Géog. mod.) petite ville de la Romanie, sur la mer Noire, entre Stagnara & Sissopoli. On la prend pour être l'ancienne Peronticum. (D.J.)


VERDONLE, (Géog. mod.) riviere de France, en Provence. Elle prend sa source dans les Alpes, passe à Colmar, & se jette dans la Durance, à Pertuis.

VERDON, terme de riviere ; quand un batelier arrive dans une île, il dit à son camarade, hape le verdon, pour dire, prends-toi au bois.


VERDOREvoyez LORIOT.


VERDOYANTE(Mythol.) Cérès avoit un temple à Athènes sous le nom de Cérès la Verdoyante, épithète qui convient assez à la déesse des moissons. (D.J.)


VERDRIERvoyez VERDIER.


VERDUNvoyez VERDIER.

VERDUN, (Géog. mod.) en latin Verunum, Veronum, Verodunum, Viridunum, Virununo, &c. ville de France, capitale du Verdunois, sur la Meuse, qui la coupe en deux parties, à 10 lieues au couchant de Metz, à 18 au sud-ouest de Luxembourg, & à 64 au levant de Paris. Elle est partagée en ville haute, ville basse, & ville neuve. On y compte neuf paroisses, & environ quinze mille habitans ; mais c'est un poste important, soit pour défendre l'entrée du royaume du côté de la Champagne, soit pour servir de place d'armes au haut de la Meuse : aussi l'a-t-on fortifié avec soin, & le maréchal de Vauban a fait de la citadelle une place réguliere.

L'évêché de Verdun est sous la métropole de Trèves dès l'an 410, & rapporte environ cinquante mille livres de rente. Le diocèse de cet évêché renferme 192 paroisses.

Le gouverneur de Metz commande aussi à Verdun, où il y a pourtant un gouverneur particulier, qui est en même tems gouverneur de la citadelle, & jouit de dix mille liv. d'appointemens. Long. 22. 56. 15. lat. 49. 9.

L'itinéraire d'Antonin est le premier ancien monument où l'on trouve Verdun ; mais cette ville a été célebre depuis l'établissement des François dans les Gaules, & elle a fait toujours partie du royaume d'Austrasie, tant sous les rois Mérovingiens, que sous les Carlovingiens. Othon premier conquit Metz, Toul & Verdun avec le reste du royaume de Lorraine. Ce prince & ses successeurs établirent à Verdun des comtes qui relevoient des empereurs. Les habitans de cette ville se mirent sous la protection du roi Henri II. l'an 1552. Enfin par la paix de Munster, Louis XIV. fut reconnu souverain de la ville de Verdun & de l'évêché, en conséquence de la cession que l'empereur & l'empire lui en avoient fait dans le traité de Westphalie. Depuis ce tems-là, Clément IX. a donné un indult perpétuel l'an 1669 aux rois de France, pour nommer à toujours à l'évêché de Verdun, & aux bénéfices consistoriaux. Si vous desirez de plus grands détails, lisez l'histoire de la ville de Verdun par Rousse, Paris 1745, in-4°.

Picard (Benoît) capucin, a laissé en manuscrit une histoire de cette ville, où naquit (Nicolas) Pseaume, qui quoique fils d'un simple laboureur, devint évêque de sa patrie. Il assista en cette qualité au concile de Trente à la suite du cardinal de Lorraine, & mourut en 1575. Il a le premier mis au jour les decrets de ce fameux concile ; mais ce sont les délibérations secrettes des congrégations dont on est curieux, car les actes publics sont connus de tout le monde.

Joly (Claude), prédicateur célébre, naquit en 1610, dans le diocèse de Verdun, se distingua par ses prédications, fut curé de S. Nicolas des Champs à Paris, devint évêque d'Agen, & mourut en 1678, à 68 ans.

On a fait plusieurs éditions de ses prônes qui sont estimés. Ils sont en huit volumes in-12. & l'on en est redevable à Richard (Jean), natif de Verdun, lequel se fit recevoir avocat, & ne s'occupa que de l'éloquence de la chaire. Il a composé lui-même plus de vingt volumes in-12. de sermons ou discours sur la morale chrétienne, outre un dictionnaire moral, ou de la science universelle de la chaire. Il mourut à Paris en 1719 âgé de plus de 75 ans. La maniere de prêcher de M. Joly étoit très-pathétique, car il n'écrivoit que le commencement, la division, & les chefs de ses prônes, & s'abandonnoit ensuite aux mouvemens de son coeur. Les libertins qui avoient intérêt de le décrier, comparoient ses talens avec ceux de Moliere, & disoient que Moliere étoit plus grand prédicateur, & M. Joly plus grand comédien.

VERDUN, (Géog. mod.) en latin moderne Viridunum castrum ou Viridunus ; petite ville de France dans la Bourgogne, au confluent du Doux & de la Saone, à 3 lieues de Châlons, avec titre de comté. Elle députe aux états de la province alternativement avec les villes de la Bresse châlonnoise. Long. 21. 30. latit. 46. 50. (D.J.)

VERDUN, (Géog. mod.) ville ou bourg de France dans le bas Armagnac, sur la Garonne, à 5 lieues au-dessous de Toulouse, élection de Riviere-Verdun. Cette place étoit considérable du tems des Albigeois, & on la qualifioit alors du titre de nobile castrum ; aujourd'hui c'est une pauvre bicoque.

VERDUN, riviere de, (Géog. mod.) la Riviere ou pays de Verdun, est un canton de la basse Gascogne, situé entre la Garonne & l'Armagnac : ce petit pays appartenoit au comte de Toulouse. Il prend son nom de Verdun, qui est le siege de la justice. On appelle ce canton Riviere de Verdun, parce qu'il est situé & compris entre les trois rivieres de Garonne, de Save & de Gimone. (D.J.)


VERDUNOISLE, (Géog. mod.) petite province ou pays de France. Il touche à la Champagne du côté de l'occident, & se trouve enclavé de tous les autres côtés dans la Lorraine. Il fait partie du gouvernement militaire de Metz, s'étend le long de la Meuse, & est peuplé de bourgs & de villages ; mais il n'a d'autre ville que Verdun. (D.J.)


VERDURES. f. (Gramm.) il se dit de la couleur verte dont la nature a peint presque toutes les plantes, sur-tout lorsqu'elles commencent à croître.

VERDURE D'HIVER, (Botan.) nom vulgaire de l'espece de pyrole, nommée par Tournefort pyrola rotundifolia, major. Voyez PYROLE. (D.J.)

VERDURE, colonnade de, (Décoration de jardin) c'est une suite de colonnes faite avec des arbres, & de la charmille à leur pié. L'orme est de tous les arbres le plus propre à cet usage. On choisit dans une pepiniere des ormes mâles, hauts, menus & rameux le long de la tige, & on les plante sans leur couper la tête, avec toutes leurs ramilles. Ces ramilles se conduisent & s'élaguent dans la forme d'une colonne. On les dépouille de 4 ou 5 piés de haut pour les faire monter, & on garnit le bas de la colonne de charmille & d'ormeaux, pour figurer la base & le socle. Le chapiteau se forme & se taille sur les branches de l'orme. Pour la corniche & l'entablement, on se sert de branches échappées de la palissade du fond, qu'on arrange sur des perches traversant d'un bout à l'autre, & portées par d'autres perches, sur lesquelles on attache toutes les petites branches de l'orme destiné à former la colonne, en les contraignant avec de l'osier à prendre le sens que l'on veut. Dans le bas & tout le long des colonnes, on fait une petite banquette de charmille à la hauteur du piédestal. Enfin au-dessus de chaque colonne s'éleve une boule ou vase composé de branches d'ormes qui y sert d'ornement.

Il y a dans les jardins de Marly au bas de la premiere terrasse, en descendant du château, vers la grande piece d'eau, une colonnade de verdure ; elle est placée sur une ligne droite. Ses colonnes ont environ 10 piés de haut sur 3 de tour, y compris un pié de chaque bout pour les bases, chapiteaux & filets qui y sont marqués. Le piédestal de chaque colonne a un pié & demi, & la corniche un pié de haut. Le tout est couronné de différens vases composés de petites branches artistement rangées, & taillées proprement. (D.J.)


VERESIS(Géog. anc.) fleuve d'Italie dans le Latium. Strabon, l. V. p. 239. dit qu'il couloit aux environs de Preneste.


VERETUM(Géog. anc.) ville d'Italie dans la Messapie ou Calabre, aux confins des Salentini, selon Strabon, l. VI. p. 281. On la nomme aujourd'hui Santa Maria di Vereto. (D.J.)


VERGAAR(Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans le Guipuscoa, au bord de la Deva, entre Placentia & Montdragon. (D.J.)


VERGADELLES. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer qui se pêche en Languedoc, & auquel on a donné le nom de vergadelle, parce qu'il a sur le corps des traits semblables à des verges, comme la saupe qui n'en differe qu'en ce qu'il est moins large & plus petit. Voyez SAUPE. Rondelet, Hist. nat. des poissons, I. part. l. V. ch. xxiij. Voyez POISSON.


VERGAE(Géog. anc.) ville d'Italie. Tite-Live, l. XX. c. xix. la met chez les Brutiens. Gabriel Bari & Holstenius conjecturent avec assez de vraisemblance que c'est aujourd'hui Rogiano, bourg de la Calabre citérieure sur l'Isauro. (D.J.)


VERGES. f. (Gramm.) bâton menu ; branches menues détachées des arbres ; baguette ; instrument de correction ; mesure ; partie de machine, &c. Voyez les articles suivans.

VERGE, (Critiq. sacrée) , en grec ; ce mot marque une branche d'arbre, Genes. xxx. 41. un bâton de voyageur, Luc, ix. 3. la houlette d'un pasteur, Ps. xxij. 4. les instrumens dont Dieu se sert pour châtier les hommes, Ps. lxxxviij. 32. Ce mot signifie encore un sceptre, Esth. v. 2. un dernier enfant, un rejetton, Is. xj. 1. un peuple, Ps. lxxiij. 2. La verge de Moïse est le bâton dont il se servoit pour conduire ses troupeaux. Voyez Exod. iv. La verge d'Aaron est le bâton de ce grand-prêtre. Voyez Nom. xvij. (D.J.)

VERGE A BERGER, (Botan.) nom vulgaire de la plante nommée dipsacus sativus par les Botanistes, & dont on a donné les caracteres au mot CHARDON à Bonnetier. (D.J.)

VERGE DOREE, virga aurea ; genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons ; la couronne est formée au contraire de demi-fleurons soutenus par des embryons, & contenus dans un calice écailleux. Les embryons deviennent dans la suite des semences garnies d'une aigrette. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les fleurs naissent en grand nombre à l'extrêmité de petites branches. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Des vingt-neuf especes de ce genre de plante, nous ne dirons qu'un mot de la commune, virga aurea vulgaris latifolia, I. R. H. 484. Sa racine est genouillée, traçante, brune, fibreuse, blanchâtre, d'un goût aromatique ; elle pousse une ou plusieurs tiges, à la hauteur de trois piés, droites, fermes, rondes, cannelées, & remplies d'une moëlle fongueuse ; ses feuilles sont oblongues, alternes, pointues, velues, dentelées en leurs bords, d'un verd noirâtre ; ses fleurs sont radiées & disposées en épis le long de la tige, de couleur jaune dorée, soutenue chacune par un calice composé de plusieurs feuilles en écailles, avec cinq étamines capillaires, à sommets cylindriques. Il leur succede des semences oblongues, couronnées chacune d'une aigrette. Cette plante croît fréquemment dans les bois & les bruyeres, aux lieux montagneux, sombres & incultes ; elle fleurit en Juillet & Août. (D.J.)

VERGE D'OR, (Mat. méd.) verge d'or à larges feuilles, ou grande verge dorée ; & verge d'or à feuilles étroites, ou petite verge dorée.

On trouve les feuilles & les fleurs de ces deux plantes, en une quantité considérable, dans les vulnéraires de Suisse ou faltranck, Voyez FALTRANCK. On les emploie aussi quelquefois seules en infusion théiforme, à titre de remedes vulnéraires astringens. Ces remedes sont regardés aussi comme de bons diurétiques, fondans, désobstruans ; & quelques médecins les recommandent à ce titre, dans les menaces d'hydropisie, la gravelle, & les autres maladies des reins & de la vessie. Les feuilles de la verge d'or entrent dans l'eau vulnéraire & dans l'eau générale de la pharmacopée de Paris.

VERGE, (Anat.) la figure, la situation, la grandeur de cette partie unique, sont assez connues ; il faut y remarquer :

1°. La cuticule & la peau, qui sont les tégumens communs.

2°. Le prépuce, qui est la peau repliée qui couvre le gland ; à sa partie inférieure il y a un petit frein : on trouve dans ces deux endroits des glandes que Tyson a appellées glandes odoriférantes.

3°. La tunique propre, qui est forte & tendineuse, & qui renferme le reste de la substance du membre viril ; cette tunique est quelquefois double ; dans l'entre-deux se trouve la substance celluleuse qui paroît quand on la gonfle & qu'on la fait sécher.

4°. Les corps caverneux ou spongieux, qui font la plus grande partie du membre viril ; ils viennent de l'os pubis, de chaque côté ; ils se joignent ensuite & s'étendent jusqu'au gland ; si l'on y injecte de l'eau, ou si on les gonfle, le membre viril se roidit.

5°. La cloison qui est entre les deux corps caverneux, laquelle est plus épaisse à la partie postérieure, & est percée comme un crible.

6°. Le ligament suspensoire de Vésale, lequel attache le membre viril aux os pubis.

7°. Les muscles, qui sont au nombre de six.

8°. Les premiers sont les érecteurs, ils viennent des os ischion, & finissent de chaque côté aux corps caverneux.

9°. Les seconds sont les accélérateurs ; ils viennent du sphincter de l'anus ; ils embrassent la partie postérieure de l'urethre, finissent de chaque côté aux corps caverneux, & resserrent l'urethre.

10°. Les troisiemes sont les muscles transverses ; ils viennent des os ischion, & finissent à l'origine de l'urethre qu'ils dilatent.

Vésale a le premier décrit par lettres, le muscle suspenseur ; Casserius ensuite, & Cowper parfaitement. Ce dernier s'étoit proposé de donner un ouvrage sur la structure du penis, qu'il n'a point exécuté ; mais Ruysch y a suppléé par de belles découvertes.

Je tire le rideau sur les moyens honteux & toujours nuisibles, que quelques jeunes débauchés emploient pour plaire à des femmes aussi perdues qu'ils le sont. Leur grossiere & stupide brutalité, n'a pour tout succès que de tristes remords. Je me contenterai seulement d'observer en anatomiste, que cette partie peut rester plus petite qu'à l'ordinaire, lorsqu'on lie le cordon ombilical trop près du ventre ; alors il arrive qu'on raccourcit non-seulement l'ouraque, mais on produit encore une contraction dans les vaisseaux sanguins de cet organe, par la trop grande extension des arteres ombilicales, dont ils tirent quelquefois leur origine : or dans ce cas fortuit, on prive cette partie du sang dont elle a besoin pour son développement & pour son usage.

Il n'y a point d'homme qui ait deux verges ; mais Saviard a vû un enfant qui vint au monde privé de cette partie, & qui avoit seulement en son lieu & place, une petite éminence un peu applatie, semblable au croupion d'une poule, au-dessus & à côté de laquelle il y avoit une chair fongueuse, de la largeur d'un écu, & de l'épaisseur d'un travers de doigt, ronde & élevée ; l'ombilic n'étoit pas au milieu du ventre, où il se trouve ordinairement, mais au-dessus & tout-auprès de cette chair fongueuse. La petite éminence qui tenoit lieu de verge, étoit percée de deux petites ouvertures par où l'urine sortoit.

Quoique cette observation soit singuliere, elle n'est pas unique ; j'en connois d'autres exemples cités dans Panaroli, Observ. V. dans Schenckius, l. IV. p. 523. dans van-der-Viel, cent. 2. observat. 32. & dans Borellus, observ. 19. (D.J.)

VERGE, (amputation de la) opération de chirurgie par laquelle on retranche le membre viril, attaqué de sphacèle ou de cancer. L'amputation de la verge, & la cure que cette opération exige, n'ont pas été jusqu'ici considérées sous le point de vue le plus simple ; l'art a des progrès à attendre des réflexions que la combinaison de plusieurs faits peut suggérer. Scultet, qui avoit connu à Padoue un homme à qui l'on avoit coupé le membre viril avec succès, fit cette opération en 1635, à un bourgeois de la ville d'Ulm, à l'occasion de la gangrene dont cette partie étoit attaquée. Il coupa dans le vif avec un bistouri, arrêta l'hémorrhagie avec le fer ardent, & mit une cannule dans le canal de l'urethre pendant la cure, qui a été heureuse & de peu de durée. La chirurgie de nos jours, devenue plus douce dans ses moyens, rejettera d'abord l'usage du feu dans ce cas, à moins que la mortification n'ait fait des progrès audelà de la partie qu'on peut amputer ; mais alors ce ne sera pas dans la crainte de l'hémorrhagie qu'on emploieroit ce moyen, mais dans l'intention de brûler des chairs gangréneuses, & empêcher le progrès de la pourriture.

Ruysch parle dans la trentieme de ses observations anatomiques & chirurgicales, de l'amputation de la verge à un paysan qui y avoit un cancer ulceré de la grosseur du poing : on introduisit une sonde par l'urethre dans la vessie, on lia fortement le membre viril au-dessus du mal, avec un cordon assez mince, mais très-fort ; cette ligature fut très-douloureuse : le lendemain on fit une seconde ligature, pour avancer la mortification de la partie affectée : on ne fit l'amputation que le cinquieme jour, lorsque la partie fut tombée tout-à-fait en sphacele : on laissa la sonde dans la vessie encore pendant un ou deux jours. Après la guérison, on a donné à cet homme un tuyau d'ivoire qu'il ajustoit au-bas du ventre, lorsqu'il vouloit rendre son urine, de peur de mouiller ses habits.

L'opération de Ruysch a été fort longue & fort douloureuse ; la section avec un instrument tranchant est l'affaire d'un clin d'oeil ; la méthode de Scultet est donc préférable, & l'on ne voit pas sur quelle raison Ruysch a pu fonder le procedé qu'il a tenu. Il a été suivi en 1743. à l'hôpital de Florence, dans un cas où la nécessité de l'amputation n'étoit pas trop prouvée : quoi qu'il en soit, on se détermina à lier la partie sur une cannule d'argent ; les douleurs furent fort vives ; la partie ne tomba que le neuvieme jour ; le malade fut parfaitement guéri le vingt-troisieme : on mit dans l'extrêmité de l'urethre un petit bourdonnet un peu dur, de figure conique. Ruysch supprima la sonde deux jours après la chûte des chairs gangrenées ; elle étoit absolument nécessaire dans l'usage de la ligature, par laquelle on a étranglé la partie pendant cinq jours ; on s'en est passé dans tout le reste de la cure. Scultet s'en est servi. J'ai employé cette cannule pendant les premiers jours du traitement d'un homme qui s'étoit mutilé dans un délire mélancolique. Le blessé foible & tranquille, n'en étoit point incommodé, mais lorsque les forces furent un peu rétablies, le jet de l'urine chassoit la cannule : je l'ai supprimé le huitieme jour ; le malade levoit l'appareil quand il vouloit uriner, & il n'y a eu aucun inconvénient de cette part. Fabrice d'Aquapendente recommande d'engager un petit tuyau de plomb dans le conduit de l'urine, après l'amputation de la verge. J'ai reconnu que cette précaution étoit superflue ; c'est seulement dans les derniers jours de la cure, qu'il est à propos de mettre une petite bougie dans l'orifice, pour qu'il ne se fronce pas ; l'urine en seroit dardée plus loin, mais par un jet plus fin & il y a de l'inconvénient à une trop grande diminution du diametre du canal à son extrêmité. A l'égard du tuyau d'ivoire que Ruysch a conseillé à son malade après la guérison ; il est de l'invention d'Ambroise Paré, qui en donne la figure & la description au chap. ix. de son trente-troisieme livre. J'ai vu faire à l'hôpital militaire de Metz, l'amputation de la verge près du ventre, par mon pere, il y a plus de vingt-cinq ans, à un tambour du régiment de Lyonnois : on lui fit faire une cannule de cuivre, semblable à celle que Paré recommande ; c'étoit un aqueduc dont il se servoit pour pisser dans les rues. Paré ne la propose même que pour cette circonstance, en disant que ceux qui ont entierement perdu la verge jusqu'au ventre, sont en peine lorsqu'ils veulent uriner, & sont contraints de s'accroupir comme les femmes. Cette nécessité n'est pas démontrée. Le canal de l'urethre n'a point d'action pour chasser l'urine. L'amputation de la verge ne retranche aucune des parties qui servent à l'expulsion de ce liquide : le malade que j'ai guéri pisse en jet à une assez grande distance du corps ; il est seulement obligé d'essuyer les dernieres gouttes, inconvénient dont l'usage de la cannule ne le dispenseroit pas. (Y)

VERGE, s. f. terme de Bedeau d'église, c'est un morceau de baleine plat, large d'un bon doigt & un peu plus, long d'environ deux piés & demi, & ferré d'argent, que le bedeau porte à la main quand il fait la fonction de bedeau. (D.J.)

VERGES, s. f. pl. en Physique, météore que l'on appelle autrement columellae & funes tentorii. C'est un assemblage de plusieurs rayons de lumiere, qui représentent comme des cordes tendues.

On croit que ce météore vient des rayons du soleil, qui passent par certaines fentes, ou au moins par les endroits les plus minces d'un nuage plein d'eau : il se fait voir principalement le matin & le soir, & il n'y a presque personne qui ne l'ait observé très-souvent au coucher du soleil, lorsque cet astre est près de l'horison & caché dans des nuages qui ne sont pas trop obscurs : on voit souvent sortir de ces nuages, comme une traînée de rayons blancs qui s'étendent jusqu'à l'horison, & qui occupent quelquefois un assez grand espace. Chambers.

VERGE D'AARON, en Physique, voyez BAGUETTE DIVINATOIRE.

VERGE, (Jurisprud.) est une mesure pour les longueurs, qui sert à mesurer & compter la contenue des héritages, de même qu'en d'autres pays on compte par perches, cordes, chaînées, mesures, &c. la longueur de la verge est différente selon les pays.

La verge commune d'Artois, pour la mesure des lieues, est de vingt piés & onze pouces chacun, mille verges font une lieue ; la mesure des terres labourables, qu'on appelle la petite mesure, est de cent verges ou perches pour arpent ; la verge de cent vingt piés d'Artois, le pié de onze pouces, mais présentement le pié y est de douze pouces ; la mesure du bois, appellée la grande mesure, est de cent verges, la verge de cent vingt-un piés, & le pié de onze pouces artois. Voyez l'auteur des notes sur Artois, art. 6.

Au bailliage d'Hedin un journel ne contient que soixante deux verges & demie. Ibid.

En Flandre la verge & la mesure de terre montent à un cinquieme plus que celle d'Artois. Ibid.

Dans la coutume de Clermont en Beauvoisis, on compte les terres labourables par muids ; à Clermont & aux environs, dans la seigneurie de Sacy, le grand Gournay, la Neuville en Hez, & Milly, le muid contient douze mines, chaque mine soixante verges, chaque verge vingt-deux piés de onze pouces de longueur, art. 234 & 235. En la chatellenie de Bulle, locale de Clermont, la mine est de cinquante verges, la verge de vingt-quatre piés de onze pouces, art. 236. En la seigneurie de Conty, on compte par journeux au-lieu de mines, chaque journeux contient cent verges de vingt-quatre piés chacune, art. 237. Dans la seigneurie de Remy, la mine a quatre-vingt verges, à vingt-deux piés & un tiers de pié par verge, art. 239. Dans la même coutume de Clermont, les aires où se font les lins, en la ville & paroisse de Bulles, se mesurent par mine, chaque mine a douze verges de vingt-quatre piés, art. 240. Dans la même coutume de Clermont, les bois, vignes, jardins, & prés, communément se mesurent par arpens ; l'arpent est en quelques lieux de cent verges à vingt-six piés pour verge. En d'autres lieux il n'y a que soixante & douze verges pour un arpent, art. 141. (A)

VERGE, s. f. (Jaugeage) espece de jauge, ou d'instrument propre à jauger ou mesurer les liqueurs qui sont dans les tonneaux, pipes, barriques, &c. on donne aussi le nom de verge à la liqueur mesurée ; ainsi on dit trente verges de vin ; la verge de liqueur est estimée trois pots & demi, quelque peu moins ; la verge a plusieurs noms, suivant les divers lieux & pays où elle est en usage. (D.J.)

VERGE rhinlandique, s. f. (Mesure de longueur) c'est une mesure qui répond à deux de nos toises, ou à douze de nos piés, & qui est souvent employée dans la fortification par les ingénieurs hollandois. (D.J.)

VERGE, s. f. la mesure des longueurs dont on se sert en Espagne & en Angleterre pour mesurer les étoffes. C'est une espece d'aune. La verge d'Espagne, qui est particulierement en usage à Séville, se nomme en quelques lieux varra ; elle contient dix-sept vingt-quatriemes de l'aune de Paris ; ensorte que les vingt-quatre verges d'Espagne, font dix-sept aunes de Paris, ou dix-sept aunes de Paris font vingt-quatre verges d'Espagne. La verge d'Angleterre se nomme yard. Voyez YARD. (D.J.)

VERGE D'OR, voyez ARBALESTRILLE.

VERGE DE GIROUETTE, (Marine) verge de fer qui tient le fût de la girouette sur le haut du mât.

VERGE DE L'ANCRE, (Marine) partie de l'ancre qui est contenue depuis l'organeau jusqu'à la croisée. Voyez ANCRE.

VERGE DE POMPE, (Marine) verge de fer ou de bois, qui tient l'appareil de la pompe.

VERGE DE FUSEE, s. f. terme d'Artificier, c'est un long bâton auquel on attache la fusée qui doit monter. Il est fait d'un bois leger & sec pour les petites fusées, & celles qui sont de moyenne grandeur ; son poids est depuis une jusqu'à deux livres : on lui donne sept fois la longueur des fusées, lesquelles ont sept fois le diamêtre de leur ouverture. La même proportion peut avoir lieu à l'égard des fusées plus grandes, à moins que le bâton ne soit plus fort à proportion. Les artificiers proportionnent ainsi l'épaisseur de cette verge ; ils lui donnent en haut 1/6 du diamêtre de la fusée, & 1/6 en bas. Voyez l'artillerie de Simienowitz. (D.J.)

VERGE, s. f. terme de Balancier, autrement fléau ; c'est un long morceau de cuivre, de fer ou de bois, le plus ordinairement de buis, sur lequel sont marquées les diverses divisions de la balance romaine ou peson. Cette verge a deux sortes de divisions, l'une d'un côté pour ce qu'on appelle le fort, & l'autre à l'opposite pour ce qu'on nomme le foible. (D.J.)

VERGE, s. f. (Ferranderie) ce mot se dit des morceaux de fer longs & menus, ordinairement ronds, que les Marchands-de-fer vendent aux Serruriers, ce qui s'appelle du fer en verges. Cette sorte de fer s'emploie ordinairement pour faire des tringles, des clés, des pitons, & autres légers ouvrages de Serrurerie. (D.J.)

VERGES, chez les ouvriers à la navette, ce sont des baguettes qui servent à séparer & à tenir ouverts les fils de la chaîne des étoffes & des toiles. Ces verges sont faites pour l'ordinaire de bois de coudrier dont on a enlevé l'écorce. Il faut quatre de ces verges dans les métiers à gaze, & seulement deux dans tous les autres métiers.

VERGE, terme d'Horlogerie, VERGE DE BALANCIER ou VERGE DES PALETTES, voyez les Planches d'Horlogerie, est une tige sur laquelle est enarbré le balancier d'une montre, & qui porte deux petites palettes dans lesquelles engrenent les dents de la roue de rencontre. Voyez ÉCHAPPEMENT, MONTRE, PALETTE.

Verge du pendule ; c'est la partie du pendule appliqué à l'horloge, qui s'étend depuis les ressorts, la scie ou le point de suspension jusqu'au bas de la lentille qu'elle soutient par le moyen d'un écrou.

Cette verge doit avoir une force raisonnable ; trop grosse, elle fait monter le centre d'oscillation du pendule, d'où résulte de plus grandes résistances de la part de l'air & du point de suspension ; trop foible, au contraire les vibrations occasionnent en elle de petits frémissemens qui alterent sensiblement le mouvement du pendule.

Des effets du froid & du chaud sur la verge du pendule. Windelinus s'apperçut le premier que les différens degrés de chaleur & de froid, dilatant plus ou moins la verge d'un pendule, occasionnoient quelques irrégularités dans le mouvement de l'horloge où il étoit appliqué. On fut long-tems sans ajouter foi à sa découverte, mais l'expérience & la perfection où l'on porta par après les horloges à pendule confirmerent si bien l'existence des erreurs qu'il avoit fait remarquer, que depuis on a eu recours à divers moyens pour les faire évanouir. Voyez THERMOMETRE.

L'expédient le plus simple qu'on puisse employer pour diminuer ces erreurs, est sans doute de choisir les matieres sur lesquelles la chaleur produit le moins d'effet pour en composer la verge du pendule ; cette verge doit donc être d'acier, métal qui s'allonge le moins à la chaleur. Dans les seuls cas où l'on craindra quelqu'influence magnétique sur le pendule, il sera à-propos d'en faire la verge de laiton ou de quelqu'autre matiere qui n'en soit point susceptible. C'est apparemment pour cette raison que M. Graham a mis une verge de laiton à la pendule qu'il a faite pour MM. du nord.

L'expérience a cependant fait voir que ses craintes étoient peu fondées. M. de Maupertuis, dans son livre de la figure de la terre, rapporte qu'ayant substitué à la lentille d'une pendule de M. le Roy, un globe de fer, il n'en étoit résulté dans la marche de l'horloge, allant à Paris ou à Pello, que la seule différence d'une demi-seconde en douze heures, ce qui est trop peu de chose pour pouvoir être attribué à une cause particuliere, sur-tout si l'on considere qu'il avoit fallu ôter & remettre ce globe plusieurs fois, & que des lentilles d'étain & d'autres métaux substituées de la même façon avoient produit de plus grandes différences.

Pour connoître à quel point les verges de laiton sont défectueuses, & combien il a été nécessaire que la pendule de M. Graham soit tombée entre les mains d'observateurs aussi exacts, il suffit de lire ce qui est rapporté, pag. 167 & 169, du livre que je viens de citer, l'auteur y dit entr'autres choses qu'il falloit jour & nuit avoir l'oeil sur les thermometres, pour entretenir un égal degré de chaleur dans le lieu où la pendule étoit située, & qu'il falloit encore avoir soin que les thermometres & la pendule fussent à une égale distance du feu, & se trouvassent à la même hauteur.

Quelques horlogers ont proposé de faire les verges de pendule avec un bois dur, tel que l'ébene, le bois de fer, le noyer, le buis, &c. Le bois, disent-ils, éprouve à la vérité des changemens considérables dans sa largeur, mais il n'en souffre aucun selon la longueur de ses fibres, soit qu'on le trempe dans l'eau, qu'on l'expose au feu, ou même qu'on le frappe avec un marteau, comme on fait pour allonger un morceau de métal. Leur sentiment paroît confirmé par ce que rapporte M. de Maupertuis dans son livre de la figure de la terre, voici ce qu'il dit des perches de sapin, dont MM. du nord firent usage pour mesurer leur base.

" Nos perches une fois ajustées (ce sont ses termes), le changement que le froid pouvoit apporter à leur longueur n'étoit pas à craindre, nous avions remarqué qu'il s'en falloit beaucoup que le froid & le chaud causassent sur la longueur des mesures de sapin, des effets aussi sensibles que ceux qu'ils produisent sur le fer. Toutes les observations que nous avons faites sur cela nous ont donné des variations presqu'insensibles, & quelques expériences me feroient croire que les mesures de bois, au-lieu de raccourcir au froid comme celles de métal, s'y allongent au contraire ; peut-être un reste de seve qui étoit encore dans ces mesures se glaçoit-il lorsqu'elles étoient exposées au froid, & les faisoit-il participer à la propriété des liqueurs dont le volume augmente lorsqu'elles se gelent ".

Ce sont apparemment de semblables expériences qui ont porté M. Graham à faire les verges de ses pendules de bois. Mais une remarque essentielle à faire sur ce sujet, c'est que si le bois ne change pas sensiblement de longueur par le froid & le chaud, il ne laisse pas de se voiler, & cela quelque épaisseur qu'on lui donne : c'est une expérience que font tous les jours les architectes, qui sont obligés de faire redresser de tems en tems leurs regles qui se faussent même dans leur largeur, ou sur le champ : il suit delà qu'une verge de bois pouvant se voiler, n'est point encore une matiere propre pour former les verges d'une pendule.

D'autres artistes pensent que le froid & le chaud ne peuvent produire les mêmes différences sur des verges d'égale longueur, à-moins qu'ils ne soient proportionnels à la grosseur de chacune d'elles. Raisonnant sur ce faux principe, ils s'imaginent pouvoir se dispenser de recourir aux compensations ordinaires, en faisant la verge de leur pendule extrêmement massive, de six livres, par exemple. Ils prétendent qu'étant alors environ douze fois plus grosse que les autres, la chaleur l'allongera aussi douze fois moins. Il n'est pas difficile de faire voir qu'en cela ils tombent dans une grande erreur. Une masse de métal, quelle que soit sa grosseur, n'étant qu'un grand nombre de lames très-minces appliquées les unes sur les autres ; toute la différence qui se rencontre dans une grosse & une petite verge, ne consiste que dans une quantité plus ou moins grande de ces lames ; ainsi, selon cette loi de la nature, qu'un corps chaud à côté d'un autre qui l'est moins, ne cesse de lui communiquer de sa chaleur que quand ils sont tous deux arrivés au même degré, il est évident que deux verges de même longueur & d'un même métal, l'une foible, l'autre forte, s'allongeront également par un même degré de chaleur ; puisque ce sont les particules ignées qui causent l'allongement, & qu'elles sont dans le corps en raison des lames infiniment petites qui le composent. Tous les Physiciens conviennent de ce que j'avance, & leur sentiment est parfaitement d'accord avec l'expérience. Voici comme s'exprime à ce sujet M. Derham, Transactions philosophiques, année 1736.

" Je fis en 1716 & 1717. des expériences pour connoître les effets de la chaleur & du froid sur des verges de fer dont la longueur approchoit le plus qu'il étoit possible, de celles qui battent les secondes. Je choisis des verges rondes d'environ un quart de pouce de diametre, & d'autres quarrées d'environ trois quarts de pouce, les effets furent absolument les mêmes sur toutes ces verges. "

L'avantage qu'on peut retirer des grosses verges, n'est donc pas qu'elles s'allongeront moins que les autres ; mais qu'elles employeront un peu plus de tems à s'allonger, ce qui certes n'est pas d'un grand secours. Car si d'un côté la chaleur allonge plutôt la verge foible, de l'autre quand le froid revient, elle retourne plus tôt à son premier état.

Ces grosses verges seroient d'ailleurs fort défectueuses ; elles changeroient beaucoup le point de suspension, sans que le régulateur en eût plus de force ; l'air leur opposeroit aussi une bien plus grande résistance, vû 1°. leur grosseur & leur longueur, car l'air résisteroit d'autant plus à leur mouvement & à celui de leur lentille, que les arcs qu'elles décriroient feroient partie d'un plus grand cercle.

De-là naîtroient deux desavantages ; premierement l'horloge en seroit plus sujette aux erreurs provenantes des différentes densités du milieu ; secondement, une plus grande résistance de l'air détruisant nécessairement une plus grande quantité de mouvement, les restitutions de la force motrice deviendroient plus considérables, & l'horloge en seroit plus susceptible des erreurs qui résulteroient par les altérations ou augmentations de cette force.

VERGE, terme de Jardinage, se dit du bois de la vigne qui est encore appellé sarment.

VERGE, terme de Maréchal ; on appelle ainsi le manche d'une espece de fouet de cocher, qui a peu de touche.

VERGE DE FER, terme de Serrurier, baguette de fer quarrée qu'on attache le long des panneaux de vîtres, qui sert à les tenir en état avec des liens de plomb, & qui est cloué avec des pointes, l'une à un bout, l'autre à l'autre. (D.J.)

VERGE, instrument du métier des étoffes de soie ; la verge est une broche de bois, ronde & bien unie, on s'en sert à divers usages pour le métier des étoffes de soie ; elles sont toutes de la longueur de 2 piés & 1/2 environ.

VERGE DE FER, s. f. terme de Tapissier, morceau de fer rond & délié, en forme de grande baguette, qu'on accroche avec des pitons à chaque colonne de lit, & où on enfile les rideaux par le moyen des anneaux. Les Serruriers appellent cette verge, une tringle. (D.J.)

VERGES, terme de Tisserand ; ce sont deux baguettes de bois rondes, qui passent entre les fils de la chaîne, de maniere que le fil qui passe sur la premiere, passe sous la seconde, & ainsi de suite ; au moyen dequoi les fils de la chaîne se croisent dans l'espace qui est entre les deux verges. Ces deux verges sont rapprochées le plus près qu'il est possible l'une de l'autre, par le moyen de deux crochets qui les joignent aux deux côtés de la chaîne. Les verges servent à contenir les fils de la chaîne & les tenir bandés, ce qui facilite la croisure qu'opere le mouvement des lames.

VERGE, chez les Tourneurs, est une piece du tour, dont on se sert pour tourner en l'air ou en figures irrégulieres ; c'est une piece de fer, longue & quarrée qui traverse l'arbre tout entier, & qui porte & joint ensemble le mandrin, les deux canons, la piece ovale & la boîte de cuivre. Cette verge a des trous de distance en distance, pour y arrêter ces pieces avec des clavettes. Voyez TOUR.

VERGE DE HUAU, terme de Chasse, est une baguette d'oiselier un peu longue, garnie de quatre piquets auxquels on attache les aîles d'un milan appellé huau.

Verge de meute ; c'est une baguette garnie de trois piquets avec des ficelles, auxquelles on attache un oiseau vivant, qui étant lié s'appelle meute.

VERGE, en terme de Vitrerie. Voyez LINGOTIERE. Les verges de fer dont on se sert pour maintenir les vitres, se clouent par les deux bouts aux chassis, & s'attachent dans le milieu aux panneaux, avec des liens aux attaches de plomb.

Verge de fer servant à couper le verre, est une verge de fer rouge qu'on pose sur le verre qu'on veut couper, & mouillant seulement le bout du doigt avec de la salive que l'on met sur l'endroit où la verge a touché, il s'y forme une langue, c'est-à-dire une fente que l'on conduit avec la verge rouge où l'on veut ; c'est ainsi qu'on coupe le verre de telle figure qu'on desire.


VERGÉadj. terme de Commerce, ce qui a été mesuré avec la verge, soit qu'on la considere comme mesure de longueur, soit qu'on la prenne pour un instrument de jauge.

On dit dans le premier sens qu'une étoffe, une piece de drap a été vergée, & qu'elle a tant de verges, & dans le second, qu'une pipe, barrique ou autre futaille a été vergée, & qu'elle contient tant de verges. Voyez VERGE.


VERGEAGES. m. terme de Mesurage ; c'est le mesurage des toiles, rubans, étoffes, &c. qui se fait avec cette mesure des longueurs que l'on nomme verge, laquelle est d'usage en Espagne, & en Angleterre.

Vergeage se dit aussi du jaugeage ou mesurage que l'on fait des tonneaux & futailles, avec un instrument ou sorte de jauge que l'on appelle verge. (D.J.)


VERGÉES. f. terme d'Arpentage, est une mesure de 240 piés.


VERGELLUS(Géog. anc.) torrent ou fleuve d'Italie, dans la Pouille, au voisinage du lieu où se donna la bataille de Cannes. Ce torrent est fameux dans l'histoire, à cause du pont qu'Annibal y éleva avec les corps des Romains, pour faire passer son armée. Valere-Maxime, l. IX. c. ij. & Florus, l. II. c. vj. rapportent cette circonstance qu'il ne faut pas prendre à la lettre. Silius Italicus, l. VIII. vers. 670. a parlé de ce prétendu pont d'Annibal, & en même tems du fleuve Aufidus ; non qu'il veuille dire, que ce pont fût sur l'Aufidus, ce que sa grandeur n'auroit pas permis ; mais parce qu'on y jetta divers cadavres des Romains :

.... Pons esse cadentum

Corporibus struitur ; tacitusque cadavera fundit

Aufidus.


VERGENTUM(Géogr. anc.) ville de l'Espagne Bétique. Pline, l. III. c. j. dit qu'elle étoit surnommée Julii-Genius, sans-doute, parce que les habitans la mirent sous la protection du génie de Jules César. Vergentum, selon le P. Hardouin, est aujourd'hui Gelves, ou Guelva dans l'Andalousie, entre la Guadiana & le Guadalquivir, vers l'embouchure d'une petite riviere qui se jette dans l'Océan. (D.J.)


VERGEOISES. f. sont parmi les Raffineurs, les sucres que produisent les syrops des bâtardes. Voyez BATARDES. Quand la matiere est cuite, on la rassemble dans un rafraîchissoir, où on la mouve avec précaution, parce que l'excès l'épaissiroit au point d'empêcher les syrops d'en sortir. On les met dans les formes appellées bâtardes, que l'on a eu soin d'estamper. Voyez ESTAMPER. On les monte ensuite, on les détape. Voyez MONTER & DETAPER. On les met sur le pot. On les perce avec une prime de trois pouces de long, & d'une ligne & demie de diametre vers son manche. Après quelques jours, on les perce avec une prime plus grosse. Voyez PRIME. Cette seconde fois suffit, quand la matiere est bonne. Quand elle est trop foible, on réitere l'opération, tant qu'on le juge nécessaire. Ce n'est qu'à force de chaleur qu'on vient à bout de faire couler les syrops, même dans l'été il faut faire du feu exprès. Quand les vergeoises ont égoutté pendant quelque tems sans être couvertes, on les loche ; mais comme l'âcreté des matieres les attache aux formes, on ne peut les locher en les secouant simplement, c'est pourquoi on se sert d'une spatule large de deux pouces, & longue de trois sans son manche, pour piquer ce sucre dans les formes & l'en faire tomber dans des baquets, ensuite on en fait des fondus.


VERGERune étoffe, une toile, &c. C'est la mesurer avec la mesure des longueurs, qu'on appelle verge. Voyez VERGE.

Verger une barrique, un tonneau, un muid. C'est les jauger avec la verge. Voyez VERGE. Dictionn. de commerce.

VERGER, s. m. (Jardin.) jardin planté d'arbres fruitiers à plein vent. On appelle cerisaye, celui qui n'est planté que de cerisiers ; prunelaye, de pruniers ; pommeraye, de pommiers, &c. (D.J.)


VERGETTES. f. en terme de Vergettier, est un ustensile de ménage qui sert à nettoyer les meubles & les habits. On lui donne encore le nom de brosse, qui pourtant ne signifie pas tout-à-fait la même chose que vergette ; mais comme il est d'usage presque par tout de confondre ces deux termes, nous ne les séparerons point, & nous n'en ferons ici qu'un article.

Il se fait des vergettes de plusieurs matieres, de diverses formes, & pour différens usages. On y employe de trois sortes de matieres, de la bruyere, du chiendent & du poil, ou soie de sanglier, qu'on tire de Moscovie, d'Allemagne, de Lorraine, de Danemarck. Voyez ces trois matieres différentes chacune à leur article.

Il y en a de rondes, de quarrées, sans manche, à manche, de doubles & même de triples ; quelques-unes sont garnies d'une manicle, à l'usage des cochers ; d'autres d'une courroye de pié, à l'usage des frotteurs ; enfin il y a des brosses à décroter de deux especes ; celles de la premiere espece sont les plus fortes & les plus courtes, & se nomment proprement décrotoires, les autres sont les plus fines ; les plus douces, ont le poil plus long, & se nomment polissoires.

De toutes ces vergettes, il y en a qui servent de peigne pour la tête aux enfans, ou de ceux qui se sont fait raser les cheveux. Celles-ci aux habits, aux meubles ; celles-là pour panser les chevaux, nettoyer les carrosses & frotter les planchers ; enfin, il y en a aussi qui servent pour balayer, & qu'on appelle pour cela balais de poil.

De toutes ces vergettes, il n'y a que celles pour la tête des enfans, qu'on fasse d'une maniere différente de celle des autres qu'on fabrique toutes de cette façon. En pliant le poil en deux & en le faisant entrer à force, par le moyen d'une ficelle qui prend le poil au milieu, dans des trous d'une petite planche de hêtre mince, sur laquelle cette ficelle se lie fortement. Quand tous les trous sont remplis, on coupe la soie égale & unie avec des gros ciseaux, ou des forces.

VERGETTE, adj. m. terme de Blason, ce mot signifie un pal retréci, qui n'a que la troisieme partie de sa largeur. Sublet des Noyers porte d'azur au pal bretessé d'or, chargé d'une vergette de sable ; quand l'écu est rempli de pals, depuis dix & au-delà, on dit qu'il est vergetté. (D.J.)

VERGETTES, s. f. pl. (terme de Boisselier) cercles de bois ou de métal, qui servent à soutenir & à faire bander les peaux dont on couvre le tambour.


VERGETTÉen terme de Blason, se dit d'un écu rempli de paux, depuis dix & au-delà.


VERGETTIERS. m. (Art méc.) est l'ouvrier qui fait & vend les vergettes de toutes especes & de toutes matieres ; les balais de poil & de plumes, les houssoirs, &c.

La communauté des Vergettiers est fort ancienne à Paris. Leurs anciens statuts de 1485, sous le regne de Charles VIII. paroissent tirés d'autres plus anciens encore.

Ils ont des nouveaux réglemens, qui sur le visé du roi au châtelet, furent autorisés & confirmés par lettres-patentes de Louis XIV. du mois de Septembre 1659.

C'est par eux que leur communauté continue d'être gouvernée. Ils n'ont reçu d'autres changemens que celui que toutes les communautés d'arts & de métiers ont souffert en 1717, par l'incorporation & l'union des charges créées en titre d'office, pendant les longues guerres du regne de Louis XIV ; comme de jurés en 1691, d'auditeurs des comptes en 1694 & de trésoriers-receveurs des deniers communs en 1704 ; mais toutes ces charges ne regardent point la discipline des communautés, & ne font qu'augmenter les droits de réception & de visite.

Il y a dans la communauté des Vergettiers un doyen, deux jurés. Ceux-ci par élection, & celui-là par droit d'ancienneté de jurande. Le doyen préside aux assemblées & y recueille les voix dans les délibérations. Les jurés font les visites, reçoivent les brevets, donnent des lettres de maîtrise, & assignent le chef-d'oeuvre.

Nul maître n'est reçu à la jurande, qu'il n'ait administré les affaires de la confrairie. L'élection des jurés se fait tous les ans d'un d'eux, ensorte qu'ils sont en charge chacun pendant deux ans.

L'apprentissage chez les Vergettiers, est de cinq ans, & les maîtres ne peuvent obliger qu'un apprenti dans l'espace de dix années.

Les veuves de maîtres jouissent des privileges de la maîtrise, si elles ne se remarient point ; mais elles ne peuvent point faire d'apprenti.

Ceux qui ont passé par la jurande, sont sujets à visite comme les autres maîtres. Les archives, ou le coffre des papiers est mis chez le nouveau juré. Ce coffre a trois clés, que le doyen, l'ancien juré & l'ancien administrateur de la confrairie, partagent entre eux.

Les Vergettiers peuvent vendre des soies de porc, de sanglier, du rouge d'Angleterre, des bouis, des compas à l'usage des Cordonniers, des Bourreliers.

Si la propreté est comme on n'en peut guere douter, essentiellement nécessaire à la santé, & pour relever & soutenir les graces du corps, l'art des Vergettiers ne peut être que très-utile à la société ; mais l'usage universel qu'on fait de ses ouvrages, en fait mieux l'éloge que ce que je pourrois en dire ici.


VERGILIA(Géog. anc.) ; ville de l'Espagne tarragonoise : elle étoit dans les terres, selon Ptolémée, l. II. c. vj. qui la donne aux Bastitains. (D.J.)


VERGILIES(Mythol.) Vergiliae, constellations qui annoncent le printems : ce sont au dire des Poëtes, les filles d'Atlas, que les Grecs appellent Pleiades, & les Latins Vergiliae.


VERGINIUSVERGINIUS

Cette mer de tout tems a passé pour fort orageuse, & cette réputation n'est pas absolument sans fondement ; car la mer d'Irlande sent deux marées opposées, dont l'une vient du sud, & l'autre vient du nord ; & elles se rencontrent à la hauteur de la baie de Carlingford. Ces deux marées contraires se choquant avec violence, doivent émouvoir considérablement la mer, & empêcher qu'elle ne soit tranquille dans le tems que le choc se fait ; & lorsqu'on navige d'un bout du détroit à l'autre, si dans la premiere partie on a eu une marée favorable, on en rencontre enfin une autre qui est opposée, & qui doit tout au moins retarder le cours du vaisseau.

Il est cependant certain que cette mer n'est ni aussi orageuse, ni par conséquent aussi périlleuse qu'on voudroit le persuader. On n'y remarque point de tempêtes qu'on ne sente en même tems les vents qui les causent ; & il ne s'y fait pas plus de naufrages qu'ailleurs. C'est l'ordinaire par tout pays que durant l'hiver la mer soit dangereuse près des côtes, parce qu'on y est exposé à de grands coups de vent, d'autant plus fâcheux que les nuits sont longues & obscures. Ainsi cela n'est pas particulier à la mer d'Irlande.

Le fonds de cette mer n'est que sable partout, excepté dans quelques endroits où il est limoneux, & dans la baie de Wicklo où il est rocher. La marée se fait sentir le long des terres au sud & au nord ; mais du côté de l'orient près des terres, elle se fait de l'ouest à l'est, & le reflux descend de l'est à l'ouest.

La mer d'Irlande, selon Ortelius, qui cite H. Lhuyd, est appellée Mor-weridh, dans la langue bretonne ; & canal de S. George par les Anglois. Cependant M. Delisle ne donne le nom de canal de S. George, qu'au golfe qui ferme l'embouchure de la Saverne. (D.J.)


VERGLASS. m. (Physiq.) est le nom qu'on donne à la glace qui s'attache aux pavés, & qui rend le marcher très-difficile. Voyez GLACE & GELEE.


VERGOTUR(Géogr. mod.) petite ville de la Tartarie russe, à 50 lieues au couchant méridional de Tumen, entre les montagnes Semoy-Poyas, que M. Witsen prend pour les monts Ryphées des anciens. (D.J.)


VERGUES. f. (Marine) piece de bois, longue, arrondie ; une fois plus grosse par le milieu que par les bouts ; posée quarrément par son milieu sur le mât vers les racages, & qui sert à porter la voile. Voyez VAISSEAU.

On donne communément à la grande vergue les sept seiziemes parties de la longueur & de la largeur du vaisseau ; à celle de misaine, les six septiemes de la longueur de celle-ci ; à la vergue d'artimon, une longueur moyenne entre la grande vergue & celle de misaine ; & l'on donne à celle d'artimon les cinq huitiemes de la grande vergue. On détermine à-peu-près de même les vergues des huniers, des perroquets, &c. desorte que la vergue du grand hunier a les quatre septiemes de la grande vergue ; la vergue du petit hunier les quatre septiemes parties de la vergue de misaine ; la vergue de foule la longueur de celle du grand hunier. Enfin on proportionne les vergues d'artimon de beaupré aux vergues qui sont dessous ; de même que la vergue du grand hunier est proportionnée à la grande vergue.

On dit être vergue à vergue, lorsque deux vaisseaux sont flanc à flanc ; desorte que leurs vergues sont sur la même ligne. Voyez figure marine, Pl. fig. 1. & fig. 2. où l'on a marqué toutes les vergues & leur situation.

VERGUE A CORNE, Voyez CORNE A VERGUE.

VERGUE DE FOULE, c'est une vergue où il n'y a point de voile, & qui ne sert qu'à border la voile du perroquet d'artimon.

VERGUE EN BOUTTE HORS, vergue dont le bout est appuyé au pié du mât, dans les semesles & autres bâtimens semblables, & qui prend la voile en-travers jusqu'au point d'en-haut, lequel est parallele à celui qui est amarré au haut du mât. Le tour de la vergue, excepté le côté qui est amarré au mât, n'est soutenu que par les ralingues.

VERGUE TRAVERSEE, vergue posée de biais, & qui est trop halée au vent.


VERGUNNI(Géog. anc.) peuples des Alpes, du nombre de ceux qui furent subjugués par Auguste. Ils sont nommés dans l'inscription qui fut mise sur le trophée des Alpes, & que Pline, l. III. c. xx. nous a conservée. On trouve des traces du nom de ce peuple dans Vergons au diocèse de Sénez. (D.J.)


VERHEYENmuscle de, (Anat.) Verheyen professeur royal d'anatomie & de chirurgie dans l'université de Louvain, naquit en 1644 au bourg de Waas dans la paroisse de Varbrock. Son pere étoit laboureur. Il mourut en 1711 d'une fievre aiguë. Il a publié une anatomie du corps humain. Il y a des muscles releveurs des côtes qui portent son nom. Voyez RELEVEUR.


VERHOLES. m. (Marine) on appelle ainsi au Havre-de-Grace, un renvoi d'eau qui se fait vers l'embouchure de la Seine, lorsque la mer est à la moitié ou aux deux tiers du montant.


VERIA(Géog. mod.) ou BERIA, petite ville d'Espagne au royaume de Grenade, aux environs de Montril. On l'appelloit autrefois Baria. Elle a été célebre parce qu'elle faisoit anciennement la séparation entre la Bétique & la Tarragonoise. (D.J.)

VERIA, (Géog. anc.) contrée des états du turc en Europe, dans la Macédoine, au nord de la Janna. Elle s'étend d'orient en occident, depuis le golfe de Salonique, jusqu'aux confins de l'Albanie, & prend son nom de sa capitale appellée Cara-Veria.


VÉRICLES. m. (Joaillerie) on appelle véricles des pierreries fausses, contrefaites avec du verre ou du crystal. Les statuts des Orfevres portent qu'il ne leur est pas permis de tailler des diamans de véricle, ni de les mettre en or ou en argent. Cette partie de leurs statuts n'est plus observée ; l'on fait quantité de fausses pierres montées en or, & si bien imitées & mises en oeuvre, que les habiles joailliers y sont quelquefois trompés. (D.J.)


VERIDIQUEadj. (Gramm.) qui aime la vérité, qui la dit avec plaisir, qui s'est fait une habitude de cette vertu. Il y a peu d'hommes véridiques.


VÉRIFICATEURS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui examine si une chose est juste & véritable. Il y a eu autrefois des conseillers vérificateurs des défauts. Voyez au mot CONSEILLERS.

En fait d'écriture, il y a des experts vérificateurs. Voyez COMPARAISON d'écritures, ECRITURE, ECRIVAIN, EXPERT, VERIFICATION. (A)


VÉRIFICATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est l'action d'examiner si une chose est véritable ou réguliere.

Vérification d'une citation ; c'est lorsqu'on la confronte avec le texte, pour voir si elle est fidele.

Vérification d'un défaut ou d'une demande, est lorsqu'on examine si les conclusions de la demande sont justes & bien fondées.

VERIFICATION D'ECRITURE, est l'examen que l'on fait d'une Ecriture privée pour savoir de quelle main elle est ; ou bien l'examen d'une piece authentique, contre laquelle on s'est inscrit en faux, pour connoître si elle est vraie ou fausse.

La vérification d'une écriture privée se fait lorsque celui contre lequel on veut se servir de cet écrit, refuse de reconnoître son écriture ou signature, ou qu'il ne convient pas que l'écrit soit d'un tiers auquel on l'attribue.

Cette vérification peut se faire en trois manieres.

1°. Par deux témoins oculaires qui déposent avoir vu écrire & signer la personne, & qui reconnoissent l'écrit pour être le même qu'ils ont vu faire. 2°. Par la déposition de témoins qui déposent connoître l'écriture de celui dont il s'agit, & qu'ils lui en ont vu faire de semblable. 3°. Par comparaison d'écritures, laquelle se fait toujours par experts.

Quand une piece est arguée de faux, la vérification s'en fait par comparaison d'écritures par le ministere d'experts nommés à cet effet.

La vérification d'écriture a lieu tant en matiere civile, qu'en matiere criminelle.

Elle se fait toujours devant le juge où le procès principal est pendant.

Ceux qui ont eu la mauvaise foi de nier leur écriture ou signature, doivent, suivant les ordonnances, en cas de vérification, être condamnés au double des sommes portées en leurs promesses, & en de grosses amendes envers le roi & la partie. Voyez l'ordonnance de Villers-Coterets, article 93 ; celle de Roussillon, article 8 ; la déclaration du mois de Décembre 1684 ; l'ordonnance de 1667, titre des compulsoires ; l'ordonnance criminelle, titre 8, & l'ordonnance du faux ; le traité de la preuve par comparaison d'écrit de M. le Vayer Me. des Requêtes ; Danty, de la preuve par témoins, & le traité de de Bligny. Voyez aussi les mots COMPARAISON D'ECRITURE, ÉCRITURE, EXPERT, FAUX, RECONNOISSANCE. (A)

VERIFICATION d'un édit, déclaration, ou ordonnance, est lorsque le tribunal auquel une nouvelle loi est adressée pour l'enregistrer, vérifie si elle est en la forme qu'elle doit être. Voyez ENREGISTREMENT.

VERIFICATION d'une signature, est quand on examine si une signature est vraie ou fausse ; on vérifioit autrefois les signatures de cour de Rome. Voyez SIGNATURE. (A)


VÉRIFIERv. act. (Gram.) rechercher si une chose est vraie ; on vérifie une écriture, un fait, une citation ; les prophéties se vérifient ou se démentent par le fait.


VÉRINS. m. (Méchanique) machine en maniere de presse, composée de deux fortes pieces de bois, posées horisontalement, & de deux grosses vis, qui font élever un pointal enté sur le milieu de la piece de dessus. Cette machine sert à reculer des jambes en surplomb, à reculer des pans de bois, & à charger de grosses pierres dans les charrettes. (D.J.)


VÉRINE(Géog. mod.) village de l'Amérique méridionale, dans la province de Vénézuela, au voisinage de Caracos. Les Espagnols ont une plantation dans ce village fameux par son tabac, qui passe pour le meilleur du monde. (D.J.)


VÉRITABLEadj. (Gramm.) qui est conforme à la vérité ; la chose est vraie ; rien n'est plus véritable ; il se dit des personnes ; c'est un homme vrai ou véritable ; il est quelquefois synonyme à réel ; la vraie délicatesse, le véritable amour.


VÉRITÉ(Log.) toute idée, considérée en elle-même, est vraie, c'est-à-dire qu'elle représente exactement ce qu'elle représente, soit que ce qu'elle offre à l'esprit existe ou non. Pareillement toute chose, considerée en elle-même, est vraie, c'est-à-dire qu'elle est ce qu'elle est : c'est ce que personne ne révoquera en doute ; mais quelle utilité pourroit-il y avoir à envisager la vérité sous cette face ? Il faut considérer la vérité relativement à nos connoissances : considerée sous ce point de vue, on peut la définir une conformité de nos jugemens avec ce que sont les choses : ensorte que ce qu'elles sont en elles-mêmes, soit précisément ce que nous en jugeons.

Si la vérité est une conformité de notre pensée avec son objet, elle est donc une particularité ou circonstance de notre pensée ; elle en est donc dépendante, elle ne subsiste donc point par elle-même. S'il n'y avoit point de pensées & de connoissances au monde, il n'y auroit point de vérité ; mais comment cela peut-il s'accorder avec ce que les philosophes ont dit de plus beau touchant la nature des vérités éternelles ? ne craignez rien pour les vérités éternelles. Comme Dieu est un esprit qui subsiste nécessairement, & qui connoît de toute éternité ; c'est aussi en lui que les vérités subsisteront essentiellement, éternellement, & nécessairement ; mais par-là elles ne se trouveront pas indépendantes de la pensée, puisqu'elles sont la pensée de Dieu même, laquelle est toujours conforme à la réalité des choses. Mais, direz-vous, quand je détruirois dans ma pensée toutes les intelligences du monde, ne pourrois-je pas toujours imaginer la vérité ? La vérité est donc indépendante de la pensée. Point-du-tout ; ce que vous imagineriez alors seroit justement une abstraction, & non une réalité. Vous pouvez par abstraction penser à la vérité, sans penser à aucune intelligence ; mais réellement il ne peut y avoir de vérité sans pensée, ni de pensée sans intelligence, ni d'intelligence sans un être qui pense, & qui soit une substance spirituelle. A force de penser par abstraction à la vérité, qui est une particularité de la pensée, on s'accoutume à regarder la vérité comme quelque chose d'indépendant de la pensée & de l'esprit ; à peu près comme les enfans trouvent dans un miroir la représentation d'un objet, indépendante des rayons de la lumiere, dont néanmoins elle n'est réellement qu'une modification.

L'objet avec lequel notre pensée est conforme, est de deux sortes ; ou il est interne, ou il est externe ; c'est-à-dire, ou les choses auxquelles nous pensons ne sont que dans notre pensée, ou elles ont une existence réelle & effective, indépendante de notre pensée. De-là, deux sortes de vérités, l'une interne & l'autre externe, suivant la nature des objets. L'objet de la vérité interne est purement dans notre esprit, & celui de la vérité externe est non-seulement dans notre esprit, mais encore il existe effectivement & réellement hors de notre esprit, tel que notre esprit le conçoit. Ainsi toute vérité est interne, puisqu'elle ne seroit pas vérité si elle n'étoit dans l'esprit ; mais une vérité interne n'est pas toujours externe. En un mot la vérité interne est la conformité d'une de nos idées avec une autre idée, que notre esprit se propose pour objet : la vérité externe est la conformité de ces deux idées réunies & liées ensemble, avec un objet existant hors de notre esprit, & que nous voulons actuellement nous représenter.

Il faut observer que nous jugeons des objets ou par voie de principe, ou par voie de conséquence. J'appelle jugement par voie de principe, une connoissance qui nous vient immédiatement des objets, sans qu'elle soit tirée d'aucune connoissance antérieure ou précédente. J'appelle jugement par voie de conséquence, la connoissance que notre esprit agissant sur lui-même, tire d'une autre connoissance, qui nous est venue par voie de principe.

Ces deux sortes de jugemens sont les deux sortes de vérités que nous avons indiquées, savoir la vérité externe, & la vérité interne. Nous appellerons la premiere vérité objective, ou de principe ; & l'autre, vérité logique, ou de conséquence. Ainsi vérité objective, de principe, externe, sont termes synonymes ; de même que vérité interne, logique, de conséquence, signifient précisément la même chose. La premiere est particuliere à chacune des sciences, selon l'objet où elle se porte ; la seconde est le propre & particulier objet de la logique.

Au reste comme il n'est nulle science qui ne veuille étendre ses connoissances par celles qu'elle tire de ses principes, il n'en est aucune aussi où la logique n'entre, & dont elle ne fasse partie ; mais il s'y trouve une différence singuliere : savoir, que les vérités internes sont immanquables & évidentes, au-lieu que les vérités externes sont incertaines & fautives. Nous ne pouvons pas toujours nous assurer que nos connoissances externes soient conformes à leurs objets, parce que ces objets sont hors de nos connoissances mêmes & de notre esprit : au-lieu que nous pouvons discerner distinctement, si une idée ou connoissance est conforme à une autre idée ou connoissance ; puisque ces connoissances sont elles-mêmes l'action de notre esprit, par laquelle il juge intimement de lui-même & de ses opérations intimes ; c'est ce qui arrive dans les mathématiques, qui ne sont qu'un tissu de vérités internes, où sans examiner si une vérité externe est conforme à un objet existant hors de notre esprit, on se contente de tirer d'une supposition qu'on s'est mise dans l'esprit, des conséquences qui sont autant de démonstrations. Ainsi l'on démontre que le globe de la terre étant une fois dans l'équilibre, pourroit être soutenu sur un point mille & mille fois plus petit que la pointe d'une aiguille, mais sans examiner si cet équilibre existe ou n'existe pas réellement, & hors de notre esprit.

La vérité de conséquence étant donc la seule qui appartienne à la logique, nous cesserons d'être surpris comment tant de logiciens ou de géometres habiles se trouvent quelquefois si peu judicieux : & comment des volumes immenses sont en même tems un tissu de la meilleure logique & des plus grandes erreurs : c'est que la vérité logique & interne subsiste très-bien sans la vérité objective & externe ; si donc les premieres vérités que la nature & le sens commun nous inspirent sur l'existence des choses, ne sont la base & le fondement de nos raisonnemens, quelque bien liés qu'ils soient, & avec quelque exactitude qu'ils se suivent, ils ne seront que des parallogismes & des erreurs. Je vais en donner des exemples.

Qu'il soit vrai une fois que la matiere n'est autre chose que l'étendue, telle que se la figure Descartes ; tout ce qui sera étendu sera matiere : & dès que j'imaginerai de l'étendue, il faut nécessairement que j'imagine de la matiere : d'ailleurs ne pouvant m'abstenir quand j'y pense, d'imaginer de l'étendue audelà même des bornes du monde, il faudra que j'imagine de la matiere au-delà de ces bornes : ou pour parler plus nettement, je ne pourrai imaginer des bornes au monde ; n'y pouvant imaginer des bornes, je ne pourrai penser qu'il soit ou puisse être fini, & que Dieu ait pu le créer fini.

De plus, comme j'imagine encore, sans pouvoir m'en abstenir quand j'y pense, qu'avant même la création du monde il y avoit de l'étendue ; il faudra nécessairement que j'imagine qu'il y avoit de la matiere avant la création du monde : & je ne pourrai imaginer qu'il n'y ait pas toujours eu de la matiere ; ne pouvant imaginer qu'il n'y ait pas eu toujours de l'étendue, je ne pourrai imaginer non plus que la matiere ait jamais commencé d'exister, & que Dieu l'ait créée.

Je ne vois point de traité de géométrie qui contienne plus de vérités logiques, que toute cette suite de conséquences à laquelle il ne manque qu'une vérité objective ou de principe pour être essentiellement la vérité même.

Autre exemple d'évidentes vérités logiques. S'il est vrai qu'un esprit entant qu'esprit, est incapable de produire aucune impression sur un corps, il ne pourra lui imprimer aucun mouvement ; ne lui pouvant imprimer aucun mouvement, mon ame qui est un esprit, n'est point ce qui remue ni ma jambe ni mon bras ; mon ame ne les remuant point, quand ils sont remués, c'est par quelqu'autre principe : cet autre principe ne sauroit être que Dieu. Voilà autant de vérités internes qui s'amenent les unes les autres d'elles-mêmes, comme elles en peuvent encore amener plusieurs aussi naturellement, en supposant toujours le même principe ; car l'esprit entant qu'esprit, étant incapable de remuer les corps, plus un esprit sera esprit, plus il sera incapable de remuer les corps : de même que la sagesse entant que sagesse, étant incapable de tomber dans l'extravagance, plus elle est sagesse, & plus elle est incapable de tomber dans l'extravagance. Ainsi donc un esprit infini sera infiniment incapable de remuer les corps, Dieu étant un esprit infini, il sera dans une incapacité infinie de remuer mon corps, Dieu & mon ame étant dans l'incapacité de donner du mouvement à mon corps, ni mon bras ni ma jambe ne peuvent absolument être remués, puisqu'il n'y a que Dieu & mon ame à qui ce mouvement puisse s'attribuer. Tout ceci est nécessairement tiré de son principe par un tissu de vérités internes. Car enfin supposé le principe d'où elles sont tirées, il sera très-vrai que le mouvement qui se fait dans mon bras, ne sauroit se faire, bien qu'il soit très-évident qu'il se fait.

Quelque étranges que puissent paroître ces conséquences, cependant on ne peut trouver des vérités internes mieux soutenues, chacune dans leur genre ; & celles dont nous venons de rapporter des exemples, peuvent faire toucher au doigt toute la différence qui se trouve entre la vérité interne ou de conséquence, & la vérité externe ou de principe ; elles peuvent aussi nous faire connoître comment la logique dans son exercice s'étend à l'infini, servant à toutes les sciences pour tirer des conséquences de leurs principes, au lieu que la logique dans les regles qu'elle prescrit, & qui la constituent un art particulier, est en elle-même très-bornée. En effet elle n'aboutit qu'à tirer une connoissance d'une autre connoissance par la liaison d'une idée avec une autre idée.

Il s'ensuit de-là que toutes les sciences sont susceptibles de démonstrations aussi évidentes que celles de la géométrie & des mathématiques, puisqu'elles ne sont qu'un tissu de vérités logiques, en ce qu'elles ont d'évident & de démontré. Elles se rencontrent bien avec des vérités externes ; mais ce n'est point de-là qu'elles tirent leur vertu démonstrative ; leurs démonstrations subsistent quelquefois sans vérité externe.

Ainsi la géométrie démontre-t-elle, comme nous l'avons déja dit, qu'un globe mille fois plus grand que la terre peut se soutenir sur un aissieu moins gros mille fois qu'une aiguille ; mais un globe & une aiguille, tels que la géométrie se les figure ici, ne subsistent point dans la réalité : ce sont de pures abstractions que notre esprit se forme sur des objets.

Admirons ici la réflexion de quelques-uns de nos grands esprits : il n'est de science, disent-ils, que dans la géométrie & les mathématiques. C'est dire nettement, il n'est de science que celle qui peut très-bien subsister sans la réalité des choses, mais par la seule liaison qui se trouve entre des idées abstraites que l'esprit se forme à son gré. On trouvera à son gré de pareilles démonstrations dans toutes les sciences.

La physique démontrera, par exemple, le secret de rendre l'homme immortel. Il ne meurt que par les accidens du dehors ou par l'épuisement du dedans ; il ne faut donc qu'éviter les accidens du dehors, & réparer au-dedans ce qui s'épuise de notre substance, par une nourriture qui convienne parfaitement avec notre tempérament & nos dispositions actuelles. Dans cette abstraction, voilà l'homme immortel démonstrativement & mathématiquement ; mais c'est le globe de la terre sur une aiguille.

La morale démontrera de son côté le moyen de conserver dans une paix inaltérable tous les états du monde. La démonstration ne se tirera pas de loin. Tous les hommes se conduisent par leur intérêt : l'intérêt des souverains est de se conserver mutuellement dans l'intelligence ; cet intérêt est manifeste par la multiplication qui se fait pendant la paix, & des sujets du souverain, & des richesses d'un état. Le moyen d'entretenir cette intelligence est également démontré. Il ne faut qu'assembler tous les députés des souverains dans une ville commune, où l'on conviendra d'en passer à la pluralité des suffrages, & où l'on prendra des moyens propres à contraindre le moindre nombre de s'accorder au plus grand nombre ; mais c'est le globe sur l'aiguille. Prenez toutes ces vérités par leur abstraction & sans les circonstances dont elles sont accompagnées dans la réalité des choses : ce sont-là autant de démonstrations équivalentes aux géométriques.

Mais les unes & les autres, pour exister dans la pratique, supposent certains faits. Si donc l'expérience s'accorde avec nos idées, & la vérité externe avec la vérité interne, les démonstrations nous guideront aussi sûrement dans toutes les sciences par rapport à leur objet particulier, que les démonstrations de géométrie par rapport aux démonstrations sur l'étendue.

Il n'est point de globe parfait qui se soutienne sur la pointe d'une aiguille ; & la vérité géométrique ne subsiste point au-dehors, comme elle est dans la précision que forme notre esprit à ce sujet. Cette précision ne laisse pas d'être d'usage même au-dehors, en montrant que pour faire soutenir un globe sur un axe le plus menu, il faut travailler à faire le globe le plus rond, le plus égal de toutes parts, & le plus parfait qui puisse être fabriqué par l'industrie humaine.

Il n'est point aussi dans la nature aucune sorte de nourriture si conforme à notre tempérament & à nos dispositions actuelles, qu'elle répare exactement tout ce qui dépérit de notre substance ; mais plus la nourriture dont nous usons approche de ce caractere, plus aussi toutes choses demeurant égales d'ailleurs, notre vie se prolonge.

En un mot, qu'on me garantisse des faits, & je garantis dans toutes les sciences des démonstrations géométriques, ou équivalentes en évidence aux géométriques : pourquoi ? parce que toutes les sciences ont leur objet, & tous les objets fournissent matiere à des idées abstraites qui peuvent se lier les unes avec les autres : c'est ce qui fait la nature des vérités logiques, & le seul caractere des démonstrations géométriques. Voyez la Logique du pere Buffier.

Quand on demande s'il y a des vérités, cela ne fait aucune difficulté par rapport aux vérités internes : tous les livres en sont remplis ; il n'y a pas jusqu'à ceux qui se proposent pour but d'anéantir toutes les vérités tant internes qu'externes. Accordez une fois à Sextus Empiricus que toute certitude doit être accompagnée d'une démonstration, il est évident qu'on ne peut être sûr de rien, puisque dans un progrès à l'infini de démonstrations on ne peut se fixer à rien. Toute la difficulté roule sur les vérités externes. Voyez les premiers principes.

VERITE métaphysique ou transcendentale ; on appelle ainsi l'ordre qui regne dans la variété des diverses choses, tant simultanées que successives, qui conviennent à l'être. Voyez l'article ORDRE, où nous remarquons que ce qui distingue la veille du sommeil, c'est l'ordre qui regne dans les événemens vrais & réels de la veille ; au-lieu que les songes forgent des combinaisons où il n'y a ni vérité ni réalité, parce qu'elles sont destituées de raison suffisante, & qu'elles supposent même la coexistence des choses contradictoires. La vérité qui résulte de l'ordre & qui coïncide presque avec lui, convient donc à tout être, à Dieu, au monde, entant qu'on l'envisage comme une unité, & à tout individu existant dans le monde, homme, arbre, &c.

Tout être est donc vrai. Cette vérité est intrinseque à l'être, & ne dépend point de nos connoissances. Ce n'est pas comme en logique, où l'on appelle vrai ce qui est tel qu'il nous paroît. Quand je dis, par exemple, voilà un lingot de véritable or, la vérité n'a lieu qu'au cas que ce lingot soit effectivement ce que j'affirme qu'il est ; mais cette vérité est plutôt celle du jugement que celle de l'être même. Le lingot n'est pas tel que vous dites, mais il n'en a pas moins sa vérité transcendentale ; c'est une masse réelle qui ne sauroit être autre qu'elle est, & dont l'essence & les attributs sont liés par des raisons suffisantes.

Les deux grands principes, l'un de contradiction, l'autre de raison suffisante, sont la source de cette vérité universelle, sans laquelle il n'y auroit point de vérité logique dans les propositions universelles, & les singulieres elles-mêmes ne seroient vraies que dans un instant : car si un être n'est pas tellement ce qu'il est qu'il ne puisse être autre chose, comment puis-je former les notions des genres & des especes, & compter sur elles ? Ces qualités & ces attributs que j'ai séparés comme fixes & invariables, ne sont rien moins que tels ; tout être est indifférent à tout autre attribut, il en reçoit & il en perd sans raison suffisante. Ce n'est donc qu'en supposant la vérité des êtres, c'est-à-dire l'immutabilité de leur essence, & la permanence de leurs attributs, qu'on peut les ranger dans ces classes génériques & spécifiques, dont la nécessité est indispensable pour former le moindre raisonnement. Les propriétés des nombres & des figures ne seroient pas plus constantes. Peut-être que demain deux & deux feront cinq, & qu'un triangle aura quatre angles : par-là toutes les sciences perdroient leur unique & inébranlable fondement.

VERITE ETERNELLE, (Logiq. Métaphysiq. Morale) c'est une proposition générale & certaine, qui dépend de la convenance, ou de la disconvenance qui se rencontre dans des idées abstraites.

Les propositions qui en découlent, sont nommées vérités éternelles, non pas à cause que ce sont des propositions actuellement formées de toute éternité, & qui existent avant l'entendement qui les forme en aucun tems ; ni parce qu'elles sont gravées dans l'esprit, d'après quelque modele qui soit quelque part, & qui existoit auparavant : mais parce que ces propositions étant une fois formées sur des idées abstraites, ensorte qu'elles soient véritables, elles ne peuvent qu'être toujours actuellement véritables, en quelque tems que ce soit, passé ou à venir, auquel on suppose qu'elles soient formées une autre fois par un esprit en qui se trouvent les idées dont ces propositions sont composées ; car les noms étant supposés signifier toujours les mêmes idées, & les mêmes idées ayant constamment les mêmes rapports l'une avec l'autre, il est visible que des propositions qui étant formées sur des idées abstraites, sont une fois véritables, doivent être nécessairement des vérités éternelles.

Ainsi ayant l'idée de Dieu & de moi-même, celle de crainte & d'obéissance ; cette proposition : les hommes doivent craindre Dieu & lui obéir, est une vérité éternelle, parce qu'elle est véritable à l'égard de tous les hommes qui ont existé, qui existent, ou qui existeront.

Ce sont des vérités éternelles que les rapports d'équité antérieurs à la loi positive qui les établit, comme par exemple, que supposé qu'il y eût des sociétés d'hommes raisonnables, il seroit juste de se conformer à leurs loix ; que s'il y avoit des êtres intelligens qui eussent reçu quelque bienfait d'un autre être, ils devroient en avoir de la reconnoissance ; qu'un être intelligent qui a fait du mal à un être intelligent, mérite de recevoir le même mal, & ainsi du reste. (D.J.)

VERITE FONDAMENTALE, (Logiq. Métaphysiq.) nos esprits sont si lents à pénétrer le fond des objets de leurs recherches, qu'il n'y a point d'homme qui puisse connoître toutes les vérités de son art. Il est donc sage de se fixer aux questions les plus importantes, & de négliger les autres qui nous éloignent de notre but principal.

Tout le monde sait combien de tems la jeunesse perd à se remplir la tête de choses la plûpart inutiles. C'est à-peu-près, comme si quelqu'un qui veut devenir peintre, s'occupoit à examiner les fils des différentes toiles sur lesquelles il doit travailler, & à compter les soies des pinceaux dont il doit se servir pour appliquer ses couleurs ; mais il suffit sans-doute d'insinuer, que toutes les observations qui ne contiennent rien d'intéressant, & qui n'aident pas à pousser nos connoissances plus loin, doivent être négligées.

Il y a en échange des vérités fondamentales dont il faut nous occuper, parce qu'elles servent de base à plusieurs autres. Ce sont des vérités fécondes, qui enrichissent l'esprit, & qui semblables à ces feux célestes, qui roulent sur nos têtes, outre l'éclat qui leur est naturel, & le plaisir qu'il y a de les contempler, répandent leur lumiere sur bien d'autres objets qu'on ne verroit pas sans leur secours. Telle est cette admirable découverte de M. Newton, que tous les corps pesent les uns sur les autres ; découverte qu'on peut regarder comme la base de la Physique, & qui a donné à ce beau génie, les moyens de prouver au grand étonnement de tous les Philosophes, l'usage merveilleux de ce principe, pour entendre le système de notre tourbillon solaire.

En fait de morale, le précepte de Jesus-Christ, qui nous ordonne d'aimer notre prochain, est une vérité si capitale pour la conservation des sociétés humaines, qu'elle suffit toute seule, pour nous déterminer dans la plûpart des cas qui regardent les devoirs de la vie civile. Ce sont des vérités de cette nature, qu'on peut nommer fondamentales, & que nous devrions rechercher ou pratiquer avec ardeur. (D.J.)

VERITE METAPHYSIQUE, (Métaphys.) on entend par vérité métaphysique, l'existence réelle des choses conforme aux idées auxquelles nous avons attaché des mots pour désigner ces choses ; ainsi connoître la vérité, dans le sens métaphysique, c'est appercevoir les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, & en juger conformément à leur nature ; mais comme le grand jour convient moins aux jeux du théatre que la lumiere, ainsi la vérité plait moins que l'erreur à la plûpart des hommes, cependant quelle que soit leur foible vue, ou leurs affections dépravées, l'amant de la vérité, qui la recherche, qui la connoît, & qui en jouit, possede le plus grand bien auquel on puisse aspirer ici-bas. Il est beau de considérer du haut d'un mont escarpé, les erreurs & les égaremens des foibles mortels, pourvû qu'on les regarde d'un oeil compatissant, & non pas d'un oeil orgueilleux. C'est du pic de cette montagne qu'on apprend pourquoi la vérité, fille du ciel, tombe flétrie sous le poids des chaînes de la superstition. (D.J.)

VERITE MORALE, (Morale) conformité de la persuasion de notre esprit avec la proposition que nous avançons, soit que cette proposition soit conforme à la réalité des choses ou non. Voyez VERACITE & pag. 182. col. 2. (D.J.)

VERITE, (Critiq. sacrée) en grec ; ce mot a divers sens particuliers dans l'Ecriture, qu'il faut développer. Il se prend pour la justice de Dieu : tu m'as humilié dans ta justice, in veritate tuâ, ps. 118. 75. Pour la loi divine : la loi de l'Eternel sera méprisée sur la terre, prosternetur veritas in terrâ, Daniel, viij. 12. Pour l'intelligence qui paroît dans un ouvrage : opus textile viri sapientis judicio & veritate praediti, Ecclés. xxv. 12. Le rational étoit un ouvrage tissu par un homme habile & intelligent dans son art. Pour la charité, la clémence, la miséricorde, I. Cor. v. 8. & Prov. xx. 28. La garde des rois est la miséricorde & la vérité. . Ainsi faire, pratiquer la vérité, I. Cor. xij. 6, c'est faire de bonnes oeuvres, des oeuvres de miséricorde ; celui qui fait bien, , Jean, iij. 21. c'est-à-dire celui qui est juste, miséricordieux ; Jesus-Christ dit qu'il est la vérité & la vie, Jean, xiv. 6, non-seulement parce que sa doctrine est vraie, & qu'elle conduit au bonheur, mais parce qu'elle respire la justice & l'humanité.

Enfin le sens le plus ordinaire du mot vérité dans l'Ecriture, est ce qui est opposé à l'erreur & aux fausses opinions en matiere de religion ; sur quoi je me contenterai de rapporter un beau passage de Tertullien. " La vérité, dit ce pere de l'Eglise, n'est point sujette à la prescription ; ni la longueur du tems, ni l'autorité de personne ne peuvent rien contr'elle ; c'est de semblables sources, que des coutumes qui doivent leur naissance à l'ignorance, à la simplicité, à la superstition des hommes, acquérant de la force par l'usage, s'élevent insensiblement contre la vérité ; mais notre seigneur a pris le nom de vérité & non pas de coutume. Si sa doctrine a toujours été la vérité, que ceux qui l'appellent une nouveauté, nous disent ce qu'ils entendent par ce qui est ancien. On n'attaque bien les hérésies, continue-t-il, qu'en prouvant qu'elles sont contraires à la vérité. " (D.J.)

VERITE, (Antiq. égypt.) nom de la pierre précieuse que portoit au col le chef-juge des Egyptiens. Nous apprenons de Diodore de Sicile, l. I. p. 48, que le tribunal où l'on rendoit la justice parmi les Egyptiens, n'étoit pas moins célebre par la sagesse des magistrats, que l'aréopage d'Athènes & le sénat de Lacédémone. Il étoit composé de trente juges, sous un président qu'ils choisissoient eux-mêmes, & à qui l'on donnoit le nom de chef-juge ou de chef de la justice. Il portoit au cou une chaîne d'or à laquelle étoit suspendue une pierre précieuse qu'on appelloit la vérité, soit qu'effectivement elle en portât l'empreinte, soit qu'elle n'en fût que le symbole. Ce sénat étoit représenté sur un des murs du superbe monument ou tombeau qu'on avoit élevé à Thèbes en l'honneur du roi Osymandias. Les juges y étoient sans mains, pour marquer qu'ils ne devoient pas être sensibles à l'intérêt, & pour montrer que leur chef ne devoit se proposer dans ses jugemens d'autre regle que la vérité. Il regardoit fixement cette pierre qu'il avoit sur la poitrine. Antiq. égypt. de M. de Caylus, tom. I. (D.J.)

VERITE, (Mythol.) en grec ; les payens ont déifié la vérité, en la faisant fille du tems ou de Saturne pris pour le tems, & mere de la justice & de la vertu. Pindare dit que la vérité est fille du souverain des dieux. On la représente comme une jeune vierge d'un port noble & majestueux, couverte d'une robe d'une extrême blancheur. Quelqu'un a dit qu'elle se tenoit ordinairement cachée au fond d'un puits, pour exprimer la difficulté qu'il y a de la découvrir. Apelles, dans son fameux tableau de la calomnie, personnifia la vérité, sous la figure d'une femme modeste laissée à l'écart ; c'est une idée bien vraie & bien ingénieuse. (D.J.)

VERITE, (Peint.) ce terme s'emploie en peinture pour marquer l'expression propre du caractere de chaque chose, & sans cette expression il n'est point de peinture. (D.J.)


VERJAGES. m. (Manufact.) ce mot se dit des étoffes de soie unies, comme sont les velours, les satins & les taffetas non façonnés. Il se dit aussi des draps, serges ou autres étoffes de laine, dont les fils de la chaîne ou de la trame ne sont pas d'une égale filure & d'une même teinture, ce qui raie & verge la piece quelquefois dans toute sa longueur & largeur, & quelquefois seulement en de certains endroits. Dict. du Comm. (D.J.)


VERJURESVERGEURES ou VERJULES, (terme de Papeterie) sont de petites tringles de bois ou de laiton, sur lesquelles on lie les fils plus menus qui font les formes. Voyez nos figures dans les Pl. de Papeterie.


VERJUSS. m. (Agriculture) gros raisin qu'on nomme autrement bourdelas, qui ne murit jamais parfaitement, ou plutôt qui dans sa plus grande maturité conserve toujours un acide qui empêche qu'on n'en puisse faire du vin. Ceux qui le cultivent en France, le soutiennent ordinairement sur des treilles à cause de la pesanteur des grappes que le sarment ne pourroit porter sans cet appui. Quand ce raisin est mûr, on en fait d'excellentes confitures ; mais son plus grand usage est d'en tirer cette liqueur que l'on appelle verjus. (D.J.)

VERJUS, (Liqueur) liqueur que l'on tire du bourdelas ou verjus ; on en fait aussi avec des raisins doux & propres à faire du vin lorsqu'ils sont encore acides, & comme on dit, encore en verjus. Le verjus sert beaucoup pour l'assaisonnement des viandes & des ragoûts ; il entre aussi dans la préparation de quelques remedes, & les marchands épiciers-ciriers s'en servent pour purifier leur cire. (D.J.)

VERJUS, (Mat. méd. des anciens) en grec . Les anciens avoient coutume d'exposer les raisins non mûrs au soleil pendant quelques jours, & d'en exprimer ensuite le jus dans de grandes cuves, où l'on le laissoit à découvert jusqu'à ce qu'il fût épaissi en consistance de rob. Dioscoride en faisoit un grand usage, & le recommande avec du miel pour le relâchement des amygdales, de la luette & des gencives. De ce même verjus ils en composoient un vin d'usage dans les maladies pestilentielles. Tout cela étoit assez sensé. (D.J.)


VERLES. f. (terme de Jaugeur) espece de jauge ou instrument qui sert à jauger les tonneaux & futailles remplies de liqueur ou propres à les contenir. (D.J.)


VERLUCIO(Géog. anc.) ville de la grande Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la place sur la route d'Ica à Calleva, entre Aquae solis & Cunetio, à quinze milles du premier de ces lieux, & à vingt milles du second. On veut que cette place subsiste encore aujourd'hui ; mais on ne s'accorde pas sur sa situation. Les uns prétendent que c'est Westbury ; d'autres disent Hedington, d'autres Leckham, & d'autres Varmister. (D.J.)


VERMANDOISLE, (Géog. mod.) pays de France, en Picardie. Il est borné au nord par le Cambresis, au midi par le Noyonnois, au levant par la Thiérache, & au couchant par le Santerre. Ce pays est un des premiers bailliages du royaume, dont le siege est à Laon. Sa coutume est suivie dans beaucoup d'autres bailliages. Il abonde en grains & en lin. La riviere de Somme y prend sa source & le traverse ; il a pour capitale la ville de Saint-Quentin.

Le Vermandois comprend une partie du terrein occupé autrefois par les Veromandui, dont il a emprunté le nom. Il étoit beaucoup plus étendu sous les célebres comtes de Vermandois, qui étoient les plus puissans vassaux de la couronne, à la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme. Ils descendoient de Bernard, roi d'Italie, petit-fils naturel de Charlemagne. Ils étoient encore comtes de Troies, dé Meaux & de Roucy. Cette illustre maison étant tombée en quenouille, Philippe Auguste réunit le Vermandois à la couronne, & donna des terres en échange à Eléonore, comtesse de Saint-Quentin.

Pierre de la Ramée, connu sous le nom de Ramus, professeur au college royal à Paris, étoit né en 1515 dans un village du Vermandois. Il vint tout jeune chercher les moyens de gagner sa vie à Paris, & faute d'autres ressources, il se mit valet au college de Navarre ; mais il fit de grands progrès dans les études, & fut reçu maître-ès-arts, en soutenant le contraire de la doctrine d'Aristote sur différentes propositions. Il s'en tira très-bien, & l'envie lui prit d'examiner à fond toute la philosophie de ce prince de l'école : ce fut la source de ses malheurs ; il s'attira beaucoup d'ennemis par ses ouvrages contre Aristote.

Les affaires qu'on lui suscita dans la suite, sous prétexte qu'il suivoit les opinions des Protestans, l'obligerent de se cacher tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre. Enfin il fut assassiné en 1572 pendant le massacre de la S. Barthelemy, par des meurtriers que son ennemi Jacques Charpentier, docteur en médecine & professeur royal, envoya pour le tuer ; son corps indignement traité par les écoliers de ce professeur, fut jetté dans la Seine.

Il a fondé de son propre bien la chaire de mathématique qui porte son nom au college royal. Il nous reste de lui un traité de militiâ Caesaris, un livre de moribus veterum Gallorum, & quelques autres ouvrages, qui sont à la vérité très-imparfaits, mais qu'on doit regarder comme le crépuscule du jour que Descartes fit luire ensuite pour les sciences. Le plus illustre des disciples de Ramus fut le cardinal d'Ossat, lequel a même écrit étant jeune, un ouvrage pour la défense de son maître ; & cet ouvrage honorable au disciple fut imprimé à Paris chez Wechel en 1564 in-8 °. (D.J.)


VERMANTOou VERMENTON, (Géog. mod.) petite ville de France, en Bourgogne, sur la riviere de Cure, dans l'Auxerrois, à cinq lieues au midi d'Auxerre. C'est une prévôté royale, qui députe aux états de Bourgogne alternativement avec les autres villes de l'Auxerrois. Longit. 21. 16. latit. 47. 40. (D.J.)


VERMEILS. m. (terme de Doreur en détrempe) c'est une composition faite de gomme gutte, de vermillon & d'un peu de brun-rouge mêlés ensemble, & broyés avec du vernis de Venise & de l'huile de térébenthine ; quelquefois ce vermeil se fait avec la seule lacque fine ou le seul sang de dragon appliqué en détrempe, ou même à l'eau seule. Les Doreurs s'en servent pour jetter un éclat d'orfévrerie sur leurs ouvrages ; c'est la derniere façon qu'ils leur donnent.

VERMEIL DORE, s. m. (Orfevrerie) les Orfevres nomment ainsi les ouvrages d'argent qu'ils dorent au feu avec de l'or amalgamé. (D.J.)


VERMEILLE(Hist. nat.) nom que quelques Lapidaires donnent à une pierre d'un rouge cramoisi très-foncé que quelques-uns regardent comme un grenat. On prétend qu'elle ne perd point sa couleur dans le feu.


VERMEJou BERMEJO, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Biscaye propre, avec un port sur un bord de l'Océan. Le terroir du lieu est chargé d'orangers. (D.J.)


VERMELANou WERMELAND, (Géogr. mod.) province de Suede dans les terres. Elle est bornée au nord par la Dalécarlie, au midi par le lac Vener, au levant par la Westmanie & la Néricie, & au couchant par la Norwege. Elle peut avoir environ vingt lieues du midi au nord, & quarante du levant au couchant. C'est un pays coupé d'un grand nombre de lacs & de marais. Philipstad est la capitale. (D.J.)


VERMICELLIS. m. (Mets d'Italie) c'est une pâte faite de fine fleur de farine & d'eau, & réduite en petits filets de figure de vers, par le moyen d'espece de seringues percées de petits trous. On fait sécher ces filets, & on les garde ; ils sont ordinairement blancs, quoiqu'il y en ait aussi de jaunes, qu'on rend tels en y ajoutant du safran ou des jaunes d'oeufs ; quelquefois on y met du sucre, pour les rendre plus agréables. Cette sorte de mets est plus d'usage en Italie qu'en France : on en mange en potage.

On donne plusieurs autres formes à la pâte du vermicelli, car on l'applatit, & on l'étend en rubans larges de deux doigts. On en fait aussi des petits bâtons, gros comme des tuyaux de plume, qu'on appelle macaroni. On la réduit quelquefois en petits grains de la grosseur des semences de moutarde. Enfin les Italiens en forment des especes de grains de chapelet, qu'ils appellent patres. Tous les mets de cette espece conviennent à un pays aussi chaud que l'est l'Italie. (D.J.)


VERMICULAIREest un nom que l'on donne à tout ce qui a quelque ressemblance à des vers. Voyez VERS.

Les anatomistes en particulier donnent ce nom au mouvement des intestins, & à certains muscles du corps. Voyez INTESTIN, &c.

Le mouvement vermiculaire ou péristaltique des intestins se fait par la contraction de leurs fibres de haut en bas ; comme le mouvement antipéristaltique se fait par la contraction de leurs fibres de bas en haut. Voyez PERISTALTIQUE.

La contraction qui arrive dans le mouvement péristaltique, que d'autres appellent vermiculaire, parce qu'il ressemble aux mouvemens des vers, n'affecte pas toutes les parties des intestins à la fois, mais une partie après l'autre.

VERMICULAIRES, en Anatomie, est le nom que l'on donne à deux éminences du cervelet situées près du quatrieme ventricule du cerveau ; elles se nomment en latin, processus ou apophyses vermiformes, Voyez CERVEAU & APOPHYSES.

Vermiculaires, est aussi le nom que l'on donne à quatre muscles de chaque main & de chaque pié, qui tirent les doigts & les orteils vers les pouces & le gros orteil. On les nomme aussi lumbricaux. Voyez LUMBRICAUX.

VERMICULAIRE BRULANTE, (Botan.) espece de petite joubarbe à fleur jaune, nommée par Tournefort, sedum parvum, acre, flore luteo. Voyez JOUBARBE. (D.J.)


VERMICULÉterme de Sculpture ; le travail vermiculé, est un ouvrage rustiqué avec certains entrelas gravés avec la pointe, de-sorte que cela représente comme des chemins faits par les vers.


VERMICULITES(Hist. nat.) ce sont des corps marins pétrifiés, qui ressemblent à des vers entortillés les uns dans les autres ; on les nomme aussi helmintolites, mais plus communément tuyaux vermiculaires. Voyez ces articles.


VERMIFORMESappendices vermiformes, (en Anatomie) nom de deux avances mitoyennes du cervelet, l'une antérieure & supérieure qui regarde en-devant, & l'autre postérieure & inférieure qui va en arriere.

On les appelle vermiformes, parce qu'elles ressemblent à un gros bout de vers de terre.


VERMIFUGE(Médec. & Mat. méd.) nom général donné aux différens remedes vantés en médecine dans les cas où il s'agit d'expulser, ou de faire mourir les vers qui se trouvent dans le corps humain, sur-tout dans l'estomac & les entrailles. Exposons en peu de mots, d'après Hoffman, ce qu'il faut penser de ces différens remedes, & quelles sont les précautions à observer en usant des uns ou des autres.

On compte ordinairement au nombre des vermifuges les acides, tels que le suc de citron, d'orange, de limon, de groseille, d'épine-vinette & de grenade ; le phlegme & l'esprit de vitriol ; la crême de tartre, le vin tartareux du Rhin, & le vinaigre ; tous ces remedes ne sont de saison, que lorsqu'il y a complication de chaleur, d'ardeur contre nature, & de commotion fébrile ; alors non-seulement ils corrigent la chaleur, mais ils résistent puissamment à la putréfaction, & détournent la malignité dangereuse des symptomes.

On met dans la classe des vermifuges les amers, tels que l'absynthe, la petite centaurée, le scordium, le treffle de marais, la rue ; & plus encore les amers qui ont une qualité purgative, tels que l'aloès, la rhubarbe, la coloquinte, & les trochisques d'Alhandal. Quoique ces remedes ne détruisent pas absolument les vers, attendu qu'il s'en engendre non-seulement dans la rhubarbe & l'absynthe, mais encore, comme l'a remarqué Hildanus, Cent. I. obs. 160. dans la vésicule du fiel, cependant on ne sauroit nier que les amers ne soient efficaces contre ces sortes d'animaux ; en effet, d'une part ils corrigent par leur qualité balsamique la matiere crue dont les vers se nourrissent, & de l'autre en stimulant les fibres des intestins, ils évacuent quelquefois les humeurs corrompues en même tems que les vers : joignez à cela qu'ils rétablissent l'énergie de la bile, qui dans les enfans, & dans les autres personnes d'une constitution humide, est, pour l'ordinaire, la cause immédiate des vers.

On regarde encore comme des vermifuges les substances huileuses ; leur efficacité paroît être constatée par une expérience de Rédi, qui nous apprend que les insectes restent vivans, après qu'on les a plongés dans différentes autres liqueurs ; mais qu'ils meurent promtement dès qu'ils baignent dans l'huile. On peut par cette raison donner contre les vers des substances huileuses, telles que l'huile d'olives, l'huile de navette, & l'huile d'amandes douces ; mais alors il faut donner à la fois une grande quantité d'huile pour esperer de tuer tous les vers répandus dans les intestins. On doit donc plutôt administrer les substances huileuses dans les violens symptomes que causent les vers, parce qu'elles relâchent les tuniques des intestins spasmodiquement contractées, les défendent & les oignent d'un mucilage, moyennant quoi on peut après cela administrer avec plus de sûreté les remedes purgatifs.

Les substances salines sont aussi vantées comme de bons vermifuges, tant parce qu'elles détruisent le tissu tendre de ces animaux, que parce qu'en stimulant les intestins, elles en procurent l'évacuation, surtout si les sels sont dissous dans une suffisante quantité d'eau. Ceci est vrai des sels neutres, amers, tels que ceux de Glauber, d'Epsom, de Sedlitz, d'Egra, & de Carlsbad, qui pris dans un véhicule approprié, & pendant un espace de tems considérable, produisent d'excellens effets, sur-tout dans les jeunes personnes, incommodées de l'espece de vers appellés taenia, & des vers larges ; parce qu'on ne les détruit pas si bien par les purgatifs, qui produisent des spasmes, que par les sels & les eaux salines.

Il est certain que les sels de l'espece vitriolique, ont eu long-tems la réputation d'être de bons vermifuges : & les eaux de Pyrmont qui contiennent un vitriol subtil de Mars, sont très-bonnes pour la cure des taenia, & des vers spiraux.

S'il y a des remedes utiles pour quelques cas, c'est assûrement pour celui où il est question de faire mourir & chasser les vers. Les meilleurs pour cet effet, sont parmi les gommes, l'assa-foetida, le sagapenum, l'opopanax, & la myrrhe ; parmi les plantes, la tanésie, le scordium & l'absynthe ; parmi les racines bulbeuses, les différentes sortes d'oignons & d'ail ; parmi les fruits, les amandes ameres, & l'huile qu'on en exprime ; la barbotine, la graine du cataputia, & autres de même nature : on peut mêler ces sortes de remedes avec les autres, pour un succès plus assuré.

Mais il reste un autre spécifique beaucoup plus efficace, tiré du regne minéral, qui est le vif-argent, lequel est singulierement mortel aux vers, & détruit leur mouvement vital, sans qu'on puisse expliquer son effet par des principes mécaniques.

On donne le mercure doux bien préparé sans purgatif, ou avec un purgatif tel que le diagrede, la scammonée sulphurée, la résine de jalap ; on donne aussi l'éthiops minéral fait d'un mêlange exact de soufre & de vif-argent ; Hoffman donnoit le vif-argent bien dépuré, & long-tems broyé avec du sucre-candi, en faisant précéder ce remede des préparations nécessaires.

On recommande dans les mémoires d'Edimbourg, t. V. la poudre d'étain pour les vers grêles ou longs, & on en parle comme d'un excellent vermifuge pour les vers cucurbutins. On emploie aussi ce remede contre le taenia ou ver plat, qui est si difficile à détruire ; voici la recette de ce vermifuge, on pulvérise bien soigneusement une once & demie d'étain fin, on mêle cette poudre passée par un tamis avec huit onces de melasse ; on purge d'abord le malade ; ensuite le jour suivant on lui donne à jeun la moitié de cette composition, le lendemain la moitié de l'autre moitié, & le troisieme jour on donne le reste.

Il faut s'abstenir de tous les remedes mercuriels & des drastiques, en cas d'une bile âcre répandue dans les intestins. On peut joindre les topiques aux vermifuges internes destinés pour les enfans ; ces topiques sont des épithèmes préparés avec de l'absynthe, du fiel de boeuf, de l'aloès, de la coloquinte, du suc de petite centaurée, & de l'huile de fleur de spic ; on applique les épithèmes sur la région épigastrique & sur l'ombilicale. (D.J.)


VERMILLERv. neut. (Vénerie) c'est lorsque les bêtes noires suivent du boutoir la trace des mulots pour dénicher leur magasin, on dit aussi vriller, & si le sanglier a fait ses boutes dans les prés ou fraîcheurs, cela s'appelle vermiller.


VERMILLON(Chymie) masse rouge, pesante, compacte, friable, parsemée de lignes argentées ou brillantes, composée de soufre & de vif-argent, unis ensemble par l'art de la Chymie.

Le vermillon après avoir été broyé long-tems sur le porphyre se réduit en poudre très-fine, & d'une des plus belles couleurs rouges qu'il y ait au monde ; lorsqu'en broyant le vermillon on y mêle de l'eau de gomme gutte avec un peu de safran, on empêche le vermillon de noircir ; & c'est-là le rouge que les femmes mettent sur leur visage. (D.J.)


VERMILLONNERen terme de Doreur sur bois, se dit de l'action de mettre une couleur de vermillon & de bleu d'Inde, sur une piece d'ouvrage dorée & brunie. Cette couleur releve l'éclat de l'or, & lui donne un plus beau lustre.

Une fig. Pl. du Doreur représente une ouvriere qui vermillonne.


VERMISSEAUS. m. (Gram.) petit ver de quelqu'espece que ce soit.

VERMISSEAU DE MER, (Conchyliol.) en latin vermiculus marinus, vermiculus tubulatus ; nom d'un genre de coquille de la classe des univalves. En voici les caracteres : c'est une coquille de mer faite en forme de tuyau, droit, ondé, contourné, courbé, arrondi, &c. Ces coquilles sont nommées vermisseaux de mer, à cause de l'animal qui l'habite, & qui est toujours une sorte de ver.

Dans la classe des vermisseaux de mer qui sont disposés en ligne droite & ondée, on distingue les especes suivantes. 1°. L'espece nommé l'orgue couleur de pourpre, en latin tabularia purpurea, que plusieurs auteurs croient être une espece de corail, & c'est en réalité un assemblage de vermisseaux de mer. Ferrante Imperato, l. XXVII. décrit ainsi les vermisseaux qui composent la masse que l'on appelle l'orgue pourpre. Tubulara purpurea è consistenza marina composta di piccioli tubuli ordinatamente accostati insieme, di color vivo puniceo, concavi, è lissi di dentro, fuori uniti da alcune traverse cruste disposte con eguale intervallo ; si stima madre, ove si concreino animali marini nel modo che le api, nelle favi, da alcuni è numerata tràgl' Alcionii. 2°. L'orgue d'un rouge pâle ; 3°. le vermisseau nommé le grand tuyau d'orgue ; 4°. le vermisseau lisse & poli ; 5°. le vermisseau strié, & cannelé ; 6°. le vermisseau à profondes stries & cannelures.

Dans la classe des vermisseaux contournés & courbés, nous avons les especes suivantes ; 1°. les vermisseaux en boyau ; cette espece forme toujours une masse qui imite l'assemblage des boyaux ; 2°. les vermisseaux ondés de différentes manieres ; 3°. les vermisseaux finissant en vis tortillé ; 4°. les vermisseaux ridés & de couleur brune.

Dans la classe des vermisseaux disposés en plusieurs ronds ou cercles, on compte les suivans ; 1°. les vermisseaux faits en vers de terre ; 2°. les vermisseaux faits en tuyau à cloison, avec un syphon ; cette espece est divisée intérieurement en un certain nombre de cellules, avec un syphon de communication qui s'étend par-tout ; 3°. les vermisseaux adhérens à la vase des rochers ; 4°. les vermisseaux adhérens aux huîtres ; 5°. ceux qui adhérent aux moules ; 6°. ceux qui s'attachent aux buccins ; 7°. les vermisseaux faits en réseau, & tirant sur le roux ; 8°. les vermisseaux fauves & tortillés ; 9°. les vermisseaux blancs, & couleur de rose.

Il ne faut pas confondre les vermisseaux de mer avec les tuyaux de mer appellés dentales & antales. Ces derniers sont toujours seuls, & rarement voit-on les vermisseaux en petit nombre. Bonanni les compare à des serpens de mer entrelacés confusément ; ils s'attachent aux rochers, & à la carene des vaisseaux. En effet, ils sont si intimement joints ensemble, qu'ils ne paroissent qu'une masse confuse. C'est ce qui les a fait mettre parmi les multivalves ; mais quoiqu'on les trouve en société, & pour ainsi dire par colonies, il ne faut pas moins les considérer comme seuls & détachés de leurs voisins, avec lesquels ils ne sont joints qu'accidentellement ; enfin, puisque l'on convient que chaque ver a son tuyau & son trou indépendant, il paroît que cette coquille sera régulierement placée parmi les univalves.

On compte deux sortes de vermisseaux habitans de ces coquilles : ceux qui restent dans le sable sans coquilles ni tuyaux, tels que sont ceux qui habitent les bancs de sable, & dont le travail est si singulier : ils ne sont qu'une ligne plus élevés que la vase ; chaque ver a son trou qui est une espece de tuyau fait de grains de menus sables, ou de fragmens de coquillage liés avec leur glu : leur nombre est prodigieux, & cause de la surprise. Les seconds sont ceux qui s'attachent ensemble à tous les corps, & qui ne cherchent qu'un point d'appui. Le même suc gluant qui forme leurs coquilles sert à leur adhésion : il se forme de leurs différens replis des figures & des monceaux, tels qu'en feroient plusieurs vers de terre entrelacés. Mais il faut entrer dans de plus grands détails, pour expliquer comment ces coquilles se courbent & se collent ensemble.

On peut diviser les vermisseaux de mer en tuyaux faits de divers grains de sable, ou de fragmens de coquillage ; & en tuyaux d'une matiere semblable à celle des coquilles. Il y a encore des vers dont les tuyaux sont d'une substance molle, mais nous n'en parlerons pas ici.

Les vermisseaux dont les tuyaux sont des coquilles, sont tantôt collés sur le sable, tantôt sur les pierres, & tantôt sur les coquilles de divers autres coquillages. Leurs tuyaux sont ronds, & d'une figure approchante de la conique, je veux dire seulement que vers leur origine, ils sont moins gros qu'à leur extrêmité. Dans le reste leur figure est différente dans presque chaque vermisseau différent. Non-seulement ces tuyaux prennent la courbure de la surface du corps sur lequel ils sont collés, mais outre cela ils forment diverses figures, ou diverses courbures aussi différentes les unes des autres, que le sont les différentes figures, que prend successivement un ver de terre en mouvement.

Pour entendre comment ces tuyaux de coquilles se collent si exactement sur la surface des corps où ils sont appliqués, il faut considérer que l'animal, quelque petit qu'il soit, & peu après sa naissance est couvert par une coquille. Dès-lors que cet animal commence à croître, sa coquille cesse de le couvrir tout entier, une petite partie du corps qui n'est plus enveloppée, sort alors par l'ouverture de la coquille. C'est de cette partie que s'échappe un suc pierreux & gluant, qui venant à s'épaissir, forme un nouveau morceau de coquille autour de l'animal.

Ceci supposé, il est clair que la partie qui abandonne l'ancienne coquille, & qui lui ajoute de nouvelles bandes, s'applique sur quelques corps, comme elle le fait dans les vers qui rampent continuellement : il est clair, dis-je, que la même glu qu'elle fournira pour unir entr'elles les particules qui composent le nouveau morceau de coquille, que cette même glu attachera la nouvelle coquille au corps que touchoit la partie découverte de l'animal. De-sorte que si en croissant cette partie suit toujours la surface de ce corps, & y décrit des lignes courbes, la coquille en croissant suivra la même surface, elle y sera collée dans toute son étendue.

C'est ainsi sans doute que les coquilles des vermisseaux de mer se collent sur les différens corps, sur lesquels ces vermisseaux se sont trouvés peu après leur naissance.

Les vermisseaux de mer qui ne sont point couverts de coquilles, passent aussi leur vie dans un même trou. Ils demeurent dans le sable, comme nos vers de terre demeurent dans la terre. Le suc qui s'échappe de leur corps n'est pas en assez grande quantité, ou n'a pas assez de consistance pour leur former une coquille. Mais il est assez visqueux pour coller ensemble les grains de sable, & les fragmens de coquille qui les entourent ; il fait la jonction d'une espece de mortier ou de ciment qui lie ensemble, comme autant de petites pierres, les grains de sable, & les petits morceaux de coquille.

L'animal qui habite ces tuyaux, est d'une figure assez singuliere ; il n'a guere qu'un pouce de longueur, & il n'a que quelques lignes de diamêtre. L'extrêmité de sa tête est plate, ronde ou circulaire ; elle est divisée en trois parties : celle du milieu est un peu ovale, & les deux autres forment des zones circulaires. Voyez les mém. de l'acad. des Sciences, année 1711. (D.J.)


VERMOULUadj. (Jardinage) est un bois attaqué des vers, non-seulement dans l'aubier, mais même dans le coeur. Un tel bois n'est bon à rien.


VERNACULAIRE(Maladies) est un mot qui s'applique à tout ce qui est particulier à quelque pays. Voyez LOCAL, &c.

C'est pour cela que les maladies qui regnent beaucoup dans quelque pays, province ou canton, sont quelquefois appellées maladies vernaculaires, mais plus communément maladies endémiques. Voyez ENDEMIQUE & MALADIE.

Telles sont le plica polonica, le scorbut, le tarentisme, &c.


VERNAGES. f. (Jardinage) est une portion de terrein plantée en vernes ou aulnes. Voyez VERNES ou AULNES.


VERNALadj. (Physiq. & Astron.) se dit de ce qui appartient à la saison du printems. Voyez PRINTEMS.

Signes vernaux sont ceux que le soleil parcourt durant la saison du printems, savoir le Bélier, le Taureau, les Gemeaux. Voyez SIGNE.

Equinoxe vernal est celui qui arrive lorsque le soleil commence à monter de l'équateur vers le pole du nord. Voyez EQUINOXE.

Section vernale est l'endroit où l'écliptique coupe l'équateur, & où commencent les signes vernaux. On l'appelle autrement section du printems, premier point du Bélier ou d'aries. Chambers.


VERNE(Jardinage) voyez AULNE.


VERNEUIL(Géog. mod.) ville de France, dans la Normandie, vers les frontieres du Perche, au diocèse d'Evreux, sur la gauche de l'Oure, à 18 lieues au midi de Rouen, & à 24 au sud-ouest de Paris. Le roi Charles VII. l'enleva aux Anglois en 1449 ; & depuis ce tems-là elle a fait partie du duché d'Alençon. L'élection de Verneuil comprend cent trente-deux paroisses. Le commerce des habitans consiste en grains, en draperies & en bonneteries. Longitude suivant Cassini, 18d. 35'. 45''. latit. 48d. 44'. 10 ''.

2°. Verneuil, autre petite ville de France, dans le Bourbonnois, à six lieues de Moulins, avec titre de châtellenie. Long. 20d. 48'. latit. 46d. 17 '. (D.J.)


VERNISVERNIS

Un ouvrage d'un bois vernis doit être fait à loisir. Un été suffit à-peine pour donner à l'ouvrage de vernis toute la perfection qu'il doit avoir. Il est rare que les Chinois ayent de ces sortes d'ouvrages de prêts, presque toujours ils attendent l'arrivée des vaisseaux pour y travailler, & se conformer au goût des européens.

Ce que c'est que le vernis chinois. Le vernis que les Chinois nomment tsi, est une gomme roussâtre qui découle de certains arbres par des incisions que l'on fait à l'écorce jusqu'au bois, sans cependant l'entamer. Ces arbres se trouvent dans les provinces de Kiang-si & de Se-tehuen : ceux du territoire de Kanttcheou, ville des plus méridionales de la province de Kiang-si, donnent le vernis le plus estimé.

Son choix. Pour tirer du vernis de ces arbres, il faut attendre qu'ils ayent 7 ou 8 ans. Celui qu'on en tireroit avant ce tems-là ne seroit pas d'un bon usage. Le tronc des arbres les plus jeunes dont on commence à tirer le vernis, a plus d'un pié de circuit. On dit que le vernis qui découle de ces arbres vaut mieux que celui qui découle des arbres plus vieux, mais qu'ils en donnent beaucoup moins.

Arbre d'où découle le vernis. Ces arbres dont la feuille & l'écorce ressemblent assez à la feuille & à l'écorce du frêne, n'ont jamais guere plus de 15 piés de hauteur ; la grosseur de leur tronc est alors de deux piés & demi de circuit, ils ne portent ni fleurs, ni fruits : voici comme ils se multiplient.

Sa culture. Au printems quand l'arbre pousse, on choisit le rejetton le plus vigoureux, qui sorte du tronc & non pas des branches ; quand ce rejetton est long d'environ un pié, on l'enduit par le bas de mortier fait de terre jaune. Cet enduit commence environ deux pouces au-dessous du lieu où il sort du tronc, & descend au-dessous quatre ou cinq pouces ; son épaisseur est au-moins de trois pouces. On couvre bien cette terre, & on l'enveloppe d'une natte qu'on lie avec soin pour la défendre des pluies & des injures de l'air. On laisse le tout dans cet état depuis l'équinoxe du printems jusqu'à celui d'automne. Alors on ouvre tant-soit-peu la terre pour examiner en quel état sont les racines que le rejetton a coutume d'y pousser, & qui se divisent en plusieurs filets ; si ces filets sont de couleur jaunâtre ou roussâtre, on juge qu'il est tems de séparer le rejetton de l'arbre, on le coupe adroitement sans l'endommager, & on le plante. Si ces filets sont encore blancs, c'est signe qu'ils sont trop tendres, ainsi on recouvre l'enduit de terre comme il étoit auparavant, & on differe au printems suivant à couper le rejetton pour le planter. Mais soit qu'on le plante au printems ou en automne, il faut mettre beaucoup de cendres dans le trou qu'on a préparé, sans quoi les fourmis dévoreroient les racines encore tendres, ou du-moins en tireroient tout le suc & les feroient sécher.

Saison du vernis. L'été est la seule saison où l'on puisse tirer le vernis des arbres ; il n'en sort point pendant l'hiver, & celui qui sort au printems & en automne est toujours mêlé d'eau.

Sa récolte. Pour tirer le vernis on fait plusieurs incisions de niveau à l'écorce de l'arbre autour du tronc, qui selon qu'il est plus ou moins gros, peut en fournir plus ou moins. Le premier rang des incisions n'est éloigné de terre que de sept pouces. A la même distance plus haut se fait un second rang d'incisions, & ainsi de sept en sept pouces jusqu'aux branches qui ont une grosseur suffisante.

On se sert pour faire ces incisions d'un petit couteau fait en demi-cercle. Chaque incision doit être un peu oblique de bas-en-haut, aussi profonde que l'écorce est épaisse, & non pas davantage ; celui qui la fait d'une main, a dans l'autre main une coquille dont il insere aussi-tôt les bords dans l'incision autant qu'elle peut y entrer. Ces coquilles sont plus grandes que les plus grandes coquilles d'huitres qu'on voie en Europe. On fait ces incisions le soir, & le matin on va recueillir ce qui a coulé dans les coquilles ; le soir on les insere de nouveau dans les incisions, & l'on continue de la même maniere jusqu'à la fin de l'été.

Ce ne sont point d'ordinaire les propriétaires de ces arbres qui en tirent le vernis, ce sont des marchands qui, dans la saison, traitent avec les propriétaires, moyennant cinq sous par pié. Ces marchands louent des ouvriers auxquels ils donnent par mois une once d'argent tant pour leur travail que pour leur nourriture. Un de ces ouvriers suffit pour cinquante piés d'arbre.

Précaution nécessaire à la récolte du vernis. Il y a des précautions à prendre pour garantir les ouvriers des impressions malignes du vernis. Il faut avoir préparé de l'huile de rabette, où l'on aura fait bouillir une certaine quantité de ces filamens charnus qui se trouvent entremêlés dans la graisse des cochons, & qui ne se fondent point quand on fait le saindoux. Lorsque les ouvriers vont placer ces coquilles aux arbres, ils portent avec eux un peu de cette huile dont ils se frottent le visage & les mains le matin ; lorsqu'après avoir recueilli le vernis, ils reviennent chez les marchands, ils se frottent encore plus exactement de cette huile.

Après le repas, ils se lavent tout le corps avec de l'eau chaude, dans laquelle on a fait bouillir de l'écorce extérieure & hérissée de chataignes, de l'écorce de bois de sapin, du salpêtre crystallisé, & d'une herbe qui est une espece de blete qui a du rapport au tricolor. Toutes ces drogues passent pour être froides.

Chaque ouvrier remplit de cette eau un petit bassin, & s'en lave en particulier ; ce bassin doit être d'étain.

Dans le tems qu'ils travaillent près des arbres, ils s'enveloppent la tête d'un sac de toile qu'ils lient autour du cou où il n'y a que deux trous vis-à-vis des yeux. Ils se couvrent le devant du corps d'une espece de tablier fait de peau de daim passée, qu'ils suspendent au cou par des cordons, & qu'ils arrêtent par une ceinture ; ils ont aussi des bottines de la même matiere, & aux bras des gants de peau fort longs.

Vases pour la récolte. Quand il s'agit de recueillir le vernis, ils ont un vase fait de peau de boeuf attaché à leur ceinture ; d'une main ils dégagent les coquilles, & de l'autre ils les raclent avec un petit instrument de fer, jusqu'à-ce qu'ils en ayent tiré tout le vernis. Au bas de l'arbre est un panier où on laisse les coquilles jusqu'au soir. Pour faciliter la récolte du vernis, les propriétaires des arbres ont soin de les planter à peu de distance les uns des autres.

Attelier du vernis. Le marchand tient prêt un grand vase de terre sur lequel est un chassis de bois soutenu par quatre piés, à-peu-près comme une table quarrée dont le milieu seroit vuide ; sur le chassis est une toile claire arrêtée par les quatre coins avec des anneaux. On tient cette toile un peu lâche, & on y verse le vernis. Le plus liquide s'étant écoulé de lui-même, on tord la toile pour faire couler le reste. Le peu qui demeure dans la toile se met à part, on le vend aux droguistes parce qu'il est de quelque usage dans la médecine. On est content de la récolte, lorsque dans une nuit mille arbres donnent vingt livres de vernis.

Maladie qu'il occasionne. Il en coûte cher aux ouvriers qui recueillent le vernis, quand ils négligent de prendre les précautions nécessaires dont nous venons de parler. Le mal qui les attaque commence par des especes de dartres qui leur couvrent en un jour le visage & le reste du corps : bien-tôt le visage du malade se bouffit, & son corps qui s'enfle extraordinairement, paroît tout couvert de lepre.

Pour guérir un homme attaqué de ce mal, on lui fait boire d'abord quelques écuellées de l'eau droguée dont les ouvriers se servent pour prévenir ces accidens. Cette eau le purge violemment. On lui fait ensuite recevoir une forte fumigation de la même eau, en le tenant bien enveloppé de couvertures, moyennant quoi l'enflure & la bouffissure disparoissent ; mais la peau n'est pas si-tôt saine ; elle se déchire en plusieurs endroits, & rend beaucoup d'eau. Pour y remedier on prend de cette espece de blete qui a du rapport au tricolor : on la seche & on la brûle ; puis on en applique la cendre sur les parties du corps les plus maltraitées. Cette cendre s'imbibe de l'humeur âcre qui sort des parties déchirées ; la peau se seche, tombe, & se renouvelle.

Propriétés du vernis. Le vernis de la Chine, outre l'éclat qu'il donne aux moindres ouvrages auxquels on l'applique, a encore la propriété de conserver le bois & d'empêcher que l'humidité n'y pénetre. On peut y répandre tout ce qu'on veut de liquide ; en passant un linge mouillé sur l'endroit, il n'y reste aucun vestige, pas même l'odeur de ce qui y a été répandu. Mais il y a de l'art à l'appliquer, & quelque bon qu'il soit de sa nature, on a encore besoin d'une main habile & industrieuse pour le mettre en oeuvre. Il faut sur-tout de l'adresse & de la patience dans l'ouvrier pour trouver ce juste tempérament que demande le vernis, afin qu'il ne soit ni trop liquide, ni trop épais, sans quoi il ne réussiroit que médiocrement dans ce travail.

Manieres de l'appliquer. Le vernis s'applique en deux manieres ; l'une qui est simple, se fait immédiatement sur le bois. Après l'avoir bien poli, on passe deux ou trois fois de cette espece d'huile que les Chinois appellent tong-yeou : quand elle est bien seche, on applique deux ou trois couches de vernis. Si on veut cacher toute la matiere sur laquelle on travaille, on multiplie le nombre des couches de vernis, & il devient alors si éclatant qu'il ressemble à une glace de miroir. Quand l'ouvrage est sec, on y peint en or & en argent diverses sortes de figures, comme des fleurs, des hommes, des oiseaux, des arbres, des montagnes, des palais, &c. sur lesquels on passe encore une légere couche de vernis, qui leur donne de l'éclat, & qui les conserve.

L'autre maniere qui est moins simple, demande plus de préparation ; car elle se fait sur une espece de petit mastic qu'on a auparavant appliqué sur le bois. On compose de papier, de filasse, de chaux & de quelques autres matieres bien battues, une espece de carton qu'on colle sur le bois, & qui forme un fond très-uni & très-solide, sur lequel on passe deux ou trois fois de l'huile dont nous avons parlé, après quoi l'on applique le vernis à differentes couches qu'on laisse sécher l'une après l'autre. Chaque ouvrier a son secret particulier qui rend l'ouvrage plus ou moins parfait, selon qu'il est plus ou moins habile.

Moyens de rétablir le vernis. Il arrive souvent qu'à force de répandre du thé ou des liqueurs chaudes sur des ustensiles de vernis, le lustre s'en efface parce que le vernis se ternit & devient jaune ; le moyen de lui rendre le noir éclatant qu'il avoit, est de l'exposer une nuit à la gelée blanche, & encore mieux de le tenir quelque tems dans la neige. Observations curieuses sur l'Asie ; & du Halde, description de la Chine, (D.J.)

VERNIS DU JAPON, (Art exotique) l'arbre qui donne le véritable vernis du Japon s'appelle urusi ; cet arbre produit un jus blanchâtre, dont les Japonois se servent pour vernir tous leurs meubles, leurs plats, leurs assiettes de bois qui sont en usage chez toutes sortes de personnes, depuis l'empereur jusqu'au paysan : car à la cour, & à la table de ce monarque, les ustensiles vernissés sont préférés à ceux d'or & d'argent. Le véritable vernis est une espece particuliere au Japon ; il croît dans la province de Fingo & dans l'île de Tricom ; mais le meilleur de tous est celui de la province de Jamatto.

Cet arbre a peu de branches ; son écorce est blanchâtre, raboteuse, se séparant facilement : son bois est très-fragile, & ressemble à celui du saule ; sa moëlle est très-abondante ; ses feuilles semblables à celles du noyer, sont longues de huit à neuf pouces, ovales & terminées en pointe, point découpées à leur bord, ayant au milieu une côte ronde, qui regne dans toute leur longueur jusqu'à la pointe, & qui envoye de chaque côté jusqu'au bord plusieurs moindres nervures. Ces feuilles ont un goût sauvage, & quand on en frotte un panier elles le teignent d'une couleur noirâtre ; les fleurs qui naissent en grappe des aisselles des feuilles, sont fort petites, d'un jaune verdâtre, à cinq pétales, un peu longs & recourbés. Les étamines sont en pointes & très-courtes aussi-bien que le pistil qui est terminé par trois têtes. L'odeur de ces fleurs est douce & fort gracieuse, ayant beaucoup de rapport à celle des fleurs d'orange. Le fruit qui vient ensuite a la figure & la grosseur d'un pois chiche : dans sa maturité il est fort dur & d'une couleur sale.

L'arbre du vernis qui croît dans les Indes, & que Kaempfer juge être le véritable anacarde est tout-à-fait différent de l'urusi du Japon. A Siam on l'appelle toni-rack, c'est-à-dire l'arbre du rack. Il se tire de la province de Corsama & du royaume de Cambodia ; on en perce le tronc, d'où il sort une liqueur appellée nam-rack, c'est-à-dire jus de rack ; il croît & porte du fruit dans la plûpart des contrées de l'Orient ; mais on a observé qu'il ne produit point son jus blanchâtre à l'ouest du Gange, soit à cause de la stérilité du terroir, ou par l'ignorance des gens du pays qui ne savent pas la maniere de le cultiver.

La composition du vernis japonois ne demande pas une grande préparation ; on reçoit le jus de l'urusi après qu'on y a fait une incision, sur deux feuilles d'un papier fait exprès, & presque aussi mince que des toiles d'araignées. On le presse ensuite avec la main pour en faire couler la matiere la plus pure ; les matieres grossieres & hétérogènes demeurent dans le papier ; puis on mêle dans ce jus environ une centieme partie d'une huile appellée toi, faite du fruit d'un arbre nommé kiri, & on verse le tout dans des vases de bois qui se transportent où l'on veut.

Le vernis s'y conserve parfaitement, si ce n'est qu'il se forme à la superficie une espece de croute noirâtre que l'on jette. On rougit le vernis quand on veut avec du cinabre de la Chine, ou avec une espece de terre rouge, que les Hollandois portoient autrefois de la Chine au Japon, & que les Chinois y portent présentement eux-mêmes ; ou enfin avec la matiere qui fait le fond de l'encre du pays : le jus du vernis, tant de celui du Japon que de celui de Siam, a une odeur forte qui empoisonneroit ceux qui l'emploient, leur causeroit de violens maux de tête, & leur feroit enfler les levres, s'ils n'avoient soin de se couvrir la bouche & les narines avec un linge, quand ils le recueillent. On trouvera la description & la figure de l'arbre du vernis des Indes dans les Aménités exotiques de Kaempfer ; il n'y a rien d'assez particulier pour l'ajouter ici. (D.J.)

VERNIS D'AMBRE JAUNE, (Chymie) c'est une dissolution d'ambre à petit feu, ensuite pulvérisé & incorporé avec de l'huile seche. Le docteur Shaw nous indique le procédé de ce vernis.

Prenez, dit-il, quatre onces d'ambre jaune, mettez-les dans un creuset, & faites-les fondre précisément au juste degré de chaleur qui convient à cette substance, c'est-à-dire à très-petit feu. Quand la matiere sera en fusion, versez-la sur une plaque de fer ; lorsqu'elle sera refroidie vous réduirez l'ambre en poudre, & vous y ajouterez deux onces d'huile seche (c'est-à-dire d'huile de semence de lin préparée ou épaissie par un peu de litharge avec laquelle on l'aura fait bouillir), & une pinte d'huile de térébenthine ; faites ensuite fondre le tout ensemble & vous aurez du vernis.

Cette méthode de faire le vernis d'ambre a été regardée jusqu'à présent comme un secret, dont un très-petit nombre de personnes étoient instruites ; cependant il mérite qu'on le rende public, parce que ce procédé peut nous diriger, dans la conduite des moyens propres à perfectionner l'art des vernis, & particulierement celui du Japon, ou dans la maniere de dissoudre l'ambre, d'où dépend la perfection de plusieurs arts, tels en particulier que l'art des embaumemens. On perfectionneroit beaucoup en effet ce dernier, si l'on pouvoit parvenir à conserver le corps humain dans une espece d'enveloppe transparente d'ambre, comme nous voyons les mouches, les araignées, les sauterelles, &c. qu'on conserve de cette maniere dans la plus grande perfection.

Pour parvenir à ce but, du-moins par approximation, on a substitué utilement à l'ambre une belle résine cuite jusqu'à la consistance de colophone, ou sous la forme d'une substance transparente & compacte, quoique fragile ; on fait dissoudre cette résine à une chaleur douce, & l'on y trempe ensuite à plusieurs reprises successivement les corps de quelques insectes, par ce moyen ils sont revêtus de colophone. Cette substance en effet ressemble en quelque façon à l'ambre, il faut seulement avoir soin de la préserver du contact de la poussiere si l'on veut lui conserver sa transparence.

Si l'on pouvoit dissoudre l'ambre sans diminuer sa transparence, ou en former une masse considérable, en unissant par le moyen de la fusion plusieurs morceaux ensemble, ce procédé tendroit non-seulement à perfectionner l'art des embaumemens, mais parviendroit à rendre l'ambre une matiere d'usage dans plusieurs circonstances, au-lieu de bois, de marbre, de glace, d'argent, d'or, & d'autres métaux ; car alors on pourroit en faire aisément différentes especes de vaisseaux & d'instrumens.

Notre expérience pousse encore plus loin la découverte, & nous apprend que l'ambre contient une certaine partie visqueuse, aqueuse ou mucilagineuse. En conséquence il exige ordinairement qu'on le fasse évaporer à un très-grand degré de chaleur avant que de pouvoir se dissoudre aisément dans l'huile, avec laquelle il forme ensuite une substance d'une nature composée de celle d'une huile, d'une gomme, & d'une résine. L'huile éthérée de térébenthine ne la dissoudroit même pas à-moins qu'elle ne fût épaissie, & qu'on ne l'eût rendue propre à ce dessein par le moyen d'une huile seche. Il paroît donc évidemment d'après ces observations, que l'ambre n'est pas seulement résineux, mais aussi mucilagineux ; ainsi lorsqu'on voudra tenter de fondre ensemble de petits morceaux d'ambre pour en former une seule masse, on fera bien de considérer cette substance comme une résine mucilagineuse, & par conséquent propre à se dissoudre ; 1°. dans une huile épaissie par une évaporation préalable de ses parties aqueuses, ou par la destruction de sa portion la plus mucilagineuse ; 2°. il est possible de la dissoudre en la faisant bouillir dans une lessive de sel de tartre ou de chaux vive, ou dans quelque autre substance plus âcre & plus alkaline encore ; 3°. & que le digesteur paroît très-propre à dissoudre cette substance résineuse & mucilagineuse par le moyen d'une huile par expression qu'on ajoute à l'ambre qu'on a d'abord réduit en poudre subtile. On empêche ensuite l'une & l'autre de brûler par l'interposition de l'eau ; nous recommandons sur-tout dans cette opération, une digestion lente & modérée, plutôt qu'un très-grand degré de chaleur. L'expérience que nous venons de donner indique donc trois différentes méthodes pour dissoudre l'ambre sans détruire considérablement sa texture, ou du-moins nous met en état de pouvoir lui rendre sa premiere forme, & d'en refaire une espece d'ambre par une opération très-utile. Shaws, Essais chimical. (D.J.)

VERNIS, terme d'Imprimeur, composition de térébenthine & d'huile de noix ou de lin, cuits séparément, puis mêlées & incorporées l'une avec l'autre, dont ils font leur encre à imprimer, en la broyant avec du noir de fumée. (D.J.)

VERNIS à la bronze, (Peint.) on le compose en prenant une once de gomme-laque plate, qu'on réduit en poudre très-fine, & qu'ensuite on met dans un matras de verre de Lorraine qui tienne trois demi-septiers, voyez MATRAS ; alors on verse par-dessus un demiseptier d'esprit-de-vin, & l'on bouche le matras, le laissant reposer quatre jours durant pour laisser dissoudre la gomme laque ; il faut néanmoins pendant ce tems-là remuer le matras, comme en rinçant, quatre ou cinq fois par jour, afin d'empêcher que la gomme laque ne se lie en une masse, & ne s'attache aux parois du matras. Mais si au bout de ces quatre jours la gomme n'est pas dissoute, on mettra le matras sur un petit bain de sable, à un feu très-doux, voyez BAIN DE SABLE, pour la faire dissoudre entierement, & lorsque la laque sera dissoute, le vernis sera fait. En mettant l'esprit-de-vin sur la gomme qui est dans le matras, vous le verserez peu-à-peu, afin qu'il pénetre mieux la poudre, & de tems-en-tems il faut cesser de verser l'esprit-de-vin & remuer le matras en rinçant, & continuer jusqu'à-ce qu'on y ait mis tout l'esprit-de-vin, pour qu'il soit bien mêlé avec la gomme laque.

VERNIS pour les plâtres, prenez quatre gros du plus beau savon, & quatre gros de la plus belle cire blanche dans une pinte d'eau. L'on met l'eau sur les cendres chaudes, l'on ratisse le savon & la cire que l'on fait fondre dans cette eau dans un vase neuf & vernissé : on y trempe le plâtre en le soutenant un moment ; un quart-d'heure après, on le retrempe de même ; cinq ou six jours après, lorsqu'il est entierement sec, on le polit en frottant avec un doigt enveloppé de mousseline. Ce vernis ne fait aucune épaisseur, & conserve au plâtre sa blancheur.

VERNIS de plomb, (Arts) on fait le vernis de plomb en jettant du charbon pilé dans du plomb bien fondu, & en les remuant long-tems ensemble. On en sépare le charbon en le lavant dans l'eau, & le faisant sécher. Les Potiers de terre se servent du vernis de plomb ou de plomb minéral pulvérisé, pour vernir leurs ouvrages. On voit par une lampe vernissée, que M. de Caylus a fait graver dans ses antiquités, que les anciens ont connu l'art de vernir avec le plomb les ouvrages de terre, comme nous le faisons aujourd'hui. Il est vrai qu'il y a peu d'exemples de leurs connoissances dans cette matiere ; mais celle-là suffit pour prouver que les anciens ont connu un très-grand nombre de pratiques des arts, que plusieurs modernes leur ont refusées. (D.J.)

VERNIS, s. m. (Poterie de terre) espece d'enduit brillant que l'on met sur les ouvrages de poterie, & sur ceux de fayance. Le plomb sert à la vernissure de la premiere, & la potée pour vernisser l'autre. (D.J.)


VERNISSÉadj. (Vernisseur) ce qui est enduit de vernis ; on le dit aussi des ouvrages de poterie & de fayance qui ont reçu le plomb fondu & la potée.


VERNISSERv. act. terme de Poterie, chez les Potiers de terre, c'est donner à la poterie avec de l'alquifoux, ou bien du plomb fondu, une espece de croute ou d'enduit lisse ou brillant. On dit pareillement vernisser la fayance, ce qui signifie se servir de la potée pour lui donner l'émail. (D.J.)


VERNISSONLE, (Géog. mod.) petite riviere de France, en Orléanois. Elle prend sa source auprès de Gien, & tombe dans le Loing un peu au-dessus de Montargis. (D.J.)


VERNISSURES. f. application du vernis. Voyez ce mot.


VERNODURUM(Géogr. anc.) fleuve de la Gaule narbonnoise, selon Pline, l. III. c. iv. C'est la Tet qui arrose Perpignan. (D.J.)


VERNOou VERNON-SUR-SEINE, (Géog. mod.) ville de France, en Normandie, sur la gauche de la Seine, dans une plaine, à 6 lieues au levant d'Evreux, à 7 au sud-ouest de Gisors, & à 10 au-dessus de Rouen.

Cette ville a eu ses seigneurs particuliers jusqu'à-ce que Philippe en ait fait l'acquisition, & depuis lors les rois de France ont plusieurs fois donné Vernon en apanage aux reines. Il a ensuite fait partie du bailliage de Gisors, qui fut cédé avec le duché de Chartres & plusieurs autres terres, par François I. à Renée de France, duchesse de Ferrare. Le tout passa à la fille de la duchesse Renée-Anne d'Est, qui épousa en secondes noces le duc de Nemours ; & c'est par-là que le comté de Gisors vint à cette maison de Savoye. Louis XIV. réunit le total au domaine, mais dans la suite il donna Gisors & ses dépendances en apanage, avec le titre de vicomte, à son petit-fils le duc de Berry, qui mourut sans enfans avant le roi son ayeul l'an 1714.

Il y a à Vernon une église collégiale, un hôpital, & plusieurs couvens. Elle est bien peuplée, a de bonnes murailles, des fossés profonds, un gouverneur, un maire, & un college où l'on enseigne les humanités. Son bailliage est dans le ressort du présidial d'Andely. Son commerce consiste principalement en blé, toiles & couvertures de laine.

C'est à Vern, jadis château royal entre Paris & Compiegne, & non pas à Vernon, que se tint en 755 un concile national sous le regne de Pepin, pour la discipline ecclésiastique, pour les droits de l'Eglise, & pour les immunités en faveur des pélerins. Long. 19. 8. latit. 49. 4. (D.J.)


VERNOSOLA(Géog. anc.) lieu de la Gaule aquitanique, sur la route de Tarbes à Toulouse, entre Aquae-Siccae & Toulouse, à quinze milles de chacun de ces lieux. On croit que c'est aujourd'hui Vernoux, bourg entre Rieux & Toulouse, élection de Comminges, & à une lieue de la Garonne. (D.J.)


VEROLAMIUM(Géog. anc.) ville de la grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route du retranchement à Portus-Rutupis, entre Durocobrivae & Sulloniacae, à douze milles du premier de ces lieux, & à neuf milles du second. Tout le monde convient que cette ancienne ville étoit près de S. Albans, qui s'est accrue de ses ruines. Tacite, an. l. XIV. c. xxxiij. donne à Verolamium le titre de municipe. C'étoit, selon Dion Cassius, l. LX. p. 779. la capitale des Catuellani, que Ptolémée, l. II. c. iij. appelle Catyenchlani, & auxquels il donne la ville Violanium qui est la même que Verolamium.

Cette ville, l'une des premieres & des plus considérables colonies romaines dans la grande-Bretagne, fut premierement ruinée par les Bretons dans le soulevement de la reine Boodicia ; mais elle se rétablit bien-tôt, & elle devint plus puissante que jamais. Elle fut ruinée une seconde fois durant les guerres des Saxons & des Bretons, & elle ne se releva pas de cette chûte.

On voit encore les vestiges des anciennes murailles, & des fossés qui ont douze cent soixante-dix pas de circuit. On a trouvé dans ces mazures quantité de monumens, comme des médailles, des petites figures d'or & d'argent, des colonnes, des pavés de mosaïque, des souterrains, & autres choses semblables. Il paroît outre cela qu'elle étoit située sur une grande route pavée autrefois par les légions romaines, & que les Saxons nommerent Vatling-Streat. Ces peuples s'étant rendus maîtres de Verolamium, l'appellerent Watlingacester, à cause du grand chemin dont il vient d'être parlé. Depuis on lui donna le nom de Werlamcester, & de-là vient qu'encore aujourd'hui on lui donne communément celui de Werlam.

En 429, on tint à Verolamium un concile, où saint Germain évêque d'Auxerre, & saint Loup évêque de Troyes, furent appellés de France pour aider à éteindre l'hérésie pélagienne, qui recommençoit à être goûtée dans les églises de la grande-Bretagne. Ce fut auprès de Verolamium, selon le vénérable Bede, hist. eccles. l. I. c. vij. que S. Albans ou S. Albin souffrit le martyre le 10 des calendes de Juillet. Dans la suite, les habitans s'étant convertis, fonderent un magnifique monastere à l'honneur de ce saint ; & c'est ce monastere qui a donné l'origine & le nom au bourg de S. Albans. (D.J.)


VEROLEPETITE, (Hist. de la Médecine) il ne s'agit ici que de l'historique de cette étrange maladie, qui est aujourd'hui répandue dans tout le monde connu, & qui saisit tôt ou tard toutes sortes de personnes, sans avoir égard au climat, à l'âge, au sexe, ni au tempérament du malade. Soit que les ravages de cette maladie procedent de la violence qui lui est propre, ou des mauvaises méthodes dont on se sert pour la traiter, elle ne cede point à la peste par les désastres qu'elle cause.

On a tout lieu de présumer que la petite vérole a été inconnue aux Grecs & aux Romains, puisqu'aucun médecin de ce tems-là ne nous en a laissé la description. Des auteurs tels qu'Hippocrate, Aretée, Celse, Coelius l'Africain, & Soranus d'Ephese, qui réussissoient si bien dans les descriptions des maladies, qu'on peut les regarder plutôt comme des peintures achevées que comme des histoires, car les anciens n'excelloient pas moins dans les descriptions que dans la poésie, la sculpture & la peinture, n'auroient pas négligés de nous parler de la petite vérole, si elle eût existé de leur tems. Il peut cependant se faire qu'elle ait été connue dans quelques autres parties du monde, & il s'est trouvé des médecins qui l'ont fait naître dans les Indes pour la transporter dans l'Arabie.

On sait seulement que les Arabes l'apporterent en Egypte lorsqu'ils en firent la conquête sous le calife Omar ; qu'elle se répandit avec eux dans tous les lieux où ils porterent leurs armes, leur religion & leur commerce, savoir dans l'Egypte, dans la Syrie, la Palestine, la Perse, la Lycie, le long des côtes de l'Afrique, & de-là en Espagne, d'où elle passa avec les Européens dans toutes les autres parties du monde connu. Rhazès, syrien de naissance, arabe d'origine, & mahométan de religion, qui vivoit dans le neuvieme siecle, est le premier de tous les auteurs qui nous restent, qui ait traité de cette maladie avec exactitude. Il faut lire pour s'en convaincre l'extrait qu'en a fait l'illustre Freind, & dont il nous suffira de donner le précis le plus abrégé.

Rhazès, qui écrivoit dans l'ardent climat de la Perse, observe que la petite vérole y est plus épidémique au printems qu'en automne. Les enfans & les adultes y sont les plus sujets ; les vieillards en sont rarement attaqués, à-moins que la saison ne soit fort contagieuse. Les corps qui abondent en humeurs prennent aisément l'infection, & les tempéramens secs en sont attaqués le plus violemment. Rhazès nomme en syriaque la petite-vérole chaspé ; le mot caphe ou capheph en arabe signifie une éruption de pustules.

Les symptomes qui précédent cette maladie sont, selon le médecin arabe, une fievre aiguë, un mal de tête violent, des douleurs dans les lombes, la sécheresse de la peau, la difficulté de respirer ; les yeux deviennent rouges ; on sent des picotemens par tout le corps ; on est agité de songes affreux durant le sommeil ; enfin on a des maux de coeur avec des envies de vomir. Il nomme sublimia les pustules qui s'élevent en pointe, & lata celles qui sont larges & plates, comme dans la petite vérole confluente.

Rhazès s'étend beaucoup sur les prognostics de la petite vérole. Si, dit-il, l'éruption se fait aisément, que les pustules viennent bien à maturation, & que la fievre cesse, il n'y a point de danger ; il en est de même quand les pustules sont grosses, distinctes, en petit nombre, mûrissant bien, & ne causant au malade ni oppression, ni chaleur immodérée.

Mais si les pustules sont pressées, cohérentes, se répandant comme des herpes, rongeant la peau, & ne contenant point de matiere, c'est une espece de petite vérole très-maligne, sur-tout si la fievre augmente après l'éruption, & qu'alors de nouvelles pustules viennent encore à sortir.

Si l'éruption, continue-t-il, se fait le premier jour de la maladie, cela marque trop d'impétuosité dans les humeurs ; si elle arrive le troisieme jour, c'est un meilleur signe ; & si c'est le septieme jour, la maladie est encore plus heureuse.

Quand les pustules sont fort petites, dures, de couleur violette, verte, d'un rouge noirâtre, c'est un mauvais présage. Si les pustules continuent dans cet état, que la fievre ne diminue pas, & qu'elle soit accompagnée de syncopes ou de palpitations, on ne doit attendre qu'une promte mort.

La méthode curative vient ensuite. Rhazès conseille de saigner d'abord ou d'appliquer les ventouses. La chambre doit être tenue fraîche, & tout le régime consister dans une diete acide & rafraîchissante. La tisane d'orge doit être la nourriture. Les rafraîchissans & les acides seront proportionnés à l'ardeur plus ou moins grande de la maladie. Si le ventre est resserré, il faut le tenir libre par quelques infusions laxatives, qu'on prendra deux fois par jour. Lorsque les pustules sont toutes sorties, on fera recevoir au malade les vapeurs de l'eau. Il usera pour délayans d'eaux d'orge, de grenade, de melon, & autres semblables liqueurs tempérées. Si l'oppression est fort grande, il conseille le bain d'eau tiede pour procurer l'éruption. Il prescrit les opiates lorsque le malade ne peut pas dormir, ou qu'il est attaqué d'une diarrhée sur la fin de la maladie. Il conseille aussi d'avoir recours aux remedes calmans, lorsqu'il paroît quelques symptomes terribles qui empêchent les pustules de venir à suppuration.

Sur le déclin de la maladie, lorsque la nature étoit prête à succomber sous le poids de la matiere morbifique, il se servoit dans ce cas de nécessité de la saignée, & de la purgation pour secourir le malade.

Il faut convenir que cette description est si fidele, que depuis le tems de Rhazès jusqu'au notre on n'a presque rien découvert de nouveau à ajouter à la bonne pratique des Arabes. On a au-moins un millier d'auteurs qui ont publié des ouvrages sur cette maladie sans aucune utilité pour le public, ou plutôt au grand détriment du public, car on ne peut dire combien de malades ont été tués par les cordiaux & les irritans qui ont été mis en usage, soit pour accélérer l'éruption, soit pour l'amener à suppuration après qu'elle étoit faite.

Enfin Sydenham prit la nature pour guide, & détruisit par sa conduite la durée de si longues erreurs. Sa description de la maladie est d'une vérité & d'une élégance qu'on ne sauroit trop admirer. Il sut prédire les dangers qu'il étoit incapable d'éviter, & indiqua les écueils où lui & les autres avoient échoué.

On peut comparer à cet égard Sydenham avec le lord Verulam, un des plus exacts observateurs de la nature qui ait jamais été ; non-content des découvertes surprenantes qu'il avoit faites, il marqua le plan que ceux qui viendroient après lui devoient suivre, pour continuer avec succès l'histoire naturelle, étant impossible à un homme seul, vu la briéveté de la vie, de recueillir tous les matériaux que la nature fournit pour en composer un corps d'histoire. Le fameux Boyle commença où l'autre avoit fini, & vint à bout d'exécuter le plan que le premier philosophe avoit laissé.

Sydenham qui avoit déja fait tant de découvertes sur la petite vérole, regardoit cette maladie comme une vraie fievre inflammatoire, & chaque pustule comme un phlegmon ; il gouvernoit très-bien son malade jusqu'à l'approche de la fievre secondaire ; mais lorsque celle-ci venoit à augmenter, que la matiere étoit mal digérée, que le visage se desenfloit, que les crachats s'épaississoient & s'arrêtoient, alors semblable à un prophete, il annonçoit le danger dont le malade étoit menacé, sans pouvoir le prévenir malgré toute l'étendue de son savoir en cette partie.

Helvetius introduisit ensuite la purgation dans le dernier état de la petite vérole, ce qui est, selon moi, un des meilleurs moyens dont on puisse se servir pour appaiser la fievre. Il est vrai que ce médecin admit la purgation sans savoir pourquoi, mais Freind démontra les raisons de cette méthode, & en établit la nécessité par la théorie & l'expérience.

Enfin Boerhaave écrivit expressément sur cette maladie avec sa sagacité ordinaire ; il en développa la nature & le traitement qui lui convient. Ce qu'il ajoute sur ce traitement est bien remarquable, vulgata quippè methodo, dit-il, nullus nisi spontè emergit : si quelqu'un échappe par la méthode que l'on suit ordinairement, c'est plutôt à la nature qu'il en est redevable, qu'aux efforts de celui qui le traite. Ce jugement me paroît si vrai, que je ne doute point que les Médecins qui voudront parler de bonne foi, n'en conviennent avec franchise. (D.J.)

VEROLE, PETITE, (Médec.) maladie fort commune parmi les enfans, & qui attaque aussi les adultes dans tous les âges ; elle est ordinaire en France, en Angleterre & dans d'autres pays.

Cette maladie paroît sur la peau, qu'elle couvre de pustules ; son origine est incertaine, on ne trouve pas que l'on en ait fait mention avant les Médecins arabes, elle ressemble beaucoup à la rougeole ; desorte qu'il est difficile de les distinguer pendant les trois premiers jours.

L'une & l'autre procede d'un sang impur & chargé de miasme putride ; le levain de la rougeole est plus âcre & plus subtil, plus chaud & plus bilieux ; on prétend que l'une & l'autre ne reviennent pas, quand une fois on les a eues, mais l'expérience démontre le contraire en France.

Quant à la façon dont se produit cette maladie, les uns, comme Dolaeus, veulent que nous apportions sa cause avec la naissance, & qu'elle ne se manifeste que quand elle a eu occasion de se développer ; on ajoute que presque tous les hommes ont la petite vérole, & qu'il n'y en a peut-être pas un entre mille qui lui échappe.

Drake compare la petite vérole à la lepre des Arabes, & prétend que c'est une lepre passagere & critique produite par une sérosité saline, qui excite une fievre au moyen de laquelle le sang se dépure.

Il y a deux especes de petite vérole, la distincte & la confluente ; dans la premiere, les pustules sont séparées & une à une ; dans la seconde, les pustules se touchent, & sont entassées de façon qu'elles ne forment qu'une croute.

M. Sydenham observe que la petite vérole distincte & réguliere, commence par un tremblement & une froideur suivis d'une grande chaleur, de douleur de tête & du dos, de vomissement, d'assoupissement & souvent d'accès épileptiques, les éruptions arrivent ordinairement le quatrieme jour. Les pustules paroissent d'abord au visage, ensuite au col, puis à la poitrine, au commencement elles sont rougeâtres, puis elles augmentent & blanchissent par degré, l'onzieme jour l'enflure & l'inflammation du visage s'évanouissent, & les pustules commencent à se flétrir, c'est environ ce tems qu'est la fin du tems critique & dangereux ; alors les pustules commencent à se sécher, & vers le quinzieme jour, elles paroissent diminuer & commencent à tomber, & alors on croit qu'il n'y a plus de danger.

La petite vérole distincte suit cette tournure, à moins qu'il ne survienne des cours de ventre ou d'autres symptomes qui dérangent le cours ordinaire de la maladie.

La petite vérole confluente a les mêmes symptomes, mais dans un degré plus violent, les pustules paroissent ordinairement le troisieme jour, non pas séparées comme dans la précédente, mais les unes dans les autres, & à la fin elles paroissent comme une petite pellicule blanchâtre sur toute la peau ; & tout le corps, & sur-tout la tête sont considérablement enflés ; ensuite cette pellicule devient noirâtre ; cette espece de petite vérole est accompagnée dans les adultes, de salivation & de diarrhée dans les enfans, la salivation vient souvent immédiatement après l'éruption, mais la diarrhée vient plus tôt. Cette espece de petite vérole est bien plus dangereuse, elle est ordinairement compliquée avec le pourpre & le charbon, elle emporte souvent les malades le onzieme jour.

Cette maladie est épidémique, commence au printems, augmente vers l'été, & se ralentit vers l'automne, & recommence de nouveau vers le commencement ou le milieu, & la fin de l'hiver suivant.

On la divise après M. Morton, en quatre tems ; 1°. la préparation que l'on nomme la couve ou l'ébullition ; c'est le premier tems de l'infection.

2°. L'éruption qui dure quatre jours, comme le premier tems & où les pustules poussent successivement, à commencer par le visage, ensuite le col, puis la poitrine, & enfin par-tout le corps ; il faut remarquer que les éruptions se font au-dedans comme au-dehors.

3°. La suppuration ou les grains s'arrondissent, s'élevent, blanchissent & mûrissent, & ensuite se remplissent de pus, & se couvrent d'une croute plus ou moins sale & terne.

4°. Le desséchement où les pustules se flétrissent & s'affaissent, se desséchent, tombent, & laissent à leur place une cavité superficielle & rouge qui reste encore long-tems après que tous les symptomes ont disparu.

Il y a quatre degrés de malignité ; 1°. quand les pustules sont universellement confluentes & entassées ; 2°. particulierement confluentes, 3°. distinctes, mais très-petites & cohérentes, bordées de noir ou d'un rouge vif & enflammé ; 4°. lorsque les pustules sont distinctes, mais avec éruption pétéchiale, le pourpre ou le millet.

Causes ; comme cette maladie attaque dans tous les âges les hommes & les femmes, les enfans & les vieillards, & qu'elle survient dans différens pays tout à-la-fois, il paroît qu'elle vient par contagion, & qu'elle se gagne par communication d'une personne qui l'a eu auparavant ; les voies qui servent à communiquer cette espece de contagion sont l'air, qui s'en charge & qui la porte avec lui dans la bouche, le nez & les poumons, l'oesophage, l'estomac, les intestins, & dans ce même tems la contagion n'a pas encore beaucoup de partie venimeuse ; mais elle se fomente dans nos humeurs, au moyen des crudités ou de la corruption qui s'y trouvent, & ce venin peut se garder long-tems sans se manifester.

La cause éloignée sera donc une infection qui nous est transmise, ou qui est développée en nous-mêmes. On ne sait en quoi elle consiste, elle a du-moins beaucoup d'analogie avec nos humeurs & la limphe qui se sépare dans les glandes de la peau ; est-ce une humeur analogue à la lepre ? est-ce un virus que nous apportons en naissant ? c'est ce qu'on ne peut décider.

Les causes occasionnelles peuvent être ; 1°. quelque altération ou quelque changement dans l'air, puisque la petite vérole arrive plus fréquemment vers le printems, & qu'elle est en Europe comme ailleurs, plus épidémique & plus mortelle dans des tems particuliers, & sur-tout vers le printems.

2°. La peur qui se fait plus sentir qu'il n'est facile de l'exprimer ; on ne sait que trop par expérience, quel est l'effet des passions sur le corps & nos humeurs. La peur a causé la petite vérole à des personnes qui s'étoient trouvées sans y penser ou s'y attendre, dans des endroits où il y avoit des malades attaqués de petite vérole.

4°. Par les indigestions, les crudités, la pourriture des premieres voies, l'usage des liqueurs trop chaudes, qui alkalisent & putréfient, ou fondent le sang.

Toutes ces causes suffiront pour déterminer un levain contraire à produire son effet, & à se développer.

Symptomes. Lorsqu'une fois ce levain s'est manifesté, il est suivi des signes suivans ; l'horreur, le frisson, la fievre aiguë & inflammatoire, une chaleur brûlante & continue, les yeux brillans, étincelans, & larmoyans, différentes douleurs qui attaquent la tête, le dos, les extrêmités, & sur-tout l'estomac ; car il survient des cardialgies, des foiblesses, des nausées, des vomissemens, ce qui est sur-tout ordinaire aux enfans, une in quiétude, un engourdissement, une somnolence, un assoupissement.

Ces symptomes se compliquent avec d'autres qui appartiennent à différentes maladies, telles que la douleur de côté, la toux, le crachement de sang, la respiration génée, tremblante & convulsive, une stupeur avec un embarras dans la tête, des soubresauts dans les tendons, un météorisme dans le bas-ventre, une dureté dans ses différentes régions, une colique inflammatoire, des suppressions d'urine, des tenesmes, d'autres fois le dévoiement & la dyssenterie se mettent de la partie, & empêchent l'éruption, ou font rentrer le venin au-dedans, lorsqu'il étoit déja sorti par les pores de la peau.

Prognostic. Plus la petite vérole paroît de bonne heure dans le printems, & plus l'air est disposé à favoriser la maladie, plus elle devient dangereuse.

2°. La confluente est dangereuse tant dans les enfans, que dans les adultes ; & plus dans ceux-ci que dans ceux-là. Mais le danger est bien plus grand s'il y a suppression d'urine, nausées, délire, taches de pourpre, crystalline, urine sanglante.

3°. Le ptyalisme ou la salivation s'arrêtant subitement, & ne revenant pas dans les 24 heures, marque un grand danger ; mais cela n'a lieu que dans la confluente, & encore dans les adultes. Dans cette espece le malade n'est pas hors de danger avant le 20e jour.

4°. Si la petite vérole est distincte, ronde, grosse, que les pustules s'emplissent & croissent en pointe par le bout ; si le vomissement, le mal de tête, la fievre cessent ou diminuent beaucoup après l'éruption ; si d'ailleurs le malade a l'esprit tranquille & sans appréhension, le danger est ordinairement passé vers le dixieme jour. Les convulsions sont fort dangereuses.

En général lorsque la petite vérole suit quelque débauche ou excès, soit de liqueurs, soit d'alimens, soit autrement, elle est fort dangereuse & mortelle pour l'ordinaire.

Traitement. Les sentimens sont fort partagés sur cette matiere ; le vulgaire veut que l'on donne les cordiaux pour aider l'éruption ; les médecins sensés, tels que Boërhaave & autres, regardent cette maladie comme inflammatoire, & veulent qu'on la traite comme telle. Mais ce traitement doit varier selon les especes, les tems, & les degrés que l'on distingue dans la petite vérole. Sur quoi il faut se ressouvenir de ce que nous avons dit en parlant des fievres éruptoires.

Dans le premier tems, qui est celui de la couve ou de l'ébullition, on doit généralement saigner pour détendre & relâcher la peau, & aider l'éruption ; mais on saignera moins que dans une inflammation ordinaire. On ordonnera ensuite un émétique ou un purgatif dans le dessein d'évacuer les premieres voies, ou des lavemens légérement purgatifs.

La boisson sera délayante, humectante ; les bouillons seront légers & peu nourrissans pour ne pas augmenter la fievre. Voyez INFLAMMATION.

Dans le deuxieme tems, on aidera l'éruption par une légere tisane de scorzonnaire, de lentilles, de dompte-venin, ou autre, ou de l'eau rougie, ou de la corne de cerf bouillie.

L'air sera tempéré : le malade prendra des bouillons moins légers.

Dans le troisieme tems on aidera la suppuration par la continuation du même régime ; on poussera encore plus par la peau au moyen de légers diaphorétiques.

Enfin sur la fin on poussera par de plus forts sudorifiques : la nourriture sera plus forte. On pourra alors détourner une partie de l'humeur par les selles.

On doit purger après que les croûtes sont tombées, ou lorsqu'elles commencent à tomber ; & cela à plusieurs reprises, pour empêcher le reflux de la matiere purulente au-dedans. On employera des tisanes détersives, balsamiques & fortifiantes ; on ordonnera des linimens détersifs sur les pustules, ou une simple onction avec l'onguent rosat, ou la pommade simple.

La meilleure façon pour empêcher les boutons de creuser est de ne les pas toucher, ou de les piquer légérement afin d'en évacuer le pus, & qu'il ne corrode pas la peau par-dessous les croûtes.

On ne peut absolument donner de regles générales sur le traitement de la petite vérole ; comme sa cause nous est inconnue, on ne peut à cet égard seul la traiter que par empirisme : les symptomes seuls nous donnent des indications. On voit des malades périr après la saignée ; on en voit beaucoup qui en reviennent sans saignée, ni autres préparations.

M. Freind & d'autres sont pour la saignée ; les Allemands saignent peu. Alsaharavius dans le premier degré de la petite vérole, prescrit la saignée jusqu'à défaillance & jusqu'à l'évanouissement. M. Lister a trouvé que dans la petite vérole maligne le sang est excessivement tendre & friable, en sorte que la plume la plus molle diviseroit facilement ses globules.

Ettmuller dit que l'on doit avoir par-dessus tout une attention particuliere à l'haleine, à la respiration & à la voix ; & que quand ces deux choses sont bonnes, c'est un bon signe. Il ajoute que la fiente de cheval est un excellent médicament, en ce qu'il provoque la sueur, & qu'il garantit la gorge.

Le vulgaire est dans un préjugé que toutes les boissons doivent être rouges, à cause de la chaleur qu'on prétend être seule nécessaire dans cette maladie.

Quelques auteurs ont proposé les mercuriaux dans le commencement, en établissant une analogie entre la grosse & la petite vérole.

Inoculation. On nous a apporté des Indes & de la Mingrelie, une autre méthode de traiter la petite vérole, qui est l'inoculation. Elle consiste à donner la petite vérole, en communiquant son venin à un malade en lui faisant entrer le pus d'une pustule vérolique, par quelque ouverture qu'on lui fait à la peau, ou en lui mettant dans le nez un grain de ce levain qui soit assez considérable : on traite ensuite le malade méthodiquement. Voyez INOCULATION.

Petite vérole volante. Cette maladie a beaucoup de rapport avec la petite vérole vraie ; mais elle est bien plus légere, plus superficielle. On y remarque les quatre tems comme dans la vraie, quoique moins marqués. Ceux qui nient que l'on puisse avoir cette maladie deux fois, disent que la vérole volante n'arrive que par un défaut d'éruption suffisante de petite vérole, au moyen de quoi il reste encore suffisamment de levain pour produire une nouvelle éruption, & que la petite vérole vraie détruit les glandes & le tissu de la peau quand elle est abondante, ce qui l'empêche de revenir. Cette raison ne peut avoir lieu lorsque la petite vérole est médiocre, & qu'on n'en voit que quelques grains qui poussent çà & là.

On pense donc communément que cette derniere est causée par un reste de levain de petite vérole qui n'a pu se faire jour, ou qui n'a pas eu assez le force n'ayant pas trouvé de causes occasionnelles assez énergiques pour produire la petite vérole vraie. Cette matiere étant dans le sang, soit dès la naissance, soit par une communication contagieuse, y reste & n'y produit pas ses effets autant que dans une autre occasion, faute d'y trouver des causes qui aident son développement & son exaltation. La force particuliere du tempérament, la qualité louable des humeurs feront que les pointes du virus seront émoussées ou engagées, & perdront leur énergie. Si donc une cause de la petite vérole, mais affoiblie ou moins énergique, existe dans le sang, elle pourra à l'occasion de l'air, ou d'une légere fermentation dans les humeurs, produire quelques effets légers, ou achever la dépuration de l'humeur virulente qui ne s'étoit pas faite d'abord ; elle se séparera du sang, & paroîtra sous la forme de petite vérole volante.

Il arrivera de-là qu'une personne qui aura eu la petite vérole vraie, pourra encore avoir la petite vérole volante ; & que d'autres qui n'auront point eu la premiere, auront cependant la seconde.

Le traitement de cette vérole volante doit être le même que de la vraie, à quelque petite différence près. Ainsi on saignera moins, on purgera moins, on ordonnera une diete moins sévere. Voyez PETITE VEROLE VRAIE.

La petite vérole volante, ainsi que l'autre, laissent souvent des reliquats ou suites fâcheuses ; sur quoi il faut remarquer que cela vient d'une dépuration imparfaite de l'humeur qui étoit trop abondante, & qui s'est jettée sur différentes parties, comme il arrive dans quelques personnes qui restent aveugles, d'autres sont estropiées, d'autres tombent dans la phthisie & le marasme. Voyez ces articles.

Le vrai moyen de prévenir tous ces désordres, c'est d'aider la nature & d'achever ce qu'elle n'a pu faire elle seule, je veux dire que l'on doit employer les purgatifs, les apéritifs, les fondans mercuriaux, les bains, les sudorifiques, les eaux minérales, le lait, & enfin tous les secours qui sont indiqués pour détourner la consomption imminente, ou des maladies chroniques dont on craint les suites & la longueur. Voyez CHRONIQUE. Voyez PHTHISIE.

Le lait coupé avec les sudorifiques, l'exercice, le changement d'air, & enfin les nourritures louables, avec un régime convenable, seront d'excellens prophilactiques contre la phthisie imminente à la suite d'une petite vérole, ou mal traitée, ou rentrée, ou qui sera mal sortie.

VEROLE, grosse, maladie vénérienne. Voyez VENERIEN.

Pour former un traité de la maladie vénérienne, voici le plan qu'il faudroit suivre.

Maladie vénérienne inflammatoire chronique. La premiere comprend la gonorrhée, les chancres vénériens, tumores testium inflammatos : bubones qui suppurantur, vel non suppurantur : faucium vel penduli palatini, ossium nasi, cranii ulcera depascentia, cariem : artuum dolores nocturnos : universae cutis morbos inflammatorios : mariscas, hemorrhoïdes tumentes inflammatas.

Je ne traiterai présentement ni de la cause, ni de la guérison de cette premiere espece.

Je communiquerai seulement mes pensées & observations, & celles de plusieurs auteurs sur la maladie vénérienne chronique.

On l'observe dans le corps humain produite par trois causes.

La premiere : les reliquats de cette maladie qui n'a pas été guérie radicalement, ce qui arrive très-souvent.

La seconde : les différentes manieres de contracter cette maladie, les constitutions foibles par le tempérament, par l'âge, ou par les infirmités.

La troisieme : les enfans issus de peres infectés de la même maladie.

La pratique constante dans la guérison de la maladie vénérienne nous montre que très-rarement elle est parfaite, & principalement dans le sexe ; les praticiens gémissent de ne pouvoir guérir radicalement dans les femmes les gonorrhées vénériennes, & quelquefois dans les hommes. Quand la maladie vénérienne est tellement avancée, qu'elle attaque la gorge ou le scrotum avec des tumeurs dans les cordons, & que les malades ont été guéris par la salivation ou par autres compositions mercurielles, il arrive rarement qu'ils soient guéris radicalement ; quelquefois les médecins en sont la cause, ordinairement les malades, & bien souvent le degré exalté du virus vérolique.

Dans la supposition même que celui qui a été infecté par la maladie vénérienne, ait été parfaitement guéri, il est constant que son corps restera toujours plus foible & plus susceptible de recevoir ce virus, qu'il n'étoit avant l'infection. Le mercure détruit toujours cette huile animale, cet humide radical, cause de l'élasticité & vigueur de nos fibres.

Le corps dans cet état de foiblesse reste disposé à contracter le virus vérolique à la prochaine cohabitation avec une personne infectée.

Il est à remarquer que celui qui a été infecté de petite vérole suppuratoire, ne gagnera point cette maladie, quoiqu'il soit inoculé avec le même virus, comme le docteur Matty l'a expérimenté en son propre corps, & que ceux qui ont été affectés de la maladie vénérienne, gagneront cette maladie autant de fois qu'ils cohabiteront avec des personnes vérolées : signe certain, ou que la maladie vénérienne ne se guérit pas si radicalement que la petite vérole, ou que ces deux virus sont d'une nature tout-à-fait différente.

L'expérience nous enseigne chaque jour que toutes les personnes qui cohabitent avec une femme infectée, ne gagnent pas son mal, au moins en apparence. Si la personne la plus saine & robuste en est infectée, la nature agira avec toutes ses forces à chasser & à dompter le stimulum vénérien ; elle produira chaleur, douleur dans la partie ; il se formera de nouveaux fluides, à l'aide desquels se domptera le virus, qui finalement sera chassé, & le malade souvent, avec l'aide de l'art ou sans son secours, restera guéri ; quelquefois aussi il se formera un ulcere ou une inflammation qui se terminera en pus.

Mais celui qui foible par sa constitution, par son âge, ou par d'autres maladies, aura cohabité avec une femme gâtée, ne ressentira rien ; le virus entrera dans le corps, attaquera le plus intime & le plus subtil, y restera, & ne viendra à se manifester que par la suite du tems, & par des signes qui sont les mêmes qui caractérisent les maladies chroniques.

Ceux qui contractent cette maladie dans ces dernieres circonstances, par les voies naturelles ou par libidines vagas, ne ressentent aucun de ces signes qui caractérisent la maladie vénérienne inflammatoire ; au contraire ils sentent quatre ou cinq jours après, une lassitude, une pesanteur, principalement dans les reins, quelques vertiges, une respiration de tems-en-tems gênée ; ils deviennent tristes, le visage pâle ; quelques jours après il paroit un ou quelques boutons sur le visage, des ophthalmies plus ou moins inflammatoires, mais sans ardeur ni douleur, aussi rares qu'aux véritables.

Par la suite du tems les digestions de l'estomac deviennent lentes & imparfaites ; on y sent du poids, des vents, quelquefois des douleurs ; à d'autres ce sont des tranchées dans le ventre, qui ordinairement est paresseux ; cet état alors est si analogue avec la maladie hypocondriaque, hystérique ou de vapeurs, qu'il faut un médecin bien expérimenté pour reconnoître ces sortes de symptomes, & aller à leur véritable cause.

Cette maladie invétérée a produit l'épilepsie, la manie, la cataracte, la surdité & les polypes du nez & d'autres parties du corps humain.

C'est aussi de cette maniere que cette maladie dans de telles circonstances infecte le genre nerveux, & toute l'étendue de la membrane celluleuse où résident les liqueurs les plus fines & les plus actives de notre corps.

Mais cette maladie se manifeste par d'autres signes tels qu'ils seroient produits par les maladies simples qui naissent du dérangement de la bile & du sang.

Il paroît une jaunisse plus ou moins foncée ; à d'autres, crachement de sang, douleur de poitrine, sans la moindre toux au commencement.

Dans les pays méridionaux cette maladie se montre souvent par phthisie, qui se termine par une diarrhée mortelle ; les frictions mercurielles données avec modération sont le remede qui les guérit parfaitement.

Bien souvent on est attaqué d'asthme convulsif ; ordinairement alors les gencives sont pâles, & tout l'intérieur de la bouche & la gorge même, ou de la couleur du sang de boeuf parsémée de points comme de suif ; les gencives quelquefois tumefiées & rongées ; bien souvent douleurs de dents qui pourrissent peu-à-peu.

Si ceux qui ont contracté cette maladie, sont plus robustes, & que leur genre de vie les oblige à s'exercer, alors tout le mal se montre dans la superficie du corps.

Les rhumatismes, les sciatiques, la goutte aux genoux & au pié, plus comme un oedeme, que comme une inflammation ; avec ces maladies naissent toutes les maladies de la peau depuis les éphelides jusqu'aux impetigines (dartres). On a vu les ongles devenir si raboteux, si épais & si difformes, que les mains en étoient inutiles.

Dans ces constitutions l'effet principal du virus vénérien est d'endurcir la bile dans la vessie du fiel, & l'urine dans les reins ; il s'y forme des pierres & de la gravelle, & il n'y a que le mercure accompagné d'autres remedes légerement purgatifs qui en soit le véritable remede.

On a observé une difficulté opiniatre d'avaler, même les liquides, & les remedes mercuriels ont seuls pu vaincre ce terrible symptome.

Mais dans le sexe cette sorte de virus vénérien est plus terrible, tant par les embarras de le guérir, que par le ravage qu'il y cause.

Il produit, comme dans les hommes, tous les symptomes des maladies hypocondriaques, les fleurs blanches de différentes couleurs ; on a vu après la mort les ovaires pourris ou pleins d'hydatides ; il se forme des polypes dans le vagin & dans l'uterus, des tumeurs dans les mamelles, dans le tems encore qu'elles sont réglées, & quoiqu'irrégulierement, quelquefois avec des tranchées insupportables avant de paroître. Les migraines & tous les maux des glandes engorgées ont montré bien souvent que ces dérangemens provenoient de la cause mentionnée.

S'il étoit permis de révéler ici dans la langue vulgaire tous les maux que causent à l'espece humaine les iniquités qui se commettent en contractant cette maladie, je pourrois augmenter malheureusement leur catalogue ; mais en faveur des médecins je citerai un passage de Levinus Lemnius, de occultis naturae mirac. Antverpiae 1574, p. 174 & 175, dans lequel on verra que les soupçons ci-dessus indiqués sont fondés sur l'observation de 200 ans.

Tres sunt morbi inter se affines & cognati, non tam lethales, quam faedi, ac contagiosi, quorum alter in alterum transit, ac permutatur : lues venerea, seu morbus gallicus, elephantiasis, seu vulgaris lepra, quae in scrophis grando dicitur, quorum genus est icteritia nigra. Hi superioribus annis intolerandis modis homines excarnificabant, nunc prorsus mitescere caeperunt, minusque infesti sunt....

Et il continue, en parlant ainsi de la maladie vénérienne.

Semper tamen vestigia inhaerescunt, veterisque morbi reliquiae relinquuntur, quae si in pulmonem decumbunt, raucos illos esse, atque anhelosos perspicis. Si in articulos podagrae, ac chiragrae, & quae subinde recurrit ischiatico dolori obnoxios. Sic omnes ficosi articulari morbo laborant. At non omnes podagrici, aut coxendicis cruciatu affecti, morbi gallici labe affecti sunt : quod si in extimam cutem suffunditur humorum colluvies, scabra cute afficiuntur, ac corticosa, lichenibus, impetigne, mentagra, ac porrigine deformati, non sine capillorum defluvio, &c.

On peut très-facilement prévoir les maladies des enfans nés de parens attaqués & tourmentés de la maladie vénérienne chronique. Si ces victimes de la lubricité sont assez bien constitués pendant les premieres années de leur enfance, il leur sort par la superficie de tout le corps, & particulierement par toute la tête, de ces excrétions & croutes qui suintent une matiere âcre & corrosive, si dangereuse à guérir ou à supprimer.

S'ils sont foibles & avec assez de vigueur pour vivre de la troisieme jusqu'à la neuvieme année, ils sont attaqués du rachitis, du spina ventosa, scrophules, & exostoses.

A l'âge de puberté paroissent les toux, les raucedines, les crachemens de sang, qui se terminent par la phthisie & la mort ; le lait & les bouillons de tortues sont inutiles dans les maladies de génération infectée.

Généralement ces enfans sont nés pour punir les peres de leur lubricité, per libidines vagas : ils sont spirituels, aimables & caressans ; mais ils sont nés pour mourir au plus tard dans l'âge de l'adolescence, puisque rarement ils passent à l'âge de 28 ans.

Toutes ces expériences & raisonnemens seroient inutiles, s'ils ne contribuoient point à soulager la misere humaine, & comme cet ouvrage est destiné pour le bien des mortels en société, ou hors de ces pénibles avantages : on communiquera le remede connu jusqu'à présent, le plus utile pour vaincre ces maux.

Mercur. purissimi crudi, iv ; mellis puriss. sem. terantur mortario ferreo ad extinctionem, subinde adde, camphorae, iv ; butyri cacao, viii, vel axungiae porcinae ; terantur simul per lxx horas jugiter. Fricentur tibiae ad talos usque cum uncia semisse singulis noctibus post tenuissimam coenam : crastina die ad meridiem usque bibat ad libram decocti sarsae parillae, jejuno stomacho : prandeat ex assis carnibus juniorum animalium : sub his pergat per menses, vel tandiu donec symptomata evanescant.

Plerumque oris fluxus salivalis frictiones non succedunt : accidit tamen aliquando : tunc, vel intermittendae frictiones, vel alvus aperta servatur, avertitur fluxus.

Dum sub his degit corpus ita sit ab humiditate, frigore tutum, ut perspiratio auctior diu noctuque fiat. Quae hic desiderari, à perito medico facillime in usum adhiberi poterunt. Mémoire de M. le docteur Sanchez, tel qu'il nous l'a communiqué.


VÉROLI(Géog. mod.) en latin Verulae ; ville d'Italie dans la campagne de Rome, sur les confins du royaume de Naples, au pié de l'Apennin, à 20 lieues au sud-est de Rome, avec un évêché qui ne releve que du pape. Long. 31. 6. lat. 41. 38.

Palearius (Aonius), l'un des plus vertueux, des plus malheureux hommes de lettres, & en même tems l'un des bons écrivains du xvj. siecle, étoit né à Véroli. Il s'acquit l'estime des savans de ce tems-là, par son poëme, De immortalitate animarum, imprimé à Lyon en 1536 in-16. Sa réputation & son éloquence lui attirerent des envieux, qui pour le perdre, le diffamerent comme un impie. Ils l'accuserent d'avoir écrit en faveur des Protestans, & contre l'inquisition. Pie V. voulut signaler le commencement de son pontificat par le supplice d'un hérétique ; Palearius fut choisi, & condamné à être pendu, étranglé, & brûlé l'an 1566 : cette horrible sentence fut exécutée sans aucune miséricorde. Outre son poëme de l'immortalité de l'ame, on a de lui d'autres pieces en vers & en prose, dont la meilleure édition est celle de Wetstein à Amsterdam, en 1696 in-8°.

Sulpitius (Jean), surnommé Verulanus du nom de Véroli sa patrie, florissoit sur la fin du xv. siecle. Il cultiva les belles-lettres avec succès. Il fit imprimer Végèce, & publia le premier Vitruve ; ce que M. Perrault n'auroit pas dû ignorer. C'est encore Sulpitius qui a rétabli l'usage de la musique sur le théatre. Rome qui l'avoit comme perdue, pour donner à la déclamation des acteurs ce que les Grecs donnoient au chant & à l'harmonie, la vit reparoître vers l'an 1480, par les soins & le génie de Sulpitius. Il commença par donner au peuple le plaisir de la musique des opéra sur des théatres mobiles ; ensuite il en amorça le pape & les cardinaux ; enfin son invention fut goûtée de tout le monde, & ce goût se soutiendra long-tems. (D.J.)


VEROMANDUI(Géog. anc.) Viromandui, Veromandi, & dans Ptolémée ; peuples de la Gaule belgique, selon Pline, l. IV. c. xvij. Ils habitoient au midi des Nerviens, au nord des Suessones, dont ils étoient séparés par la riviere d'Oise, à l'orient des Ambiani, & au couchant de la forêt d'Ardenne. On juge que leur pays étoit d'une petite étendue, parce que César, bel. gal. l. II. c. iv. dit qu'ils ne promirent que dix mille hommes pour la guerre commune contre les Romains, tandis que les Suessones & les Nervii promirent de fournir chacun cinquante mille hommes.

Le pays conserve encore présentement le nom de ses peuples. On l'appelle le Vermandois. (D.J.)


VEROMETUM(Géog. anc.) ville de la grande Bretagne. Elle est placée par l'itinéraire d'Antonin sur la route de Londres à Lindum, entre Ratae & Maridunum, à treize milles de chacun de ces lieux. Cette même ville dans la route d'Yorck à Londres, est nommée Vernemetum. Quelques-uns ont voulu que ce fût présentement Willonghby ; mais Cambden & d'autres géographes soutiennent que c'est Burrowhill.

L'auteur des délices d'Angleterre dit, p. 376 : à deux ou trois milles au midi de Bonton-lazera, entre Burrow-hill & Ead-Burrow, s'éleve une colline fort roide & escarpée de toutes parts, à la réserve du côté du sud-est, où elle est accessible. On y voit au sommet les débris d'une ville ancienne, qu'on juge être Vernemetum. Il y a un double fossé & une enceinte de murailles qui occupe environ dix-huit acres d'étendue. On pourroit croire qu'il y avoit dans ce lieu quelque temple fameux dédié à quelque divinité payenne, parce que Vernemetum, en vieux gaulois, signifie un grand temple.

Il y a long-tems que cette remarque est faite. On la doit à Fortunat, l. I. carm. 9, qui explique ainsi le nom de Vernemetum.

Nomine Vernemetis voluit vocitare vetustas ;

Quod quasi fanum ingens gallia lingua refert.

(D.J.)


VERONA(Géog. anc.) ville d'Italie, sur l'Adige, dans les terres, aux confins de l'ancienne Rhétie. Elle fut fondée, selon Pline, l. III. c. xix. par les Rhétiens & par les Euganéens en commun ; mais Tite-Live, l. V. c. xxxv. fait entendre qu'elle fut bâtie par une troupe de gaulois, qui après avoir passé les Alpes sous la conduite d'Elitovius, s'établirent, ubi nunc, dit-il, Brixia ac Verona urbes sunt. Tout cela néanmoins peut se concilier, en disant que Vérone doit ses commencemens aux Rhétiens & aux Euganéens, & que les Gaulois s'étant emparés du Bressan, se rendirent ensuite maîtres du Véronèse. Martial, l. XIV. epigr. 195, parle de Vérone comme d'une ville considérable.

Tantùm magna suo debet Verona Catullo,

Quantùm parva suo Mantua Virgilio.

Tacite qui lui donne le nom de colonie romaine, fait l'éloge de sa beauté & de son opulence. Cn. Pompeius Arabo, pere du grand Pompée, avoit été le conducteur de la colonie, qui fut renouvellée sous Galien, & honorée du titre de colonia augusta. Un double arc-de-triomphe, qui a été autrefois une des portes de la ville, conserve l'inscription suivante :

Colonia Augusta Verona Nova Gallieniana

Valeriano II. & Lucilio Cons.

Muri Veronensium Fabricati ex die III.

Non. April.

Dedicati Pr. Non. Decembris

Jubente Sanctissimo Gallieno. Aug. N.

Les habitans de cette ville sont communément appellés Veronenses par les anciens auteurs ; cependant on a d'anciennes inscriptions où ils sont nommés Verones.

Vérone fut heureuse sous les empereurs ; mais elle éprouva de tristes malheurs lors de la chûte de l'empire d'Occident, & elle a souffert depuis plusieurs révolutions qui l'ont dépouillée de toute son ancienne splendeur.

Elle fut pillée par Attila, & possédée successivement par Odoacre, roi des Herules, par Théodoric, roi des Goths, & par ses successeurs jusqu'à Totila, par les Lombards, par Charlemagne & par sa postérité ; mais lorsque ses descendans perdirent l'empire, il s'éleva plusieurs seigneurs qui tâcherent de se rendre souverains dans plusieurs villes d'Italie. Cela dura jusqu'à Othon I. qui réunit à l'empire divers états qui en avoient été détachés. Vérone rentra alors dans la masse ; mais elle reçut le pouvoir d'élire ses magistrats ; de sorte qu'elle étoit proprement une république libre sous le nom de ville impériale.

Cet état dura jusqu'à-ce qu'Actiolin se fût emparé de la puissance souveraine : ce qui ne se fit qu'avec beaucoup d'effusion de sang. Il jouit de la tyrannie trente-trois ans, & mourut l'an 1269. Après cela les Véronois élurent pour général Martin de l'Escale, & se trouverent si bien de sa conduite, qu'ils le créerent dictateur perpétuel.

Ses descendans commanderent dans Vérone avec beaucoup de réputation, & en furent créés princes par l'empereur l'an 1310. Ils se rendirent formidables par leurs conquêtes, & furent chassés de Vérone l'an 1387, par Jean Galéas, duc de Milan. Ils y rentrerent l'an 1404 ; mais ils ne la garderent guere ; car les Vénitiens s'en emparerent l'an 1409, & la possedent encore.

Cette ville se glorifie d'avoir produit des savans illustres depuis la renaissance des lettres, & sous l'ancienne Rome, Catulle, Cornelius Nepos, Macer, Vitruve & Pline le naturaliste.

Catulle (Caïus Valerius Catullus) naquit l'an 666 de Rome ; & quoique S. Jérôme le fasse mourir l'an 696, à l'âge de trente ans, il poussa sa carriere au-moins dix ans de plus. Il ne fut pas gratifié des biens de la fortune ; cependant son esprit fin & délicat le fit rechercher de tous les grands de Rome. Ses poésies plaisent par une simplicité élégante, & par des graces naïves que la seule nature donne à ses favoris. Il imagina le vers hendécasyllabe, qui est si propre à traiter les petits sujets ; mais il en abusa pour y semer des obscénités qui révoltent la pudeur. Il devoit d'autant mieux s'en abstenir, que c'est dans la peinture des sentimens honnêtes que sa muse excelle. Il a l'art de nous attendrir, & il est parvenu à nous faire partager la vive douleur qu'il témoigne de la mort de son frere que nous n'avons jamais connu (épigr. 67, 69, 102.). Admirateur de Sapho, il transporta ou imita dans ses poésies plusieurs morceaux de celles de l'amante de Phaon.

Il savoit bien aussi, quand il le vouloit, aiguiser des vers satyriques ; témoin son épigramme des deux adulteres, César & Mamurra. Cette épigramme a passé jusqu'à nous, & elle est fort bonne, parce qu'elle peint les moeurs de son siecle :

Consule Pompeio primùm duo, Cinna, solebant

Moechi. Illo ah ! facto consule nunc iterùm

Manserunt duo, sed creverunt millia in unum

Singula ; foecundum semen adulterio.

" Cinna, sous le premier consulat de Pompée on ne voyoit à Rome que deux adulteres : ces deux-là même furent encore seuls sous le second consulat ; mais depuis lors chacun d'eux en a produit des mille ; leur adultere a été fecond ".

Cette piece ayant paru dans une conjoncture critique pour César, il ne déguisa point qu'il en recevoit un grand tort ; mais il se contenta d'obliger le poëte à lui faire satisfaction, & le soir même il l'invita à souper.

Nous n'avons pas toutes les oeuvres de Catulle, & entr'autres son poëme dont parle Pline, l. XXVIII. c. ij. sur les enchantemens pour se faire aimer, sujet que Théocrite avoit traité avant lui. La premiere édition des oeuvres de Catulle parut à Venise en 1488 avec les commentaires d'Antoine Parthenius. Scaliger en donna une nouvelle dans laquelle il corrigea plusieurs passages avec autant de sagacité que d'érudition. Enfin les deux meilleures éditions sont celles de Graevius à Utrecht en 1680, d'Isaac Vossius à Leyde en 1684. & de Padoue en 1737.

Macer (Emilius) vivoit vers l'an de Rome 738, & mourut en Asie, selon S. Jérôme. Il écrivit sur les serpens, les plantes & les oiseaux, au rapport de Quintilien. Il fit encore un poëme de la ruine de Troie pour servir de supplément à l'iliade d'Homere. Ovide parle souvent des ouvrages de ce poëte, ils sont tous perdus ; car le poëme des plantes que nous avons sous le nom de Macer, n'est pas de celui qui vivoit du tems d'Auguste, & c'est d'ailleurs un livre fort médiocre.

Si Cornelius Nepos n'est pas de Vérone, il étoit du-moins du territoire de cette ville, puisqu'il naquit à Hostilie, selon Catulle, qui pouvoit en être bien informé. Cet historien latin florissoit du tems de Jules-César, étoit des amis de Cicéron & d'Atticus, & vécut jusqu'à la sixieme année de l'empire d'Auguste. Il avoit composé les vies des historiens grecs ; car il en fait mention dans celle de Dion, en parlant de Philistus. Ce qu'il dit dans la vie de Caton & d'Annibal, prouve aussi qu'il avoit écrit les vies des capitaines & des historiens latins ; enfin il avoit laissé d'autres ouvrages qui sont perdus. Nous n'avons plus de lui que les vies des plus illustres généraux d'armée de la Grece & de Rome, dont il n'a pas tenu à Aemilius Probus de s'attribuer la gloire. On prétend qu'ayant trouvé cet ouvrage de Nepos, il s'avisa de le donner sous son nom, pour s'insinuer dans les bonnes graces de Théodose ; mais la suite des tems a dévoilé cette supercherie.

On a deux traductions françoises des vies des capitaines illustres de Cornelius Nepos : l'une du sieur de Claveret, publiée en 1663, l'autre toute moderne de M. le Gras, alors de la congrégation de l'oratoire, imprimée à Paris en 1729, in-12 ; mais nous aurions besoin d'une nouvelle traduction plus élégante, plus travaillée, & qui fût embellie de savantes notes historiques & critiques, afin que l'historien latin devînt un ouvrage répandu dans toutes les bibliotheques des gens de goût, qui aiment à s'instruire de la vie des hommes célebres de l'antiquité.

Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio) vivoit sous le regne d'Auguste, vers le commencement de l'ere chrétienne. Savant dans la science des proportions, il mit au jour un excellent ouvrage d'architecture divisé en dix livres, & les dédia au même empereur. Cet ouvrage est d'autant plus précieux, que c'est le seul en ce genre qui nous soit venu des anciens. Nous en avons une belle traduction françoise enrichie de notes par M. Claude Perrault, dont la premiere édition parut à Paris en 1673, fol. & la seconde en 1684, chez Coignard.

Pline (Caïus Plinius secundus) vit le jour sous l'empire de Tibere, l'an 774 de Rome, qui est le 20e de l'ere chrétienne, & mourut sous Titus, âgé de 56 ans. Ce grand homme est de tous les écrivains du monde celui que l'Encyclopédie a cité le plus. Il intéresse singulierement l'humanité par sa fin tragique, & les savans de l'univers par ses écrits, qui sont dans les arts & dans les sciences les monumens les plus précieux de toute l'antiquité. Pline le jeune nous a donné dans une de ses lettres (lettre 5, l. III.) l'histoire des ouvrages de son oncle, & dans une autre lettre (lettre 16, l. VI.) la relation de sa mort. Je lis ces deux lettres pour la vingtieme fois, & je crois devoir les transcrire ici toutes entieres ; les gens de goût verront bien qu'il n'en falloit rien retrancher.

A Marcus. Vous me faites un grand plaisir de lire avec tant de passion les ouvrages de mon oncle, & de vouloir les connoître tous, & les avoir tous. Je ne me contenterai pas de vous les indiquer, je vous marquerai encore dans quel ordre ils ont été faits. C'est une connoissance qui n'est pas sans agrémens pour les gens de lettres.

Lorsqu'il commandoit une brigade de cavalerie, il a composé un livre de l'art de lancer un javelot à cheval ; & dans ce livre l'esprit & l'exactitude se font également remarquer ; il en a fait deux autres de la vie de Pomponius Secundus, dont il avoit été singulierement aimé, & il crut devoir cette marque de reconnoissance à la mémoire de son ami. Il nous en a laissé vingt autres des guerres d'Allemagne, où il a renfermé toutes celles que nous avons eu avec les peuples de ces pays. Un songe lui fit entreprendre cet ouvrage. Lorsqu'il servoit dans cette province, il crut voir en songe Drusus Néron, qui après avoir fait de grandes conquêtes, y étoit mort. Ce prince le conjuroit de ne le pas laisser enseveli dans l'oubli.

Nous avons encore de lui trois livres intitulés l'homme de lettres, que leur grosseur obligea mon oncle de partager en six volumes. Il prend l'orateur au berceau, & ne le quitte point, qu'il ne l'ait conduit à la plus haute perfection. Huit livres sur les façons de parler douteuses. Il fit cet ouvrage pendant les dernieres années de l'empire de Néron, où la tyrannie rendoit dangereux tout genre d'étude plus libre & plus élevé. Trente & un pour servir de suite à l'histoire qu'Aufidius Bassus a écrite. Trente-sept de l'histoire naturelle. Cet ouvrage est d'une étendue, d'une érudition infinie, & presque aussi varié que la nature elle-même.

Vous êtes surpris, comme un homme, dont le tems étoit si rempli, a pu écrire tant de volumes, & y traiter tant de différens sujets, la plûpart si épineux, & si difficiles. Vous serez bien plus étonné, quand vous saurez qu'il a plaidé pendant quelque-tems, & qu'il n'avoit que cinquante-six ans quand il est mort. On sait qu'il en a passé la moitié dans les embarras, que les plus importans emplois, & la bienveillance des princes lui ont attirés. Mais c'étoit une pénétration, une application, une vigilance incroyable. Il commençoit ses veilles aux fêtes de Vulcain, qui se célébroient ordinairement au mois d'Août, non pas pour chercher dans le ciel des présages, mais pour étudier. Il se mettoit à l'étude en été dès que la nuit étoit tout-à-fait venue ; en hiver, à une heure du matin, au plus tard à deux, souvent à minuit. Il n'étoit pas possible de moins donner au sommeil, qui quelquefois le prenoit & le quittoit sur les livres.

Avant le jour il se rendoit chez l'empereur Vespasien, qui faisoit aussi un bon usage des nuits. De-là, il alloit s'acquiter de ce qui lui avoit été ordonné. Ses affaires faites, il retournoit chez lui ; & ce qui lui restoit de tems, c'étoit encore pour l'étude. Après le diner (toujours très-simple & très-léger, suivant la coutume de nos peres), s'il se trouvoit quelques momens de loisir, en été il se couchoit au soleil. On lui lisoit quelque livre, il en faisoit ses remarques & ses extraits ; car jamais il n'a rien lu sans extrait. Aussi avoit-il coutume de dire, qu'il n'y a si mauvais livres, où l'on ne puisse apprendre quelque chose.

Après s'être retiré du soleil, il se mettoit le plus souvent dans le bain d'eau froide. Il mangeoit un morceau, & dormoit très-peu de tems. Ensuite, & comme si un nouveau jour eût recommencé, il reprenoit l'étude jusqu'au tems de souper. Pendant qu'il soupoit, nouvelle lecture, nouveaux extraits, mais en courant.

Je me souviens qu'un jour le lecteur ayant mal prononcé quelques mots, un de ceux qui étoient à table l'obligea de recommencer. Quoi ! ne l'avez-vous pas entendu ? (dit mon oncle). Pardonnez-moi (répondit son ami). Et pourquoi donc (reprit-il) le faire répeter ? Votre interruption nous coûte plus de dix lignes. Voyez si ce n'étoit pas être bon ménager du tems.

L'été il sortoit de table avant que le jour nous eût quitté, en hiver, entre sept & huit : & tout cela, il le faisoit au milieu du tumulte de Rome, malgré toutes les occupations que l'on y trouve, & le faisoit, comme si quelque loi l'y eût forcé. A la campagne le seul tems du bain étoit exempt d'étude : je veux dire le tems qu'il étoit dans l'eau : car pendant qu'il en sortoit, & qu'il se faisoit essuyer, il ne manquoit point de lire ou de dicter.

Dans ses voyages, c'étoit la seule application : comme si alors il eût été plus dégagé de tous les autres soins, il avoit toujours à ses côtés son livre, ses tablettes & son copiste. Il lui faisoit prendre ses gants en hiver, afin que la rigueur même de la saison ne pût dérober un moment à l'étude. C'étoit par cette raison, qu'à Rome il n'alloit jamais qu'en chaise.

Je me souviens qu'un jour il me censura de m'être promené. Vous pouviez, dit-il, mettre ces heures à profit. Car il comptoit pour perdu, tout le tems que l'on n'employoit pas aux sciences. C'est par cette prodigieuse assiduité, qu'il a su achever tant de volumes, & qu'il m'a laissé cent soixante tomes remplis de ses remarques, écrites sur la page & sur le revers en tres-petits caracteres ; ce qui les multiplie beaucoup. Il me contoit, qu'il n'avoit tenu qu'à lui, pendant qu'il étoit procureur de César en Espagne, de les vendre à Larcius Licinius, quatre cent mille sesterces, environ quatre-vingt mille livres de notre monnoie ; & alors ces mémoires n'étoient pas tout-à-fait en si grand nombre.

Quand vous songez à cette immense lecture, à ces ouvrages infinis qu'il a composés ; ne croiriez-vous pas, qu'il n'a jamais été ni dans les charges, ni dans la faveur des princes ? Mais quand on vous dit tout le tems qu'il a ménagé pour les belles-lettres ; ne commencez-vous pas à croire, qu'il n'a pas encore assez lu & assez écrit ? Car d'un côté, quels obstacles les charges & la cour ne forment-elles point aux études ? Et de l'autre que ne peut point une si constante application ? C'est donc avec raison que je me mocque de ceux qui m'appellent studieux, moi qui en comparaison de lui, suis un franc fainéant. Cependant je donne à l'étude tout ce que les devoirs & publics & particuliers me laissent de tems. Eh ! qui, parmi ceux-mêmes qui consacrent toute leur vie aux belles-lettres, pourra soutenir cette comparaison ; & ne pas rougir, comme si le sommeil & la mollesse partageoient ses jours ?

Je m'apperçois que mon sujet m'a emporté plus loin que je ne m'étois proposé. Je voulois seulement vous apprendre ce que vous desiriez savoir, quels ouvrages mon oncle a composés. Je m'assure pourtant, que ce que je vous ai mandé ne vous fera guere moins de plaisir que leur lecture. Non-seulement cela peut piquer encore davantage votre curiosité ; mais vous piquer vous-même d'une noble envie de faire quelque chose de semblable. Adieu.

A Tacite.

Vous me priez de vous apprendre au vrai, comment mon oncle est mort, afin que vous en puissiez instruire la postérité. Je vous en remercie ; car je conçois que sa mort sera suivie d'une gloire immortelle, si vous lui donnez place dans vos écrits. Quoiqu'il ait péri par une fatalité, qui a désolé de très-beaux pays, & que sa perte, causée par un accident mémorable, & qui lui a été commun avec des villes & des peuples entiers, doive éterniser sa mémoire : quoiqu'il ait fait bien des ouvrages qui dureront toujours, je compte pourtant que l'immortalité des vôtres contribuera beaucoup à celle qu'il doit attendre. Pour moi, j'estime heureux ceux à qui les dieux ont accordé le don, ou de faire des choses dignes d'êtres écrites, ou d'en écrire de dignes d'être lues : & plus heureux encore ceux qu'ils ont favorisés de ce double avantage. Mon oncle tiendra son rang entre les derniers, & par vos écrits, & par les siens ; & c'est ce qui m'engage à exécuter plus volontiers des ordres que je vous aurois demandés.

Il étoit à Misene, où il commandoit la flotte. Le 23 d'Août, environ une heure après midi, ma mere l'avertit qu'il paroissoit un nuage d'une grandeur & d'une figure extraordinaire. Après avoir été couché quelque tems au soleil, selon sa coutume, & avoir bu de l'eau froide, il s'étoit jetté sur un lit où il étudioit. Il se leve & monte en un lieu d'où il pouvoit aisément observer ce prodige. Il étoit difficile de discerner de loin de quelle montagne ce nuage sortoit. L'événement a découvert depuis que c'étoit du mont Vésuve. Sa figure approchoit de celle d'un arbre, & d'un pin plus que d'aucun autre ; car après s'être élevé fort haut en forme de tronc, il étendoit une espece de branches. Je m'imagine qu'un vent souterrain le poussoit d'abord avec impétuosité, & le soutenoit. Mais soit que l'impression diminuât peu-à-peu, soit que ce nuage fût affaissé par son propre poids, on le voyoit se dilater & se répandre. Il paroissoit tantôt blanc, tantôt noirâtre, & tantôt de diverses couleurs, selon qu'il étoit plus chargé ou de cendre, ou de terre.

Ce prodige surprit mon oncle, qui étoit très-savant ; & il le crut digne d'être examiné de plus près. Il commande que l'on appareille sa frégate légere ; & me laisse la liberté de le suivre. Je lui répondis que j'aimois mieux étudier ; & par hazard il m'avoit lui-même donné quelque chose à écrire. Il sortoit de chez lui ses tablettes à la main, lorsque les troupes de la flotte qui étoient à Rétine, effrayées par la grandeur du danger (car ce bourg est précisément sur Misene, & on ne s'en pouvoit sauver que par la mer), vinrent le conjurer de vouloir bien les garantir d'un si affreux péril. Il ne changea pas de dessein, & poursuivit avec un courage héroïque, ce qu'il n'avoit d'abord entrepris que par simple curiosité. Il fait venir des galeres, monte lui-même dessus, & part, dans le dessein de voir quel secours on pouvoit donner nonseulement à Rétine, mais à tous les autres bourgs de cette côte, qui sont en grand nombre, à cause de sa beauté. Il se presse d'arriver au lieu d'où tout le monde fuit, & où le péril paroissoit plus grand ; mais avec une telle liberté d'esprit, qu'à mesure qu'il appercevoit quelque mouvement, ou quelque figure extraordinaire dans ce prodige, il faisoit ses observations, & les dictoit.

Déja sur ces vaisseaux voloit la cendre plus épaisse & plus chaude, à mesure qu'ils approchoient. Déja tomboient autour d'eux des pierres calcinées & des cailloux tout noirs, tout brûlés, tout pulvérisés par la violence du feu. Déja la mer sembloit refluer, & le rivage devenir inaccessible par des morceaux entiers de montagnes dont il étoit couvert ; lorsqu'après s'être arrêté quelques momens, incertain s'il retourneroit, il dit à son pilote, qui lui conseilloit de gagner la plaine mer ; la fortune favorise le courage. Tournez du côté de Pomponianus.

Pomponianus étoit à Stabie, en un endroit séparé par un petit golfe, que forme insensiblement la mer sur ces rivages qui se courbent. Là, à la vue du péril qui étoit encore éloigné, mais qui sembloit s'approcher toujours, il avoit retiré tous ses meubles dans ses vaisseaux, & n'attendoit, pour s'éloigner, qu'un vent moins contraire. Mon oncle, à qui ce même vent avoit été très-favorable, l'aborde, le trouve tout tremblant, l'embrasse, le rassure, l'encourage ; & pour dissiper par sa sécurité la crainte de son ami, il se fait porter au bain.

Après s'être baigné, il se met à table, & soupe avec toute sa gaieté, ou (ce qui n'est pas moins grand) avec toutes les apparences de sa gaieté ordinaire. Cependant on voyoit luire de plusieurs endroits du mont Vésuve de grandes flammes & des embrasemens, dont les ténebres augmentoient l'éclat.

Mon oncle, pour rassurer ceux qui l'accompagnoient, leur disoit, que ce qu'ils voyoient brûler, c'étoit des villages que les paysans allarmés avoient abandonnés, & qui étoient demeurés sans secours. Ensuite il se coucha, & dormit d'un profond sommeil ; car comme il étoit puissant, on l'entendoit ronfler de l'antichambre.

Mais enfin la cour par où l'on entroit dans son appartement, commençoit à se remplir si fort de cendres, que pour peu qu'il eût resté plus long-tems, il ne lui auroit plus été libre de sortir. On l'éveille. Il sort & va se joindre à Pomponianus, & les autres qui avoient veillé. Ils tiennent conseil, & déliberent s'ils se renfermeront dans la maison, ou s'ils tiendront la campagne : car les maisons étoient tellement ébranlées par les fréquens tremblemens de terre, que l'on auroit dit qu'elles étoient arrachées de leurs fondemens, & jettées tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, & puis remises à leurs places. Hors de la ville la chûte des pierres, quoique légeres & desséchées par le feu, étoit à craindre.

Entre ces périls on choisit la rase campagne. Chez ceux de sa suite, une crainte surmonta l'autre ; chez lui, la raison la plus forte l'emporta sur la plus foible. Ils sortent donc, & se couvrent la tête d'oreillers attachés avec des mouchoirs : ce fut toute la précaution qu'ils prirent contre ce qui tomboit d'enhaut.

Le jour recommençoit ailleurs : mais dans le lieu où ils étoient, continuoit une nuit la plus sombre & la plus affreuse de toutes les nuits, & qui n'étoit un peu dissipée que par la lueur d'un grand nombre de flambeaux, & d'autres lumieres. On trouva bon de s'approcher du rivage, & d'examiner de près ce que la mer permettoit de tenter ; mais on la trouva fort grosse & fort agitée d'un vent contraire. Là, mon oncle ayant demandé de l'eau, & bû deux fois, se coucha sur un drap qu'il fit étendre. Ensuite des flammes qui parurent plus grandes, & une odeur de soufre, qui annonçoit leur approche, mirent tout le monde en fuite. Il se leve appuyé sur deux valets, & dans le moment tombe mort. Je m'imagine qu'une fumée trop épaisse le suffoqua d'autant plus aisément qu'il avoit la poitrine foible, & souvent la respiration embarrassée.

Lorsque l'on commença à revoir la lumiere (ce qui n'arriva que trois jours après) on retrouva au même endroit son corps entier, couvert de la même robe qu'il portoit, quand il mourut, & dans la posture plutôt d'un homme qui repose, que d'un homme qui est mort. Pendant ce tems ma mere & moi nous étions à Misene : mais cela ne regarde plus votre histoire. Vous ne voulez être informé que de la mort de mon oncle. Je finis donc, & je n'ajoute plus qu'un mot. C'est que je ne vous ai rien dit, ou que je n'aye vû, ou que je n'aye appris dans ces momens, où la vérité de l'action qui vient de se passer n'a pu encore être altérée. C'est à vous de choisir ce qui vous paroîtra plus important.

Il y a bien de la différence entre écrire une lettre, ou une histoire ; entre écrire pour un ami, ou pour la postérité. Adieu.

De tous les écrits de Pline l'ancien, il ne nous reste que son histoire naturelle, ouvrage immense par son objet, & par son exécution ; mais l'auteur est encore plus estimable par la beauté de son esprit, par sa maniere de penser grande & forte, & par les traits lumineux qui brillent dans cet ouvrage. Le coloris de son pinceau ne passera jamais dans aucune traduction.

Cependant la destinée de ce grand écrivain, est que tout le monde l'admire, & que personne n'ajoute foi à ses récits ; mais pour le justifier en deux mots, il n'a eu aucun intérêt à s'abuser lui-même, & à tromper son siecle, ni les siecles suivans. J'ajoute qu'on découvre tous les jours des faits que l'on regardoit dans ses écrits comme d'agréables imaginations qu'il avoit rapportées tout-au-plus sur la foi de gens auxquels il avoit trop déféré.

L'édition que le P. Hardouin a donné de ce bel ouvrage, est le fruit d'un grand travail, d'un don de conjectures souvent heureux, d'une lecture prodigieuse, & d'une fidélité de mémoire surprenante. (D.J.).


VÉRONE(Géog. mod.) en latin Verona. Voyez ce mot.

On sait que Vérone est une ville d'Italie dans l'état de Venise, capitale du Véronèse, sur l'Adige, à 25 lieues à l'ouest de Venise, à 8 au nord-est de Mantoue, & à 16 au midi de Trente. Longit. 28. 30. latit. 45. 23.

Vérone est une des fortes places d'Italie ; ses murailles sont garnies de bastions, outre trois châteaux qui les défendent. Son évêché est suffragant d'Udine ; l'air de cette ville est très doux, & les vivres y sont à bon marché ; mais elle est dépeuplée, les maisons mal bâties, les rues étroites, & les habitans fort pauvres.

Cette ville cependant conserve encore quelques restes d'antiquité, théatre, amphithéatre, étuves, bains, aqueducs, colonnes, & arcs de triomphes, qui sont autant de monumens de son ancienne splendeur, & des ravages des Barbares.

L'amphithéatre de Vérone est le plus entier de tous ceux qu'on connoisse en Europe ; on prétend qu'il a été bâti sous Auguste. Il est de forme ovale, de moyenne grandeur, & fait de pierres quarrées ; on voit à la face du dehors plusieurs colonnes, quelques restes de statues, & autres pieces de marbre, dont les portiques étoient revêtus en ouvrage dorique, ionique, corinthien, le tout d'une hauteur excessive. On comptoit dans cet amphithéatre quatre rangées de portiques & de colonnes entremêlées de statues de nymphes. Dix-huit grandes portes y donnoient entrée, & il y avoit quarante-deux rangs de degrés, où vingt-quatre mille personnes pouvoient demeurer assises, pour y voir les spectacles. Le mur extérieur est tout désolé ; il n'en reste que sept trémeaux ; Panvinus rapporte qu'il fut abattu par un tremblement de terre en 1583 ; mais on a un peu réparé les bancs, à mesure que le tems les a voulu détruire.

Il y en avoit du tems de Misson quarante-quatre, & il ajoute qu'il a compté cinq cent trente pas dans le tour du plus élevé, & deux cent cinquante au plus bas. Antoine Desgodetz architecte, a écrit que le diamêtre de l'arène sur la longueur, est de deux cent trente-trois piés, mesure de France ; que l'autre diamêtre sur la largeur est de cent trente-six piés huit pouces : que l'épaisseur du bâtiment, sans le corridor extérieur, est de cent piés quatre pouces ; & qu'avec chaque épaisseur du mur & du corridor aux deux bouts de l'amphithéatre, il est de cent-vingt piés dix pouces ; de sorte que la longueur du tout est de quatre cent soixante & quatorze piés, huit pouces. Chaque degré a près d'un pié & demi de haut, & à-peu-près vingt-six pouces de large ; l'élévation du tout, est de quatre-vingt-treize piés, sept pouces & demi.

On voit encore à Vérone les vestiges d'un arc de triomphe, érigé en l'honneur de Marius, après la victoire qu'il remporta dans le territoire de cette ville. C'est en cet endroit, selon la commune opinion, que passoit la voie Emilienne qui conduisoit d'Arimini à Vérone, & à Aquilée. Il y reste un arc de marbre qui fut autrefois consacré à Jupiter, & tout proche, sont les débris d'un temple ; mais les curieux de tout ce qui concerne cette ville, trouveront de quoi se satisfaire dans l'histoire de Vérone par Muratori, Venise, 1732, in-fol. & in-8°. en 4 vol. avec figures, ainsi que dans la chronica della citta di Verona, descritta de Pietro Zagusta, in Verona, 1745, in-4°. 2. vol.

Cette ville se glorifie d'avoir produit sous l'ancienne Rome, Pline le naturaliste, Vitruve, Catulle, & Cornelius Nepos, dont j'ai parlé sous le mot Verona ; elle n'a pas été stérile en savans depuis le retour des Belles-Lettres. J'en vais nommer quelques-uns dont elle est la patrie ; Bianchini, Bossus, Fracastor, Guarini, Panvini, Noris, Scaliger, & Paul Emile.

Bianchini (François) physicien & mathématicien, naquit dans cette ville en 1662, & mourut en 1729, à 67 ans. On a de lui une édition d'Anastase le bibliothécaire, & quelques dissertations de Physique.

Bossus (Matthieu) mérite un rang parmi les hommes illustres en vertu & en savoir, du xv. siecle. Il naquit à Vérone l'an 1427, & mourut à Padoue en 1502, à 75 ans ; il composa plusieurs livres de morale & de piété, entre autres celui de immoderato mulierum cultu, imprimé à Strasbourg, en 1509, in-4°. mais on répondit à son ouvrage, & les dames trouverent un apologiste qui plaida leur cause avec autant d'esprit que de savoir. Les femmes aimeront toujours d'être parées ; S. Jérome appelle le beau sexe philocosmon, le sexe amateur de la parure ; & il ajoute qu'il savoit beaucoup de femmes de la plus grande vertu qui se paroient pour leur seule satisfaction, sans avoir dessein de plaire à aucun homme. " L'affection des femmes, dit-il à Démétrias, est fort imparfaite ; car lorsque vous étiez dans le siecle, vous aimiez les choses du siecle ; comme de blanchir votre visage, de relever votre teint avec du vermillon, de friser vos cheveux, & d'orner votre tête de cheveux étrangers. L'objet de la passion & de la folie des dames de qualité, continue-t-il, est de rechercher la richesse des diamans, la blancheur des perles pêchées au fond de la mer rouge, le beau verd des émeraudes, & l'éclat des rubis ". Nos saints Jéromes disent que c'est toujours la même chose, & nous avons vu dans quelque autre article, que ce goût naturel au sexe est fort excusable.

Fracastor (Jérome) poëte & médecin du xvj. siecle, mourut d'apoplexie en 1553, à 71 ans ; sa patrie lui fit élever une statue en 1559. Ses ouvrages ont été imprimés à Padoue en 1735, 2. vol. in-4°. mais son poëme intitulé Syphilis, méritoit seul cet honneur.

Fratta (Jean) poëte italien véronois, du xvj. siecle. On a de lui des églogues médiocres, & un poëme héroïque, intitulé la Maltéïde, auquel le Tasse donnoit son suffrage ; mais la postérité ne l'a point confirmé.

Guarini, natif de Vérone, a été l'un des premiers qui ont rétabli les Belles Lettres dans l'Italie au xv. siecle. Il mourut à Ferrare en 1460 ; sa traduction d'une partie de Strabon, étoit bonne pour le tems ; mais son nom a été encore plus illustré par son petit-fils, auteur du Pastor Fido, poëme pastoral, qu'Aubert le Mire a mis plaisamment au nombre des livres de piété, croyant que c'étoit un traité théologique des devoirs des pasteurs.

Panvini (Onuphre) religieux de l'ordre de saint Augustin, dans le xvj. siecle, étoit savant littérateur, comme il paroît par ses ouvrages sur les fastes consulaires, les fêtes & les triomphes des Romains ; mais il n'osoit avouer qu'il ignoroit quelque chose, par sa présomption d'avoir des lumieres dont les autres manquoient. Il inventoit des inscriptions & des monumens dont il se servoit à autoriser ses sentimens, ou ses rêveries. Cette fraude découverte, a décrié ses ouvrages, qui auroient été estimables, s'il eût eu moins d'imagination, & sur-tout s'il eût eu de la bonne foi ; il est mort en 1578, âgé d'environ 40 ans.

Noris (Henri) l'un des savans hommes du xvij. siecle, s'éleva par son mérite au cardinalat. Il dut cette dignité à Innocent XII. qui l'employa en 1702 à la réformation du calendrier. Il mourut à Rome en 1704, à 73 ans ; toutes ses oeuvres ont été recueillies, & imprimées à Vérone en 1729, en 5 vol. in-fol. On estime beaucoup son traité sur les époques des Syro-Macédoniens, ainsi que son histoire pélagienne, dont il donna la quatrieme édition en 1702. Quand ce dernier ouvrage parut pour la premiere fois, il fut déféré au tribunal de l'inquisition, qui heureusement étoit tout dévoué à l'auteur ; en sorte que ce livre non-seulement sortit de l'examen sans flétrissure, mais le pape Clément X. honora Noris du titre de qualificateur du saint office. Ses ennemis revinrent à la charge en 1692, & attaquerent encore son histoire pélagienne, mais sans succès ; tous les témoignages des examinateurs lui furent si favorables, que sa sainteté pour marquer à l'auteur son estime particuliere, le nomma consulteur de l'inquisition, membre de toutes les congrégations, & bibliothécaire du Vatican.

Scaliger (Jules-César) critique, poëte, médecin, philosophe, & l'un des plus habiles hommes du xvj. siecle, naquit en 1484, au château de Ripa, dans le territoire de Vérone. Il se disoit descendu des princes de l'Escale souverains de Vérone, & qui s'y rendirent formidables par leurs conquêtes ; mais la gloire de la naissance de Scaliger lui fut contestée, & les lettres de naturalité qu'il obtint en France, sont entierement contraires à sa prétention, vu qu'il n'y est qualifié que médecin natif de Vérone : on trouvera ces lettres dans le dictionnaire de Bayle, au mot VERONE.

Scaliger est mort à Agen le 21 Octobre 1558, à 75 ans ; son traité de l'art poëtique, son livre des causes de la langue latine, & ses exercitations contre Cardan, sont ses trois ouvrages les plus estimés. On remarque en général dans tous les écrits de cet auteur beaucoup de génie, de critique, & d'érudition, mais aussi beaucoup de vanité & d'esprit satyrique. Son fils Scaliger (Joseph-Juste) marcha sur ses traces, le surpassa même en érudition, mais non pas en génie.

Emilio (Paolo) en latin Aemilius Paulus, (nom que nous avons francisé en celui de Paul Emile,) étoit un savant de Vérone, dont la réputation se répandit au-delà des monts. Le cardinal de Bourbon l'attira dans ce royaume sous le regne de Louis XII. & lui fit donner un canonicat de la cathédrale de Paris, où il fut enterré l'an 1529. On l'engagea à faire en latin l'histoire des rois de France, & il s'appliqua à ce travail avec un grand soin : il y employa bien des années, sans avoir pu mettre la derniere main au dixieme livre qui devoit comprendre les commencemens du regne de Charles VIII. C'étoit un homme difficile sur son travail, & qui trouvoit toujours quelque chose à corriger.

Son histoire s'étend depuis Pharamond jusqu'à l'an 1488, qui est le cinquieme du regne de Charles VIII. Le dixieme livre fut trouvé parmi ses papiers en assez mauvais état ; un parent de l'auteur se donna le soin de l'arranger, & de le mettre en ordre.

Les éditions de cet ouvrage sont en assez grand nombre ; la premiere contenoit neuf livres, & parut avant l'année 1539 ; la seconde en 1539 ; elle fut suivie par celles de 1544, de 1550, de 1555, de 1566, de 1576, toutes chez le même Vascosan. On en fit aussi une édition à Bâle en 1601 in-fol. il y en a plusieurs versions françoises ; les unes sont completes, & les autres incompletes.

Juste Lipse porte de l'histoire de Paul Emile un jugement fort avantageux, quoique mêlé de quelques traits de censure. On ne peut nier que cette histoire ne soit généralement parlant bien écrite ; & l'auteur n'avoit alors en France aucun rival dans la belle latinité ; mais ses harangues sont controuvées à plaisir, & déplacées dans plusieurs endroits, où il fait parler des barbares doctement & éloquemment, comme auroient parlé les anciens Romains. On peut encore lui reprocher d'être trop diffus sur les matieres étrangeres, & trop serré sur son principal sujet. (D.J.)


VÉRONESE LEou LE VÉRONOIS, (Géogr. mod.) contrée d'Italie, dans l'état de Venise. Elle est bornée au nord par le Trentin, au midi par le Mantouan, au levant par le Padouan & le Vicentin, au couchant par le Bressan. Son étendue du nord au sud est d'environ quarante milles, & de trente-deux de l'est à l'ouest : c'est un pays arrosé de sources & de ruisseaux ; il est très-fertile en blé, en vin, en fruits, & en huile ; ses principales villes sont Vérone capitale, Peschiera, & Garde. (D.J.)


VÉRONIQUES. m. (Hist. nat. Bot.) veronica, genre de plante, à fleur monopétale, en rosette profondément découpée ; le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou au milieu de la fleur, & il devient dans la suite un fruit membraneux & divisé en deux loges ; ce fruit renferme des semences qui sont minces dans quelques especes, & épaisses dans d'autres. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Quoique Tournefort compte quarante-trois especes de véronique, & qu'il y en ait plus d'une employée en médecine, nous décrirons seulement la commune, veronica mas, vulgatissima, I. R. H. 143. en anglois the male speed-well.

Sa racine est déliée, fibreuse, serpentante, & vivace. Elle pousse plusieurs tiges menues, longues, rondes, nouées, & couchées ordinairement sur la surface de la terre ; ses feuilles naissent opposées deux à deux le long de ses tiges, assez semblables à celles du prunier, velues, dentelées en leurs bords, d'un goût amer & âcre.

Ses fleurs sont disposées en maniere d'épi, comme celles de la germandrée, petites, de couleur bleuâtre, quelquefois blanches, avec deux étamines de même couleur, à sommets oblongs ; chacune d'elles est une rosette à quatre quartiers ; quand cette fleur est tombée, il lui succede un fruit en coeur, partagé en deux bourses ou loges, qui contiennent plusieurs semences menues, rondes, noirâtres.

Cette plante croît aux lieux incultes, secs, pierreux, sur les côteaux, dans les bois & dans les bruyeres ; elle fleurit en été.

Dans le système de Linnaeus, la véronique est un genre distinct de plante, comme dans Tournefort ; voici ses caracteres. Le calice est divisé en quatre segmens, étroits, pointus, & subsistans après la chûte de la fleur ; la fleur est monopétale, en forme de tube cylindrique, & à-peu-près de la longueur du calice ; ce tube est applati dans sa position, & se divise à l'extrêmité en quatre quartiers de figure ovale ; les étamines sont deux filets très-étroits dans le fond, & panchés vers le sommet ; les bossettes des étamines sont oblongues ; le pistil a le germe applati ; le stile est un filet panché & de la longueur des étamines ; le stigma est simple, le fruit est une capsule turbinée, taillée en coeur, & plate au sommet ; il contient deux loges partagées en quatre cloisons, & pleines d'un grand nombre de semences arrondies. Linnaei, gen. plant. p. 4. (D.J.)

VERONIQUE, (Mat. méd.) on emploie en médecine plusieurs especes de véronique, parmi lesquelles celle que les botanistes appellent véronique mâle, ou thé de l'Europe (veronica mas, supina & vulgatissima, C. B. P. & Inst. rei herb. veronica vulgatior folio rotundiore J. B.), est la plus usitée, cette plante est une de celles que les pharmacologistes, tant anciens que modernes, ont pris en affection, on ne sait pas trop pourquoi, à laquelle ils ont attribué un grand nombre de vertus singulieres, propres, uniques ; quoique cette plante ne puisse être regardée que comme un simple altérant, & même des moins actifs, & qu'il existe dans la nature un très grand nombre de plantes dont l'analogie médicamenteuse avec la véronique, est à peu-près démontrée. Ces plantes sont entre autres, presque toutes les labiées de Tournefort, & principalement la germandrée, l'ivette, la sauge, la menthe, le pouliot, le lierre terrestre, l'hysope, le stoechas, la bétoine, &c.

La véronique est aromatique ; elle donne une eau distillée, bien parfumée, mais point d'huile essentielle, selon le rapport de M. Cartheuser.

Ce ne sont que les feuilles de cette plante qui sont d'usage en médecine ; elles ont un goût amer-aromatique & légerement âpre.

La nature de ces principes & l'observation concourent à prouver que les magnifiques éloges donnés à la véronique doivent être restreints à attribuer à cette plante la qualité légerement tonique, stomachique, diaphorétique, foiblement emménagogue, propre à aromatiser les boissons aqueuses, chaudes, qu'on a coutume de prendre abondamment dans les rhumes, certaines maladies d'estomac, certaines coliques intestinales ou rénales, les rhumatismes légers, &c. & à corriger la fadeur & la qualité trop relâchante de ces boissons ; pour cet effet on emploie ses feuilles fraîches, ou plus communément seches, à la dose de deux ou trois pincées par pinte d'eau, & on en fait une infusion théïforme. Cette infusion peut aussi s'employer utilement à couper le lait de chevre ou de vache. Voyez LAIT, &c.

Mais il faut toujours se ressouvenir qu'il n'est prouvé par aucun fait que cette plante soit plus efficace, ni dans les cas que nous venons de citer, ni dans aucun autre, que celles que nous avons nommées plus haut. Une des maladies à laquelle la véronique est regardée comme éminemment appropriée, c'est l'enrouement & son degré extrême, l'extinction de voix. Nous ne la croyons pas plus spécifique dans ce cas, que dans tous les autres.

L'eau distillée de véronique est une de celles qu'on emploie ordinairement comme excipient dans les potions hystériques ; & elle est en effet propre à cet usage, mais seulement comme les eaux distillées de la même classe ; elle passe pour bonne contre le calcul ; ce n'est presque pas la peine de rapporter & de réfuter de pareils préjugés.

Quant à l'usage extérieur de la véronique, on l'emploie quelquefois dans les vins & dans les lotions aromatiques.

Les feuilles de véronique entrent dans l'eau vulnéraire, le baume vulnéraire, le mondificatif d'ache, &c. & son suc dans l'emplâtre opodeltoch. (b)

VERONIQUE FEMELLE, (Mat. méd.) V. VELVOTE.

VERONIQUE, s. f. terme formé de vera-icon, vraie image : on l'applique aux portraits ou représentations de la face de notre Seigneur Jesus-Christ, imprimée ou peinte sur des mouchoirs.

Les véroniques ou saintes faces sont des imitations d'un célebre original, que l'on conserve avec beaucoup de vénération dans l'église de S. Pierre à Rome, & que quelques-uns croient avoir été le mouchoir qui servit à couvrir le visage de Jesus-Christ dans le sépulcre.

Il est bon en effet d'observer que le nom de véronique se donne uniquement à ces mouchoirs qui ne représentent autre chose que la face du Sauveur, car pour les linges qui représentent tout son corps, comme celui de Besançon, où l'on voit toute la partie antérieure de son corps en longueur, & celui de Turin qui fait voir la partie postérieure aussi-bien que l'antérieure, comme ayant enveloppé & couvert le corps tout entier ; on les appelle suaires.

Le premier ouvrage où il soit fait mention de la véronique, est un cérémonial compilé en 1143, & dédié au pape Célestin, par Benoît, chanoine de S. Pierre : on n'y a pas marqué le tems qu'elle fut apportée à Rome.

Des peintres représentent quelquefois la véronique soutenue par les mains d'un ange, mais plus communément par celles d'une femme, que le commun du peuple s'imagine avoir été une sainte, nommée véronique. Quelques-uns se sont imaginés qu'il pouvoit y avoir eu une femme juive de ce nom à Jérusalem, qui présenta son mouchoir à notre Seigneur comme on le menoit au Calvaire, pour essuyer son visage tout couvert de sang & de sueur, & que l'image de sa face s'y imprima miraculeusement.

De la possibilité de ce miracle, on passa bientôt à soutenir la réalité de l'existence de cette femme, nommée Bérénice ou Véronique, & l'on voit dans les voyages que Bernard de Bredemback, doyen de Mayence, fit à la Terre-sainte, en 1483, & qui furent imprimés en 1502. qu'il n'y avoit pas encore long-tems qu'on avoit trouvé à Jérusalem la véritable maison de Véronique ; d'autres ont cru que cette femme étoit l'hémorhoïsse de l'Evangile, & l'ont en conséquence invoquée pour la guérison du mal dont Jesus-Christ l'avoit délivrée. C'est ce qui se pratique particulierement à S. Gilles de Valenciennes, où l'on appelle communément cette sainte, sainte Venice, diminutif du génitif Veronicae.

Mais il n'y en a rien, ni dans les anciens martyrologes, ni dans le romain, ce qui a fait penser à M. de Tillemont que tout ce qu'on en avance est destitué de fondement.


VÉRONISou VÉRONÉEZ, (Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans le duché de Rézan, sur le haut d'une montagne, proche la riviere de Véronis qu'on passe sur un pont, avec une citadelle. Elle contient quatre à cinq mille habitans. Longitude 60. 6. latitude 53. 15. (D.J.)


VERQUEUXS. m. pl. terme de Pêche, ce sont les mêmes filets que les pêcheurs du ressort de l'amirauté de Caudebec, & de la riviere de Seine, nomment alosieres ou rets verqueux, ou brions. Voici la maniere dont les pêcheurs de Bayonne se servent de ces filets qui sont tramaillés.

Les pêches fraîches & communes que font ces pêcheurs, sont celles des filets nommés brions, rets de trente mailles, ces sortes de filets servent depuis Bayonne à la mer, jusqu'au delà de la barre ; les pêcheurs à cet effet ont une espece de petits bateaux pêcheurs qu'ils nomment tilloles, & dont la construction est particuliere, ils n'ont ni quille ni gouvernail, ainsi ils étoient dans le cas d'être supprimés en exécution de l'article vingt-six de la déclaration du 23 Avril 1726. mais sur la représentation que les officiers de l'amirauté ont faite, sur la solidité reconnue de ces bateaux, & sur le besoin qu'on en a pour piloter les bâtimens & les navires qui entrent & qui sortent hors du port de cette ville, ces tilloles ont été conservées.

On ne peut trouver de meilleures & de plus sûres chaloupes pour naviguer dans l'Adoure, & même aller à la mer lorsqu'elle n'est pas émue de tempêtes ; quelque rapides que soient les courans, un seul homme ordinairement en fait toute la manoeuvre, se tenant debout, ramant d'une main, & gouvernant de côté, de l'autre main, avec une deuxieme rame ; les tilloliers sont en cela si habiles, qu'ils évitent sûrement tout ce qui les pourroit embarrasser, & il nous a été assuré que de mémoire d'homme, il ne leur étoit arrivé d'accident ; la tillole qui est d'une forte construction, a ses bords fort hauts, est de la forme des gondoles, & peut tenir jusqu'à dix à douze personnes ; quelquefois on y ajoute deux autres avirons, mais celui qui gouverne se sert toujours des deux siens.

Quand les pêcheurs font la pêche dans la riviere, ils sont ordinairement deux tilloliers, & trois lorsqu'ils la font à la mer : ces chaloupes ont ordinairement seize piés de l'arriere à l'avant ; elles ressemblent à une navette coupée, sa largeur au milieu est de cinq piés sur le fond, & de quatre seulement sur le haut, & la hauteur du creux de l'avant, aux deux tiers vers l'arriere, est depuis deux piés à deux piés & demi ; les pêcheurs y mettent un mât au milieu, avec une voile quarrée, longue, sur deux vergues, une en-haut & l'autre en-bas, plus longues sous le vent pour en pouvoir prendre davantage.

En pêchant, les filets se jettent toujours à bas bord, se relevent de même, & la voile qui est assez large sert de teux à la tillole.

Outre les pêches qui se font avec des filets, les pêcheurs ont encore des manioles & des berteauts, borgues, ou renards.

Les rets que les pêcheurs de Bayonne nomment brions, sont les mêmes que ceux que les pêcheurs de la riviere de Seine nomment alosiers verqueux, & rets verquans, pour la pêche des aloses ; mais ils en different en ce qu'ils n'ont qu'un seul filet, au lieu que ceux des pêcheurs normands en ont deux l'un sur l'autre ; c'est de même un ret tramaillé, de soixante brasses de long, sur environ une brasse & demie de chûte. Les pêcheurs font avec ce filet la pêche du colac ou de l'alose, des saumons, & des loubines, espece de bars ; un pêcheur & un garçon suffisent seuls dans une tillole pour faire la pêche ; le bout du ret est soutenu à fleur d'eau par des calbaces qui servent de bouées, il dérive à la surface de l'eau, soutenu de flottes de liége avec un peu de plomb pour le bas, pour qu'il ne cale que de sa hauteur ; quelquefois la pêche se fait depuis Bayonne jusqu'à la barre ; quelquefois aussi, de beau tems, & dans l'espérance d'une bonne pêche, ils vont en mer au-delà de la barre.

Cette pêche a lieu depuis le mois de Février jusqu'en Juin, mais pour la faire avec succès, il faut qu'il y ait des eaux blanches, c'est-à-dire de celles qui tombent des monts Pyrénées, ce que recherchent sur-tout les saumons, dont la pêche est aujourd'hui fort stérile, eu égard à l'abondance avec laquelle on la faisoit autrefois.

Les trameaux ou hameaux des brions, que les pêcheurs basques nomment l'esmail, ont la maille de sept pouces dix lignes en quarré, & la toile, nappe, flue ou ret du milieu, qu'ils nomment la charte, a deux pouces, & deux pouces une ligne en quarré ; ainsi ces sortes de rets sont plus serrés & moins ouverts que ceux dont se servent les pêcheurs de la Seine, pour faire dans la même saison, la méme-pêche.


VERQUINTES. m. en terme de Raffineur, n'est autre chose que le sucre gras que l'on trouve dans la tête des vergeoises, que l'on fond comme elles. Voyez VERGEOISES.


VERRATvoyez COCHON.


VERRE(Hist. des arts & Littérat.) le hasard pere de tant de découvertes, l'a été vraisemblablement de celle du verre, matiere dure, fragile, transparente, lisse, incorruptible, & qu'aucune substance ne peut altérer. Le feu seul auquel elle doit sa naissance, pourroit avoir des droits sur elle ; il a au-moins le pouvoir de lui faire changer de forme, comme il a eu celui de la préparer par la fusion de sable, de pierres vitrifiables & de sel alkali.

Ce corps singulier, si l'on en croit le conte de Pline, se forma pour la premiere fois de lui-même en Egypte. Des marchands qui traversoient la Phénicie, allumerent du feu sur les bords du fleuve Bélus pour faire cuire leurs alimens. La nécessité de former un appui pour élever leurs trépiés, leur fit prendre au défaut de pierres, des mottes de natrum mêlées de sable, qu'ils trouverent sur le rivage. La violence de la chaleur que ce mêlange éprouva, le vitrifia bientôt, & le fit couler comme un ruisseau enflammé ; mais ce flot brillant & écumeux ayant pris en se refroidissant une forme solide & diaphane, indiqua déjà 1000 ans avant la naissance de J. C. la maniere grossiere de faire le verre, qu'on a depuis si singulierement perfectionnée.

Josephe, l. II. c. ix. de la guerre des Juifs, raconte des choses merveilleuses du sable de ce fleuve Bélus dont parle Pline. Il dit que dans le voisinage de cette riviere, il se trouve une espece de vallée de figure ronde, d'où l'on tire du sable qui est inépuisable pour faire du verre, & que si l'on met du métal dans cet endroit, le métal se change sur le champ en verre. Tacite, liv. V. de ses histoires, rapporte la chose plus simplement. " Le Bélus, dit-il, se jette dans la mer de Judée ; l'on se sert du sable qui se trouve à son embouchure pour faire du verre, parce qu'il est mêlé de nitre, & l'endroit d'où on le tire quoique petit, en fournit toujours ". Apparemment que le vent reportoit sans cesse dans cette vallée le sable qui se trouvoit sur les hauteurs voisines.

Quelques auteurs prétendent qu'il est parlé du verre dans le livre de Job, ch. xxviij. vers. 17. où la sagesse est comparée aux choses les plus précieuses, & où il est dit, selon la vulgate, l'or & le verre ne l'égalent point en valeur. Mais c'est S. Jérôme qui a le premier jugé à propos de traduire par verre, vitrum, le mot de l'original qui veut dire seulement tout ce qui est beau & transparent. Plusieurs versions ont traduit ce terme par diamant, d'autres par bérille, d'autres par hyacinthe, & d'autres par crystal : chacun a imaginé ce qu'il connoissoit de plus beau dans la nature pour le joindre à l'or. Mais comme il n'est point parlé de verre dans aucun autre endroit de l'ancien Testament, tandis qu'il en est souvent parlé dans le nouveau, comme dans les épitres de S. Paul, de S. Jacques, & dans l'apocalypse, il est vraisemblable que les anciens écrivains sacrés ne connoissoient point cette matiere, qui leur eût fourni tant de comparaisons & d'allégories.

Selon d'autres savans, Aristophane a fait mention du verre par le mot grec , qu'on trouve, act. II. sc. j. de ses Nuées. Il introduit sur la scène Sthrepsiade qui se moque de Socrate, & enseigne une méthode nouvelle de payer de vieilles dettes ; c'est de mettre entre le soleil & le billet de créance, une belle pierre transparente que vendoient les droguistes, & d'effacer par ce moyen les lettres du billet. Le poëte appelle cette pierre , que nous avons traduit par le mot verre ; mais ce mot ne se trouve point pris dans ce sens par Hesychius. On entendoit jadis par ce terme le crystal ; & c'est en ce sens que le scholiaste d'Aristophane le prenoit : le même mot désignoit aussi une espece d'ambre jaune & transparent.

Aristote propose deux problèmes à résoudre sur le verre. Dans le premier, il demande quelle est la cause de la transparence du verre ; & dans le second, pourquoi on ne peut pas le plier. Ces deux problèmes d'Aristote, s'ils sont de lui, seroient les monumens les plus anciens de l'existence du verre ; car si cette substance eût été connue avant le tems d'Aristote, elle eût donné trop de matiere à l'imagination des poëtes ou orateurs grecs, pour qu'ils eussent négligé d'en faire usage.

Lucrece est le premier des poëtes latins qui ait parlé du verre, & de sa transparence. Il dit, liv. IV. vers. 602.

Nisi recta foramina tranant

Qualia sunt vitri.

Et liv. VI. vers. 98.

Atque aliud per ligna, aliud transire per aurum,

Argentoque foras, aliud vitro que meare.

Pline, l. XXXVI. c. xxvj. prétend que Sidon est la premiere ville qui ait été fameuse par sa verrerie ; que c'est sous Tibere qu'on commença à faire du verre à Rome, & qu'un homme fut mis à mort pour avoir trouvé le secret de rendre le verre malléable ; mais ce dernier fait est une chimere que la saine physique dément absolument. Qu'on ne m'oppose point en faveur de la malléabilité du verre, les témoignages de Pétrone, de Dion Cassius & d'Isidore de Séville, car ils n'ont fait que copier l'historien romain, en ajoutant même à son récit des circonstances de leur invention. Il ne faut donc les regarder que comme les échos de Pline, qui plus sage qu'eux, avoue lui-même que l'histoire qu'il rapporte avoit plus de cours que de fondement. Peut-être que son verre flexible & malléable étoit de la lune cornée, qui quelquefois prend l'oeil d'un beau verre jaunâtre, & devient capable d'être travaillée au marteau.

Ce qu'il y a de certain, c'est que la Chymie n'a point fait de découverte depuis celle des métaux, plus merveilleuse & plus utile que la découverte du verre. Quels avantages n'en a-t-elle pas retirés ? C'est le verre, dit très-bien le traducteur de Shaw, qui a fourni à cet art les instrumens qui lui ont donné les moyens d'extraire, de décomposer & de recomposer des substances qui, sans ce secours, fussent restées inconnues faute de vaisseaux où l'on pût exécuter les opérations. Les vaisseaux de terre & de grès ne sauroient même suppléer à ceux de verre dans plusieurs circonstances, parce que les premiers se fendent très-aisément lorsqu'ils sont exposés à une chaleur considérable ; au lieu que les vaisseaux de verre sont moins sujets à cet inconvénient, pourvû qu'on ait soin de ne donner le feu que par degrés. Le pouvoir qu'ont les acides de dissoudre presque tous les corps métalliques, eût donc restraint la Chymie dans des bornes trop étroites. La connoissance du verre a étendu ses limites, en fournissant de nouveaux moyens méchaniques pour multiplier les objets de ses recherches.

De tous les ouvrages de verre nous n'en connoissons que trois dont l'antiquité fasse mention, je parle d'ouvrages publics, & d'ouvrages si considérables qu'on a de la peine à y ajouter foi.

Scaurus, dit Pline, fit faire pendant son édilité un théatre, dont la scène étoit composée de trois ordres. Le premier étoit de marbre ; celui du milieu étoit de verre, espece de luxe que l'on n'a pas renouvellé depuis ; & l'ordre le plus élevé étoit de bois doré.

Le second monument public de verre est tiré du VII. liv. des Récognitions de Clément d'Alexandrie, où on lit que S. Pierre ayant été prié de se transporter dans un temple de l'île d'Aradus, pour y voir un ouvrage digne d'admiration (c'étoit des colonnes de verre d'une grandeur & d'une grosseur extraordinaire), ce prince des apôtres y alla accompagné de ses disciples, & admira la beauté de ces colonnes, préférablement à d'excellentes statues de Phidias dont le temple étoit orné.

Le troisieme ouvrage de verre célebre dans l'antiquité, étoit l'admirable sphere ou globe céleste, inventé par Archimede, & dont Claudien a fait l'éloge dans l'épigramme suivante qui est fort jolie.

Jupiter in parvo cum cerneret oethera vitro,

Risit, & ad superos talia dicta dedit.

Huccine mortalis progressa potentia curae ?

Jam meus in fragili luditur orbe labor.

Jura poli, rerumque fidem legemque virorum

Ecce Syracusius transtulit arte senex.

Inclusus variis famulatur spiritus astris

Et vivum certis motibus urget opus.

Percurrit proprium mentitus signifer annum,

Et simulata novo Cynthia mense redit.

Jamque suum volvens audax industria mundum,

Gaudet, & humanâ sidera mente regit.

Quid falso insontem tonitru Salmonea miror ?

Aemula naturae parva reperta manus.

La ville de Sidon inventa l'art de faire des verres noirs à l'imitation du jayet ; les Romains en incrustoient les murs de leurs chambres, afin, dit Pline, de tromper ceux qui y venoient pour s'y mirer, & qui étoient tout étonnés de n'y voir qu'une ombre.

Le même historien nous apprend que sous l'empire de Néron, on commença à faire des vases & des coupes de verre blanc transparent, & imitant parfaitement le crystal de roche ; ces vases se tiroient de la ville d'Alexandrie, & étoient d'un prix immense.

Enfin nous apprenons du même Pline, que les anciens ont eu le secret de peindre le verre de différentes couleurs, & de l'employer à imiter la plûpart des pierres précieuses.

Mais plusieurs siecles se sont écoulés avant que le verre ait atteint ce degré de perfection auquel il est aujourd'hui parvenu. C'est la Chymie qui a soumis sa composition & sa fusion à des regles certaines ; sans parler des formes sans nombre qu'elle a sçu lui donner, & qui l'ont rendu propre aux divers besoins de la vie. Combien n'a-t-elle pas augmenté sa valeur & son éclat par la variété des couleurs dont elle a trouvé le secret de l'enrichir, à l'aide des métaux auxquels on juge à propos de l'allier ? Combien d'utiles instrumens de Physique ne fait-on pas avec le verre ? Tantôt en lui donnant une forme convexe, cette substance devient propre à remédier à l'affoiblissement d'un de nos organes les plus chers ; d'autres fois l'art porte ses vûes sur des sujets plus vastes & nous fait lire dans les cieux. Lui donne-t-on une forme concave ? le feu céleste se soumet à sa loi, il lui transmet son pouvoir dans sa plus grande force, & les métaux entrent en fusion à son foyer. Veut-on imiter la nature dans ses productions les plus cachées, le verre fournit des corps qui à la dureté près, ne cedent en rien à la plûpart des pierres précieuses.

Cette substance transparente a porté de nouvelles lumieres dans la nouvelle physique. Sans le verre l'illustre Boyle ne fût jamais parvenu à l'invention de cet instrument singulier, à l'aide duquel il a démontré tant de vérités, & imaginé un si grand nombre d'expériences qui l'ont rendu célebre, & dans sa patrie & chez l'étranger. Enfin pour dire quelque chose de plus, c'est par le prisme que Newton a anatomisé la lumiere, & a dérobé cette connoissance aux intelligences célestes qui seules l'avoient avant lui.

Non contens de tous ces avantages, les Chymistes ont poussé plus loin leurs recherches & leurs travaux sur le verre. Ils ont cru avec raison, que l'art de la verrerie n'étoit pas à son dernier période, & qu'il pouvoit encore enfanter de nouveaux prodiges. En effet, en faisant un choix particulier des matieres propres à faire le verre, en en séparant tous les corps étrangers, en réduisant ensuite celles qu'on a choisies dans un état presque semblable à la porphyrisation, & en lui faisant subir un degré de chaleur plus considérable que pour le verre ordinaire, ils ont trouvé le moyen d'en former un d'une qualité très-supérieure, quoique de même genre. Le poli moëlleux (si l'on peut s'exprimer ainsi), dont il est susceptible par l'extrême finesse des parties qui le composent ; sa transparence portée à un si haut point de perfection, que nous ne pourrions pas croire que ce fût un corps solide, si le toucher ne nous en assuroit, font de cette espece de verre une classe absolument séparée du verre dont on se sert ordinairement.

Quelque parfaites que fussent les glaces dans cet état, elles pouvoient acquérir encore ; l'art n'avoit pas épuisé son pouvoir sur elles. Il s'en est servi pour les enrichir par un don plus précieux que tous les autres qu'elles possédoient déja. La nature nous avoit procuré de tout tems l'avantage de multiplier à nos yeux des objets uniques, & même notre propre image ; mais nous ne pouvions jouir de cette création subite que sur le bord d'une onde pure, dont le calme & la clarté permettent aux rayons du soleil de se refléchir jusqu'à nos yeux sous le même angle sous lequel ils étoient dardés. L'art en voulant imiter le crystal des eaux, & produire les mêmes effets, les a surpassés. La Chymie par un mêlange de mercure & d'étain, répandu également & avec soin sur la surface extérieure des glaces, leur donne le moyen de rendre fidélement tous les corps qui leur sont présentés. Cette faculté miraculeuse ne diminue rien de leurs autres qualités, si ce n'est la transparence. Venise fut long-tems la seule en possession du secret de faire les glaces ; mais la France a été son émule, & par ses succès a fait tomber dans ses mains cette branche de commerce.

Le verre tel qu'on vient de le décrire dans les différens états dont il est susceptible, pouvoit encore en se déguisant sous la forme d'un vernis brillant & poli, fournir aux arts un moyen de s'étendre sur des objets de pur agrément dans leur principe, mais que le luxe a rendus depuis un siecle une branche de commerce considérable ; on voit bien que je veux parler de la porcelaine chinoise, que les Européens ont tâché d'imiter par de nouvelles manufactures éclatantes, non par la nature de la pâte, mais par la noblesse de leurs contours, la beauté du dessein, la vivacité des couleurs, & le brillant de la couverte. (D.J.)

VERRE, (Lunetier) comme la bonté des lunettes d'approche dépend de celle des verres qu'on emploie dans leur construction, je vais parler du choix que l'on doit faire de la matiere du verre, aussi-bien que de la maniere de le préparer.

On doit choisir le verre pur, net & bien égal dans sa substance, sans flatuosités ni bouillons considérables, le moins coloré qu'il est possible, & sur-tout sans ondes, sinuosités, nuages, ni fumées, qui le rendroient, quelque bien travaillé qu'il fût, absolument inutile à la construction de l'oculaire. Mais, comme on ne peut connoître, si le verre a les qualités requises lorsqu'il est brut, l'artiste doit avoir soin de le découvrir & de le polir au-moins grossierement des deux côtés, s'il ne veut s'exposer à un travail inutile.

Je suppose donc le verre régulierement transparent, découvert & poli des deux côtés, comme sont les fragmens des miroirs de Venise ou autres, on les examinera de la maniere suivante. Premierement, on l'exposera au soleil, recevant ses rayons au travers sur un papier blanc, qui fera clairement paroître les filets, les fibres sinueuses & les autres inégalités qui peuvent y être. On regardera ensuite au-travers quelque objet médiocrement proche & élevé sur l'horison, comme peut être quelque pointe de clocher ; haussant & baissant le verre devant l'oeil, & considérant avec attention, si dans ce mouvement, l'objet ne paroît point ondoyant au-travers du verre ; car si cela étoit, il ne pourroit point servir à l'oculaire ; & le verre pour être bon, doit nonobstant ce mouvement, rendre toujours l'apparence de l'objet parfaitement stable & sans aucun mouvement. On considérera en second lieu, sa couleur, qui doit être extrêmement légere & sans corps ; les bonnes couleurs du verre sont celles qui tirent sur l'eau vinée, sur le bleu, sur le verd, ou même sur le noir ; mais toujours sans corps. Le verd ou couleur d'eau marine est la plus ordinaire : on connoît la bonté de toutes ces couleurs, en mettant tous ces différens verres sur un papier blanc ; car celui qui le représentera bien nettement & naïvement, sans colorer sa blancheur, sera le meilleur. Il faut ensuite examiner, si le verre qu'on veut travailler est également épais par tout, ce que l'on connoîtra avec un compas à pointes recourbées ; cette précaution est sur-tout nécessaire aux verres dont on veut faire des objectifs, à la préparation & au travail desquels on ne sauroit apporter trop d'exactitude. Suppose que le verre n'ait pas une égale épaisseur partout, il faut l'y mettre avant que de lui donner aucune forme sphérique, la chose étant impossible après, sur-tout lorsqu'on le travaille à la main libre & coulante.

Après avoir examiné les verres, comme on vient de dire, on les coupera d'une grandeur proportionnée au travail qu'on en veut faire ; observant, s'il s'y trouve quelques petits points ou soufflures, de les éloigner toujours du centre le plus qu'il sera possible ; l'on mettra pour cet effet un peu de mastic sur ces pieces de verre dans un lieu convenable pour y poser la pointe d'un compas, avec lequel on tracera une circonférence avec une pointe de diamant pour le couper ensuite plus rondement. L'on tiendra les objectifs assez grands, pour qu'ils aient plus de conduite sur la forme. A l'égard des verres de l'oeil, il faut en faire quelque distinction ; car pour les grands oculaires de deux verres, on les fera aussi larges, que l'épaisseur du verre & sa diaphanéité pourront le permettre ; les plus larges sont les plus commodes. Mais pour les oculaires composés de plusieurs convexes, la grande largeur n'y est point utile, & encore moins l'épaisseur, sans laquelle on ne sauroit leur donner une grande largeur. Il suffira communément, selon la différente longueur des oculaires, qu'ils aient de largeur en diamêtre, depuis 8 pour les petits, jusqu'à 18 lignes pour les plus longs, de 10 à 12 piés. Il convient aussi de les rogner au grugeoir ou à la pincette bien rondement sur le trait du diamant fait au compas ; car cette rondeur servant de premiere conduite à l'ouvrage, est le fondement de l'espérance qu'on peut avoir de bien réussir au travail.

La seconde chose dans laquelle consiste la préparation du verre au travail, est à le bien monter sur la molette, voyez MOLETTE. Pour cet effet, on fera fondre le mastic dont on veut se servir ; & pendant ce tems-là, l'on mettra les molettes de cuivre ou de métal sur le feu, pour leur donner quelque médiocre degré de chaleur, afin que le mastic s'y attache plus fortement. L'on dressera ensuite ces molettes, leur plate-forme en-dessus ; & l'on remplira leur canal tout-à-l'entour de ce mastic fondu, qu'on y laissera à demi refroidir, pour y en ajouter de mol autant qu'il sera nécessaire pour égaler la superficie de leur plate-forme, sur laquelle il ne doit point y en avoir du-tout. On s'accommodera donc proprement à la main, à l'épaisseur d'un demi pouce tout-à-l'entour, en y laissant un espace vuide, comme un petit fossé d'environ deux lignes, tant en largeur qu'en profondeur entre le bord de la plate forme, pour empêcher qu'il ne la touche. Le mastic doit cependant toujours surmonter la plate-forme de la hauteur d'une bonne ligne. Pour y appliquer maintenant le verre, on le chauffera médiocrement, de même que le mastic, sur lequel on l'asseoira ensuite bien adroitement ; l'y pressant également avec la main, jusqu'à ce que sa superficie touche exactement celle du bord de la plate-forme de la molette, & qu'elle paroisse bien juste. Cela fait, on renversera la molette sur une table bien droite, & on laissera refroidir le verre & le mastic sous son poids. On remarquera que la largeur du verre peut bien excéder quelque peu celle du mastic de la molette ; mais la molette ne doit jamais excéder la largeur du verre au dedans de son biseau. Le mastic doit aussi toujours recouvrir toute la circonférence extérieure du verre bien uniment, afin que le grès ou mordant ne puisse point s'y arrêter, & qu'on puisse entierement s'en débarrasser en la lavant.

Pour travailler néanmoins avec assurance, & ne point exposer les bons verres aux premieres atteintes trop rudes du mordant ; on préparera aussi des verres de rebut, que l'on montera sur des molettes semblables de cuivre ou de métal. Et quoique ces verres ne doivent servir que d'épreuve, comme pour égaler le mordant sur la forme, avant que d'y exposer le bon verre, & lorsqu'ayant discontinué pour un tems l'on veut se remettre au travail, pour connoître s'il n'est point tombé des saletés sur la forme, qui le pût gâter ; ils doivent cependant être montés proprement sur leur mastic, pour qu'il ne s'y attache aucune saleté que l'eau ne puisse ôter ; car autrement, loin de servir à conserver les bons verres, ils pourroient souvent les gâter, en apportant des ordures sur la forme ; c'est pourquoi on doit les tenir aussi proprement que les bons verres.

La troisieme chose nécessaire pour préparer le verre au travail, c'est un biseau qu'on doit y faire tout-autour. Car quoique le verre, jusque ici préparé, soit déja rondement coupé au grugeoir sur le trait du diamant, il a néanmoins encore besoin d'être exactement arrondi, avant que d'être exposé sur la forme qu'on veut lui donner.

Pour donner donc ce biseau au verre, l'on prendra la forme de la plus petite sphere appellée débordoir, représentée, fig. Pl. du Lunetier, dans laquelle ce verre pourra entrer d'environ un demi pouce, l'affermissant bien avec du mastic sur une table solide, qui ne doit point excéder la hauteur commode, pour avoir la liberté entiere du mouvement du corps dans le travail ; & ayant mis des grès du premier degré de grosseur dans cette forme avec un peu d'eau, on y travaillera les bords du verre, l'appuyant d'abord ferme, & observant de la main, s'il n'y porte point en bascule. On fera parcourir à ce verre, le pressant en tournant contre la forme, toute sa superficie concave, pour ne la point décentrer, & l'user également & régulierement ; & lorsqu'on verra le biseau approcher de la largeur qu'on veut lui donner, on ne changera plus le grès de la forme pour qu'il s'adoucisse, on en ôtera même peu-à-peu pour l'adoucir plus promtement, car il n'est pas nécessaire de le conduire par cet adoucissement au poli, & il suffit qu'il le soit médiocrement pourvû qu'il ait l'angle bien vif. Ce biseau achevé, on lavera bien ce verre aussi-bien que le mastic de la molette, l'essuyant d'un linge bien net & le mettant dans un lieu propre & hors de danger. On remettra ensuite d'autre grès dans la même forme, pour donner de même le biseau au verre d'épreuve ; on le lavera de même, le tenant aussi proprement que le bon, & on nettoyera la forme dont on s'est servi.

Maniere de travailler le verre, & de le conduire sur la forme à la main libre & coulante. Le verre étant entierement préparé comme on vient de dire, jusqu'à être monté sur sa molette, on affermira la platine qui doit servir à le former sur une table de hauteur convenable & placée bien horisontalement ; & après avoir mis dessus du grès de la premiere forme, peu néanmoins à la fois, c'est-à-dire autant seulement qu'il en faut pour couvrir simplement sa superficie, & l'avoir également étendu avec le pinceau ; on commencera par y passer le verre d'épreuve pour l'égaler. On conduira sa molette en tournant, par circulations fréquentes ; premierement, tout-autour de sa circonférence ; puis en descendant tout-autour du centre, & sur le centre même ; & ensuite remontant de même doucement, & par le même chemin vers la circonférence. Ce verre d'épreuve ayant ainsi parcouru toute la superficie de la forme, & tout le grès ayant passé dessous ; on l'ôtera pour y mettre le bon verre & l'y travailler. J'en fais voir la conduite dans la figure par la description de plusieurs lignes circulaires, qui se tenant continument, représentent assez bien l'ordre qu'on doit observer, en donnant le premier mouvement au verre sur la forme.

La circonférence a b c d représente la superficie d'une forme de 10 pouces de diamêtre, qui peut servir pour les objectifs des oculaires de 20, 25 & 30 piés de longueur. Elle est également divisée par 18 cercles, qui y marquent le chemin du verre par l'ordre des caracteres qui y sont décrits. Ayant mis le verre sur la partie supérieure a de la forme, on le conduira sur la demi-circonférence a e jusqu'à son centre f ; depuis lequel, au-lieu de conduire le verre par l'autre demi-circonférence f 3 5 a du même cercle, s'en éloignant un peu vers la gauche, on le conduira par la demi-circonférence f g h, recommençant un autre cercle en f, que l'on continuera par son autre demi-circonférence h i jusqu'au centre f, duquel on recommencera de même une nouvelle circonférence s k l, que l'on continuera de l par m en f, pour de-là commencer le cercle f n o p, & ensuite f q r s, puis s t u x ; & conduisant ainsi le verre successivement à-peu-près par tous ces cercles, jusqu'à ce qu'on lui ait fait parcourir toute la superficie de la forme ; on en recommencera une nouvelle de la même maniere, réitérant continuellement ce mouvement, jusqu'à ce que le verre soit parfaitement formé. En travaillant de même, on conservera la figure spherique de la forme, qui sans cela seroit bientôt altérée.

Le verre étant suffisamment pressé sur la forme par le poids de la molette, il est inutile de le presser davantage de la main, & il suffit de le conduire bien également & fermement d'un train continu & non entrecoupé. C'est pourquoi il suffit de le diriger d'une seule main, tenant la molette de façon que tous les doigts appuyant sur la doucine de sa plate-bande b c, le sommet ou globe de la molette, se trouve environ sous le doigt du milieu. Voilà ce qui concerne son premier mouvement ; mais il ne suffit pas pour le former parfaitement, il faut encore lui en donner un autre qui ne doit pas être local comme le premier, mais sur l'axe de sa molette. Conduisant donc celle-ci circulairement, comme j'ai dit, il la faut encore en même-tems tourner continuellement entre les doigts, comme sur un axe propre de la molette, qui la traversant, tomberoit perpendiculairement sur la forme par le centre de sa superficie & de la sphéricité du verre ; afin que si la main, par quelque défaut naturel, pressoit la molette plus d'un côté que de l'autre, cet effort soit également partagé dans son effet sur toute la circonférence du verre ; & qu'étant suppléé par ce second mouvement ; il ne cause aucun obstacle à la formation parfaite du verre.

Comme le grès étant trop affoibli par le travail n'agit plus que fort lentement sur le verre ; lorsqu'on le sentira foible, l'on en changera, & y en mettant de nouveau, on l'égalera de même que la premiere fois avec le verre d'épreuve. Continuant ensuite le travail du bon verre sur ce nouveau grès, l'on réitérera de le changer jusqu'à ce que le verre approche d'être entierement atteint de la forme. Car alors sans le plus changer, on achevera de le former & de l'adoucir avec ce même grès, s'il y en a suffisamment, sinon on y en ajoutera d'autre du même degré de force que l'on aura conservé. On l'égalera toujours parfaitement avec le verre d'épreuve avant d'y commettre le bon ; pour éviter qu'il ne rencontre quelque grain moins égal, qui pourroit le gâter lorsqu'il est à la veille d'être entierement formé ; on continuera donc de travailler ce verre avec ce grès affoibli, qui ne fera plus que l'adoucir, jusqu'à ce qu'on sente à la main qu'il ne travaille plus : alors nettoyant le verre, on examinera s'il n'a point de défauts importans qu'il ait pu contracter dans le travail, comme des filandres, ou des traits considérables, ou des flancs qui se soient ouverts dans un lieu désavantageux, comme près du centre ; car dès qu'on apperçoit de semblables défauts sans passer plus avant, ce qui seroit du tems & du travail perdu, il faut les ôter, remettant du grès sur la forme du degré de force qu'on jugera nécessaire pour cet effet, & le retravailler de nouveau, comme on a dit, jusqu'à ce qu'on ait ôté le défaut, & qu'on puisse le reconduire de même par l'adoucissement du poli.

Peu importe que l'on fasse ce travail à grès sec ou humide ; mais si l'on a travaillé à sec, il faudra pour perfectionner l'adoucissement du verre, bien nettoyer la forme & les verres, tant le bon que celui d'épreuve, pour qu'il n'y reste ni grain, ni ordure, & mettre ensuite sur la forme un peu de grès de la derniere finesse, que l'on humectera d'un peu d'eau, & sur lequel on travaillera d'abord le verre d'épreuve, jusqu'à ce qu'on sente ce grès dans la douceur qu'il doit avoir pour perfectionner l'adoucissement du bon verre qu'on mettra dessus pour l'achever avec attention & patience : je dis avec patience, parce que le verre se polit d'autant plus régulierement, sûrement & promtement qu'il est plus parfaitement adouci. Il ne faut donc pas penser qu'il soit suffisamment adouci, qu'il ne paroisse à-demi poli en sortant de dessus la forme.

Pour bien adoucir un verre, il faut avoir soin de ne laisser sur la forme qu'autant de grès qu'il en faut pour la couvrir simplement, & en ôter même de tems-en-tems en nettoyant les bords, tant de la forme, que de la molette, où se jette & s'arrête ordinairement ce qu'il y a de moins délicat & de moins propre pour l'adoucissement du verre ; & lorsqu'on sentira le grès s'épaissir & se rendre en consistance trop forte, l'on y mettra parfois quelques gouttes d'eau, prenant garde d'éviter l'autre extrêmité, qui est de le rendre trop fluide ; car cela empêcheroit la molette de couler doucement sur la forme, & l'y arrêtant rudement pourroit gâter le verre. Il faut donc tenir un milieu en cela, & la prudence de l'artiste expert lui enseignera cette température. On ne doit pas se fier simplement à la vue pour reconnoître si un verre est parfaitement adouci ; mais avant que de se désister du travail, il faut le bien essuyer, & l'examiner une seconde fois avec un verre convexe qui puisse en faire voir tous les défauts, & remarquer sur-tout s'il est suffisamment adouci. Car souvent, faute de cette précaution, on reconnoît trop tard, après que le verre est poli, qu'encore qu'il parût parfaitement adouci à l'oeil, il ne l'étoit pourtant pas, y restant un défaut notable & qui apportera toujours obstacle à sa perfection, qui est qu'en core que le verre soit parfaitement formé, l'oculaire n'en sera jamais bien clair, les objets y paroissant comme voilés d'un crêpe fort léger. Que si après avoir apporté cette diligence dans l'examen du verre, on le trouve parfaitement adouci & capable de recevoir le poli, on le lavera de même que la forme, & on le mettra dans un lieu où il ne puisse point se casser.

Maniere de polir les verres à la main libre & coulante. C'est ici le principal écueil auquel tous les artisans font naufrage, & pour ne point m'arrêter à remarquer leurs défauts, qu'il sera facile de découvrir en comparant leur façon de travailler avec celle que j'indique, je dirai seulement qu'ils se contentent de polir sur un morceau de cuir, d'écarlate ou d'autre drap bien doux & uni, droitement tendu sur un bois plat, après l'avoir enduit de potée détrempée avec de l'eau, sur laquelle ils frottent fortement le verre des deux mains, sans se régler dans ce travail important que par la simple vue : aussi n'est-il pas étonnant qu'aucun ne réussisse dans la forme des verres des grands oculaires, & encore moins des moyens & des petits. Voici quelle est ma maniere de polir les verres. Je tends un cuir bien doux & d'épaisseur assez égale sur un chassis rond, de grandeur convenable pour contenir la forme qui m'a servi à former & adoucir le verre objectif sur lequel j'ai fait épreuve ; de façon que ce cuir ainsi tendu touche tout-à-l'entour les bords de la forme, à dessein d'en pouvoir faire comme d'une forme coulante par l'impression que la pesanteur de la molette, aidée de la main, y fait de son verre déja sphériquement travaillé, en la poussant & retirant d'une extrêmité de la circonférence de la forme, passant par son centre, à son extrêmité opposée ; car par ce moyen le bord de la molette ou de son verre, touchant continuellement le fond de la concavité de la forme dans ce mouvement, & formant par ce moyen comme une section de zone sphérique concave, ce verre s'y polit pourvu qu'on le conduise méthodiquement & avec adresse sur la potée ou le tripoli. Cette expérience m'ayant réussi sur ce cuir, j'en ai fait plusieurs autres sur de la futaine fine d'Angleterre, sur du drap fin de Hollande, sur de la toile de lin, sur de la toile de soie, sur du taffetas & sur du satin, fortement tendus sur ce chassis, & toutes m'ont réussi comme je desirois. Quant à la conduite de la molette & de son verre sur ce polissoir ; après avoir humecté celui-ci d'eau de potée d'étain assez épaisse, & bien également sur une largeur égale de chaque côté du centre de la forme, un peu plus que de l'étendue du demi-diamêtre du verre qu'on veut polir, & d'une extrêmité de sa circonférence à l'autre ; on posera dessus le verre d'épreuve, & tenant la molette à deux mains, les extrêmités des doigts appuyées sur la doucine de sa plate-bande, on la pressera fortement dessus, en sorte qu'elle fasse toucher ce cuir, toile, &c. quoique fortement bandée, à la superficie concave de la forme, poussant en même tems droitement d'un bord à l'autre la molette, & la retirant de même, un peu en tournant sur son axe à chaque fois ; on lui fera parcourir de cette maniere cinq ou six tours sur tout l'espace du polissoir qui est imbu de potée pour voir s'il n'y a point de grain ou de saleté qui puisse gâter le bon verre & le rayer, ce qu'on sent aisément à la main, outre le crissement qu'on entend ; on les aura, s'il s'en trouve, l'endroit étant facile à remarquer en y passant le verre. Le polissoir étant assuré de la sorte, on y mettra le bon verre pour le polir, le poussant & le retirant de même fortement & vivement, & conduisant droitement la molette d'un bord à l'autre de la forme ; mais observant à chaque tour & retour de tourner un peu la molette entre les doigts sur son propre axe, pour que sa pesanteur, qui ne peut être ici que très-utile, quand elle seroit double ou triple évidée de la main, lui fasse toujours toucher la superficie de la forme. On remettra aussi de tems-en-tems de la potée sur le polissoir, l'éprouvant à chaque fois comme on a fait la premiere, pour garantir le bon verre des accidens qui pourroient le gâter ; & l'on continuera ce travail jusqu'à ce que le verre soit parfaitement poli.

Construction d'une machine simple pour concaver les formes, & travailler sphériquement les verres convexes. L'on voit dans la figure de cette machine le tour A B C D E perpendiculairement, mais très-solidement appliqué par le moyen de deux fortes vis F G contre l'un de ses montans V G ; la roue M d'environ trois piés de diamêtre est montée bien horisontalement sur son axe I H, quarrément coudé en K L, & perpendiculairement élevé dans le milieu de deux traverses x y, & de deux montans o u de la machine. Dans le montant postérieur o est inséré un arc de bois d'if ou de frêne bien fort, & à la hauteur du coude K L de l'axe de la roue M. A l'opposite sur l'autre montant G V, est accommodée la double poulie Q R. Les deux petites pieces séparément dépeintes N, sont faites de la sorte pour embrasser le coude de l'axe K de la roue M ; étant ensuite rivées & jointes en une seule, comme en K L. Cette même piece N porte une corde à chacune de ses extrêmités, dont l'une est attachée en P à celle de l'arc O P, & l'autre à l'opposite à un clou derriere l'une des poulies Q, sur laquelle elle fait seulement un demi-tour. La marche T V est aussi garnie de sa corde dans un sens contraire à la premiere Q N, elle y est attachée à un clou en R, afin que pressant du pié la marche T V pour faire mouvoir par ce moyen les deux poulies Q R sur leur même axe ; dans le même tems que la marche tire en-bas la corde R V (faisant remonter par ce mouvement le clou R de sa poulie, elle fasse en même tems baisser le clou opposé de l'autre poulie, & par conséquent tirer la corde Q N & le coude K de l'axe H I de sa roue M), la corde P K attirée par ce moyen, fasse aussi bander l'arc O P, & que de cette maniere, le pié cessant de presser la marche T V, & la laissant remonter ; l'arc O P, qui retournera dans le même tems dans son repos, tirera à soi le coude de l'axe H I, & fasse retourner la roue M. Mais cette roue étant alternativement agitée par la traction réciproquement continue de la marche & de l'arc, & tournant de cette maniere toujours du même sens, fera aussi mouvoir, par le moyen de sa corde P Q S R, l'arbre du tour A B C D, sur la fusée s duquel elle est fortement tendue d'un même sens & continument ; & par conséquent aussi la forme E qui y est montée. Tenant donc maintenant la molette du verre sur la forme mue de la sorte continument, on pourra la conduire très-commodément, des deux mains libres. On remarquera que les deux clés x y servent à bander & débander la corde de la roue M lorsqu'on veut travailler ou discontinuer le travail.

VERRE, en Optique, est le nom qu'on donne aux lentilles de verre, destinées à corriger les défauts de la vue, ou à l'aider. Voyez LENTILLE. Cependant on donne plus particulierement le nom de lentille aux verres convexes des deux côtés, & on appelle en général les autres du nom de verre.

Dans les formules générales que l'on donne pour trouver le foyer des verres convexes des deux côtés, on néglige presque toujours l'épaisseur de la lentille, & on trouve que pour avoir le point de réunion des rayons paralleles, il faut faire comme la somme des demi-diametres des convexités est à un des deux demi-diametres, ainsi l'autre diametre est à la distance du point de concours ou foyer au verre ; d'où l'on voit que si le verre est formé de deux convexités égales, le point de concours est à la distance d'un demi-diametre, c'est-à-dire à-peu-près au centre de la convexité.

On détermine aisément les lieux des foyers soit réels, soit virtuels d'un verre de figure quelconque, par le moyen d'une formule algébrique générale pour un verre convexe des deux côtés, & de différentes convexités. Dans cette formule entrent la distance de l'objet au verre, la raison des sinus d'incidence & de réfraction, les demi-diametres des convexités, & la distance du foyer à la lentille est exprimée par une équation qui renferme ces quantités différentes avec l'épaisseur de la lentille. Comme cette épaisseur est ordinairement fort petite, on la néglige en effaçant dans l'équation tous les termes où elle se rencontre ; ce qui rend ces formules plus simples. Ainsi ayant une lentille de verre convexe des deux côtés, dont l'objet soit éloigné à la distance y, a étant le rayon de la convexité qui regarde l'objet, b le rayon de l'autre convexité, z la distance du foyer à cette convexité, le foyer étant supposé de l'autre côté de la lentille par rapport à l'objet, & enfin le rapport des sinus d'incidence & de réfraction de l'air dans le verre étant supposé égal au rapport de 3 à 2, on trouve z = .

Si l'on veut que les rayons tombent paralleles, il n'y a qu'à supposer l'objet infiniment éloigné, ou y infini, & on a pour lors le terme - 2 a b nul par rapport à a y + b y : de sorte que z = = ; ce qui s'accorde avec la regle que nous avons donnée ci-dessus pour le foyer des verres convexes des deux côtés.

Si le côté tourné vers l'objet est plan, alors on peut le regarder comme une portion de sphere d'un rayon infini, ce qui donne a infini, & z = = ; & si on suppose outre cela y infini, c'est-à-dire que les rayons tombent paralleles sur une lentille plane convexe, on aura z = = 2 b.

Lorsque la formule qui exprime la valeur de z est négative, c'est une marque que le foyer est du même côté du verre que l'objet, c'est-à-dire que les rayons sortent divergens de la lentille & n'ont qu'un foyer virtuel.

Lorsqu'une des faces de la lentille est supposée concave, il n'y a qu'à faire négatif le rayon de cette face ; & si elles sont toutes deux concaves, on fera négatifs les deux rayons. Ainsi par exemple, si on veut avoir le foyer des rayons qui tombent paralleles sur une lentille plane concave, on n'a qu'à faire y & a infinies, & b négatif, ce qui donne z = - = - 2 b, & la lentille a un foyer virtuel. On voit par ce peu d'exemples, comment on peut déduire de la formule générale tout ce qui concerne le foyer des verres de figure quelconque. Voyez FOYER. (O)

VERRE A FACETTES, en Optique, est un verre ou une lentille qui fait paroître le nombre des objets plus grand qu'il n'est en effet. Voyez LENTILLE.

Ce verre appellé aussi polyhedre, est formé de différentes surfaces planes, inclinées les unes aux autres, à-travers lesquelles les rayons de lumiere venant d'un même point, souffrent différentes réfractions, de maniere que sortant de chaque surface du verre ils viennent à l'oeil sous différentes directions, comme s'ils partoient de différens points ; ce qui fait que le point d'où ils sont partis est en plusieurs lieux à-la-fois, & paroit multiplié. Voyez REFRACTION ; pour les phénomenes de ces sortes de verres, voyez POLYHEDRE. Chambers.

VERRE LENTICULAIRE, (Invent. des arts, Dioptrique, &c.) les verres lenticulaires sont propres à aider les vues affoiblies. Les premieres traces de leur découverte remontent d'une façon bien avérée à la fin du treizieme siecle ; mais la maniere dont se fit cette découverte nous est absolument inconnue, & l'on n'a guere plus de lumieres sur le nom de son inventeur. Il est néanmoins assez vraisemblable que ce furent les ouvrages de Bacon & de Vitellio qui lui donnerent naissance. Quelqu'un chercha à mettre en pratique ce que ces deux auteurs avoient dit sur l'avantage qu'on pouvoit tirer des segmens sphériques, pour aggrandir l'angle visuel, en les appliquant immédiatement sur les objets. A la vérité ils s'étoient trompés à cet égard ; mais il suffisoit d'en tenter l'expérience pour faire la découverte qu'ils n'avoient pas soupçonnée ; car il est impossible de tenir un verre lenticulaire à la main, & de l'appliquer sur une écriture sans appercevoir aussi-tôt qu'il grossit les objets bien davantage quand ils en sont à un certain éloignement, que quand ils lui sont contigus.

Personne n'a plus savamment discuté la nouveauté des verres lenticulaires ou verres à lunettes, que M. Molineux dans sa dioptrique. Il y prouve par un grand nombre d'autorités laborieusement recherchées, qu'ils n'ont commencé à être connus en Europe que vers l'an 1300.

Si l'on considere le silence de tous les écrivains qui ont vécu avant la fin du treizieme siecle sur une invention aussi utile, on pourra refuser de reconnoître qu'elle est d'une date qui ne va pas au-delà de cette époque, quoique quelques savans prétendent que les lunettes étoient connues des anciens. On a été jusqu'à forger des autorités pour étayer cette prétention ; on a cité Plaute, à qui l'on fait dire dans une de ses pieces, cedo vitrum, necesse est conspicillo uti ; mais malheureusement ce passage qui décideroit la question en faveur des anciens, ne se trouve nulle part. Divers curieux ont pris la peine de le chercher dans toutes les éditions connues de Plaute, & n'ont jamais pû le rencontrer. Ces recherches réitérées & sans effet donnent le droit de dire, que le passage en question est absolument controuvé.

On rencontre à la vérité dans deux autres endroits de Plaute (Frag. de sa com. du médecin, & dans la Cistellana), le terme de conspicillum, mais il n'y a aucun rapport avec un verre à lunette, & il paroît devoir s'expliquer par des jalousies, d'où l'on apperçoit ce qui se passe au-dehors sans être apperçu.

Pline, Hist. nat. l. VIII. ch. xxxiij. racontant la mort subite du médecin Caius Julius, parle encore d'un instrument appellé specillum ; mais c'est sans aucune raison qu'on l'interprete par un verre lenticulaire ; ce mot signifie une sonde ; & si l'on prétendoit par les circonstances du passage, que ce fût un instrument optique, il faudroit l'entendre d'une sorte de petit miroir, ou d'un instrument à oindre les yeux comme dans Varron.

Il y a une scene d'Aristophane qui fournit quelque chose de plus spécieux, pour prouver que les anciens ont été en possession des verres lenticulaires. Aristophane introduit dans ses nuées, acte II. scene j. une espece d'imbécille nommé Strepsiade, faisant part à Socrate d'une belle invention qu'il a imaginée pour ne point payer ses dettes. " Avez-vous vû, dit-il, chez les droguistes, la pierre transparente dont ils se servent pour allumer du feu ? Veux-tu dire le verre, dit Socrate ? Oui, répond Strepsiade. Eh bien, voyons ce que tu en feras, réplique Socrate. Le voici, dit l'imbécille Strepsiade : quand l'avocat aura écrit son assignation contre moi, je prendrai ce verre, & me mettant ainsi au soleil, je fondrai de loin toute son écriture " Quel que soit le mérite de cette plaisanterie, ces termes de loin, , indiquent qu'il s'agissoit d'un instrument qui brûloit à quelque distance, & conséquemment que ce n'étoit point une seule sphere de verre dont le foyer est très-proche, mais un verre lenticulaire qui a l'aissieu plus éloigné.

A cette autorité on joint celle du scholiaste grec sur cet endroit ; il remarque qu'il s'agit d'un " verre rond & épais, , fait exprès pour cet usage, qu'on frottoit d'huile, que l'on échauffoit, & auquel on ajustoit une meche, & que de cette maniere le feu s'y allumoit ". Cette explication quoiqu'inintelligible en quelques points, semble prouver, dit-on, que le scholiaste entend parler d'un verre convexe.

Mais je réponds d'abord que ce passage du scholiaste est une énigme ; outre qu'un verre rond & épais qu'on frottoit d'huile, que l'on échauffoit, & auquel on ajustoit une meche, ne désigne en aucune maniere nos verres lenticulaires, faits pour aider la vue. J'ajoute ensuite que le passage d'Aristophane n'est pas plus décisif ; & s'il étoit permis de prêter une explication fine à ce passage d'un poëte plein d'esprit, je dirois, que puisque le dessein de sa piece est de ridiculiser Socrate, il ne pouvoit mieux remplir son but qu'en mettant dans la bouche de Strepsiade un propos aussi stupide que celui de prendre un verre avec lequel il fondroit l'écriture de son avocat, & faisant en même tems approuver cette idée rustique par le philosophe éleve d'Anaxagore.

Enfin on peut rassembler un grand nombre de passages qui justifient que les anciens n'ont point connu les verres lenticulaires, & d'un autre côté on a des témoignages certains qu'ils n'ont commencé à être connus que vers la fin du treizieme siecle.

C'est dans l'Italie qu'on en indique les premieres traces. M. Spon, dans ses Recherc. d'antiq. diss. 16. rapporte une lettre de Redi à Paul Falconieri, sur l'inventeur de lunettes. Redi allegue dans cette lettre une chronique manuscrite, conservée dans la bibliotheque des freres prêcheurs de Pise ; on y lit ces mots : Frater Alexander Spina, vir modestus & bonus, quaecumque vidit & audivit facta, scivit & facere : ocularia ab aliquo primo facta & communicare nolente, ipse fecit, & communicavit corde hilari, & volente : ce bon pere mourut en 1313 à Pise.

Le même Redi possédoit dans sa bibliotheque un manuscrit de 1299, qui contenoit ces paroles remarquables : Mi trovo cosi gravoso d'anni, che non avrei valenza di leggere e di scrivere senza vetri appellati occhiali, trovati novellamente per commodità dè poveri vecchi, quando affiebolano di vedere ; c'est-à-dire " Je me vois si accablé d'années, que je ne pourrois ni lire ni écrire sans ces verres appellés occhiali (lunettes) qu'on a trouvés depuis peu pour le secours des pauvres vieillards dont la vue est affoiblie ".

Le dictionnaire de la Crusca nous fournit encore un témoignage que les lunettes étoient d'une invention récente au commencement du quatorzieme siecle. Il nous apprend au mot occhiali, que le frere Jordan de Rivalto, dans un sermon prêché en 1305, disoit à son auditoire, qu'il y avoit à peine vingt ans que les lunettes avoient été découvertes, & que c'étoit une des inventions les plus heureuses qu'on pût imaginer.

On peut ajouter à ces trois témoignages ceux de deux médecins du quatorzieme siecle, Gordon & Gui de Chauliac. Le premier, qui étoit docteur de Montpellier, recommande dans son lilium Medicinae, un remede pour conserver la vûe. " Ce remede est d'une si grande vertu, dit-il, qu'il feroit lire à un homme décrépit de petites lettres sans lunettes ". Gui de Chauliac, dans sa grande Chirurgie, après avoir recommandé divers remedes de cette espece ajoute, " que s'ils ne produisent aucun effet il faut se résoudre à faire usage de lunettes ".

Mais si le tems de leur invention est assez bien constaté, l'inventeur n'en est pas moins inconnu : cependant M. Manni le nomme Salvino de gli armati, dans une dissertation sur ce sujet, qu'on trouvera dans le raccolta d'opusculi scientif. e Philolog. t. IV. Venet. 1739. Il prétend en avoir la preuve prise d'un monument de la cathédrale de Florence, avant les réparations qui y ont été faites vers le commencement du dix-septieme siecle. On y lisoit, dit-il, cette épitaphe : Qui giace Salvino d'Armato de gl' armati, di Firenze, inventor delli occhiali, &c. MCCCXVII. C'est donc-là, selon M. Manni, ce premier inventeur des lunettes qui en faisoit mystere, & auquel le frere Alessandro di Spina arracha son secret pour en gratifier le public. Montucla, Hist. des Matth. (D.J.)

VERRE TOURNE, (Arts) c'est-à-dire verre travaillé au tour ou au touret.

Pline, l. XXXVI. c. xxvj. a donné une description également élégante & concise des différentes façons dont les anciens préparoient le verre ; & dans ce nombre il parle du verre qu'on tournoit de son tems, ou qu'on travailloit au tour, torno teritur. Il ajoute qu'on le gravoit comme de l'argent, argenti modo coelatur. M. de Caylus, dans son recueil d'antiquités, a rapporté des preuves de la premiere opération dont parle Pline, & des exemples de la seconde qui se pratique toujours. Enfin il a inséré dans le même ouvrage la maniere de tourner le verre, que lui a communiqué M. Majauld, docteur en Médecine ; nous allons aussi la transcrire mot-à-mot dans cet ouvrage.

On ne parvient, dit M. Majauld, à tourner un corps quelconque, que par des moyens propres à ses différentes qualités. Les bois, la pierre, les métaux ne peuvent être tournés qu'avec des outils d'acier plus ou moins trempés, selon que le corps que l'on veut travailler est plus ou moins dur. Le verre, matiere plus seche & plus cassante, ne pourroit être travaillé au tour que difficilement avec ces sortes d'outils. On ne sauroit enlever des copeaux du verre pour le rendre rond ; ce n'est qu'en l'usant sur le tour, qu'il est possible de le tourner. Convaincu de cette vérité par l'exemple que fournit l'art de travailler le verre en général, M. Majauld a fait tourner selon les mêmes principes, deux gobelets de crystal factice, sur un desquels on a formé de petites moulures très-déliées qui produisent un fort bel effet.

Pour y parvenir, on mastiqua sur un mandrin de bois un gobelet de crystal pris d'un flacon, dont on avoit coupé la partie supérieure, parce qu'on ne trouve pas des gobelets aussi épais que le sont les flacons. Après l'avoir fait monter sur un tour en l'air, & l'avoir mis aussi rond de tous les sens qu'il fut possible (car quelque rond que paroisse un verre soufflé, il ne l'est jamais entierement, & les bords ne se trouvent pas perpendiculaires au fond), on essaya de le dégrossir au sable de grès avec un outil de bois dur ; mais comme le travail languissoit, on substitua du gros émeril au sable, ce qui fit beaucoup mieux ; cependant le verre ne se trouvoit pas rond, & l'outil pouvoit en être la cause.

Pour y remédier, on fondit d'autres outils composés d'un alliage de plomb & d'une partie d'étain. Ces nouveaux outils exerçant une résistance plus forte, & toujours plus égale que ceux de bois, produisirent un effet favorable, & le verre fut plus tôt & plus exactement rond. Mais l'outil par le travail formoit une boue dangereuse pour l'ouvrier. On sait que le plomb infiniment divisé, en s'insinuant par les pores de la peau, enfante des maladies tres-graves, & les ouvriers qui ne travaillent que l'étain pur, ne courent pas les mêmes risques. On fondit donc des outils de ce métal qui réussirent encore mieux que ceux dans lesquels il entroit du plomb, parce qu'étant d'une matiére plus dure, ils étoient encore moins exposés à perdre leur forme.

Ayant enfin dégrossi les grandes parties avec le gros émeril & les outils d'étain, on fit des moulures avec de petits outils de cuivre ; ceux d'étain minces, tels qu'il les faut pour cet ouvrage, perdoient leur forme en un instant, & ne pouvoient tracer des petites parties bien décidées, telles qu'elles doivent être pour former des moulures. On travailla ensuite à effacer les gros traits avec un émeril plus fin ; on se servit d'autres fois d'un troisieme émeril en poudre encore plus fin, pour effacer les traits du second, usant toujours des outils d'étain pour les grandes parties, & de cuivre pour les moulures.

Enfin l'ouvrage étant parfaitement adouci (car il est impossible de détruire les traits du premier émeril qu'avec le second, & ceux du second qu'avec le troisieme), on se servit de pierre de ponce entiere, laquelle ayant reçu une forme convenable au travail, & servant d'outil & de moyen pour user, effaça entierement le mat du verre travaillé par le troisieme émeril. Cette pierre qui paroît fort tendre, ne laisse pas cependant de mordre sur le verre. Il est même important de choisir la plus légere pour cette opération ; elle n'a pas de ces grains durs que l'on trouve dans la pierre ponce compacte, qui pourroient rayer l'ouvrage, & faire perdre dans un instant le fruit du travail de plusieurs jours. Alors il ne fut plus question que de donner le poli au verre ; on le fit avec la potée d'étain, humectée d'huile, appliquée sur un cuir de vache propre à faire des semelles d'escarpin, & le cuir collé sur des morceaux de bois de forme convenable à l'ouvrage.

Lorsqu'on travaillera le verre avec l'émeril ou avec la ponce, on ne manquera pas d'humecter l'un & l'autre avec de l'eau commune. Il ne faut ni noyer, ni laisser les matieres trop seches ; si on les noyoit trop, le lavage feroit perdre l'émeril, parce que l'eau l'entraîneroit ; si on laissoit l'émeril trop sec, il ne formeroit qu'une boue trop épaisse pour mordre.

La préparation de l'émeril n'est pas de peu d'importance pour la perfection de ce travail. Le gros émeril que l'on trouve chez les marchands, est en poudre si inégale & si grossiere, qu'il seroit impossible de s'en servir tel qu'il est. Les parties de l'émeril dans cet état formeroient des traits, qui s'ils n'exposoient pas le verre au risque d'être coupé, prépareroient du-moins un travail proportionné à leur profondeur : inconvénient qu'il faut éviter, si l'on ne veut se mettre dans le cas d'être obligé de doubler ou de tripler le tems qu'il faut pour tourner le verre.

Toute la préparation de l'émeril consiste à le broyer dans un mortier de fer, & à enlever par le lavage, de l'émeril en poudre plus ou moins fine, ainsi qu'on le pratique dans les manufactures des glaces.

On prendra du gros émeril tel qu'il se vend chez les marchands ; car leur émeril fin est communément de l'émeril qui a servi, & qui est altéré par les matieres, au travail desquelles il a déja été employé ; il se vend sous le nom de potée d'émeril. On mettra ce gros émeril dans un mortier de fer ; on l'humectera d'eau commune, & on le broyera jusqu'à-ce que les plus gros grains aient été écrasés : ce qui se sentira aisément sous le pilon. On versera dans le mortier une quantité d'eau suffisante pour en emplir les trois quarts, en délayant bien tout l'émeril qui sera au fond. Après avoir laissé reposer l'eau un instant, on en versera environ les deux tiers dans une terrine vernissée ; on broyera de nouveau ce qui sera précipité au fond du mortier, on le lavera comme la premiere fois, & l'on répétera cette manoeuvre jusqu'à ce qu'on apperçoive qu'il ne reste plus qu'un tiers, ou environ, de l'émeril dans le mortier.

Cet émeril ne sera pas en poudre bien fine ; mais il n'aura plus les grains dangereux qu'il avoit auparavant ; il sera propre à commencer l'ouvrage ; car, ainsi que je l'ai déja dit, les verres soufflés étant trop peu ronds, il faut pour les ébaucher, une matiere qui les ronge avec une force proportionnée à leur inégalité. On agitera ensuite l'eau de la terrine chargée d'émeril ; on laissera reposer cette eau pendant une minute ; on en versera en inclinant doucement, les deux tiers dans un autre vase vernissé. On lavera encore l'émeril de la premiere terrine, afin d'en enlever les parties les plus fines, en versant toujours de même l'eau après l'avoir agitée, & laissé reposer comme la premiere fois. On laissera précipiter ces deux sortes d'émeril ; on jettera l'eau qui les surnagera ; l'émeril de la premiere terrine sera de la seconde finesse, & celui de la seconde sera l'émeril le plus fin. La potée d'étain contient souvent des grains durs, qui peuvent rayer le verre au lieu de le polir ; il seroit bon conséquemment de la préparer comme l'émeril, en n'en faisant cependant que d'une sorte. Si on vouloit user du tripoli de Venise, on le prépareroit comme la potée d'étain ; il donne un très-beau poli au verre.

Le choix du mastic n'est point indifférent ; il faut qu'il soit de nature à pouvoir être adhérent au verre. Les ouvriers composent ordinairement leur mastic fin avec la colophane, la poix blanche, la poix noire & le rouge-brun d'Angleterre. Ils combinent ces ingrédiens, de façon qu'ils font un tout plus dur que mol. Si le mastic est trop mol, le verre en s'échauffant pendant le travail, seroit exposé à se déjetter ; il seroit difficile de le remettre rond, & le travail deviendroit très-imparfait ; il est donc important qu'il soit un peu dur. On fait chauffer le mastic & le verre pour le mastiquer ; on les fera chauffer de même insensiblement pour l'enlever de dessus le mandrin ; mais s'il restoit du mastic attaché au verre, il faudroit l'humecter d'huile, le faire chauffer de nouveau ; alors le mastic pénétré par l'huile deviendra liquide & s'enlevera aisément, en l'essuyant avec un linge.

Le mastic dont on vient de donner la recette, est très-bon ; mais il arrive que lorsque l'on essuie le verre pour en enlever le mastic dissous par l'huile, les grains de rouge-brun d'Angleterre qui sont mordans, le rayent. Il vaudroit donc mieux faire entrer le blanc d'Espagne au lieu du rouge-brun ; le verre ne seroit point exposé aux mêmes inconvéniens, & le mastic n'en auroit pas moins les mêmes propriétés.

Il seroit assez difficile de déterminer la forme des outils ; elle dépendra de celle que l'on aura dessein de donner à l'ouvrage. Il ne peut être ici question de burins, de gouges, des planes, ni d'aucun de ceux dont on se sert pour tourner le bois, la pierre & les métaux. Il ne faut pour les grandes parties que des especes de lingots ronds, ovales, quarrés, proportionnés à la grandeur de l'ouvrage. On leur donnera la forme nécessaire avec une lime ou une rape. On prendra des lames de cuivre rouge d'une ligne d'épaisseur, & de trois à quatre lignes de large pour travailler les moulures. On leur donnera aussi une forme convenable à l'ouvrage. A mesure qu'elles s'useront, on renouvellera leur forme. Il est important de la conserver, si l'on veut parvenir à faire des moulures exactes & bien décidées.

Un particulier témoin des opérations que l'on vient de détailler, conseilla de se servir des pierres à aiguiser les outils d'acier, au lieu d'étain & de cuivre chargé d'émeril ; il est en effet très-possible de tourner le verre avec ces sortes de pierres ; mais l'opération seroit plus lente, parce qu'il n'y a point de corps, si l'on excepte le diamant, qui morde sur le verre comme l'émeril. Les curieux qui voudront faire des essais dans ce genre, jugeront par l'expérience lequel des deux moyens doit être préféré.

On comprend qu'il seroit également possible de travailler un bloc de verre, & de le former à sa volonté ; mais il est plus promt, plus commode & plus avantageux d'exécuter ces projets sur une matiere soufflée & tenue fort égale, ce qui est une préparation pour le mettre sur le tour.

Au reste les Romains connoissoient toutes les finesses de cette pratique, comme on le voit par des monumens de leur industrie qui nous restent. Ils avoient aussi l'usage de la gravure sur la platerie de verre. Ainsi, comme Pline l'assure, les anciens tournoient le verre, & le gravoient comme de l'argent. (D.J.)

VERRE, maniere de dessiner sur le, (Arts) nous allons indiquer la maniere de dessiner sur le verre, & d'y appliquer l'or & l'argent, communiqué par M. Majauld, docteur en médecine, à M. le comte de Caylus, & que nous transcrirons de son beau recueil d'antiquités, t. III. p. 193. où le n°. 11. présente un verre sur lequel l'or & l'argent sont également employés. C'est le buste d'une jeune personne dans lequel les traits du visage, les cheveux, les bandes de la robe sont à fond d'argent, qui désignent de la broderie.

Ce petit monument, selon M. Majauld, est formé par deux couches de verre, dont l'un est sans couleur, & l'autre bleu transparent un peu foncé : ces deux verres sont soudés au feu, & ne font qu'un morceau ; à travers de la couche blanche on voit un buste bien dessiné en or & en argent, dont le travail fini & recherché est d'autant plus brillant que le fond est obscur.

La simplicité de cette composition paroîtroit n'offrir aucune difficulté pour son imitation ; il sembleroit qu'il ne seroit question que de mettre de l'or & de l'argent en feuille ou en poudre, entre deux verres ; d'y fixer ces métaux avec un mordant ; d'enlever avec une pointe, l'or ou l'argent qui ne doit pas entrer dans la composition du sujet qu'on veut dessiner, & de faire fondre les deux verres pour les souder ; c'est en effet à cette manoeuvre que se reduit l'opération ; cependant toute simple qu'elle paroît être, elle offre de grandes difficultés : il importe donc en les levant de mettre les artistes en état d'exécuter facilement des ouvrages semblables.

Du choix du verre. On ne peut indistinctement employer toute sorte de verres pour exécuter le travail dont il est question. L'inégalité de la surface de ceux qui n'ont été que soufflés & ensuite applatis, y met un obstacle insurmontable : car lorsqu'on applique ces sortes de verres l'un contre l'autre, & qu'on les soude au feu, l'air qui se trouve entre les deux à raison des inégalités forme des bulles qui ne peuvent s'échapper, & produisent un effet très-désagréable : il est donc important, pour que les deux plaques se soudent partout & en même tems, d'employer des verres dont la surface soit très-plane, afin que se touchant également, toutes les parties puissent se souder en même tems. Il faut remarquer encore, qu'il y auroit de l'inconvénient à employer des verres trop épais, par la raison que plus le volume de verre est considérable, plus il est exposé à se rompre en se refroidissant, si on ne prend des précautions relatives à sa masse. En un mot, plus un verre est épais, plus il faut que le passage du chaud au froid soit insensible : il faut même quelquefois des journées entieres pour faire refroidir des masses de verre d'un certain volume. La glace polie n'ayant point les inégalités dont on vient de parler, est incontestablement le verre le plus convenable à cette opération. On en coupera deux morceaux de même grandeur, l'un de glace de couleur, & l'autre de glace blanche transparente, le tout, s'il est possible, sans fil & sans bulle. On appliquera l'or & l'argent sur la glace de couleur de la façon dont nous le dirons, après avoir fait quelques réflexions sur leurs préparations.

Du choix de l'or & de l'argent, & de leur préparation. Il est important que l'or & l'argent soient très-purs pour cette opération : le cuivre qui sert quelquefois d'alliage à ces métaux en se brûlant, leur donneroit une teinte noire qui affoibliroit leur brillant.

On peut employer l'or & l'argent en feuilles ou en poudre : cependant les métaux employés en poudre sont plus solides, & se travaillent avec plus de facilité que lorsqu'ils sont employés en feuilles ; car si on emploie des feuilles épaisses, la pointe dont on se sert pour enlever le métal superflu au dessein, & tracer les hachures qui forment les ombres, arrache la feuille, & ne fait que des traits babocheux. Si au contraire la feuille est trop mince, elle ne peut résister au feu, si l'artiste ne prend la précaution de ne donner qu'un degré de chaleur qui puisse amollir le verre sans fondre l'or.

Les moyens de mettre l'or & l'argent en poudre sont connus ; cependant on les rapportera, pour éviter la peine aux artistes d'en faire la recherche dans les auteurs qui en ont écrit.

On prendra des feuilles d'or battu très-mince ; on les mettra sur une pierre à broyer ; on y joindra une substance gluante, telle que le miel bien pur, du syrop très-clarifié fait avec le sucre & l'eau, ou bien une dissolution de gomme arabique ; on broyera le tout pour diviser les feuilles en molécules très-fines, & pendant long-tems, si l'on veut qu'elles le soient bien.

Lorsque l'on supposera qu'elles sont assez broyées, on s'en assurera en en mettant une petite partie sur l'ongle ou sur la main ; si on n'apperçoit aucune portion des feuilles, & que le tout soit converti dans une poudre très-fine, on l'enlevera de dessus la pierre, on le mettra dans un vase de fayence ou de verre, on versera dessus une grande quantité d'eau très-limpide pour dissoudre le syrop ou la gomme ; on laissera précipiter l'or, & quand il sera parfaitement précipité, on versera doucement l'eau qui surnagera la poudre d'or ; on repassera encore de l'eau sur cette poudre, pour enlever tout ce qui lui est étranger, par le même moyen qu'on a d'abord employé : enfin on répétera le même lavage autant qu'il le faudra, pour qu'il ne reste exactement que le métal : alors on le laissera sécher pour l'employer, comme on le verra plus bas : l'argent se prépare de la même maniere.

On peut encore mettre l'or en poudre en l'amalgamant avec le mercure, & suivre aussi le même procédé pour y réduire l'argent ; car il s'amalgame très-bien avec le mercure.

Maniere d'employer l'or & l'argent soit en feuilles, soit en poudre. L'or & l'argent soit en feuilles, soit en poudre, s'agglutinent au verre par des mordans : le suc d'ail très-connu pour opérer cet effet, ne convient que pour le métal en feuilles : on frotte le verre avec une gousse d'ail, & aussitôt on y applique une feuille d'or ou d'argent, de façon qu'elle ne fasse ni pli, ni ride. Lorsque le mordant est sec, ce qui arrive promtement, on peut travailler sur l'or & sur l'argent, comme on le dira dans un moment. L'huile d'aspic dont les émailleurs se servent peut être aussi employé pour attacher sur le verre l'or & l'argent en feuilles ; ce mordant est cependant plus propre pour appliquer l'or & l'argent en poudre ; on peut même assurer qu'il est le meilleur de ceux que l'on peut employer.

On fait usage de la gomme arabique pour appliquer l'or sur la porcelaine, mais elle est plus sujette à se boursouffler au feu que l'huile d'aspic.

On prendra donc de l'huile d'aspic un peu épaissie, pas tout-à-fait autant que celle dont se servent les émailleurs. On en étendra avec une brosse sur le verre de couleur, une couche très-légere, mais très-égale : on examinera avec une loupe s'il n'y est pas resté du poil, & s'il ne s'est point attaché de poussiere : en ce cas on enleveroit les corps étrangers avec la pointe d'une aiguille, & l'on passeroit encore la brosse pour étendre la couche du mordant ; il s'y attachera, & avec un pinceau neuf à longs poils, on passera plusieurs fois légerement sur la totalité pour attacher l'or ou l'argent au mordant, & les rendre très-unis. Ensuite avec de l'eau médiocrement chargée de noir de fumée, on dessinera le sujet qu'on veut représenter ; & l'on enlevera le métal avec une pointe pour découvrir le fond, & faire les hachures destinées à prononcer les ombres : en un mot, on fera sur l'or & sur l'argent avec la pointe ce que l'on fait pour dessiner sur le papier, ou pour graver sur le cuivre.

Si l'on veut employer de l'or & de l'argent pour exécuter un sujet semblable à celui qui a donné lieu à ces recherches, on pourra appliquer l'argent sur l'or, soit en poudre, soit en feuilles : cependant il y auroit à craindre que l'or ne perçât à travers les feuilles ou la poudre d'argent : il est donc plus convenable d'enlever l'or avec la pointe, ou avec tout autre instrument que l'on imaginera convenir à ce travail, avant que d'appliquer le mordant propre à recevoir l'argent.

Lorsque le dessein sera terminé, il faudra exposer le verre au feu sous une moufle dans un fourneau d'émailleur pour dissiper le mordant qui a servi à haper l'or & l'argent surtout si l'on emploie l'huile d'aspic, & faire éprouver au verre une chaleur assez forte pour que le métal s'attache au verre, sans qu'il se déforme. Si le métal n'étoit point adhérent au verre, on seroit exposé à gâter l'ouvrage, en appliquant le verre blanc sur le verre de couleur, car il seroit impossible de placer le verre blanc sur le verre de couleur sans quelque frottement capable de déranger le travail.

On vient de dire qu'il falloit dissiper le mordant avant que d'appliquer le verre blanc, surtout si l'on a employé de l'huile d'aspic ; sans cette précaution, le mordant répandroit en se brûlant une fumée entre les deux verres qui saliroit l'or & l'argent. Il faut aussi que le mordant soit dissipé à une chaleur très-lente & graduée, sans quoi en se boursoufflant par une chaleur d'abord trop vive, il formeroit une quantité prodigieuse de petites vésicules, qui en se crevant feroient autant de trous, & rendroient par conséquent l'ouvrage fort desagréable.

Il arrive quelquefois que le verre se boursouffle lorsqu'il est exposé au degré de chaleur nécessaire pour attacher l'or au verre, parce qu'il se trouve de l'air entre le centre du verre & le corps sur lequel il est appliqué, ce qui pourroit embarrasser l'artiste, lorsqu'il voudroit appliquer le verre blanc sur le verre de couleur. On évitera cet inconvénient par le choix du corps sur lequel on doit mettre le verre pour l'exposer au feu sous la moufle.

On peut se servir d'une plaque de fer très-plane & très-unie, de deux lignes d'épaisseur ou environ : on la fera rouiller également partout, afin que le blanc d'Espagne délayé dans de l'eau, dont on la couvrira exactement, retienne mieux le blanc d'Espagne, qui fera un corps intermédiaire entre le verre & le fer, & empêchera que le verre ne s'attache au fer.

On pourroit mettre le verre sur un fond de tripoli, qui est une terre crétacée ; mais l'air contenu dans les interstices des molécules du tripoli, exposeroit quelquefois le verre à se boursouffler, comme on la dit plus haut ; la plaque de fer mérite par conséquent la préférence.

Quand l'or sera fixé sur le verre de couleur, on pourra lui donner beaucoup de brillant par le moyen du brunissoir : on pourroit même produire une variété agréable en ne le brunissant que de certaines parties ; par ce moyen l'or mat & l'or bruni, l'argent mat & l'argent bruni fourniroient, pour ainsi dire, quatre couleurs, & ce mêlange de parties égales de poudre d'or & de poudre d'argent, pourroit encore en donner deux autres.

Alors on placera le verre blanc sous celui de couleur, on le portera sous la moufle dans le fourneau d'émailleur toujours sur la plaque de fer couverte du blanc d'Espagne, & par un feu gradué on échauffera le verre jusqu'à-ce qu'il le soit assez, pour que les deux morceaux puissent se souder : dans cet état, on le retirera du feu, & on le pressera avec un autre fer très-chaud, aussi blanchi, pour l'applatir s'il étoit tortué, ou si quelques bulles d'eau en se raréfiant, avoient formé quelques vésicules entre les deux verres. Il faudra faire refroidir le verre insensiblement, comme on l'a déja dit, pour éviter la fracture que pourroit causer le passage trop subit de l'air chaud à l'air froid.

Il est fort difficile de fixer la chaleur qu'il faut donner au verre pour le fondre au degré nécessaire à cette opération. La pratique donnera de meilleures leçons que les préceptes que l'on pourroit écrire : on peut dire en général, que lorsqu'on appercevra que les bords du verre sont devenus mousses de tranchants qu'ils étoient, le verre est alors dans l'état de fusion nécessaire.

Si l'on passe ce degré de chaleur, le verre est exposé à se ramasser en masse informe, & l'on perd en un instant le fruit de son travail.

Quelque précaution que l'on ait pu prendre pour conserver l'uni & le poli des surfaces, l'un & l'autre se trouvent cependant détruits par les petites inégalités du blanc d'Espagne qui s'impriment sur le verre. Il faut donc user & repolir les surfaces.

Ce genre de travail est très-beau, & de plus très-solide ; les moyens de l'exécuter sont plus simples & moins difficiles que ceux de l'émail, puisqu'en effet cette opération n'a besoin au plus que de deux feux. Il y a lieu de croire d'ailleurs qu'il est aisé de pousser cette manoeuvre à une plus grande perfection.

VERRE A BOIRE, s. m. (Verrerie) c'est un vase fait de simple verre ou de crystal, ordinairement de la forme d'un cône renversé, dont on se sert pour boire toutes sortes de liqueurs. Le verre a trois parties, le calice, le bouton & la patte, qui se travaillent séparément. Rien n'est plus industrieux que l'art de les souffler, d'en ouvrir deux des trois, & de les joindre à la troisieme ; mais ce travail ne se peut comprendre que par la vue. (D.J.)

VERRE propre à faire l'opération de la ventouse, voyez VENTOUSE.

VERRE DE RUSSIE, vitrum ruthenicum, vitrum moscoviticum, glacies mariae, (Hist. nat.) l'on a donné ce nom à un talc très-blanc, transparent comme du verre, qui se partage en feuilles très-minces, que l'on trouve en Russie & en Sibérie, & que l'on emploie dans ces pays pour faire les vîtres des fenêtres. Cette pierre a toutes les propriétés du talc, c'est-à-dire, qu'elle sort du feu sans souffrir aucune altération, & les acides n'ont aucune prise sur elle.

Cette espece de talc se trouve sur-tout en Sibérie, dans le voisinage des rivieres de Witim & de Mama ; on appelle dans ce pays sliudniki ceux qui s'occupent à aller chercher le verre de Russie ; quand ils sont dans des endroits où l'on soupçonne qu'il y en a, ils commencent par mettre le feu aux herbes & aux broussailles des environs, afin de dépouiller le terrein, pour que le Soleil en frappant dessus leur fasse découvrir ce talc qui est luisant. Il se trouve par lames ou tables engagées dans une roche fort dure, qui est un quartz jaunâtre mêlé de spath ; c'est peut-être une espece de faux granite. Ce talc n'est point en couches suivies ni par filons, on en trouve des lames répandues sans ordre. Ces lames ont quelquefois trois à quatre piés en quarré, & quelques pouces d'épaisseur. La dureté du rocher dont ces pauvres ouvriers ne peuvent point venir à bout faute d'instrument, & parce qu'ils ne savent pas le faire sauter avec de la poudre, fait qu'ils ne vont point chercher le talc bien avant : d'ailleurs M. Gmelin conjecture que ce talc a peut-être besoin du contact de l'air pour sa formation.

Le talc le plus estimé est celui qui est blanc & transparent comme de l'eau de roche ; on ne fait pas si grand cas de celui qui est verdâtre. On a aussi égard pour le prix à la grandeur des morceaux ; l'on en trouve quelquefois qui ont trois à quatre piés en quarré. Le plus beau talc ou verre de Russie se paye sur les lieux jusqu'à un ou deux roubles (de cinq jusqu'à dix francs) la livre. Le commun, qu'on appelle tschetwenaja & qui n'a qu'environ un demi-pié en quarré, se paye de 8 à 10 roubles le pud, c'est-à-dire 40 livres. Le talc de la plus mauvaise qualité & qui est encore au-dessous de la qualité susdite se débite sur le pié d'un rouble & demi ou de deux roubles le pud, c'est-à-dire de 7 livres 10 sols à 10 livres argent de France ; ce dernier est destiné pour faire des vitres communes, & on l'attache aux fenêtres avec du fil.

Quand on veut débiter le verre de Russie, on fend les lames en plusieurs feuillets plus minces, avec un couteau à deux tranchans, ce qui se fait aisément ; cependant on donne une certaine épaisseur à ces feuillets, pour que le verre ait plus de consistance.

Quand ce talc est de la belle espece, il n'y a point de verre qui soit aussi pur & aussi transparent. On ne connoît point d'autres vitres en Russie. On l'emploie aussi pour faire les vitres des vaisseaux de la flotte, parce qu'elles sont moins sujettes à se casser par l'ébranlement des salves de la canonnade. Cependant ce verre s'altere & se ternit à l'air, & il est difficile à nettoyer lorsqu'il a été sali par la fumée & la poussiere. Ces détails sont tirés du voyage de Sibérie de M. Gmelin, publié en allemand, tome II. On trouve encore du talc de cette espece dans la Carélie & près d'Archangel ; mais il n'est point si beau que celui de Sibérie.

C'est d'un talc semblable dont se servent quelques religieuses d'Allemagne pour mettre à des petits reliquaires au-lieu de verre, & c'est ce qui l'a fait appeller glacies mariae, en allemand marienglas, qui doit être regardé comme un vrai talc, & non comme un gypse, comme quelques auteurs l'ont prétendu. Voy. MARIAE GLACIES.


VERRÉES. f. terme de Pharmacie, qui exprime un remede liquide, dont la dose peut se boire d'un seul trait. On ordonne plusieurs verrées, lorsque le remede a besoin d'être étendu dans un grand véhicule, alors son effet est plus énergique, les purgatifs & les martiaux donnés de cette façon sont moins pernicieux, ils agissent plus doucement, causent moins de tranchée, & deviennent plus salutaires quant à l'évacuation ou l'effet que l'on en attend.


VERREGINUou VERRUGO, (Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium, au pays des Volsques, selon Diodore de Sicile, lib. IV. cap. c. Tite-Live, lib. IV. cap. xlj. & Valere Maxime, lib. III. cap. ij. On ne sait pas au juste la situation de cette ville. Tite-Live dit que le consul Sempronius, après avoir livré bataille aux Volsques avec quelque désavantage, ramena son armée par la voie Lavicane ; & Valere Maxime écrit que cette bataille fut donnée auprès de Verrugo ; mais comme Tite-Live, l. IV. c. xxxix. ajoute que le consul, en se retirant, ne prit pas le plus court chemin, il n'est pas possible de fixer la vraie situation de cette ville. On sait seulement qu'elle ne devoit pas être éloignée du pays des Eques, parce que de la forteresse de Carvente que les Eques avoient envahie, l'armée fut ramenée à Verrugo. Cette derniere place avoit été fortifiée par les Romains, pour servir de barriere contre les courses des Volsques par qui elle fut prise plus d'une fois. (D.J.)


VERRERIES. f. (Art méchan.) l'art de la verrerie est celui de faire ce corps transparent & fragile, que nous appellons verre, & d'en former différens ouvrages.

Il y a un verre qui convient à chaque ouvrage.

A l'occasion de chacun de ces ouvrages, nous donnerons la maniere de faire le verre qui leur est propre à chacun.

Cet article aura donc autant de divisions qu'il y a d'usine de verrerie. Or il y a

1°. La verrerie en bouteilles & en charbon.

2°. La différence des verreries en bois & des verreries en charbon.

3°. La verrerie à vitre ou en plats.

4°. La glacerie qui forme deux subdivisions.

La glacerie en glaces coulées, avec tous les arts qui y tiennent.

La glacerie en glaces soufflées.

5°. La verrerie en crystal.

Ces différens articles s'éclairciront les uns par les autres.

VERRERIE EN BOUTEILLES EN CHARBON, les matieres à faire le verre sont la cendre nouvelle, la charée, ou la cendre lessivée & la soude, que l'on appelle varech, & le sable ; la cendre nouvelle ou fine se ramasse dans les villes & dans les campagnes circonvoisines.

Il en est de même de la cendre lessivée.

Pour la soude ou varech, elle se fait sur les côtes de la Normandie, avec une herbe saline, qu'on appelle kali. Cette herbe croît sur les rochers, sur les pierres, au bord de la mer. On la ramasse au mois de Juin ; on la répand au soleil pour la faire sécher. Puis on fait des fosses, au fond desquelles on place quelques pierres ; on allume du feu dans ces fosses, & l'on jette sur ce feu de ces herbes séchées qui s'enflamment ; on continue d'en jetter, à mesure qu'elles se consument. Leurs cendres se réduisent en masse. Dans la masse de ces cendres, on trouve des pierres : ces pierres ont été ramassées avec l'herbe ; mais la plus grande partie y a été mêlée frauduleusement par ceux qui font le varech : car le varech se vend à la livre, & la pierre en augmente le poids.

Le sable se prend dans la terre, les montagnes, les rivieres & les mers.

Les cendres nouvelles ou fines sont plus ou moins fortes en sels, selon les bois d'où elles sont provenues. Les bois durs, comme le chêne, le hêtre, le charme, &c. les donnent excellentes pour l'usage des verreries. Les bois blancs les donnent moins bonnes, les cendres en sont légeres & spongieuses : la différence des contrées influe aussi sur la qualité des cendres. On mêle beaucoup d'ordures à celles qui se font dans les maisons, en balayant les chambres à feu ; d'ailleurs ceux qui font métier de les ramasser, les gâtent encore en y ajoutant du sable ou d'autres matieres étrangeres, pour en augmenter la mesure ; les cendres de fougere, d'épines, d'orties, &c. sont fort bonnes.

Dans toute verrerie où l'on se sert de charbon de terre, il faut des caves, dans lesquelles l'air puisse entrer & passer librement à-travers la grille, & la braise du charbon qui est au-dessus. L'action de cet air augmentera considérablement l'ardeur du feu. Les caves doivent répondre aux soufflets dont elles font les fonctions, leur longueur, largeur & hauteur, selon le plan : on les construit ou de pierres ou de briques.

Les piliers servent à soutenir la voûte, sur laquelle le four est construit.

On donne le nom de grille à cet assemblage de barres de fer qui forment le fond du foyer, & sur lesquelles on fait le feu. Il y en a quatre ou cinq à discrétion ; on les appelle barres de travers ou dormans : elles servent à soutenir les barres mobiles. Ces barres dernieres sont mobiles, afin que l'on puisse plus aisément dégager la grille, & faire passer les crayers ou mâchefer ou mousse.

Crayers ou mousse. C'est la cendre du charbon que la violence de la chaleur convertit en une espece de verre ou de matiere vitrifiée en forme de croute ; cette croute couvre la grille, & étoufferoit le four en empêchant l'air de traverser la grille, si l'on n'avoit le soin de l'en dégager.

Dégager la grille. C'est séparer à coup de barres les crayers qui s'attachent aux sieges, & les nettoyer de cette croute en la rompant.

On appelle sieges deux bancs solides sur lesquels sont posés les pots ; ils sont construits de la même matiere dont on s'est servi pour l'intérieur du four.

Foyer. C'est l'espace d'entre les deux sieges, dont la grille forme le fond. Il est terminé par les tonnelles : c'est le vase ou le bassin à contenir l'échauffage.

Tonnelles. Ce sont deux arcades par lesquelles on fait entrer les pots neufs, & sortir les pots cassés : elles terminent le foyer, & servent aussi à introduire le charbon dont on nourrit le feu par le moyen des tisonniers.

Tisonniers. Ce sont deux trous pratiqués dans les murailles qui ferment les tonnelles, par lesquels on jette le charbon à pelletées.

Chambres. Il y a autant de chambres que de pots : elles sont pratiquées dans les murailles du four & au niveau des sieges pour la commodité de tourner les pots, quand ils seront cassés ; elles ont six pouces de largeur sur huit de hauteur.

Les ouvroirs sont des trous par lesquels on remplit les pots, & l'on tire la matiere dont on fait la marchandise ; il y en a autant que de pots.

Lunettes. Il y en a six ; quatre aux arches à pots, & deux aux arches à cendriers. Ce sont des trous par lesquels passe le feu du four dans les arches. On les a pratiquées pour attremper les pots, & cuire les matieres. Les lunettes des arches à pots ont sept pouces en quarré, & celles des cendriers six pouces & demi.

Les Corniers. Ce sont au-dedans du four les quatre coins des sieges aux lunettes des arches à pots.

Couronne, calotte ou voûte. C'est la partie supérieure du four : elle est massive & faite de briques composées d'un sable dur à fondre, avec la terre glaise qui résiste au feu, ou bien avec la terre dont on fait les pots.

Chemise ou demi-chemise. C'est le revêtement de la couronne. Il est de la même terre dont on s'est servi pour les briques de la couronne : il doit avoir quatre pouces d'épaisseur. Il faut que cette terre soit molle, & de la même trempe que les briques. Quand je dis que les briques de la couronne n'ont que quatre pouces d'épaisseur, je parle de l'ordinaire, car rien n'empêche de leur en donner cinq, ou six, ou sept, &c.

Arche à pot. Il y a quatre de ces arches aux quatre coins du four. On y met attremper les pots : elles sont échauffées par la chaleur du four, qui y entre par les lunettes.

Attremper un pot. Pour attremper un pot, on bouche ou l'on marge avec le margeoir la lunette de l'arche à pot. On met sur trois petits piliers ou sur six moitiés de briques, dont deux moitiés forment chaque pilier, le fond du pot à attremper. On l'enferme dans l'arche par une légere maçonnerie faite de tuiles ou plaques de terre, selon qu'on jugera à propos. Cela fait, on tient d'abord le pot dans une chaleur modérée, plus ou moins de tems, selon qu'il étoit plus ou moins sec. Il reste dans ce premier état environ sept ou huit heures : puis on retire le margeoir d'environ deux pouces, & le pot reste dans ce second état environ le même tems. On retire le margeoir encore un peu, & on laisse encore de l'intervalle, & un troisieme retirement du margeoir, & ainsi de suite jusqu'à-ce que le margeoir soit entierement retiré ; on laisse le pot dans ce dernier état en pleine chaleur huit, dix, ou douze heures. Après lesquelles on jette du charbon par un trou pratiqué à la maçonnerie ; & à mesure qu'il se consume, on en jette davantage, observant de le remuer de tems en tems avec un ferret. Lorsque l'arche sera blanche, la chaleur aura été assez poussée ; le pot sera attrempé, on le tirera de l'arche, & on le transportera dans le four.

Arches-cendrieres. On donne ce nom à deux arches pratiquées au-dessus des glaies à recuire les matieres.

La glaie. C'est ainsi qu'on appelle la partie de la voûte, comprise depuis l'extérieur des deux tonnelles, & entre les arches à pots, jusqu'à l'extrêmité du revêtement du four.

Margeoir. C'est une tuile faite avec de la bonne terre, c'est-à-dire du ciment & des épluchages de terre à pot, dont on bouche les lunettes des arches à pot, quand on veut donner le feu à attremper les pots.

Fourneau ou arche à recuire les bouteilles. Il y en a quatre, une à chaque coin de la halle : elles sont faites de briques ordinaires.

Cassette. Espece de boîte faite ou de brique ou de pierre, à mettre refroidir les cannes, & à conserver les meules qui s'en détachent. Il y en a quatre, chaque ouvrier a la sienne. Voyez la Planche.

Place. C'est l'endroit du four élevé de chaque côté d'environ quatorze pouces au-dessus de l'aire de la halle, où messieurs travaillent.

Loge. Trou pratiqué au-travers du four, & formant une seule ouverture avec la chambre. Son usage est de loger les pots cassés. Il y en a six. Voyez le plan du four.

Tour. Petite muraille à environ dix-huit pouces de l'ouvroir, à laquelle le crochet est scellé ; elle sert à garantir l'ouvrier de la chaleur.

Crochet. Machine de fer posée ou attachée autour, & à la même distance de l'ouvroir, dans laquelle l'ouvrier pose sa canne à chauffer la paraison, & à mettre la cordeline sur l'embouchure de la bouteille.

Terre à pot. C'est une terre blanchâtre ou grise, ou couleur de souris, sans mêlange d'autres couleurs ; la terre jaune, rouge ne sont pas bonnes. On épluche soigneusement cette terre de toute ordure ; on prend une partie de cette terre épluchée qu'on met dans une arche pour la bien cuire. Quand elle est bien cuite, on la transporte au moulin. On la passe au tamis, au sortir du moulin, dans un bagne ou un poinçon. Ensuite on fait moudre de la terre grasse aussi épluchée, & on la fait passer par le même tamis dans un autre bagne ou poinçon ; puis on prend une mesure de terre grasse, & une de ciment ou de la terre cuite ; ainsi mesure pour mesure de chaque sorte, autant qu'on en peut délayer à-la-fois dans un auge où l'on marche la terre. Cet auge a six piés de longueur, quatre piés & demi en largeur, & dix pouces de profondeur ; penchant un peu en-dehors, formant un angle au fond d'environ cent cinq degrés ; de planches de chêne d'un pouce d'épaisseur. On y fait le mêlange, dont j'ai parlé ci-dessus, en bien retournant la terre ; puis on y fait un creux, dans lequel on verse de l'eau ; cette eau sert à détremper les terres auxquelles on donne la consistance du pain, puis on marche le mêlange à pié nud. Marcher la terre, c'est, après l'avoir répandue sur le fond de l'auge, la fouler avec le pié pendant un certain tems ; au bout duquel, on en releve la moitié qu'on met sur l'autre ; alors une moitié de l'auge se trouve vuide & l'autre pleine : on recommence à marcher ou fouler ou étendre la terre vers la partie vuide. Après cette manoeuvre, on commence à élever la terre vers le bout vuide avec une petite pelle de bois, en prenant à chaque fois environ huit ou dix livres, & on la jette par rang sur le même fond d'un à l'autre côté ; quand on a fait un rang de motte, on le marche bien, & on continue la même opération sur toute la terre jusqu'à-ce qu'elle soit bien liante, alors on la met en masse ou ballons, & l'on en fait des pots.

Pots. Ce sont des creusets faits avec la terre préparée comme nous venons de dire. Ils sont grands ou petits, à discrétion ; ils ont la forme de cône tronqué, d'un pouce & demi d'épaisseur, plus ou moins, au fond ; mais cette épaisseur va en diminuant à mesure qu'on monte, ensorte que le bord a un pouce & neuf lignes ou plus d'épaisseur. Mais il faut que l'épaisseur soit par-tout plus ou moins grande, selon la quantité de matiere qu'on veut qu'ils contiennent ; les uns les veulent ronds, les autres les veulent ovales, de maniere que le diametre en-haut soit de vingt-huit pouces & l'autre de vingt-cinq.

Fonceau. Espece de table sur laquelle on fait le pot ; il en faut cinquante ou soixante, chacune de trente-un ou deux pouces en quarré, faite de plusieurs planches jointes & clouées sur deux morceaux de chevrons, & les coins arrondis ; sur ces soixante, deux doivent être de trente-trois pouces en quarré : On fait le fond du pot sur ceux-ci, dont un doit être couvert d'une toile grossiere.

Batte ou pilon. Morceau de bois en forme de cône tronqué, de six pouces de longueur & de six pouces de diametre par un bout, & de cinq pouces de diametre par l'autre bout, garni d'un manche de deux piés de long ; le bout de six pouces est couvert d'une toile grossiere, on s'en sert pour faire le fond du pot.

Maillet ou battoire. Ce maillet ressemble à celui du menuisier, & l'on s'en sert pour battre & former le contour du pot : il faut que la batte & le maillet soient couverts de toile.

Moulin. Machine composée d'une meule de pierre ou de fer ou de fonte, de cinq piés trois pouces de diametre sur quatorze pouces d'épaisseur, percé d'un trou dans le milieu, de huit pouces huit lignes de diametre, dans lequel on met un aissieu, à l'extrêmité duquel on met un cheval qui fait tourner la meule qui broye les terres. A côté de cette machine on a deux coffres placés à côté l'un de l'autre, dans lesquels on passe la terre grasse & le ciment. Il y a des verreries dans lesquelles on pile la terre ; pour cet effet on se sert d'auges faits de troncs de chêne, qui ont environ vingt-deux à vingt-quatre pouces en quarré ; on les creuse. On laisse aux côtés environ quatre pouces d'épaisseur, & aux bouts sept pouces. On garnit le dedans de tôle de moyenne épaisseur, dont on revêtit les côtés & les bouts. Pour le fond il faut qu'il soit couvert de barres de fer plat, de six lignes d'épaisseur, bien cramponées au fond. On a des pilons ou maillets d'environ vingt pouces de longueur, dont l'un des bouts a six pouces de diametre, & l'autre quatre pouces six lignes ; le gros bout en est garni de cloux à ferrer les chevaux, placés bien près les uns des autres.

Maniere de faire les pots. Il faut des chambres bien à l'abri de la pluie, & deux bancs, un de dix-huit pouces de hauteur, & de trois pouces moins large que les fonceaux ; on prend le fonceau qui est couvert de toile grossiere ; on le pose sur un de ces bancs, le côté couvert de toile en-haut. Les uns prennent un bâton de terre à pot & le posent au milieu du fonceau, prennent la batte ou le pilon, l'applatissent à coups de batte, ajoutent de la terre, & continuent la même manoeuvre jusqu'à-ce que la terre qui doit faire le fond du pot ait sept ou huit pouces de largeur de plus que la mesure du fond, observant que l'épaisseur soit la même par-tout, & que la surface de cette terre soit bien unie ; on applique la mesure du fond prise en-dehors sur la terre ainsi battue, & si l'on trouve que la terre déborde la mesure de trois pouces, cet excédent suffit.

On prend ensuite un autre fonceau, on le place sur l'autre banc qui doit être à côté du premier fonceau ; on parseme ou l'on saupoudre ce fonceau de terre à pot qui ne soit point mouillée. On renverse le fond du pot qui est sur le premier fonceau, sur ce second ainsi saupoudré, observant que la distance des bords du fond aux bords du fonceau soit la même par-tout. Pour renverser il faut être deux ; l'un prend les deux manches du fonceau d'un côté, & l'autre en fait autant de l'autre côté ; ils posent ensemble un côté du fonceau sur le bord de l'autre ; ils élevent l'autre côté, & lorsque le fonceau sur lequel est la terre & qu'il s'agit de renverser, forme un angle droit avec l'autre fonceau, on laisse le premier fonceau, & des mains d'enbas dont on le tenoit, on retient la terre sur laquelle on les place, & l'on acheve de renverser. Le premier renversement fait, le premier fonceau se détache & laisse le second sur le second fonceau.

On prend la mesure pour le fond en-dedans, & l'on commence à relever la terre par les bords tout-autour de cette mesure. Pour cet effet on applique le plat de la main gauche sur les limites de la mesure du fond, & avec la droite on éleve la terre qui est au-delà de ces limites, perpendiculairement tout-autour, on se sert ensuite du maillet pour la redresser, observant de lui conserver l'épaisseur convenable.

On fait ensuite des rouleaux de terre d'environ six ou sept pouces de longueur, sur deux pouces de diametre, un peu pointus par les bouts. On prend ces rouleaux de la main droite, & l'on place le plat de la gauche contre le côté du pot en-dehors, & l'on attache le rouleau en-dedans vis-à-vis la main gauche, en le serrant d'un petit tour de poignet, & avec le doigt de devant, & l'on continue cette manoeuvre sur toute la longueur du rouleau, appliquant en même tems le pouce de la main gauche sur le rouleau, pressé par l'index de la droite ; ces trois mouvemens se font successivement. A mesure que le rouleau avance le long du côté du pot, il faut avancer la main gauche & la tenir toujours correspondante à la main droite, le pouce de la main gauche étant toujours pressé contre la partie du rouleau qui monte, & la tenant serrée.

Le rouleau étant ainsi posé, il y aura à la partie inférieure un filet qui débordera ; on applanira ce filet avec le pouce, en commençant où le rouleau finit. On unira pareillement tout le fonceau avec le doigt de devant recourbé, en commençant au commencement du rouleau, & en avançant le doigt vers soi, glissant ce doigt recourbé depuis le bout du rouleau le premier attaché jusqu'à l'autre bout, observant de faire toujours suivre la main gauche appliquée en-dehors ; cela fait, on pose un autre rouleau à l'extrêmité du premier, puis un troisieme, jusqu'à ce que le tour du pot soit achevé. On recommence ensuite un second tour, puis un troisieme ; on avance ainsi les côtés du pot, & on les éleve à un bon pouce de plus que le pot ne doit avoir de hauteur ; ce pouce dont le pot est monté d'au-delà de sa mesure se renverse en-dedans ; il y en a qui font leurs pots sans bords renversés.

Pour renverser le bord on prend une latte de quatre pouces ou environ, plus longue que le côté du pot, & de dix lignes en quarré ; on marque sur la latte la hauteur du pot. En cet endroit on passe un clou qui la traverse de deux pouces ; on applique ensuite l'autre bout de la latte perpendiculairement sur le fonceau ; on fait entrer la pointe du clou dans la surface du pot, puis tenant d'une main un des bouts de la latte, & l'autre bout de l'autre main, on fait tout le tour du pot : il est évident que la pointe y fera une coupure circulaire dont le plan sera parallele à celui du fond.

Après quoi renversez le bord en-dedans ; que ce bord promine en-dedans d'un demi-pouce ; humectez vos mains d'un peu d'eau, & les appliquant sur cette prominence, abattez la ; unissez tout le tour du pot, & faites en sorte qu'il soit par-tout de la même épaisseur en tout son contour.

Le printems est la meilleure saison pour faire des pots ; on en fait dans les autres, mais en hiver il faut les garantir de la gelée par la fumée, soit du bois, soit du charbon : en été la trop grande chaleur est sujette à les faire fendre ou fêler.

Fours. Il s'en fait de deux sortes ; les uns d'une bonne terre glaise, la même dont on use pour les pots ; on y peut employer les épluchures de terre à pot, mais pour le premier établissement il faut faire cuire une bonne quantité de terre, moudre ensuite, passer au tamis grossier, & selon que la terre glaise est grasse ou maigre, y ajouter plus ou moins de ciment ou terre cuite. Il faut si elle est trop grasse y ajouter un peu plus de ciment ; le mêlange s'en fait comme pour les terres à pots, on l'humecte, & on le jette dans un coin ; l'on continue jusqu'à ce qu'on ait de quoi faire la moitié d'un four. On la laisse ensuite s'imbiber pendant quelques jours, puis on la retourne avec des pelles, & on la remarche jusqu'à ce qu'elle soit liante ; alors on en construit le four tout d'une masse, ou l'on en fait des briques ; les briques sont préférables à la masse.

L'autre sorte de four se fait avec la terre glaise & le sable ; mais il est presqu'impossible de prescrire des regles pour sa composition, parce que la terre peut être plus ou moins grasse, le sable plus ou moins dur, ou plus ou moins fondant, ou plus ou moins pur ou mêlé de matiere étrangere. Si l'on trouvoit du grès dont le grain fût blanc & brillant, on ne risqueroit rien à s'en servir : il faudroit le réduire en sable & le passer au tamis. Pour faciliter cette manoeuvre, on mettra recuire les morceaux de grès, & cette préparation en facilitera le broyement.

Pour savoir si la qualité du sable est dure ou tendre, il faut prendre cinq mesures de sable & deux de terre grasse moulue, les mêlanger, humecter & pêtrir avec les mains, en faire une brique, & mettre cette brique, quand elle sera bien seche, dans une arche à pot, avec un pot si on a occasion d'en faire recuire un. Cette brique s'attrempera avec le pot ; quand on levera le pot pour le substituer à un autre, faites prendre la brique avec une spatule, & qu'on la place sur les bords de deux pots ; on en connoîtra la qualité au bout de deux jours ; si elle se fond, ou la terre ou le sable ne valoit rien ; mais si l'on est sûr que la terre est bonne, c'est une marque que le sable est ou trop tendre, ou trop mêlé de beaucoup de terre étrangere.

Pour savoir s'il y a parmi le sable des matieres terrestres, prenez-en une pinte ; mettez-la dans une terrine vernissée qui contiendra six ou sept pintes ; versez dessus de l'eau claire ; remuez le sable avec les mains pendant quelque tems, autant qu'il faut pour que la terre se détache du sable ; laissez reposer le tout environ une minute, puis versez l'eau par inclinaison dans une autre terrine vernissée de la même grandeur que l'autre ; remettez encore de l'eau claire sur le sable, & réitérez la même manoeuvre jusqu'à ce que l'eau vienne pure ; laissez reposer l'eau trouble dans l'autre terrine, quand cette eau sera claire, versez-la doucement par inclinaison ; faites évaporer le restant de l'eau, & vous aurez la quantité de terre qu'il y avoit dans une pinte de sable. Le sable ainsi lavé peut être plus ou moins dur ; s'il étoit un peu tendre, on en mêlangeroit trois mesures avec une mesure de terre grasse ; mais s'il étoit dur, cela vaudroit mieux pour faire la brique. Lorsque le sable est tendre, mais non mêlé de matieres terrestres ; lorsqu'il a le grain transparent, quelle que soit d'ailleurs la couleur, il sera bon pour le verre à voute ordinaire. Quand vous avez le sable qui convient, faites en un mêlange de cinq mesures contre deux de terre grasse ; mêlez comme ci dessus, & achevez l'opération.

Pour faire les briques, les bien faire, & épargner le tems & mieux construire le four, il faut en avoir de plusieurs dimensions ; il en faut pour les murailles, pour les tisonniers, les lits de champ, pour la couronne ou la voûte, &c.

Le moule pour les murailles doit avoir dix-neuf pouces de longueur, huit pouces & demi de largeur, & cinq & demi de profondeur dans oeuvre ; pour les tisonniers, vingt & un pouces de longueur, huit pouces & demi de largeur, quatre pouces de profondeur d'un côté, & de l'autre une quantité déterminée par la coupe du tisonnier.

L'arcade du tisonnier doit être le segment d'un cercle plus grand que celui dont le diamêtre en seroit la largeur, entre les murailles en-haut. Voici le moyen de trouver ce segment, si l'on veut procéder méthodiquement & avoir en même-tems la coupe de la brique, & par conséquent l'autre côté du moule pour l'arcade du tisonnier. Prenez une ficelle de huit à neuf piés, frottez-la avec de la craie comme font tous les charpentiers, & sur une grande table ou sur un plancher, que quelqu'un fixe la ligne sur le plancher avec le doigt ; faites-en autant, laissant entre votre doigt & celui de qui vous aide, environ quatre piés ; qu'ensuite l'un des deux bande la corde, & lui fasse tracer une ligne blanche en la baissant. Prenez sur cette ligne, la largeur du tisonnier qui est de 30 pouces en hauteur bb ; entre les points bb, coupez cette ligne bb en deux parties égales par la ligne ee au point F ; prenez du point F sur la perpendiculaire Fe, la partie FG de dix pouces qui soit la hauteur de l'arcade ; cherchez le centre n du cercle qui doit passer par les trois points donné bGb derriere ce cercle. Prenez les parties ba, bb, de huit pouces & demi, & du même centre n, découvrez l'arc oo, & tirez les lignes rp ; xp donnera la largeur du moule. Il faut opérer de la même façon pour trouver le centre & la coupe de la couronne, & en avoir les briques.

Le moule pour le lit de champ doit être proportionné à la largeur du four, par exemple, si le four avoit sept piés & demi de largeur, il en faut prendre le tiers ; & que le moule ait trente-un pouces & demi en longueur, huit pouces & demi en largeur, & que les côtés soient de quatre pouces & demi de profondeur. Le sapin qui est sans noeuds, est bon pour faire ces moules.

Quand on a les moules que tout charpentier de campagne peut faire, les dimensions étant données, on travaillera aux briques. Pour faire les briques, on fait porter la terre à les faire dans une chambre dont le plancher soit uni ; on lave bien le moule en dedans ; on l'essuie avec un chiffon, puis on le poudre avec du sable sec & passé au tamis. On le pose sur le plancher ; on prend quatre morceaux de terre, & on les jette dans les quatre coins ; on remplit ensuite le fond du moule ; on marche ensuite sur la terre à piés nuds, ayant soin de bien fouler la terre dans les coins avec le talon. On jette de nouveau de la terre dans le moule ; on la foule comme auparavant ; on continue jusqu'à ce qu'il soit plein ; on a soin de repousser le moule contre le plancher, car il fera effort pour se lever tandis qu'on foulera ; puis on enleve la terre qui déborde le moule, & l'on en sépare le superflu avec le fil de cuivre, & qui a deux petits bâtons liés à chaque bout pour le mieux tenir dans les mains. En rasant avec cet outil les bords du moule de l'un à l'autre bout, cela fait avec une petite planche plus longue que la largeur du moule, taillée en coûteau, on acheve de mettre la brique de niveau avec les bords du moule. On prend le moule diagonalement ; on tient le moule qui laisse la brique seule ; on le repoudre de sable, & l'on travaille à une nouvelle brique.

Quand les briques sont un peu seches, comme on s'en assurera en les tâtant, & qu'on les trouve un peu dures, on les dresse sur le champ, ayant soin de les placer bien à-plomb.

Mais cette manoeuvre ne suffira pas : pour se servir des briques, il faut qu'elles soient repassées ; pour cet effet, on a une boîte de trente-deux à trois pouces de long sur neuf de large, & six & demi de haut ; ouverte par les deux bouts, comme on voit en b, faite de chêne, d'un pouce d'épaisseur, le fond plus fort, & les côtés bien cloués. Il faut avoir huit lattes de la même longueur que la boîte, & d'environ deux pouces de largeur ; quant à l'épaisseur, il faut que deux de ces lattes ayent un pouce & demi, deux un pouce, deux un demi-pouce, deux trois lignes. On met deux de ces lattes à plat sur le fond de la boîte, l'une à un des côtés & l'autre à l'autre côté, & on les prend de l'épaisseur qui convient à l'espece de briques à passer. Exemple : si l'on veut passer ou rendre unie une brique pour la muraille du four, elle doit avoir cinq pouces & demi d'épaisseur lorsqu'elle est nouvellement faite ; mais en se sechant, elle prend retrait, & perd de son épaisseur. On prend des lattes de six lignes d'épaisseur, on les met dans la boîte ; on y pose aussi la brique de maniere que la surface la plus unie soit en-bas ; puis avec une barre quarrée de neuf à dix lignes d'épaisseur que l'on tient entre ses mains, & que l'on applique sur les bords de la boîte, à un des bouts de la brique, on tire & racle la brique en tirant à soi la barre qui enleve l'excédant de la brique ; cela fait, on répete la même opération à toutes les briques.

Il faut que le four soit construit selon la largeur des pots ; mais il y a ici une remarque à faire, c'est que ceux qui font un nouvel établissement, & qui ont à employer de la terre dont on n'a point encore fait usage, doivent la composer comme celle des pots, en faire quelques tuiles d'environ six pouces de longueur sur quatre de largeur & un d'épaisseur ; quand elles seront seches, en prendre bien exactement la mesure, l'attremper doucement, la faire mettre dans un four ou dans une forge à serrurier, & lui donner ensuite la chaleur d'un four à verre en fonte, la garder à cette chaleur pendant quelque tems ; si l'épreuve se fait dans un four, qu'elle y reste vingtquatre heures au plus. Il faut ensuite la retirer, la laisser refroidir, la remesurer & comparer ses premieres dimensions avec celle-ci. Si l'on trouve que le retrait soit de trois lignes, & si l'on suppose qu'un pot sec doive avoir trente pouces de hauteur sur trente de diamêtre, on trouvera ses dimensions avant le retrait ou après ; on dira, six pouces est à trois lignes de diminution, comme trente pouces à sa diminution. On aura la diminution du contour de la maniere suivante : on dira : 7, 22, 30, à la circonférence du pot 94 2/7 ; & ensuite, 6 pouces est à 3 lignes comme 94 2/7 à 45, d'où l'on voit que le diamêtre sera retréci de 15 lignes ; ainsi quand les pots sont de 30 pouces de hauteur & bien secs, il faut qu'un four ait les dimensions suivantes.

Mesures du four en toutes les parties.

Il aura en quarré 7 piés 4 pouces.

La grille en long 7 piés 10 pouces, en larg. 1 pié 4 pouces, haut. aux sieges, 2 piés 9 pouces.

Largeur des chambres, 6 pouces, hauteur huit pouces.

Hauteur des sieges aux ouvroirs, 2 piés 5 pouces.

Hauteurs & largeurs des sieges, 10 pouces.

Hauteur des murs des sieges, 3 piés 11 pouces.

Hauteur de la grille à la couronne, 9 piés.

Hauteur de la grille aux lunettes des arches cendrieres, 6 piés 7 pouces.

Largeur des lunettes, 6 pouces 1/2.

Hauteur des sieges aux lunettes des arches à pot, 2 piés 11 pouces.

Largeur des lunettes, 7 pouces.

Hauteur de la grille au centre de la tonnelle, 3 p. 3 pouces.

Longueur de la tonnelle, 2 piés 7 pouces.

Ces dimensions sont pour le charbon qui donne beaucoup de flammes sans donner beaucoup d'ardeur à sa braise ; mais pour le charbon d'Angleterre, ou de S. Etienne en Forez, ou celui dont la braise est ardente, le four pour le même pot ne doit pas avoir de la grille à la hauteur de la couronne plus de 7 piés ; mais il vaut mieux que la couronne soit trop haute que trop basse.

Pour le charbon qui donne moins de flamme que de chaleur, le four aura en quarré 8 piés.

Longueur de la grille, 1. 4.

Hauteur de la grille aux sieges, 2. 6.

Largeur des chambres, 6 pouces.

Hauteur des chambres, 8 pouces.

Hauteur des sieges aux ouvroirs, 2 piés 7 pouces.

Hauteur & largeur des ouvroirs, 10 pouces.

Hauteur des murs des siéges, 4 piés.

Hauteur de la grille à la couronne, 7 piés 6 pouces.

Hauteur de la grille aux lunettes des arches cendrieres, 6 piés 6 pouces.

Largeur des lunettes, 6 pouces & demi.

Hauteur des siéges aux lunettes des arches à pots, 3 piés 3 pouces.

Largeur des lunettes, 7 pouces.

Hauteur de la grille au centre de la tonnelle, 3 piés, un pouce.

Largeur de la tonnelle, deux piés 8 pouces & demi.

Lit de champ ; c'est le dernier rang de briques posées sur leur champ qui termine la hauteur des siéges.

Quand on voudra construire la halle pour une verrerie à bouteilles ou à crystal ; il ne faudra pas que le fond de la cave soit plus de trois piés & demi plus bas que la surface du champ, parce que le four ne chaufferoit pas si bien ; & l'on seroit plus de tems à faire la fonte & à raffiner le verre : on perdroit du tems, & l'on consumeroit du charbon ; en voici la raison.

Les portes des caves ayant trois piés & demi de hauteur sur la surface du champ, l'air y entrera avec plus de violence, que si les portes étoient aussi basses que la surface du champ ; car dans ce dernier cas, le vent n'y entreroit qu'à mesure qu'il y seroit attiré par le foyer, & agiroit lentement sur le chauffage ; au lieu que dans le premier, son cours seroit encore accéléré de son poids, ce qui le feroit passer avec plus de vîtesse à-travers la grille, enflammer plus rapidement le charbon qui est dessus, & rendre la chaleur plus grande.

Quand on aura tracé le four selon le plan, on posera le premier rang de briques, la surface brute en en-bas ; la surface unie en-dessus. Il faut que le dessus de ce premier rang soit uni & de niveau partout ; ensuite on travaillera à la tonnelle, en plaçant ou commençant un second rang sur le rang déjà posé. On est deux à poser une brique, parce que ne s'agissant pas seulement de la poser, mais de l'appliquer bien exactement sur la brique qui est en dessous ; il faut les frotter l'une contre l'autre jusqu'à ce que les inégalités de l'une & de l'autre disparoissent ; on connoîtra si leur application se fait dans toutes leurs surfaces en balayant & en considérant si elles ont frotté l'une & l'autre par-tout. Il faut frotter jusqu'à ce que le frottement soit sensible sur les deux surfaces entieres. On place ensuite une autre brique de la même maniere, & l'on acheve ce rang.

Mais pour lier ces briques, il faut du mortier ; on le fait avec la raclure des briques ; on la ramasse ; on la passe au tamis ; on a une cuve qu'on remplit à moitié d'eau claire ; on l'agite avec un bâton ; cependant un autre y répand la raclure passée ; l'un seme & l'autre tourne jusqu'à ce que le tout ait la consistance d'une bouillie claire. Cela fait, on répand sur le premier lit ou sur les premieres briques frottées, de ce mortier ; on l'égalise avec une truelle ; on pose ensuite les secondes briques frottées, les agitant & frottant jusqu'à ce qu'elles commencent à s'attacher & à prendre ; on leur donne l'assiette qui leur convient ; on prend un morceau de planche qu'on pose dessus ; on frappe quelques coups de marteau sur la planche ; cela assure la brique & fait sortir l'excès de mortier qu'on ôte avec la truelle ; on opere de la même maniere pour la brique qui doit suivre, c'est à-dire, qu'on la pose sans mortier ; qu'on la frotte contre celle de dessous ; qu'on fait joindre ses côtés avec l'autre posée ; que pour cet effet on use de la scie ; on frappe sur le côté avec le marteau ; on applique la planche, &c. quant au second lit, on commence par frotter toutes les briques du premier, avant que d'asseoir une seule des briques.

On n'aura pas besoin d'un ceintre pour faire la couronne ; car chaque brique étant une fois posée avec le mortier, on ne la sépareroit pas sans la briser. Au lieu de travailler en-dehors à faire la couronne, on fait un échafaud en-dedans, & l'on conduit la construction de la voûte, comme nous allons dire. Comme la courbe de la voûte est un segment ou une portion du cercle dont le diamêtre sera plus long que la largeur du four, il en faut chercher le centre, qu'on trouvera, comme on l'a dit, pour la coupe des briques ; & la distance du centre à la circonférence sera la ligne qui servira à conduire la voûte.

La muraille du four étant élevée à la hauteur convenable, il faut prendre une planche dont la longueur soit juste la longueur du four, & qui soit percée dans son milieu d'un trou à recevoir une petite corde qu'on noue par les deux bouts ; que la longueur de la corde depuis le trou jusqu'à son noeud, soit égale à la ligne trouvée ci-dessus pour la coupe des briques ; que depuis ce premier noeud jusqu'à l'extrêmité de la corde, il y ait un pié d'excédent ; que la planche soit posée horisontalement ; que le trou corresponde au centre du four comme dans ces deux figures ; a est la planche, bb les murailles du four, c le centre, d la corde, e le noeud, h l'autre noeud, i i i i le segment ou demi-cercle, dont la planche représente une partie du diamêtre ; c h est la corde qui servira à conduire l'ouvrage, ou la couronne.

o o, Les chambres ou loges.

p, La tonnelle ou le tisonnier.

r r, Les lunettes ou arches à pots.

x, Les lunettes ou arches à cendrier.

t t, Les ouvreaux.

v u, Les siéges.

z z z z, Les murailles du four.

y y y y, La couronne.

F, La grille ; E A B G D, figure intérieure de la voûte, où l'on voit comment chaque rang de briques se joignent, & la figure qu'elles forment aux angles.

Lorsqu'on commence la voûte, il faut présenter une brique de voûte au point B ou C ou D, ou A ; puis prendre la corde à la main & avancer le noeud h jusqu'à cette brique ; de maniere que son côté fasse angle droit avec elle ; & ainsi des autres briques en tous sens. Cet angle droit des briques avec la corde, & la longueur de la corde, déterminent si parfaitement la position des briques, qu'en se conformant à ces deux regles, on construira exactement la voûte, comme nous venons de l'indiquer. On finit par mettre la clé o, & l'on unit la voûte en dedans en la raclant ; si l'on remplissoit les coins, la voûte deviendroit ronde ; ce qui se peut pratiquer.

Le four & les siéges étant achevés en dedans, & les ouvreaux taillés, on commencera à construire les quatre arches à pots, sous les planchers desquelles on fait une petite voûte, avec une ouverture ; c'est là qu'on fait sécher le sable. Tous ces ouvrages s'achevent avec la brique commune ; on n'a qu'à bien suivre le plan, & le suivre avec exactitude, il suffiroit à un maçon habile pour travailler une verrerie, sans en avoir jamais vue.

Dans les verreries en bois, il y en a qui se servent de la charrée avec un peu de cendres fines : on n'en peut pas faire autant dans les verreries à charbon, parce que dans celles en bois, on tise toujours presque comme si l'on étoit en fonte, & c'est-là ce qui empêche le verre de venir ambité. Mais si dans les verreries à charbon, l'on tisoit pour garantir le verre de venir ambité, la poussiere du charbon tomberoit sur le verre ; elle le feroit bouillir, & les bouillons ou petites vessies occasionnées de cette maniere, gâteroient les marchandises ; & d'un autre côté, si l'on n'étoit pas assidu à tisser, le verre viendroit ambité. Car, comme il n'y pas beaucoup de sel dans ces cendres, on n'y met pas beaucoup de sable ; ainsi il faut donner feu continuellement.

Ambité. Le verre est ambité, quand il est mol, quand il n'y a pas assez de sable ; alors il vient plein de petits boutons ; le corps du verre en est parsemé ; les marchandises qui s'en font sont comme pourries, & cassent facilement ; il faut alors le raffiner, & perdre à cette manoeuvre du tems & du charbon.

Dans toute verrerie, soit en bois, soit en charbon, il est à souhaiter qu'elles soient à portée d'avoir de la soude de varech ; cela épargnera bien du chauffage, & l'on fondra plus vîte ; ce qui ne sera pas d'un petit avantage aux fabriquans.

Il y a des verreries où l'on se sert de cendres fines seulement ; quand elles sont bonnes, elles portent plus de sable : si au contraire elles sont moins bonnes, elles en porteront moins ; & si elles sont mauvaises, elles n'en porteront point du tout.

Les sables ont des qualités si différentes, qu'il y en a qui fond facilement ; d'autre qui est dur ; mais il n'y en a point qui ne puisse se réduire en verre en lui donnant du fondant. La diversité qui se trouve tant dans les sables que dans les autres matieres, empêche qu'on ne puisse donner une composition fixe.

Au reste, voici comment on peut s'y prendre pour en trouver une bonne. Si l'on établissoit une verrerie à côté d'une autre, on n'auroit qu'à tâcher d'avoir de leur composition. Mais si l'établissement se fait dans un endroit où toutes les matieres soient inconnues, pour lors il faudra préparer une douzaine de petits creusets plats, comme on voit fig. a, composés de bonne terre à pot. Quand la salle & le four seront construits, & avant qu'on ait fait mettre le feu aux tonnelles pour faire sécher & chauffer le four, il faut prendre quelques pots fêlés, comme on ne manquera pas d'en trouver dans la chambre aux pots ; placer deux de ces pots dans le four, sur les siéges, un de chaque côté, devant le trou du milieu ; il faut que ces pots soient renversés, & le cul en-haut. Cependant on fera passer les cendres & le sable, si tôt que le four sera devenu chaud, & que les arches cendrieres commenceront à rougir ; alors on fera mettre dans ces arches autant de cendres qu'elles en pourront contenir ; se réservant toutefois autant de places qu'il sera nécessaire, pour les retourner ; les cendres étant bien cuites, on les retirera des arches, & on les mettra dans un endroit pavé de briques, jusqu'à ce qu'elles soient refroidies. On fera pareillement sécher & passer le sable ; après quoi on formera les huit différentes compositions suivantes, qu'on mettra ou dans huit terrines, ou dans la même terrine ; mais chaque composition à part.

On mettra six ou huit de ces petits creusets dessus les pots renversés, de maniere qu'on puisse les retirer en mettant un ferret dans le trou de leurs manches. On fera ensuite mettre les pots dans les arches pour les attremper ; puis faire mettre le feu aux tonnelles ; cependant, comme nous avons dit, on fera passer les cendres, &c.

Prenez de la cendre cuite seule, trois fois plein un des petits creusets, & mettez ce creuset à part avec étiquette.

Prenez de la cendre cuite, sept fois plein une chopine ; mettez ces cendres dans la terrine ; prenez de plus une chopine de sable, que vous ajouterez aux sept chopines de cendres dans la terrine, & que vous mêlerez bien, puis vous mettrez ce mêlange à part avec une étiquette.

Prenez six mesures de cendre & une mesure de sable ; mettez les dans la terrine après les avoir bien mêlangées ; placez le mêlange à part, avec une étiquette.

Prenez cinq mesures de cendre & une de sable, mêlez & mettez à part.

Prenez quatre mesures de cendre & une de sable, mêlez & mettez à part.

Et ainsi de suite, vous aurez :

n°. 1. cendres.

n°. 2. 8. cendre, 1. sable.

n°. 3. 7. cendre, 1. sable.

n°. 4. 6. cendre, 1. sable.

n°. 5. 5. cendre, 1. sable.

n°. 6. 4. cendre, 1. sable.

n°. 7. 3. cendre, 1. sable.

n°. 8. 2. cendre, 1. sable.

Cela fait, quand le four sera devenu blanc, faites porter toute cette composition au four ; puis faites retirer un des creusets, & remplissez le de la composition n°. 1. & faites-le remettre au four sur le fond du pot, & faites-en autant pour toutes les compositions. Arrangez-les de façon que vous puissiez les reconnoître.

Au bout de quatre heures prenez une cordeline ; c'est une petite tringle de fer ; faites en recourber le bout d'environ cinq pouces ; faites-la chauffer au four, & plongez-la subitement dans l'eau, seulement pour en ôter la fumée, & pendant qu'elle est chaude, essayez tous vos creusets les uns après les autres, & voyez si la matiere est fondue : si elle est fondue, retirez le n°. 1. & le remplissez de la même composition, & le remettez au four ; & ainsi de tous les autres : faites fondre & affiner, ce que vous connoitrez en plongeant la cordeline dans les creusets ; si la matiere fait un fil sans aucun grumeau, ce dont vous vous assurerez en passant le fil de verre entre les bouts du doigt index & le pouce ; si vous ne sentez point de grumeau, vous conclurez que la matiere est affinée. Si toutes les matieres sont fondues & affinées, celle qui donnera le fil de verre le plus épais sera la meilleure : faites chauffer une canne ; retirez ce creuset, mettez-le sur le fil de l'ouvreau ; cueillez à deux ou trois reprises : si au troisieme coup vous en avez suffisamment sur la canne, soufflez : si le verre soufflé est fin, la composition est bonne. Cueillez un second morceau dans le même creuset, puis un troisieme, en un mot autant que vous pourrez ; quand ces morceaux seront un peu froids applatissez-les sur le marbre ; laissez-les encore un peu refroidir ; remettez-les dans l'ouvroir jusqu'à ce qu'ils soient prêts à couler ; alors retirez-les, laissez les derechef refroidir comme auparavant, & les remettez dans l'ouvreau, & lorsqu'ils se remettront en fusion, retirez-les encore, & les laissez refroidir tout à-fait : quand ils seront froids, voyez si le verre en est blanc ou non : s'il n'est pas blanc, c'est signe qu'il est bon, & peut-être qu'on y peut ajouter un peu de sable ; mais s'il est blanchâtre, c'est une marque qu'il y faut absolument ôter du sable, & qu'il y en a trop.

Quand par vos essais vous aurez une composition bonne, faites-en avec votre cendre cuite & votre sable ; retirez vos pots fêlés quand vous ferez déboucher vos tonnelles, pour leur en substituer d'autres.

Il en faut faire autant avec le varech : on écrasera la soude, on en prendra une mesure sur laquelle on mettra une mesure de sable, ou une mesure & demie de sable, ou deux mesures, ou deux mesures & demie ; ce dernier mêlange fera le verre un peu blanc : quand on a trouvé la dose de varech & de sable, on prend de la chaux ou de la cendre fine ; on y ajoute autant de sable que le varech en peut porter ; on mêle bien le tout, on met ce mêlange dans l'arche cendriere, & l'on répand dessus le varech en morceaux : il se fondra, & en tournant, agitant la matiere à recuire, elle se mêlera avec cette matiere.

La taraison est une espece de tuile faite d'argille, dont on se sert pour retrécir l'ouvroir, selon que les marchandises sont grandes ou petites.

Tuilette, espece de tuile dont on se sert pour boucher l'ouvroir au milieu, & faire passer la flamme par les deux côtés.

Canne, morceau de fer d'environ quatre piés huit pouces de long, en forme de canne, percé dans toute sa longueur d'un trou, de deux lignes de diamêtre ou environ.

Cordeline, tringle de fer, d'environ quatre piés huit pouces de longueur, que l'ouvrier prend d'une main, & qu'il trempe chaude dans le pot, pour en tirer de quoi faire la cordeline qui entoure l'embouchure de la bouteille ; ce qui se fait en attachant le petit téton qui pend, & tournant en même tems la canne de la main gauche.

Molette, morceau de fer plat, d'environ un pié de longueur, dont l'ouvrier se sert pour enfoncer le cul de la bouteille, & en glacer le col pour la faire dépasser de la canne.

Pincette, morceau de fer plat recourbé en deux, & pointu à chaque bout, dont on se sert pour arracher les pierres du cueillage.

Ferre, machine de fer, ou espece de pince dont on se sert pour façonner la cordeline, & faire l'embouchure de la bouteille.

Ciseaux, ils n'ont rien de particulier : on s'en sert pour couper le verre, quand on veut mettre une anse à quelque vaisseau.

Marbre ou mabre, plaque de fer de fonte, de dixhuit pouces de longueur sur douze de largeur, aux environs d'un pouce d'épaisseur, sur laquelle le paraisonier fait la paraison ; elle est placée sur un billot.

Paupoire, plaque de fonte comme le marbre, de huit ou neuf lignes d'épaisseur ; elle est placée à terre, & c'est là-dessus que le maître souffle & forme la paraison, avant de la mettre dans le moule.

Moule, ce moule est fait de cuivre jaune ; il a la forme d'un cône tronqué, dont le milieu du fond seroit percé d'un petit trou d'environ deux lignes d'épaisseur : le maître y met la paraison pour lui donner la derniere façon. fig. C, le moule renversé où l'on voit le trou. fig. D, moule coupé dont on fait l'intérieur ; il est un peu concave au fond. Pour le moule d'une pinte de Paris, il faut que le diamêtre en-haut soit de quatre pouces & quatre lignes, & le diamêtre en bas à la ligne e, jusqu'à la ligne en haut f, de 3 pouces 6 lignes ; & de la ligne e jusqu'au fond, de 8 lignes. Il y a aussi les moules à mouler les chopines ; ils sont façonnés comme les moules de pintes, mais ils sont plus petits ; il faut que le diamêtre f soit de 3 pouces & 6 lignes ; le diamêtre e d'en-bas, de 3 pouces & une ligne ; & il faut qu'ils aient l'un & l'autre six lignes d'épaisseur.

Baquet, c'est une petite cuve qu'on remplit d'eau, & dans laquelle on rafraîchit les cannes.

Cachere, place pratiquée sur une petite muraille contigue aux fils des ouvreaux, ou remettement du four, dans laquelle le maître sépare la bouteille de la canne ; le col de la bouteille étant glacé, il pose le corps dans la cachere, & tenant ses deux mains étendues, il presse de la main gauche le milieu de la canne, & tenant la main droite à l'extrêmité de la canne, il leve cette extrêmité, & donne en même-tems une secousse de la main gauche ; cette secousse sépare la bouteille de la canne ; il tourne le cul de la bouteille de son côté, puis il y applique la partie du cou qui reste attachée à la canne, & met le col au crochet, pour y appliquer la cordeline.

Banc, siege sur lequel le maître s'assied pour faire l'embouchure.

Crochet, tringle de fer de neuf lignes de diamêtre, courbé & pointu par le bout, avec lequel le fouet arrange les bouteilles dans le four à recuire ; il y a d'autres crochets dont on se sert pour mettre les pots dans le four, ils ont sept piés & demi.

Fer à macler le verre, quand le four est un peu refroidi, le verre devient dans le pot quelquefois cordelé : alors on prend le fer à macler : on le fait rougir dans le four, & l'on en pousse le bout au fond du pot au-travers du verre, & l'on enleve le verre de bas en haut pendant quelque tems, en le remuant avec ce fer à macler.

Verre cordelé, le four étant un peu froid, il y aura dans le pot une partie du verre qui deviendra un peu plus dure que l'autre ; & lorsqu'on a cueilli le verre avec la canne, on prend de l'un & de l'autre ; mais quand la bouteille est soufflée, on voit dedans comme de la ficelle, tantôt grosse, tantôt menue ; comme ces cordes sont d'une qualité différente de l'autre partie de la bouteille, elles feront casser la bouteille ; elles sont à-peu-près de la nature des larmes qui tombent de la couronne du four dans le verre, qu'il faut ôter pour empêcher les bouteilles de casser.

Ferret à écremer, fer dont on se sert pour ôter les pierres & les ordures qui se trouvent sur la surface du verre dans les pots, avant que de commencer à faire les bouteilles.

Larmes, on appelle de ce nom des gouttes qui tombent de la couronne, dans les tems de la fonte ; le four étant en grande chaleur, les sels volatils s'élevent des matieres, & vont frapper contre la couronne ; & comme ces sels sont extrêmement subtils & pénétrent un peu dans la surface de la couronne, elle se résout en verre, dont il tombe quelques gouttes dans les pots ; mais comme la matiere de ce verre est beaucoup plus dure à fondre que celle des pots, elle ne se mêle jamais avec elle, & on l'apperçoit dans le cueillage comme des pierres.

Buche, ou grande barre à mettre les pots. Elle a quatorze piés de long sur deux pouces & trois lignes d'épaisseur, pendant la longueur de la partie quarrée ; depuis la partie quarrée elle va en diminuant jusqu'au bout, où elle doit avoir un pouce & demi de diamêtre. La partie quarrée a six piés & demi de longueur : on s'en sert pour placer le pot dans le four.

Rouleau. Barre ronde dans toute sa longueur qui est d'environ cinq piés quatre pouces, & son diamêtre de six lignes. On y remarque un bouton au milieu qui sert d'appui à la grande barre, quand on met le pot sur le siege.

Crochets. Il en faut trois de peur qu'ils ne se cassent. Ils ont neuf piés & demi de longueur, onze lignes de diamêtre ; les coins en doivent être rabattus ; ce qui les rend à huit pans.

Grand crochet. C'est une barre dont on se sert à l'ouvroir pour lever & tirer le pot sur le siege & le placer comme il convient. Il a dix piés de long sur un pouce dix lignes d'épais.

Bodée. Morceau de bois d'environ trois ou quatre pouces d'épaisseur sur deux piés quatre pouces de longueur, & d'environ dix pouces de largeur avec un pié. On fait glisser une barre dans une échancrure pratiquée à la partie supérieure pour dégager & nettoyer la tonnelle.

Pelle. Il en faut de différentes sortes, mais une de quatorze pouces de longueur sur douze de largeur : les bords repliés, de même que celui où est la douille. Il en faut une petite de cinq pouces & demi de large sur six pouces de long.

Barre à porter. Instrument qui sert à transporter le pot de l'anse dans la tonnelle.

Bâton à porter. Bâton de quatre piés de longueur & d'environ quatre pouces de diamêtre au milieu, un courbé au milieu ; il sert à porter le pot au tisonnier ou la tonnelle.

Brouettes. On s'en sert pour enlever les immondices, & porter le charbon, &c.

Outils de la cave. Perches. Il en faut quatre. Deux sont placées environ vingt pouces au dessous de la grille, une à chaque bout, & les deux autres dix pouces plus bas. Elles servent à soutenir la barre dont le tiseur se sert pour dégager la grille. Elles rendront ce travail beaucoup plus facile aux tiseurs. On n'a pas cet usage en France. Il faut les placer, comme on voit fig. a. Le quarré vers la muraille d'un côté, ou le pilier qui soutient une partie de la grille.

Grande barre à dégager. Elle a onze piés de longueur sur quatorze lignes d'épaisseur, où elle est quarrée. La partie équarrie a vingt-deux pouces de long ; le reste est arrondi. Les tiseurs se servent de cette barre pour dégager la grille & mettre le four en fonte.

Petite barre à dégager. Elle n'a que sept piés de long. On se sert de celle ci, quand on ne peut se servir de l'autre, & alternativement.

Fourche. Tringle de fer d'environ six piés de long sur dix pouces de diamêtre. On s'en sert pour avancer ou reculer une barre de la grille.

Outils de tiseurs. Estraquelle ou pelle à enfourner. Elle a sept piés & demi de longueur. Les tiseurs s'en servent à tirer la matiere cuite des arches cendrieres, & la porter aux ouvreaux, où on la renverse dans les pots. Il en faut cinq. Les pelles auront neuf pouces de largeur & un pié de longueur, & quatre pouces de profondeur.

Poesle, dont on se sert pour tirer le verre des pots cassés. Elle a six piés de longueur. Le manche en est rond & égal par tout, de trois lignes & un pouce. Le bassin a sept pouces de diamêtre.

Rable. Espece de rateau dont on se sert pour arranger la braise dans le four, & pour y en tirer, lorsqu'on veut mettre les pots. Il a onze piés & demi de longueur. Le manche en est égal par-tout, d'environ dix lignes de diamêtre. Il en faut aussi de sept piés. La plaque qui est au bord a six pouces & demi de long.

Pelle à remuer ou à recuire les cendres. Elle a dix piés de long. Le manche en est rond, égal par-tout, de treize lignes de diamêtre. On change la matiere d'un côté de l'arche à l'autre à plusieurs reprises, afin que les matieres sulphureuses se consument. On connoîtra que cela est fait, lorsque l'arche étant assez chaude pour cuire la cendre, on y appercevra plus d'étincelle en la remuant.

Pelle à tisser. Elle a sept pouces de long sur cinq & demi de large, emmanchée de bois. Le manche est de deux piés quatre pouces de long.

Balai pour nettoyer à-l'entour du four & dans les places où l'on fait la composition.

Brassarts. Ils sont faits de deux vieux chapeaux passés l'un dans l'autre. On en ôte le dessus, & l'on passe le bras droit à travers jusqu'au coude. Ces brassards servent à poser le manche des pelles qui est chaud quand on transporte avec ces pelles de la matiere des arches dans le pot.

Maître tiseur. Son office est de remplir les pots, comme les autres ; mais de plus de faire la composition, & de prendre garde que le verre soit fin, avant que de quitter le four, & de veiller à ce que les autres tiseurs fassent leur devoir.

Fonte. C'est la composition, qui mise dans les pots, se vitrifie par l'ardeur du feu, & devient propre aux ouvrages qu'on en fait.

Compagnons tiseurs. Leur office est de chauffer le four ; d'entrer le charbon ; de vuider les immondices de la cave, & de nettoyer la halle de celles qui s'y sont amassées pendant la fonte.

Deux tamiseurs. Leur office est de faire sécher la charrée quand on s'en sert, le sable ; de passer les cendres fines. On se sert de tamis travaillés au métier avec du laiton. Il en est de même pour les autres matériaux ; ces tamis se font à Strasbourg & en Angleterre.

Messieurs qui font les bouteilles. Il y en a quatre. Leur office dans quelques verreries, est de faire la paraison, & de souffler les bouteilles ; dans d'autres ils prennent la paraison du paraisonier au sortir de l'ouvroir ; de souffler & de former la bouteille, & faire son embouchure.

Serviteurs ou garçons. Il y en a quatre. Leur office est de cueillir le dernier coup du cueillage, puis de le mettre entre les mains du maître. Si c'est le maître qui fait la paraison, le garçon fait l'embouchure ; si le maître fait l'embouchure, le garçon fait la paraison, & la chauffe à l'ouvroir.

Gamins. Petits garçons dont l'office est de chauffer les cannes ; de cueillir deux, trois ou quatre coups de verre sur la canne, & de porter les bouteilles aux fourneaux à recuire.

Tiseur. Son office est d'avoir soin que le four ne soit ni trop froid, ni trop chaud ; car si le four est trop chaud, le verre deviendra mou, & l'on aura de la peine à le cueillir ; & s'il est froid, le verre deviendra dur & ambité.

Fouet. C'est le nom de celui qui arrange les bouteilles dans le fourneau, & a soin de les tenir dans une chaleur convenable, ni trop froides, ni trop chaudes ; si le fourneau est trop froid, les bouteilles péteront, s'il est trop chaud elles s'applatiront. C'est aussi le fouet qui défourne les bouteilles ; il est aidé dans ce travail par les gamins.

Recuire ou anneler. C'est entretenir les fourneaux dans une chaleur convenable. La journée étant finie, ou les pots étant vuides, on y laisse mourir le feu, & les marchandises se refroidissent peu-à-peu.

Défourner. C'est tirer les marchandises du four, quand elles sont assez cuites ou assez froides.

Macler. Lorsque le verre est devenu cordelé, on prend le fer à macler, on le chauffe, on s'en sert ensuite pour mêler le verre dur avec celui qui est plus mol.

Raffiner. On raffine en verrerie, quand le verre étant devenu ambité, pendant qu'on le travaille, le tiseur est contraint de mettre le four en fonte, & de rendre au verre par la chaleur sa bonne qualité.

Ecrémer. C'est dans les verreries à bouteilles, l'ouvrage des serviteurs. On prend le ferret à écrémer, on en chauffe le bout ; on cueille du verre à quatre à cinq coups ; on l'applatit sur le mabre ; quand il est un peu froid, on fait passer le ferret sur la surface du verre par sa partie plate, en suivant le tour du pot, & l'on entraîne les pierres qui y surnagent ; on recommence cette manoeuvre jusqu'à ce qu'on n'apperçoive plus de pierres. Ces pierres viennent en plus grande partie de la soude ou varech quand on s'en sert ; quand on ne s'en sert point elles viennent d'accident ; elles se sont apparemment mêlées avec les matieres en les transportant de place en place.

Mettre les pots dans les arches. On va à la chambre aux pots, on en prend un à la fois ; on le met sur une civiere ; on le porte au four, puis dans chaque arche à pot on place trois petits piliers sur lesquels on pose le pot, de maniere que la chaleur puisse passer endessous & sécher le fond. S'il étoit posé à plat, le fond du pot étant plus long tems à chauffer que le reste, pourroit péter. On les enferme ordinairement d'une légere muraille de briques ; mais trois tuiles ou plaques de terre suffiront. On bouche l'arche en un moment avec ces tuiles ; on les débouche aussi facilement. Il faut que ces tuiles aient été mises à cuire avec les pots, & aient été faites de ciment & d'épluchages de terre à pot.

Mettre le feu aux tisonniers ou tonnelles. Aux environs d'un pié à l'extérieur des tonnelles, on allume un petit feu à chaque tonnelle. On continue ce feu pendant deux jours, en l'augmentant peu-à peu, & en l'avançant vers les tonnelles. Le troisieme & quatrieme jour on l'avance encore un peu en-dedans des tonnelles ; & l'on continue cette manoeuvre en augmentant le feu, & en l'avançant jusqu'à ce qu'on soit arrivé au milieu du four sur la grille. A l'extérieur de la tonnelle on fait une petite muraille de briques sans mortier, pour boucher la tonnelle à mesure que le feu ou la braise y monte. On force ainsi la chaleur à passer dans le four ; & d'ailleurs on peut approcher plus aisément pour y mettre du charbon. Quand le feu est poussé au milieu, on laisse attremper le four pendant l'espace de deux jours. Puis on descend dans la cave, & à chaque bout de la grille on fait avec une barre deux trous, au travers de la bourbe ; on fait tomber les poussieres & les cendres, jusqu'à ce qu'elles soient suivies de la braise rougeâtre. Alors l'air se portera par ces trous, & le four se chauffera à vûe d'oeil. Mais il faut avoir soin que le charbon couvre les trous qu'on a faits : on y travaillera par la tonnelle. Cinq heures après on élargit les trous, & l'on continue de tems-en-tems à dégager la grille, jusqu'à ce qu'enfin elle soit entierement dégagée : alors le four entrera en fonte. On continuera ainsi trente ou trente six heures avant que de mettre les pots. La premiere fois qu'on allume le feu, il faut laisser les lunettes des arches ouvertes ; il faut que les arches soient attrempées aussi bien que les pots. Il ne faut pas oublier de mettre dans les arches à pots à cuire, les margeoirs à marger les lunettes, lorsque les pots sont levés.

Lever les pots. C'est les transporter des arches à pots dans le four sur les sieges. Pour cet effet, on défait la muraille, ou on débouche la tonnelle ; on ôte les immondices, puis on place la bodée à une distance du tisonnier d'environ trois piés. Deux tiseurs, ou un seul selon le besoin, dégagent les crayers ou mousses qui sont attachés à la tonnelle, & l'on écarte la braise afin d'avoir un passage libre sous les pots ; on ôte la bodée & les immondices de la glaie. Cependant il y a un autre tiseur qui écarte les braises qui sont au-devant du pot dans l'arche, de maniere que l'on puisse le mettre sur le côté Cela fait, on débouche la bouche de l'arche, si elle est bouchée de briques ordinaires en tirant en bas ce qui la bouche ; ce qu'on éloigne ensuite avec les pelles. Mais si elle a été bouchée avec des plaques, deux hommes le ferret à la main, mettant le bout de cet instrument dans les trous des deux plaques du haut, les enlevent avec le crochet, & les mettent à côté ; puis en font autant à la plaque d'en-bas.

On place le bâton à porter au-dessous & tout proche de la plaque ; puis un homme tenant les bouts des ferrets pese dessus, fait balancer la plaque, l'en tire & la met à côté. Cela fait, un tiseur pose un crochet contre le bord du pot en haut, & le pousse pour le dégager, & un autre tiseur pousse le pilier de devant qui soutient le pot par un des côtés ; puis celui à la bûche aborde, met le crochet sur le bord du pot, l'accroche & le baisse ; un autre avec un autre crochet, soutient le pot & le fait tomber doucement. Quand le pot est sur le côté, on place à chaque côté un crochet, & l'on le tire ainsi jusqu'à ce que le bord du pot soit d'environ trois ou quatre pouces hors de la bouche de l'arche. Alors on place la barre à porter au fond du pot, & deux tiseurs avec le bâton à porter, se placent sous la barre, posent le bâton au milieu, & élevent la barre jusqu'à ce qu'elle touche le côté supérieur du pot au fond. Puis un homme placé au bout de la barre à porter, fait balancer le pot ; & ces deux hommes portent ainsi le pot & le placent dans la tonnelle. On ne le laisse pas là ; un autre homme a le rouleau tout prêt, il le place horisontalement à-travers la glaie, environ quatre pouces plus bas que les sieges, dans deux fentes pratiquées à la muraille de la glaie. Alors on use de la bûche ou grande barre à porter ; on la pose sur le rouleau. Deux tiseurs leurs crochets à la main, accrochent le rouleau, l'empêchent de rouler, pendant que l'on glisse le bout de la grande barre au fond du pot qui est dans la tonnelle. Alors on balance le pot ; on pousse la grande barre, & le rouleau roule avec ceux qui conduisent le pot dans le four. Ensuite on tire la grande barre hors du pot, & l'on en applique le bout au-dessus du bord qui est sur la braise ; on le pousse, on le fait entrer assez avant pour qu'en le dressant, le pot ne puisse glisser : il y a même un autre homme à l'ouvroir avec un crochet qui le soutient. Quand il est sur son fond, on y passe le bout de la grande barre, & deux hommes placés à l'ouvroir, l'un avec la barre à crochet à lever les pots, qu'il place sur le bord du pot, le crochet en-dedans, accroche le bord renversé du pot ; & l'autre ayant le bout de sa barre posée contre les parois du pot en-dehors, environ huit ou neuf pouces au dessous du bord. Alors le signal se donne pour lever le pot, & ceux qui sont au grand ouvreau balancent & élevent le pot à la hauteur des sieges perpendiculairement ; puis celui qui tient le grand crochet à l'ouvroir, tire le pot sur le siege & l'arrange comme il doit l'être : s'il y a encore d'autres pots à mettre, on répete la même manoeuvre. Cela fait, on bouche le tisonnier & l'on marge les lunettes ; & l'on garde le four dans une chaleur douce, afin que le pot s'attrempe aussi dans le four ; & l'on réchauffe le four très-doucement à l'intervalle d'environ une ou deux heures selon l'exigence. Quand le four sera assez chaud, alors on commencera à renfourner la matiere dans les pots. Quatre tiseurs, chacun avec son estraquelle, prennent les matieres dans les arches cendrieres, les portent & les mettent dans les pots ; ils continuent jusqu'à ce que les pots soient remplis à comble ; alors ils bouchent l'ouvroir avec la tuilette, & mettent le four en fonte.

Dans l'espace de six ou sept heures, cette matiere sera fondue, & l'on remplit encore les pots de la même maniere ; & trois ou quatre heures après, on répétera la même chose jusqu'à ce que les pots soient pleins de verre, puis on le raffine ; cela étant fait, les tiseurs ont fini leur journée. Le tiseur qui aura soin du four pendant qu'on fait les bouteilles, en a soin encore le soir ; il descend dans les caves ; il arrange les barres & les craïers ; ensorte que la grille ne puisse avoir de trous, puis il commence à faire la braise.

Torcher la grille. On prend de la bourbe avec un peu d'argille & de paille ; on les mêle ensemble ; & lorsque les barres de traverse ou dormans sont arrangés, on jette cette bourbe partout, de l'épaisseur de 3 ou 4 pouces ; & on la presse & serre avec le pié, afin de bien fermer toute entrée à l'air.

Faire la braise. Pour faire la braise, le tiseur prend le grand rable : il en passe le bout dans le tisonnier & égalise la braise partout, ou le charbon qui est déja dans le four ; puis avec la pelle à tisser, il jette trois, quatre ou cinq pelletées de charbon dans le four : puis il va à l'autre tisonnier, en fait autant, revient au premier, jusqu'à ce qu'il ait rempli le foyer aux deux cinquiemes. Alors, il le laisse dans cet état environ un quart-d'heure, jusqu'à ce que le charbon ait pris feu ; puis il recommence le même ouvrage jusqu'à ce que la braise soit faite. Quand la braise est faite, le foyer en est rempli d'environ trois quarts de la hauteur de la grille. Alors les ouvriers sont appellés à venir travailler ; mais pendant qu'on fait la braise, les garçons sont occupés à dresser les cannes.

Dresser les cannes. Si elles sont nouvellement raccommodées par le maréchal, alors il les met dans l'ouvroir jusqu'à ce qu'elles soient presque blanches. Il met ensuite le bout qui est blanc dans l'eau qui refroidit les parties qui se levent, & qu'il ratisse pour les en détacher, puis il cueille ce verre sur le bout & souffle, afin que le verre n'entre pas dans la canne & n'en puisse boucher le trou, puis il met la canne dans la cassette. Quant aux cannes qui ont déja servi, on les réchauffe aussi dans le four : quand elles sont chaudes, on ôte le bouchon de verre qui est dans le bout de la canne, ou avec les pincettes, ou bequettes ou marteau. Si la canne est crochue, on la redresse, puis on coule le verre au bout ; on le souffle comme ci-dessus, & on met les cannes dans la cassette quand elles sont froides ; elles sont dressées & propres à servir.

Alors le gamin ou petit garçon fait la taraison, & le grand garçon la met avec un ferret devant l'ouvroir, & retrécit l'ouvroir, selon les marchandises à faire, c'est-à dire s'il faut des chopines, le trou sera plus petit que s'il falloit des pintes, &c. puis le garçon écrème le verre ; & toute la place étant bien arrosée & bien balayée, on commence à travailler.

Le petit garçon met une canne dans l'ouvroir à chauffer ; & quand elle est assez chaude, il commence à cueillir.

Cueillir le verre ; c'est plonger le bout de la canne dans le verre d'environ 3 pouces, ce que le petit garçon fait ; puis il la retire, & laisse refroidir un peu le verre. Pendant que le verre se refroidit, il tourne la canne sur elle-même, & fait rouler le verre sur la canne ; sans cette manoeuvre le verre tomberoit à terre. Puis il l'y replonge encore & la retire ; il refait la même chose, quatre, cinq ou six fois, selon que le verre est dur ou mol ; puis le grand garçon le prend & cueille le dernier coup ; puis ou lui ou le maître, commence à en faire la paraison.

Paraison. Faire la paraison, c'est poser la partie du cueillage qui est vers la main sur le tranchant du côté gauche du marbre ; pancher son corps vers le côté droit ; tourner la canne ; la tirer vers soi ; trancher le verre jusqu'au bord de la canne ; puis le poser sur le plat du marbre, sans pancher le corps ni vers un côté, ni vers l'autre du marbre ; baisser la canne & le corps un peu vers la terre ; serrer un peu le bout de la canne où est le verre contre le marbre ; rouler sur elle le verre tranché en la tournant ; se lever tout droit ; poser le bout du verre sur le plat du marbre ; avoir la canne à la bouche, tenue de la main droite vers la bouche, & de la main gauche étendue ; souffler en la tournant, & faire gonfler le verre ; lui faire prendre à-peu-près la forme d'un oeuf ; poser ensuite le bout de la canne sur le tranchant du marbre, & trancher ou marquer le col tenant son corps dans la même attitude que quand on a tranché le verre : voilà ce qu'on appelle faire la paraison.

Lorsque la paraison est faite, si c'est le garçon qui l'a faite, il la porte à l'ouvroir, & pose la canne sur le crochet, la tournant plus vîte, à mesure que la paraison devient plus chaude. Quand la paraison est assez chaude, il la retire ; le maître ouvrier la reprend, la pose sur le paupoire, & la souffle autant qu'il convient pour être mise dans le moule ; quand elle y est mise, il la pousse contre le fond du moule en la soufflant, & tournant toujours la canne jusqu'à ce qu'il voye la bouteille formée selon sa volonté. Alors il la retire du moule, & la fait osciller, &, par ce mouvement, lui met le cul en-haut ; puis il met le bout froid de la canne sur le paupoire, la tenant toujours de la main gauche & toujours la tournant. Il prend la molette avec la moin droite, & avec la partie pointue de cet instrument il enfonce le cul. Après quoi il prend une goutte d'eau au bout de la molette, il en touche le col de la bouteille, il la porte ensuite au crochet ; là d'une secousse il sépare le col de la partie qui reste à la meule ; on entend par meule le verre qui reste à la canne, après que la bouteille en est séparée.

Cette séparation faite, il tourne le cul de la bouteille de son côté, & y attache le bout de la canne. Il place ensuite la canne dans le crochet ; il la tient de la main gauche ; cependant il prend la cordeline de la droite, il en plonge le bout dans le verre, la retire & attache à l'extrêmité du col de la bouteille le verre qui pend de la cordeline, tournant la canne jusqu'à ce que le fil de verre rencontre l'extrêmité attachée, alors il les joint, & en retirant avec promtitude la cordeline, le fil de verre se sépare & rompt de lui-même. Il pose ensuite la bouteille dans l'ouvroir, il faut chauffer l'embouchure ; quand l'embouchure est chaude, il retire la bouteille, la porte au banc, il s'assied, prend le fer, il en donne du côté plat un ou deux coups contre l'embouchure ; il embrasse la cordeline avec ces deux jambes de fer ; cependant il tourne toujours la canne, il en met une ou toutes les deux dans l'embouchure pour l'arrondir : cela fait, il la donne au grand garçon, quand il en prend la paraison, & le grand garçon la donne au gamin, lorsqu'il en prend le cueillage, & celui-ci la porte au fourneau pour recuire.

Nous avons donné dans nos figures les coupes & les plans de deux verreries, l'une à l'angloise, & l'autre à la françoise. Nous allons maintenant en faire la comparaison, afin de rendre cet ouvrage aussi utile qu'il est possible. On sait que tout chauffage, soit de charbon, soit de bois, étant allumé, si l'on empêchoit l'air de s'y porter, il ne tarderoit pas à s'éteindre. Mais si fermant tout accès d'ailleurs à l'air, on ne lui permettoit d'attaquer la superficie allumée du chauffage que par un endroit, par en-bas, par exemple, par-dessous le charbon & le bois, ne laissant en haut qu'une seule ouverture, par laquelle la fumée & la flamme s'échapperoient, de maniere qu'il y eût, pour ainsi dire, une circulation perpétuelle d'air de bas en-haut ; cet air circulant entrera avec plus de violence, & se hâtera vers la porte supérieure avec plus de force que dans toute autre hypothèse ou construction. Et dans le cas où la continuité & la violence de la chaleur contribueroit à la perfection de l'ouvrage, il y auroit beaucoup à gagner à établir une pareille circulation, en donnant au fourneau la forme qui pourroit la procurer. Faisons maintenant l'application de ces principes aux verreries de France & d'Angleterre.

Il paroît par nos desseins qui sont faits avec la derniere exactitude, que les verreries françoises sont bâties quarrées ; qu'elles sont terminées par quatre murs perpendiculaires ; qu'elles sont couvertes de tuiles à claire voie & comme les maisons ordinaires ; que quand on y est en fonte, les portes en sont ouvertes, ainsi que les fenêtres, qu'on y est contraint par la nécessité d'user de l'air extérieur & froid, pour chasser, pour dissiper la fumée, & l'emporter par la cheminée ; que cet air a accès par un grand nombre d'ouvertures, tant par bas que par en haut ; que par conséquent l'air qui est dans la partie supérieure de la halle n'est guere moins froid que l'air extérieur ; que la fumée y nage ; que même souvent elle descend jusqu'en-bas, la hauteur des toits n'étant pas fort considérable ; que les tiseurs en sont incommodés ; que par conséquent l'évacuation n'est pas rapide ; que l'air ou n'entre pas avec violence par la grille, ou perd promtement cette violence ; que l'air n'est pas fort raréfié dans la halle ; qu'il seroit donc à souhaiter qu'on le raréfiât, & que la construction qui remédieroit à cet inconvénient, remédiât aussi aux autres. Or c'est ce qu'opere la construction des verreries angloises.

Les halles à l'angloise sont construites comme on voit dans nos Planches. Elles sont faites ou de brique ou de pierre, mais toujours de brique dans les endroits où la flamme se joue. Les fondemens ont trois piés d'épaisseur ; au-dessus des arcades, l'épaisseur n'est que de seize pouces, puis l'épaisseur diminue encore, & les murs finissent par n'avoir que neuf pouces d'épaisseur. Dans ces halles, quand on est en fonte, toutes les portes & fenêtres en sont fermées, il n'y a d'ouverture libre que celle de la cheminée : cette cheminée étant plus large en bas qu'en haut, l'air n'entre qu'avec plus de violence ; & comme tout est bien clos pendant la fonte, l'air ne s'y refroidit point ; il y est perpétuellement dans une extrême raréfaction ; mais plus la raréfaction sera grande, plus l'air extérieur s'y portera avec impétuosité, s'il y a accès & s'il n'y a qu'un seul accès. Or les choses sont ainsi, l'air n'a qu'un accès dans les halles, c'est en entrant par les caves, & en se portant vers la grille. Qu'on juge donc avec quelle vîtesse il court à cette grille, combien il soufflera le chauffage allumé qu'elle soutient, quelle ardeur il donnera à la flamme, & combien la chaleur du four en sera augmentée ! L'expérience faite, la fonte s'y fait en deux tiers moins de tems que dans les halles à la françoise, & il ne faut pas s'en étonner ; on pense bien encore que les tiseurs n'y sont pas incommodés de la fumée. Mais on dira peut-être, on ne peut obtenir ces avantages de la violence de l'air sans que la consommation du charbon n'en soit plus promte : il en faut convenir ; mais ce que l'on gagne en chaleur, l'emporte sur ce qu'on dépense en bois dans des tems égaux, & l'on brûle dans une verrerie angloise 1/5 moins de charbon que dans une verrerie françoise ; d'ailleurs on épargne 1/9 du tems : mais quand on n'épargneroit que 1/5 du tems & que 1/7 de charbon ; si l'on suppose qu'une verrerie françoise soit quinze heures en fonte, la verrerie angloise n'y sera que douze heures. Comme on travaille en Angleterre fêtes & dimanches, ou sept jours de la semaine, on gagnera donc dans une verrerie angloise par semaine sept fois trois ou vingt-une heures, & sept fois un cinquieme de charbon. On brûle ordinairement à Seve 90 quintaux de charbon par jour, c'est-à-dire qu'une verrerie à l'angloise n'en consommera que 72 quintaux. Si nous supposons qu'on travaille dans ces deux halles différentes quarante semaines chaque année, & que chaque journée dans chaque verrerie fasse 1600 bouteilles ; la verrerie à la françoise aura six journées par semaine, ou 168 heures, & l'angloise au contraire fera ses six semaines en 147 heures. Voyez l'avantage qui résulte de ces différences en faveur de la verrerie angloise. Six journées ou 9600 bouteilles en 147 heures, & en quarante semaines ou 275 journées, à raison de 1600 bouteilles par journées, donnent 440000 : voilà pour l'angloise.

Six journées ou 9600 en 168 heures, & quarante semaines ou 240 journées, à raison de 1600 bouteilles, donnent 384000, différence en faveur de l'anglois 56000.

Donc si l'on gagne 4 livres par cent de bouteilles, l'anglois aura de bénéfice sur cela seul 2240 livres.

Mais dans la supposition que la verrerie de Seve consume 90 quintaux de charbon chaque journée, & par conséquent dans quarante-cinq semaines & cinq jours, ou 2750 journées ; & supposons que ce charbon coute 20 sols le quintal ou les 100 livres, le charbon coutera à Seve 24750.

Mais l'anglois ne consumera que 72 quintaux par jour ou 1/5 de moins chaque journée, & 275 journées dans quarante semaines, ce qui donnera 19800.

Donc il épargnera en charbon 4950, & en total 7190 livres.

Mais, dira-t-on, la halle angloise coutera plus à construire que la françoise. En apparence, j'en conviens. Dans celle-ci, il faudra des tuiles, des lattes ; la charpente se séchera, il faudra la renouveller. La halle angloise une fois faite, elle n'a plus besoin de rien ; tout bien considéré, elle coutera moins.

Différence des verreries en bois & des verreries en charbon. Il y a peu de chose dans ce que nous avons dit des verreries en bois qui ne convienne aux verreries en charbon. La manutention est la même. La marchandise se fait de la même façon. Les termes de l'art ne changent point. Les tiseurs ont seulement plus d'occupation dans les verreries en bois, que dans les verreries en charbon. Ils sont continuellement sur pié, & vont sans cesse de l'un à l'autre tisonner, fournir du bois au four. On a soin que le bois soit bien sec. Pour cet effet, il y a une charpente audessus du four qu'on appelle la roue, où l'on fait sécher les billettes.

Billettes. Ce sont des morceaux de bois fendu menu, d'environ 18 pouces de longueur ; il y a des verreries où l'on fait commerce de bois & de verre. Les troncs de chêne s'emploient en charpente ; les pelles se font de hêtre, on met en sabots le bois qui y est propre ; & l'on garde pour la verrerie le branchage, s'il est gros comme le pouce.

La composition est de cendres fines ou de charrée mêlée avec la soude & le sable. Les essais se font ici, comme dans la verrerie à charbon.

Dans les fours en bois, on débraise pour mettre en fonte. Au lieu que dans ceux à charbon, on dégage la grille.

Débraiser. Lorsque les verriers ont fini leur journée ; le tiseur débouche une partie de la tonnelle, & avec un rable de 12 à 13 piés de longueur, on tire la braise du four, puis la crasse qui est dans la fosse ; cette crasse vient en partie de la matiere qui est tombée entre les pots & le fil de l'ouvroir. Cette matiere est vitrifiée par la chaleur & coule des sieges dans la fosse ; en partie, des cendres que la flamme emporte, qui tombent dans la fosse, & qui se mêlant avec le verre fondu, forme une crasse.

Dans les verreries en bois, on cuit les bouteilles dans les arches à pot ; au lieu que dans celles à charbon, elles sont cuites dans les fourneaux, construits à chaque coin de la halle. Ces fourneaux ne laissent pas de consumer beaucoup de charbon : au lieu que dans les fours en bois, c'est le four qui chauffe les arches, d'où il s'ensuit quelqu'épargne. Aussi-tôt que les verriers ont fini leur journée, on pousse le margeoir devant la lunette de chaque arche, ce qui empêche le passage du feu ; au bout de huit à neuf heures, on défourne la marchandise, alors on rebouche l'arche, & l'on retire le margeoir. Le feu passe par les lunettes, & les arches sont échauffées.

Défourner. Lorsque les marchandises sont recuites, & assez froides pour être exposées à l'air, on les retire, & on les met dans la brouette pour être portées au magasin.

Les fours à bouteilles en bois n'ont ordinairement que quatre pots ; on en verra toutes les dimensions par les profils.

Atre. Ce sont deux ou un morceau de grès d'environ 5 piés de longueur, 2 piés & demi de largeur, & d'environ 15 pouces d'épaisseur, placés au fond du foyer, entre les deux sieges, creusés au milieu d'environ 2 pouces, & destinés à recevoir & à conserver les matieres vitrifiées qui tombent des pots, lorsqu'ils se cassent ou qu'ils ont été trop remplis.

Arches. Il y en a six, voyez VERRE A VITRE.

Bonichon. C'est un trou qui communique aux lunettes des arches à pot. Ils font les fonctions de ventouses ; comme l'on cuit les bouteilles dans les arches à pot, dès qu'on a quitté le travail, on marge la lunette pour empêcher le feu d'entrer, & laisser refroidir les bouteilles. Cependant comme la flamme ne peut passer par les lunettes, le four seroit étouffé, si l'on n'ouvroit le bonichon.

VERRERIES A VITRES, ou EN PLATS. On verra par les plans, que le four & les pots ont la même figure, que les fours en glaces soufflées, & que ceux de verreries en bouteilles à charbon. Avec cette différence qu'il n'y a point de cave, & qu'il y a un grand ouvroir où l'on ouvre la bosse pour en faire un plat ou une table.

Leur composition est faite de charrée, de sable, de varech ou de soude, qui vient des côtes de la Normandie. Quant aux doses, prenez trois cent livres de charrée seche & passée au tamis ; deux cent de sable, & deux cent de varech. S'il s'agit d'un nouvel établissement & que les qualités des matieres soient inconnues ; dans ce cas, on aura recours aux essais, & ils se feront ainsi que nous l'avons indiqué dans la verrerie en bouteilles.

On met les matieres recuire dans l'arche à cendres, ainsi qu'on a dit pour les bouteilles ; c'est aussi la même manoeuvre pour la fonte. Mais comme il entre dans la composition du verre à vître plus de varech, que dans le verre à bouteille, afin de le rendre plus doux & plus facile à travailler ; quand elle commencera à se raffiner, & qu'il s'élevera à la surface du verre liquide, dans le pot, un sel qui y surnagera comme de l'eau ; on l'enlévera avec la poche. La grande partie de varech ne se fixe pas ; le sel en étant très-volatil ; tellement que si on négligeoit d'ôter ce sel, il s'en iroit presque tout en fumée, ainsi qu'on le voit dans les verreries à vître, par la grande fumée blanche qui sort des ouvroirs, lorsque le verre est bien fondu & commence à s'affiner.

Lorsque les matieres sont cuites dans les arches ; (on suppose que la halle, le four, les arches & le reste est comme nous avons dit de la verrerie en bouteilles) on met dans les pots, on tise & on raffine. On allume des fourneaux à recuire les plats. Il y a au fond de ces fourneaux une ou deux plaques de fer de fonte, concaves & placées au bout contre le derriere du fourneau, & l'autre vers la bouche. Les fourneaux étant chauds, ainsi que le four, & le verre affiné ; le maître tiseur a soin d'écrémer le verre, on appelle alors les gentilshommes. Les cannes ou selles sont toutes dressées.

On commence par chauffer une felle, le cueilleur la prend, & il en plonge le bout dans le verre environ de trois pouces & demi, en tournant dans le verre la felle. Il la retire doucement pour faire couper ou partir le fil de verre, ainsi que nous le dirons dans les glaces. Il porte ensuite la felle au baquet à rafraîchir ; il la pose & se soulage pendant que le verre se refroidit. Il repete ensuite la même chose en couvrant le premier cueillage ; en cinq reprises, plus ou moins, selon que le verre est dur ou mol, il acheve le cueillage entier, qui doit avoir la forme d'un oeuf.

Si le cueilleur n'est qu'un apprentif, il ne cueille que quatre coups, & le gentilhomme bossier prend la felle & cueille le cinquieme coup ou la derniere fois. Il porte la felle au baquet, la laisse rafraîchir & refroidir un peu le cueillage, puis il va au marbre ou à la table de fonte, & en tournant le cueillage sur ce marbre, il lui fait la pointe. Il baisse la main pour cet effet, passe le verre sur le marbre, le roule, le releve & se tenant debout, met l'embouchure de la felle dans sa bouche, souffle, fait gonfler la masse de verre, tourne la felle, la fait aller & venir d'un bout du marbre à l'autre, lui donne la forme qu'on voit dans nos Planches ; puis il la porte à l'ouvroir pour la réchauffer. Il pose la felle sur une barre qui est tout contre l'ouvroir & en travers. A mesure que la matiere se réchauffe, il tourne la main plus vîte. Quand elle est assez chaude, il la retire, retourne au marbre, donne un petit coup sur la pointe, l'émousse un peu, roule un ou deux tours sur le marbre, met la felle sur le tranchant du marbre, & posant la pointe sur la barre ronde, il tourne & souffle en même tems pour faire la boudine, voyez nos Pl. le verre se gonfle, il continue de souffler ; & quand le verre ne peut plus se gonfler, parce qu'il est froid, alors on le porte au grand ouvroir, on pose la felle dans le crochet & l'on tourne comme ci-devant. On le retire ensuite, on le porte à la barre, comme on voit dans nos Pl. On souffle en poussant la pointe, le bouton ou la boudine contre la barre, toujours tournant la felle & continuant de souffler, jusqu'à ce que le verre ait la grosseur convenable, on revient alors au grand ouvroir, & poussant la bouteille loin dans le four, en la tournant toujours dans le même sens ; à mesure qu'elle se chauffe, l'un de ses diametres s'allonge aux dépens de l'autre ; elle s'applatit. On la retire alors, on la leve en l'air, on la porte & on la pose sur la barre, voyez nos fig. On souffle un peu dans le cas que la partie où est la boudine soit enfoncée ; on la présente au gentilhomme qui l'ouvre, voyez nos Pl. & la pose ensuite sur la barre à trancher, & avec le fer, il fait couler quelques gouttes d'eau sur le col : il frappe ensuite quelques coups sur la felle, la bouteille s'en sépare ; il la retourne & attache à sa partie postérieure le pontil qui y prend, parce qu'il est chargé de verre. Le pontil tient à la boudine, on la reporte en cet état à l'ouvroir, où on laisse rechauffer le col pendant quelque tems, parce qu'il est froid & plus épais que le reste. A mesure qu'il se réchauffe, on l'avance de plus en plus dans le four ; on l'en tire ensuite & l'on donne avec l'embouchure un coup contre une plaque ou planche pour la rendre unie, on la présente ensuite au fouet, voyez nos Planches, qui met dans l'embouchure applatie la planche aiguisée ; l'ouvrier tourne la piece, la presse en même tems contre la planche qui la fait ouvrir environ d'un pié. Il remet ensuite le tout dans le grand ouvroir, & à mesure que la piece se réchauffe, il tourne plus rapidement ; les bords s'étendent peu à peu. Quand l'ouvrage est assez chaud, l'ouvrier le retire subitement de l'ouvroir, leve un peu les mains en l'air ; de sorte que le pontil fasse à-peu-près avec l'horison un angle de trois ou quatre degrés, puis il tourne de toute sa force ; à mesure que la piece s'ouvre, l'ouvrier baisse les mains, s'approche de l'ouvroir ; la piece par ce moyen s'étend & devient presque unie. Il la retire alors de l'ouvroir, la laisse un peu refroidir, il la porte & la pose ensuite sur la pelote, voyez nos Planches & nos fig. La fourchette est placée de maniere que la pelote passe à-travers. Il tient le pontil ferme de la main gauche, il a soin de soutenir le poids du pontil ; car s'il le laissoit porter sur le plat, il en seroit cassé. De la main droite, il donne un coup contre le bout du pontil qui est en l'air ; le pontil se sépare, il le pose contre le mur ou le donne au tisseur ; & avec un brassart à la main, il prend la fourchette par le manche, la leve, la tenant elle & le plat, paralleles à l'horison, puis il met le plat dans la bouche de l'arche. Voyez nos Pl. & nos fig. puis le pousse & le place de maniere que le bord de devant touche ou les plats déja dressés, s'il y en a, ou le mur s'il n'y en a point. Alors un fouet prend une petite fourche, accroche le bout au bord de l'aire le plus éloigné, celui qui est vers la bouche de l'arche pour la tenir ferme. L'ouvrier alors retire la fourchette, de maniere que ses bouts soient environ à 3 ou 4 pouces en-deçà de la boudine ; puis le fouet place les bouts de sa fourchette contre le bord de la piece qui est déja dressée, & qui se soutient, pendant que l'ouvrier dresse l'autre piece. Sans ces précautions, la piece dressée tomberoit & entraîneroit les autres ; car il est évident qu'en levant le plat pour le dresser, son bord inférieur appuiera contre le bord inférieur de la piece déja dressée, & fera pancher son bord supérieur. Mais en plaçant la fourchette comme nous avons dit, cet effet n'aura plus lieu ; l'ouvrier levera la piece sans danger, & la placera contre les autres. Il la soutient dans cet état, tandis que le fouet retire sa fourchette, ensuite il retire la sienne. Voyez nos Pl. & nos fig. Quand le fourneau est plein, on le bouche, on le laisse refroidir 2 ou 3 jours. Quand les plats sont froids, on entre dans le fourneau, & l'on prend le plat par les bords ; on le retire, on l'amene jusqu'à la bouche du fourneau, d'où on le place au lieu où il doit refroidir, puis on le porte au magasin pour être vendu.

Art de la glacerie. De tous les arts auxquels la verrerie a donné naissance, celui qui certainement doit tenir un des premiers rangs, est celui de faire des glaces. C'est de lui qu'on tire un des ornemens le plus noble des appartemens, & la matiere la plus propre à faire des miroirs, tant par l'uniformité de la réflexion, que par la facilité à produire cette réflexion, au moyen de l'étamage.

La glace est une surface de verre bien plane & bien transparente, qui doit laisser passer l'image des objets, sans rien changer ni à leur couleur, ni à leur figure.

Les glaces se fabriquent de deux manieres, par le soufflage, ou par le coulage ; il ne sera question ici que du coulage, comme de la maniere la plus avantageuse & la plus en usage.

L'art de la glacerie est susceptible de deux manieres de l'envisager ; ou comme physiciens, dans la vue de connoître les phénomenes qui s'y rencontrent à chaque pas ; ou comme négociant & marchand de glaces. Il me paroît même que dans un art marchand tel que celui-ci, il est bon de réunir les deux points de vue, parce que l'artiste doit diriger les opérations du fabriquant pour faire beau, & le fabriquant obligé de vendre, doit régler l'artiste dans ses recherches pour lui inspirer l'économie, seul moyen de faire un grand débit.

Voici l'ordre que je suivrai quant à la matiere.

1°. La position des lieux & l'emplacement propre à établir une fabrique de glaces.

2°. Les matieres en tout genre nécessaires à la belle fabrication.

3°. La connoissance des terres, & la maniere de les travailler.

4°. La construction des fours de fusion & la fabrication des pots.

5°. La recuisson & l'atrempage des fours & des creusets.

6°. La préparation des matieres vitrifiables, & leur choix.

7°. La maniere d'extraire les sels de soude.

8°. Les compositions.

9°. L'opération de fritter, & la construction des fours à frite.

10°. La préparation du bois propre au tisage, & la maniere de tisser.

11°. Les opérations de la glacerie, & la description de divers outils.

12°. Les carquaises, & la recuisson des glaces.

13°. Les apprêts.

14°. L'étamage.

La position des lieux & l'emplacement propre à établir une glacerie. Une des principales attentions que doive avoir l'édificateur d'une glacerie, attention d'où naît un des plus grands biens de l'affaire, c'est le choix de la position & de l'emplacement de la fabrique.

Trois choses dirigent naturellement un pareil choix ; la facilité de se procurer les matieres propres, tant à la fabrication qu'aux apprêts, le prix de la main-d'oeuvre, & l'aisance des importations & exportations.

Un pays pauvre, mais peuplé, couvert de forêts, abondant en carrieres de sable blanc & pur, de pierres à chaux, d'argille bien homogene, de terre propre à faire des briques & des pierres, tant à bâtir que de sciage, avoisinant quelque riviere navigable, ou quelque canal de communication ; un tel pays, dis-je, paroîtroit fait exprès, & destiné par la nature à l'établissement d'une glacerie.

Dans une pareille position, on seroit sûrement dans le cas de ne pas manquer de matériaux : la main-d'oeuvre ne pourroit y être qu'à très-bas prix, & les frais ni de l'importation des matieres éloignées, comme soude, manganese, &c. ni de l'exportation de marchandises fabriquées n'y seroient considérables, rien n'étant à si bon marché que les voitures d'eau.

Au reste, il est difficile qu'une contrée réunisse tous les avantages possibles ; mais il faut les connoître tous, & choisir celle où on rencontre le plus grand nombre.

La contrée où l'on pourroit former une fabrique de glaces étant une fois choisie, la premiere recherche à faire seroit l'emplacement de l'établissement, & sa disposition. Il faut pour cet objet un terrein plein, uni & assez étendu pour qu'on ne soit pas borné, quant aux limites. Il est nécessaire aussi qu'il passe dans l'enceinte de la manufacture un courant d'eau assez considérable pour faire aller un moulin propre à écraser les matieres qui ont besoin de l'être, comme ciment, soude, &c. la même eau serviroit à laver le sable, & il ne seroit pas mal qu'elle fût disposée de maniere qu'on pût en amener une partie dans la halle ou attelier de fabrication, tant pour donner la facilité de rafraîchir les outils, que pour abreuver les ouvriers, qui pendant des travaux si chauds & si pénibles, n'ont point de plus grand soulagement.

A l'égard de la disposition particuliere des atteliers, c'est à l'artiste qui connoît l'espace nécessaire à toutes les opérations, & qui sait combien la facilité y est essentielle ; c'est, dis-je, à lui à s'arranger en conséquence. Je me contenterai de dire ici en général, qu'on doit avoir attention, autant qu'il est possible, de se mettre au large pour toutes les parties de la fabrication : point de plus grand mal que la gêne dans une pareille affaire.

Les matieres en tout genre nécessaires à la fabrication. Tant de matériaux sont nécessaires à l'établissement & à l'entretien d'une glacerie, & il en faut de tant de sortes, qu'il n'est pas aisé de les détailler ; il est d'ailleurs à craindre qu'on ne manque d'exactitude & de clarté dans un pareil examen, à moins qu'on ne se fasse une maniere nette & simple d'envisager les choses.

Il y a trois objets qui demandent chacun leurs matériaux, & qui me paroissent les rassembler tous ; les constructions, la fabrication & les apprêts ; je ne parle point ici de l'étamage, j'en traiterai à part à la suite des apprêts.

Dans ma premiere division, je fais entrer les pierres à bâtir, les bois de charpente, les bois de charronnage, les planches, les tuiles à couvrir ou ardoises, ou arciens, relativement au pays que l'on habite ; les briques & les outils propres à employer les matériaux que je viens d'énoncer. On ne trouvera que très-peu de chose sur cet objet dans la suite de ce discours, & seulement autant qu'il en sera besoin pour éclairer les autres parties ; 1°. parce que celle-ci n'intéresse que par le besoin où l'on est de se loger ; 2°. parce que le terrein nécessaire étant une fois déterminé & pris, la bâtisse ne regarde pas plus le glacier que le maître maçon ; 3°. parce que nombre de personnes connoissent ces sortes de matieres.

Dans ma seconde division, je renferme tout ce qui est nécessaire à l'attelier de fabrication, que nous appellerons désormais halle. On y comprend la terre ou argille propre à construire les fours de fusion, & les vases servant à contenir le verre ; les matieres qui entrent dans la composition du verre, comme sables, soudes, ou en général fondans, chaux, manganese, azur ; les fers & cuivres nécessaires à la construction & à l'entretien des outils de la halle ; les matieres combustibles, charbon ou bois.

Ma troisieme division renferme ce qui est essentiel aux apprêts, comme pierres de sciage, plâtre, sable gros & fin, émeril, potée, lisiere, bois propre à faire des outils. Il n'est pas besoin de rien dire de plus ici de diverses matieres contenues dans les deux dernieres divisions ; la suite du discours donnera des éclaircissemens détaillés sur chacune d'elles en particulier, tant pour la maniere de les connoître, que pour celle de les employer.

Des terres & de la maniere de les travailler. On n'a pû penser à faire du verre, sans s'être procuré auparavant une matiere assez réfractaire, pour résister sans se calciner & sans se fondre à l'action du feu violent nécessaire à la fusion du verre & à son affinage, dans la vue d'en construire le lieu du feu, & les vases servant à contenir le verre.

La matiere la plus réfractaire qu'on connoisse jusqu'à présent, est sans contredit l'argille ; elle ne fond que très-difficilement après un tems très-long, (a) & n'est nullement sujette à la calcination. L'argille est assez connue, & on en fait usage dans un assez grand nombre d'arts, pour qu'il fût inutile d'en citer les propriétés ; cependant pour plus grande exactitude, nous dirons un mot des marques distinctives qui la caractérisent.

L'argille est une terre savonneuse au toucher, fort compacte, & composée de parties très-fines : on ne les voit jamais sous la forme de grains, comme le sable qui compose une terre de grès, mais en poussiere ; elle ne fait effervescence avec aucun acide. Une des propriétés qui caractérise le mieux l'argille, c'est qu'elle pétille & se désunit au feu à-peu-près comme le sel marin qu'on y jette. Cette propriété fait naître deux questions, l'une sur la cause de ce pétillement, l'autre sur les précautions à prendre pour l'éviter, puisqu'il suffiroit pour empêcher de faire usage de l'argille.

L'argille, ainsi que tous les autres corps, renferme des parties, selon quelques-uns aqueuses, selon d'autres, d'air. Lorsqu'elle se trouve exposée à l'action du feu, ces particules tendent à se raréfier, mais elles ne peuvent le faire à cause de la compacité de l'argille, sans écarter les parties de l'argille ; & comme ces parties ne sauroient s'écarter aussi vîte que la dilatation des particules, soit d'eau, soit d'air, l'exigeroit, elles se séparent avec bruit & crépitation.

Le pétillement venant de la compacité de l'argille, le moyen d'empêcher ce pétillement seroit de diminuer cette même compacité, ou ce qui est la même chose, d'augmenter les pores de l'argille au moyen de quelque intermede ; par exemple, en pêtrissant l'argille avec du sable, on réussiroit très-bien à rendre l'argille plus poreuse, & à empêcher le pétillement, & on en feroit un corps très-solide & très-dur : mais une autre difficulté se rencontre ici ; si on employoit le mêlange de sable & d'argille à la construction d'un four ou des vaisseaux propres à renfermer du verre, le contact du verre en fusion disposeroit les parties de sable avec lesquelles il a de l'affinité à se joindre à lui, conséquemment à se vitrifier, & la déperdition des vases s'ensuivroit bientôt après.

L'argille déjà brûlée, ou ciment, n'a pas le même inconvénient, & elle a plus d'analogie avec la nature de l'argille même, puisque lorsque le mêlange a été quelque tems exposé au feu, il est de la même nature dans toutes ses parties. L'argille n'est plus différente du ciment étant devenue ciment elle-même, & le composé est bien plus homogene que ne l'auroit été le mêlange de la terre & du sable, qui, ne changeant jamais au feu, ne peut être analogue à la terre avant l'action du feu, ni le devenir par cette même action.

Le mêlange de l'intermede à l'argille est si nécessaire, que si l'on faisoit une brique ou un vase un peu épais d'argille pêtrie pure, jamais sa compacité ne permettroit à l'humidité qu'elle renfermeroit, de se dissiper assez librement pour ne pas occasionner des fentes, qu'on appelle communément gersures.

Dans un établissement déjà formé, les démolitions de fours & les vieux pots procurent du ciment pour fournir à la fabrication & composition des terres ; mais dans un établissement nouveau où on n'a pas les mêmes ressources, on est obligé de brûler de la terre exprès pour faire du ciment.

Il y a diverses manieres d'en faire : on peut brûler la terre en l'exposant au feu en morceaux tels qu'on les apporte de la carriere ; mais j'aimerois mieux la mouler & la façonner en briques minces après l'avoir pêtrie ; la laisser sécher & cuire dans cet état, précisément comme on cuit la brique, & voici mes raisons. Tous les morceaux de terre étant de la même épaisseur, se cuisent également, au lieu que de la premiere maniere, les morceaux plus épais se cuiroient plus difficilement que les minces. On pourroit à la vérité obvier à cet inconvénient, en cassant les morceaux & les réduisant tous à-peu-près à la même grosseur ; mais outre la grande quantité de poussiere qu'on dissiperoit, & qui seroit une vraie perte, si, par la propriété de l'argille, quelques morceaux un peu plus petits que les autres venoient à éclater, ils se réduiroient en parties assez insensibles, pour être difficilement recueillies.

Quant à la proportion qu'il faut mettre entre la terre & le ciment, on ne sauroit donner de regle exacte ; elle dépend de la qualité de la terre que l'on a à employer ; celle qui est plus compacte, qui a plus de tenacité, & qu'on dit vulgairement être plus grasse, demande plus de ciment ; celle qui est moins tenace ou plus maigre, en exige moins. Il faut éviter avec autant de soin de mettre trop de ciment, que d'en mettre trop peu ; le trop de ciment rend la terre maigre à l'excès, & fait perdre beaucoup de leur solidité aux ouvrages qui en sont construits, les parties manquant de ce gluten qui les unit & dont l'argille abonde.

Les artistes sont fort partagés dans leurs opinions sur l'espece de ciment qu'on doit mêlanger à l'argille ; les uns veulent du gros ciment, dans la vue d'occasionner une plus promte sécheresse en laissant des pores plus ouverts ; d'autres sentant qu'il y a une grande difficulté à mêlanger également du ciment de cette sorte, & à le répandre uniformement dans la terre, ont crû obvier à cet inconvénient sans abandonner l'avantage des grands pores, en employant du ciment de moyenne finesse ; d'autres enfin employent du ciment le plus fin qu'il leur est possible. Ce dernier parti me paroît le plus avantageux ; en effet, plus le ciment sera divisé en grand nombre de parties, plus il sera aisé qu'il s'en trouve dans toutes les parties de l'argille ; le mêlange en sera plus égal, la sécheresse plus uniforme, les gersures moins fréquentes & moins à craindre.

On trouve des argilles de bien des couleurs : les plus pures & celles dont on fait le plus communément usage, sont la blanche & la grise ; la rouge renferme une base martiale qui lui ôte presque en total sa qualité de réfractaire. La premiere opération qu'on fasse subir à l'argille, c'est de la priver des parties hétérogenes qu'elle peut contenir : celle qu'on y observe le plus communément sont les parties ferrugineuses qui se manifestent par leur couleur rouge ou jaune, semblable à celle de la rouille des terres

(a) La grande diminution d'épaisseur des pots lorsqu'ils ont été long-tems dans un four ; le vernis qui couvre leur surface extérieure, ainsi que l'intérieur du four, les gouttes de verre coloré qui découlent d'un vieux four, & qu'on appelle communément larmes, tout cela prouve que l'argille cede à l'action du feu & fond en partie.

d'autre nature que l'argille, comme une sorte de sablon : les yeux seuls suffisent pour se convaincre de l'existence de ces deux corps étrangers. Presque toutes les argilles renferment un acide qui se manifeste très-bien au goût : qu'on détrempe de l'argille dans l'eau, & qu'après avoir laissé clarifier l'eau, on la goûte, on lui trouvera un goût acide & désagréable, qui pourroit même être nuisible jusqu'à un certain point aux animaux qui feroient usage de cette eau.

On pourroit, par des distillations, obtenir l'acide contenu dans l'argille, & par-là déterminer sa nature ; mais une pareille recherche seroit inutile à mon sujet, il me suffit de savoir qu'il existe un acide quelconque dans l'argille, pour ne pas ignorer que cet acide peut nuire, & pour chercher à le bannir. Il y a aussi des argilles qui renferment des pyrites, & même en grand nombre.

L'épluchage prive assez bien la terre des parties colorées qui la tachent, & des terres étrangeres. Pour parvenir à cet épluchage, on casse le bloc de terre avec des marteaux armés d'un tranchant, & on les réduit en petits morceaux de la grosseur à-peu-près d'une noix ; lorsqu'on apperçoit des taches ou des terres de différente nature, on les ôte avec le tranchant du marteau, ou avec la pointe d'un couteau. Il est à remarquer que pour procéder à l'épluchage, il est nécessaire que la terre soit seche, parce qu'alors la différence entre la terre pure & les parties étrangeres est plus sensible que lorsque l'argille est humide.

Lorsqu'on se contente de l'épluchage, & que l'on ne cherche pas à bannir l'acide ; on met la terre à tremper ou à fondre dès qu'elle est épluchée dans des caisses larges & peu profondes, c'est-à-dire qu'on la couvre d'eau. On la laisse dans cet état le tems nécessaire pour qu'elle soit assez imbibée & également dans toutes ses parties. Après que la terre est suffisamment trempée, on épuise l'eau qui restoit encore dans la caisse, on y ajoute le ciment ; après quoi des hommes entrent dans la caisse, & pêtrissent la terre avec les piés (ce qu'on appelle la marcher ou la corroyer), jusqu'à ce qu'elle soit bien mêlée avec le ciment, & qu'il n'y ait aucune partie qui ne se sente du mêlange. Lorsque la terre a été bien pêtrie ou corroyée, elle a reçu toutes ses façons, & il ne manque plus que de l'employer.

On appelle marron dans la fabrication des terres, un morceau d'argille plus dur que le reste de la terre, & qui n'a pas de liaison avec elle. Le marron peut venir de deux causes, soit de l'état où étoit l'argille, lorsqu'on l'a mise à tremper, soit de la maniere dont on l'a marchée.

Lorsque la premiere cause a lieu, faisons une remarque assez singuliere, & qu'il est aisé de vérifier par l'expérience. Un morceau d'argille humide a beau tremper, il ne se fond jamais également ; il reste toujours des parties qui n'ont pas été dissoutes : ces parties sont plus dures que le reste de la terre, & voilà le marron. Il est aisé d'éviter cet inconvénient en ne mettant l'argille à fondre que lorsqu'elle est bien seche.

Lorsqu'un morceau d'argille n'a pas été écrasé par les piés des ouvriers, & conséquemment n'a pas reçu le même mêlange de ciment que les autres parties de terre ; il reste plus dur, ses parties étant moins maigres, plus cohérentes, & voilà le marron.

Disons un mot de la maniere de marcher la terre, & l'on entendra par-là aisément les moyens d'éviter les marrons. Les ouvriers disposent la terre dans la caisse de maniere qu'il y ait une petite partie de la caisse vuide dans un bout ; ensuite ils portent leur talon chacun dans le milieu de la caisse ; & prenant une portion de terre, ils l'écrasent sous leur talon, & en forment un bourrelet dans le vuide de la caisse ; ramenant leur talon à eux, en faisant la même manoeuvre, le bourrelet occupe toute la largeur de la caisse. Ils continuent à écraser la terre & à en former des bourrelets, jusqu'à ce qu'ils soient à l'extrêmité de la caisse ; alors s'ils ont été de droite à gauche, ils s'en retournent de gauche à droite, écrasant les bourrelets qu'ils ont faits, & en en faisant de nouveaux, & ainsi de suite jusqu'à parfait mêlange du ciment. J'ai raisonné comme s'il n'y avoit que deux ouvriers ; s'il y en avoit davantage, ils n'en agiroient pas moins sur les mêmes principes.

On conçoit très-bien qu'il n'y aura point de marrons, si toutes les parties de terre passent sous le talon des ouvriers ; & pour cet effet, 1°. qu'il n'y ait jamais dans la caisse une quantité d'argille telle que les hommes ne puissent toucher le fond de la caisse ; 2°. que la terre ne soit mouillée qu'autant qu'il le faut, pour que les ouvriers puissent l'écraser ; lorsqu'elle l'est davantage, elle devient glissante, & s'échappe de dessous les piés sans être écrasée ; 3°. que les ouvriers fassent leurs bourrelets petits, en prenant peu de terre à la fois.

Tout ce que nous avons dit jusqu'ici ne touche point à la maniere de chasser l'acide ; sa qualité de sel le rendant miscible à l'eau, on l'expulsera de l'argille en faisant la lotion de cette même argille. Voici la maniere dont certaines personnes s'y sont prises. Ils ont réduit en coulis (b) l'argille sur laquelle ils avoient à opérer, & ensuite l'ont laissé déposer, ont décanté l'eau claire, & en ont remis de nouvelle, avec laquelle ils ont fait un nouveau coulis, & ont répété cette opération jusqu'à cinq ou six fois. Après ce travail la terre ne peut qu'être exempte de tout acide. Mais combien toutes ces opérations ne rendent-elles pas la fabrication des terres chere & longue ? L'argille détrempée à ce point n'est pas de longtems en état d'être composée & marchée ; je suis persuadé que six semaines ou deux mois suffiroient à peine pour mettre une battée (c) nécessaire & requise ; conséquemment pour préparer les terres absolument nécessaires, il faudroit des bâtimens inouis, une main-d'oeuvre prodigieuse & des frais immenses.

Il me semble qu'il suffiroit de faire passer l'argille par deux ou trois eaux, sans en faire de coulis ; il faut au contraire, par les raisons énoncées ci-dessus, l'éviter autant qu'il est possible ; on y parviendra, en versant l'eau doucement, la faisant même passer au-travers d'un tamis pour qu'elle ne tombe pas toute au même point ; par ce moyen on ne causera aucune agitation dans la terre, & on ne lui donnera pas la moindre disposition à faire du coulis ; car on sait par expérience qu'on ne peut faire du coulis qu'en remuant & agitant la terre après qu'elle est fondue. La moindre quantité de terre dans la plus grande d'eau, tant qu'elle ne seroit pas agitée, ne feroit rien de plus que se fondre, & n'en deviendroit guere plus molle. On ne répandra donc sur la terre que l'eau qu'il faudra pour la couvrir en entier. Lorsque l'eau y aura passé un certain tems, on la décantera, & on y en mettra d'autre qu'on décantera encore ; & lorsqu'on aura fait deux ou trois fois cette opération, la terre sera encore dans un état propre à recevoir le ciment & à être marchée.

Lorsque l'on a à travailler de la terre remplie de pirytes, on les sépare très-bien, en réduisant la terre en coulis. Les pirytes se déposent au fond, & on décante le coulis dans d'autres vases où on le laisse déposer. Quoique cette opération entraîne, comme

(b) Coulis n'est autre chose que (si l'on peut s'exprimer ainsi) une teinture d'argille, un lait d'argille, en un mot, une petite quantité d'argille fondue dans une grande quantité d'eau.

(c) On appelle battée la quantité d'argille, qu'on peut marcher dans la même caisse.

nous l'avons dit, à de grands frais, dans le cas où elle seroit absolument indispensable, on la rendroit beaucoup moins couteuse, en la faisant en très-grand, c'est-à-dire, réduisant à la fois & dans le même vaisseau, grande quantité de terre en coulis, & se mettant toujours en avance de terre prête à marcher, de coulis à même de sécher, de coulis fait, & de terre prête à réduire en coulis.

La construction des fours de fusion & la fabrication des pots. Rien n'a été plus arbitraire jusqu'aujourd'hui que la maniere de faire des fours, & la forme qui leur est convenable. Chacun s'en rapporte sur cela aux idées vraies ou fausses qu'il s'est faites. Plusieurs croyent que la forme est assez indifférente quant à la chaleur ; & leur raison est que le four étant un milieu de feu, il est peu important de quelle forme soit ce milieu, pourvû qu'il soit milieu de feu, & puisque d'ailleurs il paroît naturel de penser que l'on peut porté tout espace soit quarré, soit rond, soit oblong, &c. à un même degré de chaleur. Cet avis ne seroit pas le mien ; je serois plus porté à croire qu'en réunissant tous les objets, c'est-à-dire la forme du four & la disposition des courans d'air, on feroit de meilleur ouvrage, & on devroit s'attendre à un plus heureux succès.

J'ai, en traitant des fours, deux choses à détailler : 1°. la maniere de les construire quant à la main-d'oeuvre & à l'emploi des matériaux ; 2°. la forme qu'on a coutume de leur donner.

Il y a nombre de moyens pratiquables pour parvenir à la construction d'un four ; faire des briques ordinaires avec la terre préparée, comme nous l'avons dit ci-dessus, les laisser sécher, & les faire cuire, après quoi on bâtit le four : ce seroit, on le sent, très-possible ; mais 1°. il seroit à craindre que la liaison qu'on mettroit entre les briques, ne supportât pas l'action du feu, comme les briques elles-mêmes, & que ces mortiers, en prenant retraite, ne laissassent les joints trop considérables ; alors lorsque la surface des briques viendroit à se vitrifier, chaque coin seroit une source de larmes, & il en pleuvroit dans le fourneau ; 2°. la retraite des mortiers nuiroit à la solidité de l'ouvrage, en dérangeant la liaison des briques ; 3°. les paremens des briques étant autant de surfaces droites, dérangeroient l'exactitude de la courbe, qu'on donneroit pour forme au four ; en outre, si l'on se trompoit dans la construction, il ne seroit possible de rectifier son ouvrage qu'en le recommençant. On éviteroit une grande partie de ces désagrémens, en employant l'argille molle, ayant seulement la dureté & la consistance nécessaires pour la rendre propre à être travaillée. Lorsque le four seroit parachevé, s'il y avoit des parties trop surbaissées, on en seroit quitte en coupant les portions excédentes, au lieu de démolir ; tout comme s'il y avoit des parties trop élevées, en ajoutant de la terre également molle, on pourroit remédier au deficit.

Il y a des maîtres de verrerie qui se contentent dans leurs constructions de se faire apporter la terre en tas auprès d'eux, en prenant des portions qu'ils roulent dans leurs mains, & dont ils font des especes de saucissons connus sous le nom de patons, environ de cinq à six pouces de diamêtre sur un pié de long, & donnent à leur four la forme qu'ils veulent, en mettant ces patons les uns sur les autres, ou à côté des autres, selon le besoin, & les unissant par la compression. Une attention essentielle qu'ils doivent avoir, c'est de poser leurs patons, d'abord par un bout, & de les appliquer ensuite successivement d'un bout à l'autre, en appuyant depuis le commencement de l'opération jusqu'à la fin. On met en pratique cette façon de faire, dans la vue de chasser l'air, qui ne manqueroit pas de se loger entre les patons, si on les appliquoit les uns sur les autres immédiatement & sans précaution, & qui outre qu'il gêneroit, comme intermede, l'union des parties du four, pourroit nuire par sa dilatation lorsqu'il sentiroit l'action du feu.

Voici une autre maniere de bâtir les fours bien plus commode & bien plus en usage. Moulez votre terre en tuiles (d) d'échantillons propres à chaque partie du four, & qui soient distinguées par le nom de chacune de ces parties. Lorsque ces tuiles sont à un degré de dureté, tel que l'on puisse les rabattre sans les écraser, c'est-à-dire, qu'elles sont mi-seches, on les emploie.

On commence par bien nettoyer la place où on a à les poser ; ensuite on la mouille avec du coulis, qui sert de mortier dans toute cette bâtisse : après quoi on pose la tuile, non sans l'avoir raclée avec soin dans tous ses paremens pour éviter les saletés & les corps étrangers, ainsi qu'une surface un peu trop seche qui empêcheroit la tuile de bien s'unir avec le reste de la maçonnerie. La tuile posée, on l'assure & on l'arrange en sa place par de légers coups de batte (e). Lorsque l'on a une assise de tuile déposée, on en forme une seconde par-dessus, après avoir ratissé les nouvelles tuiles, mouillé le lieu où l'on a à les placer, avec un balai trempé dans le coulis. On rebat avec un peu de force la seconde assise pour l'unir à la premiere, & ainsi de suite jusqu'à l'entiere confection du fourneau.

Lorsque le four est fini, on coupe les bavûres des tuiles, c'est-à-dire les parties de la terre que la pression de la batte auroit forcé de déborder ; si l'on retroussoit ces mêmes parties sur les parois du four, elles ne pourroient jamais s'unir assez immédiatement auxdits parois, pour ne pas se détacher, & devenir une source de pierres.

L'instrument avec lequel on recoupe les parties du four, qui en ont besoin, s'appelle gouge. C'est un outil de fer d'environ deux piés de manche, pour pouvoir le tenir à deux mains, & travailler avec force. Au bout du manche se trouve une petite plaque de fer quarrée, qui est vraiment la gouge ; elle a environ trois à quatre pouces de large sur à-peu-près autant de long, & elle est armée d'un tranchant aceré. La gouge peut être plate ou ronde. La plate sert à recouper les endroits étendus en surface, & est terminée par ses deux côtés par un rebord de trois à quatre lignes. La ronde sert à recouper dans les lieux concaves ; on enleve par son moyen de plus petites ou de plus grandes parties, comme les circonstances l'exigent, par la propriété qu'elle a de ne toucher la surface à recouper, qu'en un nombre de points tel qu'on le veut, & suivant le besoin. La figure donnera tous les éclaircissemens desirables sur la forme des gouges. Voyez les Pl. & leur explic. Pl. V. G g.

Si on est obligé d'interrompre la construction d'un four, lorsqu'on la reprend, il est prudent de racler les surfaces de l'ouvrage déja fait antérieurement, & de les humecter, pour qu'elles puissent s'unir avec les tuiles plus humides qu'elles, qu'on y appliqueroit.

Lorsqu'un four est totalement construit & recoupé, il faut être incessamment occupé à le rebattre, pour prévenir les gerçures, en resserrant les parties de l'argille à mesure qu'elles se séparent ; pour augmenter de plus en plus l'union des parties en les rapprochant,

(d) Nous parlerons de divers échantillons de tuiles, lorsque nous connoîtrons les diverses parties du four.

(e) La batte est un instrument de bois, ayant une surface convexe pour aller dans les parties concaves, ou une surface plane pour aller dans les lieux dont la superficie est plane. Quant à la longueur, elle est relative au lieu où l'on a à travailler. La batte a un manche de cinq à six pouces ; elle sert à rebattre les diverses parties du four, lorsqu'il est construit, pour empêcher les gerçures occasionnées par la sécheresse ; & dans le tems de la construction, à battre sur les tuiles pour en augmenter l'union.

& enfin pour hâter la sécheresse. On ne voit pas au premier coup d'oeil le quomodò de ce troisieme avantage ; cependant si l'on veut y réfléchir, on sentira bientôt qu'un corps ne se desseche que par la dissipation des parties humides. Ces parties, en se dissipant, quittent l'intérieur pour se porter à la surface, & le rebattage les chasse, comme la pression chasse l'eau de l'éponge qui la contient. Le rebattage est encore utile, si l'on se trouve en danger de quelque gelée légere, par le mouvement où il met les parties.

Lorsqu'un four est parfaitement sec, on le recuit & on l'attrempe ; mais ce n'est pas ici le lieu de parler de cette opération.

La grandeur du four & sa capacité sont nécessairement relatives à la mesure des pots qu'il doit contenir, & la mesure des pots l'est au pié sur lequel on veut monter la fabrication. Plus les pots sont grands, plus ils contiennent de matiere & plus on peut fabriquer ; mais aussi plus le four doit être grand. Il est à remarquer qu'il y a certaines mesures que l'on ne doit pas passer, pour la facilité de la chauffe, & pour ne pas augmenter la dépense en bois en plus grande raison que la fabrication. Il y a, par exemple, bien peu ou même point de différence dans l'emploi du bois, entre un four de sept piés & un de huit ; mais si l'on excédoit de beaucoup la mesure ordinaire, on seroit sujet à mécompte, & il seroit à craindre que la chauffe ne fût difficile ; car si l'on mettoit beaucoup de bois à la fois, il charbonneroit, fumeroit & chaufferoit mal ; si l'on en mettoit moins, il se réduiroit en flamme avec trop de précipitation, se dissiperoit trop tôt pour que le tiseur eût le tems d'en remettre de nouveau, & le four seroit en danger de jeûner.

Dans les manufactures qui donnent le plus grand produit, on s'est contenté de faire le géométral des fours, quarré, de huit piés sur chaque face. On voit en A (fig. 1. Pl. VI.) le quarré du four dans les dimensions que nous venons d'indiquer. Le quarré A est formé ordinairement d'une pierre de grès dure, placée sur une fondation solide plus ou moins profonde, suivant la qualité du terrein sur lequel on bâtit, Ce grès 1, 2, 3, 4, doit avoir environ trois piés de large & dix piés de long, pour empiéter d'un pié sous chaque tonnelle B, dont nous donnerons bientôt la description.

Les côtés du grès 1, 2, 3, 4, c'est-à-dire les espaces a b d e & f g h k sont remplis en massif de grès ordinaire travaillé en mortier d'argille pure. Il seroit sans doute meilleur de faire tout le massif du quarré A du four en argille composée de ciment ; le verre qui tombe indispensablement dans le four, corroderoit moins l'âtre ; mais le four seroit incomparablement plus long à sécher & à mettre en état de service.

On voit en B & B (même figure) le géométral d'ouvertures connues sous le nom de tonnelles. On appelle ce géométral communément âtre des tonnelles. L'âtre des tonnelles est ordinairement un peu élevé au-dessus du plan du four, par exemple de quatre pouces, pour que lorsqu'il a coulé du verre dans le four, il n'aille pas aussitôt sur l'âtre des tonnelles, où il gêneroit la chauffe ; car c'est-là que se fait le feu. Les tonnelles sont d'une largeur de trois piés, ceintrées à une pareille élévation. Quant à la longueur f i de la tonnelle, elle suffit à trente pouces. On peut voir en B (fig. 1, 2, Pl. VIII.) les élévations & les ceintres des tonnelles.

Les parois du four ont dix pouces ou un pié d'épaisseur, & s'appellent embassure, si l'on les considere en entier depuis le plan géométral du four, jusqu'au commencement de la couronne. Si on ne les considere que depuis le lieu où sont posés les pots, elles prennent le nom de mormues.

Sur le quarré A du four, s'élevent deux banquettes destinées à poser les vases nécessaires, & qu'on appelle sieges.

Les sieges sont élevés de vingt-huit pouces (comme H I, fig. 1 & 2. Planche VIII.), au-dessus du quarré du four ; la base des sieges est de 45°. de large, la surface sur laquelle posent les pots, d'environ trente pouces, & le siege est terminé par un plan incliné depuis son pié jusqu'à sa surface supérieure. On voit ce talud exprimé en Q (fig. 2. Pl. VI.), ainsi que la base du siege en a b f e, & sa surface supérieure en a b d c. La plus grande largeur du siege, tant à la base qu'au-dessus, est nécessaire pour donner plus de solidité au siege obligé de soutenir un poids considérable, & qui est dans le cas d'être rongé par le verre qui se répand à son pié. Il est, je crois, inutile de dire qu'il y a deux sieges dans le four, l'un de chaque côté, & s'étendant d'une tonnelle à l'autre.

L'espace G qui se trouve entre le pié des deux sieges (fig. 2. Pl. VI.), est dit âtre du four.

On doit donner un peu plus de largeur au siege à la place des cuvettes, parce que deux cuvettes l'une devant l'autre occupent plus d'espace que le fond d'un pot. Il faut aussi échancrer un peu le talud exprimé par Q (fig. 2. Pl. VI.), au siege à cuvette, parce que les pots passant par cet endroit, lorsqu'on les met dans le four, l'entre-deux des sieges y doit être relatif au diamêtre desdits pots.

On appelle en général ouvreau, toutes les ouvertures pratiquées au four pour la facilité du travail. Les quatre représentées en plan en C, C, C, C, (fig. 1. Pl. VI.), & en élévation en C, C, (fig. 1. Pl. VIII.), dont le géométral est à niveau des sieges, s'appellent ouvreaux à cuvettes, parce que c'est par ces ouvertures qu'on introduit dans le four les vases nommés cuvettes, & qu'on les en tire. La largeur des ouvreaux à cuvette, & leur hauteur, sont relatives à la largeur & à la hauteur des cuvettes : comme on leur donne ordinairement seize pouces dans ces deux dimensions, l'ouvreau a environ dix-huit pouces de large ; quant à la hauteur, le milieu de la voute est élevé d'environ vingt à vingt-un pouces au-dessus du siege, & les piés droits ont environ dix-huit pouces d'élévation ; la surface plane qui fait le bas des ouvreaux, se peut très-bien distinguer par le nom d'âtre des ouvreaux.

On voit en D E (fig. 1. Pl. VI.) des plaques de fonte destinées à présenter à la cuvette lorsqu'on la tire du four, un chemin ferme, sur lequel elle puisse glisser ; ces plaques prennent depuis l'ouvreau, & sont assez longues pour qu'on puisse mener les cuvettes jusques hors toute la bâtisse du four, afin d'éviter la gêne dans l'emploi des outils.

Les parois du four se montent droits, depuis le siege jusqu'à la hauteur des pots, c'est-à-dire, environ jusqu'à trente ou trente-un pouces, & les angles du four sont sensibles jusqu'à la même élévation. Quelques constructeurs ont imaginé & pratiqué d'arrondir les angles du four, depuis les ouvreaux à cuvette ; mais cette construction ne peut être que nuisible, parce que à moins d'une extrême attention à pousser la cuvette bien avant sur le siege, un de ses coins se trouveroit sous l'arrondissement du coin du four, qui ne pourroit manquer d'y répandre une pluie de larmes.

Lorsque les parois du four sont élevés à la hauteur convenable, c'est là que commence la voute, qu'on appelle communément la couronne ; à la naissance de la couronne, se trouve le bas d'ouvertures connues sous le nom d'ouvreaux d'en-haut, qui suivent dans leur élévation, la courbe de la voute : il y a six ouvreaux d'en-haut, trois au-dessus de chaque siege ; nous ne parlerons que des trois d'un seul côté, ce que nous en dirons devant s'entendre également des trois autres : leur largeur & leur hauteur commune sont d'environ dix pouces ou un pié ; ils sont voutés en plein ceintre. Voyez les ouvreaux d'en-haut en coupe horisontale, en O, P, O, (fig. 2. Pl. VI.) Dans la coupe longitudinale du four en O, P, O, (fig. 1. Pl. VIII.) & en élévation extérieure (fig. 2. Pl. VII.), le nom d'ouvreau du milieu que porte P, désigne suffisamment sa place ; il partage le côté du four en deux également ; quelques-uns appellent cet ouvreau, ouvreau à enfourner ; tirant ce nom de l'usage qu'ils lui donnent.

Les ouvreaux O O, sont nommés ouvreaux à tréjetter, servant à cette opération, comme nous le dirons par la suite : leur place doit être telle qu'on puisse travailler aisément dans le pot & dans les cuvettes : on voit (fig. 2. Pl. VI.) la maniere dont sont disposés les divers vases sur le siege ; le point du milieu de l'ouvreau O, doit être placé de maniere que si l'on tiroit une ligne de ce point à celui du milieu de l'ouvreau qui est immédiatement vis-à-vis de lui, cette ligne fût tangente à la circonférence du pot M ; par cette disposition, la moitié de l'ouvreau donneroit sur le pot, l'autre moitié au-dessus des cuvettes : or la distance Pb du milieu de l'ouvreau à enfourner, au coin du four = 48 pouces ; le diamêtre du pot, = 30 pouces ; donc Ob = 18 pouces : il faut donc placer le milieu de l'ouvreau à tréjetter, à 18 pouces du coin du four.

A-peu-près à la même hauteur que les ouvreaux d'en-haut, se trouvent quatre ouvertures R, R, R, R, dont on voit le géométral, la direction (fig. 2. Pl. VI.), & l'orifice dans l'intérieur du four (fig. 2. Pl. VIII.), ces ouvertures s'appellent lunettes, & servent à communiquer le feu du fourneau dans les quatre petits fours qui y sont joints, & qu'on nomme arches : les lunettes sont rondes, & ont de quatre à six pouces de diamêtre ; leur orifice dans le four vû leur direction oblique, se présente en une forme ovale, & a de six à huit pouces de grand diamêtre ; le point du milieu de l'orifice en dedans du four est environ à dix pouces de la ligne du milieu du four : par cette position, s'il se détachoit de la lunette quelques saletés, comme larmes, pierres, &c. elles tomberoient entre les deux sieges, c'est-à-dire dans un lieu où elles ne pourroient nuire. Quant à l'ouverture de la lunette dans l'arche, rien n'en détermine la place, si ce n'est l'attention qu'on doit faire qu'elle dirige le feu vers le milieu de l'arche, pour que tout l'espace en soit plus uniformément échauffé.

L'élévation du four, depuis le plan géométral jusqu'au point culminant de la voute = 8 piés, comme la largeur & la longueur du four.

Toute l'étendue du four, au-dessus des ouvreaux & des lunettes, est ce qu'on appelle la couronne : rien de plus indéterminé que la courbe que l'on donne à la voute ou couronne ; si l'on parvenoit à connoître celle ABFDE formée par la coupe latitudinale du four, c'est-à-dire, sa section par un plan vertical passant par le milieu des ouvreaux à enfourner (fig. 1.), & celle a b d e f g h (fig. 2.) formée par la coupe du four en long, ou d'une tonnelle à l'autre ; ces deux courbes connues détermineroient la forme de la couronne.

On pourroit faire la forme de la couronne d'un four de fusion, purement circulaire, & alors tout se réduiroit à faire passer un arc de cercle AGHCKIE, par les points A, E, & le point C qui fait l'élévation du four.

Nous avons déja dit quelque chose des larmes qui se détachent de la couronne, & la définition que nous en avons donnée suffit pour faire connoître combien elles peuvent nuire ; ces larmes tendent à se détacher de la voute dans une direction verticale : on se débarrasseroit d'une grande partie de cet inconvénient, en formant une nouvelle route aux larmes, & s'opposant à leur chûte perpendiculaire ; le cercle ne peut remplir cet objet, faisant changer trop souvent de route aux larmes (f), & ne leur présentant une inclination ni assez uniforme, ni assez rapide, pour les déterminer.

Il faut donc nécessairement tracer la courbe de maniere qu'elle fasse mieux le plan incliné. Voici la méthode de quelques constructeurs. Ils choisissent un point L sur la ligne du milieu du four (fig. 1.), élevé de dix pouces au-dessus des sieges ; au point L ils tracent la ligne M N, tel que M L = L N = dix pouces ; ensuite plaçant le compas en M, du rayon M E, ils tracent l'arc E D F, & du point N, avec le rayon A N, ils tracent l'arc A B F, qui coupe le premier en F ; & ils ont pour la courbe totale de leur couronne A B F D E ; chaque partie A B F, F D E, de la courbe, présente aux larmes qui s'y formeroient une pente plus rapide que la courbe C K I E, puisque F D E approche plus de la ligne verticale O E ; mais la réunion des deux parties de la couronne en F, rendroit la voute plus élevée qu'il ne faudroit, puisque la hauteur est déterminée en C. Pour obvier à cet inconvénient, lorsqu'on est parvenu à une certaine élévation en Q & en R, c'est-à-dire qu'il n'y a plus guere que dix-huit pouces de la couronne à fermer, on ramene les deux parties de la courbe jusqu'à ce qu'elles se joignent en C, & alors il se forme une arrête qu'on voit régner de C en S, c'est-à-dire qu'elle va d'une tonnelle à l'autre : elle a de F en C aux environs de trois pouces, diminue à mesure qu'elle approche de la tonnelle, & s'efface entierement vers S ; par ce moyen, les larmes qui se trouvent de Q en E, & de R en A, sont sollicitées à aller vers E & A, par l'inclinaison des plans Q D E & R B A, par la force attractive de ces portions de four, sans compter la viscosité des larmes elles-mêmes, qui les retient & combat leur chûte. De R en C, & de Q en C, les larmes sont conduites par l'inclinaison de la voute, jusqu'à l'arrête qui leur sert pour ainsi dire de gouttiere, & les détermine à tomber entre les deux sieges.

Une difficulté de cette méthode, c'est l'opération de trouver avec exactitude les points M, N, au moyen de la disposition de la ligne M N. On pourroit obvier à cette difficulté, en prenant des centres remarquables, & qui existassent dans quelque partie du four : par exemple, les bords T, X, des sieges, me paroîtroient assez propres à servir de centres. Des points T, X, avec les rayons T A & X E ; tracez les arcs A Y Z, & E & Z, qui se coupent en Z qu'est-ce qui empêcheroit de prendre cette nouvelle courbe A Y Z & E, pour génératrice d'une couronne du four ? elle s'éleveroit moins au-dessus de la vraie hauteur de four, & conséquemment on seroit moins obligé à en décliner pour former l'arrête en C ; la nouvelle courbe donneroit à la vérité aux larmes une pente moins rapide, mais le plan incliné seroit plus uniforme, C X & E approchant plus de la ligne droite E C, que C Q D I E ; un avantage de plus dans la nouvelle construction, c'est que la capacité du four en est diminuée : on a de moins les figures X D E & x, & y B A Y y.

Quant à la courbe formée par la coupe longitudinale, & qu'on voit (fig. 2.), elle n'est pas différente de celle de la figure premiere que nous venons de décrire ; le four ayant toutes ses dimensions égales : seulement en adoptant la derniere courbe dont nous avons parlé, comme les bords des sieges que nous avons pris pour centres, ne se trouvent pas dans cette coupe-ci, où l'on voit un des sieges 1, 2, dans sa longueur : je chercherai pour centre, des points x, t, semblablement posés, c'est-à-dire autant distans

(f) On se représente le cercle comme un poligone d'une infinité de côtés.

du point k, qui fait le milieu du four à cette hauteur, que les points X, T, de la fig. 1. l'étoient du milieu du four. Il sera néanmoins nécessaire, comme il n'y a point d'arrête à former dans cette coupe, de trouver un autre moyen de réduire la voute à la juste hauteur, en l, au lieu du point i, où la réunion des deux parties de la courbe la porteroit : pour cet effet du point k milieu du four comme centre, & de l'ouverture l k, tracez l'arc d l f qui coupe en d & f, les arcs h g i & a b i, & votre couronne réduite à la hauteur donnée, prendra la forme a b d f g h.

Connoissant à présent les diverses parties d'un four, c'est le moment de dire un mot des diverses tuiles qu'on emploie à leur construction. L'embassure se construit ordinairement avec des tuiles quarrées, de dix pouces ou un pié sur chaque face, & environ deux pouces d'épais : on voit le géométral en E, & le perspectif en e du moule de ces tuiles (Pl. IV.) Le pié droit des tonnelles se monte avec des tuiles de vingt pouces sur dix, & deux pouces d'épais ; les tuiles qui servent à former la voute de la tonnelle, ont environ six lignes d'épaisseur de plus à un côté qu'à l'autre, & celles qui font le ceintre des tonnelles ont environ trois pouces d'épais d'un côté, sur un ou un & demi de l'autre : les tuiles de couronne ont dix pouces, ou un pié de long, sur environ six pouces de large en un bout, & environ cinq en l'autre, & environ deux pouces d'épaisseur en un bout, & un & demi en l'autre. Les sieges se font avec des tuiles qu'on pose de champ les unes à côté des autres ; le côté qui pose sur l'âtre a quarante-cinq pouces ; le côté qui joint l'embassure, & qui fait la hauteur de la tuile sur son champ, est de vingt-huit pouces, hauteur du siege, & le côté qui se trouve au haut de la tuile, & qui fait partie de la largeur du siege en sa face supérieure, est de trente pouces, l'épaisseur est de deux pouces : on voit aisément que les dimensions de la tuile de siege, sont relatives à celles qu'on veut donner aux sieges. Voyez Pl. IV. les moules de ces diverses tuiles.

Au reste il est certain qu'avec le même échantillon de tuiles on pourroit construire un four en entier : on n'auroit qu'à les recouper relativement aux lieux où l'on voudroit les placer.

Le siege est la seule partie du four, qu'il y auroit un grand danger à construire avec un autre échantillon que le sien. Il arrive quelquefois que les pots qu'on est dans le cas d'ôter du four, tiennent fortement au siege, par la vitrification du cul du pot, & de la surface du siege : or si le siege étoit composé de tuiles d'embassure, entassées les unes sur les autres, & non de grandes tuiles sur leur champ, il seroit à craindre qu'en faisant effort pour détacher le pot, on n'emportât des morceaux du siege.

Lorsque le four est fini de construire & qu'il est bien sec, on le revêtit d'une nouvelle maçonnerie en briques, soit ordinaires soit blanches (g), tant pour faciliter le service, que pour augmenter la solidité du four & le préserver des injures du dehors.

La maçonnerie l m n o (Pl. VI. fig. 1.) en briques ordinaires, qui revêtit le mormue entre les deux ouvreaux à cuvette, a environ vingt pouces d'épaisseur, elle forme un relais l q, a p, d'environ un pouce ou un pouce & demi, comme l'arche en forme un r s, t x, pour donner la facilité de poser la tuile dont nous verrons qu'on bouche l'ouvreau à cuvette. Les côtés m l, n o, ne font pas une embrasure droite, en tombant perpendiculairement sur q p, comme feroit la ligne z l ; une telle position ne pourroit manquer de gêner le mouvement des outils qui doivent travailler à l'ouvreau à cuvette ; l'inclinaison des lignes l m, n o, n'a d'autre regle qui l'établisse, que l'exacte connoissance que le constructeur doit avoir des outils & de leur usage.

La maçonnerie dont nous venons de parler a deux piés d'élévation en D E (fig. 2. Pl. VII.) : on place à cette hauteur des plaques de fonte qui regnent de G en H ; ces plaques sont fort utiles aux opérations qui se passent aux ouvreaux d'en-haut : elles ont vingt pouces de large, relativement à l'épaisseur de la maçonnerie sur laquelle elles posent, & en leur supposant un pouce, ou un pouce & demi d'épaisseur, il reste encore près de cinq pouces de la plaque à l'ouvreau.

Sur les plaques s'élevent des piliers ou sortes de contreforts : ils me sembleroient assez bien nommés éperons. Je ne leur connois d'autre utilité que de fortifier la maçonnerie : on en voit le géométral en ghik ; & mnol (Pl. VII. fig. 2.) & l'élévation en I K, L M (Pl. VII. fig. 2.). Quant à la place des éperons, les points k, m (Pl. VI. fig. 2.), sont déterminés par les relais q k, m r, qu'on doit laisser assez grands pour placer avec facilité la piece dont nous verrons qu'on ferme l'ouvreau ; les côtés k g, m l, des éperons, sont perpendiculaires au côté du four, parce que les outils que l'on emploie par l'ouvreau P, n'ayant pas besoin de grands mouvemens, peuvent se passer de l'espace qu'on se procureroit, en écartant davantage l'un de l'autre les points l, g. Il n'en est pas de même des ouvreaux à tréjetter O ; comme on a à y manier des outils qui demandent du mouvement, on incline la ligne h i pour avoir l'embrasure h s plus évasée : le point i est déterminé par la longueur qu'on doit donner à la ligne i &, comme le point k l'a été par la ligne k q ; au reste les éperons s'avancent jusqu'à environ quatre à cinq pouces du bord des plaques, & ont environ quatre pouces de largeur en g h, o l ; l'élévation des éperons est déterminée par l'élévation du revêtement de la couronne, qui l'est par la hauteur des arches, dans la vue que le dessus du four & celui des arches fassent une planimétrie.

Communément le dessus du four est tel, qu'une perpendiculaire abaissée de l'avancement c d (fig. 2. Pl. VIII.) tombe sur le bord de la plaque, & conséquemment s'avance plus que les ouvreaux, de la même quantité que le bord extérieur de la plaque : on appelle cet avancement sourcilier (h), & on le garnit de tôle, qu'on charge de mortier d'argille commune, mêlée de foin, qu'on appelle communément torchis. On voit par-là que l'éperon prenant à quatre ou cinq pouces du bord des plaques, doit laisser saillir le sourcilier d'environ quatre ou cinq pouces ; le sourcilier est élevé d'environ neuf piés & demi au-dessus de l'aire de la halle.

Depuis l'ouvreau on gagne le sourcilier, par un plan incliné, exprimé en coupe par e f (fig. 2. Pl. VIII.) & une élévation par e f, e f, e f (fig. 2. Pl. VII.), ce plan incliné est confondu dans la nomination sourcilier ; mais comme je crois intéressant de donner des noms différens aux différentes parties d'un tout, j'appellerai dans la suite ce plan incliné talud. On peut faire l'éperon & le talud en terre à four, dans les lieux touchés immédiatement par la flamme ; quant au surplus, rien n'empêche de le bâtir en briques ordinaires.

On revêtit la couronne du four d'une seconde calotte, appliquée immédiatement sur la couronne, construite de briques blanches & de mortier d'argille ; cette seconde calotte s'appelle chemise : au-dessus de la chemise on fait simplement un massif ordinaire, qu'on éleve jusqu'à la hauteur des arches, & qu'on couvre de torchis.

(g) Les briques blanches sont composées de terre à four & de ciment ; elles ne different des tuiles qui servent à la construction de four qu'en ce qu'elles sont faites avec moins de soin, & qu'on les emploie cuites.

(h) Le sourcilier est destiné à retenir la flamme, & en s'opposant à ce qu'elle s'éleve, l'empêcher de faire incendie.

Pieces de four. Lorsqu'on chauffe le four, on est obligé de boucher les ouvreaux, en tout ou en partie, suivant le besoin. Le trop grand nombre d'ouvertures & leur grandeur ne pourroient que refroidir le four & le rendre difficile à échauffer. Les ouvreaux à cuvette, qui sont les plus grands, & qui seroient par cette raison les plus nuisibles, sont fermés en total & hermétiquement, c'est-à-dire margés, au moyen d'une tuile cuite composée d'argille & de ciment, dite d'ouvreau à cuvette ; la tuile a vingt ou vingt-un pouces de large, & environ trois pouces de ceintre, ce qui lui donne environ vingt-quatre pouces de hauteur. On peut en voir le moule (Pl. X. fig. 8.) & le géométral (Pl. VIII. fig. t.) la tuile se pose contre l'ouvreau, & pour empêcher totalement la flamme de passer entre la tuile & les piés droits de l'ouvreau, on garnit cet espace de torches ou mêlange de foin & de mortier roulé sur terre, en forme de saucissons (i).

Les ouvreaux d'enhaut ne sont jamais margés ; ils servent de soupiraux & établissent le courant d'air ; mais il ne faut pas s'imaginer que l'on les laisse totalement ouverts ; dans ce cas le volume d'air extérieur qui donneroit à l'ouvreau étant trop considérable par rapport à celui qui pousse la flamme dans le four par la tonnelle (disposée comme elle doit être pour chauffer), le combattroit & se feroit passage dans le four, qu'il ne manqueroit pas de refroidir. Pour obvier à cet inconvénient, on bouche les ouvreaux en partie avec des pieces qu'on y applique ; on en a de plus ou moins grandes, suivant que l'on desire plus ou moins d'ouverture. Lorsqu'on veut faire des soupiraux capables de produire un grand feu, on applique aux ouvreaux des pieces de dix à douze pouces de large, sur autant de long, dont on peut voir le moule (fig. 10. ou 11. Pl. X.) & le géométral (fig. t Pl. VIII.) & on les appelle simplement tuiles. Lorsqu'on ne fait plus de feu & qu'il ne s'agit que de fermer passage à l'air extérieur pour conserver la chaleur qui est déjà dans le four, & empêcher sa diminution trop précipitée ; on met au-lieu de la tuile une piece de douze ou treize pouces de large, sur autant de long, qu'on appelle plateau ; on peut en voir le géométral (Pl. VIII. fig. p) & le moule (fig. 9. Pl. X.) Les pieces d'ouvreau d'en-haut sont percées d'un seul trou, dans lequel on passe un instrument de fer, d'environ quatre piés de long, qu'on nomme ferret, lorsqu'on veut boucher ou déboucher les ouvreaux. Voyez les diverses sortes de ferrets, Pl. XVIII. en A B, C D. Un seul trou suffit pour ces pieces, leur poids n'étant pas aussi considérable que celui des tuiles des ouvreaux à cuvettes. C'est sous les tonnelles qu'on fait le feu ; mais comme ces ouvertures sont les plus considérables d'un four, il est d'autant plus essentiel de les diminuer, pour s'opposer à l'accès de l'air extérieur & au refroidissement.

La tonnelle disposée pour la chauffe prend le nom de glaie, & les pieces qui composent la glaie s'appellent pieces de glaie. Pour faire la glaie (fig. 3. Pl. VIII.) on prend le milieu de la tonnelle, & de ce milieu prenant huit pouces de chaque côté en li & li, on place bien à plomb deux pieces J nommées joues, ayant quatre pouces de large, quatre pouces d'épais, & seize pouces de long. Voyez les joues à part en E, E, même Pl.) & leur moule, Pl. X. fig. 5. sur les deux joues, on place une piece C, de quatre pouces de large, sur quatre pouces d'épaisseur, & vingtquatre pouces de long, qu'on nomme chevalet, & qu'on peut voir à part même Pl. en e, & son moule Pl. X. fig. 7. ce qui forme une ouverture quarrée de seize pouces sur chaque face, que nous appellons grand trou de la glaie ou bas de la glaie. Au milieu du chevalet on forme un trou T, de quatre pouces quarrés, par lequel on jette le bois, & qu'on appelle par cette raison tisar. Le bas de la glaie est divisé en deux par une piece S, qu'on appelle chio ; on peut le voir à part en S (même planche), & son moule Pl. X. fig. 6. Le chio a quatre pouces d'épais, & environ dix-sept pouces de 1 en 2, sur autant de 3 en 4 ; on le pose devant le grand trou de la glaie, & on l'unit au chevalet & aux joues avec du mortier. Le chio est percé d'un trou pour le prendre avec le ferret. Lorsqu'on a besoin de boucher les ouvertures formées par le chio, on en vient à bout au moyen de deux pieces de fonte M, M, qu'on peut voir à part en m, m (k) même planche. Tout le reste de la glaie, depuis les joues jusqu'au pié droit de la tonnelle, & depuis le tisar jusqu'au ceintre, est bâti en briques ordinaires ou en morceaux d'échantillon de quatre pouces de large sur autant de long. Il est, je crois, inutile de dire, que les pieces tant de la glaie que des ouvreaux sont en terre à four ; on peut voir à côté de la fig. 3. Pl. VIII. le géométral de la glaie.

Je ne parlerai pas de la construction des fours de glacerie propres à être chauffés en charbon ; je ne connois pas de manufactures de cette espece qui emploie cette sorte de chauffe ; mais d'autres verreries chauffent bien en charbon, leurs fours sont connus, & si l'on étoit obligé de chauffer de même pour faire des glaces, on pourroit imiter leur construction en les adaptant aux manoeuvres de la glacerie.

Nous avons déjà eu occasion de parler des arches F, F, F, F, (Pl. VI. fig. 1.) c'est ici le lieu d'en dire quelque chose de plus détaillé. Des quatre arches, trois sont destinées à y recuire les pots & les cuvettes, & la quatrieme à y conserver une certaine quantité de matiere prête à être enfournée dans les pots. C'est d'après ces différens usages que l'on doit regler la forme des arches & diriger leur construction. Les côtés a c, d e des arches sont divergens entr'eux, tellement qu'il y a environ quarante-quatre pouces de a en d, tandis que c e = 7 piés 1/2. Cette divergence existe dans la vûe de faciliter les mouvemens des grands outils, que nous détaillerons par la suite en parlant des diverses opérations.

Lorsque l'on ne veut mettre que trois pots dans les arches, il suffit de faire a c = 8 piés ou 8 piés & demi. Quant aux côtés c f, on pourroit le faire parallele aux côtés d g du four ; mais dans ce cas on rendroit les arches trop grandes, sans rien ajouter à leur capacité intérieure. On pourroit changer c f en c h, de maniere que c h fût perpendiculaire à a c ; mais il est visible qu'on perdroit beaucoup de la capacité de l'arche. Pour prévenir, autant qu'il est possible, les inconvéniens des positions c f, c h, prenons-en une moyenne c g. Si vous voulez savoir la longueur de c g, disposez dans une place unie ou sur un papier, au moyen d'une échelle, disposez, disje, trois fonds de pot, de maniere qu'ils tiennent le moins de place possible, sans cependant qu'on puisse être gêné. Figurez votre arche relativement à l'espace nécessaire aux pots, aux épaisseurs des murs, & à la largeur de la gueule, & vous trouverez c g = 9 piés 1/2 ou environ. La courbe que prend le côté x g est reglée par l'espace nécessaire aux outils qui travaillent aux ouvreaux à cuvettes.

(i) Les tuiles des ouvreaux & cuvettes sont percées de deux trous, servant à les prendre pour boucher & déboucher l'ouvreau, avec un cornard, instrument de fer long d'environ quatre piés, & armé de deux pointes qu'on passe dans les trous de la tuile. Un seul trou suffiroit pour prendre la tuile ; mais on en met un second, parce que si le trou n'étoit pas bien au milieu de la tuile, son poids la feroit pencher à droite ou à gauche, & on auroit peine à la poser devant l'ouvreau : danger qu'on évite en perçant la tuile de deux trous. Voyez le cornard, fig. 2. Pl. XIX.

(k) Ces pieces sont connues sous le nom de margeoires.

Pour donner moins de largeur aux arches, on pratique le plan coupé i l, qui diminue de l g le côté c g.

On monte les arches jusqu'à la hauteur d'environ trente pouces, en massif, qu'on peut construire sans inconvénient en pierres à bâtir ordinaires. A cette élévation de trente pouces se trouve le pavé de l'arche qu'on fait en briques ordinaires sur leur plat. La forme intérieure de l'arche est reglée par l'emplacement des trois fonds de pot, 4, 4, 4, (Pl. VI. fig. 2.)

On laisse au-devant des arches à pots une ouverture dont on voit le géométral en F (Pl. VI. fig. 2.) & l'élévation en F (Pl. VII. fig. 3.) Cette ouverture s'appelle gueule de l'arche, & sert au passage des pots, soit pour les mettre dans l'arche, soit pour les en tirer : elle a environ quarante-deux pouces de large sur autant d'élévation, & est voutée en ceintre très-surbaissé.

La gueule de l'arche est fermée par une porte de tôle, communément appellée ferrasse de l'arche, qui s'abaisse sur la gueule au moyen d'un boulon a b (fig. 3. Pl. VII.) autour duquel la ferrasse tourne comme sur une charniere. Lorsqu'on veut ouvrir l'arche, la ferrasse est retenue dans la position horisontale par un crochet fixé pour cet effet aux bois de la roue, lieu au-dessus du four pour sécher le bois, dont nous allons bien-tôt donner la description.

Sur le même plan que les gueules des arches se trouve une ouverture S (Pl. VI. fig. 2.) connue sous le nom de bonnard. Le bonnard n'a d'autre usage que de servir de tisar pour chauffer les arches, lors de la recuisson. Nous avons déjà eu occasion de dire, que le feu du four communiquoit dans les arches au moyen des lunettes R ; mais il ne seroit pas assez fort pour terminer la recuisson, & on y ajoute par la chauffe des bonnards. Le bonnard a environ dix pouces de large & dix pouces d'élévation, vouté à plein ceintre, fig. 2. Pl. VII.

On sépare le lieu où va le bois qu'on jette par le bonnard, du reste de l'intérieur de l'arche, par un petit mur 5, 6, appellé clair-voie, épais de quatre pouces, & bâti de briques arrangées comme on le voit en j e, à côté de la fig. 2. Pl. VI.

L'élévation de la voute de l'arche est d'environ cinquante-deux pouces, & les piés droits d'environ trente ou trente-deux.

Il y a quelque différence entre l'arche à matiere & celle à pots. Dans la premiere il n'y a point de bonnard, la gueule suffit à vingt pouces de large, n'étant destinée à passer que des pelles.

Il est mieux de paver l'arche à matiere en fonte qu'en briques, à cause des parties de celles-ci qui pourroient se détacher. La lunette qui communique le feu du four dans cette arche, est un peu moins large que celle des arches à pots, ne servant qu'à tenir les matieres seches ; or pour être dans cet état elles ont besoin de beaucoup moins de feu que les pots pour recuire.

L'arche à matiere se ferme par une plaque de tôle posée sur des gonds. Au-dessus de la porte est une petite cheminée d'environ quatre pouces quarrés, qui, faisant courant d'air, donne de l'action au feu de la lunette, & sert de sortie aux fumées qui pourroient en venir.

Les arches sont construites en briques ordinaires ; l'épaisseur de leurs parois n'a rien qui la regle que la solidité de la bâtisse.

Au-dessus de la voûte de l'arche on éleve un massif qui donne pour hauteur totale environ neuf piés & demi ; on couvre le dessus des arches de torchis comme le dessus du four.

Tout ce que nous avons dit jusqu'ici prouve, que l'air de la halle étant au niveau des ouvreaux à cuvette, doit être plus haute que le bas de la glaie ou l'âtre des tonnelles, de toute la hauteur des siéges. Il faut s'attacher à rendre cette pente la plus douce qu'on peut, depuis le devant des arches, pour faciliter l'usage des instrumens à roues, qu'on emploie dans ce lieu.

Les arches sont réunies par une voute c d e (fig. 3. Pl. VII.) qui étant élevée d'environ quatre piés audessus du ceintre de la tonnelle, suit la pente du terrein. On remarque en f g au-devant de la voute c d e, une espece de sourcilier qui n'est pas d'une utilité assez marquée pour qu'on ne pût bien s'en passer. Le dessous de la voute que nous venons de décrire, l'entre-deux des arches, est connu sous le nom de glaie, qui appartient proprement, comme nous l'avons dit, à la bâtisse dont on ferme la tonnelle ; pour éviter l'équivoque & distinguer les divers lieux par divers noms ; j'appellerai celui-ci antre du tiseur.

Au-dessus du four & de ses arches est un lieu qu'on appelle la roue ; c'est un assemblage de pieces de charpente (Pl. IX.) disposé par l'intervalle des chevrons qui le composent, à recevoir le bois dont on chauffe le four, & destiné à l'y faire sécher.

La longueur de la roue est déterminée & est relative à l'emplacement qu'on a, vis-à-vis de chaque glaie. Quant à la largeur, elle est déterminée par celle du four. Il ne faut pas que la roue avance trop au-dessus des ouvreaux, le feu pourroit y prendre. Les extrêmités de la roue sont soutenues par des chevalets représentés en face en B B, B B (Pl. III. fig. 1.) & en profil en H, H (fig. 2. même Pl.) Des cubes D de dix-huit pouces sur chaque dimension, supportent la roue, sur le dessus du four & des arches. On éleve les piles de bois sur la roue jusqu'à la hauteur d'environ sept ou huit piés ; un chemin A B C D regne d'un bout à l'autre de la roue, & donne la commodité de la charger.

Chaque partie de la roue a sa dénomination particuliere. On appelle devantures, les parties qui sont au-dessus des ouvreaux, coin ce qui se trouve audessus des arches, & culée ce qui est compris depuis le devant des arches jusqu'au chevalet de la roue.

Le four construit, la fabrication des vases nécessaires est le premier objet qui se présente. On connoit dans l'art de couler des glaces deux sortes de vases, savoir les pots ou creusets & les cuvettes. Les pots servent à contenir le verre pendant sa fusion, & pendant qu'il se met dans l'état de finesse où il doit être pour en former des glaces ; les cuvettes sont des creusets portatifs, où l'on transvase le verre prêt à être travaillé, pour pouvoir le tirer du four avec facilité.

Les pots des glaciers sont des cônes tronqués & renversés. La grandeur du pot est relative, comme nous l'avons déjà dit, au pié sur lequel on veut monter la fabrication. Celle-ci peut être assez avantageuse avec des pots de vingt-huit ou trente pouces de diamêtre en-bas, de trente ou trente-deux pouces de diamêtre en-haut, & d'environ trente pouces d'élévation : l'épaisseur est d'environ trois pouces dans le cul, & de deux pouces dans la fleche. (l)

Il y a deux manieres de faire des pots, en moule ou à la main. Dans les deux méthodes on commence par former le cul du pot sur un plan B, assez semblable à un fond de tonneau, qu'on appelle fonceau. Le fonceau est cloué sur une espece de civiere pour pouvoir le manier avec aisance (Pl. V. B.) Quant à son diamêtre, il est reglé par celui qu'on veut donner au cul du pot.

Pour former le cul du pot, on jette la terre sur le fonceau avec force, pour qu'il ne reste aucun vuide

(l) On appelle fleche dans un pot la partie du pot depuis le cul jusqu'au haut, comme on appelle jable la jonction du cul à la fleche.

entre le fonceau & le cul du pot. On passe & repasse plusieurs fois les ongles & le dessus des doigts sur la terre, dans la vue d'en approcher les parties, de la rendre plus compacte, sur-tout de donner passage aux particules d'air qui seroient restées engagées dans la terre, & qui ne pourroient que nuire comme corps étranger, & comme corps susceptible de dilatation.

Lorsque le cul du pot est fait dans l'épaisseur convenable, si on veut le monter en moule, on pose sur le fonceau le moule A, Pl. V. qui n'est autre chose que des douves de tonneau, reliés en-haut & enbas de deux cercles de fer léger qui les retiennent. Le moule se ferme & s'ouvre au moyen d'une charniere, & tient fermé par deux clavettes exprimées dans la figure. On sent très-bien que le moule doit avoir de dedans en-dedans la mesure que l'on veut donner au pot de dehors en-dehors.

Lorsque le moule est placé, le potier presse les bords du cul du pot jusqu'à ce que la terre touche le moule : c'est cette opération qui fait l'union du cul du pot à sa fleche, & qui forme le jable (m). Le potier prend ensuite de la terre, dont il forme des patons, il pose ses patons tout-autour du moule avec les mêmes précautions que nous avons indiquées en parlant des constructions de four. Sur cette premiere assise, il en pose une seconde, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il ait atteint le haut du moule, instant où le pot est fini. Alors le potier n'est occupé qu'à l'unir en-dedans, en ôtant avec le doigt les parties qui débordent, & passant dessus la main mouillée. L'ouvrier doit pour la solidité de son ouvrage appuyer de son mieux ses patons, tant sur ceux d'au-dessous que contre le moule. La maniere dont il pose ses patons est encore pour lui un sujet de grande attention ; il ne doit pas les poser, stratum super stratum, mais de maniere qu'en approchant du moule ils fassent la lame de couteau. Le paton supérieur fera la moitié de l'épaisseur, tandis que l'autre moitié sera formée par le paton inférieur : leur profil sera c b d celui du paton inférieur, & a b c celui du supérieur. Il y aura, ce me semble, plus de liaison de cette façon que si les patons ne faisoient que poser l'un sur l'autre, comme a b c d, c d e f.

Le potier à la main agit comme le potier en moule, avec la différence que n'ayant rien qui appuie son ouvrage, comme le potier en moule, il est obligé de travailler sa terre un peu plus dure. S'il apperçoit que la terre soit un peu trop molle, il la laisse raffermir, & discontinue son travail. En commençant un pot, il place le fonceau sur un escabeau dans la vue de hausser son ouvrage, & de travailler plus à son aise, & il baisse l'escabeau à mesure qu'il éleve son pot.

Le potier à la main en posant son paton met la main gauche en-dedans du pot. Elle lui sert d'un point d'appui, au moyen duquel il est en état de serrer les parties de son pot, & de lui donner autant de consistance & de densité qu'un potier en moule.

Les cuvettes sont des vases quarrés : elles sont dans le même cas que les pots, on les fait de même en moule ou à la main. Les moules à cuvettes ne sont autre chose que quatre planches quarrées qui s'assemblent à mortaises, Pl. V. fig. C, D.

La grandeur des cuvettes dépend de la capacité des pots & du nombre des cuvettes qu'on veut que contienne chaque pot. Il seroit aisé de déterminer géométriquement la capacité des pots, & par-là même les dimensions des cuvettes. Mais si on suivoit en cela l'exactitude géométrique, on seroit en danger d'errer dans la pratique. Le verre étant une matiere visqueuse & gluante, il s'en attache autour du pot en tréjettant, une certaine quantité qui est assez longtems à couler jusqu'au fond du pot pour faire défaut dans l'opération. L'expérience nous apprend qu'un pot tel que nous les avons déja décrits, contient six cuvettes de seize pouces sur chaque face de dehors en-dehors, & seulement trois de vingt-six sur seize : on voit le moule de la premiere en C, & celui de la seconde en D, Pl. V.

La manutention pratiquée pour faire des cuvettes est la même que pour faire des pots. On forme seulement les coins de la cuvette qui doivent être des angles droits, avec une petite équerre de fer qu'on passe intérieurement de bas en-haut. Les cuvettes n'ont pas besoin d'une aussi grande épaisseur que les pots.

Les pots & les cuvettes en séchant se détachent du moule ; & lorsqu'ils en sont parfaitement détachés, on démonte le moule, ce qu'on appelle démouler les pots & les cuvettes. Lorsque la cuvette est démoulée, on forme avec de la terre qu'on y applique dans sa longueur & au milieu de sa hauteur deux feuillures d'environ 2 pouces de large, & six lignes de profondeur. On détermine ces deux dimensions au moyen d'une regle qu'on pose au côté de la cuvette, & autour de laquelle le potier place sa terre. Ces deux coulisses sont connues sous le nom de ceintures des cuvettes, & servent à les prendre avec les outils que nous décrirons dans la suite.

On doit avoir le soin de rebattre les pots & les cuvettes, jusqu'à ce que la terre devienne trop dure pour céder à l'action de la batte. On voit en E, E, E, F, les diverses sortes de battes dont on se sert.

On doit avoir le plus grand soin de procurer aux pots & aux cuvettes un desséchement égal, & point trop précipité : l'humidité contenue dans la terre ne pourroit se dissiper si promtement, sans occasionner des gerçures. Je ne sache pas d'autre précaution à prendre pour parvenir à ce but, que de tenir les pots & les cuvettes dans un lieu assez chaud, pour éviter la gelée dans les saisons qui pourroient en faire courir le danger ; assez renfermé pour être à l'abri des coups de vent, & tel qu'on n'ait pas à y craindre le hâle de l'été. Le desséchement est à la vérité long dans de tels endroits, mais il y est presque sûr : lorsque les pots & les cuvettes sont bien secs, on coupe extérieurement l'angle que forme la jonction du fond & de la fleche, pour donner prise aux pinces avec lesquelles on remue quelquefois ces vases, ce qu'on appelle chanfreindre les pots & les cuvettes.

De la recuisson & l'attrempage des fours & des creusets. Un four, quelque forme qu'on lui donne, ne sauroit être employé sans préparation, & cette préparation consiste à l'amener par degrés, pour ainsi dire, insensibles au degré de chaleur qu'il doit subir dans son travail. Si l'on exposoit tout-à-coup un four à l'action d'un feu violent, cette seule conduite seroit une raison suffisante pour sa destruction, l'humidité renfermée dans l'argille ne manqueroit pas de faire des ravages d'autant plus considérables que le feu seroit plus fort : les parties du four étant exposées trop précipitamment au feu, éclateroient plutôt que d'obéir à son action ; & par toutes ces raisons, la solidité en seroit non-seulement exposée, mais indubitablement anéantie. Cette action d'amener le four par une chaleur graduée au point où il doit être, est ce qu'on appelle attrempage & recuisson d'un four.

On confond souvent dans le langage ordinaire attrempage & recuisson ; je ne crois cependant pas qu'attremper & recuire soient synonymes. Il me semble qu'attremper exprime l'opération de monter peu-à-peu & avec ménagement la chaleur du four, & que

(m) Le jable est la jonction du cul du pot à sa fleche, & la fleche renferme toutes les parties du pot, depuis le cul jusqu'à son bord supérieur.

recuire est chauffer quelque tems avec le dernier degré de feu, pour achever de faire prendre au four la retraite dont il est susceptible. Selon ma définition, la recuisson seroit la suite de l'attrempage, l'attrempage à son plus haut degré, en un mot, la perfection & le point définitif de l'attrempage.

On ne sauroit prudemment exposer un four à l'attrempage, sans qu'il soit aussi sec que l'air extérieur peut le sécher à lui seul. Il seroit dans cet état bien moins susceptible des ravages de l'humidité, en contenant beaucoup moins, & celle qui y étoit s'étant évaporée fort lentement.

Il est cependant très-difficile d'avoir un four à ce degré de sécheresse, parce que vu l'épaisseur de sa masse, je suis convaincu qu'un an suffiroit à peine pour le dessécher au point nécessaire à l'attrempage, encore faudroit-il qu'il fût bâti dans un lieu bien sec, sur des fondations bien exemptes d'humidité, & qu'on travaillât sous un climat favorable ; car il est clair que toutes ces choses entrent en compte dans les conditions du desséchement d'un four.

On peut dessécher un four artificiellement d'une maniere aussi sûre & bien plus promte, mais on doit avoir attention de faire long-tems à une distance de lui un feu peu violent, & dont il ne reçoive de chaleur, pour ainsi dire, que celle de la fumée. On sent par les dangers qu'on couroit, en faisant trop de feu, jusqu'à quel point il faut porter le ménagement & le scrupule dans ce desséchement artificiel.

On peut commencer à allumer le feu, dont nous venons de parler, vis-à-vis des deux tonnelles un mois ou six semaines après son entiere confection, & alors un intervalle de trois ou quatre mois suffit, depuis la construction finie jusqu'à la fin de la recuisson. On peut compter, si l'on veut, le tems du desséchement artificiel dans l'attrempage, & alors on sera environ deux mois à attremper ou recuire. Si on avoit à attremper un four bien sec, un attrempage bien soigné pourroit durer une douzaine ou une quinzaine de jours ; sa recuisson parfaite seroit l'affaire de cinq ou six jours de plus, & on auroit son four recuit dans les environs de trois semaines.

Voici comme on s'y prend ordinairement pour conduire le feu avec gradation lors de l'attrempage, en supposant le four bien sec. On allume d'abord le feu à l'entrée de deux autres, & même en-dehors avec du gros bois. Après l'avoir laissé long-tems en cet endroit, pour que le four en ait été autant échauffé qu'il est possible qu'un tel feu l'échauffe à cette distance, on l'approche un peu davantage de la tonnelle, & on le laisse en sa nouvelle place encore un certain tems. On l'approche de nouveau, & ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il soit sous la tonnelle, c'est-à-dire dans l'intérieur même du four. On chauffe sous la tonnelle toute ouverte encore quelque tems avec du gros bois : après quoi on fait la glaie ; mais on chauffe sans mettre le chio par le bas de la glaie, en le bouchant seulement d'une ferrasse : on met le chio, & on chauffe avec du petit bois par le tisar. C'est alors qu'on fait grand feu & qu'on termine la recuisson.

On met les plateaux aux ouvreaux pendant l'attrempage, le feu ne devant pas être violent, & les courans d'air étant conséquemment inutiles ; mais à la recuisson, on substitue les tuiles aux plateaux.

Les arches se recuisent très-bien, sans ajouter de nouveaux soins. On n'a qu'à fermer les arches, laisser les lunettes débouchées ; & lorsque les arches sont aussi rouges qu'elles peuvent le devenir par le feu des lunettes, on finit par les chauffer quelque tems au moyen du bonnard. Ensuite on les refroidit par gradation, en commençant par supprimer le feu du bonnard, margeant la lunette, & ouvrant enfin le devant des arches.

Toutes les précautions pratiquées lors de la recuisson d'un four, & le tems nécessaire à cette opération reçoivent nécessairement des modifications & des changemens relativement aux especes de terre qu'on emploie aux pays qu'on habite, au climat sous lequel on vit.

Il n'est pas besoin d'ajouter que pour faire un bon attrempage on doit avoir autant de soin d'empêcher que le feu pendant l'opération ne tombe, c'est-à-dire ne passe promtement d'un degré de feu à un moindre ; que l'on doit en avoir, de ne pas donner tout-à-coup un feu trop violent, non-seulement par le risque qu'on couroit si le four passoit subitement du chaud au froid, mais encore par le danger où l'on s'exposeroit de nouveau en remontant le feu.

Quelques soins que l'on prenne de ménager l'attrempage, il est impossible d'anéantir totalement l'effet de la retraite des terres, & conséquemment d'éviter tout-à-fait les gerçures ; mais il est intéressant de réparer ce désastre le mieux qu'il est possible : le chanvrage & le coulis sont les moyens usités en pareil cas. On insinue dans les gerçures, avec la lame d'un couteau, des filasses roulées dans l'argille, ce qu'on appelle chanvrer. Si les gerçures sont peu profondes, ou dans une position telle que le coulis qu'on y feroit passer, n'y restât pas, on n'y restât que très-difficilement, on remplit en entier la gerçure de filasse. Si au contraire la gerçure est telle qu'en en bouchant un côté on pût y retenir du coulis, on place une filasse dans le lieu par où pourroit s'échapper le coulis, & on remplit tout le vuide avec un coulis un peu épais. Telles sont les gerçures des sieges. Comme presque toutes sont les joints des tuiles qui s'ouvrent plus ou moins, on chanvre le talud du siege pour retenir le coulis, & on coule par le dessus du siege. D'autres remplissent les vuides des sieges avec du sable pur, après avoir chanvré le talud : cette maniere a des avantages. Le sable plus coulant remplit mieux les moindres interstices ; & n'étant pas susceptible de retraite, la réparation a moins à craindre de l'action du feu. Le seul danger de cette méthode seroit que le contact du verre qui tomberoit sur les sieges, ne disposât le sable à la fusion ; mais le risque diminue, si l'on observe combien le sable est insinué profondément dans l'intérieur du siege, & combien il est enveloppé de parties du siege qui, étant argilleuses, lui font un rempart contre le verre.

Tous les artistes conviennent assez généralement de la nécessité de chanvrer, mais ils different beaucoup sur le tems de cette opération. Les uns attrempent leur four & le font rougir, le font ensuite refroidir par gradation, en margeant toutes les ouvertures & le démargeant peu-à-peu, chanvrent & procedent à rechauffer ce qui est vraiment un second attrempage. Voici les raisons sur lesquelles ils fondent leur méthode. Après un grand feu, disent-ils, la terre a pris à-peu-près toute la retraite dont elle est susceptible, & on réparera conséquemment bien mieux les gerçures, puisqu'elles sont toutes déclarées. Leur principe est vrai, mais, pour éviter un inconvénient, ils tombent dans de bien plus considérables ; 1°. ils courent le risque de deux attrempages, aulieu d'un seul ; 2°. ils perdent du tems ; 3°. que font-ils en échauffant & refroidissant leur four plusieurs fois ? Ils font passer ses parties successivement d'un état de contraction à un état de dilatation, & vice versâ ; ce qui ne peut se faire sans déranger la position relative de ces mêmes parties, & sans altérer leur union.

D'autres artistes sentant tous ces inconvéniens, ont fait chauffer leur four, mais non jusqu'à le rougir, ont arrêté ensuite leur attrempage, ont chanvré & ont recommencé à attremper. Ils ont eu moins de risque à courir, ayant poussé moins loin le premier attrempage, ils ont perdu moins de tems, & le four a été en un moindre danger. A la vérité leur four est moins bien réparé, & à un plus grand feu il se déclare des gerçures qui n'avoient encore pû paroître : mais c'est une croix du métier qui est bien plus aisée à supporter que les maux auxquels s'exposent les premiers. Le second parti est donc le meilleur : il n'est cependant qu'un palliatif, il laisse subsister les mêmes inconvéniens, & ne fait que les diminuer. On éviteroit tous les inconvéniens de la premiere méthode par une troisieme, qui conserveroit à la vérité le desagrément de la seconde. Ce seroit de prendre pour chanvrer le moment de l'attrempage où un ouvrier pourroit encore entrer & se tenir dans le four, & où il ne pourroit souffrir le moindre degré de chaleur de plus. On chanvreroit sans cesser d'attremper, on ne couroit risque ni de deux attrempages, ni de diverses températures, & on ne perdroit aucun tems (n).

J'ai vu des maîtres de verrerie s'aviser de mettre les pots verds dans le four avant la recuisson de celui-ci, & de les attremper & recuire en même tems qu'ils attrempoient & recuisoient leur four. Cette méthode a réussi à quelques-uns ; conséquemment il n'y a pas moyen de douter qu'elle ne soit pratiquable, mais elle expose à des dangers. Lorsque le pot a reçu un certain degré de feu, une diminution de chaleur qui ne feroit rien au four à cause de son épaisseur, causeroit la perte totale du pot. Au reste, quand cette maniere de recuire les pots seroit prouvée être la meilleure, comme on use plus de pots que l'on ne recuit de fours, on seroit forcé d'en mettre une autre en pratique. Voici l'ordinaire. On place les pots dans l'arche, comme on le voit dans la fig. 2. Pl. VI. en faisant attention que les pots soient bien secs, l'arche froide, & la lunette bien bouchée ; la disposition & l'arrangement des pots dans l'arche dépendent de la connoissance qu'on a de la manoeuvre usitée, pour tirer les pots de l'arche après leur recuisson. La seule observation que font ceux qui les placent, c'est de ne pas gêner cette manoeuvre, & en même tems de ne pas approcher les pots de la clairevoie, de peur que le premier coup de feu sortant de la lunette ne les touche & ne les endommage. (o)

Lorsque les pots sont placés dans l'arche, on la laisse quelque tems ouverte ; en cas que sa température ne soit pas semblable à celle de laquelle sortent les pots. On bâtit ensuite le devant de l'arche, ce qu'on appelle en terme de métier, faire l'arche, faire la glaie de l'arche. On laisse seulement un espace ouvert au haut de la gueule de l'arche pour établir le courant d'air, lorsqu'on la chauffera : on dispose le bas de la glaie de l'arche, de maniere qu'on puisse aisément y pratiquer une petite ouverture pour voir l'état des pots, lorsqu'on le desire. Après que les pots ont été quelque tems dans l'arche faite, on démarge la lunette ; mais il faut le faire avec beaucoup de précaution. On se contente de faire tomber par le bonnard, avec l'instrument qu'on appelle grand mere (Pl. XIX. fig. I.) un peu du mortier qui retient l'espece de plateau nommé margeoir, qui bouche la lunette ; à une autre occasion, on en fait tomber une plus grande partie. On opere de même jusqu'à ce que rien ne retienne le margeoir, & l'on donne par ce moyen le feu le plus doucement qu'il est possible ; lorsque le margeoir est tout-à-fait décollé de la lunette ; on l'en écarte de maniere, qu'il y ait environ trois lignes entre la lunette & lui, ce qu'on appelle détacher le margeoir. On l'écarte toujours de même, par gradations insensibles, jusqu'à ce qu'il touche la clair-voie ; alors on repousse le margeoir plus loin que la lunette, de devant laquelle on l'ôte, c'est à compter de ce moment que la lunette fait sur les pots tout l'effet qu'on peut en attendre. Lorsque son feu a commencé à faire changer de couleur à l'arche, on allume le bonnard. D'abord on y jette une buche de gros bois, qu'on y laisse prendre seule ; on augmente le feu peu-à-peu, & enfin on le pousse le plus fort qu'on peut. On doit avoir attention de suivre le bonnard avec régularité, & de ne pas laisser tomber le feu ; encore moins, si par hasard il tombe, doit-on le remonter trop précipitamment.

Pendant toute la recuisson des pots, les ferrasses que nous avons dit s'abaisser sur le devant de l'arche, restent abattues. La recuisson totale dure environ sept jours, on peut même la faire en cinq, mais il faut alors des pots bien secs, & beaucoup d'exactitude. La recuisson est d'autant plus parfaite, que la chaleur de l'arche, lorsqu'on en retire les pots, est plus approchante de celle du four ; ils s'apperçoivent moins du changement de température en entrant dans le four, sur-tout si on a pris la précaution de diminuer un peu le feu de celui-ci. La recuisson se termine en réchauffant le four avec précaution, & le remontant par degrés.

Tous les pots de quelque terre qu'ils soient construits, ont besoin de souffrir un très-grand feu avant qu'on les remplisse de matiere vitrifiable : il est bon qu'ils prennent, sans être gênés, la retraite dont ils sont susceptibles. Si on remplissoit le pot, avant qu'il eût pris sa retraite, il ne tendroit pas moins à la prendre, il ne pourroit le faire avec régularité, & également empêché par le verre qu'il contiendroit, & cette retraite gênée occasionneroit sans contredit, dérangement de parties, déchirement, désunion.

Lorsque les pots sont recuits, on ne sait guere leur bon ou mauvais état, que par l'inspection. On cherche cependant à en juger par le son en frappant légerement le haut de la fleche, avec le crochet à tirer les larmes (Pl. XXII. fig. 1.) ce qu'on appelle sonder les pots ; c'est ainsi qu'on juge au son, si une cloche est félée ou non. Rien n'est si équivoque que cette indication ; des mauvais pots sonnent quelquefois très-bien, & il arrive que des bons pots sonnent mal.

Il en est de la recuisson des cuvettes, comme de celle des pots ; on la conduit de même, & elle est sujette aux mêmes inconvéniens. On pratique en faisant la glaie de l'arche à cuvette, une ouverture semblable aux ouvreaux à cuvette, on la tient margée avec une tuile, & c'est par-là qu'on tire les cuvettes de l'arche.

Il faut trois choses pour une bonne recuisson, le ménagement du feu, la sécheresse de l'arche, & la sécheresse des pots.

Le ménagement du feu. On en a déja vû les raisons.

La sécheresse de l'arche. Lorsqu'elle est humide, les vapeurs qui s'élevent du pavé frappant le cul du pot, déja chaud, le détériorent nécessairement, le font gercer, & vont quelquefois même jusqu'à le détacher de la fléche.

La sécheresse des pots. Un pot peu sec peut à toute rigueur se recuire à force de précautions : mais il est

(n) On sera peut être étonné que ce soit de filasse qu'on se serve pour racommoder l'intérieur d'un four. Il paroît impossible qu'une matiere aussi combustible puisse subsister dans un milieu aussi ardent, mais la terre dont elle est enveloppée se cuisant autour d'elle, elle ne fait que charbonner, ne se consume pas, & on la retrouve dans cet état à la démolition d'un four. Quelques substances minérales qu'on mît à cet usage, elles n'y seroient pas à beaucoup près si propres : il seroit difficile d'en trouver qui ne fussent détruites par la calcination ou par la fusion.

(o) On éleve les pots sur des briquetons, pour que le feu puisse toucher le cul en-dehors, comme la fleche, & d'ailleurs pour pouvoir, en ôtant un des briquetons, faire pencher le pot du côté qu'on le veut.

continuellement en danger. J'en ai vû qui paroissoient très-bien recuits, & dont l'intérieur n'avoit seulement pas changé de couleur. Les surfaces étoient recuites, & l'humidité s'étoit trouvée retenue dans le milieu & comme concentrée. Or, qu'arrive-t-il ? A quelque coup de feu un peu plus violent, elle cherche à forcer les barrieres qui la retiennent, & le pot périt.

Lorsqu'un pot est manqué à la recuisson, je ne lui connois que deux sortes de défauts, les gerçures & les calcinures, à-moins que par un coup de feu trop subit, il n'ait éclaté en nombre de morceaux. Les gerçures sont de deux sortes ; les unes vont de haut en-bas, & les autres parallelement au cul du pot. Elles sont toutes les effets d'une humidité trop promtement dissipée : mais les secondes, qui se trouvent dans le sens des patons, joignent à cette raison celle de la mal-façon dans la construction du pot ; c'est une preuve que le potier n'a pas fait tout ce qu'il auroit dû, pour joindre bien parfaitement ses patons. Les gerçures sont quelquefois occasionnées par l'air, qui est resté entre les patons & que l'ouvrier a négligé d'en faire sortir.

Les gerçures attaquent toute l'épaisseur du pot, & conséquemment un pot gercé est absolument hors de service. Il n'en est pas de même de ce que j'appelle calcinures ; elles n'ont point de route fixe sur la surface du pot ; elles ont l'air, si l'on me permet la comparaison, des lignes qui désignent une carte géographique. Elles ne touchent ordinairement que la superficie, & ne pénétrent que très-rarement l'intérieur.

Il est imprudent de s'exposer au service de pareils pots ; mais dans de grands besoins j'ai vû des pots attaqués de calcinures durer long-tems.

Je regarde les calcinures comme l'effet d'un corps froid, qui a touché le pot lorsqu'il étoit chaud, mais qui ne l'a pas touché assez long-tems pour nuire aux parties du milieu.

On conserve des pots ou des cuvettes tous recuits dans les arches, mais on s'expose à un nouveau danger en ramenant l'arche par degrés, de sa grande chaleur au simple feu de la lunette. On pourroit s'en garantir en laissant toujours le bonnard allumé, ce qui seroit une dépense de bois trop considérable, si l'on étoit obligé de l'entretenir long-tems.

Choix des matieres vitrifiables, & leur préparation. A l'exception des chaux métalliques, aucune substance ne se vitrifie seule & sans mêlange, par la simple action du feu. Le sable lui-même qu'on regarde communément comme la base du verre, ne change point de nature par l'action du feu le plus violent, lorsqu'il est pur. Des expériences occasionnées par le hasard ont appris, que le sable mêlé à des substances alkalines fondoit, & faisoit du verre. Les cendres des végétaux, qui contiennent beaucoup d'alkali fixe, ont servi de fondans ; la soude a été employée de préférence, comme la cendre qui contient le meilleur alkali, & elle a été la seule en usage dans les glaceries. Le mêlange du sable & de la soude faisant un verre verd qui colore de même les objets qu'on regarde au-travers ; on y a additionné de la manganese, substance minérale, dont la propriété est de colorer le verre en rouge & d'être volatile. Elle aide par son évaporation à la dissipation du principe colorant, & lorsque la dose n'en est pas assez forte pour qu'il en reste trop, après la fusion & l'affinage, elle donne au verre un oeil diaphane & animé, fort agréable.

Ayant une fois déterminé quelle substance devoit entrer dans la confection du verre, il a fallu se décider par les observations des phénomenes, sur les meilleures especes de ces substances.

On a remarqué que le sable coloré donnoit au verre une couleur désagréable : on a observé, que le sable fin fondoit avec plus de facilité que le gros. Par ces considérations, on s'est déterminé pour le sable fin & blanc. Celui qui en un certain volume présente un oeil azuré, n'est pas moins bon.

Lorsqu'on a été déterminé pour les qualités du sable, on a cherché les moyens de lui donner ces qualités, ou du-moins de les lui procurer à un degré plus éminent. Le sable ne peut être coloré que de deux manieres, ou par le mêlange d'argille impure, ou dans les parties propres qui le constituent. Les parties argilleuses sont assez bien emportées par la lotion : voici comme on s'y prend pour laver le sable ; on remplit un baquet d'eau, & on passe du sable dans l'eau avec le tamis (p) fig. 3. Pl. X. garni de poignées de fer. Par ce moyen le sable reçoit en tombant dans l'eau une agitation assez considérable, & très-propre à en favoriser la lotion. Lorsqu'il y a une certaine quantité de sable dans le baquet, on l'agite & on la retourne avec une palette, exprimée (fig. 1. Pl. X.) & emmanchée d'un manche de bois. L'eau se colore en se chargeant des parties argilleuses, qui étoient auparavant combinées avec le sable ; on la verse & on la renouvelle ; on remue de même le sable dans la nouvelle eau, qu'on renouvelle encore, lorsqu'elle est salie, & on en agit de la sorte jusqu'à ce que l'eau reste claire. Alors le sable est suffisamment lavé. Les dimensions des outils propres à cette opération n'ont rien qui les décide exactement ; il faut seulement qu'ils soient d'une longueur commode pour le service. Quant à la palette, elle ressemble fort à une petite beche de jardin, & n'est pas mal dans les proportions de la figure.

Lorsque le sable est coloré dans ses propres parties, la lotion n'y remédie pas. Alors on dissipe le principe colorant, en exposant le sable à l'action d'un feu capable de l'évaporer. Communément on ne fait subir cette opération au sable, que quand il est mêlangé avec la soude ; nous en dirons un mot en parlant des frittes.

Les soudes n'ont d'autre qualité désirable, que celle de contenir beaucoup d'alkali, & de le contenir d'une bonne nature. Celles d'Alicante sont les meilleures qu'on connoisse, & les plus en réputation. Celles de Sicile en approchent beaucoup ; celles de Carthagène sont moins bonnes, en ce qu'elles contiennent des sels neutres, non-seulement inutiles, mais même nuisibles à la fusion, & à l'affinage. Celles de Languedoc qu'on cultive aux îles Sainte-Marie, & dans le diocèse de Narbonne, sont assez bonnes. Elles sont connues dans ce pays sous le nom de salicor. Le verre qui en résulte parvient rarement à un affinage bien parfait ; il est cependant marchand.

On entend communément par soude, la cendre du kali majus cochleato, plante marine la plus propre à être brûlée pour l'usage des verreries. On cultive cette plante avec grand soin dans les pays de bonne soude, & on lui fait recevoir autant de façons qu'au froment.

Il est inutile d'entrer dans la description de la plante ; elle ne peut servir au maître de verrerie, que lorsqu'elle est brûlée, & il lui suffit d'en connoître la bonne qualité dans cet état. Nous dirons cependant un mot de la maniere dont on fait l'incinération des plantes.

On a observé que les cendres des plantes seches ne contiennent pas autant d'alkali, que celles des plantes qui ne le sont qu'autant qu'il le faut pour pouvoir

(p) Le tamis peut être de crin ou de fils d'archal très-serrés. Il est intéressant qu'il soit assez fin, pour que les parties hétérogenes, qui pourroient être mêlées au sable, restent dans le tamis, ayant moins de disposition que le sable, à passer au-travers.

brûler ; & que plus les cendres des plantes renferment de phlogistique, plus il s'y trouve d'alkali ; comme on voit que le charbon en contient plus que les cendres ordinaires. Ce sont ces observations qui doivent diriger dans la maniere de faire l'incinération des plantes. Brûlons-les mi-seches, & ne les brûlons pas à l'air libre ; le phlogistique se dissiperoit avec trop de facilité ; & d'ailleurs l'acide que l'air ne manqueroit pas d'y apporter, se combineroit avec l'alkali, & formeroit des sels neutres.

Voici comme on s'y prend pour brûler les plantes. On fait dans la terre un trou représentant un cône renversé ; on tapisse le tour du cône de plantes, & on fait du feu au sommet. Celui qui sert cette espece de fourneau, pose des herbes sur le feu & en remet de nouvelles autour du cône. Il en agit toujours de même jusqu'à ce que le trou soit presque plein de cendres. Alors on les remue à-peu-près comme on remue la chaux qu'on éteint ; & les sels qui y sont contenus, fondus par l'action du feu, forment une sorte de pâte. Lorsqu'on en est à ce point, on couvre le trou de terre, & les cendres qu'on y laisse quelque tems refroidir, parviennent à se coaguler & à former un corps solide assez dur pour obliger de le casser avec une masse, lorsqu'il s'agit de le tirer du fourneau.

On pourroit faire ces sortes de fourneaux en briques ou en grès, & on seroit même alors dans le cas de ménager au sommet du cône un courant d'air propre à favoriser l'action du feu. Je préférerois la construction en grès, cette matiere étant plus analogue que la brique à la composition du verre, & les parties qui s'en détacheroient, étant conséquemment moins dangereuses.

La bonne soude contient ordinairement la moitié de sel. Elle n'est jamais parfaitement connue, que par l'expérience de la fusion après son mêlange avec le sable. Voici cependant les marques auxquelles on se rapporte. On regarde comme la meilleure soude, la plus noire, la plus pesante, & celle dont le goût est le plus âcre, le plus caustique, en un mot, le plus alkalin.

On ne fait subir à la soude d'autre préparation, lorsqu'on l'emploie en nature, que de l'écraser au bocart, la tamiser bien fin pour favoriser son mêlange avec les autres matieres, & la priver de son principe colorant, par la calcination qu'elle éprouve lors de la fritte ; opération que nous détaillerons dans la suite.

La manganeze se tire de Piémont ou de Suisse. Celle de Piémont est bien meilleure : j'en ai employé de Suisse, qui donnoit au verre un rouge pâle & désagréable. La manganeze forme des masses noires, qui présentent lorsqu'on les casse des grains fins & brillans, comme ceux de l'acier. On regarde comme la meilleure, la plus noire, & celle à laquelle on ne remarque point de taches. Elle ne reçoit d'autre préparation, que celle d'être épluchée avec des marteaux tranchans (à-peu-près comme on épluche la terre), pour la priver de certaines parties ferrugineuses qui se manifestent par la couleur rouge ; on l'écrase ensuite au bocart, & on la tamise au tamis le plus fin, pour la mêler aux autres matieres.

On fait entrer aussi dans les compositions du verre, des morceaux de glace, communément appellés cassons. On doit avoir attention qu'ils soient de belle couleur & analogues, s'il est possible, à la composition dont on se sert. Des cassons de mauvaise couleur la communiqueroient aux glaces, dans la fabrication desquelles ils entreroient ; & des cassons de densité différente de celle des glaces qu'on auroit intention de faire, ne pourroient que gâter le mêlange & occasionner un défaut d'union dans les parties. On doit aussi se donner le plus grand soin pour enlever aux cassons les défauts qui seroient susceptibles de rester les mêmes après la nouvelle fusion (telles sont les larmes & les pierres), & à enlever les saletés qui se trouveroient sur la surface desdits cassons. Un épluchage bien exact sert à bannir les larmes & les pierres, comme aussi à séparer le verre de mauvaise couleur, & la lotion ôte les saletés de la surface. On lave les cassons en les mettant dans un panier, (fig. 4. Planc. X.) dont le fond est fait à-peu-près comme celui des cazerets, où l'on met à égoutter le fromage. On remue le panier plein de cassons, le tenant par l'anse, à-peu-près comme on tourne un tamis. On peut employer les cassons seulement épluchés & lavés ; mais communément on leur fait subir une autre opération : on les calcine, c'est-à-dire qu'on les fait rougir dans un four exprès pour cet usage, fait comme nous décrirons dans la suite les fours à fritte. On les remue avec un rable, outil qu'on trouve représenté en 4, 8, 6, 7 (Pl. XII. vignette), & dont nous donnerons une plus exacte description en parlant des frittes. Lorsque les cassons sont bien rouges, on les entasse sur le devant du four avec le rable ; on les prend avec des pelles de tôle, telles que K H (Planc. XVIII.) qui ont un pié de long en M N sur environ huit ou dix pouces de large en L G & quatre pouces de rebord en I M (a) emmanchées d'un manche d'environ sept pieds, dont trois & demi G O en fer, & trois & demi O H en bois ; & on éteint les cassons rouges dans l'eau. Le refroidissement subit qu'ils éprouvent, les fait casser & les réduit en petites parties ; on a par-là l'avantage de pouvoir les mêler plus parfaitement aux autres matieres, dont la combinaison produit le verre. Les cassons calcinés prennent le nom de calcin, & c'est dans cet état qu'on les emploie.

Le mêlange du calcin à la composition du verre, donne des avantages. Comme c'est une matiere qui a déjà été fondue & affinée & qui est déjà verre ; elle dispose les autres à la vitrification ; elle abrege leur affinage, & leur donne plus de consistance & de liaison que n'en auroit du verre neuf ; c'est-à-dire, dans lequel il ne seroit entré aucun calcin. Je dirois, si on me permettoit l'expression, que par le moyen du calcin la composition est plutôt verre, & l'est plus parfaitement. En outre, on met de cette maniere à profit les rognures des glaces qu'on a été obligé de recuire.

Il nous reste à dire un mot d'une autre maniere de composer, qui est moins anciennement en usage que celle dont nous venons de parler.

La soude est composée de sel alkali fixe, vulgairement appellé salin qui est seul le fondant, & d'une base calcaire. On a pris le parti d'extraire le sel de la soude, & au lieu de la terre calcaire qui étoit combinée avec le sel, à laquelle est attachée la plus grande quantité de principe colorant (comme on le remarque à sa couleur noire après l'extraction) ; de la proportion de laquelle le fabriquant n'est jamais le maître ; on emploie de belle chaux, la plus blanche & la plus pure qu'on peut trouver. L'artiste a dumoins l'avantage d'être maître de la proportion de sa chaux.

On peut employer la chaux éteinte : dans ce cas on seroit obligé de la laisser sécher pour la passer au tamis fin. On évite cette longueur en n'y jettant que l'eau qu'il faut pour la faire tomber en efflorescence & réduire en poussiere les morceaux un peu gros. On peut même pour moins d'embarras, la laisser fuser à l'air, & en passer la poussiere au travers d'un tamis pour la faire servir aux compositions. Il y auroit peut-être alors des morceaux qui à la vérité ne fuseroient qu'imparfaitement, à-moins d'un très-long tems ; mais on auroit toujours le premier moyen &

(a) On voit en P Q S R le géométral de ces pelles.

en outre dans un établissement de cette importance on trouveroit d'autres usages aux chaux de rebut, comme les bâtisses, les recrépis, &c.

On remarque que les glaces dont le verre a été composé en sel, sont plus transparentes que celles dont il a été composé en soude.

Maniere d'extraire les sels de soude. La qualité des sels d'être miscibles à l'eau, fournit le moyen le plus simple de les séparer de la base calcaire, avec laquelle ils se trouvent combinés dans la soude.

Qu'on jette dans l'eau la soude bien pulvérisée & passée par un tamis fin, & qu'on l'agite pour aider à la dissolution ; la laissant reposer ensuite, la base calcaire ne manquera pas de se précipiter, & l'eau de rester claire, chargée de l'alkali qui étoit renfermé dans la soude. Alors en faisant évaporer l'eau, on obtiendra l'alkali. L'opération en entier s'appelle extraction de l'alkali. Elle doit être dirigée par les phénomenes qu'on a eu occasion d'observer, & par les expériences déjà faites, tournant toujours ses vues du côté de la promte extraction & de l'économie, sur-tout celle du tems.

Après que nous aurons parlé de l'opération en elle même, nous parlerons des divers moyens employés à la faire, & de différentes machines à extraire.

Pour obtenir une plus grande quantité de salin dans un même tems, ce qui est en effet perfectionner & abréger l'opération, il faut que l'eau avec laquelle on a lessivé la soude, soit plus chargée de sel, ou, pour parler d'une maniere plus analogue au langage ordinaire, il faut que la lessive soit plus forte. Mais il y a une quantité de sel au-delà de laquelle l'eau n'en sauroit dissoudre davantage ; ce qu'on appelle son point de saturation. On estime qu'il faut environ huit livres d'eau pour une livre de soude d'Alicante. Ce n'est pas qu'il n'y ait des modifications relativement aux diverses eaux : on doit donc chercher à saturer l'eau avant d'en commencer l'évaporation.

Lorsqu'on en est à ce point, voici les phénomenes qu'on a observés, & d'après lesquels il est à propos de régler l'évaporation.

Si l'eau s'évapore lentement & à un feu léger, l'alkali qui en résulte, renferme beaucoup de sels neutres ; si elle s'évapore à petits bouillons, le salin est plus pur ; si elle s'évapore à gros bouillons, on gagne la promtitude dans l'opération.

J'ai oui dire à quelques personnes qui se donnoient pour habiles glaciers, que l'alkali obtenu par l'évaporation à gros bouillons, étoit plus grossier que celui qu'on obtenoit par l'évaporation à petits bouillons ; c'est-à-dire qu'il renfermoit des parties calcaires, provenant de la base de la soude. Il me semble avoir des raisons de douter de ces différences. Comment après l'évaporation peut-il rester des parties calcaires, si la lessive a été bien clarifiée ? & si elle ne l'a pas bien été, comment dix pintes de lessive évaporées à petits bouillons, jusqu'à siccité bien parfaite, laisseront-elles moins de base calcaire mêlée à l'alkali, que dix pintes de la même lessive évaporées à gros bouillons jusqu'au même degré de siccité ? La base renfermée dans les dix premieres pintes aura-t-elle reçu, par l'évaporation à petits bouillons, la propriété d'être volatile, pour ne plus s'y trouver après l'évaporation ? On sent combien il seroit absurde de le penser.

Il est bien plus aisé de concevoir comment il peut y avoir plus ou moins de sels neutres, mêlés à l'alkali suivant les diverses manieres de faire l'évaporation. L'air a bien plus de facilité à communiquer de l'acide à la lessive, lorsqu'elle s'évapore à un feu très-léger, & qu'elle n'est pas dans ce mouvement violent de dilatation & d'expansion qu'elle communique à l'athmosphere environnant, & qui doit tendre à éloigner les corps étrangers.

D'après ce raisonnement, l'alkali qui résulte de l'évaporation à gros bouillons doit être plus exempt de sels neutres, que tout autre. Cette raison, jointe à la promtitude de l'opération, doit faire préférer l'évaporation à gros bouillons.

Toutes les diverses machines à extraire le salin, ne consistent qu'en vases qui servent, les uns à faire la dissolution, les autres à évaporer. Elles ne different que dans la disposition desdits vases pour la commodité du service, l'exactitude de l'extraction, & l'économie des alimens du feu.

Il y a des regles qui naissent de la chose, & qui doivent être communes à toutes les machines. Par exemple, on doit faire les vases de dissolution plus profonds que les autres, pour pouvoir y lessiver une plus grande quantité de soude ; & ceux d'évaporation plus larges, afin que donnant à l'eau une surface plus étendue, l'évaporation en soit plus promte. Ceux-ci ont moins besoin de profondeur que les premiers. On sent bien que les vases ne peuvent être que de métal, & parmi les métaux, que de fer ou de cuivre. On est obligé de bannir ce dernier, parce que l'alkali le corrode & le détruit en peu de tems. On employe très bien la fonte, ainsi que le fer ; mais on a des observations à faire. Le feu calcine le fer, ainsi que tous les metaux imparfaits, & fait casser la fonte assez aisément. Comment se mettre à l'abri de ces inconvéniens ? par l'attention scrupuleuse de ne laisser jamais les chaudieres sans eau. Mais d'un autre côté, comment obtenir le salin si l'on ne peut pousser l'évaporation jusqu'à siccité ? Lorsque l'eau a assez bouilli pour passer de beaucoup le point de saturation, on la transporte dans d'autres chaudieres, où l'on entretient une chaleur bien moindre, souvent même avec de simples braises. L'eau entretenue chaude, continue à s'évaporer, plus lentement à la vérité ; mais elle ne laisse pas de s'épaissir encore. D'ailleurs elle a été trejettée, contenant plus d'alkali qu'elle n'en peut tenir en dissolution ; au moyen de quoi l'alkali superflu tombe au fond, & on doit avoir soin de l'en retirer tout de suite avec des écumoires de fer, d'environ six pouces sur chaque face. Le sel chauffant de plus près, & touchant le fond de la chaudiere, ne manqueroit pas de s'y sécher, d'y former croûte, & le fond de la chaudiere se calcineroit nécessairement n'étant plus touché par l'eau. On voit par-là que les dernieres chaudieres, connues sous le nom de chaudieres de réduction, sont les plus tôt gâtées : c'est un inconvénient du métier, auquel je ne vois pas trop comment remédier.

Si l'on vient à arrêter l'extraction, il y a toujours quelques eaux de reste ; mais il n'est pas mauvais d'avoir déjà de la lessive prête, lorsqu'on recommence à extraire. Si l'on cesse pour ne recommencer jamais, on s'expose au risque de pousser la derniere évaporation jusqu'à siccité.

La figure quarrée est en quelque maniere adoptée pour les chaudieres de salines (r). C'est la plus favorable à la disposition des chaudieres, & même à leur construction ; sur-tout si elles sont en fer. Car dans ce cas on les forme de tôles clouées les unes à côté des autres, & il est bien plus aisé de plier des feuilles de tôle à angles droits, pour faire les coins, que de leur donner la forme ronde, ou toute autre.

On voit dans la Planche III. une machine d'extraction assez commode. La grandeur des chaudieres dépend de la quantité de sel qu'on veut fabriquer. Plus la chaudiere de dissolution est grande, plus on peut y lessiver de cendres ; plus la chaudiere d'évaporation a d'étendue, plus l'évaporation en est considérable ; & enfin plus la chaudiere de réduction

(r) On appelle saline en glacerie l'attelier d'extraction.

peut contenir d'eau réduite, plus on y recueille de sel. Ainsi nous ne parlerons pas des dimensions, nous nous contenterons de décrire les diverses machines, & la maniere de s'en servir. Nous dirons seulement que dans les machines les mieux construites, & les mieux servies, on n'extrait guere dans 24 heures que 500 p. à 700 p. de sel.

Dans la machine exprimée Pl. III. on a fait les trois chaudieres de même mesure, c'est-à-dire de 8 piés sur 4 ; elles different par la profondeur. D 1 a 18 pouces, D 2 & D 3 ont de 8 à 12 pouces. Elles sont posées sur trois fourneaux d'une inégale hauteur, de telle sorte que le bas de la chaudiere D 1 soit à niveau du haut de D 2, & de même pour D 2 & D 3, afin de pouvoir faire passer l'eau de l'une dans l'autre avec facilité, au moyen de robinets, si l'on veut s'éviter la peine de la transvaser avec des poches ou cuilleres.

Il faut que la maçonnerie de la chaudiere D 1, quoique la plus haute, ne le soit pas assez pour gêner le travail dans ladite chaudiere. La hauteur de B 1 sera suffisante de deux piés 6 pouces ; celles de B 2 & B 3 sont décidées par la condition que nous avons mise à la position des chaudieres. Supposant que les chaudieres D 2, D 3, ayent 8 pouces de rebord ; B 2 = 30 po - 8 = 22 & B 3 = 22 po - 8 = 14 pouces. Si l'on vouloit donner à B 3 & B 2 plus d'élévation ce ne pourroit être qu'en exhaussant B 1 ; & alors comme la hauteur de B 1 pourroit devenir incommode au service de la chaudiere D 1, on en seroit quitte pour exhausser le terrein vers la face a b, & faire le service de ce côté. Les dimensions des fourneaux en longueur & largeur, sont déterminées par celles des chaudieres. Chaque fourneau est séparé par un petit mur d'entrefend ; & il est inutile de dire que toute cette maçonnerie doit être construite en pierres bien propres à résister à l'action du feu, ou en briques. On pratique des tisars CCC, d'environ 18 pouces d'ouverture, à l'un des bouts des fourneaux, & des cheminées E E E à l'autre bout, pour établir le courant d'air.

On fait la dissolution dans la chaudiere D 1 ; on évapore dans la chaudiere D 2, & D 3 sert de chaudiere de réduction. Il est difficile cependant qu'une seule chaudiere de réduction suffise à une évaporante, ou dans ce cas la besogne va un peu plus lentement. L'évaporante D 2 ayant besoin du plus grand feu, il est naturel de l'allumer au tisar C 2, & dans ce cas je serois d'avis de pratiquer un cendrier d'environ 5 piés de profondeur, au-dessous du tisar C 2, pour recevoir les braises, & en même tems pour favoriser la combustion. Si l'on chauffoit en charbon de terre, on substitueroit une grille aux barreaux qui servent à soutenir le bois, & on feroit le cendrier un peu plus profond. Il faudroit que la descente au cendrier, nécessaire pour en ôter les braises, n'eût que la largeur du tisar, afin de laisser encore assez de place pour le service de la chaudiere D 2 (s). Les tisars C 1 & C 3, destinés seulement à contenir des braises, n'ont besoin ni de cendrier, ni d'une aussi grande ouverture. Il suffiroit, je crois, qu'elle eût un pié, & au moyen des cheminées le courant d'air seroit assez considérable pour conserver un certain tems les braises dans toute leur ardeur. On pourroit même s'en passer en faisant dans chaque mur d'entrefend, une ouverture par laquelle il passeroit une portion du feu du tisar C 2, qui tiendroit lieu des braises avec lesquelles on chauffe les fourneaux B 1, B 3. Il seroit à craindre, à la vérité, que le feu ne fût trop violent pour les chaudieres D 1, D 3, qui en ont besoin de peu ; celle de réduction, pour les raisons ci-dessus énoncées, & celle de dissolution, parce que l'eau tiede favorise à la vérité son usage : mais la moindre ébullition suffiroit pour empêcher l'eau de se clarifier.

Il seroit aisé de remédier à cet inconvénient au moyen de soupapes, placées à cet effet : une démonstration me fera entendre. Soit a b c d le mur qui sépare le fourneau B 1 du fourneau B 2, e le trou de communication du feu. Je voudrois qu'entre deux barreaux de fer, g h, l m, faisant feuillure, ou deux feuillures formées en maçonnerie, fût placée une tôle s quarrée, qu'on pût mouvoir de dehors, le long de la feuillure, au moyen du manche f i qu'on feroit passer par un flan n, pratiqué au mur du fourneau. En poussant la tôle jusqu'à la moitié du trou, on le diminue d'autant, & conséquemment la chaleur doit diminuer, ne passant par la communication que la moitié du feu qui y passoit auparavant. On peut de même diminuer le feu des 3/4, &c. Il seroit possible de marquer toutes ces gradations sur la partie du manche qui sort du fourneau.

La soude, une fois lessivée, on la met dans des cases FFFF, où on l'arrose d'une certaine quantité d'eau, pour éviter la perte du peu d'alkali qui y seroit demeuré. On la laisse égoutter dans des bassins GGGG, faits au-dessous des cases ; & l'eau qui tombe dans les bassins n'étant pas encore assez saturée pour en faire l'évaporation, on l'employe à faire la dissolution de la nouvelle soude, qu'on a mise dans la chaudiere de dissolution. La soude totalement privée de son sel, prend le nom de marc de soude.

Les cases ainsi que les bassins, sont construits en maçonnerie.

Lorsqu'on retire le sel de la chaudiere de réduction, on le met sur un ou plusieurs égouttoirs de tôle, qui donnent dans ladite chaudiere par un bout, & qui sont percés par ce même bout. On les dispose en pente pour favoriser leur opération, assez désignée par le nom qu'ils portent. Le sel qu'on y dépose, se décharge dans la chaudiere du peu d'eau qu'il a conservée ; & lorsque l'égouttoir est plein, on porte le sel avec des pelles, semblables à celles que nous avons décrites en parlant de la calcination des cassons ; on le porte, dis-je, dans des cases HHHH, destinées à le sécher & à le conserver sec au moyen du tisar I pratiqué dessous, & dans lequel on met de la braise.

Rien ne détermine les dimensions des égouttoirs & des cases à recevoir, tant le marc que le sel, que la quantité de matiere qu'on desire que les unes & les autres contiennent. Dans la Planche III. l'égouttoir a 5 piés de long, sur 4 de large, & un pié de rebord (Voyez le plan de l'égouttoir o p r q, & son rebord s t x y), & les cases ont 6 piés sur 4.

Un artiste qui s'est fait un nom, & qui a fait même époque dans la glacerie, il y a quelques années, gagnant la confiance plus par l'ostentation de son savoir, & la magnificence de ses expressions, que par sa science dans l'art, quoiqu'il ne manque pas d'ailleurs de connoissances physiques, a donné à la manufacture royale de S. Gobin, une nouvelle machine à extraire, dont on voit le détail Pl. IV. Sa machine est en fer de tôles fortes, clouées à côté l'une de l'autre. Le but de l'inventeur étoit de faire la dissolution & l'évaporation dans un même vase, de faire même le fourneau de la même piéce ; au moyen de quoi, sans avoir besoin de maçonnerie que celle du massif propre à soutenir la machine, on devoit travailler.

Il fit un coffre de tôle dont on voit le géométral en ABCD, fig. 1. de 10 piés de long, sur 4 piés de large, avec la précaution de ne pas fermer son coffre du côté qui devoit porter à terre, comme on

(s) On forme ordinairement le tisar avec une ferrasse, ce qui favorise la combustion, parce que l'air n'ayant passage que par le cendrier, souffle le feu par-dessous & lui donne plus d'activité.

le voit par la fig. 4. exprimant l'élévation du coffre avant qu'on y ait cloué le devant, & destinée à faire sentir que le coffre de cette machine à extraction, n'est autre chose qu'un parallélépipede creux auquel il manque un de ses grands côtés.

On fait au-devant du coffre en E F, une ouverture de 18 pouces de large, & de 18 pouces de haut, faisant office de tisar. Le coffre doit avoir 4 piés d'élévation (Voyez HGKI, fig. 3. & 4.) on en voit le perspectif, fig. 2. Il est destiné à servir de fourneau au moyen du tisar ef, pratiqué à une des extrêmités, & des cheminées g h construites à l'autre extrêmité, posant les barreaux du tisar en ef, d'un bout à l'autre du coffre, sur une maçonnerie préparée à cette intention ; il faut pratiquer un cendrier au-dessous, comme dans la machine décrite ci-dessus.

Si l'on adapte un rebord H L M N, fig. 3, d'un pié de hauteur à l'entour du coffre, & à sa partie supérieure, on forme une chaudiere dont le dessus du coffre fait le fond. Si l'on cloue des tôles P O au bas du coffre & tout-à-l'entour dans une position divergente, de maniere qu'au haut du coffre, la distance Q O = dix-huit pouces, cette nouvelle partie de la machine s'appelle ses aîles. Le tisar empêche de continuer les aîles au-devant du coffre. On doit les faire monter assez haut pour que quand elles sont pleines d'eau, la cloueure qui joint le rebord au coffre, puisse être mouillée, & qu'elle ne se ressente pas du mauvais effet du feu. On soutient le poids des aîles par une maçonnerie P R O.

Voici l'usage de la machine que nous venons de décrire. On met à dissoudre dans les aîles ; lorsque l'eau est clarifiée, on la trejette dans la chaudiere pratiquée au-dessus du coffre, où elle s'évapore avec assez de facilité, & d'où on la fait passer dans une chaudiere de réduction construite à part, & placée à côté de la grande machine. Le reste de la manoeuvre est comme nous l'avons indiqué pour l'autre maniere d'extraire.

On me permettra de faire sentir les inconvéniens de cette machine, d'après l'usage assez long que j'en ai fait, & les observations les plus exactes. 1°. Une telle machine est plus chere que toute autre, vû la quantité de fer nécessaire à sa construction. 2°. S'il arrive un accident à une partie quelconque de la machine, toutes les autres lui sont liées, de maniere que l'accident devient commun à toutes, & qu'elles sont toutes également hors de service. 3°. Il est impossible d'obtenir de la lessive claire dans les aîles, parce qu'elles chauffent presqu'aussi fort que l'évaporante. On peut à la vérité remédier à cet inconvénient, en revêtant l'intérieur du coffre du côté des aîles d'une maçonnerie ; mais autre difficulté : si la machine vient à perdre son eau, comment le fabricateur au-travers de la maçonnerie, jugera-t-il du lieu par où peche sa machine, & de la raison de l'accident ? 4°. Lorsque la soude est déposée au fond des aîles, comment l'en tirer au-travers d'un volume d'eau, qui est plus considérable à mesure qu'on approche du haut, & qui par l'agitation qu'on lui imprime, fait tomber le plus souvent ce qu'on avoit déja pris dans la pelle ? On peut, à la vérité, diminuer le feu, & laisser l'eau des aîles plus basse : alors on n'a d'autres ressources, pour empêcher la machine de se gâter, que de diligenter l'opération, & de chercher plus à la faire vîte, qu'à la faire bien.

Quelque soin qu'on ait d'avoir des instrumens adaptés par leur forme au bas des aîles, pour pouvoir fouiller par-tout ; & de détacher la soude du fond avec des outils piquans, on ne sauroit la tirer toute bien exactement, & ce qui en reste, à force de sentir l'action du feu, se coagule, se durcit, & empêche l'eau de toucher le fond des aîles & le bas du coffre, au moyen de quoi il est très-difficile d'empêcher cette partie de se calciner. On sent très bien que si l'on veut faire usage de cette machine, on sera obligé de hausser le terrein tout autour pour pouvoir faire le service ; autrement quatre piés de coffre & un pié de rebord feroient une hauteur à laquelle aucun homme ne pourroit travailler.

Voici la description d'une troisieme maniere d'extraire, meilleure, à mon avis, que les deux précédentes : elle n'a aucun des inconvéniens de la seconde, & par elle l'opération est plus parfaite que par la premiere machine, & le marc de soude moins sujet à conserver encore des sels.

Soient A A A B, fig. 2. Pl. II. quatre chaudieres, dont trois A, A, A, de quatre piés sur quatre piés, & B de cinq & demi sur quatre, & toutes d'un pié à quinze pouces de profondeur, disposées sur une maçonnerie construite en gradin, comme dans la Pl. III. avec la différence que le fourneau va de la premiere chaudiere à la quatrieme sans séparation, & qu'au lieu que le fond de A I soit au niveau du bord de B, il est d'environ quatre pouces au dessous. De cette maniere le marc de soude se trouve plus bas que les robinets, & on n'a pas à craindre qu'il en passe avec la lessive. La chaudiere B est élevée sur son fourneau de trente pouces au-dessus de terre. La hauteur des bords des chaudieres A regle l'élévation des maçonneries, sur lesquelles elles sont posées, ainsi en leur supposant à toutes un pié de bord, dont quatre pouces sont au-dessus du bord de la chaudiere inférieure ; A 1 sera de trente-huit pouces au-dessus de terre ; A 2 sera élevée de quarante-six pouces, & A 3 de cinquante-quatre. La maçonnerie a six piés de large tandis que les chaudieres n'en ont que quatre.

On pratique un tisar de dix-huit pouces en E, à un des bouts du fourneau, sous la chaudiere la plus basse qui sert d'évaporante, fig. 1. 3. & 4. Le lieu du feu n'occupe que la longueur de la chaudiere B, & on y forme un cendrier de même largeur que le tisar, fig. 2. comme dans les machines dont il a été question ci-dessus, plaçant les barreaux du tisar a, a, a, a.

La fig. 3. exprime la maniere dont est construit le tisar dans l'intérieur du fourneau. La maçonnerie est à plomb de b en c, de la hauteur d'un pié, & elle va de c en d joindre le bord de la chaudiere.

La fig. 2. nous fait connoître la construction du fourneau sous les chaudieres A. A l'extrêmité e du tisar on forme un petit relais e f de six pouces pour terminer le tisar, & de f on construit en maçonnerie un talud f g, dans la vue de diminuer la capacité du fourneau, & de diriger la chaleur sous les chaudieres A. Le talud f g est tel que g h = f i, c'est-à-dire que la distance du talud à la chaudiere B, est la même que celle du talud à la chaudiere A 3. On voit en l un trou d'environ huit pouces sur chaque face, pratiqué pour faire courant d'air, & auquel il ne seroit pas mal d'adapter une cheminée. Lorsqu'on s'apperçoit que le feu devient trop fort sous les chaudieres A, on peut le modérer autant qu'on veut, en bouchant le trou l, au moyen d'une soupape pareille à celle de la Pl. III. On voit, dans la fig. 4. la disposition de la maçonnerie à l'extérieur du côté du tisar.

Quant au service de la machine, le voici. On fait la dissolution dans la chaudiere A 1, & l'évaporation dans la chaudiere B. Lorsque la seconde a été dissoute en A 1, on la fait passer en A 2, où on lui fait subir une nouvelle dissolution ; de A 2 elle passe en A 3, où on la dissout encore. Lorsqu'elle sort de A 3, on peut la jetter sans courir risque de la moindre perte. Toutes ces opérations n'allongent point le travail, & n'entraîne pas à plus de dépense. Elles se font, pour ainsi dire, à feu & à tems perdu, l'extraction roule en entier sur les chaudieres A 1 & B, elles doivent même travailler plus vîte que de toute autre maniere. Au-lieu de faire la dissolution avec de l'eau pure & claire, on la fait avec celle qu'on prend dans la chaudiere A 2, qui est bien plutôt saturée, ayant déja les parties salines dont elle s'est chargée dans les chaudieres A 2 & A 3 : ainsi A 3 est la seule qui reçoive l'eau pure des bassins D. L'eau de A 3 fait la dissolution de A 2, & l'eau de A 2 fait la dissolution de A 1.

Le terrein doit être disposé avec soin autour des chaudieres A, A, A, B, sans quoi on ne pourroit travailler dans les chaudieres A 2 & A 3, cette derniere sur-tout étant à quatre piés & demi de terre.

La réduction se fait dans quatre chaudieres C, C, C, C, placées sur des fourneaux, dont on voit l'élévation du côté du tisar, fig. 5. On les chauffe, comme dans la seconde méthode que nous avons donnée, & on y pratique des petites cheminées, ne fût-ce que des simples ouvertures, à l'opposite du tisar.

Il nous reste encore une méthode d'extraction à décrire, mais comme elle exige quelque connoissance de la purification des sels, nous allons commencer par en dire un mot.

Purifier les sels, ne peut être autre chose que les priver des parties hétérogenes qu'ils contiennent. Ils ne peuvent contenir que du marc de soude, des sels neutres, ou une trop grande quantité de principe colorant. Pour en séparer le marc de soude, il n'y auroit qu'à leur faire subir une nouvelle dissolution. Le marc de soude se déposeroit, on décanteroit l'eau claire, & on l'évaporeroit. Ce moyen doubleroit les dépenses ; ainsi il n'y faut pas penser. On doit seulement tâcher d'extraire avec tant d'exactitude, qu'il ne se trouve point de marc de soude combiné avec le sel, ou du moins qu'il ne s'y en trouve que très-peu.

Je ne vois pas de moyen de séparer les sels neutres de l'alkali, si ce n'est la fusion. Ne pouvant, comme l'alkali, entrer dans la constitution du verre, ils se manifestent au-dessous du creuset sous une forme liquide, & on est le maître de les enlever. Mais comme dans cet instant il n'est plus tems de penser à purifier le sel, que d'ailleurs les sels neutres ne se mêlant pas à la substance du verre, ne peuvent nuire à sa qualité, à-moins que d'être en grande quantité, ne pensons qu'à bannir le principe colorant.

On ne doit entendre par calcination des sels, que l'opération par laquelle on les délivre de leur principe colorant. Nous avons vu précédemment que l'on ne fait subir la calcination à la soude (qui cependant en a bien plus besoin que le sel), que dans l'opération de la fritte ; à plus forte raison, me dira-t-on, seroit il possible de ne calciner le sel que dans la même conjoncture. Aussi n'exige-t-on pas que la calcination particuliere des sels soit absolument parfaite, on sent néanmoins que plus elle aura été poussée loin, moins la fritte aura de besogne à faire, & mieux, & plus tôt elle sera faite.

On met le sel dans un four pareil à ceux que nous verrons en parlant des frittes. On le chauffe d'abord fort doucement pour dissiper peu-à-peu son humidité : si on la mettoit en mouvement tout à coup par un feu violent, il s'en manifesteroit plus qu'il ne pourroit s'en dissiper, le sel en seroit dissous & liquéfié, & demeureroit dans cet état jusqu'à ce que toute son humidité fût dissipée ; alors il s'accrocheroit au pavé du four, & ne pourroit que s'y détériorer, c'est ce qu'on appelle la fusion aqueuse. Il faut prévenir la fusion aqueuse en chauffant d'abord doucement, & retournant le sel avec des instrumens appellés rables, dont on trouvera la description & l'usage en parlant des frittes, pour qu'il chauffe également dans toutes ses parties. On ne court aucun risque de pousser le feu, & de chauffer avec force, lorsqu'on s'apperçoit de l'entiere évaporation des parties humides ; ce qu'on connoît à la diminution des fumées, à leur cessation totale, & lorsqu'avec le rable on ne sent rien de gras ni de pâteux dans le sel. Le coup d'oeil de l'expérience fait connoître mieux que toute autre chose, la fin de la calcination. Au surplus, je suis d'avis qu'on doit la continuer tant qu'on s'apperçoit que le sel change de couleur, & qu'il prend une nuance plus approchante du blanc. Lorsqu'il a été assez de tems chauffé, sans faire voir aucun changement, pour donner occasion de penser qu'il n'en recevra plus, il seroit inutile de pousser plus loin l'opération, puisque d'ailleurs la fritte fait ce qui pourroit rester à faire.

La calcination est plus ou moins parfaite, plus ou moins aisée, relativement à la qualité du sel. L'alkali pur se calcine bien plus vîte & bien mieux que lorsqu'il contient des sels neutres, & la couleur est bien plus blanche après la calcination.

Dans tous les atteliers que nous avons décrits ci-dessus, il est nécessaire de faire la calcination dans un four exprès : dans celui qui nous reste à décrire, le même feu qui fait l'évaporation fait aussi la calcination. Voici le détail de cette nouvelle maniere. On fait la dissolution dans des bassins à l'eau froide. La lessive est plus claire que lorsqu'on dissout avec de l'eau chaude, l'eau n'ayant pas ce mouvement que lui donne l'action du feu, & qui, pour peu qu'il se trouve fort, l'empêche de se clarifier. Mais, me dira-t-on, l'eau froide dissout moins de sel que la chaude ; dès-lors la lessive ne sera pas assez forte, & conséquemment rendra moins à l'opération. La disposition des chaudieres obvie à cette difficulté. On fait passer la lessive dans la chaudiere A, Pl. V. fig. 1. qui est échauffée légerement par le feu du tisar. L'eau s'y évapore en partie, diminue de quantité, & celle qui reste tenant en dissolution tout le sel qui étoit répandu dans une plus grande quantité d'eau, se trouve saturée lorsqu'on la trejette dans la chaudiere d'évaporation B. Celle A ne me paroîtroit pas mal nommée chaudiere de préparation. Après une évaporation suffisante, on fait passer l'eau dans la chaudiere de réduction C, & pour la suite on en agit comme à l'ordinaire.

Les chaudieres A, C ont quatre piés sur quatre, & B en a sept sur quatre ; elles ont toutes un pié de rebord. Elles sont placées à la même hauteur sur une bâtisse de quatre piés. Le feu est allumé sous l'évaporante B, au moyen du tisar T, de dix-huit pouces de large, qu'on construit le plus près qu'on peut de la préparatoire A. On fait un cendrier E à l'ordinaire, fig. 2. sous le tisar, dont on place les barreaux, un pié au-dessous du sol. On voit dans cette figure la disposition du fourneau.

La maçonnerie est montée à-plomb de l en f, hauteur d'un pié, & elle fait de s en g jusqu'à la hauteur d'un pié, un talud incliné de telle sorte que f m = six pouces. De h en i le talud est plus roide, monte jusqu'à l'élévation de dix-huit pouces, & au point i commence un autre talud, qui va de i en n, de maniere que n o = huit pouces. Ce talud est fait dans la même vue que celui qu'on remarque, Pl. II. sous les chaudieres A. On fait de n en o une ouverture de six pouces sur chaque face, qu'on peut diminuer à volonté pour diminuer le feu si l'on en a besoin.

Au moyen de la perpendiculaire g m, on a de m en p sous la chaudiere de réduction un pavé sur lequel on peut faire la calcination. La gueule de cette espece de fourneau de calcination est sur le côté p s, & est semblable pour la forme à la gueule des fours à fritte que nous décrirons bien-tôt. Le terrein est disposé en cet endroit de maniere que ladite gueule & le pavé soient à une hauteur commode pour le travail. Voyez l'élévation fig. 3. Au-dessus de la gueule on fait une cheminée, tant pour recevoir les fumées, que pour favoriser la combustion.

Des compositions. L'état du four dans lequel on a à travailler, regle la proportion des matieres dans les compositions ; s'il ne chauffe pas assez bien pour dissiper la manganese, il faut nécessairement la mettre en petite dose ; s'il ne fond pas facilement, la proportion du fondant devra être un peu plus forte. Lorsqu'on emploie de la soude en nature, on réussit assez bien en combinant parties égales de soude & de sable ; quant à la manganese, j'en mets quatre livres sur mille livres de soude & de sable, si je crois pouvoir les dissiper : si après l'opération le verre se trouve trop rouge, j'en mettrai moins dans la suite ; si l'affinage (t) du verre est trop long, j'augmente la quantité de calcin, & l'on sent en effet que plus on ajoûtera dans une composition de matieres qui a été affinée, plus l'affinage du tout sera promt. Je ne puis donner de regle exacte sur les proportions des matieres qui entrent dans la composition, je me contenterai d'en indiquer diverses qui ont toutes fait de beau verre ; mais on pourroit en trouver beaucoup d'autres qui feroient aussi beau en général ; lorsque toutes les matieres ont été bien calcinées, il est difficile de faire du verre de mauvaise couleur, sur-tout en employant du calcin qui soit lui-même de beau verre ; si au contraire on se négligeoit dans les calcinations, il est bien difficile que le verre ne soit pas jaune.

Les effets de chaque matiere, sur-tout quand on travaille en salin, doivent entrer dans les considérations à faire pour les compositions ; le salin mis en trop grande quantité ne se combine pas tout aux matieres auxquelles il a été mêlé ; l'alkali superflu se manifeste au-dessus du verre, se mêle au bain du sel de verre (u), rend l'évaporation du sel de verre plus difficile, & conséquemment retarde l'opération ; au surplus il est regardé comme donnant au verre une couleur verte ; la chaux est regardée comme colorant le verre en jaune, lui donnant un défaut de solidité, & le rendant friable & cassant ; la manganese en trop grande quantité répand trop de rouge dans le verre, & lorsqu'il y en a trop peu, le verre est d'un verd léger que l'on distingue aisément des verds qui viennent d'autre cause, & les verriers disent alors que le verre est bas en couleur. Le calcin donne au verre du corps & de la facilité, tant à la fonte qu'à l'affinage ; quant à la couleur, il donne au verre celle qu'il a ; si c'est du bon calcin, de bonne couleur, il donnera cette qualité au verre dans la composition duquel il entrera ; si au contraire il est de couleur désagréable, il en donne à toute la masse du verre une nuance moindre à la vérité que celle qu'il a lui-même, mais qui ne laisse cependant pas d'être fâcheuse. Le sable n'est pas considéré comme donnant aucune qualité, ni bonne ni mauvaise, c'est par rapport à lui que les autres matieres sont employées, il est la base du verre ; une trop grande quantité rendroit cependant le verre plus difficile à fondre.

D'après toutes ces considérations, on peut travailler avec succès ; mais la difficulté de la chose, c'est que tout est relatif, & n'est qu'une affaire de comparaison ; telle composition sera excellente dans un four, qu'on n'oseroit entreprendre dans un autre. Mais, me dira-t-on, en suivant les mêmes constructions, n'aura-t-on pas toujours le même four ? J'en conviens, mais ce four n'est pas toujours dans le même état ; en vieillissant, il perd ses qualités. Alors un artiste habile observe les phénomenes avec soin, cherche à en voir la raison, & tâche de se conduire en conséquence.

Lorsqu'on emploie du salin où il y a beaucoup de sels neutres, il faut une chauffe bien plus forte par la nécessité de dissiper ceux-ci, que si l'alkali avoit été bien pur ; il y a une infinité de nuances qui s'apperçoivent par l'expérience, & de petites attentions qu'il est impossible de rendre ici.

Lorsqu'on compose en soude, me dira-t-on, si la chaux fait jaune, le verre doit bien tenir de cette couleur, puisque de cette maniere il y a plus de chaux que de tout autre, vu la base calcaire de la soude. On remédie à cet inconvénient en mêlant de l'azur à la composition. La chaux fait jaune, l'azur bleu, l'union de ces deux couleurs produit le vert, & cette nouvelle nuance étant corrigée par la manganese, le verre se trouve à un assez bon ton de couleur ; il ne faut pas mettre beaucoup d'azur ; il seroit à craindre que la nuance ne fût trop forte, & cette couleur est fort difficile à dissiper ; une once par pot suffit.

Voici des exemples de compositions employées dans deux fours, dont l'un chauffoit mal, & l'autre chauffoit fort bien ; dans le premier, on composa pendant quelque tems dans ces proportions 240 p. salin, 300 p. sable, 40 p. chaux, 25 onces manganese, 267 p. calcin. Avec cette composition, les affinages étoient longs, & l'on fondoit avec peine, quoiqu'il y eût plus de salin qu'il n'en auroit fallu pour peu que le four eût pû chauffer. On augmenta la dose du calcin de 100 p. sur la même quantité des autres matieres ; on n'augmenta pas la dose de la manganese, parce qu'elle ne se dissipoit pas aussi aisément qu'on auroit desiré.

Cette nouvelle composition de 300 p. sable, 40 p. chaux, 240 p. salin, 25 onces manganese, & 367 p. calcin, parut avoir assez de corps pour soutenir une augmentation de chaux, & d'ailleurs la chaux étant une substance alkaline, ne pouvoit pas nuire à la fusion ; on composa donc de cette maniere 240 p. salin, 300 p. sable, 50 p. chaux, 25 onces manganese, 367 p. calcin.

Toutes ces compositions firent de beau verre ; mais on va voir combien elles sont différentes de celles dont on se servit dans le four qui chauffoit bien.

La bonne ou la mauvaise chauffe contribue beaucoup à la bonne fabrication ; le travail est bien plus promt, plus suivi, plus satisfaisant, & les phénomenes plus aisés à observer par leur régularité, lorsque l'on a affaire à un feu violent. Le service d'un mauvais four est toujours ruineux, quelque soin que se donne l'artiste pour en tirer tout le parti possible, même lorsqu'il réussit ; parce qu'il met infiniment plus de tems pour faire le même ouvrage, que s'il avoit bon feu, & conséquemment beaucoup plus de dépenses.

Voyons les compositions de la réveillée (x) du bon four. Les premieres furent de 203 p. salin, 282 p. sable, 33 p. chaux, 293 p. calcin, & 19 onces manganese. S'appercevant que le four chauffoit assez pour fondre avec moins de salin, affiner avec moins de calcin, & dissiper plus de manganese, on composa avec 202 p. salin, 282 p. sable, 33 p. chaux, 282 p. calcin, 22 onces manganese. Ce fut par les mêmes raisons de facilité de fonte, qu'on diminua encore le salin, & l'aisance qu'on avoit à dissiper la manganese, en fit augmenter la dose. On composa sur le pié de 200 p. salin, 310 p. sable, 33 p. chaux, 282 p. calcin, & 24 onces manganese. Le four vint à diminuer de force, on diminua le sable, on augmenta le calcin, on rendit la proportion de la manganese relative à ces nouveaux changemens.

(t) Affiner du verre, c'est à force de feu le dénuer de tous les points ou bouillons qu'il renferme, & qui sont formés par la dilatation de l'air contenu dans les diverses matieres ; c'est, pour ainsi dire, chasser tout l'air qui y étoit renfermé. C'est ce point d'affinage qu'on regarde comme un des points de perfection des glaces.

(u) Sels de verre, ce sont les divers sels neutres qui étoient contenus dans les matieres, après qu'ils ont été fondus.

(x) Réveillée, tems de la durée d'un four.

On sent très-bien que l'on auroit fait une sottise si l'on avoit travaillé dans le premier four les compositions de celui-ci, & réciproquement ; car comparant les deux ci-à-côté, où le sable est en même dose.

Dans le premier four, 200 p. salin n'auroient pû fondre 300 p. de sable, & on n'auroit pû affiner avec si peu de calcin.

Voilà tout ce que je crois pouvoir dire sur cet objet : la relation de l'état du four, avec les proportions des matieres, jettant tant de vague sur cette partie, & y ayant, comme on vient de voir, tant de combinaisons propres à faire du beau verre, en supposant qu'on ait eu toutes les attentions nécessaires pour les calcinations.

L'action de réunir & mêlanger toutes les matieres propres à faire du verre, est connue sous le nom d'assemblage : ainsi assembler ou faire l'assemblage, signifie en terme de métier, mêler & réunir les matieres nécessaires à la composition du verre.

Lorsque l'assemblage est fait, on fait subir à la composition l'opération de la fritte que nous allons détailler, ainsi que les fours où elle se fait, & les outils employés à la faire. Il est nécessaire de prêter à cette description d'autant plus d'attention, que les fours à calciner les sels & les cassons, sont les mêmes que ceux que nous allons décrire.

Ce que c'est que fritter, & la construction des fours à fritte. L'opération de fritter consiste à faire subir aux matieres assemblées une calcination générale & parfaite ; c'est pour ainsi dire, la perfection de toutes les calcinations particulieres, une récapitulation des calcinations antérieures, & si l'on veut me passer le terme, elle est destinée à mettre les matieres au même ton de calcination. On sent combien cette opération est utile ; par elle toutes les parties hétérogenes qui se trouvent volatiles ont occasion de se dissiper ; ainsi c'est à elle qu'on doit l'entiere expulsion du principe colorant, & conséquemment la belle couleur des glaces : c'est aussi à elle qu'on doit le mêlange parfait & intime des matieres qui constituent le verre : par elle la manganese se répand dans toutes les parties de la composition, & acquiert une sorte d'adhérence à ces parties, qui la fait entrer dans la composition du verre ; car on a éprouvé qu'en mêlant la manganese à la composition après que celle-ci avoit été frittée, & l'exposant à la fusion sans faire subir l'opération de la fritte à la manganese elle-même, la propriété volatile de cette derniere matiere en occasionnoit l'évaporation avant qu'elle pût se mêler aux parties du verre & les colorer ; dès-lors l'effet qu'on en attendoit se trouvoit nul.

La fritte est une opération indispensable, comme il est évident par les avantages que nous venons de lui reconnoître. Il en est un cependant, qui, quoique très-considérable, n'en entraîne pas la nécessité : c'est la perfection de la calcination. Il est certain que l'on auroit cette raison de moins de faire des frittes, si l'on rendoit les calcinations particulieres aussi-bien faites qu'il fût possible ; mais d'un autre côté, l'attention particuliere & suivie qu'il faudroit avoir pour la calcination de chaque matiere en particulier, répandroit beaucoup de minuties dans une besogne qui en est déjà assez pleine par elle-même ; encore couroit on le risque d'avoir des calcinations inégales, & conséquemment de faire de mauvais ouvrage : quelques glaciers qui ont voulu se dispenser de fritter, ont été obligés d'abandonner ce projet, ne le remplissant qu'à leur perte.

Nous dirons d'abord un mot de la maniere dont se comporte la composition lorsqu'on la chauffe, des précautions avec lesquelles on la chauffe, des qualités & propriétés qu'elle acquiert par la fritte ; ensuite nous décrirons les fours à fritte, & l'emploi des outils nécessaires à fritter.

Lorsque la fritte est enfournée, il ne faut pas faire éprouver tout-à-coup un feu violent ; cette conduite exposeroit à l'accident de la fusion aqueuse. On chauffe donc d'abord foiblement pour donner le tems à l'humidité de se dissiper lentement ; la fritte fume & s'amollit, c'est dans cet instant qu'il faut la remuer avec force pour l'empêcher de devenir plus molle, en aidant à l'évaporation de son humidité ; lorsque la fritte ne fume plus, & qu'elle redevient friable, on peut pousser la calcination à un grand feu en remuant souvent la fritte. Cette précaution est absolument nécessaire, 1°. pour donner lieu à toutes les parties de se calciner également, 2°. pour obvier à la disposition qu'a la fritte de se réunir en morceaux (y), il faut empêcher que la fritte ne se prenne avant qu'on la regarde comme finie, ce qu'on reconnoît lorsqu'après avoir passé la fusion aqueuse, & avoir été chauffée quelque tems on n'apperçoit plus aucun changement dans sa couleur ni en général dans son état.

Après que la fritte est finie, on y jette la quantité de calcin qu'on juge convenable ; on ne fait pas subir au calcin tout le tems de la fritte ; 1°. parce qu'il n'a absolument besoin que d'être mêlé à la fritte, & qu'il ne faut que très-peu de tems pour cela ; 2°. de peur que cette matiere qui a déja été fondue, & qui a plus de propension à la vitrification que les autres, ne vînt à fondre en tout ou en partie, & ne dérangeât par cet accident l'opération de la fritte.

Il est nécessaire pour la facilité du frittier, (z) & pour l'aisance de l'opération, de ne pas mettre une grande quantité de fritte dans le four ; plus il y en aura, moins il sera aisé de la remuer & d'exposer toutes ses parties au feu : (a) huit ou neuf cent livres de fritte suffisent dans un four de dix piés de diametre.

Les sentimens sont partagés sur la fritte ; les uns veulent qu'on la laisse prendre en morceaux les plus gros qu'il est possible ; les autres veulent au contraire qu'elle soit prise le moins qu'il se peut ; je serois volontiers de l'avis de ces derniers, & voici mes raisons. 1°. La fritte restant en petites parties, reçoit une calcination bien plus parfaite & plus générale que lorsqu'elle se prend. Dans ce dernier cas, les parties intérieures ne ressentent plus l'action du feu. 2°. Le mêlange du calcin est bien plus uniforme ; lorsqu'on laisse prendre la fritte, il y a des morceaux où il n'y a point de calcin ; d'autres ne sont autre chose que du calcin. 3°. Lorsqu'on enfourne la fritte dans le creuset pour faire du verre, si elle est en gros morceaux, la chûte d'un de ceux-ci peut casser le creuset, ce qu'on ne risque pas lorsque la fritte n'est pas prise.

Les qualités auxquelles on reconnoît de bonnes frittes, sont la belle couleur d'un blanc un peu rouge, la légereté & la porosité ; ces deux dernieres propriétés prouvent que l'on n'a pas négligé de remuer la fritte, & que par-là on a aidé autant qu'on a pu à sa calcination, puisqu'elle n'a pû se coaguler assez pour acquérir une densité un peu considérable.

On doit avoir soin d'éplucher la fritte avec le

(y) Le salin fondu, ou plutôt tendant à se fondre, forme un gluten & la liaison par laquelle la fritte se réunit en morceaux, ce que les gens du métier appellent se prendre.

(z) Ouvrier chargé de faire la fritte.

(a) Nous dirons la maniere de remuer la fritte en parlant du rable.

plus grand scrupule, pour en séparer les dégradations du four qui auroient pû y tomber, & les autres parties hétérogenes qui par hasard s'y rencontreroient.

Les compositions faites en soude, sont bien plus longues & bien plus difficiles à fritter que celles qu'on fait en salin, la raison en est bien sensible ; la soude renferme beaucoup de principe colorant, & n'a subi aucune opération qui pût l'en priver, comme le salin qui a passé par une premiere calcination ; aussi se conduit-on bien différemment pour travailler les compositions en soude, que pour fritter des compositions en salin. On fritte les premieres deux fois ; la premiere tient lieu de la calcination que subit le salin avant d'être employé ; on fritte cette fois sans manganese : on défourne la composition, on l'écrase si elle est prise, on y ajoute la manganese, & on la remet au four où elle subit une seconde fritte d'environ quatre heures, qu'on appelle repassée. Les frittes en sel sont environ le même tems à se faire, & ne sont conséquemment que des sortes de repassées.

La premiere fois qu'on enfourne les compositions en soude, elles subissent environ huit heures de chauffe.

On voit dans la Planche XII. les plans & coupes des fours à fritte en usage ; le pavé du four présente une surface ronde A de cinq piés de rayon ; il est fait en briques posées de champ comme nous avons vu qu'étoit le pavé des arches à pots.

Le pavé A est élevé sur un massif en bonne pierre de la hauteur de trente pouces. (Fig. 2 & 3 même planche.) Le four est ouvert d'une gueule B destinée au travail ; elle a dix-huit ou vingt pouces de large, & est ceintrée à plein ceintre. On laisse à la gueule le moins d'épaisseur qu'il est possible, & seulement celle qu'il faut pour la solidité du four : on forme un relai t x z y de six pouces qu'on place de maniere que t z = quatre piés, & au-dessus duquel on forme un ceintre de pareille hauteur, qu'on trouve exprimé en z e k &. (fig. 4, Pl. XIII.) Le relai t x (Planche XII, fig. 1.) donne lieu de poser une tôle ou ferrasse devant le four quand on en a besoin, & son éloignement de la gueule donne la facilité d'atteindre toutes les parties du four avec le rable. C'est aussi pour cette facilité que quelquefois on ôte au four la forme circulaire de 2 en 1, & on lui fait prendre la forme 1, 3, 2. On place à la gueule du four une plaque de fonte e f qui s'engage de chaque côté sous la maçonnerie, & qui déborde un peu le massif ; lorsque la fritte est faite, on la fait tomber dans un bassin M N pratiqué depuis le pié droit F de la cheminée jusqu'au tisar, dans la vue d'y laisser refroidir la fritte : ce bassin est d'une largeur de trois piés ; la plaque e f empêche par sa position la fritte de toucher le massif en tombant. La voûte du four est élevée du rayon de son aire, c'est-à-dire, de cinq piés ; on peut la concevoir formée par la partie B T S 4 qui a tourné autour du diamêtre B 4 jusqu'à ce qu'elle ait été s'appliquer sur la partie B 54.

De quelque maniere qu'on coupe le four, par la ligne m n, ou par la ligne c d, comme dans les figures 2, 3, la courbe que sa voûte présentera, sera toujours la même, le four n'étant qu'une demi-sphere, dont le rayon est de cinq piés.

Le four à fritte est chauffé par le tisar E D de dixhuit pouces de large & d'environ sept piés de long. Le tisar peut être indifféremment à droite ou à gauche de la gueule du four, suivant l'emplacement que l'on a. Laissant un pié pour l'épaisseur 26 des murs du four, le tisar se trouve à six piés de la ligne c d, & sa ligne du milieu conséquemment à six piés neuf pouces.

Le tisar est dirigé parallelement à la ligne c d.

Si l'on considere le devant du massif du four désigné par la ligne 7 8, on verra que le tisar est plus enfoncé d'environ un pié, & que l'ouverture C depuis le four jusqu'au pié droit F de la cheminée, est de deux piés, au moyen de quoi on a de chaque côté du tisar un relais 9, 10, 11, 12, pour placer la porte qui sert de fermeture au tisar. Les barreaux du tisar sont élevés de deux piés au dessus de terre (q r, fig. 2, Pl. XII.) : ce qui les place à six pouces audessous du pavé. Le ceintre du tisar est élevé de deux piés au-dessus des barreaux. Les barreaux du tisar sont bien plus solides lorsqu'on les fait en bonne fonte, que lorsqu'on les fait en fer.

Le feu du tisar se communique dans le four par une ouverture S T (fig. 1, Pl. XII.) d'environ cinq piés de large, & prenant à l'extrêmité D du tisar. L'ouverture commence à six pouces au-dessus du pavé (fig. 3. Pl. XII.) ; les barreaux du tisar & par conséquent le feu se trouvent environ à un pié audessous de l'ouverture, & par-là on évite le danger de faire tomber des charbons dans la fritte, en jettant du bois dans le tisar ou en l'y remuant.

On peut regarder l'ouverture S T comme une maniere d'entonnoir, puisque du côté du four elle a la hauteur du four, & du côté du tisar, celle du tisar, qui est bien moindre. Cette disposition en entonnoir paroît la plus favorable pour déployer la flamme dans le four, & lui donner plus d'étendue. Le cendrier a environ cinq piés de profondeur au-dessous des barreaux du tisar ; il s'avance d'un pié plus que le tisar, c'est-à-dire en 8, 14, à l'alignement du devant du four.

On voit (fig. 4, Pl. XIII.) la maniere dont on dispose le devant d'un four à fritte pour pouvoir y travailler. De chaque côté de la gueule du four on place une barre de fer verticale, telle que 1, 2, 3, 4. Elles sont l'une & l'autre retenues par d'autres barres engagées dans la maçonnerie, & dont il ne sort que les bouts 1, 2, 3, 4, formés en anneau. Les barres verticales sont armées de crochets élevés d'environ six pouces au-dessus de la plaque du devant du four. On pose sur ces crochets une barre horisontale x y, garnie de chevilles, & connue sous le nom de barre du four à fritte.

On pratique une cheminée au devant des fours à fritte pour recevoir les fumées. Les piés droits en sont placés, l'un au tisar, l'autre à l'extrêmité opposée du bassin M N (voyez F F, Pl. XII.). La cheminée a trois piés de profondeur, & son manteau est élevé de six piés au-dessus de terre (fig. 4, Pl. XIII.). Il seroit à craindre qu'il ne tombât par le tuyau de la cheminée, des saletés, comme suie, &c. dans le bassin M N, où la fritte demeure un peu de tems. On prévient cet inconvénient en dirigeant le tuyau audessus du tisar jusqu'où le bassin ne s'étend pas ; mais ce remede n'est qu'un palliatif ; il peut tomber des ordures du manteau comme du tuyau, & alors elles iroient nécessairement dans le bassin. Il n'y auroit qu'à abattre la fritte dans un coffre de tôle posé sur des roulettes ; dès que la fritte seroit abattue, on la retireroit de dessous le manteau de la cheminée, & on la laisseroit refroidir en sûreté.

Au-dessus du four à fritte, on pratique un appartement bien propre i, (fig. 2 & 3, Pl. XII.) qu'on remplit de sable lavé, pour l'y faire sécher ; l'appartement i s'appelle sablonette.

On se sert aussi de fours à fritte double (Pl. XIII.). Ceux-ci ne sont point différens de ceux que nous venons de décrire : c'est simplement deux de ces derniers construits à côté l'un de l'autre, présentant leur devant H I, H I (Pl. XIII. fig. 1.) sur la même ligne, communiquant par les ouvertures B C, B C, au même tisar F G, qui leur est commun, & qui au lieu d'avoir sa gueule sur la même face que celles des fours, l'a en E, sur la face opposée ; au moyen de ce four double, il n'est besoin que du même feu pour faire deux frittes à la fois.

Lorsqu'un four à fritte est achevé de construire, on a toujours le soin de le chauffer par degrés, pour l'attremper & le recuire, avant de le faire travailler.

La vignette de la Planche XII. représente l'opération de la fritte, ou, si vous voulez, les frittiers en action. Ils ont derriere eux des matieres toutes assemblées dans les caisses de bois 1, 2, portées sur des roulettes. Les dimensions de ces caisses n'ont rien qui les décide ; elles doivent seulement contenir au-moins ce qu'on met à chaque fois dans le four, c'est-à-dire une fritte, & elles ne doivent pas être assez grandes pour que le frittier seul ne les puisse remuer avec facilité & sans embarras, en s'aidant seulement du levier.

Lorsque le frittier veut enfourner sa fritte, il ôte la barre de son four, approche sa caisse, prend sa matiere avec une pelle représentée en 3, & garnie d'un manche de trois piés, & la jette en tas dans le four, recule sa caisse pour obtenir la place nécessaire à son travail, & replace sa barre dans la position où elle doit être lorsqu'il travaille. Alors il prend le rable qu'on voit entre les mains du frittier, dans la vignette de la Planche XII. aussi bien qu'en 45, 67.

Le rable est l'instrument le plus intéressant à connoître dans cette partie : c'est l'usage qu'on en fait, qui rend la fritte mieux ou plus mal faite ; il est destiné à la remuer. C'est une longue barre de fer au bout de laquelle on ajoute une patte a b c d, faisant angle droit avec la barre qu'on appelle communément manche du rable. On pose le rable sur la barre du devant du four, qui lui sert de point d'appui ; on le place entre deux des chevilles qu'on remarque sur la barre pour l'empêcher de glisser & de changer mal-à-propos de position. Les dimensions du rable sont relatives au four dans lequel on fritte. Si le four a dix piés de diamêtre, le rable doit avoir environ quinze ou seize piés de manche. Quant à la patte, plus les frittes qu'on enfournera seront fortes, plus elle devra être longue de a en b, pour pouvoir aller jusqu'au pavé ; car c'est b c qui touche le pavé. Il n'est pas besoin que la patte du rable soit fort large de b en c ; il suffit qu'elle le soit assez pour que le rable ait de l'assiette sur le pavé, & qu'il ne change pas de position au moindre obstacle. Un rable à fritte ne me paroîtroit pas mal en proportion, ayant a b = neuf pouces, & b c = six pouces. On met un petit manche de bois au bout du rable pour le tenir avec facilité.

Le rable a deux mouvemens : du devant du four au fond, & réciproquement, & de droite à gauche comme de gauche à droite. Dans le premier, le rable pose sur le côté b c, & le frittier le pousse devant lui jusqu'au fond du four, & trace un sillon dans la matiere qu'il a eu bien soin d'étendre sur tout le pavé du four. Il porte ensuite la patte de son rable deux pouces à côté de l'endroit où elle étoit, & tirant à lui il forme un autre sillon, & ainsi de suite. Cette opération s'appelle labourer la fritte. Elle tend à faire passer au-dessus les parties qui étoient au-dessous, pour leur faire éprouver plus immédiatement l'action du feu ; lorsque les parties que le frittier vient d'exposer au feu, ont été un peu chauffées, il recommence & fait revenir dessus celles qu'il avoit fait passer dessous, & il opere de même jusqu'à la fin de la fritte.

Le second mouvement du rable tend, comme le premier, à changer la disposition des parties de fritte dans le four. Le rable ne pose plus sur b c, mais sur son côté a b. Le frittier met le manche de son rable d'abord à la premiere cheville, & il le remue de droite à gauche, & de gauche à droite. Il fait la même manoeuvre en plaçant le rable à chaque cheville pour atteindre toutes les parties du four. Point de maniere plus favorable de présenter souvent au feu différentes parties, & point de moyen plus propre à empêcher la fritte de prendre. Cette manoeuvre s'appelle rizeler la fritte. C'est par ces deux manutentions souvent répetées, qu'on parvient à faire éprouver à la fritte une calcination égale & uniforme dans toutes ses parties. Le rable sert aussi à abattre la fritte dans le bassin lorsqu'elle est faite.

Il est nécessaire que le frittier ait auprès de lui plusieurs rables, pour en changer lorsque celui dont il se sert, vient à se trop échauffer.

De la préparation du bois propre au tisage, & de la maniere de tisser. Rien de plus désirable pour la bonne fabrication qu'une chauffe violente, soutenue & bien entendue ; rien conséquemment de plus important que le bon tisage. Nous entendons par tisage, l'action de chauffer le four. La bonté du tisage dépend de trois causes : de la qualité du bois qu'on employe, de la maniere dont s'y prend l'ouvrier, & de sa vigilance. Le fabricateur n'est pas responsable de cette derniere condition ; elle ne dépend pas de lui, mais les deux premieres tiennent immédiatement à sa capacité. De toutes les especes de bois, celles qui, en faisant plus de flamme, produisent le plus de chaleur, sont sans contredit le hêtre & le frêne & particulierement le premier. Dans bien des pays de forêts, ces deux bois font, pour ainsi dire, une espece à part distinguée par le nom de foyard, qu'on donne à l'un & à l'autre. Différens des bois blancs, comme le tremble, le sapin, &c. ils produisent presque aussi peu de braise, & font une flamme active & animée, au lieu de la flamme pâle & languissante des bois blancs. Les chênes, de quelque espece qu'ils soient, ne peuvent entrer en comparaison avec le hêtre pour l'usage des verreries ; ils charbonnent beaucoup & produisent peu de flamme, ainsi que peu de chaleur. Les arbres fruitiers sauvageons qu'on trouve assez communément dans les bois, peuvent encore servir passablement au tisage.

Ces considérations ont déterminé à choisir le hêtre de préférence à tout autre bois, pour le tisage ; on a cherché ensuite la maniere de façonner ce bois, la plus favorable à sa promte & parfaite combustion. On a regardé comme la meilleure, la méthode de refendre les pieces de hêtre, & d'en faire des morceaux d'environ quatre ou six pouces de tour, ou, si on veut, tels que l'on puisse les embrasser entre le pouce & le doigt du milieu. Voici les observations qui ont engagé à prendre ce parti. 1°. La plûpart des morceaux sont privés de l'écorce qui les empêcheroit de s'enflammer aussi promtement que le coeur du bois le fait. 2°. Le bois sans écorce seche bien mieux. 3°. Le tiseur ayant à employer du petit bois, mesure & regle bien mieux la quantité qu'il croit devoir en mettre dans son four. Le hêtre ainsi façonné prend le nom de billette. La longueur de la billette est réglée par la construction du four dans lequel on la brûle. Dans celui que nous avons décrit, le milieu du tisar se trouve à vingt-deux pouces au-dessus de l'âtre des tonnelles, & le haut à vingt-quatre. La bonne longueur du bois sera donc d'environ vingt-sept pouces ; par ce moyen une billette jettée dans le four pourra toucher d'un bout à l'âtre des tonnelles, & de l'autre au tisar, & demeurer par-là dans une position presque droite, qui sera plus favorable à la combustion, que si la billette tomboit à plat sur l'âtre des tonnelles.

On a essayé de tisser avec de la charbonnette ou bois de charbonnage, qui est façonné dans les branches des gros arbres ou dans la cime des taillis. La charbonnette quoique de même grosseur que la billette, fait bien moins bon feu, & il y a bien des raisons pour cela. 1°. On sait que le bois des branches est incomparablement moins bon que le bois de tronc. 2°. La charbonnette est toute couverte d'une écorce qui lui conserve son humidité plus long-tems, & qui empêchant le feu d'agir immédiatement sur le bois, en retarde la combustion & le fait charbonner.

A toutes les précautions possibles & usitées pour se procurer de belle & bonne billette, ajoutez celle de ne l'employer que très-seche, & vous aurez le meilleur aliment du feu qu'il soit possible : la billette encore humide produit beaucoup de fumée, peu de chaleur, & brûle difficilement.

On ne peut obtenir une chauffe bien exacte que par l'exactitude du tiseur & sa bonne besogne. Il doit mettre du bois dans son four d'une maniere bien réglée, n'en laisser jamais manquer, & en même tems n'en pas mettre trop ; car s'il en mettoit une quantité trop considérable, il ne s'enflammeroit pas assez vîte, le four seroit engorgé, il paroîtroit beaucoup de fumée, & on chaufferoit mal. On a imaginé un moyen de régler la chauffe, en assujettissant le tiseur à des mouvemens toujours les mêmes, qui puissent produire l'effet qu'on desire, sans exiger nulle combinaison d'un être qui très-souvent n'en est pas capable. On l'oblige de tourner d'un pas égal à-l'entour du four, pendant tout le tems de son travail, & chaque fois qu'il passe devant chaque glaie, il est tenu de mettre dans le tisar une même quantité de billettes. Le pas d'un bon tiseur est tel, qu'il fait la valeur de sept lieues pendant les six heures qu'il travaille. Le nombre des billettes qu'il jette dans chaque tisar, doit être tel, qu'il finisse de se consumer lorsque le tiseur revient au même tisar. Le four s'engorgeroit & boucanneroit (b), si le bois étoit plus long-tems à se consumer ; au contraire il jeûneroit, & le feu manqueroit d'aliment, si le bois étoit consumé avant que le tiseur fût à même d'en mettre d'autre. C'est ce juste milieu qu'il faut chercher avec le plus grand soin.

L'usage du rable est la plus grande difficulté du travail du tiseur. On trouve le plan de cet instrument dans le bas de la Planche XVIII. en k c. Le rable du tiseur ressemble par la figure au rable à fritte, mais il est beaucoup plus léger & plus court. Il a huit piés de manche, savoir six piés de k en d en fer, & deux de d en c en bois. La patte du rable a quatre pouces de 1 en 2, & autant de 2 en 3. Le rable du tiseur est destiné à débarrasser l'âtre des tonnelles, des braises qui s'y déposent, & qui ne manqueroient pas d'intercepter le courant d'air, en bouchant les deux soupiraux du bas de la glaie : c'est cet usage du rable qui décide sa longueur. En lui donnant huit piés, l'âtre des tonnelles en a deux & demi ; il restera donc en-dehors cinq piés ou cinq piés & demi de manche, pour manier l'instrument. L'ouvrier met sa main droite en c, & la gauche plus avant sur le manche du rable. Dans le mouvement de cet outil, la main gauche du tiseur lui sert, pour ainsi dire, de point d'appui, & sa droite dirige son opération. Il insinue son rable successivement par chacune des ouvertures du bas de la glaie, le porte jusqu'à l'extrêmité de la tonnelle, & retirant à lui, il dégage de braise le devant de ses soupiraux. Il a sur-tout attention de bien tenir libres les environs des joues ; comme elles sont placées chacune du côté d'un des sieges, cette précaution ne peut que diriger le feu vers cette partie où il est le plus intéressant qu'il porte son action. Par cette manoeuvre que le tiseur est obligé de répéter fréquemment, & qu'on connoit sous le nom de rabler, il ne fait qu'entretenir le même courant d'air ; il n'ôte pas toute la braise de son four. Cette opération seroit trop longue, pour qu'étant répétée, elle ne nuisît à la chauffe. Lorsque le tiseur est absolument gêné par la braise, & qu'il veut la vuider, il recherche avec son rable tous les endroits de l'âtre des tonnelles, & retire en-dehors toute la braise qu'il y rencontre : ce qu'on appelle débraiser. Pendant le débraisage on doit toujours tisser avec force, pour ne pas donner au four le tems de se refroidir. A peine le tiseur a-t-il fini de débraiser, qu'on prend les braises avec une pelle de tôle z a (Pl. XVIII.) plate & large, connue sous le nom de pelle à débraiser. On les met dans un coffre de tôle T, monté sur un petit brancard & une petite roue, couvert du couvercle X, & connu sous le nom de brouette à braises, & on les mene hors de la halle. Dès que les braises sont enlevées, le tiseur doit avoir pour premier soin de donner avec son rable un même arrangement, au-devant de chaque soupirail, au peu de braises qui restent, pour ne pas diminuer un soupirail plus que l'autre, & ne pas rendre les deux courans d'air inégaux. Il doit avoir la même attention chaque fois qu'il rable, pour la disposition des braises qu'il amene en retirant son outil. Les braises sont disposées au-devant de la glaie, comme 1, 5, 6, fig. 3, Pl. VIII.

Il existe une autre maniere de rable e f g h, (Planche XVIII.) qu'on nomme communément grand rable. Son usage est de nettoyer le bas du four par une seule tonnelle, d'un bout à l'autre. Aussi a-t-il dix piés de manche de fer, de e en f, & six en bois, de g en h, qu'on y ajoute, pour le tenir sans brûler. Sa patte e i m l, a environ un pié de e en i, ou de l en m ; & seulement environ trois pouces de i en m : lorsqu'on s'en sert, il pose sur e i, ou l m ; on sent, que pour employer le grand rable, il faut au-moins que le chio soit ôté, & le bas de la glaie ouvert.

A présent que nous tenons toutes les connoissances primordiales, c'est-à-dire, que nous connoissons les matieres nécessaires à la fabrication des glaces ; que nous savons les préparer, & les rendre par la fritte, propres à faire du beau verre ; que nous savons faire des creusets & des fours, recuire les uns & les autres, & que nous venons d'apprendre à chauffer ces mêmes fours ; c'est le lieu de considérer la suite des opérations, par laquelle on parvient à donner au verre, la forme de glaces : & en raisonnant sur ces opérations, nous décrirons en même tems, les outils propres à chacune d'elles.

Opérations de la glacerie, & description de divers outils. La premiere opération à faire dans la glacerie, c'est de remplir les pots de matiere. C'est en même tems la plus simple ; elle est désignée par le mot enfourner. On débouche celui des ouvreaux d'enhaut, qui donne sur le pot qu'on veut enfourner. Il seroit peut-être plus commode de déboucher l'ouvreau du milieu ; parce que, donnant sur deux pots, on ne seroit obligé de déboucher que deux ouvreaux pour enfourner les quatre pots ; au lieu qu'en enfournant par l'ouvreau à tréjetter, on est obligé de les déboucher tous quatre, l'un après l'autre. L'usage de l'ouvreau d'en-haut & le tems d'enfourner, excitent une question parmi les Artistes ; mais comme il faut connoître le travail entier pour l'entendre, ce n'est pas ici le lieu d'en parler.

Toute l'opération d'enfourner consiste à prendre de la matiere dans l'arche avec une pelle K H, Planche XVIII. & à la porter dans le pot par l'ouvreau. La seule précaution qu'exige cette opération, c'est d'être faite avec propreté & célérité.

Quant à la propreté, ne remplissez pas trop les pelles, pour qu'il ne tombe pas de matiere ni par terre, ni dans le four ; introduisez-les légerement dans l'ouvreau, sans en toucher ni l'arbre ni les parois, & ne les renversez que quand vous êtes immédiatement au-dessus du pot (c). Lorsqu'il tombe de la

(b) Terme du métier, signifiant fumer avec force.

(c) Si l'ouvrier étoit obligé de porter sa pelle pleine, du même effort jusqu'en-dedans du four, il lui seroit difficile d'être assez assuré de l'exactitude de son bras, pour entrer sans toucher l'ouvreau. Aussi met-on devant l'ouvreau un parallélépipede de fonte, auquel on donne le nom de barre, de quatre pouces sur six, pour qu'il domine un peu l'ouvreau. L'ouvrier y appuie un instant sa pelle avant de l'introduire, pour prendre ses dimensions avec sûreté ; & la même barre sert de point d'appui au manche de sa pelle, quand il la renverse.

matiere sur l'âtre de l'ouvreau, ratissez-la avec un instrument, (fig. 3. bas de la page 20) qu'on appelle graton. Il ressemble assez à un rable, dont la patte, qui est proprement le graton, est beaucoup plus mince, & a trois pouces, sur un pouce & demi. On y adapte un manche d'environ huit piés, pour donner à l'ouvrier la facilité de s'en servir, sans se brûler.

Pour ce qui regarde la promtitude de l'opération d'enfourner ; elle consiste à ne laisser jamais l'ouvreau vuide de pelle. On voit dans la vignette de la Planche XVIII. l'opération faite avec assez de vivacité ; l'ouvrier 1 remplit sa pelle à l'arche ; l'ouvrier 2 porte la sienne à l'ouvreau ; l'ouvrier 3 enfourne ; l'ouvrier 4 va à l'arche, chercher de la matiere ; & les ouvriers 5, 6, attendent que l'arche soit libre, pour remplir leurs pelles. On m'observera peut-être, que les ouvriers 1, 2, 3, 4, suffiroient pour enfourner ; car il pourroit y en avoir toujours un à l'arche, l'autre à l'ouvreau ; un troisieme en y allant, & le quatrieme en revenant, comme ils sont dans la vignette. Conséquemment 5, 6, seroient inutiles, & on pourroit se dispenser de les employer. Mais si l'on fait attention, que la moindre circonstance, en retardant le plus petit mouvement des ouvriers 1, 2, 3, 4, peut retarder l'opération ; que, d'ailleurs, ce danger est inévitable, par la nécessité de déboucher & reboucher, comme de gratoner l'ouvreau ; on conviendra que la présence des ouvriers 5, 6, n'est pas inutile. Il seroit possible, m'objectera-t-on, de diminuer le tems de l'opération, en faisant enfourner des deux côtés du four en même tems. On doit sentir, que les enfourneurs, vu leur grand nombre, seroient obligés d'attendre long-tems à l'arche ; ce qui nuiroit beaucoup à la diligence qu'on demande, & le four ouvert des deux côtés, ne pourroit qu'éprouver un refroidissement considérable.

Une observation essentielle lorsqu'on enfourne, c'est d'enfourner également, c'est-à-dire, de ne pas mettre plus de matiere dans un pot que dans l'autre.

Il ne suffit pas d'enfourner une fois pour remplir le pot ; les parties de la matiere qu'on a enfournées, se fondant, se rapprochent les unes des autres, & occupent moins d'espace : conséquemment le pot qui étoit à comble, quand on a fini d'enfourner, est fort éloigné d'être plein après quelques heures de chauffe. On fait tirer des larmes (d) ou essais de verre avec le crochet (Planche XXII. figure 1.) ; lorsqu'on connoît que le bain de verre ne baissera plus, on enfourne de nouveau. Avant que d'enfourner une seconde fois, il faut laisser venir le verre au plus haut point de perfection qu'il est possible. On laisse évaporer tout le sel de verre, & on attend que les points qui paroissent dans le verre soient dissipés, du-moins en plus grande partie. Ces points ne sont autre chose, que l'air renfermé dans le verre, qui se dilate par l'action du feu. Dans les premieres larmes, ils sont imperceptibles ; ils deviennent plus gros, plus ouverts ; l'air qui les forme ayant reçu un plus grand degré de dilatation. Ils prennent alors le nom de bouillons : enfin, ils gagnent la surface du bain du verre & se dissipent : le verre est dit plus fin, à mesure qu'il renferme moins de ces points ou bouillons.

On sent combien il est intéressant que le verre soit fin, ou à-peu-près, avant d'enfourner une seconde fois ; l'air renfermé dans le bas du bain de verre, a bien moins de peine à gagner le haut, que si le pot étoit plein : en agissant toujours de même, la totalité du verre contenu dans le pot, est bien plus tôt affinée, & en état d'être travaillée, que si l'on se pressoit de renfourner, après avoir simplement fondu la matiere qui avoit été d'abord enfournée. Par la méthode que nous venons d'indiquer, lorsque la derniere fonte (e) est faite, on n'a plus à affiner que cette derniere fonte, qui ordinairement est peu considérable.

On fait communément trois fontes ; j'en ai fait quelquefois quatre. Le nombre en est relatif à la qualité des matieres que l'on emploie : si elles contiennent beaucoup de sel de verre, il occupe une place qui se trouve vuide après sa dissipation, & il faut un plus grand nombre de fontes.

Le sel de verre est quelquefois si abondant, qu'il est nécessaire de l'ôter de dessus le pot avec des poches, pour ne pas perdre le tems à attendre sa parfaite dissipation. On se sert de poches de fer ; celles de cuivre seroient trop tôt déteriorées : on insinue les poches dans l'ouvreau à tréjetter ; on les plonge dans le pot d'où on les retire pleines de sel de verre. Il faut avoir attention de ne pas déposer ce sel dans un lieu mouillé ; l'humidité le fait élancer au loin, lorsqu'il est encore fluide ; & ceux qui sont auprès peuvent en être incommodés. On doit donc par la même raison, ne le toucher non plus qu'avec des poches seches.

La derniere fonte faite, il n'y a plus qu'à chauffer avec violence, pour affermir la masse entiere du verre, & en même tems pour dissiper la manganese superflue, & n'en laisser que ce qui est nécessaire à la bonne couleur du verre.

La manganese se manifeste ordinairement dès la premiere fonte ; elle diminue un peu dans l'intervalle de la premiere à la seconde ; elle redevient un peu plus forte lorsqu'on a fait la seconde ; elle diminue encore dans l'intervalle de la seconde à la troisieme ; elle se manifeste de nouveau après la troisieme ; & lorsque c'est la derniere, elle va en diminuant, jusqu'à ce que le verre soit bon à travailler. Au reste, la couleur de la manganese ne regle point du tout le tems des fontes : que le verre soit plus ou moins haut en couleur, on enfourne toujours, lorsque le verre est jugé assez fin, & que le sel est dissipé.

Lorsque le verre est fin, qu'il ne joue plus, c'est-à-dire, qu'il ne change pas d'état, & que la couleur n'est pas trop haute, il est tems de le travailler. Pour cet effet, il faut le faire passer dans les cuvettes pour pouvoir le transporter avec facilité ; mais il est nécessaire de nettoyer auparavant les vases dans lesquels on doit transvaser le verre ; d'autant plus que celui qui y est resté des opérations précédentes, a perdu la couleur qu'il avoit à force d'être chauffé, est différent en qualité du nouveau verre qu'on mettroit dans les cuvettes, & ne se mêleroit pas assez intimement à lui, pour ne pas causer des différences fâcheuses dans la couleur des diverses parties de glaces qui en seroient formées, & ne pas les parsemer de veines plus basses en couleur les unes que les autres. Les dégradations, les larmes, qui tombent quelquefois de la couronne dans les cuvettes, exigent aussi la précaution de les nettoyer. L'opération par laquelle on y parvient est connue sous le nom de curage.

Avant de procéder au curage, on nettoie la halle, & sur-tout les environs du four, où se doit faire l'opération. On a au coin de chaque arche du côté de

(d) On tire des larmes en plongeant le bout du crochet dans le verre ; & lorsqu'on l'a retiré hors du four, on profite du tems où le verre qui est resté attaché au bout du crochet est encore chaud, pour en former une goutte par l'agitation qu'on donne au bout du crochet, & cette goutte est la larme.

(e) On appelle fonte la quantité de matiere qu'on enfourne à chaque fois ; ainsi faire la premiere fonte, c'est enfourner une premiere fois ; une seconde fonte, c'est enfourner une seconde fois, &c.

l'ouvreau, un baquet plein d'eau propre. Ces sortes de baquets sont ordinairement cerclés en fer, & garnis de tôle légere autour de leur bord, pour empêcher qu'ils ne soient brûlés par le verre qui y tombe toujours pendant le curage. On démarge l'ouvreau à cuvette, c'est-à-dire, qu'on ôte les torches qui garnissoient le tour de la tuile ; on se sert pour cela de la grand'mere, Planche XIX. fig. 1. C'est un instrument de fer assez mince, de la longueur d'environ trois piés, fait par le bout b comme le bout d'un ferret, & présentant à l'autre extrêmité a, une petite dent d'environ un pouce. On insinue la dent de la grand'mere à quelques parties de la torche, & tirant à soi, on arrache les torches en entier tout-autour de la tuile. Lorsque l'ouvreau est démargé, on enleve le débris des torches avec le rabot, (fig. 5.) instrument de bois formé comme on le voit dans la figure. Après avoir raboté le dessous de l'ouvreau, on acheve de le nettoyer au moyen du balai, (fig. 6.) qu'on passe aussi sur le ceintre de l'ouvreau, pour en faire tomber les parties de torches qui y seroient encore attachées.

Lorsqu'on n'a bouché qu'avec une tuile, on ne peut balayer sous le ceintre de l'ouvreau qu'après avoir ouvert le four ; & alors on est en danger de faire tomber soi-même des saletés dans les cuvettes ; mais bouchez avec deux tuiles l'une devant l'autre, & margez sur la seconde. Après le démargement & le rabotage, on n'a qu'à ôter la seconde tuile, & on pourra balayer le haut de l'ouvreau & ses piés droits sans danger, à la faveur de la premiere. Après avoir balayé on débouche, c'est-à-dire, qu'on ôte la derniere tuile avec le cornard, & le four paroît ouvert. S'il y a quelque chose sur l'âtre de l'ouvreau, qui demande à être arraché, & qui fasse résistance, on le gratonne ; s'il pend quelque larme au ceintre de l'ouvreau, on l'enleve aussi avec le graton.

Il arrive quelquefois que le cul de la cuvette tient au siege, soit par le verre qui est tombé sur le siege, soit par la vitrification des deux surfaces. On détache la cuvette du siege, au moyen de la pince, (fig. vij.) ce qu'on appelle élocher la cuvette, d'où la figure 7, prend le nom de pince à élocher.

Lorsque la cuvette est élochée, on la prend avec le chariot à tenaille, que l'on voit en géométral & en profil. (fig. 8. & 9.) Cet instrument mérite bien que nous nous arrêtions un moment à sa description.

Le chariot à tenaille, ce sont deux branches de fer B G H I, C G K L qui se croisent en G où elles sont arrêtées comme les branches d'une paire de ciseaux, ayant la liberté de s'écarter ou se resserrer. Les branches sont portées en G sur un aissieu & des roues. Les branches sont contournées, de maniere que lorsqu'elles sont à l'endroit où elles font tenaille, elles prennent la forme quarrée K L I H d'une cuvette. La tenaille est un peu plus resserrée de I en L, que de K en H.

Les proportions du chariot à tenaille, c'est-à-dire, l'ouverture de la tenaille, la longueur de l'instrument de G en I, ou en L, la longueur de l'aissieu & le rayon des roues, tout cela est relatif à la mesure des cuvettes & au four, & la longueur G B l'est à celle qu'on a donnée à G I ou G L. On donne aux roues un peu moins d'un pié de rayon, pour pouvoir les faire passer sous les plaques des ouvreaux d'en-haut. Les moyeux sont à environ vingt-quatre pouces l'un de l'autre. Quant à la distance de G au bout de la tenaille, il faut qu'elle soit suffisante pour aller prendre la cuvette du devant, & c'est sur cela qu'on se regle. Le point G ne peut approcher de l'ouvreau de plus près, que le rayon des roues = onze pouces : l'ouvreau a douze pouces d'épaisseur ; la premiere cuvette a seize pouces, comptons lui en dix-huit, pour sa distance, tant du ceintre de l'ouvreau, que de la cuvette du devant, & supposons qu'on pince celle-ci de sept pouces, c'est-à-dire, qu'on avance la tenaille de sept pouces dans la ceinture : G M = 11 + 12 + 18 + 7 = 48 pouces = 4 piés. On a donné quatre piés six pouces dans la figure à G M pour plus de facilité. Les extrêmités L, I de la tenaille finissent en s'amincissant. On fixe les tenailles au degré d'ouverture qu'on veut, au moyen d'une clavette, qu'on met dans les divers trous d'un morceau de fer E F, que j'appelle clé & qui passe au-travers d'une des branches G C de la tenaille.

A l'extrêmité des bras G B, G C du chariot, sont placés des poignées A B, C D = environ neuf pouces, pour placer les mains des deux ouvriers destinés à conduire le chariot. On fait G B = cinq piés deux pouces.

On voit dans la figure 9, que les branches des tenailles, en approchant des poignées, prennent une courbure, qui met lesdites poignées à une élévation plus considérable, & plus commode aux ouvriers.

Pour bien mener le chariot à tenaille, un des deux ouvriers, doit presser sur les poignées, pour enlever la cuvette de terre, & l'autre doit pousser ou tirer le chariot, suivant le lieu où il veut le mener.

Il est inutile de prendre les cuvettes bien avant dans la ceinture ; il est suffisant qu'on les tienne assez, pour que leur poids ne les fasse pas échapper. L'action de prendre la cuvette avec les tenailles du chariot, est dite embarrer la cuvette.

Lorsque la cuvette est suffisamment & assez surement embarrée, on la tire du four & on la pose sur une ferrasse, auprès d'un des baquets. Alors deux ouvriers s'approchent de la cuvette, avec un instrument tel que la fig. 3 montre (p. 19.) qu'on appelle grapin.

Le grapin a six piés de longueur ; il présente en d, une surface plate & tranchante, qui a deux pouces & demi de d en e ; on appelle de le foulon. A l'autre extrêmité, est une patte, à-peu-près semblable à celle du graton, & ayant seulement environ un pouce de c en f, & environ deux pouces & demi de c en g. La patte du grapin est ordinairement de cuivre pour plus de propreté. Par-là on n'est pas sujet aux pailles, dont le fer est quelquefois tarré, & auxquelles peut se prendre le verre.

On fouille avec la patte du grapin, dans le fond de la cuvette, on en enleve tout le verre, qu'on jette à chaque fois dans le baquet. Un des cureurs se trouvant, par la position, trop loin pour jetter dans le baquet, on lui présente une petite poche de cuivre, qu'on voit fig. 10, Pl. XIX. connue sous le nom de poche du gamin, du nom qu'on donne communément au petit ouvrier qui la présente. Le cureur remplit la poche du gamin, qui va ensuite la mettre dans le baquet. S'il y a beaucoup de verre dans la cuvette, on en ôte la plus grande partie, avec la poche du gamin, avant d'employer le grapin. S'il y a dans la cuvette quelque corps qui résiste, & qui soit collé au paroi de la cuvette, les deux cureurs placent leurs foulons de côtés opposés, & font effort l'un contre l'autre pour le détacher. Lorsque la cuvette est curée, les deux ouvriers qui étoient au chariot à ténailler, la replacent au four, comme ils l'en avoient ôtée, on rebouche & on remarge. Lorsqu'il y a deux cuvettes dans un ouvreau, tandis qu'on cure celle de la tuile, d'autres ouvriers tirent celle du devant, & on la cure au baquet de l'autre arche. Celle des deux cuvettes qui est achevée de curer la premiere, se place devant, & la seconde à la tuile.

On répete la même opération aux quatre ouvreaux, pour curer toutes les cuvettes.

La description que nous avons faite des divers outils propres au curage, a peut-être fait perdre un peu de vûe, la suite de l'opération. Remettons-la sous les yeux par une courte récapitulation. On démarge, on rabote les torches, on enleve la premiere tuile, on balaye l'ouvreau, on débouche, on gratone l'âtre de l'ouvreau, on éloche la cuvette, on la prend avec le chariot à tenaille, on la mene auprès du baquet, on la cure, on la replace dans le four ; les deux cuvettes replacées, on rebouche, & enfin l'on remarge.

Cette opération exige beaucoup de promtitude, tant pour éviter le refroidissement du four, que pour empêcher le verre contenu dans la cuvette, de se durcir en refroidissant, & de se refuser à l'action du grapin. Le seul moyen de se procurer la diligence nécessaire, c'est de faire ensorte que les actions particulieres des ouvriers se succedent avec ordre & vivacité ; d'avoir deux chariots à tenaille, pour tirer du four la seconde cuvette, dès que la premiere est auprès du baquet. Par ce moyen les deux cuvettes se trouvent curées presque au même instant.

Une raison qui doit encore engager à curer avec vivacité, c'est que la cuvette sortant d'un lieu très-chaud, ne pourroit que souffrir de la nouvelle température qu'on lui fait essuyer, si on l'y laissoit trop long-tems exposée ; & quand elle auroit le bonheur de refroidir sans périr, elle ne pourroit éviter sa perte en rentrant dans le four.

Lorsqu'on replace une cuvette, les ouvriers qui menent le chariot à tenaille, connus sous le nom de placeurs de cuvettes, font bien de ne laisser toucher la cuvette au siege, que quand elle est exactement à sa place. Si elle touche avant, ils sont obligés de débarrer & de pousser le jable de la cuvette, avec les extrêmités de la tenaille ; mais la même raison qui oblige d'élocher la cuvette, l'empêche de glisser sur le siege. Aussi avant de mettre la cuvette à l'ouvreau, jette-t-on sur le siege quelques billettes, sur lesquelles la cuvette glisse sans effort.

On voit dans la vignette le curage assez bien détaillé ; 3, 3, expriment les cureurs en action : l'un recherche le verre dans la cuvette, l'autre en met dans la poche du gamin ; & les placeurs de cuvettes 5, 5, attendent qu'ils aient achevé de curer leur cuvette, pour la replacer. Pendant que ceux-ci curent, d'autres placeurs de cuvettes 2, 2, sont occupés à en embarer une autre, tandis que l'ouvrier 1 l'éloche.

Lorsque toutes les cuvettes sont bien curées, ce seroit le moment du tréjettage ; mais le four ayant été chauffé avec force, depuis la premiere fonte, le verre se trouve dans un état de trop grande fluidité, pour le prendre avec la poche, sans en répandre ; on dit alors que le verre est trop mou. Il est aisé de le corriger de ce défaut, en laissant refroidir le four, c'est-à-dire, en ne tisant plus. Mais comme le four pourroit souffrir du contact de l'air extérieur, & d'un trop promt refroidissement, on le marge, c'est-à-dire, qu'on met aux ouvreaux d'en-haut, les plateaux, au lieu de tuiles, & que le tiseur bouche les soupiraux de sa glaie, avec ses margeoirs. La cessation du tisage s'appelle la cérémonie, & l'action de cesser de tisser est dite arrêter le verre, ou faire la cérémonie.

Le tems de la cérémonie est relatif à la fluidité du verre : plus il est fluide quand on l'arrête, plus il est de tems à parvenir au degré de consistance où il doit être pour tréjetter, plus aussi la cérémonie doit être longue.

Après la cérémonie, on fait encore précéder le tréjettage de l'opération connue sous le nom d'écrémer. Son nom seul désigne qu'elle consiste à enlever la surface supérieure du verre, pour ne pas mettre dans les cuvettes les saletés qui seroient tombées de la couronne, comme pierres, larmes, &c.

La figure 2. (Pl. XX.) représente le pontil, outil avec lequel on écréme. C'est une barre de fer de six piés de long de a en d, qui présente une partie a b, de huit ou neuf pouces, large d'environ deux, & épaisse d'environ six lignes. On fait chauffer le bout a b du pontil, pour que le verre s'y attache mieux : on le fait passer par l'ouvreau à tréjetter, & on le promene légerement sur la surface du pot ; lorsque le pontil est enveloppé de verre, on le tire de l'ouvreau, en le tournant, pour ne pas laisser tomber le verre, & l'écrémeur arrange son coup de verre (f), autour du pontil, en appuyant successivement chacune des faces de cet outil, sur une plaque de fonte disposée sur un baquet ; il retourne à l'ouvreau & acheve d'écrémer son pot. S'il lui fait prendre plus de deux coups de verre, il se conduit toujours de même.

On voit dans la vignette de la Planche XX. en 1, un écrémeur dans l'action d'écrémer ; & en 2, un autre écrémeur arrangeant son coup de verre autour de son pontil.

L'écrémage est immédiatement suivi du tréjettage.

L'opération de tréjetter consiste à prendre du verre dans le pot, avec la poche, (fig. iv. Pl. XX.) & à le mettre dans la cuvette à côté. La poche est de cuivre, & est emmanchée d'un manche de fer de six piés neuf pouces, ou sept piés de long. Le diamêtre de la poche est réglé par la largeur de l'ouvreau à tréjetter. Par rapport au four que nous avons décrit, la poche peut avoir neuf ou dix pouces de diamêtre, y compris l'épaisseur, & on peut lui donner quatre ou cinq pouces de profondeur. Lorsque le tréjetteur fait passer sa poche dans l'ouvreau, soit en entrant, soit en sortant, il doit avoir attention de renverser sa poche, en cas qu'il tombât des saletés du ceintre de l'ouvreau.

Lorsque le tréjetteur prend du verre dans le pot, il est placé un peu du côté de l'arche, & lorsqu'il veut renverser sa poche dans la cuvette, il se place plus du côté de l'ouvreau du milieu. On peut voir ces positions dans la vignette de la Planche XXI.

Lorsque le tréjetteur veut porter au-dessus de la cuvette sa poche pleine de verre, il doit éviter avec soin de laisser autour de la poche des bavures de verres : elles tomberoient dans le four entre le pot & la cuvette, & feroient une perte réelle. C'est dans cette circonstance que les barres que nous avons placées sur les plaques des ouvreaux d'en-haut, sont bien utiles. Elles servent d'un point d'appui, au moyen duquel le tréjetteur fait rentrer les bavures dans la poche, par un coup sec qu'il donne, en portant en bas la queue de sa poche, & la tournant dans sa main à droite ou à gauche, suivant la position des bavures.

Il faut avoir attention de rafraîchir souvent les poches, parce que, si elles s'échauffoient trop, le verre s'y attacheroit ; la poche couroit elle-même risque de se gâter. Il suffit d'avoir pris deux pochées de verre, avec une poche, pour devoir prudemment la porter dans un des baquets placés au coin des arches.

L'ouvrier qui tréjette ne peut juger bien sainement lui-même de l'état de son ouvrage ; mais il est averti par ceux qui le regardent de l'autre côté du four par l'ouvreau opposé. Le moyen d'accélerer le tréjettage, c'est d'avoir continuellement une poche à l'ouvreau. Deux tréjetteurs suffisent pour cela ; tandis que l'un tréjette, l'autre rafraîchit.

On ne débouche ordinairement qu'un ouvreau de chaque côté du four. Dans la vignette, on a représenté les deux ouvreaux du même côté débouchés, pour mettre sous les yeux tous les instans de l'opération. On voit les quatre tréjetteurs en action ; 1 prend du verre dans le fond du pot ; 2 verse dans la cuvette celui qu'il a pris ; 3 rafraîchit sa poche, & 4 retourne à l'ouvreau.

(f) On appelle coup de verre ce que l'écremeur prend de verre au bout de son pontil à chaque fois.

La poche est le seul instrument nécessaire pour le tréjettage, lorsque le four est garni de tous ses pots ; mais s'il y avoit un pot de cassé, & qu'on fût obligé de remplir les cuvettes qui lui correspondent du verre des autres pots, il faudroit donner au tréjetteur des aides, pour porter sa poche pleine. Les aides du tréjetteur se serviroient de l'instrument (Pl. XX. fig. 5.), on le connoît sous le nom de gambier. C'est une barre de fer d'environ quarante pouces. Il y a au milieu du gambier, une échancrure e, dans laquelle on loge le manche de la poche auprès de la cueillere, & deux ouvriers portent le gambier, l'un de e en f, & l'autre de e en g.

Dans la vue de diminuer le nombre d'ouvriers, on peut employer, si l'on veut, le crochet (fig. 6. même Planche), pour tenir lieu de gambier. Cet outil ne demande l'emploi que d'un ouvrier, d'où on peut le nommer gambier à une main.

D'après le mouvement que l'on fait éprouver au verre pendant le tréjettage, il ne peut que se ressentir de l'agitation, & il est en effet rempli de bulles, de bouillons, qu'il n'avoit pas lorsqu'on l'a arrêté. Il est nécessaire de rechauffer avec force, pour lui rendre son état de finesse : ce tems de nouvelle chauffe, & l'action de remettre le verre dans son premier état, sont dits faire revenir le verre dans les cuvettes.

Lorsque le verre est bien revenu, ce qu'on connoît à l'inspection des larmes tirées des cuvettes, il ne faut penser qu'à le couler. Couler est l'opération par laquelle on donne au verre la forme de glaces.

Immédiatement après la revenue du verre, il seroit trop mou pour le travailler avec facilité : on lui donne de la consistance par une petite cérémonie.

L'opération de couler est trop compliquée pour décrire les outils, à mesure que nous en trouverons l'usage, comme nous avons faits dans les précédentes : ainsi nous prendrons le parti de décrire tous les outils, & on en verra l'usage en décrivant l'opération.

Il y a trois especes d'outils employés pour la coulée ; les uns sont destinés à tirer la cuvette du four, & à la mener au lieu de l'opération ; les seconds concourent à la formation de la glace ; les troisiemes servent à la pousser dans le four destiné à la recuire & à l'y placer.

Nous comptons parmi les premiers, la pince à élocher, la grande pince, les grands crochets, le ferret, le chariot à ferrasse. Parmi les seconds, le sabre, le grapin, la poche de gamin, le balai, la table, les tringles, le rouleau, les tenailles, la potence, la croix à essayer la table, les mains ; & enfin parmi les derniers le procureur, la pelle, le grillot, l'ygrec, la grande croix.

On connoît la pince à élocher.

La grande pince, fig. 7. Pl. XX. est une grosse barre de fer arrondie par le haut, formant un talon en h, pour avoir occasion de s'en servir, comme de lévier, & présentant une partie platte de h en i, que j'appellerois volontiers la pelle de la pince. La grande pince a environ 7 piés de h en l, & sa pelle environ un pié de long sur trois pouces de large, & demi-pouce d'épaisseur.

Le grand crochet, fig. 8. Pl. XX. est moins gros que la grande pince, est arrondi dans le haut, comme elle, & a onze piés de long, & six ou huit pouces de crochet.

On connoît le ferret.

Le chariot à ferrasse, dont on voit le géométral, fig. 9. Pl. XX. & le profil aussi-bien que le perspectif, fig. 1. & 2. Pl. XXI. sert à voiturer les cuvettes pleines du four à la carquaise (g), & à les ramener vuides.

L'outil dont nous entre prenons la description consiste en deux barres de fer m n, o n, qui se réunissent en une seule, en n p, connue sous le nom de queue du chariot. Au-bout de la queue du chariot sont deux poignées pour les mains de deux ouvriers, comme dans le chariot à tenaille.

Les branches m n, n o se prolongent en s & en r, pour y fixer une tole ou ferrasse t x y z, sur laquelle on pose la cuvette. La grandeur de la ferrasse est relative avec celle des cuvettes, pour pouvoir transporter de grandes cuvettes de 26 pouces sur 16 ; on en donne à la ferrasse 24 sur 18.

La longueur de la ferrasse détermine l'écartement des branches du chariot en m o ; on lui donne ordinairement 18 pouces.

Le chariot à ferrasse est monté sur des roues de fer de deux piés de diamêtre. L'écartement des branches regle la longueur de l'aissieu. Il a environ 33 pouces d'un moyeu à l'autre.

Les branches du chariot doivent être pliées, comme on le voit dans le profil, fig. 1. Pl. XXI. de maniere que la partie r o qui porte la ferrasse touche terre ; que la partie m n qui pose sur l'aissieu se trouve à une hauteur de terre à-peu-près égale au rayon de la roue, & que la queue n p en se courbant enhaut, mette les poignées à une hauteur commode aux ouvriers.

Le chariot a huit piés de long dans son géométral, des poignées à l'extrêmité de la ferrasse.

L'aissieu est placé environ à 40 pouces du côté de la ferrasse.

Du point m, fig. 1. Pl. XXI. sur chaque branche du chariot part une branche de fer bien plus mince, qui s'éleve en faisant l'arc environ à 10 pouces audessus des branches du chariot, & qui à 10 pouces de l'aissieu se réunit en 1, fig. 9. Pl. XX. avec celle & 1, qui part de l'autre branche, pour s'aller attacher ensemble en 2, sur la queue du chariot : ces deux petites branches se présentent, comme on le voit, fig. 2. Pl. XXI. en q, 1, 2, & &, 1, 2.

Lorsqu'on veut faire marcher le chariot, deux ouvriers appuyent sur les poignées pour enlever la cuvette de terre, & deux autres passent un de chaque côté du chariot, mettent une main sur 1, 2, & l'autre en 1 q, ou & 1, suivant le côté où ils se trouvent placés, & poussent devant eux le chariot.

Parmi les outils de la seconde espece, nous connoissons déjà le grapin, la poche du gamin & le balai.

Le sabre est un outil qu'on voit, fig. 1. Pl. XXIII. il a 4 piés de long ; le bout a b est la partie qui sert : c'est une plaque de cuivre, qui a environ 6 pouces de long sur deux de large, avec la forme qu'on lui remarque dans la figure. Le bout a b du sabre s'emmanche dans un manche de fer b c, qui à son tour est emmanché dans un manche de bois c d. On voit, fig. 2. Pl. XXIII. la maniere dont toutes les parties du sabre sont unies. Le manche de fer présente une feuillure 1, 2, dans laquelle la lame de cuivre s'engage, & où elle est fixée par des cloux qui passent au-travers du tout. Le manche de fer a à son autre extrêmité une lame qui s'engage dans une feuillure 3, 4, pratiquée au manche de bois.

La table est sans contredit un des outils les plus importans de la glacerie ; c'est un solide de cuivre, qui présente une surface supérieure O P Q R, fig. 3. Pl. XIV. bien unie & exempte d'inégalités. La longueur & la largeur de la table dépendent de la grandeur des glaces qu'on veut y travailler. On n'en a pas fait dont les dimensions passassent dix piés sur six. L'épaisseur de la table est relative à ses autres dimensions ; plus la table sera grande, plus aussi il faudra qu'elle soit épaisse : celle dont nous donnons le plan a 4 pouces d'épaisseur, fig. 4.

(g) Fourneau de recuisson.

Il faut avoir soin de faire chauffer la table avant l'opération, parce que le contact d'un corps aussi froid causeroit des accidens, qui entraîneroient nécessairement la perte de la glace ; aussi a-t-on l'attention de couvrir la table de braises long-tems avant de travailler.

Quelques artistes croyent utile de faire la table un peu creuse au milieu, parce que, disent-ils, la chaleur du verre qu'on y verse dilate le cuivre ; & comme cette dilatation trouve plus de résistance à la surface inférieure qu'à la supérieure, toute son action se fait sentir à la surface supérieure, & principalement dans le milieu où le flot du verre est le plus immédiatement. Ce milieu se bombe, ce qui doit nécessairement diminuer l'épaisseur de la glace dans le milieu. C'est pour rendre le bombement de la table moins sensible, qu'ils se sont déterminés à en creuser le milieu.

On observe sur cela 1°. que le plus grand obstacle qu'on puisse apporter à la dilatation, c'est l'épaisseur de la table : plus elle sera épaisse, moins il sera aisé de l'échauffer à un point aussi nuisible. 2°. Que pour creuser avec sureté, il faudroit savoir exactement de quelle quantité la table unie & bien à la regle se bombe par la chaleur. 3°. Qu'en creusant la table il peut arriver qu'on la rende plus mince au milieu qu'ailleurs, & alors au-contraire elle seroit plus susceptible qu'auparavant du mauvais effet de la chaleur. D'après toutes ces observations, je préfererois de mettre la surface de ma table bien à la regle, & j'y ajouterois la précaution de la bien polir pour éviter les inégalités.

La table est portée sur un pié connu sous le nom de chassis de la table dont on voit le détail, Pl. XV. La fig. 4. nous représente la maniere dont s'unissent à mortaises & à tenons les quatre pieces de bois qui forment le chassis. Les extrêmités G H, K I, sont disposées pour recevoir ; la premiere, une seule roue de fonte, qu'on y arrête au moyen d'un boulon passant par le trou L, & prenant la roue par son centre, & la seconde K I, deux roues en M, N. On voit en E F une piece de bois qui traverse le chassis pour en augmenter la force, & qui va jusqu'en C D : on l'a laissée en F sans la prolonger, parce qu'elle auroit empêché de voir d'autres détails plus intéressans du chassis. Les trois roues destinées au transport de la table, ont environ 20 ou 22 pouces de diametre, sur 5 ou 6 pouces d'épaisseur ; & la hauteur des roues, celle du chassis, & l'épaisseur de la table prises ensemble, doivent porter la surface supérieure de celle-ci, au niveau du pavé des carquaises ; aussi voit-on dans les fig. 1, 2, 3, Pl. XV. que la surface supérieure de la table est à 30 pouces audessus du sol de la halle.

Quant à l'usage des roues, si l'on veut faire suivre à la table sa même route, sans changer sa direction, ni sa position ; faites avancer la roue seule, & les deux roues de l'autre côté, avec la même vitesse. Si vous voulez lui faire changer de position, fixez la roue seule E, fig. 3. & autour de cette roue comme centre, faites tourner les deux roues F, F, fig. 1. en faisant la révolution plus ou moins entiere, vous serez le maître de changer plus ou moins la direction de votre table, & de lui donner celle que vous voudrez.

On fait un chemin en piece de bois, tout autour de la halle, pour la facilité du transport de la table.

On met entre la table & le chassis des barres de fer, d'espace en espace, de A B en C D, pour soutenir également le poids de la table.

Les tringles qu'on voit en X Y, S T, fig. 3. Pl. XIV. sont de fer. Elles sont destinées à être placées sur la table, sur laquelle on répand le verre, & à supporter le rouleau qui l'applatit. Les tringles reglent donc l'épaisseur de la glace par la leur, & la largeur de la glace par l'espace S X, qu'on laisse entr'elles. La tringle est arrêtée en S ou en X, par un petit crochet qui appuie contre l'épaisseur de la table, & qui empêche la tringle d'être entraînée par le mouvement du rouleau. On donne aux tringles l'épaisseur qu'on veut donner aux glaces. On en a même plusieurs paires de diverses épaisseurs, étant obligés de donner plus ou moins d'épaisseur aux glaces, suivant qu'on veut en faire de plus ou moins grandes. L'épaisseur des tringles ordinaires est de 4 à 6 lignes. La surface 1, 2, sur laquelle pose le rouleau a environ un pouce de large ; on sent que les tringles doivent avoir la longueur de la table.

Le nom seul du rouleau désigne sa forme. C'est un cylindre de cuivre creux représenté en a z. Il est destiné à appuyer sur le verre & à l'applatir. Le rouleau a environ 10 pouces de diametre, & un pouce & demi d'épaisseur. Quant à sa longueur, elle est égale à la largeur de la table. Dans la fig. 5. Pl. XIV. le rouleau est représenté ouvert pour en faire voir l'intérieur. Au milieu en M & à 6 pouces des extrêmités en O & en P, sont trois triangles de fer battu, qu'on a engagés dans le rouleau en le fondant, & qui sont percés chacun d'un trou quarré, qui doit se trouver dans l'axe du cylindre. Par les trois triangles on fait passer une barre de fer bien juste au trou qui devient l'axe du rouleau.

Pour se servir du rouleau, on a deux poignées de fer, fig. 6. & 7. de deux piés de long, arrondies, & dans lesquelles s'engagent les bouts de l'axe, comme des tenons dans leurs mortaises.

Lorsque le rouleau n'est pas sur la table, il est posé sur un chevalet de bois représenté fig. 5. Pl. XV. Le chevalet doit être le plus approchant qu'il est possible, de la hauteur de la table. Par ce moyen, lorsque le rouleau tombe de la table sur le chevalet, il le dégrade moins, tombant de moins haut ; & lorsqu'on veut remettre le rouleau sur la table, on le fait avec plus de facilité, ayant à le porter à une moindre élévation. Le chevalet représenté en perspective, fig. 5. & en élevation par un des bouts, fig. 6. a deux piés de hauteur.

On peut s'aider pour relever le rouleau de l'outil, fig. 2. Pl. XXX. qui n'est autre chose qu'une pince de sept piés & demi, présentant en a b un talon de dix-huit pouces, & en a un crochet, qui s'engageant à un boulon d placé à chaque côté de la table pour servir de point d'appui, agit comme levier du second genre. On appelle cet outil bras à lever le rouleau. Voyez les bras en action, fig. 3. Pl. XXX.

Lorsqu'on a à voiturer le rouleau dans divers endroits de la halle, on se sert d'un chariot qui, de son usage, prend le nom de chariot à rouleau. On le voit en géométral, fig. 3. Pl. XVI. en profil, fig. 2. & en perspective, fig. 1.

Ce sont deux branches A C, D F, paralleles, qui présentent de A en B & de D en E des parties courbes, comme de, fig. 2. ayant 10 pouces de d en e, & 5 pouces de profondeur, & formant conséquemment des demi-cercles capables de retenir le rouleau. Les branches A C, D F, fig. 3. vont se réunir en G, pour n'en former qu'une G H, qu'on nomme queue du chariot, à l'extrêmité de laquelle sont de k en i des poignées pour placer les mains des ouvriers, comme dans les autres chariots, dont nous avons donné la description.

Les branches du chariot à rouleau sont portées sur des roues de fer L M, N O, de 30 pouces de diametre. La longueur de l'aissieu dépend de l'écartement des branches A C, D F, qui me paroît suffisant, à 30 pouces, pour porter un rouleau de 6 piés : car en le prenant bien au milieu, il débordera de chaque côté des branches du chariot de 21 pouces, la partie la plus considérable sera entre lesdites branches, & par conséquent le rouleau sera posé avec sûreté. La longueur de l'aissieu connue, ainsi que la largeur des roues & la grandeur des moyeux, il y aura environ 4 piés d'un moyeu à l'autre, c'est-à-dire, pour largeur totale de la machine. Il faut mettre le rouleau le plus près de l'aissieu qu'il se pourra, c'est-à-dire, faire les bras B C, E F, du levier les plus courts qu'il sera possible, pour augmenter la force des ouvriers qui seront en K I. Le rayon de la roue = 15 pouces : pour que le rouleau n'empêche pas celle-ci de tourner, faisons F E, B C = 16 pouces.

On donne de longueur au chariot depuis l'aissieu jusqu'aux poignées environ 8 piés. Le point de réunion G des branches est environ à 4 piés de l'aissieu, & il reste à-peu-près 4 piés de queue.

De C & F s'élevent deux branches C P, F P, qui se réunissent en P, en une seule qui s'attache en G. Ces branches semblables à celles que nous avons fait observer au chariot à ferrasse, servent comme dans celui-ci à placer les mains des ouvriers qui poussent le chariot.

Les tenailles sont un instrument propre à prendre la cuvette, & à la renverser sur la table. Ce n'est autre chose qu'un cadre de fer, qu'on fait juste à la mesure des cuvettes qu'on veut prendre : au moyen de quoi on est obligé d'avoir deux tenailles, l'une pour les petites cuvettes, l'autre pour les grandes. On voit, fig. 1. Pl. XIV. une petite tenaille : tout ce que nous en dirons doit s'entendre de même de la grande tenaille, fig. 2.

Le cadre H I L K a 16 pouces de H en I, & seulement 15 de I en L, pour serrer la cuvette avec plus de force. Le cadre est ouvert au milieu du côté H K, & deux branches Q B, R C y sont ajoutées de telle sorte, que la partie C R K L S G, tournant sur une charniere G, s'approche plus ou moins de l'autre partie Q H I O du cadre, & se fixe à l'ouverture desirée au moyen d'une clé E F, & d'une clavette. De G en P, il n'est besoin que d'une branche.

Aux extrêmités de la tenaille, on forme des poignées P M, P N, A B, C D, de huit pouces ; la charniere G est à un pié du cadre.

La branche G P, doit être telle que Q P Z, que la largeur de la table, & on le sentira si on conçoit le mouvement de la tenaille.

Supposé qu'on veuille couvrir la table entiere de verre, on commence à en verser du côté P Q (fig. 3.) & on continue jusqu'au côté O R, en faisant parcourir à la cuvette toute la largeur de la table ; de cette maniere, le côté H K de la tenaille donne sur le bord O R de la table.

Si les poignées M P, P N, étoient trop près de la cuvette pour qu'elles ne pussent se trouver au-delà de P Q (fig. 3.), les mains de l'ouvrier se trouveroient immédiatement au-dessus du verre, & il se brûleroit. On fait donc pour éviter ce danger Q P = six piés & demi (fig. 1.). Il n'est pas besoin que O B, S C, soient aussi longs, parce que lorsqu'on commence à verser en P Q (fig. 3.), il n'y a point de verre sur la table : le verseur qui est en A B, C D (fig. 1.), ne court pas danger de se brûler, en avançant un peu ses bras sur la table ; & lorsque la cuvette est au bord O R (fig. 3.), l'ouvrier est bien éloigné du flot de verre : on fait donc B Q = environ trois piés & demi, par ce moyen B O a environ cinq piés, & la tenaille entiere est un instrument d'environ dix piés.

A six pouces en 1, 2, 3, 4, de O, S, Q, R, les branches des tenailles sont arrondies & un peu déprimées ; c'est là que s'attachent les chaînes qui suspendent les tenailles : car on sent bien que deux hommes ne pourroient soutenir le poids d'une cuvette pleine, s'ils n'étoient aidés.

Il est, je crois, inutile de dire que l'on prend la cuvette dans la ceinture, avec le cadre de la tenaille.

On voit (fig. 2. Pl. XVII.) la maniere dont est suspendue la tenaille ; ses collets 1, 2, 3, 4, sont embrassés par des chaînes qui vont s'attacher à trois piés au-dessus des tenailles en 5, 6, 7, 8, aux extrêmités des petits fleaux 5, 6, 7, 8, qui ont environ huit pouces de longueur ; 5 6, 7 8 s'ajustent par leur milieu aux extrêmités y, x, de la branche xy qui a environ trente pouces de long ; elle est immobile dans sa position, retenue par la piece verticale t g = 18 pouces, qui est fixe au milieu de x y, & soutenue par les arcs-boutans t A, t B.

A l'extrêmité t de la piece t g est un trou dans lequel peut être reçu le crochet a (fig. 1.)

Le bout t de t g, s'insere dans le trou s, pratiqué au milieu de la tôle o p q r, dans la même forme que la branche t g, pour que t, y entre comme un tenon dans sa mortaise : par ce moyen le trou t se trouve au-dessus de la ferrasse.

La tôle o p q r a environ quatre piés sur près de deux, & sert à couvrir la cuvette pour empêcher qu'il n'y tombe des saletés.

La potence (fig. 1. Pl. XVII.) est une piece de bois Z C, arrondie & garnie en fer à son extrêmité C. C s'engage dans un collier a b de fer qui l'arrête à une piece de charpente, & lui laisse la liberté de tourner.

A l'extrêmité Z est un pivot de fonte sur lequel la potence tourne : on fait agir le pivot dans un crapeau, ou maniere de trou pratiqué dans une piece de fonte qu'on met à niveau du terrein.

A la hauteur d'environ quatre piés est fixé un cric consistant en un pignon, une roue dentée, & un treuil, où s'enveloppe une corde ; au moyen d'une manivelle on fait tourner le pignon qui engrene dans la roue, & la faisant tourner, fait envelopper autour du treuil la corde, qui se développe si l'on tourne en sens contraire. La manivelle se trouve à environ trois piés au-dessus du terrein.

Deux piés au-dessous de l'extrêmité C est une poulie c, sur laquelle passe la corde.

De i en h est un bras de fer destiné à recevoir une autre poulie g, sur laquelle la corde passe encore, pour aller accrocher la tenaille : la poulie g est en quelque sorte le point de suspension de la tenaille : la fonction du bras h i, est par conséquent de porter ce point de suspension à la distance qu'on desire ; par exemple à huit piés, comme dans la figure, ce bras doit être tel que la corde passant sur les deux poulies ait une position horisontale : la branche l m, n'a d'autre usage que de retenir le bras h i dans sa position.

On fait ordinairement la hauteur totale de la potence = 18 piés : au reste plus la potence sera haute, plus on aura de facilité à verser la cuvette sur la table : car soit & (fig. 3. Pl. XIV.) la potence placée vis-à-vis le milieu de la table, & à trois piés de distance de celle-ci ; si le point de suspension est à huit piés de la potence, c'est-à-dire si le bras de la potence a huit piés du point &, comme centre d'un rayon de huit piés, tracez l'arc 3, 4, 5, 6, ce seroit celui que décriroit la cuvette sur la table, si on l'abandonnoit à sa pesanteur, & qu'on fit tourner la potence ; mais en versant après l'avoir menée en P, on la conduit le long de O R : on lui fait donc constamment quitter la position à laquelle l'entraîne sa pesanteur, & on aura bien plus d'avantage pour combattre cette pesanteur, si le point de suspension est élevé, ou si la potence est haute.

La potence, telle que nous venons de la décrire, n'est pas un outil d'un transport aisé. Lorsqu'on veut la changer de place, on la dégage du collier qui la tient par en-haut, & tandis que des ouvriers la maintiennent dans sa position perpendiculaire, en la soutenant avec des bâtons d e, qui y sont fixés, d'autres engagent le pivot z entre les deux dents A B, B C, de l'instrument dont on voit le géométral (fig. 5. Pl. XXIII.), le profil (fig. 4.), & le perspectif (fig. 3.), on appelle cet outil chariot à potence : ce n'est qu'une barre de fer de sept piés de long, présentant à un des bouts deux parties A B, C B, que je nomme dents du chariot, qui ont environ cinq pouces de A en B, ou de C en B, & qui demeurent écartées d'environ trois à quatre pouces : à l'autre extrêmité sont deux poignées E F, E G, pour poser les mains des ouvriers. Le chariot à potence est élevé sur des roulettes de fonte, de quatre pouces de rayon, & l'aissieu, en y comprenant les deux moyeux, a environ dix-huit pouces, & est placé de maniere par rapport au reste du chariot, que D A ou D C = 8 pouces, tandis que D E = 6 piés 4 pouces : on voit combien les ouvriers qui sont en F G, ont de force pour enlever le pivot hors de son crapeau.

Lorsque le pivot est entre les dents du chariot, les ouvriers qui sont aux poignées tirent le chariot à eux, ou le poussent devant eux, suivant le lieu où on desire de mener la potence, tandis que ceux qui sont aux bâtons d e de la potence, la soutiennent perpendiculairement au terrein.

La croix à essuyer la table est représentée (fig. 2. Pl. XXII.) ; son nom désigne son usage, ce n'est qu'un morceau de bois joint en croix à l'extrêmité d'un manche A B ; on entoure de linge le bâton C D, qui est en croix au bout de A B, C D = 36 pouces, A B = près de dix piés, pour que l'ouvrier chargé de cet outil puisse porter C D à l'extrêmité de la table, étant à l'autre extrêmité, & en ramenant C D à lui, il essuye la table & en ôte toutes les saletés, cette opération se fait immédiatement avant de verser le verre sur la table.

La main (fig. 3. Pl. XXII.) est un instrument de cuivre ou de fer, destiné à accompagner le rouleau dans son mouvement, pour empêcher le verre de déborder par-dessus les tringles, par la pression du rouleau, la partie E H I K qui est vraiment la main, a six pouces de large sur environ huit de long & neuf lignes d'épaisseur. La courbarre E H sert à bien entourer le rouleau, pour qu'il ne passe pas de verre entre le rouleau & la main ; la main avec son manche a six piés de long ; le manche est de même matiere que la main, jusqu'en F, c'est-à-dire l'espace de trois piés, & il se joint à un manche de bois F G, aussi de trois piés, de la même maniere que nous avons expliqué l'emmanchement du sabre.

Il est inutile de dire qu'il doit y avoir deux mains, une à côté de chaque tringle : on peut voir l'action des mains dans la Planche XXIV. où sont représentées la table, le rouleau, les tringles, les mains, & la croix de linge, prêts à travailler, & la cuvette suspendue au-dessus de la table dans l'instant où l'on va la renverser.

Il ne nous reste à décrire que les outils de la troisieme espece.

Le procureur (fig. 2. Pl. XIX.), est un outil de fer, de six piés de long, à un des bouts duquel est une patte absolument semblable à celle d'un grapin ; il sert lorsque la glace est faite à lui former, en repliant son extrêmité, un bourrelet connu sous le nom de tête de la glace, par lequel on puisse la prendre pour la pousser dans la carcaise, & pour l'y placer.

La pelle est l'instrument qui sert à pousser la glace dans la carcaise (fig. 5. Pl. XXII.) ; c'est une plaque de fer battu L N M O, qui a environ quarante pouces de N en M, & trois pouces de N en L ; à la plaque L N M O, on joint un rebord L Q P O de deux pouces, tel que par une de ses extrêmités M O P ; la pelle se présente sous la forme r s t.

Au milieu de L O, on adapte un manche en fer R S de 18 pouces, auquel on en joint un autre de bois S T = 8 piés 6 pouces, ce qui donne à l'instrument la longueur de dix piés, qui lui est nécessaire pour accompagner la glace jusqu'à la gueule de la carcaise.

Lorsqu'on veut pousser une glace, on fait passer la partie N L O M sous la glace ; le rebord L Q P O faisant resistance contre la tête de la glace, on n'a qu'à pousser la pelle pour pousser la glace en même-tems.

Le grillot n'est autre chose qu'une piece de bois, d'environ deux ou trois pouces d'équarrissage, avec laquelle on appuie sur la tête de la glace, en même-tems que la pelle la pousse, pour l'empêcher de ceder à l'effort de ceux qui poussent, & de laisser passer la pelle dessous. Le grillot doit avoir au-moins huit piés de long.

L'y grec (fig. 6. Pl. XXII.), sert à donner à la glace dans la carcaise, la position que l'on croit convenable ; ce n'est qu'un crochet de fer a b de deux pouces, avec lequel on prend la tête de la glace lorsqu'on veut la tirer, & avec lequel on peut aussi la pousser, si l'on en a besoin ; l'y grec a une pointe a c au-dessus du crochet, aussi de deux pouces ; le manche est tout de fer & a environ quinze piés.

Lorsqu'on a poussé la glace dans la carcaise, autant que peut le faire l'y grec, & qu'on l'a bien disposée, on acheve de la mettre en place, avec un outil nommé la grande croix (fig. 1. Pl. XXV.) ; ce n'est qu'un morceau de fer 1. 2. qui a un pié de long sur quatre pouces de haut, & un pouce d'épaisseur. Il est emmanché d'un manche assez long pour atteindre l'extrêmité de la carcaise.

L'usage de la grande croix est difficile, parce qu'à moins que cet outil ne soit bien exactement au milieu de la tête de la glace, il la fait tourner, & il est impossible de l'amener bien droit à la place qu'on lui destine : on seroit plus sûr de son opération, si on substituoit à la grande croix une pelle de la même forme que celle que nous avons décrite, mais qui n'eût que dix-huit pouces, & qui prendroit le nom de grande pelle, de la longueur de son manche.

Voila tous les instrumens nécessaires à la coulée : on va en voir l'usage dans la description de l'opération.

La coulée est précédée du rabotage de la carcaise, dont nous avons négligé de parler. Il consiste à faire passer d'un bout à l'autre de la carcaise & plusieurs fois, un rabot de bois dont on voit le géométal (fig. 2. Pl. XXV.), & le perspectif (fig. 3. même Planche), aussi-bien que le manche qui est en fer jusqu'en H, & en bois de K en I.

Cet outil est connu sous le nom de grand rabot. Le rabotage ôte les saletés qui seroient sur le pavé de la carcaise, & en unit les inégalités.

Nous nous servirons pour décrire la coulée, des quatre vignettes des Planc. XXII. XXIII. XXIV. XXV. où on a choisi les instants les plus intéressans de l'opération.

Lorsqu'on est prêt à couler, on débouche l'ouvreau à cuvette, & on se met en devoir de tirer la cuvette pleine hors du four. Pour cet effet, un ouvrier au moyen de la pince à élocher, donne passage sous la cuvette à la grande pince, dont un autre fait passer la partie h i (fig. 7. Pl. XX.) entre le siege & la cuvette.

Les deux crochets passent derriere la cuvette, chacun d'un côté, & aident l'action de l'ouvrier menant la grande pince qui, en tirant son outil, tire aussi la cuvette qui y pose ; la grande pince & les crochets menent donc la cuvette le long de la plaque D E (fig. 1. Pl. VI.), jusque sur la ferrasse du chariot qu'on a disposée au-bout de la plaque.

Un ouvrier souleve un peu la cuvette avec un ferret, dont il se sert comme d'un levier du second genre, & par cette action donne à la grande pince la liberté de se retirer ; le ferret lui même se dégage de dessous la cuvette, qui alors se trouve placée à plat sur la ferrasse.

Les ouvriers qui tiennent les poignées du chariot, aidés de quelques autres, menent la cuvette auprès de la carquaise.

On peut voir (vignette de la Pl. XXII.), en 1, l'action de la grande pince ; en 2, 2, 2, 2, celle des grands crochets ; & en 3, 3, les ouvriers qui sont aux poignées du chariot.

Lorsque la cuvette est arrivée auprès de la carquaise, on l'écréme pour ôter toutes les saletés qui se trouveroient sur la surface du verre ; les ouvriers 1, 2, (vignette de la Pl. XXIII.) passent chacun d'un côté de la cuvette, tenant chacun un sabre ; ils croisent leurs sabres pour atteindre au bord de la cuvette qui leur est opposé, ne pouvant voir le verre au bord qui est de leur côté ; dans cet état, ils passent légerement le côté a b (fig. 1. Pl. XXIII.) de leur sabres, d'un bout à l'autre de la cuvette, & enlevent toute la surface du verre ; lorsque le verre qu'ils ont enlevé est sur le bord de la cuvette, deux ouvriers 3, 4, le recueillent avec des grappins, & le mettent dans la poche que présente le gamin 5, pendant que les ouvriers 1, 2, 3, 4, 5, sont occupés à l'écrémage de la cuvette, d'autres 6, 7, le sont à prendre la cuvette par sa ceinture avec les tenailles.

Après que la cuvette est écremée, l'ouvrier qui est à la manivelle, c'est-à-dire celui qui fait agir le cric, l'enleve de terre jusqu'à la hauteur de la table ; dès que la cuvette a quitté la terre, un ouvrier en balaye le cul, & les grappineurs grattant l'extérieur du jable & des parois, en détachent le verre qui y seroit par hazard tombé en écrémant.

On suppose les tringles disposées sur la table, à la largeur qu'on veut donner à la glace, le rouleau déja sur la table prêt à agir.

Quand la cuvette est à la hauteur requise, l'ouvrier 12 (vignette de la Pl. XXIV.), passe la croix de linge d'un bout à l'autre de la table ; les ouvriers 1, 2, prennent les poignées des tenailles, & renversent sur la table le verre contenu dans la cuvette, en commençant à une tringle, & finissant à l'autre, comme nous l'avons déja indiqué. Les rouleurs 3, 4, poussent le rouleau de la gueule de la carquaise à l'autre bout de la table, avec un mouvement bien égal & bien soutenu, & à mesure qu'ils avancent, les verseurs font faire à leur cuvette le même chemin, avec le même mouvement : le teneur de manivelle 1, 1, est attentif à tenir la cuvette toujours à la même hauteur, pour ne pas occasionner une agitation & une vacillation qui ne pourroient être que très-nuisibles. Les ouvriers 5, 6, ont chacun une main, qu'ils disposent une à côté de chaque tringle, comme nous l'avons dit en parlant de cet instrument, & ils suivent le mouvement du rouleau : à côté des verseurs sont les deux grappineurs 7, 8, qui par leur position sont appellés grappineurs de devant ; ils sont attentifs au verre qui sort de la cuvette, pour en enlever les larmes ou pierres, ou autres défauts accidentels. Lorsque la glace est coulée, c'est-à-dire que la cuvette est vuide, & que les rouleurs ont laissé retomber le rouleau sur le chevalet, les grappineurs 9, 10, qui par leur position derriere les rouleurs, se nomment grappineurs de derriere, de deux coups secs qu'ils donnent à chaque extrêmité de la tringle, la détachent de la glace, & par-là même ils séparent la bavure qui a passé malgré la main, par-dessus la tringle ; ensuite ils font tomber la bavure dans une auge qui est à leurs piés à côté de la table ; pendant ce même instant le teneur de manivelle abaisse la cuvette vuide sur la ferrasse du chariot, on ôte les tenailles de la ceinture, on ramene la cuvette au four, & on la replace avec le chariot à tenaille.

Dès que les tringles sont détachées, on fait la tête de la glace ; on passe la pelle dessous, & les ouvriers 1, 2, 3, la poussent, vignette de la Pl. XXV. Les grappineurs de devant leur aident en posant la pâte de leur grappin derriere la pelle, & poussant. Les ouvriers 6, 7, appuient sur la tête de la glace avec le grillot, & les deux grappineurs de derriere 8, 9, se tiennent à l'ouverture de la carquaise prêts à redresser la glace, si elle venoit à tourner d'une maniere qui gênât son entrée dans la carquaise.

Lorsque la glace est enfournée, après l'avoir laissée un peu sur le devant de la carquaise pour lui laisser prendre plus de dureté, on la range avec l'y grec, & on la pousse ensuite avec la grande croix ou la grande pelle le plus avant qu'on peut dans la carquaise.

Lorsqu'on a coulé toutes les cuvettes, on marge bien exactement toutes les ouvertures de la carquaise, & on remplit de nouveau les cuvettes. On laisse revenir le verre, & on fait une seconde coulée dans une seconde carquaise chauffée pour cet effet. Après la seconde coulée, on tréjette de nouveau, & on coule une troisieme fois ; car la dimension des pots est telle, qu'ils fournissent suffisamment de verre pour trois coulées.

L'assemblage de toutes les opérations & le tems qui s'écoule depuis la premiere fonte jusqu'à la troisieme coulée, prend le nom d'enfournement.

Après la derniere coulée, on chauffe avec force une demi-heure, pour faire couler au fond de la cuvette le verre qui étoit demeuré aux parois, & on cure de nouveau. Ce second curage est absolument nécessaire, car le verre qu'on laisseroit dans les cuvettes jusqu'à la fin de l'enfournement suivant, perdroit sa couleur, & se détérioreroit à un point excessif.

Les artistes sont partagés dans leurs opinions sur le tems de faire la premiere fonte. Les uns veulent que ce soit dès que les pots sont vuides, c'est-à-dire immédiatement après le dernier tréjettage, & ils prétendent par-là gagner le feu de la revenue du verre par lequel la fonte avance d'autant. Les autres prétendent que le feu essuyant des changemens pendant les opérations, la fonte est chauffée trop inégalement, & se retarde plutôt que d'avancer, en conséquence ils n'enfournent qu'après le second curage, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a plus d'opérations à faire. En employant la premiere maniere d'enfourner, il est indispensable de le faire par les ouvreaux du milieu. On seroit en danger de laisser tomber de la fritte dans les cuvettes pleines, si on enfournoit par les ouvreaux à tréjetter.

La premiere opération qui se présente après la coulée, c'est celle de défourner les glaces, c'est-à-dire de les tirer hors de la carquaise après le refroidissement parfait de celle-ci.

Prenant la tête de la glace avec un crochet, fig. 1. Pl. XXVI. on la tire sur le devant de la carquaise, qu'on a mis à la regle auparavant. Lorsque la glace est sur le devant du four, on ôte la poussiere qui est dessus, on applique une équerre, fig. 3. à la bande de la glace (h) ; on y ajuste la regle graduée, fig. 2. pour avoir une longueur capable d'occuper toute la largeur de la glace ; on fait passer le diamant à rabot, fig. 10. le long de la regle, & par-là on coupe la surface supérieure du verre.

Le diamant à rabot est un vrai diamant brut, monté au-dessous, & bien au milieu d'un parallélépipede de buis, garni d'une plaque de cuivre. Le parallélépipede a environ deux ou trois pouces de long sur six ou neuf lignes de haut, & autant de large. Au milieu de la surface supérieure s'éleve perpendiculairement une petite branche de cuivre d'environ

(h) C'est la partie qui touchoit à la tringle.

deux pouces de long, servant à fixer le diamant dans la main de l'ouvrier.

Lorsque le diamant a coupé la surface de la glace, on frappe avec le petit marteau, fig. 5. immédiatement au-dessous du trait, on le fait ouvrir, & on lui fait pénétrer toute l'épaisseur de la glace.

Pendant qu'on ouvre le trait, un ouvrier soutient la tête de la glace pour que son poids ne la fasse pas séparer trop promtement.

Lorsque la tête de la glace est séparée avec des pinces, fig. 8. appellées pinces à égruger, on ôte les inégalités que pourroit avoir laissées le trait de diamant aussi bien que les langues, c'est à-dire les endroits où l'ouverture du trait, au-lieu de le suivre, auroit tendu à entrer plus avant dans la glace.

Après toutes ces opérations, un ouvrier tire la glace par la tête, (j'appelle tête dans cet endroit le lieu où elle étoit) & trois ouvriers de chaque côté la prennent par la bande, à mesure qu'elle sort de la carquaise, sans hausser ni baisser les uns plus que les autres. Lorsque la glace est entierement dehors, & ne touche plus à rien, les ouvriers 2, 4, 6, vignette de la Pl. XXVI. baissent leur bande jusqu'à ce qu'elle pose sur deux coëtes, fig. 9. qu'on dispose une vers chaque tête, & qui ne sont autre chose que des morceaux de bois quarrés, dont on rembourre une des faces. Les ouvriers 3, 5, 7, qui tiennent l'autre bande, la soutiennent pendant que 2, 4, 6, baissent, & dès que la bande de ces derniers touche au coëte 3, 5, 7, en levant la leur, donnent à la glace la position verticale. L'ouvrier 1, qui est à la tête de la glace, suit avec ses bras le mouvement des bandes, & même le regle.

Lorsqu'on a mis la glace dans cette position, on l'enleve au moyen de bricoles, fig. 7. dont on met une vers chaque extrêmité de la glace, & une troisieme au milieu, si la glace est bien grande.

La bricole n'est qu'un angle garni de cuir au milieu, ayant une poignée de bois à chaque extrêmité. Le tout ensemble a environ quatre piés de long.

On fait poser la glace sur le cuir du milieu de la bricole, & un homme de chaque côté de la glace prend une des poignées. C'est lorsque tous les ouvriers tiennent les poignées de leurs bricoles qu'ils enlevent la glace en la serrant de leurs épaules, pour l'empêcher de vaciller, & qu'ils la portent au magasin du brut, où on doit la visiter, l'examiner & l'équarrir.

La mise des pots dans le four est une opération assez compliquée pour exiger la même précaution que nous avons prise pour la coulée, de décrire tous les outils nécessaires à l'opération avant de décrire l'opération elle-même.

Il sembleroit naturel d'avoir décrit la mise des pots avant aucune autre opération, parce que sans pots il est impossible d'en faire aucune. Mais la mise des pots ne s'est pas présentée la premiere à mon imagination ; d'ailleurs elle est de saison dans tous les tems, car il est inévitable qu'on n'ait dans une réveillée nombre de pots à remplacer.

L'opération de mettre un pot présente trois instans ; 1°. celui auquel on le retire de l'arche ; 2°. celui auquel on l'introduit dans le four ; 3°. celui auquel on le place sur le siege. Les outils qui servent à la premiere partie de l'opération sont le sergent, le moïse, les deux grands crochets, le balai & le grand chariot ; ce dernier fait seul la seconde partie de l'opération. Enfin pour la troisieme, on emploie la fourche, les grands crochets, la dent de loup, la barre d'équerre, les deux barres croches & le rable du tiseur.

Le sergent est, par rapport à l'arche, ce qu'est, par rapport au four à fritte, la barre du devant du four. C'est une barre de fer qu'on place devant la gueule de l'arche à diverses hauteurs, suivant le besoin, au moyen de divers crochets disposés à chaque côté de la gueule de l'arche.

Le sergent sert de point d'appui au moïse dans son action.

Le moïse est un instrument de fer, ressemblant beaucoup pour la forme au cornard, Pl. XXVII. fig. 4. mais bien plus fort & plus long. Sa longueur doit être au-moins de douze piés. Ses cornes ont environ dix pouces de long, & sont écartées d'environ cinq ou six pouces.

On connoît les deux grands crochets.

Le grand chariot est un des instrumens le plus considérable de la glacerie ; on diroit à sa forme que c'est un grand moïse, emmanché dans un manche de bois & monté sur des roues. On voit le géométral du grand chariot, fig. 1. Pl. XXVIII. & le profil, fig. 2. même Planche.

Les cornes a b. c b. du chariot, ont environ vingt pouces de long, & s'écartent d'un pié de a en c ; depuis le bout des cornes, jusqu'à l'endroit d où commence le manche, il y a quatre piés de distance. En d. la barre de fer s'emmanche dans un manche de bois, portant environ six pouces d'équarrissage, & fortifié de deux viroles, l'une en d, & l'autre en e, où finit le prolongement de a d dans l'intérieur du bois. On garnit même quelquefois l'espace d e de tôle.

Le manche du grand chariot a environ onze piés & demi de d en f & de A en B. A l'extrêmité B, est un anneau où place ses mains l'ouvrier qui dirige le mouvement du chariot. En g g g sont trois boulons de fer, distant entr'eux d'environ dix-huit pouces, ainsi que le premier g i de l'extrêmité B. Les boulons passent de neuf pouces de chaque côté du manche du chariot, & sont destinés à placer les mains des ouvriers qui menent cet outil.

Les roues sur lesquelles est monté le grand chariot, doivent le porter à une hauteur propre à travailler dans l'arche avec facilité. Aussi leur donne-t-on environ quatre piés de diametre ; & on les fait en bois pour éviter l'excessive pesanteur qu'elles auroient, si on les faisoit en fer comme celles des autres chariots. On place l'aissieu sur le manche à environ trois pieds de d desorte qu'il reste environ 8 piés de h en B, partie connue sous le nom de queue du chariot.

Quant à la longueur de l'aissieu, elle dépend de la largeur de l'antre sous lequel le chariot est obligé d'aller. Dans les fours tels que nous les avons décrits, on peut très-bien se servir du grand chariot avec un aissieu d'environ quatre piés.

On voit dans le profil (fig. 2.) que la queue du chariot se courbe en haut pour la facilité des ouvriers.

Parmi les outils qui servent à la troisieme partie de l'opération, celui qui y contribue le plus est la fourche dont on voit le géométral, Planc. XXIX. fig. 1. & le profil fig. 2. La fourche ressemble au grand chariot. Les cornes en sont à-peu-près aussi longues, mais elles sont moins écartées, A B valant environ dix pouces.

Comme elle travaille dans le four & que quelquefois elle met un pot en place par la tonnelle la plus éloignée, on lui donne sept piés de N ou B en C. Elle est emmanchée dans un manche de bois, semblable à celui du grand chariot.

Les roues ont environ deux piés de diametre, les cornes de la fourche n'ayant besoin d'être élevées que jusqu'à la hauteur du siege. On gagne par-là l'avantage de faire entrer les roues mêmes sous la tonnelle, si on a besoin : c'est aussi pour se conserver cette facilite, que l'aissieu n'a guere que vingt-sept pouces.

L'aissieu est placé en E à environ un pié de C ; & on fait la queue de la fourche E F G H = 11 piés : ce qui donne à l'instrument entier dix-neuf piés de long.

La queue de la fourche est garnie d'un anneau à son extrémité H, comme celle du grand chariot ; & les trois boulons sont semblablement posés dans les deux outils.

La dent-de-loup (fig. 3. Pl. XXVII.) est une barre de fer, légere, ayant douze piés de long & formant à une de ses extrémités un crochet d'environ deux de 1 en 2. Le crochet est tel que 1, 3 = deux pouces ainsi que 1, 4.

La barre d'équerre (fig. 2. Pl. XXVII.) est une barre de fer ayant dix piés & demi de long, pliée à angle droit à une de ses extrémités, où elle forme un crochet a b de vingt-un pouces.

Les barres croches sont des pinces telles que (fig. 1. Pl. XXVII.) d'environ huit piés & demi de long, & ayant une petite courbure en approchant d'une de leurs extrémités.

Lorsqu'on a à placer un pot dans le four, on commence par lever la ferrasse qui forme l'arche, & on abat les glaies tant de l'arche que du four. On débarrasse avec soin les débris des glaies pour que la manoeuvre n'en soit pas gênée : on place le sergent au devant de l'arche, ensuite on pousse un peu le pot avec les cornes du moïse, appuyé sur le sergent ; & l'on profite de cet instant pour ôter avec un des grands crochets de dessous le pot un des briquetons sur lesquels il pose, dans la vue de faire pencher le pot du côté de la gueule de l'arche. Alors les grands crochets tirent le pot par le haut de la fleche pour le renverser, le coucher, si l'on peut ainsi dire, sur le pavé de l'arche, ce qu'on appelle abattre le pot. Moïse se met en-dedans du pot pour le soutenir, crainte qu'il ne soit abattu trop vivement & qu'il ne frappe contre le pavé de l'arche. On voit dans les ouvriers 1, 2, 3, (Pl. XXVIII. vignette) l'action de moïse & des deux grands crochets.

Lorsque le pot est abattu, plaçant les crochets à son jable, on l'attire doucement sur le devant de l'arche, de maniere qu'il présente son ouverture à la gueule de l'arche, & on ôte le sergent. Alors on balaie le pot pour en ôter la poussiere, & en savoir le bon ou mauvais état.

On approche le grand chariot dont on enfonce les cornes jusqu'au fond du pot. On souleve un peu le pot ; & lorsqu'il est ainsi chargé sur les cornes du chariot, retirant celui-ci en arriere, on retire le pot hors de l'arche.

Le chariot est conduit par neuf hommes, un au bout de la queue qui dirige le mouvement de l'outil & la manoeuvre ; deux à chacun des trois boulons, & un à chaque roue pour les retenir, les accélérer ou changer la direction du chariot, en retenant l'une plus que l'autre.

On mene le chariot sous l'antre & on approche le pot de la tonnelle avec un mouvement bien réglé, les ouvriers qui sont aux roues opposant leurs efforts à la pente du terrein ; à mesure qu'on approche de la tonnelle, on baisse le pot, & on le fait entrer sous la tonnelle sans toucher à l'âtre, aux piés droits, ni au ceintre ; on le pousse assez avant pour que le bord supérieur ait passé le ceintre de la tonnelle ; alors on retire le chariot, & on amene la fourche.

On passe les cornes de la fourche sous le bord du pot, & on le releve entre les deux sieges. La dent-de-loup qu'on fait passer par le tisar de l'autre glaie, accroche le bord du pot de son côté, le maintient droit & l'empêche de s'abattre de nouveau. L'action de la dent-de-loup donne à la fourche le tems de prendre le pot par le jable. On l'enleve jusqu'à la hauteur du siege sur lequel on fait poser le bord de son cul. Alors la dent-de-loup devenue inutile, se retire.

La barre d'équerre passe par l'ouvreau à trejetter correspondant au pot qu'on place, entre dans le pot, & les ouvriers qui s'en servent peuvent, en tirant à eux, soutenir le pot que sa pesanteur entraîneroit entre les deux sieges.

Pendant l'action de la barre d'équerre la fourche abandonne le pot, & le reprenant plus loin du siege, est en état de le porter plus avant : la fourche abandonne encore le pot, & la barre d'équerre le soutient ; ainsi de-suite, jusqu'à ce qu'il soit assez avant sur le siege pour s'y soutenir de lui-même. Alors l'action de la barre d'équerre devient nulle, & c'est le moment de mettre en oeuvre les deux barres croches.

L'une passe par l'ouvreau du milieu, & toutes deux agissant comme leviers, favorisent l'action de la fourche, en appellant le pot au mormue (i).

Le pot est bien placé lorsqu'il coupe l'ouvreau du milieu par la moitié, & qu'il ne laisse de distance entre lui & le mormue, que l'épaisseur d'un rable de tiseur.

Lorsqu'on retire un pot du four, c'est précisément la même opération que lorsqu'on l'y met : seulement les outils agissent en ordre & en sens contraires. La fourche travaille la premiere, & au lieu de pousser le pot au mormue, elle l'attire entre les sieges. La dent-de-loup au lieu de le soutenir, le pousse pour l'abattre, &c.

Dès qu'on a pris dans l'arche les pots dont on a eu besoin, s'il en reste encore on refait l'arche, & on laisse baisser le feu par gradation, jusqu'à ce qu'il soit réduit à celui de la lunette.

On a aussi le plus grand soin de refaire promtement la glaie du four, d'abord que l'opération est finie.

L'opération de mettre des cuvettes neuves au four est bien moins compliquée. (Pl. XXX. vignette) On tire la cuvette sur le devant de l'arche avec les grands crochets ; on la met sur une pelle de tôle, & un homme tenant la queue de la pelle, aidé d'un gambier, la porte à l'ouvreau, la pose sur la plaque ; le chariot à tenaille la prend & la place.

On peut aussi porter la cuvette en mettant les cornes de moïse au fond de la cuvette, & portant le moïse lui-même chargé de la cuvette, jusque sur la plaque où on pose la cuvette.

A la vérité, on ne peut alors poser la cuvette sur son cul, mais on l'y retourne en la soutenant avec tel outil que ce puisse être, pour empêcher qu'elle ne tombe avec trop de force sur la plaque.

Lorsqu'on a pris dans l'arche les cuvettes dont on a besoin, pour conserver celles qui restent on replace la tuile de l'arche, on la marge, & on reduit le feu à celui de la lunette.

Le verre qui se répand dans le four, soit lors des opérations, soit par la casse de quelques vases, se salit, & devient jaune ou noir par le mêlange des cendres. Il prend alors le nom de picadil. Lorsque le picadil est trop abondant, il va jusques sur l'âtre des tonnelles, & gêne la chauffe. Alors on prend le parti de le tirer hors du four, & c'est la seule opération qui nous reste à décrire.

On ouvre une tonnelle, on puise dans le bain de picadil avec des poches de fer (fig. 4. Pl. XXXI.) qui ont six pouces de diamêtre sur environ autant de profondeur, & environ onze piés de manche. On vuide la poche sous l'antre au devant de la tonnelle qu'on croise d'une buche un peu grosse, pour empêcher le picadil de céder à la pente du terrein & de redescendre dans le four.

(i) On voit, Pl. XXIX. vignette, l'action de la fourche, des barres croches, & de la barre d'équerre.

Il seroit impossible de manier les poches à picadil si on n'avoit un point d'appui. On emploie pour cet usage le danzé, instrument dont on voit le géométral fig. 1. Pl. XXXI. le perspectif fig. 2. & le profil fig. 3. Je ne doute pas qu'un homme intelligent au moyen du danzé, ne se passât de beaucoup d'autres outils.

Le danzé n'est autre chose qu'un cadre de fer A B C D de dix-huit pouces sur chaque face, (fig. 1.) sur les côtés A B, C D, duquel s'élevent deux triangles aussi de fer E F G, (fig. 3.) de quinze pouces de haut, percés de deux trous 1, 2. Le trou 1. (fig. 3.) est destiné à faire passer une traverse a b (fig. 2.) qui n'a d'autre usage que de fortifier la construction de l'outil. Par le trou 2 (fig. 3.) passe une autre traverse d f (fig. 2.) qui est véritablement le point d'appui, & sur laquelle pose le manche de la poche. La branche g h k sert à donner plus de force au danzé.

Lorsque la poche s'échauffe on va la rafraîchir dans un baquet avec l'aide d'un gambier.

Quand on n'a plus de picadil à tirer, on gratte avec des rables l'âtre de la tonnelle pour le bien nettoyer, & pour empêcher que le verre qui s'y seroit attaché pendant l'opération n'y reste.

On finit par prendre le danzé avec des crochets par le triangle, ou la branche g h k, & le tirant hors de l'âtre, on entraîne avec lui la masse de picadil qui l'entoure. Elle est quelquefois si considérable, que l'on ne pourroit jamais vaincre sa pesanteur, si les ouvriers ne réunissoient leurs efforts par des crics, comme on le pratique pour certaines opérations de marine.

L'opération de tirer du picadil est fort bien représentée dans la vignette de la Pl. XXXI. L'ouvrier 1 ramene sa poche pleine de picadil, les ouvriers 2, 3, lui tiennent un gambier prêt pour l'instant où il voudra porter sa poche à rafraîchir. L'ouvrier 4 rafraîchit sa poche, & les porteurs de gambier 5, 6, qui lui ont aidé à la porter au baquet, attendent qu'il soit prêt à la rapporter au four.

Il y a des outils de glacerie qui servent assez souvent, & qui ne tiennent à aucune opération ; tels sont la houlette, le diable & le gros diable.

La houlette, fig. 1. Pl. XXX. présente à une de ses extrémités une partie plate de six pouces de large sur environ neuf de long, que j'appelle pelle de la houlette. Le manche de l'outil a environ dix-huit piés de long. La houlette ne sert guere que dans le cas de quelque réparation de four. On pose une tuile ou une torche sur la pelle de la houlette, & appuyant le manche sur le danzé, on la fait entrer dans le four par la tonnelle ou l'ouvreau à cuvette, relativement au lieu où l'on a à réparer, & on porte la tuile à la place qu'on veut.

Le diable, fig. P. XXVII. est une pince forte d'environ sept piés de long, à laquelle je ne connois d'autre usage, que d'élocher les pots lorsqu'on est à même de les ôter du four. Cette opération se fait par l'ouvreau à cuvette, & on doit avoir attention, quand un pot est éloché, d'introduire un briqueton, ou quelqu'autre intermede entre le pot & le siege, pour empêcher qu'ils ne se recollent.

Le gros diable est un instrument fig. 5. Pl. XXVII. long d'environ douze piés, s'amincissant & faisant tranchant à une de ses extrémités. Il fait l'office du belier des anciens lorsqu'on a quelque chose à arracher ou à dégrader dans le four. On appuie le gros diable sur le danzé, & on le pousse avec force & accélération contre la partie à détruire, qu'on frappe avec le tranchant du gros diable.

La recuisson des glaces n'est absolument autre chose que leur refroidissement gradué & insensible. C'est le passage de l'état de chaleur où est le verre dans l'instant de la coulée, à un refroidissement parfait. On ne parviendroit jamais à avoir des glaces entieres si on les laissoit refroidir à l'air libre. Le contact immédiat de l'air feroit sur elles un effet de même sorte que celui de l'eau sur les canons rouges. Cette contraction subite, à laquelle les parties des glaces n'auroient pas le tems de se prêter, en causeroit la séparation forcée, & les glaces éprouveroient une maniere de calcination.

C'est par cette raison que l'on pousse les glaces dans un four si-tôt après les avoir coulées. Ces fours prennent de leur usage le nom de fours de recuisson, qui leur est générique avec tous ceux qui, en verrerie, font la même fonction de recuire. Ceux qui sont destinés à la recuisson des glaces coulées, sont particulierement nommés carquaises. On chauffe la carquaise quelque tems avant de couler ; & il faut, lors de cette opération, qu'elle soit rouge de feu dans toutes ses parties ; autrement on manqueroit son but, & les glaces qu'on y enfourneroit ne trouvant pas un milieu assez relatif à l'état où elles seroient dans cet instant, ne pourroient manquer de souffrir les mêmes inconvéniens que si elles restoient à l'air libre.

Il y a aussi un danger considérable à couler dans une carquaise trop chaude. La glace au-lieu de prendre une certaine consistance qui puisse favoriser l'usage des outils avec lesquels on est obligé de la toucher, s'amollit. Elle se refoule lorsqu'on la pousse avec l'y grec, soit avec la grande pelle, comme elle s'étend en la tirant avec le crochet de l'y grec.

La Pl. XXXII. présente le détail d'une carquaise & de toutes ses parties ; le pavé de la carquaise est posé sur un massif à la même hauteur que la table, afin que la glace passant de l'un sur l'autre, voyage sur le même plan. Le pavé doit être droit & uni ; car la glace étant molle lorsqu'on l'y met, elle recevroit toutes les impressions que lui donneroit la forme du pavé : aussi toutes les fois qu'on est à même de couler dans une carquaise, a-t-on le soin de présenter la regle à son pavé dans tous les tems avant de la chauffer.

Le pavé d'une carquaise est fait en briques posées de champ. On ne les unit pas avec du mortier ; mais on se contente de les poser sur du sable bien passé, dont on dispose une couche entr'elles & le massif, dans la vue que si le feu fait jouer le pavé, au-lieu de le gauchir en entier (ce qu'il ne manqueroit pas de faire, si toutes les briques se tenoient), il se contente de faire élever telle ou telle brique qui peut ceder à l'action du feu sans en entraîner d'autres, & sans dégrader totalement le pavé. Les briques tiennent dans leur position par le simple soutien de celles qui sont à côté. On remplit leurs joints de sable ; & pour égaliser la surface du pavé, on le couvre aussi d'une légere couche de sable.

Les dimensions du pavé de la carquaise dépendent de la quantité & de la grandeur des glaces qu'on se propose d'y mettre. En supposant qu'on veuille y placer huit glaces de petites cuvettes, fig. Pl. XXXII. la longueur sera suffisante de vingt-trois piés entre les tisars sur une largeur de douze piés, ou en comprenant toute l'étendue de la carquaise de a en b de dedans en-dedans, elle aura de long vingt huit piés sur douze de large.

Vû l'étendue de cette espece de fourneau, on chauffe par les deux extrémités au moyen de deux tisars placés un à chaque bout.

A l'une des extrémités est une gueule D, fig. 1. par laquelle on fait entrer les glaces dans la carquaise. L'ouverture de cette gueule est proportionnée à la largeur des glaces qu'on fabrique. Si l'on fait des glaces de six piés de large, il faut au-moins que la gueule en ait sept, comme dans la figure. Il est inutile que le ceintre de la gueule soit bien haut, il suffit que dans son milieu il s'éleve à un pié, comme dans les figures 3 & 4. L'extrémité où est placée la gueule de la carquaise est dite devant de la carquaise.

La gueule s'étendant à sept piés de b en 1, il reste cinq piés jusqu'à l'autre paroi de la carquaise de 1 en 3, on prend la partie 3, 2 = 18 pouces pour l'ouverture du tisar de devant, & il reste 1, 2 = 3 piés & demi pour l'épaisseur de la maçonnerie, qui est entre la gueule de la carquaise, & celle du tisar. Cette maçonnerie a besoin d'une certaine force étant destinée à soutenir l'effort des voûtes, tant de la gueule de la carquaise que du tisar. A la distance 3, 4 = 6 pouces du devant de la carquaise, on forme des relais 4, 5, 6, 7, = 3 pouces chacun, pour placer la porte du tisar, au moyen de quoi le tisar, au lieu où l'on forme les piés droits qui doivent soutenir sa voûte, a un pié de largeur ou d'ouverture de 5 en 6, & quinze pouces de long de 5 en 8 ; bien entendu que l'espace de 3 en 8 est occupé par la maçonnerie qui sépare le tisar d'avec le cendrier qu'on pratique au-dessous, comme on peut le voir par les figures 3, 4, qui expriment les élévations tant intérieures qu'extérieures du devant de la carquaise. On voit dans ces mêmes figures que le tisar est ceintré à environ quinze pouces d'élévation. Le tisar depuis le point 8 s'avance encore de deux piés & demi dans l'intérieur de la carquaise. Le tisar entier s'avance donc de quatre piés trois pouces dans la carquaise ; les barreaux du tisar qui commencent en 8 sont d'environ huit pouces, au-dessous de 8 & du pavé du four, pour empêcher les braises de tomber sur ce pavé. La maçonnerie qui se trouve entre le tisar de devant & la gueule de la carquaise, avance de trois piés de 2 en 9, dans la carquaise ; l'épaisseur de la gueule 1 f = un pié, & de f en x la maçonnerie fait avec f 1 un angle tel que x f = deux piés & demi.

Le tisar qui se trouve à l'autre extrémité de la carquaise, & qu'on appelle le tisar de derriere, est fait comme celui de devant, avec la différence qu'il est placé au milieu de la carquaise. Il a dix-huit pouces de large & cinq piés de long du devant de sa gueule à son extrémité. Pour qu'il n'avance pas trop dans la carquaise, on lui fait déborder le devant de ladite carquaise de deux piés & demi, au moyen de quoi faisant le mur de la carquaise de deux piés & demi d'épais, le tisar ne prendra rien de l'intérieur. On fortifie le tisar d'une maçonnerie de deux piés d'épaisseur de chacun de ses côtés. Le tisar ou sa maçonnerie occupera donc cinq piés & demi de la largeur de la carquaise. Il restera donc trois piés trois pouces de chaque côté du tisar. La voûte du tisar forme l'entonnoir en approchant de la carquaise, fig. 2. du-moins quant à la hauteur, puisqu'à la gueule elle n'a que dix-huit pouces d'élévation, & à l'extrémité elle a environ trois piés.

A côté du tisar sont deux ouvertures E E, fig. 1. d'un pié trois pouces de large. On forme un petit relai à leur entrée pour les fermer d'une tuile. Ces ouvertures s'appellent lunettes des carquaises, ou par quelques-uns gueulettes. Elles servent à faire passer des outils pour ranger les glaces, si par hasard elles ont pris une mauvaise position à l'extrémité de la carquaise. C'est pour favoriser cet usage que la lunette s'aggrandit vers l'intérieur de la carquaise où elle a trois piés de large. La voûte de la lunette est à plein ceintre, & augmente d'élévation comme la lunette a augmenté de largeur. La lunette est placée au milieu de y d, partie de la largeur de la carquaise qui reste de chaque côté du tisar ; on voit en fig. 5 & 6. la vue tant intérieure qu'extérieure du derriere de la carquaise.

La voûte de la carquaise prend dans sa longueur la forme qu'on remarque dans sa coupe longitudinale, fig. 2. Il est inutile qu'elle soit bien élevée ; ce seroit même nuisible, en ce qu'on auroit un espace trop considérable à échauffer. Aux deux extrémités la voûte a environ trois piés de hauteur, & elle va en exhaussant jusqu'au milieu, qui a environ quatre piés, & où est la plus grande élévation.

Quant à la forme que prend la voûte dans la coupe latitudinale, on voit par les figures 4 & 6. que rien ne ressemble plus à une anse de panier. Les parois de la carquaise ne forment presque pas de piés droits, la voûte commence presque sur le pavé.

Au-dessus de la voûte de la carquaise on forme en massif une planimétrie, qui se trouve élevée à environ douze piés de terre ; on la couvre de torchis, comme le dessus du four de fusion, & la sécheresse du lieu en fait un excellent magasin de pots prêts à attremper.

On éleve le mur du devant des carquaises à la hauteur convenable pour s'en servir à soutenir la charpente de la halle.

Les glaciers sont partagés dans leurs opinions au sujet des carquaises. Les uns veulent qu'elles soient ouvertes de plusieurs trous ou cheminées dans la voute : on en met ordinairement une au milieu de la carquaise, & deux à chaque extrémité. Les autres prétendent que de pareilles cheminées ne peuvent que nuire. Selon les premiers, les cheminées qui restent bien bouchées pendant tout le tems de la chauffe, & qu'on ouvre aussi-tôt que l'opération est finie, hâtent le refroidissement de la carquaise, & mettent les glaces en état d'en être plus tôt tirées. Cette même raison alléguée pour, est tournée contre par les ennemis des cheminées. En effet, comment, disent-ils, peut-on regarder comme gradué un refroidissement qu'on cherche à presser par quel moyen que ce puisse être ? La maniere de raisonner des derniers me paroit plus relative à la définition que nous avons donné de la recuisson des glaces : j'ai cependant fait de très-bonnes recuissons dans les carquaises à cheminées.

La définition de la recuisson conduit nécessairement à faire marger toutes les ouvertures de la carquaise d'abord après la coulée, & à les démarger ensuite peu-à-peu, à-peu-près comme on démarge la lunette d'une arche.

On appelle les parois de la carquaise mormues de la carquaise.

La bonté de la recuisson se reconnoit à la coupe. Une glace mal recuite se coupe difficilement, le diamant y prend mal : lorsqu'il y prend, le trait s'ouvre avec peine, quelquefois même la glace se casse & se met en pieces avant que le trait soit ouvert, & lorsqu'il se détache de la glace quelques morceaux qu'on tient avec la main, elle en est repoussée à-peu-près comme elle le seroit par un ressort qui se débanderoit contre elle. Je ne vois pas d'autre raison de ce phénomène, si ce n'est que la glace ayant été réfroidie plus promtement qu'il n'eût été convenable, ses parties ont souffert un degré subit de contraction, qui en a fait comme des petits ressorts bandés. Par le coup de diamant ou les efforts que l'on fait pour l'ouvrir on rompt les petits ressorts à une des extrémités, & dès-lors on s'expose à toute leur violence, ils se débandent subitement, & suivant leur direction ils font un effet différent ; quelquefois la glace éclate, quelquefois le coup de diamant s'ouvre dans toute sa longueur, avec une rapidité incroyable.

Il se présente à la recuisson des glaces des phénomènes étonnans ; mais outre que ce n'est pas ici le moment d'entrer dans ce détail, comme l'explication que je chercherois à en donner pourroit devenir systématique, je me réserverai d'exposer ma façon de penser sur cet objet, dans une autre occasion.

Des apprêts. Lorsque les glaces sont recuites & qu'on les a tirées de la carquaise, il ne faut plus pour les mettre en état de vente que les réduire à l'épaisseur convenable & les polir, ce qu'on appelle les apprêter.

Avant que d'apprêter les glaces, on les équarrit, pour s'épargner la peine & la dépense de travailler les parties qui les empêchent d'avoir la forme quarrée, la seule reçue dans le commerce, & qui par-là deviennent inutiles.

Il seroit superflu d'entrer dans le détail de la maniere dont on coupe les glaces pour les équarrir, ni dans la description des outils qui servent à cette opération ; on en doit être suffisamment instruit par ce que nous avons dit de la façon dont on coupe les têtes des glaces, sur le devant de la carquaise.

Pour faire un bon équarrissage, on doit avoir deux attentions ; 1°. de se conserver le plus grand volume ; 2°. & de retrancher les défauts qui pourroient occasionner, ou casse de la glace pendant le travail, ou difficulté de vente.

Une précaution que l'on ne doit pas négliger, c'est que la table sur laquelle on pose à plat les glaces à équarrir soit bien de niveau & à la regle, afin que la glace portant sur tous ses points, éprouve le coup de marteau sans se casser.

On couvre la table d'une légere couche de sable, pour que la glace brute y glisse avec facilité, lorsqu'on veut ou la pousser ou la retirer, ou la tourner d'une bande à l'autre ; sans cette précaution on auroit beaucoup de peine, le brut étant fort pesant.

La table à équarrir doit être d'une hauteur à laquelle on puisse travailler avec facilité ; on la fait ordinairement de vingt-six pouces d'élévation. Il est inutile qu'elle soit aussi longue ni aussi large que les glaces qu'on a à équarrir, la bande qu'on coupe étant toujours hors de la table. Une table de quatre-vingt-dix pouces sur soixante, suffit pour y réduire les glaces les plus grandes à leur juste volume.

Le moment le plus difficile de l'opération d'équarrir, est celui où on couche la glace sur la table, surtout si elle est grande.

On commence par la poser de champ contre la table, de maniere qu'elle s'appuie également par-tout sur le bord de celle-ci ; ensuite deux hommes la prennent, un à chaque bout, l'enlevent d'un égal mouvement, sans lui faire quitter la table, & tendant à la poser sur celle-ci. Pendant ce tems un troisieme les favorise, en soutenant la bande de la glace qui quitte la terre, & un quatrieme de l'autre côté de la table présente ses bras à la bande qui penche vers la table, pour la soutenir & l'empêcher de poser trop vîte ou inégalement, & même de vaciller.

Lorsque les glaces sont équarries, c'est le moment de leur faire subir le premier apprêt, connu sous le nom général de douci, qui cependant n'appartient proprement qu'à certains instans de ce travail.

Les apprêts des glaces sont un vrai traité de frottement, c'est par lui que tout s'y fait.

On commence par marquer les défauts que l'on remarque dans la glace à travailler, & que l'on croit pouvoir être emportés avec la partie qu'on est obligé d'user, pour réduire le morceau à son épaisseur ; ensuite on scelle la glace sur une pierre bien droite & bien unie ; nous allons raisonner comme si c'étoit une petite glace, ou au-moins une glace de moyen volume.

La pierre sur laquelle on scelle, doit être proportionnée au volume de la glace que l'on scelle, & si elle déborde elle doit le faire à-peu-près de la même quantité de toutes parts.

Cette pierre est ordinairement placée dans une caisse de bois, qui la déborde de quatre ou cinq pouces sur toutes ses faces, au-dessus des bords de laquelle elle est élevée par deux ou trois travelots sur lesquels elle pose : la caisse est toujours pleine d'eau, parce que l'eau est nécessaire à ce travail ; le tout est posé sur des piliers de pierre, à une hauteur telle, que l'ouvrier puisse atteindre avec les bras à toutes les parties de la glace, dans la supposition que nous avons déjà faite, qu'elle étoit de moyen volume.

La pierre avec sa caisse prennent le nom de banc, & les bancs servant à sceller les moyens volumes se nomment bancs de moilons, parce que l'outil employé par l'ouvrier dans ce cas est connu sous le nom de moilon, comme nous le dirons par la suite.

Le scellage consiste simplement à tamiser sur la pierre du plâtre cuit avec un tamis bien fin, & le pêtrir avec de l'eau propre, ce qu'on appelle le gacher. Lorsque le plâtre est bien gaché, qu'on le sent par-tout également délayé, & qu'on l'a répandu sur toute la surface de la pierre, on y pose d'abord une bande de la glace, & on laisse baisser peu-à-peu l'autre bande, jusqu'à ce que la glace soit à plat sur la pierre, après quoi on remue un peu la glace sur le plâtre, pour en insinuer également sous toutes ses parties, & pour qu'il n'y en ait aucune qui porte à faux ; ensuite on la place, on la laisse en repos, le plâtre seche, se prend, & la glace est ferme & solide ; on fait des bords de plâtre autour de la glace pour conserver ceux de cette derniere & la fixer encore plus fermement en sa place ; on nettoye le reste du banc, ainsi que la surface de la glace, qui est alors en état bien convenable pour être travaillée.

Une assez bonne précaution à prendre pour la perfection du scellage, c'est dès que la glace est posée sur le plâtre, d'y monter & de piétiner dessus, c'est-à-dire marcher sur toutes ses parties, en faisant glisser ses piés à côté l'un de l'autre. Par cette manoeuvre on chasse les particules d'air qui pourroient être restées entre la glace & la pierre, & on contribue encore à distribuer également le plâtre sous la glace.

Dès que la glace est scellée, l'ouvrier commence à disposer les outils qui lui sont nécessaires pour la travailler ; ils sont en très-petit nombre.

Il scelle une petite glace sur une pierre mince, place cette glace sur celle de son banc (k), & pose dessus une molette qui s'y applique bien immédiatement.

La molette. Ce n'est qu'une petite pierre quarrée fort mince, encadrée dans un cadre de bois d'environ trois ou quatre pouces de hauteur, qu'on remplit de plâtre. A chaque coin de la molette & à sa surface supérieure est une pomme de bois. L'ouvrier prend successivement ces pommes, & par cette manoeuvre fait tourner la molette, & conséquemment la petite glace à laquelle elle est immédiatement appliquée, & qui pose sur la levée. (l)

Les figures donneront sur les formes des outils & sur la maniere de les employer, les éclaircissemens qu'on pourroit desirer.

L'ouvrier répand du sable à gros grains, ou pour parler plus simplement, du gros sable sur sa levée, avec une palette, petit outil de bois, plat, désigné assez par son nom. Il mouille un peu son sable, & fait tourner sa molette sur tous les endroits de la levée. Les parties du sable usent les parties de la glace, & diminuent les inégalités. Lorsque le sable est usé lui-même, on essaye la levée, & on remet de nouveau sable, ce qu'on appelle donner une nouvelle touche.

Si la levée est usée par le sable, la glace qui roule dessus, & qui par cette raison est appellée dessus, s'use aussi, & s'apprête en même tems. Le dessus s'use même plutôt que la levée, étant moins grand ; car il doit toujours être tel qu'il puisse tourner entre

(k) Surface contre surface.

(l) Levée, glace scellée sur le banc.

la main de l'ouvrier, & son corps : aussi emploie-t-on plusieurs dessus pour apprêter une seule levée.

On doit avoir toujours attention de ne pas travailler brut contre brut ; les inégalités seroient trop considérables, & pourroient occasionner des casses.

La molette du doucisseur, dont nous venons de donner l'usage, est l'instrument le plus léger qu'on mette sur une levée, & il sert seulement à acheminer la levée, c'est-à-dire, à ôter les inégalités les plus considérables. Lorsque l'ouvrier s'apperçoit que son dessus roule bien & uniment sur la levée, à la molette il substitue le moilon (m), qui ne differe du premier outil que par sa grandeur & par son poids. On place le moilon sur de plus grands dessus, & on le fait travailler, comme la molette, conduisant le dessus sur toute la levée, essuyant la levée avec une éponge, dès que la touche de sable est usée, & remettant une nouvelle touche.

Lorsque l'on n'apperçoit plus aucun endroit brut sur la levée, on dit qu'elle est débrutie, & lorsqu'elle est à la regle, on la dit dressée.

Lorsque le dessus est assez diminué d'épaisseur, on le change, & on a toujours attention de travailler les premiers les dessus les moins grands.

Quand la levée est atteinte d'un côté, c'est-à-dire qu'on a fait disparoître les défauts auxquels on s'appliquoit, & qu'on la juge assez diminuée d'épaisseur, on la descelle, c'est-à-dire qu'on la décolle de dessus le plâtre.

Avant que de desceller, on use la derniere touche de gros sable plus que les autres, dans la vue de rendre égale par-tout la piquure que le gros sable laisse sur la glace.

Pour parvenir au descellage, on commence par défaire les bords. On insinue la lame de deux couteaux entre la pierre & la glace, de telle sorte que les couteaux soient du même côté, & ne soient pas assez distans entr'eux pour se contredire dans leur action. On donne par-là passage à l'air au-dessous de la glace, & on continue la même manoeuvre tout-autour de la levée, jusqu'à ce que l'on la voie absolument détachée de la pierre. Il suffit, sur-tout quand une glace est grande, de la décoller de la pierre en un grand nombre d'endroits, & alors l'ouvrier, en la tirant ou en la poussant avec force, acheve de l'arracher de dessus le plâtre.

Lorsque la glace est descellée, en l'enleve de dessus la pierre, & on nettoie bien la levée & la pierre. Ensuite on la rescelle de la maniere que nous avons indiquée, mettant sur le plâtre le côté atteint, & on travaille à son tour le côté brut, en manoeuvrant comme on a fait pour le premier côté.

A ce second scellage il est inutile de piétiner sur la levée ; la surface qui touche le plâtre, étant assez unie pour le toucher également par-tout sans cette précaution.

Après que le second côté a été passé au gros sable, la glace est à l'épaisseur qui convient à son volume, & en même tems elle est autant exempte de défauts que le travail peut la rendre. Il ne s'agit plus que d'enlever la piquure grossiere que le gros sable a laissée sur les surfaces.

Pour cet effet on substitue au gros sable du sable plus fin, connu sous le nom de sable doux, & on en passe jusqu'à ce que l'on ne remarque plus aucune piquure de gros sable ; alors on doucit le sable doux, c'est-à-dire que l'on en use la derniere touche jusqu'à ce que l'on s'apperçoive qu'elle ne peut plus faire aucun effet, dans la vue d'en rendre la piquure générale égale par-tout, & en même tems moins forte & plus fine ; après quoi il n'existe plus d'autres défauts dans la levée que la piquure de sable doux.

On la corrige en passant au lieu de sable doux, de l'émeril grossier.

Il est inutile de dire que l'on a continuellement le soin d'essuyer la levée avec une éponge propre, avant que de mettre une nouvelle touche, soit de sable doux, soit d'émeril.

Lorsque l'on ne reconnoît plus à la glace de piquure de sable doux, on doucit l'émeril, comme l'on a fait le sable doux.

On corrige la piquure du premier émeril en en passant d'une seconde espece plus fine que la premiere, qu'on doucit aussi lorsqu'elle a absolument effacé la piquure du premier émeril. Enfin on rectifie le second émeril par un troisieme encore plus fin que le second, que l'on travaille comme les deux premiers. Alors ce côté a reçu toutes les préparations qui dépendent du doucisseur.

On descelle la levée, pour passer au sable doux & aux émerils, le côté qui étoit sur le plâtre, & qui n'avoit encore reçu que du gros sable. Lorsque les deux côtés ont été ainsi travaillés, il est question de les polir.

On connoit assez l'émeril, pour que je me dispense d'en parler fort au long ; je dirai seulement un mot de la maniere dont on en obtient de plus ou moins fin.

On le met dans un vase où on le délaie dans de l'eau ; on laisse ensuite reposer l'eau quelque tems. Les parties les plus grossieres & les plus pesantes tombent au fond, & celles qui sont plus fines, sont encore retenues par l'eau. On transvase celle-ci dans un autre vaisseau, où l'on la laisse reposer plus longtems. Alors les parties plus fines se déposent à leur tour, & l'on a de l'émeril de deux especes. Si l'on en veut d'une troisieme, on délaie le second, & en agissant, comme l'on a déja fait, on a encore un nouvel émeril plus fin que les deux premiers.

Pendant que les émerils sont encore humides, on les façonne en boules communément nommées pelotes, dont on frotte sur les levées, lorsqu'on s'en sert.

Je ne me suis étendu sur la description d'aucun outil, n'y en ayant aucun assez compliqué pour que l'inspection de la figure ne suffise.

On conduit le travail des dessus comme celui des levées, ne les employant à passer du sable doux que lorsqu'ils ont assez passé au gros sable, &c.

Il y a quelque différence entre le travail des grandes glaces & celui des petites. Les premieres se scellent sur de très-grandes pierres, sur lesquelles on peut en assembler plusieurs. Deux ouvriers travaillent sur ces bancs.

Le scellage est de même ; il demande seulement des précautions plus exactes, parce qu'on a à manier des morceaux plus considérables. Les moilons ne servent qu'à passer quelques touches de gros sable sur les joints des glaces, qu'on a scellées ensemble pour les égaliser & les unir. On substitue au moilon une table sur laquelle on scelle le dessus ; mais comme les dessus de ces sortes de levées sont fort grands, & conséquemment difficiles à manier, on pose le dessus sur la levée, & on scelle la table sur le dessus, au lieu de sceller le dessus sur la table. On a attention que ladite table ne déborde pas le dessus plus d'un côté que de l'autre.

Les planches qui forment la table, sont réunies par des travelots sur lesquels elles sont clouées. A chaque extrémité de ladite table sont deux chevilles par lesquelles les ouvriers la prennent, tant pour l'enlever de dessus la levée, que pour desceller le dessus ; & vers chaque bout de la table sont deux courbes de bois percées chacune d'un trou. Sur cette table est posée une roue de bois léger, qui a ordinairement 104 pouces de diametre, & est composée

(m) On met entre la pierre de dessus & le moilon deux lisieres de drap.

de dix raies & de dix jantes. Il y a deux entreraies, un de chaque côté du moyeu, percés de trous, de maniere qu'on puisse arrêter les entreraies, & conséquemment la roue, à la table par une cheville qui passe par les trous de l'entreraie & des courbes de la table, connues sous le nom de cabriolets.

La figure donnera tous les éclaircissemens nécessaires sur la forme des roues & de leurs tables.

Un ouvrier, à chaque extrémité du banc, tire la roue à lui, & la pousse réciproquement à son camarade ; & tous deux ensemble la font tourner sur la levée ; ce qui fait, comme on sent, l'effet du moilon, de passer sur toutes les parties de la glace, & de s'appliquer sur celles qui en ont le plus besoin, en tournant plus long-tems la roue dessus.

Si l'on veut dans certains cas augmenter le frottement, on charge la roue de pierres.

Les bancs sur lesquels on travaille avec la roue, prennent le nom de bancs de roues.

Le descellage est, pour les ouvriers & la roue, le même que pour les moilonneurs ; il n'y a que celui du dessus qui differe. Comme on a scellé la table sur le dessus, de même on descelle la table & non le dessus, qui reste sur la levée.

Pour cet effet on tire la table à un bout du banc, de maniere que les deux chevilles de la table débordent le banc. Un ouvrier prend lesdites chevilles, & soutient la table, tandis qu'un autre passe les couteaux entre le dessus & la table, & commence à les décoller l'un de l'autre. L'on continue à enlever la table par petites secousses, pour la détacher peu-à-peu du dessus. Si l'on a peine à y réussir, l'on pose les couteaux ailleurs, & on fait de nouvelles tentatives.

Lorsque la table est absolument séparée du dessus, on la retourne de maniere que chacun de ses bouts présente ses chevilles de chaque côté de la levée, & prenant la table par les chevilles, on l'enleve de dessus la levée.

Lorsque les glaces ont reçu toutes les préparations que nous venons d'expliquer, & qu'elles sont parfaitement doucies, il ne reste plus qu'à leur donner la surface unie & diaphane qui leur convient. Ce second apprêt est connu sous le nom de poli.

Du poli. Avant que de polir les glaces, on vérifie si elles sont effectivement bien quarrées, s'il ne reste pas quelqu'un des défauts qu'on espéroit d'emporter au douci, & qui exigeroit réduction ; enfin s'il n'y a pas sur les bords des défauts de douci que l'art du polisseur ne puisse corriger, & qu'il est nécessaire de couper ; en un mot, on leur fait subir un second équarrissage.

Pour procéder au poli, on scelle la glace sur une pierre proportionnée par son volume à celui de la glace. Auparavant l'inspecteur chargé de diriger le travail des ouvriers, visite la glace, & avec du marc de potée, il marque en rouge la surface de la glace au-dessous des défauts, 1°. parce que l'on les voit mieux sur de la couleur, que s'ils étoient seulement sur un fond blanc tel que le plâtre ; 2°. pour que l'ouvrier soit instruit plus aisément du lieu où ils sont, & s'y applique comme il convient ; & enfin pour que l'on puisse juger plus aisément du poli que sur un fond tout blanc.

Les bancs de poli ne sont autre chose que des pierres bien droites & unies, montées seulement sur des treteaux. On n'a pas besoin d'eau dans ce travail, comme au douci ; c'est pourquoi les pierres ne sont pas dans des caisses.

La premiere chose qu'ait à faire le polisseur, c'est de corriger les défauts du douci qu'il remarque, avec des outils qui prennent les parties de la glace plus en détail que ceux du doucisseur, & avec lesquels il puisse s'appliquer aux moindres défectuosités.

Pour cet effet il frotte sa glace d'émeril, & avec un petit morceau de glace de huit pouces sur cinq, dont on arrondit les quatre coins, & qu'on nomme pontil, il conduit son émeril sur toutes les parties de la glace, dont il mouille légerement la surface pour aider le passage du pontil.

Lorsqu'il ne faut que perfectionner le douci, il passe simplement & également le pontil sur toute la surface de la glace. S'il y a en des endroits des défauts plus marqués, comme acrocs, filandres, déchirages, tous provenant du frottement de quelques corps dur & tranchant, sur la surface de la glace, il passe sur ces endroits des touches particulieres qu'on appelle pour cette raison touches à part. L'ouvrier doit avoir attention, en passant des touches à part, de parcourir assez d'espace, pour ne pas creuser la surface de la glace, & par-là diminuer son épaisseur en une partie plus qu'en une autre.

Lorsque les défauts sont emportés, il passe des touches générales, pour rendre la surface d'autant plus égale, & enfin lorsqu'il juge n'avoir plus besoin de passer d'émeril, il le doucit.

Il n'est, je crois, pas besoin de dire que si le polisseur a été obligé d'employer du premier émeril, il faut qu'il le corrige avec du second, & ainsi de suite.

Après avoir passé son éméril, le polisseur laisse sécher sa glace, pour voir s'il ne reste aucun défaut qui l'empêche de polir ; s'il ne trouve rien de défectueux, il prend son polissoir, outil de bois de sept pouces & demi de long sur quatre pouces & demi de large, & neuf lignes d'épaisseur, traversé dans sa largeur & au milieu de sa longueur, d'un manche qui déborde d'environ trois ou quatre pouces de chaque côte. Au milieu du manche est un trou ovale ressemblant assez à l'orbite de l'oeil. Le dessous du polissoir est garni de lisieres de drap. On frotte le drap du polissoir avec de la potée en bâton, qui n'est autre chose que le caput mortuum de l'eau-forte, préparé pour cet usage ; & on le mouille en le frottant d'une brosse trempée dans l'eau. On pose le polissoir ainsi frotté ou, en terme de métier, graissé, sur un coin de la glace, & on le pousse devant soi aussi loin qu'on a la force de le faire, en appuyant dessus suivant un des bords de la glace, & ne passant le polissoir que sur une partie de la glace. La partie qu'on polit, s'appelle tirée. La tirée prend la forme d'un éventail, n'ayant que la largeur du polissoir au coin de la glace, & ayant un pié ou quinze pouces de large à son autre extrémité.

Lorsque le polissoir est sec, à force de le frotter sur la glace, on le graisse de nouveau & on le seche encore. L'action de sécher le polissoir est dite, faire une séchée ; ainsi lorsqu'on dit, qu'une tirée a été polie en deux ou trois séchées, on entend par-là qu'on a graissé & séché le polissoir deux ou trois fois. Lorsqu'une tirée est parfaitement polie, on en fait une autre à côté ; c'est-à-dire amenant toujours le polissoir sur le même coin, & travaillant à côté de la premiere tirée un espace pareil, & dans la même forme.

On a soin que la seconde tirée empiete sur la premiere, pour égaliser le poli, & pour qu'on ne puisse distinguer les séparations des tirées. Après la seconde tirée, on en polit une troisieme, aussi de suite, jusqu'au bord qui est perpendiculaire au premier où l'on a commencé. Alors on dit, que l'on a un coin de poli ; & lorsqu'on a poussé le polissoir de 30 ou 36 pouces sur la glace, ce coin consiste en un quart de cercle, qui a pour centre le coin de la glace, & pour rayon 30 ou 36 pouces.

Ordinairement un coin se polit en quatre ou cinq tirées : on fait la même opération aux quatre coins.

Si les tirées ne se sont pas croisées, & qu'il reste des endroits de la glace que le polissoir n'ait pas touchés, on fait d'autres tirées dans le milieu de la glace, dirigées de la maniere la plus favorable pour atteindre tous les endroits non polis. Si les tirées des coins se sont croisées, le lieu de leur jonction est nécessairement moins poli que le reste des coins, & on s'y applique plus immédiatement.

Lorsque toutes les parties de la glace sont à-peu-près au même degré de poli, on doit porter toute son attention à égaliser le poli, & à mêler les divers chemins du polissoir. Pour cet effet, on fait des séchées sur chaque bande de la glace, parallélement aux têtes (n), & d'une tête à l'autre : on en agit de même aux têtes parallélement aux bandes. Enfin on mouille d'eau de potée la surface entiere de la glace, qu'on seche ensuite avec le polissoir. Les séchées en bandes & en têtes dont nous avons parlé, sont connues sous le nom de recoupage, & la derniere séchée, où on mouille toute la surface de la glace, est dite séchée d'eau.

Le polisseur seroit très-fatigué s'il étoit obligé de tirer de ses bras tout le frottement de son polissoir ; pour le soulager on lui a donné une fleche, qui n'est autre chose qu'un morceau de bois verd d'environ six piés, qu'on courbe à force. A l'un des bouts est un bouton qui entre dans l'oeil du polissoir ; à l'autre bout est un clou qui fixe la fleche à un plancher, disposé environ à 24 pouces au-dessus du banc. La fleche appuyée par son ressort contre le plancher, fait arc-boutant contre le polissoir, & l'ouvrier n'a presque plus qu'à faire glisser ce dernier.

Lorsqu'il y a des endroits où le frottement du polissoir ne suffit pas, on y substitue un autre outil, connu sous le nom de brulot, absolument semblable au polissoir, à l'exception que le brulot n'a environ que 2 pouces ou 2 pouces & demi de largeur.

Quand un côté de la place est poli, on la descelle, & on la rescelle pour polir le second côté. On rougit en entier le côté poli, parce que le poli du second côté seroit bien plus difficile à appercevoir, la glace ayant déjà de la transparence, & le fond blanc du plâtre offrant par cette raison une réflexion bien plus difficile qu'auparavant. On marque à l'ouvrier les défauts de ce côté, en les renfonçant d'une ligne blanche, qu'on forme en ôtant en ces endroits le rouge dont on avoit couvert toute la surface.

Après qu'on a descellé une glace, tant au douci qu'au poli, on racle le plâtre qui reste sur la pierre, avec l'instrument nommé riflard, qu'on peut voir dans la figure.

Une des pratiques ingénieuses de l'attelier du poli, c'est le scellage des numeros. Comme ils sont tous de trop petit volume pour être travaillés seuls, on est obligé d'en assembler un certain nombre ; mais ils sont de différentes épaisseurs, & l'un débordant audessus l'autre, il seroit impossible de les travailler en même tems. Alors on prend le parti de les assembler sur une glace doucie, qu'on appelle modele.

On fait glisser les numeros sur le modele, de maniere qu'il ne reste point d'air entre les deux surfaces, au moyen de quoi le simple poids de l'athmosphere les retient collés au modele. Les surfaces des numeros sont nécessairement bien à la regle du côté du modele, & la différence des inégalités d'épaisseur ne se fait sentir que de l'autre côté, qu'on met sur le plâtre lorsqu'on scelle. En ôtant le modele, la surface sur laquelle on a à travailler se trouvera parfaitement unie. Le seul effet qui résultera des épaisseurs inégales, sera qu'il y aura sous tel numero, plus ou moins de plâtre que sous tel autre.

Après que les glaces sont polies, on les nettoye, on les molette, & c'est la derniere opération du fabriquant.

Ce dernier apprêt qui est très-peu considérable, consiste à rectifier le poli, c'est-à-dire à corriger les défauts qu'on remarque au poli en regardant la glace posée sur un tapis noir, ou gros-bleu, & éclairée par un jour tombant obliquement sur elle.

On se sert pour cet effet d'un petit outil de bois, d'environ 4 pouces de long, sur 2 pouces de large, & autant d'épaisseur, garni de lisieres, ou encore mieux de chapeau, & légérement graissé de potée : cet outil s'appelle molette.

Pour graisser la molette, on la frotte sur un verre, qu'on tient scellé sur une pierre mince qu'on mouille avec la brosse, & qu'on frotte de potée : ce verre dans cet état s'appelle moletoir.

On passe la molette avec force sur les endroits qu'on apperçoit moins bien polis que les autres, jusqu'à-ce que le nuage qu'on y voyoit soit dissipé.

La glace ayant reçu toutes ces façons, est dans le cas d'être étamée ; & c'est l'usage le plus avantageux qu'on puisse en faire.

L'étamage est l'opération la plus simple, & en même tems la plus utile. On se sert pour étamer d'une pierre bien droite & bien unie, entourée d'un cadre de bois, qui présente autour de trois côtés de la pierre, une petite rigole, percée à deux des coins. Cette espece de table est tellement disposée sur les piés qui la soutiennent, qu'on peut à volonté la mettre de niveau, ou lui donner de la pente du côté où sont les trous.

On commence d'abord par bien nettoyer la glace à étamer ; ensuite sur ladite table bien de niveau, on étend une feuille d'étain battu, de maniere qu'il n'y reste pas le moindre pli ; on répand après cela du mercure sur la feuille d'étain, & disposant une bande de papier sur le bord de la table jusqu'à la feuille, du côté où il n'y a point de rigole, & où le cadre ne déborde pas la pierre, on fait glisser la glace, d'abord sur le papier, & ensuite sur le mercure, dans la vue que sa surface ne prenne point de saletés dans le trajet.

On charge la glace de pierres pour qu'elle touche plus immédiatement à la feuille d'étain, & que le mercure superflu en sorte avec plus de facilité. C'est pour cette derniere raison que l'on penche la table, lorsque la glace est chargée. Le mercure superflu coule dans la rigole, & se décharge par les trous qui y sont pratiqués dans des bassins de bois.

On sent très-bien l'action du mercure dans l'étamage : il forme avec l'étain un amalgame qui s'unit à une des surfaces de la glace, & refléchit les rayons de lumiere.

Lorsqu'on juge l'étamage assez parfait & solide, on décharge la glace, & on la pose sur des égouttoirs de bois, dont on rend la pente plus ou moins rapide, à volonté, & sur lesquels elle acheve de perdre le mercure superflu qui pourroit lui rester.

L'inspection des figures rendra clair ce que nous venons de dire, tant des apprêts, que de l'étamage.

Tel est l'art de faire des glaces, qui est sans contredit une des branches les plus utiles & les plus agréables de la verrerie. Je souhaite que ce que j'en ai dit soit assez clair pour en convaincre le lecteur ; & je serois trop heureux si je pouvois animer les artistes, plus instruits, à communiquer leurs observations & leurs travaux. Cet article des glaces coulées est de M. ALUT le fils.

Glaces soufflées. Le crystal étant affiné, les cannes ou felles dressées, les baquets remplis d'eau, la place bien arrosée & balayée, & le fourneau bien chaud, on appelle les ouvriers, on commence par cueillir. Pour cet effet, on chauffe un peu la felle, on en plonge le bout dans le crystal à la profondeur de deux ou trois pouces, on tourne la felle pendant que le bout en est dans le crystal liquide, on la retire doucement afin que le fil qu'elle entraîne puisse se séparer & ne soit point amené sur le fil de l'ouvroir ; on la porte

(n) On appelle têtes de la glace les deux plus petits côtés, & bandes les deux plus longs.

au baquet, on la rafraîchit avec de l'eau, on laisse refroidir ce premier cueillage ; on le répete en cette maniere autant de fois qu'il est nécessaire, selon la grandeur de la glace qu'on se propose de souffler l'avant dernier cueillage. Lorsque la matiere cueillie est un peu froide, on la souffle à dessein de l'élargir, & de prendre au dernier coup plus de crystal : ce cueillage s'appelle la poste. Quand elle est assez froide, on la replonge encore en tournant la felle dans le crystal ; on la retire en baissant la main doucement, afin de faire séparer le fil, & arrondir le cueillage ; cela fait, on va au baquet rafraîchir la canne ou felle ; le paraisonier la prend ensuite, & la porte au marbre ou à la table : c'est une plaque de fer de fonte, il la roule en la soufflant en même tems, & lui donnant la forme appellée paraison, qu'on voit dans nos Pl.

Quelquefois la paraison devient plus mince d'un côté que de l'autre ; alors on continue à tourner cette partie mince sur le marbre ou sur la table qui la refroidit, & soufflant en même tems, l'autre partie épaisse cede, & l'égalité se rétablit.

Cela fait, on va au baquet rafraîchir la felle, puis on la porte à l'ouvroir pour réchauffer la paraison égalisée ; quand elle y est, on la tourne d'abord doucement, mais on augmente de vîtesse à mesure qu'elle s'amollit. Quand la paraison est assez chaude, on la retire pour la faire allonger ; si elle est bien lourde, deux ouvriers ou paraisonniers soutiennent la felle en l'air, & donnent lieu à la paraison de s'allonger ; on souffle à mesure qu'elle s'allonge, afin de lui donner le diametre qu'il faut, puis on la remet à l'ouvroir pour la réchauffer, observant comme auparavant de tourner d'autant plus vîte, qu'elle s'amollit davantage. Quand elle est assez chaude, on la retire, on acheve de l'allonger jusqu'au point convenable ; on pose la felle sur un tréteau ; un autre ouvrier, avec un poinçon & un maillet, y pratique un trou ; cela fait, on la reporte à l'ouvroir, mais on n'en réchauffe qu'environ la moitié ; quand elle est chaude, on revient au tréteau, & un autre ouvrier, avec le procello, met d'abord la pointe de cet instrument dans le trou fait avec le poinçon ; on tourne la felle, & comme le procello est à ressort, le trou s'élargit peu-à-peu ; quand toute l'ouverture est faite, on reporte à l'ouvroir, on réchauffe comme auparavant, on revient, on monte sur la chaise ; alors un ouvrier avec un ciseau fend la piece jusqu'à la moitié. On descend de dessus la chaise, on va au tréteau, un autre ouvrier avec le pontil, l'attache à la piece ; puis avec un fer trempé dans l'eau, dont on pose le bout sur la piece, & d'où il en tombe sur elle quelque goutte, prépare la séparation de la felle qui se fait d'un petit coup qu'on lui donne. La piece séparée de la felle, on la porte avec le pontil à l'ouvroir, pour la chauffer comme auparavant. On revient au tréteau, on acheve d'ouvrir le trou avec le procello ; un ouvrier alors monte sur la chaise, & avec un ciseau on acheve de fendre. Un autre ouvrier s'approche avec une pelle ; on pose la piece sur cette pelle, on détache le pontil de la piece par un petit coup : l'ouvrier à la pelle la prend, la porte dans l'arche à applatir.

La chaleur de l'arche commence à l'amollir ; on pose la piece sur la table à applatir, l'ouvrier prend le fer à applatir, c'est un tringle de fer d'environ 10 ou 11 piés de long, & il renverse un des bords de la piece vers la table, ensuite l'autre ; puis avec la polissoire, il frotte la glace par-tout pour la rendre unie ; ensuite on pousse la glace sous l'arcade, afin de la faire entrer sous le fourneau à recuire. A mesure qu'elle se refroidit, on la pousse vers le fond du fourneau ; quand elle est encore plus froide, c'est-à-dire, qu'il n'y a plus de risque qu'elle se plie ; on la dresse, & entre chaque sept ou huit pieces ainsi dressées, on met la barre de travers pour les empêcher de courber. Sans ces barres, les pieces poseroient les unes sur les autres, & plieroient ; quelquefois la glace est si grande, qu'on ne peut pas la dresser ; alors on la retire de l'arche, on la prend sur une pelle, & on la met dans le fourneau. Le fourneau étant plein, on le bouche, on marge, & on le laisse refroidir, mais on a grand soin de tenir le fourneau dans une chaleur convenable ; trop chaud, les pieces plieroient ; trop froid, elles se couperoient difficilement avec le diamant, & seroient trop sujettes à casser : quand elles sont froides on les retire, & on les emmagasine.

Il y a deux sortes de pontils ; le travers en étant un peu chaud, on les trempe dans le métal, ils s'en couvrent, on les laisse refroidir, puis on les attache à la piece.

Verreries en crystal. Les fours de ces verreries sont ronds. Voyez les plans & les profils. Ils sont faits en masse ou avec de la brique préparée exprès ; leur intérieur & leur extérieur sont revétus de briques ordinaires : on voit par le profil qu'il y a trois voûtes, une plus basse, qui est le foyer où il y a une grille faite de terre, sur laquelle on place le bois à brûler ; & au lieu de tirer la braise par le tisonnier, on remarque une petite porte au fond du foyer qui est à cet usage. C'est par-là qu'on fait passer la braise dans une cave, quand il y en a trop. Cette voûte est percée d'une lunette qui donne passage à la flamme dans la seconde voûte où les pots sont placés autour de la lunette. Cette seconde voûte est pareillement percée d'une lunette qui donne passage à la flamme dans l'arche ou dans la troisieme voûte, dans laquelle on met recuire les marchandises ; si ceux qui construisent ces fours, se servoient de la méthode que nous avons expliquée dans la verrerie à bouteilles en charbon, pour faire & préparer leurs briques selon les voûtes de leur four, ils abrégeroient beaucoup leur travail dans la construction ; car on peut déterminer les dimensions des moules, de maniere qu'on n'auroit rien à tailler. On voit qu'au lieu de faire les faces du moule rectilignes, il faudroit qu'ils suivissent la courbure des voûtes, observant encore que les briques se retrécissent, & que par conséquent si l'on veut avoir un four de six piés en diametre, il faut faire les moules comme pour un four de six piés quatre pouces.

On fait les pots à la main ou dans un moule. Ils ont ordinairement 2 piés 2 ou 3 pouces de largeur, sur 16 pouces de haut.

Quoiqu'il y ait huit pots dans ces fours, on ne travaille qu'à deux, trois ou quatre, & cela selon les nombres des ouvriers qu'on a, & selon les marchandises qu'on fait. Il y a deux ouvriers qui travaillent dans le même pot, auquel il y a deux ouvroirs, à-moins qu'on ne fasse de grosses pieces ; dans ce cas il n'y a qu'un ouvrier au même pot. Les autres pots sont pour fondre & raffiner la matiere. A mesure qu'elle se raffine & qu'on en a besoin, on la trafie d'un pot dans un autre avec la poche ou la cueillere, & cela sans la retirer du four.

Trafier le verre ou le crystal, c'est prendre la poche ou la cueillere, la tremper dans l'eau, si elle est sale, la laver & la plonger dans le crystal liquide ; & quand son bassin en est plein, le renverser dans les autres pots.

Quand ce pot est vuide, on le remplit derechef de sa fritte, pour être raffinée & tenue prête à être trafiée.

Dans ces fours, qu'il y ait six, sept à huit pots, il faut autant d'arcades qu'il peut y avoir de pots. C'est par ces arcades qu'on fait entrer les pots dans le four, & non pas, comme dans les autres verreries, par la tonnelle. Quand ils sont cuits, on les prend sur une planche, & on les porte, comme on voit dans les figures. On bouche le devant des arcades avec des torches faites de la même terre que le four. Voyez TORCHE, VERRERIE à bouteilles.

Nous avons dit que les pots étoient faits à la main ou au moule ; mais nous ajoutons qu'on a le même soin à éplucher la terre.

On fait dans les verreries dont nous traitons, outre le crystal, le verre blanc, le verre commun, les verres de couleurs, & les émaux.

Il semble qu'on doive au hazard la rencontre de la premiere composition du crystal, que les Chymistes ont ensuite perfectionnée. Car c'est à eux qu'on a l'obligation de ces belles couleurs que l'on pratique au crystal, qui imitent si bien les pierres précieuses, avec la matiere & l'emploi de leurs teintures qui se tirent des métaux & des minéraux.

Les premieres ou élémentaires matieres du crystal sont le salpêtre, le sel de soude, la potasse, le sable blanc & crystallin, ou le caillou noir ou pierre à fusil réduit en poudre ; ce qui n'est pas difficile. Faites rougir ce caillou au feu, jettez-le dans de l'eau fraîche, & il deviendra aisé à piler. Mais j'avertis qu'on ne s'en sert guere, quoiqu'il fasse le plus beau crystal. On aime mieux employer le sable qu'on trouve tout pulvérisé, que de perdre du tems & de la peine à pulvériser le caillou.

Quand on se sert du salpêtre seulement, on ne fait point de fritte ; on prend du salpêtre qu'on mêle avec le sable ou caillou réduits en poudre, autrement appellé tarce, & on met le tout dans les pots : mais si l'on emploie le sel de soude, il faut faire une fritte.

On prendra dans l'art de la verrerie la maniere de tirer le sel de soude. Cet auteur qui ne savoit rien du tout de l'art de la verrerie, a tiré ce qu'il peut y avoir de bon dans son livre d'un auteur italien, appellé Nery, & d'un auteur anglois appellé Merret.

Le sel de soude bien purifié donnera un très-beau crystal.

Il faut observer que les compositions qu'on donnera du crystal, quoiqu'elles réussissent dans les verreries où elles sont en usage, il ne s'ensuit pas qu'elles aient le même succès ailleurs. Car les sels peuvent être plus ou moins forts, les sables plus ou moins fondans. Cela suffit pour faire manquer : mais pour s'assurer de son fait, il faut recourir aux épreuves. Prenez cinq ou six livres de composition, mettez-les dans un petit creuset : procédez du reste comme dans les essais pour la verrerie en bouteille ; quand la matiere sera raffinée, si le crystal se trouve trop tendre ou trop mol, il faut ajouter un peu de sable. S'il est dur & qu'il ne fonde pas, il en faut conclure que les sels sont foibles, ou que le sable est très-dur ; & pour y remédier, il faut ou ajouter du sel, ou ôter du sable.

On peut compter sur les compositions suivantes.

Prenez cent livres de salpêtre, cent cinquante livres de sable blanc, pur & net, & où il n'y ait point de matieres terrestres, & dont on s'assurera, comme dans la verrerie à bouteilles. Ajoutez deux livres d'arsenic blanc ; faites-en bien le mélange, rafinez, & quand la matiere sera affinée, cueillez, soufflez une piece qui ait l'épaisseur d'un écu de France. Si le papier paroît à-travers ce morceau de crystal froid, comme à la vue, sans perdre de sa blancheur, le crystal est comme il doit être. Mais si vous appercevez quelque teinture verdâtre, prenez de l'arsenic blanc, pilez-le ; prenez-en plus ou moins, selon que le crystal sera plus ou moins verdâtre : mettez-le dans un cornet de papier, & le glissez ensuite dans le trou d'une barre de fer, qu'on appelle le quarré ; & plongez ensuite cette barre au fond du pot ; levant cette barre d'une main, & éloignant le visage le plus que vous pourrez, afin d'éviter la vapeur, remettez cette barre, & lui faites faire le tour du pot : continuez cette manoeuvre jusqu'à-ce que la barre soit rouge : retirez alors la barre ; & au bout de deux ou trois heures, vous appercevrez du changement en mieux dans votre crystal. Mais pour lui donner encore plus de pureté, tirez-le hors du pot avec la poche ou la cueillere ; faites-le couler dans de l'eau fraîche, dont vous remplirez des baquets. Quand il sera froid, relevez-le de-là ; remettez-le dans les pots ; refondez-le, & vous aurez un crystal plus pur.

Autre composition avec la mine de plomb. Prenez deux cent cinquante livres de minium ou de mine de plomb, cent livres de sable ; ajoutez cela à la composition précédente, avec trois livres d'arsenic blanc ; mêlez-bien ; faites fondre.

Faites les observations précédemment indiquées ; si vous avez des groisils ou morceaux de crystal cassé ; ajoutez-les à la composition avant que de la mêler dans les pots.

Autre composition avec le sel de soude. Le sel de soude étant fait, comme on verra à l'article des glaces ; prenez de ce sel reduit en poudre cent cinquante liv. deux cent vingt-sept livres de sable blanc, ou caillou, ou tarce ; ajoutez cinq livres de manganese en poudre très-fine ; mêlez ; faite passer par un crible de peau : mêlez encore ; mettez le tout dans la carquaise, & faites-en une fritte, comme nous avons dit aux glaces.

La manganese de Piémont est la meilleure. Faites-la bien rougir au feu, puis jettez-la dans de l'eau fraîche ; retirez-la ; faites-la sécher ; quand elle sera seche, pilez, passez à un tamis de soie, & elle sera préparée & prête à l'usage.

Quand la fritte sera faite, plus long-tems vous la garderez, meilleure elle sera.

Quand vous voudrez vous en servir, vous remarquerez si le crystal qu'elle donnera sera fin, ou s'il aura quelque teinture verdâtre ; & vous ajouterez de la manganese en poudre plus ou moins, selon que le crystal sera plus ou moins verd ou obscur ; pour cela vous vous servirez du quarré. Vous laisserez raffiner ; & vous acheverez de le rendre net, en le coulant dans l'eau.

Quand je dis qu'on se sert du quarré, c'est de la maniere suivante. Vous répandrez la manganese sur la surface du crystal avec une cueillere, & vous mêlerez ensuite avec le quarré. Il y en a qui font faire le bout rond à cet instrument ; mais il n'en est pas plus commode pour cela.

Autre composition qui ne donnera pas un beau crystal, mais un beau verre blanc. Prenez de la soude d'Alicante pilée, & passée au tamis de soie, parce que cette soude étant mêlée de pierre, il est bon que la poussiere en soit très-menue, afin que cette pierre se fonde plus facilement. Prenez deux cent livres de cette soude ainsi passée, cinquante livres de sel de nitre, deux cent soixante-quinze livres de sable, dix onces de manganese en poudre ; mêlez ; faites une fritte. Quand vous emploierez cette fritte, remarquez quand le crystal sera en fusion, s'il n'est pas un peu bleuâtre ou verd ; dans le cas où cela seroit, ajoutez de la manganese selon le besoin ; & dans vos essais, si vous trouvez le crystal un peu rouge, c'est bon signe ; cette rougeur passera : si cette rougeur est trop foncée, jettez dans les pots quelques livres de groisils de crystal ; cette addition mangera la rougeur. Si le pot étoit trop plein, il en faudroit ôter avec la poche pour faire place au groisil.

Observation. Quand le crystal sera en fusion, on appercevra à sa surface un sel, qu'on appelle sel de verre ; il ne faut pas ôter ce sel trop tôt, mais seulement quand la matiere est bien fondue, & qu'en le tirant avec un ferret chaud on s'apperçoit que le verre commence à s'affiner. On enleve ce sel avec la poche, mais non pas entierement. Il faut bien prendre garde qu'il n'y ait de l'eau dans la cueillere, cela feroit sauter le sel avec grand bruit, & l'on risqueroit d'avoir le visage brûlé, & même les yeux crevés.

Beau verre commun. Prenez cent livres de soude en poudre, cent cinquante livres de cendre de fougere, cent quatre-vingt-dix de sable, six onces de manganese ; mêlez, calcinez, mettez le tout chaud dans le pot ; rafinez, mêlez à cela les collets de verre blanc, c'est-à-dire, le restant de verre qui tenoit au bout des cannes, & qu'on conservoit dans la cassette ; on ne les a point employés ni avec le crystal, ni avec le beau verre blanc, parce que les pailles de fer qui s'y attachent auroient nourri le crystal.

Les verres à boire se font avec la cendre de fougere seulement & le sable, mêlés ensemble & calcinés.

Remarquez que pour tout beau verre & crystal, il faut laver le sable quand il n'est pas pur.

Crystal avec la potasse. Prenez cent soixante livres de sable, cent quatre de potasse la plus pure, dix livres de craie purifiée, cinq onces de manganese ; mêlez ; faites fondre ; rafinez : si le crystal est obscur, faites-le couler dans l'eau ; refondez, & vous aurez un crystal qui ne le cédera point à celui de Bohème.

Mais observez de n'employer de la craie que bien blanche, seche & pilée grossierement ; mettez-la ensuite dans une cuve avec de l'eau propre ; remuez jusqu'à-ce qu'elle soit dissoute ; laissez-la reposer sept à huit minutes ; versez l'eau par inclinaison ; cette eau emportera la plus pure ; laissez reposer cette eau ; la craie se précipitera ; vous la ferez sécher dans des vaisseaux non-vernis.

Avant que de commencer à travailler, on dressera les cannes, on écrémera comme dans la verrerie. On ôtera les pierres qui se trouveront dans l'écrémure avec les pincettes.

On commence par prendre ou cueillir du crystal avec la canne, qui est un peu chaude, & dont le serviteur met le bout dans le crystal. Il tourne la canne, le verre s'y attache ; s'il n'en a pas pris d'un premier coulage autant qu'il en faut, il réitere la même opération : puis le marbre étant bien propre, il roule dessus la matiere cueillie, il souffle ; si la piece est figurée, cannelée, à pattes, il la souffle dans un moule de cuivre ; puis il marque le col avec un fer : si c'est une caraffe, il la donne à l'ouvrier qui la réchauffe dans l'ouvroir ; puis la mettant dans un moule de bois, il la souffle de la grosseur qu'elle doit avoir ; il en enfonce ensuite le cul avec les pincettes ; il glace, c'est-à-dire qu'il sépare la caraffe de la canne : il attache au cul le pontil : il rechauffe le col à l'ouvroir ; puis il s'assied sur le banc, & avec le fer il façonne le col, en le tournant & appliquant le fer en-dedans & en-dehors ; roulant toujours le pontil. L'ouvrage étant achevé, on le met dans l'arche ou sous la troisieme voûte pour y recuire. Le tireur le reprend ensuite avec une fourche, & le met dans la ferrasse, & quand la ferrasse est pleine, le tireur la fait descendre, & il en substitue une autre à sa place. Cette autre est enchaînée à la premiere : il continue la même manoeuvre jusqu'à-ce que tout soit plein : il ôte ensuite les marchandises, porte la ferrasse, la remet dans l'arche ; ainsi cette ferrasse circule continuellement.


VERRESMUSIQUE DES, (Arts) on a imaginé depuis quelques années de produire à l'aide des verres une nouvelle espece d'harmonie, très-flatteuse pour l'oreille.

On prétend que c'est un anglois nommé Puckeridge, qui en est l'inventeur ; cependant cette méthode est connue depuis long-tems en Allemagne. L'instrument dont on se sert pour cet effet est une boite quarrée oblongue, dans laquelle sont rangés & fixés plusieurs verres ronds de différens diametres, dans lesquels on met de l'eau en différentes quantités. En frottant avec le doigt mouillé sur les bords de ces verres, qui sont un peu rentrans, on en tire des sons très-doux, très-mélodieux & très-soutenus ; & l'on est parvenu à jouer de cette maniere des airs fort agréables.

Les Persans ont depuis fort long-tems une façon à-peu-près semblable de produire des sons ; c'est en frappant avec de petits bâtons sur sept coupes de porcelaine remplies d'une certaine quantité d'eau, ce qui produit des accords.


VERRIERS. m. (Communauté) il y a à Paris une communauté de marchands verriers, maîtres couvreurs de flacons & bouteillers en osier, fayance, & autres especes de marchandises de verre. Ce sont ces marchands qu'on appelle communément fayanciers, parce qu'ils font un grand commerce de cette sorte de vaisselle de terre, dont l'invention vient de Faenza, petite ville d'Italie.

Les plus anciens statuts qu'on ait de cette communauté avoient été accordés par lettres-patentes de Henri IV. du 20 Mars 1600, vérifiées en parlement le 12 Mai suivant. Les nouveaux statuts sont de 1658. La Mare, traité de la police. (D.J.)

VERRIER, terme de Vannier, c'est un ouvrage d'osier fait en quarré ou en ovale, à un, à deux ou trois étages, & dont on se sert pour mettre les verres.


VERRIERESS. f. (Jardinage) ce sont de petites serres construites de planches, & couvertes par-dessus, & par devant de chassis de verre qui se ferment régulierement ; on les étend sur une planche de terre pour y élever les ananas & les plantes délicates. Les Anglois s'en servent communément, & on en voit aussi au jardin du roi à Paris. Ces verrieres garantissent les jeunes plantes des froids & des pluies froides du printems.


VERROTERIES. f. (Comm.) menue marchandise de verre ou de crystal, qu'on trafique avec les sauvages de l'Amérique, & les noirs de la côte d'Afrique.


VERROou VERROUIL, s. m. (Serrur.) piece de menus ouvrages de serrurerie, qu'on fait mouvoir dans des crampons sur une platine de tôle ciselée ou gravée pour fermer une porte. Il y a des verroux à grande queue, avec bouton ou poignée tournante pour les grandes portes & fenêtrages ; & des petits, qu'on nomme targettes, attachés avec des crampons sur des écussons pour les guichets des croisées. Ces targettes sont les unes à bouton, & s'attachent en saillie ; & les autres à queue recourbée en-dedans, avec bouton, & entaillées dans les battans des volets, afin que ces volets puissent se doubler facilement. Il y a encore des verroux à panache.

Des verroux à pignons qui se ferment à clé par le dehors, ils sont montés sur une platine comme le verrou d'une targette, avec des crampons ; la partie supérieure est dentée pour recevoir le pignon ; audessus est un foncet, dont les piés sont fixés sur la platine. Au milieu du foncet, on a percé un trou ; un autre trou pareil a été percé sur la platine. C'est là que passe un arbre qui porte le pignon qui doit faire mouvoir le verrou. La partie de l'arbre doit être vers la platine de longueur suffisante pour affleurir la porte en-dehors, & avoir une forme ou quarrée ou triangulaire, comme on la donne aux broches des serrures des coffres forts, lorsqu'elles entrent dans la forure faite à la tige d'une clé sans panneton. Des verroux plats qui ne sont pas montés sur platine, mais qu'on pose sur les portes avec deux crampons à pointes ou à pattes. Des verroux montés sur platine ou à ressort, qui en effet montés sur platine, sont fixés par deux crampons, entre lesquels on place le ressort, ou une queue.

Selon M. Ménage, le mot verrou vient du latin veruculus, qui a la même signification. (D.J.)


VERRUE(Chirurg.) par le vulgaire poireau, en latin verruca.

Les verrues sont de petites excroissances ou tubercules brunâtres qui viennent sur plusieurs parties du corps, mais plus ordinairement sur le visage & sur les mains.

Elles varient pour la forme & pour la grosseur. Les unes sont grosses & plates, d'autres menues, d'autres ressemblant à une poire pendante par la queue. On ne les extirpe pas pour la douleur ou le danger, mais pour la difformité qu'elles causent, sur-tout lorsqu'elles sont placées sur des endroits visibles, comme le visage, le cou ou les mains de femmes belles d'ailleurs. Quoiqu'on cite une infinité de remedes, les uns sympathiques, d'autres purement superstitieux & frivoles, dont on vante l'efficacité ; il n'y a rien de plus sûr ni de plus promt que la main du chirurgien. Voici les principales méthodes qu'il emploie.

Celle qui mérite le premier rang est la ligature : on la pratique pour les verrues qui sont menues du côté de la racine, & en quelque maniere pendantes ; on passe autour de la verrue un crin de cheval, ou un fil de soie ou de chanvre qu'on serre bien fort. La verrue privée par le retrécissement de ses vaisseaux, des sucs qui la nourrissoient, se desseche & tombe.

Un autre moyen est d'employer un instrument de chirurgie, embrassant la verrue avec un crochet ou une pince, & de la séparer ensuite bien adroitement avec des ciseaux ; on applique après cela pendant quelques jours la pierre infernale, ou quelques autres remedes corrosifs ; afin que s'il restoit une portion de la racine qui pût pousser un nouveau tubercule, elle se trouve détruite.

Si les verrues sont d'une grosseur extraordinaire, il faut avoir recours aux corrosifs ; & afin que ces remedes puissent bientôt consumer la partie saillante, on commence par couper la sommité dure du tubercule avec un rasoir, ou une paire de bons ciseaux ; cela fait, on applique de tems en tems sur la plaie de l'huile de tartre par défaillance, ou quelque esprit acide, dont le plus doux est l'esprit de sel. Si l'on ne réussit pas, on substituera des remedes plus forts, par exemple, de l'esprit ou de l'huile de vitriol, de l'eau-forte ou du beurre d'antimoine.

Pour les verrues tendres & molettes, on vient quelquefois à bout de les emporter simplement, en les frottant souvent avec le suc jaune de la grande chélidoine ou le lait d'ésule.

Mais il faut apporter bien de la précaution dans l'usage des corrosifs autour des paupieres ou des yeux, de crainte qu'il n'en entre dans l'oeil, & que la vue n'en soit éteinte. Il faut aussi avoir attention que les parties adjacentes au tubercule ne soient point endommagées par le corrosif. Pour cet effet, il convient d'environner la verrue d'un anneau ciré ou d'une emplâtre perforée dont la verrue sorte, au moyen de quoi on la pourra cautériser sans risque pour les parties circonvoisines. On peut appliquer le corrosif plusieurs fois par jour. On détruira par la même méthode les autres tubercules, & toutes les difformités cutanées de même espece.

La quatrieme façon d'extirper les verrues est d'y appliquer un fer rouge de la largeur du tubercule, de maniere qu'il pénetre jusqu'au fond de la racine. Il est vrai qu'il n'y a point de méthode plus violente ; mais il faut avouer aussi que, si la douleur est aiguë, c'est l'affaire d'un moment. On applique sur l'endroit cautérisé du basilicon ou de l'onguent digestif, & par-dessus une emplâtre refrigérative, comme, par exemple, l'emplâtre de frai de grenouille. On ne sauroit exprimer combien cette méthode est efficace en ce que ces excroissances détruites ne reviennent jamais.

Il y a une cinquieme méthode qui est seulement particuliere aux empiriques, c'est de frotter d'abord & d'échauffer le tubercule avec quelque onguent émollient, puis de l'arracher & de l'emporter de vive force avec le pouce & l'index. Mais outre que cette méthode est fort douloureuse, elle est fort souvent inutile, la verrue repoussant ordinairement de sa racine qui n'a pas été exactement arrachée.

Enfin nous ne devons pas manquer d'observer qu'il se voit quelquefois, sur-tout au visage, aux levres, & près des yeux une espece de verrues livides ou bleuâtres, qui semblent tendre à un carcinome ou à un cancer ; il faut laisser ces sortes de verrues telles qu'elles sont, plutôt que d'en tenter l'extirpation ; car dès qu'elles ont été irritées par la main du chirurgien, elles dégénerent en carcinome, & font enfin périr le patient d'une maniere déplorable. Heister. (D.J.)

VERRUE DES PAUPIERES, (Méd. Chirurg.) maladie des paupieres. Voici ce qu'en dit Maître-Jan, le meilleur auteur à consulter.

On sait que les verrues sont des prolongations des fibres nerveuses, & des vaisseaux qui rampent sous l'épiderme ; ces prolongations forment de petites excroissances ou de petites tumeurs qui s'élevent audessus de la peau, & qui attaquent les paupieres, comme beaucoup d'autres parties du corps. Elles naissent ou sur leur superficie extérieure ou sur l'intérieure, ou sur leur bord ; de-là les différentes especes de verrues des paupieres, sur lesquelles nous allons entrer dans quelque détail.

La verrue des paupieres qui a la base ou racine grêle & longue, & une tête plus large & de médiocre grandeur, appellée par les Grecs acrochordon, vient plus souvent sur la superficie extérieure ou au bord des paupieres. C'est la premiere espece de verrue pendante, nommée par les Latins verruca pensilis.

Celle qui est appellée thymale (thymus) à cause qu'elle ressemble en figure & en couleur à la tête du vrai thym blanc de Candie ou verrue porale, pour sa ressemblance à la tête d'un porreau, seconde espece de verrue pendante, est une petite éminence charnue pareillement étroite, mais plus courte par le bas & large par le haut, âpre, inégale ou crevassée par-dessus, de couleur blanchâtre ou rougeâtre, & sans douleur quand elle est benigne ; quand elle est maligne, cette éminence est plus grande, plus dure, plus âpre, de couleur livide, sanieuse, douloureuse lorsqu'on la touche ou qu'on y applique des remedes. Elle se forme plutôt en la partie intérieure des paupieres, & quelquefois aussi en l'extérieure. Quand cette verrue est petite, elle retient le nom de thymale ; & quand elle est fort grande, on l'appelle un fic, ficus en latin, en grec, à cause de sa ressemblance à une figue.

Celle qui a la base large, nommée par les Latins verruca sessilis, qu'on peut appeller fourmiliere, du mot grec myrmecia, & du latin formica, parce que par le grand froid elle cause des douleurs qui imitent le picotement des fourmis, est une éminence de la peau peu élevée, ayant la base large & qui diminue vers le haut ; cette verrue est calleuse, quelquefois noire, & le plus souvent rougeâtre ou blanchâtre ; elle a plusieurs petites éminences semblables aux grains d'une mûre, d'où vient qu'on l'appelle aussi meurale ou murale. Elle vient assez ordinairement à la partie intérieure des paupieres. Voilà les trois especes de verrues qui arrivent le plus communément dans ces parties. Je n'ai rapporté leurs différens noms, qu'afin qu'on les puisse connoître dans les auteurs.

Les verrues extérieures sont plus seches, plus fermes, moins sujettes à saigner, quoique crevassées, & souvent elles sont presque de la couleur de la peau, particulierement quand elles ne sont pas chancreuses ; quand elles attaquent la superficie intérieure des paupieres, elles sont humides, molasses, sujettes à saigner au moindre attouchement ; quelquefois purulentes, à cause qu'elles s'échauffent & s'ulcerent aisément par l'humidité du lieu & le frottement fréquent des paupieres ; leur grosseur le plus souvent n'excede pas celle d'un pois, & leur couleur est ordinairement d'un rouge blanchâtre.

Les verrues pendantes ont des vaisseaux à leur base qui les abreuvent, & qui sont si considérables, eu égard à leur peu de volume, que lorsqu'on les extirpe, il en sort du sang assez abondamment. Quelquefois elles tombent, se dissipent & se guérissent d'elles-mêmes, particulierement celles qui viennent en la partie intérieure des paupieres, & qui renaissent assez souvent ; quelquefois même les unes & les autres s'enflamment, s'abscedent ou s'ulcerent ; & quelquefois aussi, après être tombées, abscédées ou ulcérées, leur racine restante se grossit insensiblement & se convertit en une tumeur skirrheuse.

La premiere espece, quand on l'extirpe, ne laisse aucune racine, & par conséquent ne revient point ; mais la seconde espece, à cause d'une petite racine ronde & quelquefois filamenteuse qui reste enfoncée dans la chair, est sujette à germer de nouveau, à-moins qu'on ne consomme cette petite racine.

Les verrues à base large rarement guérissent, si on ne les panse, & même souvent on ne les peut dissiper ; & quand leur base est fort large, on ne les peut couper sans qu'il y reste un ulcere, dont les suites seroient fâcheuses : c'est pourquoi on ne coupe que celles dont la base n'a pas plus d'étendue que leur corps.

Les verrues malignes & chancreuses ne guérissent point par les remedes, & il est très-rare qu'elles guérissent par l'opération quand leurs racines sont grosses & dures, & qu'elles rampent en plusieurs endroits de la paupiere, à moins qu'on n'emporte la piece qui les contient, encore cette opération est fort suspecte.

On dissipe ou emporte les verrues des paupieres par les remedes ou par l'opération. Les remedes ne conviennent qu'aux verrues de leur superficie extérieure, l'oeil ne pouvant souffrir de tels remedes, si on vouloit s'en servir pour les verrues intérieures ; & l'opération convient également aux extérieures & aux intérieures.

Les remedes dissipent & emportent les verrues en desséchant & absorbant l'humeur qui les nourrit, ce qui fait qu'elles s'atrophient ensuite & s'évanouissent. De ces remedes, les uns agissent si lentement, qu'à peine s'apperçoit-on de leurs effets ; les remedes lents sont le suc laiteux de pissenlit, le suc de chicorée verrucaire, de geranium robertianum, de pourpier, de millefeuille, &c. mais les autres remedes agissent plus puissamment, comme le suc de racines de grande chélidoine, la poudre de sabine, &c. Il faut préférer ces derniers, & pour s'en servir, on doit incorporer la poudre de sabine avec un peu de miel, pour en oindre les verrues trois ou quatre fois par jour, ou les oindre de même du suc de chélidoine jusqu'à-ce qu'elles disparoissent. Mais on les détruit plus promtement par les remedes caustiques, je veux dire en les touchant légerement avec l'eau-forte, l'esprit-de-vitriol, l'eau de sublimé, ou bien on peut employer la liqueur suivante.

Prenez du verdet, de l'alun & du sel commun, une dragme de chacun, du vitriol romain & du sublimé corrosif, de chacun une demi-dragme ; pilez ces choses, & les faites bouillir dans quatre onces d'eau de pluie ; filtrez la liqueur, & la conservez dans une phiole pour vous en servir comme dessus : prenez bien garde qu'il n'entre d'aucun de ces remedes dans l'oeil.

L'opération qui est le plus sûr moyen & le plus promt pour emporter les verrues considérables des paupieres, soit extérieures ou intérieures, se fait en deux manieres, ou en les liant ou en les coupant. La ligature convient aux deux especes de verrues pendantes, quand elles sont en-dehors des paupieres ou à leurs extrémités : on les lie d'un noeud de chirurgien le plus près de la peau qu'on peut, avec un fil de soie ou de lin ; ce noeud se fait en passant deux fois l'extrémité du fil par l'anneau qu'on forme d'abord, & par ce moyen on le serre quand on veut, de jour à autre, jusqu'à-ce que la verrue soit tombée. S'il reste quelque petite racine, on la consomme en la touchant avec quelques-unes des eaux caustiques susdites, pour empêcher qu'elle ne repullule ; ensuite on desseche l'ulcere restant ou avec l'onguent de tuthie, ou quelque collyre dessicatif.

La ligature ne se pratique point pour les intérieures, parce que le fil seroit un corps étranger qui incommoderoit trop l'oeil ; ainsi on les coupe. Pour le faire, on prend avec le pouce & le doigt indice de la main gauche le bord de la paupiere, on la renverse, & avec des ciseaux qu'on tient de l'autre main, on coupe les verrues tout près de la peau, soit qu'elles soient à base large ou à base étroite ; on laisse ensuite abaisser la paupiere, & le sang s'arrête presque toujours de lui-même ; s'il tardoit à s'arrêter, on feroit couler dans l'oeil quelques gouttes d'un collyre fait avec quinze grains de vitriol blanc, & un scrupule de bol de levant lavé, dissout dans deux onces d'eau de plantain, rendue fort mucilagineuse par l'infusion de la gomme arabique ou tragacanth. On desseche enfin l'ulcere avec un collyre dessicatif.

On coupe aussi les verrues extérieures des paupieres & celles qui pendent à leurs bords de la même maniere que les intérieures ; & pour le faire plus sûrement, on étend avec deux doigts la paupiere, & on les tranche avec la pointe des ciseaux ; si le sang ne s'arrête pas, on se sert d'une poudre faite avec une partie de vitriol romain calciné, deux parties de gomme arabique, & trois parties de bol de levant ; on en met un peu sur un plumaceau qu'on applique sur la plaie, & que l'on contient avec les doigts jusqu'à-ce que le sang soit arrêté. On applique ensuite dessus un petit emplâtre de diapalme, une compresse, & le bandage ordinaire qui finissent la cure. (D.J.)

VERRUE, (Conchyl.) terme à-peu-près synonyme à bosse ou tubercule ; il faut seulement remarquer que les verrues sont des tubérosités plus inégales, plus poreuses & plus petites. (D.J.)

VERRUE, (Jardinage) est une espece de boutons qui vient sur l'écorce des arbres ; c'est une excroissance de matieres, une abondance de la seve qui se porte plus sur une branche que sur une autre.


VERS(Poésie) un vers est un discours, ou quelque portion d'un discours, dont toutes les syllabes sont réglées, soit pour la quantité qui les rend breves ou longues, soit pour le nombre qui fait qu'il y en a plus ou moins ; quelquefois même elles le sont pour l'un & pour l'autre. Il y a des vers latins dont les syllabes sont réglées pour la quantité & pour le nombre : comme l'asclépiade, l'hendécasyllabe. Il y en a qui ne le sont que pour la quantité seulement, comme pour les héxametres. Les vers françois ne le sont que pour le nombre des syllabes.

On sait que les latins nommerent ainsi le vers, parce qu'il ramene toujours les mêmes nombres, les mêmes mesures, les mêmes piés ; ou si l'on veut, parce que, quand on l'a écrit, fût-on au-milieu de la page, on recommence la ligne. Ils appellent versus, tout ce qui est mis en ligne ; ce qui par-là faisoit ordre.

Une mesure est un espace qui contient un ou plusieurs tems. L'étendue du tems est d'une fixation arbitraire. Si un tems est l'espace dans lequel on prononce une syllabe longue, un demi-tems sera pour la syllabe breve. De ces tems & de ces demi-tems sont composées les mesures : de ces mesures sont composés les vers, & enfin de ceux-ci sont composés les poëmes. Voyez donc POEME, & ses différentes especes ; voyez POESIE, VERS (Poésie du) POETE, VERSIFICATION, &c. car il ne s'agit ici que de la définition des vers en général ; les détails sont réservés à chaque article particulier.

J'ajouterai seulement qu'avant Hérodote, l'histoire ne s'écrivoit qu'en vers chez les Grecs. Cet usage étoit très-raisonnable, car le but de l'histoire est de conserver à la postérité le petit nombre de grands hommes qui lui doivent servir d'exemple. On ne s'étoit point encore avisé de donner l'histoire d'une ville en plusieurs volumes in-folio ; on n'écrivoit que ce qui en étoit digne, que ce que les peuples devoient retenir par coeur, & pour aider la mémoire on se servoit de l'harmonie des vers. C'est par cette raison que les premiers philosophes, les législateurs, les fondateurs des religions, & les historiens étoient poëtes. (D.J.)

VERS FRANÇOIS, (Poésie Françoise) assemblage d'un certain nombre de syllabes qui finissent par des rimes, c'est-à-dire, par un même son à la fin des mots.

C'est seulement par le nombre des syllabes, & non par la qualité des voyelles longues ou breves, qu'on a déterminé les différentes especes de vers françois. Le nombre des syllabes est donc ce qui fait toute la structure de nos vers ; & parce que ce nombre de syllabes n'est pas toujours égal en chaque genre de vers ; cela a donné occasion de nommer nos vers les uns masculins & les autres féminins.

Le vers masculin a une syllabe moins que le féminin, & se termine toujours ou par un e clair, comme beauté, clarté, ou par quelque syllabe que ce soit qui ne finisse point par un e muet.

On nomme vers féminin celui dont la derniere voyelle du dernier mot est un e muet ou obscur, ainsi que l'e de ces mots, ouvrage, prince ; soit qu'après cet e il y ait une s, comme dans tous les pluriels des noms ouvrages, princes, &c. ou nt, comme en de certains tems des pluriers des verbes aiment, désirent, &c.

L'e obscur ou féminin se perd au singulier quand il est suivi d'un mot qui commence par une voyelle, & alors il est compté pour rien, comme on le peut remarquer deux fois dans le vers qui suit.

Le sexe aime à jouir d'un peu de liberté,

On le retient fort mal avec l'austérité.

Moliere.

Mais il arrive autrement lorsqu'il est suivi d'une consonne, ou qu'il y a une s ou nt à la fin, alors il ne se mange & ne se perd jamais, en quelque rencontre que ce soit.

Son teint est composé de roses & de lis...

Ils percent à grands coups leurs cruels ennemis.

Racan.

Il faut encore remarquer que le nombre des syllabes se perd aussi par rapport à la prononciation, & non à l'orthographe ; de cette maniere le vers suivant n'a que douze syllabes pour l'oreille, quoiqu'il en offre aux yeux dix-neuf.

Cache une ame agitée, aime, ose, espere & crains.

Quoiqu'on prétende communément que notre poésie n'adopte que cinq especes différentes de vers, ceux de six, de sept, de huit, & de dix syllabes appellés vers communs, & ceux de douze qu'on nomme alexandrins ; cette division n'est pas néanmoins trop juste, car on peut faire des vers depuis trois syllabes jusqu'à douze ; il est vrai que les vers qui ont moins de cinq syllabes, loin de plaire, ennuient par leur monotonie ; par exemple, ceux-ci de M. de Chaulieu ne sont pas supportables.

Grand Nevers,

Si les vers

Découloient,

Jaillissaient,

De mon fonds,

Comme ils font

De ton chef ;

De rechef,

J'aurois jà

De pié çà

Répondu, &c.

Les vers de cinq syllabes ne sont pas dans ce cas, & peuvent avoir lieu dans les contes, les fables, & autres petites pieces où il s'agit de peindre des choses agréables avec rapidité. On peut citer pour exemple les deux strophes suivantes tirées d'une épître moderne assez connue.

Telle est des saisons

La marche éternelle ;

Des fleurs, des moissons,

Des fruits, des glaçons,

Le tribut fidele,

Qui se renouvelle

Avec nos desirs,

En changeant nos plaines,

Fait tantôt nos peines,

Tantôt nos plaisirs.

Cédant nos campagnes

Aux tyrans des airs,

Flore & ses compagnes

Ont fait ces déserts ;

Si quelqu'une y reste,

Son sein outragé,

Gémit ombragé

D'un voile funeste ;

Et la nymphe en pleurs

Doit être modeste

Jusqu'au tems des fleurs.

Les vers de six syllabes servoient autrefois à des odes, mais aujourd'hui on les emploie volontiers dans les petites pieces de poésie & dans les chansons.

Cher ami, ta fureur

Contre ton procureur

Injustement s'allume ;

Cesse d'en mal parler ;

Tout ce qui porte plume,

Fut créé pour voler.

Les vers de sept syllabes ont de l'harmonie, ils sont propres à exprimer les choses très-vivement ; c'est pourquoi ils servent à composer de fort belles odes, des sonnets, & plus ordinairement des épîtres, des contes & des épigrammes.

Matelot, quand je te dis

Que tu ne mets en lumiere

Que des livres mal écrits,

Qu'on envoye à la beurriere,

Tu t'emportes contre moi ;

Et même avec insolence ?

Ah, mon pauvre ami, je voi

Que la vérité t'offense !

Benserade a fait une fable en quatre vers de cette mesure.

Le serpent rongeoit la lime ;

Elle disoit cependant :

Quelle fureur vous anime,

Vous qui passez pour prudent ?

Les vers de huit syllabes, aussi-bien que ceux de douze, sont les plus anciens vers françois, & ils sont encore fort en usage. On les emploie ordinairement dans les odes, dans les épîtres, les épigrammes, mais rarement dans les ballades & les sonnets.

Ami, je vois beaucoup de bien

Dans le parti qu'on me propose ;

Mais toutefois ne pressons rien.

Prendre femme est étrange chose :

Il y faut penser mûrement.

Sages gens en qui je me fie,

M'ont dit que c'est fait prudemment

Que d'y songer toute sa vie.

Maucroix.

On se sert d'ordinaire des vers communs, ou de dix syllabes dans les épîtres, les ballades, les rondeaux, les contes, & rarement dans les poëmes, les odes, les élégies, les sonnets & les épigrammes. Le repos de ces vers est à la quatrieme syllabe quand elle est masculine ; sinon il se fait à la cinquieme, qui doit être toujours un e muet au singulier, pour se perdre avec une voyelle suivante ; mais il n'importe que le repos de ces vers, ni des vers alexandrins finisse le sens ; il faut seulement que si le sens va au-delà, il continue sans interruption jusqu'à la fin du vers.

Tel d'un Séneque... affecte la grimace,

Qui feroit bien... le Scarron à ma place.

Scarron.

Les vers que nous appellons alexandrins sont nos plus grands vers ; ils ont douze syllabes étant masculins, & treize étant féminins, avec un repos au milieu, c'est-à-dire, après les six premieres syllabes. Ce repos doit être nécessairement la fin d'un mot, ou un monosyllabe sur lequel l'oreille puisse agréablement s'arrêter. Il faut de plus qu'il se fasse sur la sixieme syllabe quand elle est masculine, ou sur la septieme quand elle est féminine ; mais alors cette septieme peut être d'un e muet au singulier, pour se perdre avec une voyelle suivante. Ex.

Au diable soit le sexe.... il damne tout le monde.

Mol.

Un poëte à la cour.... fut jadis à la mode.

Mais des fous aujourd'hui.... c'est le plus incommode.

Despreaux.

On compose les fables de toutes sortes de vers, & la Fontaine l'a bien prouvé.

Pour ce qui regarde les chansons, comme c'est l'usage de mettre une rime à toutes les cadences sensibles d'un air, on est obligé d'y employer des tronçons de vers qui ne sont point sujets à l'exactitude des regles ; néanmoins on observe aujourd'hui de n'y point mettre de vers de neuf ni d'onze syllabes, s'il faut nommer cela des vers. On aime mieux employer de petits bouts rimés lorsqu'ils ont quelque grace.

Finissons par une remarque générale de l'abbé du Bos sur les vers françois. Je conviens, dit-il, qu'ils sont susceptibles de beaucoup de cadence & d'harmonie. On n'en peut guere trouver davantage dans les vers de nos poëtes modernes, que Malherbe en a mis dans les siens ; mais les vers latins sont en ce genre infiniment supérieurs aux vers françois. Une preuve sans contestation de leur supériorité, c'est qu'ils touchent plus, c'est qu'ils affectent plus que les vers françois, ceux des François qui savent la langue latine. Cependant l'impression que les expressions d'une langue étrangere font sur nous, est bien plus foible que l'impression que font sur nous les expressions de notre langue naturelle. Dès que les vers latins font plus d'impression sur nous que les vers françois, il s'ensuit que les vers latins sont plus parfaits & plus capables de plaire que les vers françois. Les vers latins n'ont pas naturellement le même pouvoir sur une oreille françoise qu'ils avoient sur une oreille latine ; & ils ont plus de pouvoir que les vers françois n'en ont sur une oreille françoise. (D.J.)

VERS BLANCS, noms que les Anglois donnent aux vers non-rimés, mais pourtant composés d'un nombre déterminé de syllabes que quelques-uns de leurs poëtes ont mis à la mode ; tels sont ceux-ci de Milton dans le Paradis perdu, liv. I.

.... Round he throws his baleful yes

That witness'd huge affliction and dismay,

Mix'd with obdurate pride, and stedfast hate,

At once, as far as angles ken, he views

The dismal situation waste and wild, &c.

où l'on voit que les finales n'ont aucun rapport de consonnance entr'elles. Les Italiens ont aussi des vers blancs, & M. de la Mothe avoit tenté de les introduire dans la poésie françoise, & d'en bannir la rime, qui s'est maintenue en possession de nos vers.

VERS ENJAMBE. (Poésie françoise) vers dont le sens n'est point achevé, & ne finit qu'au milieu ou au commencement de l'autre ; c'est en général un défaut dans la poésie françoise, parce qu'on est obligé de s'arrêter sensiblement à la fin du vers pour faire sentir la rime, & qu'il faut que la pause du sens & celle de la rime concourent ensemble. Pour cet effet, notre poésie veut qu'on termine le sens sur un mot qui serve de rime, afin de satisfaire l'esprit & l'oreille ; on trouve cependant quelquefois des exemples de vers enjambés dans les pieces dramatiques de nos plus grands poétes ; mais l'enjambement se permet dans les fables, & y peut être agréablement placé.

Quelqu'un fit mettre au cou de son chien qui mordoit

Un bâton en travers : - lui se persuadoit

Qu'on l'en estimoit plus, - quand un chien vieux & grave,

Lui dit : on mord en traître aussi souvent qu'en brave.

La Fontaine en fournit aussi cent exemples qui plaisent, & entr'autres celui-ci :

Un astrologue un jour se laissa cheoir

Au fond d'un puits. On lui dit : pauvre bête.

Tandis qu'à peine à tes piés tu peux voir,

Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?

Quoique ce soit une faute en général de terminer au milieu du vers le sens qui a commencé dans le vers précédent, il y a des exceptions à cette regle qui ne partent que du génie ; c'est ainsi que Despreaux fait dire à celui qui l'invite à diner, Sat. 3.

N'y manquez pas du moins, j'ai quatorze bouteilles

D'un vin vieux.... Boucingo n'en a point de pareilles.

La poésie dramatique permet que la passion suspende l'hémistiche, comme quand Cléopatre dit dans Rodogune.

Où seule & sans appui contre mes attentats,

Je verrois.... mais, seigneur, vous ne m'écoutez pas.

L'exception a encore lieu dans le dialogue dramatique, lorsque celui qui parloit est coupé par quelqu'un, comme dans la même tragédie de Rodogune, elle dit à Antiochus, act. IV. sc. 1.

Est-ce un frere ! Est-ce vous dont la témérité

S'imagine....

Antiochus.

Appaisez ce courroux emporté.

Quand le dialogue est sur la scène, chaque récit doit finir avec un vers entier, à moins qu'il n'y ait occasion de couper celui qui parle, ou que le tronçon de vers, par où l'on finit, ne comprenne un sens entier & séparé par un point de tout ce qui a précédé. Ainsi dans la scène III. du quatrieme acte d'Andromaque, Oreste acheve un récit de cette sorte :

De Troie en ce pays réveillons les miseres,

Et qu'on parle de nous, ainsi que de nos peres.

Partons, je suis tout prêt.

Cet hémistiche ne tient à rien ; & Hermione finissant, sa réponse est interrompue avant la fin du vers.

Courez au temple, il faut immoler....

Oreste.

Qui ?

Hermione.

Pyrrhus.

Tout cela non-seulement est dans les regles, mais c'est un dialogue plein de beautés. (D.J.)

VERS GLICONIQUE, (Poésie lat.) vers latin de trois mesures précises, & qui est composé d'un spondée, & de deux dactiles.

Dlce st dspre n lc. (D.J.)

VERS PENTAMETRE, (Poésie) voyez PENTAMETRE, ELEGIAQUE, ELEGIE, &c.

C'est assez de remarquer en passant que les anciens ignoroient eux-mêmes qui a été le premier auteur du vers pentamêtre, ensorte qu'il n'est pas à présumer qu'on ait aujourd'hui plus de lumieres sur cette question qu'on en avoit du tems d'Horace ; tout ce qu'on en a dit depuis, n'a d'autre fondement que des passages d'auteurs mal-entendus : c'est ainsi qu'on cite Terentianus Maurus, comme en attribuant la gloire à Callinus, au-lieu que cet auteur rapporte seulement l'opinion de quelques grammairiens qui déféroient à ce poëte d'Ephèse, l'honneur de l'invention du vers pentamêtre. Il est certain que cette invention est fort ancienne, puisque Mimnerme lui donna la perfection, & que pour l'avoir rendu plus doux & plus harmonieux, il mérita le surnom de Ligystade. Le savant Shuckford fait remonter si haut l'invention du vers pentamêtre ou élégiaque, qu'il la découvre chez les Hébreux ; & sans persuader sa chimere à personne, il justifie à tout le monde qu'il a beaucoup de connoissance de la langue hébraïque. (D.J.)

VERS POLITIQUE, (Littér.) espece de vers grec du moyen âge.

Les savans ne sont point d'accord sur la nature des vers nommés politiques : la plûpart estiment que ce sont des vers qui approchent fort de la prose ; dans lesquels la quantité n'est point observée, & où l'on n'a égard qu'au nombre des syllabes & aux accens. Ils sont de quinze syllabes, dont la 9e commence un nouveau mot, & la 14e doit être accentuée ; tels sont les chiliades de Tzetzès, grammairien grec du 12e siecle. Vigneul Marville parlant de cette espece de vers, adopte le sentiment de Lambécius. " Il prétend qu'il faut entendre par versus politici les vers ou les chansons qui se chantoient par les rues. Politicos vocatos arbitror, quod vulgo Constantinopoli per compita canerentur enim , & sermonis contractionem Constantinopolim appellant. meretrices publicae à Graecis recentioribus politicae vocantur ". (D.J.)

VERS SAPHIQUE, (Poés. grecq. & latine) espece de vers inventé par Sapho, & qui prit faveur chez les Grecs & les Latins ; le vers saphique est de onze syllabes ou de cinq piés, dont le premier, le quatrieme & le cinquieme sont trochées ; le second est un spondée, & le troisieme un dactyle. On met ordinairement trois vers de cette nature dans chaque strophe qu'on termine par un vers adonique, composé d'un dactyle & d'un spondée. (D.J.)

VERS SERPENTINS. (Belles-lettres) Ce sont des vers qui commencent & finissent par le même mot ; comme

Ambo florentes aetatibus, arcades ambo.

VERS TAUTOGRAMMES. (Poésie) On nomme ainsi ces vers dont tous les mots commencent par la même lettre. Nous ne comprenons pas aujourd'hui que cette barbarie du goût ait pu plaire à personne. (D.J.)

VERS COUPES. (Poésie) On appelle ainsi de petits vers françois de quatre & six syllabes qui riment au milieu du vers, & le plus souvent contiennent le contraire de ce qui est exprimé dans le vers entier. En voici deux exemples tirés des bigarrures du sieur des Accords.

Premier exemple.

Je ne veux plus --- La messe fréquenter,

Pour mon repos --- C'est chose très-louable :

Des Huguenots --- Les prêches écouter

Suivre l'abus --- C'est chose misérable, &c.

Second exemple.

Je n'ai aimé onc --- Anne ton acquaintance ;

A te déplaire --- Je guiers incessamment

Je ne veux onc --- A toi prendre alliance,

Ennui te faire --- Est tout mon pensement.

J'ai vu quantité de strophes en vers coupés contre les Jésuites ; mais cet ouvrage, ennemi de la satyre, recuse de pareilles citations ; d'ailleurs ces sortes de jeux de mots sont d'un bien mauvais goût. (D.J.)

VERS LETTRISE, (Poésie) on nomme vers lettrisés, ceux dont tous les mots commencent par la même lettre. Les auteurs grecs & latins les ont appellés paranoemes, de , id est juxta similis, c'est-à-dire, auprès & semblable : en voici des exemples.

Maxima multa minax minitatur maxima muris.

At tuba terribili tonitru taratantara transit

O Tite, tute tati tibi tanta tyranne tulisti.

Un allemand nommé Petrus Porcius, autrement Petrus Placentius, a fait un petit poëme, dans lequel il décrit Pugnam porcorum, en 350 vers, qui commencent tous par un P. Un autre allemand, nommé Christianus Pierius, a publié un poëme sacré intitulé, Christus crucifixus, d'environ mille vers, dont tous les mots commencent par C.

Currite castalides, Christo comitante, camenae,

Concelebraturae cunctorum carmine certum

Confugium collapsorum, concurrite, cantus.

Je ne sache que les begues qui puissent tirer quelque profit de la lecture à haute voix de pareils ouvrages. (D.J.)

VERS DE PASSAGES, (Poésie) on nomme ainsi des vers foibles dans une strophe ; il y en a beaucoup dans les odes de Malherbe. On n'exigeoit pas encore de son tems ; que les poésies fussent toujours composées, pour ainsi dire, de beautés contiguës : quelques endroits brillans suffisoient pour faire admirer toute une piece. On excusoit la foiblesse des autres vers, qu'on regardoit seulement comme étant faits pour servir de liaison aux premiers ; & on les appelloit, ainsi que nous l'apprenons des mémoires de l'abbé de Marolles, des vers de passages.

Il est des strophes dans les oeuvres de Desportes & de Bertaut, comparables à tout ce qui peut avoir été fait de meilleur depuis Corneille ; mais ceux qui entreprennent la lecture entiere des ouvrages de ces deux poëtes sur la foi de quelques fragmens qu'ils ont entendu réciter, l'abandonnent bien-tôt. Les livres dont je parle, sont semblables à ces chaînes de montagnes, où il faut traverser bien des pays sauvages pour trouver une gorge riante. (D.J.)

VERS RHOPALIQUES, (Poésie) rhopalique vient de ; une massue ; on donne ce nom à des vers qui commencent par un mot monosyllabe, & continue graduellement par des mots toujours plus grands les uns que les autres, jusqu'au dernier qui est le plus grand de tous, de même qu'une massue commence par une queue assez foible, & va en augmentant jusqu'à la tête qui est le plus gros bout. Ce n'est que par hasard qu'on trouve dans les Poëtes quelques exemples de vers rhopaliques ; on cite seulement ce vers d'Homere, & le suivant qui est latin.


VERS FALISQUE(Poésie latine) vers latin de quatre mesures précises, mais qui a toujours un dactyle à la troisieme mesure, & un spondée à la quatrieme.

Les deux premieres peuvent être remplies indifféremment par des dactyles ou par des spondées. Horace s'est même permis une fois de mettre un spondée à la troisieme place.


VERSAILLES(Géog. mod.) ville de l'île de France, à quatre lieues au couchant de Paris. Ce n'étoit autrefois qu'un prieuré, dépendant de S. Magloire ; c'est à présent une ville assez considérable, où l'on arrive de Paris, de Sceaux & de Saint-Cloud par trois longues avenues, & où la plûpart des seigneurs de la cour ont fait bâtir des hôtels. Il y a dans cette ville deux paroisses, dont les peres de la mission sont curés. Long. 19. 50. 38. lat. 48. 48. 16. Parlons du château.

En 1630, Louis XIII. acheta pour 20. mille écus la terre de Versailles, & y fit bâtir un petit château pour loger ses équipages de chasse. Ce n'étoit encore proprement qu'une maison de campagne, que Bassompierre appelle le chétif château de Versailles. Louis XIV. trouva la maison de campagne à son gré ; il fit de la terre une ville, & du petit château un célebre palais, un abîme de dépense, de magnificence, de grand & de mauvais goût, préférant une situation des plus ingrates, basse, & couverte de brouillards, à celle qu'offre S. Cloud sur la Seine ou Charenton au confluent des deux rivieres.

Mais il eut encore été plus désirable, dit un historien moderne, que ce monarque eut préfére son Louvre & sa capitale à son nouveau palais, que le duc de Créqui nommoit plaisamment un favori sans mérite. Si la postérité admire avec reconnoissance ce qu'on a fait de grand pour le public, la critique se joint à l'étonnement quand on voit ce que Louis XIV. a fait de superbe, & de défectueux pour son habitation. La description de cette habitation remplit cinquante-six colonnes in-folio dans la Martiniere, & un volume in-12. dans Piganiol de la Force.

On ne peut que regretter les 8 millions de rente qui formerent en trois reprises, un emprunt de 160 millions perdus à la construction de Versailles, & qui pouvoient être si sagement employés à plusieurs ouvrages utiles & nécessaires au royaume. On connoit ce qu'un de nos poëtes lyriques a dit de cette entreprise de Louis XIV. lorsqu'on y travailloit encore :

Pour la troisieme fois du superbe Versailles

Il faisoit aggrandir le parc délicieux :

Un peuple malheureux de ses vastes murailles

Creusoit le contour spacieux.

Un seul contre un vieux chêne appuyé sans mot dire,

Sembloit à ce travail ne prendre aucune part.

A quoi rêves-tu-là, dit le prince ? Hélas, sire,

Répond le champêtre vieillard :

Pardonnez, je songeois que de votre héritage

Vous avez beau vouloir élargir les confins :

Quand vous l'agrandiriez trente fois davantage,

Vous aurez toujours des voisins.

(D.J.)


VERSASCHA(Géog. mod.) vallée d'Italie, au bailliage de Locarno ; elle fait une communauté qui a son gouvernement à part. (D.J.)


VERSEadj. (Géometr.) le sinus verse d'un arc en trigonométrie, est un segment du diametre d'un cercle, compris entre l'extrémité inférieure d'un sinus droit, & l'extrémité inférieure de l'arc. Voyez SINUS & CONVERSE. Ainsi le segment D E, Pl. de Trig. fig. 1. est le sinus verse de l'arc A E. (E)

Le sinus verse d'un angle est donc l'excès du rayon ou sinus total sur le consinus. Voyez COSINUS.


VERSÉen terme de Blason, se dit des glands, pommes de pin, croissans.

Arlande en Dauphiné, d'azur au croissant versé d'or sur une étoile d'argent.


VERSEAU(Const.) aquarius. Le verseau est le onzieme signe du Zodiaque, en comptant depuis Aries ou le bélier. Il donne son nom à la onzieme partie de ce cercle. Voyez SIGNE & CONSTELLATION. Le soleil parcourt le verseau dans le mois de Janvier. On désigne cette constellation par ce caractere Voyez CARACTERE.

Les Poëtes ont feint que c'étoit Ganimede que Jupiter sous la forme d'un aigle, enleva & transporta, disent-ils, aux cieux, pour lui servir d'échanson, à la place d'Hebé & de Vulcain ; & c'est de-là que cette constellation s'appelle le verseau. D'autres prétendent que ce nom lui vient, de ce que le tems est ordinairement pluvieux, lorsqu'elle paroît sur l'horison.

Les étoiles qui forment cette constellation sont, selon le catalogue de Ptolémée, au nombre de 45 ; selon celui de Tycho, au nombre de 40, & selon le catalogue Britannique, au nombre de 99. Chambers.

VERSEAU, (Littérat.) nous avons un passage de Manilius sur le verseau, lib. IV. v. 259. trop curieux pour ne pas le rapporter ici.

Ille quoque inflexâ fontem qui projicit urnâ,

Cognatas tribuit juvenilis aquarius artes,

Cernere sub terris undas, inducere terris,

Ipsaque conversis aspergere fluctibus astra.

C'est-à-dire " le verseau, ce signe, qui panché sur son urne, en fait sortir des torrens impétueux, influe sur les avantages que nous procure la conduite des eaux : c'est à lui que nous devons l'art de connoître les sources cachées dans le sein de la terre, & c'est lui qui nous apprend à les élever à sa surface & à les élancer vers les cieux, où elles semblent se mêler avec les astres. "

Ce passage nous prouve les connoissances des anciens dans l'hydraulique, & que ce n'est point au siecle de Louis XIV. qu'on doit l'art des eaux jaillissantes, comme M. Perrault l'a imaginé. (D.J.)


VERSEIL(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France, dans le haut Languedoc, à quatre lieues au levant de Toulouse, avec titre d'archiprêtré. (D.J.)


VERSERv. act. (Gram.) c'est vuider un vaisseau d'un fluide qui y est contenu. Versez à boire. Versez par inclination, ou décantez. Les évangélistes n'accusent pas unanimément Hérode d'avoir versé le sang des innocens. Que l'esprit-saint verse sur vous sa grace sanctifiante. Verser se prend dans des sens très-différens ; on dit qu'un carosse a versé ; que les blés sont versés, lorsqu'ils ont été battus de l'orage ; qu'un homme est versé dans l'histoire, dans les lettres, lorsqu'il s'en est occupé long-tems & avec succès.


VERSETS. m. (Critique sacrée) petit article ou portion d'un chapitre de l'Ecriture-sainte. On sait que toute la bible est actuellement divisée par chapitres, & les chapitres par versets ; mais on demande avec curiosité, quand cette division en versets & en chapitres a commencé, tant dans les bibles hébraïques, que dans celles de nos langues modernes. Nous allons discuter cette question avec un peu d'étendue, à cause des choses instructives qu'elle renferme.

Les cinq livres de la loi ont été anciennement partagés en 54 sections, & chaque section fut divisée en versets, nommés par les Juifs pésumkim. Nos bibles hébraïques les marquent par deux points à la fin, qu'on appelle à cause de cela soph-pasuk, c'est-à-dire la fin du verset. Si ce n'est pas Esdras qui est l'auteur de cette division, comme on le croit communément, du-moins ce ne peut pas être long-tems après lui qu'elle s'est introduite : car il est constant qu'elle est fort ancienne. Il y a beaucoup d'apparence qu'elle a été inventée pour l'usage des Targumistes, ou des interprêtes chaldéens. En effet, quand l'hébreu cessa d'être la langue vulgaire des Juifs, & que le Chaldéen eut pris sa place, ce qui arriva au retour de la captivité de Babylone, on lisoit au peuple premierement l'original hébreu ; & ensuite un interprête traduisoit en chaldéen ce qui venoit de se lire en hébreu, afin que tout le monde l'entendît parfaitement, & cela se faisoit à chaque période.

Pour distinguer donc mieux ces périodes, & faire que le lecteur sût où s'arrêter à chaque pause, & l'interprête jusqu'où devoit aller sa traduction ; il falloit nécessairement quelques marques. La regle étoit que dans la lecture de la loi, le lecteur devoit lire un verset, & l'interprête le traduire en chaldaïque ; dans celle des prophêtes, le lecteur en devoit lire trois de suite, & l'interprete les traduire aussi de suite. Cela prouve manifestement la distinction de l'Ecriture en versets dans les synagogues, après la captivité de Babylone.

D'abord on ne la faisoit qu'à la loi, car jusqu'au tems des Macchabées, on n'y lisoit que la loi ; dans la suite on étendit cette distinction jusqu'aux prophêtes & aux hagiographes mêmes, sur-tout lorsqu'on commença à lire aussi les prophêtes en public. C'est-là vraisemblablement la maniere dont s'est introduite la distinction des versets dans l'Ecriture. Mais on ne mettoit pas alors les nombres à ces versets. Ils sont encore aujourd'hui distingués dans les bibles hébraïques communes par les deux points l'un sur l'autre, qu'on appelle soph-pasuk, comme on l'a dit plus haut.

Il est fort vraisemblable que la distinction des versets dans les livres consacrés à l'usage des synagogues, se faisoit par des lignes ; & ce qui confirme cette pensée, qu'autrefois chaque verset de la bible hébraïque faisoit une ligne à part ; c'est que parmi les autres nations de ce tems-là, on appelloit vers, les lignes des auteurs en prose, aussi bien que celles des poëtes. Ainsi par exemple l'histoire remarque, que les ouvrages de Zoroastre contenoient deux millions de vers, & ceux d'Aristote quatre cent quarante-cinq mille deux cent soixante & dix, quoique l'un & l'autre n'aient rien écrit qu'en prose. Nous voyons tout de même qu'on mesuroit les ouvrages de Cicéron, d'Origène, de Lactance, & d'autres encore, par le nombre de vers qu'ils contenoient ; c'est-à-dire de lignes. Pourquoi donc les versets de la bible, n'auroient-ils pas été de même espece, je veux dire des lignes assez grandes pour une période ? Il est vrai cependant que la vûe se perdoit dans ces longues lignes, que ce n'étoit qu'avec peine qu'on retrouvoit le commencement de la ligne suivante, & qu'on s'y méprenoit souvent en revenant à la même, ou en sautant à une trop éloignée ; quoi qu'il en soit, cette incommodité ne détruit point l'antiquité des versets, que nous avons démontrée.

La division de l'Ecriture en chapitres, telle que nous l'avons, est de bien plus fraîche date. Il n'y a que les pseaumes qui ont été de tout tems divisés comme aujourd'hui ; car S. Paul, dans son sermon à Antioche en Pisidie, cite le pseaume second, act. xiij. 33. Mais pour tout le reste de l'Ecriture, la division actuelle en chapitres est inconnue à toute l'antiquité. Les bibles grecques parmi les chrétiens avoient leurs & leurs . Mais c'étoient plutôt des sommaires que des divisions, & quelque chose de fort différent de nos chapitres. Plusieurs de ces especes de divisions ne contenoient qu'un fort petit nombre de versets ; & quelques-uns n'en avoient qu'un seul. Les savans qui l'attribuent à Etienne Langton, archevêque de Cantorbery, sous le regne du roi Jean & sous celui d'Henri III. son fils, se trompent ; le véritable auteur de cette invention, est Hugues de Sancto-Caro, qui de simple dominicain devint cardinal ; & qui ayant été le premier de cet ordre qui soit parvenu à cette dignité, porte communément le nom de cardinal Hugues. Voici l'occasion, l'histoire & le progrès de cette affaire.

Ce cardinal Hugues, qui vivoit environ l'an mil deux cent cinquante, & mourut en mil deux cent soixante-deux, avoit beaucoup étudié l'Ecriture-sainte. Il avoit même fait un commentaire sur toute la bible. Cet ouvrage l'avoit comme obligé d'en faire une concordance dont l'invention lui est dûe, car celle qu'il fit sur la vulgate, est la premiere qui ait paru. Il comprit, qu'un indice complet des mots & des phrases de l'Ecriture, seroit d'une très-grande utilité pour aider à la faire mieux entendre ; & aussi-tôt ayant formé son plan, il employa quantité de moines de son ordre, à ramasser les mots, & à les ranger dans leur ordre alphabétique ; & avec le secours de tant de personnes, son ouvrage fut bientôt achevé. Il a été retouché & perfectionné depuis, par plusieurs mains, & sur-tout par Arlot Thuscus, & par Conrard Halberstade. Le premier étoit un franciscain, & l'autre un dominicain, qui vivoient tous deux vers la fin du même siecle.

Mais comme le principal but de la concordance étoit de faire trouver le mot aisément ou le passage de l'Ecriture dont on a besoin ; le cardinal vit bien qu'il étoit nécessaire, premierement de partager les livres en sections, & ensuite ces sections en plus petites parties par des subdivisions ; afin de faire des renvois dans la concordance, qui indiquassent précisément l'endroit même, sans qu'il fût besoin de parcourir une page entiere ; comme jusqu'alors chaque livre de l'Ecriture étoit tout de suite dans les bibles latines, sans aucune division, il auroit fallu parcourir quelquefois tout un livre, avant de trouver ce qu'on vouloit ; si l'indice n'eût cité que le livre. Mais avec ces divisions & les subdivisions, on avoit d'abord l'endroit qu'on cherchoit. Les sections qu'il fit, sont nos chapitres, qu'on a trouvés si commodes, qu'on les a toujours conservés depuis. Dès que sa concordance parut, on en vit si bien l'utilité, que tout le monde voulut en avoir ; & pour en faire usage, il fallut mettre ses divisions à la bible qu'on avoit, autrement ses renvois si commodes n'auroient servi de rien. Voilà l'origine de nos chapitres, dont l'usage est universellement reçu par-tout où il y a des bibles dans l'Occident.

Il faut remarquer que la subdivision en versets, telle que nous l'avons aujourd'hui, n'étoit pas encore connue, car la subdivision de Hugues étoit d'une autre espece. Il partageoit sa section ou son chapitre en huit parties égales, quand il étoit long ; & quand il étoit court, en moins de parties ; & chacune de ces parties étoit marquée par les premieres lettres de l'alphabet en capitales à la marge ; A, B, C, D, E, F, G, à distance égale, l'une de l'autre. En un mot, la division de nos versets est une division plus moderne qui n'est venue parmi nous que quelques siécles après ; l'origine en est dûe aux juifs. Voici comment.

Vers l'an 1430, il y avoit parmi les juifs de l'Occident, un fameux rabbin, que les uns nomment rabbi Mardochée Nathan ; d'autres même lui donnent l'un & l'autre de ces noms, comme s'il avoit d'abord porté le premier, & ensuite l'autre. Ce rabbin ayant beaucoup de commerce avec les chrétiens, & entrant souvent en dispute avec leurs savans sur la religion, s'apperçut du grand service qu'ils tiroient de la concordance latine du cardinal Hugues, & avec quelle facilité, elle leur faisoit trouver les passages dont ils avoient besoin. Il goûta si fort cette invention, qu'il se mit aussi-tôt à en faire une hébraïque, pour l'usage des juifs. Il commença cet ouvrage l'an 1438, & il fut achevé l'an 1445, de sorte qu'il y mit justement sept ans. Cet ouvrage ayant paru à-peu-près lorsque l'art d'imprimer fut trouvé, il s'en est fait depuis plusieurs impressions.

L'édition qu'en a donné Buxtorf le fils à Bâle, l'an 1632, est la meilleure, car son pere avoit beaucoup travaillé à la corriger & la rendre complete ; & le fils y ayant encore ajouté ses soins pour la perfectionner, il la publia alors avec tout ce que son pere & lui y avoient fait ; de sorte que c'est à bon droit qu'elle passe pour le meilleur ouvrage de cette espece. En effet, c'est un livre si utile à ceux qui veulent bien entendre le vieux Testament dans l'original, qu'on ne sauroit s'en passer ; outre que c'est la meilleure concordance, c'est aussi le meilleur dictionnaire qu'on ait pour cette langue.

Rabbi Nathan, en composant ce livre, trouva qu'il étoit nécessaire de suivre la division des chapitres que le cardinal avoit introduite ; & cela produisit le même effet dans les bibles hébraïques, que l'autre avoit produit dans les latines ; c'est-à-dire que tous les exemplaires écrits ou imprimés pour les particuliers, l'ont adopté. Car sa concordance ayant été trouvée très-utile par ceux à l'usage de qui il la destinoit, il falloit bien qu'ils accommodassent leur bible à sa division, pour pouvoir en tirer cette utilité ; puisque c'étoit sur cette division qu'étoient faits les renvois de sa concordance ; ainsi les bibles hébraïques prirent aussi la division en chapitres. Mais Nathan qui avoit jusque-là suivi la méthode du cardinal, ne jugea pas àpropos de la suivre pour la subdivision par ces lettres A, B, C, &c. à la marge. Il enchérit sur l'inventeur, & en imagina une bien meilleure qu'il a introduite, & c'est celle des versets.

Quoique nous ayons justifié que la distinction des versets soit fort ancienne, on ne s'étoit pas avisé jusqu'à Nathan, de mettre des nombres à ces versets. Ce fut ce savant rabbin qui le pratiqua le premier pour sa concordance. En effet, comme ses renvois rouloient tous sur le livre, le chapitre, & le verset, il falloit bien que les versets fussent marqués par ces nombres, aussi bien que les chapitres ; puisque ce n'étoit qu'à l'aide de ces nombres, qu'on trouvoit le passage qu'il falloit, comme on le voit dans des concordances angloises, & particulierement dans celle de Newman, qui est je crois la meilleure de toutes.

C'est donc Nathan qui est l'inventeur de la méthode généralement reçue à présent, de mettre des nombres aux versets des chapitres, & de citer par versets ; au lieu qu'avant lui, on n'indiquoit l'endroit du chapitre que par les lettres mises à égale distance à la marge. En cela il est original : dans tout le reste il n'a fait que suivre le cardinal Hugues. Il faut seulement observer, que pour ne pas trop charger sa marge, il se contentoit de marquer ses versets de cinq en cinq ; & c'est ainsi que cela s'est toujours pratiqué depuis dans les bibles hébraïques, jusqu'à l'édition d'Athias juif d'Amsterdam, qui dans deux belles & correctes éditions qu'il a données de la bible hébraïque en 1661 & en 1667 a fait deux changemens à l'ancienne maniere.

Premierement, comme les versets n'étoient que de cinq en cinq ; de sorte que pour trouver un verset entre deux, il falloit avoir la peine de compter entre ces deux nombres ; Athias a marqué tous les versets. Secondement, il a introduit aux versets nouvellement marqués, l'usage de nos chiffres communs qui nous sont venus des Indes, & n'a laissé les lettres hébraïques qui servent de chiffre, qu'à chaque cinquieme verset, comme elles y étoient auparavant. Au reste, de toutes les bibles hébraïques, cette seconde édition d'Athias est la plus correcte qui ait jamais paru depuis qu'on imprime ; & en même tems la plus commode pour l'usage.

Quand Rabbi Nathan eut une fois montré sa maniere de compter des versets, & de les citer, on vit d'abord que cette méthode valoit mieux que celle des lettres à la marge, dont on s'étoit servi jusques là. Aussi Vatable ayant fait imprimer une bible latine, avec les chapitres ainsi divisés en versets, & ces versets marqués par des nombres ; son exemple a été suivi dans toutes les éditions postérieures, sans aucune exception : & tous ceux qui ont fait des concordances, & en général tous les auteurs qui citent l'Ecriture, l'ont citée depuis ce tems-là par chapitres & par versets

Les juifs donc ont emprunté des chrétiens la division des chapitres, & les chrétiens ont emprunté d'eux dans la suite celle des versets : ainsi les uns & les autres ont contribué à rendre les éditions du vieux Testament beaucoup plus commodes pour l'usage ordinaire qu'elles ne l'étoient autrefois.

Robert Etienne, dans la suite, divisa aussi les chapitres du nouveau Testament en versets, pour la même raison que R. Nathan l'avoit fait au vieux, c'est-à-dire, pour faire une concordance grecque à laquelle il travailloit, & qui fut ensuite imprimée par Henri son fils ; c'est ce dernier qui nous apprend cette particularité dans la préface.

Depuis ce tems-là on s'est si bien accoutumé à mettre ces chapitres & ces versets à toutes les bibles, & à ne citer point autrement dans tout l'occident ; que non-seulement les bibles latines, mais les grecques, & celles de toutes nos langues modernes, ne s'impriment pas autrement. La grande utilité de ces divisions, dès qu'elles ont paru, a emporté tous les suffrages. Voilà les époques de la division reçue de l'Ecriture sainte en chapitres & en versets, établie avec quelque exactitude en faveur de ceux qui desirent d'en être instruits. (Le chevalier DE JAUCOURT ).


VERSIFICATION(Belles lettres) l'art ou la maniere de construire des vers : ce mot signifie aussi le ton & la cadence des vers. Voyez VERS.

On entend ordinairement par versification ce que le poëte fait par son travail, par art & par regle, plutôt que par son invention, par génie & par enthousiasme. La matiere de la versification consiste en syllabes longues & breves, & dans les piés que composent ces syllabes. Sa forme est l'arrangement de ces piés en vers corrects, nombreux & harmonieux. Mais ce n'est encore là que le mérite d'un simple traducteur, ou d'un homme qui auroit mis en vers la guerre de Catilina écrite par Salluste ; on ne lui donneroit pas pour cela le nom de poëte. Voyez POETE, CADENCE, QUANTITE, RYTHME, &c.

C'est donc avec raison qu'on distingue ces simples matieres d'avec la haute poésie, & qu'on les appelle versification. Voyez POESIE.

En effet il y a presque autant de différence entre la grammaire & la rhétorique, qu'il s'en trouve entre l'art de faire des vers & celui d'inventer des poëmes ; ainsi l'on ne doit confondre la versification ni avec ce qu'on nomme la poésie des choses, ni avec ce qu'on appelle la poésie du style.

On pourroit n'ignorer rien des regles concernant la construction des vers, sçavoir exactement les noms, les définitions & les qualités propres à chaque genre de poésie, sans mériter pour cela le nom de poëte, toutes ces connoissances n'étant que l'extérieur & l'écorce de la poésie, comme il ne suffit pas pour être éloquent de sçavoir les préceptes de la rhétorique. C'est le génie qui distingue le poëte du versificateur. Princip. pour la lect. des poëtes, tom. I. pag. 1. & 2.

Les regles de la versification grecque & latine sont contenues dans les méthodes appellées prosodies, nous avons sur la poésie françoise plusieurs ouvrages, entr'autres le traité du P. Mourgues, & celui de l'abbé de Châlons.


VERSINES. f. (Com.) mesure des grains dont on se sert en quelques lieux de la Savoye. La versine d'Aiguebelle pese quarante-deux livres, poids de marc. Dictionn. de comm.


VERSIONS. f. (Gram.) interprétation littérale de quelque ouvrage.

VERSIONS de l'Ecriture, (Critiq. sacrée) on peut distinguer les versions de l'écriture en langues mortes & vivantes.

Quant aux langues mortes, on a déjà parlé dans cet ouvrage au mot BIBLE, des versions arabes, arméniennes, chaldaïques, éthiopiennes, gothiques, hébraïques & persanes. On a indiqué sous le même mot les éditions grecques & latines.

On a parlé des polyglottes au mot POLYGLOTTE ; quant à ce qui concerne le travail d'Origene, on en a traité au mot ORIGENE Héxaples, & de celui de S. Jérôme au mot VULGATE.

Pour les versions grecques en particulier, voyez VERSIONS GRECQUES & SEPTANTE.

Pour la version syriaque, voyez VERSION SYRIAQUE.

Pour la version samaritaine, voyez PENTATEUQUE SAMARITAIN, & SAMARITAINS CARACTERES.

Pour les paraphrases chaldaïques, voyez TARGUM.

Quant aux traductions de l'Ecriture en langues vivantes, elles ne doivent pas beaucoup nous arrêter, parce qu'elles changent perpétuellement avec le langage.

Luther est le premier qui ait fait une version de l'Ecriture en allemand sur l'hébreu ; ensuite Gaspard Ulenberg en mit au jour une nouvelle pour les catholiques, à Cologne en 1630.

Les Anglois avoient une version de l'Ecriture en anglo-saxon, dès le commencement du huitieme siecle. Wiclef en fit une seconde, ensuite Tindal & Coverdal, en 1526 & 1530.

La plus ancienne traduction françoise de la bible est celle de Guiars de Moulins, chanoine ; elle est de l'an 1294, & a été imprimée en 1498.

La premiere version italienne est de Nicolas Malhermi, faite sur la vulgate, & mise au jour en 1471.

Les Danois ont une version de l'Ecriture dans leur langue en 1524. Celle des Suédois fut faite par Laurent Petri, archevêque d'Upsal, & parut à Holm en 1646.

Mais ceux qui voudront connoître à fond tout ce qui concerne les versions de l'Ecriture, ne manqueront pas de secours.

Ils peuvent donc consulter R. Elias Levita ; Epiphanes de ponder. & mensur. Hieronimi commentaria : Antonius Caraffa ; Kortholtus de variis bibliot. edit. & Lambert Roi. Parmi les françois, le P. Morin, exercit. biblicae ; Dupin, bibliotheq. des aut. ecclés. Simon, hist. du vieux & du nouveau Testament ; Calmet, dict. de la bible ; & le Long, bible sacrée ; enfin on trouvera à puiser chez les Anglois des instructions encore plus profondes, en lisant Usserius, Pocock, Péarson, Prideaux, Grabe, Wower, de graec. & latin. bibliot. interpret. Mill. in N. T. Waltoni prolegomena, Hodius de textib. biblior. Origen. &c. (D.J.)

VERSIONS grecques du v. T. (Critiq. sacrée) on en distingue quatre : celle des septante, d'Aquila, de Théodotion & de Symmaque. Pour ce qui regarde celle des septante, la meilleure de toutes & la plus ancienne, nous en avons fait un article à part. Voyez SEPTANTE.

Nous remarquerons seulement ici, qu'à mesure que cette version gagnoit du crédit parmi les chrétiens, elle en perdoit parmi les juifs, qui songerent à en faire une nouvelle qui leur fût plus favorable. Celui qui s'en chargea fut Aquila, juif prosélyte, natif de Sinope ville du Pont. Il avoit été élevé dans le paganisme, & dans les chimeres de la magie & de l'astrologie. Frappé des miracles que faisoient de son tems les chrétiens, il embrassa le christianisme, par le même motif que Simon le magicien, dans l'espérance de parvenir à en faire aussi ; mais voyant qu'il n'y réussissoit pas, il reprit la magie & l'astrologie, afin de passer à son tour pour un grand homme. Ceux qui gouvernoient l'église, lui remontrerent sa faute ; mais il ne voulut pas se rendre à leurs remontrances : on l'excommunia. Là-dessus il prit feu, & renonçant au christianisme, il embrassa le judaïsme, fut circoncis, & alla étudier sous le rabbin Akiba, le plus fameux docteur de la loi de ce tems-là ; il fit de si grands progrès dans la langue hébraïque & dans la connoissance des livres sacrés, qu'on le trouva capable d'exécuter la version de l'Ecriture ; il l'entreprit effectivement, & en donna deux éditions.

La premiere parut la 12e année de l'empire d'Adrien, l'an de J. C. 128. Ensuite il la retoucha, & publia sa seconde édition qui étoit plus correcte. Ce fut cette derniere que les juifs hellénistes reçurent ; & ils s'en servirent par-tout dans la suite, aulieu de celle des septante. De-là vient qu'il est souvent parlé de cette version dans le talmud, & jamais de celle des septante.

Ensuite on s'alla mettre en tête, qu'il ne falloit plus lire l'Ecriture dans les synagogues, que conformément à l'ancien usage, c'est-à-dire, l'hébreu premierement, & puis l'explication en chaldéen ; & l'on allégua les decrets des docteurs en faveur de cet usage. Mais comme il n'étoit pas aisé de ramener les juifs hellénistes à des langues qu'ils n'entendoient point, après avoir eu si longtems l'Ecriture dans une langue qui leur étoit en quelque maniere naturelle.

Cette affaire causa tant de fracas, que les empereurs furent obligés de s'en mêler. Justinien publia une ordonnance, qui se trouve encore parmi les nouvelles constitutions, portant permission aux juifs de lire l'Ecriture dans leurs synagogues dans la version grecque des septante, dans celle d'Aquila, ou dans quelle autre langue il leur plairoit, selon les pays de leur demeure. Mais les docteurs juifs ayant réglé la chose autrement, l'ordonnance de l'empereur ne servit de rien, ou de fort peu de chose ; car bientôt après les septante & Aquila furent abandonnés, & depuis ce tems-là, la lecture de l'Ecriture s'est toujours faite dans leurs assemblées en hébreu & en chaldéen.

Peu de tems après Aquila, il parut deux autres versions du vieux Testament : l'une par Théodotion, qui florissoit sous l'empereur Commode, & la seconde par Symmaque qui vivoit sous Severe & Caracalla. Le premier, selon quelques-uns, étoit de Sinope dans le Pont, & selon d'autres d'Ephese. Ceux qui tâchent de concilier ces contradictions, prétendent qu'il étoit né dans la premiere de ces villes, & qu'il demeuroit dans la seconde.

Pour Symmaque, il étoit samaritain, & avoit été élevé dans cette secte ; mais il se fit chrétien de la secte des Ebionites, & Théodotion l'ayant été aussi, on a dit de tous deux qu'ils étoient prosélytes juifs. Car les Ebionites approchoient de la religion des juifs, & se croyoient toujours obligés de garder la loi de Moïse ; de sorte qu'ils se faisoient circoncire, & observoient toutes les autres cérémonies de la religion judaïque. Aussi les chrétiens orthodoxes leur donnoient ordinairement le nom de juifs. De-là vient que les deux traducteurs dont il s'agit, sont quelquefois traités de juifs par les anciens auteurs ecclésiastiques, mais ils n'étoient qu'ébionites.

L'un & l'autre entreprit la version par le même motif qu'Aquila, c'est-à-dire, tous les trois pour corrompre le vieux Testament, Aquila en faveur des juifs, & les deux autres en faveur de leur secte. Tous trois s'accordent parfaitement à donner au texte le tour qu'il leur plait, & à lui faire dire ce qu'ils veulent pour les fins qu'ils se proposent. On ne convient pas tout-à-fait laquelle de ces deux versions fut faite avant l'autre. Dans les héxaples d'Origene, celle de Symmaque est placée la premiere, d'où quelques-uns concluent qu'elle est la plus ancienne. Mais si cette maniere de raisonner étoit concluante, on prouveroit aussi par-là que sa version & celle d'Aquila étoient toutes deux plus anciennes que celle des septante ; car elles sont toutes deux rangées avant celle-ci dans l'ordre des colonnes. Irénée cite Aquila & Théodotion, & ne dit rien de Symmaque ; ce qui paroît prouver qu'elle n'existoit pas de son tems.

Ces trois traducteurs ont pris des routes différentes. Aquila s'attachoit servilement à la lettre, & rendoit mot à mot autant qu'il pouvoit, soit que le génie de la langue dans laquelle il traduisoit, ou le sens du texte le souffrissent, ou ne le souffrissent pas. Delà vient qu'on a dit de cette version que c'étoit plutôt un bon dictionnaire, pour trouver la signification d'un mot hébreu, qu'une explication qui découvre le sens du texte. Aussi S. Jérome le loue souvent pour le premier, & le blâme pour le moins aussi souvent pour le second.

Symmaque prit la route opposée, & donna dans l'autre extrêmité ; il ne songeoit qu'à exprimer ce qu'il regardoit comme le sens du texte, sans avoir aucun égard aux mots ; & ainsi il fit plutôt une paraphrase qu'une version exacte.

Théodotion prit le milieu, & ne se rendit pas esclave des mots, ni ne s'en écarta pas trop non plus. Il tâchoit de donner le sens du texte par des mots grecs qui répondissent aux hébreux, autant que le génie des deux langues le lui permettoit. C'est, à mon avis, ce qui a fait croire à quelques savans, qu'il avoit vécu après les deux autres ; parce qu'il évite les deux défauts dans lesquels ils étoient tombés. Mais pour cela il n'est pas besoin qu'il les ait vûs, le bons sens seul peut lui avoir donné cette idée juste d'une bonne version. La sienne a été la plus estimée de tout le monde, hormis des juifs qui s'en sont toujours tenus à celle d'Aquila, tant qu'ils se sont servis d'une version grecque.

Cette estime fit que quand les anciens chrétiens s'apperçurent que la version de Daniel des septante étoit trop pleine de fautes pour s'en servir dans l'église, ils adopterent pour ce livre celle de Théodotion ; & elle y est toujours demeurée. Et par la même raison, quand Origene dans son héxaple est obligé de suppléer ce qui manque aux septante, qui se trouve dans l'original hébreu, il le prend ordinairement de la version de Théodotion. Le même Origene l'a mise dans sa tétraple, avec la version d'Aquila, celle de Symmaque & les septante. (D.J.)

VERSION syriaque de l'Ecriture, (Critique sacrée) c'est une des versions orientales des plus précieuses de l'Ecriture sainte : ce qui m'engage de lui donner un article particulier.

Cette version fut faite ou du tems même des apôtres, ou fort peu de tems après, pour les églises de Syrie où elle est encore en usage, ainsi qu'une seconde version syriaque faite environ six cent ans après la premiere.

Les Maronites & les autres chrétiens de Syrie vantent beaucoup l'antiquité de la vieille ; ils prétendent qu'une partie a été faite par ordre de Salomon, pour Hiram, roi de Tyr, & le reste qui contient tous les livres écrits depuis Salomon, par ordre d'Abgar, roi d'Edesse, qui vivoit du tems de notre Seigneur. La principale preuve qu'ils en donnent, c'est que S. Paul dans le iv. chapitre de son épître aux Ephésiens, v. 8, en citant un passage du ps. 68. 18, ne le cite pas selon la version des septante ni selon l'hébreu ; mais selon la version syriaque ; car c'est la seule où il se trouve comme il le cite. Par conséquent, disent-ils, cette version étoit faite avant lui. Les termes de ce passage, tels que S. Paul les cite, sont : il a mené captive une grande multitude de captifs, & il a donné des dons aux hommes. Cette derniere partie n'est ni selon les septante ni selon l'hébreu, mais seulement selon la version syriaque ; car selon les deux premieres, S. Paul eût dit : & il a reçu des présens ou des dons pour les hommes. Il ne se trouve dans le pseaume, comme S. Paul le cite, que dans la version syriaque.

Il est bien certain que cette version est fort ancienne, comme Pocock l'a prouvé dans la préface de son commentaire sur Michée. Il y a même beaucoup d'apparence qu'elle est faite dans le premier siecle, & que son auteur est un chrétien, juif de nation, qui savoit très-bien les deux langues ; car elle est fort exacte, & rend avec plus de justesse le sens de l'original, qu'aucune autre qui se soit jamais faite du nouveau Testament avant la restauration des lettres dans ces derniers siecles. Ainsi comme c'est la plus ancienne de toutes, excepté les septante & la paraphrase chaldaïque d'Onkélos sur la loi, & celle de Jonathan sur les prophetes, c'est aussi la meilleure de toutes celles des anciens, en quelque langue que ce soit. Ce dernier éloge lui convient même aussi bien pour le nouveau Testament que pour le vieux.

C'est pourquoi de toutes les anciennes versions que consultent les Chrétiens pour bien entendre l'Ecriture du vieux ou du nouveau Testament, il n'y en a point dont on tire tant de secours que de cette vieille version syriaque, quand on la consulte avec soin, & qu'on l'entend bien. Le génie de la langue y contribue beaucoup ; car comme c'étoit la langue maternelle de ceux qui ont écrit le nouveau Testament, & une dialecte de celle dans laquelle le vieux nous a été donné ; il y a quantité de choses dans l'un & dans l'autre, qui sont plus heureusement exprimées dans cette version, qu'elles ne le sauroient être en aucune autre. (D.J.)

VERSION angloise de la Bible, (Hist. des versions de la Bible) elle fut faite au commencement du regne de Jacques I. & par ses ordres. Il écrivit à ce sujet une lettre en date du 22 Juillet de la seconde année de son regne, au docteur Whitgift, archevêque de Cantorbery, pour encourager & avancer cette traduction.

Il informe ce prélat qu'il a nommé cinquante-quatre habiles gens pour cet ouvrage, parmi lesquels il remarque qu'il y en a plusieurs qui ne possedent point du tout de bénéfices, ou qui n'en possedent que de très-petits, qui sont, dit sa majesté, fort audessous de leur mérite, à quoi nous-mêmes ne sommes pas en état de remédier dans l'occasion. Il charge donc l'archevêque d'écrire en son nom, tant à l'archevêque d'Yorck, qu'aux évêques de la province de Cantorbery, que lorsqu'il viendra à vaquer quelque prébende ou cure marquées dans le livre des taxes, l'une & l'autre de vingt livres sterlings au-moins, soit à leur nomination ou de quelqu'autre personne quelle qu'elle soit, ils n'y admettront aucun sujet, " sans nous informer, dit-il, de la vacance ou du nom du patron (si le bénéfice n'est pas à leur nomination), afin que nous puissions recommander tel habile homme que nous jugerons digne d'en être pourvu.... Ayant nous-mêmes pris les mesures pour les prébendes & bénéfices qui sont à notre disposition ".

Le roi charge aussi ce prélat d'engager tous les évêques à s'informer eux-mêmes quels sont les habiles gens qui se trouvent dans leurs diocèses, surtout ceux qui sont particulierement versés dans les langues hébraïque & grecque, & qui ont fait une étude particuliere de l'Ecriture-sainte, soit pour éclaircir ce qu'il y a d'obscur dans les expressions de l'original hébreu ou grec, soit pour lever les difficultés ou corriger les fautes de l'ancienne version angloise, " que nous avons, dit-il, donné ordre d'examiner à fond & de corriger. Nous souhaitons qu'on leur écrive, & qu'on les charge très-expressément, en leur faisant connoître notre volonté, qu'ils envoyent leurs observations de ce genre à M. Pivelie, notre professeur en hébreu à Cambridge, ou au docteur Harding, notre professeur en hébreu à Oxford, ou au docteur Andrews, doyen de Westminster, pour les communiquer à leurs confreres, afin que de cette maniere on ait le secours des lumieres de tous les savans qui se trouvent dans l'étendue de notre royaume, pour la version que nous avons projettée ".

Le docteur Fuller nous apprend que le roi prit soin de recommander aux traducteurs d'observer les regles suivantes : 1°. de suivre & de changer aussi peu que l'original le permettoit, la bible qu'on lisoit ordinairement dans les églises, appellée communément la bible des évêques ; 2°. de conserver les anciens termes ecclésiastiques, comme celui de l'église, & de ne le point rendre par celui d'assemblée, &c. 3°. de retenir les noms des prophetes, des écrivains sacrés, & les autres qui sont dans l'Ecriture, le plus qu'il se pourroit selon l'usage vulgaire ; 4°. lorsqu'un mot auroit diverses significations, de suivre celle que les plus illustres peres y ont donnée, lorsqu'elle s'accorderoit avec le sens du passage & avec l'analogie de la foi ; 5°. de ne changer la division des chapitres que le moins qu'il se pourroit, & lorsque la nécessité le demanderoit ; 6°. de ne point faire de notes marginales, sinon pour expliquer les mots hébreux ou grecs, qu'on ne pourroit exprimer dans le texte que par une circonlocution ; 7°. de mettre en marge les renvois nécessaires aux autres endroits de l'Ecriture ; 8°. que tous les membres d'une des compagnies travaillassent sur le même ou sur les mêmes chapitres, & qu'après les avoir mis chacun en particulier dans le meilleur état qu'il leur seroit possible, ils confrontassent leur travail, pour décider ce qu'ils jugeroient devoir conserver ; 9°. qu'après qu'une des compagnies auroit ainsi achevé un livre, elle l'envoyât aux autres pour être mûrement examiné, sa majesté souhaitant qu'on y regardât de près ; 10°. que si dans cette révision il se trouvoit quelque chose sur quoi les examinateurs doutassent, ou fussent d'un avis différent des traducteurs, ils en informassent ceux-ci, en leur indiquant le passage & les raisons de leur avis : que s'ils ne pouvoient s'accorder, la décision seroit renvoyée à l'assemblée générale qui se tiendroit à la fin de l'ouvrage, composée des principaux de chaque compagnie ; 11°. que lorsqu'on douteroit du sens de quelque passage obscur, on écriroit expressément à quelque habile homme à la campagne pour en avoir son avis ; 12°. que chaque évêque écriroit à son clergé pour l'informer de cet ouvrage, & pour enjoindre à ceux qui seroient versés dans les langues, & qui auroient travaillé en ce genre, d'envoyer leurs observations à Westminster, à Cambridge ou à Oxford ; 13°. que les présidens de Westminster seroient le doyen & celui de Chester : & dans les deux universités, les professeurs royaux en hébreu & en grec ; 14°. qu'on se serviroit des versions de Tindal, de Matthieu, de Coverdale, de Whitchurch & de Genève, lorsqu'elles seroient plus conformes à l'original que la bible des évêques.

Outre cela pour faire d'autant mieux observer la quatrieme regle, le vice-chancelier de chacune des universités devoit nommer, de l'avis des chefs, trois ou quatre des plus anciens & des plus graves théologiens, de ceux qui n'avoient point de part à la traduction, pour être réviseurs de ce qui seroit traduit tant de l'hébreu que du grec.

L'ouvrage fut achevé au bout de quatre ans, & on envoya trois copies de toute la bible de Cambridge, Oxford & Westminster, à Londres, après quoi six nouveaux commissaires revirent toute la besogne, avant que de la mettre sous presse. (D.J.)

VERSION du vieux Testament en espagnol, (Hist. crit. ecclés.) version faite de l'hébreu en espagnol dans le seizieme siecle par Abraham Usque, juif portugais, & non chrétien, comme M. Arnauld se l'étoit persuadé.

Cette version a été imprimée pour la premiere fois à Ferrare en 1553. Elle répond tellement mot pour mot au texte hébreu, qu'on a de la peine à l'entendre, outre qu'elle est écrite dans un vieil espagnol, qu'on ne parloit que dans les synagogues.

L'auteur de la préface assure qu'on a suivi, autant qu'il a été possible, la version de Pagnin & son dictionnaire ; mais le P. Simon croit qu'il n'a parlé de cette maniere que pour empêcher les inquisiteurs de traiter cette version comme hérétique.

Il y a de l'apparence qu'Abraham Usque aura fait usage de quelques anciennes gloses de juifs espagnols : ce qui rend sa traduction entierement barbare & inintelligible.

Le compilateur (car ce n'est qu'une espece de compilation) étoit tellement persuadé de la difficulté qu'il y avoit à traduire l'Ecriture-sainte, qu'il a cru être obligé de marquer avec des étoiles un grand nombre de passages où le sens lui paroissoit douteux & incertain. Mais ceux qui ont fait réimprimer cette version en l'an 1630 avec quelques corrections, ont retranché la meilleure partie de ces étoiles, au lieu qu'on les devoit plutôt augmenter.

Cette traduction ne peut être utile qu'à des juifs espagnols, si ce n'est qu'on s'en veuille servir comme d'un dictionnaire, pour traduire à la lettre les mots hébreux. Elle peut même servir de grammaire, parce que les noms & les verbes y sont aussi traduits selon la rigueur grammaticale.

Le traducteur n'est pas néanmoins parvenu à cette grande exactitude qu'il s'étoit proposée, & il ne paroît pas avoir toujours bien rencontré dans le choix des rabbins qu'il suit ; car il a laissé plusieurs endroits que l'on pourroit traduire encore plus exactement, tant selon le sens que selon la grammaire. Il s'attache tantôt à la paraphrase chaldaïque, tantôt à Kimhi ou à Rasci, tantôt à Aben-Ezra ou à quelque autre rabbin ; mais il ne le fait pas avec discernement. Ajoutez que cette grande exactitude grammaticale ne s'accorde pas toujours avec le sens, il ne l'a pas même attrappée ; car il l'a retranché en divers passages, & par-là il a entierement bouleversé le sens de ces passages. (D.J.)


VERSOS. m. (Gram. & Jurisprud.) terme latin qui signifie le revers de quelque chose. Il est demeuré en usage dans la pratique du palais du tems que l'on rédigeoit les actes en latin, pour exprimer le revers d'un feuillet. Le dessus s'appelle le recto du feuillet, & le dessous verso, parce que pour le voir, il faut tourner le feuillet. Voyez FEUILLET & RECTO. (A)


VERSOIXLA, (Géog. mod.) ou la Versoy, petite riviere de France, au pays de Gex. Elle a sa source dans la montagne de Gex, baigne le bourg de Versoy, auquel elle donne son nom, & se perd dans le lac de Genève. (D.J.)


VERTLE, (Géog. mod.) nom de deux petites rivieres de France, l'une en Béarn, l'autre dans le Quercy. La premiere naît dans la vallée de Barretons, & se jette dans le Gave au-dessous d'Oleron. La seconde a sa source dans un village de son nom, & tombe dans le Lot, près de Cahors. (D.J.)


VERTABIETS. m. (Religion armén.) c'est ainsi que l'on nomme les docteurs de la religion chez les Arméniens. Ces vertabiets, dit M. de Tournefort, qui font tant de bruit parmi les Arméniens, ne sont pas véritablement de grands docteurs ; mais ce sont les plus habiles gens du pays, ou du moins ils passent pour tels.

Pour être reçu à ce degré éminent, il ne faut pas avoir étudié la théologie pendant de longues années, il suffit de savoir la langue arménienne littérale, & d'apprendre par coeur quelque sermon de leur grand maître Grégoire Athenasi, dont toute l'éloquence brilloit dans les blasphèmes qu'il vomissoit contre l'église romaine. La langue littérale est chez eux la langue des savans, & l'on prétend qu'elle n'a aucun rapport avec les autres langues orientales ; c'est ce qui la rend difficile. C'est un grand mérite chez eux d'entendre cette langue ; elle ne se trouve que dans leurs meilleurs manuscrits.

Les vertabiets sont sacrés, mais ils disent rarement la messe, & sont proprement destinés pour la prédication, leurs sermons roulent sur des paraboles mal imaginées, sur des passages de l'Ecriture mal entendus & mal expliqués, & sur quelques histoires, vraies ou fausses, qu'ils savent par tradition. Cependant ils les prononcent avec beaucoup de gravité, & ces discours leur donnent presque autant d'autorité qu'au patriarche : ils usurpent sur-tout celle d'excommunier. Après s'être exercés dans quelques villages, un ancien vertabiet les reçoit docteurs avec beaucoup de cérémonies, & leur met entre les mains le bâton pastoral. La cérémonie ne se passe pas sans simonie, car le degré de docteur étant regardé parmi eux comme un ordre sacré, ils ne font aucun scrupule de le vendre, de même que les autres ordres. Ces docteurs ont le privilege d'être assis en prêchant, & de tenir le bâton pastoral ; au lieu que les évêques qui ne sont pas vertabiets prêchent debout.

Les vertabiets vivent de la quête que l'on fait pour eux après le sermon ; & cette quête est considérable, sur-tout dans les lieux où les caravanes se reposent. Ces prédicateurs gardent le célibat, & jeûnent fort rigoureusement les trois quarts de l'année ; car ils ne mangent alors ni oeufs, ni poisson, ni laitage.

Quoiqu'ils parlent dans leurs sermons moitié langue littérale, & moitié langue vulgaire, ils ne laissent pas souvent de prêcher en langue vulgaire, pour mieux se faire entendre ; mais la messe, le chant de l'église, la vie des saints, les paroles dont on se sert pour l'administration des sacremens, sont en langue littérale. (D.J.)


VERTACOMACORI(Géog. anc.) peuple de la Gaule narbonnoise. Il faisoit partie des Vocontii. Pline, l. III. c. xvij. dit que les Vertacomacori fonderent la ville de Novare en Italie, au duché de Milan. (D.J.)


VERTES. f. (Comm.) est un des noms que l'on donne en quelques lieux à la jauge, ou instrument propre à jauger les tonneaux, pipes, muids, barrils, & autres futailles destinées à renfermer des liqueurs, pour connoître leur capacité, & la quantité de mesures que chacune contient. Voyez JAUGE & VELTE. Dict. de Comm.

Verte signifie aussi les mesures estimées & jaugées avec la verte ; cette pipe contient soixante vertes. Id. ibid.


VERTE-MOUTES. f. (Droit coutumier de France) c'est un droit que les seigneurs qui ont des fours bannaux dans la Normandie exigent en espece pour la mouture du blé qui n'a pas été moulu dans leurs moulins.

Terrien, Beraud & Basnage ont fait mention de ce droit. Ceux qui sont resséans, c'est-à-dire domiciliés, dans l'étendue de la banalité, ayant fait leur recolte de grains, ne peuvent les enlever, & les faire transporter dans une grange située hors du fief, sans laisser 16 gerbes pour le droit de verte-moute. Beraud rapporte un arrêt qui l'a ainsi jugé. Basnage en cite un autre encore plus étrange. Il fut jugé en 1541 que les étrangers qui avoient acheté du blé dans le marché du seigneur, ne pouvoient pas l'enlever sans payer le droit de verte-moute, quoiqu'ils fussent domiciliés hors de la banalité. De tels arrêts n'ont été donnés que pour établir la servitude, & détruire le commerce d'un pays. (D.J.)


VERTÉBRALLE, adj. en Anatomie, ce qui a rapport aux vertebres. Voyez VERTEBRE.

L'artere vertébrale prend son origine de la partie postérieure de la sous-claviere, elle s'engage dans le canal formé par les apophyses transverses des sept vertebres du col, & forme lorsqu'elle est parvenue entre la premiere & la seconde, un contour remarquable pour aller gagner le tronc de l'apophyse transverse de la premiere vertebre, d'où étant sortie, elle forme un nouveau contour pour aller passer dans le crâne par le grand trou occipital, & se distribuer au cervelet, au cerveau, &c. Voyez SOUS-CLAVIERE, CERVEAU, &c.

Cette artere fournit dans son trajet plusieurs branches, dont les plus remarquables sont l'artere occipitale postérieure, l'artere basilaire, l'artere auditive, l'artere méningée, les deux arteres spinales. Voyez BASILAIRE, AUDITIVE, &c. La veine vertébrale est celle qui accompagne cette artere.

VERTEBRAUX, MUSCLES, (Anatom.) on nomme muscles vertébraux, des muscles qui ne sont attachés qu'aux vertebres ; leur action contribue principalement aux mouvemens des parties qui se trouvent le long de l'épine du dos.

Ces sortes de muscles ont toujours paru très-difficiles à bien disséquer & à décrire avec netteté, même aux plus célebres anatomistes, principalement ceux du dos. Tous ces muscles sont très-composés, multipliés & entrelacés, de maniere qu'il faudroit en faire un nombre beaucoup plus grand que celui des vertebres, ou les réduire à un trop petit nombre de muscles longs, & entrecoupés en différens endroits.

Sténon, pour en faciliter la connoissance, aussibien que la dissection & la description, s'est avisé de les ranger de la maniere suivante.

Il appelle en général muscles vertébraux, ceux qui ne sont attachés qu'aux vertebres ; il les distingue tous en droits & en obliques. Les droits, selon lui, sont ceux qui sont paralleles à la moëlle de l'épine ; c'est-à-dire ceux dont la direction est longitudinale. Les obliques, sont ceux qui sont placés obliquement entre les apophyses épineuses & les apophyses transverses.

Il divise les droits en mitoyens & en latéraux. Les mitoyens sont attachés aux apophyses épineuses ; & les latéraux aux transverses. Il fait encore une division de tous ces muscles en simples, & en composés. Les simples sont bornés à deux vertebres ; les composés sont attachés à plusieurs.

Il distingue deux sortes d'obliques ; les uns montent des apophyses transverses aux épineuses en s'approchant ; les autres montent des apophyses épineuses aux transverses en s'écartant. Il appelle ceux de la premiere sorte, ad medium vergentes ; & les autres, à medio recedentes. Pour se conformer à cette expression de l'auteur, on pourroit par des termes empruntés de l'optique, appeller convergens les premiers de ces muscles, & divergens les autres. Il ajoute enfin, que parmi les premiers il y en a beaucoup, qui d'une seule apophyse transverse, montent à plusieurs apophyses épineuses transversaires, & qu'il y en a aussi qui de plusieurs transverses, montent à une seule épineuse.

Selon cette idée, on applique assez bien aux muscles vertébraux les anciens termes d'épineux, de transversaires & de demi-épineux ; en appellant épineux ceux qui sont seulement attachés aux apophyses épineuses ; transversaires ceux qui le sont aux seules apophyses transverses ; & demi-épineux ceux qui ne sont attachés que par un bout aux apophyses épineuses. On exprime mieux à-présent par des termes composés, les deux sortes de vertébraux obliques, en nommant les uns transversaires épineux, & les autres épineux transversaires.

Il est encore bon, & même nécessaire, de retenir le nom général de vertébraux droits, obliques, &c. car quoique les termes que je viens de rapporter conviennent très-bien aux obliques postérieurs, ils ne conviennent pas aux obliques antérieurs, parce que ceux-ci sont attachés en partie au corps des vertebres, & non pas aux apophyses épineuses.

On peut appeller petits vertébraux, ceux qui sont simples, ou bornés à deux vertebres voisines ; & grands, ceux qui sont composés & s'étendent à plusieurs vertebres, & nommer les uns grands & petits épineux, & les autres grands & petits transversaires : on donne aussi à ces petits muscles le nom d'inter-épineux & d'inter-transversaires. Il y a de petits obliques qui ne paroissent atteindre précisément ni aux apophyses épineuses, ni aux transverses, mais s'attacher comme entre-deux ; on pourroit les nommer simplement inter-vertébraux.

Outre ces muscles vertébraux proprement dits, il y en a d'autres qui servent au mouvement des vertebres, & qui n'y sont attachés qu'en partie. Quelques anciens ont appellé ceux-ci demi-épineux, comme n'étant attachés qu'à moitié à l'épine du dos, & ils ont nommés épineux ceux qui y sont tout-à-fait attachés : dans ce sens, on pourroit nommer les uns vertébraux seulement, & les autres demi-vertébraux.

Parmi les vertébraux proprement dits, il y en a qui par leurs attaches, paroissent être communs au cou, au dos & aux lombes. Pour les distinguer Mr. Winslow rapporte au cou, non-seulement ceux qui sont uniquement attachés aux vertebres du cou, mais encore ceux dont les attaches supérieures sont à la derniere de ces vertebres, quoique leurs autres attaches soient toutes aux vertebres du dos : il observe la même chose par rapport aux lombes.

Tous ces muscles varient beaucoup dans leurs attaches & leurs communications réciproques ; ils sont quelquefois si fort confondus par ces sortes de communications, qu'on a de la peine à les démêler quand on n'est pas au fait. Ils sont en général plus aisés à développer dans les enfans que dans les adultes, & dans les adultes que dans les vieillards. (D.J.)

VERTEBRAUX, les nerfs vertébraux, c'est-à-dire ceux qui partent de la moëlle épiniere, sont au nombre de trente paires, dont il y en a qu'on regarde comme appartenans au col, parce qu'ils tirent leur origine de la partie de la moëlle située dans le canal des vertebres du col, & on les appelle par cette raison nerfs cervicaux ; d'autres au dos, qu'on appelle dorsaux ; d'autres aux lombes, qu'on appelle lombaires ; & enfin d'autres à l'os sacrum, nommés sacrés. Voyez CERVICAL, DORSAL, LOMBAIRE & SACRE, &c.

Les ligamens vertébraux sont tous ceux qui unissent les vertebres entr'elles. Voyez LIGAMENT.


VERTEBRES. f. (Anatom.) piece osseuse dont plusieurs sont articulés de suite le long de l'épine, & forment la composition de la troisieme partie du squelete de l'homme.

L'épine est ordinairement composée de vingt-quatre vertebres, pieces mobiles appuyées sur l'os sacrum. Il y a sept vertebres pour le col, nommées cervicales, douze pour le dos, cinq pour les lombes.

Elles sont de substance spongieuse, recouvertes d'une petite lame compacte, avec un cartilage épais entre le corps de chaque vertebre ; un grand trou se trouve au milieu de chacune pour le passage de la moëlle : elles ont quatre échancrures, ensorte que les vertebres étant appliquées les unes sur les autres, ces échancrures forment des trous par où s'échappent latéralement vingt-quatre paires de nerfs.

On remarque dans chaque vertebre son corps & ses apophyses : les apophyses postérieures sont nommées épineuses, & les latérales transverses ; celles qui sont dessus & dessous des latérales, sont appellées obliques ; ces dernieres servent à articuler les vertebres les unes avec les autres. Le corps des vertebres a une face supérieure & une inférieure ; les faces des apophyses obliques sont couvertes de cartilages.

Les pieces osseuses de l'épine se divisent en vraies & fausses vertebres. Les vraies vertebres sont, comme nous l'avons dit, les vingt-quatre os supérieurs de l'épine sur lesquels roulent la plûpart des mouvemens du tronc de nos corps : les fausses vertebres composent l'os sacrum.

Le corps des vertebres est épais, spongieux ; sa partie antérieure est convexe en devant, concave parderriere, horisontale & plane pour l'ordinaire en dessus & en dessous. Leurs surfaces antérieures & postérieures ont plusieurs trous remarquables à leur partie externe plate & mince, tant pour affermir la connexion des ligamens, que pour donner passage aux vaisseaux dans leur substance cellulaire.

Entre les corps de deux vertebres contiguës est interposée une certaine substance qui tient une sorte de milieu entre la nature du ligament & celle du cartilage. Cette substance est formée de fibres courbes & concentriques. Celles du centre sont molles & pleines d'une liqueur glaireuse ; raison pour laquelle les anciens appelloient cette substance ligament muqueux. Elle est fortement attachée aux surfaces horisontales des corps des vertebres, & sert par conséquent non-seulement à éloigner les os les uns des autres, & à les tenir plus serrés sans qu'ils se rompent, mais aussi à les attacher les uns aux autres ; en quoi elle est secondée par un ligament membraneux qui tapisse toute leur surface concave, & en outre par un autre ligament encore plus fort qui revêt leur surface antérieure convexe.

Nous pouvons établir comme une regle générale à laquelle il y a peu d'exceptions, que les corps des vertebres sont plus petits & plus solides en haut, mais en descendant plus gros & plus spongieux, & que les cartilages logés dans leurs intervalles sont plus épais & les ligamens qui les environnent plus forts à proportion de la grosseur des vertebres, & de la quantité de mouvement qu'elles ont à faire ; cette disposition fait que les plus grands fardeaux sont supportés sur une base plus large & mieux assurés, & que le milieu du corps est en état de suffire à des mouvemens considérables, ce qui est un fort grand avantage pour nous.

Les articulations des véritables vertebres sont doubles ; leurs corps sont joints par synchondrose, & leurs apophyses obliques sont articulées par la troisieme sorte de ginglyme ; d'où il paroît que leur centre de mouvement change selon les différentes positions du tronc : ainsi quand nous nous courbons en-devant, la partie supérieure qui est unie porte entiérement sur le corps des vertebres ; si au contraire nous nous plions en-arriere, ce sont les processus obliques qui la supportent : si nous nous penchons sur un côté, alors nous portons sur les processus obliques de ce côté, sur une partie des corps des vertebres ; & lorsque nous nous tenons droit, nous portons à-la-fois & sur les corps & sur les processus obliques.

Les vertebres au tems de la naissance n'ont pour l'ordinaire que trois parties osseuses unies par des cartilages : savoir, les corps qui ne sont pas encore tout-à-fait ossifiés ; un os long & courbé de chaque côté, sur lequel on voit un petit commencement de point osseux, les processus obliques complets, les processus transverses ; les lames obliques commencées, & point encore de processus spinal ; ce qui fait que les tégumens ne sont point exposés à être blessés par les extrêmités aiguës de ces apophyses épineuses, comme ils le seroient s'il y avoit des pointes osseuses, tandis que l'enfant est dans la matrice dans une attitude courbée, ou lors de la pression qu'il éprouve pendant l'accouchement.

Les vertebres du col nommées cervicales, sont les sept vertebres d'en-haut, qu'on distingue aisément des autres par les marques suivantes.

Elles sont toutes, excepté la premiere, d'une longueur à peu-près égale. Leurs corps sont plus solides que ceux des autres & applatis sur la partie antérieure pour faire place à l'oesophage ; cet applatissement vient peut-être de la pression que ce conduit fait dessus, & de l'action des muscles longs du cou droits, & des antérieurs. La surface postérieure qui est plate aussi, est ordinairement inégale, & donne naissance à de petites apophyses où les ligamens sont attachés. La surface supérieure des corps de chaque vertebre, forme un creux au moyen d'une apophyse mince & située de biais, qui s'éleve de chaque côté ; la surface inférieure est creusée d'une maniere différente de la premiere, car le bord postérieur s'éleve un peu, & l'antérieur est prolongé considérablement. C'est par-là que les cartilages d'entre cet os sont fermement unis, & que l'articulation d'une vertebre avec la suivante, est fortement assurée.

Les cartilages d'entre ces vertebres sont plus épais, du moins par rapport à leur volume que ceux qui appartiennent aux vertebres du thorax, parce qu'ils sont destinés à un plus grand mouvement. Ils sont aussi plus épais à leur partie antérieure ; ce qui est la raison pour laquelle les vertebres avancent davantage en devant, à mesure qu'elles vont en descendant.

Les apophyses obliques de cet os du cou méritent plus justement ce nom que celles de toutes les autres vertebres. Elles sont situées en biais. Les apophyses transverses sont figurées tout autrement que celles des autres os de l'épine ; car outre le processus commun qui s'éleve d'entre les apophyses obliques de chaque côté, il y en a un second qui sort du côté du corps des vertebres : tous deux après avoir laissé un trou circulaire pour le passage des arteres & des veines cervicales, s'unissent ensemble & sont considérablement creusés à leur partie supérieure, ayant les côtés élevés pour défendre les nerfs qui passent dans le creux ; enfin chaque côté se termine par une pointe en bouton pour l'insertion des muscles.

La substance des vertebres cervicales, sur tout de leurs corps, n'est pas si poreuse ni si tendre que celle des deux autres classes de vertebres.

Jusques-là, toutes les vertebres cervicales se ressemblent ; mais outre ces caracteres communs elles en ont de particuliers, sur-tout la premiere & la seconde qui les différencient des autres.

La premiere à cause de son usage qui est de soutenir le globe de la tête, a le nom d'atlas : quelques auteurs l'ont aussi appellée épistrophée à cause de son mouvement de rotation sur la vertebre suivante.

L'atlas, différente en cela des autres vertebres de l'épine, n'a point de corps ; mais elle a en place une arcade osseuse, laquelle dans sa partie antérieure convexe a une petite élévation où les muscles longs du cou sont insérés. L'atlas n'a point aussi d'apophyse épineuse ; mais il a en place une large arcade osseuse afin que les muscles qui passent sur cette vertebre en cet endroit, ne soient point blessés lorsque la tête se porte en-arriere. Les processus inférieurs sont larges & tant-soit-peu creusés, ensorte que cette premiere vertebre, différente en cela des six autres, reçoit en-dessus & en dessous les os avec lesquels elle est articulée. Dans les enfans nouveaux-nés, l'atlas n'a que les deux parties latérales d'ossifiées, l'arcade intérieure qui tient lieu du corps, n'étant encore que cartilagineuse.

La seconde vertebre du cou s'appelle dentée à cause de l'apophyse odontoïde qu'elle a à la partie supérieure de son corps. Quelques auteurs l'appellent épistrophée, mais mal-à-propos : cette dénomination étant plus propre à désigner la premiere qui se meut sur celle-ci comme sur son axe.

Le corps de cette vertebre est d'une figure à-peu-près pyramidale, sa partie inférieure étant large & évasée, sur-tout en devant, à l'endroit où il entre dans le creux de la vertebre inférieure ; au lieu que sa partie supérieure a un processus de forme quarrée, avec une petite pointe qui s'éleve du milieu ; c'est cette pointe qu'on a imaginé ressembler à une dent, & qui a fait donner à cette vertebre le nom de dentée.

Cette seconde vertebre, lors de la naissance, consiste en quatre apophyses osseuses ; car outre les trois que j'ai dit être communes à toutes les vertebres, l'apophyse odontoïde de cet os commence à s'ossifier au milieu, & à se joindre comme un appendix au corps de l'os. C'est la raison pour laquelle les sages-femmes doivent mettre des tétieres aux enfans nouveaux-nés, pour empêcher que leur tête ne se porte trop en arriere, jusqu'à ce que les muscles aient atteint une force suffisante pour n'avoir plus rien à craindre de ce mouvement dangereux.

Une fois instruits de l'articulation de la premiere & de la seconde vertebre, il nous est plus aisé de concevoir les mouvemens sur ou avec la premiere vertebre. La tête se meut en-devant & en-arriere sur la premiere vertebre, au lieu que l'atlas fait sa rotation sur la seconde vertebre.

Le mouvement rotatoire de la tête nous est utile pour bien des usages, en nous donnant la facilité d'appliquer avec beaucoup de promtitude les organes de nos sens sur les objets ; d'ailleurs il étoit àpropos que l'axe de rotation fût en cet endroit, car s'il eût été bien loin de la tête, lorsque la tête se seroit écartée à quelque distance de la ligne perpendiculaire à cette petite jointure mobile ; comme elle auroit acquis par cet écartement un long levier, à chaque tour qu'elle auroit fait inconsidérément, elle auroit rompu les ligamens qui l'attachent avec les vertebres ; ou-bien il auroit fallu que ces ligamens fussent beaucoup plus forts qu'ils ne doivent être, pour pouvoir être attachés à d'aussi petits os. Ce mouvement circulaire ne pourroit pas non plus sans danger se faire sur la premiere vertebre, parce que la partie immobile de la moëlle allongée en est si proche, qu'à chaque tour le commencement de la moëlle allongée, auroit été en danger d'être offensé par la compression qui se seroit faite sur ses tendres fibrilles. En un mot, il est aisé de se convaincre par toutes ces observations, que la promtitude du mouvement circulaire de la tête nous est d'un grand usage, & que cette seconde vertebre du cou est tout-à-fait propre par sa structure & sa situation, à être l'axe de ce mouvement. Les autres vertebres du cou ne demandent aucun détail. Passons aux douze vertebres dorsales.

Leurs corps sont d'une grosseur mitoyenne entre ceux des vertebres du cou, & ceux des lombaires. Ils sont plus convexes par-devant, que ceux des autres classes, & applatis sur les côtés par la pression des côtes qui y sont insérées dans des petites cavités.

Cet applatissement des côtes qui donne à ces vertebres la figure d'un demi-ovale, est avantageux en ce qu'il procure une plus ferme articulation aux côtes, facilite la division de la trachée-artere à un petit angle, & garantit les autres gros vaisseaux dans leurs cours de l'action des organes vitaux. La partie postérieure de ces corps est plus concave que dans deux autres classes. Leurs surfaces supérieures sont toutes horisontales, & ont leurs bords garnis d'épiphyses, qui, selon Fallope, ne sont autre chose que quelques parties des ligamens qui s'y rendent, lesquelles sont devenues osseuses.

Les cartilages placés entre les corps de ces vertebres, sont plus minces que dans les autres vertebres vraies, & contribuent à la concavité de cette portion de l'épine vers sa partie antérieure.

De plus, les corps des quatres vertebres dorsales supérieures s'écartent de la regle des autres vertebres qui deviennent plus gros à mesure qu'ils vont en descendant ; car la premiere de ces quatre est la plus grosse, & les trois autres inférieures vont en appétissant par degrés, pour donner à la trachée artere & aux gros vaisseaux la facilité de se partager à petits angles.

La derniere classe des vertebres vraies est celle des cinq lombaires, qu'on peut distinguer des autres vertebres par les marques suivantes.

1°. Leurs corps, quoique d'une forme circulaire à leur partie antérieure, sont un peu oblongs d'un côté à l'autre ; ce qui peut être occasionné par la pression des gros vaisseaux & des visceres.

2°. Les cartilages d'entre ces vertebres sont les plus épais de tous, & rendent l'épine convexe en-dedans de l'abdomen, leur plus grande épaisseur étant de ce côté-là.

3°. Les processus obliques sont forts & profonds ; les processus transverses sont petits, longs, & tournés en en-haut, pour donner un mouvement aisé à chaque os ; les processus épineux sont forts, étroits & horisontaux.

4°. Le canal qui contient la moëlle spinale est plus large en cet endroit qu'au dos.

De tout ce qui précede, on peut déduire les usages des vertebres vraies, & les réduire à ce petit nombre de chefs ; nous faire tenir une posture droite, donner un mouvement suffisant & sûr à la tête, au cou, & au tronc du corps dans toutes les occasions nécessaires ; enfin supporter & défendre les visceres, & les autres parties molles.

Après avoir considéré la structure des vertebres & leurs attaches, c'est ici le lieu de remarquer quelle attention la nature a prise pour qu'on ne puisse les séparer que très-difficilement ; car leurs corps sont tellement engagés les uns dans les autres, qu'il n'est pas possible qu'ils se déplacent d'aucune maniere, comme dans les vertebres du cou, ou bien ces corps sont appuyés sur tous les côtés, comme celles du dos le sont par les côtes, où les surfaces du contact sont si larges, & leurs ligamens si forts, qu'ils en rendent la séparation presque impraticable ; telles sont celles des lombes, tandis que la profondeur de l'articulation des processus obliques sont exactement proportionnés à la quantité de mouvemens que les autres parties de l'os lui permettent, ou que les muscles lui font faire.

Cependant comme ces processus obliques sont petits, & par conséquent incapables d'assûrer l'union autant que des corps plus larges, ils céderont les premiers à une force disjonctive. Mais aussi leur dislocation n'est pas à beaucoup près d'une si pernicieuse conséquence ; quoique leur déplacement occasionne le tiraillement des muscles, des ligamens, & de la moëlle spinale même. Mais si c'étoit le corps de la vertebre qui fût dérangé de sa place, la moëlle spinale seroit totalement comprimée, & entierement détruite.

Les fausses vertebres composent la pyramide inférieure de l'épine : elles sont avec raison distinguées des autres par l'épithete de fausses, parce que, quoique chacune d'elles ressemble aux véritables vertebres par la figure, cependant aucune n'est d'un pareil usage pour le mouvement du tronc du corps, toutes sont intimément unies, excepté à un endroit, où est une jointure mobile, ce qui fait qu'on divise communément les vertebres fausses en deux os, l'os sacrum & le coccyx. Voyez COCCYX & SACRUM OS.

Finissons par observer que les vertebres sont sujettes comme les autres os, à des jeux de la nature ; je m'arrêterai pour exemple, aux seules vertebres du dos. J'ai dit qu'il y en a douze, cependant on en trouve quelquefois onze, & quelquefois treize dans des hommes forts, grands, avec autant de côtes de chaque côté.

Leurs apophyses épineuses ne sont point fourchues à l'extrêmité ; cependant Tulpius, médecin illustre, & bourguemestre d'Amsterdam, rapporte les avoir vu toutes fourchues dans un sujet.

Enfin les petites cavités avec lesquelles les éminences des côtes s'attachent aux vertebres du dos, ne se trouvent pas toutes aux mêmes endroits ; quelquefois cette jonction se fait à la partie inférieure, d'autrefois à la partie supérieure, & d'autrefois aux corps de la vertebre.

M. Poupart ayant ouvert le cadavre d'un particulier âgé de cent ans, il trouva que les neuf vertebres inférieures dorsales ne composoient qu'un seul os ; les apophyses transverses à droite & à gauche étoient incrustées d'une matiere osseuse blanche, dernier période de la nature ; tel un vieil arbre avant que de périr, offre un tronc sec, couvert d'une écorce blanchâtre, où la seve ne se porte plus. (D.J.)


VERTELS. m. (Com.) on nomme ainsi à Heidelberg, dans le Palatinat, la mesure des liquides qu'on appelle fertel, dans tout le reste de l'Allemagne. Voyez FERTEL.

Le vertel est encore une mesure de grains dont on se sert à Anvers. Trente-deux vertels & demi d'Anvers font dix-neuf septiers de Paris. Diction. de Commerce.


VERTELLES. f. (Salines) espece de bonde, comme celle d'un étang, qui sert à fermer les varaignes dans les marais salans.

Ces varaignes sont des ouvertures que l'on fait aux digues, pour introduire l'eau de la mer dans les réservoirs pour s'y échauffer, fermenter & se convertir en sel ; & comme il faut que ces ouvertures puissent s'ouvrir & se fermer à discrétion pour laisser entrer l'eau & la retenir, cela se fait avec la vertelle. (D.J.)


VERTENELLES. f. (Gram. & Mar.) pentures & gonds, ou charnieres doubles, qui tiennent le gouvernail suspendu à l'étambor, & sur lesquelles il se meut.


VERTERELLESS. f. (Serrur.) pieces de fer en forme d'anneaux qu'on fiche dans une porte pour faire couler & retenir le verrouil des serrures à bosse.


VERTERIS(Géog. anc.) ville de la Grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Blatum Bulgium à Castra Exploratorum, entre Brovonacis & Lavatris, à 13 milles du premier de ces lieux, & à 14 milles du second. C'étoit la résidence d'un préfet, selon la notice des dignités de l'empire ; mais ce n'est plus aujourd'hui qu'un village à 2 milles de l'Eden, & connu sous le nom de Burgh, autrement Burghupon Steenmore, selon Cambden. (D.J.)


VERTES-DIXMES(Jurisprudence) voyez au mot DIXME l'article DIXME-VERTE & DIXME-MENUE.


VERTEUIL(Géog. mod.) petite ville de France, dans l'Angoumois, sur la Charente, dans une belle situation, avec titre de baronie.

VERTEUIL, (Géog. mod.) petite ville de France, dans la Guienne, au pays de Médoc, dans le diocèse de Bordeaux, entre la Girone & la mer, avec une abbaye d'hommes de l'ordre de S. Augustin.


VERTHES(Géog. mod.) montagne de la basse-Hongrie, connue autrefois sous le nom de mons Clipeorum. Elle est entre Gran & Albe-royale ; & les Allemands l'appellent Schiltperg. (D.J.)


VERTICALadj. (Géomet.) se dit en général, de ce qui est perpendiculaire à l'horison, ou, pour parler d'une maniere plus vulgaire, de ce qui est à-plomb.

Ce mot vient du latin vertex, sommet, parce qu'une ligne tirée par le sommet de notre tête, & par la plante de nos piés, est toujours perpendiculaire à l'horison. (O)

VERTICAL, cercle vertical, (Astronomie) est un grand cercle de la sphere passant par le zénith Z, par le nadir N, (Planche astron. fig. 6.) & par un autre point donné de la surface de la sphere, comme B. Voyez CERCLE & SPHERE.

Les cercles verticaux sont aussi appellés azimuths. Voyez AZIMUTH. Le méridien d'un lieu quelconque est un vertical. Voyez MERIDIEN. Tous les cercles verticaux se coupent mutuellement au zénith & au nadir. Voyez ZENITH & NADIR.

L'usage des cercles verticaux est de mesurer la hauteur des astres & leur distance du zénith, qui se comptent sur ces cercles mêmes, & de mesurer les amplitudes ortives & occases par la distance de ces cercles au méridien. Voyez HAUTEUR, AMPLITUDE, &c.

Le premier vertical est celui qui coupe perpendiculairement le méridien ; il passe par les points équinoxiaux.

Le vertical du soleil est celui qui passe par le centre du soleil au moment d'une observation. Il est d'un grand usage dans la Gnomonique pour trouver la déclinaison du plan sur lequel on veut tracer un cadran.

Le plan vertical dans la perspective est un plan perpendiculaire au plan géométral ; le plan vertical passe par l'oeil, & coupe le plan du tableau à angle droit. Voyez PLAN.

Le vertical, dans les coniques, est un plan passant par le sommet du cône, & parallele à quelque section conique.

La ligne verticale, dans les coniques, est une ligne droite tirée sur un plan vertical, & passant par le sommet du cône.

Cadran vertical, est un cadran solaire fait sur un plan vertical ou perpendiculaire à l'horison.

On l'appelle de plus oriental ou occidental, ou méridional, ou septentrional, s'il se trouve exposé directement à l'un des quatre points cardinaux, &c.

Lorsque les cadrans ne sont pas exposés directement à l'un des quatre points verticaux, on les appelle déclinans.

Et si leurs plans ne sont pas exactement verticaux, on dit qu'ils sont inclinés.

Le point vertical en Astronomie, est la même chose que le zénith.

Un astre est dit vertical, lorsqu'il passe au zénith d'un lieu.

La ligne verticale dans la Gnomonique, est la ligne qui marque la section du plan du cadran, & d'un cercle vertical, c'est-à-dire, d'un plan perpendiculaire à l'horison.

Pour tracer cette ligne sur un plan quelconque, la meilleure maniere est de laisser pendre un fil à plomb auprès du plan, & de marquer deux points de son ombre sur le plan donné, ensuite tirer une ligne par ces deux points. Voyez GNOMONIQUE. Chambers.


VERTICALEMENTadv. (Physiq. & Méchan.) on dit qu'une chose est placée verticalement, lorsqu'elle est placée à plomb, ou perpendiculairement à l'horison, de maniere qu'elle ne penche pas plus d'un côté que de l'autre.

Tous les corps pesans tombent verticalement, ou tendent à descendre verticalement : ainsi un fil à plomb se met toujours verticalement ; aussi s'en sert-on pour déterminer la situation des choses qu'on veut placer ou verticalement ou horisontalement.


VERTICILLES. m. (Botan.) c'est le bord des cercles des fleurs ou des feuilles qui environnent les tiges ou les branches des plantes, ainsi appellé à cause de sa ressemblance avec le verticillum ou le bord d'un fuseau ou d'une bobine. (D.J.)


VERTICILLÉESen Botanique, est le nom que l'on donne à certaines plantes dont les fleurs se trouvent mêlées avec de petites feuilles qui viennent en forme de peson, appellé en latin verticillum, autour des articulations de la tige ; telles sont le pouliot, le marrube, &c.

Le caractere particulier de ce genre de plantes, selon M. Ray, est que leurs feuilles viennent par paires sur la tige, l'une justement vis-à-vis de l'autre : que la fleur est monopétale, mais ayant ordinairement une espece de levre, ou ressemblant un peu à un casque : que chaque fleur a quatre semences, auxquelles le calice de la fleur sert de capsule séminale.

Le même auteur fait deux especes de ces plantes verticillées : la premiere espece comprend les plantes appellées en latin fructicosae, c'est-à-dire vivaces. Celles-ci se divisent encore en celles qui ont une fleur unie, comme le chamaedrys commun, le teucrium, & le marum syriacum ; & en celles qui ont une fleur avec une levre, & que l'on nomme à cause de cela fleur labiée ; ou une fleur qui ressemble un peu à un casque, & que l'on nomme flos galeatus ; comme le stoechas, l'hyssope, le romarin, la sarriette, le marum commun, le thym commun, & le polium montanum.

La seconde espece comprend les plantes herbacées, ou celles qui ne sont pas vivaces ; comme les menthes, la vervene, le dictame de Crete, l'origan, la marjolaine, le basilic, l'hormin, le galéopsis, le népéta, la bétoine, la prunelle, le stachys, le clinopodium vulgare, le lamium, le moluca, le lierre terrestre, le galériculata, la calamanthe, la mélisse, le marrube commun, le noir, & l'aquatique, le chamaepitys, le scrodonia, le scordium, la bugle, le syderitis, la cardiaca.

Fleurs VERTICILLEES, voyez l'article FLEUR.


VERTICITÉ(Physiq.) Ce terme de physique est employé pour exprimer la position & situation d'une chose qui tend & regarde d'un certain côté. La verticité de l'aiguille aimantée est de tendre du nord au sud. Si l'on fait rougir un morceau de fer, & qu'on le pose du nord au sud pour le faire refroidir, il acquiert par cette opération la même verticité que l'aimant ou l'aiguille aimantée ; mais si vous le faites rougir une seconde fois, & que vous le fassiez refroidir dans une autre position, comme de l'est à l'ouest, il perd alors sa premiere verticité, & en acquiert une nouvelle qui le fait tendre de l'orient à l'occident. (D.J.)


VERTICORDIA(Mythol.) c'étoit à Vénus, ainsi nommée, qu'appartenoit chez les Romains, à ce que prétend Ovide, le soin de la conversion des femmes qui n'avoient pas mérité par une chaste conduite l'amitié de leurs maris. (D.J.)


VERTIGES. m. (Médecine) maladie qui tire son nom & son caractere du mouvement en cercle, & de l'agitation diverse qui paroît à ceux qui en sont affectés, transporter les objets environnans, & même leur propre corps ; ce nom est emprunté du latin vertigo, qui est dérivé de vertere, tourner. Le nom de que les Grecs ont donné à cette maladie a la même signification étymologique, il vient de , qui signifie aussi tourner, mouvoir en rond, gyrare. Mais non-seulement les yeux sont trompés par la fausse apparence de cette prétendue rotation, souvent ils sont en outre privés de leur action, il semble qu'un voile épais les enveloppe, la vue s'obscurcit, & le malade risque dans ces momens de tomber s'il n'est soutenu. Lorsque la vue ne se perd pas tout-à-fait, des petits corpuscules, des piés de mouches paroissent voler autour des yeux ; les Grecs ont appellé ce vertige , vertige ténébreux.

On peut distinguer deux principales especes de vertige, relativement à l'action des causes qui le produisent, aux symptomes particuliers qui les caractérisent, & aux différens remedes qui leur conviennent. Il y a des causes qui portent toute leur action sur le cerveau, partie immédiatement affectée dans cette maladie. Le vertige qui leur donne naissance, est appellé idiopathique, il est précédé par des douleurs de tête, & entraîne à sa suite différentes lésions dans les organes des sens intérieurs ou extérieurs ; il a sur tout pour symptome familier les bourdonnemens & tintemens d'oreille ; il est d'ailleurs plus constant, plus opiniâtre, moins intermittent, & les paroxysmes sont longs & fréquens ; la moindre cause, la plus légere contention d'esprit les renouvelle. D'autres causes agissant loin du cerveau sur différentes parties, & principalement sur l'estomac, n'occasionnent le vertige que par le rapport ou la sympathie que les diverses communications des nerfs établissent entre les parties affectées & le cerveau. C'est alors le vertige sympathique qui est accompagné de quelques symptomes propres à la partie qui peche, des envies de vomir, vomissement, dégoût, langueur d'estomac lorsque ce viscere est en défaut, & qui est outre cela plus ordinairement périodique, & a des intervalles très longs qui ne cessent que par quelque indigestion, ou par quelqu'autre dérangement d'estomac.

Les causes qui produisent le vertige sont entierement multipliées dans les différens auteurs qui ont traité de cette maladie ; le détail qu'ils en ont donné peut être exact, mais il n'est nullement méthodique. Il y a une distinction importante qui leur a échappé, & qui peut seule répandre de l'ordre & de la clarté sur ce grand nombre de causes qu'ils ont confusément exposés ; ils auroient dû appercevoir que les unes excitoient avec plus ou moins de promtitude le dérangement du cerveau qui donne naissance au vertige ; que d'autres mettoient cette disposition en jeu, & qu'il y en avoit enfin qui n'excitoient qu'un vertige momentané nullement maladif.

Dans la premiere classe, on pouvoit compter les passions d'ames trop vives ou trop languissantes, long-tems soutenues, des études forcées, sur-tout immédiatement après le repas ; de grandes contentions d'esprit, des débauches vénériennes excessives, l'usage immodéré du vin & des liqueurs fortes & spiritueuses, des hémorrhagies abondantes, des superpurgations, des douleurs de tête opiniâtres, la suppression des excrétions, sur-tout sanguines, enfin un vice héréditaire du cerveau ; ces causes donnent lieu au vertige idiopathique : elles sont secondées suivant l'observation d'Hippocrate, par la mauvaise température d'une saison pluvieuse, continuellement infectée par des vents du sud, ou d'un hyver rigoureux : l'âge avancé y contribue beaucoup. Aphor. 17, 23 & 31 lib. III. On peut ajouter à ces causes les blessures à la tête, les fractures ou les contusions des os, & sur-tout du pariétal, les épanchemens de sang ou de pus dans le cerveau, &c. Le vertige sympathique dépend plus communément d'un vice de l'estomac qui peut être produit & entretenu par toutes les causes qui donnent des indigestions, voyez ce mot ; par des mauvais sucs croupissans dans ce viscere & les intestins, & sur-tout par un amas de matieres bilieuses. L'usage imprudent de l'ivraye, de la ciguë, & de quelques plantes narcotiques, comme le stramonium, &c. sont des causes assez efficaces du vertige sympathique ; les légumes, les corps farineux, vappides, produisent aussi quelquefois le même effet. Plus rarement les affections du poumon, du foie, de la rate, des intestins & de la matrice donnent lieu au vertige : on a aussi observé que la cause pouvoit se trouver dans quelque membre, & monter comme chez quelques épileptiques, ou plutôt paroître monter en excitant la sensation d'un vent léger un peu froid qui de ces parties parviendroit à la tête.

Lorsque la disposition au vertige est formée, que la maladie est décidée, souvent les symptomes sont excités sans qu'il soit besoin d'aucune autre nouvelle cause pour les déterminer ; d'autres fois cette disposition lente exige pour se manifester d'être mise en jeu ; c'est à quoi se réduit l'effet des causes que nous renfermons dans la seconde classe. De ce nombre sont les moindres contentions d'esprit, les passions d'ame subites, un bruit violent, des cris aigus, &c. pour le vertige idiopathique, & pour celui qui est sympathique, un excès dans le boire ou le manger, l'usage de quelques mets indigestes, une abstinence trop longue, en un mot quelque dérangement d'estomac. En général des odeurs fortes, une lumiere éclatante, le passage subit d'un endroit obscur dans un lieu trop éclairé, la vue trop long-tems appliquée sur un même objet, ou dirigée sur des corps mus avec rapidité ou en cercle, une toux opiniâtre, un mouvement trop promt tel que celui qu'on fait lorsqu'étant assis, on se leve vîte ; le bain, le mouvement d'une voiture, d'un bateau, &c. Toutes ces actions indifférentes pour des sujets sains, excitent le vertige idiopathique ou sympathique dans ceux qui sont mal disposés.

Le troisieme ordre des causes comprend celles qui donnent le vertige momentané aux personnes qui n'y ont aucune disposition, & qui à plus forte raison renouvelle le paroxisme dans les autres ; telles sont l'agitation de son propre corps en cercle, sur-tout lorsqu'on a les yeux ouverts. Personne n'ignore que lorsqu'on a les yeux fermés, à moins qu'on ne tourne avec rapidité sur soi-même, & qu'on ne décrive un très-petit cercle, on ne risque pas d'avoir le vertige, & c'est cette observation qui a introduit la coutume de boucher les yeux des animaux qu'on occupe à faire aller les moulins, les puits à roue, à battre le blé dans certains pays, & enfin aux divers travaux qui exigent qu'ils décrivent toujours un cercle ; mais on a l'attention nécessaire de ne pas faire le cercle trop petit, soit pour donner au levier plus de longueur & par conséquent plus de force, soit aussi sans-doute pour empêcher que ces animaux bien tôt attaqués du vertige ne tombent engourdis ; & c'est dans ce cas que les aveugles peuvent être sujets au vertige, même momentané : ils ne sont point exempts de celui qui est réellement maladif, produit par des vices internes, & il n'est pas nécessaire d'y voir pour l'éprouver, puisqu'il n'est pas rare que les malades en ressentent des atteintes étant couchés, & même endormis ; ils s'imaginent tourner avec leur lit, & transportés tantôt en haut, tantôt en bas, & sans-dessus-dessous comme on dit. Les autres causes de cette classe, sont la situation de la tête penchée vers la terre pendant trop long tems, les regards portés de dessus une hauteur considérable sur un précipice effrayant, sur une multitude innombrable de personnes mûes en divers sens, & sur tout en rond, sur un fleuve rapide ou sur une mer agitée, &c. Il n'est personne qui ne soit à ces aspects saisi du vertige, & qui ne courre le danger de tomber s'il ne se retire promtement, ou s'il ne ferme les yeux à l'instant.

Telles sont les diverses causes apparentes que l'observation nous apprend, produire, déterminer & exciter ordinairement le vertige. Soumises au témoignage des sens, elles sont certainement connues, mais leur maniere d'agir cachée dans l'intérieur de la machine, est un mystere pour nous. Réduits pour le percer à la foible & incertaine lueur du raisonnement plus propre à nous égarer qu'à nous conduire, nous n'avons que l'alternative de garder le silence, ou de courir le risque trop certain de debiter inutilement des erreurs & des absurdités ; tel est le sort des auteurs qui ont voulu hasarder des explications ; toujours différens les uns des autres, se combattant, & se vainquant mutuellement, ils n'ont fait que prouver la difficulté de l'entreprise, & marquer par leur naufrage les écueils multipliés sans même les épuiser. Après toutes leurs dissertations frivoles, il n'en a pas moins été obscur comment agissent les causes éloignées du vertige, quel est leur méchanisme, quel effet il en résulte, de quelle nature est le dérangement intérieur qui doit être la cause prochaine du vertige, où est son siege, s'il est dans les humeurs des yeux, dans les membranes, dans les vaisseaux, dans les nerfs ou dans le cerveau. Je n'entreprends point de répondre à ces questions, d'essayer de dissiper cette obscurité, je laisse ces recherches frivoles à ceux qui sont plus oisifs & plus curieux d'inutilité ; je remarquerai seulement que le vertige étant une dépravation dans l'exercice de la vision, il faut nécessairement que les nerfs qui servent à cette fonction soient affectés par des causes intérieures de la même façon qu'ils le seroient par le mouvement circulaire des objets extérieurs, & que cette affection doit avoir différentes causes dans le vertige idiopathique, dans le vertige sympathique, & dans le vertige momentané ; que dans le premier, le dérangement est sûrement dans le cerveau, & dans le dernier il n'est que dans la rétine.

Les observations cadavériques confirment ce que nous venons de dire au sujet du vertige idiopathique, & découvrent quelques causes cachées dans la cavité du crâne ; Bauhin & Plater rapportent, qu'un homme après avoir eu pendant plusieurs années un vertige presque continuel, & si fort qu'il le retenoit toujours au lit, tomba dans une affection soporeuse qui, s'augmentant peu-à-peu, devint le sommeil de la mort. A l'ouverture de la tête, on trouva tous les ventricules & les anfractuosités du cerveau remplis d'une grande quantité d'eau, les arteres presqu'entierement endurcies & obstruées. Scultet fait mention d'un homme qui ayant reçû un coup sur le devant de la tête, qui avoit laissé une contusion peu considérable que quelques remedes dissiperent, fut pendant plus d'un an tourmenté de vertige, & malgré tous les remedes mourut, après ce tems, apoplectique ; en examinant le cerveau, il vit une espece de follicule de la grosseur d'un oeuf de poule, rempli d'eau & de petits vers qui étoit placé sur le troisieme ventricule qu'il comprimoit. Il observa la même cause de vertige & de mort dans deux brebis J. Scultet, chirurg. armamentor. observ. 10 & 11. la même observation s'est présentée plusieurs fois sur ces animaux fort sujets au vertige, & une seule fois sur l'homme à Rolfinckius, Dissert. anat. lib. I. cap. xiij. Wepfer dit aussi avoir trouvé dans une genisse attaquée de vertige, une vessie plus grosse qu'un oeuf de poule qui occupoit le ventricule gauche, & l'avoit extrêmement distendu ; le même auteur rapporte que dans un quartier de la Suisse, les boeufs sont très-sujets à cette maladie, & pour les en délivrer, les bouviers leur donnent un coup de marteau sur la tête entre les cornes, & si par le son que rend le crâne, ils croient s'apperçevoir que cette partie est vuide, ils y font un trou avec une espece de trépan & y introduisent une plume ; si en suçant ils tirent de l'eau de ces vésicules, l'opération sera heureuse, si au contraire, les vésicules trop profondes ne laissent pas venir de l'eau par la suction ; ils jugent que la santé ne peut revenir, & en conséquence ils font assommer le boeuf par le boucher qu'ils ont toujours présent à cette opération. On rencontre souvent, selon le même auteur, dans les chevaux, les boeufs attaqués de vertiges, des hydatides plus ou moins étendues. Wepfer, de apoplex. pag. 69. Bartholin observa dans un boeuf toute la substance du cerveau noire comme de l'encre & dans une entiere dissolution. Ce vice étoit porté à un plus haut degré dans la partie gauche, côté vers lequel le boeuf fléchissoit plus communément la tête. Actor. medic. ann. 1671. obs. 33.

Tous ces dérangemens sensibles observés dans le cerveau, ne nous instruisent pas de la nature du vice particulier, qui dérobé à nos sens, excite plus prochainement le vertige ; mais ils nous font connoître qu'il y a réellement des vertiges idiopatiques, & que par conséquent, ceux qui ont prétendu qu'ils dépendoient tous de l'affection de l'estomac se sont trompés en généralisant trop leurs prétentions ; nous pouvons encore juger de ces observations, que le vertige n'est pas une maladie aussi legere & aussi peu dangereuse, qu'on le croit communément & que l'assure Willis. Vertigo, dit-il inconsidérément, ex se satis est tutus morbus. (de morb. ad anim. corpor.) Lorsqu'il a son siege dans le cerveau, outre qu'il est extrêmement difficile à guérir, il risque aussi d'occasionner la mort, & il dégénere souvent en affection soporeuse dont il est un des signes avant coureurs les plus assurés : " Attendez vous, dit Hippocrate, à voir survenir l'apoplexie, l'épilepsie, ou la léthargie à ceux qui sont attaqués de vertige, & qui en même-tems ont des douleurs de tête, tintemens d'oreille, sans fievre, la voix lente & embarrassée, & les mains engourdies ; coac. praenot. cap. iv. n °. 2. Les vertiges occasionnés par des hémorroïdes peu apparentes, ajoute dans un autre endroit cet excellent observateur, annoncent une paralysie légere & longue à se former, la saignée peut la dissiper, cependant ces accidens sont toujours très fâcheux, coac. praenot. cap. xij. n °. 21. Les fievres vertigineuses, dit le même auteur, sont toujours de très-mauvais caractere, soit qu'elles soient accompagnées de la passion iliaque, soit aussi qu'elles n'aient pas à leur suite ce symptome dangereux " ; ibid. cap. iij. n °. 1. Le vertige dégénere souvent en mal de tête opiniâtre, & réciproquement il lui succéde quelquefois lorsque le vertige est récent ; quoiqu'il soit idiopathique, on peut en espérer la guérison, sur-tout s'il doit sa naissance à quelque cause évidente qu'on puisse aisément combattre, la nature le dissipe quelquefois elle même, suivant l'observation d'Hippocrate, en excitant une hémorrhagie du nez. Vertigines ab initio sanguinis è naribus fluxio solvit. (coac. praenot. cap. xiij. n °. 16.) Le vertige sympathique est beaucoup moins grave & moins dangereux que l'autre, les dérangemens d'estomac sont bien plus faciles à guérir que ceux de la tête ; lorsqu'il se rencontre avec un défaut d'appétit, l'amertume de la bouche & la cardialgie, il est une indication pressante de l'émétique, Hippocr. aphor. 18. lib. IV. Enfin le vertige momentané ne peut pas passer pour maladie, il n'a d'autre danger que d'occasionner une chûte qui peut être funeste, danger qui lui est commun avec les autres especes. Le vertige ténébreux paroît indiquer que la maladie est plus forte & plus enracinée.

La même obscurité qui enveloppe l'aitiologie de cette maladie, se trouve répandue sur le traitement qui lui convient ; en conséquence, chacun a imaginé des méthodes curatives conformes à ses idées théoriques, & comme il arrive dans les choses où l'on n'entend rien, le charlatanisme a gagné, & chaque auteur est devenu proclamateur de quelque spécifique, qu'il a donné comme très-approprié dans tous les cas ; Mayerne faisoit un secret du calamus aromaticus, infusé dans du vin blanc ou de la biere ; un médecin allemand débitoit des pilules qui paroissoient au goût, contenir du sucre de saturne & de la térébenthine ; Théodor. de Mayerne, prax. medic. lib. I.

Hartman vantoit l'efficacité du cinabre naturel, auquel d'autres préféroient le cinabre d'antimoine ; la poudre de paon a été célébrée par Craton, Borellus, Schroeder & Willis, qui lui attribuoit le succès d'une poudre, composée avec la racine & les fleurs de pivoine mâle, dans laquelle il la faisoit entrer & qu'il délayoit dans du caffé, ou dans un verre de décoction de sauge ou de romarin ; il y en a qui ont regardé & vendu comme un remede assuré & promt, le cerveau de moineaux, d'autres l'essence de cicogne ; un danseur de corde dont parle Joannes Michaël, débitoit aux malades crédules de la poudre d'écureuil, comme un remede merveilleux ; quelques-uns ont proposé comme très-efficace l'huile de buis, recommandant d'en frotter les pouls (les carpes), les tempes, le palais, le col & la plante des piés ; ces applications extérieures ont été variées à l'infini, & il n'y a pas jusqu'à la poudre de vers-à-soie qu'on n'ait conseillé de répandre sur le sommet de la tête ; enfin, l'on n'a pas oublié les amuletes, application bien digne de ceux qui l'ordonnent & de ceux qui ont la bêtise de s'en servir.

Sans m'arrêter à faire la critique de tous ces arcanes prétendus spécifiques, & à prouver que la plûpart sont des remedes indifférens, inefficaces, fatua, uniquement propres à duper le vulgaire sottement crédule, ou même quelquefois dangereux, & que les autres pour avoir réussi dans certains cas, ne doivent pas être regardés comme des remedes généraux ; je remarquerai qu'on doit varier le traitement des vertiges suivant ses différentes especes, les causes qui l'ont produit, le tempérament & la constitution propre du malade ; en conséquence dans le vertige idiopathique, il est quelquefois à propos de faire saigner le malade, sur-tout lorsqu'il est sanguin, & qu'on craint une attaque d'apoplexie ; il faut le purger souvent, le dévoiement est la crise la plus avantageuse dans les maladies de la tête, l'art doit ici suppléer au défaut de la nature ; s'il y a eu quelque excrétion supprimée, il ne faut attendre la guérison que de son rétablissement ; si le vertige est un effet d'épuisement survenu à des débauches, à des hémorrhagies, superpurgations, &c. les secours moraux & diététiques, les remedes légerement cordiaux, restaurans, toniques, sont les plus appropriés : lorsqu'il est occasionné par trop d'application, de travail, &c. le principal remede consiste à retrancher une grande partie de l'étude, & à dissiper beaucoup le malade, &c. du reste, dans toutes ces especes de vertige, on peut insister sur tous ces remedes céphaliques, aromatiques, sur les décoctions, les poudres, les conserves, les extraits de romarin, de menthe, de calamus aromaticus, de coriandre, de pivoine, de fleurs de tilleul, de sauge, &c. on peut aussi avoir recours, si ces remedes sont insuffisans, aux vésicatoires, au seton, au cautere que Mayerne conseille d'appliquer sur l'os pariétal ; dans le vertige sympathique dépendant de l'affection de l'estomac, il faut suivant le précepte d'Hippocrate, avoir recours à l'émétique, le réitérer, de même que les purgatifs cathartiques, faire souvent couler la bile par des pilules cholagogues, & fortifier enfin ce viscere par les stomachiques, amers, aloëtiques, &c. de son côté, le malade doit par un régime convenable se procurer de bonnes digestions, & soigneusement éviter toute sorte d'excès. (m)


VERTIGOterme de Manege, les maréchaux appellent ainsi des tournoyemens de tête qui arrivent à un cheval, & qui dégénerent en folie.

Cela vient souvent de ce qu'on met un cheval trop tôt au pâturage, avant qu'il soit refroidi ; pour-lors comme il porte sa tête bien basse pour manger, les mauvaises humeurs s'y engendrent, & attaquant le cerveau, sont la cause prochaine de cette maladie. Elle vient aussi quelquefois de ce que le cheval a trop travaillé dans la chaleur, ce qui lui enflamme le sang, &c. & quelquefois des mauvaises odeurs qui sont dans l'écurie ; pour avoir trop mangé, &c.

Les symptomes de cette maladie sont l'obscurcissement de la vue, des étourdissemens, le larmoyement des yeux, &c. à la longue, la douleur qu'il ressent l'oblige à frapper de la tête contre la muraille, à la fourrer dans la litiere, à se lever & se coucher brusquement, &c.

Il y a différentes manieres de guérir cette maladie, mais toutes commencent par la saignée.


VERTU(Ord. encyclop. Mor. Polit.) il est plus sûr de connoître la vertu par sentiment, que de s'égarer en raisonnemens sur sa nature ; s'il existoit un infortuné sur la terre, qu'elle n'eût jamais attendri, qui n'eût point éprouvé le doux plaisir de bien faire, tous nos discours à cet égard seroient aussi absurdes & inutiles, que si l'on détailloit à un aveugle les beautés d'un tableau, ou les charmes d'une perspective. Le sentiment ne se connoit que par le sentiment ; voulez vous savoir ce que c'est que l'humanité ? fermez vos livres & voyez les malheureux : lecteur, qui que tu sois, si tu as jamais goûté les attraits de la vertu, rentre un instant dans toi même, sa définition est dans ton coeur.

Nous nous contenterons d'exposer ici quelques réflexions détachées, dans l'ordre où elles s'offriront à notre esprit, moins pour approfondir un sujet si intéressant, que pour en donner une légere idée.

Le mot de vertu est un mot abstrait, qui n'offre pas d'abord à ceux qui l'entendent, une idée également précise & déterminée ; il désigne en général tous les devoirs de l'homme, tout ce qui est du ressort de la morale ; un sens si vague laisse beaucoup d'arbitraire dans les jugemens ; aussi la plûpart envisagent-ils la vertu moins en elle-même, que par les préjugés & les sentimens qui les affectent ; ce qu'il y a de sûr c'est que les idées qu'on s'en forme dépendent beaucoup des progrès qu'on y a fait ; il est vrai qu'en général les hommes s'accorderoient assez sur ce qui mérite le nom de vice ou de vertu, si les bornes qui les séparent étoient toujours bien distinctes ; mais le contraire arrive souvent : de-là ces noms de fausses vertus, de vertus outrées, brillantes, ou solides ; l'un croit que la vertu exige tel sacrifice, l'autre ne le croit pas : Brutus, consul & pere, a-t-il dû condamner ses enfans rébelles à la patrie ? la question n'est pas encore unanimement décidée ; les devoirs de l'homme en société sont quelquefois assez compliqués & entremêlés les uns dans les autres, pour ne pas s'offrir aussi tôt dans leur vrai jour ; les vertus mêmes s'arrêtent, se croisent, se modifient ; il faut saisir ce juste milieu en-deçà ou en-delà duquel elles cessent d'être, ou perdent plus ou moins de leur prix ; là, doit s'arrêter votre bienfaisance, ou la justice sera blessée ; quelquefois la clémence est vertu, d'autres fois elle est dangereuse : d'où l'on voit la nécessité des principes simples & généraux, qui nous guident & nous éclairent ; sur-tout il faut juger des actions par les motifs, si l'on veut les apprécier avec justesse ; plus l'intention est pure, plus la vertu est réelle. Eclairez donc votre esprit, écoutez votre raison, livrez-vous à votre conscience, à cet instinct moral si sûr & si fidele, & vous distinguerez bien-tôt la vertu, car elle n'est qu'une grande idée, ou plutôt qu'un grand sentiment. Nos illusions à cet égard sont rarement involontaires, & l'ignorance de nos devoirs est le dernier des prétextes que nous puissions alléguer. Le coeur humain, je l'avoue, est en proie à tant de passions, notre esprit est si inconséquent, si mobile, que les notions les plus claires semblent quelquefois s'obscurcir ; mais il ne faut qu'un moment de calme pour les faire briller dans tout leur éclat ; quand les passions ont cessé de mugir, la conscience nous sait bien parler d'un ton à ne pas s'y méprendre ; le vulgaire à cet égard est souvent plus avancé que les philosophes, l'instinct moral est chez lui plus pur, moins altéré ; on s'en impose sur ses devoirs à force d'y réfléchir, l'esprit de systême s'oppose à celui de vérité ; & la raison se trouve accablée sous la multitude des raisonnemens. " Les moeurs & les propos des paysans, dit Montagne, je les trouve communément plus ordonnés, selon la prescription de la vraie philosophie, que ne sont ceux des philosophes. "

On n'ignore pas que le mot de vertu répondoit dans son origine, à celui de force & de courage ; en effet il ne convient qu'à des êtres qui, foibles par leur nature, se rendent forts par leur volonté ; se vaincre soi même, asservir ses penchans à sa raison, voila l'exercice continuel de la vertu : nous disons que Dieu est bon & non pas vertueux, parce que la bonté est essentielle à sa nature, & qu'il est nécessairement & sans effort souverainement parfait. Au reste, il est inutile d'avertir que l'honnête homme & l'homme vertueux sont deux êtres fort différens ; le premier se trouve sans peine, celui-ci est un peu plus rare ; mais enfin qu'est-ce que la vertu ? en deux mots c'est l'observation constante des loix qui nous sont imposées, sous quelque rapport que l'homme se considere. Ainsi le mot générique de vertu comprend sous lui plusieurs especes, dans le détail desquelles il n'est pas de notre objet d'entrer. Voyez dans ce Diction. les divers articles qui s'y rapportent, & en particulier, droit naturel, morale, devoirs. Observons seulement que quelque nombreuse que puisse être la classe de ces devoirs, ils découlent tous cependant du principe que nous venons d'établir ; la vertu est une, simple & inaltérable dans son essence, elle est la même dans tous les tems, tous les climats, tous les gouvernemens ; c'est la loi du Créateur qui donnée à tous les hommes, leur tient par-tout le même langage : ne cherchez donc pas dans les loix positives, ni dans les établissemens humains, ce qui constitue la vertu ; ces loix naissent, s'alterent, & se succèdent comme ceux qui les ont faites ; mais la vertu ne connoit point ces variations, elle est immuable comme son Auteur. En vain nous oppose-t-on quelques peuples obscurs, dont les coutumes barbares & insensées semblent témoigner contre nous ; en vain le sceptique Montagne ramasse-t-il de toutes parts des exemples, des opinions étranges, pour insinuer que la conscience & la vertu semblent n'être que des préjugés qui varient selon les nations ; sans le réfuter en détail, nous dirons seulement que ces usages qu'il nous allegue, ont pu être bons dans leur origine, & s'être corrompus dans la suite ; que d'institutions nous paroissent absurdes, parce que nous en ignorons les motifs ? ce n'est pas sur des exposés souvent infideles, que des observateurs philosophes doivent fonder leur jugement. Le vol autorisé par les loix, avoit à Lacédémone son but & son utilité, & l'on en concluroit mal qu'il fût un crime chez les Spartiates ou qu'il ne l'est pas ailleurs : quoi qu'il en soit, il est certain que par-tout l'homme désintéressé veut essentiellement le bien ; il peut s'égarer dans la voie qu'il choisit, mais sa raison est au-moins infaillible, en ce qu'il n'adopte jamais le mal comme mal, le vice comme vice, mais l'un & l'autre souvent comme revêtus des apparences du bien & de la vertu. Ces sauvages par exemple, qui tuent leurs malades, qui tranchent les jours de leurs peres lorsqu'ils sont infirmes & languissans, ne le font que par un principe d'humanité mal entendu, la pitié est dans leur intention & la cruauté dans leurs moyens. Quelle que soit la corruption de l'homme, il n'en est point d'assez affreux pour se dire intrépidement à lui-même : " je m'abandonne au crime, à l'inhumanité, comme à la perfection de ma nature ; il est beau d'aimer le vice & de haïr la vertu, il est plus noble d'être ingrat que reconnoissant ". Non, le vice en lui-même est odieux à tous les hommes ; il en coute encore au méchant le plus résolu pour consommer ses attentats, & s'il pouvoit obtenir les mêmes succès sans crime, ne doutons pas qu'il hésitât un instant. Je ne prétends point justifier les illusions, les fausses idées que les hommes se font sur la vertu ; mais je dis que malgré ces écarts, & des apparentes contradictions, il est des principes communs qui les réunissent tous ; que la vertu soit aimable & digne de récompense, que le vice soit odieux & digne de punition, c'est une vérité de sentiment à laquelle tout homme est nécessité de souscrire. On a beau nous opposer des philosophes, des peuples entiers rejettant presque tous les principes moraux, que prouveroit-on par-là, que l'abus ou la négligence de la raison, à moins qu'on ne nie ces principes parce qu'ils ne sont pas innés, ou tellement empreints dans notre esprit, qu'il soit impossible de les ignorer, de les envisager sous des aspects divers ? d'ailleurs ces peuples qui n'ont eu aucune idée de la vertu, tout aussi obscurs que peu nombreux, de l'aveu d'un auteur fort impartial (Bayle), les regles des moeurs se sont toujours conservées partout où l'on a fait usage de la raison : " y a-t-il quelque nation, disoit le plus éloquent des philosophes, où l'on n'aime pas la douceur, la bonté, la reconnoissance, où l'on ne voie pas avec indignation les orgueilleux, les malfaiteurs, les hommes ingrats ou inhumains ? " Empruntons encore un instant les expressions d'un auteur moderne, qu'il n'est pas besoin de nommer : " Jettez les yeux sur toutes les nations du monde, parcourez toutes les histoires, parmi tant de cultes inhumains & bisarres, parmi cette prodigieuse diversité de moeurs, de caracteres, vous trouverez par-tout les mêmes idées de justice & d'honnêteté, par-tout les mêmes notions du bien & du mal. Le paganisme enfanta des dieux abominables, qu'on eût puni ici-bas comme des scélérats, & qui n'offroient pour tableau du bonheur suprême, que des forfaits à commettre, & des passions à contenter ; mais le vice armé d'une autorité sacrée, descendoit envain du séjour éternel, l'instinct moral le repoussoit du coeur des humains. En célébrant les débauches de Jupiter, on admiroit la continence de Xénocrate ; la chaste Lucrèce adoroit l'impudique Vénus ; l'intrépide Romain sacrifioit à la Peur, il invoquoit le dieu qui mutila son pere, & mouroit sans murmure de la main du sien ; les plus méprisables divinités furent servies par les plus grands hommes ; la sainte voix de la Nature, plus forte que celle des dieux, se faisoit respecter sur la terre, & sembloit releguer dans les cieux le crime avec les coupables. "

Cependant si la vertu étoit si facile à connoître, d'où viennent, dit-on, ces difficultés en certains points de morale ? que de travaux pour fixer les limites qui séparent le juste & l'injuste, le vice & la vertu ! considerez la forme de cette justice qui nous gouverne, c'est un vrai témoignage de notre foiblesse, tant il y a de contradictions & d'erreurs. 1°. L'intérêt, les préjugés, les passions, jettent souvent d'épais nuages sur les vérités les plus claires ; mais voyez l'homme le plus injuste lorsqu'il s'agit de son intérêt ; avec quelle équité, quelle justesse il décide, s'il s'agit d'une affaire étrangere ! transportons-nous donc dans le vrai point de vue, pour discerner les objets ; recueillons-nous avec nous mêmes, ne confondons point l'oeuvre de l'homme avec celle du Créateur, & nous verrons bien-tôt les nuages se dissiper, & la lumiere éclater du sein des ténebres. 2°. Toutes les subtilités des casuistes, leurs vaines distinctions, leurs fausses maximes, ne portent pas plus d'atteinte à la simplicité de la vertu, que tous les excès de l'idolâtrie à la simplicité de l'Etre éternel. 3°. Les difficultés qui se présentent dans la morale ou le droit naturel, ne regardent pas les principes généraux, ni même leurs conséquences prochaines, mais seulement certaines conséquences éloignées, & peu intéressantes en comparaison des autres ; des circonstances particulieres, la nature des gouvernemens, l'obscurité, les contradictions des loix positives, rendent souvent compliquées des questions claires en elles-mêmes ; ce qui démontre seulement que la foiblesse des hommes est toujours empreinte dans leurs ouvrages. Enfin la difficulté de résoudre quelques questions de morale, suffira-t-elle pour ébranler la certitude des principes & des conséquences les plus immédiates ? c'est mal raisonner contre des maximes évidentes, & sur-tout contre le sentiment, que d'entasser à grands frais des objections & des difficultés ; l'impuissance même de les résoudre ne prouveroit au fond que les bornes de notre intelligence. Que de faits démontrés en physique, contre lesquels on forme des difficultés insolubles !

On nous fait une objection plus grave ; c'est, disent-ils, uniquement parce que la vertu est avantageuse, qu'elle est si universellement admirée : eh ! cela seul ne prouveroit-il pas que nous sommes formés pour elle ? puisque l'auteur de notre être qui veut sans doute nous rendre heureux, a mis entre le bonheur & la vertu, une liaison si évidente & si intime, n'est-ce pas la plus forte preuve que celle-ci est dans la nature, qu'elle entre essentiellement dans notre constitution ? Mais quels que soient les avantages qui l'accompagnent, ce n'est pas cependant la seule cause de l'admiration qu'on a pour elle ; peut-on croire en effet, que tant de peuples dans tous les tems & dans tous les lieux, se soient accordés à lui rendre des hommages qu'elle mérite, par des motifs entierement intéressés ; ensorte qu'ils se soient crus en droit de mal faire, dès qu'ils l'ont pû sans danger ? N'est-on pas plus fondé de dire, qu'indépendamment d'aucun avantage immédiat, il y a dans la vertu je ne sai quoi de grand, de digne de l'homme, qui se fait d'autant mieux sentir, qu'on médite plus profondément ce sujet ; Le devoir & l'utile sont deux idées très-distinctes pour quiconque veut réfléchir, & le sentiment naturel suffit même à cet égard ; quand Themistocle eut annoncé à ses concitoyens que le projet qu'il avoit formé leur asserviroit dans un instant la Grece entiere, on sait l'ordre qui lui fut donné de le communiquer à Aristide, dont la sagesse & la vertu étoient reconnues ; celui-ci ayant déclaré au peuple, que le projet en question étoit véritablement utile, mais aussi extrêmement injuste, à l'instant les Athéniens, par la bouche desquels l'humanité s'expliquoit alors, défendirent à Themistocle d'aller plus loin ; tel est l'empire de la vertu, tout un peuple de concert rejette sans autre examen un avantage infini, par cela seul qu'il ne peut l'obtenir sans injustice. Qu'on ne dise donc pas que la vertu n'est aimable, qu'autant qu'elle concourt à nos intérêts présens, puisqu'il n'est que trop vrai qu'elle est souvent dans ce monde opposée à notre bien, & que tandis que le vice adroit fleurit & prospere, la simple vertu succombe & gémit ; & cependant en devient-elle alors moins aimable ? ne semble-t-il pas au contraire, que c'est dans les revers & les hazards qu'elle est plus belle, plus intéressante ? loin de rien perdre alors de sa gloire, jamais elle ne brille d'un plus pur éclat que dans la tempête & sous le nuage ; oh, qui peut résister à l'ascendant de la vertu mal heureuse ? quel coeur farouche n'est pas attendri par les soupirs d'un homme de bien ? Le crime couronné fait-il tant d'impression sur nous ; oui, je t'adjure, homme sincere, dis dans l'intégrité de ton coeur, si tu ne vois pas avec plus d'enthousiasme & de vénération, Regulus retournant à Carthage, que Sylla proscrivant sa patrie ; Caton pleurant sur ses concitoyens, que César triomphant dans Rome ; Aristide priant les dieux pour les ingrats Athéniens, que le superbe Coriolan insensible aux gémissemens de ses compatriotes ? Dans la vénération que Socrate mourant m'inspire, quel intérêt puis-je prendre que l'intérêt même de la vertu ? Quel bien me revient-il à moi, de l'héroisme de Caton ou de la bonté de Titus ? ou qu'ai-je à redouter des attentats d'un Catilina, de la barbarie d'un Neron ? cependant je déteste les uns, tandis que j'admire les autres, que je sens mon ame enflammée s'étendre, s'aggrandir, s'élever avec eux. Lecteur, j'en appelle à toi-même, aux sentimens que tu éprouves, lorsqu'ouvrant les fastes de l'histoire, tu vois passer devant toi les gens de bien & les méchans ; jamais astu envié l'apparent bonheur des coupables, ou plutôt leur triomphe n'excita-t-il pas ton indignation ? Dans les divers personnages que notre imagination nous fait revêtir, as-tu desiré un instant d'être Tibere dans toute sa gloire, & n'aurois-tu pas voulu mille fois expirer comme Germanicus, avec les regrets de tout l'Empire, plutôt que de régner comme son meurtrier sur tout l'univers ? On va plus loin (l'esprit humain sait-il s'arrêter ?) " la vertu est, diton, purement arbitraire & conventionnelle, les loix civiles sont la seule regle du juste & de l'injuste, du bien & du mal ; les souverains, les législateurs sont les seuls juges à cet égard ; avant l'établissement des sociétés, toute action étoit indifférente de sa nature ". Rép. On voit que ce noir systême de Hobbes & de ses sectateurs ne va pas à moins qu'à renverser tous les principes moraux sur lesquels cependant repose, comme sur une base inébranlable, tout l'édifice de la société ; mais n'est-il pas aussi absurde d'avancer, qu'il n'y a point de loix naturelles antérieures aux loix positives, que de prétendre que la vérité dépend du caprice des hommes, & non pas de l'essence même des êtres, qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous ses rayons n'étoient pas égaux ? Bien loin que la loi positive ait donné l'être à la vertu, elle n'est elle-même que l'application plus ou moins directe de la raison ou de la loi naturelle, aux diverses circonstances où l'homme se trouve dans la société : les devoirs du bon citoyen existoient donc avant qu'il y eût de cité, ils étoient en germe dans le coeur de l'homme, ils n'ont fait que se développer. La reconnoissance étoit une vertu avant qu'il y eût des bienfaiteurs, le sentiment sans aucune loi l'inspira d'abord à tout homme qui reçut des graces d'un autre ; transportons-nous chez les sauvages les plus près de l'état de nature & d'indépendance, que nul commerce, nulle société ne lie, supposons l'un d'entre eux qu'un autre vient arracher à une bête féroce prête à le dévorer ; dira-t-on que le premier soit insensible à ce bienfait, qu'il regarde son libérateur avec indifférence, qu'il puisse l'outrager sans remords ? qui l'oseroit affirmer seroit digne d'en donner l'exemple. Il est prouvé que la pitié est naturelle à l'homme, puisque les animaux mêmes semblent en donner des signes ; or ce sentiment seul est la source de presque toutes les vertus sociales, puisqu'il n'est autre chose qu'une identification de nous-mêmes avec nos semblables, & que la vertu consiste sur-tout à réprimer le bas intérêt & à se mettre à la place des autres.

Il est donc vrai que nous avons en nous-mêmes le principe de toute vertu, & que c'est d'après ce principe que les législateurs ont dû partir, s'ils ont voulu fonder un établissement durable. Quelle force en effet resteroit-il à leurs loix, si vous supposez que la conscience, le sentiment du juste & de l'injuste ne sont que de pieuses chimeres, qui n'ont d'efficace que par la volonté du souverain ? Voyez que d'absurdités il faut digérer dans vos suppositions ; il s'ensuivroit que les rois qui sont entr'eux en état de nature, & supérieurs aux loix civiles, ne pourroient commettre d'injustice, que les notions du juste & de l'injuste seroient dans un flux continuel comme les caprices des princes, & que l'état une fois dissous, ces notions seroient ensevelies sous ses ruines. La vertu n'existoit pas avant l'établissement des sociétés ; mais comment auroient-elles pu se former, se maintenir, si la sainte loi de la nature n'eût présidé, comme un heureux génie, à leur institution & à leur maintien, si la justice n'eût couvert l'état naissant de son ombre ? Par quel accord singulier presque toutes les loix civiles se fondent-elles sur cette justice, & tentent-elles à enchaîner les passions qui nous en écartent, si ces loix pour atteindre leur but, n'avoient pas dû encore une fois suivre ces principes naturels, qui, quoi qu'on en dise, existoient avant elles ?

" La force du souverain, dites-vous, la constitution du gouvernement, l'enchaînement des intérêts, voilà qui suffit pour unir les particuliers, & les faire heureusement concourir au bien général, &c ".

Pour réfuter ce sentiment, essayons en peu de mots de montrer l'insuffisance des loix pour le bonheur de la société, ou, ce qui est la même chose, de prouver que la vertu est également essentielle aux états & aux particuliers ; on nous pardonnera cette digression, si c'en est une ; elle n'est pas du-moins étrangere à notre sujet. Bien loin que les loix suffisent sans les moeurs & sans la vertu, c'est de celles-ci au contraire qu'elles tirent toute leur force & tout leur pouvoir. Un peuple qui a des moeurs, subsisteroit plutôt sans loix, qu'un peuple sans moeurs avec les loix les plus admirables ; la vertu supplée à tout ; mais rien ne peut la suppléer : ce n'est pas l'homme qu'il faut enchaîner, c'est sa volonté ; on ne fait bien que ce qu'on fait de bon coeur ; on n'obéit aux loix qu'autant qu'on les aime ; car l'obéissance forcée que leur rendent les mauvais citoyens, loin de suffire, selon vos principes, est le plus grand vice de l'état ; quand on n'est juste qu'avec les loix, on ne l'est pas même avec elles : voulez-vous donc leur assurer un empire aussi respectable que sûr, faites-les régner sur les coeurs, ou, ce qui est la même chose, rendez les particuliers vertueux. On peut dire avec Platon qu'un individu représente l'état, comme l'état chacun de ses membres ; or il seroit absurde de dire que ce qui fait la perfection & le bonheur de l'homme, fût inutile à l'état, puisque celui-ci n'est autre chose que la collection des citoyens, & qu'il est impossible qu'il y ait dans le tout un ordre & une harmonie qu'il n'y a pas dans les parties qui le composent. N'allez donc pas imaginer que les loix puissent avoir de force autrement que par la vertu de ceux qui leur sont soumis ; elles pourront bien retrancher des coupables, prévenir quelques crimes par la terreur des supplices, remédier avec violence à quelques maux présens ; elles pourront bien maintenir quelque tems la même forme & le même gouvernement ; une machine montée marche encore malgré le désordre & l'imperfection de ses ressorts ; mais cette existence précaire aura plus d'éclat que de solidité ; le vice intérieur percera par-tout ; les loix tonneroient en vain ; tout est perdu. Quid vanae proficiunt leges sine moribus ? Quand une fois le bien public n'est plus celui des particuliers, quand il n'y a plus de patrie & de citoyens, mais seulement des hommes rassemblés qui ne cherchent mutuellement qu'à se nuire, lorsqu'il n'y a plus d'amour pour la modération, la tempérance, la simplicité, la frugalité, en un mot, lorsqu'il n'y a plus de vertu, alors les loix les plus sages sont impuissantes contre la corruption générale ; il ne leur reste qu'une force nulle & sans réaction ; elles sont violées par les uns, éludées par les autres ; vous les multipliez en vain ; leur multitude ne prouve que leur impuissance : c'est la masse qu'il faudroit purifier : ce sont les moeurs qu'il faudroit rétablir ; elles seules font aimer & respecter les loix : elles seules font concourir toutes les volontés particulieres au véritable bien de l'état : ce sont les moeurs des citoyens qui le remontent & le vivifient, en inspirant l'amour plus que la crainte des loix. C'est par les moeurs qu'Athènes, Rome, Lacédémone ont étonné l'univers, ces prodiges de vertu que nous admirons sans les sentir ; s'il est vrai que nous les admirions encore, ces prodiges étoient l'ouvrage des moeurs : voyez aussi, je vous prie, quel zele, quel patriotisme enflammoit les particuliers ; chaque membre de la patrie la portoit dans son coeur ; voyez quelle vénération les sénateurs de Rome & ses simples citoyens inspiroient à l'ambassadeur d'Epire, avec quel empressement les autres peuples venoient rendre hommage à la vertu romaine, & se soumettre à ses loix. Ombres illustres des Camilles & des Fabricius, j'en appelle à votre témoignage ; dites-nous par quel art heureux vous rendîtes Rome maîtresse du monde & florissante pendant tant de siecles ; est-ce seulement par la terreur des loix ou la vertu de vos concitoyens ? Illustre Cincinnatus, revole triomphant vers tes foyers rustiques, sois l'exemple de ta patrie & l'effroi de ses ennemis ; laisse l'or aux Samnites, & garde pour toi la vertu. O Rome ! tant que tes dictateurs ne demanderont pour fruit de leurs peines que des instrumens d'agriculture, tu régneras sur tout l'univers. Je m'égare ; peut-être la tête tourne sur les hauteurs. Concluons que la vertu est également essentielle en politique & en morale, que le systême dans lequel on fait dépendre des loix tous les sentimens du juste & de l'injuste, est le plus dangereux qu'on puisse admettre, puisqu'enfin, si vous ôtez le frein de la conscience & de la religion pour n'établir qu'un droit de force, vous sappez tous les états par leurs fondemens, vous donnez une libre entrée à tous les désordres, vous favorisez merveilleusement tous les moyens d'éluder les loix & d'être méchans, sans se compromettre avec elles ; or un état est bien près de sa ruine quand les particuliers qui le composent, ne craignent que la rigueur des loix.

Il s'offre encore à nous un problème moral à résoudre : les athées, demande-t-on, peuvent-ils avoir de la vertu, ou, ce qui est la même chose, la vertu peut-elle exister sans nul principe de religion ?

On a répondu à cette question par une autre : un chrétien peut-il être vicieux ? Mais nous devons quelque éclaircissement à ce sujet ; abrégeons.

J'observe d'abord que le nombre des véritables athées n'est pas si grand qu'on le croit ; tout l'univers, tout ce qui existe, dépose avec tant de force à cet égard, qu'il est incroyable qu'on puisse adopter un systême réfléchi & soutenu d'athéisme, & regarder ses principes comme évidens & démontrés ; mais en admettant cette triste supposition, on demande si des Epicures, des Lucreces, des Vanini, des Spinosa peuvent être vertueux ; je réponds qu'à parler dans une rigueur métaphysique, des hommes pareils ne pourroient être que des méchans ; car, je vous prie, quel fondement assez solide restera-t-il à la vertu d'un homme qui méconnoit & viole les premiers de ses devoirs, la dépendance de son créateur, sa reconnoissance envers lui ? Comment sera-t-il docile à la voix de cette conscience, qu'il regarde comme un instinct trompeur, comme l'ouvrage des ouvrages, de l'éducation ; si quelque passion criminelle s'empare de son ame, quel contrepoids lui donnerons-nous, s'il croit pouvoir la satisfaire impunément & en secret ? Des considérations purement humaines le retiendront bien extérieurement dans l'ordre & la bienséance ; mais si ce motif lui manque, & qu'un intérêt pressant le porte au mal ; en vérité, s'il est conséquent, je ne vois pas ce qui peut l'arrêter.

Un athée pourra bien avoir certaines vertus relatives à son bien-être ; il sera tempérant, par exemple, il évitera les excès qui pourroient lui nuire ; il n'offensera point les autres par la crainte des réprésailles ; il aura l'extérieur des sentimens & des vertus qui nous font aimer & considérer dans la société ; il ne faut pour cela qu'un amour de soi-même bien entendu. Tels étoient, dit-on, Epicure & Spinosa, irréprochables dans leur conduite extérieure ; mais, encore une fois, dès que la vertu exigera des sacrifices & des sacrifices secrets, croit-on qu'il y ait peu d'athées qui succombassent ? Helas ! si l'homme le plus religieux, le plus pénétré de l'idée importante de l'Etre suprême, le mieux convaincu d'avoir pour témoin de ses actions son créateur, son juge ; si, disje, un tel homme résiste encore si souvent à de tels motifs, s'il se livre si facilement aux passions qui l'entraînent, voudroit-on nous persuader qu'un athée ne sera pas moins scrupuleux encore ? Je sai que les hommes trop accoutumés à penser d'une maniere, & à agir d'une autre, ne doivent point être jugés si rigoureusement sur les maximes qu'ils professent ; il se peut donc qu'il y en ait dont la croyance en Dieu soit fort suspecte, & qui cependant ne soient pas sans vertus ; j'accorde même que leur coeur soit sensible à l'humanité, à la bienfaisance, qu'ils aiment le bien public, & voudroient voir les hommes heureux ; que conclurons-nous de-là ? c'est que leur coeur vaut mieux que leur esprit ; c'est que les principes naturels, plus puissans que leurs principes menteurs, les dominent à leur insu ; la conscience, le sentiment les presse, les fait agir en dépit d'eux, & les empêche d'aller jusqu'où les conduiroit leur ténébreux systême.

Cette question assez simple en elle-même est devenue si délicate, si compliquée par les sophismes de Bayle & ses raisonnemens artificieux, qu'il faudroit pour l'approfondir passer les bornes qui nous sont prescrites. Voyez dans ce Dictionnaire le mot ATHEES, & l'ouvrage de Warburton sur l'union de la morale, de la religion, & de la politique dont voici en deux mots le précis.

Bayle affirme que les athées peuvent connoître la différence du bien & du mal moral, & agir en conséquence. Il y a trois principes de vertu, 1°. la conscience ; 2°. la différence spécifique des actions humaines que la raison nous fait connoître ; & 3°. la volonté de Dieu. C'est ce dernier principe qui donne aux préceptes moraux le caractere de devoir, d'obligation stricte & positive, d'où il résulte qu'un athée ne sauroit avoir une connoissance complete du bien & du mal moral, puisque cette connoissance est postérieure à celle d'un Dieu législateur, que la conscience & le raisonnement, deux principes dont on ne croit pas l'athée incapable, ne concluent rien cependant en faveur de Bayle, parce qu'ils ne suffisent pas pour déterminer efficacement un athée à la vertu, comme il importe essentiellement à la société. On peut connoître en effet la différence du bien & du mal moral, sans que cette connoissance influe d'une maniere obligatoire sur nos déterminations ; car l'idée d'obligation suppose nécessairement un être qui oblige, or quel sera cet être pour l'athée ?

La raison ; mais la raison n'est qu'un attribut de la personne obligée, & l'on ne peut contracter avec soi-même. La raison en général ; mais cette raison générale n'est qu'une idée abstraite & arbitraire, comment la consulter, où trouver le dépot de ses oracles, elle n'a point d'existence réelle, & comment ce qui n'existe pas peut-il obliger ce qui existe ? L'idée de morale pour être complete renferme donc nécessairement les idées d'obligation, de loi, de législateur & de juge. Il est évident que la connoissance & le sentiment de la moralité des actions ne suffiroit pas, comme il importe, sur-tout pour porter la multitude à la vertu ; le sentiment moral est souvent trop foible, trop délicat ; tant de passions, de préjugés conspirent à l'énerver, à intercepter ses impressions, qu'il est facile de s'en imposer à cet égard ; la raison même ne suffit pas encore ; car on peut bien reconnoître que la vertu est le souverain bien, sans être porté à la pratiquer ; il faut qu'on s'en fasse une application personnelle, qu'on l'envisage comme partie essentielle de son bonheur ; & sur-tout si quelque intérêt actif & présent nous sollicite contr'elle, on voit de quelle importance est alors la croyance d'un Dieu législateur & juge, pour nous affermir contre les obstacles. Le desir de la gloire, de l'approbation des hommes retiendra, dites-vous, un athée ; mais n'est-il pas aussi facile, pour ne rien dire de plus, d'acquérir cette gloire & cette approbation par une hypocrisie bien ménagée & bien soutenue, que par une vertu solide & constante ? Le vice ingénieux & prudent n'auroit-il pas l'avantage sur une vertu qui doit marcher dans un sentier étroit, dont elle ne peut s'écarter sans cesser d'être ; un athée ainsi convaincu qu'il peut être estimé à moins de frais, content de ménager ses démarches extérieures, se livrera en secret à ses penchans favoris, il se dédommagera dans les ténebres de la contrainte qu'il s'impose en public, & ses vertus de théatre expireront dans la solitude.

Qu'on ne nous dise donc pas que les principes sont indifférens, pourvu qu'on se conduise bien, puisqu'il est manifeste que les mauvais principes entraînent tôt ou tard au mal ; on l'a déjà remarqué, les fausses maximes sont plus dangereuses que les mauvaises actions, parce qu'elles corrompent la raison même, & ne laissent point d'espoir de retour.

Les systêmes les plus odieux ne sont pas toujours les plus nuisibles, on se laisse plus aisément séduire, lorsque le mal est coloré par les apparences du bien ; s'il se montre tel qu'il est, il revolte, il indigne, & son remede est dans son atrocité même ; les méchans seroient moins dangereux, s'ils ne jettoient sur leur difformité un voile d'hypocrisie ; les mauvais principes se répandroient moins, s'ils ne s'offroient sous l'appas trompeur d'une excellence particuliere, d'une apparente sublimité. Il faut esperer que l'athéisme décidé n'aura pas beaucoup de prosélytes ; il est plus à craindre qu'on ne s'en laisse imposer par les brillantes, mais fausses idées que certains philosophes nous donnent sur la vertu, & qui ne tendent au fond qu'à un athéisme plus raffiné, plus spécieux : " la vertu, nous disent-ils, n'est autre chose que l'amour de l'ordre & du beau moral, que le desir constant de maintenir dans le systême des êtres ce concert merveilleux, cette convenance, cette harmonie, qui en fait toute la beauté, elle est donc dans la nature bien ordonnée, c'est le vice qui en trouble les rapports, & cela seul doit décider notre choix ; car, sachez, ajoutent-ils, que tout motif d'intérêt, quel qu'il soit, dégrade & avilit la vertu ; il faut l'aimer, l'adorer généreusement & sans espoir ; des amans purs, désintéressés sont les seuls qu'elle avoue, tous les autres sont indignes d'elle. "

Projicit ampullas & sesquipedalia verba.

Tout cela est & n'est pas. Nous avons déjà dit après mille autres, que la vertu par elle-même étoit digne de l'admiration & de l'amour de tout être qui pense, mais il faut nous expliquer ; nous n'avons point voulu la frustrer des récompenses qu'elle mérite, ni enlever aux hommes les autres motifs d'attachement pour elle ; craignons de donner dans les piéges d'une philosophie mensongere, d'abonder en notre sens, d'être plus sages qu'il ne faut. Ces maximes qu'on nous étale avec pompe sont d'autant plus dangereuses, qu'elles surprennent plus subtilement l'amour-propre, on s'applaudit en effet de n'aimer la vertu que pour elle ; on rougiroit d'avoir dans ses actions des motifs d'espoir ou de crainte, faire le bien dans ces principes, avoir Dieu remunérateur présent à son esprit, lorsqu'on exerce la bienfaisance & l'humanité, on trouve là je ne sai quoi d'intéressé, de peu délicat ; c'est ainsi qu'on embrasse le phantôme abstrait qu'on se forge, c'est ainsi qu'on se dénature à force de se diviniser.

Je suppose d'abord, gratuitement peut-être, que des philosophes distingués, un Socrate, un Platon, par exemple, puissent par des méditations profondes s'élever à ces grands principes, & sur-tout y conformer leur vie, qu'ils ne soient animés que par le desir pur de s'ordonner le mieux possible, relativement à tous les êtres, & de conspirer pour leur part à cette harmonie morale dont ils sont enchantés ; j'applaudirai, si l'on veut, à ces nobles écarts, à ces généreux délires, & je ne désavouerai point le disciple de Socrate, lorsqu'il s'écrie, que la vertu visible & personnifiée exciteroit chez les hommes des transports d'amour & d'admiration ; mais tous les hommes ne sont pas des Socrates & des Platons, & cependant, il importe de les rendre tous vertueux ; or ce n'est pas sur des idées abstraites & métaphysiques qu'ils se gouvernent, tous ces beaux systêmes sont inconnus & inaccessibles à la plûpart, & s'il n'y avoit de gens de bien que ceux qu'ils ont produit, il y auroit assurément encore moins de vertu sur la terre. Il ne faut pas avoir fait une étude profonde du coeur humain pour savoir que l'espoir & la crainte sont les plus puissans de ses mobiles, les plus actifs, les plus universels de ses sentimens, ceux dans lesquels se résolvent tous les autres ; l'amour de soi-même, ou le desir du bonheur. L'aversion pour la peine est donc aussi essentielle à tout être raisonnable que l'étendue l'est à la matiere ; car, je vous prie, quel autre motif le feroit agir ? Par quel ressort seroit-il remué ? Comment s'intéresseroit pour les autres celui qui ne s'intéresseroit pas pour lui-même ?

Mais s'il est vrai que l'intérêt, pris dans un bon sens, doit être le principe de nos déterminations, l'idée d'un Dieu rémunérateur est donc absolument nécessaire pour donner une base à la vertu, & engager les hommes à la pratiquer. Retrancher cette idée, c'est se jetter, comme nous l'avons dit, dans une sorte d'athéisme, qui pour être moins direct, n'en est pas moins dangereux. Affirmer que Dieu, le plus juste & le plus saint de tous les êtres, est indifférent sur la conduite & sur le sort de ses créatures ; qu'il voit d'un oeil égal le juste & le méchant, qu'est-ce autre chose que de l'anéantir, au moins par rapport à nous ; de rompre toutes nos relations avec lui ? c'est admettre le dieu d'Epicure, c'est n'en point admettre du tout.

Si la vertu & le bonheur étoient toujours inséparables ici bas, on auroit un prétexte plus spécieux pour nier la nécessité d'une autre économie, d'une compensation ultérieure, & le systême que nous combattons offriroit moins d'absurdités ; mais le contraire n'est que trop prouvé. Combien de fois la vertu gémit dans l'opprobre & la souffrance ! que de combats à livrer ! que de sacrifices à faire ! que d'épreuves à soutenir, tandis que le vice adroit obtient les prix qui lui sont dûs, en se frayant un chemin plus large, en recherchant avant tout son avantage présent & particulier ! La conscience, dira-t-on, le bon témoignage de soi. Ne grossissons point les objets, dans des circonstances égales le juste est moins heureux, ou plus à plaindre que le méchant ; la conscience fait pencher alors la balance en sa faveur ; s'il est en proie à l'affliction, elle en tempere bien les amertumes. Mais enfin elle ne le rend point insensible, elle n'empêche point qu'il ne soit en effet malheureux ; elle ne suffit donc point pour le dédommager, il a droit de prétendre à quelque chose de plus, la vertu n'est point quitte envers lui ; on lutteroit envain contre le sentiment, la douleur est toujours un mal, la coupe de l'ignominie est toujours amere, & les dogmes pompeux du portique, renouvellés en partie par quelques modernes, ne sont au fond que d'éclatantes absurdités. Cet homme est tyrannisé par une passion violente, son bonheur actuel en dépend ; vainement la raison combat, sa foible voix est étouffée par les éclats de la passion. Dans les principes que vous admettez, par quel frein plus puissant pouvez-vous la réprimer ? Ce malheureux tenté de sortir de sa misere par des moyens coupables, mais sûrs ; séduit, entraîné par des tentations délicates, sera-t-il bien retenu par la crainte de troubler je ne sai quel concert général, dont il n'a pas même l'idée ? Que d'occasions dans la société de faire son bonheur aux dépens des autres, de sacrifier ses devoirs à ses penchans, sans s'exposer à aucun danger, sans perdre même l'estime & la bienveillance de ses semblables, intéressés à cette indulgence par des raisons faciles à voir ! Dites-nous donc, philosophes, comment soutiendrez-vous l'homme dans les pas les plus glissans ? Hélas ! avons-nous trop de motifs pour être vertueux, que vous vouliez nous enlever les plus puissans & les plus doux ? Voyez d'ailleurs quelle est votre inconséquence, vous prétendez nous rendre insensibles à nos propres avantages, vous exigez que nous suivions la vertu sans nul retour sur nous-mêmes, sans nul espoir de récompense, & après nous avoir ainsi dépouillés de tout sentiment personnel, vous voulez nous intéresser dans nos actions au maintien d'un certain ordre moral, d'une harmonie universelle qui nous est assurément plus étrangere que nous-mêmes ? Car enfin les grands mots n'offrent pas toujours des idées justes & précises. Si la vertu est aimable, c'est sans doute parce qu'elle conspire à notre bonheur, à notre perfection qui en est inséparable ; sans cela, je ne conçois pas ce qui nous porteroit à l'aimer, à la cultiver. Que m'importe à moi cet ordre stérile ? que m'importe la vertu même, si l'un & l'autre ne font jamais rien à ma félicité ? L'amour de l'ordre au fond, n'est qu'un mot vuide de sens, s'il ne s'explique dans nos principes ; la vertu n'est qu'un vain nom, si tôt ou tard elle ne fait pas complétement notre bonheur : telle est la sanction des loix morales, elles ne sont rien sans cela. Pourquoi dites-vous que les méchans, les Nérons, les Caligula, sont les destructeurs de l'ordre ? ils le suivent à leur maniere. Si cette vie est le terme de nos espérances, toute la différence qu'il y a entre le juste & le méchant, c'est que le dernier, comme on l'a dit, ordonne le tout par rapport à lui ; tandis que l'autre s'ordonne relativement au tout. Mais quel mérite y a-t-il de n'aimer la vertu que pour le bien qu'on en espere ? Le mérite assez rare de reconnoître ses vrais intérêts, de sacrifier sans regret tous les penchans qui leur seroient contraires, de remplir la carriere que le créateur nous a prescrite, d'immoler, s'il le faut, sa vie à ses devoirs. N'est-ce donc rien que de réaliser le juste imaginaire que Platon nous offre pour modele, & dont il montre la vertu couronnée dans une autre vie ? Faut-il donc pour être vertueux, exiger comme vous un sacrifice aussi contradictoire, que le seroit celui de tous nos avantages présens, de notre vie même, si nous n'étions enflammés par nul espoir de récompense ? Aussi les hommes de tous les tems & de tous les lieux, se sont-ils accordés à cet égard ; au milieu même des ténebres de l'idolatrie, nous voyons briller cette vérité que la raison plus que la politique, a fait admettre. Sois juste & tu seras heureux : ne te presse point d'accuser la vertu, de calomnier ton auteur ; tes travaux que tu croyois perdus, vont recevoir leur récompense ; tu crois mourir, & tu vas renaître : la vertu ne t'aura point menti.

Distinguez donc avec soin deux sortes d'intérêts, l'un bas & malentendu, que la raison réprouve & condamne ; l'autre noble & prudent, que la raison avoue & commande. Le premier toujours trop actif, est la source de tous nos écarts ; celui-ci ne peut être trop vif, il est la source de tout ce qu'il y a de beau, d'honnête & de glorieux. Ne craignez point de vous deshonorer en desirant avec excès votre bonheur ; mais sachez le voir où il est : c'est le sommaire de la vertu. Non, Dieu de mon coeur, je ne croirai point m'avilir en mettant ma confiance en toi ; dans mes efforts pour te plaire, je ne rougirai point d'ambitionner cette palme d'immortelle gloire que tu daignes nous proposer ; loin de me dégrader, un si noble intérêt m'enflamme & m'aggrandit à mes yeux ; mes sentimens, mes affections me semblent répondre à la sublimité de mes espérances ; mon enthousiasme pour la vertu n'en devient que plus véhément ; je m'honore ; je m'applaudis des sacrifices que je fais pour elle, quoique certain qu'un jour elle saura m'en dédommager. O vertu, tu n'es plus un vain nom, tu dois faire essentiellement le bonheur de ceux qui t'aiment ; tout ce qu'il y a de félicité, de perfection & de gloire est compris dans ta nature, en toi se trouve la plénitude des êtres. Qu'importe si ton triomphe est retardé sur la terre, le tems n'est pas digne de toi ; l'éternité t'appartient comme à son auteur. C'est ainsi que j'embrasse le systême le plus consolant, le plus vrai, le plus digne du créateur & de son ouvrage ; c'est ainsi que j'oserai m'avouer chrétien jusque dans ce siecle, & la folie de l'Evangile sera plus précieuse pour moi, que toute la sagesse humaine.

Après avoir pressé cette derniere observation qui nous a paru très-importante, rentrons encore un moment dans la généralité de notre sujet. 1°. C'est souvent dans l'obscurité que brillent les plus solides vertus, & l'innocence habite moins sous le dais que sous le chaume ; c'est dans ces réduits que vous méprisez, que des ames vulgaires exercent les devoirs les plus pénibles avec autant de simplicité que de grandeur ; c'est-là que vous trouverez avec étonnement les plus beaux modèles pour connoître la vertu ; il faut descendre plutôt que monter, mais nous avons la plûpart des yeux si imbécilles, que nous ne voyons l'héroisme que sous la dorure.

2°. Nous l'avons déja dit, la vertu n'est qu'un grand sentiment qui doit remplir toute notre ame, dominer sur nos affections, sur nos mouvemens, sur notre être. On n'est pas digne du nom de vertueux pour posséder telle ou telle vertu facile que nous devons à la nature plus qu'à la raison, & qui d'ailleurs ne gêne point nos penchans secrets. Les vertus sont soeurs ; en rejetter une volontairement, c'est en effet les rejetter toutes, c'est prouver que notre amour pour elles est conditionnel & subordonné, que nous sommes trop lâches pour leur faire des sacrifices ; on peut dire que c'est précisément la vertu que nous négligeons qui eût fait toute notre gloire, qui nous eût le plus honoré à nos propres yeux, qui nous eût mérité ce titre de vertueux dont nous sommes indignes malgré l'exercice de toutes les autres vertus.

3°. Aspirez donc sans réserve à tout ce qui est honnête ; que vos progrès, s'il est possible, s'étendent en tout sens ; ne capitulez point avec la vertu ; suivez la nature dans ses ouvrages, ils sont tout entiers en proportion dans leur germe, elle ne fait que les développer ; vous de même n'oubliez rien pour mettre en vous l'heureux germe de la vertu, afin que votre existence n'en soit qu'un développement continuel.

4°. Au lieu de charger vos enfans de cette multitude de devoirs arbitraires & minucieux, de les fatiguer par vos triviales maximes, formez-les à la vertu ; ils seront toujours assez polis, s'ils sont humains ; assez nobles, s'ils sont vertueux ; assez riches, s'ils ont appris à modérer leurs desirs.

5°. Une vertu de parade qui ne jette que des éclats passagers, qui cherche le grand jour, les acclamations, qui ne brille un instant que pour éblouir & pour s'éteindre, n'est pas celle qu'il faut admirer. La véritable vertu se soutient avec dignité dans la vie la plus retirée, dans les plus simples détails, comme dans les postes les plus éminens ; elle ne dédaigne aucun devoir, aucune obligation quelque légere qu'elle puisse paroître ; elle remplit tout avec exactitude, rien n'est petit à ses yeux. On dit que les héros cessent de l'être pour ceux qui les environnent, s'ils étoient vraiement vertueux, ils seroient à l'abri de ce reproche.

6°. La vertu n'est qu'une heureuse habitude qu'il faut contracter, comme toute autre, par des actes réitérés. Le plaisir d'avoir bien fait augmente & fortifie en nous le desir de bien faire ; la vue de nos bonnes actions enflamme notre courage, elles sont autant d'engagemens contractés avec nous-mêmes, avec nos semblables, & c'est ici plus que jamais que se vérifie la maxime, il faut avancer sans cesse si l'on ne veut rétrograder.

7°. La vertu a ses hypocrites comme la religion, sachez vous en défier ; sur-tout soyez sincere avec vous-mêmes, indulgent pour les autres, & sévere pour vous. La plus belle des qualités est de connoître celles qui nous manquent ; on vous estimera souvent par ce qui doit faire en secret votre honte, tandis qu'on vous reprochera ce qui fait peut-être votre gloire. Sans mépriser l'approbation des hommes, ne vous mesurez point sur elle ; votre conscience est le seul juge compétent, c'est à son tribunal intérieur que vous devez être absous ou condamné.

8°. Ne troublez point dans vos vertus l'ordre moral qui doit y régner.

Le bien général est un point fixe dont il faut partir pour les apprécier avec justesse : on peut être bon soldat, bon prêtre & mauvais citoyen. Telles vertus particulieres concentrées dans un corps deviennent des crimes pour la patrie : les brigands pour être juste entr'eux en sont-ils moins des brigands ? Consultez donc avant tout la volonté générale, le plus grand bien de l'humanité ; plus vous en approcherez, plus votre vertu sera sublime, & réciproquement, &c.

O vous enfin, qui aspirez à bien faire, qui osez prétendre à la vertu, cultivez avec empressement ces hommes respectables qui marchent devant vous dans cette brillante carriere ; c'est à l'aspect des chef-d'oeuvres des Raphaëls & des Michel-Anges que les jeunes peintres s'enflamment & tressaillent d'admiration ; c'est de même en contemplant les modèles que l'histoire ou la société vous présente, que vous sentirez votre coeur s'attendrir & brûler du desir de les imiter.

Terminons cet article, trop long sans doute pour ce qu'il est, mais trop court pour ce qu'il devroit être. Voyez VICE. Article de M. ROMILLY le fils.

Ces observations sur la vérité nous ont été envoyées trop tard pour être placées sous ce mot : elles sont de M. le chevalier de Seguiran. Nous n'avons pas voulu qu'elles fussent perdues pour cet ouvrage, & nous les ajoutons ici après l'article Vertu. Le vrai est le principe du bon ; le vrai & le bon produisent le beau. VERITE, BONTE, BEAUTE sont des idées qui s'associent merveilleusement. Vérité, ce mot si redoutable aux tyrans & si consolant pour les malheureux ; ce mot que l'ambition & le fanatisme ont écrit en caracteres de sang sur leurs étendards pour captiver la crédulité par l'enthousiasme, mérite par l'importance du sens qui lui est attaché, les plus profondes réflexions du philosophe.

Seule immobile dans l'immensité des siecles, la vérité se soutient par sa propre force ; les préjugés se succedent autour d'elles, & s'entre-détruisent comme les passions sociales qui leur ont donné l'être.

Le sage courageux qui les brave a également à redouter le mépris insultant de ces grands de convention qui ne doivent qu'à l'opinion la supériorité sur leurs semblables, & la vengeance sourde, mais horrible de ces tyrans des esprits, qui ne regnent qu'à la faveur des erreurs qu'ils accréditent. La noire jalousie ne laisse à Socrate mourant pour la vérité, que la gloire pure & désintéressée d'un bienfait sans reconnoissance.

La vérité s'offre à nos recherches sous un aspect différent dans les divers ordres de nos connoissances, mais toujours elle est caractérisée par les idées fondamentales d'existence & d'identité.

En métaphysique ce sont les attributs qui constituent un être quelconque ; en mathématique, c'est l'affirmation ou la négation d'identité entre deux quantités abstraites ; en physique, c'est l'existence des substances, des sensations, de la force & de la réaction ; dans l'ordre moral, c'est la loi qui dirige l'exercice de nos facultés naturelles. La vérité de caractere est le noble respect de soi, qui croiroit en se déguisant aux yeux d'autrui, perdre le droit précieux de s'estimer soi-même. Souveraine dans les arts comme dans les sciences, la fable même n'a droit de plaire que quand elle soumet sa marche aux loix de la vérité.

De la vérité métaphysique. Ne tirons point du profond oubli auquel ils sont justement condamnés, les mots barbares & vuides de sens qui étoient toute la métaphysique du péripatétisme moderne ; un génie créateur a dissipé ces ténèbres, & levé d'une main hardie le voile qui enveloppoit les premiers principes des choses : quelques étincelles avoient précédé cette masse de lumiere, mais Leibnitz a poli les diamants bruts que les anciens avoient puisé dans le sein générateur de la nature. Un principe également simple & fécond lui a servi de fil ; rien ne peut exister sans raison suffisante. Ce trait de lumiere qui éclaire toutes les sciences, porte spécialement sa clarté sur l'objet que je traite.

Pour éclairer & convaincre, il faut suivre pas-à-pas la progression des idées, & sacrifier à la précision dans une matiere où le sens vague des mots laisse peu de prise à l'exactitude du raisonnement.

D'après les expériences métaphysiques de Locke sur les idées matrices auxquelles il a réduit nos connoissances par une exacte analyse, il faut supposer qu'elles doivent leur origine à nos sensations ; le desir de se rappeller tous les individus & l'embarras de la multiplicité force à les diviser en certaines classes par les différences & les ressemblances ; on sent qu'ici le premier pas seul a couté ; l'abstraction la plus simple est un effort plus étonnant de l'esprit humain que l'abstraction la plus compliquée. A force de composer, on est parvenu à l'idée de pure substance, & enfin à l'idée infiniment simple d'esséité. Arrivés à ce point, les philosophes ont construit à leur gré dans l'espace chimérique que le délire de la réflexion avoit créé ; ils ont oublié que l'abstraction étoit l'ouvrage de l'esprit, qu'il n'existoit dans la nature que des individus, que si un homme étoit moins dissemblable à un homme qu'un ours, il en étoit tout aussi distinct. Ils ont appellé leurs abstractions les essences des choses, ont caractérisé les essences par la possibilité, la possibilité par la compatibilité des attributs ; mais interrogés quelle compatibilité d'attributs l'esprit peut appercevoir dans l'idée infiniment simple & généralisée d'esséité ; ils se sont apperçus qu'ils n'avoient réussi qu'à éloigner la difficulté pour y retomber. Semblables au sophiste indien, qui pressé de dire sur quoi s'appuyoit la tortue immense qui portoit l'éléphant qui soutenoit la terre, répondit que c'étoit un mystere.

Revenons à la nature : tout composé suppose des composans, puisqu'il en est le résultat ; donc tout composé se résout en êtres simples. La conséquence la plus immédiate de la simplicité des substances, est la simplicité des essences ; outre que la décomposition à l'infini répugneroit également dans l'un & l'autre cas. Or les idées ou essences simples n'existent pas dans le néant, car le rien n'a point de propriétés ; elles ne sont pas non-plus une pure abstraction, puisqu'elles sont la vraie représentation des substances simples ; leur vérité métaphysique est donc la raison suffisante de leur esséité dans le sens que l'une n'est plus distincte de l'autre, par la raison sans replique que dans le dernier anneau de la chaîne, la cause & l'effet doivent nécessairement se confondre, & qu'à ce point l'être résulte de sa nature.

La noble simplicité de ce principe, sa suffisance à expliquer tous les problèmes métaphysiques & physiques, doit convaincre tous les esprits. Malheur & mépris à la foiblesse d'ame qui fait rejetter un principe lumineux par l'opposition des conséquences aux opinions reçues. Faudra-t-il donc vieillir dans l'enfance des préjugés, ou plutôt dans l'épouvante des puissans qui les accréditent ? Etres pusillanimes, vous dégradez la noblesse indépendante de la raison pour vous faire des motifs de crédibilité de la crainte ou de l'espérance !

De la vérité mathématique. Newton à Londres, & Leibnitz à Leipsick, calculoient l'infini géométrique, parvenoient aux mêmes résultats par une même méthode diversement présentée, s'éclairoient & ne se contredisoient point. Dans la même ville, l'altier courtisan, l'insolent millionaire, l'humble manoeuvre rassemblés dans le réduit d'un philosophe, & interrogés sur le sens du mot décence, disputent & ne s'entendent pas. C'est que les géometres parlent tous une même langue ; mais les hommes, en traitant de la morale, ne prononcent que les mêmes sons ; leurs idées varient suivant le mode & le degré d'opposition de l'intérêt de chaque individu de l'intérêt général.

Le mathématicien suppose une quantité physique abstraite, la définit d'après la supposition, affirme la définition, & le défini réciproquement l'un de l'autre. Aussi ses spéculations ne seroient-elles qu'une science de mots, si réduit aux suppositions rigoureuses, l'à-peu-près n'existoit pas dans la nature. Mais de l'application des principes mathématiques, il résulte quelquefois dans la physique des approximations si voisines de la précision, que la différence est nulle pour l'expérience & l'utilité.

J'ai dit quelquefois ; car il faut distinguer les occasions où le géometre physicien peut calculer la quantité physique & l'effet de la force dominante, sans alliage des circonstances où ses spéculations sont subordonnées à la nature des substances, & aux inégalités qui résultent dans l'apperçu de l'effet général de l'action des causes immédiates. Après avoir calculé en méchanique l'effet de la pesanteur & la force de l'élasticité, le géometre attend pour fixer son résultat, que l'expérience l'instruise de l'effet de la résistance des milieux, de la contraction & de la dilatation des métaux, des frottemens, &c. & souvent il a décidé à l'académie ce que l'artiste dément avec raison dans son attelier. Voyez les liqueurs dans de grands canaux se soumettre aux loix de l'équilibre, que la nature semble violer dans les tubes capillaires. C'est qu'ici l'inégalité des parois unies seulement en apparence devient plus efficace par le rapprochement : l'attraction latérale balance la force centrale : l'air s'échappe avec moins de facilité ; l'esprit humain humilié voit ses efforts échouer contre le jeu le plus léger de la nature ; il semble ne pouvoir braver la difficulté que dans l'éloignement.

Alors voyez par quelle longue série de conséquences il va appliquer ses principes avec certitude. Il mesure la distance des planetes, & dissipe les frayeurs qu'inspiroient à l'ignorance leurs périodiques interpositions ; il dirige la course, & prescrit la forme de ces bâtimens agités qui unissent les deux mondes pour le malheur de l'un & la corruption de l'autre ; il divise en portions égales la mesure commune de nos plaisirs & de nos peines. L'esprit dans des points aussi éloignés ou des circonstances aussi compliquées, auroit-il apperçu sans peine que le tout est plus grand que sa partie ou égal à toutes ses parties prises ensemble ? &c. Il faut donc soigneusement distinguer en mathématique la simplicité évidente de la vérité, de la difficulté de la méthode.

De la vérité physique. Les vérités physiques sont garanties par le sens intime, quand elles sont calculées d'après les impressions des objets extérieurs sur nos sens, ou d'après les effets immédiats de nos sensations. S'il s'éleve deux opinions opposées, la contradiction n'est que dans les mots, & naît de la diversité d'impression que le même objet fait sur deux organes différens.

Mais si trompant les intentions de la sage nature, qui ne nous avoit formés que pour jouir, nous voulons connoître : si non contens d'éprouver les effets, nous cherchons à approfondir les causes & à développer la nature des substances, tout devient conjecture & systême ; le moyen cesse d'être proportionné à nos recherches. Inutiles théoriciens, osez vous en plaindre, après avoir marqué du sceau de l'évidence les connoissances de premier besoin que devoit la nature à la curiosité & au superflu.

La vérité physique se réduit donc à la réalité de nos sensations, à l'action & à la réaction des substances simples.

Mais nos sensations sont-elles produites par les objets extérieurs, ou ceux-ci ne sont-ils que des phénomènes intellectuels, que l'ame réalise hors d'elle-même par une propension invincible ? Barclay a bravé l'opinion générale, & soutenu le dernier sentiment.

1°. Parce qu'il n'y a nulle conséquence forcée de nos sensations à l'existence des objets extérieurs, elles peuvent être produites en nous par l'opération de l'être suprême ; elles peuvent être aussi une suite de notre nature.

2°. Il est absurde de transporter à des êtres composés les modifications quelconques d'un être simple ; or toutes nos sensations sont des modifications successives de notre ame.

3°. La sensation de l'étendue devient contradictoire quand elle est réalisée hors de notre ame. On démontre pour & contre la divisibilité à l'infini des substances supposées étendues. N'est-il pas clair que la divisibilité à l'infini n'est conséquente qu'à l'idée abstraite de la sensation de l'étendue, & que les preuves de Leibnitz ne portent que sur les substances réelles ?

4°. Les différences qu'on observe entre l'état de rêve & celui de reveil, ne détruisent point l'argument que tire Barclay de l'illusion des songes. Qu'il y ait plus ou moins d'ordre dans nos sensations, il n'est pas moins incontestable que pendant le sommeil l'ame les éprouve en l'absence des objets extérieurs. Ils n'en sont donc pas la cause. D'ailleurs à quel archétipe primitif pouvons-nous comparer les modifications de notre ame, pour juger de leur liaison ? le désordre apparent du rêve n'est-il pas relatif à l'ordre prétendu du reveil ? or celui-ci qui peut le garantir ?

Croyons donc avec Barclay, que nos sensations n'ont, ni ne peuvent avoir nulle sorte d'analogie représentative avec les objets extérieurs ; mais ne doutons pas que les substances simples douées de force, n'agissent & ne réagissent continuellement les unes sur les autres, & que cette action toute différente de nos sensations en est cependant la cause. Comment concevoir sans cela la liaison nécessaire qui forme la chaîne de tous les êtres, & d'où naît la belle harmonie de la nature.

J'ai insisté sur une question oiseuse, mais abstraite, par la seule nécessité de ne laisser aucun vuide. Que fait au bonheur des hommes l'existence ou la non-existence des corps ? La félicité ne résulte-t-elle pas de la maniere dont on est intérieurement affecté ? La puissance & la bonté du souverain de la nature seroit-elle moins démontrée par l'ordre de nos sensations que par celui qui régne dans les objets extérieurs ?

De la vérité morale. Ici tout devient intéressant. Le coeur d'un philosophe sensible s'ouvre au plaisir de démontrer aux humains que la félicité de tous par chacun est le seul & doux hommage qu'exige la nature, & que les préceptes de la vertu ne different pas des moyens d'être heureux.

Ceux qui pour expliquer la loi primitive, eurent recours aux relations essentielles, aux sentimens innés, aux cris intérieurs de la conscience, céderent au desir d'éblouir par l'impuissance d'éclairer. C'est dans la volonté de l'homme & dans sa constitution qu'il faut chercher le principe de ses devoirs. Les préceptes moraux sensibles à tous doivent porter avec eux-mêmes leur sanction, faire par leur propre force le bonheur de qui les observe, & le malheur de qui les viole.

Je considere l'homme isolé au milieu des objets qui l'entourent. Il est averti d'en user par l'instinct du besoin ; il y est invité par l'attrait du plaisir. Mais dans la jouissance de ces biens, l'excès ou la privation sont également nuisibles ; placé entre la douleur & le plaisir, l'organe du sentiment prescrit à l'homme l'utile tempérance à laquelle il doit se soumettre.

Si comparant un homme à un homme, je parviens à un état de société quelconque, mes idées se généralisent ; la sphere de la loi primitive s'étend avec le desir & l'espoir d'une félicité plus grande ; je vois la nature promte à se développer, toujours persuasive, quand elle présente à nos ames l'image séduisante du bonheur ; elle forme & resserre la chaîne qui lie ensemble tous les humains.

L'homme est attendri par le malheur de l'homme ; il se retrouve dans son semblable souffrant, & l'espoir d'un secours utile le rend lui-même secourable : semences précieuses de la sensibilité.

En violant les droits d'autrui, il autorise autrui à violer les siens ; la crainte salutaire qui le retient, est le germe de la justice.

Le pere revit dans ses enfans, & leur prodigue dans un âge tendre les secours dont il aura besoin, quand la vieillesse & les infirmités lui auront ravi la moitié de son être. Ainsi se resserrent les doux noeuds de la tendresse filiale & paternelle.

Abrégeons d'inutiles détails. Pratiquer toutes les vertus, ou choisir avec soin tous les moyens d'être solidement heureux, c'est la même chose. Telle est sans sophisme & sans obscurité la vraie loi de nature. Le bonheur qui en résulte pour qui l'observe, est la sanction de la loi, ou, en termes plus simples, le motif pressant de se soumettre. Par ces principes tout s'éclaircit, & la vérité morale devient susceptible d'un calcul exact & précis. J'en assigne les données, d'une part, dans le bien physique de l'être sensible, de l'autre, dans les relations que la nature a établies entre lui & les êtres qui l'entourent.

Mais le forcené s'avance : je ne puis être heureux que par le malheur de mon semblable : je veux jouir de sa femme, violer ses filles, piller ses greniers. Le philosophe : " mais tu autorise ton semblable à t'accabler des mêmes maux dont tu les menaces ". Le forcené : N'importe, je veux me satisfaire ; je ne puis être heureux qu'à ce prix ; n'as-tu pas dit que telle étoit la loi de nature ? Le philosophe : " Eh bien, acheve, & que ton sort justifie mes paroles ".

Le forcené sourit de fureur & de dédain, mais dans le cours de ses attentats, le citoyen outragé, ou le glaive des loix, vengent la nature, & le monstre n'est plus.

De la vérité dans les beaux arts. Avant qu'il existât des académies ou des arts poétiques, Homere, Apelle & Phidias instruits & guidés par la nature, avoient fait regner dans leurs productions deux sortes de vérités ; la premiere d'effet & de détail, qui donne l'existence & la vie à chaque partie ; la seconde d'entente générale & d'ensemble, qui donne à chaque personnage l'action & l'expression relatives au sujet choisi. Il ne suffit pas que dans le tableau ou la scene du sacrifice d'Iphigénie, mon oeil voie une princesse, une reine, un guerrier, un grand-prêtre, des grouppes de soldats ; il faut que Chalcas, l'oeil terrible & le poil hérissé, plein du dieu vengeur qui l'agite, tienne sous le coûteau sacré une victime innocente, qui, levant les yeux & les mains vers le ciel, craint de laisser échapper un murmure ; il faut que Clitemnestre pâle & défigurée, semble avoir perdu par la douleur la force d'arracher sa fille aux dieux barbares qui l'immolent ; il faut que l'artiste désespérant de peindre l'accablement d'Agamemnon, lui fasse couvrir son visage de ses mains ; il faut que chaque soldat, à sa maniere, paroisse gémir sur le sort d'Iphigénie, & accuser l'injustice des dieux. Après cette esquisse rapide, quelle ame froide & mal organisée oseroit, en voyant l'exemple, demander la raison du précepte ?

L'application s'en fait aisément en peinture & en sculpture ; en poésie, la magie de l'expression pittoresque, est la vérité de détail. La vérité de relation & d'ensemble consiste dans la correspondance des paroles, des sentimens & de l'action, avec le sujet. Phedre, en entrant sur la scene, ne dit point qu'une douleur sombre & cachée lui fait voir avec horreur tout ce qui l'entoure, mais elle exprime cette haine, suite nécessaire d'un sentiment profond & malheureux. Que ces vains ornemens, que ces voiles me pesent, &c. Par-tout dans le rôle sublime le sentiment se développe, jamais il ne s'annonce.

Ce principe fondamental s'étend jusqu'aux plus légers détails. Voulez-vous rendre une chansonnette intéressante, choisissez un sujet ; faites disparoître l'auteur pour ne laisser voir que le personnage, sans quoi l'intérêt cesse avec l'illusion.

Chaque sous-division effleurée de cet article pourroit devenir le sujet d'un ouvrage intéressant. Resserré par d'étroites bornes, on n'a osé se livrer aux détails ; un champ vaste s'est ouvert, on a à peine tracé quelques lignes pour diriger la course des génies sublimes qui oseront le parcourir.

VERTUS, anges du premier choeur de la troisieme hiérarchie. Voyez ANGE & HIERARCHIE.

On appelle ainsi ces anges à cause du pouvoir de faire des miracles, & de fortifier les anges inférieurs dans l'exercice de leurs fonctions, qui leur est attribué par les peres & les théologiens qui ont traité des anges.

VERTU, (Langue franç.) ce mot se prend souvent dans notre langue pour désigner la pudeur, la chasteté. Madame de Lambert écrivoit à sa fille : " Cette vertu ne regarde que vous ; il y a des femmes qui n'en connoissent point d'autre, & qui se persuadent qu'elle les acquite de tous les devoirs de la société. Elles se croient en droit de manquer à tout le reste, & d'être impunément orgueilleuses & médisantes. Anne de Bretagne, princesse impérieuse & superbe, faisoit payer bien cher sa vertu à Louis XII. Ne faites point payer la vôtre ". (D.J.)

VERTU, (Critiq. sacrée) ce mot a plusieurs sens. Il signifie la force & la valeur, Ps. xxx. 11. les miracles & les dons surnaturels, Matt. vij. 22. la saint eté qui nous rend agréables à Dieu & aux hommes, II. Pierre j. 5. Vertu se prend au figuré pour l'arche d'alliance, qui faisoit la force d'Israël, Ps. lxxvij. 61. pour la puissance céleste, Ps. cij. 21. pour de grands avantages ; ceux qui se sont nourris des biens, des vertus du siecle à venir, ne retomberont point dans leurs péchés, Heb. vj. 5. (D.J.)

VERTU, (Mythol.) le culte le plus judicieux des payens étoit celui qu'ils rendoient à la Vertu, la regardant comme la cause des bonnes & grandes actions qu'ils honoroient dans les hommes. La Vertu en général étoit une divinité qui eut à Rome des temples & des autels. Scipion le destructeur de Numance, fut le premier qui consacra un temple à la Vertu ; mais c'étoit peut-être aussi à la Valeur, qui s'exprime en latin communément par le mot de virtus. Cependant il est certain que Marcellus fit bâtir deux temples, l'un proche de l'autre ; le premier à la Vertu (prise dans le sens que nous lui donnons en françois) ; & le second à l'Honneur : de maniere qu'il falloit passer par le temple de la Vertu pour aller à celui de l'Honneur. Cette noble idée fait l'éloge du grand homme qui l'a conçue & exécutée. Lucien dit, que la Fortune avoit tellement maltraité la Vertu, qu'elle n'osoit plus paroître devant le trône de Jupiter : c'est une image ingénieuse des siecles de corruption. (D.J.)


VERTUEUX, HOMMEVICIEUX HOMME, (Morale) un homme vertueux est celui qui a l'habitude d'agir conformément aux loix naturelles & à ses devoirs. Un homme vicieux est celui qui a l'habitude opposée. Ainsi pour bien juger de ces deux caracteres, on ne doit pas s'arrêter à quelques actions particulieres & passageres ; il faut considérer toute la suite de la vie, & la conduite ordinaire d'un homme. L'on ne mettra donc pas au rang des hommes vicieux, ceux qui par foiblesse ou autrement, se sont quelquefois laissés aller à commettre quelque action condamnable ; ceux-là ne méritent pas non plus le titre d'hommes vertueux, qui dans certains cas particuliers, ont fait quelque acte de vertu. Une vertu parfaite à tous égards, ne se trouve point parmi les hommes ; & la foiblesse inséparable de l'humanité, exige qu'on ne les juge pas à toute rigueur.

Comme l'on avoue qu'un homme vertueux peut commettre par foiblesse quelques actions injustes, l'équité veut aussi que l'on reconnoisse qu'un homme qui aura contracté l'habitude de quelques vices, peut cependant en certains cas faire de bonnes actions, reconnues pour telles, & faites comme telles. Distinguons avec autant de soin les degrés de méchanceté & de vice, que ceux de bonté & de vertu.

C'est épargner & respecter la nature humaine, que de ne pas relever les défauts des grands hommes, parce que cette nature ne produit guere d'original, qu'on puisse prendre pour un modele achevé de sagesse & de vertu. (D.J.)


VERTUGADINS. m. (Jardin.) glacis de gazon en amphithéatre, dont les lignes qui le renferment ne sont point paralleles.

Le mot vertugadin vient de l'espagnol verdugado, qui signifie le bourlet du haut d'une jupe, auquel cette partie d'un jardin ressemble. (D.J.)


VERTUMNALESS. m. pl. (Hist. anc.) fêtes instituées à Rome en l'honneur du dieu Vertumne. On n'est pas d'accord sur leur origine, que quelques-uns rapportent à ce que ce dieu prenant telle forme qu'il vouloit, & ayant été ainsi nommé du latin vertere, changer, ces fêtes se célébroient dans le tems d'une foire ou marché fameux, où l'on faisoit divers échanges de marchandises. D'autres ont dit qu'on les célébroit au mois d'Octobre, parce que l'automne étant le tems où l'on recueille les fruits, on y rendoit graces de leur recolte à Vertumne qu'on croyoit y présider.


VERTUMNE(Mythol.) Vertumnus ; dieu des jardins & des vergers, étoit en honneur chez les Etrusques, d'où son culte passa à Rome. Ovide décrit les amours de Pomone & de Vertumne, & les différentes formes que ce dieu prit pour se faire aimer de sa nymphe. " Combien de fois, dit-il, caché sous un habit qui l'auroit fait prendre pour un moissonneur, parut-il devant Pomone chargé de gerbes de blé ? Quelquefois la tête couronnée de foin, on auroit imaginé qu'il venoit de faucher quelque pré ; ou l'aiguillon à la main, il ressembloit à un bouvier qui venoit de quitter la charrue. Lorsqu'il portoit une serpe, on auroit cru que c'étoit un véritable vigneron. S'il avoit une échelle sur ses épaules, vous eussiez dit qu'il alloit cueillir des pommes. Avec une épée, il paroissoit être un soldat ; & la ligne à la main, un pêcheur. Ce fut à la faveur de tant de déguisemens, qu'il eût souvent le plaisir de paroître devant Pomone, & de contempler tous ses charmes. Enfin il résolut de se métamorphoser en vieille. D'abord ses cheveux devinrent blancs, & son visage se couvrit de rides ; il prit une coëffure qui convenoit à ce déguisement, & entra déguisé de cette maniere dans le jardin de Pomone ". Ce fut le seul moyen qui lui réussit.

On croit que Vertumne, dont le nom signifie tourner, changer, marquoit l'année & ses variations. On avoit raison de feindre que le dieu prenoit différentes figures pour plaire à Pomone, c'est-à-dire pour amener les fruits à leur maturité. Ovide lui-même donne lieu à cette conjecture, puisqu'il dit que ce dieu prit la figure d'un laboureur, celle d'un moissonneur, celle d'un vigneron, & enfin celle d'une vieille femme, pour désigner par-là les quatre saisons, le printems, l'été, l'automne & l'hiver.

Vertumne avoit un temple à Rome près du marché, ou de la place où s'assembloient les marchands, parce que Vertumne étoit regardé comme un des dieux tutélaires des marchands. Vertumnus, dit un ancien scholiaste, deus est praeses vertendarum rerum, hoc est, vendendarum, ac emendarum.

On célébroit au mois d'Octobre une fête en l'honneur de ce dieu, appellée vertumnalia. Il étoit représenté sous la figure d'un jeune homme, avec une couronne d'herbes de différentes especes, & un habit qui ne le couvroit qu'à demi, tenant de la main gauche des fruits, & de la droite une corne d'abondance.

Vertumne étoit, selon les commentateurs d'Ovide, un ancien roi d'Etrurie, qui par le soin qu'il avoit pris de la culture des fruits & des jardins, mérita après sa mort d'être mis au rang des dieux. (D.J.)


VERTUS(Géog. mod.) ville de France, dans la Champagne, élection de Châlons, à six lieues au sud-ouest de Châlons, & à trente au nord-est de Paris, avec titre de comté-pairie, & justice royale. Cette ville est dans une plaine, au pié d'une montagne. Elle a dans son enceinte une collégiale & deux abbayes, l'une de bénédictins de la congrégation de S. Vanne, & l'autre de chanoines réguliers. Long. 21. 42. latit. 48. 53. (D.J.)


VERU MONTANUMS. m. en Anatomie, est une espece de petite valvule, située à l'endroit où les conduits éjaculatoires se rendent dans l'urethre. Voyez VALVULES, URETHRE, &c.

Son usage est d'empêcher l'urine, lorsqu'elle coule par l'urethre, d'entrer dans ces conduits, & de se mêler avec la semence. Voyez URINE, &c.


VERUCINou VERRUCINI, (Géog. anc.) peuples de la Gaule narbonnoise, selon Pline, l. III. c. iv. Le P. Hardouin croit qu'ils habitoient le quartier de la Provence où se trouve aujourd'hui Verignon. (D.J.)


VERUE(Géog. mod.) ville d'Italie, dans le Piémont, au comté d'Asti, sur une colline, près du Pô, entre Casal & Turin, aux confins du Montferrat. Elle est bien fortifiée, & appartient au roi de Sardaigne. Long. 25. 40. latit. 45. 6. (D.J.)


VERULAE(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium, au pays des Herniques. Florus, l. I. c. xj. qui fait mention de cette ville, dit, de Verulis & Bovillis, pudet, sed triumphavimus. Frontin de Coloniis, la met au nombre des colonies romaines. C'est la ville Verulanum de Tite-Live, l. IX. c. xlij. Elle conserve encore présentement son ancien nom. On l'appelle Veroli ; ses habitans sont nommés Verulani par Pline, l. III. c. v. (D.J.)


VERVES. f. (Poésie) c'est une vive représentation de l'objet dans l'esprit, & une émotion du coeur proportionnée à cet objet ; moment heureux pour le génie du poëte, où son ame enflammée, comme d'un feu divin, se représente avec vivacité ce qu'il veut peindre, & répand sur son tableau cet esprit de vie qui l'anime, & ces traits touchans qui nous séduisent & nous ravissent.

Cette situation de l'ame n'est pas facile à définir ; & les idées qu'en donnent la plûpart des auteurs, paroissent plutôt sortir d'une imagination échauffée que d'un esprit réfléchi. A les en croire, tantôt c'est une vision céleste, une influence divine, un esprit prophétique : tantôt c'est une ivresse, une extase, une joie mêlée de trouble & d'admiration, en présence de la divinité. Ont-ils dessein par ce langage emphatique de relever les arts & de dérober aux prophanes les mysteres des muses ? Pour nous, écartant ce faste allégorique qui nous offusque, considérons la verve telle qu'elle est réellement.

La divinité qui inspire les poëtes quand ils composent, est semblable à celle qui anime les héros : dans ceux-ci, c'est l'audace, l'intrépidité naturelle animée par la présence même du danger ; dans les autres c'est un grand fond de génie, une justesse d'esprit exquise, une imagination féconde, & sur-tout un coeur plein d'un feu noble, & qui s'allume aisément à la vue des objets. Ces ames privilégiées prennent fortement l'empreinte des choses qu'elles conçoivent, & ne manquent jamais de les reproduire avec un nouveau caractere d'agrément & de force qu'elles leur communiquent. Voilà la source de la verve ou de l'enthousiasme. Ses effets sont faciles à comprendre, si l'on se rappelle qu'un artiste observateur puise dans la nature tous les traits dont ses imitations peuvent être composées ; il les tire de la foule, les assemble, & s'en remplit. Bientôt son feu s'allume à la vue de l'objet ; il s'oublie ; son ame passe dans les choses qu'il crée ; il est tour-à-tour Cinna, Auguste, Phedre, Hippolyte : & si c'est la Fontaine, il est le loup & l'agneau, le chêne & le roseau. C'est dans ces transports qu'Homere voit les chars & les coursiers des dieux : que Virgile entend les cris affreux de Phlégias dans les ténebres infernales : & qu'ils trouvent l'un & l'autre des choses qui ne sont nulle part, & qui cependant sont vraies.

Poeta cùm tabulas cepit sibi,

Quaerit quod nusquam est gentium, reperit tamen.

Voilà la verve : voilà l'enthousiasme : voilà le dieu qui fait les vrais peintres, les musiciens & les poëtes. (D.J.)


VERVEILLES. f. (terme de Fauconnerie) petite plaque qu'on attache aux piés des oiseaux de proie, & sur laquelle plaque sont empreintes les armes du seigneur, pour faire reconnoître l'oiseau. (D.J.)


VERVEINEVERVENE, s. f. (Hist. nat. Bot.) verbena ; genre de plante à fleur monopétale, labiée, dont la levre supérieure est droite & découpée ordinairement en deux parties, & l'inférieure en trois, de façon que cette fleur paroît au premier coup d'oeil composée de cinq pieces. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embrions qui deviennent dans la suite autant de semences minces & oblongues ; elles remplissent presque toute la capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les fleurs naissent le plus souvent en gril sans être disposées en rond, & qu'elles sont réunies quelquefois en une sorte de tête. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

La verveine commune, verbena vulgaris, caeruleo flore, I. R. H. 200, est la principale des huit especes de Tournefort. Sa racine est oblongue, un peu moins grosse que le petit doigt, garnie de quelques fibres, blanche, d'un goût tirant sur l'amer. Elle pousse des tiges hautes d'un pié & demi, anguleuses ou quarrées, dures, un peu velues, quelquefois rougeâtres & rameuses. Ses feuilles sont oblongues, opposées deux-à-deux, découpées profondément, ridées, d'un verd plus foncé dessus que dessous, d'un goût amer & desagréable.

Ses fleurs naissent en épi long & grêle, petites, formées en gueule, ordinairement bleues, quelquefois blanchâtres ; chacune est un tuyau évasé par le haut & découpé en cinq parties presque égales, avec quatre petites étamines dans le milieu, à sommets recourbés. Quand cette fleur est tombée, le calice qui est fait en cornet, devient une capsule remplie de quatre semences jointes ensemble, grêles & oblongues. Cette plante croît aux lieux incultes, comme aussi le long des chemins, contre les haies & contre les murs ; elle fleurit en été, quelquefois même en automne. Voyez VERVEINE, (Littérature) (D.J.)

VERVEINE, (Mat. méd.) il n'y a pas de plante que les anciens aient tant recommandée que celle-ci, en qualité de vulnéraire ; ils l'ont regardée comme capable de chasser les corps étrangers : ce qui lui a fait donner le nom de herba vulneraria. Il n'y a pas non plus de plante dont ils aient fait un plus grand usage dans les sacrifices : ce qui l'a fait appeller herba sacra, herbe sainte, è mensâ Jovis, table de Jupiter ; on en répandoit sur les autels, & on s'en servoit à les essuyer. Il n'y a pas de plante non plus sur laquelle les magiciens aient fait plus de contes ridicules. Si, par exemple, ont dit quelques-uns d'entr'eux, on décrit un cercle autour de cette plante, & qu'on la cueille de la main gauche avant d'avoir vu le soleil ou la lune, on sera heureux dans tout ce qu'on entreprendra ; mais si on la cueille de la droite, tout arrivera de travers. On lit dans quelques auteurs que si on fait mâcher de cette herbe aux enfans, leurs dents viendront sans douleur. On la dit bonne aussi contre les convulsions & contre les charmes. Quelques-uns estiment la racine de verveine bonne à être portée en amulete contre les tumeurs scrophuleuses ; & il faut qu'elle soit attachée au col de la main d'une vieille.

La verveine est apéritive, détersive, fortifiante & fébrifuge. Les feuilles infusées dans du vin sont bonnes dans la chlorose & dans la jaunisse. La poudre des feuilles est bonne pour l'hydropisie, & le suc guérit les fievres intermittentes. Une infusion des feuilles faite en maniere de thé est bonne dans la passion hystérique.

Les feuilles pilées & appliquées en forme de cataplasme, sont un très-bon résolutif dans les douleurs de côté & dans la pleuresie. Le peuple croit que cette application attire en-dehors le sang dont l'arrêt cause ces maux. L'eau distillée de cette plante, aussi bien que son suc, guérit l'inflammation des yeux, est bonne dans les plaies, augmente le lait des nourrices, brise & chasse la pierre de la vessie, & donne du soulagement dans la colique venteuse. Extrait du dictionnaire de médecine de James.

Nous ne croyons pas inutile de donner de tems en tems quelques échantillons de la maniere des pharmacologistes tant anciens que modernes. Au reste il n'y a qu'à prendre les assertions positives sur les vertus de cette plante pour le simple énoncé de ses usages ou pour les prétentions des auteurs, & l'on aura ce que nous savons de plus réel sur cette plante.

Ses feuilles entrent dans l'eau vulnéraire, la poudre contre la rage, & l'emplâtre de bétoine, & les sommités fleuries dans l'huile de scorpion composée, &c. (b)

VERVEINE, (Littér.) cette plante étoit chez les Romains fort en usage dans leurs cérémonies religieuses ; on en balayoit les autels de Jupiter ; on se présentoit dans les temples couronné de verveine ; on tenoit à la main de ses feuilles lorsqu'il falloit appaiser les dieux. Quand il s'agissoit de chasser des maisons les malins esprits, on faisoit des aspersions d'eau lustrale tirée de la verveine.

Il faut cependant remarquer que les Latins appelloient verbenae, verbena, verbernaca, hierabotane, non-seulement la verveine, mais en général diverses sortes d'herbes, de branches, de feuilles d'arbres vertes, & cueillies dans un lieu sacré. Ils s'en servoient pour les couronnes des héraults d'armes lorsqu'on les envoyoit annoncer la paix ou la guerre. C'est pourquoi Térence a dit :

En ara, hinc sume verbenas tibi.

" Prenez des herbes sacrées de cet autel ".

Et Horace, ode II. l. IV. vers. 7 :

Ara castis

Vincta verbenis.

" L'autel est environné d'herbes sacrées " ; car il ne s'agit pas ici de la seule verveine.

Il n'en étoit pas de même des Druïdes ; ils étoient entêtés des prétendues vertus de la verveine en particulier ; ils ne la cueilloient qu'en y mêlant beaucoup de superstitions ; ce devoit être à la pointe du jour, au moment que la canicule se levoit, & après avoir offert à la Terre un sacrifice d'expiation ; cette plante passoit chez eux comme un souverain remede pour guérir toutes sortes de maladies, mais de plus comme un moyen de reconcilier les coeurs que l'inimitié avoit aliénés. (D.J.)


VERVELLES(terme de riviere) especes de gonds placés dans la quille d'un bateau foncet, auxquelles le gouvernail est accroché.

VERVELLE, (terme de Fauconnerie) c'est une espece de petit anneau ou de plaque qu'on attache au pié de l'oiseau de proie, où sont les armes du seigneur à qui l'oiseau appartient.


VERVEUXCLIVETS, RAFLES, ENTONNOIRS, RENARD, termes synonymes de Pêche, c'est une sorte de filet rond qui va toujours en pointe, l'ouverture de ce filet est faite d'un demi cercle & d'une traverse par le bas ; plusieurs cercles qui vont toujours en diminuant se soutiennent ouverts ; il y a à l'entrée un filet qui prend de l'ouverture du verveux & diminue comme un entonnoir ; c'est par le bout de ce filet, que l'on nomme le goulet, qu'entrent dans le verveux les poissons qui y sont conduits, & d'où ils ne peuvent plus sortir, parceque le goulet se dilate quand le poisson se présente pour entrer, & pour que le goulet demeure toujours en état, il est soutenu par quatre ou six petites ficelles qui le font toujours rester dans le milieu du verveux.

Pour conduire le poisson dans ce piege, il y a deux filets, un de chaque côté, que l'on nomme les aîles, & qui sont d'inégales longueurs ; ces filets sont garnis de flots par le haut, & chargés de pierres par le bas : le même filet dans les rivieres est garni de plomb au-lieu de pierres.

Quand on veut mettre le verveux ou rafle à la mer, on le place dans un endroit convenable ; on amarre le bout du filet à une grosse pierre que l'on appelle cabliere, au moyen d'un bout de corde attachée à chaque cercle du verveux, & dont le nombre est proportionné à sa longueur ; il y a de même comme au bout, une cabliere ou grosse ralingue amarrée à chaque bout de la traverse de l'ouverture ; & au-haut du demi-cercle de l'ouverture, il y a un fort cordage de quelques brasses de long, dont le bout qui tire cet engin & le fait tenir debout, est frappé sur une grosse pierre. Le corps du verveux à son ouverture peut avoir environ quatre piés de haut & huit piés de large ; les bouts des deux filets qui forment les aîles entourent toute cette ouverture, afin que le poisson qu'ils conduisent dans cet instrument n'en puisse échapper : on met aussi une grosse cabliere à chaque bout des aîles : on place le verveux le bout à la mer, & l'ouverture du côté de terre, & si la marée, par exemple, se porte à l'ouest, l'aîle du côté de l'est doit être plus courte que celle du côté de l'ouest ; la premiere aura huit brasses, & la seconde seize ou dix-huit, plus ou moins, selon que l'on le juge convenable pour arrêter le poisson qui se trouve à la côte après la pleine mer & le conduire dans le verveux ; les aîles font pour cet engin le même effet que les chasses pour les parcs & pêcheries ; ces aîles ont environ une brasse de haut comme les tramaux : on prend dans le verveux de toutes sortes de poissons, tant plats que ronds, & on fait cette pêche toute l'année ; elle ne peut être interrompue que par les tempêtes, qui faisant rouler & venir à la côte les grosses pierres auxquelles le verveux est amarré, déchirent & brisent ces sortes d'instrumens.

Les mailles qui composent le corps, le goulet, & les aîles du verveux, sont de divers calibres, & de fils de différentes grosseurs ; les mailles du corps ont environ dix-huit lignes ; celles du goulet ont quinze lignes ; celles des aîles sont de l'échantillon des seines ou mailles des harengs, & ont environ treize lignes. Le peu de dépense que coute un pareil instrument, & la facilité de s'en servir, a excité grand nombre de pêcheurs riverains à s'en servir. Voyez la fig. 4. Pl. IV. de pêche.

Il y a encore une autre sorte de verveux en usage dans le ressort de l'amirauté de Dieppe. Ce verveux a des aîles de bas clayonnage & piquets ; cette sorte de verveux est différente de ceux en usage dans le ressort de l'amirauté de Saint-Valeri en Caux ; la tonne est semblable à celle de ces premiers ; la queue ou extrêmité est de même amarrée sur un fort piquet ; mais les aîles, pannes ou côtés, sont montées sur de petits piquets, d'environ quatre piés de hauteur au plus.

Les pêcheurs commencent à reconnoître qu'ils peuvent s'en servir avec autant de succès que de leurs anciens parcs de clayes & autres filets qui ont tous été détruits. Les verveux dont se servent les pêcheurs à la mer de ces deux ressorts, ont la queue ou l'extrêmité arrêtée sur un fort piquet avec les aîles, pans ou côtés, montées sur de petits piquets d'environ quatre piés au plus de hauteur ; pour faciliter aux poissons l'entrée dans le verveux, qui a de même un ou plusieurs goulets ; on met au pié des côtés une petite levée de cailloutage, & quelques pouces de clayonnage ; l'ouverture des aîles peut avoir vingt à vingt-cinq brasses de largeur exposé à la côte, & comme cette nouvelle pêcherie est de même sédentaire, il n'y a que les gros vents & les tempêtes qui puissent empêcher ces pêcheurs de les tendre.

Les pêcheurs de Saint-Valeri en Caux ont inventé différentes sortes de verveux depuis la défense de se servir des filets trainans, & la suppression des pêcheries exclusives sans titres de la qualité prescrite par l'ordonnance. Autrefois ces pêcheurs ne se servoient point de ces instrumens, mais depuis quelque tems ils en ont fait de neuf différentes manieres, que leur industrie leur a suggerées. Il y a les tonnelles ou verveux simples pierrés ; les mêmes arrêtés sur pieux ou piquets ; ceux qui ont une jambe, panne ou bras flotté ; les mêmes dont la jambe est montée sur piquets ; ceux qui ont la jambe ou côté formé en demi cercle, tant flotté que non flotté ; les tonnelles avec deux jambes en demi-cercle flottées ; celles qui sont établies de même, mais le tout monté sur piquets ; les verveux avec jambes & chasse au milieu comme aux parcs ; enfin les mêmes instrumens non flottés avec jambes & chasses, & couverts à l'entrée de la tonnelle.

Tous ces verveux se peuvent reduire à deux especes, en pêcheries variables & en pêcheries sédentaires.

Les verveux simples, qui sont les premiers que les pêcheurs ont imaginés, sont les véritables verveux des rivieres ; on les établit aux bords des pêcheries ; c'est un sac de ret tenu ouvert au moyen de quatre, cinq & six cercles qui vont toujours en diminuant jusqu'à l'extrêmité du sac, au bout duquel est une corde que le pêcheur amarre sur une grosse roche pour tenir le verveux tendu, l'ouverture qui est toujours exposée à la côte, est en forme de demi-cercle, arrêtée par une traverse de corde ; aux deux coins du demi-cercle de l'entrée est une autre corde que l'on arrête aussi sur la roche de même que celles qui sont de chaque côté des cercles ; au milieu du demi-cercle de l'entrée du verveux est une autre corde que le pêcheur nomme raban ; en roidissant cette derniere, le verveux se tient droit & ne peut varier ; elle est arrêtée ordinairement sur une grosse roche, ou à un piquet de bois, ou à une cheville de fer, à la volonté des pêcheurs qui arrêtent de même souvent la queue du verveux ; celui-ci est variant, & se peut changer à volonté.

La deuxieme sorte de verveux ou tonnelle est formée de la même maniere ; elle differe de ceux de la premiere espece en ce qu'au lieu que l'ouverture, les cercles & le bout sont arrêtés & frappés sur des pierres ou des roches qui se trouvent sur le lieu où les pêcheurs veulent tendre ; ces derniers y sont arrêtés par de petits pieux ou piquets qui saisissent le verveux, ou auxquels cet instrument est amarré, de maniere qu'il y reste stable & immobile, ce qui est d'autant plus nécessaire que les verveux se placent (dans le ressort de l'amirauté de Dieppe) le long des roches qui sont au pié des falaises, où la brise est toujours violente.

La troisieme espece de tonnelles est celle où le corps de verveux est établie comme à la premiere espece, mais à laquelle les pêcheurs ont ajouté une jambe, aîle ou côté, bras tendu flotté & pierré, de la même maniere que l'on tend les tramaux, les cibaudieres & bretelieres flottées ; ce côté ou jambe est exposé à la marée, afin de conduire dans la tonnelle le poisson que le flot amene à la côte ; ce filet est de l'espece des rets varians, parce que le pêcheur le place où il lui plait, le pouvant changer à son gré toutes les marées.

Les tonnelles de la quatrieme espece sont les mêmes que les précédentes, à la différence qu'elles ne sont point flottées ; le corps du verveux, & la jambe ou bras sont arrêtés sur des piquets de la même maniere que les rets de bas parcs ; ce verveux est une pêcherie sédentaire ; ce qui contribue le plus à arrêter tout ce qui se présente dans le filet, est un clayonnage de quelques pouces au bas de la jambe, que quelques pêcheurs de Dieppe y ont ajouté ; ce qui ne doit point être permis parce qu'il pourroit retenir le poisson du premier âge, qui vient le premier à la côte à la marée, & qui ne s'en retourne que lorsque la basse mer le force à s'en retourner.

La cinquieme sorte de verveux est la même que la précédente, le corps du verveux, ou la tonnelle est comme à la premiere ; il n'a semblablement qu'une seule jambe, panne ou côté exposé à la marée ; il differe du précédent en ce que la jambe est formée en demi-cercle, que les pêcheurs montent sur piquets, ou qu'ils flottent suivant le terrein où la tonnelle est placée.

A la sixieme espece des verveux, cet instrument a deux jambes, aîles ou pannes ; il forme une pêcherie plus parfaite que les premieres ; on le tend flotté ; l'aîle du côté d'où vient la marée à la côte, est toujours plus courte que l'autre, afin de donner une entrée plus libre au poisson qui y arrive de flot ; ces jambes forment une espece d'équerre, dont l'ouverture de l'angle est suivant la nature du terrein sur lequel la pêche se fait ; les lieux les plus convenables sont les petits coudes où la marée tombe avec plus de rapidité.

La septieme espece des tonnelles ou verveux est droite ou en demi-cercle ; le verveux & les jambes sont montés sur piquets ; on peut regarder ces sortes de tonnelles ainsi établies, comme des bas parcs, tournées ou fourrées, dont la pointe de la pêcherie exposée à la mer, est garnie d'une tonnelle ou gonne ; les pêcheurs des greves du mont Saint Michel, ont de semblables pêcheries ; elles pourroient bien avoir donné lieu à l'établissement de ces sortes de tonnelles dont commencent à se servir les pêcheurs des côtes de Caux.

La huitieme espece de verveux ou tonnelle a deux jambes ou pannes droites ou en demi-cercle, & dans le milieu de l'intervalle une chasse comme les parcs de bois & de filets ; cette chasse va du pié de la côte jusqu'à l'entrée ou l'embouchure de la tonnelle ; ainsi que tous les autres filets de la pêcherie elle est montée sur pieux ou piquets ; il n'y a aucun inconvénient de lui laisser la hauteur de cinq à six piés au-dessus du terrein ; elle a le même effet qu'aux parcs, en conduisant dans la tonnelle le poisson qui entre dans la pêcherie ; celle-ci est complete, & peut pêcher avec autant & plus de succès que les parcs, & il est certain que tous les poissons qui sont assez grands pour ne pouvoir passer au-travers des mailles, n'en peuvent échapper quand ils y sont une fois restés au jussant.

La neuvieme espece de tonnelle est la même que la précédente ; l'industrie du pêcheur y a ajouté encore un filet, pour fermer l'entrée de la tonnelle ; il prend du bout des pannes ou côtés qui joignent le verveux, dont il augmente de cette maniere l'embouchure : on le lace également sur la chasse, avec cette précaution. Les pêcheurs empêchent que les bars & les mulets qui sont dans la pêcherie ne se puissent évader en franchissant au-dessus du filet, comme ces sortes de poissons ont l'instinct de le faire.

On prend dans les verveux, de toutes especes de poissons, également des poissons plats & des poissons ronds, des raies, des folles, des barbues, des carrelets & limandes, aussi-bien que des mulets, des rougets, des petites morues, & de toutes autres especes.

VERVEUX VOLANT ou BERTAUT, terme de Pêche, sorte de verveux. Voyez VERVEUX. La pêche avec le bertaut ou verveux dans la riviere de Ladour, dans le ressort de l'amirauté de Bayonne, se fait de la même maniere que dans la Seine & aux côtes de Bretagne, mais la manoeuvre en est différente.

Lorsque les pêcheurs basques veulent tendre leur bertaut, ils ont un petit piquet pointu, amarré avec un bout de corde, au bout ou à la queue de cet instrument, dont le ret qui le forme est tenu ouvert au moyen de plusieurs cercles, & dont l'embouchure est en demi-cercle, comme l'entrée d'un four ; ainsi tendu par une traverse, ils mettent ce petit piquet ainsi préparé dans le gros bout d'une perche, creusé à cet effet, pour enfoncer le pieux où ils veulent placer leur bertaut ; ensuite ils tendent le corps du bertaut, en passant une perche au-travers de deux annelets de corde frappés l'un au haut du demi-cercle, & l'autre au-dessous ; au milieu de la traverse le pêcheur enfonce cette perche à la main ; & si elle ne lui paroît pas suffisamment arrêtée, il acheve de l'affermir avec le gros bout de sa perche creuse.

Il y a une autre sorte de bertaut, qu'on appelle verveux volant, qui se tend de deux manieres différentes : la premiere est le bertaut pierré, pour cela les pêcheurs mettent aux deux bouts du demi-cercle qui forme l'entrée une grosse pierre, & une au milieu de la traverse de corde qui est à l'ouverture ; le verveux qui a plusieurs goulets a quatre & cinq cercles pour le tenir ouvert ; il y a de même à la queue une pierre, mais pour empêcher que le courant ne l'emporte, le pêcheur plante sur le fond un petit piquet où est amarrée une corde, qui est à l'extrêmité de la queue du verveux.

L'autre maniere de tendre le verveux est avec trois perches, deux de front, & éloignées l'une de l'autre de la grandeur de l'ouverture des aîles ou côtés du bout du verveux, qui reste ainsi arrêté par ces trois piquets ou petits pieux.

Les mailles des sacs des verveux ont 12 lignes en quarré.


VERVIERS(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans l'évêché de Liege, aux confins du duché de Limbourg, sur la riviere de Wese, environ à six lieues de Liege, vers le levant. Long. 23. 50. latit. 47. 40. (D.J.)


VERVINS(Géogr. mod.) ville de France, dans la Picardie, en Thiérache, au voisinage de Laon, entre la Chapelle au nord, & Marle au midi, sur une hauteur. Henri IV. & Philippe II. roi d'Espagne, y conclurent un traité de paix, l'an 1598. Elle commerce en blé. Long. 21. 35. latit. 49. 51.

Lescarbot (Marc) naquit à Vervins en 1550, & mourut à Paris l'an 1625, à 75 ans. Il a publié une histoire de la nouvelle France, où il avoit séjourné quelque tems ; cet ouvrage imprimé à Paris en 1611, est assez agréable, parce que l'auteur y a entremêlé des remarques de littérature. Il suivit en Suisse Pierre de Castille ambassadeur de Louis XIII. & comme il se plaisoit à donner des relations des pays où il voyageoit, il fit le tableau de celui-ci en vers héroïques, & le publia en 1618. La plus ample édition de ses oeuvres, est celle de Paris, en 1652. in-4°. (D.J.)


VESBOLA(Géog. anc.) ville d'Italie, au voisinage des monts Cérauniens. Denys d'Halicarnasse, l. I. c. xiv. qui la donne aux Aborigenes, dit qu'elle étoit à environ 60 stades de Trebula, & à 40 de Suna. Sylburge soupçonne que ce pourroit être Suessula. (D.J.)


VESCou VESSE, s. f. (Hist. nat. Bot.) vicia ; genre de plante à fleur papilionacée : le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique qui renferme des semences arrondies ou anguleuses. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles naissent par paires sur une côte, & qu'elles sont terminées par une main. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

De trente especes de vesce que compte Tournefort sous ce genre de plante, nous dirons un mot de la noire & de la blanche.

La vesce noire, vicia sativa vulgaris, semine nigro, I. R. H. 396, a la racine déliée, fibreuse, annuelle : elle pousse plusieurs tiges à la hauteur d'environ deux piés, cannelées, velues, creuses, ses feuilles sont oblongues, étroites, plus larges par le bout, cotonneuses, attachées au nombre de dix ou douze, par paire, sur une côte que termine une main avec laquelle elle s'accroche aux plantes voisines. Ses fleurs sont légumineuses, purpurines ou bleuâtres, soutenues par un cornet dentelé. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des gousses velues, applaties, composées de deux cosses, remplies de semences presque rondes & noires, d'un goût désagréable. Cette plante se seme dans les champs, soit séparément, soit mêlée avec les pois & l'avoine pour la nourriture des chevaux, & autres bêtes de charge, sur-tout dans la disette de foin.

La vesce blanche, vicia sativa, alba, I. R. H. 397, est caractérisée par Linnaeus, sous le nom de vicia leguminibus erectis, petiolis polyphillis, foliolis acumine emarginatis, stipulis dentatis, Hort. Cliffort. Ses feuilles varient beaucoup, les unes étant en coeur, & les autres longues & étroites. Sa fleur est simple ou double, mêlée de taches purpurines, portée sur un court pédicule. Ses gousses different aussi de celles de la vesce ordinaire ; elles sont remplies de semences, quelquefois au nombre de neuf, toutes blanches, ou un peu purpurines, ou bigarrées, ou d'un verd pâle, approchantes par leur figure, leur grosseur, & leur couleur des pois verds. On cultive cette plante dans les champs, comme la précédente ; on en a fait du pain en tems de famine, mais c'est un pain de difficile digestion. Elle sert de nourriture ordinaire aux pigeons. (D.J.)

VESCE, (Agricult.) le fourrage de la vesce est une des bonnes nourritures qu'on puisse donner aux chevaux, boeufs, vaches & moutons, soit en verd, ou fané & gardé pour l'hiver. Il les engraisse, & procure beaucoup de lait aux vaches.

La vesce vient aisément dans toutes sortes de terres, où l'on peut ensuite mettre des pois & autres légumes, quand la vesce est dépouillée ; mais il ne faut pas la semer auprès de la vigne, verger, ou plan que l'on veuille conserver, parce que la vesce attire à soi toute la nourriture des plantes voisines, quoiqu'elle engraisse plutôt un fonds que de l'user. On en met environ six boisseaux pour ensemencer un arpent de terre, & on doit l'avoir façonné, comme pour l'orge.

Elle vient en grande abondance dans les terres grasses & meubles ; mais on ne s'avise guere d'en mettre dans les meilleures terres. Il faut observer que le froid, la rosée & l'humidité sont très-contraires à ce grain, & le font pourrir bien vîte ; c'est pourquoi on ne doit le semer que tard, par un beau tems, & deux ou trois heures après le lever du soleil ; il n'en faut semer qu'autant qu'on en peut couvrir le même jour avec la herse. Quand elle est semée dans un fonds bien façonné, elle vient sans soins, & ne veut point être sarclée.

Il y a des années si seches, que quoique la vesce soit bien levée, cependant elle ne pousse plus à cause de la sécheresse. Pour qu'elle fasse sa production, il lui faut de l'eau tous les dix jours, principalement quand elle est dans une terre sablonneuse ; & dans ces cas, on ne recueille que le tiers ou la moitié de la semaille. Ainsi la prudence exige qu'on en garde pour trois ans. Elle est aussi bonne à semer au bout de ce terme que la premiere année, pourvu qu'on ait eu soin de la remuer de tems à autre.

Il y en a qui sement de l'avoine parmi la vesce ; en ce cas, il faut les mettre à égale mesure, & les bien mêler. La vesce en monte plus haut, & dès le 15 Mai on fauche ce grain mêlangé, pour le donner aux chevaux & aux bestiaux.

Dans les pays plus chauds que le nôtre, comme en Languedoc, en Provence, en Italie, on fait par an deux recoltes de vesce, & on la seme à deux tems différens. Le premier est en Septembre, & c'est seulement pour avoir du fourrage ; on met sept boisseaux de vesce par arpent. La deuxieme semaille se fait au commencement de Février ; on ne met que six boisseaux par arpent, & c'est pour avoir de la graine. Ces deux semailles se font assez souvent en terre qui n'a point eu ses labours, c'est-à-dire, qu'on se contente seulement d'ouvrir la terre avec le soc, d'y jetter la semence, & de la couvrir avec la herse ; mais c'est une mauvaise méthode, car il ne faut jamais épargner un premier labour.

Ceux qui ne font point deux semailles de vesce par an, l'une pour avoir du fourrage, l'autre pour en avoir le grain, recueillent en verd une partie de leur vesce pour la nourriture de leurs bestiaux, & ils laissent le reste mûrir en pié sur le champ, pour se procurer de la graine. (D.J.)

VESCE NOIRE & VESCE BLANCHE, (Matiere méd. & Diete) la farine des semences de ces deux plantes s'emploie quelquefois dans les cataplasmes avec les autres farines résolutives, ou en leur place, & principalement au-lieu de la semence d'ers. Voyez ERS & FARINES RESOLUTIVES.

La graine de cette plante, qui est légumineuse, n'a aucune qualité malfaisante qui pût empêcher d'en user comme aliment dans les cas d'extrême disette ; mais il ne faudroit pas penser à en faire du pain, comme il est rapporté que les paysans en firent dans quelques provinces en 1709 : en général les semences légumineuses ne donnent pas une farine propre à être réduite sur cette forme. Voyez PAIN. Il faudroit tâcher de ramollir celle-ci par une longue cuite dans l'eau, & la réduire ensuite en purée, ou du-moins l'écraser grossierement ; on pourroit encore la moudre, & en faire des bouillies avec la farine. (b)

VESCE SAUVAGE, (Botan.) nom vulgaire de l'espece de gesse nommée par Tournefort, lathyrus repens, tuberosus. Voyez GESSE. (D.J.)

VESCE-DE-LOUP, s. f. (Hist. nat. Bot.) lycoperdon ; genre de plante qui approche beaucoup de celui du champignon. Il y a des especes de vesce-de-loup qui sont dures & charnues, & qui étant rompues répandent une poussiere très-fine. Tournefort, I. R. H. Voyez PLANTE.

C'est une sorte de champignon nommé par Tournefort lycoperdon vulgare, I. R. H. 563. & fungus rotundus, orbicularis, par C. B. P. 374.

C'est une espece de champignon, un peu arrondi, environ de la grosseur d'une noix, membraneux, & dont le pédicule n'est presque point apparent. Quand il est jaune, il est couvert d'une peau blanchâtre & cendrée, comme composée de plusieurs grains, renfermant d'abord une pulpe molle, blanche, ou verdâtre ; moëlleuse dans la suite, délicate, fine, spongieuse, livide, & comme enfumée. Cette pulpe en se corrompant, se change en une fine poussiere, seche, fétide & astringente : quand alors on la presse légérement avec le pié, elle pete, & jette en maniere de fumée une odeur très-puante.

Il y a une autre espece de vesce-de-loup qui devient grosse comme la tête, qui est enveloppée d'une membrane assez ferme, de couleur blanche, cendrée d'abord, livide avec le tems, d'une substance flexible & délicate. Quand cette vesce-de-loup est seche, elle est si légere qu'elle ne pese pas plus d'une once. Elle s'appelle lycoperdum alpinum, maximum, cortice lacero, I. R. H. 563 ; fungus maximus, rotundus, pulverulentus, I. B. B. 848. Cette derniere espece croît dans les Alpes, en Allemagne & en d'autres lieux. (D.J.)

VESCE DE LOUP, (Scienc. microsc.) la poussiere ou semence de vesce-de-loup étant écrasée, paroît à la vûe simple comme une fumée ou vapeur ; mais lorsqu'on l'examine avec une des plus fortes lentilles (car autrement on ne peut pas la distinguer), elle semble être un nombre infini de petites globules d'une couleur orangée, un peu transparens, & dont le diametre n'est pas au-dessus de la cinquantieme partie du diametre d'un cheveu ; ensorte que le cube de la largeur d'un cheveu seroit égal à cent vingt-cinq mille de ces globules. Dans d'autres especes de vesces-de-loup les globules de poussiere sont d'une couleur plus obscure, & ont chacun une petite tige ou queue pour pénétrer aisément dans la terre. Voyez les Transact. philosoph. n °. 284.

Il est encore probable que le mal qu'elles font aux yeux, vient de ces tiges pointues, qui piquent & blessent la cornée.

Muys rapporte qu'un enfant malicieux ayant fait crever une vesce-de-loup auprès des yeux de son camarade, la poussiere qui en sortit lui occasionna une si grande enflûre & inflammation, avec des douleurs très-vives & une grande décharge de larmes, qu'il ne put pas les ouvrir de plusieurs jours, quoiqu'on lui eût appliqué tous les remedes convenables. (D.J.)

VESCE-DE-LOUP, (Médecine) espece de champignon généralement reconnue pour malfaisante, & dont on ne fait par conséquent aucun usage à l'intérieur, ni à titre d'aliment, ni à titre de remede.

La vesce-de-loup est dangereuse aussi à l'extérieur ; car si on la manie imprudemment, ensorte que sa poussiere, ou sa substance séchée & réduite en poudre, puisse atteindre les yeux, elle produit des ophthalmies très-graves.

La vesce-de-loup est comptée parmi les remedes stiptiques les plus puissans. En Allemagne tous les chirurgiens en gardent après en avoir ôté la poussiere ; ils les font dessécher, & ils les réduisent en poudre qu'ils emploient pour arrêter le sang, & pour dessécher les ulceres. Ce remede n'est point usité chez nous. (b)


VESCIA(Géog. anc.) ville d'Italie dans l'Ausonie. Cluvier, Ital. ant. l. III. c. x. place cette ville & le territoire Vescinus, entre le mont Massicus & le fleuve Liris. Tite-Live fait mention de cette ville & de son territoire en plusieurs endroits, par exemple, l. VIII. c. xj. & l. X. c. xxj. (D.J.)


VESCITANIAVESCITANIA


VÉSELIZE(Géog. mod.) en latin moderne Veselium ; petite ville de France dans la Lorraine, chef-lieu du comté de Vaudemont, sur la riviere de Brenon, à 7 lieues au sud-ouest de Nanci. Long. 23. 44. latit. 48. 25. (D.J.)


VESENTINI(Géog. anc.) peuple d'Italie dans la Toscane, selon Pline, l. III. c. v. Ils habitoient sur le bord du lac Volsinien, appellé présentement Lago di Bolsena. Il n'y a pas de doute que leur ville ou leur bourgade, se nommoit autrefois Vesentium ou Visentium, & que ce nom se conserve encore aujourd'hui dans celui de Bisentio, où l'on a trouvé une ancienne inscription avec ces mots : Virtuti Visent. sacr.


VESERIS(Géog. anc.) les anciens nomment ainsi le lieu où fut donnée la fameuse bataille des Romains contre les Latins, où P. Decius Mus se dévoua aux Manes, pour le salut de l'armée romaine.

Ce lieu étoit dans la Campanie, dans les plaines qui sont au pié du mont Vésuve. Aurelius Victor, in P. Decio patre, & in T. Manlio Torquato, dit que Veseris étoit un fleuve ; mais comme les autres historiens se contentent de dire ad Veserim ou apud Veserim, cela n'a pas empêché Cluvier, & quelques modernes, de soutenir que Veseris étoit une bourgade, outre qu'on ne trouve dans ce quartier aucun fleuve considérable que le Sebethum, le Sarnum & le Vestinum. (D.J.)


VÉSICAIRES. f. (Hist. nat. Bot.) vesicaria ; genre de plante dont la fleur est en forme de croix, & composée de quatre pétales ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit, ou une espece de vessie qui contient des semences le plus souvent arrondies. Tournefort, I. R. H. coroll. Voyez PLANTE.


VESICATOIREou VESSICATOIRES, (Med. thérapeutique & Matiere médicale) en latin vesicatoria, vesicantia, remedes topiques ainsi appellés de leur effet le plus connu qui consiste à exciter des vessies sur la peau. Ce terme qui ne paroît pas bien ancien dans l'art, désigne non-seulement les vésicatoires proprement dits, qu'on emploie, sous forme d'emplâtre, dans la pratique journaliere ; mais il s'étend encore à tous les âcres, irritans, stimulans, excitans, caustiques, &c. qui appliqués à la surface du corps, ou même dans quelque cavité censée contigue à cette surface, y excitent plus ou moins vîte des rougeurs, des tumeurs, de légeres inflammations, des vessies, des démangeaisons, des escares, &c. C'est par allusion à ces effets qu'on a cru pouvoir déduire d'une vertu brûlante ou ignée, que les vésicatoires sont désignés chez quelques auteurs sous le titre générique de , pyrotica, urentia, &c. Voyez Sennert, Baillou, & autres.

Les premieres vues médicinales qui se sont présentées dans l'usage des vésicatoires, & la circonstance de leur application au-dehors, leur ont fait donner plus anciennement le nom de , epispastica, en latin attrahentia, tractoria ou revellentia, &c. qui signifient remedes attirans du dedans au dehors, ou du centre à la circonférence, remedes révulsifs, &c. & qui dans le langage particulier des méthodiques, est converti en celui de metasyncritica, evocantia ex alto, c'est-à-dire, suivant l'interprétation même de Thessalus, remedes qui procurent un changement dans tout le corps, ou dans une partie seulement ; remedes rétablissant ou changeant l'état des pores, suivant d'autres méthodiques de la doctrine d'Asclepiades ; quae meatuum miscelae corporis statum praeter naturam habentem transmutat, dit encore Galien en parlant de la métasyncrise ; & qu'enfin Caelius Aurelianus traduit par recorporativa, remedes récorporatifs, &c. C'est dans cette derniere acception très-générale, que nous prenons le mot de vésicatoires dans cet article.

Les substances reconnues de tout tems pour vésicatoires sont du regne végétal, la graine de moutarde, le gingembre, le poivre, l'ail, l'oignon, le thapsia, la pyrethre, le laserpitium, le lepidium, le cresson, la renoncule, le flammula jovis, le clematitis urens, le bursa pastoris, l'ortie, la racine d'arum, les figues, l'euphorbe, le tabac, le sagapenum, &c. divers sucs comme ceux de thithymale, de concombre sauvage, &c. plusieurs huiles odorantes, &c. le regne animal fournit les cantharides, les fourmis, quelques fientes, comme celle de pigeon ramier, le crotin de chevre, la fiente de boeuf & son fiel. Suivant Hippocrate, (de locis in homine, pag. 424. Foës.) les chairs du limaçon, les corps entiers de jeunes animaux récemment égorgés, &c. & l'on tire du regne minéral les sels acides & alkalis, l'alun en plume, le nitre, l'adarcé, la chaux-vive, les cendres de la lie du vin & du vinaigre, le savon, le mercure sublimé corrosif, & quelques autres préparations métalliques.

Conformément aux idées des Galenistes sur les degrés de la vertu échauffante de ces remedes, on a fait plusieurs classes de compositions pharmaceutiques vésicatoires, qu'on a spécifiées par les titres de rubefians, de dropaces, de sinapismes & de caustiques. Ces compositions sont ainsi rangées dans les livres anciens de matiere médicale, suivant l'ordre d'activité qui les distingue entre elles ; quoique néanmoins, pour la plûpart, elles puissent être succédanées les unes des autres, puisqu'elles ne different que par des degrés d'énergie ; différence qui, à l'égard des plus foibles, se peut compenser jusqu'à un certain point, ou par la plus grande durée de leur application, ou par une augmentation dans les doses.

On divise ordinairement l'effet des vésicatoires en effet général, & en effet particulier ; le premier c'est-à-dire, le plus étendu, celui dont le médecin doit principalement s'occuper, est en opérant sur toute la machine d'y occasionner un changement salutaire, tel qu'on peut l'obtenir des toniques & des altérans ; cet effet se présente encore ici sous deux faces ; 1°. les vésicatoires agissent ainsi que les toniques & les altérans d'une maniere occulte, ce qui acheve de rendre les caracteres de ces trois sortes de remedes parfaitement identiques ; mais leur action étant souvent manifestée par des évacuations, des métastases, & autres phénomenes à la portée des sens, ils cessent pour lors de se tant ressembler avec les altérans & les toniques, pour se confondre avec les évacuans, qu'ils suppléent même utilement quelquefois, suivant l'opinion de beaucoup d'auteurs. Dans l'un & l'autre cas, l'action des vésicatoires est toujours en raison du degré de leur activité, laquelle est néanmoins subordonnée au genre de la maladie, & à plusieurs autres circonstances dépendantes du sujet sur lequel ces remedes agissent, & qui ne sauroient se rapporter qu'à l'être animé ou corps vivant. L'état de médicament ainsi constaté dans les vésicatoires, il en résulte que c'est à plusieurs titres qu'ils appartiennent à la matiere médicale interne.

Le second effet, ou l'effet particulier des vésicatoires est purement local, c'est-à-dire, qu'il se borne à la partie sur laquelle on les applique ; il consiste à modifier les solides & les fluides de cette partie, de maniere que ceux-ci en deviennent plus propres à être jettés au-dehors par l'action rétablie ou augmentée des premiers ; il peut encore aller dans plusieurs de ces remedes, jusqu'à altérer très-sensiblement le tissu même de la partie. Par toutes ces circonstances, on voit que les vésicatoires sont encore du ressort de la matiere médicale externe où ils s'identifient en quelque façon avec les discussifs, les résolutifs, les septiques ou pourrissans, les épulotiques ou cicatrisans, les escarotiques, & autres remedes ou secours chirurgicaux dont les propriétés individuelles ne sont point incompatibles avec la vertu épispastique, suivant cette remarque de Galien, que les vertus qui sont particulieres à différens corps, ne laissent pas que de se rapprocher par des analogies ou des ressemblances dans leurs effets : vicinae sibi virtutes sunt eorum quae in alio latent, attractrix & attractorum digestrix, nam quae trahunt etiam nonnihil omninò discutiunt, & quae discutiunt pariter trahunt. Mais il est important d'observer définitivement à l'égard de certains de ces effets particuliers ou locaux ; 1°. qu'il seroit peut-être mieux de les appeller physiques ou chymiques ; 2°. qu'il en est parmi eux qui ne sauroient se passer que sur le vivant, comme, par exemple, les escares ; 3°. qu'il en est d'autres qui peuvent avoir également lieu sur le cadavre & sur le vivant, tels que certains caustiques. Voyez CAUSTIQUE.

Après les idées générales que nous venons d'exposer sur les vésicatoires, il n'est sans-doute personne qui ne s'apperçoive qu'une foule d'autres agens médicinaux doit entrer naturellement dans le systême entier de ces remedes ; on compte donc encore parmi les vésicatoires, les frictions, les ventouses, les fonticules, les setons, les ligatures, les bains chauds, les flagellations, les acupunctures, les ustions, & une infinité d'autres remedes analogues qu'on pourroit fort bien ranger sous chacune des quatre compositions pharmaceutiques, dont il a été dejà question, comme sous les chefs d'autant de classes particulieres, &c.

Les vésicatoires seront donc pour nous dans cet article l'assemblage, le corps entier, le trésor de tous les moyens que la médecine emploie à l'extérieur, dans la vue d'extraire, ou d'attirer à la surface du corps, ou de détourner d'une partie sur une autre, tout ce qui peut nuire à la conservation de la santé, ou s'opposer à son rétablissement. C'est dans cette acception générale que le mot vésicatoire doit être pris indifféremment avec celui d'épispastique dans le courant de cet article, à l'exception des cas où nous en fixerons autrement la valeur, par quelque spécification particuliere.

Le systême des vésicatoires ainsi généralisé a fourni de tous les tems à la grande médecine, c'est-à-dire, à celle qui pense & qui est capable en elle-même de ces traits de génie qu'on appelle des coups de maître, a fourni, dis-je, les ressources les plus étendues, & les succès les plus frappans. Les conjectures font remonter l'origine de ces remedes jusqu'à l'antiquité fabuleuse où elle se perd avec les premieres traces de la médecine. Tout ce qu'on peut avoir de positif là-dessus, se rapporte à l'institution de la gymnastique médicinale par Herodicus, de qui les historiens racontent qu'il employoit les frictions seches, les fomentations chaudes, &c. dans certaines maladies ; voyez dans l'hist. de la méd. par le Clerc ; mais comme il ne nous est rien parvenu des ouvrages de cet auteur d'où l'on puisse tirer aucune regle ou aucun précepte sur cette matiere ; il paroît que l'époque d'une application raisonnée de ces secours médicinaux doit être fixée aux beaux jours de la médecine grecque.

Hippocrate disciple d'Herodicus a témoigné tant d'estime pour la médecine gymnastique qu'il s'est fait soupçonner d'avoir envié à son maître la gloire de cette invention ; à la vérité, il faut convenir qu'avec le caractere de simplicité & de beauté naturelle qui est particulier à cette médecine, elle devoit avoir bien des attraits pour un génie de la trempe de celui d'Hippocrate ; aussi ce célebre réformateur a-t-il considérablement enchéri sur tous ceux qui ont pû l'avoir précédé dans cette carriere ; sa pratique roule quelquefois toute sur les cautérisations, les frictions, les fomentations, & autres épispastiques dont il ne cesse de vanter l'usage, & avec lesquelles il opéroit des cures merveilleuses.

Après Hippocrate, les médecins qui ont fait le plus d'honneur à la médecine des vésicatoires, sont les méthodiques ; semblables en quelque façon, comme l'a dit ingénieusement un moderne, à un postulatum de Descartes qui n'admet que le mouvement & la matiere. Voy. thes. aquit. minor. aquae. Leur théorie bornée au strictum & au laxum n'admet également que deux espèces de remedes qui se rapportent, quant aux vertus, à ces deux genres d'affection dans les solides ; ce sont là comme les deux poles de leur pratique ; mais ce qui paroîtra surprenant ; c'est que les épispastiques occupent la plus grande place dans ces deux especes de remedes, quoique suivant les principes généraux de cette secte, ils dussent être restreints au genre du relâchement ou du laxum. Cette contradiction est sauvée par leur façon d'interpréter les propriétés des vésicatoires ; selon eux, la vertu de ces remedes est non-seulement d'ouvrir & de rétablir leurs pores, mais encore de ramollir & de raréfier, en tant que participante du feu ; ils pensoient d'ailleurs que le strictum & le laxum peuvent se trouver tous deux à la fois dans une même maladie ; ainsi ils se servoient indifféremment des métasyncritiques dans les maladies, soit internes, soit externes des deux genres ; dans quelques maladies phlegmoneuses, par exemple, ils employoient à titre de métasyncritique ou vésicatoire les astringens, quoiqu'ils missent ces maladies dans le genre du strictum ; dans les vieux ulceres, dans les cicatrices malfaites qu'ils plaçoient dans ce dernier genre, ils appliquoient des sinapismes, tout comme dans les ulceres du genre opposé ; ce qui étoit pourtant subordonné à l'observation des tems dans les maladies, & à d'autres objets de pratique sur lesquels il paroît qu'ils étoient fort versés. Voyez Prosp. Alpin, de med. meth. c. xv.

Toutes les autres sectes anciennes qui ont eu quelque réputation, ont cultivé cette branche de la thérapeutique, & depuis au milieu de l'éruption des systêmes qui ont été les fléaux particuliers réservés à la Médecine, il paroît que le traitement par les vésicatoires s'est constamment soutenu dans les alternatives de célébrité & de discrédit inséparables des révolutions des tems & des esprits, sans qu'on puisse dire qu'il ait jamais été entiérement abandonné. Ce traitement peut donc être regardé dans l'histoire des variations de l'art, comme un des fils précieux qui ont conservé une communication utile entre la médecine ancienne & la moderne, ou qui ont empêché qu'il ne se soit fait entr'elles une véritable scission. Un préjugé non moins favorable encore à l'institution naturelle & irrévocable de la médecine épispastique, & qui en achevera l'éloge, c'est que plusieurs nations d'hommes sauvages n'en ont jamais connu d'autre ; que parmi les nations policées, les Chinois, les Japonois sont depuis long-tems en possession des secours les plus raffinés de cette espece, & qu'enfin il en est dérivé chez les habitans de nos campagnes, & chez les gens du peuple dans nos villes, comme autant de médecines domestiques qui ne sont pas sans succès, & dont la tradition s'est conservée religieusement dans sa pureté originale à travers les générations & les siecles.

Il est tems maintenant de proposer quelques réflexions sur l'action & les effets des vésicatoires qui éclairent plus immédiatement les principaux phénomenes pratiques de cette médecine ; nous choisirons pour cet effet les ouvrages d'Hippocrate, & ceux de quelques autres médecins qui l'ont suivi dans ses principes & dans sa pratique, comme les plus propres à nous fournir les lumieres les plus pures & les plus étendues sur cette matiere ; ainsi donc après avoir déja parlé du goût de ce pere de-là médecine pour les épispastiques, il nous paroît à propos d'ajouter qu'il ne faudroit pas croire que toutes les connoissances qu'il avoit acquises sur l'administration des remedes, il les tint uniquement d'un empirisme froid & borné, mais qu'il les devoit encore aux élans d'un génie vraiment philosophique, rectifiés par tout ce que peuvent donner de sagacité une expérience consommée, & l'habitude de méditer profondément sur la nature. Voici par exemple une des maximes de ce grand homme la plus capable de nous découvrir le point d'où il est parti, & de nous faire pénétrer ultérieurement dans ses vues ; il dit en parlant du traitement des maladies de la poitrine : pars verò ex carne per medicamenta & potiones diffunditur, & per calefactoria extrinsecus admota, adeò ut morbus per totum corpus spargatur. Voyez liv. I. de mor. sect. 5. pag. 459. Foësius : c'est-à-dire qu'Hippocrate pensoit que lorsque la maladie est fixée dans un organe, il convient pour l'amener à guérison de la répandre dans toutes les parties du corps, soit par l'usage des remedes internes, soit par l'application des épispastiques. Celse a dit encore dans le même sens, atque interdùm natura quoque adjuvat, si ex angustiore sede vitium transit in latiorem. Voyez de fauc. morb. cap. IV.

Cette intention de généraliser la maladie, d'en affoiblir le foyer en l'étendant ou le distribuant sur tous les organes, est peut-être le plus beau canon pratique que nous ayons en médecine. Le grand point est de savoir la maniere dont Hippocrate concevoit cette distribution : il est clair qu'il étoit en cela inspiré par tout ce qu'il connoissoit des propriétés de l'intelligence active & subtile qui préside aux fonctions de l'animal, & qu'il appelloit nature ou principe, & par tout ce qui lui revenoit de son expérience journaliere. Il savoit en premier lieu que cette intelligence s'étoit originairement tracée dans le corps un cercle d'opérations dans lequel elle se mouvoit en portant sur tous les points du cercle le sentiment & la vie, & jettant des filets de communication dans les intervalles d'un point à l'autre, ensorte que la maladie pouvoit être regardée comme un obstacle, un noeud qui arrêtoit ce période d'opérations, & qu'il n'étoit question pour le rétablir que de rappeller le principe sur tous les points de la sphere. Or c'est ce qu'on obtient toutes les fois que l'activité ou les forces du principe augmentent assez pour vaincre ou résoudre l'obstacle ; mais en quoi consiste cette augmentation des forces de la nature ? dans la fievre. C'est ainsi que suivant notre auteur & l'observation de tous les siecles, la fievre résout le spasme, febris spasmum solvit ; ainsi la douleur qui n'est peut-être qu'un spasme plus ramassé ou plus concentré, est détruite par le même agent, quibus jecur vehementer dolet, iis succedens febris dolorem solvit, Aphor. liv. VII. pag. 160. Maintenant la fievre peut être ou spontanée, ou artificielle : la premiere doit être entiérement sur le compte de la nature, ou de son autocratie ; la seconde est un produit de l'art. Cet art, Hippocrate né pour le former, en varioit à l'infini les ressources au moyen des deux épispastiques universels ; savoir, la douleur & la chaleur. Il avoit remarqué que le plus souvent là où il y a douleur, il y a maladie, ubi dolor, ibi morbus, qu'une douleur plus forte l'emportoit sur une moindre, que la douleur attiroit & fixoit la maladie sur l'endroit douloureux ; " car, dit-il, si avant que la maladie soit déclarée on à senti de la douleur dans une partie, c'est-là même que la maladie se fixera ". Il croyoit donc que la douleur disposoit la partie à appeller & à se charger de la maladie, par conséquent qu'une douleur produite par art, plus vive que la naturelle, en diminuant ou anéantissant celle-ci, étoit capable de faire tout-au-moins une diversion salutaire, un déplacement de la maladie, laquelle, chemin faisant, s'il est permis d'ainsi parler, pouvoit encore être altérée ça & là par les différens organes, & devenir par ce moyen générale. A l'égard de la chaleur, il avoit également éprouvé que la chaleur attire ; cela est par tout dans ses ouvrages. Le pan quò calet attrahit y revient à chaque page ; il dit plus expressément encore au sujet de la vertu attractive ou attirante communiquée par la chaleur aux parties, membrum per caliditatem trahit ad seipsum à vicinis venis ac carnibus pituitam ac bilem, lib. I. de morb. Il savoit encore que la chaleur portée à un certain degré, produisoit la douleur ; & quant à ces attractions d'humeurs, il les expliquoit par l'énergie & la mobilité du grand principe, qui, suivant l'axiome si connu, se porte d'une extrêmité du corps à l'autre extrêmité, &c. D'un autre côté, il étoit le témoin infatigable des guérisons imprévues qu'opéroit la nature par des éruptions cutanées, des parotides, des ulceres actuellement suppurans, &c. C'étoit donc par une analogie toute simple qu'Hippocrate étoit conduit à employer les dolorifiques & les échauffans externes pour réveiller ou pour rappeller la nature lorsqu'elle s'engourdissoit, ou qu'elle ne pouvoit plus suffire elle-même. Tel est à-peu-près le plan général de la conduite d'Hippocrate dans l'usage des vésicatoires, qu'il ne faut jamais perdre de vue dans l'estimation rationelle de ces remedes. Ainsi donc en résumant ce qui vient d'être dit, il est un principe qui anime le corps. Les épispastiques sont deux ; savoir, la douleur & la chaleur ; ils sont universels & absolus ; la douleur se décompose en faveur de l'art en une infinité d'intermédiaires qui peuvent être autant d'épispastiques depuis la douleur positive ou absolue jusqu'au sentiment le plus voisin du plaisir. L'art trouve les mêmes ressources dans la chaleur dont les nuances depuis la plus légere fievre jusqu'au feu destructif, forment une férie des mêmes remedes. La douleur & la chaleur sont des modifications du grand principe qui a son siege dans les nerfs dont il est l'élément sensitif, comme les autres particules de matieres en sont les élémens physiques. La douleur & la chaleur se produisent & se détruisent mutuellement. Les vésicatoires ne sont que les agens excitatifs du grand principe ; car la cause efficiente de la chaleur & de la douleur est en nous comme le sentiment des couleurs est en nous ; au moyen de cette vertu communicative, l'action de la chaleur & de la douleur peut s'étendre d'un point de la surface du corps à tout le grand principe, comme l'embrasement peut arriver à toute une masse combustible par une étincelle. C'est encore une fois sous cet assemblage d'idées sublimes qu'on peut se représenter le génie d'Hippocrate occupé de la médecine épispastique, en dirigeant toutes les branches & en mouvant tous les ressorts. Maintenant avec l'avance de ces préceptes élémentaires, il est bien facile de concevoir que l'action des vésicatoires sur les corps consiste à exciter la fievre au moyen de ce principe qui n'est autre chose que la sensibilité & la mobilité des nerfs. Voyez SENSIBILITE. Lorsqu'on applique un épispastique sur une partie, son effet sensible est d'en augmenter les oscillations nerveuses, qui, si elles sont poussées trop loin, produiront la fievre, accéléreront le mouvement des liqueurs, & les entraîneront suivant les déterminations de la nature ou celles de l'art, s'il est plus fort qu'elle. Pour avoir une idée de ces déterminations, il faut les considérer dans l'état naturel, se portant alternativement du centre du corps à la circonférence, & de la circonférence au centre, au moyen de l'antagonisme de la peau avec les organes internes, & roulant suivant les mêmes directions, les divers sucs contenus entre cette circonférence & le centre dont elles jettent au-dehors une partie sous la forme de sueur & de transpiration. Ces déterminations ont été appellées par quelques auteurs forces centripetes, & forces centrifuges. Voyez Hoffman. Augmentez la puissance dans un des antagonistes, dans la peau, par exemple, & les déterminations seront vers la peau ; il en arrivera de même en ne l'augmentant que dans la plus petite surface possible de cet organe externe ; car chaque fibrille nerveuse étant dans une oscillation continuelle, suivant des expériences ingénieuses qui ont été faites depuis peu (Voy. Specim. physiolog. de perpet. fibrar. muscul. palpit. Joseph. Ludov. Roger, dont le jeune auteur méritoit par ses talens une plus longue vie), elle est susceptible par l'augmentation de son oscillation & de sa sensibilité particulieres, de devenir un point fébrile ; ce point s'agrandissant de plus en plus, formera un centre fiévreux, avec érection des nerfs & des vaisseaux de la partie, d'où partiront des especes de courans qui gagneront tout le corps, & se rapporteront continuellement à ce centre comme à une source d'action & de force, en y entraînant avec eux une partie des humeurs détournées des autres organes, ce qui occasionnera une espece de plethore locale, & en conséquence l'élévation ou tumeur de la partie ; cette maniere d'expliquer ainsi par l'action vitale la formation de pareilles tumeurs, est autorisée par une observation que tout le monde peut faire ; c'est que les tumeurs inflammatoires s'affaissent après la mort, & que si l'on fait une incision à la partie qui étoit tumeur dans le vivant, on la trouve farcie & engorgée d'une quantité excessive de sang par comparaison avec les autres parties, quoiqu'elle fût avant l'ouverture au même niveau. (Voyez recherches anatomiq. sur les glandes, pag. 480). Ces phénomenes sont quelquefois produits sponte dans un organe intérieur, qui dès ce moment doit être regardé comme converti en une espece de ventouse. L'abord du sang dans cet organe peut en rendre les vaisseaux variqueux, & avoir mille autres suites funestes ; dans ce cas, lorsqu'on applique immédiatement sur la partie, ou tout auprès, certains vésicatoires, tels que les scarifications, les setons, &c. on obtient une dérivation immédiate des humeurs qui engorgeoient la partie ; ainsi dans les violens maux de tête, les anciens saignoient quelquefois très-utilement à la veine du front ; aux veines de derriere l'oreille, dans les vertiges ; aux ranines dans certains maux de gorge, &c. ce qui revient à nos setons, scarifications, &c. mais qui ne voit pas que les effets secondaires des vésicatoires dans ces occasions sont purement méchaniques ou passifs, & doivent être soigneusement distingués des premiers qu'on pourroit appeller actifs ?

Quant aux déterminations des humeurs, en conséquence de ces dispositions particulieres dans les solides d'une partie, on reclameroit vainement contre elles les loix générales de la circulation ; ces loix sont renversées en grande partie par l'observation & par l'expérience. Baillou a remarqué sur un jeune haemoptysique des pulsations aux hypocondres, provenant du sang qu'on sentoit se porter en haut, comme si on l'eut conduit avec la main. Voyez lib. I. des épidémies. On entend dire tous les jours à des mélancoliques que le sang leur monte du bas ventre à la tête, qu'ils le sentent monter & s'arrêter à la région lombaire, &c. L'anatomie démontre encore un nombre prodigieux d'anastomoses, de réseaux vasculaires, dans lesquels on ne sauroit admettre la circulation d'après la théorie commune. La constitution & l'arrangement des cellules du tissu muqueux forment encore une forte présomption contre ces loix générales. Voyez là-dessus les recherches sur le pouls, c. xxj. Enfin l'on s'est convaincu par des expériences bien faites, du reflux du sang vers le cerveau, par les troncs veineux de la poitrine, dans le tems de l'expiration. Voyez Mémoires de l'académie des Sciences, de l'année 1749. Il paroît donc que les argumens tirés d'après les oscillations nerveuses en conséquence des phénomenes de la sensibilité des parties, doivent autrement éclairer la théorie de la dérivation & de la révulsion, que les hypothèses des humoristes, dont les principes ont été d'ailleurs démontrés faux par des médecins & des physiciens illustres. Voyez les commentaires sur Heister.

A l'égard de la formation des vessies par l'application des épispastiques, il est hors de doute que la contraction de la partie de la peau exposée à l'action irritante du vésicatoire, influe pour beaucoup dans ce phénomene. Cette contraction aidée des sucs propres à la partie, & altérés par l'âcreté ou causticité des vésicatoires, ou de la portion de sueur & de transpiration arrêtée par le topique, sépare la peau de la cuticule ou épiderme, & l'espace formé pour lors entre elles demeure rempli de ces sucs qui s'y accumulent de plus en plus. On voit donc que l'effet actif, cet effet propre à l'animal ou au corps vivant, concourt en grande partie à produire ces vessies, & qu'il faut bien se garder de la confondre avec la contraction qui arrive méchaniquement à un cuir ou à un parchemin en l'approchant du feu ; erreur dans laquelle ont été entraînés plusieurs grands hommes, par l'arbitraire de la théorie qui a cette malheureuse commodité de se prêter à toutes sortes d'idées.

Avant de quitter cette matiere, il convient de dire un mot de l'action des vésicatoires, par rapport au département de chaque organe, en vertu de cette sympathie, de ce consensus général qu'Hippocrate a si bien observé. Quelques auteurs pleins de grandes vues ont travaillé très-heureusement sur ce sujet ; ils ont constaté beaucoup de choses, en ont fait connoître de nouvelles, mais ils en ont montré beaucoup plus encore dans le lointain, qu'on ne parviendra jamais à acquérir qu'après des expériences réitérées ; il seroit sans-doute bien important de savoir quel est l'organe qui correspond le plus à l'organe affecté ; quelle utilité n'en résulteroit-il pas pour le choix des parties, dans l'application des vésicatoires ! Hippocrate a dit si caput doluerit, ad pectus, deinde ad praecordia, tum demùm ad coxam procedit. La propagation de la douleur jusqu'à ce dernier organe, ne prouve-t-elle pas une correspondance de celui-ci avec les deux autres ? cela n'a pas non plus échappé à quelques maîtres de l'art ; on verra dans le détail, qu'ils appliquoient souvent avec succès des vésicatoires sur le haut de la cuisse, dans les maladies dont le siege est censé établi dans la région de l'estomac. Ce que nous savons de merveilleux sur l'étendue du département de ce dernier, devroit nous animer à la découverte de ce qui nous manque de connoissances sur les autres. Van Helmont se foule le pié, il éprouve dans l'instant même les affections d'estomac les plus violentes, qui ne cessent qu'après le rétablissement de la partie. On lit dans le chancelier Bacon,si pollex pedis dextri ex oleo ungatur, in quo cantharides sunt dissolutae, mirabilem facit erectionem. Vide in bibliothec. pharmaceut. medic. Mangeti, lib. I. Les livres des observateurs sont pleins d'exemples de cette nature.

Les maladies dans lesquelles on a coutume d'employer les vésicatoires, sont principalement les maladies chroniques ; j'entends celles dont l'art peut entreprendre la guérison ; celles-ci sont fondées 1°. sur des affections purement nerveuses ; 2°. sur de pareilles affections occasionnées par une matiere qu'on peut croire enfoncée bien avant dans la substance même du nerf ou des parties ; 3°. enfin sur une indisposition du tissu cellulaire qui se trouve abreuvé d'humeurs qui détruisent de plus en plus son ressort & celui des organes ; ce dernier cas revient à ce que les anciens appelloient intempérie froide. Voici d'ailleurs comment Galien s'explique sur les indications de ces remedes, au chapitre de evacuantibus ex alto auxiliis, in omnibus diuturnis affectionibus, cum nihil profuerint ulla auxilia, evocantem ex alto curationem metasyncriticam à methodicis appellatam.... facere plerique solent ; ego verò ubi intemperies quaedam humida & frigida in affectis partibus est, aut obtusus aut stupidus sensus, adhibeo ipsis pharmaca ex sinapi aut thapsia & similibus confecta : at in siccis & calidis affectionibus non adhibeo ; mais en nous en tenant à notre premiere division des maladies chroniques, on peut dire en général que c'est ici le cas plus que jamais, d'exciter la fievre, suivant le fameux précepte d'Hippocrate, vetustos morbos primùm recentes facere oportet ; de locis in homine, cap. xiij. Dans le premier genre des maladies nerveuses, c'est-à-dire dans celles qui sont sans matiere, les vésicatoires capables de produire les plus fortes & les plus promtes révolutions, doivent être employés ; ainsi la fureur, au rapport d'Hippocrate, emporte l'épilepsie, furor magnum morbum (sic enim comitialem vocant), solvit, de morbis vulgar. sect. v. Ainsi l'on voit des manies, des fievres intermittentes opiniâtres, guéries par une conversion violente & subite dans le ton des nerfs occasionnée par la terreur, l'ivresse, & autres moyens analogues. L'histoire de ce qui arriva au fameux Boerhaave, dans l'hôpital de Harlem, en est une autre preuve. Dans le second genre des maladies, c'est-à-dire lorsque quelque matiere blesse les nerfs ou l'organe, il est bon de recourir aux épispastiques propres à résoudre les spasmes intérieurs causés par le délétere, ou à faire une puissante révulsion de celui-ci au-dehors ; ces remedes conviennent dans la goutte, la sciatique, la surdité, &c. ils s'étendent encore à beaucoup d'accidens qui surviennent dans les maladies aiguës, & dont il sera question au chapitre des vésicatoires proprement dits ; leur succès se manifeste ordinairement par des évacuations copieuses plus ou moins lentes, par des tumeurs, des abcès, &c. Jusqu'ici, l'action des vésicatoires dans ces deux genres, paroît appartenir à l'effet que nous avons appellé actif ; mais il est encore à propos d'observer à l'égard du second, que souvent il arrive qu'une petite portion d'humeurs viciées va & vient du noyau du corps à sa surface, & ne se fixe que pour un tems sur les organes de l'un & de l'autre ; c'est ce qu'on remarque dans quelques dartres, quelques éruptions exanthémateuses, quelques ulceres périodiques, &c. dont la disparition est quelquefois aussi dangereuse pour le malade, que leur retour lui est favorable ; alors on sent que suivant que l'humeur est rentrée dans le corps, ou se trouve rejettée actuellement à sa surface, l'effet des vésicatoires peut être actif ou passif, & qu'on doit en varier le choix d'après ces indications. Baillou parle d'un homme à qui le bras étoit devenu tout noir, par une métastase qui se portoit de tems-en-tems à cette partie ; lorsque cette noirceur disparoissoit, l'homme tomboit dans la démence ; on fut d'avis de scarifier la partie affectée de cette noirceur ; ce qui ayant été fait, l'homme fut entierement guéri, l. V. tom. III. lib. paradigm. Dans le troisieme genre de maladies chroniques, comme dans les oedemes, les leucophlegmaties, les hydropisies, les chloroses, &c. les vésicatoires doivent être plus doux ; & quant à leur effet, il paroît mêlé de l'actif & du méchanique : car il est vraisemblable que le seul poids de la masse du liquide épanché ne suffit pas toujours pour l'évacuer par l'ouverture faite ; on en trouve un exemple dans les journaux des maladies qui ont regné à Breslaw en 1700. Vesicatoria in corporibus succi plenis, plethoricis & nimiâ humorum copiâ repletis, interdùm ferè nulla evacuatio fuit secuta ; cujus rei ratio in nimia fluidi copia quaeritur ; cum certum sit ad excretionem praeter apertos poros, debitam fibrarum resistentiam, motum proportionatum, insimul debitam requiri fluidi copiam. Vide in actis erudit. anno 1701.

Il se présente ici maintenant une question assez intéressante, savoir s'il est indifférent pour ces effets que nous avons appellés actifs, de se passer ou non avec solution de continuité dans la partie. Nous croyons que dans bien des cas, dans tous ceux même où il ne s'agit que de corriger une inversion du ton du système nerveux, l'intégrité de la peau, sa réaction sur les autres organes, nous paroît nécessaire pour la marche réguliere des oscillations nerveuses : ainsi, par exemple, dans les amputations on voit que l'équilibre entre les organes, ne se rétablit qu'après la formation d'une cicatrice épaisse qui supplée toute la portion de la peau emportée avec le membre ; ainsi l'escare peut suppléer avantageusement la peau dans les ustions, sans compter que l'effet de ces derniers remedes est principalement estimé par sa violence & sa promtitude ; il faut en dire autant de tous les autres effets promts & momentanés. On ne sauroit donc trop s'attacher à reconnoître le genre de la maladie, avant de prononcer sur le choix des épispastiques, ne fût-ce que pour éviter au malade le désagrément d'une plaie ou d'une cicatrice, qui paroissent tout-au-moins inutiles dans les maladies sans matiere.

Tout ce qu'on peut noter des autres précautions à prendre en général dans l'administration des vésicatoires, se réduit 1°. à saigner ou à purger auparavant le malade, si le cas l'exige : car les épispastiques étant récorporatifs, c'est-à-dire propres à faire circuler la limphe nutritive, il pourroit en résulter des accidens fâcheux ; plus vous remplirez, dit Hippocrate, les corps impurs, & plus vous vous exposerez à leur nuire. 2°. Il ne faut pas appliquer ces remedes sur les organes délicats. 3°. Les doses en doivent être proportionnées à l'âge & au tempérament du malade, à la nature de la maladie, &c. 4°. Il convient de ne pas les employer au commencement des maladies aiguës, si vous en exceptez quelques-unes, comme l'apoplexie qui même à la rigueur, pourroit n'être pas comptée parmi ces dernieres.

Galien nous a encore laissé là-dessus des préceptes généraux qui paroissent confirmer en partie ce que nous disions au sujet du choix des vésicatoires. " C'est, dit cet auteur, lorsque les parties les plus extérieures se trouvent dans un état sain, & que ce qui doit être évacué est profondément caché dans les organes les plus internes, il convient d'augmenter ou de donner plus d'intensité à la chaleur du médicament épispastique, crainte que cette chaleur, avant de parvenir à ces organes, n'ait trop perdu de sa force, & il n'y a aucun risque que cela cause aucun dommage aux parties externes, puisqu'elles sont supposées saines. Deux choses sont donc à considérer dans l'usage des médicamens âcres & des médicamens chauds, savoir, les parties externes qui doivent supporter l'activité des épispastiques, & les internes qui ont besoin de ces remedes ; summae partes quae tolerant, & profundae quae egent. Vide lib. art. medic. cap. lxxxv. Le même auteur veut encore que lorsqu'il est question d'échauffer promtement, on ait recours aux remedes qui produisent la chaleur au moindre contact du corps, & la répandent avec la même célérité dans toutes les parties ; mais si c'est un membre refroidi qu'il soit besoin de réchauffer, il y faut employer des épispastiques dont l'effet soit plus lent & plus long. " Voyez lib. VI. simpl. cap. de zing. C'en est assez pour le général des vésicatoires, auquel on ne sauroit d'ailleurs rien ajouter sans anticiper sur les détails particuliers où ces matieres nous paroissent plus convenablement placées, & dont nous allons nous occuper tout de suite dans l'ordre déja indiqué.

Des rubéfians. C'est un effet inséparable de l'action des vésicatoires, que d'exciter des rougeurs sur la peau, ou d'être rubéfians ; ainsi d'après cette conformité générale d'effet, il semble qu'ils devroient tous être réduits à une seule & même classe qui seroit celle-ci : mais la plus grande ou la moindre énergie des uns comparés aux autres, mettant, ainsi que nous l'avons déja remarqué, des distinctions réelles dans leurs effets, les auteurs ont cru devoir établir un ordre de progression dans l'énumération de ces remedes, d'après l'estimation graduelle qu'on a faite de leurs vertus. Les rubéfians doivent donc être dans l'ordre pharmaceutique des individus de remedes spécifiés, par cette qualité sensible que nous avons dit être commune à tous les vésicatoires, de rougir la peau, & qui sont capables d'ailleurs des autres effets épispastiques dans un moindre degré ; ensorte que c'est la premiere nuance de la vertu vésicatoire prise en total, par laquelle les remedes sont caractérisés ; les anciens ont appellé ces remedes , phoenigmi, phoenigmes ; les substances ou les drogues qu'on y emploie sont les mêmes que celles de la plûpart des autres vésicatoires, quoiqu'il y en ait parmi elles qu'on désigne pour être plus particulierement rubéfiantes, telles que la semence de cresson, la fiente de pigeon ramier, le staphisaigre, l'iberis, &c. Dans la composition des rubéfians, les anciens n'employoient pas ces substances pures, mais on observoit d'en émousser la causticité ou l'âcreté par des ingrédiens, comme les huiles, & principalement les graisses parmi lesquelles on avoit grand soin de choisir, d'après les préjugés des tems, celles de lion, de léopard, d'hyene, d'oie, &c. ou par des préparations qui tiennent à des vûes chymiques & qu'on a pratiquées très-anciennement, comme de faire macerer dans du vinaigre la graine de moutarde, qui est une des principales matieres de ces remedes ; ou enfin par la médiocrité des doses & quelques circonstances dans les mêlanges. Au moyen de cette correction, l'activité d'un vésicatoire proprement dit étoit réduite à celle de rubéfiant, qui néanmoins par un long séjour sur une partie, pouvoit faire l'office du premier, de même qu'un sinapisme ou tel autre puissant vésicatoire pouvoit n'être que rubéfiant, en abrégeant la durée de son application : d'où il est clair que l'état de rubéfiant dans ces remedes dépendant quelquefois de cette mesure de tems, on pourroit encore les définir, des vésicatoires réduits à la seule vertu de produire des rougeurs, soit par les correctifs dans la composition & dans les doses, soit par le tems qu'on laisse à leur action. Les rubéfians sont des compositions pharmaceutiques particulieres auxquelles on a donné spécialement le nom de rubéfians ; ils peuvent être sous plusieurs formes ; les plus ordinaires sont l'emplâtre, le cataplasme, le liniment, &c.

Tous les anciens depuis Hippocrate ont fait beaucoup d'usage de ces remedes : on trouve dans Myrepsus, ind. medec. c. vij. la formule d'un emplâtre rubéfiant appellé anthemeron de l'invention d'Asclepiade, donné pour un remede souverain dans les hydropisies ; les myrobolans, la litharge, le nitre, le vinaigre, la résine, &c. entrent dans la composition de ce remede. Aëtius donne encore l'iberis ou le cardamum mêlé avec du sain-doux, comme un rubéfiant très-utile recommandé par Archigene, Voyez Tetr. 1. serm. 3. c. clxxxiv. les médicamens appellés acopes fournissent encore des rubéfians dans plusieurs maladies chroniques. Voyez Galien, de comp. medic. lib. VII. les cataplasmes en donnent également de très-bons ; voyez sur-tout dans G. ibid. p. 927. le cataplasme pour les pleurétiques intitulé Pharmianum ; dans Arétée, lib. II. c. v. de curat. profluv. serm. un cataplasme rubéfiant, qui en rougissant la peau, y produisoit encore des taches appellées jonthos ; ce dernier remede est une composition de bois de laurier. Paul-d'Egine, de re med. l. VIII. c. xix. donne d'après Alexandre, la formule d'un liniment rubéfiant où entre l'encre à écrire, ex atramento scriptorio, & qui est très-vanté dans les migraines. Quelques modernes ont employé les cantharides, le saindoux, le savon, le sel, &c. dans les rubéfians ; voyez J. Heurnius, method. ad prax. Wepfer propose contre la migraine, à titre de rubéfiant très-léger, un morceau de veau rôti & trempé dans l'esprit-de-vin, où l'on aura fait macérer de la graine de moutarde. l. V. observ. 53. V. Musgrave de arthritide pour des rubéfians employés dans la goutte. On pourroit compter parmi ces remedes l'emplâtre de caranna que Sydenham a fait appliquer avec succès à la plante des piés, dans le chorea sancti Viti, voyez Sydenh. op. p. 180. quelques onguens, quelques huiles odorantes, & quelques poudres, de même que le diacopregias de Caelius Aurelianus, qui n'est que la poudre de crotin de chevre, délayée dans du vinaigre ou du posca, peuvent passer pour rubéfians.

Les rubéfians conviennent, outre les maladies dont nous avons déja parlé, dans les ophthalmies, les vertiges, la léthargie, les angines & dans quelques affections des reins, voyez dans Oribase. Duret observe néanmoins qu'on ne doit faire usage des phoenigmes dans la léthargie, qu'autant que le malade se trouve enseveli dans un sommeil profond & continu, ou qu'il est assoupi au point de ne pouvoir être autrement excité ; car, dit-il, ubi vigiliarum vicissitudo est per , id est micationem caloris febrilis, tutus non est phoenigmorum & sinapismorum usus. Voyez dans Hollier, p. 61. de morb. intern. lib. I. cap. de letharg. On peut inférer de ce passage qu'en général dans le cas de chaleur febrile, il n'est pas prudent de faire usage de ces remedes.

Les rubéfians sont ordinairement avec les dropaces, les précurseurs des sinapismes, c'est-à-dire qu'avant d'en venir aux sinapismes, on emploie d'abord les premiers pour préparer la partie. Par cette derniere raison, ces remedes entrent encore dans la méthode ancienne de traiter certaines plaies.

Les rubéfians peuvent s'appliquer sur presque toutes les parties du corps, ce qui est un privilege commun à tous les topiques d'une vertu foible. Leur effet consiste à mordre légerement sur la peau, à y exciter de l'irritation, de la chaleur, & à produire quelques petites révulsions. Les anciens avoient coutume après l'administration de ces remedes, de laver le malade, ou de le mettre dans le bain, ou enfin de frotter la partie avec des huiles chaudes.

Les fomentations, (voyez l'article FOMENTATIONS, Médecine thérapeutique, &c.) tant seches qu'humides, sont de bons épispastiques rubéfians, en relâchant les pores, comme disoient les anciens, en redonnant du ton à la peau & au tissu cellulaire par un léger stimulus des nerfs ; elles procurent des révulsions très-utiles dans les transpirations & sueurs arrêtées, dans le tetanos, les fievres exanthémateuses, comme la petite vérole, dans les angines, &c. Les anciens employoient ordinairement dans les vertiges les fomentations sur toute la tête ; mais avec la précaution de ne pas y employer des matieres qui eussent une mauvaise odeur. Mercatus, de febre pestil. & malig. l. VIII. pag. 459. recommande, pour attirer la matiere des bubons pestilentiels, les fomentations avec des éponges imbibées d'une décoction de plantes aromatiques & un peu âcres. Les anciens faisoient encore des fomentations sur les plaies qu'ils vouloient amener à suppuration, avec des sachets de lin remplis de fiente de pigeon ou d'excrément de chien réduit en poudre. (Voyez dans Arétée passim.) Les vapeurs de certaines plantes aromatiques, conduites par un tuyau dans différentes cavités du corps, sont des fomentations très-usitées par Hippocrate dans quelques maladies des femmes. Les jeunes animaux ouverts ou fendus par le milieu du corps, & appliqués encore tout chauds sur une partie, sont des especes de fomentations rubéfiantes qu'on a souvent employées avec succès ; Arculanus Comment. in lib. IX. Rhas. c. 141. attribue éminemment cette vertu épispastique rubéfiante aux lézards appliqués à demi-morts sur les parties ; il prétend même que ce remede est capable d'en extraire les corps étrangers qui peuvent s'y être plantés ou introduits.

Les fomentations s'appliquent comme rubéfians sur tous les endroits du corps, excepté, suivant Galien, la région praecordiale, où il seroit à craindre qu'elles n'attirassent les superfluités du corps sur le foie ou sur quelqu'autre viscere voisin : mais on peut se mettre à l'abri de ce danger, en purgeant auparavant le malade, suivant la pratique d'Hippocrate, qui avec cette précaution ne faisoit point difficulté, dans le traitement des fievres, d'appliquer de pareils remedes sur cette région. V. de rat. vict. Il est prudent néanmoins de ne pas employer des fomentations trop chaudes sur les hypocondres dans quelques maladies de la tête, sur-tout dans la phrénésie. Voyez Alexandre de Tralles, lib. I. c. xiij. de phrenit.

Les épithemes, (Voyez EPITHEMES, Pharmac.) & toutes les variations de ces remedes, comme les écussons, &c. sont encore des rubéfians qu'on emploie avec succès contre les douleurs de côté dans la pleurésie, quelques palpitations du coeur, & un grand nombre d'autres affections. On a quelquefois obtenu avec ces remedes des révulsions très-utiles dans des fievres opiniâtres. Boyle raconte qu'il s'est guéri d'une fievre continue violente qui avoit tenu contre toutes sortes de remedes, en s'appliquant au poignet un mêlange de sel, de houblon & de raisins de Corinthe. Les Egyptiens, au rapport de Prosper Alpin, se guérissent des fievres intermittentes, en s'attachant aux poignets, une heure avant l'accès, un épitheme d'ortie broyée de sel ou de nitre. Vid. de med. aegypt. pag. 319. On lit dans les Commentaires des Aphorismes de Boerhaave par M. van Swieten, qu'un paysan guérissoit les fievres intermittentes, en mettant dans la main, & y fixant par un bandage de la pulpe de ranuncule. V. tom. III. pag. 519 & 520.

Les briques chaudes, les murailles des fours, &c. sont encore autant de rubéfians épispastiques ou d'épithemes chauds. A l'égard de l'application des épithemes, ils ont cela de particulier, que d'ordinaire on ne les applique que sur les parties du milieu du corps, mediis partibus, comme sur le foie, la rate, &c.

Les cucuphes, (Voyez CUCUPHE, Pharmac.) procurent encore comme rubéfians de très-grands soulagemens dans les surdités, les foiblesses de nerfs, les abolitions de mémoire, les douleurs de tête continuelles, &c.

Les bains chauds, (Voyez BAINS Méd.) soit naturels, soit médicinaux, sont parmi les epispastiques rubéfians des remedes salutaires qu'on peut employer dans l'état sain comme dans l'état malade. Ils conviennent principalement dans quelques amaigrissemens, dans quelques maladies aiguës, dans les excrétions de la peau arrêtées, & dans beaucoup d'autres indispositions de cet organe. Dans ces derniers cas même, ils sont très-souvent préférables aux remedes internes, ainsi que l'ont éprouvé plusieurs praticiens, & que le dit Hippocrate à l'occasion d'un nommé Simon, dans le cinquieme livre des épidem. sect. 2. Voici ce passage : latas pustulas non admodum pruriginosas, quales Simon hyeme habebat, qui cum ad ignem inungeretur aut calidâ lavaretur juvabatur ; vomitus non juvabant. Les bains de vapeurs peuvent encore être regardés comme des bains chauds, de l'utilité la plus reconnue dans bien des maladies ; ils sont quelquefois d'autant plus efficaces, que ces vapeurs sont chargées de quelque principe subtil qui s'éleve par l'ustion de certaines substances aromatiques. S'il faut en croire Zacutus Lusitanus, il croît sur les montagnes du Pérou une plante graminée que les naturels appellent iche, dont la vapeur a la vertu d'attirer le reste de mercure qui peut se trouver dans le corps de ceux qui viennent d'être traités de la vérole, ensorte que ces personnes suent exactement le mercure qui leur sort par toute la peau en forme d'efflorescence ; quare aegri intrà Conopoeum, hujus paleae fumo, sensim ac sine sensu sudoris in modum per totam corporis superficiem mercurium exsudant. Vid. prax. medic. admirab. lib. II. pag. 75. obser. 137. Il ne manque à ce fait qu'un peu plus de vraisemblance pour mettre les vapeurs de cette plante au rang des épispastiques rubéfians les plus merveilleux. Les bains de fourmis, les bains de sable, les aspersions avec du sel, du nitre, les insolations, &c. sont encore comme autant de bains chauds qui doivent être comptés parmi les puissans rubéfians. Ici reviennent également les demi-bains semicupium, l'insession, insessus qui en est une espece, le stillicidium, l'irrigation, &c. V. passim dans Hippocrate, Celse, Galien, Caelius-Aurelianus, Prosper Alpin, de med. method. & autres. Voyez encore tous ces mots.

Le pediluvium ou bain des piés, c'est encore un rubéfiant de l'espece des derniers que nous venons de nommer ; il est renommé par les révulsions salutaires qu'il opere dans les maladies quelquefois les plus désespérées. Cette grande efficacité est fondée sur la correspondance admirable des piés avec toutes les cavités du corps. Les phénomenes de cette correspondance, nous osons l'avancer, doivent être pour le praticien une source féconde d'indications relatives à la température des piés dans les maladies : qu'on lise là-dessus Hippocrate de rat. vict. in acut. sect. jv. pag. 398. & parmi les modernes, Baglivi de fib. motr. lib. I. c. x. Combien de mélancholiques, de vaporeux, de personnes tourmentées de vomissemens habituels, qui eussent reçu d'un bain des piés un soulagement qu'on n'a jamais pensé à leur procurer, faute d'attention à ces principes !

Quant aux précautions à observer dans l'administration de toutes sortes de bains en général, la premiere est que nous avons dit une fois pour toutes, devoir toujours aller avec l'usage des vésicatoires, c'est de pourvoir à quelques évacuations préalables ; en second lieu les corps impurs ne sont pas faits pour les bains, corpora impura non balneanda ; enfin il est des cas qu'il faut avoir bien soin de distinguer, ou suivant cet autre précepte du Ve & VII. liv. épidem. d'Hippocrate, l'eau chaude appliquée aux piés peut être nuisible aux yeux & au cerveau. Voyez encore PEDILUVIUM, ou l'article BAIN, Méd.

Les frictions, ces ressources simples & heureuses occupent parmi les rubéfians une place très-distinguée. Tout ce qui peut intéresser la curiosité du médecin dans l'histoire de ces remedes, méritant d'être connu, & se trouvant renfermé dans une dissertation de M. Loelhoeffel, imprimée à Leyde au mois de Juin 1732 : nous allons transcrire ici la plus grande partie de l'extrait qu'on en trouve dans le journal des savans de Février 1734.

" Hippocrate établit différentes frictions de la peau, l'une forte & l'autre douce, l'une continue & l'autre qui se fait à diverses reprises. La premiere, selon lui, durcit le corps, la seconde l'amollit, la troisieme l'exténue, & la quatrieme rétablit ce qui s'en est dissipé de trop. La premiere ne convient pas aux gens secs & d'un tempérament chaud, mais est très-propre aux personnes d'une constitution humide & froide ; la seconde est nuisible à ceux qui ont la chair lâche, & convient à ceux qui l'ont remplie d'obstructions & de duretés ; la troisieme fait du bien aux personnes replettes ; & la quatrieme beaucoup de tort à celles qui n'ont ni trop, ni trop peu d'humeurs.

Les médecins qui sont venus après Hippocrate ont établi d'autres différences dans la friction, par rapport aux lieux & aux autres circonstances ; les unes se font en plein air, les autres dans la chambre ; les unes à l'ombre, les autres au soleil ; les unes dans un lieu chaud, les autres dans un lieu froid, les unes au vent, les autres à un air tranquille ; les unes dans le bain, les autres devant ou après le bain, les unes avec de l'huile, les autres sans huile ; les unes avec les mains simplement, les autres avec des linges ; & celles-ci avec des linges rudes ou avec des linges doux.

Ils ont encore distingué les frictions, par rapport aux différens sens dans lesquels elles se pratiquoient ; les unes se faisoient de haut en bas, les autres de bas en haut ; les unes en ligne directe ; les autres en ligne oblique ; les unes absolument en-travers, les autres un peu moins horisontalement ; toutes différences qui leur ont paru si essentielles à observer, qu'ils ont crû devoir les exposer par une figure qui est celle ci-jointe, & qui se voit dans Galien lib. II. de sanitate.


VESICULES. f. en Anatomie, est un diminutif de vessie, & signifie une petite vessie. Voyez VESSIE & VESSIE URINAIRE.

Les poumons sont composés de vésicules ou de lobules vésiculaires qui reçoivent l'air par les bronches, & non pas seulement l'air, mais aussi la poussiere, &c. Voyez LOBULE & POUMONS.

Il y a dans le corps différentes parties qui portent ce nom.

VESICULE du fiel, vesicula fellis ou cistula fellis, est un vaisseau oval & membraneux qui ressemble à une poire par sa figure & par son volume, & qui est situé dans la partie concave du foie. Voyez FOIE.

Elle est adhérente au foie par ses membranes dont l'externe lui est commune avec le foie. La partie inférieure qui pend hors du foie, est posée sur le pylore ou orifice inférieur de l'estomac.

On reconnoît ordinairement cinq membranes à la vésicule du fiel ; une externe ou commune qui vient du péritoine ; une interne du côté que la vésicule est adhérente au foie, & qui vient de la capsule de la veine porte & du conduit biliaire. Et trois propres dont la premiere est vasculeuse ; la seconde musculaire, & la troisieme glanduleuse.

Mais le docteur Drake ayant examiné au microscope un morceau d'une vésicule du fiel desséchée, a trouvé que cette exacte distinction de membranes étoit peu fondée ; les différens ordres de fibres des différentes membranes, paroissant n'être autre chose qu'un entrelacement infini de vaisseaux diversement ramifiés.

On distingue ordinairement à la vésicule du fiel un fond qui est la partie la plus large, & un col, qui est la plus étroite.

Le col de la vésicule du fiel forme un allongement qui se termine par un canal nommé conduit cystique ou biliaire, lequel environ à deux pouces de distance de la vésicule, se joint au conduit hépatique ; & tous deux ainsi réunis forment le conduit commun. Voyez CONDUIT, &c.

L'usage de la vésicule du fiel est de recevoir la bile après qu'elle a été séparée dans les glandes du foie, & de la décharger dans le duodenum par le conduit commun.

La bile qui se trouve dans la vésicule, est plus jaune, plus épaisse, plus amere & plus âcre que celle du conduit biliaire. Voyez BILE.

VESICULES adipeuses. Voyez l'article ADIPEUX.

VESICULE DU FIEL, maladies de la, (Médec.) 1°. Le réservoir de la bile attaché au foie, qui reçoit une humeur particuliere duement élaborée, qui la conserve pour le tems convenable ; qui lui communique son amertume & sa couleur jaune ; qui la conduit ensuite par le canal cystique dans le canal commun, & de-là dans le duodenum ; cette partie, disje, a ses maladies particulieres.

2°. Lorsqu'elle est comprimée par le gonflement du foie ou de l'estomac, elle ne se remplit point de la bile qui est si nécessaire à notre santé ; il faut en détruire la cause pour y porter remede. S'il arrive qu'elle soit blessée ou qu'elle se rompe, elle répand la bile dans la cavité du bas-ventre ; c'est un malheur incurable. L'obstruction qu'elle éprouve par une bile trop tenace ou pétrifiée, la fait enfler considérablement, produit des anxiétés, la jaunisse, la fievre, & autres maladies qu'on ne peut guérir qu'en détruisant la cause par les délayans, les savonneux, les fondans. Quand la vésicule du fiel est attaquée d'inflammation, elle se resserre, & ne permet à la bile ni d'y entrer ni d'en sortir. Il faut remédier à cette inflammation dans son principe ; l'irritation de ses nerfs produit un ictere qui se dissipe & renaît. Dans le traitement de cet accident il convient d'employer les antispasmodiques. (D.J.)

VESICULES SEMINALES, (Anatom.) Ce sont des corps mous, blanchâtres, noueux, longs de trois ou quatre travers de doigt, larges d'un & moins épais que larges d'environ les deux tiers, situés obliquement entre le rectum & la partie inférieure de la vessie, de telle maniere que leurs extrêmités supérieures sont à quelque distance l'une de l'autre, & leurs extrêmités inférieures unies entre celles des vaisseaux déférans dont ils imitent l'obliquité & la courbure.

Ils sont d'une rondeur irréguliere à la partie supérieure, & se retrécissent par degrés en descendant vers le bas. Par l'union de leurs extrêmités inférieures, ils forment une espèce de fourche dont les branches sont larges & courbées comme des cornes de bélier. Ces extrêmités sont fort étroites, & forment un petit cou qui passe derriere la vessie vers son col & continue son cours dans la rainure des prostates, par la substance de la portion contiguë à l'urethre, jusqu'à ce que ses extrêmités percent la caroncule.

La substance interne des vésicules est plissée & distinguée en quelque façon en différentes capsules par la tournure des plis. Leur surface externe est couverte d'une membrane fine qui sert de bord aux plis, & est une vraie continuation de la substance cellulaire du péritoine. On peut aisément déplisser les vésicules, & redresser leurs tortuosités ; par ce moyen, on les rend plus larges que dans leur état naturel.

Leur substance interne est veloutée, glanduleuse, & fournit perpétuellement un fluide particulier qui exalte, subtilise & perfectionne la semence qu'elles reçoivent des vaisseaux déférans, & dont elles sont les réservoirs pour un certain tems. Winslow. (D.J.)

VESICULES SEMINALES, maladies des (Médec.) 1°. Les deux vésicules qui, attachées postérieurement au col de la vessie, reçoivent des vaisseaux déférans la semence, & qui en se comprimant l'envoient dans l'urethre, se nomment vésicules séminales.

2°. Elles sont le plus souvent le siege de la maladie vénérienne, puisqu'elles produisent une gonorrhée virulente. La caroncule de ces parties venant à se tuméfier, donne lieu à la suppression de l'urine ou à la difficulté de l'écoulement de cette liqueur. Pour traiter cette maladie, on introduit dans le canal de l'urethre une tente balsamique à la faveur d'une bougie, toutes les fois qu'il faut uriner. Si l'orifice de l'émonctoire se trouve relâché, ou la caroncule rongée, consumée, il survient une gonorrhée suivie d'un épuisement considérable. On a recours pour la guérir aux injections consolidantes & à l'introduction d'une tente balsamique. Il convient outre cela d'appliquer sur la partie des cataplasmes capables de fortifier. (D.J.)


VESLELA, (Géog. mod.) en latin Vidula, nom commun à deux petites rivieres de France, l'une en Champagne, l'autre en Bresse. La premiere prend sa source à deux lieues de Châlons, & se jette dans l'Aisne. La seconde traverse la Bresse toute entiere, & va tomber dans la Saone par deux embouchures, à quelques lieues au-dessous de Mâcon. (D.J.)


VESLYou VEILLY, (Géog. mod.) petite ville de l'île de France, dans le Soissonnois, sur la riviere d'Aisne, à quatre lieues au-dessous de Soissons, & à huit de Rheims ; elle se trouve nommée en latin Velliacum, Valliacum, & Villiacum. En 1379, le roi Charles V. donna cette ville à l'église de Rheims, en échange de Mouzon. (D.J.)


VESONTIOou VISONTIO, (Géog. anc.) ville de la Gaule Belgique, chez les Séquaniens. Elle étoit déja très-considérable du tems de César, Bel. Gal. l. I. c. xxxviij. qui l'appelle oppidum maximum Sequanorum. Dion Cassius, l. XXXVIII. p. 8. & l'itinéraire d'Antonin, connoissent aussi cette ville sous le nom de Visontio. Elle est marquée dans cet itinéraire sur la route de Milan à Strasbourg, en prenant par les Alpes graiennes, entre Ariorica & Veladuturum, à seize milles du premier de ces lieux, & à vingt-deux milles du second.

Cette ville est nommée Visontium par Ptolémée, l. II. c. xix. & Visontii ou Bisontii, par Ammien Marcellin, l. XV. c. ij. qui dans un autre passage écrit Vesuntium, & au l. XX. c. x. Bisantio, d'où l'on a fait le nom moderne Besançon.

Ausone nous apprend que Visontio avoit une école municipale, & des professeurs de rhétorique. On a des médailles d'Auguste & de Galba, sur lesquelles on lit : Mun. Visontium ; mais le pere Hardouin & Cellarius jugent que c'est une médaille de la ville de Visontium en Espagne, dans le pays des Péleudones. Dans la notice des Gaules, la ville Visontio a le titre de métropole, & est appellée civitas Vesontiensium. (D.J.)


VESOULS. m. (Sucrerie) suc provenant des cannes à sucre qui ont été écrasées au moulin ; c'est au moyen de plusieurs opérations & d'une forte cuisson dans les différentes chaudieres d'une sucrerie, que le vésoul prend la consistance nécessaire pour former le sucre. Ce suc de cannes après avoir été purifié dans la seconde chaudiere, & passé au-travers d'un linge propre dans des tasses de porcelaine, y ajoutant un peu de jus de citron, se prend chaud ; c'est une excellente boisson, délicieuse au goût & très-saine ; elle facilite l'expectoration, aide à la transpiration, & provoque le sommeil ; les dames du pays s'en régalent le soir avant de se coucher ; elles en prennent aussi dans le cours de la journée, y mêlant quelquefois de la farine de manioc, ce qui forme un brouet un peu épais, qu'elles appellent causse-caye ou causse-caille, dont on a parlé en son lieu.


VESPASIAE(Géog. anc.) lieu d'Italie, au haut d'une montagne, à six milles de Mursia, sur le chemin de cette ville à Spolete. Suétone, l. VII. dit qu'on y voyoit divers monumens, qu'on donnoit pour des preuves de l'ancienneté & de la noblesse de la famille vespasienne. (D.J.)


VESPERS. m. (Littérat.) l'étoile de Vénus au point du jour, est appellée eous & lucifer, étoile du matin ; le soir elle change de nom, & prend celui de vesper, noctifer, étoile du soir ; c'est pour cela que Catulle appelle l'étoile du matin vesper mutato nomine, l'étoile du soir qui a changé de nom.

Nocte latent fures, quos idem saepe revertens,

Vespere, mutato comprendis nomine eosdem.

" Les voleurs se cachent pendant la nuit, & souvent l'étoile du soir qui a changé de nom, les surprend le matin. "

On a blamé Horace d'avoir employé en commun, ode jx. l. II. le mot vesper, pour signifier l'étoile qui paroît la premiere au coucher du soleil, & qui disparoît la derniere à son lever. Il est vrai que nous venons de dire qu'elle ne s'appelle proprement vesper, que le soir ; & que le matin elle prend le nom d'eous ou de lucifer ; mais est-il raisonnable de vouloir assujettir les poëtes à ces précisions ? Ont-ils toujours tellement distingué les différens noms qui conviennent à la soeur d'Apollon, selon ses différentes fonctions, qu'ils n'ayent jamais pris l'un pour l'autre ? N'ont-ils jamais confondu ceux d'Apollon lui-même, ceux de Junon, & des autres divinités qui avoient plusieurs semblables dénominations ? C'est une liberté dont les poëtes sont en possession de tout tems, & qui suffit pour justifier Horace en particulier, soit dans cette occasion, soit dans toute autre pareille. (D.J.)


VESPERIES. f. dans la faculté de médecine de Paris, est un acte public, mais non pas une thèse comme quelques-uns l'ont dit, qui se fait dans les écoles inférieures de médecine la veille du jour auquel on doit recevoir un nouveau docteur ; cet acte se fait le matin à dix heures, à la différence des vesperies de sorbonne, qui se font le soir. Il a deux parties, la premiere est une question de médecine que le président de l'acte propose au licencié, auquel il doit le lendemain donner le bonnet de docteur ; cette question est divisée en deux membres, le licencié en résout un, & un docteur qui assiste à l'acte en robe rouge, résout l'autre membre de la question ; ce qui se fait fort brievement. La seconde partie de l'acte, & qui en fait le principal objet, est un discours oratoire que prononce le président, sur les devoirs de la profession de médecin, dont il fait sentir les avantages & les difficultés, en adressant toujours la parole au licencié ; outre le docteur qui préside, & celui qui agite un des points de la question, il est d'usage que le doyen & le censeur assistent à cet acte en leurs places ordinaires, en robes noires & chaperon rouge, & qu'il y ait de plus douze autres docteurs vêtus de même, lesquels sont choisis suivant l'ordre du catalogue, & obligés d'assister à cet acte, sous peine de quarante sols d'amende ; cet acte est annoncé par des billets imprimés, intitulés pro vesperiis magistri.... avec l'indication du jour & de l'heure, & au-bas est marquée la question qui doit être proposée ; par exemple :


VESPERTINUSadj. se dit quelquefois dans les auteurs latins d'astronomie, d'une planete que l'on voit descendre vers l'occident après le coucher du soleil.


VESPRIMou VESPRIN, COMTE, DE, (Géog. mod.) comté de la basse Hongrie, entre le Danube & la Drave. Il est borné au nord par le comté de Javarin ; à l'orient par ceux de Pilliz & d'Albe ; au midi partie par le lac de Balaton, partie par le comté de Simig ; & à l'occident par le comté de Sarwar. Il tire son nom de sa capitale. (D.J.)

VESPRIM, ou VESPRIN, (Géog. mod.) en allemand Weisbrun ; ville de la basse Hongrie, capitale du comté de même nom, vers la source de la Sarwize, sur le lac de Balaton, à 5 milles au couchant d'Albe-royale, & à 11 au sud-ouest de Strigonie, dont son évêché est suffragant. L'évêque est chancelier des reines de Hongrie, & a le droit de les couronner. Long. 36. 4. lat. 47. 16.


VESSIE(Anat.) la vessie est une espece de poche membraneuse & charnue, capable de dilatation & de resserrement, située au bas de l'abdomen, immédiatement derriere la symphise des os pubis, vis-à-vis l'intestin rectum. La lame supérieure du péritoine entoure la partie postérieure de la vessie.

Sa figure est ronde & oblongue, assez semblable à une bouteille renversée : elle n'est pas toujours d'une grosseur égale dans le même sujet ; car elle s'étend beaucoup quand elle est remplie d'urine, & elle s'affaisse sous l'os pubis quand elle est vuide.

La vessie est placée dans les hommes sur l'intestin droit, & dans les femmes entre la matrice, le vagin & l'os pubis.

On considere deux parties à la vessie, qui sont son fond & son cou : son fond est la partie supérieure la plus ample ; & son cou est sa partie antérieure étroite, quoiqu'il y ait des auteurs qui disent que la vessie est plutôt plus grosse vers son cou que vers son fond, à cause de la grande pression de l'urine quand nous sommes debout.

Elle est composée de quatre membranes : la premiere est la commune & l'extérieure, que le péritoine lui fournit : la seconde membrane est celluleuse ; on y trouve ordinairement de la graisse : la troisieme est musculeuse, tissue de fibres charnues, solides, assez épaisses, disposées en ligne droite, par rapport à la vessie, & d'une façon irréguliere par rapport à tout le corps : la quatrieme membrane est nerveuse, & douée d'un sentiment très-exquis ; elle est ridée, pour faciliter la dilatation de la vessie, & pourvue de petites glandes qui paroissent quelquefois vers le cou : ces glandes séparent une espece de mucosité qui émousse les pointes des sels de l'urine.

Le fond de la vessie est attaché à l'ombilic par l'ouraque, aux arteres ombilicales, qui dégénerent en ligamens après la naissance de l'enfant, & à l'os pubis par le moyen du péritoine.

Outre les attaches de la vessie dont nous venons de parler, elle est encore jointe par son cou, à la partie honteuse de l'homme & de la femme au moyen de l'urethre, qui est le canal par lequel sort l'urine dans les deux sexes. La vessie a de plus deux ouvertures internes, situées à sa partie postérieure proche de son cou, qui sont formées par l'entrée des ureteres, & au moyen desquels l'urine coule continuellement dans sa cavité ; mais les ureteres avant que de pénétrer la tunique intérieure, se glissent entre les membranes de la vessie, & ne s'ouvrent que vers son cou.

Pour empêcher que l'urine ne s'écoule involontairement de la vessie, la nature a entouré le cou de la vessie de fibres charnues, obliques & circulaires, qui sont situées sous sa membrane extérieure, & qui font l'office d'un sphincter, jusqu'à ce que, tant par la quantité que par l'âcreté de l'urine, & par la contraction de la tunique musculeuse de la vessie, aussibien que par l'action des muscles du bas-ventre & du diaphragme, la contraction du sphincter soit forcée, & que l'urine soit obligée de s'échapper.

L'usage de la vessie est donc de recevoir & de contenir l'urine, qui lui est apportée par les ureteres, & de s'en décharger de tems en tems, selon le besoin.

Les arteres de la vessie lui sont en général fournies par les arteres hypogastriques ou iliaques internes ; en particulier elles sont de côté & d'autre des rameaux de l'artere sciatique, de l'artere épigastrique & même de l'artere ombilicale ; les veines viennent de celles qui portent les mêmes noms que ces arteres.

Les nerfs de la vessie naissent des nerfs cruraux, & même des grands nerfs sympathiques, par le moyen de la communication de ces nerfs avec les nerfs cruraux. Il lui en vient aussi du plexus mesentérique inférieur.

On trouvera dans les Comment. de l'acad. de Petersbourg, tom. V. une représentation de la figure & de la situation de la vessie urinaire de l'homme, supérieure à celles qu'on voit communément dans les ouvrages d'anatomie. Il faut passer maintenant à quelques observations particulieres.

1°. Jean Guinther, natif d'Andernac, a le premier décrit & remarqué le muscle nommé le sphincter de la vessie ; il lui donne la fonction de fermer cette poche, & de se resserrer en tous sens après l'évacuation de l'urine.

2°. Les muscles qui servent à exprimer l'urine, & à chasser par leur action ce qui en reste dans la vessie, prennent leur origine de la partie supérieure externe de l'urethre, s'avancent jusqu'au périnée, où ils semblent devenir tendineux, & s'inserent finalement à la racine de l'urethre ; d'où l'on voit la raison de leur action, laquelle action est distincte dans les vieillards : c'est pourquoi ils ne rendent qu'avec peine les dernieres gouttes d'urine, & même quelquefois le séjour de cette humeur dans l'urethre, leur cause une érosion douloureuse.

3°. Aquapendente a remarqué que l'urine est supprimée, lorsque la tunique musculeuse de la vessie, ne peut expulser cette liqueur par son trop grand relâchement. La même chose arrive par une grande quantité d'urine qui étend fortement les fibres de cette tunique, & dilate la vessie, au point de l'empêcher de pouvoir se resserrer, pour chasser l'urine. Dans ces deux accidens, il n'y a que la sonde qui puisse soulager le malade ; c'est ainsi qu'Ambroise Paré guérit un jeune homme qui tomba dans une suppression d'urine pour l'avoir retenu trop long-tems ; mais une semblable suppression fut la cause de la mort du célebre Tycho-Brahé.

4°. On ne peut gueres nier qu'il n'y ait quelque communication entre le nombril, la vessie & la verge, car Hildan rapporte avoir vu des particuliers qui étant attaqués de strangurie, éprouvoient un grand soulagement quand on leur oignoit le nombril de suif fondu.

5°. Comme le cou de la vessie est fortement attaché à l'intestin droit dans les hommes, cette connexion est cause que dans l'opération de la taille au petit appareil, lorsque l'opérateur fait l'incision trop basse, il blesse l'intestin, d'où il arrive que l'urine s'écoule par l'anus, & que les gros excrémens sortent par la plaie.

6°. Dans les femmes la vessie est fort adhérente à la partie antérieure du vagin, & cette adhérence occasionne quelquefois de fâcheux accidens dans l'accouchement, & même dans la suite un écoulement involontaire d'urine ; Mauriceau en cite des exemples. Pour remédier à cet écoulement involontaire d'urine, les gens de l'art conseillent de se servir d'un pessaire assez gros, fait en forme de globe ovale, percé de deux trous opposés, que l'on introduit dans le vagin, & qui bouche exactement l'ouverture de communication.

7°. Fabrice de Hildan rapporte. Centur. 1. observat. 68. avoir tiré une pierre de la vessie par le vagin, à l'occasion d'un ulcere causé par la pesanteur & par l'inégalité de la surface de la pierre ; il dilata cet ulcere premierement avec le doigt, ensuite avec un petit bistouri, & puis finalement avec des instrumens convenables introduits dans la vessie, il tira la pierre qui étoit de la grosseur d'un oeuf de poule.

8°. J'ai dit ci-dessus que les ureteres percent la tunique extérieure de la vessie ; & qu'avant de pénétrer jusqu'à l'intérieure, ils se glissent entre les membranes de la vessie, & ne s'ouvrent que vers son cou. C'est dans cet intervalle que de petites pierres sorties du rein, s'arrêtent, s'augmentent & causent quelquefois un ulcere, qui fait souffrir aux graveleux des douleurs très-aiguës. Quand elles sont considérables, on peut les toucher en introduisant le doigt dans l'anus aux hommes, & aux filles non déflorées, & dans le vagin aux femmes ; ce qui réussit encore mieux quand on introduit en même tems une sonde dans la vessie, afin de comprimer la pierre par en-haut, pendant qu'on l'approche par en-bas.

9°. Il me reste un problème à proposer sur ce réservoir musculeux & membraneux de l'urine, qu'on nomme la vessie. Est-il sûr qu'on l'ait quelquefois trouvé double ? Les observations qu'on cite me sont suspectes : on a pu s'y tromper aisément, & prendre pour une double vessie des ureteres devenus très-gros, comme il arrive souvent, à cause des obstacles qu'a rencontré l'urine pour se rendre dans le sac urinaire. Cependant le fait qu'allegue Coiter est une forte autorité, parce que cet ancien anatomiste qui voyageoit beaucoup pour s'instruire dans son art, & qui suivoit les armées pour avoir l'occasion de connoître le corps humain par un grand nombre de dissections, rapporte qu'il se trouva deux vessies dans le corps d'une fille de 35 ans, toutes deux pleines d'urine, & que les ureteres s'inséroient dans une seule de ces vessies, de laquelle l'urine passoit dans l'autre. Mais enfin comme cet exemple est unique, il ne leve point mon doute. En effet, des appendices, des cavités, des culs-de-sacs continués à la vessie urinaire, sont des jeux de la nature dans cette partie, dont on trouve quelques exemples dans les livres d'anatomistes. On a vu des vessies divisées par deux cloisons, & vraisemblablement ce sont ces divisions de vessies, que Coiter a pris pour une double vessie. (D.J.)

VESSIE, maladies de la, (Médec.) 1°. ce sac membraneux si susceptible de dilatation & de contraction, adhérent à la partie antérieure & inférieure du ventre, couché dans les hommes sur l'intestin rectum, & dans les femmes sur le vagin ou la matrice, recevant l'urine des ureteres après sa secrétion pour la faire sortir dehors par le canal de l'urethre, se nomme la vessie ; elle est douée d'un sentiment exquis, enduite intérieurement d'une humeur mucilagineuse, & munie de vaisseaux sanguins & de nerfs ; conséquemment à sa situation, sa construction & l'urine qu'elle contient, elle est exposée à de tristes maladies de différentes especes.

2°. La vessie déplacée & tombée dans les bourses cause une suppression d'urine ; cet état demande l'opération de la main pour être remise dans sa place & y être maintenue à la faveur d'un bandage ; mais si la formation du sac herniaire est latérale ; ensorte qu'il soit double, il est difficile de s'en appercevoir hormis après la mort.

3°. Quand la vessie est devenue épaisse, calleuse, ou qu'elle s'est endurcie à la suite de la pierre, & qu'elle donne lieu à une incontinence d'urine, c'est un mal incurable. Si même elle a acquis une forte extension, ou qu'elle se soit relâchée après une trop grande rétention d'urine, elle n'a plus la force d'évacuer cette liqueur, puisqu'il faut la maintenir quelque tems vuide après y avoir introduit la sonde. L'inflammation de cette partie suivie de suppression d'urine est une chose cruelle, on tâchera d'y porter remede par l'application des antiphlogistiques ordinaires. La rupture, la blessure ou la coupure de la vessie dans la lithotomie, d'où il arrive que l'urine tombe dans le ventre ou hors du corps par le moyen d'une fistule, ne peut se consolider que par son adhérence avec les parties voisines. L'irritation intérieure qu'elle éprouve dans le cas d'une pierre empêche souvent de découvrir cette pierre par la sonde, où les dartres qui y surviennent ont coutume de donner lieu à une incontinence d'urine dont l'écoulement est semblable à du son. Il est nécessaire dans ce dernier cas de faire des injections balsamiques & antiseptiques. Mais si la vessie se trouve excoriée avec une rétention d'urine accompagnée de douleur, il faut user de boissons adoucissantes & d'injections mucilagineuses.

4°. La douleur de la vessie qui vient du calcul, de l'acrimonie ou du défaut de la mucosité, d'une métastase, d'une inflammation, d'un ulcere qu'on reconnoît par l'évacuation du pus, est toujours d'un mauvais présage ; le traitement doit être relatif à la connoissance de la cause. L'hémorrhagie donne quelquefois lieu à un pissement de sang qui, devenant grumeleux, s'oppose à la sortie de l'urine ; on y remédie par l'usage des délayans savonneux & en introduisant la sonde dans la vessie.

5°. Le sphacele du sphincter, ou la paralysie qui produit l'incontinence d'urine est une maladie incurable. La convulsion de cette partie, suivie de suppression d'urine, demande les antispasmodiques.

6°. La mucosité qui oint la surface interne de la vessie devenue plus tenace, donne une urine filamenteuse avec un sédiment muqueux, ou bouche le conduit urinaire. Son acrimonie ou son défaut occasionne quelquefois tantôt une douloureuse rétention d'urine, tantôt son incontinence, quelquefois encore elle est la source de la formation du calcul.

7°. Mais si la pierre s'engendre dans la vessie, son principe pour l'ordinaire se trouve dans les reins ; ensuite ce calcul passant par les ureteres dans la vessie, devient considérable par de nouvelles incrustations journalieres, sa génération doit être prévenue, s'il est possible, par les meilleurs moyens. Le calcul, quoique peu considérable dans son origine, demande l'usage des remedes approuvés en Angleterre par un acte du parlement, les mucilagineux & les onctueux ; si par malheur ces remedes n'ont pas été capables de détruire la pierre, il faut recourir à l'opération & au plus habile lithotomiste.

8°. La vessie qui se trouve comprimée dans les femmes enceintes, soit par le foetus, soit par la constipation, soit par une humeur dans le voisinage, se guérit en remédiant aux accidens, & en attendant l'accouchement de la malade. (D.J.)

VESSIE, hernie de, (Chirurgie) cet accident est assez rare pour que M. Méry ait cru qu'il ne pouvoit être qu'un vice de conformation ; en effet la raison qui l'a frappé est très-propre à frapper tout le monde. La vessie pleine d'urine est trop grosse pour passer par les anneaux par où un intestin passe, sa figure ne le permet point, & elle est trop fortement attachée de tous côtés pour pouvoir tomber accidentellement dans le scrotum ; cependant les habiles chirurgiens pensent aujourd'hui que la hernie de vessie peut, aussibien que celle d'intestin ou d'épiploon, avoir des causes accidentelles, savoir la suppression d'urine & les grossesses. Voici les preuves qu'en donne M. Petit dans les Mémoires de l'académie des Sciences, année 1717.

Ce n'est pas, dit-il, dans le tems où la suppression d'urine dilate excessivement la vessie qu'elle peut passer par les anneaux, elle y est certainement moins disposée que jamais ; mais c'est dans ce tems-là qu'elle prend des dispositions à y passer lorsqu'elle se sera vuidée. Elle est élargie & applatie par la suppression, ce que montre l'ouverture de ceux qui sont morts de cette maladie. De plus, la vieillesse seule ou la foiblesse de constitution suffisent pour donner cette figure à la vessie. Dans la suppression, les malades sentent qu'elle est poussée avec force contre les anneaux par les muscles du bas-ventre & de la poitrine. Quand on urine dans l'état naturel, la vessie rapproche ses parois du côté de son col par la contraction de ses fibres charnues ; mais dans l'état contre nature, les fibres qui ont perdu leur ressort ne peuvent plus replacer la vessie de cette maniere, ni détruire la figure qu'elle a prise, ou l'effet de l'impulsion qu'elle a reçue vers les anneaux. D'ailleurs les anneaux sont affoiblis par la grande dilatation que la suppression d'urine a causée à toute cette région, & par conséquent ils sont moins en état de s'opposer à la vessie qui tend à y entrer. Tous ces accidens souvent renouvellés peuvent produire la hernie dont il s'agit.

La portion de la vessie engagée dans un anneau & qui forme la hernie, est toujours nécessairement audessus de la portion qui reste à-peu-près en sa place naturelle, & les deux communiquent ensemble. Si la communication est libre, toute la tumeur se vuide quand le malade urine, & elle se vuide sans bruit, parce qu'il n'y a point d'air dans la vessie, comme il y en a dans les intestins. Si la communication n'est pas libre, c'est-à-dire s'il y a étranglement, le malade n'a qu'à presser sa tumeur avec la main, toute l'urine contenue dans la portion supérieure de la vessie se vuide dans l'inférieure, & toute la tumeur disparoît, ce qui est un signe certain de cette sorte de hernie.

Elle est donc caractérisée par les difficultés d'uriner ; on rend alors par l'urethre une partie de l'urine, & un moment après il en sort autant ; on prend différentes situations pour s'en délivrer, & l'on est souvent obligé de presser la tumeur & de la relever en-haut, afin d'uriner plus commodément.

Toutes ces différentes manieres de se soulager du poids de l'urine ne viennent que par l'étranglement de la vessie, qui la partage comme en deux : tout aussi-tôt que la premiere s'est vuidée, il faut changer de situation, ou presser la seconde tumeur, pour faciliter l'écoulement de l'urine qu'elle contient, & l'engager à sortir par l'urethre.

Dans la hernie d'intestin où il y a étranglement, la cause du retour des matieres contenues dans les intestins vers l'estomac, & par conséquent du vomissement, est fort évidente. Dans la hernie de vessie avec étranglement, le vomissement est rare, foible, & ne vient que tard. M. Petit a remarqué qu'il est suivi du hoquet, au-lieu que dans l'autre hernie il en est précédé.

La fluctuation & la transparence doivent être des signes communs à la hernie de vessie & à l'hydrocele, puisque de part & d'autre c'est de l'eau renfermée dans un sac membraneux.

Les grossesses fréquentes peuvent aussi être une cause de la hernie de vessie. On sait que dans les derniers mois l'enfant appuie sa tête contre le fond de la vessie, qui ne pouvant plus, lorsqu'elle se remplit d'urine, s'élever du côté de l'ombilic, est obligée de s'étendre à droite & à gauche, & de former deux especes de cornes disposées à s'introduire dans les anneaux, d'autant plus facilement qu'ils sont affoiblis par l'extension violente que souffrent toutes les parties du bas-ventre ; les faits qui fondent cette idée sont vérifiés par les cadavres de femmes qui sont mortes avancées dans leur grossesse, ou peu de tems après l'accouchement.

La hernie de vessie peut être compliquée avec celle d'intestin ou d'épiploon, & il est même assez naturel que la premiere, quand elle est forte, produise la seconde ; car alors la vessie, engagée fort avant dans un anneau, tire après elle la portion de la tunique interne du péritoine qui la couvre par derriere, & cette portion forme un cul-de-sac où l'intestin & l'épiploon peuvent ensuite s'engager facilement.

En voilà assez pour faire appercevoir à ceux qui y feront réflexion, & sur-tout aux anatomistes, tout ce qui appartient à la hernie de vessie, soit simple, soit compliquée, & même pour leur donner lieu d'imaginer les précautions & les attentions que demandera l'opération chirurgicale. M. Petit a poussé tout cela dans de plus grands détails qu'il n'est pas possible de suivre ici. (D.J.)

VESSIE, plaies de la, (Chirurgie) quoiqu'Hippocrate ait regardé les plaies de la vessie comme mortelles, & qu'il ait dit, tract. de morb. l. I. c. iij. qu'elles ne pouvoient point se refermer, nous sommes aujourd'hui convaincus que la vessie que l'on incise dans l'opération de la pierre se referme & se guérit.

Nous savons aussi qu'elle peut être percée par une balle d'arme à feu, sans que le malade périsse. Si, par bonheur dans ce moment, la vessie se trouve pleine d'urine, la guérison est encore plus heureuse. On a vu des personnes heureusement rétablies chez qui la balle & autres corps étrangers étoient restés dans la vessie, ce qui est presque une preuve qu'elle étoit alors pleine d'urine. Dans ce cas, après avoir fait à la plaie extérieure ce qui y convient, M. le Dran pense qu'il n'est pas hors de propos de mettre un algali par l'urethre, afin que l'urine s'écoule sans-cesse ; car si la vessie se remplit, cela écartera ses parois & les levres de la plaie ; alors l'urine pourra s'infiltrer dans le tissu cellulaire qui l'entoure, ce qui peut y causer des abscès & autres accidens ; au-lieu que l'état sain de ce tissu cellulaire est ce qui contribue le plus à faire la réunion de la vessie.

De tous les malades à qui il étoit resté des corps étrangers dans la vessie, les uns les ont rendus par l'urethre avec l'urine avant qu'ils se fussent incrustés de gravier, & les autres ont eu la pierre qu'il a fallu dans la suite extraire par l'opération ordinaire. Alors on a trouvé que ces corps étrangers, comme balles, morceaux d'étoffe, &c. faisoient le noyau de la pierre.

Mais quoique les plaies de la vessie & même celles du fond de cet organe ne soient pas absolument mortelles, les observations heureuses sur ce sujet sont néanmoins fort rares, & cette considération nous engage d'en citer deux exemples rapportés dans l'histoire de l'académie des Sciences, année 1725 ; l'un de ces faits a été envoyé de Suisse avec des attestations.

Un maçon de Lausanne, âgé de 25 ans, reçut en 1724 un coup de fusil dans le bas-ventre ; la balle, qui pesoit une once, entra dans la partie gauche de l'abdomen, à un pouce de l'os pubis & à deux doigts de la ligne blanche, perçant le bas du muscle droit, l'artere épigastrique, le fond de la vessie & de l'os sacrum dans leurs parties latérales gauches, & elle sortit à trois doigts à côté & au-dessus de l'anus. Les tuniques des vaisseaux spermatiques du côté gauche furent blessées, ce qui attira une inflammation au testicule gauche & au scrotum. Le déchirement de la vessie fut considérable, puisque l'urine ne coula plus que par les plaies. Il n'y eut cependant aucun intestin d'offensé, ni aucun gros nerf ; mais le malade eut de grandes hémorrhagies pendant quelques jours, vomissemens, diarrhées, insomnies, délire, fievre continue ; en un mot, tant de fâcheux symptomes qu'on craignoit à chaque instant pour sa vie. On fit des remedes internes & externes, & en particulier des injections dans la vessie ; ces injections procurerent la dissolution d'un sang coagulé, qui s'opposoit à la sortie naturelle de l'urine ; enfin le malade se rétablit au bout de sept semaines.

La seconde observation heureuse d'une guérison de plaie de la vessie est de M. Morand. Un soldat des invalides ayant reçu un coup de fusil à l'hypogastre, qui perçoit le fond de la vessie, y porta long-tems la balle perdue ; après la guérison parfaite de sa plaie, il vint à être incommodé d'une grande difficulté d'uriner, on le sonda & on lui trouva la pierre. Il fut taillé au grand appareil, & on lui tira une assez grosse pierre, qui avoit pour noyau la balle entrée par la plaie du fond de la vessie, & autour de laquelle s'étoient incrustées les matieres fournies par les urines. Le malade néanmoins guérit très-bien. Il a donc eu deux cicatrices à la vessie, une à son fond par le coup de feu, l'autre à son col par l'opération de la taille, & les deux plaies par conséquent se sont également bien fermées. C'est sur de semblables observations que l'on a entrepris de faire l'opération de la pierre au haut appareil, différent du grand appareil, comme savent les gens du métier. (D.J.)

VESSIE AERIENNE DES POISSONS, (Ichthyographie) les poissons se soutiennent dans l'eau & descendent au fond par le moyen d'une vessie pleine d'air destinée à cet usage. Ils ont leur queue & leurs nageoires composées de peau soutenues de longues arêtes, ensorte qu'elles peuvent se resserrer & s'élargir pour frapper davantage d'eau d'un sens que d'un autre ; ce mouvement leur sert à avancer & à se tourner de tous les côtés ; mais comme la légéreté de leur corps qui les soutient, pourroit les empêcher de descendre au fond de l'eau quand il est nécessaire, la nature a trouvé un expédient admirable ; elle leur a donné le moyen de rendre leur corps léger ou pesant, à proportion qu'il le doit être pour descendre au fond, ou pour remonter au-dessus de l'eau ; leur corps étant capable de devenir plus ample par la dilatation, ou moins ample par la compression, il est rendu ou plus léger ou plus pesant ; par la raison que les corps descendent dans l'eau quand leur volume a plus de pesanteur que l'eau n'en a dans un pareil volume ; il est même étonnant combien il faut peu d'augmentation ou de diminution au volume pour produire cet effet.

On peut néanmoins comprendre aisément ce phénomène par l'exemple d'une machine hydraulique connue, dans laquelle une figure d'émail monte & descend dans un tuyau de verre rempli d'eau, selon que l'on comprime plus ou moins l'eau, en appuyant dessus avec le pouce ; car cette petite figure étant creuse & pleine d'air, & ayant moins de pesanteur que l'eau n'en a dans un pareil volume, elle nage sur l'eau, & ne descend au fond que quand par le pressement on fait entrer l'eau dans la petite figure par un trou qu'on y a laissé ; alors l'eau, qui est un corps qui n'est pas capable de se resserrer, comprimant l'air qui est enfermé dans la petite figure, diminue le volume de toute la petite figure dont cet air enfermé fait une partie ; & lorsqu'on cesse de comprimer l'eau, cet air resserré dans la cavité de la petite figure, reprend son premier volume par la vertu de son ressort. Or il est certain que cette diminution de volume de la petite figure, causée par ce qu'on peut y faire entrer d'eau par la compression du pouce, est très peu de chose, & cependant est capable de la faire descendre.

On sait par expérience que l'homme nage plus aisément sur le dos que sur le ventre ; & il n'est pas difficile de juger que cela n'arrive que parce que lorsqu'on nage sur le ventre, on est obligé de tenir hors de l'eau toute la tête, qui pese par sa matiere & ne soutient pas par son volume, comme quand on nage sur le dos. Par la même raison, l'eau ne soutient pas si bien les animaux maigres que ceux qui sont gras & charnus, parce que la chair & la graisse sont des corps qui n'ont pas tant de pesanteur, à proportion de leur volume, que les os & la peau. Ainsi le corps des femmes doit ordinairement nager plus aisément sur l'eau que celui des hommes.

La vessie qui se trouve remplie d'air dans beaucoup de poissons, est faite pour cet usage. Dans plusieurs poissons, comme dans l'alose, cette vessie a un conduit fort délié, qui s'attache au ventricule, & par lequel apparemment elle reçoit l'air dont elle est pleine. Dans d'autres poissons, comme dans la morue, cette vessie n'a point ce conduit ; mais on lui trouve en-dedans une chair glanduleuse, qui paroît être destinée à la séparation de l'air, ou à la raréfaction de quelque substance aérienne. L'une & l'autre espece de vessie a cela de commun, que l'air dont elle est enflée, n'en sort point, quelque compression qu'on fasse.

Pour ce qui est des poissons où la vessie aérienne ne se trouve point, il faut croire qu'ils ont quelque air enfermé autre part, qui étant resserré par la compression des muscles, fait diminuer le volume de tout le corps, & le fait aller à fond : & que cet air retournant à son premier état, redonne au corps son premier volume, & le fait monter sur l'eau ; cette conjecture est d'autant plus vraisemblable, que l'eau dans laquelle les poissons sont plongés, empêchant par sa froideur & par son épaisseur que leur corps ne transpire, peut aisément retenir de l'air enfermé dans des espaces qui rendent leur chair spongieuse.

Il y a des tortues qui vont dans l'eau & sur terre ; elles ont un poumon, qui outre l'usage général qu'il peut avoir dans d'autres animaux, a encore celui ci dans les tortues, c'est qu'il leur tient lieu des vessies des poissons ; il en est pourtant différent, en ce que l'air enfermé dans les vessies des poissons, semble demeurer toujours en même quantité ; & il est constant que celui qui est dans les poumons des tortues, en sort & y entre, selon le besoin qu'elles peuvent avoir d'en augmenter ou d'en diminuer la quantité ; on a observé que quand les tortues entrent dans l'eau, elles poussent de l'air par leur gueule & par leurs narines, ainsi qu'il paroît par les bulles d'air qu'elles font sortir, dès que leur tête est plongée dans l'eau.

Il y a diverses sortes de poissons qui meurent assez vîte dans le vuide ; mais les anguilles ne laissent pas d'y vivre assez long-tems ; la plûpart enflent, tombent sur le dos, les yeux leur sortent de la tête ; mais aussi-tôt qu'on fait rentrer l'air, elles tombent au fond de l'eau : cela vient de ce que les poissons qui peuvent nager en-haut & en-bas, ont dans leurs entrailles une petite vessie, que n'ont pas ceux qui se tiennent toujours au fond de l'eau, comme font les poissons plats, ou ceux qui sont couverts d'une écaille dure ou de quelque espece de croute cartilagineuse.

Il n'y a point de doute que cette petite vessie ne serve à tenir les poissons en équilibre avec l'eau, à quelque profondeur qu'ils se tiennent ; car dès que cette vessie devient plus petite, le poisson désenfle, & devient par conséquent plus pesant dans l'eau, de sorte qu'il peut alors y enfoncer & y rester en balance ; si au contraire cette petite vessie vient à se dilater, le poisson devient plus léger.

Lors donc que le poisson fait effort pour descendre au fond de l'eau, il peut faire sortir une petite bulle d'air, à l'aide d'un muscle qu'a la vessie, ou bien il peut resserrer la vessie par le moyen des muscles du ventre, de sorte que par-là il devient plus petit & plus pesant ; veut-il remonter, il dilate les muscles du ventre, & alors sa vessie se gonfle sur le champ, & il devient plus léger ; d'un autre côté, comme l'air qui est renfermé dans la vessie, rencontre continuellement moins de résistance de la part de l'eau, dont la hauteur & le poids diminuent, cet air ne cesse alors de se raréfier de plus en plus, à mesure que le poisson monte.

Quant aux poissons qui sont toujours au fond de l'eau, une semblable vessie leur est inutile, & c'est pour cela qu'ils n'en ont point ; ou peut-être se trouvent-ils dans la nécessité de ramper toujours au fond de l'eau, parce que cette vessie leur manque. (D.J.)

VESSIE de mer, (Botan. Marine) espece d'holothure couvert d'un cuir rude, & que le vent jette sur le rivage de la mer.

La vessie de mer est ordinairement oblongue, ronde dans son contour, & émoussée par les deux bouts, mais plus par l'un que par l'autre ; elle est composée d'une seule membrane transparente, semblable à ces demi-globes qui s'élevent sur la superficie des eaux dans un tems de grosse pluie. Cette membrane a deux sortes de fibres : les unes circulaires, & les autres longitudinales, lesquelles ont un mouvement de contraction & d'élasticité.

La vessie de mer est vuide, mais enflée comme un ballon plein de vent ; elle a à son extrêmité la plus aiguë un peu d'eau claire que contient une espece de cloison tendue comme la peau d'un tambour.

Il regne le long du dos de la vessie une autre membrane mince, déployée en maniere de voile, ondée sur les bords, & semblable à une crête plissée. Cette membrane sert de voile à la vessie pour naviger ; elle la soutient sur l'eau tandis que le vent la porte sur le rivage.

Le dessous de la vessie est comme couvert de plusieurs jambes fort courtes, ressemblant à des vermisseaux entrelacés les uns dans les autres, & articulés par de petits anneaux circulaires. Toutes ces fibres forment des houpes pendantes, & transparentes comme le crystal de roche.

On ne sauroit déterminer la véritable couleur des vessies ou holothures ; on y voit, comme dans des boules de savon, une confusion de bleu, de violet & de rouge si bien mêlés ensemble, qu'on ne peut discerner la couleur prédominante. Ces vessies causent au reste de violentes cuissons lorsqu'on les touche, parce qu'elles sont toutes couvertes de petits piquans. On trouve ces vessies en plusieurs endroits sur les bords de la mer, particulierement dans les anses sablonneuses, après qu'il a fait un grand vent. (D.J.)


VESSIGONS. m. (Maréchal.) les maréchaux appellent ainsi une tumeur molle qui vient à droite & à gauche du jarret du cheval. Voici la meilleure maniere de la guérir.

Ayez une aiguille d'argent courbe, enfilez-la avec un gros fil, faites-la rougir par le bout, frottez le fil avec de l'onguent de scarabeus, & passez l'aiguille toute rouge au-travers du vessigon de bas-en haut. Pour la passer plus facilement, il faut auparavant couper le cuir avec une lancette dans l'endroit où l'on veut la faire entrer, & dans celui par lequel on veut la faire ressortir ; après avoir passé l'aiguille, ôtez-la, liez les deux bouts du fil en-dehors, refrottez le seton toutes les vingt-quatre heures avec le même onguent jusqu'à ce que le fil sorte de lui-même ; il coupera le cuir qui est entre les deux ouvertures, & sans y faire autre chose, le vessigon & la plaie se guériront ; il convient même d'y mettre le feu, quand il ne seroit pas vieux ; mais lorsqu'il l'est, il n'y a que ce moyen qui puisse y remédier, encore ne réussit-il pas toujours.


VESSIRv. n. (terme d'Essayeur) ce mot se dit des vents que le feu & l'air font sortir, lorsque tirant l'essai, on ne le laisse pas refroidir insensiblement. (D.J.)


VEST & DEVEST(Jurisprud.) est l'acte par lequel le seigneur démet le vendeur de la possession qu'il avoit d'un héritage, pour en revêtir l'acquéreur ; car vest signifie possession, & devest, dépossession ; c'est pourquoi l'on devroit dire devest & vest, parce que l'acte de devest doit précéder. C'est la même chose que désaisine & saisine. On appelle coutumes de vest & devest celles dans lesquelles l'acquéreur ne peut prendre possession, sans y être autorisé par le seigneur qui lui donne la saisine ou possession, & l'investit de la propriété de l'héritage. Voyez les coutumes de Resbets, Chauny, Laon, Châlons, Rheims, Ribermont, Sedan, Auxerre, Cambray, Beauquesne & ci-devant le mot COUTUMES DE SAISINE. (A)


VESTAS. f. (Mytholog.) une des plus grandes déesses du paganisme, sans pourtant être trop connue ; c'est par cette raison qu'Ovide voulant la placer dans ses fastes, lui dit : " déesse, quoiqu'il ne soit pas permis aux hommes de vous connoître, il faut pourtant que je parle de vous ".

Ceux qui ont pénétré le plus avant dans la religion des philosophes pythagoriciens, prétendent que par Vesta ils entendoient l'univers, à qui ils attribuoient une ame, & qu'ils honoroient comme l'unique divinité, tantôt sous le nom , qui signifie le tout, tantôt sous le nom de , c'est-à-dire l'unité. Telle étoit, disent-ils, la signification mystérieuse de Vesta, quoique le vulgaire l'adorât comme la déesse de la terre & du feu.

La fable reconnoit deux déesses du nom de Vesta : l'une mere, & l'autre fille de Saturne. La premiere étoit la Terre, & se nommoit tantôt Cibele, & tantôt Palès, & la seconde étoit le Feu ; c'est cette derniere qu'Horace appelle aeterna Vesta, en l'honneur de laquelle le religieux Numa bâtit un temple à Rome, & consacra à son culte quelques vierges romaines, pour entretenir sur ses autels un feu perpétuel, afin, dit Florus, que cette flamme protectrice de l'empire, veillât sans cesse à l'imitation des astres : ut ad simulacrum coelestium siderum, custos imperii flamma vigilaret.

Anciennement chez les Grecs & les Romains, il n'y avoit d'autre image ou symbole de Vesta, que ce feu gardé si religieusement dans ses temples ; & quand on fit depuis des statues de Vesta, elles représentoient Vesta, la Terre, plutôt que Vesta, le Feu ; mais il y a beaucoup d'apparence qu'on les confondit ensuite. Une des manieres ordinaires de représenter la déesse, étoit en habit de matrone, tenant de la main droite un flambeau ou une lampe, & quelquefois un palladium ou une petite victoire. Les titres qu'on lui donne dans les médailles, & sur les anciens monumens, sont Vesta l'heureuse, la mere, la sainte, l'éternelle, &c. Nous avons parlé de ses temples, & nous nous étendrons beaucoup sur les vestales, ses prêtresses.

Le culte de Vesta & du feu fut apporté de Phrygie en Italie par Enée & les autres Troïens qui y aborderent. Virgile observe qu'Enée avant que de sortir du palais de son pere, avoit retiré le feu du foyer sacré.

Aeternumque adytis effert penetralibus ignem.

Aeneid. l. II.

Aussi chaque particulier prit-il soin dans la suite d'entretenir le feu de Vesta à la porte de sa maison ; & c'est de-là, selon Ovide, qu'est venu le nom de vestibule. Quoi qu'il en soit, les Troïens & les Phrygiens eux-mêmes avoient reçu le culte du feu, des autres peuples de l'Orient.

Le nom de Vesta est synonyme à celui du feu appellé par les Grecs , mutatâ aspiratione in V, par les Chaldéens & les anciens Perses, Avesta. C'est aussi sans doute, si nous en croyons le savant Hyde, ce qui engagea Zoroastre de donner à son fameux livre sur le culte du feu, le nom d'Avesta, comme qui diroit, la garde du feu. (D.J.)


VESTALES. f. (Hist. rom.) vestalis ; perpetuos servans ignes, & canae colens penetralia Vestae ; fille vierge romaine, qui chez les Romains, étoit consacrée toute jeune au service de Vesta, & à l'entretien perpétuel du feu de son temple.

Celui de tous les législateurs qui donna le plus d'éclat à la religion dont il jetta les fondemens, & qui jugea que le sacerdoce étoit inséparable de la royauté, fut Numa Pompilius. Il tint d'une main ferme le sceptre & l'encensoir, porta l'un dans le palais des rois, & posa l'autre dans le temple des dieux. Mais entre ses établissemens religieux, le plus digne de nos regards, est sans doute celui de l'ordre des vestales. Il m'est aisé d'en tracer l'histoire, au-moins d'après l'abbé Nadal, & de contenter sur ce sujet la curiosité d'un grand nombre de lecteurs.

L'ordre des vestales venoit originairement d'Albe, & n'étoit point étranger au fondateur de Rome. Amulius après avoir dépouillé son frere Numitor de ses états, crut à la maniere des tyrans, que pour jouir en liberté de son usurpation, il n'avoit pas d'autre parti à prendre que de sacrifier toute sa race. Il commença par Egeste, le fils de ce malheureux roi, qu'il fit assassiner dans une partie de chasse, où il pensa qu'il lui seroit facile de couvrir son crime. Il se contenta cependant de mettre Rhéa Silvia, ou Ilie, sa niece, au nombre des vestales, ce qu'il entreprit de faire d'autant plus volontiers, que non-seulement il ôtoit à cette princesse, les moyens de contracter aucune alliance dont il pût craindre les suites, mais que d'ailleurs sur le pié que l'ordre des vestales se trouvoit à Albe, c'étoit placer d'une maniere convenable une princesse même de son sang.

Cette distinction que l'ordre des vestales avoit eu dans son origine, le rendit encore plus vénérable aux Romains, dont les yeux se portoient avec un respect tout particulier sur l'établissement d'un culte, qui avoit long-tems subsisté chez leurs voisins avec une grande dignité.

Il ne faut donc pas envisager l'ordre des vestales romaines, comme un établissement ordinaire qui n'a eu que de ces foibles commencemens, que la piété hazarde quelquefois, & qui ne doivent leur succès qu'aux caprices des hommes, & aux progrès de la religion. Il ne se montra à Rome qu'avec un appareil auguste. Numa Pompilius, s'il en faut croire quelques auteurs, recueillit & logea les vestales dans son palais. Quoi qu'il en soit, il dota cet ordre des deniers publics, & le rendit extrêmement respectable au peuple, par les cérémonies dont il chargea les vestales, & par le voeu de virginité qu'il exigea d'elles. Il fit plus, il leur confia la garde du palladium, & l'entretien du feu sacré qui devoit toujours brûler dans le temple de Vesta, & étoit le symbole de la conservation de l'empire.

Il crut, selon Plutarque, ne pouvoir déposer la substance du feu qui est pure & incorruptible, qu'entre les mains de personnes extrêmement chastes, & que cet élément qui est stérile par sa nature, n'avoit point d'image plus sensible que la virginité. Ciceron a dit, que le culte de Vesta ne convenoit qu'à des filles dégagées des passions & des embarras du monde. Numa défendit qu'on reçût aucune vestale au-dessous de six ans, ni au dessus de dix, afin que les prenant dans un âge si tendre, l'innocence n'en pût être soupçonnée, ni le sacrifice équivoque.

Quelque distinction qui fût attachée à cet ordre, on auroit peut-être eu de la peine à trouver des sujets pour le remplir, si l'on n'eût pas été appuyé de l'autorité & de la loi. La démarche devenoit délicate pour les parens, & outre qu'il pouvoit y entrer de la tendresse & de la compassion, le supplice d'une vestale qui violoit ses engagemens, deshonoroit toute une famille. Lors donc qu'il s'agissoit d'en remplacer quelqu'une, tout Rome étoit en émotion, & l'on tâchoit de détourner un choix où étoient attachés de si étranges inconvéniens.

On ne voit rien dans les anciens monumens, dit Aulugelle, touchant la maniere de les choisir, & sur les cérémonies qui s'observoient à leur élection, si ce n'est que la premiere vestale fut enlevée par Numa. Nous lisons que la loi papia ordonnoit au grand pontife, au défaut de vestales volontaires, de choisir vingt jeunes filles romaines, telles que bon lui sembleroit, de les faire toutes tirer au sort en pleine assemblée, & de saisir celle sur qui le sort tomberoit. Le pontife la prenoit ordinairement des mains de son pere, de l'autorité duquel il l'affranchissoit, & l'emmenoit alors comme prise de bonne guerre, veluti bello abducitur.

Numa avoit d'abord fait les premieres cérémonies de la réception des vestales, & en avoit laissé ses successeurs en possession ; mais après l'expulsion des rois, cela passa naturellement aux pontifes. Les choses changerent dans la suite : le pontife recevoit des vestales sur la présentation des parens sans autre cérémonie, pourvû que les statuts de la religion n'y fussent point blessés. Voici la formule dont usoit le grand pontife à leur réception, conservée par Aulugelle, qui l'avoit tirée des annales de Fabius Pictor : Sacerdotem. vestalem. quae. sacra. faciat. quae. Jous. siet. sacerdotem. vestalem. facere. pro. popolo. Romano. quiritum ut ei. sit. ci. quae. optuma. lege. fovit. ità. te. Amata. capio. Le pontife se servoit de cette expression amata, à l'égard de toutes celles qu'il recevoit, parce que selon Aulugelle, celle qui avoit été la premiere enlevée à sa famille, portoit ce nom.

Si-tôt qu'on avoit reçu une vestale, on lui coupoit les cheveux, & on attachoit sa chevelure à cette plante si renommée par les fictions d'Homere appellée lotos, ce qui dans une cérémonie religieuse où tout devoit être mystérieux, étoit regardé comme une marque d'affranchissement & de liberté.

Numa Pompilius n'institua que quatre vestales. Servius Tullius en ajouta deux, selon Plutarque. Denys d'Halicarnasse & Valere Maxime, prétendent que ce fut Tarquinius Priscus qui fit cette augmentation. Ce nombre ne s'accrut, ni ne diminua pendant toute la durée de l'empire : Plutarque qui vivoit sous Trajan, ne compte que six vestales. Sur les médailles de Faustine la jeune, & de Julie, femme de Severe, on n'en représente que six. Ainsi le témoignage de S. Ambroise qui fait mention de sept vestales, ne doit point prescrire contre les preuves contraires à son récit.

Les prêtresses de Vesta établies à Albe, faisoient voeu de garder leur virginité pendant toute leur vie. Amulius, dit Tite-Live, sous prétexte d'honorer sa niece, la consacra à la déesse Vesta, & lui ôta toute espérance de postérité par les engagemens d'une virginité perpétuelle. Numa n'exigea au contraire des vestales qu'une continence de trente années, dont elles passeroient les dix premieres à apprendre leurs obligations, les dix suivantes à les pratiquer, & le reste à instruire les autres, après quoi elles avoient liberté de se marier ; & quelques-unes prirent ce parti.

Au bout des trente années de réception, les vestales pouvoient encore rester dans l'ordre, & elles y jouissoient des privileges & de la considération qui y étoient attachés ; mais elles n'avoient plus la même part au ministere. Le culte de Vesta avoit ses bienséances aussi bien que ses loix ; une vieille vestale séoit mal dans les fonctions du sacerdoce ; la glace des années n'avoit nulle des convenances requises avec le feu sacré ; il falloit proprement de jeunes vierges, & même capables de toute la vivacité des passions, qui pussent faire honneur aux mysteres.

Tandem virgineam fastidit Vesta senectam.

On s'attacha à chercher aux vestales des dédommagemens de leur continence ; on leur abandonna une infinité d'honneurs, de graces & de plaisirs, dans le dessein d'adoucir leur état & d'illustrer leur profession ; on se reposa pour leur chasteté sur la crainte des châtimens, qui quelqu'effrayans qu'ils soient, ne sont pas toujours le plus sûr remede contre l'emportement des passions. Elles vivoient dans le luxe & dans la mollesse ; elles se trouvoient aux spectacles dans les théatres & dans le cirque ; les hommes avoient la liberté d'entrer le jour chez elles, & les femmes à toute heure ; elles alloient souvent manger dans leur famille. Une vestale fut violée, en rentrant le soir dans sa maison, par de jeunes libertins qui ignoroient, ou prétendirent ignorer qui elle étoit. De là vint la coutume de faire marcher devant elles un licteur avec des faisceaux pour les distinguer par cette dignité, & pouvoir prévenir de semblables désordres.

Sous prétexte de travailler à la réconciliation des familles, elles entroient sans distinction dans toutes les affaires ; c'étoit la plus sûre & la derniere ressource des malheureux. Toute l'autorité de Narcisse ne put écarter la vestale Vibidia, ni l'empêcher d'obtenir de Claude que sa femme fut ouïe dans ses défenses ; ni les débauches de l'impératrice, ni son mariage avec Silius, du vivant même de César, n'empêcherent point la vestale de prendre fait & cause pour elle ; en un mot, une prêtresse de Vesta ne craignit point de parler pour Messaline.

Leur habillement n'avoit rien de triste, ni qui pût voiler leurs attraits, tel au-moins que nous le voyons sur quelques médailles. Elles portoient une coëffe ou espece de turban, qui ne descendoit pas plus bas que l'oreille, & qui leur découvroit le visage ; elles y attachoient des rubans que quelques-unes nouoient par-dessous la gorge ; leurs cheveux que l'on coupoit d'abord, & que l'on consacroit aux dieux, se laisserent croître dans la suite, & reçurent toutes les façons & tous les ornemens que purent inventer l'art & l'envie de plaire.

Elles avoient sur leur habit un rochet de toile fine & d'une extrême blancheur, & par dessus une mante de pourpre ample & longue, qui ne portant ordinairement que sur une épaule, leur laissoit un bras libre retroussé fort haut.

Elles avoient quelques ornemens particuliers les jours de fête & de sacrifices, qui pouvoient donner à leur habit plus de dignité, sans lui ôter son agrément. Il ne manquoit pas de vestales qui n'étoient occupées que de leur parure, & qui se piquoient de goût, de propreté & de magnificence. Minutia donna lieu à d'étranges soupçons par ses airs, & par ses ajustemens profanes. On reprochoit à d'autres l'enjouement & l'indiscrétion des discours. Quelques-unes s'oublioient jusqu'à composer des vers tendres & passionnés.

Sans toutes ces vanités & ces dissipations, il étoit difficile que des filles à qui l'espérance de se marier n'étoit pas interdite, & que les loix favorisoient en tant de manieres, qui malgré les engagemens de leur état recueilloient quelquefois toute la fortune de leur maison, prissent le goût de la retraite, qui seul étoit capable de les maintenir dans le genre de vie qu'elles avoient embrassé sans le connoître. Tout cela cependant n'empêchoit pas que leurs fautes ne tirassent à d'extrêmes conséquences.

La négligence du feu sacré devenoit un présage funeste pour les affaires de l'empire ; d'éclatans & de malheureux événemens que la fortune avoit placés à-peu-près dans le tems que le feu s'étoit éteint, établirent sur cela une superstition qui surprit les plus sages. Dans ces cas, elles étoient exposées à l'espece de châtiment dont parle Tite-Live, caesa flagro est vestalis, par les mains mêmes du souverain pontife. On les conduisoit donc pour les punir dans un lieu secret où elles se dépouilloient nues. Les pontifes à la vérité prenoient toutes les précautions pour les soustraire dans cet état à tous autres regards qu'aux leurs.

Après la punition de la vestale, on songeoit à rallumer le feu ; mais il n'étoit pas permis de se servir pour cela d'un feu matériel, comme si ce feu nouveau ne pouvoit être qu'un présent du ciel : du-moins, selon Plutarque, n'étoit-il permis de le tirer que des rayons mêmes du soleil à l'aide d'un vase d'airain, au centre duquel les rayons venant à se réunir, subtilisoient si fort l'air qu'ils l'enflammoient, & que par le moyen de la réverbération, la matiere seche & aride dont on se servoit, s'allumoit aussi-tôt.

Le soin principal des vestales étoit de garder le feu jour & nuit ; d'où il paroît que toutes les heures étoient distribuées, & que les vestales se relevoient les unes après les autres. Chez les Grecs le feu sacré se conservoit dans des lampes où on ne mettoit de l'huile qu'une fois l'an ; mais les vestales se servoient de foyers & de rechaux ou vases de terre, qui étoient placés sur l'autel de Vesta.

Outre la garde du feu sacré, les vestales étoient obligées à quelques prieres, & à quelques sacrifices particuliers, même pendant la nuit. Elles étoient chargées des voeux de tout l'empire, & leurs prieres étoient la ressource publique.

Elles avoient leurs jours solemnels. Le jour de la fête de Vesta, le temple étoit ouvert extraordinairement, & on pouvoit pénétrer jusqu'au lieu même où reposoient les choses sacrées, que les vestales n'exposoient qu'après les avoir voilées, c'est-à-dire, ces gages ou symboles de la durée & de la félicité de l'empire romain, sur lesquels les auteurs se sont expliques si diversement. Quelques-uns veulent que ce soit l'image des grands dieux. D'autres croyent que ce pouvoit être Castor & Pollux, & d'autres Apollon & Neptune. Pline parle d'un dieu particulierement révéré des vestales, qui étoit le gardien des enfans & des généraux d'armées. Plusieurs, selon Plutarque, affectant de paroître plus instruits des choses de la religion que le commun du peuple, estimoient que les vestales conservoient dans l'intérieur du temple, deux petits tonneaux, dont l'un étoit vuide & ouvert, l'autre fermé & plein, & qu'il n'y avoit qu'elles seules à qui il étoit permis de les voir : ce qui a quelque rapport avec ceux dont parle Homere, qui étoient à l'entrée du palais de Jupiter, dont l'un étoit plein de maux, & l'autre de biens. Disons mieux que tout cela, c'étoit le palladium même que les vestales avoient sous leur garde.

Il suffisoit pour être reçue vestale, que d'un côté ni d'un autre, on ne fût point sorti de condition servile, ou de parens qui eussent fait une profession basse. Mais quoique la loi se fût relâchée jusque-là, il y a toujours lieu de penser que le pontife avoit plus en vue les filles d'une certaine naissance, comme sujets plus susceptibles de tous les honneurs attachés à un ordre qui étoit, pour ainsi dire, à la tête de la religion. Une fille patricienne qui joignoit à son caractere de vestale la considération de sa famille, devenoit plus propre pour une société de filles, chargées non-seulement des sacrifices de Vesta, mais qui jouoient le plus grand rôle dans les affaires de l'état.

Elles jouissoient de la plus haute considération. Auguste lui-même jura que si quelqu'une de ses nieces étoit d'un âge convenable, il la présenteroit volontiers pour être reçue vestale. Il faut regarder comme un effet de l'estime des Romains pour la condition de vestale, l'ordonnance dont nous parle Capito Atéius, qui en excluoit toute autre qu'une romaine.

Dès que le choix de la vestale étoit fait, qu'elle avoit mis le pié dans le parvis du temple, & étoit livrée aux pontifes, elle entroit dès lors dans tous les avantages de sa condition, & sans autre forme d'émancipation ou changement d'état, elle acquéroit le droit de tester, & n'étoit plus liée à la puissance paternelle.

Rien de plus nouveau dans la société, que la condition d'une fille qui pouvoit tester à l'âge de six ans ; rien de plus étrange qu'une pleine majorité du vivant même du pere, & avant le nombre d'années que les loix donnent à la raison. Elle étoit habile à la succession au sortir des vestales, où elle portoit une dot dont elle disposoit selon sa volonté. Leur bien restoit à la maison si elles mouroient sans testament : elles perdoient à la vérité le droit d'hériter ab intestat. Une vestale disposoit même de son bien sans l'entremise d'un curateur : ce qu'il y avoit de bizarre en cela, c'est que cette prérogative dont on vouloit bien gratifier des vierges si pures, avoit été jusques-là le privilege des femmes qui avoient eu au-moins trois enfans.

Il y a apparence que dans les premiers tems le respect des peuples leur tint lieu d'une infinité de privileges, & que les vertus des vestales suppléoient à tous ces honneurs d'établissement, qui leur furent accordés dans la suite, selon le besoin & le zèle du peuple romain.

Ce fut dans ces tems si purs que la pitié d'Albinus se signala à leur égard. Les Gaulois étoient aux portes de Rome, & tout le peuple dans la consternation ; les uns se jettent dans le capitole pour y défendre, selon Tite-Live, les dieux & les hommes ; ceux d'entre les vieillards qui avoient obtenu les honneurs du triomphe & du consulat, s'enferment dans la ville, pour soutenir par leur exemple le commun du peuple.

Les vestales dans ce désordre général, après avoir délibéré sur la conduite qu'elles avoient à tenir à l'égard des dieux & des dépouilles du temple, en cacherent une partie dans la terre près de la maison du sacrificateur, qui devint un lieu plus saint, & qui fut honoré dans la suite jusqu'à la superstition ; elles chargerent le reste sur leurs épaules, & s'en alloient, dit Tite-Live, le long de la rue qui va du pont de bois au janicule.

Cet Albinus, homme plébéïen, fuyoit par le même chemin avec sa famille, qu'il emmenoit sur un chariot. Il fut touché d'un saint respect à la vue des vestales ; il crut que c'étoit blesser la religion que de laisser des prêtresses, &, pour ainsi dire, des dieux même à pié ; il fit descendre sa femme & ses enfans, & mit à la place non-seulement les vestales, mais ce qui se trouva de pontifes avec elles : il se détourna de son chemin, dit Valere Maxime, & les conduisit jusqu'à la ville de Céré, où elles furent reçues avec autant de respect, que si l'état de la république avoit été aussi florissant qu'à l'ordinaire. La mémoire d'une si sainte hospitalité, ajoute l'historien, s'est conservée jusqu'à nous : c'est de-là que les sacrifices ont été appellés cérémonies, du nom même de la ville ; & cet équipage vil & rustique où il ramassa si à-propos les vestales, a égalé ou passé la gloire du char de triomphe le plus riche & le plus brillant.

On a lieu de croire que dans cet effroi des vestales, le service du feu sacré souffrit quelque interruption. Elles se chargerent de porter par-tout le culte de Vesta, & d'en continuer les solemnités tant qu'il y en auroit quelqu'une qui survivroit à la ruine de Rome ; mais il ne paroît point que dans la conjoncture présente elles eussent pourvu au foyer de Vesta, ni que cette flamme fatale ait été compagne de leur fuite. Peut-être eût-il été plus digne d'elles d'attendre tout événement dans l'intérieur de leur temple, & au milieu des fonctions du sacerdoce. La vue d'une troupe de prêtresses autour d'un brasier sacré, dans un lieu jusque-là inaccessible, recueillies ainsi au milieu de la désolation publique, n'eût pas été moins digne de respect & d'admiration, que l'aspect de tous ces sénateurs qui attendoient la fin de leur destinée assis à leur porte avec une gravité morne, & revêtus de tous les ornemens de leur dignité. Peut-être aussi eurent-elles raison de craindre l'insolence des barbares, & des inconvéniens plus grands que l'extinction même du feu sacré.

Quoi qu'il en soit, l'action d'Albinus devint à la postérité une preuve éclatante & du respect avec lequel on regardoit les vestales, & de la simplicité de leurs moeurs : elles ignoroient encore l'usage de ces marques extérieures de grandeur qui se multiplierent si fort dans la suite : ce ne fut que sous les triumvirs qu'elles commencerent à ne plus paroître en public qu'accompagnées d'un licteur. Les faisceaux que l'on porta devant elles imposerent au peuple, & l'écarterent sur leur route. Il manquoit à la vérité à cette distinction une cause plus honorable ; l'honneur eût été entier s'il n'eût pas été en même tems une précaution contre l'emportement des libertins, & si au rapport de Dion Cassius, ce nouveau respect n'eût pas été déterminé par le violement d'une vestale.

Ce fut apparemment dans ce tems-là que les préséances furent réglées entre les vestales & les magistrats. Si les consuls ou les préteurs se trouvoient sur leur chemin, ils étoient obligés de prendre une autre route ; ou si l'embarras étoit tel, qu'ils ne pussent éviter leur rencontre, ils faisoient baisser leurs haches & leurs faisceaux devant elles, comme si dans ce moment ils eussent remis entre leurs mains l'autorité dont ils étoient revêtus, & que toute cette puissance consulaire se fût dissipée devant des filles, qui avoient été chargées des plus grands mysteres de la religion par la préférence même des dieux, & qui tenoient, pour ainsi dire, de la premiere main, les ressources & la destinée de l'empire.

On les regardoit donc comme personnes sacrées, & à l'abri de toute violence, du-moins publique. Ce fut par-là que l'entreprise des tribuns contre Claudius fut rompue. Comme il triomphoit malgré leur opposition, ils entreprirent de le renverser de son char au milieu même de la marche de son triomphe. La vestale Claudia sa fille avoit suivi tous leurs mouvemens. Elle se montra à-propos, & se jetta dans le char, au moment même que le tribun alloit renverser Claudius : elle se mit entre son pere & lui, & arrêta par ce moyen la violence du tribun, retenu alors malgré sa fureur par cet extrême respect qui étoit dû aux vestales, & qui ne laissoit à leur égard qu'aux pontifes seuls la liberté des remontrances, & des voies de fait : ainsi, l'un alla en triomphe au capitole, & l'autre au temple de Vesta ; & on ne put dire à qui on devoit le plus d'acclamations, ou à la victoire du pere, ou à la piété de la fille.

Le peuple étoit sur le caractere des vestales dans une prévention religieuse, dont rien n'eût pu le dépouiller. Ce n'étoit pas seulement le dépôt qui leur étoit confié qui avoit établi cette prévention, mais une infinité de marques extérieures d'autorité & de puissance.

Quelle impression ne devoit point faire sur lui cette prérogative si singuliere, de pouvoir sauver la vie à un criminel qu'elles rencontroient sur leur chemin, lorsqu'on le menoit au supplice ? La seule vue de la vestale étoit la grace du coupable. A la vérité elles étoient obligées de faire serment qu'elles se trouvoient là sans dessein, & que le hasard seul avoit part à cette rencontre.

Elles étoient de tout tems appellées en témoignage & entendues en justice, mais elles n'y pouvoient être contraintes. Pour faire plus d'honneur à la religion, elles étoient bien aises qu'on les crût sur une déposition toute simple, sans être obligées de jurer par la déesse Vesta, qui étoit la seule divinité qu'elles pouvoient attester ; ce qui arrivoit en effet très-rarement, parce que par-là, on écartoit tous les autres témoignages, & qu'il ne se trouvoit personne qui voulût aller contre le rapport & le serment des vestales.

Il y avoit une loi qui punissoit de mort sans rémission quiconque se jetteroit sur leur char, ou sur leur litiere, lorsqu'elles iroient par la ville ; elles assistoient aux spectacles, où Auguste leur donna une place séparée vis-à-vis celle du préteur. La grande vestale, vestalis maxima, portoit une bulle d'or.

Numa Pompilius qui dans leur institution, les avoit dotées de deniers, comme nous l'avons déjà observé, assigna des terres particulieres selon quelques auteurs, sur lesquelles il leur attribua des droits & des revenus. Dans la suite des tems, elles eurent quantité de fondations & de legs testamentaires, en quoi la piété des particuliers étoit d'autant plus excitée, que le bien des vestales étoit une ressource assurée dans les nécessités publiques.

Auguste qui s'appliqua particulierement à augmenter la majesté de la religion, crut que rien ne contribueroit davantage au dessein qu'il avoit, que d'accroître en même tems la dignité & le revenu des vestales. Mais outre les donations communes à tout l'ordre, on faisoit encore des dons particuliers aux vestales. Quelquefois c'étoit des sommes d'argent considérables. Cornelia, selon Tacite, ayant été mise à la place de la vestale Scatia, reçut un don de deux mille grands sesterces, environ deux cent mille livres, par un arrêt qui fut rendu à l'occasion d'une élection nouvelle d'un prêtre de Jupiter. Il y en avoit de plus opulentes les unes que les autres, & qui par conséquent étoient en état de se distinguer par un plus grand nombre d'esclaves, & de se montrer en public avec plus de faste, & de mieux soutenir au-dehors la dignité de l'ordre.

A certains jours de l'année, elles alloient trouver le roi des sacrifices, qui étoit la seconde personne de la religion : elles l'exhortoient à s'acquiter scrupuleusement de ses devoirs, c'est-à-dire, à ne pas négliger les sacrifices, à se maintenir dans cet esprit de modération que demandoit de lui la loi de son sacerdoce, à se tenir sans cesse sur ses gardes, & à veiller toujours sur le service des dieux.

Elles interposoient leur médiation pour les reconciliations les plus importantes & les plus délicates, & elles entroient dans une infinité d'affaires indépendantes de la religion.

La condition des vestales étoit trop brillante, pour ne pas engager quelques grands par goût & par vanité à tenter quelque avanture dans le temple de Vesta. Catilina & Néron, hommes dévoués à toutes les actions hardies & criminelles, ne furent pas les seuls qui entreprirent de les corrompre. Parmi celles que la vivacité des passions, le commerce des hommes, ou leurs recherches trop pressantes, jetterent dans l'incontinence ; il y en a eu quelques-unes de trop indiscrettes, & qui ne se ménageant point assez à l'extérieur, donnerent lieu de le soupçonner, & d'approfondir leur conduite : quelques autres se conduisirent avec tant de précaution & de mystere, que leur galanterie, pour nous servir des termes de Minucius-Felix, fut ignorée même de la déesse Vesta.

Les pontifes étoient leurs juges naturels ; la loi soumettoit leur conduite à leurs perquisitions seules ; c'étoit le souverain pontife qui prononçoit l'arrêt de condamnation. Il ordonnoit à l'assemblée du conseil ; il avoit droit d'y présider, mais son autorité n'avoit point lieu sans une convocation solemnelle du college des pontifes.

On ne s'en tint pas toujours cependant aux jugemens qui avoient été rendus par le conseil souverain des pontifes, le tribun du peuple avoit droit de faire ses représentations, & le peuple de son autorité cassoit les arrêts où il soupçonnoit que les ordonnances pouvoient avoir été blessées, & où la brigue & la cabale lui paroissoient avoir part.

On gardoit dans la procédure une infinité de formalités : on suivoit tous les indices, on écoutoit les délateurs, on les confrontoit avec les accusées, on les entendoit elles-mêmes plusieurs fois ; & lorsque l'arrêt de mort étoit rendu, on ne le leur signifioit point d'abord ; on commençoit à leur interdire tout sacrifice & toute participation aux mysteres : on leur défendoit de faire aucune disposition à l'égard de leurs esclaves, & de songer à leur affranchissement, parce qu'on vouloit les mettre à la question pour en tirer quelques éclaircissemens & quelques lumieres : car les esclaves devenus libres par leur affranchissement, ne pouvoient plus être appliqués à la torture. Quelques-unes furent admises à des preuves singulieres de leur innocence, & placerent leur derniere ressource dans la protection de leur déesse.

" C'est une chose mémorable, dit Denys d'Halicarnasse, que les marques de protection que la déesse a quelquefois données à des vestales faussement accusées ; chose à la vérité qui paroît incroyable, mais qui a été honorée de la foi des Romains, & appuyée par les témoignages des auteurs les plus graves.... Le feu s'étant éteint par l'imprudence d'Emilia, qui s'étoit reposée du soin de l'entretenir sur une jeune vestale qui n'étoit point encore faite à cette extrême attention que requéroit le ministere, toute la ville en fut dans le trouble & dans la consternation ; le zèle des pontifes s'alluma ; on crut qu'une vestale impure avoit approché le foyer sacré ; Emilie, sur qui le soupçon tomboit, & qui en effet étoit responsable de la négligence de la jeune vestale, ne trouvant plus de conseil ni de ressource dans son innocence, s'avança en présence des prêtres & du reste des vierges, & s'écria en tenant l'autel embrassé : O Vesta, gardienne de Rome, si pendant trente années j'ai rempli dignement mes devoirs, si j'ai traité tes mystères sacrés avec un esprit pur & un corps chaste, secoure-moi maintenant, & n'abandonne point ta prêtresse sur le point de périr d'une maniere cruelle ; si au contraire je suis coupable, détourne & expie par mon supplice, le désastre dont Rome est menacée. Elle arrache en même-tems un morceau du voile qui la couvroit ; à peine l'avoit-elle jetté sur l'autel, que les cendres froides se réchauffent, & que le voile fut tout enflammé, &c. " Ce ne fut pas là le seul miracle dont l'ordre des vestales s'est prévalu pour la justification de ses vierges.

Numa qui avoit tiré d'Albe les mysteres & les cérémonies des vestales, y avoit pris aussi les ordonnances & les loix qui pouvoient regarder cet ordre religieux, ou du moins en avoit conservé l'esprit. Une vestale tombée dans le désordre, y devoit expirer sous les verges. Numa déclara également dignes de mort celles qui auroient violé leur pudicité, mais il prescrivit une peine différente ; il se contenta de les faire lapider sans aucune forme ni appareil de supplice. Séneque, dans ses controverses, nous parle d'une vestale qui pour avoir souille sa pureté, fut précipitée d'un rocher. Cette vestale, selon lui, sur le point d'être précipitée, invoqua la déesse, & tomba même sans se blesser, quelque affreux que fût le précipice, ou plutôt elle ne tomba point, elle en descendit, & se retrouva presque dans le temple.

Malgré cet événement, où la protection de Vesta étoit si marquée, on ne laissa pas de la vouloir ramener sur le rocher, & de lui vouloit faire subir une seconde fois la peine qui avoit été portée contre elle : on traita son invocation de sacrilege : on ne crut pas qu'une vestale punie pour le fait d'incontinence, pût nommer la déesse sans crime : on envisagea cette action comme un second inceste ; le feu sacré ne parut pas moins violé sur le rocher, qu'il l'avoit été entre les autels : on regarda comme un surcroit de punition qu'elle n'eût pu mourir ; la providence des dieux, en la sauvant, la réservoit à un supplice plus cruel ; c'est envain qu'elle s'écrie que puisque sa cause n'a pu la garantir du supplice, le supplice du moins doit la défendre contre sa propre cause. Quelle apparence que le ciel l'eût secourue si tard, si elle eût été innocente ? on veut enfin qu'elle ait violé le sacerdoce, sans quoi il seroit permis de dire que les dieux auroient eux-mêmes violé leur prêtresse.

Parmi les différens avis que Séneque avoit ramassés à cette occasion, il n'y en eut que très-peu de favorables à la vestale. Mais si cet exemple de châtiment, dans la bouche d'un déclamateur, ne tire point à conséquence pour établir les especes de supplices qui servoient à la punition des vestales, du-moins nous découvre-t-il dans quel esprit, & avec quelle prévention les Romains regardoient en elles le crime d'incontinence, & jusqu'où ils poussoient la sévérité à cet égard. Domitien châtie diversement quelques-unes de ces malheureuses filles ; il laissa à deux soeurs de la maison des Ocellates, la liberté de choisir leur genre de mort.

C'est à Tarquin, qui avoit déja fait quelques changemens dans l'ordre des vestales, que l'on rapporte l'institution du supplice dont on les punissoit ordinairement, & qui consistoit à les enterrer vives. La Terre & Vesta n'étoient qu'une même divinité ; celle qui a violé la Terre, disoit-on, doit être enterrée toute vivante sous la terre.

Quam violavit, in illa

Conditur, & Tellus Vestaque numen idem est.

Le jour de l'exécution étant venu, toutes les affaires tant publiques que particulieres étoient interrompues, toute la ville étoit dans l'appréhension & dans le mouvement ; toutes les femmes étoient éperdues, le peuple s'amassoit de tous côtés & se trouvoit entre la crainte & l'espérance sur les affaires de l'empire, dont il attachoit le bon & le mauvais succès au supplice de la vestale, selon qu'elle étoit bien ou mal jugée. Le grand prêtre, suivi des autres pontifes, se rendoit au temple de Vesta ; là, il dépouilloit la vestale coupable de ses ornemens sacrés, qu'il lui ôtoit l'un après l'autre sans cérémonie religieuse, & il lui en présentoit quelques-uns qu'elle baisoit.

Ultima virgineis tum flens dedit oscula vittis.

C'est alors que sa douleur, ses larmes, souvent sa jeunesse & sa beauté, l'approche du supplice, l'espece du crime peut-être, excitoient des sentimens de compassion, qui pouvoient balancer dans quelques-uns les intérêts de l'état & de la religion. Quoi qu'il en soit, on l'étendoit dans une espece de biere, où elle étoit liée & enveloppée de façon que ses cris auroient eu de la peine à se faire entendre, & on la conduisoit dans cet état depuis la maison de Vesta, jusqu'à la porte Colline, auprès de laquelle, en dedans de la ville, étoit une bute ou éminence qui s'étendoit en long, & qui étoit destinée à ces sortes d'exécutions ; on l'appelloit à cet effet, le champ exécrable, agger & sceleratus campus : il faisoit partie de cette levée qui avoit été construite par Tarquin, & que Pline traite d'ouvrage merveilleux, mais dont le terrein, par une bisarrerie de la fortune, servoit à la plûpart des jeux & des spectacles populaires, aussi-bien qu'à la cruelle inhumation de ces vierges impures.

Le chemin du temple de Vesta à la porte Colline, étoit assez long, la vestale devoit passer par plusieurs rues, & par la grande place. Le peuple, selon Plutarque, accouroit de tous côtés à ce triste spectacle, & cependant il en craignoit la rencontre & se détournoit du chemin ; les uns suivoient de loin, & tous gardoient un silence morne & profond. Denys d'Halicarnasse admet à ce convoi funeste les parens & les amis de la vestale ; ils la suivoient, dit-il, avec larmes, & lorsqu'elle étoit arrivée au lieu du supplice, l'exécuteur ouvroit la biere, & délioit la vestale. Le pontife, selon Plutarque, levoit les mains vers le ciel, adressoit aux dieux une priere secrette, qui apparemment regardoit l'honneur de l'empire qui venoit d'être exposé par l'incontinence de la vestale ; ensuite il la tiroit lui-même, cachée sous des voiles, & la menoit jusqu'à l'échelle qui descendoit dans la fosse où elle devoit être enterrée vive. Alors il la livroit à l'exécuteur, après quoi il lui tournoit le dos, & se retiroit brusquement avec les autres pontifes.

Cette fosse formoit une espece de caveau ou de chambre creusée assez avant dans la terre : on y mettoit du pain, de l'eau, du lait, & de l'huile : on y allumoit une lampe, on y dressoit une espece de lit au fond. Ces commodités & ces provisions étoient mystérieuses, on cherchoit à sauver l'honneur de la religion jusque dans la punition de la vestale, & on croyoit par-là se mettre à portée de pouvoir dire qu'elle se laissoit mourir elle-même. Sitôt qu'elle étoit descendue, on retiroit l'échelle, & alors avec précipitation, & à force de terre, on combloit l'ouverture de la fosse au niveau du reste de la levée.

Sanguine adhuc vivo terram subitura sacerdos.

étoit-elle debout, assise, ou couchée sur l'espece de lit dont nous venons de parler ; c'est ce qui ne se décide pas clairement. Juste Lipse, sur ces paroles, lectulo posito, semble décider pour cette derniere position.

Tel étoit le supplice des vestales. Leur mort devenoit un événement considérable par toutes les circonstances dont elle étoit accompagnée ; elle se trouvoit liée par la superstition à une infinité de grands événemens, qui en étoient regardés comme la suite. Sous le consulat de Pinarius & de Furius, le peuple, dit Denys d'Halicarnasse, fut frappé d'une infinité de prodiges que les devins rejetterent sur les dispositions criminelles avec lesquelles s'exerçoit le ministere des autels. Les femmes se trouverent affligées d'une maladie contagieuse, & sur-tout les femmes grosses ; elles accouchoient d'enfants morts, & périssoient avec leur fruit ; les prieres, les sacrifices, les expiations, rien n'appaisoit la colere du ciel ; dans cette extrêmité, un esclave accusa la vestale Urbinia de sacrifier aux dieux pour le peuple, avec un corps impur. On l'arracha des autels, & ayant été mise en jugement, elle fut convaincue & punie du dernier supplice.

Il paroît qu'en recueillant les noms de ces malheureuses filles, qui se trouvent répandus en différens auteurs, quelque modique que paroisse ce nombre, on peut s'y réduire avec confiance, & arrêter là ses recherches. Ce n'est pas qu'on veuille assurer que le nombre des libertines n'ait été plus grand, mais à quelques esclaves près, les délateurs étoient rares, & le caractere des vestales trouvoit de la protection.

Voici les noms des vestales qui furent condamnées, & que l'histoire nous a conservés. Pinaria, Popilia, Oppia, Minutia, Sextilia, Opimia, Floronia, Caparonia, Urbinia, Cornelia, Marcia, Licinia, Emilia, Mucia, Veronilla, & deux soeurs de la maison des Ocellates. Quelques-unes d'entre-elles eurent le choix de leur supplice, d'autres le prévinrent, & trouverent le moyen de s'évader ou de se donner la mort. Caparonia se pendit, au rapport d'Eutrope ; Floronia se tua cruellement. Ce dernier parti fut pris par quelques-uns de ceux qui les avoient débauchées. L'amant d'Urbinia, selon Denys d'Halicarnasse, n'attendit pas les poursuites du pontife, il se hâta de s'ôter lui-même la vie.

Depuis l'établissement de l'ordre des vestales, jusqu'à sa décadence, c'est-à-dire depuis Numa Pompilius jusqu'à Théodose, il s'est passé au rapport des chronologistes environ mille ans. L'esprit embrasse facilement ce long espace de tems, & le même coup d'oeil venant à se porter sur tous les supplices des vestales, & à les rapprocher en quelque sorte les uns des autres, on se forme une image effrayante de la sévérité des Romains à cet égard ; mais en examinant les faits plus exactement, & en les plaçant chacun dans leur tems, peut-être étoit-ce beaucoup si chaque siecle se trouvoit chargé d'un événement si terrible, dont l'exemple ne se renouvella vraisemblablement que pour sauver encore aux yeux du peuple, l'honneur des loix & de la religion.

L'ordre des vestales étoit monté du tems des empereurs au plus haut point de considération où il pût parvenir ; il n'y avoit plus pour elles qu'à en descendre par ce droit éternel des révolutions qui entraînent les empires & les religions.

Le christianisme qui avoit long-tems gémi sous les empereurs attachés au culte des dieux, devint triomphant à son tour. La religion monta pour ainsi dire sur le trône avec les souverains, & le zele qu'elle leur inspira, succéda à celui qui avoit animé contre elle leurs prédécesseurs : on se porta par degrés à la destruction de l'idolâtrie : on ne renversa d'abord que certains temples : on interrompit ensuite les sacrifices, l'auguration, les dédicaces, & enfin on mutila les idoles qui avoient été les plus respectées.

L'honneur du paganisme n'étoit plus qu'entre les mains des vestales ; un préjugé antique fondé sur une infinité de circonstances singulieres, continuoit à en imposer de leur part ; le respect des dieux s'affoiblissoit, & la vénération pour la personne des vestales, subsistoit encore : on n'osoit les attaquer dans l'exercice de leurs mysteres ; le sénat ne se fût pas rendu volontiers aux intentions du prince, il fallut le tâter long-tems, & le préparer par quelque entreprise d'éclat.

Sous l'empire de Gratien, les vestales n'attendirent plus de ménagement de la part des chrétiens, quand elles virent que ce prince avoit démoli l'autel de la Victoire, qu'il se fut saisi des revenus destinés à l'entretien des sacrifices, & qu'il eut aboli les privileges & les immunités qui étoient attachés à cet autel, elles crurent bien qu'il n'en demeureroit pas là. L'événement justifia leur crainte, Gratien cassa leurs privileges ; il ordonna que le fisc se saisiroit des terres qui leur étoient léguées par les testamens des particuliers. La rigueur de ces ordonnances leur étoit commune avec tous les autres ministres de l'ancienne religion. Ceux des sénateurs qui étoient encore attachés au paganisme, en murmurerent publiquement ; ils voulurent porter leurs plaintes au nom du sénat : Symmaque fut député vers l'empereur, mais on lui refusa l'audience ; il fut obligé de s'en tenir à une requête très-bien dressée, dont saint. Ambroise empêcha le succès.

A peine les ordonnances de Gratien contre les prêtresses de Vesta, avoient-elles été exécutées, que Rome se trouva affligée de la famine. On ne manqua pas de l'attribuer à l'abolition des privileges des vestales ; les peres s'appliquerent à combattre les raisonnemens qu'on fit à cet égard, & vinrent à bout d'éluder les remontrances de Symmaque. Il osa noblement représenter aux empereurs qu'il y auroit plus de décence pour eux à prendre sur le fisc, sur les dépouilles des ennemis, que sur la subsistance des vestales ; mais toutes ses représentations ne servirent qu'à montrer une fermeté dangereuse dans un homme tel que lui. Il sentoit bien qu'on vouloit perdre les vestales ; elles étoient prêtes à se réduire au titre seul de leurs privileges, & à accepter les plus dures conditions, pourvu qu'on les laissât libres dans leurs mysteres.

L'opposition des nouveaux établissemens qui paroissoient ne vouloir se maintenir que par la singularité des vertus, entraînoit insensiblement le goût du peuple, & le détachoit de toute autre considération. L'ambition, & peut-être encore auri sacra fames, acheverent les progrès de la religion chrétienne. Les dépouilles des ministres de l'ancienne religion étoient devenues des objets très-considérables, de sorte qu'au rapport d'Ammien Marcellin, le luxe des nouveaux pontifes égala bientôt l'opulence des rois.

Sous le regne de Théodose, & sous celui de ses enfans, on porta le dernier coup au sacerdoce payen par la confiscation des revenus. La disposition qui en fut faite, est clairement énoncée dans une des constitutions impériales, où Théodose & Honorius joignent à leur domaine tous les fonds destinés à l'entretien des sacrifices, confirment les particuliers dans les dons qui leur ont été faits, tant par eux-mêmes que par leurs prédécesseurs, & assurent à l'église chrétienne la possession des biens qui lui avoient été accordés par des arrêts.

Les vestales traînerent encore quelque tems dans l'indigence & dans la douleur, les débris de leur considération.

L'ordre s'en étoit établi dès la fondation de Rome ; l'accroissement de ses honneurs avoit suivi le progrès de la puissance romaine ; il s'étoit maintenu pendant long-tems avec dignité, sa chûte même eut quelque chose d'illustre. Elle fut le prélude de la ruine & de la dispersion de la plus célebre nation du monde, comme si les destinées eussent réglé le cours de l'un par la durée de l'autre, & que le feu sacré de Vesta eût dû être regardé comme l'ame de l'empire romain.

Il est vrai que nous avons dans le christianisme plusieurs filles vierges nommées religieuses, & qui sont consacrées au service de Dieu ; mais aucun de leurs ordres ne répond à celui des vestales : la différence à tous égards est bien démontrée.

Nos religieuses détenues dans des couvens, forment une classe de vierges des plus nombreuses ; elles sont pauvres, recluses, ne vont point dans le monde, ne sont point dotées, n'héritent, ne disposent d'aucun bien, ne jouissent d'aucune distinction personnelle, & ne peuvent enfin ni se marier, ni changer d'état.

L'ordre des vestales de tout l'empire romain n'étoit composé que de six vierges. Le souverain pontife se montroit fort difficile dans leur réception ; & comme il falloit qu'elles n'eussent point de défaut naturel, le choix tomboit conséquemment sur les jeunes filles douées de quelque beauté. Richement dotées des deniers publics, elles étoient encore majeures avant l'âge ordinaire, habiles à succéder, & pouvoient tester de la dot qu'elles avoient apportée à la maison.

Elles sortoient nécessairement de l'ordre avant l'âge de 40 ans, & avoient alors la liberté de se marier. Pendant leur état de vestale, elles n'avoient d'autres soins que de garder tour-à-tour le feu de Vesta ; & cette garde ne les gênoit guere. Leurs fêtes étoient autant de jours de triomphe. Elles vivoient d'ailleurs dans le grand monde avec magnificence. Elles étoient placées avec la premiere distinction, à toutes les especes de jeux publics ; & le sénat crut honorer Livie de lui donner rang dans le banc des vestales, toutes les fois qu'elle assisteroit aux spectacles.

Aucune d'elles ne montoit au capitole qu'en une litiere, & avec un nombreux cortege de leurs femmes & de leurs esclaves. Rien ne toucha davantage Agrippine que la permission qu'elle obtint de Néron, de jouir de la même grace. En un mot, nos religieuses n'ont aucun des honneurs mondains dont les vestales étoient comblées. Continuons de le prouver par de nouveaux faits qui couronneront cet article.

Une statue fut déférée à la vestale Suffétia, pour un champ dont elle gratifia le peuple, avec cette circonstance, que sa statue seroit mise dans le lieu qu'elle choisiroit elle-même : prérogative qui ne fut accordée à aucune autre femme.

Les vestales étoient employées dans les médiations les plus délicates de Rome, & l'on déposoit entre leurs mains les choses les plus saintes. Leur seule entremise réconcilia Sylla à César ; ce qu'il avoit refusé à ses meilleurs amis, il l'accorda à la priere des vestales. Leur sollicitation l'emporta sur ses craintes, & sur ses pressentimens mêmes. " Sylla, dit Suétone, soit par inspiration, soit par conjecture, après avoir pardonné à César, s'écria devant tout le monde, qu'on pouvoit s'applaudir de la grace qu'on venoit de lui arracher, mais que l'on sût au moins que celui dont on avoit si fort souhaité la liberté, ruineroit le parti des plus puissans de Rome, de ceux mêmes qui s'étoient joints avec les vestales pour parler en sa faveur ; & qu'enfin dans la personne de César, il s'élevoit plusieurs Marius ".

Une si grande déférence pour les vestales dans un homme tel que Sylla, & dans un tems de troubles, où les droits les plus saints n'étoient point à l'abri de sa violence, renchérissoit en quelque sorte sur cet extrême respect des magistrats pour les vestales, devant lesquelles, comme je l'ai remarqué, ils avoient accoutumé de baisser les faisceaux. Cet esprit d'injustice & de cruauté qui regna dans les proscriptions, respecta toujours les vestales ; le génie de Marius & de Sylla trembloit devant ce petit nombre de filles.

Elles étoient dépositaires des testamens & des actes les plus secrets ; c'est dans leurs mains que César & Auguste remirent leurs dernieres volontés. Rien n'est égal au respect religieux qui s'étoit généralement établi pour elles. On les associoit, pour ainsi dire, à toutes les distinctions. faites pour honorer la vertu. Elles étoient enterrées dans le dedans de la ville, honneur rarement accordé aux plus grands hommes, & qui avoit produit la principale illustration des familles Valeria & Fabricia.

Cet honneur passa même jusqu'à ces malheureuses filles qui avoient été condamnées au dernier supplice. Elles furent traitées en cela comme ceux qui avoient mérité l'honneur du triomphe. Soit que l'intention du législateur eût été telle, soit que le concours des circonstances eût favorisé cet événement, on crut avoir trouvé dans le genre de leur mort le moyen de concilier le respect dû à leur caractere, & le châtiment que méritoit leur infidélité. Ainsi la vénération qu'on leur portoit, survivoit en quelque sorte à leur supplice. En effet, il étoit suivi d'une crainte superstitieuse, laquelle donna lieu aux prieres publiques qui se faisoient tous les ans sur leurs tombeaux, pour en appaiser les ombres irritées. (D.J.)


VESTALIESS. f. pl. (Mythol.) vestalia ; fête que les Romains célébroient le 5 avant les ides de Juin, c'est-à-dire le 9 de ce mois, en l'honneur de la déesse Vesta. On faisoit ce jour des festins dans les rues, & on choisissoit des mêts, qu'on portoit aux vestales pour les offrir à la déesse. On ornoit les moulins de bouquets & de couronnes ; c'étoit la fête des boulangers. Les dames romaines se rendoient à pié au temple de Vesta, & au capitole où il y avoit un autel consacré à Jupiter pistor, c'est-à-dire protecteur des grains de la terre. On remarque dans l'histoire que Brutus se rendit maître de l'Espagne le jour de cette fête, & que M. Crassus fut défait par les Parthes dans ce même jour. (D.J.)


VESTES. f. (Gram.) vêtement qui se porte sous le justaucorps ou l'habit ; il a des manches, des basques & des poches, & se boutonne ; mais il ne descend que jusqu'au-dessus du genou.

VESTE de Mahomet, nom que les Francs donnent au présent que le grand seigneur envoie tous les ans à la Mecque lors de la caravane.


VESTIAIRES. m. (Hist. monastiq.) du latin vestis, habit. C'est un lieu joignant une église où l'on garde les habits & ornemens sacerdotaux, les vases sacrés & l'argenterie qui sert à décorer les autels ou au sacrifice. Voyez SACRISTIE & TRESOR.

VESTIAIRE se dit aussi parmi les religieux, de ce qui concerne leurs habits ; certaines communautés donnent telle ou telle somme à chaque religieux pour son vestiaire.


VESTIBULES. m. (Archit.) lieu couvert qui sert de passage à divers appartemens d'une maison, & qui est le premier endroit où l'on entre.

Il y a deux sortes de vestibules, les uns sont fermés du côté de l'entrée par des arcades accompagnées de chassis de verre, & les autres sont simples, garnis de colonnes ou pilastres, qui en les décorant, servent à soutenir le mur de face. Les premiers vestibules sont ordinairement ornés de colonnes ou de pilastres qui bordent des niches circulaires, dans lesquelles on met des figures. On dispose aussi des statues dans les angles ou au milieu, & ces ornemens forment la décoration d'un vestibule. On peut avoir un modele de cette décoration dans la Planche 78 du traité de la décoration des édifices, tom. II.

Chez les anciens, le vestibule étoit un grand espace vuide devant l'entrée d'une maison ; ils l'appelloient atrium propatulum & vestibulum, parce qu'il étoit dédié à la déesse Vesta, d'où Martinius fait dériver ce mot, qui signifie vestae stabulum. La raison que donne de cela cet auteur, est qu'on s'y arrêtoit avant que d'entrer ; & comme les anciens avoient coutume de commencer leurs sacrifices publics par ceux qu'ils offroient à cette déesse, c'étoit aussi par le vestibule qui lui étoit consacré, qu'ils commençoient à entrer dans la maison. Voyez VESTA.

On appelle encore improprement vestibule une espece de petite antichambre qui sert d'entrée à un médiocre appartement.

Voici les différentes especes de vestibules proprement dits.

Vestibule à aîles. Vestibule qui outre le grand passage du milieu couvert en berceau, est séparé par des colonnes, des aîles ou bas côtés, plafonnés de sofites, comme le vestibule du palais Farnèse à Rome, ou voûtés comme celui du gros pavillon du Louvre.

Vestibule en péristyle. Vestibule divisé en trois parties avec quatre rangs de colonnes isolées. Tel est le vestibule du milieu du château de Versailles.

Vestibule figuré. Vestibule dont le plan n'est pas contenu entre quatre lignes droites, ou une ligne circulaire ; mais qui par des retours forme des avant-corps & des arriere-corps de pilastres & de colonnes avec symmétrie ; tel est le vestibule du château de Maisons.

Vestibule octostyle rond. Vestibule qui a huit colonnes adossées comme le vestibule du Luxembourg à Paris, ou isolées comme celui de l'hôtel de Beauvais, qui ont l'une & l'autre leurs colonnes doriques.

Vestibule simple. C'est un vestibule qui a ses faces opposées également, décorées d'arcades, vraies ou feintes ; tels sont les vestibules du palais des Tuileries à Paris, & de l'hôtel-de-ville de Lyon.

Vestibule tétrastyle. Vestibule qui a quatre colonnes isolées & respectives à des pilastres ou à d'autres colonnes engagées ; tel est le vestibule de l'hôtel royal des Invalides. Daviler. (D.J.)


VESTIGESTRACES. (Synon.) Les vestiges sont les restes de ce qui a été dans un lieu ; les traces sont des marques de ce qui y a passé. On connoît les vestiges ; on suit les traces. On voit les vestiges d'un vieux château : on remarque les traces d'un cerf ou d'un sanglier.

Vestiges ne se dit qu'au pluriel ; trace se dit indifféremment au singulier & au pluriel. Il n'y a point d'artifices que les scélérats ne mettent en usage pour cacher la trace ou les traces de leurs cruautés ; enfin trace paroît d'un usage plus étendu que vestiges, soit au propre, soit au figuré ; il est aussi plus beau en poésie.

Mais l'ingrate à mon coeur reprit bientôt sa place.

De mes feux mal éteints je reconnus la trace. Racine.

(D.J.)


VESTINI(Géog. anc.) peuples d'Italie ; ils habitoient dans l'Abruze sur les deux bords de l'Aternus, depuis la source de ce fleuve jusqu'à la mer. Tite-Live, Polybe, Pline & Ptolémée en font mention. (D.J.)


VESTRY(Hist. mod. d'Angl.) c'est le nom qu'on donne à l'assemblée des marguilliers & autres principaux paroissiens qui s'assemblent dans la sacristie, pour y décider, & y régler tout ce qui concerne les ornemens, les réparations & les changemens qu'il convient de faire dans les églises dont ils sont membres. (D.J.)


VESULUS MONS(Géog. anc.) montagne d'Italie, & l'une de celles qui forment les Alpes. C'est dans cette montagne, selon Pomponius Méla, l. II. c. iv. & Pline, l. III. c. xvj, que le Pô prend sa source ; elle s'éleve extrêmement haut, & elle conserve encore son ancien nom ; car on la nomme le Mont visoul. Servius dit que Virgile (Georg. l. II. v. 224.) a voulu parler de cette montagne dans ces vers, sous le nom de Vesevus.

Talem dives arat Capua, & vicina Vesevo,

Ora jugo, & vacuis Clanius non aequus Acerris.

Mais le sentiment de Servius ne peut se soutenir ; car outre que Virgile ne parle dans cet endroit que de lieux de la Campanie, on ne trouvera pas que le mont Vesulus ait été jamais appellé Vesevus, au lieu que Virgile n'est pas le seul qui ait donné au mont Vesuve celui de Vesevus.

2°. Vesulus mons, montagne d'Italie dans la Pouille, selon Vibius Sequester. Ortelius croit que c'est cette montagne que Virgile surnomme Pinnifer au dixieme livre de l'Enéïde. (D.J.)


VESUNA(Géog. anc.) Vesunna, Vessuna, Vesonnai ; cette ville, l'ancienne capitale des Petrocorii, prit sous le bas-empire le nom de son peuple ; c'est la ville de Perigueux, qui ayant été ruinée plusieurs fois, conserve à peine les traces de sa premiere étendue & de son ancienne splendeur : on y voit quelques inscriptions, tutelae aug. vesunae secundus sote F. dic. des restes d'un amphithéâtre, locus arenarum Petragore. Epitom. episcop. Petragor. Biblioth. Labb. t. II. p. 739, & de quelques autres monumens anciens, & une tour d'un ouvrage curieux qui conserve le nom de la ville, la tour de la Visone ; elle est dans l'ancienne ville qu'on appelle la Cité, à l'occident de la nouvelle. (D.J.)


VÉSUVE(Géog. mod.) montagne d'Italie au royaume de Naples, dans la terre de Labour, fameuse par ses incendies & par les feux & les cendres qu'elle jette en abondance. On l'appelle dans le pays Vesuvio, & Monte di somma, à cause d'un château de ce nom qui étoit bâti tout auprès.

Ce n'est que depuis le regne de la famille Flavienne, c'est-à-dire, depuis Vespasien, que le mont Vésuve a été nommé dans les auteurs l'émule du mont Aetna. Tous les écrivains qui en ont parlé auparavant font l'éloge de sa beauté, de la fertilité de ses campagnes, & de la magnificence des maisons de plaisance bâties aux environs : ceux qui sont venus depuis l'ont dépeint comme un gouffre de flammes, de feu & de fumée. Pline le jeune, l. VI. epist. xvj. en décrivant l'embrasement de cette montagne si fatale à son oncle par la curiosité qui le porta à s'approcher trop près pour examiner ce prodige, dit que son oncle a péri par une fatalité qui a désolé de très-beaux pays, & que sa perte a été causée par un accident mémorable, qui ayant enveloppé des villes & des peuples entiers, doit éterniser sa mémoire.

Cette redoutable montagne est située au milieu d'une plaine, environ à huit milles de la ville de Naples, en tirant vers le midi oriental. Les quatre premiers milles se font entre plusieurs bons villages, en suivant le bord de la mer : ces endroits sont bien cultivés, & ne paroissent pas avoir jamais été exposés aux ravages du volcan, encore que cela leur soit souvent arrivé.

La base de cette montagne peut avoir environ dix lieues de circuit, & vers les deux tiers de sa hauteur, elle se partage en deux pointes distantes l'une de l'autre d'environ 500 toises ; la plus septentrionale se nomme Somma, & l'autre est à proprement parler le Vésuve. Il est vraisemblable que ces deux pointes n'étoient autrefois qu'une seule montagne qui s'est divisée par les différentes éruptions peu-à-peu, & à la suite de plusieurs secousses éloignées les unes des autres.

Pour arriver au volcan, on commence à monter à un village nommé Resina, à cinq quarts de lieue de Naples ; & quoique le chemin soit rude, on peut cependant se servir de mulets. Après avoir traversé environ trois quarts de lieue de pays fertile & bien cultivé, on rencontre une espece de plaine remplie de gros éclats de pierres, de torrens immenses de ces matieres semblables à du fer, ou à du verre fondu que le volcan a répandu dans ses éruptions, & entrecoupée de ravines profondes qui sont autant de précipices. Cette plaine traversée, on arrive enfin au pié de cette partie de la montagne qui prend la forme d'un cône tronqué ; alors il faut quitter nécessairement les mulets, & grimper à pié le long de cette montagne, aidé si l'on veut par des paysans qui gagnent leur vie à rendre ce service aux curieux. Cette partie du trajet est la plus difficile, le terrein n'étant composé que des cendres que le volcan a vomies dans le tems de ses éruptions, & d'éclats de pierres très-aigus, toujours prêts à rouler sous les piés.

Le sommet du Vésuve est élevé au-dessus du golfe de 595 toises. Ce sommet n'est ni une pointe, ni une plaine, mais une espece de trémie ou de bassin d'une figure un peu ovale, dont le grand diamêtre dirigé à-peu-près de l'est à l'ouest, peut avoir un peu moins de 300 toises, & dont la profondeur est de 80 ou 100 toises. On peut librement se promener sur la circonférence de ce bassin, dont le fond paroît rempli d'une matiere brune à-peu-près horisontale, qui cependant offre en plusieurs endroits des monticules & des crevasses, & paroît interrompu par de grandes cavités : ce sont-là les bouches du volcan par lesquelles il sort en tout tems une épaisse fumée qui s'apperçoit de très-loin. Il vient quelquefois des coups de vent qui chassent tout-d'un-coup cette fumée tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, ce qui permet alors de voir le haut de l'ouverture.

Dans le tems où le volcan est tranquille, on peut se hazarder à descendre dans le fond du bassin ; mais il y a de l'imprudence à pousser si loin sa curiosité ; outre que sans cela on peut découvrir les bouches du volcan, dont il sort presque continuellement des jets de vapeurs & de flammes qui emportent avec eux des masses de ces mêmes matieres fondues, dont le volcan répand des fleuves dans ses grandes éruptions, ces jets de flammes sont accompagnés d'un fracas qui égale les grands coups de tonnerre, & dans l'intervalle d'un élancement à l'autre, on entend dans l'intérieur de la montagne une espece de mugissement, on sent que la montagne s'ébranle sous les piés, & ses tremblemens sont presque toujours subits. Enfin, rien n'est plus dangereux que d'être au bord de ce précipice, lorsque ce terrible volcan, dit poétiquement le chevalier Blackmore,

His fiery roots with subterraneous waves.

Disturbed within, does in convulsion roar,

And casts on high his undigested oar ;

Discharges mossy surfeit on the plains,

Aud empties all his rich metallich veins ;

His ruddy intrails, cinders, pitchy sinoke,

And intermingled flammes, the sun beams choak.

Mais si les éruptions du Vésuve font un spectacle terrible, si même les seules approches de cette montagne annoncent ses ravages, le territoire qui en est à peu de distance se trouve d'une bonté merveilleuse, & du côté de l'orient la montagne est chargée de vignes qui donnent ces fameux vins que nous nommons gréco malatesta, lachrima christi.

Les physiciens prétendent que les especes de cendres que jette le Vésuve dans la plaine venant à se dissoudre peu-à peu, & à s'incorporer avec le terroir, l'engraissent & contribuent beaucoup à sa fertilité ; les souterrains de cette contrée élaborent les sucs de la terre, & l'air dont elle est environnée dans un heureux degré de chaleur, la défend du froid des hivers.

Il arrive donc à ce mont affreux de procurer quelque bien à cette belle province au milieu de ses cruautés ; mais l'on doit convenir que les faveurs qu'il lui fait, ne sont pas comparables aux fureurs qu'il exerce, puisque dans les transports de sa rage, il attaque tout ensemble, l'air, la terre & la mer, & porte par-tout la crainte, la désolation & la mort. Ajoutez que ses ravages sont longs, & qu'ils ne se répétent que trop souvent, comme le prouve la liste de ses différentes éruptions rapportées dans l'histoire depuis le regne de Titus. Voy. l'article suivant, VESUVE, Eruptions du (Hist. des volcans.) (D.J.)

VESUVE, éruptions du (Hist. des volcans) la plûpart des physiciens pensent que le mont Vésuve n'a pas vomi les flammes de son sein sous l'empire de Titus pour la premiere fois, & que des siecles plus anciens ont été témoins de ce terrible événement, dont les époques se sont perdues dans le long repos où cette montagne étoit restée. Silius Italicus qui vivoit du tems de Néron, dit, l. XVII. v. 597. que le Vésuve avoit causé quelquefois des ravages sur mer & sur terre : voici comme il en parle :

Sic ubi vi caecâ tandem devictus, ad astra

Et vomuit pastos per saecla Vesuvius ignes,

Et pelago & terris fusa est vulcania pestis.

Vidêre Eoi, monstrum admirabile, seres,

Lanigeros cinere Ausonios canescere lucos.

Le discours de Silius Italicus est appuyé du suffrage de Strabon, qui s'explique ainsi : " Au-dessus de ces lieux est le mont Vésuve extrêmement fertile, si vous exceptez son sommet qui est totalement stérile, & qui paroît d'un terrein couleur de cendre ; on y voit même des cavernes remplies de pierres de la même couleur, & comme si elles avoient été brulées & calcinées par le feu ; d'où l'on pourroit conjecturer que ces lieux ont été autrefois enflammés, & qu'il y avoit en cet endroit un volcan qui n'a cessé que lorsque les matieres inflammables ont été consumées. Peut-être que c'est cela même qui est la fertilité des lieux voisins, comme on a dit des environs de Catane, que le terrein de ce lieu, mêlé des cendres du mont Aetna, étoit devenu un excellent vignoble ; car les matieres, pour être ainsi enflammées, doivent avoir une graisse qui les rend propres à la production des fruits ".

Ce passage d'un auteur exact, & qui vivoit longtems avant l'événement arrivé sous l'empire de Titus, prouve deux choses ; l'une qu'il étoit aisé de reconnoître qu'il y avoit eu autrefois un volcan sur le Vésuve, mais qui s'étoit éteint faute de matiere ; l'autre, que ce savant géographe ignoroit en quel tems cette montagne avoit jetté des flammes. Diodore de Sicile dit aussi que le Vésuve laissoit voir des marques d'anciens volcans. Tous les autres auteurs n'ont point connu d'embrasement de cette montagne avant celui qui fit périr Pline, Herculanum & Pompeii.

Cet incendie à jamais mémorable, arriva l'an 79 de l'ere chrétienne, & commença le vingt quatrieme d'Août, sur les sept heures du matin, après avoir été précédé pendant la nuit par des tremblemens de terre. Dion Cassius assure que dans cette affreuse éruption du Vésuve, une grande quantité de cendres & de matieres sulfureuses, furent emportées par le vent, non-seulement jusqu'à Rome, mais encore audelà de la Méditerranée. Les oiseaux furent suffoqués dans les airs, & les poissons périrent dans les eaux infectées du voisinage. La mer sembloit s'engloutir elle-même, & être repoussée par les secousses de la terre.

Le second incendie du Vésuve, dont Xiphilin a donné la description, arriva sous l'empire de Septime Sévere, l'an 203 ; le troisieme se fit voir en 462, Anicius étant empereur d'Occident, & Léon I. empereur d'Orient. Dans le quatrieme, arrivé en 512 sous Théodoric roi d'Italie, le Vésuve roula dans la campagne des cendres & des torrens de sable, à la hauteur de plusieurs piés. Le cinquieme embrasement parut en 685, sous Constantin III. le sixieme en 993. Dans le septieme arrivé en 1036, des torrens de feu liquide sortirent de la cime & des flancs du Vésuve, Dans le huitieme, qui se fit en 1049, l'on vit tomber un torrent de bitume qui roula jusqu'à la mer, & se pétrifia dans les eaux. La neuvieme éruption arriva en 1138, & la dixieme en 1139 ; la onzieme parut long-tems après en 1306, & la douzieme en 1500.

Le treizieme incendie du Vésuve, l'un des plus terribles & des plus fameux dont l'histoire ait parlé, arriva le 16 Décembre 1631. Le torrent de matiere enflammée qui sortit des flancs de la montagne, se répandit de différens côtés, & porta par-tout la terreur. On prétend que le port de Naples resta un moment à sec, pendant que la montagne vomissoit ses laves de toutes parts. Ce fait est attesté par les deux inscriptions qui en furent dressées & placées, l'une sur le chemin qui va à Portici, & l'autre sur celui qui conduit à Torre del Greco, où l'on croit que Pompéii est engloutie.

La quatorzieme éruption se fit en 1660, sans être annoncée par aucun bruit, ni accompagnée d'aucune pluie de cendres. Les incendies arrivés en 1682, 1694, 1701, 1704, 1712, & 1730, n'ont rien eu de particulier ; mais je donnerai des détails curieux sur l'incendie de l'année 1717, & c'est par où je terminerai cet article.

La quantité de matieres que fit sortir du Vésuve le vingt-deuxieme incendie qui parut en 1737, montoit, si l'on en croit le calcul de Francisco Serrao, à 319 658 161 piés cubes de Paris. Le degré de chaleur que devoit avoir cette masse enflammée, n'est pas moins considérable ; l'éruption se fit le 20 de Mai, & la matiere fut brûlante extérieurement jusqu'au 25, & intérieurement jusqu'en Juillet. Le Vésuve ne cessa pendant trois jours de jetter des torrens de cendres, des pierres, & des fleches enflammées. Vous trouverez le détail de cette éruption, dans les Transact. philosoph. n °. 455. sect. j.

Le vingt-troisieme & le vingt-quatrieme incendie du volcan sont arrivés, l'un en 1751, & l'autre le 17 Décembre 1754. Dans ce dernier, on a vu la montagne s'ouvrir vers les deux tiers de sa hauteur, & laisser échapper deux laves ou torrens de matieres bitumineuses par deux endroits différens, une des laves coulant vers Trécase, & l'autre du côté d'Ottajano, avec une grande rapidité. Cette éruption, tantôt plus, tantôt moins forte, ne finit qu'au mois d'Avril de l'année suivante.

Les principaux phénomènes observés dans les embrasemens du Vésuve, sont la liquéfaction, la coction, & la calcination des corps contenus dans les entrailles du volcan ; les flammes en sortirent impétueusement avec de la fumée, du soufre, du bitume, des cendres, du sable, des corps spongieux & salins, des pierres ponces, des pierres naturelles, des écumes, des pyrites, du talc, des marcassites, &c.

Il me reste à extraire la description donnée par M. Edward Berckley dans les Transact. philos. n °. 354. de l'éruption du Vésuve arrivée en 1717, & qu'il observa pendant toute sa durée.

Le 17 Avril 1717, je parvins, dit il, avec beaucoup de peine au sommet du mont Vésuve, où je vis une ouverture considérable remplie de fumée qui cachoit aux yeux sa profondeur. On entendoit dans cet horrible gouffre un bruit semblable au mugissement des vagues, & quelquefois comme un bruit de tonnerre accompagné d'éclats. Etant remonté le 5 Mai dans le même lieu, je le trouvai tout différent de ce que je l'avois vu, & je pus appercevoir le gouffre qui paroissoit avoir environ un mille de circonférence, & cinquante toises de profondeur. Il s'étoit formé depuis ma derniere visite, une montagne conique dans le milieu de cette embouchure. On y voyoit deux ouvertures ou foyers, l'un jettoit du feu avec violence, & lançoit par intervalles avec un bruit terrible un grand nombre de pierres enflammées, à la hauteur de quelques centaines de piés ; ces pierres retomboient perpendiculairement dans l'entonnoir, dont elles augmentoient le monticule conique. L'autre trou étoit rempli d'une matiere enflammée & liquide semblable à celle qu'on voit dans le fourneau d'une verrerie, qui s'élevoit par ondes comme les vagues de la mer, avec un bruit violent & interrompu. Le vent nous étant favorable, continue M. Berckley, nous eumes le loisir d'examiner ce spectacle surprenant pendant plus d'une heure & demie ; & nous remarquâmes que toutes les bouffées de fumée, de flammes, & de pierres brûlantes, sortoient d'un des trous, tandis que la matiere liquide couloit de l'autre.

Dans la nuit du 7, on entendit à Naples un bruit effrayant qui dura jusqu'au lendemain, & qui ébranloit les vitres des maisons de la ville. Depuis lors, il se déborda une quantité prodigieuse de matieres fondues qui se répandit en torrens le long de la montagne. Le 9 & le 10 l'éruption recommença avec plus de furie, & avec un bruit si terrible, qu'on l'entendoit de l'autre côté de Naples, à quelques milles de distance.

Epris de curiosité d'approcher de la montagne, nous débarquâmes, ajoûte M. Berckley, à Torre del Greco. Le mugissement du volcan ne faisoit que croître, à mesure que nous en approchions. Depuis le rivage jusqu'au volcan, il nous tomboit perpétuellement des cendres sur la tête. Toutes ces circonstances, augmentées par le silence de la nuit, formoient un spectacle le plus extraordinaire & le plus capable d'effrayer, à mesure que nous approchions. Pour s'en former une idée, qu'on imagine un vaste torrent de feux liquides, qui rouloit du sommet le long de la montagne, & qui dans sa fureur, renversoit tout ce qui se rencontroit sur son passage, les vignobles, les oliviers, les figuiers, les maisons ; le ruisseau le plus large, sembloit avoir un demi mille d'étendue. Le courant de soufre ôtoit dans l'éloignement la respiration ; le Vésuve lançoit avec mugissement de grandes bouffées de flammes, des colonnes de feu, & des pierres brûlantes, qui s'élevoient perpendiculairement à perte de vûe au-dessus du sommet de la montagne.

Le 12, les cendres & la fumée obscurcissoient le soleil, & les cendres tomboient jusques dans Naples. Le 15, la plûpart des maisons de la ville en furent couvertes. Le 17. la fumée diminua beaucoup. Le 18, tout cessa ; la montagne parut entierement tranquille, & l'on ne vit plus ni flammes, ni fumée.

Les curieux peuvent consulter sur les éruptions de ce terrible volcan, les Transact. philosoph. les Mém. de l'acad. des sciences, ann. 1750 ; l'Histoire des phénomenes des embrasemens du Vésuve, par Castera, Paris, 1741, in-12, avec fig. & sur-tout Storia è fenomeni del Vesuvio esposti dal p. d. Gio. Maria della Torre, in Napoli 1755, in 4°. avec fig. (D.J.)


VESUVIUS(Géog. anc.) en françois le mont Vésuve, ou le Vésuve, dont nous avons déja parlé fort au long. Nous remarquerons seulement ici que Pomponius Méla, Pline l'ancien, Pline le jeune, Tite Live, Tacite, Valere-Maxime, & autres historiens romains, écrivent tous Vesuvius. Suétone néanmoins dit Vesevus, ainsi que Virgile, Georg. l. II. v. 224. & Lucrece, l. IV. v. 744. Martial, épigram. l. IV. dit Vesuvius ; enfin Stace, Silv. l. IV. carm. 4. v. 79. & Silius Italicus, l. XVII. v. 597. disent Vesbius. (D.J.)


VETEMENSS. m. (Gram.) on comprend sous cette dénomination tout ce qui sert à couvrir le corps, à l'orner, ou le défendre des injures de l'air. La culotte, le chapeau, les bas, l'habit, la veste, sont autant de parties du vêtement.

VETEMENT des Hébreux, (Critique sacrée) les anciens prophetes de ce peuple étoient couverts de peaux de chevre & de brebis. Les peaux d'animaux ont fait les premiers habits des hommes ; Hésiode conseille qu'à l'approche de la saison du froid, on couse ensemble des peaux de bouc avec des nerfs de boeuf pour se garantir de la pluie. Les Grecs ont nommé ce vêtement , & Théocrite ; les Latins l'ont appellé peau de berger, pastoritia pellis. Tel étoit le vêtement d'Elie, d'Elisée, & d'Ezéchiel ; les premiers solitaires en firent usage.

Les particuliers chez les Hébreux portoient une tunique de lin, qui couvroit immédiatement la chair, & par-dessus une grande piece d'étoffe en forme de manteau ; & ces deux habits faisoient ce que l'Ecriture appelle mutatorias vestes. C'étoient ceux que Nahaman portoit en présent au prophete Elisée : de plus les Hébreux pour se distinguer des autres peuples, attachoient aux quatre coins de leur manteau, des houpes de couleur d'hyacinthe, & une bordure au-bas ; Moïse lui-même en fit une loi, Nomb. xv. 38. On voit par l'évangile que Jesus-Christ portoit de ces sortes de franges : " Si je touche seulement la frange, , de votre habit, dit l'hémorroïsse ", Matth. xiv. 36.

Quand les Hébreux se furent répandus, ils prirent les habillemens en usage dans les pays où ils demeuroient ; les riches préféroient, ainsi que les autres peuples, les habits blancs à tout autre. L'auteur de l'Ecclésiaste, ix. 18. dit que ceux qui veulent vivre agréablement, doivent toujours avoir des habits blancs. Le blanc, dit Philon, convient à l'honnêteté ; le mêlange des couleurs est de mise pour les vêtemens militaires ; mais à l'égard des hommes pacifiques & lumineux, le blanc seul leur est propre : de-là vient que les anges sont représentés vêtus de blanc, Matth. xxviij. 2. Actes j. 10. les saints dans la gloire sont vêtus de même. Aussi les premiers chrêtiens préférerent cette couleur à toute autre ; mais ils ne s'en tinrent pas-là en fait d'habits. (D.J.)

VETEMENT de Babylone, (Critique sacrée) Achan fils de Carmi, de la tribu de Juda, s'étant trouvé à la prise de Jéricho, cacha quelques portions du butin, & confessa lui-même qu'il avoit détourné entre autres choses, un riche vêtement de Babylone, Josué, c. vij. 14. Il y a dans l'hébreu un vêtement de scinhar ; Aquila dit , un habillement long de Babylone, Symmaque, , vêtement de sennar, les Septante, , un vêtement bigarré, ou de diverses couleurs. Babylone étoit située dans la plaine de Scinhar, ainsi que portent nos versions, Gen. xj. 2. Nous trouvons , dans Histiée de Milet ; Singara, dans Ptolemée & dans Pline, & Singarana, dans Sextus Rufus.

Les vêtemens de Babylone étoient célebres parmi les anciens : l'Ecriture distingue quelquefois ceux qu'elle nomme adoret, par l'épithete de velus ; ce qui pourroit faire croire qu'ils ressembloient aux tapis de Turquie, dont la fabrique est fort ancienne, & vient originairement d'orient. Moïse compare Esaü à un adoret, ou vêtement de poil, Gen. xxv. 26. & Zacharie, xiij. 4. dit, que les prophetes à venir, ne seront plus vêtus d'une manteline velue pour tromper.

Il paroît par d'autres passages, que cette espece d'habillement étoit quelquefois magnifique, & que les princes en portoient. C'est ainsi que le roi de Ninive se dépouilla de sa robe ou de son adoret, & se couvrit d'un sac, à la prédication de Jonas. Jonas, iij. 6. Josephe dit, que le vêtement qu'Achan déroba étoit un habillement royal, tout tissu d'or, l. V. c. j.

Les anciens conviennent tous, que ces habillemens babyloniens étoient de diverses couleurs ; mais quelques écrivains croient qu'on les fabriquoit ainsi de différentes couleurs ; d'autres qu'on les brodoit ; d'autres enfin, qu'ils étoient peints : Silius Italicus est du sentiment des premiers :

Vestis spirantes referens sub tegmine vultus,

Quae radio coelat Babylon. L. XIV.

Martial favorise la pensée de ceux qui sont pour la broderie :

Non ego praetulerim Babylonica picta superbè

Texta, Semiramia quae variantur acu.

L. VIII. Epig. 28.

Pline semble être de la derniere opinion : Colores diversos picturae intexere Babylon maximè celebravit, & nomen imposuit, I. VIII. c. xlviij. & Apulée, Florid. l. I. s'exprime de la même maniere. La vulgate nomme ce vêtement pallium coccineum, un manteau, ou une robe d'écarlate ; ce qui ne paroît guere conforme aux termes de l'original. (D.J.)

VETEMENT des Chrétiens, (Hist. ecclés.) dès que le Christianisme eût fait des progrès chez les gens du monde, les conseils des apôtres ne furent plus écoutés sur la parure. Jesus-Christ, selon S. Luc, vij. v. 25. disoit noblement à ses disciples : " Ceux qu'on voit vêtus d'habits riches, sont dans les palais terrestres, où regnent les fausses idées du beau & de la gloire, la flatterie, & l'encens ". L'expression , dont se sert S. Matthieu, xj. 8. désigne tout ce qui sent la délicatesse en matiere de meubles, d'habits, & de lits plus mollets que le sommeil ; mais vainement S. Pierre, I. Ep. iij. 3. & S. Paul, I. Tim. j. 9. condamnerent l'attachement à la parure dans les femmes ; elles ne purent quitter cet usage, & firent succéder les ajustemens somptueux aux simples habits blancs qu'elles trouvoient trop modestes. Les peres de l'Eglise fulminerent contre ces excès, & la plûpart employerent pour les censurer des termes & des idées outrées. Quelques-uns néanmoins se contenterent de représenter qu'il vaudroit mieux laisser ces habits chargés de fleurs semblables à un parterre, à ceux qui se sont initiés aux mysteres de Bacchus ; & qu'il falloit abandonner les broderies d'or & d'argent aux acteurs de théâtre ; mais S. Clément d'Alexandrie, est celui de tous qui a parlé avec le plus de bon sens contre le luxe des vêtemens. Il ne condamne que les déreglemens en ce genre, & ne voit point de nécessité à un chrétien, de retrancher tout-à fait la coutume d'avoir dans l'occasion un habit riche. Il est permis, dit-il, à la femme de porter un plus bel habit que celui des hommes ; mais il ne faut pas qu'il blesse la pudeur, ni qu'il sente la mollesse. Paedag. l. III. p. 245.

Les payens, & même leurs poëtes comiques, n'avoient pas été plus heureux que les peres, à tenter d'arracher du coeur des femmes, le goût de la parure. On peut voir dans Aristophane, une description de l'appareil de leurs ajustemens avec les noms bisarres qu'on leur donnoit, & qui peuvent exercer long-tems les littérateurs les plus consommes dans la langue grecque : tout cela n'a servi de rien ; c'est une entreprise à abandonner. Voyez COEFFURE, HENNIN, HABITS, SOULIERS, SANDALES, JARRETIERES. PERISCALES, &c. (D.J.)


VETERA(Géog. anc.) ville de la Gaule belgique ; Ptolémée, l. II. c. ix. la place dans les terres, à la gauche du Rhin, entre Batavodurum, & Legio Trigesima Ulpia, au midi de la premiere de ces places, & au nord de la seconde. Le mot vetera, sous entend nécessairement celui de castra ; il ne peut avoir été donné à ce lieu, que parce que dans la suite, on établit un nouveau camp dans le même quartier ; & il paroît par Tacite, Annal. l. I. c. xlv. Hist. l. IV. c. xviij. & xxj. que ce lieu étoit déjà ainsi nommé dès le tems d'Auguste : on croit que Vetera est aujourd'hui Santen. (D.J.)


VETERAN(Art milit. des Romains) soldat qui avoit fini son tems de service : ce tems marqué par les loix romaines, étoit depuis dix-sept ans jusqu'à quarante six, & chez les Athéniens jusqu'à quarante ans ; un soldat vétéran est appellé dans les auteurs latins miles veteranus.

L'usage de ce mot ne s'est introduit que vers la fin de la république ; mais son origine doit être rapportée à la premiere distribution que Servius Tullius fit du peuple romain en classes & en centuries, & où il distingua les centuries des vieillards, de celles des jeunes gens ; il appella les compagnies qu'il forma des uns centuriae juniorum, & celles qu'il forma des autres, centuriae seniorum. Ceux-ci qui étoient de vieux soldats furent destinés à la garde de la ville ; au-lieu que le partage des autres étoit d'aller chercher l'ennemi, & de lui porter la guerre dans son propre pays : cette disposition subsista fort longtems.

Après que les Romains eurent reculés leurs frontieres, les vieux soldats qui dans les commencemens défendoient les murs & les environs de Rome, furent employés à la garde du camp, pendant que la jeunesse combattoit en pleine campagne ; ou s'il s'agissoit d'une action générale, ils étoient à la troisieme ligne sous le nom de triarii.

Le peuple romain s'étant fort multiplié, & réussissant toujours dans les guerres qu'il portoit au-dehors, l'amour de la patrie & la gloire du service militaire fournissoient des hommes au-delà du besoin ; & il n'y avoit rien qui s'accordât plus aisément par les magistrats que la dispense d'aller à la guerre, & le congé d'en revenir.

Alors les soldats qui avoient servi quelques années, étoient appellés veteres, anciens, non pour avoir fait un certain nombre de campagnes, mais pour n'être pas confondus avec ceux qui ne faisoient que d'entrer dans le service, & qui étoient appellés par les Latins novitii, tirones. Quand les historiens, long-tems après même, parlent des vieilles troupes, ils le font encore dans les mêmes termes, & confondent veteres, & veterani. Le nom de vétéran n'emportoit alors ni dispense bien marquée, ni avantage bien considérable.

Dans la suite tous les Romains furent obligés de servir pendant un nombre déterminé de campagnes, après lesquelles ils étoient déclarés vétérans, & ne pouvoient être contraints à reprendre les armes que dans les plus pressans besoins de la république.

Mais l'amour du butin, les liaisons d'amitié, les relations de dépendance ou de clientele, les espérances de protection, la reconnoissance des bienfaits, les sollicitations des commandans, rappelloient souvent les vétérans du sein de leur retraite aux armées, & leur faisoient entreprendre encore plusieurs campagnes de surérogation. Ces vétérans qui reprenoient ainsi le métier de la guerre, sont appellés par les écrivains du bon siecle, evocati ; ils avoient leurs étendards & leurs commandans particuliers.

Les récompenses des vétérans étoient peu de chose dans les premiers tems de la république romaine : ce n'étoit que quelques arpens de terre dans un pays étranger, qui sous le nom de colonie, éloignoient un homme pour toujours de la vue de sa patrie, de sa famille, & de ses amis. Aussi étoit-ce un présent qui ne se faisoit pas moins à ceux qui n'étoient jamais sortis de Rome, & qui n'avoient jamais ceint le baudrier, qu'à ceux qui avoient dévoué toute leur jeunesse à la défense ou à la gloire de l'état ; mais enfin, les récompenses des vétérans devinrent immenses. Tiberius Gracchus leur fit distribuer les trésors d'Attale, qui avoit nommé le peuple romain son héritier. Auguste voulant se les concilier, fit un reglement pour assurer leur fortune par des récompenses pécuniaires ; & presque tous ses successeurs augmenterent leurs privileges. (D.J.)

On donne encore aujourd'hui en France le nom de vétérans aux officiers qui ont rempli un poste pendant vingt ans, & qui jouissent des honneurs & des privileges attachés à leur charge, même après qu'ils s'en sont démis.

Un conseiller vétéran ou honoraire a voix ou séance aux audiences, mais non pas dans les procès par écrit. Un secretaire du roi acquiert par la vétérance le droit de noblesse pour lui & ses enfans. Quand au bout de vingt ans de possession d'une charge, on veut en conserver les privileges, il faut obtenir des lettres de vétérance.


VETERES LES(Géog. mod.) peuple d'Afrique dans la Guinée, sur la côte d'or. Leur pays est borné au nord par les Compas, au midi par la mer, au levant par le royaume de Goméré, & au couchant par le pays des Quaqua. Ils habitent des cabanes bâties sur pilotis, & s'occupent de la pêche pour subsister ; ils vont tout nuds, & n'ont que de petites pagnes d'écorce d'arbres pour couvrir leur nudité. (D.J.)


VÉTÉRINAIRES. f. (Gram.) c'est l'art de la maréchallerie ; il vient du mot latin veterinarius qui signifie maréchal.


VETILLES. f. (Terme d'Artificier) l'artificier appelle ainsi les petits serpenteaux qu'on fait avec des cartes à jouer, dont le cartouche n'a pas plus de trois lignes de diametre intérieur ; si leur diametre est plus grand, une seule carte ne suffit pas pour le cartouche, il en faut deux ou trois. (D.J.)

VETILLE, s. f. (Filerie) c'est dans un rouet à filer un petit anneau de corne par où passe le fil. (D.J.)

VETILLE, s. f. (Quincaillerie) petit instrument fait de deux branches de cuivre percées en plusieurs endroits, par où passent plusieurs petites broches ou anneaux qu'on ne peut ouvrir ni fermer, sans sçavoir le secret de cet entrelacement. (D.J.)


VÊTIRv. act. (Gram.) couvrir d'un vêtement ; on dit il faut être vêtu suivant la saison, il faut se vêtir modestement & selon son état.


VETO(Hist. rom.) formule célebre conçue en ce seul mot, & qu'employoit tout tribun du peuple, lorsqu'il s'opposoit aux arrêts du Sénat, & à tout acte des autres magistrats.

C'étoit un obstacle invincible à toute proposition, que l'opposition d'un seul tribun, dont le pouvoir & le privilege à cet égard consistoit en ce seul mot latin veto, je l'empêche ; terme si puissant dans la bouche de ces magistrats plébéïens, que sans être obligés de dire les raisons de leur opposition, il suffisoit pour arrêter également les résolutions du sénat, & les propositions des autres tribuns.

La force de cette opposition étoit si grande, que quiconque n'y obéissoit pas, fût il même consul, pouvoit être conduit en prison ; ou si le tribun n'en avoit pas la force, il le citoit devant le peuple comme rébelle à la puissance sacrée, & cette rébellion passoit pour un grand crime. Voyez TRIBUN du peuple. (Gouvern. rom.) (D.J.)


VETRALLA(Géogr. mod.) bourgade d'Italie, dans l'état de l'Eglise, au patrimoine de S. Pierre, à neuf milles au midi de Viterbe, & à quatre milles au couchant de Ronciglione On croit communément que c'est l'ancien Forum Cassii ; mais le lieu qui tient la place de Forum Cassii, est à quelque distance delà, & se nomme vulgairement S. Maria Forcassi. (D.J.)


VETTAGADOUS. f. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau des indes orientales qui produit des baies ; ses fleurs sont à cinq pétales, blanchâtres & sans odeur : ses baies sont rondes, d'un rouge pâle, & contiennent cinq noyaux ou graines solides & triangulaires. Cet arbre est toujours verd, & porte du fruit deux fois l'année.


VETTESterme de Pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Poitou, ou des sables d'Olone ; ce sont des rets que l'on tend des deux manieres, flottés & sédentaires pour la pêche des orphies ou aiguillettes ; on peut les regarder comme une espece de ceux que les pêcheurs de la Manche, tant en la haute qu'en la basse-Normandie, nomment Warnettes, Marsaiques & Haranguieres ; leur manoeuvre ne peut avoir d'abusif ; c'est celle des pêcheurs aux harengs avec leurs seines dérivantes, elles restent aussi à fleur d'eau, sans cependant dériver à la marée.

Les pieces de ces rets ont depuis quinze jusqu'à vingt brasses de long, & une brasse de chûte ; les flottes sont affilées & non amarrées sur la ligne de la tête du ret, & le pié est chargé de brasse en brasse d'une bague de plomb pesant environ une once chacune, pour le cabler & le tenir étendu. Il faut pour employer ce filet un petit bateau ; on amarre sur un petit cablot de sept à huit brasses de long, une pierre environ du poids de quarante livres, elle empêche la dérive, & il faut de nécessité que le filet soit toujours à fleur d'eau, parce que les pêcheurs le tendent sur des fonds qui ont au-plus trois à quatre brasses de profondeur, & qui sont couverts de roches sur lesquelles le ret se déchireroit s'il venoit à y toucher ; au bout forin du filet est une bouée de bois de sapin ou de linge.

Les vettes restent à l'eau deux à trois fois vingtquatre heures, cependant les pêcheurs viennent de tems à autre les visiter pour en retirer les poissons qui s'y trouvent pris ; ce sont ordinairement des grandes aiguilles ou orphies ; on y prend aussi quelquefois de grandes sardines ou seclans, & même des maquereaux ; mais l'objet de la pêche est celle des orphies pour servir de boîte aux hameçons des pêcheurs à la ligne.

Cette espece de pêche se fait de jour & de nuit ; elle commence ordinairement au mois de Mars ; & dure jusqu'à la fin de Juillet, après quoi on fait sécher les vettes pour ne s'en servir que l'année suivante. Les tems les plus favorables pour cette pêche à la côte de l'Isle Dieu sont les vents d'O. S. O. d'O. & de S. O.

Les mailles des vettes sont de trois especes, les plus larges ont dix lignes en quarré, les autres neuf lignes, & les plus serrées n'ont que huit lignes ; quant à l'établissement de ce filet, & à sa manoeuvre, il ne peut qu'être avantageux & sans abus.


VETTONIANA(Géogr. anc.) ville de la Vindélicie, selon l'itinéraire d'Antonin. Cluvier prétend que c'est aujourd'hui Winten, bourgade de la Baviere, sur le Danube, près d'Ingolstadt. (D.J.)


VETTONS LES(Géogr. anc.) Vettones, peuples de la Lusitanie ; Ptolémée, l. II. c. v. les place dans les terres, & leur donne plusieurs villes, comme Salmantica, Augustobriga, Ocellum, &c. La plûpart des exemplaires latins lisent Vergones, pour Vettones ; c'est une faute. Appien, de bel. Hisp. Strabon, l. III. p. 139. & Pline, l. IV. c. xxij. écrivent tous Vettones.

Les Vettons habitoient au-milieu du pays, le long des frontieres de la Lusitanie ; ils étoient si simples, qu'ayant vû des officiers romains faire quelques tours de promenade, ils crurent qu'ils étoient hors de leur bon sens ; ils ne pouvoient s'imaginer qu'il y eût du délassement à un pareil exercice, & ils allerent civilement leur offrir leurs bras pour les conduire dans leurs tentes. (D.J.)


VÊTUadj. m. (terme de Blason) ce mot se dit lorsque l'écu est rempli d'un quarré posé en losange dont les quatre pointes touchent les bords ; alors ce quarré tient lieu de champ, & les quatre cantons qui restent aux quatre flancs du quarré, donnent à l'écu la qualité de vêtu, parce que cette figure est composée du chappé par le haut, & du chaussé par le bas. Ménestrier. (D.J.)


VETULONIUM(Géogr. anc.) ville d'Italie, dans la Toscane : Ptolémée, l. III. c. j. la marque dans les terres ; Silius Italicus la nomme Vetulonia, & Pline, l. II. c. ciij. appelle ses habitans Vetulonii & Vetulonienses, l. III. c. v. Les ruines de cette ville retiennent l'ancien nom ; car on les appelle encore aujourd'hui Vetulia. (D.J.)


VÊTUREVÊTEMENT, (Jurispr.) ou HABILLEMENT, en droit on se sert aussi de ce mot dans un sens métaphorique : ainsi la vêture d'une terre signifie le blé dont une terre est vêtue ou couverte.

VETURE, signifie aussi la possession, ou la saisine. Voyez POSSESSION & SAISINE.

Dans ce sens-là, c'est un terme emprunté des feudistes, chez qui l'investiture signifie la formalité de mettre quelqu'un en possession d'un héritage par la verge, & vêture signifie ici la possession même. Voyez INVESTITURE.

Vêture dans un sens plus littéral, signifie la prise d'habit dans un monastere, par un postulant à l'état de religieux. En ce sens un acte de vêture, est un acte qui exprime l'année, le jour & la maison où un religieux a pris l'habit de son ordre. Voyez RELIGIEUX.

VETURE, s. f. (Gram. & Jurispr.) est la même chose que vêt ou saisine ; l'acte de vêture est l'acte de mise en possession de l'acquéreur par le seigneur ou par sa justice. Voyez ci-devant coutumes de saisine, & le mot VET & DEVET.

VETURE, (acte de,) signifie l'acte par lequel on donne à un postulant l'habit du monastere dans lequel il va être admis à commencer son noviciat ; c'est ce que l'on appelle autrement la prise d'habit ; suivant la déclaration du 9 Avril 1716, il doit y avoir dans les maisons religieuses deux régistres pour insérer les actes de vêture, noviciat & profession ; ces régistres doivent être cotés par le premier & dernier, & paraphés sur chaque feuille par le supérieur ou la supérieure, lesquels doivent être autorisés à cet effet par un acte capitulaire, qui doit être inséré au commencement du régistre.

Les actes de vêture doivent être en françois, écrits de suite & sans aucun blanc, & signés sur les deux régistres par tous ceux qui les doivent signer, & ce en même tems qu'ils sont faits.

On doit y faire mention du nom, surnom & âge de celui ou celle qui prend l'habit de la profession, noms, qualités & domicile de ses pere & mere, du lieu de son origine & du jour de l'acte, lequel doit être signé, tant par celui ou celle qui prend l'habit, que par le supérieur ou la supérieure, par l'évêque ou autre personne ecclésiastique qui fait la cérémonie, & par deux des plus proches parens ou amis qui y ont assisté.

Les régistres des vêtures, noviciats & professions doivent servir pendant 5 années, au bout desquels on apporte un des deux doubles du régistre au greffe du siege royal du ressort.

Il est au choix des parties intéressées de lever des extraits de ses actes sur le registre qui est au greffe, ou sur celui qui demeure entre les mains du supérieur ou de la supérieure. Voyez MONASTERE, NOVICIAT, PROFESSION, RELIGIEUX, SOEURS. (A)


VÉTUSTÉS. f. (Gram.) ce mot a été fait de vetus, vieux. Ainsi on dit ce bâtiment tombe de vétusté.


VEUDRE(Géog. mod.) petite ville ou bourg de France, dans le Bourbonnois, sur le bord de l'Allier, à 7 lieues de Moulins.


VEUFS. m. (Gram.) homme qui a perdu sa femme. Veuve, femme qui a perdu son mari.


VEULEadj. (Gram.) qui est mou, pliant & foible. On dit une branche veule. Je me sens veule ; un tems veule ; une serge veule ; une étoffe veule.


VEUVEchez les Hébreux, (Critiq. sacrée) parlons d'abord des veuves de leurs sacrificateurs, & nous viendrons ensuite à celles des laïques.

Si la fille d'un sacrificateur devenoit veuve, & n'avoit point d'enfans, elle retournoit dans la maison de son pere, où elle étoit entretenue des prémices, comme si elle étoit encore fille ; mais si elle avoit des enfans, fils ou filles, elle demeuroit avec ses enfans qui étoient obligés d'en avoir soin.

Il y avoit deux sortes de veuves : les unes par la mort de leurs maris, & les autres par le divorce. Il étoit permis aux simples sacrificateurs d'épouser des veuves, pourvû qu'elles fussent veuves par la mort de leur mari, mais non par le divorce. La raison que Philon en allégue, c'est que la loi ne veut pas que les sacrificateurs aient des occasions de procès & de querelles, & qu'en épousant des veuves dont les maris sont vivans, on ne peut guere éviter leur mécontentement, leur jalousie.

Quant à ce qui regarde les veuves des laïques, la loi avoit réglé que la femme qui n'avoit point eu d'enfans de son mari, épouseroit le frere de l'époux décédé, afin de lui susciter des enfans qui héritassent de ses biens, & qui fissent passer son nom & sa mémoire à la postérité. Si cet homme refusoit d'épouser la veuve de son frere, celle-ci s'en alloit à la porte de la ville s'en plaindre aux anciens, qui faisoient appeller le beau-frere, & lui proposoient de la prendre pour femme ; s'il persistoit dans son refus, la veuve s'approchoit de lui, & en présence de tout le monde, elle lui ôtoit son soulier, & lui crachoit au visage, en disant : c'est ainsi que sera traité celui qui ne veut pas rétablir la maison de son frere. Deut. xxv. 5. 10.

Les motifs de cette loi étoient 1°. de conserver les biens de la même famille, 2°. de perpétuer le nom d'un homme ; & la loi ne se bornoit pas seulement au beau-frere, elle s'étendoit aux parens plus éloignés de la même ligne, comme on le voit par l'exemple de Booz, qui épousa Ruth au refus d'un parent plus proche. Nous voyons cet usage pratiqué avant la loi par Thamar, qui épousa successivement Her & Onan, fils de Juda, & qui après la mort de ces deux freres, devoit encore épouser Séla, leur cadet.

Enfin si la veuve ne trouvoit point de mari, ou se trouvoit par l'âge hors d'état d'avoir des enfans, la loi pourvoyoit à sa subsistance, & ordonnoit d'en avoir un grand soin, Exod. xxij. 22 ; c'est pourquoi le mot de veuve se prend quelquefois dans le vieux Testament pour toute personne qui doit être protégée. Le seigneur affermira l'héritage de la veuve, Prov. xv. 25, c'est-à-dire, défendra les foibles contre la violence des forts qui les oppriment. (D.J.)

VEUVE, chez les premiers chrétiens, (Critiq. sacrée) les veuves de la primitive église formoient une espece d'ordre ; car on les regardoit comme des personnes ecclésiastiques, & on s'en servoit à diverses fonctions qui ne convenoient pas à des hommes. Il y eut donc bientôt un veuvat, comme il y eut un diaconat. Dès le second siecle de Jesus-Christ, c'étoit une sorte d'ordre & d'honneur ecclésiastique que celui des veuves ; & c'est ce que Tertullien appelle placer dans le veuvat ; l'évêque conféroit cette espece d'ordre ; & Tertullien prétend que S. Paul a défendu de recevoir dans cet ordre, d'autres veuves que celles qui ont été femmes d'un seul mari. Je sais pourtant, ajoute-t-il (de virgin. veland. cap. ix.), que dans un certain endroit on a introduit dans le veuvat, une vierge qui n'avoit pas encore vingt ans. Voilà déjà un bel exemple de l'ambition des vierges & de complaisance des évêques. Il faut savoir que ces veuves, aussi bien que les vierges, avoient dans l'église des places distinctives, des places d'honneur. Il faut encore savoir que ces veuves avoient une sorte d'inspection sur les autres femmes.

Platon, de legib. lib. VI. desiroit qu'on choisît dans une république un certain nombre de femmes de probité & de vertu, qui eussent une sorte de magistrature & d'inspection sur les mariages, avec le droit de s'informer des femmes, si tout se passoit dans le commerce le plus secret (c'est-à-dire le commerce conjugal), selon les loix & conformément au but de l'institution du mariage, qui est la procréation des enfans. Le même philosophe fixe l'âge de ces veuves à 40 ans, & veut que les magistrats les choisissent. Elles devoient aller dans les maisons des jeunes femmes s'informer de ce qui s'y passoit, leur donner des instructions, leur faire des remontrances, & si elles se montroient réfractaires, recourir aux magistrats & aux loix.

S. Paul ne veut admettre au rang des veuves qui devoient être employées dans l'église, que celles qui auroient atteint l'âge de soixante ans ; il veut qu'elles aient eu des enfans, & qu'elles les aient bien élevés, afin, dit Tertullien, qu'instruites par l'expérience de toutes les affections de meres & de femmes, elles soient propres à les aider de leurs conseils & de leurs consolations, comme ayant passé elles-mêmes par les mêmes épreuves. De telles veuves étoient dignes de respect, comme S. Paul le recommande à Timot. v. 3. Honorez, dit-il, les veuves qui sont vraiment veuves, qui ont logé des étrangers, qui ont consolé les affligés, & qui ont suivi toute bonne oeuvre ; que de telles veuves, & non d'autres, soient entretenues aux dépens des fideles, versets 10. & 16. (D.J.)

VEUVE ; (Droit) dans quelques anciens auteurs tels que Bouteiller, signifioit que le prince les avoit en sa garde, & aussi que l'évêque les avoit en sa protection spéciale, au cas que le juge laïc ne leur rendît pas bonne justice.

Le droit de veuve s'entend aussi dans quelques coutumes, de certains effets que la veuve a droit d'emporter pour son usage, tels que ses habits, ses bijoux, son lit, sa chambre. Voyez la coutume de Lallene sous Artois, celle de Lille, celle de Malines.

La veuve qui vit impudiquement pendant l'année du deuil, perd son douaire ; & même si elle convole à de secondes noces pendant cette premiere année du veuvage, elle perd les avantages qu'elle tenoit de son premier mari. Voyez AVANTAGE. (A)

VEUVE, (Mythol.) Junon avoit un temple à Stymphale en Arcadie, sous le nom de Junon la veuve, en mémoire d'un divorce qu'elle avoit fait avec Jupiter, après lequel elle se retira, dit on, à Stymphale. (D.J.)


VEUVETÉS. f. (Jurisprud.) terme usité dans quelques anciennes coutumes, & singulierement dans celle de Normandie, qui est synonyme à viduité. Voyez ce dernier.


VEVAY(Géog. mod.) bailliage de Suisse, au canton de Berne, dans le pays Romand, près du lac de Genève ; ce bailliage tire son nom de sa capitale. (D.J.)

VEVAY, (Géog. mod.) en latin Vibiscus, & en allemand Vivis ; petite ville de Suisse, dans le canton de Berne, au pays Romand, sur le bord du lac de Genève, à 16 lieues au sud-ouest de Berne, & à demi-lieue du pié des Alpes. Il est fait mention de cette ville dans Antonin, cependant on n'y trouve point de monumens d'antiquité ; mais en échange elle est aujourd'hui florissante. Long. 24. 36. lat. 46. 27. (D.J.)


VEVAYSELA (Géog. mod.) riviere de Suisse, dans le pays Romand. Cette riviere, ou plutôt ce torrent impétueux descend des montagnes des Alpes, coule aux environs de Vevay, & y fait de grands ravages, changeant de tems en tems son lit, & rongeant les terres dans lesquelles il se déborde par des crues subites & imprévues. En 1701 il sappa par les fondemens, les murailles des jardins de Vevay, qui tomberent toutes entieres, au lieu de s'écrouler par pieces. On n'a point encore trouvé les moyens de briser en toutes occasions le cours de ce torrent. (D.J.)


VEXALA(Géog. anc.) golfe de la grande Bretagne. Ptolémée, l. II. c. iij. le marque sur la côte occidentale, entre le golfe Sabriana & le promontoire d'Hercule. C'est présentement Juelmouth, selon Cambden. (D.J.)


VEXATIONS. f. (Gram.) on vexe par toutes sortes de contraintes ou d'exactions injustes, soit qu'on n'ait pas le droit de demander, soit qu'on demande trop.


VEXILLUM(Art milit. des Romains) les Romains se servoient indifféremment des mots signum & vexillum pour désigner toutes sortes d'enseignes ; néanmoins le mot vexillum dénotoit 1°. d'une maniere expresse, les enseignes des troupes de cavalerie, que nous nommons dans notre langue étendarts, guidons, cornettes ; 2°. il désignoit encore les enseignes des troupes fournies par les alliés de Rome ; 3°. il se trouve quelquefois employé pour exprimer les enseignes de l'infanterie romaine. (D.J.)


VEXINLE, (Géog. mod.) pays de France, avec titre de comté. On le divise en Vexin françois & en Vexin normand. Voyez VEXIN-FRANÇOIS & VEXIN-NORMAND. (D.J.)

VEXIN-FRANÇOIS, LE, (Géog. mod.) pays de France, dans la province de l'île de France. Il est ainsi nommé pour le distinguer du Vexin-normand, qui en fut démembré par le roi Louis IV. Ce pays est borné à l'orient par la riviere d'Oyse, au midi par celle de Seine, au couchant par celle d'Epte, qui le sépare du Vexin-normand, & au septentrion par le Beauvaisis. On y remarque Pontoise, capitale, Magny, Chaumont, Mante, Meulan, Poissy, Saint-Germain, Montfort-l'Amaury, Dreux & autres lieux.

Le premier comte du Vexin-françois s'appelloit Louis. Il vivoit sous le regne de Louis d'Outremer, & épousa Eldegarde de Flandre, qui le fit pere de Gautier I. Celui-ci fut aïeul de Dreux I. qui s'allia avec Edith, soeur de S. Edouard, roi d'Angleterre. Sa postérité étant éteinte, le Vexin fut uni à la couronne. Depuis ce tems-là, Louis le jeune le donna en dot à Marguerite sa fille, en la mariant avec Henri, fils de Henri II. second roi d'Angleterre ; mais après que Richard II. eut répudié Alix, soeur de Philippe Auguste, ce pays fut incorporé de nouveau à la couronne.

Abelli (Louis) naquit au Vexin-françois en 1604. Il succéda à M. de Péréfixe dans l'évêché de Rodez, qu'il quitta pour se retirer à Paris dans la maison de S. Lazare, où il mourut l'an 1691, âgé de 88 ans.

Il a écrit plusieurs ouvrages qui sont aujourd'hui très-méprisés. La moëlle théologique, medulla theologica, lui a fait donner ironiquement par Despréaux (lutrin, chant IV.) le titre de moëlleux.

Alain tousse, & se leve ; Alain ce savant homme,

Qui de Bauny vingt fois a lu toute la somme,

Qui possede Abelli, qui sait tout Raconis,

Et même entend, dit-on, le latin d'à Kempis....

Etudions enfin, il en est tems encore ;

Et pour ce grand projet, tantôt dès que l'aurore

Rallumera le jour dans l'onde enseveli,

Que chacun prenne en main le moëlleux Abeli.

Ce conseil imprévu de nouveau les étonne :

Sur-tout le gras Evrard d'épouvante en frissonne...

(D.J.)

C'est aussi au Vexin-françois que naquit en 1568 Pierre du Moulin, fameux théologien calviniste. Il fut ministre à Charenton, & entra en cette qualité auprès de Catherine de Bourbon, princesse de Navarre, soeur du roi Henri IV. mariée en 1599 avec Henri de Lorraine, duc de Bar. Du Moulin refusa en 1619 une chaire de théologie que l'université de Leyde lui offrit, & accepta la chaire de Sedan que le duc de Bouillon lui donna. Il fut employé dans les affaires les plus importantes de son parti. Ses ouvrages, en grand nombre, roulent sur les controverses, & par cette raison même n'ont plus de cours aujourd'hui, quoiqu'il y regne beaucoup d'art & d'esprit.

Pierre du Moulin son fils aîné devint chanoine de Cantorberi, où il mourut en 1684, âgé de 84 ans. Son livre intitulé la paix de l'ame, est également estimé des Catholiques & des Protestans ; la meilleure édition est celle de Genève en 1729, in-8°.

Louis & Cyrus Dumoulin, freres de ce dernier, le premier médecin, & l'autre ministre protestant, sont aussi auteurs de quelques ouvrages. (D.J.)

VEXIN NORMAND, le (Géogr. mod.) pays de France, dans la Normandie, dont les principales villes sont Rouen, Gisors, Andely, Ecouy, &c. Le Vexin normand est beaucoup plus fertile que le Vexin françois. Le roi Louis IV. le démembra de la couronne de France en faveur des Normands. Geoffroi & Henri II. rois d'Angleterre le donnerent au roi Louis le Jeune, pour les frais de la guerre qu'il avoit faite à Etienne comte de Boulogne. Marguerite de France, fille du roi Louis, le porta en dot au fils aîné de Henri II. roi d'Angleterre : mais ce prince étant mort sans enfans, Henri II. son pere ne voulut point rendre le Vexin au roi, prétendant qu'il étoit de l'ancien domaine du duché de Normandie. Sur ce refus, Philippe-Auguste lui déclara la guerre en 1198 ; & par le traité qui fut conclu entr'eux, Henri II. lui rendit le Vexin.

L'un des plus polis & des plus aimables poëtes françois du dernier siecle, Chaulieu (Guillaume Anfrie de) naquit en 1639 dans le Vexin normand, au château de Fontenay qu'il a immortalisé par ces beaux vers :

Fontenay, lieu délicieux,

Où je vis d'abord la lumiere ;

Bientôt au bout de ma carriere,

Chez toi je joindrai mes ayeux.

Muses, qui dans ce lieu champêtre

Avec soin me fites nourrir ;

Beaux arbres qui m'avez vu naître,

Bientôt vous me verrez mourir.

L'abbé de Chaulieu (car il étoit abbé d'Aumale) avoit une conversation charmante, & fit pendant sa vie les délices des personnes de goût & de la premiere distinction. Ses poésies fourmillent de beautés hardies & voluptueuses ; la plûpart respirent la liberté, le plaisir, & une philosophie dégagée de toute crainte après la mort. On sait comme il s'exprime sur ce sujet.

Plus j'approche du terme, & moins je le redoute :

Sur des principes sûrs mon esprit affermi,

Content, persuadé, ne connoît plus le doute :

Des suites de ma fin je n'ai jamais frémi.

L'avenir sur mon front n'excite aucun nuage,

Et bien-loin de craindre la mort,

Tant de fois battu de l'orage,

Je la regarde comme un port

Où je n'essuierai plus tempête, ni naufrage.

Eleve de Chapelle, voluptueux, délicat, il ne se fit jamais un tourment de l'art de rimer. Ses vers négligés sont faciles, pleins d'images & d'harmonie. Les sentimens du coeur y sont exprimés avec feu. Il charme le lecteur lors-même qu'il l'entretient de ses maux & des incommodités qui accompagnent sa vieillesse.

En vain la nature épuisée

Tâche à prolonger sagement,

Par le secours d'un vif & fort tempérament,

La trame de mes jours que les ans ont usée ;

Je m'apperçois à tout moment

Que cette mere bienfaisante,

Ne fait plus d'une main tremblante

Qu'étayer le vieux bâtiment

D'une machine chancelante.

Tantôt un déluge d'humeur,

De sucs empoisonnés inonde ma paupiere ;

Mais ce n'est pas assez d'en perdre la lumiere,

Il faut encor que son aigreur

Dans d'inutiles yeux me forme une douleur,

Qui serve à ma vertu de plus ample matiere.

La goutte d'un autre côté

Me fait depuis vingt ans un tissu de souffrance !

Que fais-je en cette extrêmité ?

J'oppose encor plus de constance

A cette longue adversité,

Qu'elle n'a de persévérance ;

Et m'accoutumant à souffrir,

J'apprends que la patience

Rend plus légers les maux que l'on ne peut guérir.

Au milieu cependant de ces peines cruelles,

De notre triste hiver, compagnes trop fideles,

Je suis tranquille & gai. Quel bien plus précieux

Puis-je espérer jamais de la bonté des dieux !

Tel qu'un rocher, dont la tête

Egalant le mont Athos,

Voit à ses piés la tempête

Troubler le calme des flots ;

La mer autour bruit & gronde ;

Malgré ses émotions,

Sur son front élevé regne une paix profonde,

Que tant d'agitations,

Et que les fureurs de l'onde

Respectent à l'égal du nid des alcyons.

On voit par cette sublime comparaison que les maux ne prenoient rien sur la beauté de son génie.

L'abbé de Chaulieu a fait lui-même son portrait à la priere de M. de la Fare, son intime ami, qui le lui avoit demandé. Je voudrois fort pouvoir l'insérer ici tout entier, car le lecteur s'apperçoit bien que je cherche à le délasser de la sécheresse purement géographique ; & pour preuve de ma bonne volonté, voici les premiers traits de ce tableau, qui, dit l'abbé du Bos, durera plus long-tems qu'aucun de ceux du Titien.

O toi, qui de mon ame es la chere moitié,

Toi, qui joins la délicatesse

Des sentimens d'une maîtresse

A la solidité d'une sûre amitié !

La Fare, il faut bientôt que la parque cruelle

Vienne rompre de si doux noeuds,

Et malgré nos cris & nos voeux,

Bientôt nous essuierons une absence éternelle.

Chaque jour je sens qu'à grands pas

J'entre dans ce sentier obscur & difficile,

Qui me va conduire là-bas

Rejoindre Catulle & Virgile.

Là sous des berceaux toujours verds,

Assis à côté de Lesbie ;

Je leur parlerai de tes vers

Et de ton aimable génie ;

Je leur raconterai comment

Tu recueillis si galamment

La muse qu'ils avoient laissée ;

Et comme elle sut sagement,

Par la paresse autorisée,

Préférer avec agrément

Au tour brillant de la pensée,

La vérité du sentiment,

Et l'exprimer si tendrement,

Que Tibulle encor maintenant

En est jaloux dans l'Elisée.

Mais avant que de mon flambeau

La lumiere me soit ravie,

Je vais te crayonner un fantasque tableau

De ce que je fus en ma vie.

Puisse à ce fidele portrait

Ta tendre amitié reconnoître

Dans un homme fort imparfait

Un homme aimé de toi, qui mérita de l'être.

Après la mort de M. Perrault, l'abbé de Chaulieu sollicita cette place à l'académie françoise, mais il abandonna ses sollicitations en faveur de M. le cardinal de Rohan. Il finit ses jours à Paris en 1720, à 84 ans. Ses oeuvres consistent en épîtres, odes, stances, épigrammes, madrigaux, chansons, &c. La meilleure édition est celle de 1751, par M. de Saint-Marc. (D.J.)


VEZ-CABOULI(Hist. nat. Botan.) racine médicinale qui croît dans les Indes orientales ; on en fait usage dans la teinture.


VEZELAY(Géog. mod.) en latin du bas-âge Verziliacum, Vizeliacum, Viceliacum, &c. petite ville de France, dans le Morvan, sur la croupe d'une montagne, aux confins du Nivernois & de l'Auxerrois, & près de la riviere de Cure. Elle est à 4 lieues au couchant d'Avalon, à 5 au nord de Corbigny, & à 10 au sud-est d'Auxerre, dans le diocèse d'Autun.

Vezelay doit ses commencemens à une abbaye fondée au ix. siecle sous Charles le Chauve, & sécularisée en 1538 sous le regne de François I. L'abbé est seigneur de la ville, & la justice ordinaire s'y rend en son nom. Il y a dans cette place bailliage, élection, grenier à sel, maréchaussée, & les cordeliers y ont un couvent. Long. 21. 25. latit. 47. 29.

" C'est à Vezelay que fut dressé un échaffaud dans la place publique l'an 1146 pour y prêcher la seconde croisade. Saint Bernard, fondateur de Clervaux, fut l'organe de ce nouveau dépeuplement. Il parut dans cette place publique de Vezelay à côté de Louis le Jeune, roi de France. Il parla d'abord, & le roi parla ensuite. Tout ce qui étoit présent prit la croix. Louis la prit le premier des mains du fondateur de Clervaux, qui étoit alors l'oracle de la France & de l'Europe ".

C'est encore à Vezelay qu'est né en 1519, d'une très-bonne famille de pere & de mere, le célebre Théodore de Beze. Il étudia à Orléans sous Wolmar, qui lui inspira ses sentimens de religion. Il vint l'an 1539 à Paris, où l'attendoit une riche succession qui combattit pendant quelque tems le projet qu'il avoit formé de se retirer dans les pays étrangers. Les plaisirs de Paris & les honneurs qu'on lui présentoit n'étoufferent point cette résolution. Il se rendit à Lausanne où il professa le grec, & donna des leçons sur le nouveau Testament pendant neuf ou dix ans. Il s'établit à Genève l'an 1559, & devint collegue de Calvin dans l'église & dans l'académie.

On sait qu'il assista au colloque de Poissy, & Catherine de Médicis voulut qu'après la clôture de ce colloque, Beze étant françois, restât dans sa patrie. Il prêcha souvent chez la reine de Navarre & chez le prince de Condé. Il se trouva même comme ministre à la bataille de Dreux. Il fit ensuite sa cour à l'amiral de Coligni, & ne retourna à Genève qu'après la paix de 1563. Il assista au synode de la Rochelle en 1571. Le prince de Condé le fit venir auprès de lui à Strasbourg l'an 1574, pour négocier avec le prince Casimir, ce qui montre que Beze savoit faire autre chose que des leçons & des livres.

Les incommodités de la vieillesse commencerent à l'attaquer l'an 1597 ; cependant cette même année il fit des vers pleins de feu contre les jésuites qui avoient répandu le bruit de sa mort dans la religion romaine ; mais ses derniers vers furent une votiva gratulatio à Henri IV. après l'accueil qu'il en reçut auprès de Genève au mois de Décembre 1600. Il ne mourut qu'en 1605, âgé de 86 ans.

C'étoit un homme d'un mérite extraordinaire, & qui rendit de très-grands services à son parti. Sixte V. tint deux conférences, pour délibérer des moyens d'ôter aux protestans l'appui & le soutien qu'ils avoient en la personne de Beze. Il est glorieux pour ce ministre de le représenter comme un homme qui troubloit le repos du pape.

Ses poésies intitulées juvenilia ; quoiqu'imprimées à Paris l'an 1548, avec privilege du parlement, donnerent lieu à de grandes calomnies contre l'auteur. Elles consistent en silves, en élégies, en épitaphes, en tableaux (icones) & en épigrammes. On ne peut nier que ces poésies ne contiennent des vers trop libres, & peu conformes à la chasteté des muses chrétiennes ; mais c'est un écart de la jeunesse de Beze, dont il demanda pardon à Dieu & au public. Il travailla à les supprimer autant que ses ennemis travaillerent à les faire vivre ; & quand il consentit, à l'âge de 78 ans, que l'on en fît une nouvelle édition, ce fut pour empêcher qu'on n'y insérât les vers qui pouvoient causer le moindre scandale. S'il avoit eû la sagesse de retracter également son traité de haereticis à magistratu puniendis, il eût servi utilement à la cause générale, en annoblissant son caractere de ministre de l'évangile. (Le chev(D.J.) )


VEZERELA, (Géog. mod.) riviere de France. Elle a sa source aux confins du bas-Limousin & de la Marche, & devient navigable à trois lieues de Brive, élection de Périgueux. (D.J.)


VEZOUZELA, (Géog. mod.) petite riviere de Lorraine. Elle prend sa source aux monts de Vosge, & se rend dans la Meurte, une lieue au-dessus de Luneville. (D.J.)


VIA(Géog. anc.) fleuve de l'Espagne tarragonoise, selon Ptolémée, l. II. c. vj. C'est peut-être aujourd'hui la riviere Ulla, dans la Galice. (D.J.)


VIADANA(Géog. anc.) petite ville, ou plutôt bourgade d'Italie dans le Mantouan sur le Pô, à sept milles de Casal-maggiore. Quelques savans prennent ce bourg pour l'ancienne Vitellianum.


VIADUou VIADRUS, (Géog. anc.) fleuve de la Germanie, qui prenoit sa source dans l'ancienne Suévie, & se perdoit dans la mer Suévique, appellée autrement le golfe Codanus.

Les Romains connoissoient peu la Germanie de ce côté-là. Pline ne parle que de deux fleuves au-delà de l'Elbe, savoir la Vistule & le Guttalus. Ptolémée double le nombre, & marque le Chalusus, le Suevus, le Viadrus & la Vistule. Par Viadrus ou Viadus, il faut entendre le même fleuve, savoir l'Oder, que les Sarmates qui ont habité durant plusieurs siecles sur ses bords, appelloient Odora ou Odera.

La difficulté est de savoir si le Suevus de Ptolémée & le Guttalus de Pline & de Solin, sont le même fleuve que le Viadus ou Viadrus, ce qui est très-probable. L'Oder, comme on sait, a trois embouchures formées par les îles Wollin & d'Usedom, & dont celle qui est du côté de l'occident, sert aussi d'embouchure à la Pene, qui lui donne son nom : celle du milieu s'appelle Suine ou Suene, nom qui approche assez de celui de Suevus ; & la troisieme qui est à l'orient, est appellée Diwenow.

Ainsi le Viadus ou Viadrus, le Suevus, le Guttalus & l'Odera seroient la même riviere, c'est-à-dire l'Oder des modernes. (D.J.)


VIAGES. m. (Gram. & Jurisp.) vieux terme de coutume, qui signifie quelquefois la vie, & quelquefois l'usufruit ou jouissance que quelqu'un a d'une chose sa vie durant. Voyez les coutumes de Hainaut, Mons, Tours, Lodunois, Anjou, Maine, Poitou, Bretagne, & le glos. de Lauriere au mot viage. (A)


VIAGERadj. (Gramm. & Jurisp.) se dit de ce qui ne doit durer que pendant la vie d'une personne, comme un don ou douaire viager, une rente ou pension viagere.

On dit d'un homme qu'il n'a que du viager, lorsqu'il n'a pour tout bien que des rentes & pensions viageres.

On appelle réparations viageres ou usufruitieres, les réparations d'entretenement dont les usufruitiers sont tenus, ce qui comprend toutes réparations autres que les grosses. Voyez REPARATION. Voyez aussi DOUAIRE, ALIMENT, PENSION, RENTE VIAGERE. (A)


VIAIRES. m. (Gram. & Jurisp.) dans quelques coutumes signifie une pension viagere. Chaumont, art. 33.

Dans quelques anciens titres, viaire, viarius, est pris pour le seigneur voyer ou bas justicier. Viaire, viaria, est pris pour voirie, qu'on appelle aussi veherie, basse-justice, vicomté.

Ailleurs viaria est pris pour vouerie ou advouerie, advocatie. Voyez ADVOUE. Voyez aussi le gloss. de Ducange au mot viarius & viaria (A)


VIALES DII(Mythol.) ou simplement Viales ou Semitales ; nom générique que les Romains donnoient à plusieurs divinités, qu'ils supposoient présider à la sureté des chemins dans les voyages. Tel étoit Mercure sur terre, d'où lui vient dans les inscriptions le nom de Viacus. Tel étoit Hercule surnommé . Tels étoient sur mer Castor & Pollux. Suétone nous apprend qu'Auguste fixa les sacrifices qu'on leur adressoit en public, à deux jours de l'année. On élevoit leurs effigies dans les carrefours, & c'étoit-là qu'on leur rendoit des hommages. Les mêmes dieux ont encore été appellés Tutelini & Tutanei. C'est d'eux que Virgile parle dans le VII. l. de l'Enéide, v. 135.

Frondenti tempora ramo

Implicat, & geniumque loci, primamque deorum

Tellurem, nymphas, & adhuc ignota precatur

Numina.

Je lis numina au lieu de flumina, qui se trouve dans nos éditions ; & peut-être ai-je tort. (D.J.)


VIALIS(Mythol.) Mercure étoit surnommé Vialis, parce qu'il présidoit aux chemins. On donnoit aussi le nom de Viales aux pénates & aux mânes. (D.J.)


VIANA(Géog. anc.) ville de la Rhétie. Ptolémée, l. II. c. xij. la marque dans les terres, parmi les villes qui étoient au midi du Danube ; son nom moderne est Wangen. (D.J.)

VIANA, (Géog. mod.) ville d'Espagne dans la Navarre, capitale d'une principauté de même nom, avec titre de cité, sur la gauche de l'Ebre, vis-à-vis de Logrogno, à 12 lieues au sud-ouest de Pampelune. Ses environs abondent en blé, en vin, en fruits & en gibier. Long. 15. 32. lat. 42. 27.

VIANA, de Foz de Lima, (Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province d'entre Duero-e-Minho, à l'embouchure de la riviere de Lima, à 3 lieues au sud-est de Caminha, & à 6 à l'ouest de Braga. Elle est la capitale d'une comarca ou jurisdiction. Le gouverneur & le commandant de la province y font leur séjour. La citadelle a son gouverneur particulier. Son port est bon. Long. 8. 45. lat. 41. 30. (D.J.)


VIANDES. f. (Gram.) chair des animaux destinés à la nourriture de l'homme, comme le boeuf, le mouton, le veau ; on dit de la viande blanche & de la viande noire, de la grosse viande & de la viande menue ; le veau, les poulets sont viandes blanches ; le lievre, le cerf, le sanglier sont viandes noires ; le gibier est viande menue ; la viande de boeuf est grosse viande.

VIANDE, (Critiq. sacr.) la loi de Moïse défendit aux hébreux de manger la viande avec le sang & la graisse des victimes qu'on brûloit toujours par cette raison sur l'autel. Ce peuple n'étoit pas fort délicat sur l'assaisonnement de ses viandes. Il les faisoit ou rotir comme l'agneau pascal, Exod. xij. 18. ou cuire au pot ; on lit à ce sujet dans le I. livre des Rois ij. 13. que les enfans d'Eli tiroient de la chair de la marmite pour la faire cuire à leur fantaisie. Nous ignorons quel étoit le ragoût que Rébecca servit à Isaac ; nous savons seulement qu'elle le fit tel qu'il l'aimoit. Genès. xxvij. 4.

Il n'étoit pas permis aux hébreux de manger des animaux réputés impurs, ni de la chair d'un animal mort de lui-même, ni de celle d'un animal étouffé, sans qu'on en eût fait couler le sang, ni même de l'animal qui avoit été mordu par quelque bête ; quiconque en mangeoit par mégarde, étoit souillé jusqu'au soir, & obligé de se purifier. Ils avoient aussi grand soin d'ôter le nerf de la cuisse des animaux dont ils vouloient manger, à cause du nerf de Jacob desséché par l'Ange. Gen. xxxij. 32. Au-reste les Juifs ont toujours observé fort exactement la défense de manger du sang, ou d'un animal étouffé. Cet usage subsista longtems dans l'église chrêtienne, & devroit peut-être subsister toujours, parce qu'il a été proscrit conjointement avec la défense d'un péché contre les bonnes moeurs, & que la défense de ce péché n'est pas à tems ; enfin, parce que la défense en a été faite par les apôtres mêmes éclairés du saint-Esprit. " Il a semblé bon, disent-ils, au saint-Esprit & à nous, de ne vous imposer que ces choses nécessaires ; savoir, que vous vous absteniez des choses sacrifiées aux idoles, & de sang, & de choses étouffées, & de paillardise ; & si vous gardez ces choses, vous ferez bien. " Act. xv. 28 & 29, & xxj. 25. (D.J.)

VIANDES immolées aux Idoles ; (Critiq. sacr.) il y avoit chez les Hébreux certains sacrifices, dans lesquels on n'offroit qu'une partie de la victime sur l'autel ; tout le reste appartenoit à celui qui fournissoit l'hostie, & il le mangeoit, le donnoit aux malades, aux pauvres, ou le vendoit. C'étoit pareillement la coutume chez les payens, que ceux qui présentoient aux dieux des victimes, en faisoient des festins dans les portiques du temple, où ils régaloient les prêtres & leurs amis de tout ce qui restoit des victimes, dont une partie étoit seulement consumée par le feu ; mais ceux qui n'étoient pas libéraux, après avoir brûlé à l'honneur des dieux ce qui leur appartenoit, & avoir donné aux sacrificateurs leur portion, faisoient vendre au marché tout le reste, ou en nourrissoient leur famille. Vopiscus raconte que l'avarice de l'empereur Tacite étoit si basse, qu'il faisoit emporter chez lui tout ce qui restoit des victimes qu'il offroit en sacrifice, pour en nourrir sa famille ; aussi Théophraste représentant le caractere d'un avare, n'a pas oublié de dire, que lorsqu'il marie sa fille, il fait vendre au marché tout ce qui n'a pas été consumé des victimes qu'il a été obligé d'offrir. Les prêtres de leur côté vendoient aussi les offrandes, & le reste de la chair des victimes qu'ils ne pouvoient consommer.

L'usage des viandes de victimes sacrifiées aux idoles excita une dispute sérieuse du tems des apôtres. Plusieurs chrétiens persuadés que la distinction des viandes pures & impures, ne subsistoit plus, depuis que le Sauveur du monde avoit aboli les cérémonies légales, & procuré la liberté aux fideles, achetoient & mangeoient indifféremment ces viandes, sans aucun scrupule. D'autres chrétiens plus ou moins éclairés, étoient offensés de cette conduite de leurs freres, & la traitoient d'impiété & de paganisme ; ils croyoient que les démons habitoient dans les idoles, & qu'ils infectoient la chair des victimes qui leur étoient offertes, de même que le vin dont on faisoit des libations à leur honneur ; de sorte que par le moyen de la chair de ces victimes, & de ce vin, les démons passoient dans les personnes qui en mangeoient ou en buvoient.

Cette différence d'opinion alla jusqu'à causer du scandale, & S. Paul crut être obligé de l'arrêter. Il commença par déclarer dans sa I. Epitre aux Corinthiens, ch. x. 25. que l'idole n'est rien ; ensuite il décida sur ce principe, que l'on pouvoit manger de tout ce qui se vend à la boucherie, sans s'informer d'où il venoit, & que quand on se trouvoit à la table d'un payen, il ne falloit point faire de scrupule de manger de tout ce qui y étoit servi ; cependant l'apôtre ajoute d'abord après, qu'il est nécessaire d'observer les loix de la prudence & de la charité, & d'éviter de faire de la peine aux ames foibles ; enfin, il veut que si quelqu'un se scandalise de voir un chrétien manger des viandes immolées, il faut absolument qu'il s'en abstienne, de peur de blesser la conscience de son frere.

Il paroît par l'Histoire ecclésiastique que S. Paul eut bien de la peine à convertir les chrétiens scrupuleux, sur leur idée que c'étoit mal fait de manger des viandes qu'on avoit une fois sacrifiées aux idoles. Il y eut même plusieurs peres de l'église qui bornerent la proposition de l'apôtre ; mangez de tout, c'est-à-dire, de tout ce qui est permis, hormis les viandes sacrifiées aux idoles. Mangez de tout, dit Clément d'Aléxandrie, excepté ce qui a été défendu dans l'Epitre catholique des apôtres. Il veut parler de la lettre que les apôtres écrivirent aux églises, & qui contient les decrets du Concile de Jérusalem. Act. xv. 24.

Aussi ce savant pere ne croyoit pas qu'il fût permis de manger ni du sang, ni des choses étouffées, ni des viandes sacrifiées aux idoles. Il y eut plus ; on fit un crime aux Gnostiques d'avoir mangé des victimes sacrifiées aux idoles ; ils devoient pourtant passer pour innocens, s'ils en usoient comme S. Paul l'avoit permis, & avec les précautions qu'il recommande. (D.J.)


VIANDEN(Géog. mod.) en latin barbare Vianda, en allemand Wyenthal ; ville des Pays-bas, dans le duché de Luxembourg, capitale du comté du même nom, sur la riviere d'Our ou d'Uren qui la partage en deux, à 10 lieues au nord de Luxembourg. Ses habitans font commerce de draps & de tannerie. Long. 23. 47. latit. 49. 56.

VIANDEN, Comté de, (Géog. mod.) comté des Pays-bas, au duché de Luxembourg. Ce comté qui est très-ancien, a pour chef-lieu une ville de son nom, & est divisé en six mayeries, qui renferment près de cinquante hameaux. Philippe II, roi d'Espagne confisqua ce comté qui appartenoit à Guillaume de Nassau, & le donna à Pierre Ernest de Mansfelt, gouverneur de la province de Luxembourg. Après sa mort arrivée en 1604, le comté de Vianden retourna au prince d'Orange. Enfin en 1701, par la mort de Guillaume III. roi d'Angleterre, la succession a été disputée par plusieurs prétendans. (D.J.)


VIANDERv. n. (Vener.) c'est aller à la pâture ; il se dit du cerf, & autres animaux de la même espece.


VIANDISS. m. terme de chasse, ce sont les pâtures des bêtes fauves.


VIANE(Géog. mod.) petite ville de France dans le Languedoc, recette de Castres, vers les confins du Rouergue, à six lieues à l'orient de la ville de Castres, sur la riviere d'Agout. (D.J.)


VIANEN(Géog. mod.) & par les François Viane ; ville des Pays-bas dans la Hollande, sur le Leck, aux confins de la seigneurie d'Utrecht, à 2 lieues d'Utrecht, presque au-milieu entre Nimegue & Rotterdam.

Cette ville a été détachée du comté de Culembourg sur la fin du treizieme siecle, & fut bâtie en 1290 par un seigneur de Culembourg ; ensuite elle appartint à Henri de Brederode, un des chefs de la révolution qui fit perdre la Hollande à Philippe II. Les comtes de la Lippe jouissoient dans le dernier siecle de la seigneurie de Vianen, qu'ils vendirent aux états de Hollande.

Il y a à Viane un grand-bailli qui en exerce la jurisdiction au nom du souverain. Cette ville sert d'asyle aux marchands dont les affaires ont mal réussi, & c'est un asyle assuré avec la sauve-garde du souverain. Le château de Vianen est un très-beau bâtiment, & dans la plus belle situation de château qu'il y ait en Hollande. Long. 22. 34. latit. 52. 3.


VIATEUR(Antiq. rom.) bas-officier chez les Romains ; les viateurs, viatores, étoient des especes de messagers d'état que le sénat envoyoit dans les maisons de campagne, pour avertir les sénateurs des jours où ils devoient s'assembler extraordinairement. Ils servoient encore à cet usage les consuls, les préteurs & les tribuns du peuple en particulier.

Les gouverneurs des provinces en accordoient aux sénateurs des premieres familles, lorsqu'ils étoient dans leur gouvernement, pour leur servir de cortege. Mais lorsqu'un viateur étoit chargé de porter à quelqu'un les decrets du Sénat & du peuple, & qu'il le trouvoit en négligé, il commençoit par lui dire, avant toutes choses, qu'il devoit s'habiller. C'est pourquoi le viateur nommé pour annoncer à Lucius Quintius Cincinnatus, que le sénat & le peuple romain l'avoient déclaré consul & dictateur, le pria de se vêtir, cui viator, vela corpus, inquit, ut proferam senatûs populique romani mandata, aussi-tôt Cincinnatus dit à sa femme Racilie de lui apporter ses habits qui étoient dans sa chaumiere, afin de se mettre décemment pour écouter les ordres de la république. (D.J.)


VIATIQUES. m. (Hist. anc.) c'étoit chez les Romains non-seulement la somme ou les appointemens que la république donnoit aux magistrats qu'elle envoyoit dans les provinces pour subvenir aux frais de leur voyage ; mais encore on donnoit ce nom aux habits, esclaves, meubles que l'état leur fournissoit pour paroître avec dignité. Du tems d'Auguste on convertit le tout en une somme d'argent, sur laquelle les magistrats étoient eux-mêmes obligés de pourvoir à toute la dépense. Tacite en fait mention dans le premier livre des annales, chap. xxxvij. viaticum amicorum ipsiusque Caesaris. Il parle là des appointemens qu'on accorda à Germanicus & aux officiers de sa suite ; mais on n'a point de détail précis sur les sommes auxquelles se montoient ces appointemens, on présume qu'elles étoient réglées sur le rang & la dignité des personnes : on donnoit aussi le même nom à la paye des officiers & soldats qui étoient à l'armée.

Parmi les religieux on appelle encore viatique la somme que la regle de l'ordre accorde à chacun d'eux lorsqu'ils sont en voyage, ou qu'ils vont en mission. Voyez MISSION.

Quelques-uns ont encore nommé viatique le denier, piece d'or, d'argent, ou de cuivre, que les anciens avoient coutume de mettre dans la bouche des morts, pour payer le passage à Caron.

VIATIQUE, s. m. (Hist. ecclés.) sacrement qu'on administre aux mourans, pour les disposer au passage de cette vie à l'autre. Les peres & les conciles ont donné ce nom à trois sacremens que l'on donnoit aux mourans pour assurer leur salut : savoir le baptême, l'eucharistie, & la pénitence. Le baptême à l'égard des catéchumenes ; S. Gregoire, S. Basile, Balsamon, & les autres auteurs grecs, l'appellent en ce sens , c'est-à-dire viatique. L'eucharistie pour les fideles qui étoient dans la communion de l'église, & souvent à l'égard des pénitens qui avoient reçu l'absolution. La pénitence ou absolution, à l'égard de ceux qu'on réconcilioit à l'article de la mort. Aujourd'hui le nom de viatique ne se prend plus que dans le second sens, c'est-à-dire pour l'eucharistie administrée à ceux qui sont en danger de mort. On ne l'accorde point en France aux criminels condamnés & conduits au supplice pour leurs crimes.


VIATKou WIATKA, (Géog. mod.) province de l'empire russien dans la Moscovie septentrionale. Elle est bornée au nord par la Permie, au midi par le royaume de Casan, au levant par la contrée de Sloutka, au couchant par les pays des Czerémisses & la grande forêt des Ziranni. Cette province abonde en miel & en cire. On en tire aussi quantité de pelleteries. Viatka est la capitale. (D.J.)

VIATKA, (Géog. mod.) ville épiscopale de l'empire russien dans la province du même nom, sur une petite riviere qui se rend dans celle de Viatka. Elle est munie d'un château pour la garantir des incursions des Tartares. Long. 69. 48. latit. 58. 24. (D.J.)

VIATKA, la, (Géog. mod.) riviere de l'empire russien dans la province à laquelle elle donne son nom. Elle a sa source au-dessus de Sestakof, entre dans le royaume de Casan, & se perd dans la riviere de Kama. (D.J.)


VIAURLE, (Géog. mod.) ou comme disent les Gascons le Biaur ; riviere de France en Languedoc. Elle prend sa source dans le Rouergue, qu'elle sépare de l'Albigeois, & se rend dans l'Avéiron. (D.J.)


VIBINATES(Géog. anc.) peuples d'Italie, dans la Pouille, selon Pline, l. III. c. xj. Leur ville est nommée par Polybe ; c'est aujourd'hui Bovino, dans la Capitanate. (D.J.)


VIBO(Géog. anc.) ville d'Italie, chez les Brutiens. L'itinéraire d'Antonin qui écrit Vibo, Vibona, ou Vinoba, suivant les différentes leçons des manuscrits, place cette ville sur la route de Rome, à la Colonne, en prenant par la voie appienne. Son territoire est appellé ager vibonensis, & son golfe sinus vibonensis, par Ciceron ad Attic. l. VII. epist. 6. c'est l'Hipponiates sinus de Ptolémée. (D.J.)


VIBORDS. m. (Marine) c'est la partie du vaisseau, comprise depuis les porte-haubans jusqu'au plat-bord.


VIBRATIONS. f. en Méchanique, est le mouvement régulier & réciproque d'un corps, par exemple d'un pendule, qui étant suspendu en liberté, balance tantôt d'un côté, tantôt d'un autre.

Si on éloigne le poids d'un pendule de son repos, il retombe par sa pesanteur ; & avec la vîtesse qu'il a acquise, il monte de l'autre côté jusqu'à la même hauteur, d'où sa pesanteur le fait retomber encore, & ainsi de suite. Voyez PENDULE.

Les auteurs méchaniciens se servent du mot oscillation au-lieu de vibration. Voyez OSCILLATION.

Les vibrations du même pendule sont toutes à-peu-près isochrones, c'est-à-dire se font en des tems égaux, du-moins sous le même climat ; car du côté de l'équateur, on trouve qu'elles sont un peu plus lentes. Voyez PENDULE.

Les vibrations d'un pendule plus long, durent plus de tems que celles d'un plus court, & cette différence est en raison soudoublée de leurs longueurs. Ainsi un pendule de trois piés de long, fera dix vibrations tandis qu'un autre de neuf pouces de longueur en fera vingt : car les longueurs de ces deux pendules sont entr'elles comme 36 pouces, à 9 pouces, c'est-à-dire comme 4 à 1, & la raison soudoublée de ces longueurs, ou ce qui est la même chose, le rapport des racines quarrées est celui de 2 à 1 ; donc les tems des vibrations seront comme 2 est à 1, ainsi le premier pendule mettra une fois plus de tems que le second à faire une vibration ; par conséquent il ne fera que 10 vibrations tandis que l'autre en fera 20.

On exprime la même chose d'une autre maniere, en disant que le nombre des vibrations des pendules dans un tems donné, est en raison réciproque soudoublée de leurs longueurs. Ainsi dans l'exemple précédent, le nombre des vibrations du premier pendule, dans un certain tems, est au nombre des vibrations du second pendule dans le même tems, comme 1 est à 2, c'est-à-dire comme la racine de neuf longueur du second pendule, est à la racine de 36 longueur du premier pendule.

M. Mouton, prêtre de Lyon, a fait un traité pour montrer qu'au moyen du nombre connu des vibrations d'un pendule donné dans un certain tems, on pourroit établir par-tout le monde une mesure commune, & fixer les différentes mesures qui sont en usage parmi nous, de maniere qu'on pourroit les recouvrer si par hasard il arrivoit un tems où elles fussent perdues, comme il est arrivé à la plûpart des anciennes mesures, que nous ne connoissons que par conjecture. Voyez MESURE.

On se sert aussi du mot de vibrations pour exprimer en général tout mouvement d'un corps qui va alternativement en sens contraires : par exemple, une corde à boyau tendue, étant frappée avec un archet, fait des vibrations ; le ressort spiral des montres fait des vibrations, &c. En général tout corps fait des vibrations, lorsqu'il est éloigné par quelque agent d'un point où il est retenu en repos par quelque autre agent : car quand le corps est éloigné de son point de repos, l'action du premier agent tend à l'y faire revenir ; & quand il est arrivé à ce point de repos, la vîtesse qu'il a acquise, le fait passer au-delà, jusqu'à-ce que l'action réiterée du premier agent, lui ait fait perdre toute sa vîtesse, après quoi il revient à son point de repos, repasse au-delà de ce même point, en vertu de la vîtesse qu'il a acquise pour y revenir ensuite, & ainsi de suite, de maniere que sans la résistance de l'air & les frottemens, ces vibrations, ou ces allées & venues alternatives dureroient toujours.

Les vibrations d'une corde tendue, ou d'un ressort, viennent de son élasticité. Les vibrations de la même corde également tendue, quoique d'une longueur inégale, sont isochrones, c'est-à-dire se font en des tems égaux, & les quarrés des tems des vibrations, sont entr'eux en raison inverse des puissances par lesquelles elles sont également tendues. Voyez CORDE, ELASTICITE, &c.

Les vibrations d'un ressort, sont aussi proportionnelles aux puissances par lesquelles il est bandé ; elles suivent les mêmes loix que celles de la corde & du pendule, & par conséquent sont isochrones. Voyez RESSORT.

VIBRATION, est aussi employé en physique, &c. pour exprimer différens autres mouvemens réguliers & alternatifs. On suppose que les sensations se font par le moyen du mouvement de vibration des nerfs, qui part des objets extérieurs, & est continué jusqu'au cerveau. Voyez SENSATION, VISION, NERF, &c. M. Newton suppose que les différens rayons de lumiere font des vibrations de différentes vîtesses, qui excitent les sensations des différentes couleurs, à-peu-près de la même maniere que les vibrations de l'air excitent les sensations de différens sons, à proportion de leurs vîtesses. Voyez COULEUR, SON, &c.

Suivant le même auteur, la chaleur n'est qu'un accident de la lumiere, occasionné par les rayons qui excitent un mouvement de vibration dans un milieu subtil & éthéré, dont tous les corps sont pénétrés. Voyez MILIEU & CHALEUR.

Au moyen des vibrations de ce même milieu, M. Newton explique les accès alternatifs de facile réflexion & de facile transmission des rayons. Voyez LUMIERE, RAYON, REFLEXION, &c.

On a observé dans les Transactions philosophiques, que le papillon dans lequel le ver-à-soie est transformé, fait 130 vibrations ou mouvemens de ses aîles, dans l'accouplement. Chambers.


VIBRATO(Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure. Elle sort des environs d'Ascoli, & se jette dans le golfe de Venise. (D.J.)


VIC(Géog. mod.) ville d'Espagne, en Catalogne, sur une petite riviere qui se rend dans le Ter, dans une plaine fertile, à 10 lieues au nord-est de Barcelone, à 14 au couchant de Girone, & à 110 au nord-est de Madrid. Cette ville est l'Ausonia des anciens, & elle étoit autrefois la capitale des Ausétains ; mais elle fut ruinée au ix. siecle ; elle s'est rétablie depuis, & a été décorée d'un évêché qui vaut six mille ducats de revenu. Long. 19. 52. latit. 41. 50. (D.J.)

VIC-DE-BIGORRE, (Géog mod.) ou simplement Vic, petite ville de France, dans la Gascogne, au diocèse de Tarbes, recette du comté de Bigorre, à trois lieues au nord de Tarbes, sur le ruisseau de Sèches. C'étoit autrefois la résidence des comtes de Bigorre. (D.J.)

VIC EN CARLADES ou VIC-SUR-LA-CERE, (Géog. mod.) bourg de France, en Auvergne sur la Cére, & le chef-lieu du comté de Carladès. Ce bourg est considérable, & fréquenté pour les eaux minérales de sa fontaine, qu'on y va boire au mois de Septembre.

Cette fontaine minérale est au pié du Cantal, & à la tête d'une prairie. On la nomme dans le pays la Font-Salade, c'est-à-dire la fontaine salée. En effet ses eaux contiennent beaucoup de sel ; car une pinte d'eau minérale de Vic produit deux dragmes d'un sel nitreux alkali & fixe. Comme il s'amasse beaucoup de rouille au fond des cuves de pierre, où l'on met de cette eau, il faut qu'elle contienne en même tems des parties ferrugineuses, qui demeurent mêlées avec ce sel, de même qu'elle demeure avec le sel de tartre calciné, & elles ne se séparent qu'après que l'eau a long-tems séjourné dans des cuves de pierre. (D.J.)

VIC-LE-COMTE, (Géog. mod.) petite ville de France, dans la basse-Auvergne, au nord de Clermont, & près d'Issoire.

Le nom de Vic-le-comte, Vicus comitis, en latin barbare, a été donné à cette petite ville, parce que les derniers comtes d'Auvergne y eurent leur résidence, après avoir été réduits dans des bornes fort étroites par la confiscation que Philippe Auguste fit des biens du comte Gui, dont le fils Guillaume n'obtint qu'une fort petite portion. Louis XIV. céda Vic-le-comte avec la baronie de la Tour, aux ducs de Bouillon pour une partie de la récompense de la principauté de Sedan. Long. 20. 55. latit. 45. 32.

Vic-le-comte est connu des médecins françois par les fontaines minérales, qui sont à demi-lieue de cette ville, sur le bord de l'Allier. La plus fréquentée de ces fontaines s'appelle la fontaine du Cornet ; l'eau en est un peu tiede, limpide, presque sans odeur, d'un aigre pâteux, & un peu vineux ; elle fait avec la noix de galle une teinture de rouge fort brun, & un rouge un peu violet avec la teinture de tournesol. La fontaine dite de la roche est froide, plus forte que celle du Cornet, & casse les bouteilles dans le transport ; elle a encore le desavantage d'être souvent inondée par les eaux de la riviere. Les eaux de la fontaine de Sainte-Marguerite sont froides, & plus agréables à boire que celles du Cornet. La quatrieme fontaine est une source chaude qui sort sous un gravier par petits bouillons. Toutes ces quatre sources n'ont point encore été examinées ni analysées avec un peu de soin. (D.J.)

VIC-FEZENSAC, (Géog. mod.) en latin Fidentiae, petite ville de France, dans le bas-Armagnac, sur la Douze, ou diocèse d'Auch, avec une collégiale. (D.J.)


VICAIRES. m. (Gram. Hist. & Jurisprud.) vicarius, est celui qui fait les fonctions d'un autre, qui alterius vices gerit.

Ce titre fut d'abord usité chez les Romains ; on le donnoit aux lieutenans du préfet du prétoire, comme on le dira ci-après.

On donna depuis dans les Gaules ce titre aux lieutenans des comtes & à plusieurs sortes d'officiers qui faisoient les fonctions d'un autre, ainsi qu'on va l'expliquer dans les subdivisions suivantes.

VICAIRES des abbés, sont ceux que les abbés titulaires ou commen dataires commettent pour les aider & suppléer dans leurs fonctions, à l'exemple des vicaires généraux des évêques.

L'ordonnance d'Orléans, art. 5, porte que les abbés & curés qui tiennent plusieurs bénéfices par dispense, ou résident en l'un de leurs bénéfices requérant résidence & service actuel, seront excusés de la résidence en leurs autres bénéfices, à la charge toutefois qu'ils commettront vicaires, personnes de suffisance, bonne vie & moeurs, à chacun desquels ils assigneront telle portion du revenu du bénéfice qui puisse suffire pour son entretenement ; autrement cette ordonnance enjoint à l'archevêque ou évêque diocésain d'y pourvoir, & aux juges royaux d'y tenir la main.

Ce n'est pas seulement dans le cas d'absence & de non-résidence que les abbés ont des vicaires, ils en ont aussi pour les aider dans leurs fonctions. Voyez ABBE.

VICAIRE amovible, est celui qui est révocable ad nutum, à la différence des vicaires perpétuels ; tels sont les vicaires des curés & ceux des évêques ; on les appelle aussi quelquefois par cette raison vicaires temporels, parce qu'ils ne sont que pour autant de tems qu'il plait à celui qui les a commis. Voyez VICAIRE PERPETUEL & VICAIRE TEMPOREL.

VICAIRES APOSTOLIQUES, sont des vicaires du saint siege, qui font les fonctions du pape dans les églises ou provinces éloignées, que le saint pere a commis à leur direction. L'établissement de ces sortes de vicaires est fort ancien.

Avant l'institution de ces vicaires, les papes envoyoient quelquefois des légats dans les provinces éloignées pour voir ce qui s'y passoit contre la discipline ecclésiastique, & pour leur en faire leur rapport ; mais le pouvoir de ces légats étoit fort borné ; l'autorité des légations qu'on appella vicariats apostoliques, étoit plus étendue.

L'évêque de Thessalonique, en qualité de vicaire ou de légat du saint siege, gouvernoit onze provinces ; il confirmoit les métropolitains, assembloit les conciles, & décidoit toutes les affaires difficiles.

Le ressort de ce vicariat fut beaucoup restraint lorsque l'empereur Justinien eut obtenu du pape Vigile un vicariat du saint siege en faveur de l'évêque d'Acride, ville à laquelle il fit porter son nom ; ce vicariat fut entierement supprimé lorsque Léon l'isaurien eut soumis toute l'Illyrie au patriarche d'Antioche.

Le pape Symmaque accorda de même à S. Césaire, archevêque d'Arles, la qualité de vicaire & l'autorité de la légation sur toutes les Gaules.

Cinquante ans après le pape Vigile donna le même pouvoir à Auxanius & à Aurélien, tous deux archevêques d'Arles.

Pelage I. le continua à Sabandus.

S. Grégoire le grand le donna de même à Virgile, évêque d'Arles, sur tous les états du roi Childebert, & spécialement le droit de donner des lettres aux évêques qui auroient un voyage à faire hors de leur pays, de juger des causes difficiles, avec douze évêques, & de convoquer les évêques de son vicariat.

Les archevêques de Rheims prétendent que S. Remi a été établi vicaire apostolique sur tous les états de Clovis ; mais ils ne sont point en possession d'exercer cette fonction.

Les légats du pape, quelque pouvoir qu'ils aient reçu de lui, ne sont toujours regardés en France que comme des vicaires du pape, qui ne peuvent rien décider sur certaines affaires importantes, sans un pouvoir spécial exprimé dans les bulles de leur légation. Voyez LEGAT.

Le pape donne le titre de vicaire apostolique aux évêques qu'il envoie dans les missions orientales, tels que les évêques françois qui sont présentement dans les royaumes de Tunquin, de la Cochinchine, Siam & autres. Voyez MISSIONS. Voyez Fevret & d'Héricourt.

VICAIRE ou CHAMPION, étoit celui qui substituoit quelqu'un & se battoit pour lui en duel, ou pour subir à sa place quelqu'autre épreuve du nombre de celles qu'on appelloit purgation vulgaire, telles que celles de l'eau froide ou de l'eau bouillante, du feu, du fer ardent, de la croix, de l'eucharistie, &c. Hincmar, archevêque de Reims, parlant du divorce de Lothaire, roi de Lorraine, avec Thietberge, dit qu'à défaut de preuve, le vicaire de la reine se présenta pour subir l'épreuve de l'eau bouillante dont il sortit sans aucun mal. Voyez DUEL, CHAMPION, COMBAT, CHAMP CLOS, EPREUVE, PURGATION VULGAIRE.

CHANOINES-VICAIRES, sont des semi-prébendés ou des bénéficiers institués dans certaines églises cathédrales pour chanter les grandes messes & autres offices : ce qui leur a fait donner le nom de chanoines-vicaires, parce qu'ils faisoient en cela les fonctions des chanoines. Voyez le gloss. de du Cange au mot vicarius, à l'article vicarii dicti beneficiarii, &c.

VICAIRE DU COMTE ou VICOMTE, est celui qui fait la fonction du comte. Sous la premiere & la seconde race de nos rois, on donnoit le titre de vicaire en général à tous ceux qui rendoient la justice au lieu & place, soit d'un comte ou de quelqu'autre juge. Il y avoit des vicaires dans chaque canton. Les vicaires des comtes ne jugeoient que les affaires légeres ; la connoissance de celles qui étoient plus importantes, & des causes criminelles étoit réservée au comte : ce qui donne lieu de croire que la moyenne & basse justice appellées quelquefois viaria ont tiré de ces officiers leur nom & leur origine.

Ils sont appellés en quelques endroits missi dominici, par rapport aux comtes qui les députoient dans les différens cantons de leurs gouvernemens ; & en conséquence ils étoient obligés de se trouver avec eux aux plaids généraux des comtes.

Ils étoient aussi chargés du soin de lever les tributs chacun dans leurs districts, comme ont fait depuis les maires des villes qui paroissent descendre de ces vicaires.

Il est fait mention de ces vicaires dans la loi des Visigoths, dans la loi salique, la loi des Lombards, dans les capitulaires, les formules de Marculphe.

Ces vicaires des comtes sont les mêmes qu'on appelle ailleurs vicomtes, & en quelques endroits viguiers. Voyez VICOMTE, VIGUIER.

VICAIRES DES CURES, sont des prêtres destinés à soulager les curés dans leurs fonctions, & à les suppléer en cas d'absence, maladie ou autre empêchement.

La premiere institution de ces sortes de vicaires, est presque aussi ancienne que celle des curés.

L'histoire des vj. & vij. siecles de l'église, nous apprend que quand les évêques appelloient auprès d'eux dans la ville épiscopale les curés de la campagne distingués par leur mérite, pour en composer le clergé de leur cathédrale ; en ce cas les curés commettoient eux-mêmes des vicaires à ces paroisses dont ils étoient absens, & cet usage étoit autorisé par les conciles.

Le second canon du concile de Mende, tenu vers le milieu du vij. siecle, en a une disposition précise.

Le concile de Latran en 1215, canon 32, dit en parlant d'un curé ainsi appellé dans l'église cathédrale : idoneum studeat habere vicarium canonicè institutum.

Les différentes causes pour lesquelles on peut établir des vicaires dans les paroisses, sont. 1°. Quand le curé est absent, l'évêque en ce cas est autorisé par le droit des decrétales à commettre un vicaire. L'ordonnance d'Orléans confirme cette disposition. 2°. Quand le curé n'est pas en état de la desservir, soit à cause de quelque infirmité ou de son in suffisance, le concile de Trente autorise l'évêque à commettre un vicaire. 3°. Quand la paroisse est de si grande étendue & tellement peuplée, qu'un seul prêtre ne suffit pas pour l'administration des sacremens & du service divin ; le même concile de Trente autorise l'évêque à établir dans ces paroisses le nombre de prêtres qui sera nécessaire.

C'est aux évêques qu'il appartient d'instituer de nouveaux vicaires dans les lieux où il n'y en a pas ; ils peuvent en établir un ou plusieurs, selon l'étendue de la paroisse & le nombre des habitans.

Pour ce qui est des places de vicaires déja établies, lorsqu'il y en a une vacante, c'est au curé à se choisir un vicaire entre les prêtres approuvés par l'évêque, & à l'évêque à lui donner les pouvoirs nécessaires pour prêcher, confesser ; il peut les limiter pour le tems & le lieu, & les lui retirer lorsqu'il le juge àpropos. Le curé peut aussi renvoyer un vicaire qui ne lui convient pas.

La portion congrue des vicaires, est de 150 livres lorsqu'ils ne sont pas fondés.

Les vicaires avoient autrefois dans certaines coutumes le pouvoir de recevoir les testamens, concurremment avec les curés ; mais ce pouvoir leur a été ôté par la nouvelle ordonnance des testamens.

Voyez le concile de Narbonne en 1531, Rheims en 1564, le concile de Trente, l'ordonnance d'Orléans, art. 5. la coutume de Paris, art. 290. Van-Espen, Boich, Fagnan, Gerson, Catelan.

VICAIRES DES ELECTEURS. Voyez ci-après à la fin de l'article des vicaires de l'empire.

VICAIRES DE L'EMPIRE, sont des princes qui représentent l'empereur d'Allemagne, & qui exercent ses fonctions en cas d'absence ou autres empêchemens, ou après sa mort en cas d'interregne.

Anciennement les empereurs & les rois des Romains nommoient ces vicaires dont la fonction n'étoit qu'à vie, & quelquefois même limitée à un certain tems & à une certaine étendue de pays.

Mais par succession de tems, cette dignité & fonction sont devenues héréditaires.

La fonction des vicaires de l'empire n'a lieu que quand il n'y a pas de roi des Romains ; en effet le roi des Romains, lorsqu'il y en a un, est le vicaire général & perpétuel de l'empire.

Il y a trois autres princes, qui au défaut du roi des Romains, exercent les fonctions de vicaire de l'empire, savoir l'électeur Palatin & l'électeur de Baviere, & l'électeur de Saxe ; mais les deux premiers n'ont entr'eux deux qu'un même vicariat qu'ils sont convenus d'exercer alternativement.

Le vicariat de Baviere ou du Palatin s'étend dans la Souabe, la Franconie, la Baviere & tous les pays où passe le Rhin, & dans les provinces d'Italie & autres qui sont soumises à l'empire.

Le vicariat de Saxe comprend les provinces où le droit saxon est observé ; les duchés de Brunswick & de Lunebourg, de Poméranie, de Meckelbourg & de Brême, & tous les autres pays situés dans les cercles de la haute & basse-Saxe, quoique le droit commun y soit en usage.

Les vicaires de l'empire exercent leur pouvoir chacun séparément dans les provinces de leur district, si ce n'est dans la chambre impériale de Wetzlar où l'on met dans les actes les noms des deux vicaires ensemble, à cause que la justice y est administrée au nom de tous les états de l'empire.

Les vicaires de l'empire font la fonction des anciens comtes palatins qui administroient la justice dans l'empire au nom de l'empereur ; savoir le comte palatin du Rhin, & le comte palatin de Saxe.

Leurs principales fonctions consistent à nommer aux bénéfices, dont la nomination appartient à l'empereur, présenter aux chapitres des églises cathédrales ou collégiales, & aux abbayes, des personnes capables pour remplir la premiere chanoinerie ou dignité vacante, ce que l'on appelle en Allemagne droit de premieres prieres, & qui revient à-peu-près à ce qu'on appelle en France, droit de joyeux avénement.

Ce sont eux aussi qui administrent les revenus de l'empire, & qui en disposent pour les affaires publiques, ils reçoivent les fois & hommages des vassaux de l'empire, donnent l'investiture des fiefs, excepté des principautés & autres grands états dont l'investiture est réservée à l'empereur seul, lequel à son avénement confirme tout ce que les vicaires ont fait pendant l'interregne : néanmoins ceux qui ont fait la foi & hommage à un des vicaires de l'empire, sont obligés de la renouveller à l'empereur.

Le roi de Bohème, l'électeur de Baviere, ceux de Saxe, de Brandebourg & le comte Palatin, ont aussi chacun des vicaires nés héréditaires pour les grandes charges de la couronne impériale, qui sont attachées à leur électorat. Ces vicaires font les fonctions en la place de ceux qu'ils représentent à l'exclusion de leurs ambassadeurs ; ils sont investis de ces vicairies par l'empereur. Voyez Heiss hist. de l'empire, Ducange, gloss. lat. la Martiniere.

VICAIRE DE L'ÉVEQUE, est celui qui exerce sa jurisdiction ; les évêques en ont de deux sortes, les uns pour la jurisdiction volontaire qu'on appelle vicaires généraux ou grands vicaires, & quelquefois aussi des vicaires forains ; les autres pour la jurisdiction contentieuse, qu'on appelle official. Voyez VICAIRE FORAIN, GRAND VICAIRE, OFFICIAL.

VICAIRE FERMIER, étoit celui auquel un curé ou autre bénéficier à charge d'ames, donnoit à ferme un bénéfice qu'il ne pouvoit conserver, & que néanmoins il retenoit sous le nom de ce fermier. Dans le concile qui fut convoqué à Londres par Otton, cardinal légat en 1237, les 1e, 8e, 9e & 10e decret, eurent pour objet de réprimer deux sortes de fraudes que l'on avoit inventées pour garder ensemble deux bénéfices à charge d'ames. Celui qui étoit pourvu d'une cure comme personne, c'est-à-dire, curé en titre, en prenoit encore une comme vicaire, de concert avec la personne à qui il donnoit une modique rétribution ; ou bien il prenoit à ferme perpétuelle à vil prix le revenu de la cure. Ces abus étoient devenus si communs, qu'on n'osa les condamner absolument ; on se contenta de donner à ferme les doyennés, les archidiaconés & autres dignités semblables, les revenus de la jurisdiction spirituelle & de l'administration des sacremens. Quant aux vicaireries, on défendit d'en admettre personne qui ne fût prêtre ou en état de l'être aux premiers quatre-tems. Voyez le chap. ne clerici vel monachi vices suas, &c. qui est un canon du concile de Tours. Le canon proecipimus 21. quaest. 2.

VICAIRE FORAIN, est un vicaire d'un évêque ou autre prélat, qui n'a de pouvoir que pour gouverner au dehors du chef-lieu, & quelquefois dans une partie seulement du territoire soumis à la jurisdiction du prélat, comme le grand vicaire de Pontoise, qui est un vicaire forain de l'archevêque de Rouen. Voyez VICAIRE GENERAL.

On entend aussi quelquefois par vicaire forain, le doyen rural, parce qu'il est en cette partie le vicaire de l'évêque pour un certain canton. Voyez DOYEN RURAL.

Grand-VICAIRE ou VICAIRE GENERAL, est celui qui fait les fonctions d'un évêque ou autre prélat.

Les grands-vicaires ou vicaires généraux des évêques, sont des prêtres qu'ils établissent pour exercer en leur nom leur jurisdiction volontaire, & pour les soulager dans cette partie des fonctions de l'épiscopat.

Il est parlé dans le sexte des vicaires généraux de l'évêque, sous le titre de officio vicarii. Boniface VIII. les confond avec les officiaux, comme on fait encore dans plusieurs pays : aussi suppose-t-on dans le sexte que la jurisdiction volontaire & la contentieuse sont réunies en la personne du vicaire général de l'évêque.

Mais en France, les évêques sont dans l'usage de confier leur jurisdiction contentieuse à des officiaux, & la volontaire à des grands-vicaires.

Quand la commission du grand-vicaire s'étend sur tout le diocèse sans restriction, on l'appelle vicaire général ; mais quand il n'a reçu de pouvoir que pour gouverner certaines parties du diocèse, on l'appelle vicaire général forain.

L'évêque n'est pas obligé de nommer des grands-vicaires, si ce n'est en cas d'absence hors de son évêché, ou en cas de maladie ou autre empêchement légitime, ou bien à cause de l'éloignement de la ville épiscopale ; & enfin s'il y a diversité d'idiômes dans différentes parties de leur diocèse.

La commission de grand-vicaire, doit être par écrit, signée de l'évêque & de deux témoins, & insinuée au greffe des insinuations ecclésiastiques du diocèse, à peine de nullité des actes que feroit le grand-vicaire.

Pour être grand-vicaire, il faut être prêtre, gradué, naturel françois ou naturalisé.

Les réguliers peuvent être grands-vicaires, pourvu que ce soit du consentement de leur supérieur.

L'ordonnance de Blois défend à tous officiers des cours souveraines & autres tribunaux, d'exercer la fonction de grand-vicaire.

Il y a néanmoins un cas où l'évêque peut, & même doit nommer pour son grand-vicaire, ad hoc, un conseiller clerc du parlement ; savoir, lorsqu'on y fait le procès à un ecclésiastique, afin que ce vicaire procéde à l'instruction, conjointement avec le conseiller laïc qui en est chargé.

L'évêque ne peut établir de grand-vicaire, qu'après avoir obtenu ses bulles, & avoir pris possession ; mais il n'est pas nécessaire qu'il soit déjà sacré.

Il est libre à l'évêque d'établir un ou plusieurs grands-vicaires. Quelques-uns en ont quatre & même plus. L'Archevêque de Lyon en a jusqu'à douze.

Les grands-vicaires ont tous concurremment l'exercice de la jurisdiction volontaire, comme délégués de l'évêque ; il y a cependant certaines affaires importantes qu'ils ne peuvent décider, sans l'autorité de l'évêque ; telles que la collation des bénéfices dont ils ne peuvent disposer, à moins que leurs lettres n'en contiennent un pouvoir spécial.

L'évêque peut limiter le pouvoir de ses grands-vicaires, & leur interdire la connoissance de certaines affaires pour lesquelles ils seroient naturellement compétens.

Le grand vicaire ne peut pas déléguer quelqu'un pour exercer sa place.

On ne peut pas appeller du grand vicaire à l'évêque, parce que c'est la même jurisdiction ; mais si le grand-vicaire excede son pouvoir ou en a abusé, l'évêque peut le désavouer : par exemple, si le grand-vicaire a conféré un bénéfice à une personne indigne, l'évêque peut le conférer à un autre dans les six mois.

Il est libre à l'évêque de révoquer son grand-vicaire quand il le juge à propos, & sans qu'il soit obligé de rendre aucune raison ; il faut seulement que la révocation soit par écrit & insinuée au greffe du diocèse, jusques-là les actes faits par le grand-vicaire sont valables à l'égard de ceux qui les obtiennent ; mais le grand-vicaire doit s'abstenir de toute fonction, dès que la révocation lui est connue.

La jurisdiction du grand-vicaire finit aussi par la mort de l'évêque, ou lorsque l'évêque est transféré d'un siege à un autre, ou lorsqu'il a donné sa démission entre les mains du pape.

S'il survient une excommunication, suspense ou interdit contre l'évêque, les pouvoirs du grand-vicaire sont suspendus jusqu'à ce que la censure soit levée. Voyez les mémoires du clergé, la bibliotheque canonique, les définitions canoniques, d'Héricourt, Fuet, la Combe.

VICAIRE, haut-, est un titre que l'on donne vulgairement aux ecclésiastiques qui desservent en qualité de vicaires perpétuels les canonicats que certaines églises possédent dans une cathédrale, comme à Notre-Dame de Paris, où il y a six de ces vicaires perpétuels, ou hauts-vicaires.

VICAIRE HEREDITAIRE ; il y a des vicaires séculiers en titre d'office qui sont héréditaires, tels que les vicaires de l'empire. Voyez ci-devant VICAIRES DE L'EMPIRE.

VICAIRE ou HOMME VIVANT ET MOURANT ; quelques coutumes qualifient l'homme vivant & mourant de vicaire, parce qu'en effet il représente la personne du vassal. Voyez FIEF, FOI, HOMMAGE, HOMME VIVANT ET MOURANT.

VICAIRE DE JESUS-CHRIST, c'est le titre que prend le pape, comme successeur de saint Pierre. Voyez PAPE.

VICAIRE LOCAL, est un grand vicaire de l'évêque, dont le pouvoir n'est pas général pour tout le diocèse, mais borné à une partie seulement. Voyez VICAIRE FORAIN.

On peut aussi donner la qualité de vicaire local au vicaire d'un curé, lorsque ce vicaire n'est attaché par ses fonctions qu'à une portion de la paroisse. Voyez VICAIRE AMOVIBLE.

VICAIRE NE, est celui qui jouit de cette qualité, comme étant attachée à quelque dignité dont il est revêtu ; tels sont les vicaires de l'Empire, tels sont aussi les prieurs de saint-Denis en France & de saint Germain-des-prés à Paris, lesquels sont grands-vicaires nés de l'archevêque de Paris, en vertu de transactions homologuées au parlement l'un pour la ville de Saint-Denis, l'autre pour le fauxbourg de Saint-Germain de la ville de Paris ; l'archevêque ne peut les revoquer, tant qu'ils ont la qualité de prieur de ces deux abbayes. Loix ecclésiastiques de d'Héricourt. (A)

VICAIRE PERPETUEL, c'est celui dont la fonction n'est point limitée à un certain tems, mais doit durer toute sa vie ; tels sont les vicaires de l'empire, les vicaires nés de certains prélats, les ecclésiastiques qui desservent un canonicat pour quelque abbaye, ou autres églises, dans une cathédrale.

On donne aussi le titre de vicaire perpétuel aux curés qui ont au-dessus d'eux quelqu'un qui a le titre & les droits de curé primitif.

L'établissement des vicaires perpétuels des curés primitifs est fort ancien ; les loix de l'église & de l'état l'ont souvent confirmé.

Avant le concile de Latran, qui fut tenu sous Alexandre III. les moines auxquels on avoit abandonné la régie de la plûpart des paroisses cesserent de les desservir en personne, s'efforçant d'y mettre des prêtres à gage.

A leur exemple les autres curés titulaires donnerent leurs cures à ferme à des chapelains ou vicaires amovibles, comme si c'eussent été des biens profanes, à la charge de certaines prestations & coutumes annuelles, & de prendre d'eux tous les ans une nouvelle institution.

Ces especes de vicariats amovibles furent défendus par le second concile d'Aix, sous Louis le Débonnaire, par le concile romain, sous Grégoire VII. par celui de Tours, sous Alexandre III. par celui de Latran, sous Innocent III. & par plusieurs autres papes & conciles, qui ordonnent que les vicaires choisis pour gouverner les paroisses soient perpétuels, & ne puissent être institués & destitués que par l'évêque ; ce qui s'entend des vicaires qui sont nommés aux cures dans lesquelles il n'y a point d'autres curés qu'un curé primitif, qui ne dessert point lui-même sa cure.

Le concile de Trente, sess. vij. ch. vij. laisse à la prudence des évêques de nommer des vicaires perpétuels, ou des vicaires amovibles dans les paroisses unies aux chapitres ou monasteres ; il leur laisse aussi le soin de fixer la portion congrue de ces vicaires.

L'article 24 du réglement des réguliers veut que toutes communautés régulieres exemptes, qui possédent des cures, comme curés primitifs, soient tenus d'y souffrir des vicaires perpétuels, lesquels seront établis en titre par les évêques, auxquels vicaires il est dit qu'il sera assigné une portion congrue, telle que la qualité du bénéfice & le nombre du peuple le requerra.

Les ordonnances de nos rois sont aussi formelles pour l'établissement des vicaires perpétuels, notamment les déclarations du mois de Janvier 1686, celle de Juillet 1690, & l'art. 24 de l'édit du mois d'Avril 1695.

Les vicaires perpétuels peuvent prendre en tous actes la qualité du curé, si ce n'est vis-à-vis du curé primitif.

La nomination des vicaires amovibles, chapelains, & autres prêtres appartient au vicaire perpétuel, & non au curé primitif.

La portion congrue des vicaires perpétuels est de 300 livres. Voyez les mémoires du clergé, le journal des audiences, tome IV. l. IV. c. xv. Duperray, d'Héricourt, & le mot CURE PRIMITIF.

VICAIRE DU PREFET DU PRETOIRE ; c'étoit le lieutenant d'un des préfets du prétoire, qui étoit commis pour quelque province en particulier : il tiroit son autorité de l'empereur directement, auquel il adressoit directement ses avis ; sa jurisdiction ne différoit de celle du préfet qu'en ce que celui-ci avoit plus de provinces soumises à sa jurisdiction. Les Romains avoient de ces vicaires dans presque toutes les provinces par eux conquises, dans les Gaules, en Espagne, en Afrique, & dans l'Orient. Voyez la jurisprud. françoise de Helo, & les mots PREFET, PRETOIRE.

VICAIRE PROVINCIAL ou LOCAL, est le vicaire d'un évêque ou autre prélat, qui n'est commis par lui que pour un certain canton.

Les curés peuvent aussi avoir des vicaires locaux. Voyez ci-devant VICAIRE LOCAL.

VICAIRE DU SAINT SIEGE, est la même chose que vicaire apostolique. Voyez LEGAT & VICAIRE APOSTOLIQUE.

VICAIRE ou SECONDAIRE ; c'est un second prêtre destiné à soulager le curé dans ses fonctions. Voyez VICAIRE AMOVIBLE, VICAIRE DES CURES.

SOUS-VICAIRE, est un prêtre établi par les curés sous le vicaire, pour l'aider lui & son vicaire dans ses fonctions curiales. Un curé peut avoir plusieurs sous-vicaires.

VICAIRE TEMPOREL, est celui qui est nommé pour un tems seulement. Voyez VICAIRE AMOVIBLE.

YPO-VICAIRE, est la même chose que sous-vicaire. Voyez Fevret & l'article sous-VICAIRE. (A)


VICAPOTAS. f. (Mythol.) déesse de la victoire. Ce mot est composé de vinco, je vaincs, & de pote, puissance.


VICES. m. (Droit naturel, Morale, &c.) c'est tout ce qui est contraire aux loix naturelles, & aux devoirs.

Comme le fondement de l'erreur consiste dans de fausses mesures de probabilité, le fondement du vice consiste dans les fausses mesures du bien ; & comme ce bien est plus ou moins grand, les vices sont plus ou moins blâmables. Il en est qui peuvent être pour ainsi dire compensés, ou du-moins cachés sous l'éclat de grandes & brillantes qualités. On rapporte qu'Henri IV. demanda un jour à un ambassadeur d'Espagne, quelle maîtresse avoit le roi son maître ? L'ambassadeur lui répondit d'un ton pédant, que son maître étoit un prince qui craignoit Dieu, & qui n'avoit d'autre maîtresse que la reine. Henri IV. qui sentit ce reproche, lui répartit avec un air de mépris, si son maître n'avoit pas assez de vertus pour couvrir un vice.

Les vices qui peuvent être ainsi cachés ou couverts, doivent provenir plus du tempérament & du caractere naturel que du moral ; ils doivent être en même tems des écarts accidentels, des passions, des surprises de l'homme. Lorsqu'ils arrivent rarement, & qu'ils passent vîte, ils peuvent être cachés, comme des taches dans le soleil, mais ils n'en sont pas moins des taches. Si on ne les corrige, ils cessent d'être taches, ils répandent une ombre générale, & obscurcissent la lumiere qui les absorboit auparavant.

Voyez dans Racine comme Hippolyte répond à son gouverneur, acte I. scène j. c'est un morceau qu'on ne se lasse pas d'admirer. Il dit à Théramene que son ame s'échauffoit au récit des nobles exploits de son pere quand il lui en faisoit l'histoire ; mais, continue-t-il, quand tu me parlois de faits moins glorieux.

Ariane aux rochers contant ses injustices,

Phédre enlevée enfin sous de meilleurs auspices ;

Tu sais comme à regret, écoutant ce discours,

Je te pressois souvent d'en abréger le cours ;

Heureux si j'avois pu ravir à la mémoire

Cette indigne moitié d'une si belle histoire.

Et moi-même à mon tour je me verrois lié ?

Et les dieux jusques-là m'auroient humilié ?

Dans mes lâches soupirs d'autant plus méprisable,

Qu'un long amas d'honneurs rend Thésée excusable,

Qu'aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui,

Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui.

Les défauts qu'on trouve dans la vie des grands hommes, sont comme ces petites taches de rousseur qui se rencontrent quelquefois sur un beau visage, elles ne le rendent pas laid, mais elle l'empêchent d'être d'une beauté parfaite : si cela est, que doit-on penser de ces gens qui sont tous couverts de taches vicieuses ; j'aurois cent choses à dire là-dessus, d'après les moralistes, mais je me contenterai de rapporter une seule réflexion de Montagne, homme du monde, & qu'on peut croire en ces matieres. Cette réflexion est dans le l. III. c. ij. de ses essais.

" Il n'est vice, dit-il, véritablement vice qui n'offense, & qu'un jugement entier n'accuse : car il a de la laideur, & incommodité si apparente, qu'à l'avanture, ceux-là ont raison, qui disent qu'il est principalement produit par bestile ignorance, tant est-il mal-aise d'imaginer, qu'on le cognoisse sans le hayr. La malice hume la plûpart de son propre venin, & s'en empoisonne. Le vice laisse comme un ulcere en la chair, une répentance en l'ame, qui toujours s'esgratigne, & s'ensanglante elle-même. " (D.J.)

L'usage a mis de la différence entre un défaut & un vice ; tout vice est défaut, mais tout défaut n'est pas vice. On suppose à l'homme qui a un vice, une liberté qui le rend coupable à nos yeux ; le défaut tombe communément sur le compte de la nature ; on excuse l'homme, on accuse la nature. Lorsque la philosophie discute ces distinctions avec une exactitude bien scrupuleuse, elle les trouve souvent vuides de sens. Un homme est-il plus maître d'être pusillanime, voluptueux, colere en un mot, que louche, bossu ou boiteux ? Plus on accorde à l'organisation, à l'éducation, aux moeurs nationales, au climat, aux circonstances qui ont disposé de notre vie, depuis l'instant où nous sommes tombés du sein de la nature, jusqu'à celui où nous existons, moins on est vain des bonnes qualités qu'on possede, & qu'on se doit si peu à soi-même, plus on est indulgent pour les défauts & les vices des autres ; plus on est circonspect dans l'emploi des mots vicieux & vertueux, qu'on ne prononce jamais sans amour ou sans haine, plus on a de penchant à leur substituer ceux de malheureusement & d'heureusement nés, qu'un sentiment de commisération accompagne toujours. Vous avez pitié d'un aveugle ; & qu'est-ce qu'un méchant, sinon un homme qui a la vue courte, & qui ne voit pas au delà du moment où il agit ?

VICE, (Hist. mod.) est un terme qui entre dans la composition de plusieurs mots, pour marquer le rapport de quelque chose ou de quelque personne qui en remplace une autre.

En ce sens, vice est un mot originairement latin, dérivé de vices que les Romains joignoient avec le verbe gerere, pour exprimer agir au lieu ou à la place d'un autre.

VICE-AMIRAL, est en Angleterre un des trois principaux officiers des armées navales du roi, lequel commande la seconde escadre, & qui arbore son pavillon sur le devant de son vaisseau, qui porte aussi le nom de vice-amiral. Nous avons en France deux vice-amiraux, l'un du ponant, & l'autre du levant ; le premier commande sur l'Océan, & l'autre sur la Méditerranée. Ils sont supérieurs à tous les autres officiers généraux de la marine, & subordonnés à l'amiral. Voyez AMIRAL & ARMEE NAVALE.

VICE-CHAMBELLAN, nommé aussi sous-chambellan dans les anciennes ordonnances, est un officier de la cour immédiatement au-dessous du lord chambellan, en l'absence duquel il commande aux officiers de la partie de la maison du roi qu'on appelle la chambre au premier. Voyez CHAMBELLAN.

VICE-CHANCELIER d'une université, est un membre distingué qu'on élit tous les ans pour gouverner les affaires en l'absence du chancelier, dans les universités d'Angleterre. On l'appelle dans celle de Paris sous-chancelier, & sa fonction est de donner le bonnet aux docteurs & aux maîtres-ès-arts, en l'absence du chancelier. V. CHANCELIER & UNIVERSITE.

VICE-CONSUL, (Com.) officier qui fait les fonctions de consul, mais sous les ordres de celui-ci, ou en son absence.

Il y a plusieurs échelles du levant, & quelques places maritimes de l'Europe, où la France & les autres nations n'entretiennent que des vice-consuls, ce qui dépend ordinairement du peu d'importance du lieu & du commerce qu'on y fait. Voyez CONSUL.

VICE-DOGE, est un conseiller ou sénateur, noble vénitien, qui représente le doge, lorsque celui-ci est malade ou absent ; & qu'on choisit afin que la république ne demeure jamais sans chef. Mais ce vice-doge n'occupe jamais le siege ducal, ne porte point la couronne, & n'est point traité de sérénissime. Cependant les ministres étrangers en haranguant le corps des sénateurs, donnent au vice-doge le titre de prince sérénissime. Il fait toutes les fonctions du doge, & répond aux ambassadeurs en demeurant couvert, comme le chef de la république. Voyez DOGE.

VICE-GERENT est un vicaire, un député, un lieutenant. Voyez ces termes à leur place. En France nous avons des vices-gérents dans les officialités : ce sont des ecclésiastiques choisis par l'évêque, pour tenir la place de l'official en cas d'absence ou de maladie. Voyez OFFICIAL.

VICE-LEGAT est un officier que le pape envoye à Avignon, ou dans quelqu'autre ville pour y faire la fonction de gouverneur spirituel & temporel, quand il n'y a point de légat ou de cardinal qui y commande. Toute la Gaule narbonnoise, comme le Dauphiné, la Provence, &c. a recours au vice-légat d'Avignon pour toutes les expéditions ecclésiastiques, de même maniere que les autres provinces de France s'adressent à Rome. Voyez LEGAT.

VICE-ROI est le gouverneur d'un royaume, qui y commande au nom du roi avec une autorité souveraine. Dans le tems que Naples & la Sicile étoient soumises à l'Espagne, elle y envoyoit des vice-rois. La cour de Vienne lorsqu'elle étoit en possession de ces pays, les gouvernoit aussi par des vice-rois. Le gouverneur général d'Irlande a le titre de vice-roi, & l'Espagne le donne aussi à ceux qui gouvernent en son nom le Mexique & le Pérou.

VICE-SEIGNEUR est un vicomte, un sherif, ou un vidame. Voyez ces mots.

VICE-SEIGNEUR d'une abbaye ou d'une église, en droit civil & canon, est un avocat ou advoué, c'est-à-dire un défenseur ou protecteur de l'abbaye ou de l'église. Voyez ADVOUE.

VICE-SEIGNEUR de l'évêque, en droit canon, est un commissaire ou vicaire général de l'évêque. Voyez COMMISSAIRE.


VICEGRAD(Géog. mod.) ou VISEGRAD ou VIZZEGRAD, autrement BLINDENBURG. Son nom latin est selon quelques uns, Vetus-Salina ; ville de la basse-Hongrie, sur la droite du Danube, à 3 milles au-dessus de Gran, entre cette ville & Bude, avec un château bâti sur le haut d'un rocher. Les Turcs la prirent en 1605, & le duc de Lorraine la leur enleva en 1684. Long. 36. 45. lat. 47. 32. (D.J.)


VICENCE(Géog. mod.) en italien Vicenza, en latin Vicetia, Vicentia, Vicenta, Vicentia civitas ; ville d'Italie dans l'état de Venise, capitale du Vicentin, sur le Bacciglione. Elle est située dans un terroir des plus fertiles, à 18 milles au nord-ouest de Padoue, à 30 au nord-est de Vérone, à 40 à l'est de Bresse, & à égale distance de Feltri.

Cette ville a 4 milles de circuit. On y compte 57 églises, dont 14 sont paroissiales, 17 desservies par des religieux, & 12 qui appartiennent à des monasteres de filles. Elle est arrosée des rivieres Bacciglione & Rerone, outre quelques ruisseaux qui apportent de grandes commodités aux habitans, pour faire tourner des moulins à papier, apprêter la soie, exprimer l'huile d'olive, & pour conduire les bateaux en différens endroits de la ville qui a doubles murailles.

Les plus remarquables des sept places de Vicence, sont celles des environs du palais public & du dôme. La maison-de-ville est un bel édifice par la hardiesse de l'architecture. La tour de son horloge est surprenante par sa hauteur. Les lieux de plaisance des environs de cette ville sont agréables par leur situation entre de petits vallons, où tout croît en abondance, & sur-tout la vigne qui porte le vin le plus estimé de tout l'état. Le couvent du mont Béric a une église qui dans sa petitesse passe pour une des plus riches d'Italie. Long. de Vicence 29. 10. lat. 45. 30.

Cette ville est une des plus anciennes de l'Europe, car il y avoit plus de 200 ans qu'elle avoit été bâtie quand les gaulois sénonois l'aggrandirent. Les Romains lui donnerent le droit de bourgeoisie romaine, de cité & de république, & elle s'est vue sous la protection de Brutus & de Cicéron. Elle perdit beaucoup de son lustre dans la décadence de l'empire, & elle a souffert depuis un grand nombre de révolutions. Les Lombards s'en rendirent les maîtres, & ensuite elle eut pendant quelque tems ses ducs & ses comtes. L'empereur Barberousse la réduisit à l'esclavage ; mais elle eut le bonheur de secouer le joug, de se joindre à Milan, & de conclure la ligue fameuse des villes de Lombardie. Fréderic II. désola cette ville, qui se vit obligée de se jetter entre les bras des Vénitiens. Maximilien la leur enleva en 1509, & 7 ans après elle fut rendue à la république qui l'a toujours possédée depuis.

Cette ville a produit trois hommes célebres, chacun dans leur genre ; Pacius, Palladino & Trissino.

Pacius (Jules), chevalier de S. Marc, philosophe & jurisconsulte, naquit à Vicence en 1550, & goûta de bonne heure les opinions des Protestans, en lisant leurs ouvrages par curiosité. On lui fit un crime de cette lecture, & on le menaça de la prison ; il en prit l'épouvante, se rendit en Allemagne, & de-là en Hongrie, où il enseigna le droit pour subsister. Pacius vint ensuite en France, & il y professa à Sédan, à Nismes, à Montpellier (où il eut pour disciple M. de Peiresc), à Aix, & à Valence. On lui offrit des chaires de droit à Leyde, à Pise & à Padoue. Il préféra cette derniere ville, mais par l'inconstance de son humeur il revint à Valence, où il mourut en 1635, à 85 ans. Le P. Niceron a fait son article dans les Mém. des homm. illust. tom. XXXIX. pag. 272. Pacius a publié divers ouvrages de droit qui sont estimés. Ses traductions de quelques oeuvres d'Aristote, ne le sont pas moins. On met au nombre de ses principaux ouvrages : 1°. Methodicorum ad Justinianeum codicem libri tres, & de contractibus libri sex. Lyon 1606. in-fol. 2°. Synopsis, seu oeconomia juris utriusque. Lyon 1616 in fol. & Strasbourg 1620 in fol. 3°. Corpus juris civilis. Genève 1580 in fol. 4°. De dominio maris Adriatici. Lyon 1619. in-8°.

Palladio (André), natif de Vicence, célebre & savant architecte du xv. siecle, étudia les monumens antiques de Rome, & déterra par son génie, les véritables regles d'un art qui avoient été corrompues par la barbarie des Goths. Il nous a laissé un excellent traité d'architecture, divisé en 4 livres, qu'il mit au jour en 1570. Roland Friart l'a traduit en françois. Palladio embellit Venise & Vicence de plusieurs beaux édifices, & mourut l'an 1580. Il avoit eu pour maître le Trissino dont nous allons parler, & qui réunissoit plus d'un talent.

Trissino (Jean-Georges), naquit à Vicence d'une famille noble & ancienne, l'an 1478. Il cultiva les belles-lettres, la poésie, les mathématiques, & l'architecture, dont il apprit les élémens à Palladio, qui devint dans la suite un si grand maître en ce genre.

Trissino dans son séjour à Rome, composa sa tragédie de Sophonisbe, que Léon X. fit représenter avec beaucoup de pompe, d'autant que c'étoit la premiere tragédie en langue italienne. Elle fut imprimée en 1524 in-4°. Son poëme épique, sous le titre de L'Italia liberata da gotti, parut en 1547. J'ai parlé de cet ouvrage au mot POËME épique.

Le Trissin avoit d'autres talens que celui de poëte ; il étoit propre à traiter de grandes affaires, & il se conduisit avec beaucoup d'adresse & de bonheur dans les négociations que lui confierent Léon X. Clément VII. Maximilien & Charles Quint ; mais lorsqu'il revint à Vicence, il trouva sa famille remplie de troubles & de divisions. Un fils qu'il avoit eu de son premier mariage, s'étoit emparé du bien de sa mere, & de la maison de son pere, par une sentence des procurateurs de S. Marc. Trissino vivement affligé de l'ingratitude de ce fils, & de l'injustice de la république, se bannit de son pays, & fit à son départ les vers touchans que voici.

Quaeramus terras alio sub cardine mundi,

Quando mihi eripitur fraude paterna domus ;

Et fovet hanc fraudem Venetûm sententia dura,

Quae nati in patrem comprobat insidias ;

Quae natum voluit confectum aetate parentem,

Atque aegrum antiquis pellere limitibus.

Chara domus valeas, dulcesque valete penates ;

Nam miser ignotos cogor adire lares.

Il ne survécut pas long-tems à ses chagrins, étant mort à Rome l'année suivante 1550, âgé de 72 ans. L'édition de toutes les oeuvres du Trissin, a été donnée par le marquis Maffei, à Vérone en 1729, en 2 vol. in-fol. (D.J.)


VICENNALadj. (Hist. anc.) dans l'antiquité signifioit une chose qu'on renouvelloit tous les vingt ans.

Telle est l'acception la plus usitée de ce mot. Car c'est ainsi qu'on nommoit les jeux, fêtes ou réjouissances qu'on donnoit à l'occasion de la vingtieme année du regne du prince.

On trouve grand nombre de médailles avec cette inscription vicennalia vota, c'est-à-dire les voeux que le peuple faisoit à cette occasion, pour la santé de l'empereur & pour l'aggrandissement de l'empire.

Dans les médailles de Tacite, de Galien & de Probus, ces voeux étoient exprimés par ces caracteres VOT. X. & XX. Dans celles de Galere Maximien, par ceux-ci, VOT. X. M. XX. Dans celles de Constantin, de Valentinien & de Valens, par ces caracteres, VOT. X. MULT. XX. Dans celles de Dioclétien, de Julien, de Théodose, d'Arcadius par ces mêmes mots, VOT. X. MULT. XX. Dans celles de Constance par ceux-ci, VOT. X. SIC. XX. Celles du jeune Licinius portent VOT. XII. FEL. XX. & quelques-unes de Constantin VOT. XV. FEL. XX.

M. Ducange dit à l'égard de ces médailles votives, qu'Auguste ayant feint de vouloir quitter l'empire, accorda par deux fois aux prieres du sénat de continuer à gouverner pour dix ans, & qu'on commença à faire chaque décennale des prieres publiques, des sacrifices & des jeux pour la conservation des princes, que dans le bas empire on en fit de cinq ans en cinq ans. C'est pourquoi dans le bas empire, depuis Dioclétien, on trouve sur des médailles VOTIS. V. XV. &c. Le premier chiffre marque le nombre des années où l'on répétoit les voeux vicennaux, & le second chiffre les mêmes voeux vicennaux qui avoient toujours retenu leur premier nom exprimé par XX. Voyez VOEUX, MEDAILLES VOTIVES.

On appelloit encore chez les Romains vicennales, vicennalia, des fêtes funéraires qu'on célébroit le vingtieme jour après le décès d'une personne.


VICENTESAN, (Géog. mod.) petite ville de l'Amérique méridionale, dans le Brésil, sur la côte de la mer du nord. (D.J.)

VICENTE, san, ou la BARQUERA, (Géog. mod.) petite ville maritime d'Espagne, dans la Biscaye.

VICENTE, san, de la SONCIERA, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Castille, province de Rioxa. (D.J.)

VICENTE, SAN, la capitainerie de, (Géog. mod.) les François disent S. Vincent ; province ou capitainerie maritime du Brésil. Elle est bornée au nord & à l'orient par celle de Rio Janéïro, & le Paraguai la borne au nord-ouest. Sa capitale lui donne son nom ; elle est située sur l'île de Los-Santos, à 40 lieues de Rio-Janéïro, avec un port. Latit. australe, suivant le Jarric, 24. (D.J.)


VICENTINLE, (Géog. mod.) contrée d'Italie, dans l'état de Venise. Elle est bornée au nord par le Trentin ; au midi, par le Padouan ; au levant, par le Trévisan ; & au couchant, par le Véronese. Elle peut avoir 40 milles du nord au sud, & 33 de l'est à l'ouest, dont le tout ne contient qu'environ cent cinquante mille ames. L'air qu'on y respire est sain ; tout le pays est baigné de rivieres, de sources d'eau vive, de ruisseaux & de petits lacs. Les collines, aussi fertiles qu'agréables, portent de fort bon vin, les plaines du bétail & les montagnes des carrieres d'excellentes pierres à bâtir. Vicence est la capitale.


VICETIA(Géogr. anc.) ville d'Italie, dans la Gaule transpadane, sur le petit Medoacus. Les auteurs latins, comme Pline, l. III. c. xix. Tacite, hist. l. III. c. viij. écrivent Vicetia ; mais Ptolémée, l. III. c. j. lit Vicenta, la table de Peutinger Vicetia, & l'itinéraire d'Antonin Vicentia civitas. Cet itinéraire la place entre Vérone & Padoue, à 33 milles de la premiere de ces villes, & à 37 milles de la seconde. C'étoit un municipe. Tacite, hist. l. VIII. c. viij. le dit clairement. Cette ville s'appelle présentement Vicenza en italien, & en françois Vicence. Voyez ce mot.

Q. Rhemmius Palemon, fils d'un esclave, mais célebre grammairien, étoit natif de Vicetia. Il enseigna à Rome avec une réputation extraordinaire sous Tibere & Claudius. Juvenal en parle avec éloge. Il ne nous reste que des fragmens de ses écrits.


VICHI(Géog. mod.) petite ville de France, dans le Bourbonnois, sur la droite de l'Allier, à 16 lieues de Moulins, à 6 de Gannat, avec châtellenie, un corps de ville, un grenier à sel, une église paroissiale, & une maison de Célestins ; cependant cette petite ville n'est connue que par ses eaux minérales & par ses bains, sur lesquels on peut consulter leur article dans ce dictionnaire & les mémoires de l'académie des Sciences. Long. 21. 8. latit. 46. 2. (D.J.)


VICICILIS. m. (Hist. nat. Ornithol.) oiseau du Mexique, qui est appellé tomincios au Pérou. Il paroît par sa description être le même que celui que les voyageurs françois ont appellé l'oiseau mouche ou le colibri. On dit qu'il n'a pas le corps plus gros qu'une guêpe ; son bec est long & délié, il voltige sans cesse autour des fleurs sans prendre du repos ; son plumage est aussi fin que le duvet, & varié de différentes couleurs très-agréables. On dit qu'il s'endort ou s'engourdit sur quelque branche au mois d'Octobre, & ne se réveille qu'au mois d'Avril.


VICIÉVICIÉE, adj. (Commerce) ce qui a quelque tare, quelque défaut. Voyez TARE.

Ce terme, dans le commerce, se dit des marchandises qui n'ont pas été bien fabriquées, ou à qui il est arrivé quelqu'accident dans l'apprêt, ou enfin qui se sont gâtées dans le magasin ou dans la boutique, ensorte qu'elles sont hors de vente. Un drap vicié, du vin vicié ; ce terme est générique, & comprend toutes les tares & défauts qu'une marchandise peut avoir. Dictionn. de commerce.


VICIEUXadj. (Gramm.) qui a quelque vice. Voyez VICE.

VICIEUX, (Maréchal.) un cheval vicieux est celui qui a de fortes fantaisies, comme de ruer & de mordre.


VICINOVIA(Géogr. anc.) nom latin donné par Gregoire de Tours, l. V. c. xxvj. & l. X. c. ix. à la Vilaine, riviere de France, qui prend sa source aux confins du Maine, & qui vient se perdre dans la mer, vis-à-vis Belle-Isle. Ptolémée nomme cette riviere Vidiana. (D.J.)


VICISSITUDES(Physiq. & Morale) il n'est pas possible d'écrire ce mot sans y joindre les belles réflexions du chancelier Bacon,sur les vicissitudes célestes & sublunaires.

La matiere, dit ce grand homme, est dans un mouvement perpétuel, & ne s'arrête jamais. Elle produit les vicissitudes ou les mutations dans les globes célestes ; mais il n'appartient pas à nos foibles yeux de voir si haut. Si le monde n'avoit pas été destiné de tout tems à finir, peut-être que la grande année de Platon auroit produit quelque effet, non pas en renouvellant les corps individus, car c'est une folie & même une vanité à ceux qui pensent que les corps célestes ont de grandes influences sur chacun de nous en particulier, mais en renouvellant le total & la masse des choses. Peut-être que les cometes influent un peu sur cette masse entiere ; mais elles paroissent si rarement, & nous en sommes si loin, qu'il est impossible de faire des observations sur leurs effets. Des vicissitudes célestes, passons à celles qui concernent la nature humaine.

La plus grande vicissitude qu'on doit considérer parmi nous est celle des religions & des sectes ; car ces sortes de phénomenes dominent principalement sur l'esprit des hommes, & on les voit toujours en bute aux flots du tems.

Les changemens qui arrivent dans la guerre roulent principalement sur trois points ; sur le lieu où la guerre se fait, sur la qualité des armes & sur la discipline militaire. Les guerres anciennement paroissoient venir principalement de l'orient à l'occident. Les Perses, les Assyriens, les Arabes, les Scythes qui tous firent des invasions étoient des Orientaux. Il est rare que ceux qui habitent bien avant vers le midi ayent envahi le septentrion. On remarque une chose, que lorsqu'il y a dans le monde peu de nations barbares, & qu'au contraire presque toutes sont policées, les hommes ne veulent point avoir d'enfans, à-moins qu'ils ne prévoient qu'ils auront de quoi fournir à leur subsistance & à leur entretien. C'est à quoi regardent aujourd'hui presque toutes les nations, excepté les Tartares ; & en ce cas, il n'y a pas à craindre des inondations & des transplantations. Mais lorsqu'un peuple est très-nombreux & qu'il multiplie beaucoup, sans s'embarrasser de la subsistance de ses descendans, il est absolument nécessaire qu'au bout d'un ou de deux siecles il se débarrasse d'une partie de son monde, qu'il cherche des habitations nouvelles, & qu'il envahisse d'autres nations. C'est ce que les anciens peuples du Nord avoient accoutumé de faire, en tirant au sort entre eux pour décider quels resteroient chez eux, & quels iroient chercher fortune ailleurs.

Lorsqu'une nation belliqueuse perd de son esprit guerrier, qu'elle s'adonne à la mollesse & au luxe, elle peut être assûrée de la guerre ; car de tels états pour l'ordinaire deviennent riches pendant qu'ils dégénerent : & le desir du gain, joint au mépris qu'on a de ses forces, invite & anime les autres nations à les envahir.

Les armes fleurissent dans la naissance d'un état ; les lettres dans sa maturité, & quelque tems après les deux ensemble ; les armes & les lettres, le commerce & les arts méchaniques dans sa décadence. Les lettres ont leur enfance, & ensuite leur jeunesse, à laquelle succède l'âge mûr, plus solide & plus exact ; enfin elles ont une vieillesse ; elles perdent leur force & leur vigueur, il ne leur reste que du babil.

C'est ainsi que tout naît, s'accroît, change & dépérit, pour recommencer & finir encore, se perdant & se renouvellant sans cesse dans les espaces immenses de l'éternité. Mais il ne faut pas contempler plus au long la vicissitude des choses, de peur de se donner des vertiges. Il suffit de se rappeller que le tems, les déluges & les tremblemens de terre sont les grands voiles de la mort qui ensevelissent tout dans l'oubli. (D.J.)


VICKESLANDou VICKSIDEN, (Géog. mod.) en latin Wickia, contrée de la Norwege, au gouvernement de Bahus, dans sa partie septentrionale.


VICO-AQUENSE(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Labour, proche la mer ; son évêché fondé dans le treizieme siecle, est suffragant de Sorrento. La ville a été bâtie par Charles II. roi de Naples, sur les ruines d'Aequa. Long. 31. 55. latit. 40. 40. (D.J.)


VICOMTES. m. (Gram. Hist. & Jurisprud.) vice-comes, signifie en général celui qui tient la place de comte, quasi vice comitis, seu vicem comitis gerens.

Quoique le titre de comte fût usité chez les Romains, & que quelques auteurs comparent les vicomtes à ces commissaires ou députés que chez les Romains on appelloit legati proconsulum, il est certain néanmoins que l'on ne connoissoit point chez eux le titre de vicomte, lequel n'a commencé à être usité qu'en France.

Les comtes des provinces avoient sous eux les comtes des villes : par exemple le comte de Champagne avoit pour ses pairs les comtes de Joigny, Retel, Brienne, Portien, Grandpré, Roucy, & Braine ; quelques-uns y ajoutent Vertus.

Ces comtes des villes n'étoient point qualifiés de vicomtes.

Il y avoit cependant certaines provinces où le comte avoit sous lui, soit dans sa ville capitale, soit dans les principales villes de son gouvernement, des vicomtes, au lieu de comtes particuliers, comme le comte de Poitiers ; ce comté étant composé de quatre vicomtés, qui sont Châtelleraut, Thouars, Rochechouart, & Brosse.

Il y a encore beaucoup de seigneuries qui ont le titre de vicomtés, & principalement en Languedoc, en Guyenne, & ailleurs.

Les comtes qui avoient le gouvernement des villes étant chargés tout-à-la-fois du commandement des armes & de l'administration de la justice, & étant par leur état beaucoup plus versés dans l'art militaire que dans la connoissance des lettres & des loix, se déchargeoient des menues affaires de la justice sur des vicaires ou lieutenans, que l'on appella vicomtes ou viguiers, quasi vicarii, & aussi châtelains, selon l'usage de chaque province.

Il y a apparence que l'on donna le titre de vicomte singulierement à ceux qui tenoient dans les villes la place du comte, soit que ces villes n'eussent point de comte particulier, soit que les comtes de ces villes n'y fissent pas leur demeure ordinaire, ou enfin pour suppléer en l'absence & au défaut du comte ; aussi ces sortes de vicomtes tenoient ils à peu-près le même rang que les comtes, & étoient beaucoup plus que les autres vicaires ou lieutenans des comtes que l'on appelloit viguiers, prevôts, ou châtelains.

De ces vicomtes, les uns étoient mis dans les villes par le roi même, comme gardiens des comtés, soit en attendant qu'il y eût mis un comte, soit pour y veiller indéfiniment en l'absence & au défaut du comte qui n'y résidoit pas ; les autres étoient mis dans les villes par les ducs ou comtes de la province, comme dans toutes les villes de Normandie, où il y eut des vicomtes établis par les ducs.

L'institution des vicomtes remonte jusqu'au tems de la premiere race ; il en est fait mention dans le chap. xxxvj. de la loi des Allemands, laquelle fût, comme l'on sait, publiée pour la premiere fois, par Thierry ou Théodoric, fils de Clovis, & roi de Metz & de Thuringe ; ils y sont nommés missi comitum, parce que c'étoient des commissaires nommés par les comtes pour gouverner en leur place, soit en leur absence, soit dans des lieux où ils ne résidoient pas : on les surnommoit missi comitum, pour les distinguer des commissaires envoyés directement par le roi dans les provinces & grandes villes que l'on appelloit missi dominici. Dans la loi des Lombards ils sont nommés ministri comitum ; ils tenoient la place des comtes dans les plaids ordinaires & aux grandes assises ou plaids généraux, appellés mallum publicum.

Dans les capitulaires de Charlemagne, ces mêmes officiers sont nommés vicarii comitum, comme qui diroit lieutenans des comtes ; ils étoient au-dessus des centeniers.

On les appella aussi vice comites, d'où l'on a fait en françois le titre de vicomtes.

Ils étoient d'abord élus par les comtes mêmes, le comte de chaque ville étoit obligé d'avoir son vicomte ou lieutenant, & comme le pouvoir du comte s'étendoit non-seulement dans la ville, mais aussi dans tout le canton ou territoire dépendant de cette ville, le pouvoir que le vicomte avoit en cette qualité s'étendoit aussi dans la ville & dans tout son territoire.

Cependant en général la compétence des comtes étoit distincte de celle de leurs vicomtes ou lieutenants : les premiers connoissoient des causes majeures, les vicomtes jugeoient en personnes les affaires légeres ; de-là vient sans doute qu'encore en plusieurs lieux, la justice vicomtiere ne s'entend que de la moyenne justice, & qu'en Normandie les juges appellés vicomtes, qui tiennent la place des prevôts, ne connoissent pas des matieres criminelles.

Mais en l'absence ou autre empêchement du comte, le vicomte tenoit les plaids ordinaires du comte, & même présidoit aux plaids généraux.

La fonction du comte embrassant le gouvernement & le commandement militaire aussi-bien que l'administration de la justice ; celle du vicomte s'étendoit aussi à tous les mêmes objets au défaut du comte.

Vers la fin de la seconde race, & au commencement de la troisieme, les ducs & comtes s'étant rendus propriétaires de leurs gouvernemens, qui n'étoient auparavant que de simples commissions ; les vicomtes à leur exemple firent la même chose.

Les offices de vicomtes furent inféodés, de même que les offices de ducs, de comtes, & autres ; les uns furent inféodés par le roi directement, les autres sous-inféodés par les comtes.

Les comtes de Paris qui avoient sous eux un prevôt pour rendre la justice, avoient aussi un vicomte, mais pour un objet différent ; ils sous-inféoderent une partie de leur comté à d'autres seigneurs qu'on appella vicomtes, & leur abandonnerent le ressort sur les justices enclavées dans la vicomté, & qui ressortissoient auparavant à la prevôté. Une des fonctions de ces vicomtes, étoit de commander les gens de guerre dans la vicomté, droit dont le prevôt de Paris jouit encore en partie, lorsqu'il commande la noblesse de l'arriere-ban.

Le vicomte de Paris avoit aussi son prevôt pour rendre la justice dans la vicomté, mais on croit que s'il exerçoit la justice, c'étoit militairement, c'est-à-dire sur le champ, & par rapport à des délits qui se commettoient en sa présence ; dans la suite la vicomté fut réunie à la prevôté.

Présentement en France, les vicomtes sont des seigneurs dont les terres sont érigées sous le titre de vicomté.

En Normandie les vicomtes sont des juges subordonnés aux baillifs, & qui tiennent communément la place des prevôts. Loiseau prétend que ces vicomtes sont les juges primitifs des villes ; mais Basnage fait voir qu'en Normandie, comme ailleurs, les comtes furent les premiers juges, qu'ils avoient leurs vicomtes ou lieutenans, & que quand les comtes cesserent de faire la fonction de juge, les ducs de Normandie établirent à leur place des baillifs, auxquels les vicomtes se trouverent subordonnés de même qu'ils l'étoient aux comtes ; il croit pourtant que les vicomtes furent ainsi appellés tanquam vicorum comites, comme étant les juges des villes.

En quelques villes de Normandie, l'office de maire est réuni à celui de vicomte, comme à Falaise & à Bayeux.

En quelques autres il y a des prevôts avec les vicomtes, comme dans le bailliage de Gisors.

La coutume de Normandie, tit. de jurisdict. art. 5. porte qu'au vicomte, ou son lieutenant, appartient la connoissance des clameurs de haro civilement intentées ; de clameur de plege pour chose roturiere ; de vente & dégagement de biens, d'interdits entre roturiers, d'arrêts, d'exécutions, de matiere de namps, & des oppositions qui se mettent pour iceux namps, de dations de tutele & curatelle de mineurs, de faire faire les inventaires de leurs biens, d'ouir les comptes de leurs tuteurs & administrateurs, de vendue des biens desdits mineurs ; de partage de succession, & des autres actions personnelles, réelles, & mixtes, en possessoire & propriété, ensemble de toute matiere de simple desrenne entre roturiers, & des choses roturieres, encore que esdites matieres échée vue & enquête. Voyez Brodeau sur Paris ; Loiseau, des seigneuries ; Basnage, & les autres commentateurs de la coutume de Normandie, sur l'article 5. du tit. de jurisdict. & le mot COMTE, COMTE, & ci après le mot VICOMTE. (A)

VICOMTE DES AIDES, il est parlé des vicomtes des aides dans une ordonnance de Charles VII. du premier Mars 1388. qui porte que les trésoriers ne pourront voir les états des grenetiers & receveurs & vicomtes des aides, avant la rendue de leurs comptes.

M. Secousse croit qu'il y a faute en cet endroit, & qu'il faut lire grenetiers & receveurs des aides & vicomtes, parce que, dit-il, les vicomtes qui recevoient les revenus ordinaires du roi, ne se mêloient point de la levée des aides.

Cependant il n'est pas étonnant que l'on ait appellé vicomtes des aides ceux qui faisoient la recette des aides, de même que l'on appelloit vicomtes du domaine ceux qui faisoient la recette du domaine ; il est parlé de ces vicomtes des aides dans Monstrelet, vol. I. ch. xcix. Voyez aussi le glossaire de M. de Lauriere, au mot vicomte.

VICOMTE DU DOMAINE, étoit celui qui faisoit au-lieu du comte la recette du domaine, de même que les vicomtes des aides faisoient la recette des aides. Voyez Monstrelet, ch. xcix. du premier volume, Lauriere au mot vicomte, & le mot VICOMTE DES AIDES.

VICOMTE DE L'EAU, est un juge établi en la ville de Rouen, lequel se qualifie conseiller du roi, vicomte de l'eau à Rouen, juge politique, civil & criminel par la riviere de Seine, & garde des étalons, poids, & mesures de la ville.

Sa jurisdiction s'étend tant en matiere civile que criminelle, sur les rivieres de Seine & d'Eure, chemins & quais le long desdites rivieres, depuis la pierre du poirier au-dessous de Caudebec, jusqu'au ponteau de Blaru, au-dessus de Vernon, faisant la séparation de la Normandie d'avec le pays de France. Voyez l'hist. de la ville de Rouen, édit. de 1738. le coutumier général des anciens droits dûs au roi, qui se perçoivent au bureau de la vicomté de Rouen, & le recueil d'arrêts du parlement de Normandie, de M. Froland.

VICOMTE EXTRAORDINAIRE, étoit celui qui étoit commis extraordinairement pour la recette du domaine, ou bien pour la recette des aides, lesquelles ne se levoient autrefois qu'extraordinairement ; il en est parlé dans une ordonnance de Charles VI. du 3 Avril 1388. Voyez VICOMTE DES AIDES, COMTE ORDINAIREAIRE.

VICOMTE FERMIER, étoit celui qui tenoit à ferme la recette de quelque vicomté ; il est parlé des vicomtes fermiers du vicomté d'Abbeville, dans des lettres de Charles V. du 9 Mai 1376. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race.

VICOMTE ORDINAIRE étoit celui qui étoit chargé de la recette du domaine, ou bien on les appelloit ordinaires, parce que la recette du domaine étoit ordinaire, à la différence de celle des aides, qui ne se tenoit qu'extraordinairement. Voyez l'ordonnance de Charles VI. du 3 Avril avant Pâques 1388.

VICOMTE-RECEVEUR, dans la plûpart des anciennes ordonnances, les vicomtes sont appellés vicomtes ou receveurs, ou bien vicomtes & receveurs, parce qu'ils étoient alors chargés de faire la recette du domaine dans l'étendue de leur vicomté. Voyez VICOMTES DES AIDES & DU DOMAINE.

Sous-VICOMTE est le nom que l'on donne en quelques endroits au lieutenant du vicomte comme chez les Anglois. Voyez Cowel, Spelman.


VICOMTÉS. f. (Gram. & Jurisprud.) ce terme a trois significations différentes ; il se prend 1°. pour la dignité de vicomte qui est celui qui tient la place d'un comte ; 2°. pour une terre érigée sous le titre de vicomté ; 3°. pour un tribunal érigé sous le titre de vicomté, & où la justice est rendue par un juge appellé vicomte. Voyez ci-devant le mot VICOMTE.

VICOMTE ADVOURIE ou VOULVIE VOURIE, ces termes sont employés comme synonymes en plusieurs occasions. Voyez le Glossaire de Ducange au mot vice comitatus.

VICOMTE, impôt, les droits de vicomtés sont comptés au nombre des impôts dans une ordonnance de Charles régent du royaume du mois d'Août 1359 ; c'étoit apparemment un droit que les vicomtes étoient chargés de recevoir, & qui se payoit à la recette de la vicomté.


VICOMTIERS. m. (Gram. & Jurisprud.) signifie ce qui appartient au vicomté.

Seigneur vicomtier est celui qui a la moyenne justice. Voyez les coutumes de Ponthieu, Artois, Amiens, Montreuil, Beauquesne, Vimes, Lille, Hesdin, &c.

Justice vicomtiere est la moyenne justice. Voyez les coutumes citées dans l'alinéa précédent.

Cas vicomtiers sont ceux dont la connoissance appartient à la justice vicomtiere.

Chemins vicomtiers sont les chemins non royaux qui sont seulement d'un bourg à un autre, ou d'un village. Ils ont été ainsi appellés, parce qu'ils tendent de vico ad vicum. Voyez au mot CHEMIN.

Voyez aussi ci-devant les mots VICOMTE & VICOMTE.


VICOVARO(Géog. mod.) bourg d'Italie dans la Sabine, à trois milles au nord du Teveronne, & à neuf au nord oriental de Tivoli.

Sabellicus (Marc-Antoine Coccius) naquit dans ce bourg l'an 1436, & lui donna le premier nom de Vicus Varronis, pour le rendre plus célebre, au lieu qu'il s'appelloit auparavant Vicus Valerius. Sabellicus a fait plusieurs ouvrages qui ont été recueillis en 1560 à Bâle, en 4 vol. in fol. Il mourut en 1506 à 70 ans d'une maladie honteuse, comme Jove l'a dit en prose, & Latomus en vers dans l'épitaphe qu'il lui a faite.

In venere incertâ tamen hic contabuit, atque

Maluit italicus gallica fata pati.

Il témoigna en mourant que comme auteur il avoit la même tendresse que les peres qui sentent plus d'amitié pour les plus infirmes de leurs enfans, que pour les mieux constitués ; car il recommanda l'impression d'un manuscrit qui n'étoit pas capable de lui faire honneur, & que Egnatius, son collegue, mit au jour à Strasbourg en 1508, sous le titre de Marci Antonii Coccii Sabellici exemplorum libri decem, or dine, elegantiâ, & utilitate praestantissimi ; cependant malgré ce titre fastueux, jamais livre ne mérita mieux que celui ci, qu'on lui appliquât cette pensée de Pline : inscriptiones propter quas vadimonium deseri possit. At cum intraveris, dii, deaeque, quàm nihil in medio invenies !

Ses autres ouvrages sont 1°. Rapsodiae historiarum enneades ; espece d'histoire universelle qui ne vaut pas grand-chose. Paul Jove dit que c'est un ouvrage où les matieres sont si pressées, qu'elles n'y paroissent que comme des points. 2°. Rerum venetarum historiae, livre plein de flatteries & de mensonge. 3°. De vetustate Aquileiae libri sex, &c. On peut voir son article dans les mém. des homm. illust. du Pere Niceron, tom. XII. p. 144, & suiv. (D.J.)


VICTIMAIRES. m. (Hist. anc.) c'étoit chez les anciens un ministre ou serviteur des prêtres, un bas officier des sacrifices dont la fonction étoit d'amener & de délier les victimes, de préparer l'eau, le couteau, les gâteaux & toutes les autres choses nécessaires pour les sacrifices.

C'étoit aussi à eux qu'il appartenoit de terrasser, d'assommer ou d'égorger les victimes ; pour cet effet ils se plaçoient auprès de l'autel, nuds jusqu'à la ceinture, & n'ayant sur la tête qu'une couronne de laurier. Ils tenoient une hache sur l'épaule ou un couteau à la main, & demandoient au sacrificateur s'il étoit tems de frapper la victime, en disant, agone ? frapperai-je. C'est de-là qu'on les a appellés agones, cultellarii ou cultrarii. Quand le prêtre leur avoit donné le signal, ils tuoient la victime, ou en l'assommant avec le dos de leur hache, ou en lui plongeant le couteau dans la gorge ; ensuite ils la dépouilloient, & après l'avoir lavée & parsemée de fleurs, ils la mettoient sur l'autel : ils avoient pour eux la portion mise en réserve pour les dieux, dont ils faisoient leur profit, l'exposant publiquement en vente à quiconque vouloit l'acheter. Ce sont ces viandes offertes aux idoles dont il est parlé dans les épîtres de S. Paul sous le nom d'Idolothyta, & qu'il étoit défendu aux chrétiens de manger. Voyez SACRIFICES.


VICTIME HUMAINE(Hist. des superstit. relig.)

Saepiùs olim

Religio peperit scelerosa, atque impia facta.

Lucret. l. I. v. 83.

" Depuis long-tems la religion superstitieuse a produit des actions impies & détestables ". La principale est certainement les sacrifices humains faits aux dieux pour leur plaire, ou pour les appaiser. L'histoire nous offre tant de faits contraires à la nature, qu'on seroit tenté de les nier s'ils n'étoient prouvés par des autorités incontestables : la raison s'en étonne : l'humanité en frémit : mais comme après un mûr examen la critique n'oppose rien aux témoins qui les attestent, on est réduit à convenir en gémissant qu'il n'y a point d'action atroce que l'homme ne puisse commettre quand le cruel fanatisme arme sa main.

C'est lui qui dans Raba, sur les bords de l'Arnon

Guidoit les descendans du malheureux Ammon,

Quand à Moloc leur dieu, des meres gémissantes,

Offroient de leurs enfans les entrailles fumantes.

Il dicta de Jephté le serment inhumain :

Dans le coeur de sa fille il conduisit sa main.

C'est lui qui de Calcas ouvrant le bouche impie,

Demanda par sa voix la mort d'Iphigénie.

France, dans tes forêts il habita long-tems ;

A l'affreux Teutâtes il offrit ton encens !

Tu n'as pas oublié ces sacrés homicides,

Qu'à tes indignes dieux présentoient des druides.

Dans Madrid, dans Lisbonne, il allume ces feux ;

Ces buchers solemnels, où des Juifs malheureux

Sont tous les ans en pompe envoyés par des prêtres,

Pour n'avoir point quitté la foi de leurs ancêtres.

Henriade, chant 1.

Cette peinture poétique est tirée des annales de l'histoire qui nous apprennent que les autels des dieux furent autrefois souillés presque en tous lieux par le sang innocent des hommes. La certitude de cet usage est trop bien établie pour qu'on puisse en douter. En matiere de faits, les raisonnemens ne peuvent rien contre les autorités : les différentes sciences ont chacune leur façon de procéder à la recherche des vérités qui sont de leur ressort, & l'histoire, comme les autres, a ses démonstrations. Les témoignages unanimes d'auteurs graves, contemporains, desintéressés, dont on ne peut contester ni la lumiere ni la bonne foi, constituent la certitude historique ; & ce seroit une injustice d'exiger d'elles des preuves d'une espece différente. Les auteurs dont les témoignages concourent à prouver cette immolation des victimes humaines, se présentent en foule. Ce sont Manethon, Sanchoniaton, Hérodote, Pausanias, Josephe, Philon, Diodore de Sicile, Denys d'Halicarnasse, Strabon, Cicéron, César, Tacite, Macrobe, Pline, Tite-Live, enfin la plûpart des poëtes grecs & latins.

De toutes ces dépositions jointes ensemble, il résulte que les Phéniciens, les Egyptiens, les Arabes, les Chananéens, les habitans de Tyr & de Carthage, les Perses, les Athéniens, les Lacédémoniens, les Ioniens, tous les Grecs du continent & des isles ; les Romains, les Scythes, les Albanois, les Germains, les anciens Bretons, les Espagnols, les Gaulois ; & pour passer dans le nouveau monde, les habitans du Méxique ont été également plongés dans cette affreuse superstition : on peut en dire ce que Pline disoit autrefois de la magie, qu'elle avoit parcouru toute la terre, & que ses habitans, tous inconnus qu'ils étoient les uns aux autres, & si différens d'ailleurs d'idées & de sentimens, se réunirent dans cette pratique malheureuse ; tant il est vrai qu'il n'y a presque point eu de peuples dans le monde dont la religion n'ait été inhumaine & sanglante !

Comment a-t-elle pu devenir meurtriere ? Rien n'étoit plus louable & plus naturel que les premiers sacrifices des payens ; ils n'offroient à leurs dieux que du laurier ou de l'herbe verte ; leurs libations consistoient dans de l'eau tirée d'une claire fontaine, & qu'on portoit dans des vases d'argille. Dans la suite on employa pour les offrandes de la farine & des gâteaux qu'on paîtrissoit avec un peu de sel, & qu'on cuisoit sous la cendre. Insensiblement on joignit à ces offrandes quelques fruits de la terre, le miel, l'huile & le vin ; l'encens même n'étoit point encore venu des bords de l'Euphrate, ni le costus de l'extrêmité de l'Inde, pour être brûlés sur les autels ; mais quand l'usage des sacrifices sanglans eut succédé, l'effusion du sang des animaux occasionna l'immolation des victimes humaines.

On ne sait pas qui le premier osa conseiller cette barbarie ; que ce soit Saturne, comme on le trouve dans le fragment de Sanchoniaton ; que ce soit Lycaon, comme Pausanias semble l'insinuer, ou quelqu'autre enfin qu'on voudra, il est toujours sûr que cette horrible idée fit fortune. Tantus fuit perturbatae mentis, & sedibus suis pulsae furor, ut sic dii placarentur, quemadmodum ne homines quidem saeviunt, dit à merveille S. Augustin, de civit. Dei, l. VI. c. x. Telle étoit l'extravagance de ces insensés, qu'ils pensoient appaiser les dieux par des actes de cruauté, que les hommes même ne sauroient faire dans leurs plus grands emportemens.

L'immolation des victimes humaines que quelques oracles vinrent à prescrire, faisoit déjà partie des abominations que Moïse reproche aux Amorrhéens. On lit aussi dans le Lévitique, c. xx. que les Moabites sacrifioient leurs enfans à leur dieu Moloch.

On ne peut douter que cette coutume sanguinaire ne fût établie chez les Tyriens & les Phéniciens. Les Juifs eux-mêmes l'avoient empruntée de leurs voisins : c'est un reproche que leur font les prophetes ; & les livres historiques de l'ancien Testament fournissent plus d'un fait de ce genre. C'est de la Phenicie que cet usage passa dans la Grece, & de la Grece les Pélages la porterent en Italie.

On pratiquoit à Rome ces affreux sacrifices dans des occasions extraordinaires, comme il paroît par le témoignage de Pline, l. XXVIII. c. ij. Entre plusieurs exemples que l'histoire romaine en fournit, un des plus frappans arriva dans le cours de la seconde guerre punique. Rome consternée par la défaite de Cannes, regarda ce revers comme un signe manifeste de la colere des dieux, & ne crut pouvoir les appaiser que par un sacrifice humain. Après avoir consulté les livres sacrés, dit Tite-Live, l. XXII. c. lvij. on immola les victimes prescrites en pareil cas. Un gaulois & une gauloise, un grec & une grecque furent enterrés vifs dans une des places publiques destinée depuis long-tems à ce genre de sacrifices si contraires à la religion de Numa. Voici l'explication de ce fait singulier.

Les décemvirs ayant vu dans les livres sibyllins que les Gaulois & les Grecs s'empareroient de la ville, urbem occupaturos, on imagina que pour détourner l'effet de cette prédiction, il falloit enterrer vifs dans la place publique un homme & une femme de chacune de ces deux nations, & leur faire prendre ainsi possession de la ville. Toute puérile qu'étoit cette interprétation, un très-grand nombre d'exemples nous montre que les principes de l'art divinatoire admettoient ces sortes d'accommodemens avec la destinée.

Tite-Live nomme ce barbare sacrifice sacrum minimè romanum ; cependant il se répéta souvent dans la suite. Pline, l. XXX. c. j. assure que l'usage d'immoler des victimes humaines au nom du public, subsista jusqu'à l'an 95 de Jesus-Christ, dans lequel il fut aboli par un sénatus-consulte de l'an 657 de Rome ; mais on a des preuves qu'il continua dans les sacrifices particuliers de quelques divinités, comme, par exemple, de Bellone. Les édits renouvellés en différens tems par les empereurs, ne purent mettre un frein à cette fureur superstitieuse ; & à l'égard de cette espece de sacrifice humain prescrit en conséquence des vers sibyllins, Pline avoue qu'il subsistoit toujours, & assure qu'on en avoit vu de son tems des exemples, etiam nostra aetas vidit.

Les sacrifices humains furent moins communs chez les Grecs ; cependant on en trouve l'usage établi dans quelques cantons ; & le sacrifice d'Iphigénie prouve qu'ils furent pratiqués dans les tems héroïques, où l'on se persuada que la fille d'Agamemnon déchargeroit par sa mort, l'armée des Grecs des fautes qu'ils avoient commises.

Sed casta incestè, nubendi tempore in ipso,

Hostia concideret mactatu maesta parentis.

Lucret. l. I. v. 99, 100.

" Cette chaste princesse tremblante au pié des autels y fut cruellement immolée dans la fleur de son âge par l'ordre de son propre pere ".

Les habitans de Pella sacrifioient alors un homme à Pélée ; & ceux de Ténuse, si l'on en croit Pausanias, offroient tous les ans en sacrifice une fille vierge au génie d'un des compagnons d'Ulysse qu'ils avoient lapidé.

On peut assurer, sur la parole de Théophraste, que les Arcadiens immoloient de son tems des victimes humaines, dans les fêtes nommées lycaea. Les victimes étoient presque toujours des enfans. Parmi les inscriptions rapportées de Grece par M. l'abbé Fourmont, est le dessein d'un bas-relief trouvé en Arcadie, & qui a un rapport évident à ces sacrifices.

Carthage, colonie phénicienne, avoit adopté l'usage de sacrifier des victimes humaines, & elle ne le conserva que trop long-tems. Platon, Sophocle & Diodore de Sicile le déclarent en termes formels. N'auroit-il pas mieux valu pour les Carthaginois, dit Plutarque, de superstitione, avoir Critias ou Diagoras pour législateurs, que de faire à Saturne les sacrifices de leurs propres enfans, par lesquels ils prétendent l'honorer ? La superstition, continue-t-il, armoit le pere contre son fils, & lui mettoit en main le couteau dont il devoit l'égorger. Ceux qui étoient sans enfans, achetoient d'une mere pauvre la victime du sacrifice ; la mere de l'enfant qu'on immoloit, devoit soutenir la vue d'un si affreux spectacle sans verser de larmes ; si la douleur lui en arrachoit, elle perdoit le prix dont on étoit convenu, & l'enfant n'en étoit pas plus épargné. Pendant ce tems tout rétentissoit du bruit des instrumens & des tambours ; ils craignoient que les lamentations de ces fêtes ne fussent entendues.

Gélon, roi de Syracuse, après la défaite des Carthaginois en Sicile, ne leur accorda la paix qu'à condition qu'ils renonceroient à ces sacrifices odieux de leurs enfans. Voyez le recueil de M. Barbeyrac, art. 112. C'est-là sans doute le plus beau traité de paix dont l'histoire ait parlé. Chose admirable ! dit M. de Montesquieu. Après avoir défait trois cent mille carthaginois, il exigeoit une condition qui n'étoit utile qu'à eux, ou plutôt il stipuloit pour le genre humain.

Remarquons cependant que cet article du traité ne pouvoit regarder que les carthaginois établis dans l'île, & maîtres de la partie occidentale du pays ; car les sacrifices humains subsistoient toujours à Carthage. Comme ils faisoient partie de la religion phénicienne, les loix romaines qui les proscrivirent longtems après, ne purent les abolir entierement. En vain Tibere fit périr dans les supplices les ministres inhumains de ces barbares cérémonies, Saturne continua d'avoir des adorateurs en Afrique ; & tant qu'il en eut, le sang des hommes coula secrettement sur ses autels.

Enfin les témoignages positifs de César, de Pline, de Tacite & de plusieurs autres écrivains exacts ne permettent pas de douter que les Germains & les Gaulois n'aient immolé des victimes humaines, nonseulement dans des sacrifices publics, mais encore dans ceux qui s'offroient pour la guérison des particuliers. C'est inutilement que nous voudrions laver nos ancêtres d'un crime, dont trop de monumens s'accordent à les charger. La nécessité de ces sacrifices étoit un des dogmes établis par les Druides, fondés sur ce principe, qu'on ne pouvoit satisfaire les dieux que par un échange, & que la vie d'un homme étoit le seul prix capable de racheter celle d'un autre. Dans les sacrifices publics, au défaut des malfaiteurs, on immoloit des innocens ; dans les sacrifices particuliers on égorgeoit souvent des hommes qui s'étoient dévoués volontairement à ce genre de mort.

Il est vrai que les payens ouvrirent enfin les yeux sur l'inhumanité de pareils sacrifices. Un oracle, dit Plutarque, ayant ordonné aux Lacédémoniens d'immoler une vierge, & le sort étant tombé sur une jeune fille nommée Hélene, un aigle enleva le couteau sacré, & le posa sur la tête d'une génisse qui fut sacrifiée à sa place.

Le même Plutarque rapporte que Pélopidas, chef des Thébains, ayant été averti en songe, la veille d'une bataille contre les Spartiates, d'immoler une vierge blonde aux manes des filles de Scedasus, qui avoient été violées & massacrées dans ce même lieu ; ce commandement lui parut cruel & barbare ; la plûpart des officiers de l'armée en jugerent de même, & soutinrent qu'une pareille oblation ne pouvoit être agréable au pere des dieux & des hommes, & que s'il y avoit des intelligences qui prissent plaisir à l'effusion du sang humain, c'étoient des esprits malins qui ne méritoient aucun égard. Une jeune cavale rousse s'étant alors offerte à eux, le devin Théocrite décida que c'étoit-là l'hostie que les dieux demandoient. Elle fut immolée, & le sacrifice fut suivi d'une victoire complete.

En Egypte, Amasis ordonna qu'au lieu d'hommes on offrît seulement des figures humaines. Dans l'île de Chypre Diphilus substitua des sacrifices de boeufs aux sacrifices d'hommes.

Hercule étant en Italie, & entendant parler de l'oracle d'Apollon qui disoit :


VICTOIRES. f. (Art milit.) c'est l'événement heureux d'un combat, ou le gain d'une bataille ; c'est l'action la plus brillante d'un général, lorsqu'elle est le fruit de ses dispositions & de ses manoeuvres, & qu'il peut dire comme Epaminondas, j'ai vaincu les ennemis. Voyez TACTIQUE.

Ce qui fait le prix & la gloire d'une victoire, ce sont les obstacles qu'il a fallu surmonter pour l'obtenir. Ce ne sont pas toujours, dit M. de Folard, les victoires du plus grand éclat, qui produisent les grandes gloires, & qui illustrent le plus la réputation des grands capitaines, mais la maniere de vaincre, c'est-à-dire, l'art avec lequel on a fait combattre les troupes, le nombre, & la valeur de celles de l'ennemi, & les talens du général que l'on a vaincu. Lorsque la victoire n'est dûe qu'à la supériorité du nombre des troupes, à leur bravoure, & au peu d'art & d'intelligence du général opposé, elle ne peut produire qu'une gloire médiocre ; à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Il faut donc que la victoire, pour illustrer véritablement le général, soit attribuée à ses bonnes dispositions, à la science de ses manoeuvres, à la maniere dont il a su employer ses troupes, & que d'ailleurs il ait eu en tête un général habile, à-peu-près égal en force. Comme ces circonstances concourent rarement ensemble, il s'ensuit que toutes les victoires ne sont pas également glorieuses. Aussi n'est-ce point le gain d'une seule bataille qui fait la réputation des généraux ; mais la continuité des succès heureux ; parce qu'on suppose qu'ils sont le fruit des talens & de la science militaire. Il y a eu des généraux, tels que le fameux amiral de Coligny & le prince d'Orange, Guillaume III. roi d'Angleterre, qui, sans avoir gagné de batailles, n'en ont pas moins été regardés comme de grands capitaines, & qui l'étoient effectivement. Ils commandoient, au-moins le premier, des troupes dont ils n'étoient point absolument les maîtres ; ils avoient différens intérêts à concilier, différens chefs avec lesquels il falloit se concerter ; ce qui est susceptible de bien des inconvéniens dans le commandement des armées ; mais la maniere dont ils se tiroient de leurs défaites, mettoit leurs talens militaires dans le plus grand jour ; de-là cette réputation justement acquise & méritée de grands capitaines.

Nous avons observé, article BATAILLE, que M. le maréchal de Puysegur pensoit que les batailles étoient assez souvent la ressource des généraux peu intelligens, qui se sentant incapables de suivre un projet de guerre sans combattre, risquoient cet événement au hazard de ce qui pouvoit en arriver. Des généraux de cette espece peuvent gagner des batailles, sans que leur gloire en soit plus grande.

Le gain d'une bataille ou la victoire étant toujours incertaine, & la perte des hommes toujours très-considérable, la prudence & l'humanité ne permettent de se livrer à ces sortes d'actions que dans le cas de nécessité absolue, & lorsqu'il est impossible de faire autrement sans s'exposer à quelque inconvénient fâcheux. Lorsqu'on le peut, on n'est point excusable de hazarder la vie de tant de braves soldats, dont la perte est irréparable.

Cependant la plûpart des généraux d'armées, dit M. de Folard, n'y font pas assez d'attention. " Il semble qu'ils comptent pour rien la vie de leurs soldats & de leurs officiers : qu'ils soient assommés par milliers, n'importe ; ils se consolent de leur perte s'ils peuvent réussir dans leurs entreprises exécutées sans conduite ou sans nécessité. Auguste ne put se consoler de la défaite de ses légions taillées en pieces en Allemagne. Il sentit si vivement cette perte, qu'il s'écrioit à tout moment, Varus, rends-moi mes légions, & Varus avoit péri avec elles ; tant il reconnoissoit qu'il n'est pas au pouvoir des plus grands princes de rétablir une infanterie d'élite qu'on vient de perdre ; on ne la recouvre pas avec de l'argent.

Il y a un art de ménager la vie des troupes, mais il s'est perdu avec M. de Turenne. Il y en a un autre de les rendre invincibles, de former de bons officiers, & des hommes capables d'être à la tête des armées par l'excellence de la discipline militaire : seroit-il enterré avec les Romains ? Ne seroit-il pas plus aisé de le ressusciter, que de trouver des gens assez dociles pour approuver ce qui n'est pas sorti de leur tête ?

Le général Banier, qui étoit sans contredit un des plus grands guerriers de son siecle, ne pensoit jamais à aucun dessein tant soit peu considérable, qu'il ne songeât en même tems à ménager la vie des soldats. Il détestoit les voies meurtrieres, & blâmoit hautement les généraux qui sacrifioient tout à leur réputation. Il se vantoit de n'avoir jamais hazardé ni formé aucune entreprise, sans une raison évidente. Encore que César dans la guerre d'Afranius, fût assuré de la victoire, il ne voulut jamais hazarder une bataille contre lui, pour épargner la vie de ses troupes, que lorsqu'il s'apperçut que l'armée ennemie tiroit à sa ruine, lui ayant non-seulement coupé les vivres, mais encore l'eau ; il la réduisit enfin par une sage circonspection, à mettre les armes bas ". Comment. sur Polybe, tome IV. page 411.

Ce qui peut, suivant M. le maréchal de Puysegur, contribuer à la victoire, c'est l'avantage de la situation des lieux pour attaquer & pour se défendre ; la supériorité du nombre ; la force dans l'ordre de bataille ; le secret de faire combattre à-la-fois un plus grand nombre de troupes que l'ennemi ne peut le faire ; le plus de courage dans les troupes, & le plus d'art pour combattre. Quand ces différentes parties se trouvent réunies, on peut, dit cet illustre maréchal, être assuré de la victoire : mais elles se trouvent souvent partagées ; d'ailleurs il est peu de généraux qui ne fassent des fautes plus ou moins importantes, qui donnent beaucoup d'avantage à l'ennemi qui sait en profiter, & qui décident quelquefois de la victoire. En effet, selon M. de Turenne, il arrive souvent à la guerre aux capitaines les plus expérimentés, des accidens sur lesquels on auroit raison de discourir beaucoup, si l'expérience ne faisoit pas voir que les plus habiles sont ceux qui font le moins de fautes ; fautes que, comme il l'observe, il est plus aisé de remarquer que de prévenir. César lui-même n'en est pas toujours exempt ; c'est ce que M. le maréchal de Puysegur entreprend de démontrer dans son livre de l'art de la guerre, tome II. chap. xj. art. 4.

Il n'est pas rare de voir des victoires équivoques, ou que les deux partis s'attribuent également ; mais le tems & les suites font bien-tôt découvrir quel est le parti qui est véritablement victorieux. Chez les Grecs le succès des batailles n'étoit pas également incertain. L'armée qui redemandoit ses morts s'avouoit vaincue ; alors l'autre avoit le droit d'élever un trophée pour servir de monument de sa victoire.

Lorsque la victoire est acquise, il y a un art de savoir en profiter, & d'en tirer tous les avantages qui peuvent en résulter. Peu de généraux savent cet art ou veulent en profiter. Tout le monde sait ce que Maherbal dit à Annibal, voyant que ce grand homme ne marchoit point à Rome après la bataille de Cannes. Vincere scis, Annibal, sed victoriâ uti nescis. On a fait le même reproche à Gustave Adolphe, après le gain de la bataille de Leipzic, de n'avoir pas marché à Vienne dans l'étonnement où cette bataille avoit jetté la cour impériale.

Il est certain que pour peu qu'on donne de loisir à l'ennemi vaincu, il peut, avec des soins & de la diligence, réparer ses pertes, faire revenir le courage à ses soldats, à ses alliés, & trouver le moyen de reparoître pour arrêter ou suspendre les progrès du victorieux. Mais il est vraisemblable que dans le moment de satisfaction que produit une victoire, on s'en trouve pour ainsi dire enivré ; que comme on n'a pû compter absolument sur cet événement, les mesures qu'il faut prendre pour en tirer tout le fruit possible, ne se présentent pas d'abord à l'esprit. D'ailleurs, on ignore souvent la grandeur & l'importance de la victoire, la perte qu'elle a causée à l'ennemi, & quel est le découragement & la dispersion de son armée. On vient d'acquérir une très-grande gloire ; on craint de la compromettre par de nouvelles entreprises dont le succès ne paroît pas assuré. Telles sont peut-être, les différentes considérations qui empêchent quelquefois de tirer des victoires, tous les avantages qui devroient en résulter. Lorsqu'on est bien informé de tout ce qui concerne l'ennemi & qu'on veut agir contre lui, on trouve qu'il n'est plus tems. Les esprits sont revenus de leur premiere frayeur ; l'ennemi a reçu de nouveaux secours ; ses soldats dispersés sont rassemblés sous leurs drapeaux. Alors, s'il n'est point assez fort pour tenter de nouveau l'événement d'un combat, au-moins peut-il se soutenir dans un bon poste, ou sous la protection du canon de l'une de ses places. Par-là, on se trouve arrêté & gêné dans toutes les opérations qu'on voudroit faire, & il arrive que la victoire ne produit guere d'autre avantage que le gain du champ de bataille, & la gloire, si l'on veut, d'avoir battu l'ennemi. On n'éprouve point cet inconvénient lorsqu'on poursuit, comme le dit M. le maréchal de Saxe, l'armée ennemie à toute outrance, & qu'on s'en défait pour une bonne fois ; mais bien des généraux, dit-il, ne se soucient pas de finir la guerre si-tôt.

Immédiatement après la bataille, ou dès que la victoire est assurée, le général fait partir un officier de marque avec une lettre pour apprendre au souverain l'heureux succès du combat, & l'instruire fort en gros, des principales circonstances de l'action. Vingt ou trente heures après, on fait partir un second officier avec une relation plus détaillée, où l'on marque la perte qu'on a faite & celle de l'ennemi.

La politique ne permet pas toujours d'employer l'exacte vérité à cet égard dans les relations que l'on rend publiques. Il est assez ordinaire d'y diminuer sa perte & d'augmenter celle de l'ennemi ; mais comme chaque parti publie des relations du même combat, il est aisé, en les comparant les unes avec les autres, de juger à-peu-près de la vérité.

Nous observerons à cette occasion, qu'une relation bien faite, bien claire & bien précise, fait juger avantageusement des talens du général. Si elle est mal dirigée & mal conçûe, on a de la peine à croire qu'il ait eu des idées bien nettes de sa besogne. Cette sorte de travail, au reste, ne doit être fait que par lui seul. Ce ne doit point être l'ouvrage d'un sécretaire, mais de celui qui a été l'ame de toute l'action. On a vû des relations, qui bien entendues, imputoient elles-mêmes des fautes d'inadvertance à ceux qui les avoient fait dresser. Avec un peu d'habitude de penser & d'écrire, on n'agraveroit pas au-moins ses fautes, en les avouant sans s'en appercevoir. Qu'il nous soit permis de citer ici une relation qui nous a paru répondre à la beauté de l'action ; c'est celle de la bataille de Berghen.

Il est du devoir du victorieux après la bataille, de retirer les blessés du champ de bataille, de les faire conduire dans les hôpitaux, & de veiller à ce qu'ils soient bien traités. On doit avoir également soin de ses soldats & de ceux de l'ennemi ; c'est un devoir que prescrit l'humanité, & qu'on n'a pas besoin de recommander aux généraux françois. On fait aussi enterrer les morts le lendemain de la bataille, afin qu'ils n'infectent point l'air par leur corruption.

Pendant que les gens commandés pour cette opération y procédent, on suit l'ennemi, & on le fait harceler autant qu'on le peut par différens détachemens de l'armée qui le poursuivent, jusqu'à ce qu'il ait pris quelque position où il soit dangereux de le forcer.

Ce qui doit caractériser une victoire complete & en être la suite, c'est l'attaque des places de l'ennemi. Le gain de plusieurs victoires, dit M. le chevalier de Folard, ne sert de rien, s'il n'est suivi de la prise des forteresses ennemies. Ce n'est que par-là qu'on peut compter sur un établissement solide dans le pays ennemi, sans quoi une seule défaite peut faire perdre les avantages de plusieurs victoires.

Quel que soit le brillant d'une victoire, on ne doit pas s'en laisser éblouir, & se livrer à ce qu'elle a de flatteur, sans songer aux suites d'une défaite.

Polybe fait sur ce sujet les réflexions suivantes, par lesquelles nous terminerons cet article.

" La plûpart des généraux & des rois, dit cet auteur célebre, lorsqu'il s'agit de donner une bataille générale, n'aiment à se représenter que la gloire & l'utilité qu'ils tireront de la victoire ; ils ne pensent qu'à la maniere dont ils en useront avec chacun, en cas que les choses réussissent, selon leurs souhaits : jamais ils ne se mettent devant les yeux les suites malheureuses d'une défaite ; jamais ils ne s'occupent de la conduite qu'ils devront garder dans les revers de fortune ; & cela parce que l'un se présente de soi-même à l'esprit, & que l'autre demande beaucoup de prévoyance. Cependant cette négligence à faire des réflexions sur les malheurs qui peuvent arriver, a souvent été cause que des chefs, malgré le courage & la valeur des soldats, ont été honteusement vaincus, ont perdu la gloire qu'ils avoient acquise par d'autres exploits, & ont passé le reste de leurs jours dans la honte & dans l'ignominie. Il est aisé de se convaincre, qu'il y a un grand nombre de généraux qui sont tombés dans cette faute, & que c'est aux soins de l'éviter, que l'on reconnoît sur-tout combien un homme est différent d'un autre. Le tems passé nous en fournit une infinité d'exemples. " Hist. de Polybe, liv. XI. ch. j. Voyez BATAILLE, GUERRE & RETRAITE. (Q)

VICTOIRE ACTIAQUE, (Hist. rom.) actiaca victoria ; victoire qu'Auguste, ou pour mieux dire son général, remporta sur Marc-Antoine auprès du cap de la ville d'Actium. Ce prince pour rendre recommandable à la postérité la mémoire de cet événement, fit bâtir la ville de Nicopolis. Il aggrandit le vieux temple d'Apollon, où il consacra les rostres des navires ennemis ; enfin il y augmenta la magnificence des jeux solemnels nommés actiaques, qui se donnoient de cinq ans en cinq ans à la maniere des jeux olympiques.

VICTOIRE, jeux de la, (Antiq. grecq. & rom.) on appelloit jeux de la victoire, les jeux publics célébrés aux réjouissances faites à l'occasion d'une victoire : Les auteurs grecs les nomment , les jeux de la victoire, ou , fête de la victoire, & les inscriptions latines ludos victoriae. Les Romains à l'imitation des Grecs, célebrerent les fêtes & les jeux de la victoire, qui se faisoient d'abord après les jeux capitolins, Auguste après la bataille d'Actium, Septime Severe après la défaite de Pescennius Niger. La ville de Tarse fit frapper à cette occasion des médaillons sur lesquels on voit les symboles des jeux publics, & l'inscription grecque qui signifioit jeux de la victoire, célébrés en l'honneur de Septime Severe, sur le modele des jeux olympiques de la Grece.

L'an 166, Lucius Vérus revint à Rome de son expédition contre les Parthes, le sénat lui décerna, & à Marc-Aurele, les honneurs du triomphe ; les deux empereurs firent leur entrée triomphante dans Rome, vers le commencement du mois d'Août de la même année ; la cérémonie fut suivie de jeux & de spectacles magnifiques, du nombre desquels furent les jeux de la victoire , mentionnés sur le marbre de Cyzique. On éleva dans Rome plusieurs monumens, en mémoire des victoires des armées romaines sur les Parthes. Les médailles nous en ont conservé la plûpart des desseins, je n'en rappelle qu'un seul gravé au revers d'un beau médaillon de bronze, de Lucius Vérus ; ce prince y est représenté offrant la victoire à Jupiter Capitolin, & couronné par la ville de Rome. La célébration des jeux fut de la derniere magnificence ; un pancratiaste Corus y combattit, & y gagna un prix en or. La ville de Thessalonique fit graver sur ses monnoies les symboles des jeux de la victoire, qui furent célébrés en réjouissance des victoires que Gordien Pie remporta sur les Perses. Nous avons un marbre de Cyzique qui nous apprend qu'on célébra à Rome des jeux de la victoire, sous le regne de Marc-Aurele. (D.J.)

VICTOIRE, (Mythol. & Littérat.) les Grecs personnifierent la Victoire, & en firent une divinité qu'ils nommerent ; Varron la donne pour fille du Ciel & de la Terre ; mais Hésiode avoit eu une idée plus ingénieuse, en la faisant fille du Styx & de Pallante. Tous les peuples lui consacrerent des temples, des statues & des autels.

Les Athéniens érigerent dans leur capitale un temple à la Victoire, & y placerent sa statue sans aîles, afin qu'elle ne pût s'envoler hors de leurs murs ; ainsi que les Lacédémoniens avoient peint Mars enchaîné, afin, dit Pausanias, qu'il demeurât toujours avec eux. A ce même propos, on lit dans l'Anthologie, deux vers qui sont écrits sur une statue de la Victoire, dont les aîles furent brûlées par un coup de foudre. Voici le sens de ces vers. " Rome, reine du monde, ta gloire ne sauroit périr, puisque la Victoire n'ayant plus d'aîles, ne peut plus te quitter. "

Les Romains lui bâtirent le premier temple durant la guerre des Samnites, sous le consulat de L. Posthumius, & de M. Attilius Régulus. Ils lui dédierent encore, selon Tite-Live, un temple de Jupiter très-bon, après la déroute de Cannes, pour se la rendre propice ; enfin dans le succès de leurs armes contre les Carthaginois & les autres peuples, ils multiplierent dans Rome, & dans toute l'Italie le nombre des autels à sa gloire. Sylla victorieux, établit des jeux publics en l'honneur de cette divinité.

On la représentoit ordinairement comme une jeune déesse avec des aîles, tenant d'une main une couronne de laurier, & de l'autre une palme ; quelquefois elle est montée sur un globe, pour apprendre qu'elle domine sur toute la terre. Domitien la fit représenter avec une corne d'abondance. Les Egyptiens la figuroient sous l'emblême d'un aigle, oiseau toujours victorieux dans les combats qu'il livre aux autres oiseaux.

Nous avons encore un assez grand nombre de statues de la Victoire, dans les divers cabinets d'antiquités ; ce sont en petit des copies, dont les originaux embellissoient les temples & les places de Rome. On en trouvera quelques représentations dans M. de la Chausse, le P. Montfaucon, & autres antiquaires. On n'offroit en sacrifice à cette divinité, que les fruits de la terre, c'est qu'elle les consomme. Une Victoire posée sur une proue de navire, désigne une victoire navale. Ce sont de nos jours celles qui sont les plus glorieuses & les plus utiles. C'est à l'Angleterre qu'appartiennent ces sortes de triomphes. (D.J.)

VICTOIRE, (Iconol.) on la représente communément assise sur un trophée d'armes, ayant des aîles, & tenant une couronne de laurier d'une main, & de l'autre une branche de palmier. Voyez VICTOIRE, Mythol.

VICTOIRE, (Art numism.) la figure de la Victoire, est un des types les plus fréquens sur les médailles de tous les empereurs. Elle y est représentée en cent manieres différentes ; on y voit souvent avec elle le bouclier, tantôt suspendu à une colonne, tantôt entre les mains de la déesse, & les mots abrégés S. P. Q. R. quelquefois en légende sur le contour de la médaille, quelquefois gravés sur le bouclier même. Nous avons entre les consécrations d'Auguste, une médaille, où, d'un côté, est la tête d'Auguste, avec la légende divus Augustus pater ; au revers, la Victoire, sans autre légende que S. C. Dans une autre médaille de cet empereur, on voit la Victoire gravée sur le revers, ayant le pié sur un globe, les aîles étendues comme pour voler, portant de sa main droite une couronne de laurier, & de sa gauche l'étendart du prince. Dans une troisieme médaille du même empereur, on voit la Victoire assise sur les dépouilles des ennemis, ayant un trophée planté devant elle, & portant un bouclier, avec ces mots victoria Augusti. Sur le revers d'une médaille d'argent de L. Hostilius, la Victoire se trouve dépeinte portant d'une main le caducée, qui est la verge de paix de Mercure, & de l'autre un trophée des dépouilles des ennemis. Voilà la vraie Victoire, digne d'éloges. (D.J.)

VICTOIRE de S. Michel sur le diable, (Peinture) fameux tableau de Raphaël. Dans les conférences de l'académie de peinture recueillies par Félibien, la premiere traite des perfections du dessein & de l'expression de cet admirable tableau. J'y renvoie les curieux. Ils y trouveront en même tems d'excellentes remarques, qui ne peuvent qu'être utiles aux gens de l'art, & très-agréables aux amateurs, sur-tout s'ils ont sous les yeux quelque estampe choisie du tableau. Mais pour doubler le plaisir, il faut y joindre la description sublime que Milton fait du combat & de la victoire de S. Michel sur le diable, dans son paradis perdu, paradise lost. Book vj. v. 300, &c.

For likest Gods they seem'd,

Stood they or mov'd, in stature, motion, arms,

Fit to decide the empire of great Heanv'n.

Now wav'd their fiery swords, and in the air

Made horrid circles ; two broad suns their shields

Blaz'd opposite, while expectation stood

In horror : from each hand with speed retir'd,

Where erst was thictkest fight, th'angelic throng ;

And lest large field, unsafe within the wind

Of such commotion : such as (to set forth

Great thinhs by small) if natur's concord broke,

Among the constellations ware were sprung,

Two planest rushing from aspect malign

Of fiercest opposition, in mid-sky,

Should combat, and their jarring sphears confound....

" Ils ressembloient à des dieux, soit qu'ils se tinssent de pié ferme, soit qu'ils allassent en avant ; leur stature, leurs mouvemens, & leurs armes, montroient qu'ils étoient propres à décider du grand empire du ciel. On les voyoit tourner avec une rapidité incroyable leurs épées flamboyantes, qui traçoient par les airs d'horribles spheres de feu. Leurs boucliers, tels que deux grands soleils, resplendissoient vis-à-vis l'un de l'autre. Ce grand spectacle suspendit le mouvement des deux partis, saisis d'horreur, &c..... "

Je donne le reste à traduire aux plus habiles.

VICTOIRE, (Sculpt. antiq.) petite statue d'or, d'ivoire, & autres matieres, que les anciens mettoient ordinairement dans la main de leurs idoles. Il y en avoit entr'autres une fort belle que Verrès avoit détachée à Enna d'une grande statue de Cérès. Il en avoit ôté plusieurs autres d'un ancien temple de Junon bâti sur le promontoire de Malthe. Denys l'ancien ne se faisoit point aussi de scrupule d'enlever de semblables petites victoires d'or que les dieux tenoient à la main, & qu'à l'entendre ils lui présentoient eux-mêmes. Je ne les prends pas, disoit-il, je les accepte. C'est être doublement coupable, de voler les dieux, & d'en rire. (D.J.)


VICTORIA(Géog. anc.) 1°. ville de la Grande-Bretagne, que Ptolémée, l. II. c. iij. donne aux Danii ; c'est présentement Caer-Guich, selon Cambden ; 2°. ville de la Mauritanie césarienne ; Marmol dit qu'on la nomme aujourd'hui Agobel.

VICTORIAE-JULIOBRIGENSIUM PORTUS, (Géog. anc.) port de l'Espagne citérieure. Pline, liv. III. ch. xx. qui y met une ville de même nom, la donne aux Vardules. C'est aujourd'hui Sant-Andero, appellé par Mariana, Sancti Emederrii portus.


VICTORIATS. m. terme d'antiquaire ; le P. Hardouin nomme ainsi deux médailles consulaires d'argent, au revers d'une victoire assise, sous laquelle est le mot victrix. Elles sont gravées à l'année 1681 du journal des savans. (D.J.)


VICTORIEUXadj. (Gramm.) qui a remporté la victoire. On dit, un prince victorieux, une armée victorieuse. Jesus-Christ est demeuré victorieux du vieux serpent, du péché, de la mort & de l'enfer ; un raisonnement victorieux, une piece victorieuse, une grace victorieuse.


VICTUAILLESS. f. (Gramm.) terme de commerce de mer, qui signifie les vivres ou provisions de bouche qu'on embarque dans un vaisseau. Diction. de commerce.


VICTUAILLEURS. m. terme de Commerce de mer, celui qui fournit les victuailles ou vivres d'un vaisseau marchand. Voyez VICTUAILLES.


VICTUMVIAE(Géog. anc.) entrepôt ou lieu de marché en Italie, dans la Cispadane. Tite-Live, l. XXI. c. lvij. dit que les Romains avoient fortifié ce lieu durant la guerre qu'ils avoient eue avec les Gaulois, & les peuples des environs s'y étoient retirés comme dans un lieu de sûreté. Annibal ayant pris Victumviae, pilla & ruina entierement ce lieu. (D.J.)


VICUS(Géog. anc.) ce nom en latin, qui signifie dans son origine une rue, un quartier, s'est donné dans la suite en géographie, avec des épithetes distinctives, à des villages, à des bourgs & à plusieurs lieux assez considérables, dont voici des exemples.

Vicus-Apollonos, lieu d'Egypte au-delà du Nil, entre Thèbes & Coptos, selon Antonin.

Vicus-Aquarius, lieu de l'Espagne tarragonoise, sur la route d'Asturica à Sarragosse.

Vicus-Augusti, nom de deux lieux de l'Afrique propre, l'un sur la route d'Hippone à Carthage, l'autre sur la route de Carthage à Sufetula.

Vicus-Cuminarius, lieu de l'Espagne tarragonoise, chez les Carpétains ; on croit que c'est aujourd'hui Santa-Cruz de la Zarza.

Vicus-Julius, il y a deux lieux de ce nom, l'un dans la Gaule lyonnoise, que M. de Valois croit être la ville d'Aire ; l'autre dans la Gaule belgique, que Cluvier pense être Germersheim.

Vicus-Novus, lieu d'Italie dans l'Umbrie, sur la route de Rome à Adria.

Vicus-Valerius, lieu d'Italie dans le Latium ; Ortélius dit que c'est aujourd'hui Vicovaro.

Vicus-Varianus, lieu d'Italie, sur la route d'Aquilée à Boulogne. Cluvier pense que c'est aujourd'hui Vigo. (D.J.)


VIDAMES. m. (Gram. Hist. & Jurisprud.) vice dominus seu vice domnus, est celui qui représente & tient la place de l'évêque ; il a été ainsi appellé, parce que l'évêque étoit appellé par excellence dominus, ou par contraction domnus, & qu'en vieil françois dame ou dom signifioit aussi monsieur.

La fonction des vidames étoit d'exercer la justice temporelle des évêques, de sorte que les vidames étoient à leur égard à-peu-près ce que les vicomtes étoient à l'égard des comtes, avec cette différence néanmoins que sous un même comte il y avoit plusieurs vicomtes, & que ceux-ci n'avoient pas la plénitude de l'administration de la justice ; au-lieu que dans chaque évêché il n'y a qu'un seul vidame, lequel tient en fief la justice temporelle de l'évêque, & qu'il a la haute, moyenne & basse justice.

Mais comme les vicomtes de simples officiers qu'ils étoient se firent seigneurs, les vidames changerent aussi leur office en fief relevant de leur évêque.

En effet on ne connoît point de vidame en France qui ne releve de quelque évêque, ou qui ne soit annexé & réuni au temporel d'un évêché, comme le vidame de Beauvais appellé présentement le vidame de Gerberoy, qui a été réuni à l'évêché de Beauvais.

Il est même à remarquer que la plûpart des vidames ont pris leur nom des villes épiscopales, quoique leurs seigneuries en soient souvent fort éloignées, tels que les vidames de Rheims, d'Amiens, du Mans, de Chartres, & autres. Voyez Ducange au mot advocati, les recherches de Pasquier, Loyseau des seigneuries, & ci-après VIDAME. (A)


VIDAMÉ(Jurisp.) est l'office de vidame, il s'entend aussi du district ou territoire dans lequel il exerce sa jurisdiction. Voyez ci-devant VIDAME. (A)


VIDE-COQvoyez BECASSE.


VIDELLES. f. terme de Pâtissier, c'est un petit instrument de métal composé d'une petite roulette & d'un manche, dont les Pâtissiers se servent pour couper leur pâte en longs filets, pour couvrir ou servir d'ornemens à diverses pieces de four. (D.J.)


VIDIMERv. act. (Gram. & Jurisprud.) ancien terme de pratique que l'on disoit pour collationner la copie d'un acte à son original. Ce terme vient de ces mots, vidimus certas litteras, que l'on mettoit sur les copies collationnées. Voyez ci-après VIDIMUS. (A)


VIDIMUSS. m. (Gram. & Jurisprud.) terme latin consacré dans l'ancien usage pour exprimer un transcrit ou copie de piece que l'on faisoit pour suppléer l'original, en faisant mention en tête de ce transcrit que l'on en avoit vu l'original, dont la teneur étoit telle que la copie qui étoit après transcrite.

On appelloit ces transcrits ou copies des vidimus, parce qu'ils commençoient par ces mots, vidimus certas litteras quarum tenor sequitur.

Ces vidimus faisoient la même foi lorsqu'ils étoient scellés, nous avons plusieurs anciennes ordonnances qui le déclarent expressément.

L'usage de cette locution vidimus n'est pas bien constant, ni bien uniforme avant le xiv siecle.

Quelques-uns de ces vidimus étoient en françois, d'autres en latin ; la forme de ce dernier varioit au commencement, on mettoit quelquefois inspeximus, ou bien notum facimus nos vidisse litteras, on se fixa enfin à cette forme ordinaire, vidimus certas litteras, &c.

On trouve dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome I. p. 20. un vidimus donné par Philippe le Long en 1320, sur un autre vidimus de Philippe le Bel de l'an 1296, celui-ci commençoit par ces mots : Philippus, &c. notum facimus nos vidisse, tenuisse & intellexisse quoddam instrumentum, &c.

Le roi n'étoit pas le seul qui donnât des vidimus, les princes & grands du royaume & les autres personnes publiques en donnoient pareillement chacun en ce qui les concernoit ; le prevôt de Paris mettoit son vidimus aux expéditions de lettres royaux qui étoient enregistrées au registre des bannieres, & le vidimus avoit le même effet qu'aujourd'hui la collation des secrétaires du roi. On ne voit point que les actes de la jurisdiction fussent sujets au vidimus. Voyez le gloss. de Ducange, le recueil des ordonnances de la troisieme race, Imbert, Joly, & le mot COPIE COLLATIONNEE. (A)


VIDIN(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie, sur la droite du Danube, à 65 lieues au sud-est de Belgrade, avec un archevêché du rit grec. Les Turcs sont les maîtres de cette ville depuis 1689, qu'ils la reprirent sur les Impériaux. Long. 42. 4. latit. 44. 8. (D.J.)


VIDOMNES. m. (Hist. de Genève) titre & dignité que possédoit un seigneur dans la ville de Genève, ses fonctions répondoient à celles des vidames de France. Les vidomnes de Genève avoient été institués pour défendre les biens temporels de l'église & de l'évêque. Les comtes de Savoie, après avoir tenté sans succès toutes sortes de moyens pour se rendre souverains du Genevois, prirent le parti d'acheter le vidomnat de la république. Amédée V. en traita avec Guillaume de Conflans qui en étoit évêque, & il fit exercer cette jurisdiction par un lieutenant qui se nommoit vidomne. Enfin les Genevois, tyrannisés par les ducs de Savoie & par leur propre évêque Pierre de la Beaume, formerent des conseils dans leur ville à l'imitation des cantons de Berne & de Fribourg, avec lesquels ils avoient fait alliance le 7 Novembre 1529. L'un de ces conseils, qui étoit celui des deux-cent, résolut d'établir à perpétuité une nouvelle cour de justice ; il la composa d'un lieutenant & de quatre assesseurs, qu'on a depuis nommés auditeurs, pour que ce tribunal tînt lieu de celui de vidomne, dont le nom & l'office seroit aboli pour toujours. Ce projet a été si bien exécuté, que depuis ce tems-là on n'a plus entendu parler de vidomne à Genève. (D.J.)


VIDOTARA(Géog. anc.) golfe de la grande Bretagne. Ptolémée, lib. II. cap. iij. le marque sur la côte septentrionale, entre Rherigonius Sinus & Clota Aestuarium.

Ce golfe, nommé Riacius lacus par Buchanan, n'est pas, comme Ptolémée dit, sur la côte septentrionale, mais sur la côte occidentale de l'Ecosse, dans la province de Carrik. Du tems de Ptolémée, la position de la partie septentrionale de la grande Bretagne, appellée depuis l'Ecosse, n'étoit pas connue : on croyoit qu'elle s'étendoit de l'ouest à l'est, au-lieu qu'elle s'étend du midi au nord.

L'auteur des délices de la grande Bretagne, p. 1185. observe que Ptolémée parlant des deux golfes qui font la presqu'île de Mull, appelle l'un Rherigonius Sinus & l'autre Vidotara, marquant par le premier de ces noms le golfe de Glen-Luce, & par le second celui de Rian ; mais Buchanan & quelques autres après lui ont prétendu que ces noms étoient renversés, & que Rherigonius sinus devoit signifier le golfe on le lac de Rian. (D.J.)


VIDOURLELA, (Géog. mod.) en latin du moyen âge Vidurlus, petite riviere de France au Languedoc. Elle naît dans le diocèse d'Alais, & se perd dans l'étang de Thau, à trois lieues de Montpellier. (D.J.)


VIDRUS(Géog. anc.) fleuve de la Germanie, dans Ptolémée. Spener observe que la branche occidentale de l'Elms s'appelloit anciennement Vider ou Wider. (D.J.)


VIDUA(Géogr. anc.) fleuve de l'Hibernie. Ptolémée, l. II. c. ij. place l'embouchure de ce fleuve sur la côte septentrionale, entre le promontoire Venienium & l'embouchure du fleuve Argita. Le nom moderne de ce fleuve est Crodagh, selon Cambden. (D.J.)


VIDUCASSIUMVIDUCASSIUM

Il y a à deux lieues de Caën en basse Normandie un village qu'on appelle Vieux, où l'on trouve depuis long-tems une si grande quantité de restes d'antiquité, que le savant M. Huet, ancien évêque d'Avranches, auteur des origines de Caën, n'a pas douté que les Romains n'eussent eu en ce lieu-là un camp considérable : il avoit même cru que le nom de Vieux pouvoit venir de Vetera Castra, comme celui de Coutances, ville peu éloignée, vient de Constantia Castra, qui s'est toujours conservé dans les titres du pays.

Enfin en 1704, l'intendant de la province eut la curiosité d'examiner de près ces ruines, dont les plus apparentes étoient un aqueduc, un reste de chaussée, quelques débris de colonnes, des fragmens d'inscriptions, &c. Il fit fouiller aux environs, & découvrit ainsi plusieurs autres édifices dont les fondations étoient encore entieres. Entre ces édifices, le plus remarquable est un gymnase, avec des bains, dont la disposition, l'étendue & toutes les dépendances sont conformes aux regles de Vitruve.

Ces témoignages d'une ancienne ville se trouverent confirmés par les inscriptions que l'on déterra parmi ses ruines, & par celles qui avoient déja été découvertes aux environs. Elles sont presque toutes d'une espece de marbre rouge veiné, dont la carriere subsiste encore à Vieux. Dans ces inscriptions, & sur-tout dans celle qui, suivant la tradition du pays, fut transportée de Vieux à Thorigny du tems de François I. par les soins de Joachim de Matignon, il est parlé de la ville des Viducassiens, civitas Viducassium, que l'on trouve aussi nommée dans Ptolémée, & dont Pline fait mention dans le dénombrement des peuples de la seconde Lyonnoise, Parrhisii, Trecasses, Andegavi, Viducasses ou Vadiocasses, suivant d'anciens manuscrits.

La plus considérable de ces inscriptions est certainement celle qu'on a transportée de Vieux au château de Thorigny. Elle se trouve dans les mêlanges d'antiquités de M. Spon, à qui elle avoit été communiquée. C'est une base de marbre de cinq piés de haut sur deux de large, dont les trois faces sont écrites. La premiere qui manque dans M. Spon, apprend que cette base soutenoit la statue d'un P. Sennius Solemnis, originaire de la ville des Viducassiens, à qui les trois provinces des Gaules avoient d'un commun consentement déféré cet honneur dans sa ville, où l'on avoit assigné pour cela un certain espace sous le consulat d'Annius Pius & de Proculus, qui tombe à l'an de Rome 902, qui est celui où l'empereur Maximien fut tué à Aquilée.

Tres. Prov. Gall.

Primo. v. Monum. In Sua Civitate

Posuerunt Locum Ordo Civitatis

Vidue. Libenter Ded. P. XVIIII.

An. Pio Et Proculo Cos.

En voici une qui est écrite sur une base quarrée & taillée en forme d'autel.

Deo Marti

C. Victorius

Felix Pro Se Et

Junio Filio Suo

Et Maternae Victoris Conjugis

Meae V. S. L. M. Diale

Et Basso Cos. Idibus

Martis.

On a remarqué que le mot meae de cette inscription a sans doute été mis au-lieu de suae pour éviter l'équivoque, & que dialis le premier des deux consuls nommé dans l'inscription, ne se trouve point dans les fastes qui nous restent, où l'on voit des consuls du nom de Bassus sous Néron, sous Sévere, sous Valerien, sous Galien & sous Constantin. Dialis fut apparemment un de ces consuls substitués, consules suffecti, qui sont presque toujours omis dans les fastes.

On a trouvé dans les ruines de la ville des Viducassiens plusieurs médailles antiques du haut & du bas empire, depuis les premiers Césars jusqu'aux enfans du grand Constantin, d'où il est naturel de conclure que cette ville des Viducassiens n'a été entierement détruite ou abandonnée que dans le quatrieme siecle par quelque révolution, dont l'histoire a négligé de nous instruire.

La plus rare de ces médailles est grecque. Le jeune Diaduménien y est représenté avec cette inscription, . On voit au revers le philosophe Héraclite avec cette légende, .

Toutes les médailles de Diaduménien sont rares, mais les médailles grecques de ce prince sont encore plus rares que les latines, & le revers de celle-ci est unique. Il resteroit à savoir si c'est par l'océan des bords duquel la ville des Viducassiens étoit si proche, ou si c'est à-travers l'espace immense des terres que les peuples de cette contrée entretenoient commerce avec les Grecs. Peut-être que la curiosité a suffi pour faire passer des monnoies de l'Asie à une des extrêmités de l'Europe, quand ces deux parties du monde étoient presque soumises à la même domination.

Au reste M. l'Abbé Belley croit que l'ancien nom de la ville des Viducasses étoit Arigenus dont parle Ptolémée, & que la table Théodosienne appelle de même. La cité de Bayeux, civitas Bajocassium, contenoit dans le bas empire le territoire des peuples bajocasses & des peuples viducasses. (D.J.)


VIDUITÉS. f. (Gram. & Jurispr.) est l'état de veuvage, c'est-à-dire l'état d'une personne qui ayant été mariée, & ayant perdu son conjoint, n'a point encore passé à un autre mariage.

La condition de demeurer en viduité peut être imposée à quelqu'un par celui qui fait une libéralité ; mais elle n'empêche pas absolument celui à qui elle est imposée de se remarier, il est seulement déchu en ce cas des avantages qui ne lui étoient faits que sous la condition de demeurer en viduité.

Année de viduité se prend quelquefois pour l'an du deuil que les femmes sont obligées de garder après la mort de leurs maris, sous peine d'être déchues des avantages qu'ils leur ont faits. Voyez DEUIL, NOCES, SECONDES NOCES, PEINE DE L'AN DU DEUIL.

On entend aussi par année ou droit de viduité, en pays de droit écrit, un droit établi en faveur de la femme survivante, qui consiste en une certaine somme d'argent qu'on lui adjuge, tant pour les intérêts de sa dot mobiliaire que pour les alimens qui lui sont dûs, aux dépens de la succession de son mari, pendant l'année du deuil. Voyez le traité des gains nuptiaux, chap. xij.

Dans la coutume de Normandie, il y a une autre sorte de droit de viduité, qui est particulier à cette province ; il consiste en ce que, suivant l'article 382. de cette coutume, le mari ayant un enfant né vif de sa femme, jouit par usufruit, tant qu'il se tient en viduité, de tout le revenu qui appartenoit à sa femme lors de son décès, encore que l'enfant soit mort avant la dissolution du mariage ; mais si le pere se remarie, il ne jouit plus que du tiers du revenu de sa femme décedée. Voy. les commentateurs sur cet article. (A)


VIES. f. (Physiolog.) c'est l'opposé de la mort, qui est la destruction absolue des organes vitaux, sans qu'ils puissent se rétablir, ensorte que la plus petite vie est celle dont on ne peut rien ôter, sans que la mort arrive ; on voit que dans cet état délicat, il est difficile de distinguer le vivant du mort ; mais prenant ici le nom de vie dans le sens commun, je la définis un mouvement continuel des solides & des fluides de tout corps animé.

De ce double mouvement continuel & réciproque, naît la nutrition, l'accroissement auquel succede le décroissement & la mort. Voyez tous ces mots. C'est assez de dire ici que de ce mouvement résulte la dissipation des parties aqueuses, mobiles, fluides, le reste devient impropre à circuler, & fait corps avec le tuyau qu'il bouche. Ainsi l'épaississement des humeurs, l'ossification des vaisseaux, sont les tristes mais nécessaires effets de la vie. La physiologie démontre comment la machine se détruit par nuances, sans qu'il soit possible de l'empêcher par aucun remede, & l'auteur des caracteres en a fait un tableau d'après nature. Le voici :

Irene se transporte à grands frais en Epidaure, voit Esculape dans son temple, & le consulte sur tous ses maux. D'abord elle se plaint qu'elle est lasse & recrue de fatigue ; & le dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire : elle dit qu'elle est le soir sans appetit ; l'oracle lui ordonne de diner peu : elle ajoute qu'elle est sujette à des insomnies ; & il lui prescrit de n'être au lit que pendant la nuit : elle lui demande pourquoi elle devient pesante, & quel remede ; l'oracle répond qu'elle doit se lever avant midi, & quelquefois se servir de ses jambes pour marcher : elle lui déclare que le vin lui est nuisible ; l'oracle lui dit de boire de l'eau : qu'elle a des indigestions ; & il ajoute qu'elle fasse diete : ma vue s'affoiblit, dit Irene ; prenez des lunettes, dit Esculape ; je m'affoiblis moi-même, continue-t-elle, je ne suis ni si forte ni si saine que j'ai été ; c'est, dit le dieu, que vous vieillissez : mais quel moyen de guérir de cette langueur ? le plus court, Irene, c'est de mourir, comme ont fait votre mere & votre ayeule.

Vous trouverez le commentaire de ce tableau au mot VIEILLESSE. (D.J.)

VIE, durée de la vie, (Arithm. polit.) M. Derham tire des différentes durées de la vie, au commencement du monde, après le déluge, & de notre tems, un argument en faveur de la Providence divine. D'abord après la création, où il n'y avoit au monde qu'un seul homme & qu'une seule femme, l'âge ordinaire fut de neuf cent ans & plus ; immédiatement après le déluge, où il y avoit trois personnes pour renouveller le monde, il ne lui fut accordé qu'un âge moins long, & de ces trois patriarches il n'y a eu que Sem qui soit arrivé à cinq cent ans ; dans le second siecle du monde nous ne voyons personne qui ait atteint deux cent quarante ans ; dans le troisieme, presque personne qui soit parvenu à deux cent ans ; le monde, ou au moins une partie, étant alors si bien peuplée qu'on y avoit déja bâti des villes & formé des établissemens à d'assez grandes distances les uns des autres. Peu-à-peu, & à mesure que les peuples se sont accrus en nombre, la durée de la vie a diminué jusqu'à devenir enfin de 70 ou 80 ans, & elle a resté à ce degré depuis Moïse.

L'auteur trouve que par ce moyen le monde n'a dû être jamais ni trop ni trop peu peuplé, mais qu'il doit être né à-peu-près autant de personnes qu'il en est mort.

La durée ordinaire de la vie de l'homme, a été la même dans tous les âges, depuis que le monde a achevé de se peupler ; c'est une chose que l'histoire sacrée & l'histoire profane prouvent également. Pour n'en point rapporter d'autres preuves, Platon a vêcu quatre-vingt un ans, & on le regardoit comme un vieillard, & les exemples de longues vies que Pline produit comme très-extraordinaires, l. VII. c. xlviij. peuvent pour la plûpart se rencontrer dans les histoires modernes, & en particulier dans l'histoire naturelle du docteur Plott. Il parle entr'autres de douze vassaux d'un même seigneur, qui à eux douze faisoient plus de mille ans, pour ne rien dire du vieux Parrk qui a vêcu cent cinquante-deux ans neuf mois, ni de H. Jenkins, de Yorkshire, qui vêcut cent soixante neuf ans, ni de la comtesse de Demonde, ou de M. Teklestone, tous deux Irlandois, & qui passerent l'un & l'autre cent quarante ans. Chambers.

Vers la fin du dernier siecle, M. Guillaume Petit, Anglois, avoit essayé d'établir l'ordre de la mortalité des hommes par le moyen des registres mortuaires de Londres & de Dublin ; mais comme ces deux villes sont très-commerçantes, un grand nombre d'étrangers viennent s'y établir & y meurent ; ce qui fait que les registres mortuaires de ces villes ne peuvent servir à établir l'ordre de la mortalité générale du genre humain, parce qu'il faudroit, s'il étoit possible, un endroit d'où il ne sortît personne, & où il n'entrât aucun étranger. Le docteur Halley avoit choisi la ville de Breslaw pour composer une table des probabilités de la vie humaine, par la raison qu'il sort, ou du-moins qu'alors il sortoit peu de monde de cette ville, & qu'il y venoit peu d'étrangers. Il avoit déduit plusieurs usages de cette table, entr'autres la maniere de déterminer la valeur des rentes viageres simples. M. Simpson a fait imprimer à Londres, en 1742. un ouvrage sur la même matiere ; mais il est parti d'après une table établie sur l'ordre de la mortalité des habitans de Londres ; ce qui fait qu'on doit peu compter sur les conséquences qu'il en tire, à cause des raisons que nous avons indiquées tout-à-l'heure. M. Kerseboom a travaillé sur le même sujet, & a fait plus de recherches qu'aucun autre ; il a composé une table pour établir l'ordre de mortalité des provinces de Hollande & de West-frise, par des observations faites depuis près d'un siecle. Voyez MORTALITE.

Cependant ce que nous avons de plus achevé dans ce genre, c'est l'ouvrage de M. de Parcieux, de la société royale de Montpellier, intitulé, Essai sur les probabilités de la durée de la vie humaine, Paris 1745. in 4 °. Ce dernier auteur a été beaucoup plus loin que tous les précédens, & il est en particulier le premier qui ait fait l'application de l'ordre de mortalité aux tontines simples, & à celles qui sont composées. Il y a de grands avantages à déterminer exactement l'ordre de mortalité ; lorsqu'un état ou des particuliers veulent se charger de rentes viageres, il faut que le prêteur, comme l'emprunteur, sachent ce qu'ils doivent donner équitablement aux rentiers de différens âges. La matiere n'est pas moins intéressante pour ceux qui achetent des maisons ou d'autres biens à vie ; & enfin pour ceux qui font quelques pensions, & qui veulent examiner quel fonds ils donnent. Parmi les diverses manieres d'établir l'ordre de mortalité, M. de Parcieux a préféré de se servir des deux tontines qui ont été créées, l'une en Décembre 1689, & l'autre en Février 1696. Cette tontine avoit été divisée en différentes classes, pour différens âges de cinq ans en cinq ans. Tous les enfans depuis un an jusqu'à cinq exclusivement, composoient la premiere classe ; les enfans depuis cinq jusqu'à dix, la seconde classe ; & ainsi de suite. M. de Parcieux en a formé une table, & dans une des colonnes, il a placé ceux qui sont morts chaque année, & dans une autre il indique le nombre qui reste de cette classe, à mesure que les survivans acquerent un âge plus avancé ; connoissant le nombre de morts qu'il y a eu dans le courant de chaque année, il est facile de marquer ceux qui vivent au commencement de l'année suivante. Après avoir ainsi disposé dans les diverses classes, & pour les différens âges, ceux qui mouroient & ceux qui vivoient, l'auteur a cherché les rapports moyens selon lesquels sont morts tous les rentiers dans les différens âges, & dans toutes les différentes classes. Pour y parvenir il a fallu placer dans une colonne, tout ce qu'il y avoit eu de rentiers vivans du même âge, comme de vingt ans ou de vingt-cinq ans, &c. & dans une autre colonne ce qu'il y en restoit cinq ans après ; & prenant la somme totale de part & d'autre, la comparaison indique ce qu'il y a de personnes vivantes dans toutes les classes, cinq ans après & cinq ans auparavant ; enfin répetant la même opération pour chaque lustre, on parvient à l'ordre moyen de mortalité qu'on cherchoit. Il est vrai que cet ordre de mortalité établi pour les rentiers, ne doit pas être pris en rigueur pour celui de tout le monde indistinctement ; mais outre qu'il sera toujours appliquable à tous les rentiers, c'est qu'il faudra suivre le même principe, lorsqu'on voudra déterminer l'ordre de mortalité de tous les hommes.

Les rapports moyens de mortalité étant trouvés, & pour toutes les classes, M. de Parcieux a supposé un nombre de personnes, comme 1000, toutes ayant l'âge de trois ans, & il a cherché par le calcul, combien il en devoit rester à l'âge de sept ans, de douze, de dix-sept, de vingt-deux, &c. de cinq en cinq ans ; puis il en a formé une table. Les rapports qu'il indique sont un peu plus grands que ceux des tables de Mrs. Halley & Kerseboom ; mais si l'on y fait attention, on s'appercevra qu'il en doit être ainsi, parce que l'ordre moyen qu'établit M. de Parcieux, est d'après les tontiniers, qui sont pour la plûpart des gens que l'on a choisis, & que M. de Parcieux a supposé que ces mille personnes étoient des enfans de trois ans, qui ont par conséquent échappé à un grand nombre de dangers auquel la premiere enfance est sujette. Au contraire, l'ordre moyen de mortalité, trouvé par ceux que nous venons d'indiquer, est pour tous les hommes pris indifféremment ; il doit en mourir un plus grand nombre. Il résulte encore de cette théorie quantité de conséquences utiles & agréables, dans le détail desquelles nous ne saurions entrer. Ceux qui n'ont pas l'ouvrage même de M. de Parcieux, pourront recourir à l'extrait qu'en donne le journal des savans, dans le mois de Février 1745. art. 5.

M. de Parcieux nous donne dans son ouvrage la table suivante, qui contient la comparaison de toutes celles qui ont été faites sur la durée de la vie des hommes.

TABLE. Comparaisons des différentes tables qui ont été faites pour montrer l'ordre de mortalité du genre humain, ou les probabilités que les personnes de chaque âge ont de vivre jusqu'à un autre âge.

Explication de cette table. Les nombres 1, 2, 3, 4, &c. jusqu'à 100, qu'on trouve dans la premiere colonne de la table, marquent les âges pour toutes les autres colonnes de la table.

La largeur de chacune des grandes colonnes qui ont pour titre ordre établi, &c. est divisée en trois autres petites colonnes. Les nombres de la premiere de ces trois colonnes, montrent l'ordre moyen de mortalité du nombre de personnes qu'on voit au haut de chaque colonne du milieu, selon les différentes observations que chaque auteur a eues ; les autres nombres de chaque colonne du milieu, montrent la quantité de personnes qui restent à chaque âge ; ainsi, selon M. Halley, qui est l'auteur du second ordre de 1000 personnes, qu'il suppose dans l'âge courant d'une année, il en doit communément mourir 145 pendant la premiere année, 57 pendant la seconde année, 38 pendant la troisieme année, & ainsi de suite, comme on le voit dans la colonne des morts de chaque âge. Par-là, des 1000 personnes qu'il suppose à l'âge d'un an, il n'en doit communément rester que 855 à l'âge de deux ans, que 798 à l'âge de trois ans, que 732 à l'âge de cinq ans, & seulement la moitié ou environ à l'âge de 34 ans. M. Kerseboom, auteur du troisieme ordre, prétend que de 1400 enfans naissans, il n'y en a que 1125 qui arrivent à l'âge d'un an complet, 1075 à l'âge de deux ans, 964 à l'âge de cinq ans, &c.

Et selon l'ordre moyen établi d'après les listes des tontines, de 1000 rentiers qui ont l'âge de trois ans, il en meurt 30 pendant la premiere année, 22 pendant la seconde, & ainsi du reste, comme le montre la colonne des morts de chaque âge de cet ordre ; par-là il n'en reste que 948 à l'âge de cinq ans, que 880 à l'âge de dix ans, que 734 à l'âge de trente ans, &c. d'où l'on tire les probabilités qu'il y a qu'un rentier d'un âge déterminé ne mourra pas dans un tems donné.

Selon M. de Parcieux, l'ordre de mortalité de M. de Kerseboom peut servir de regle pour la mortalité du monde indistinctement, & le sien pour la mortalité des rentiers à vie.

M. de Parcieux ayant fait un recueil de plus de 3700 enfans nés à Paris, a trouvé que leur vie moyenne n'est que de 21 ans & 4 mois, en y comprenant les fausses couches, & de 23 ans & 6 mois, si on ne les compte pas ; c'est vraisemblablement de toute la France l'endroit où la vie moyenne est la plus courte.

J'ai remarqué, dit M. de Parcieux, & on pourra le remarquer comme moi lorsqu'on voudra y faire attention, qu'à Paris les enfans des gens riches ou aisés, y meurent moins en général que ceux du bas peuple. Les premiers prennent des nourrices dans Paris ou dans les villages voisins, & sont tous les jours à portée de voir leurs enfans, & les soins que la nourrice en prend ; au lieu que le bas peuple qui n'a pas le moyen de payer cher, ne peut prendre que des nourrices éloignées, les peres & meres ne voient leurs enfans que quand on les rapporte ; & en général il en meurt un peu plus de la moitié entre les mains des nourrices, ce qui vient en grande partie du manque de soins de la part de ces femmes.

M. de Parcieux a aussi donné les tables de la durée de la vie des religieux, & ces tables font connoître que les religieux vivent un peu plus à présent qu'ils ne vivoient autrefois ; que les religieux de Ste Génevieve vivent un peu moins en général que les bénédictins ; & que les religieuses vivent plus que les religieux ; ce qui paroît confirmer ce que dit M. Kerseboom, qu'un nombre quelconque de femmes vivent plus entr'elles qu'un pareil nombre d'hommes, selon le rapport de 18 à 17.

Tout le monde croit, continue M. de Parcieux, que l'âge de 40 à 50 ans est un tems critique pour les femmes : je ne sai s'il l'est plus pour elles que pour les hommes, ou plus pour les femmes du monde que pour les religieuses ; mais quant à ces dernieres, on ne s'en apperçoit point par leur ordre de mortalité comparé aux autres.

On remarquera encore en comparant les ordres de mortalité des religieux à celui des rentiers, & à celui de M. Kerseboom, que c'est un faux préjugé de croire que les religieux & religieuses vivent plus que les gens du monde.

Il y a de vieux religieux à la vérité, mais bien moins qu'on ne croit ; c'est un fait qu'on ne sauroit contester, sans nier l'exactitude de leurs nécrologes.

L'ouvrage de M. de Parcieux étoit déja sous la presse & bien avancé, lorsque M. le curé de S. Sulpice de Paris a fait imprimer l'état des baptêmes & morts de sa paroisse pour les 30 dernieres années.

" On voit par cet état que dans l'espace de 30 ans, il est mort dans la paroisse de S. Sulpice dix-sept filles, femmes mariées ou veuves, à l'âge de 100 ans, & qu'il n'y est mort que cinq hommes du même âge ; qu'il y est mort neuf femmes à l'âge de 99 ans, & seulement trois hommes ; dix femmes à l'âge de 98 ans, & point d'hommes : enfin il y est mort cent vingt-six femmes, & seulement quarante-neuf hommes au-delà de 90 ans. Les femmes vivent donc plus long-tems que les hommes, ainsi que l'a remarqué M. Kerseboom, & qu'on a dû le conclure par l'ordre de mortalité des religieuses, comparé à ceux des religieux.

Le nombre total des hommes, c'est-à-dire garçons & hommes mariés ou veufs, est moindre que celui des femmes de trois cent quatre-vingt-quatorze ; & il y a avant l'âge de 10 ans neuf cent quatre-vingt-seize garçons morts plus que de filles. Les nombres des femmes qui sont mortes dans les autres âges, doivent donc être plus grands que ceux des hommes ; il arrive pourtant qu'il y a encore plus de garçons morts entre 10 & 20 ans, que de filles ou femmes. Il ne paroît pas par cet état qu'il y ait entre 10 & 20 ans, un âge plus critique pour les filles que pour les garçons.

Il y a dix mille cent trente-sept femmes & huit mille sept cent cinquante-un hommes morts après l'âge de 30 ans. Si les nombres des femmes mortes à chaque âge en particulier, étoient proportionnés à ceux des hommes, eu égard aux deux sommes totales dix mille cent trente-sept & huit mille sept cent cinquante-un, qui restent à mourir après l'âge de 30 ans, il devroit y avoir deux mille cinq cent cinquante-six femmes mortes depuis 30 ans jusqu'à 45 ans, & il n'y en a que deux mille trois cent quinze ; il devroit y en avoir trois mille quarante-deux depuis l'âge de 45 ans jusqu'à soixante, & il n'y en a que deux mille quatre cent quarante-deux. On n'apperçoit pas plus ici qu'auparavant qu'il y ait entre 30 & 60 ans un âge plus critique pour les femmes que pour les hommes, au contraire, à en juger par cet état, il seroit bien plus critique pour les hommes que pour les femmes.

Le nombre total des garçons morts est plus grand que celui des filles, parce qu'il y a bien plus de garçons qui ne se marient pas que de filles ; d'ailleurs la paroisse de S. Sulpice est remplie d'une quantité prodigieuse d'hôtels ou grandes maisons, où il y a beaucoup plus de domestiques garçons que filles.

On voit dans cet état moins d'hommes mariés morts, que de femmes mariées, parce qu'il y a bien plus d'hommes qui se marient deux ou trois fois que de femmes ; les premiers sont beaucoup plus sujets que les dernieres à se trouver veufs dans un âge peu avancé à cause des suites de couches, & parce qu'ils trouvent bien plus aisément à se remarier que les femmes veuves, sur-tout si elles sont chargées d'enfans : aussi y voit-on plus de femmes veuves que d'hommes veufs.

Il y a plus de femmes mariées mortes avant l'âge de 20 ans, que d'hommes mariés ; cela doit être par deux raisons : 1°. on marie bien plus de filles avant l'âge de 20 ans que de garçons : 2°. les suites de couches sont, comme je l'ai déjà dit plusieurs fois très-fâcheuses aux femmes qui ne nourrissent pas leurs enfans. Les deux mêmes raisons subsistent jusqu'à 30 ans, & même jusqu'à 45 ans, surtout la derniere, parce qu'il s'agit ici de femmes mortes dans une paroisse de Paris ; mais elle ne seroit pas recevable, ou elle seroit du moins bien foible à l'égard des femmes qui nourrissent leurs enfans.

Il paroît ainsi qu'on a dû le sentir, ou le conclure de ce que j'ai dit ci-devant, qu'on vit plus longtems dans l'état de mariage, que dans le célibat. Le nombre des garçons qui sont morts depuis l'âge de 20 ans, est un peu plus de la moitié de la somme des hommes mariés & veufs morts depuis le même âge de 20 ans, il n'y a cependant que six garçons qui aient passé l'âge de 90 ans, & il y a quarante-trois hommes mariés ou veufs qui ont passé le même âge. Le nombre de filles qui sont mortes depuis l'âge de 20 ans, est presque le quart de la somme des femmes mariées ou veuves mortes depuis le même âge ; il n'y a cependant que quatorze filles qui aient passé l'âge de 90 ans, & il y a cent douze femmes mariées ou veuves qui ont été au-delà du même âge.

Pendant les 30 mêmes années, il a été baptisé dans la paroisse de S. Sulpice 69600 enfans, dont 35531 garçons, & 34069 filles ; ce qui est à très-peu de chose près, comme 24 est à 23.

Depuis 1720 il a été baptisé à Londres année commune, 17600 enfans par an, ou environ ; & il est mort 26800 personnes. Là le nombre des morts surpasse de beaucoup celui des naissances ; & au contraire il y a à Paris plus de baptêmes que de morts ; car année commune il a été baptisé dans la paroisse de S. Sulpice 2320 enfans, & il n'y est mort que 1618 personnes. Il est vrai que par l'état général qu'on imprime tous les ans pour toutes les paroisses de Paris, on ne trouve pas une si grande différence ; mais il y a toujours plus de naissances que de morts, puisque selon ces états on baptise à Paris, année commune, 18300 enfans ou environ, & il n'y meurt que 18200 personnes. Au reste, ces états ont été faits avec trop peu de soin pour qu'on doive y compter ".

On peut voir un plus grand détail dans l'ouvrage que M. de Parcieux nous a donné sur ce sujet, & auquel nous renvoyons nos lecteurs, après en avoir extrait tout ce qui précede. L'auteur a donné une suite de cet ouvrage en 1760, dans laquelle on trouve encore d'autres tables de mortalité ; l'une d'après les registres d'une paroisse de campagne, & l'autre d'après les dénombremens faits en Suede. M. Dupré de S. Maur, de l'académie françoise, fait actuellement sur ce sujet de grandes recherches qu'il se propose, dit-on, de publier un jour ; & c'est d'après ces recherches déjà commencées depuis plusieurs années, que M. de Buffon nous a aussi donné une table de mortalité dans le III. vol. in-4 °. de son Hist. naturelle, qui est entre les mains de tout le monde. C'est pour cela que nous ne transcrivons pas ici cette table. Voyez MORTALITE & ARITHMETIQUE POLITIQUE.

VIE MORALE, (Philosoph.) on appelle vie morale, celle qui s'étend avec gloire au-delà du tombeau.

La comparaison de la briéveté de cette vie mortelle, avec l'éternité d'une vie morale dans le souvenir des hommes, étoit familiere aux Romains, & a été chez eux la source des plus grandes actions. Le christianisme mal entendu, a contribué à faire perdre ce noble motif, si utile à la société. Il est pourtant vrai que l'idée de vivre glorieusement dans la mémoire de la postérité, est une chose qui flatte beaucoup dans le tems qu'on vit réellement. C'est une espece de consolation & de dédommagement de la mort naturelle à laquelle nous sommes tous condamnés. Ce ministre d'état, ce riche financier, ce seigneur de la cour, périront entierement lorsque la mort les enlevera. A peine se souviendra-t-on d'eux au bout de quelques mois ? A peine leur nom sera-t-il prononcé ? Un homme célébre au contraire, soit à la guerre, soit dans la magistrature, soit dans les sciences & les beaux arts, n'est point oublié. Les grands du monde qui n'ont que leur grandeur pour apanage, ne vivent que peu d'années. Les grands écrivains du monde au contraire, sont immortels ; leur substance est par conséquent bien supérieure à celle de toutes les créatures périssables. Quo mihi rectius videtur, dit Salluste, ingenii quàm virium opibus gloriam quaerere, & quoniam vita ipsa quâ fruimur brevis est, memoriam nostri quàm maximè longam efficere. Telle est aussi la pensée de Virgile.

Stat sua cuique dies : breve & irreparabile tempus

Omnibus est vitae ; sed famam extendere factis,

Hoc virtutis opus !

(D.J.)

VIE, (Morale) ce mot se prend en morale pour la vie civile & les devoirs de la société, pour les moeurs, pour la durée de notre existence, &c.

La vie civile est un commerce d'offices naturels, où le plus honnête homme met davantage ; en procurant le bonheur des autres, on assure le sien.

L'ordre des devoirs de la société est de savoir se conduire avec ses supérieurs, ses égaux, ses inférieurs ; il faut plaire à ses supérieurs sans bassesse ; montrer de l'estime & de l'amitié à ses égaux ; ne point faire sentir le poids de son rang ou de sa fortune à ses inférieurs.

Les moeurs douces, pures, honnêtes entretiennent la santé, donnent des nuits paisibles, & conduisent à la fin de la carriere par un sentier semé de fleurs.

La durée de notre existence est courte, il ne faut pas l'abréger par notre déréglement, ni l'empoisonner par les frayeurs de la superstition. Conduits par la raison, & tranquilles par nos vertus :

Attendons que la Parque

Tranche d'un coup de ciseau

Le fil du même fuseau,

Qui devide les jours du peuple & du monarque ;

Lors satisfaits du tems que nous aurons vécu,

Rendons graces à la nature,

Et remettons-lui sans murmure,

Ce que nous en avons reçu.

Quand l'ame n'est pas ébranlée par un grand nombre de sensations, elle s'envole avec moins de regret ; le corps reste sans mouvement, on jette de la terre dessus, & en voilà pour une éternité. (D.J.)

VIE privée des Romains, (Hist. romaine) nous entendons par ce mot la vie commune que les particuliers au-dessus du peuple menoient à Rome pendant le cours de la journée. La vie privée de ce peuple a été un point un peu négligé par les compilateurs des antiquités romaines, tandis qu'ils ont beaucoup écrit sur tous les autres sujets.

Les moeurs des Romains ont changé avec leur fortune. Ils vivoient au commencement dans une grande simplicité. L'envie de dominer dans les patriciens, l'amour de l'indépendance dans les plébéiens occupa les Romains de grands objets sous la république ; mais dans les intervalles de tranquillité, ils se donnoient tout entiers à l'agriculture. Les illustres familles ont tiré leurs surnoms de la partie de la vie rustique qu'ils ont cultivée avec le plus de succès, & la coutume de faire son principal séjour à la campagne prit si fort le dessus, qu'on institua des officiers subalternes nommés viateurs, dont l'unique emploi étoit d'aller annoncer aux sénateurs les jours d'assemblée extraordinaire. La plûpart des citoyens ne venoient à la ville que pour leurs besoins & les affaires du gouvernement.

Leur commerce avec les Asiatiques corrompit dans la suite leurs moeurs, introduisit le luxe dans Rome, & les assujettit aux vices d'un peuple qu'ils venoient d'assujettir à leur empire. Quand la digue fut une fois rompue, on tomba dans des excès qui ne firent qu'augmenter avec le tems ; les esclaves furent chargés de tout ce qu'il y avoit de pénible au-dedans & au-dehors. On distingua les esclaves de ville des esclaves de la campagne : ceux-ci étoient pour la nécessité, ceux-là pour le luxe ; & on eut recours à des concussions pour fournir à des profusions immenses.

Les Romains ont été 450 ans sans connoître dans la journée d'autre distinction que le matin, le midi & le soir. Ils se conformerent dans la suite aux cadrans introduits par Papirius Cursor & par Martius Philippus, pour la distinction des heures, que Scipion Nasica marqua le premier par l'écoulement de l'eau. Ils avoient communément des esclaves, dont l'unique emploi étoit d'observer les heures. Il y en avoit douze au jour, tantôt plus longues, tantôt plus courtes, selon la diversité des saisons. Les six premieres étoient depuis le lever du soleil jusqu'à midi : les six dernieres depuis midi jusqu'à la nuit.

La premiere heure étoit consacrée aux devoirs de la religion.

Les temples étoient ouverts à tout le monde, & souvent même avant le jour pour les plus matineux, qui y trouvoient des flambeaux allumés. Ceux qui ne pouvoient pas aller au temple, suppléoient à ce devoir dans leur oratoire domestique, où les riches faisoient des offrandes, pendant que les pauvres s'acquittoient par de simples salutations.

Au surplus, on ne doit point s'étonner de ce que leurs prieres étant si courtes, il leur falloit cependant pour cela une heure, & quelquefois plus. Le grand nombre de besoins réels ou imaginaires, la multiplicité des dieux auxquels il falloit s'adresser séparément pour chaque besoin, les obligeoit à bien des pélérinages, dont ceux qui savoient adorer en esprit & en vérité, étoient affranchis.

Mais cette premiere heure n'étoit pas toujours pour les dieux seuls. Souvent la cupidité & l'ambition y avoient meilleure part que la piété. Elle étoit employée, ainsi que la seconde heure, à faire des visites aux gens de qui on espéroit des graces ou des bienfaits.

Pour la troisieme heure, qui répondoit à nos neuf heures du matin, elle étoit toujours employée aux affaires du barreau, excepté dans les jours que la religion avoit consacrés, ou qui étoient destinés à des choses plus importantes que les jugemens, telles que les comices. Cette occupation remplissoit les heures suivantes jusqu'à midi ou la sixieme heure, suivant leur maniere de compter.

Ceux qui ne se trouvoient point aux plaidoyeries comme juges, comme parties, comme avocats ou comme solliciteurs, y assistoient comme spectateurs & auditeurs, & pendant la république, comme juge des juges mêmes. En effet, dans les procès particuliers, comme ils se plaidoient dans les temples, il n'y avoit guere que les amis de ces particuliers qui s'y trouvassent ; mais quand c'étoit une affaire où le public étoit intéressé, par exemple, quand un homme au sortir de sa magistrature, étoit accusé d'avoir mal gouverné sa province, ou mal administré les deniers publics, d'avoir pillé les alliés, ou donné quelque atteinte à la liberté de ses concitoyens, alors la grande place où les causes se plaidoient, étoit trop petite pour contenir tous ceux que la curiosité ou l'esprit de patriotisme y attiroit.

Si ces grandes causes manquoient (ce qui arrivoit rarement depuis que les Romains furent en possession de la Sicile, de la Sardaigne, de la Grece, de la Macédoine, de l'Afrique, de l'Asie, de l'Espagne & de la Gaule), on n'en passoit pas moins la troisieme, la quatrieme & la cinquieme heure du jour dans les places, & malheur alors aux magistrats dont la conduite n'étoit pas irréprochable ; la recherche les épargnoit d'autant moins, qu'il n'y avoit aucune loi qui les en mît à couvert.

Quand les nouvelles de la ville étoient épuisées, on passoit à celles des provinces, autre genre de curiosité qui n'étoit pas indifférente, puisque les Romains regardoient les provinces du même oeil qu'un fils de famille regarde les terres de son pere ; & d'ailleurs elles étoient la demeure fixe d'une infinité de chevaliers romains qui y faisoient un commerce aussi avantageux au public, que lucratif pour eux particuliers.

Quoique tous les citoyens, généralement parlant, donnassent ces trois heures à la place & à ce qui se passoit, il y en avoit cependant de bien plus assidus que les autres. Horace les appelle forenses, Plaute & Priscien subbasilicani, & M. Coelius écrivant à Ciceron, subrostrani ou subrostrarii. Les autres moins oisifs s'occupoient suivant leur condition, leur dignité & leurs desseins. Les chevaliers faisoient la banque, tenoient registres des traités & des contrats. Les prétendans aux charges & aux honneurs mendioient les suffrages. Ceux qui avoient avec eux quelque liaison de sang, d'amitié, de patrie ou de tribu, les sénateurs mêmes de la plus haute considération, par affection ou par complaisance pour ces candidats, les accompagnoient dans les rues, dans les places, dans les temples, & les recommandoient à tous ceux qu'ils rencontroient ; comme c'étoit une politesse chez les Romains d'appeller les gens par leur nom & par leur surnom, & qu'il étoit impossible qu'un candidat se fût mis tant de différens noms dans la tête, ils avoient à leur gauche des nomenclateurs qui leur suggéroient tous les noms des passans.

Si dans ce tems-là quelque magistrat de distinction revenoit de la province, on sortoit en foule de la ville pour aller au-devant de lui, & on l'accompagnoit jusque dans sa maison, dont on avoit pris soin d'orner les avenues de verdure & de festons. De même, si un ami partoit pour un pays étranger, on l'escortoit le plus loin qu'on pouvoit, on le mettoit dans son chemin, & l'on faisoit en sa présence des prieres & des voeux pour le succès de son voyage & pour son heureux retour.

Tout ce qu'on vient de dire, s'observoit aussi bien pendant la république que sous les Césars. Mais dans ces derniers tems il s'introduisit chez les grands seigneurs une espece de manie dont on n'avoit point encore vu d'exemple. On ne se croyoit point assez magnifique, si l'on ne se donnoit en spectacle dans tous les quartiers de la ville avec un nombreux cortege de litieres précédées & suivies d'esclaves lestement vêtus. Cette vanité coutoit cher ; & Juvenal qui en a fait une si belle description, assure qu'il y avoit des gens de qualité & des magistrats que l'avarice engageoit à grossir la troupe de ces indignes courtisans.

Enfin venoit la sixieme heure du jour, c'est-à-dire midi ; à cette heure chacun songeoit à se retirer chez soi, dinoit légérement, & faisoit la méridienne.

Le personnage que les Romains jouoient après diner, étoit aussi naturel que celui qu'ils jouoient le matin, étoit composé. C'étoit chez eux une coutume presque générale de ne rien prendre sur l'après midi pour les affaires, comme de ne rien donner de la matinée aux plaisirs. La paume ou le ballon, la danse, la promenade à pié ou en char remplissoient leur après-midi. Ils avoient des promenoirs particuliers & de publics, dans lesquels les uns passoient quelques heures en des conversations graves ou agréables, tandis que les autres s'y donnoient en spectacle au peuple avec de nombreux cortèges, & que les jeunes gens s'exerçoient dans le champ de Mars à tout ce qui pouvoit les rendre plus propres au métier de la guerre.

Vers les trois heures après-midi, chacun se rendoit en diligence aux bains publics ou particuliers. Les poëtes trouvoient là tous les jours un auditoire à leur gré, pour y débiter les fruits de leurs muses. La disposition même du lieu étoit favorable à la déclamation. Tout citoyen quel qu'il fût, manquoit rarement aux bains. On ne s'en abstenoit guere que par paresse & par nonchalance, si l'on n'étoit obligé de s'en abstenir par le deuil public ou particulier.

Horace qui fait une peinture si naïve de la maniere libre dont il passoit sa journée, se donne à lui-même cet air d'homme dérangé qu'il blâme dans les autres poëtes, & marque assez qu'il se soucioit peu du bain.

Secreta petit loca, balnea vitat.

La mode ni les bienséances ne me gênent point, dit-il, je vais tout seul où il me prend envie d'aller, je passe quelquefois par la halle, & je m'informe de ce que coutent le blé & les légumes. Je me promene vers le soir dans le cirque & dans la grande place, & je m'arrête à écouter un diseur de bonne avanture, qui débite ses visions aux curieux de l'avenir. De-là je viens chez moi, je fais un souper frugal, après lequel je me couche & dors sans aucune inquiétude du lendemain. Je demeure au lit jusqu'à la quatrieme heure du jour, c'est-à-dire jusqu'à dix heures, &c.

Vers les quatre heures après-midi que les Romains nommoient la dixieme heure du jour, on alloit souper. Ce repas laissoit du tems pour se promener & pour vaquer à des soins domestiques. Le maître passoit sa famille & ses affaires en revue, & finalement alloit se coucher. Ainsi finissoit la journée romaine. (D.J.)

VIES, (Histoire) on appelle vies, des histoires qui se bornent à la vie d'un seul homme, & dans lesquelles on s'arrête autant sur les détails de sa conduite particuliere, que sur le maniement des affaires publiques, s'il s'agit d'un prince ou d'un homme d'état.

Les anciens avoient un goût particulier pour écrire des vies. Pleins de respect & de reconnoissance pour les hommes illustres, & considérant d'ailleurs que le souvenir honorable que les morts laissent après eux, est le seul bien qui leur reste sur la terre qu'ils ont quittée, ils se faisoient un plaisir & un devoir de leur assurer ce foible avantage. Je prendrois les armes, disoit Cicéron, pour défendre la gloire des morts illustres, comme ils les ont prises pour défendre la vie des citoyens. Ce sont des leçons immortelles, des exemples de vertu consacrés au genre humain. Les portraits & les statues qui représentent les traits corporels des grands hommes, sont renfermés dans les maisons de leurs enfans, & exposés aux yeux d'un petit nombre d'amis ; les éloges placés par des plumes habiles représentent l'ame même & les sentimens vertueux. Ils se multiplient sans peine ; ils passent dans toutes les langues, volent dans tous les lieux, & servent de maîtres dans tous les tems.

Cornelius Nepos, Suétone & Plutarque ont préféré ce genre de récit aux histoires de longue haleine. Ils peignent leurs héros dans tous les détails de la vie, & attachent sur-tout l'esprit de ceux qui cherchent à connoître l'homme. Plutarque en particulier a pris un plan également étendu & intéressant. Il met en parallele les hommes qui ont brillé dans le même genre. Chez lui Cicéron figure à côté de Démosthène, Annibal à côté de Scipion. Il me peint tour-à-tour les mortels les plus éminens de la Grece & de Rome ; il m'instruit par ses réflexions, m'étonne par son grand sens, m'enchante par sa philosophie vertueuse, & me charme par ses citations poétiques, qui, comme autant de fleurs, émaillent ses écrits d'une agréable variété.

" Il me fait converser délicieusement dans ma retraite gaie, saine & solitaire, avec ces morts illustres, ces sages de l'antiquité révérés comme des dieux, bienfaisans comme eux, héros donnés à l'humanité pour le bonheur des arts, des armes & de la civilisation. Concentré dans ces pensées motrices de l'inspiration, le volume antique me tombe des mains ; & méditant profondément, je crois voir s'élever lentement, & passer devant mes yeux surpris ces ombres sacrées, objets de ma vénération.

Socrate d'abord, demeure seul vertueux dans un état corrompu ; seul ferme & invincible, il brava la rage des tyrans, sans craindre pour la vie ni pour la mort, & ne connoissant d'autres maîtres que les saintes loix d'une raison calme, cette voix de Dieu qui retentit intérieurement à la conscience attentive.

Solon, le grand oracle de la morale, établit sa république sur la vaste base de l'équité ; il sut par des loix douces réprimer un peuple fougueux, lui conserver tout son courage & ce feu vif par lequel il devint si supérieur dans le champ glorieux des lauriers, des beaux arts & de la noble liberté, & qui le rendit enfin l'admiration de la Grece & du genre humain.

Lycurgue, cette espece de demi-dieu, sévérement sage, qui plia toutes les passions sous le joug de la discipline, ôta par son génie la pudeur à la chasteté, choqua tous les usages, confondit toutes les vertus, & mena Sparte au plus haut degré de grandeur & de gloire.

Après lui s'offre à mon esprit Léonidas, ce chef intrépide, qui s'étant dévoué pour la patrie, tomba glorieusement aux Thermopiles, & pratiqua ce que l'autre n'avoit qu'enseigné.

Aristide leve son front où brille la candeur, coeur vraiment pur, à qui la voix sincere de la liberté, donna le grand nom de juste : respecté dans sa pauvreté sainte & majestueuse, il soumit au bien de sa patrie, jusqu'à sa propre gloire, & accrut la réputation de Thémistocle, son rival orgueilleux.

J'apperçois Cimon son disciple couronné d'un rayon plus doux ; son génie s'élevant avec force, repoussa au loin la molle volupté : au-dehors il fut le fléau de l'orgueil des Perses ; au-dedans il étoit l'ami du mérite & des arts ; modeste & simple au milieu de la pompe & de la richesse.

Périclès, tyran désarmé, rival de Cimon, subjugua sa patrie par son éloquence, l'embellit de cent merveilles ; & après un gouvernement heureux, finit ses jours de triomphe, en se consolant de n'avoir fait prendre le manteau noir à aucun citoyen.

Je vois ensuite paroître & marcher pensifs, les derniers hommes de la Grece sur son déclin, héros appellés trop tard à la gloire, & venus dans des tems malheureux : Timoléon, l'honneur de Corinthe, homme heureusement né, également doux & ferme, & dont la haute générosité pleure son frere dans le tyran qu'il immole.

Pélopidas & Epaminondas, ces deux thébains égaux aux meilleurs, dont l'héroïsme combiné éleva leur pays à la liberté, à l'empire, & à la renommée.

Le grand Phocion, dans le tombeau duquel l'honneur des Athéniens fut enseveli ; Severe comme l'homme public, inexorable au vice, inébranlable dans la vertu ; mais sous son toit illustre, quoique bas, la paix & la sagesse heureuse adoucissoient son front ; l'amitié ne pouvoit être plus douce, ni l'amour plus tendre.

Agis le dernier des fils du vieux Lycurgue, fut la généreuse victime de l'entreprise, toujours vaine de sauver un état corrompu ; il vit Sparte même perdue dans l'avarice servile.

Les deux freres achaiens fermerent la scène : Aratus qui ranima quelque tems dans la Grece la liberté expirante.

Et l'aimable Philopoemen, le favori & le dernier espoir de son pays, qui ne pouvant en bannir le luxe & la pompe, sut le tourner du côté des armes ; simple & laborieux à la campagne, chef habile & hardi aux champs de Mars.

Un peuple puissant, race de héros, paroît dans le même paysage pour m'offrir des pieces de comparaison, & me mettre en état de juger le mérite entre les deux premieres nations du monde.

Il me semble que le front plus severe de ce dernier peuple, n'a d'autre tache qu'un amour excessif de la patrie, passion trop ardente & trop partiale. Numa, la lumiere de Rome, fut son premier & son meilleur fondateur, puisqu'il fut celui des moeurs. Le roi Servius posa la base solide sur laquelle s'éleva la vaste république qui domina l'univers. Viennent ensuite les grands & véritables consuls.

Junius Brutus, dans qui le pere public du haut de son redoutable tribunal, fit taire le pere privé.

Camille, que son pays ingrat ne put perdre, & qui ne sut venger que les injures de sa patrie.

Fabricius, qui foule aux piés l'or séducteur.

Cincinnatus, redoutable à l'instant où il quitta sa charrue.

Coriolan, fils soumis, mari sensible, coupable seulement d'avoir pris le parti des Volsques contre les Romains.

Le magnanime Paul Emile rend la liberté à toutes les villes de Macédoine.

Marcellus défait les Gaulois, & s'empare de Syracuse en pleurant la mort d'Archimede.

Et toi sur-tout Régulus, victime volontaire de Carthage, impétueux à vaincre la nature, tu t'arraches aux larmes de ta famille pour garder ta foi, & pour obéir à la voix de l'honneur. "

Les vies du philosophe de Chéronée, offrent encore à mes réflexions, " Marius fuyant, & se cachant dans les marais de Minturne ; Sylla son successeur, dont l'abdication noble, hardie, sensée, vertueuse, rendit son nom célebre dans Rome jusqu'à la fin de sa vie.

Les Gracques doués du talent de la parole, sont pleins de feu, & d'un esprit d'autorité des tribuns qui leur fut fatal ; esprit toujours turbulent, toujours ambitieux, toujours propre à produire des tyrans populaires.

Lucullus est malheureux de n'être pas mort dans le tems de ses victoires.

Scipion, ce chef également brave & humain, parcourt rapidement tous les différens degrés de gloire sans tache ; ardent dans la jeunesse, il sut ensuite gouter les douceurs de la retraite avec les muses, l'amitié, & la philosophie.

Sertorius, le premier capitaine de son tems, tout fugitif qu'il étoit, & chef de barbares en terre étrangere, tint tête à toutes les forces de la république, & périt par l'assassinat d'une de ses créatures.

Cicéron, ta puissante éloquence arrêta quelque tems le rapide destin de la chûte de Rome !

Caton, tu es la vertu même, dans les plus grands dangers !

Et toi malheureux Brutus, héros bienfaisant, ton bras tranquille, poussé par l'amour de la liberté, plongea l'épée romaine dans le sein de ton ami ! Voilà les hommes dont Plutarque a fait le tableau ! " (D.J.)

VIES DES SAINTS, (Hist. ecclésiastique) voyez LEGENDE.

Ajoutez ici avec l'auteur de l'esprit des loix, que si les vies des saints ne sont pas véridiques sur les miracles, elles fournissent du-moins de grands éclaircissemens sur l'origine des servitudes, de la glèbe, & des fiefs : d'ailleurs les mensonges qui s'y trouvent peuvent apprendre les moeurs & les loix du tems, parce qu'ils sont relatifs à ces moeurs & à ces loix. On lit, par exemple, dans les vies des saints, que Clovis donna à un saint personnage la puissance sur un territoire de six lieues de pays, & qu'il voulut qu'il fût libre de toute jurisdiction quelconque. Il est vraisemblable que ce trait d'histoire est une fausseté, mais elle nous prouve que les mensonges se rapportent aux moeurs & aux loix du tems, & ce sont ces moeurs & ces loix qu'il faut chercher dans la lecture des vies des saints. (D.J.)

VIE, (Jurisprud.) en cette matiere se distingue en vie naturelle & vie civile.

On entend par vie naturelle le cours de la vie selon la nature.

La vie civile est l'état que tient dans l'ordre politique, celui qui n'en est pas déchu par quelque changement arrivé dans sa personne : ce changement arrive ou par ingression en religion, ou par quelque peine qui emporte mort civile. C'est en conséquence de la vie civile, que le citoyen jouït des droits qui sont émanés de la loi, & dont cesse de jouïr celui qui est mort civilement. Voyez CITE, MORT, PROFESSION RELIGIEUSE. (A)

VIE, VIVRE, VIVANT, (Crit. sacr.) l'Ecriture parle au propre & au figuré de la vie du corps & de celle de l'ame, de la vie temporelle & de la vie éternelle. La vie temporelle étoit la récompense de l'observation de l'ancienne loi. Le seigneur est appellé le Dieu vivant, parce que lui seul vit essentiellement. Le Seigneur est vivant, est une formule de serment par la vie de Dieu ; laquelle formule se trouve souvent dans l'Ecriture. Vous jurerez en vérité, selon votre conscience & en justice ; le Seigneur est vivant, dit Jérémie, iv. 2. La terre des vivans, par rapport à ceux qui sont morts, c'est le monde ; dans le sens spirituel, c'est le ciel où la mort ne regne plus.

Les eaux vivantes, sont les eaux pures, les eaux de source, Lévitiq. 14.

Jésus-Christ est la vie, parce que la pratique de ses préceptes nous conduit à une vie heureuse. (D.J.)

VIE, la, (Géog. mod.) nom commun à deux petites rivieres de France, l'une dans la haute Normandie, l'autre dans le bas-Poitou. La premiere a sa source au pays d'Auge, & se jette dans la Dive. La seconde née au-dessus de Poire-sur-Roche, se perd dans la mer. (D.J.)


VIEILVIEUX, adj. (Gram.) qui est depuis longtems, & qui touche à la fin de sa durée. Un vieil homme, un vieil habit, un vieux cheval. C'est un homicide, à la maniere de Platon, que de caresser une vieille. On est vieux à soixante ans ; décrépit à quatre-vingt. Il y a de vieilles histoires, qui n'en sont pas plus vraies, quoiqu'on les répete sans cesse ; de vieux bons mots que tout le monde sait, & qui sont la provision d'esprit des sots ; de vieux manuscrits qu'on ne consulte plus ; peu de vieilles passions ; beaucoup de vieux livres, qu'on ne lit guere, quoique souvent une page de ces vieux livres ait plus de substance que tout un volume nouveau ; on parle aussi d'un bon vieux tems qu'on regrette, & ces regrets prouvent du-moins qu'on est mécontent de celui qui court ; de vieilles amitiés ; d'un vieux langage dont notre jargon académique n'est qu'un squelete ; de vieux capitaines qui savoient leur métier, & dont nous avons bon besoin, &c.

VIEIL DE LA MONTAGNE, terme de relation ; quelques-uns disent vieux de la montagne, & d'autres vieillards de la montagne ; nom du prince ou sultan des Ismaéliens de l'Iraque persienne, que les musulmans appellent Molahedah, impies & schismatiques, dont les sujets se dévouoient, pour assassiner ceux que leur prince tenoit pour ses ennemis.

Le premier vieil, de la montagne fut Hassan-Sabah, qui environ l'an de l'hégire 493, qui est l'an de J. C. 1099, fonda la seconde branche des Ismaéliens de Perse, que nos historiens ont nommés les assassins, par corruption du mot arsacides ; les chefs de ces cantons de la Syrie se vantant d'être descendus de l'illustre Arsace, qui fonda l'empire des Parthes, environ 245 ans avant J. C. cependant les sujets de ce prince ismaélien cantonnés dans les montagnes de la Syrie, ne sont connus dans l'histoire de nos croisades que sous le nom d'assassins.

Guillaume de Neubourg raconte un fait particulier d'un des princes de ces montagnards de l'Iraque persienne. Conrard, marquis de Montferrat, fut assassiné en 1191, lorsqu'il se promenoit dans la place publique de la ville de Tyr ; les uns accuserent le prince de Torone de cet assassinat, les autres l'imputerent à Richard, roi d'Angleterre : mais le vieil de la montagne ayant su l'injuste soupçon que l'on avoit contre ces deux princes, écrivit une lettre pour la justification de l'un & de l'autre, déclarant qu'ayant été offensé par le marquis de Montferrat, il l'avoit averti de lui faire la satisfaction qui lui étoit dûe, mais que ce seigneur ayant négligé cet avertissement, il avoit envoyé quelques-uns de ses satellites, qui en lui ôtant la vie, s'étoient rendus dignes de récompense. On peut juger par cette lettre de la barbarie du vieil de la montagne ; mais on jugera de sa politesse par le présent qu'il fit au roi saint Louis, lorsqu'il étoit dans Acre. Voyez à ce sujet Joinville, & les observations de du Cange sur cet historien. (D.J.)


VIEILLARDS. m. (Morale) homme qui est parvenu au dernier âge de la vie, qu'on appelle la vieillesse.

Les vieillards, dit Horace, sont assiégés de mille défauts. Une malheureuse avarice les tourmente sans cesse pour amasser du bien, & leur défend d'y toucher ; la timidité les glace, & les rend comme perclus ; ils n'esperent que foiblement, ils temporisent continuellement, ils n'agissent que lentement ; toujours allarmés sur l'avenir, toujours plaintifs & difficiles, panégyristes ennuyeux du tems passé, censeurs séveres, & sur-tout grands donneurs d'avis aux jeunes gens.

Multa senem circumveniunt incommoda : vel quod

Quaerit, & inventis miser abstinet, ac timet uti :

Vel quod res omnes timidè, gelidèque ministrat,

Dilator, spe longus, iners, pavidusque futuri,

Difficilis, querulus, laudator temporis acti

Se puero, censor castigatorque minorum.

Cette peinture est aussi belle que vraie : multa senem circumveniunt incommoda, un vieillard est assiégé de maux. Dilator, il n'a jamais assez délibéré. Spe longus, ou si vous voulez lentus, il n'espere que foiblement, il est long à concevoir des espérances ; iners, il ne sait pas se remuer ; pavidusque futuri, il est toujours allarmé sur l'avenir, il tremble que le nécessaire lui manque ; querulus, de mauvaise humeur ; laudator temporis acti, il ne vante que le tems passé ; enfin pour finir de peindre les vieillards ; entiers dans le passé, ils en conservent toujours une idée agréable, parce que c'étoit le tems de leurs plaisirs ; & toujours occupés d'eux,

Racontent ce qu'ils ont été,

Oubliant qu'ils vont cesser d'être.

Un vieillard qui tient le timon de l'état, trouve presque toujours des difficultés, voit des dangers par-tout, délibére éternellement, a des craintes & des remords avant le tems, ne mene jamais une affaire jusqu'où elle doit aller, & compte pour une fortune complete le plus petit succès. Qu'un juste mêlange de ces excès réduits à la modération qui fait les vertus, mettroit un excellent tempérament dans les affaires du gouvernement !

Tout vieillard en général doit penser à la retraite. Il est un tems de se retirer, comme il est un tems de paroître.

Un vieillard infirme & chagrin ne sauroit guere se montrer dans le monde, que pour être un objet de compassion ou de raillerie : il faut alors laisser jouir la jeunesse des avantages du bel âge ; il faut se reduire aux plaisirs tranquilles de la lecture, ménager la complaisance de ceux qui veulent bien nous souffrir, & ne chercher leur conversation qu'autant que nous en avons besoin, pour tempérer la solitude, jusqu'à-ce que nous passions pour toujours dans celle du tombeau. Si nous étions sages, dit Saint-Evremont, notre dégoût répondroit à celui qu'on a pour nous, car dans l'inutilité des conditions, où l'on ne se soutient que par le mérite de plaire, la fin des agrémens doit être le commencement de la retraite. (D.J.)

VIEILLARD, (Médecine) les vieillards sont sujets à nombre de maladies qui leur sont particulieres par le défaut de transpiration ; les reins, le bas-ventre, les articulations, & le cerveau, sont attaqués d'une humeur âcre qui demande à être évacuée & adoucie ; nous allons dire ce que conseille Aëtius sur le régime des vieillards.

La vieillesse est naturellement froide & seche ; son effet ordinaire est de refroidir & de dessécher le tempérament ; mais lorsque la chaleur abandonne par degré les parties du corps, lorsqu'une grande sécheresse s'en empare, elles sont moins propres à leurs fonctions ; leurs actions s'exécutent d'une maniere plus languissante, & l'animal perd de sa grosseur, de sa force, & de son embonpoint. Lorsque la sécheresse est poussée à un certain degré, les rides lui succedent ; elles sont précédées de la maigreur & de la foiblesse des membres, & sur-tout des jambes & des piés ; celui donc qui aura étudié les causes du sec & du froid, & leurs remedes sera un excellent médecin pour les vieillards ; il saura que ces deux qualités doivent être combattues par des choses qui humectent & échauffent, tels que sont les bains chauds d'eau douce, l'usage du bon vin, les alimens capables de fortifier & d'humecter, la promenade ou la gestation, qu'il ne faut point pousser jusqu'à lassitude ; il fera trois repas par jour ; il goûtera sur les trois heures avec du bon pain & du miel clarifié, le meilleur qu'il pourra avoir ; à sept heures, après la friction & les exercices convenables à cet âge, qu'il prenne le bain, & qu'il soupe ; que sa nourriture principale à dîner soit de choses qui relâchent le ventre, comme des salades de betes & de mauves ; il se nourrira de poissons de mer, pêchés aux environs des rochers ; qu'il se repose après ses repas, & qu'il fasse ensuite un peu d'exercice ; il ne mangera point de poisson à souper ; que ses alimens du soir soient d'un bon suc, de difficile corruption, comme le poulet, ou quelque autre volaille bouillie dans de l'eau seulement, ou sans sauce.

Le vin est excellent pour les vieillards, parce qu'il est restaurant, cordial, échauffant ; mais de plus en ce qu'il purge la sérosité du sang par les urines. Or cette évacuation devient plus nécessaire dans les vieillards, sur-tout ceux qui abondent en superfluités aqueuses & séreuses, Aëtius Tetrab. 1. Serm. IV. chapitre xxx.

Cet ancien avoit une idée excellente du régime des vieillards ; cependant on peut dire que les bains ne paroissent pas fort indiqués ; attendu que la foiblesse naturelle à cet âge, & le défaut de chaleur qui l'accompagne, contre-indiquent ces remedes, qui ne font qu'affoiblir encore davantage.

Les frictions sont ici fort bien indiquées ; les sueurs étant supprimées par la roideur des fibres & l'oblitération des pores, il faut y suppléer soit par les frictions, soit par les diurétiques, qui poussant par les urines, préviennent les accès de léthargie, d'apoplexie, & autres maux qui sont produits par le reflux de la sérosité âcre sur les visceres & sur les parties nobles ; telles que le cerveau, le poumon, & les visceres du bas-ventre ; les diurétiques suppléent en cela au défaut de transpiration, & rétablissent les fonctions dans leur premier état.

Comme les diurétiques pourroient ne pas suffire, on doit évacuer par les selles les humeurs surabondantes ; la purgation est donc indiquée dans les vieillards ; elle détourne les humeurs du cerveau & de la poitrine ; elle les pousse par les couloirs des intestins. D'ailleurs la liberté du ventre rend la circulation plus libre dans le bas-ventre, & empêche le sang de se porter en trop grande quantité dans le cerveau. Cependant il faut éviter de causer le dévoiement & l'arrêter peu-à-peu, lorsqu'il est venu.

Enfin, comme les vieillards sont fort tourmentés de la goutte, du scorbut, de paralysie, de rhumatisme, il faut avoir égard aux indications de ces maladies, & ne point aller contre le but principal ; car si on venoit à repercuter la goutte, le rhumatisme, & les taches du scorbut, il seroit à craindre de voir survenir des inflammations des visceres, & de ne pouvoir rappeller la goutte au siége qu'elle occupoit auparavant. Voyez AGE & TEMPERAMENT.


VIEILLE-BRIOUDE(Géog. mod.) bourg que Piganiol qualifie de ville de France, dans le Dauphiné d'Auvergne, sur la riviere d'Allier, au voisinage de Brioude. Il y a dans ce bourg une maison de chanoines réguliers. (D.J.)


VIEILLE-D'OR(Mythologie) les peuples qui habitoient près du fleuve Obi adoroient une déesse sous le nom de la Vieille-d'or, au rapport d'Hérodote. On croit que c'étoit la terre qu'ils avoient pour objet de leur culte. Elle rendoit des oracles ; & dans les fléaux publics, on avoit une extrême confiance en sa protection. (D.J.)


VIEILLESSE(Physiolog.) le dernier âge de la vie ; M. de Voltaire le peint ainsi :

C'est l'âge où les humains sont morts pour les plaisirs,

Ou le coeur est surpris de se voir sans desirs.

Dans cet état il ne nous reste

Qu'un assemblage vain de sentimens confus,

Un présent douloureux, un avenir funeste,

Un triste souvenir d'un bonheur qui n'est plus.

Pour comble de malheurs, on sent de la pensée

Se déranger tous les ressorts,

L'esprit nous abandonne, & notre ame éclipsée

Perd en nous de son être & meurt avant le corps.

Mais comment arrive cet affreux dépérissement de toute notre machine ? C'est ce que je vais indiquer d'après l'auteur de l'histoire naturelle de l'homme.

Le dépérissement, dit-il, est d'abord insensible ; il se passe même un long terme avant que nous nous appercevions d'un changement considérable ; cependant nous devrions sentir le poids de nos années, mieux que les autres ne peuvent en compter le nombre ; & comme ils ne se trompent pas de beaucoup sur notre âge, en le jugeant par les changemens extérieurs, nous devrions nous tromper encore moins sur l'effet intérieur qui les produit, si nous nous observions mieux, si nous nous flattions moins, & si dans tout les autres ne nous jugeoient pas toujours beaucoup mieux que nous ne nous jugeons nous-mêmes.

Lorsque le corps a acquis toute son étendue en hauteur & en largeur par le développement entier de toutes ses parties, il augmente en épaisseur ; le commencement de cette augmentation est le premier point de son dépérissement, car cette extension n'est pas une continuation de développement ou d'accroissement intérieur de chaque partie, par lesquels le corps continueroit de prendre plus d'étendue dans toutes ses parties organiques, & par conséquent plus de force & d'activité ; mais c'est une simple addition de matiere surabondante qui enfle le volume du corps, & le charge d'un poids inutile. Cette matiere est la graisse qui survient ordinairement à 35 ou 40 ans, & à mesure qu'elle augmente, le corps a moins de légereté & de liberté dans ses mouvemens ; il n'acquiert de l'étendue qu'en perdant de la force & de l'activité.

Les os & les autres parties solides du corps ayant pris toute leur extension en longueur & en grosseur, continuent d'augmenter en solidité ; les sucs nourriciers qui y arrivent, & qui étoient auparavant employés à en augmenter le volume par le développement, ne servent plus qu'à l'augmentation de la masse ; les membranes deviennent cartilagineuses, les cartilages deviennent osseux, toutes les fibres plus dures, la peau se desseche, les rides se succedent peu-à-peu, les cheveux blanchissent, les dents tombent, le visage se déforme, le corps se courbe, &c.

Les premieres nuances de cet état se font appercevoir avant quarante ans ; elles croissent par degrés assez lents jusqu'à soixante, par degrés plus rapides jusqu'à soixante-dix. La caducité commence à cet âge de soixante-dix ans ; elle va toujours en augmentant ; la décrépitude suit, & la mort termine ordinairement avant l'âge de quatre-vingt-dix ans la vieillesse & la vie.

Lorsque l'os est arrivé à son dernier période, lorsque les périostes ne fournissent plus de matiere ductile, alors les sucs nourriciers se déposent dans l'intérieur de l'os, il devient plus solide, plus massif & spécifiquement plus pesant ; enfin la substance de l'os est avec le tems si compacte, qu'elle ne peut plus admettre les sucs nécessaires à cette espece de circulation qui fait la nutrition de ses parties ; dès-lors cette substance de l'os doit s'altérer, comme le bois d'un vieil arbre s'altere, lorsqu'il a une fois acquis toute sa solidité. Cette altération dans la substance même des os est une des premieres causes qui rendent nécessaire le dépérissement de notre corps.

Plus la force du coeur est grande & agit long-tems, plus le nombre des vaisseaux diminue, & plus les solides sont forts : d'où il arrive que la force des solides devient immense dans l'extrême vieillesse ; enfin les canaux trop résistans ne peuvent être étendus davantage par les liquides, toutes les parties doivent tomber dans une ossification sans remede. On a bien raison de se moquer de ces charlatans, qui se vantent de pouvoir écarter cette ossification par des élixirs fortifians. La méthode de Médée qui, par des alimens & des bains émolliens, nourrissoit, humectoit les corps desséchés, étoit au-moins une idée plus raisonnable.

Les cartilages qu'on peut regarder comme des os mous, reçoivent, ainsi que les os, des sucs nourriciers qui en augmentent peu-à-peu la densité, à mesure qu'on avance en âge ; & dans la vieil esse, ils se durcissent presque jusqu'à l'ossification, ce qui rend les mouvemens des jointures du corps très-difficiles, & doit enfin nous priver de l'usage de nos membres extérieurs.

Les membranes dont la substance a bien des choses communes avec celle des cartilages, prennent aussi à mesure qu'on avance en âge plus de densité & de sécheresse ; celles, par exemple, qui environnent les os, cessent d'être ductiles dès que l'accroissement du corps est achevé, c'est-à-dire dès l'âge de dix-huit à vingt ans ; elles ne peuvent plus s'étendre, elles commencent à augmenter en solidité qui s'accroît à mesure qu'on vieillit ; il en est de même des fibres qui composent les muscles & la chair ; plus on vit, plus la chair devient dure.

Il est donc vrai qu'à mesure qu'on avance en âge, les os, les cartilages, les membranes, la chair, & toutes les fibres du corps acquierent de la sécheresse & de la solidité : toutes les parties se retirent, tous les mouvemens deviennent plus lents, plus difficiles ; la circulation des fluides se fait avec moins de liberté, la transpiration diminue, la digestion des alimens devient lente & laborieuse, les sucs nourriciers sont moins abondans, & ne pouvant être reçus dans la plûpart des fibres devenues trop solides, ils ne servent plus à la nutrition. Ainsi la seve de l'homme manque aux lieux qu'elle arrosoit.

La vieillesse arrive encore nécessairement par la dégénération des fluides contenus dans le corps humain, & dont l'influence sur son économie n'est pas une vérité douteuse ; ces liqueurs n'étant que des parties passives & divisées ne font qu'obéir à l'impulsion des solides, dont leur mouvement, leur qualité, & même leur quantité dépendent. Dans la vieillesse, le calibre des vaisseaux se resserre, les filtres sécrétoires s'obstruent, le sang, la lymphe & les autres humeurs doivent par conséquent s'épaissir, s'altérer, s'extravaser, & produire tous les vices des liqueurs qui menent à la destruction. Telles sont les causes du dépérissement naturel de la machine. Les muscles perdent leur ressort, la tête vacille, la main tremble, les jambes chancellent ; l'ouïe, la vue, l'odorat s'affoiblissent, & le toucher même s'émousse.

Impitoyablement flétrie, reconnoissez-vous dans cet état cette beauté ravissante à qui tous les coeurs adressoient autrefois leurs voeux ? Triste à l'aspect d'un sang glacé dans ses veines, comme les poëtes peignent les nayades dans le cours arrêté de leurs eaux ! Combien d'autres raisons de gémir pour celle chez qui la beauté est le seul présent des dieux ! Une tête grise a succedé à ces cheveux d'un noir de geai, naturellement bouclés, qui tantôt flottoient sur des épaules d'albâtre, & tantôt se jouoient sur une belle gorge qui n'est plus. Ces yeux qui disoient tant de choses sont ternes & muets. Le corail de ces levres a changé de couleur ; sa bouche est dépouillée de son plus bel ornement ; aucune trace de cette taille légere, si bien proportionnée, & de ce teint qui le disputoit aux lis & aux roses ; cette peau si douce, si fine & si blanche n'offre aux regards qu'une foule d'écailles, de plis & de replis tortueux. Hélas, tout chez elle s'est changé en rides presque effrayantes ! le cerveau affaissé sur lui-même ne laisse passer que lentement ces rayons d'intelligence & de génie qui causoient votre admiration ! Telle est la décrépitude du dernier âge.

Cependant que ce triste hiver n'allarme point ceux dont la vie s'est passée dans la culture de l'esprit, dans la bienfaisance & dans la pratique de la vertu ! Leurs cheveux blancs sont respectables. Leurs écrits, leurs belles actions le sont encore davantage. C'est à ces gens-là, si rares sur la terre, que la brillante & florissante jeunesse doit des égards, des hommages & des autels. (Le chevalier DE JAUCOURT ).

VIEILLESSE, (Morale) la vieillesse languissante, ennemie des plaisirs, succédant à l'âge viril, vient rider le visage, courber le corps, affoiblir les membres, tarir dans le coeur la source de la joie, nous dégoûter du présent, nous faire craindre l'avenir, & nous rendre insensible à tout, excepté à la douleur. Ce tems se hâte, le voilà qui arrive ; ce qui vient avec tant de rapidité est près de nous, & le présent qui s'enfuit est déja bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment que j'écris ce petit nombre de réflexions, & ne peut plus se rapprocher.

La longue habitude tient la vieillesse comme enchaînée ; elle n'a plus de ressources contre ses défauts ; semblable aux arbres dont le tronc rude, noueux s'est durci par le nombre des années, & ne peut plus se redresser ; les hommes à un certain âge ne peuvent presque plus se plier eux-mêmes contre certaines habitudes qui ont vieilli avec eux, & qui sont entrées jusques dans la moëlle de leurs os. Souvent ils les connoissent, mais trop tard ; ils gémissent en vain, & la tendre jeunesse est le seul âge où l'homme peut encore tout sur lui-même pour se corriger. " On s'envieillit des ans, dit Montagne, sans s'assagir d'un pouce ; on va toujours en avant, mais à reculons. Il feroit beau être vieil, continue-t-il, si nous marchions vers l'amendement ; mais le marcher de cet âge est celui d'un yvrogne, titubant, vertigineux ; c'est l'homme qui marche vers son décroit ".

On doit cependant se consoler des rides qui viennent sur le visage, puisqu'elles sont l'effet inévitable de notre existence. Dans l'adversité, les peines de l'esprit & les travaux du corps font vieillir les hommes avant le tems. Dans la prospérité, les délices d'une vie molle & voluptueuse les usent encore davantage. Ce n'est qu'une vie sobre, modérée, simple, laborieuse, exempte de passions brutales, qui peut retenir dans nos membres quelques avantages de la jeunesse, lesquels, sans ces précautions, s'envolent promtement sur les aîles du tems.

C'est une belle chose qu'une vieillesse étayée sur la vertu. Castricius ne voulant point permettre qu'on donnât des ôtages au consul Cnéïus Carbon, celui-ci crut l'intimider, en lui disant qu'il avoit plusieurs épées ; & moi plusieurs années, répondit Castricius. Une pareille réponse a été faite par Solon à Pisistrate, par Confidius à Jules César, & par Cesellius aux triumvirs. Ils ont tous voulu faire voir, en parlant ainsi, que quelques années de vie qu'on avoit encore à parcourir ne valoient pas la peine de faire naufrage au port. (D.J.)

VIEILLESSE, (Mytholog.) elle étoit, selon Hésiodore, fille de l'Erébe & de la Nuit. Athénée prétend qu'elle avoit un temple à Athènes. (D.J.)


VIELITSKAmontagne de, (Géog. mod.) montagne de Pologne, dans le palatinat de Cracovie. Cette montagne est une vaste saline qui contient deux ou trois lieues de pays ; elle fournit abondamment du sel de roche, qu'on taille comme des colonnes de pierre, & qu'on tire comme d'une carriere. Deux à trois cent ouvriers ont leurs habitations dans la concavité de cette carriere, d'où l'on ne sort, & où l'on ne descend que par une machine suspendue à un gros cable, attaché à une grue au-dessus de l'ouverture de cet abîme. (D.J.)


VIELLES. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer, qui est une espece de tourd, & qui a de très-belles couleurs ; il ne differe du canus, pour la forme du corps, qu'en ce qu'il est plus allongé & plus large ; il ressemble à la dorade, par la courbure des dents & par le nombre & la position des nageoires. Voyez CANUS & DORADE. Les levres de la vielle sont grosses & ridées ; la nageoire de la queue n'est pas fourchue, elle a une couleur rouge avec des taches noires ; le dos est noir en entier ; le ventre a une couleur livide ; les nageoires qui se trouvent près des ouies ont une couleur d'or ; la nageoire du dos & celle de l'anus sont jaunes & ont des taches noires & des taches bleues ; les yeux sont grands & ronds, & les côtés de la tête ont de très-belles couleurs : la chair de ce poisson est tendre & friable. Voyez TOURD, Rondelet, hist. nat. des poissons, l. VI. c. vj. Voyez POISSON.

VIELLE, s. f. (Luth.) est un instrument à cordes, composé de deux parties principales ; la table & le manche, sur lequel sont les chevilles qui tendent les cordes. Ces chevilles ont été primitivement au nombre de quatre seulement ; deux d'un des côtés du manche, deux de l'autre côté. Il n'y avoit que quatre cordes non plus, deux desquelles s'appelloient les bourdons, qu'on mettoit à l'unisson ou à l'octave. Les deux autres cordes s'étendent tout le long du manche, & font la fonction de monocorde, rendant toutes sortes de sons par le moyen des marches. On peut multiplier à la vielle le nombre des cordes, des touches, & des marches, tant que l'on voudra. Si l'on a six bourdons qui fassent l'octave, la douzieme, la quinzieme, la dix-septieme, & la dix-neuvieme, on variera l'harmonie à l'infini, en appliquant ou approchant ceux qu'on voudra de la roue qui sert d'archet aux bourdons & aux autres cordes. Il faut que cette roue-archet soit bien polie, & frottée de colophane. Chaque marche du clavier de la vielle a deux petits morceaux de bois perpendiculaires ; on les nomme touches : les touches servent à toucher deux cordes à-la-fois ; ces deux cordes sont à l'unisson ; les touches sont pressées en-dessous du clavier par les doigts de la main gauche, & appliquées à l'archet ou à la roue ; la main droite conduit la manivelle. Lorsque les doigts cessent de pousser les touches, elles s'éloignent d'elles-mêmes des cordes, retombent & ne les pressent plus. Le clavier dans son entier ressemble à une petite caisse élevée sur la table ; c'est dans cette caisse que sont logées les branches des marches & leurs touches. Elle est entée & collée sur la table sous laquelle est le corps concave ; un couvercle la couvre & cache le clavier ; la roue a aussi le sien ; il y a un chevalet proche de la roue ; il a ses coches un peu plus basses que la surface supérieure de la roue ; deux autres chevalets placés de côté servent à limiter la longueur des cordes de bourdon ; cet instrument a son ouie placée à l'extrêmité inférieure à l'un des angles ; les cordes portent de petits flocons de coton à l'endroit où elles touchent la roue ; c'est un moyen d'adoucir le frottement & le son ; la manivelle de la roue est à l'extrêmité de l'instrument opposée au chevalet ; la roue est suspendue partie dans le corps concave de l'instrument, partie hors de ce corps.

Les instrumens à vent ont leur coup de langue ; les instrumens à archet leur coup d'archet ; la vielle son coup de poignet, qui se donne sur la premiere croche de deux en deux ; les notes d'agrément s'exécutent sur le même tour de roue, de la valeur de la note avec laquelle elles sont liées.

Dans les cas où la ronde forme la mesure, il y a deux tours de roue pour la ronde, ou quatre tours ; les tours de roue varient selon la mesure, le mouvement, le caractere de l'air, & la nature des notes qui se trouvent dans le courant de la piece.

Il y a des vielles faites en corps de luth, & d'autres en corps de guittare ; les premieres ont plus de force ; les secondes ont plus de douceur.

Le clavier est composé de treize touches noires, & de dix blanches ; son étendue ordinaire est de deux octaves, du sol à vuide, au sol d'en-haut.

L'instrument s'accorde en C sol ut & en G ré sol ; les deux seuls tons dans lesquels il joue.

Pour l'accorder en C sol ut, majeur ou mineur, on met les deux chanterelles à l'unisson, & leur son est un sol ; la trompette s'accorde à la quinte audessous des chanterelles, & le son qu'elle rend est ut ; la mouche s'accorde à l'octave au-dessus des chanterelles, & à la quarte au-dessous de la trompette, & donne sol ; le petit bourdon s'accorde à l'octave au-dessous de la trompette, & à la quinte au-dessous de la mouche, & sonne ut : on ne se sert pas du gros bourdon en C sol ut.

Pour l'accorder en G ré sol, majeur ou mineur, les deux chanterelles sonneront sol ; la trompette sonnera ré, quinte de sol ; la mouche comme en C sol ut ; le gros bourdon, le seul dont on se sert, sonne l'octave sol au-dessous de la mouche, & la double octave au-dessous des chanterelles.

On appelle chanterelles, les deux seules cordes qui passent dans le clavier ; les autres cordes ne sont que pour l'accord ; la trompette est la corde posée sur un petit chevalet, à laquelle est attachée une autre petite corde très-fine, répondante à une petite cheville que l'on tourne plus ou moins, selon qu'on veut faire battre la trompette ; la mouche est la corde au-dessus de la trompette ; le petit bourdon, la corde filée en laiton la plus fine ; le gros bourdon ou la grosse mouche, la corde filée en laiton la plus grosse.

On donne six cordes filées en laiton aux vielles en corps de luth, & quatre aux vielles en corps de guittare.

Pour l'accord des six cordes de laiton, les deux premieres, ou les plus fines, sonneront l'unisson des chanterelles ; les deux moyennes, la tierce au-dessous des fines ; & les deux grosses, la quinte audessous des fines, & la tierce au-dessous des moyennes.

Pour l'accord des quatre cordes de laiton, les deux fines fournissent l'unisson des chanterelles ; la moyenne, la tierce au-dessous des fines ; & la grosse, la quinte au-dessous des fines, & la tierce au-dessous de la moyenne.

La vielle a son doigter, sur lequel on peut consulter l'ouvrage de M. Bouin, imprimé chez Ballard.

Le mouvement de la roue se divise en un tour entier, en deux demi-tours, en deux quarts & un demi-tour ; en un demi-tour & deux quarts ; en trois quarts liés ; en trois quarts détachés ; en quatre quarts ; en huit huitiemes ; en trois tiers égaux, & en deux quarts & un demi ; division qui a rapport aux valeurs des notes.

Les coups de poignet dépendent souvent du caractere de la piece & du goût du musicien.

Les cadences se font toutes du premier doigt qui bat la note au-dessus de celle sur laquelle la cadence est marquée, & qui est touchée par le second doigt.

Les autres agrémens suivent les loix ordinaires des autres instrumens. Voyez nos Planches de Lutherie.

VIELLE, (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade de France dans la Gascogne, au Tursan, & sur le ruisseau de Bas. (D.J.)


VIELLEURS. m. (Hist. nat. Insectol. exotiq.) notre ver luisant est bien inférieur à celui de Surinam, qui mérite d'ailleurs d'être connu à cause de la singularité de son caractere, suivant la description qu'en fait mademoiselle Mérian.

Cet animal, dans son état rampant, doit avoir en grand une forme approchante de celle qu'ont dans le même état, nos sauterelles prises en petit : on lui voit pareillement une longue trompe, dont il se sert pour sucer les fleurs de grenades, & cette trompe lui reste toute sa vie.

Après s'être défait d'une peau, il change de forme & paroît sous celle d'une grande mouche verte, qui ressemble en gros à la cigale ; son vol est alors très-rapide, & le bruit qu'il fait de ses aîles imite le son d'une vielle, ce qui lui a fait donner en cet état le nom de liereman ou vielleur.

Quoique selon le cours ordinaire de la nature, un insecte après être devenu aîlé ne subisse plus de changement ; celui-ci, suivant le témoignage des Indiens, que mademoiselle Mérian dit avoir en partie vérifié par sa propre expérience, subit encore une derniere transformation qui le rend lumineux, & lui donne le nom de lautarendraeger, ou de porte-lanterne.

Dans cette transformation, & d'autres changemens plus légers qui arrivent à son corps & à ses aîles, il lui sort du devant de la tête une vessie très-longue, colorée de traces rougeâtres & verdâtres, transparente de jour, & qui répand de nuit une lumiere à laquelle on peut lire un caractere assez petit.

Cet animal, suivant la représentation qu'on en donne, est bien alors long de quatre pouces, & sa vessie occupe plus du quart de cette longueur.

Avant que mademoiselle Mérian connût la qualité lumineuse de cet insecte, les Indiens lui en apporterent plusieurs qu'elle renferma dans une grande boîte. Effrayée la nuit du bruit singulier qu'elle entendit dans cette boîte, elle se leva, fit allumer une chandelle, & alla voir ce que ce pouvoit être ; elle ouvrit la boîte, & aussitôt il en sortit comme une flamme qui redoubla son émotion ; elle jetta à terre cette boîte, qui répandit un nouveau trait de lumiere à chaque animal qui en sortoit. On conçoit que cette frayeur ne dura pas long-tems, & qu'ayant bientôt fait place à l'admiration, on ne négligea rien pour rattraper des animaux si extraordinaires, qui s'étoient prévalu de la peur qu'ils avoient causée, pour prendre l'essor (D.J.)


VIENNA(Géog. anc.) ville de la Gaule narbonnoise, sur le Rhône, & la capitale des Allobroges, selon Strabon, l. IV. Il en est parlé dans César, bel. gal. l. VII. c. ix. Pomponius Méla, l. III. c. v. la met au nombre des villes les plus opulentes, & Pline, l. III. c. iv. lui donne le titre de colonie. Elle est marquée dans Ptolémée, l. II. c. x. comme la seule ville des Allobroges ; mais c'est que ce géographe s'est contenté de donner le nom de la capitale de ce peuple. Elle étoit encore opulente du tems d'Ausone, qui en a parlé ainsi, in arelat.

Accolit alpinis opulenta Vienna colonis.

Les belles lettres étoient cultivées à Vienne, & on s'y faisoit un plaisir de lire les vers des poëtes de Rome. Nous en avons une preuve dans ceux de Martial, l. VII. epigr. 88. de suis libris, qui se félicite de ce que ses ouvrages sont lus à Vienne des grands & des petits :

Fertur habere meos, si vera est fama, libellos,

Inter delicias pulchra Vienna suas.

Me legit omnis ibi senior, juvenisque puerque,

Et coram tetrico casta puella viro.

Hoc ego maluerim quàm si mea carmina cantent,

Qui Nilum ex ipso protinus ore bibunt.

Quàm meus hispano si me Tagus impleat auro,

Pascat & Hybla meas, pascat Hymettus apes.

Dans le moyen âge, la ville de Vienne ne fut pas moins célébre, puisqu'elle devint la métropole d'une province des Gaules à laquelle elle donna son nom. Séneque, in ludo mortis Claudii Imp. dit qu'elle est à seize milles de Lyon. Dans le trésor de Goltzius, on trouve une médaille de Néron avec ces mots : Vienna leg. VII. Claudiana. Voyez VIENNE en Dauphiné. (D.J.)


VIENNEmétal de, (Métallurgie) c'est une composition ou un alliage métallique qui se fait à Vienne en Autriche, & qui ressemble assez à de l'argent. Cet alliage se fait avec du fer, de l'étain, de l'arsenic, & un peu de laiton ou de cuivre jaune.

VIENNE, (Géog. mod.) ville d'Allemagne, capitale de l'Autriche, sur la droite du Danube, au confluent de la petite riviere de Vienne dont elle prend le nom, à 8 lieues au couchant de Presbourg, à 210 au sud-ouest d'Amsterdam, à 260 lieues au nord-ouest de Constantinople, à 408 au nord-est de Madrid, & à 270 au sud-est de Paris.

Cette ville située à six milles des frontieres de Hongrie, a été connue autrefois sous les noms d'Ala-Flaviana, Castra-Flaviana, Juliobona, Vindobona, & ensuite Vindum. Elle peut en quelque façon être regardée comme la capitale de l'Allemagne, car elle est depuis long-tems la résidence ordinaire des empereurs ; cependant elle n'en est pas plus belle ; toute environnée de murailles, de bastions, & de fossés, elle n'a point l'agrément de ces villes dont les avenues charment par la variété des jardins, des maisons de plaisance, & des autres ornemens extérieurs qui sont les fruits d'une heureuse situation, que la sécurité de la paix porte avec soi. On ne connoît dans Vienne qu'un petit nombre de beaux hôtels ; ceux du prince Eugene, de Lichtenstein, & de Caprara. Le palais impérial est un des plus communs, & rien n'y représente la majesté du maître qui l'habite ; il n'a pour tout jardin qu'un petit enclos sous les fenêtres du sallon de l'impératrice, où l'on plante quelques fleurs, & où on tient un peu de verdure ; les appartemens en sont bas & étroits, les platfonds couverts de toiles peintes, & les planchers d'ais de sapin ; enfin le tout est aussi simple que s'il avoit été bâti pour de pauvres moines. Les fauxbourgs ont plus d'apparence que la ville, parce que depuis le dernier siege par les Turcs, ils ont été rebâtis tout à neuf.

Vienne n'a point de ces grandes rues, qui font la beauté d'une ville ; la rue même qui aboutit à la cour, n'est ni plus grande, ni plus large que les autres ; la seule place du marché neuf est passable, à cause des bâtimens nouveaux ou renouvellés qui l'environnent. L'église métropolitaine est d'une architecture gothique, décorée en-dehors & en-dedans d'ornemens arabesques de pierre. En échange la nouvelle église des jésuites est d'un beau dessein. Les autres moines religieux, les dominicains, les augustins, les bénédictins, & les cordeliers, ont aussi des églises dans la ville, mais elles n'ont rien de remarquable.

L'archevêché de Vienne a été érigé en 1721 ; l'université fut fondée en 1365, par Albert III. archiduc d'Autriche ; mais l'édifice particulier des écoles est misérable, & d'ailleurs ce sont les jésuites qui occupent presque toutes les chaires.

Les habitans de Vienne sont un mêlange de plusieurs nations, Italiens, Allemands, Bohémiens, Hongrois, François, Lorrains, Flamands, qui joints aux juifs, font le négoce, & travaillent à différens métiers. L'air est assez mal-sain dans cette ville, ce qui peut provenir en partie de la malpropreté des rues qu'on ne nettoie point, & de la quantité de boues & d'ordures que la police ne fait point enlever. Long. suivant Cassini, 33. 23. latit. 48. 14. & suivant Harris, long. 34. 21. 30. latit. 48. 14.

Vienne n'oubliera pas sitôt le siege mémorable qu'elle essuya en 1683. En voici l'histoire abrégée d'après M. l'abbé Coyer. Ce siege fut entrepris par Kara Mustapha, général des forces ottomanes. Toujours aimé de la sultane Validé, après avoir aussi gagné le coeur de Mahomet IV. il avoit épousé sa fille. Jamais l'ambition & l'orgueil, deux passions qui dévoroient Kara Mustapha, ne trouverent un champ plus vaste pour être assouvies. Il ne se proposoit pas moins, après s'être rendu maître de Vienne, que de poursuivre la conquête de l'occident, ayant sous ses ordres plus de trois cent mille hommes, trente & un bachas, cinq souverains, & trois cent pieces de canon.

Il s'avance par la rive droite du Danube, passe la Save & la Drave, fait mine d'en vouloir à Raab, tandis qu'il détache cinquante mille tartares sur la route de Vienne. Le duc de Lorraine Charles V. dont le nom doit être cité parmi ceux des grands capitaines, & qui commandoit les troupes impériales, essuie un échec à Pétronel, & à peine a-t-il le tems de gagner Vienne, où il jette une partie de son infanterie pour renforcer la garnison. Il prend poste dans l'île de Léopolstat, formée par le Danube au nord de la ville. Les tartares au nombre de cinquante mille, arrivoient en même tems du côté du midi.

On vit alors un de ces spectacles qui sont faits pour instruire les souverains & attendrir les peuples, lors même que les souverains n'ont pas mérité leur tendresse. Léopold, le plus puissant empereur depuis Charles-quint, fuyant de sa capitale avec l'impératrice sa belle-mere, l'impératrice sa femme, les archiducs, les archiduchesses, une moitié des habitans suivant la cour en désordre. La campagne n'offroit que des fugitifs, des équipages, des chariots chargés de meubles jusqu'à Lintz, capitale de la haute Autriche.

Cette ville où l'on portoit la frayeur, ne parut pas encore un asyle assuré ; il fallut se sauver à Passaw : on coucha la premiere nuit dans un bois où l'impératrice, dans une grossesse avancée, apprit qu'on pouvoit reposer sur de la paille à cause de la terreur. Dans les horreurs de cette nuit on appercevoit la flamme qui consumoit la basse-Hongrie, & s'avançoit vers l'Autriche.

L'empereur, dès les premiers excès de cette irruption, payoit bien cher ses violences contre la Hongrie, & le sang de ses seigneurs qu'il avoit répandu. Il n'avoit pu se persuader que Kara Mustapha laissant derriere lui plusieurs bonnes places, telles que Raab & Comore, se portât sur Vienne : Jean Sobieski mieux instruit, comme le sont toujours les princes qui font la guerre par eux-mêmes, l'en avoit inutilement averti.

Vienne étoit devenue sous dix empereurs consécutifs de la maison d'Autriche, la capitale de l'empire romain en occident ; mais bien différente de l'ancienne Rome pour la grandeur en tout genre, & pour le nombre des citoyens, elle n'en comptoit que cent mille, dont les deux tiers habitoient des fauxbourgs sans défense. Soliman avoit été le premier des empereurs turcs qu'on eut vu marcher à Vienne, en 1529, faisant trembler à-la-fois l'Europe & l'Asie ; mais il n'osa se commettre contre Charles-quint qui venoit au secours avec une armée de quatre-vingt mille hommes. Kara Mustapha qui ne voyoit qu'une poignée d'ennemis, se flattoit d'être plus heureux, & il commença sans crainte le siege de cette ville. Les Allemands sont braves sans doute, mais ils ne se sont jamais présentés aux portes de Constantinople, comme les Turcs à celles de Vienne.

Le comte de Staremberg, homme de tête & d'expérience, gouverneur de la ville, avoit mis le feu aux fauxbourgs : cruelle nécessité, quand il faut brûler les maisons des citoyens qu'on veut défendre ! Il n'avoit qu'une garnison de seize mille hommes. On arma les étudians, & ils eurent un médecin pour major.

Cependant le siege se poussoit avec vigueur. L'ennemi s'empara de la contrescarpe après vingt-trois jours de combat ; l'espérance de tenir encore longtems diminua. Les mines des Turcs, leurs attaques continuelles, la garnison qui se détruisoit, les vivres qui s'épuisoient, tout donnoit la plus vive inquiétude. On s'occupoit sans cesse à éteindre le feu que les bombes & les boulets rouges portoient dans la ville, tandis que les dehors tomboient en éclats.

Dans cette conjoncture désesperée Sobieski arrive avec son armée à cinq lieues au-dessus de Vienne. L'électeur de Baviere âgé de dix-huit ans, amenoit douze mille hommes. L'électeur de Saxe en conduisoit dix mille. Toute l'armée chrétienne composoit environ soixante & quatorze mille hommes ; Sobieski délivra l'ordre de bataille, & après avoir examiné les dispositions de Kara Mustapha, il dit aux généraux allemands : " cet homme est mal campé, c'est un ignorant dans le métier de la guerre ; nous le battrons certainement ". Il prophétisa juste ; la plaine qu'occupoient les Turcs, devint le théatre d'un triomphe que la postérité aura peine à croire. Le butin fut immense ; les Allemands & les Polonois s'enrichirent. On retourna contre les janissaires qui étoient restés dans les travaux du siege ; on ne les trouva plus, & Vienne fut libre.

Cette ville au reste n'est pas la ville d'Allemagne la plus féconde en hommes de lettres, & il ne seroit pas difficile d'en découvrir la raison. Cette ville a seulement produit quelques historiographes, & c'est à-peu-près tout.

Je mets Gualdo (Galéasso) au nombre des historiens originaires de Vienne. Il a décrit en seize livres les guerres des empereurs d'Allemagne, depuis 1630 jusqu'en 1640. Cet ouvrage parut à Boulogne en 1641, à Genève en 1643, & à Venise en 1644 ; mais depuis ce tems-là il est tombé dans l'oubli.

Inchofer (Melchior) né à Vienne l'an 1584, entra dans la société des jésuites en 1607, & mourut en 1648. Il a donné un volume des annales ecclésiastiques du royaume d'Hongrie, & publia en 1630 un livre dans lequel il soutint que la lettre de la bienheureuse vierge Marie au peuple de Messine est très-authentique. On lui attribue un mémoire sur la réformation de son ordre. On le croit aussi généralement auteur d'un livre contre le gouvernement des jésuites, intitulé Monarchia solypsorum. Ce livre a été publié en Hollande en 1648 avec une clé des noms déguisés. On en a une traduction françoise imprimée en 1722 avec des notes & quelques pieces sur le même sujet. Ses autres ouvrages ont fait moins de rumeur. On trouve en général assez d'érudition dans ses écrits, mais beaucoup de crédulité, peu de choix & de critique.

L'empereur Léopold est mort à Vienne en 1705. " Ce prince né vertueux étoit sans talens ; l'ambition qui régla toutes ses démarches, étoit plutôt une passion du conseil de Vienne, qu'une passion qui lui fût propre. L'empereur son fils hérita de ses ministres, comme de ses domaines & de ses dignités ; & son conseil continua d'agir sous son nom, comme il avoit fait sous le nom de Léopold. " (D.J.)

VIENNE (Géog. mod.) ville de France, dans le Dauphiné, sur le bord oriental du Rhône, à 5 lieues au midi & au-dessous de Lyon, à 15 au nord-ouest de Grenoble, & à 108 au sud-est de Paris.

Cette ville est dans une vilaine situation, resserrée par des montagnes qui semblent la vouloir noyer dans le Rhône ; d'ailleurs il faut toujours monter ou descendre ; les rues sont étroites, mal percées, & les maisons mal bâties. La métropole est un ouvrage gothique. L'archevêché de Vienne est fort ancien ; car du tems d'Eusebe, Lyon & Vienne étoient les deux plus illustres métropoles des Gaules.

L'archevêque de cette ville prend conséquemment le titre de primat des Gaules, & a pour suffragans les évêques de Valence, de Die, de Grenoble, de Viviers, &c. Son revenu est d'environ vingt-quatre mille livres. Le chapitre est composé de vingt chanoines, au nombre desquels les dauphins se faisoient autrefois aggréger.

Outre le chapitre de l'église métropolitaine, il y en a trois autres à Vienne ; celui de S. Pierre est composé d'un abbé & de vingt-quatre chanoines, qui sont obligés de faire preuve de noblesse de trois quartiers. Vienne ne manque pas d'autres églises ni de couvens. Les peres de l'oratoire ont le séminaire.

Le quinzieme concile général s'est tenu dans cette ville l'an 1311, par ordre de Clément V. pour la suppression de l'ordre des Templiers. Philippe le bel qui poursuivoit cette suppression, se rendit à Vienne accompagné de son frere & de ses trois fils, dont l'ainé étoit roi de Navarre.

Le commerce de cette ville est peu de chose ; il consiste en vins & soies. Des ouvriers allemands y avoient établi une fabrique de fer-blanc qui méritoit beaucoup d'attention & de protection ; mais on l'a négligée, & elle ne subsiste plus. Long. 22. 30. latit. 45. 33.

Vienne déja célebre du tems de Jules César, connue de Strabon, de Pomponius Méla, de Ptolémée, de Velleius Paterculus, de Pline & de presque tous les historiens, n'est plus rien aujourd'hui. On prétend que Tibere y envoya une colonie nombreuse, que l'empereur Claude y établit une espece de sénat, qui étoit apparemment le prétoire du vicaire des Gaules, d'où elle prit le nom de sénatorienne que lui donnent quelques auteurs. On sait aussi que sous Dioclétien elle devint la métropole de cette partie des Gaules, qui de son nom fut appellée Gaule viennoise. Enfin les Romains l'avoient extrêmement embellie. Mais soit par les guerres, soit par le zele destructeur des premiers chrétiens, il n'y a point de ville dont les hommes aient moins respecté les monumens, & dans laquelle le bouleversement paroisse plus complet. On ne fouille guere la terre sans découvrir des richesses affligeantes par le peu d'instructions qu'on en retire, & Chorier lui-même en convient.

Le monument que l'on voit dans la plaine en sortant de la ville de Vienne pour aller en Provence, est le seul qui se soit en partie conservé ; il mérite l'attention des curieux par sa forme & par sa bâtisse. C'est une pyramide située entre le Rhône & le grand chemin ; l'architecture n'en est point correcte, mais la construction en est singuliere. Cette pyramide est élevée sur un massif construit solidement en grandes pierres dures de la qualité de celles qu'on tire aujourd'hui des carrieres du Bugey, sur les bords du Rhône. Cette fondation supporte un corps d'architecture quarrée, dont chaque angle est orné d'une colonne engagée, & chaque face est percée d'une arcade. Les murs couronnés d'un entablement peu correct, supportent la pyramide, dont la hauteur est d'environ quarante-deux piés ; mais on ne sait point en l'honneur de qui ce monument a été érigé.

Rufinus (Trebonius) qui florissoit sous l'empire de Trajan, naquit à Vienne, où il exerça le duumvirat. Pline le jeune en parle comme d'un homme très-distingué. Il abolit dans sa patrie les jeux où les athlètes s'exerçoient tous nuds à la lutte. On lui en fit un crime, & l'affaire fut portée à Rome devant l'empereur ; mais Rufin plaida sa cause avec autant de succès que d'éloquence.

Je connois entre les modernes nés à Vienne, Nicolas Chorier, avocat, mort l'an 1692, à 83 ans. On estime l'histoire générale du Dauphiné qu'il a publiée en deux volumes in-fol. Mais il n'a respecté ni le public ni lui-même, en composant & en publiant le livre infâme, de arcanis amoris & Veneris, dont le prétendu original espagnol passe sous le nom d'Aloisia Sigaea. La vie de Chorier n'a que trop répondu aux maximes qu'il a débitées dans cet ouvrage également obscène & odieux.

Gentillet (Innocent) né dans la même ville au xvj. siecle, fit du bruit par l'ouvrage qu'il intitula le bureau du concile de Trente, auquel est montré qu'en plusieurs points icelui concile est contraire aux anciens conciles & canons, & à l'autorité du roi. Cet ouvrage parut l'an 1586 in-8 °, & a été réimprimé plusieurs fois depuis.

La Faye (Jean-Elie Leriget de) naquit à Vienne l'an 1671, entra au service, & mourut capitaine aux gardes l'an 1718, âgé de 47 ans. Il s'étoit attaché à l'étude de la méchanique, & fut reçu à l'académie royale des Sciences en 1716. L'année suivante il lui donna deux mémoires imprimés dans le volume de 1717, & qui roulent sur la formation des pierres de Florence, tableaux naturels de plantes, de buissons, quelquefois de clochers & de châteaux.

On peut regarder Hugues de Saint-Cher, dominicain du xiij. siecle, comme né à Vienne ; car l'église collégiale qui lui est dédiée, est aux portes de cette ville, lieu de sa naissance. Il devint provincial de son ordre, fut nommé cardinal par Innocent IV. & mourut en 1263. Son principal ouvrage est une concordance de la bible, qui est la premiere que l'on ait ; & quoiqu'elle soit fort médiocre, on a cependant l'obligation à l'auteur d'avoir le premier imaginé le plan d'un ouvrage qu'on a perfectionné, & dont les théologiens ne peuvent se passer. (D.J.)

VIENNE, la, (Géog. mod.) en latin Vingenna, riviere de France. Elle prend sa source aux confins du bas Limosin & de la Marche, traverse une partie du Poitou, sans y porter aucun avantage, n'est navigable qu'au-dessus de Châtelleraud, reçoit ensuite la Creuse dans son sein, & se jette dans la Loire, à Cande en Touraine. (D.J.)

VIENNE, une, s. f. (terme de Fourbisseur) espece de lame d'épée qu'on fait à Vienne en Dauphiné, & dont elle a retenu le nom ; les viennes ne sont pas si estimées que les olindes, parce qu'elles n'ont pas tant de vertu élastique, qu'elles ne sont pas si bien vuidées, & qu'elles restent dans le pli qu'on leur a donné ; mais aussi elles ne sont pas si sujettes à casser : il y a des gens qui à cause de cela préferent une vienne à une olinde, lorsqu'elle joint à une grande souplesse beaucoup de ressort. (D.J.)


VIENNOISLE, (Géogr. mod.) pays de France, dans le Dauphiné, & qui prend son nom de Vienne sa capitale. Il est borné au nord par la Bresse & le Bugey, au midi par le Valentinois, au levant par la Savoie, & au couchant par le Rhône. Il comprend les bailliages particuliers de Vienne, de Grenoble, de Saint-Marcellin, & la jurisdiction de Romans. Le Viennois a eu autrefois des seigneurs particuliers qui possédoient le plat pays, & qui ont pris dans la suite le nom de dauphins. (D.J.)


VIENNOISE(Etoffe) cette étoffe nouvellement inventée differe du doubleté, en ce que le dessein contient des sujets plus grands, soit en feuilles, soit en fleurs. Le poil seul fait la figure de cet étoffe ; parce qu'il n'y a que ce même poil qui soit passé dans le corps : ce qui fait qu'il faut qu'il soit ourdi relativement à la figure contenue dans le dessein. La chaîne qui doit faire le corps de l'étoffe, est ourdie à l'ordinaire d'une quantité de 3200 fils, ce qui fait 40 portées simples ou doubles, suivant le degré de qualité que l'on veut donner à l'étoffe. Le poil est de 40 portées simples de différentes couleurs pour former des fleurs différentes. On passe deux fils à chaque maillon du corps, conséquemment il faut 1600 maillons pour contenir ces fils, qui sont disposés de façon que tous les deux fils de la chaîne il s'en trouve deux de poil. Cette étoffe est ourdie également avec des fils de couleur, comme les taffetas rayés qui forment des bandes larges & étroites. Dans les bandes larges on fait serpenter une tige de fleurs & de feuilles larges d'une seule couleur, tandis que dans les petites raies le mêlange des fils de poil différent forment de petits fleurons qui serpentent comme la tige des grandes fleurs. Or comme les fleurs & feuilles grandes ou petites ne sont passées dans aucune lisse, mais seulement dans le corps, & qu'elles ne sont composées que du poil, si une partie de fleur portoit un pouce, deux ou trois de hauteur, le poil qui la forme n'étant arrêté en aucune façon, badineroit sur l'étoffe, & formeroit une figure très-desagréable à l'endroit de l'étoffe, de même que le poil qui ne travailleroit pas par-dessous ou à-l'envers, parce que l'endroit ordinairement est dessus ; il faut que l'ouvrier ait le soin de faire tirer tous les huit ou dix coups tout le poil, qui par ce moyen se trouve lié dessous par le coup de navette qu'il passe sur le coup de fond, en faisant lever les deux lisses de quatre dans lesquelles la chaîne est passée ; de même pour lier le poil dessus, l'ouvrier passe sur les deux autres lisses un coup de navette, sans qu'il soit besoin de tirer aucune corde ; ce qui fait que le poil qui fait figure à l'endroit, se trouvant sous la trame du coup de navette qui a passé, est arrêté de ce côté, de même qu'il l'est à-l'envers lorsque tout le poil est tiré.

Dans les étoffes de cette espece, comme dans quelques autres, les fils de la chaîne sont passés dans les lisses à coup tors, c'est le terme ; c'est-à-dire dessus & dessous la boucle d'une même maille du remisse ou de chacune des lisses qui le composent, de façon que la même lisse peut faire lever & baisser le même fil, selon que le cas l'exige ; aussi pour faire mouvoir ces lisses, il n'est besoin ni de carqueron, ni d'aleron, ni de carete ; par conséquent les quatre lisses se trouvant suspendues de deux-en-deux au bout d'une corde, à droite & à gauche, qui est passée sur une poulie, de façon que pour faire l'ouverture de la moitié de la chaîne pour passer la navette, il n'est besoin que de deux estrivieres, lesquelles attachées en-bas aux deux lisses qui doivent baisser en foulant la marche, le même mouvement qui fait baisser chaque lisse, fait lever en même tems celle qui lui est attachée, au moyen de la corde qui est à cheval sur la poulie, & qui les tient toutes les deux.

Comme dans ce genre d'étoffe il est trop fatigant pour celui qui tire, de faire lever tout le poil pour le lier, attendu le poids du plomb & des cordages, l'auteur du mémoire a fait passer tout le poil sur deux lisses de dix portées chacune à l'ordinaire (on pourroit le mettre sur une, mais elle seroit un peu serrée) ; & au moyen d'une bascule attachée au plancher en guise d'aleron, & une marche qui y seroit adhérente, l'ouvrier foulant la marche feroit lever tout le poil, lorsqu'il seroit question de le lier, afin de l'arrêter ou de le lier ; au moyen de cette méthode, l'ouvrier se trouve très-soulagé, & l'ouvrage va plus vîte.


VIERDEVATS. m. (Comm.) mesure pour les grains, dont les détailleurs se servent à Amsterdam. Il faut quatre vierdevats pour le scheppel, quatre scheppels pour le mudde, & vingt-sept muddes pour le last. Au-dessous du vierdevat sont les kops, & il en faut huit pour un vierdevat. Voyez MUDDE, LAST, &c. Dict. de Commerce.


VIERGS. m. (Hist. d'Autun) nom dont on qualifie le premier magistrat de la ville d'Autun ; cette magistrature répond à celle de maire, qu'on appelle viguier, en Languedoc ; César parle honorablement de cette dignité au premier & au septieme livre de la guerre des Gaules, & il donne au magistrat nommé vierg, le nom de vergobretus, d'où est venu celui de vierg, & peut-être celui de viguier. Paradin tire l'étymologie de vergobretus, des deux mots celtiques, verg & bret, qui désignent le haut exécuteur. D'autres la tirent d'un ancien mot gaulois, qui signifie la pourpre, parce que le premier magistrat d'Autun en étoit revêtu, comme le sont encore aujourd'hui les six consuls du Puy-en Vélay. Quoi qu'il en soit, il est constant que du tems de César, le vierg, ou souverain magistrat d'Autun, avoit une puissance absolue de vie & de mort sur tous les citoyens ; ce magistrat étoit annuel. A présent on l'élit pour deux ans, & il a encore de grands privileges ; il est toujours le premier des maires aux états de Bourgogne ; & si celui de Dijon le préside, ce n'est que par la prééminence de la ville & du lieu. (D.J.)


VIERGES. f. (Gramm.) fille qui n'a jamais eu commerce avec aucun homme, & qui a conservé la fleur de sa virginité. Voyez VIRGINITE.

VIERGE chez les Hébreux, (Critiq. sacrée) le mot hébreu signifie une personne cachée, parce que les filles qui n'étoient pas mariées, demeuroient dans des appartemens séparés & ne sortoient que voilées, sans paroître jamais à découvert, excepté devant leurs proches parens ; c'est l'usage de tous les pays orientaux. C'étoit chez les juifs une espece d'opprobre pour une fille, de n'être pas mariée, de-là vient que la fille de Jephté va pleurer sa virginité sur les montagnes. Juges, xj. 37.

Il ne faut pas croire que dans le nouveau Testament, les Apôtres ayent élevé l'état du célibat des filles au-dessus de celui de leur mariage. Quand S. Paul dit, 1. Cor. vij. 38. que celui qui marie sa fille fait bien, mais que celui qui ne la marie point fait mieux ; c'est que, suivant la remarque d'Epiphane, comme il y avoit dans ce tems-là peu de chrétiens, & tous fort pauvres, il étoit encore plus à-propos de garder sa fille, que de la marier à un payen ou à un juif ; cependant, ajoute l'apôtre, si le pere craint encore d'être deshonoré par sa fille, en la laissant venir dans un âge avancé sans la marier, qu'il la marie, à celui qui se présentera. Epiph. haeres. c. lxj. p. 510. (D.J.)

VIERGE chez les premiers chrétiens, (Critiq. sacrée) ; le célibat auquel une vierge se dévoue, commença de prendre faveur dès le second siecle. Les chrétiens se glorifioient déjà d'avoir plusieurs hommes & filles qui professoient la continence. Les faux actes de Paul & de Thecle qui couroient alors, y contribuerent beaucoup. Il paroît par le livre de Tertullien, de velandis virginibus, que de son tems les filles faisoient déjà voeu de chasteté ; elles n'étoient pas enfermées dans des maisons, cette précaution n'est venue que dans la suite des tems ; mais elles ne portoient point de voile, & tandis que les femmes mariées ne paroissoient jamais en public sans voile, les filles avoient droit, & ne manquoient pas de paroître dans les temples & ailleurs le visage découvert. Elles étoient installées dans la profession de vierges par une espece de consécration. On les produisoit à l'église ; & là en présence des fidèles, elles déclaroient leur dessein ; alors l'évêque instruisoit toute l'assemblée, qu'une telle fille se dévouoit à demeurer vierge le reste de sa vie. On les combloit pour cette action, d'honneurs & de bienfaits.

Cependant le sévere Tertullien ne fait pas trop l'éloge de ces vierges de son tems ; il les représente beaucoup moins modestes que les femmes mariées. Non-seulement elles se montroient en public sans voile, mais extrêmement ajustées & parées, se donnant tout le soin possible d'étaler leur beauté, mieux coëffées, mieux chaussées qu'aucune femme, consultant soigneusement leur miroir, usant du bain pour être encore plus propres. Ce pere de l'Eglise va même jusqu'à soupçonner qu'elles mettoient du fard ; nous devons citer ici ses propres paroles : Vertunt capillum, & in acu lasciviore comam sibi inferunt, crinibus à fronte divisis.... Jam & consilium formae à speculo petunt, & faciem morosiorem lavacro macerant, forsitan & aliquo eam medicamine interpolant, pallium intrinsecus jactant, calceum stipant multiformem, plus instrumenti ad balnea deferunt, cap. xij. de velandis virginibus. Nos religieuses ne connoissent point cet attirail de luxe : elles sont pauvres, cloîtrées, & trop souvent forcées à faire des voeux malgré elles. (D.J.)

VIERGE sainte, la, (Hist. & critiq. sacrée) c'est ainsi qu'on nomme par excellence la mere de Notre-Seigneur. Les hommes naturellement cherchent toujours à joindre aux idées spirituelles de leur culte, des idées sensibles qui les flattent, & qui bientôt après étouffent les premieres. Voilà l'origine du culte de la sainte Vierge. Lorsque le peuple d'Ephèse eut appris que les peres du concile avoient décidé, qu'on pouvoit appeller la Ste Vierge, mere de Dieu, il fut transporté de joie, il baisoit les mains des évêques, il embrassoit leurs genoux ; tout retentissoit d'acclamations ; toutes les meres étoient comblées d'aise. Tel est l'effet du penchant naturel des peuples pour les choses sensibles qui entrent dans ses dévotions. Le titre de mere de Dieu, qu'on donna la premiere fois dans ce concile à la Ste Vierge, étoit une relation qui s'accommodoit aux idées grossieres dont ils étoient remplis. Aussi dès-lors on rendit des hommages singuliers à la mere de Dieu ; toutes les aumônes étoient pour elle, & dans certains tems Jésus-Christ notre rédempteur n'avoit aucune offrande.

En France, pays plus éclairé que l'Espagne, il y a six églises métropolitaines & trente-trois cathédrales, dédiées à la mere de Dieu. Chaque roi à son avénement à la couronne, fait présent à Notre-Dame de Boulogne sur mer, d'un coeur d'or, valant 6 milles livres. Louis XIII. en 1638 consacra sa personne, sa famille royale & son royaume à la Ste Vierge, par un voeu dont il ordonna la publication dans toute la France. Le choeur de Notre-Dame de Paris achevé par Louis XIV. est l'effet de ce voeu solemnel ; enfin, c'est à ce culte, que sont dûes tant de processions solemnelles en l'honneur de la mere de Dieu, & où assistent les corps les plus illustres des villes où elles se font. (D.J.)

VIERGE sainte, (Peint.) tous les Peintres se sont exercé à l'envi à faire des tableaux de la Ste Vierge ; & plusieurs d'eux ont pris leurs maîtresses pour modele. Raphaël qu'on doit mettre de ce nombre, a perfectionné la nature, en peignant une multitude de Vierges, qui sont d'une beauté admirable ; mais son chef-d'oeuvre, au jugement de tous les connoisseurs, est celui du palais Chigi, représentant la Ste Vierge, tenant l'enfant Jésus par la main, & Joseph qui s'approche pour le baiser. (D.J.)

VIERGE, (Astronomie) nom d'une constellation d'un des signes du zodiaque dans lequel le soleil entre au commencement d'Août.

Les étoiles de la constellation de la Vierge, suivant le catalogue de Ptolémée, sont au nombre de 32, suivant celui de Tycho de 39, & suivant le catalogue britannique, de 89.

VIERGE, la, (Mythol.) ce signe du zodiaque où le soleil entre au mois de Septembre, est chez les poëtes, la maison de Mercure. Hésiode disoit que la Vierge étoit fille de Jupiter & de Thétis ; Aratus la prétendoit fille d'Astrée & de l'Aurore. Hygin soutient que c'est Erigone fille d'Icare, & d'autres que c'est Cérès. (D.J.)

VIERGE, la, (Iconolog.) les uns ont cru qu'elle étoit Cérès, Manilius dit Isis, la même que la Cérès des Grecs ou Erigone. D'autres auteurs ont pensé que la Vierge étoit déesse de la justice. Les orientaux donnent aussi à ce signe le nom de la Vierge ; les Arabes l'appellent Eladari, qui signifie une vierge ; les Persans la nomment secdeidos de darzama qu'on traduit par virgo munda puella.

Sur les monumens anciens & modernes, la Vierge tient tantôt un épi, & tantôt une balance ; quelquefois elle est représentée avec les attributs de la paix, portant d'une main une branche d'olivier, & de l'autre un caducée.

On ne connoît presque qu'une pierre gravée du cabinet du roi, & un camée du cabinet de M. le duc d'Orléans, où la Vierge soit représentée avec la licorne. C'étoit une opinion presque générale que la licorne naturellement sauvage & féroce ne pouvoit être prise que par une fille vierge. La licorne que les naturalistes modernes regardent comme un animal fabuleux, étoit représentée par les anciens comme le symbole de la pureté, & c'est d'après une ancienne tradition sans-doute, que la Vierge, signe du zodiaque, a été représentée sur quelques monumens sous l'image d'une fille qui prend une licorne. (D.J.)

VIERGE SALIENNE, (Antiq. rom.) prêtresse de la suite des Saliens ; ces sortes de femmes portoient des especes d'habits de guerre avec des bonnets élevés comme les Saliens, & les aidoient dans leurs sacrifices. Voyez Rosinus, l. III. c. vj.

VIERGE, île des, (Géog. mod.) c'est un amas de petites îles & de rochers situés en Amérique, dans la partie du nord-ouest & du nord ouest quart de nord des îles Antilles, à l'orient de celle de S. Jean de Portorico ; les principales sont S. Thomas, S. Jean, Paneston ou la grande Vierge, Anegade, Sombrero & plusieurs autres. Voyez S. THOMAS, SOMBRERO & l'épithete SAINT ou SAINTE. Les passages qui se trouvent entre ces îles servent de débouquement aux vaisseaux qui retournent des Antilles en Europe, lorsqu'étant contrariés par les vents & les courans, ils ne peuvent débouquer entre Nieves & Mont-Serate.

On ne croit pas hors de propos d'avertir ici que le mot débouquer s'employe dans ces parages pour dire franchir un détroit, & s'éloigner des terres, afin de pouvoir cingler en haute mer. Sur les côtes d'Europe on dit décaper, se mettre au large des caps.


VIERRADEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, au cercle de basse-Saxe, vers les confins de la Poméranie, dans la Marche de Brandebourg, sur la Welse. Elle a été prise & reprise plusieurs fois dans les guerres du dernier siecle. (D.J.)


VIERTEou VIERTELLE, s. m. (Com.) nom que les Hollandois donnent à une sorte de jauge ou instrument qui sert à jauger les tonneaux ou futailles à liqueurs pour découvrir la quantité des mesures qu'elles renferment. Ces mesures sont aussi appellées du nom de cet instrument viertel ou viertelle. Voyez JAUGE.

VIERTEL, qu'on appelle aussi vierge, est une mesure à laquelle on vend les eaux-de-vie à Amsterdam. Chaque viertel est de six mingles & un cinquieme de mingle, ce qui fait un peu plus de douze pintes de Paris, à raison de deux pintes par mingle. Le viertel pour le vin est de six mingles justes. Voyez MINGLE. Diction. de Comm.


VIERUEDRUM(Géog. anc.) promontoire de la Grande-Bretagne. Ptolémée, l. II. c. v. le place entre les promontoires Taruedum & Veruvium. Il semble de-là, que ce promontoire doit être un cap entre Hoya & Dunsby. (D.J.)


VIERZON(Géog. mod.) en latin Brivodurum, Virzo, Virzio, Virisio, Virzonum ; ville de France, dans le Berry, sur les rivieres d'Eure & du Cher, à 8 lieues au nord-ouest de Bourges, & à 43 au sud-ouest de Paris. Il y a dans cette petite ville des capucins, des religieuses hospitalieres, & des chanoinesses du S. Sépulcre. Vierzon étoit un simple château dans le x. siecle, qui eut des seigneurs particuliers. François I. réunit cette place au domaine. (D.J.)


VIESTI(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Capitanate, sur le golfe de Venise, au pié du mont Gargan, à 12 lieues au nord-est de Manfredonia, dont son évêché releve. Plusieurs géographes prétendent que c'est l'Apanestae de Ptolémée, l. III. c. j. D'autres pensent que cette pauvre ville a été bâtie des ruines de l'ancienne Merinum. Long. 33. 52. latit. 41. 56.


VIEUSSENSvalvule de, (Anatom.) Vieussens de Montpellier a suivi les traces de Willis ; il s'est appliqué particulierement à l'anatomie du cerveau, & on a donné son nom à la grande valvule du cerveau qui regne depuis la partie inférieure des testès jusqu'à l'endroit où les cuisses du cervelet se séparent l'une de l'autre.


VIEUXANCIEN, ANTIQUE, (Synon.) ils enchérissent l'un sur l'autre ; savoir, antique sur ancien, & ancien sur vieux.

Une mode est vieille quand elle cesse d'être en usage : elle est ancienne lorsque l'usage en est entierement passé : elle est antique, lorsqu'il y a déjà longtems qu'elle est ancienne.

Ce qui est récent n'est pas vieux. Ce qui est nouveau n'est pas ancien. Ce qui est moderne n'est pas antique.

La vieillesse regarde particulierement l'âge. L'ancienneté est plus propre à l'égard de l'origine des familles. L'antiquité convient mieux à ce qui a été dans des tems fort éloignés de ceux où nous vivons.

On dit vieillesse décrépite, ancienneté immémorable, antiquité reculée.

La vieillesse diminue les forces du corps, & augmente les lumieres de l'esprit. L'ancienneté fait perdre aux modes leurs agrémens, & donne de l'éclat à la noblesse. L'antiquité faisant périr les preuves de l'histoire en affoiblit la vérité, & fait valoir les monumens qui se conservent.

Notre langue a des usages particuliers qui nous apprennent à ne pas confondre en parlant ou en écrivant vieux avec ancien ; on ne dit pas il est mon ancien ; pour dire précisément il est plus âgé que moi. Ancien a rapport au tems & au siecle. C'est pourquoi on dit, Aristote est plus ancien que Cicéron, & au-contraire, on dit que Cicéron étoit plus vieux que Virgile, parce qu'il avoit plus d'âge, & qu'il vivoit dans le même siecle. Nous disons une maison ancienne, quand on parle d'une famille, une vieille maison quand on parle d'un bâtiment. On dit presque également d'anciennes histoires, & de vieilles histoires, d'anciens manuscrits ou de vieux manuscrits ; mais on ne dit pas de même de vieux livres ou d'anciens livres. De vieux livres sont des livres usés & gâtés par le tems : & d'anciens livres, sont des livres faits par des auteurs de l'antiquité. (D.J.)

VIEUX, (Critique sacrée) on dit le vieux Testament par opposition au nouveau Testament. Le vieil homme marque dans le sens moral, les vices qui naissent d'une nature corrompue. Le vieux levain, c'est la méchanceté nuisible aux autres, avec laquelle saint Paul nous défend de célebrer la pâque, & nous ordonne de revêtir la charité & la bonté, I. Cor. v. 8.


VIFVIVACITé, (Gram. françoise) ces deux mots, outre leurs anciennes significations en ont de nouvelles qui sont élégantes. On a toujours dit, un esprit vif, une imagination vive, une couleur vive ; mais on dit aujourd'hui une personne vive, un brave homme qui est fort vif sur tout ce qui regarde son honneur. On dit encore une joie vive, une reconnoissance vive, une attention vive, des manieres vives. Enfin on varie ce mot de cent façons différentes.

Il en est de même de vivacité. L'ancien usage est pour vivacité d'esprit, vivacité de teint, vivacité de couleurs ; mais l'usage moderne s'étend plus loin. J'ai là dessus une vivacité incroyable, disons-nous aujourd'hui, en parlant d'une chose qu'on a fort à coeur.

Vivacité se prend quelquefois pour tendresse & pour passion ; il avoit la même vivacité & les mêmes soins pour elle ; avec quelle vivacité ne s'intéressoit-il pas à sa conservation.

Vivacité se dit au pluriel également ; il est colere & emporté, mais ce ne sont que des vivacités. (D.J.)

VIF, adj. vivement, vivace ; ce mot en Musique, marque un mouvement gai, vif, animé, & une exécution hardie & pleine de feu. (s)

VIF, (Archit.) c'est le tronc ou le fust d'une colonne, comme aussi la partie de la pierre qui est sous le bouzin. Ainsi on dit qu'un moilon, une pierre, sont ébouzinés jusqu'au vif, quand on en a atteint le dur avec la pointe du marteau. (D.J.)

VIF DE L'EAU, ou HAUTE MAREE, (Marine) c'est le plus grand accroissement de la marée, qui arrive deux fois le jour, de 12 heures en 12 heures. Voyez FLUX & REFLUX, REESREES.

VIF, (Arts méchaniq.) épithete qu'on donne à un attelier, quand il y a un grand nombre d'ouvriers qui s'empressent à faire leurs ouvrages.


VIF-ARGENTVoyez MERCURE.


VIF-GAGES. m. (Gram. & Jurispr.) est un contrat pignoratif, où le gage s'acquite de ses issues, c'est-à-dire où la valeur des fruits est imputée sur le sort principal de la somme, pour sureté de laquelle le gage a été donné.

Le vif-gage est opposé au mort-gage. Voyez GAGE & MORT-GAGE, ENGAGEMENT, CONTRAT PIGNORATIF. (A)


VIGANSS. m. pl. (Draperie) gros draps que les François envoient à Constantinople, à Smirne, & dans quelques autres Echelles du levant. Ce sont des especes de pinchinas, dont le petit peuple se sert au Levant à faire des vestes de dessous pour l'hiver. On en fait aussi une sorte de manteau de pluie, que les Turcs portent toujours, quand ils vont en campagne.


VIGEVANO(Géog. mod.) VIGERANO, VIGERO, en latin Vigevanum ou Viglebanum ; ville d'Italie au duché de Milan, capitale du Vigévanasc ou Vigévanois, sur le Tésin, à 7 lieues au sud-est de Novare, & à 8 lieues au sud-ouest de Milan. Elle a un château bâti sur un rocher. Son évêché établi en 1530, est suffragant de Milan. Long. 26. 23. lat. 45. 16. (D.J.)


VIGIES. f. (Hydrographie) les vigies sont des bancs de rocailles, ou des sommets de rochers isolés au milieu de la mer, hors de la vue des terres, à des distances considérables des côtes. Ces dangers sont d'autant plus à craindre pour les vaisseaux, que leur peu d'étendue & leur médiocre élévation ne permettent pas de les appercevoir de loin ; d'ailleurs il n'est guere possible de fixer leur véritable situation en longitude. Plusieurs cartes hydrographiques marquent des vigies qui n'existent pas, selon le rapport de quelques navigateurs, qui prétendent avoir passé dans le lieu même où ces vigies sont marquées ; cela n'est pas facile à prouver, attendu l'inexactitude des moyens dont on est obligé de se servir pour estimer la route, & le point fixe d'un vaisseau sur mer. Au reste, un géographe sera moins blâmable de placer sur ses cartes quelques dangers douteux, que d'en obmettre de réels.

VIGIES, (Marine) noms que donnent les espagnols de l'Amérique aux sentinelles de mer & de terre.


VIGIERv. n. (Marine) c'est faire sentinelle.

Vigier une flotte, c'est croiser sur une flotte.


VIGILANTVIGILANCE, (Gram. & Mor.) attention particuliere à quelque événement ou sur quelqu'objet. Le grand intérêt donne de la vigilance. La vigilance est essentielle à un général. Sans la vigilance, le philosophe bronchera quelquefois ; le chrétien ne fera pas un pas sans tomber.


VIGILEou VEILLE, s. f. (Hist. ecclés.) terme de calendrier ecclésiastique, qui signifie le jour qui précede une fête. Voyez FETE & VEILLE.

Le jour civil commence à minuit, mais le jour ecclésiastique ou canonique commence vers les quatre heures du soir, ou vers le coucher du soleil, & finit le lendemain à pareille heure. Voyez JOUR.

C'est pourquoi la collecte pour chaque dimanche ou fête, se dit, selon l'usage de l'Eglise, dès l'office du soir ou des vêpres du jour précédent, vers l'heure où commence le jour ecclésiastique.

Cette premiere partie des jours consacrés à la religion, qui commençoient ainsi dès le soir de la veille, étoit employée par les premiers chrétiens à chanter des hymnes, & à pratiquer d'autres actes de dévotion ; & comme ces exercices de piété ne finissoient souvent que fort avant dans la nuit, on les appelloit veilles ou vigiles. Voyez VEILLES.

Ces vigiles s'allongerent successivement au point que tout le jour qui précédoit la fête, fut appellé à la fin vigile.

Forbes attribue l'origine des vigiles à une coutume de l'ancienne église, suivant laquelle les fideles de l'un & l'autre sexe s'assembloient la veille de Pâques pour prier & veiller ensemble, en attendant l'office qu'on faisoit de grand matin, en mémoire de la résurrection de J. C. Cette pratique est encore en usage en France dans plusieurs diocèses.

Tertullien dans le livre qu'il adresse à sa femme, observe que dans la suite les chrétiens firent la même chose à d'autres fêtes ; mais comme il s'y étoit glissé des abus, ces veilles furent défendues par un concile tenu en 1322, & à leur place on institua des jeûnes qui jusqu'à présent ont retenu le nom de vigiles. Ce sont les jours qui précédent immédiatement les fêtes les plus solemnelles, celles des apôtres & de quelques martyrs ; ce qui varie suivant les divers usages des diocèses.

VIGILES est aussi en terme de Breviaire, le nom qu'on donne aux matines & aux laudes de l'office des morts, qu'on chante soit devant l'inhumation d'un mort, soit pour un obit ou service. Les vigiles sont à trois, ou neuf leçons, selon qu'elles sont composées d'un ou de trois nocturnes. Voyez NOCTURNE.


VIGINTIVIRATLE, (Hist. rom.) on comprenoit sous ce nom les emplois de vingt officiers chargés respectivement de la monnoie, du soin des prisons, de l'exécution des criminels, de la police des rues, & du jugement de quelques affaires civiles. Personne ne pouvoit être exemt de ces emplois, sans une dispense du sénat. Quand Auguste monta sur le trône, il voulut aussi qu'avant que d'obtenir la questure qui étoit le premier pas dans la carriere des honneurs, on eût rempli les fonctions du vigintivirat ; mais on fut bien plus curieux de se trouver dans l'antichambre de l'empereur, que d'exercer la questure ; & le vigintivirat devint l'office de gens de la lie du peuple. (D.J.)


VIGINTIVIRSCOLLEGE DES, (Hist. rom.) ce college étoit composé des magistrats inférieurs ordinaires, nommés les triumvirs monétaires, les triumvirs capitaux, les quatuorvirs nocturnes & les décemvirs. Tous ces officiers avoient chacun leurs fonctions particulieres. Voyez leurs articles pour en être instruit. (D.J.)


VIGNAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) ancien terme qui signifioit un droit que le seigneur percevoit sur les marchandises & bestiaux qui passoient dans sa seigneurie. Il en est parlé dans la somme rurale au chapitre du fisc & des amendes. Voyez le gloss. de M. de Lauriere. (A)


VIGNES. f. vitis, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; le pistil sort du milieu de cette fleur ; il est entouré d'étamines, qui font tomber ordinairement les pétales, & il devient dans la suite une baie molle, charnue & pleine de suc ; elle renferme le plus souvent quatre semences, dont la forme approche de celle d'une poire. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort distingue vingt-une especes de ce genre de plante, entre lesquelles nous décrirons la vigne commune cultivée, parce que sa description se rapporte à toutes les autres especes.

Cette plante, nommée vitis vinifera par C. B. P. 299. J. B. 2. 67. Raii, hist. 1613. a la racine longue, peu profonde, ligneuse, vivace. Elle pousse un arbrisseau qui s'éleve quelquefois à la hauteur d'un arbre, & dont la tige est mal faite, tortue, d'une écorce brune, rougeâtre, crevassée, portant plusieurs sarmens longs, munis de mains ou vrilles qui s'attachent aux arbres voisins, aux charniers ou aux échalas. Ses feuilles sont grandes, belles, larges, presque rondes, incisées, vertes, luisantes, un peu rudes au toucher, d'un goût astringent. Ses fleurs naissent dans les aisselles des feuilles, petites, composées chacune de cinq pétales, disposées en rond, réunies par leur pointe, de couleur jaunâtre, odorantes, avec autant d'étamines droites à sommets simples.

Lorsque les fleurs sont tombées, il leur succede des baies rondes ou ovales, ramassées & pressées les unes contre les autres, en grosses grappes, vertes & aigres dans le commencement, mais qui en mûrissant prennent une couleur blanche, rouge ou noire, & deviennent charnues, pleines d'un suc doux & agréable ; chaque baie renferme ordinairement dans une seule loge cinq semences ou pepins osseux en coeur, plus pointus par un bout que par l'autre.

Cette plante se cultive dans les pays chauds & tempérés ; elle s'éleve en peu de tems à une grande hauteur, si l'on n'a soin de l'arrêter en la taillant, elle croît même jusqu'à surmonter les plus grands ormes, elle fleurit en été, & ses fruits ou raisins mûrissent en automne. Il n'y a guere de plante qui soit plus durable ; l'étendue qu'elle occupe est étonnante, car on a vu des maisons couvertes des branches d'une seule souche.

Nous préférons la vigne, disoit autrefois Columelle, à tous les autres arbres & arbrisseaux du monde, non-seulement pour la douceur de son fruit, mais aussi pour la facilité avec laquelle elle s'éleve ; elle répond à la culture & aux soins des hommes presque en tout pays, à-moins qu'il ne soit ou trop froid ou trop brûlant, en plaines, en coteaux, en terre forte ou légere & meuble, grasse ou maigre, humide ou seche. Selon Pline, les terreins ne different pas plus entr'eux que les especes de vignes ou de raisins ; mais il seroit impossible de reconnoître aujourd'hui dans les noms modernes ceux de l'antiquité qui y répondent, parce que les anciens n'ont point caractérisé les diverses especes de vignes dont ils parloient, ni les fruits qu'elles portoient. (D.J.)

VIGNE, (Agriculture) la terre qui convient mieux aux vignes pour avoir de bon vin, est une terre pierreuse ou à petit cailloutage, située sur un coteau exposé au midi ou au levant. Il est vrai que la vigne n'y dure pas si long-tems que dans une terre un peu forte, & qui a plus de corps. Les terres grasses & humides ne sont point propres pour la vigne, le vin qui y croît n'est pas excellent, quelles que soient les années chaudes & hâtives qui puissent survenir.

Pour les terres situées sur des coteaux exposés au couchant, il n'en faut guere faire de crus pour y élever des vignes ; quoique ces vignes soient bien cultivées & fumées, leur fruit mûrit d'ordinaire imparfaitement. Quant aux coteaux exposés au nord, il n'y faut jamais planter de la vigne, parce qu'on n'y recueilleroit que du verjus.

La vigne se multiplie de crossettes & de marcottes. Pour avoir de bonnes crossettes, il faut en taillant la vigne les prendre sur les jets de la derniere année, & que ces crossettes aient à l'extrêmité d'en-bas du bois de deux ans. On ne prend pas les crossettes sur la souche de la vigne, parce qu'elles ont en cet endroit des yeux plats & éloignés les uns des autres. On connoît la bonté des crossettes & du plant enraciné quand le dedans du bois est d'un verd-clair ; s'ils sont d'un verd-brun, il faut les rejetter.

On plante la vigne de plusieurs manieres. Les uns prennent une pioche ou une beche, avec laquelle, le long d'un cordeau qu'ils ont tendu de la piece de terre qu'ils veulent mettre en vigne, ils font une raie de terre d'un bout à l'autre, & ensuite une autre en continuant jusqu'à ce que la terre soit toute tracée. Il suffit dans une terre seche & sablonneuse de donner à ces raies deux piés six pouces de distance ; mais dans une terre plus substancielle, ces raies doivent avoir entr'elles plus de trois piés.

Ces raies étant faites, ils creusent un rayon d'un pié & demi en quarré, & autant en profondeur, & dont le côté droit a pour bornes à droite ligne la moitié de la raie, le long de laquelle on creuse le rayon. Cela fait, ils prennent deux crossettes ou deux marcottes, ils les posent en biaisant, l'une à un des coins du rayon, & l'autre à l'autre ; puis couvrant aussi-tôt ces crossettes, ils abattent dans le rayon la superficie de la terre voisine ; ce rayon n'est pas plutôt rempli qu'ils en commencent un autre, & continuent ainsi jusqu'à la fin. Cette maniere de planter s'appelle planter à l'angelot.

Pour avoir de bon plant enraciné, il suffit qu'il paroisse à chacun trois ou quatre racines. Si l'on veut que ce plant reprenne heureusement, il faut le planter avec tous les soins possibles ; mais on se sert plu tôt de crossettes pour faire un grand plant de vigne que de marcottes. Il est des pays où ces crossettes sont appellés chapons, quand il y a du bois de l'année précédente, & poules quand il n'y a que du bois de l'année.

On a une autre maniere de planter la vigne, qu'on appelle planter au-bas ; voici comment elle se prati que. Après que le vigneron a trouvé son alignement, qui est ce qui le dirige & ce qu'il ne doit point perdre de vue, il creuse grossierement un trou de seize ou dix-sept pouces, qui se termine en se retrécissant dans le fond, & dont l'entaille du côté & le long de la raie est taillée avec art. Ce trou étant fait, on prend une crossette, on l'y met en biaisant ; puis mettant le pié dessus, on abat la terre dedans ce trou qu'on remplit grossierement, après cela on porte devant le pié qu'on avoit derriere ; puis creusant un autre trou, on y plante encore une autre crossette de même qu'on vient de le dire, ainsi du reste jusqu'à la fin de l'alignement, & jusqu'à ce que toute la piece de terre soit plantée.

On peut commencer à planter dès le mois de Novembre, principalement dans les terres légeres & sablonneuses. Pour les terres fortes, on ne commencera, si l'on veut, qu'à la fin de Février, & lorsque l'eau de ces terres sera un peu retirée.

Rien n'est plus aisé que de marcotter la vigne. Pour y réussir, il faut choisir une branche de vigne qui sorte directement de la souche avant que la vigne commence à pousser. On fait en terre un trou profond de treize à quatorze pouces, dans lequel on couche doucement cette branche sans l'éclater, de maniere que la plus grande partie étant enterrée, l'extrêmité d'en-haut en sorte de la longueur de quatre ou cinq pouces seulement. La partie qui est enterrée est celle qui prend racine ; lorsqu'on est assûré que la marcotte est enracinée, on la sépare de la souche, ce qui se fait au mois de Mars de l'année suivante. On se sert de marcottes pour planter ailleurs & garnir quelques places vuides, & on marcotte ordinairement les muscats, les chasselas & autres raisins curieux.

Il y a encore un autre moyen de multiplier la vigne qui se fait par les provins, c'est-à-dire en couchant le sep entier dans une fosse qu'on fait au pié ; puis on en choisit les sarmens les plus beaux qu'on épluche bien. On les place tout de suite le long du bord de la fosse qui s'aligne aux autres seps. Cela fait, & tous ces sarmens étant bien couchés, on les couvre de terre, & on laisse passer l'extrêmité environ à six ou huit pouces de haut. C'est par les bourgeons qui y sont qu'on voit le bon ou mauvais succés de son travail. On peut provigner la vigne depuis la S. Martin jusqu'au mois de Mai.

Soit que la vigne soit plantée de crossettes ou autrement, on ne lui laisse point manquer de façons ordinaires. On commence d'abord par la tailler. Rien n'est plus nécessaire & utile à la vigne que la taille ; sans elle le fruit que cette plante produiroit n'auroit pas la grosseur ni la qualité de celui dont la taille auroit été faite comme il faut. Voici ce qu'on peut observer sur la taille de la vigne.

Il faut d'abord en examiner le plus ou moins de force, afin de la tailler plus ou moins court. On doit charger les seps qui ont beaucoup de gros bois, c'est-à-dire, leur laisser deux corsons ou recours, ou vietes, comme on dit en certains pays. Il faut que cette charge ne cause point de confusion, & comme il faut que les seps vigoureux soient taillés de cette maniere, aussi doit on laisser moins de coursons aux seps qui ont moins de force.

Quand on taille la vigne, il ne faut asseoir sa taille que sur les beaux sarmens qu'elle a poussés ; le tems de faire ce travail est le mois de Février, ou plus tôt même si le tems le permet. La vigne doit être taillée quinze jours avant qu'elle commence à pousser.

Sous le mot de vigne, on entend ici celle qu'on cultive dans les jardins, ainsi que celles qu'on plante dans la campagne. Les premieres principalement, quand elles sont exposées au midi, veulent être taillées au plus tôt. Il y a des vignerons qui commencent à tailler leurs vignes avant la fin de l'hiver. Ils laissent pour cela tout de leur longueur les sarmens sur lesquels ils veulent asseoir leur taille, sauf après l'hiver à les couper convenablement ; cette méthode avance leur travail.

Il faut quand on taille la vigne, laisser environ deux doigts de bois au-dessus du dernier bourgeon, & faire ensorte que l'entaille soit du côté opposé à ce bourgeon, de crainte que les larmes qui sortent par cette plaie ne la noient. On doit retrancher toutes les menues branches qui croisent sur un sep, elles n'y font qu'apporter de la confusion.

On doit en taillant la vigne ôter du pié les seps de bois qui lui sont inutiles, & que la paresse du vigneron y auroit laissé l'année précédente, dans le tems de l'ébourgeonnement. Lorsque le tronc d'une vigne est bien nettoyé, il est plus aisé à tailler que quand il ne l'est pas. Dans la plus grande partie de la Bourgogne on met en perches les vignes quand elles ont quatre ans, qui est ordinairement le tems qu'elles commencent à donner du fruit en abondance.

Lorsque la vigne ne fait que commencer à pousser, & qu'elle vient à geler en bourre, on peut espérer qu'elle pourra produire huit ou dix jours après (si l'air s'échauffe), quelques arrieres bourgeons, dans chacun desquels il y aura un ou deux raisins ; c'est pourquoi on se donnera bien de garde de couper d'abord le bois de cette vigne gelée, ni d'y donner aucun labour. Il n'y faudra toucher que lorsque le tems sera adouci.

Mais quand la vigne a été tout-à fait gelée, & qu'il n'y a plus d'espérance qu'elle donne d'arrieres-bourgeons, il faut couper tout le bois ancien & nouveau, & ne laisser seulement que les souches. Cette opération renouvelle entierement une vigne ; si cependant la gelée vient fort tard, c'est-à-dire, depuis la fin de Mai jusqu'au 15 de Juin, on ne coupera aucun bois, parce que la saison étant pour lors avancée, la vigne ne manque pas de repousser quantité de nouveaux bourgeons, qui cependant ne donnent que du bois pour cette année.

La vigne étant taillée & échaladée, on songe à lui donner les labours qui lui conviennent, plus dans les terres fortes que dans les terres légeres, & selon l'usage du pays. Le premier labour dans les terres fortes se donne depuis la mi-Mars, jusqu'à la mi-Avril, lorsque la terre permet de le faire ; & dans les terres pierreuses & légeres, on donne ce premier labour 15 jours plus tard.

Le second labour, qu'on appelle biner, doit se donner par un beau tems, s'il est possible, & avant que la vigne soit en fleur, ou on attendra qu'elle soit tout-à-fait dehors. Le troisieme labour qu'on appelle rebiner ou tiercer, ne se doit donner que lorsque le verjus est tout formé, & des plus gros. Dans les vignes auxquelles on donne quatre labours, il faut commencer plus tôt qu'on a dit à donner le premier, & suivre après, selon que la terre l'exigera, & que les mauvaises herbes pousseront.

Il y a des pays où l'on n'échalade les vignes qu'après le premier labour ; d'autres où cela se fait incontinent après la taille ; puis on baisse le sarment, c'est à dire, on attache le sarment à l'échalas en le courbant.

Il ne suffit pas de donner à la vigne tout le travail dont on vient de parler, il faut encore l'ébourgeonner, l'accoler, l'amender, & la rueller. Quand on fera l'ébourgeonnement, il faut abattre en pié tous les nouveaux bois qu'on juge pouvoir être préjudiciables au sep. Si le sep est jeune, & qu'il ait poussé fort peu sur la tête, on a lieu d'espérer que l'année suivante il y aura de gros bois ; c'est pourquoi il faut abattre toute la nouvelle production. Si le sep est vieux, il faut ôter tous les jets qui y sont, à la réserve de la plus belle branche qu'on laissera.

En Bourgogne, où les vignes sont en perches, on les ébourgeonne jusqu'au coude du sep, c'est-à-dire, jusqu'à l'endroit où nait le bois qui produit le fruit. Il ne faut pas manquer à la fin de Juin d'accoler les sarmens que la vigne a poussés ; si on ne les accoloit pas, le moindre vent qui dans la suite viendroit à souffler, les feroit presque tous casser, outre que cela causeroit de la confusion dans la vigne, & empêcheroit de la labourer.

Quand la vigne est accolée, on en coupe l'extrêmité des sarmens à la hauteur de l'échalas. Ce travail est très-utile, puisqu'il empêche que la seve ne se consomme en pure perte.

Outre tous les travaux dont on vient de parler, & qu'on doit donner à la vigne, il est bon encore de l'amender, pour la faire pousser avec vigueur ; on l'amende avec du fumier. Un autre expédient qui n'est pas moins utile, est de terrer la vigne. Voyez TERRER.

C'est ordinairement depuis le mois de Novembre jusqu'en Février que ce travail se fait, tant que le tems permet qu'on puisse entrer dans les vignes. La nouvelle terre mise au pié des seps les fait pousser avec vigueur, à cause que le génie de la vigne étant toujours de prendre racine du côté de la superficie de la terre, il arrive qu'à mesure qu'elle en prend, la terre devient rare dessus, & s'épuise des sels qui doivent former son suc nourricier. On connoît qu'une vigne a besoin d'être terrée & fumée quand elle commence à jaunir, & qu'elle ne donne que de chetives productions.

Ce n'est pas tout, il faut avoir soin de provigner la vigne, c'est-à-dire, de la renouveller de tems en tems par de nouveaux provins, quand on y voit des places vuides. On sait qu'on nomme provins une branche de vigne qu'on couche & qu'on couvre de terre, afin qu'elle prenne racine, & donne des nouvelles souches.

Pour réussir à provigner la vigne, deux choses sont essentielles : premierement la bonne espece de raisin & le beau bois, sans quoi il vaut autant laisser les places vuides, que se servir pour les remplir d'un sep qui n'auroit pas ces deux avantages, ou qui manqueroit de l'une ou de l'autre.

Après le choix d'un sep tel qu'il est à souhaiter, on l'épluche de toutes les branches chifones qui ont pu y croître, & des vrilles qui y viennent ordinairement ; puis faisant une fosse en quarré, à commencer tout près le sep qu'on veut provigner, plus ou moins longue, selon que le permettent les branches de la vigne, ou selon qu'on veut que cette fosse s'étende, eu égard toujours à la longueur des branches & à la largeur du vuide qui est à remplir. Cette fosse étant creusée d'un pié & demi environ dans terre, on ébranle tout doucement le sep en le mettant du côté de la fosse, où il faut qu'il soit couché avec ses branches : cela se fait après plusieurs légeres secousses sans endommager les racines, non pas cependant sans quelque torture de la part du sep, qu'on courbe malgré lui.

Quand cette branche est couchée où on veut qu'elle soit, si c'est une vigne moyenne, on range dans cette fosse tellement les branches de ce sep, qu'elles regardent toujours à droite ligne les seps qui sont au-dessous & au-dessus d'elles : puis étant placées ainsi, soit en les ayant courbées pour les forcer de venir où on les desire, soit en les ayant mises comme d'elles-mêmes, on remplit le trou où elles sont de la superficie de la terre. Cela fait, on taille l'extrêmité des branches à deux yeux au-dessus de la terre, puis on les laisse là jusqu'à ce qu'ils poussent. Tel ouvrage n'est pas celui d'un apprentif vigneron, puisque même les plus habiles tombent quelquefois dans l'inconvénient de perdre entierement leur sep, quelque précaution dont ils aient usé en faisant cette opération.

Dans les terres fortes, terres légeres ou pierreuses, les provins s'y peuvent faire depuis le mois de Novembre jusqu'au mois d'Avril. Dans les terres humides ils réussissent mieux, lorsqu'on ne les fait qu'au commencement du printems jusqu'à la fin d'Avril.

Si c'est dans un jardin qu'on plante la vigne, on n'y met guere que des raisins choisis & rares, comme les muscats, les chasselas, & autres ; quand on peut en avoir de beaux, bons & hâtifs, il faut planter au midi quelques marcottes contre le mur, entre quelques arbres fruitiers en maniere d'espalier, les tailler & cultiver.

Il convient d'observer pour avoir de bons muscats, qu'il ne faut pas les fumer, vu que l'engrais donne trop de vigueur à la vigne, & qu'elle produiroit le raisin plus verd & moins hâtif. On observe aussi de mettre plutôt en mur exposé au levant qu'au couchant les vignes qui viennent des pays étrangers, & dont les fruits ont peine à mûrir en France, parce qu'ils sont meilleurs, & qu'ils mûrissent plus tôt que lorsqu'ils sont au midi ; pour la taille de ces vignes, on la fait après la saint Martin aussi-tôt que le fruit est cueilli.

Si on est curieux des raisins qui soient rares, on peut greffer la vigne en fente, ce qui se fait comme aux arbres, excepté qu'il faut mettre la greffe dans la terre, chercher le bel endroit du pié de la vigne, & le couper trois ou quatre pouces au-dessous de la superficie de la terre, afin que se collant à son pié, elle prenne en même tems racine du collet ; enfin pour avoir d'excellens raisins, il faut les greffer sur muscats, dont la seve est plus douce & plus relevée. Le bon tems de greffer la vigne, est lorsqu'elle est en seve. Si le pié de la vigne est gros, on peut y mettre deux greffes bord-à-bord, & quand le pié est jeune, moelleux, & un peut plus gros que la greffe, on la met dans le milieu de la vigne.

Ces généralités peuvent suffire : on trouvera les détails dans un traité de la culture de la vigne, publié dernierement à Paris en deux volumes in-12 ; mais il faut remarquer que cette culture n'est pas la même dans les diverses provinces de ce royaume ; & comme elle est abandonnée à des vignerons ignorans, qui suivent de pere en fils une routine aveugle, on juge aisément qu'elle est susceptible de beaucoup d'amélioration. (D.J.)

VIGNE, (Mat. méd. & Diete) cette plante que l'on appellera, si l'on veut, arbre ou arbrisseau, fournit à la pharmacie sa seve, ses jeunes pousses, ses bourgeons, ses feuilles & la cendre de ses sarmens ; son fruit que tout le monde connoît sous le nom de raisin, a des usages pharmaceutiques & diététiques trop étendus, pour ne pas en traiter dans un article distinct. Voyez RAISIN.

Les pleurs ou la seve de la vigne que l'on ramasse au printems, est regardée comme apéritive, diurétique & propre contre la gravelle étant prise intérieurement par verrées. Cette liqueur est regardée aussi comme très-utile dans les ophthalmies, les petits ulceres des paupieres & la foiblesse de la vue, si on en bassine fréquemment les yeux ; l'une & l'autre de ces propriétés paroît avoir été accordée à cette liqueur assez gratuitement.

Les anciens médecins & quelques modernes ont ordonné le suc des feuilles ou celui des jeunes pousses de vigne, qui est d'une saveur aigrelette assez agréable dans les dévoiemens ; ce remede ne vaut pas mieux, peut-être moins que les autres sucs acidules végétaux, tels que ceux de citron, d'épine-vinette, de groseille, &c. qui sont quelquefois indiqués dans cette maladie.

C'est un remede populaire & fort usité que la lessive de cendre de sarment ou branches de vigne contre l'oedème, la leucophlegmatie, l'hydropisie ; mais les principes médicamenteux dont cette lessive est chargée, sont des êtres très-communs, & point-du-tout propres à la vigne.

C'est ici un sel lixiviel purgatif & diurétique, comme ils le sont tous. Voyez SEL LIXIVIEL. (b)

VIGNE BLANCHE, (Mat. méd.) voyez BRYONE.

VIGNE DE JUDEE, (Botan.) ou douce amere ; ce sont deux noms vulgaires de l'espece de morelle, appellée par Tournefort, solanum scandens. Voyez MORELLE. (D.J.)

VIGNE SAUVAGE, (Botan.) vitis sylvestris, seu labrusca, C. B. P. espece de vigne qui croît sans culture au bord des chemins, & proche des haies ; son fruit est un fort petit raisin qui, quand il mûrit, devient noir, mais il ne mûrit guere que dans les pays chauds. (D.J.)

VIGNE SAUVAGE, (Botan. exot.) voyez PAREIRABRAVA.

VIGNE-VIERGE, (Jardinage) bryonia ; ce nom lui vient de Virginie en Amérique : cette plante est vivace, & se multiplie de plants enracinés. Elle approche de la coulevrée, & a comme elle des tenons pour s'attacher par-tout, & sert à couvrir des murs & des berceaux de treillage. Sa feuille & sa fleur sont à-peu-près les mêmes, & rougissent sur la fin de l'automne ; on remarque qu'elle ne porte point de fruit.

VIGNE, fruit de la, (Critiq. sacr.) dans S. Matt. xxvj. 29. . Il est aussi appellé le sang de la vigne, Eccl. xxxjx. 32. Deutéron. xxxij. 14. Pindare le nomme , la rosée de la vigne, & Philon, , le fruit de la vigne. " Jesus-Christ, c'est Clément d'Alexandrie qui parle, Poed. lib. II. p. 158. montre que ce fut du vin qu'il bénit, lorsqu'il dit à ses disciples, je ne boirai plus de ce fruit de vigne, c'étoit donc du vin que le Seigneur bûvoit ; soyez persuadé que Jesus-Christ a béni le vin quand il dit : prenez, buvez ; ceci est mon sang, le sang du vin. L'Ecriture, dit plus haut ce pere de l'Eglise, p. 156. nomme le vin, le symbole mystique du sang sacré ". Rem. de M. de Beausobre. (D.J.)


VIGNERONS. m. (Gramm.) celui qui s'entend & s'occupe de la culture de la vigne.


VIGNETTES. f. terme d'Imprimerie, on entend par vignette, les ornemens dont on décore les impressions. Elles sont fort en usage au commencement d'un ouvrage, à la tête d'un livre, d'une préface, & d'une épître dédicatoire. Les vignettes sont des desseins variés & de grandeur proportionnée au format. Ces gravures se font sur bois & sur cuivre. Il est une troisieme sorte de vignettes qui se font à l'imprimerie ; pour cet effet elles sont fondues de même que les lettres : chaque corps de caractere, dans une Imprimerie bien montée, a un casseau de vignettes qui lui est propre, c'est-à-dire qui est de la même force ; au moyen de quoi un ouvrier compositeur, artiste en ce genre, avec du goût, peut à même de toutes ces pieces différentes, mais dont il y a nombre de chacune, composer une vignette très-variée & d'un très-beau dessein. On se sert de ces mêmes pieces pour composer les passe-partout & les fleurons composés à l'Imprimerie. Voyez PASSE-PARTOUT, FLEURONS, &c.


VIGNOBLES. m. (Agricult.) est un lieu planté de vignes. Voyez VIGNE.


VIGNUOLou VIGNOLA, (Géog. mod.) petite ville d'Italie dans le Modénois, sur le Panaro, aux confins du Boulonnois. (D.J.)


VIGO(Géog. mod.) ville d'Espagne dans la Galice, sur la côte de l'Océan, à 3 lieues au sud-ouest de Redondillo, & à 106 au nord-ouest de Madrid, avec un bon port de mer, dans lequel les Anglois prirent ou coulerent à fond les galions d'Espagne en 1702. La campagne des environs est des plus fertiles. Long. 9. 14. latit. 42. 3. (D.J.)


VIGOGNES. f. (Zoolog.) camelus, seu camelo congener, pacos dictum, Ray. ovis peruana, pacos dicta, Marg. animal de la grandeur d'une chevre & de la figure d'une brebis, qui se trouve dans les montagnes du Pérou depuis Arica jusqu'à Lima. Les Espagnols l'appellent ordinairement vicunna, dont nous avons fait vigogne. Il ne faut pas le confondre avec le lamas ou l'alpague, deux autres animaux qui lui ressemblent assez.

La vigogne a le pié fourchu comme le boeuf, il porte sa tête comme le chameau, qu'il a assez semblable à celle de cet animal ; il va assez vîte, & s'apprivoise facilement.

Les plus grands, qui quelquefois le deviennent autant qu'une petite génisse, ou qu'un âne de grandeur moyenne, servent au transport des vins, des marchandises & autres fardeaux, pouvant porter cinq arrobes qui reviennent à 125 livres pesant de France.

Ce sont des animaux de compagnie, & ils vont toujours ou par troupeaux ou par caravanes ; ils servent ordinairement à porter dans les vignes de la gouaclit qui est de la fiente d'oiseaux sauvages, dont on se sert pour engraisser les terres dans le Pérou.

La laine de vigogne est brune ou cendrée, quelquefois mêlée d'espace en espace de taches blanches. Voyez VIGOGNE, (Lainage.)

Lorsque les Péruviens veulent prendre & chasser ces animaux, ils s'assemblent le plus grand nombre qu'ils peuvent pour les pousser à la course, & en faisant de grands cris dans des passages étroits qu'ils ont auparavant reconnus, & où ils ont tendu leurs filets. Ces filets ne sont que de simples cordes attachées à quelques pieux de trois ou quatre piés de haut, desquels pendent de distance en distance des morceaux de drap ou de laine. Les vigognes effrayés à cette vue, s'arrêtent sans penser à forcer ou franchir ce léger obstacle, à-moins que quelques lamas plus hardis ne leur montrent l'exemple, & alors les Péruviens ou les tuent à coups de fleches, ou les arrêtent en vie avec des lacs de cuir. Frezier, voyage de la mer du Sud. (D.J.)

VIGOGNE, laine, s. m. (Lainage) elle vient du Pérou qui est le seul lieu au monde où l'on trouve l'animal qui la porte, & dont elle a emprunté le nom. Les rois d'Espagne ont souvent tenté inutilement d'y faire transporter de ces sortes d'animaux, dans l'espérance de les faire peupler, & de rendre par-là leur laine plus commune & moins chere, en épargnant les frais, & évitant les risques de la mer ; mais soit faute de pâturages qui leur conviennent, soit que le climat ne leur soit pas propre, ils y sont toujours morts ; ensorte que depuis long-tems les Espagnols ont abandonné ce dessein.

La laine de vigogne est de trois sortes, la fine, la carmeline ou bâtarde, & le pelotage ; la derniere est très peu estimée ; elle s'appelle de la sorte, parce qu'elle vient en pelotes. Toutes trois néanmoins entrent dans les chapeaux qu'on appelle vigogne, mais non pas seules ; il faut nécessairement les mêler avec du poil de lapin, ou partie poil de lapin, & partie poil de lievre. (D.J.)


VIGORTES. f. (Artillerie) c'est un modele sur lequel on entaille le calibre des pieces d'artillerie. (D.J.)


VIGOTSVIGOTS


VIGUERIES. f. (Gram. & Jurisp.) vicaria, est la jurisdiction du viguier ; elle a pris son nom du titre de viguier qui est un mot corrompu du latin vicarius. Ces vicaires ou viguiers, qui étoient les lieutenans des comtes, furent par succession de tems appellés dans certains pays vicomtes ; ailleurs ils retinrent le nom de vicarii, & en françois viguiers, d'où leur office & jurisdiction a été appellée viguerie.

Il y avoit pourtant, à ce que l'on croit, quelque différence entre les viguiers & vicomtes, en ce que les viguiers n'ayant pas le commandement des armées, & ne s'étant pas rendus seigneurs & propriétaires de leur viguerie ou district, ils demeurerent simples officiers, de maniere qu'ils ne tiennent d'autre rang que celui des prevôt & châtelain.

Il y a encore plusieurs vigueries dans le ressort du parlement de Toulouse. Voyez Ragueau, Pasquier, Ducange, & le mot VIGUIER. (A)


VIGUEURS. f. (Gram.) grande force ; il se dit des hommes, des plantes, & des animaux, de l'ame & du corps, des membres & des qualités. Il est dans la vigueur de l'âge. Bacon est plein d'idées vigoureuses. Lorsque les loix sont sans vigueur, les mauvaises actions sans châtimens, les bonnes sans récompense ; il faut que l'anarchie s'introduise, & que les peuples tombent dans l'avilissement & le malheur. Quelques actions de vigueur de la part d'un prince intelligent & ferme, suffisent pour relever un état chancelant. Il y a peu d'auteurs qui aient plus de vigueur dans le style que Montagne. Les plantes sur la fin de l'été sont sans vigueur. La vigueur du corps & de l'esprit est rare sous les climats très chauds.


VIGUIERS. m. (Gram. & Jurisp.) vicarius, & par corruption vigerius, est le lieutenant d'un comte. C'est le même office qu'on appelle ailleurs vicomte, prevôt, châtelain. Les titres de viguier & de viguerie sont usités principalement dans le Languedoc. Voyez VIGUERIE. (A)


VIHERS(Géog. mod.) petite ville de France, dans l'Anjou, avec titre de comté, sur un étang, à cinq lieues de Montreuil-Bellay. Long. 17. 8. latit. 47. 10. (D.J.)


VIKILS. m. (Commerce) nom que les Persans donnent aux commis qu'ils tiennent dans les pays étrangers pour la facilité de leur commerce. C'est ce que nous appellons commissionnaires ou facteurs. Voyez COMMISSIONNAIRE & FACTEUR. Diction. de commerce.


VILadj. (Gram.) c'est celui qui a quelque mauvaise qualité, ou qui a commis quelque mauvaise action, qui marque dans son ame de la pusillanimité, de l'intérêt sordide, de la duplicité, de la lâcheté ; il y a des vices qui se font abhorrer, mais qui supposant quelque énergie dans le caractere, n'avilissent pas. Comme ce sont les usages, les coutumes, les préjugés, les superstitions, les circonstances mêmes momentanées qui décident de la valeur morale des actions ; il y a telle action vile chez un peuple, indifférente ou même peut-être honorable chez un autre ; telle action qui étoit vile chez le même peuple, dans un certain tems, & qui a cessé de l'être ; la morale n'est guere moins en vicissitude chez les hommes, & peut-être dans un même homme, que la plûpart des autres choses de la nature ou de l'art ; multa renascentur, multa cecidêre cadentque quae nunc sunt in honore. C'est ce qu'on peut dire des vertus & des vices nationaux, comme des mots. Tacite nous apprend que les Romains regardoient les Juifs, le peuple de Dieu, celui qu'il s'étoit choisi, pour lequel tant de miracles s'étoient opérés, comme la partie la plus vile des hommes.


VILAINadj. (Gram.) laid, mal propre, incommode, qui a quelque qualité qui cause du dégoût ou du mépris : on dit un vilain tems, un vilain chemin, un vilain animal, une vilaine action, un vilain discours : on dit aussi quelquefois un vilain tout court, d'un homme possédé d'une avarice sordide.

VILAIN, en Fauconnerie, on appelle oiseau vilain, celui qui ne suit le gibier que pour la cuisine, qu'on ne peut affaiter ni dresser, tels que sont les milans & les corbeaux, qui ne chassent que pour les poulets.


VILAINE LAou LA VILLAINE, (Géog. mod.) en latin Vicinovia, & par Ptolémée Vidiana ; riviere de France. Elle prend sa source aux confins du Maine, & après avoir baigné Vitry, Rennes, & autres lieux, elle se perd dans la mer, vis-à-vis de Belle Isle. (D.J.)


VILANELLES. f. sorte de danse rustique, dont l'air doit être gai, & marqué d'une mesure très-sensible. Le fond en est ordinairement un couplet assez simple, sur lequel on fait ensuite plusieurs doubles & variations. Voyez DOUBLES, VARIATIONS. (S)


VILEBREQUINS. m. (Outil d'ouvriers) outil qui sert à percer, trouer ou forer diverses matieres dures, comme le bois, le marbre & la pierre, même quelques métaux.

Le vilebrequin est composé de quatre pieces, de la poignée, du fust ou de la manivelle, de la boîte, & de la meche ; la meche est de fer acéré, un peu creuse en forme d'une gouge, & amorcée par le bout. La boîte est de bois ou de fer, suivant que la monture du vilebrequin est de l'un ou de l'autre ; elle est percée par en-bas pour y mettre la queue de la meche ; le fust ou la manivelle qui a la figure d'un arc, est attaché d'un bout solidement à la boîte, & de l'autre à la poignée du vilebrequin ; mais par cette derniere extrêmité elle est mobile. Une grande quantité d'ouvriers & d'artisans se servent du vilebrequin, mais entr'autres les charpentiers, les menuisiers, & les serruriers : la monture des vilebrequins de ceux-ci est de fer ; celle des autres est de bois. (D.J.)

VILEBREQUIN, s. m. (outil d'Arquebusier) ce vilebrequin sert aux arquebusiers pour poser une meche & pour forer des trous dans du bois. Il n'a rien de particulier, & ressemble aux vilebrequins des menuisiers, serruriers, &c.

VILEBREQUIN, s. m. (Charpenterie) c'est un outil qui sert à percer le bois, & à autres choses, par le moyen d'un petit fer qui a un taillant arrondi appellé meche, & qu'on fait entrer en le tournant avec une manivelle de bois ou de fer. (D.J.)

VILEBREQUIN, s. m. (Horlog.) outil propre à faire tourner les égalissoirs. (D.J.)

VILEBREQUIN, s. m. terme de Layetier, les vilebrequins dont se servent les maîtres layetiers leur sont particuliers. Ils ont un manche long & finissant en pointe, en forme de tariere un peu creuse en-dedans. La commodité de cette sorte de vilebrequin consiste en ce que avec la même meche qu'on enfonce plus ou moins, on fait des trous de toutes grandeurs. (D.J.)


VILLA(Géog. anc.) nom latin qui signifie une maison de campagne, une ferme, une métairie. Les anciens s'en sont aussi servis pour désigner une bourgade, ou un village. On lit dans Ausone :

Villâ lucani tum potieris aco.

Ammien Marcellin écrit melanthiada villam coesarianam, en parlant de Mélanthias, village à cent quarante stades de Constantinople : Eutrope, en parlant de la mort de l'empereur Antonin Pie, dit qu'il mourut apud Lorium villam suam, à douze milles de Rome. Aurélius Victor, Eutrope, & Cassiodore, appellent Acyronem villam publicam, le lieu voisin de Nicomédie, dans lequel mourut l'empereur Constantin. Or Melanthias, Lorium, Acyro, & Lucaniacum, étoient des villages. Ils s'étoient sans-doute formés auprès de quelque maison de campagne, dont ils avoient retenu le nom.

Dans les titres du moyen âge, on remarque qu'il y avoit souvent dans un petit pays plusieurs de ces villae, & dans une villa, plusieurs parties nommées aloda, ou aleux, qu'on louoit aux paysans. Ces villae, ou maisons de campagne, ont donné commencement à une infinité de villes, de bourgs, & de hameaux, dont les noms commencent ou finissent par ville. C'est ce qui a donné pareillement l'origine au mot françois village, comme si on eût voulu désigner par ce mot, un nombre de maisons bâties auprès d'une villa, ou maison de campagne. (D.J.)

VILLA, (Lang. lat.) villa, chez les Romains, signifioit une métairie, une maison de campagne proportionnée aux terres qui en dépendoient, une maison de revenu ; villa, parce qu'on apportoit là les fruits, dit Varron ; mais dans la suite, ce nom passa aux maisons de plaisance, qui loin d'avoir du revenu, coutoient immensement d'entretien.

On changea les prés en jardins,

En parterres ses champs fertiles,

Les arbres fruitiers en stériles,

Et les vergers en boulingrins.

(D.J.)

VILLA FAUSTINI, (Géograph. anc.) lieu de la grande-Bretagne : l'itinéraire d'Antonin le marque sur la route de Londres à Lugullum, entre Colonia & Iciani, à trente-cinq milles de la premiere de ces places, & à vingt-quatre milles de la seconde. On croit communément que Bury, à sept milles à l'orient de Neumarket, est le lieu que les Romains nommoient Faustini villa. Le roi Edmond y ayant été inhumé, ce lieu prit le nom d'Edmund's-Bury ; & depuis on s'est contenté de dire simplement Bury. Il y a néanmoins quelques écrivains qui veulent que Dummow soit Villa Faustini. (D.J.)

VILLA HADRIANI, (Géog. anc.) maison de plaisance de l'empereur Hadrien, sur le chemin de Tivoli à Frescati : on en voit les masures, en se détournant un peu à la gauche, & c'est ce que les paysans du quartier appellent Tivoli-vecchio. L'empereur Hadrien avoit bâti cette maison de campagne d'une maniere des plus galantes, ayant imité en divers endroits le lycée, le prytanée, le portique, le canope d'Egypte, &c. Il y avoit aussi bâti une muraille, où l'on avoit le soleil d'un côté, & l'ombre de l'autre ; c'est-à-dire qu'il l'avoit disposée du levant au couchant. Il y avoit encore dans ce lieu deux ou trois temples ; tout cela est détruit. Les statues d'Isis de marbre noir qu'on voit au palais de Maximis à Rome, ont été tirées de ce lieu. (D.J.)

VILLA BORGHESE, (Géog. mod.) maison de plaisance en Italie, à deux milles de Rome, & qui prend son nom de la famille à laquelle elle appartient. On la nomme aussi quelquefois vigne-Borghèse. C'est un lieu très-agréable, qui seroit digne d'être habité par un grand prince.

La maison est presque toute revêtue en dehors de bas-reliefs antiques, disposés avec tant de symmétrie, qu'on les croiroit avoir été faits exprès, pour être placés comme ils sont. Entre le grand nombre de statues, dont les appartemens de ce petit palais sont remplis, on admire principalement le gladiateur, la Junon de porphire, la louve de Romulus, d'un fin marbre d'Egypte ; les bustes d'Annibal, de Séneque, & de Pertinax, l'Hermaphrodite, & le vieux Silène qui tient Bacchus entre ses bras : le David frondant Goliath, l'Enée qui emporte Anchise, & la métamorphose de Daphné, sont trois pieces modernes du cavalier Bernin, qui méritent d'être mises au rang des premieres.

On sait aussi que ce palais est rempli de peintures rares des modernes. Le S. Antoine du Carrache, & le Christ mort de Raphaël, sont regardés comme les deux principaux morceaux. Si toutes les magnificences qu'on peut voir ailleurs ne sont pas ici si splendidement étalées, on y trouve des beautés plus douces & plus touchantes ; des beautés tendres & naturelles, qui font plus naître d'amour, si elles n'inspirent pas tant de respect. Enfin comme Rome est la source des statues & des sculptures antiques, il faut que le reste du monde cede en cela au palais de la famille de Borghèse. On ne peut rien ajouter à la beauté de ses promenades ; il y a un parc, des grottes, des fontaines, des volieres, des cabinets de verdure, & une infinité de statues antiques & modernes. (D.J.)

VILLA DE CONDE, (Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans la province d'Entre-Duero-e-Minho, sur la droite ; & à l'embouchure de la riviere d'Ave, entre Barcelos & Porto, avec un petit port. Ses habitans vivent de la pêche. Long. 9. 20. latit. 41. 10. (D.J.)

VILLA DEL SPIRITU SANTO, (Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, province de Guaxaca, à 90 lieues d'Antequera, à 3 lieues de la mer ; elle a été bâtie en 1522 par Gonsalve de Sandoval. (D.J.)

VILLA DI SAN DOMENICO, (Géog. mod.) monastere de dominicains, au royaume de Naples, dans la terre de Labour, à trois milles d'Arpino, dans une île que forme le Fibrino, avant que de se joindre au Gariglan.

L'article des couvens n'entre point dans ma géographie ; mais il faut savoir que c'est ici le lieu natal de Cicéron, & que le portique de l'orateur de Rome a passé à des moines qui ne le connoissent pas. Des inquisiteurs ignorans, superstitieux, inutiles au monde, habitent donc aujourd'hui la maison de plaisance du consul qui sauva la république, du beau génie qui répandit dans l'univers les lumieres de la raison, de la morale & de la liberté.

C'étoit une des maisons de campagne où Cicéron se retiroit volontiers pour s'y délasser du poids des grandes affaires de l'état. La clarté & la rapidité de la riviere, la fraîcheur de ses eaux, sa chûte en cascade dans le Liris, l'ombre & la verdure du terrein qu'elle arrosoit, planté d'allées de peupliers sur tous les bords, nous donne l'idée d'une perspective champêtre des plus agréables. Quand Atticus la vit pour la premiere fois, il en fit plus de cas que des maisons de plaisance les plus vantées de l'Italie, déclarant qu'il en préféroit les beautés naturelles à la magnificence de leurs dorures, de leurs marbres, & de leurs canaux artificiels. Voulez-vous, disoit cet ami à Cicéron, que nous allions nous entretenir dans l'île de Fibrinus qui fait mes délices ? Je le veux bien, répondoit Cicéron ; j'aime, comme vous, cet endroit, parce que c'est ma patrie & celle de mon frere.... Nous en sommes sortis. J'y vois un peuple vertueux, des sacrifices simples, & quantité de choses qui me rappellent la mémoire de mes ancêtres. Je vous dirai de plus que c'est mon pere qui a pris soin de rebâtir cette maison de campagne, & que c'est ici qu'il a passé presque toute sa vie dans l'étude, & dans le repos que requeroit l'état de sa santé valétudinaire. De legibus, dialog. 21, c. j. ij. iij. (D.J.)

VILLA-FRANCA, (Géog. mod.) nom commun à quelques villes d'Espagne.

1°. Ville d'Espagne, dans la Castille vieille, sur le Tormes, au voisinage de Pegnaranda. Il se fabrique de bons draps dans cette petite ville, que quelques géographes prennent pour l'ancienne Manliana.

2°. Ville d'Espagne, dans le royaume de Léon, aux confins de la Galice. Cette ville médiocrement grande est située dans une vallée au milieu de hautes montagnes.

3°. Petite ville d'Espagne, dans le Guipuscoa, sur l'Oria, entre Ségura & Tolosa. (D.J.)

VILLA-FRANCA DE PANADES, (Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la Catalogne, capitale d'une viguerie, à quatre lieues au nord-est de Tarragone. Elle est fermée de murailles. C'est la Carthago Paenorum des anciens. Elle fut bâtie par les Carthaginois qui servirent en Espagne sous la conduite d'Amilcar. Dom Pedro, roi d'Aragon, y finit ses jours l'an 1285. Long. 19. 22. latit. 41. 18. (D.J.)

VILLA-FRANCA, (Géog. mod.) petite place de Portugal, dans l'Estramadure, sur la rive gauche du Tage, entre Santaren & Lisbonne. Son territoire est fertile en pâturages, & nourrit une grande quantité de troupeaux. (D.J.)

VILLA-FRANCA, (Géog. mod.) petite ville de l'île Saint-Michel, l'une des Açores ; elle est située sur la côte méridionale de l'île. (D.J.)

VILLA-HERMOSA, (Géog. mod.) ville d'Espagne, au royaume de Valence, sur un ruisseau qui se perd dans la riviere de Milas, à 15 lieues au nord de Valence. Elle a titre de duché érigé l'an 1470. Long. 17. 22. latit. 40. 21. (D.J.)

VILLA-LUDOVISIA, (Géog. mod.) maison de plaisance, en Italie, au voisinage de Rome. Elle est située sur une hauteur, & appartient à la maison Ludovisio, dont elle a pris le nom. Elle est fort connue par une belle collection de tableaux des grands maîtres, du Guide, du Titien, de Raphaël, de Michel-Ange & du Carrache. On y remarque en particulier les statues de Junius Brutus, de Néron, de Domitien, un bas-relief curieux de la tête d'Olympias, mere d'Alexandre, les bustes de Séneque & de Cicéron ; mais la piece dont les connoisseurs font le plus de cas, & qu'ils estiment singulierement, est celle d'un gladiateur mourant, admirable morceau de sculpture qu'on a transporté au palais Chigi. Voyez GLADIATEUR EXPIRANT. (D.J.)

VILLA-MAJOR, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, au royaume d'Aragon, près de Saragosse dans un terroir sec & aride. (D.J.)

VILLA-MERGELINA, (Géog. mod.) maison de plaisance, en Italie, au bord de la mer, près de la ville de Naples, du côté du fauxbourg qu'on appelle Chiaia. Frédéric, roi de Naples, en fit présent au poëte Sannazar, qui prit aussi le nom d'Actius Sincerus, à la sollicitation de son ami Jovianus Pontanus. Sannazar aimoit fort cette maison, & il eut tant de chagrin lorsqu'elle fut ruinée par Philibert, prince d'Orange, général de l'armée de Charles V. qu'il abandonna ce lieu aux religieux servites, qui ont là une église sous l'invocation de la sainte Vierge.

Le tombeau de ce poëte est derriere le maître-autel de cette église ; il est tout entier de marbre blanc choisi. Son buste qui est au-dessus, & qu'on dit être fait d'après nature, est représenté avec une couronne de laurier.

Il y a un excellent bas-relief, où l'on voit plusieurs figures de satyres & de nymphes qui jouent. Ce bas-relief est accompagné de deux grandes statues de marbre, l'une d'Apollon, & l'autre de Minerve. Comme quelques personnes ont été scandalisées de voir des statues prophanes dans une église, & sur le tombeau d'un poëte chrétien, leurs noms ont été ridiculement changés ; l'on a donné à Apollon celui de David, & à Minerve celui de Judith. Ces statues, & le reste de ce mausolée, qui passe pour une des belles choses du royaume de Naples, sont de la main de Santa Croce. On croit que Sannazar n'est mort qu'en 1532, quoique son épitaphe porte 1530. Elle est conçue en ces termes :

Da sacro cineri flores ; hìc ille Maroni

Sannazarus, musâ proximus, ut tumulo.

Vix. ann. LXXII. A. M. D. XXX.

(D.J.)

VILLA DE MOSE, (Géog. mod.) petite ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement & sur la rive droite de Tabasco, à environ douze lieues de son embouchure. Elle est presque toute habitée par des indiens. (D.J.)

VILLA-NOVA-D'ASTI, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans le Piémont, au territoire de Quiers, entre Turin & Asti. (D.J.)

VILLA-NUEVA, (Géog. mod.) bourg (oppidum) d'Aragon, qui n'est connu que pour avoir donné la naissance à Michel Servet (Michaël Serveto) l'an 1509. Ce savant homme méritoit de jouir d'une gloire paisible, pour avoir connu long-tems avant Harvey la circulation du sang ; mais il négligea l'étude d'un art qu'on exerce sans crainte, pour embrasser des opinions dangereuses, & qui par l'intolérance de son siecle, penserent lui couter la vie à Vienne en Dauphiné, & le conduisirent à Genève sur le bucher, où à la poursuite directe & indirecte de Calvin, il expira au milieu des flammes le 27 Octobre 1553, sans parler & sans rétracter ses opinions.

Il seroit superflu de donner la vie de Servet ; & nous en sommes bien dispensés par une foule d'auteurs qui l'ont écrite. Ainsi les curieux pourront consulter la bibliotheque angloise de M. de la Roche, tom. II. historia Michaëlis Serveti, par M. d'Allworden, dans la bibl. raison. tom. I. d'Artigni, nouv. mémoir. d'hist. de critiq. &c. tom. II. Nicéron, mémoir. des homm. illust. tom. XI. Schelhorn, amoenit. litter. tom. XIV. & M. de Chaufepié, dict. histor.

Mais la requête présentée par Servet dans sa prison le 22 Août 1553, aux syndics & petit conseil de Genève, nous a paru une piece trop intéressante pour obmettre de la transcrire ici. Cette requête étoit conçue en ces termes :

A mes très-honorés seigneurs, messeigneurs les syndics & conseil de Genève. " Supplie humblement Michel Servetus accusé, mettant en faict que c'est une nouvelle invention ignorée des apôtres & disciples, & de l'église ancienne, de faire partie criminelle pour la doctrine de l'Ecriture ou pour questions procédantes d'icelle. Cela se montre premierement aux actes des apôtres, chap. xviij. & xix. où tels accusateurs sont déboutés & renvoyés aux églises, quand n'y a autre crime que questions de la religion. Pareillement, du tems de l'empereur Constantin le grand, où il y avoit grandes hérésies des Ariens, & accusations criminelles, tant du côté de Athanasius, que du côté de Arius, ledit empereur, par son conseil, & conseil de toutes les églises, arresta que suyvant la ancienne doctrine, teles accusations n'aviont point de lieu, voyre quand on seroit un hérétique comme estoyt Arius. Mais que toutes leurs questions seriont décidées par les églises, & que cetila que seroit convencu ou condamné par icelles, si ne se voloyt réduire, par repentance, seroyt banni. La quiele punition a esté de tout temps observée en l'ancienne église contre les hérétiques, comme se preuve par mille aultres histoires & authorités des docteurs. Pourquoy, messeigneurs, suivant la doctrine des apôtres & disciples, qui ne permirent oncques tieles accusations, & suyvant la doctrine de l'ancienne église, en laquiele teles accusations ne estiont poynt admises, requiert ledict suppliant être mis dehors de la accusation criminelle.

Secondement, messeigneurs, vous supplie considérer, que n'a point offensé en vostre terre ni ailleurs, n'a point été sédicieux ni perturbateur. Car les questions que lui tracte, sont difficiles, & seulement dirigées à gens sçavans, & que de tout le temps que a été en Allemagne, n'a jamais parlé de ces questions que à Oecolampadius, Bucerus, & Capito. Aussi en France n'en ha jamais parlé à home. En voltre que les Anabaptistes sédicieux contre les magistrats, & que voliont faire les choses communes, il les a toujours répreuvé & répreuve. Dont il conclut, que pour avoir sans sédicion aulcune, mises en-avant certaines questions des anciens docteurs de l'Eglise, que pour cela ne doyt aulcunement être détenu en accusation criminelle.

Tiersemant, messeigneurs, pour ce qu'il est étranger, & ne sait les costumes de ce pays, ni comme il faut parler, & procéder en jugement, vous supplie humblement lui donner un procureur, lequiel parle pour luy. Ce fesant, farez bien, & nôtre seigneur prospérera votre république : fait en votre cité de Genève, le 22 d'Aost 1553 ". Michel Servetus de Villeneufve en sa cause propre.

Sans discuter les faits que Servet allegue contre les loix pénales, & qui sont d'une grande force, il est certain qu'il avoit raison de se plaindre de ce qu'on l'avoit emprisonné à Genève ; il n'étoit point sujet de la république ; il n'avoit point violé les loix, & par conséquent messieurs de Genève n'avoient aucun droit sur lui : ce qu'il avoit fait ailleurs, n'étoit pas de leur ressort ; & ils ne pouvoient sans injustice arrêter un étranger qui passoit par leur ville, & qui s'y tenoit tranquille ; enfin, il étoit équitable d'accorder à un tel prisonnier un avocat pour défendre sa cause. On connoît les vers suivans & nouveaux d'un genevois sur les opinions de Servet, & la conduite du magistrat de Genève qui le fit brûler :

Servet eut tort, il fut un sot

D'oser dans un siecle falot

S'avouer anti-Trinitaire ;

Mais notre illustre atrabilaire

Eut tort d'employer le fagot

Pour convaincre son adversaire,

Et tort notre antique sénat

D'avoir prêté son ministere

A ce dangereux coup d'état.

Quelle barbare inconséquence ;

O malheureux siecle ignorant ?

On condamnoit l'intolérance

Qui désoloit toute la France

Et l'on étoit intolérant.

Voici les ouvrages de Servet ; son Ptolémée parut à Lyon en 1535, en un volume in-folio ; il y a fait des corrections importantes dans la version de Pirckheymher, avec le secours des anciens manuscrits ; mais il n'a pas revu avec le même soin les descriptions qui accompagnent les cartes géographiques. Il donna une seconde édition de son Ptolémée en 1541 ; cette seconde édition qui est ensevelie dans l'oubli, a été imprimée à Vienne par Gaspard Trechsel, & l'auteur la dédia à Pierre Palmier, archevêque de cette ville, qui l'honoroit de sa protection ; cette seconde édition est magnifique, mais rare.

Il fit imprimer à Paris, syruporum universa ratio, ad Galeni censuram diligenter exposita, &c. Michaele Villanovano autore, 1537. in-8°. Venise, 1545, & Lyon, 1546.

En 1542, il prit soin à Lyon de l'édition d'une bible imprimée par Hugues de la Porte, à laquelle il joignit des notes marginales, & mit une préface sous le nom de Villa-Novanus. Cette bible est très-rare, & a pour titre : Biblia sacra, ex sanctis Pagnini translatione, sed & ad hebraïcae linguae amussim ita recognita, & scholiis illustrata, ut planè nova editio videri possit, Lugduni, 1542, in-fol. On voit dans la préface que Servet estimoit que les prophéties ont leur sens propre & direct dans l'histoire du tems où elles ont été prononcées, & qu'elles ne regardent Jésus-Christ, qu'autant que les faits historiques qui y sont marqués, figuroient les actions de notre Sauveur ; ou même que ces prophéties ne pouvoient s'appliquer à Jésus-Christ que dans un sens sublime & relevé. Il prétend aussi que le fameux oracle des lxx. semaines de Daniel, regarde Cyrus, ses successeurs, & Antiochus.

Servet avoit publié en 1531, un petit ouvrage sur la Trinité ; & l'année suivante, il en mit au jour un second sur la même matiere. Ces deux ouvrages se trouvent encore joints dans quelques exemplaires qui en restent ; le premier étoit intitulé : de Trinitatis erroribus, libri septem, per Michaelem Serveto, alias Reves, ab Arragoniâ Hispanum, année 1531. Il contient 119 feuillets in-8°. le lieu de l'impression n'est pas marqué ; mais on sait que c'est Haguenau. Cet ouvrage est fort rare, parce qu'on travailla partout à le supprimer, & qu'on en brûla quantité d'exemplaires à Francfort, & ailleurs. En recueillant ceux qui restent encore aujourd'hui dans les bibliotheques de l'Europe, je crois qu'on n'en trouveroit guere plus de douze.

En 1532, Servet fit imprimer à Haguenau son second traité contre la Trinité, sous ce titre : Dialogorum de Trinitate, libri duo ; de Justitiâ regni Christi, capitula quatuor, per Michaelem Serveto, alias Reves, ab Arragoniâ Hispanum, 1532. Ce traité ne contient que six feuilles in-8°. il retracte dans l'avertissement plusieurs choses qu'il avoit dites dans son premier traité : ce n'est pas qu'il ait changé d'avis sur la doctrine de la Trinité ; mais c'est qu'il trouvoit son premier ouvrage très-imparfait : Non quia alia sunt, dit-il, sed quia imperfecta... Quod autem ita barbarus, confusus, & incorrectus prior liber prodierit, imperitiae meae, & typographi incuriae adscribendum sit. Cependant ceux qui ont vu ce second ouvrage, conviennent qu'il n'est pas mieux écrit, ni plus clair, ni plus méthodique que le premier. L'opinion de Servet, sur la doctrine de la Trinité, est obscure, mal digérée, peu intelligible, & fort différente de celle de Laelius Socin, & de ses disciples.

Son ouvrage intitulé, Christianismi restitutio, parut en 1553 : c'est un in-8°. de 734 pages, qui s'imprima très-secrettement ; les uns disent qu'on en tira 800 exemplaires, & d'autres 1000, qui furent transportés à Lyon en partie, chez Pierre Merrin, & en partie chez Jean Frellon. Ce livre est si rare, qu'on en trouveroit à peine trois exemplaires dans le monde. M. de Boze en possédoit un, & j'ignore où sont les autres : j'ai vu cet ouvrage manuscrit en un gros volume in-4°. dans la belle bibliotheque de M. Tronchin, le fils d'Esculape ; car il mérite cet éloge par ses lumieres en Médecine ; mais le détail que M. de Chaufepié a donné de ce manuscrit dans son dictionnaire historique, est d'une exactitude qui ne laisse rien à desirer sur la connoissance de cet ouvrage : j'y renvoye le lecteur. (D.J.)

VILLA-NOVA DE CERVERA, (Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province d'Entre-Duero-e-Minho, sur la rive gauche du Minho, vers son embouchure, aux confins de la Galice ; elle est très-fortifiée. (D.J.)

VILLA-NUEVA DE LOS INFANTES, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la nouvelle Castille, à trois lieues au nord-ouest de Montiel. (D.J.)

VILLA-POZZI, (Géog. mod.) bourg d'Italie, dans l'île de Sardaigne, sur la riviere de Sépus, à douze lieues au nord-est de Cagliari ; on prend cette bourgade pour la Saralapis de Ptolémée, l. III. c. iij. (D.J.)

VILLA-REAL, (Géog. mod.) ville d'Espagne, au royaume de Valence, sur le bord de la riviere de Milles ou de Mijarès, à une lieue de la mer, & à quatre au nord d'Alménara. Cette ville a été saccagée, brûlée & rasée par le général de las Torrès en 1706, parce qu'elle avoit embrassé le parti de l'archiduc. Long. 17. 45. latit. 40. (D.J.)

VILLA-REAL, (Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la province de Tra-los-Montes, au confluent des rivieres de Corgo & de Ribera, avec titre de marquisat. Elle n'a que deux paroisses. (D.J.)

VILLA-RUBIA, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la nouvelle Castille, près du Tage au midi, au nord-est de Tolede. Long. 14. 18. lat. 39. 55. (D.J.)

VILLA-RUBIA DE LOS-OJOS, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans la nouvelle Castille. Le surnom de Los-Ojos lui a été donné parce qu'elle est située près des Ojos de la Guadiana, c'est-à-dire près des petits lacs que cette riviere forme en sortant de dessous la terre, après avoir disparu durant quelque espace de chemin.

VILLA-VICIOSA, (Géog. mod.) ou plutôt Villa-Visoza, c'est-à-dire vallée agréable à voir ; ville de Portugal dans la province d'Alentéjo, à 8 lieues au sud-ouest d'Elvas, & à 35 au sud-est de Lisbonne. Cette ville est fortifiée à la moderne, & a droit de députer aux états ; elle renferme deux églises paroissiales, huit couvens, & à peine deux mille ames. Les ducs de Bragance y ont autrefois résidé, & par cette raison c'est un propre du roi de Portugal. Il y a dans le fauxbourg de cette ville un temple, qui étoit anciennement consacré à Proserpine, comme il paroît par l'inscription suivante qu'on y a trouvée.

Proserpinae servatrici,

C. Vettius, Syvinus

Pro. Eunoide. Plautilla

Conjuge. Sibi Restituta

V. S. A. L. P.

Ces dernieres lettres signifient, votum solvens animo libens posuit. Le terroir de Villa-Viciosa a des carrieres d'un beau marbre verd, & est très-fertile en toutes sortes de denrées. Long. 10. 13. latit. 38. 37. (D.J.)


VILLAC(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la Carinthie, sur la droite de la Drave, à 6 lieues au sud-ouest de Clagenfurt. Il y a près de cette ville deux bains naturels, en réputation. Ce sont des eaux à demi chaudes, d'un goût aigrelet qui n'est pas désagréable. Ils sont couverts, & on s'y baigne avec sa chemise & ses caleçons comme en Autriche. Long. 31. 23. lat. 46. 49. (D.J.)


VILLAGARCIA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans le royaume de Léon. Les jésuites y ont un college & un noviciat ; & les bénédictins y ont un prieuré conventuel. (D.J.)


VILLAGES. m. (Gramm. & Hist. mod.) assemblage de maisons situées à la campagne, qui pour la plûpart sont occupées par des fermiers & paysans, & où se trouve ordinairement une paroisse, & point de marché.

Le mot est françois, & dérivé de vil, vilis, bas, chétif, méprisable ; ou plutôt du latin villa, ferme ou métairie.

La privation d'un marché distingue un village d'un bourg, comme la privation d'une église paroissiale distingue un hameau d'un village. Voyez BOURG & HAMEAU.

Village, chez les Anglo-Saxons signifioit la même chose que villa chez les Romains, c'est-à-dire une ferme ou métairie avec les bâtimens qui en dépendent, pour serrer les grains & les fruits. Dans la suite il commença à signifier un manoir ; ensuite une partie de la paroisse, & enfin la paroisse même. Voyez PAROISSE.

Delà vient que dans plusieurs anciens livres de droit, les mots de village & de paroisse sont employés indistinctement, & c'est en conséquence que Fortesene, de laudibus leg. ang. dit que les limites des villages ne sont point marquées par des maisons, rues, ni murailles, mais par un grand circuit de terre dans lequel il peut se trouver divers hameaux, étangs, bois, terres labourables, bruieres, vignes, &c.

Fleta met cette différence entre une mansion ou habitation, un village, un manoir, que l'habitation peut consister dans une ou plusieurs maisons ; mais il faut qu'il n'y ait qu'un seul domicile, & qu'il n'y en ait point d'autres dans le voisinage ; car lorsqu'il y a d'autres maisons contiguës à ce domicile, on doit l'appeller village ; & qu'un manoir peut consister en un ou plusieurs villages. Voyez MANSION & MANOIR.

Afin que les villages fussent mieux gouvernés, on a permis aux seigneurs fonciers de tenir toutes les trois semaines, une assise, de tenir une cour fonciere. Voyez COUR FONCIERE.

VILLAGES, les quatre, (Géog. mod.) communauté du pays des Grisons, dans la ligue de la Cadée. Elle est au midi de Coire, & tire son nom de quatre villages paroissiaux qui la composent. Chacun de ces quatre villages a une justice inférieure pour le civil ; mais les appels & les causes criminelles se portent devant le tribunal des douze juges, choisis des quatre villages. (D.J.)


VILLAINVoyez MEUNIER.

VILLAIN, (Jurisprud.) du latin villanus ; signifie roturier. Cette qualité est opposée à celle de noble, c'est pourquoi Loisel en ses institutes, dit que villains ne savent ce que valent éperons.

Quelquefois villain se prend pour serf, mortaillable, homme de serve condition.

Fief villain signifie accensement ou tenue en roture. Voyez CENS, FIEF, NOBLE, ROTURIER.

Homme villain c'est le roturier ou le serf.

Rente villaine est celle qui n'est pas tenue noblement & en fief. Voyez le gloss. de Lauriere.

Villain serment, c'est ainsi que les blasphemes sont appellés dans les anciennes ordonnances.

Villain service, est la tenure roturiere ou serve.

Villain tenement est l'héritage tenu roturierement, ou à des conditions serviles. (A)

VILLAIN, (Hist. d'Anglet.) sous le regne des Anglo-Saxons, il y avoit en Angleterre deux sortes de villains ; les uns qu'on nommoit villains en gros, étoient immédiatement assujettis à la personne de leur seigneur, & de ses héritiers ; les autres étoient les villains du manoir seigneurial, c'est-à-dire appartenans & étant annexés à un manoir. Il n'y a présentement aucun villain dans la grande-Bretagne, quoique la loi qui les regarde n'ait point été révoquée. Les successeurs des villains, sont les vassaux (copy-holders), ou plutôt (copy-hobders), qui malgré le tems qui les a favorisés à tant d'autres égards, retiennent encore une marque de leur premiere servitude : la voici. Comme les villains n'étoient point reputés membres de la communauté, mais portion & accessoire des biens du propriétaire, ils étoient par-là exclus de tout droit dans le pouvoir législatif ; or il est arrivé que leurs successeurs sont encore privés du droit de suffrage dans les élections, en vertu de leur vasselage. (D.J.)

VILLAIN, (ancien terme de monnoie) autrefois à la place du remede de loi & du remede de poids, il y avoit une ordonnance qui permettoit de faire sur le poids d'un marc un certain nombre d'especes plus ou moins pesantes que le poids reglé par l'ordonnance. Celles qui pesoient plus étoient appellées villains forts ; & celles qui pesoient moins, étoient nommées villains foibles. On trouve des ordonnances qui selon les cas, permettoient un remede de quatre villains forts, & de quatre villains foibles par marc.


VILLALPANDA(Géog. mod.) ou VILLALPANDO, ville d'Espagne au royaume de Léon, à 4 lieues au nord de Toro, entre Zamora & Benavente, dans une plaine agréable & fertile. Il y a dans cette ville un vieux palais des connétables de Castille. Long. 12. 9. lat. 41. 34. (D.J.)


VILLARICA(Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur la côte du golfe du Mexique, dans la province de Tlascala, avec un port. C'est en partie l'entrepôt du commerce de l'ancienne & de la nouvelle Espagne. (D.J.)

VILLARICA, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale dans le Chili, sur le bord du lac Malahauquen, à 16 lieues au sud-est de la ville impériale, & à 25 de la mer du Sud. Long. 308. 12. lat. mérid. 39. 33.


VILLES. f. (Architect. civil.) assemblage de plusieurs maisons disposées par rues, & fermées d'une clôture commune, qui est ordinairement de murs & de fossés. Mais pour définir une ville plus exactement, c'est une enceinte fermée de murailles, qui renferme plusieurs quartiers, des rues, des places publiques, & d'autres édifices.

Pour qu'une ville soit belle, il faut que les principales rues conduisent aux portes ; qu'elles soient perpendiculaires les unes aux autres, autant qu'il est possible, afin que les encoignures des maisons soient à angles droits ; qu'elles aient huit toises de large, & quatre pour les petites rues. Il faut encore que la distance d'une rue à celle qui lui est parallele, soit telle qu'entre l'une & l'autre il y reste un espace pour deux maisons de bourgeois, dont l'une a la vue dans une rue, & l'autre dans celle qui lui est opposée. Chacune de ces maisons doit avoir environ cinq à six toises de large, sur sept à huit d'enfoncement, avec une cour de pareille grandeur : ce qui donne la distance d'une rue à l'autre de trente-deux à trente-trois toises. Dans le concours des rues, on pratique des places dont la principale est celle où les grandes rues aboutissent ; & on décore ces places en conservant une uniformité dans la façade des hôtels ou maisons qui les entourent, & avec des statues & des fontaines. Si avec cela les maisons sont bien bâties, & leurs façades décorées, il y aura peu de choses à desirer.

M. Bélidor donne dans sa Science des ingénieurs, l. IV. c. viij. la maniere de distribuer les rues dans les villes de guerre ; distribution qui étant subordonnée à la fortification de la place, est un ouvrage d'architecture militaire que nous ne traitons point ici ; mais Vitruve mérite d'être consulté, parce qu'il donne sur l'architecture des villes d'excellens conseils. Cet habile homme, l. I. c. vj. veut qu'en les bâtissant on ait principalement égard à sept choses.

1°. Que l'on choisisse un lieu sain, qui pour cela doit être élevé, selon lui, afin qu'il soit moins sujet aux brouillards. 2°. Que l'on commence par construire les murailles & les tours ; 3°. qu'on trace ensuite les places des maisons, & qu'on prenne les alignemens des rues ; la meilleure disposition, selon lui, est que les vents n'enfilent point les rues. 4°. Qu'on choisisse la place des édifices communs à toute la ville, comme les temples, les places publiques, & qu'on ait égard en cela à l'utilité & à la commodité du public. Ainsi si la ville est un port de mer, il faut que la place publique, soit près de la mer : si la ville est éloignée de la mer, il faudra que la place soit au milieu : que sa grandeur soit proportionnée au nombre des habitans, & qu'elle ait en large les deux tiers de sa longueur. 5°. Que les temples soient disposés de telle sorte, que l'autel soit tourné à l'orient ; qu'ils ayent en largeur la moitié de leur longueur. 6°. Que le trésor public, la prison & l'hôtel-de-ville, soient sur la place. 7°. Que le théâtre soit bâti dans un lieu sain, que les fondemens en soient bien solides, que sa hauteur ne soit point excessive de peur que la voix ne se perde ; que les entrées & les sorties soient spacieuses & en grand nombre ; que chacune ait un dégagement, & qu'elles ne rentrent pas l'une dans l'autre ; toutes ces remarques sont fort judicieuses. (D.J.)

VILLES, fondation des, (Antiq. grecq. & rom.) Denys d'Halicarnasse observe, que les anciens avoient plus d'attention de choisir des situations avantageuses, que de grands terreins pour fonder leurs villes. Elles ne furent pas même d'abord entourées de murailles. Ils élevoient des tours à une distance reglée ; les intervalles qui se trouvoient de l'une à l'autre tour, étoient appellés ou ; & cet intervalle étoit retranché & défendu par des chariots, par des troncs d'arbres, & par de petites loges, pour établir les corps-de-gardes.

Festus remarque, que les Etruriens avoient des livres qui contenoient les cérémonies que l'on pratiquoit à la fondation des villes, des autels, des temples, des murailles & des portes ; & Plutarque dit, que Romulus voulant jetter les fondemens de la ville de Rome fit venir de l'Etrurie, des hommes qui lui enseignerent de point en point toutes les cérémonies qu'il devoit observer, selon les formulaires qu'ils gardoient pour cela aussi religieusement que ceux qu'ils avoient pour les mysteres & pour les sacrifices.

Denys d'Halicarnasse rapporte encore, qu'au tems de Romulus, avant que de rien commencer qui eût rapport à la fondation d'une ville, on faisoit un sacrifice, après lequel on allumoit des feux au-devant des tentes, & que pour se purifier, les hommes qui devoient remplir quelque fonction dans la cérémonie, sautoient par-dessus ces feux ; ne croyant pas que s'il leur restoit quelque souillure, ils pussent être employés à une opération à laquelle on devoit apporter des sentimens si respectueux. Après ce sacrifice, on creusoit une fosse ronde, dans laquelle on jettoit ensuite quelques poignées de la terre du pays d'où étoit venu chacun de ceux qui assistoient à la cérémonie, à dessein de s'établir dans la nouvelle ville, & on mêloit le tout ensemble.

La fosse qui se faisoit du côté de la campagne à l'endroit même où l'on commençoit à tracer l'enceinte, s'appelloit chez les Grecs , à cause de sa figure ronde, & chez les Latins mundus, pour la même raison. Les prémices & les différentes especes de terre que l'on jettoit dans cette fosse, apprenoient quel étoit le devoir de ceux qui devoient avoir le commandement dans la ville. Ils étoient engagés à donner toute leur attention à procurer aux citoyens les secours de la vie, à les maintenir en paix avec toutes les nations dont on avoit rassemblé la terre dans cette fosse, ou à n'en faire qu'un seul peuple.

On consultoit en même tems les dieux pour savoir si l'entreprise leur seroit agréable, & s'ils approuveroient le jour que l'on choisissoit pour la mettre à exécution. Après toutes ces précautions, on traçoit l'enceinte de la nouvelle ville par une traînée de terre blanche qu'ils honoroient du nom de terre pure. Nous lisons dans Strabon, qu'au défaut de cette espece de terre, Alexandre le grand traça avec de la farine, l'enceinte de la ville de son nom qu'il fit bâtir en Egypte. Cette premiere opération achevée, les Etruriens faisoient ouvrir un sillon aussi profond qu'il étoit possible avec une charrue dont le soc étoit d'airain. On atteloit à cette charrue un taureau blanc & une génisse de même poil. La génisse étoit sous la main du laboureur qui étoit lui-même à côté de la ville, afin de renverser de ce même côté les mottes de terre que le soc de la charrue tourneroit du côté de la campagne. Tout l'espace que la charrue avoit ouvert étoit inviolable, sanctum. On élevoit de terre la charrue aux endroits qui étoient destinés à mettre les portes de la ville, pour n'en point ouvrir le terrein.

Voici ce que ces cérémonies avoient de mystérieux. La profondeur du sillon marquoit avec quelle solidité on devoit travailler à la fondation des murs pour en assurer la stabilité & la durée. Le soc de la charrue étoit d'airain, pour indiquer l'abondance & la fertilité que l'on desiroit procurer à la nouvelle habitation. Ceux qui sont initiés aux mysteres de la cabale, savent à quel titre les descendans des freres de la Rose-Croix ont consacré l'airain à la déesse Vénus. On atteloit à la charrue une génisse & un taureau : la génisse étoit du côté de la ville, pour signifier que les soins du ménage étoient sur le compte des femmes, dont la fécondité contribue à l'agrandissement de la république ; & le taureau, symbole du travail & de l'abondance, qui étoit tourné du côté de la campagne, apprenoit aux hommes que c'étoit à eux de cultiver les terres, & de procurer la sureté publique par leur application à ce qui se pouvoit passer au-dehors. L'un & l'autre de ces animaux devoit être blanc, pour engager les citoyens à vivre dans l'innocence & dans la simplicité des moeurs, dont cette couleur a toujours été le symbole. Tout le terrein où le sillon étoit creusé passoit pour être inviolable, & les citoyens étoient dans l'obligation de combattre jusqu'à la mort pour défendre ce que nous appellons ses murailles ; & il n'étoit permis à personne de se faire un passage par cet endroit-là. Le prétendre, c'étoit un acte d'hostilité ; & ce fut peut-être sous le spécieux prétexte de cette profanation, que Romulus se défit de son frere, qu'il ne croyoit pas homme à lui passer la ruse dont il s'étoit servi, lorsqu'ils consulterent les dieux l'un & l'autre, pour savoir sous les auspices duquel des deux la ville seroit fondée.

Les sacrifices se renouvelloient encore en différens endroits, & l'on marquoit les lieux où ils s'étoient faits, par des pierres que l'on y élevoit, cippi ; il y a apparence que c'étoit à ces endroits-là même que l'on bâtissoit ensuite les tours. On y invoquoit les dieux sous la protection desquels on mettoit la nouvelle ville, & les dieux du pays, patrii indigetes, connus chez les Grecs sous le nom de , &c. Le nom particulier de ces dieux tutélaires devoit être inconnu au vulgaire.

Ovide nous a conservé en termes magnifiques la formule de la priere que Romulus adressa aux dieux qu'il vouloit intéresser dans son entreprise :

Vox fuit haec regis : condenti, Jupiter, urbem,

Et genitor Mavors, Vestaque mater ades.

Quosque pium est adhibere deos, advertite cuncti.

Auspicibus vobis hoc mihi surgat opus.

Longa sit huic aetas, dominaeque potentia terrae :

Sitque sub hâc oriens occiduusque dies.

Lorsque la charrue étoit arrivée au terrein qui étoit marqué pour les portes, on élevoit le soc, comme s'il y eût eu quelque chose de mystérieux & de sacré dans l'ouverture du sillon qui eût pu être profané. Ainsi les portes n'étoient point regardées comme saintes, parce qu'elles étoient destinées au passage des choses nécessaires à la vie, & au transport même de ce qui ne devoit pas rester dans la ville.

Les loix ne permettoient pas que les morts fussent enterrés dans l'enceinte des villes. Sulpicius écrit à Cicéron qu'il n'a pu obtenir des Athéniens que Marcellus fût inhumé dans leur ville ; & cette seule considération suffisoit alors pour faire regarder les portes comme funestes. Cet usage ayant changé, les portes de ville dans la suite furent regardées comme saintes, même dans le tems que l'on enterroit encore les morts hors des villes.

On a déja observé que l'on avoit soin de renverser du côté de la ville, les mottes que le soc de la charrue pouvoit avoir tournées du côté de la campagne : ce qui se pratiquoit pour apprendre aux nouveaux citoyens qu'ils devoient s'appliquer à faire entrer dans leur ville tout ce qu'ils trouveroient au-dehors qui pourroit contribuer à les rendre heureux, & à les faire respecter des peuples voisins, sans rien communiquer aux étrangers de ces choses, dont la privation pourroit apporter quelque dommage à leur patrie. Voyez POMAERIUM.

Après les cérémonies pratiquées à la fondation des murailles des villes, on tiroit dans leur enceinte toutes les rues au cordeau : ce que les Latins appelloient degrumare vias. Le milieu du terrein renfermé dans l'enceinte de la ville étoit destiné pour la place publique, & toutes les rues y aboutissoient. On marquoit les emplacemens pour les édifices publics, comme les temples, les portiques, les palais, &c.

Il faut observer encore que les Romains célébroient tous les ans la fête de la fondation de leur ville le 11 des calendes de Mai, qui est le tems auquel on célébroit la fête de Palès. C'est sous l'empereur Hadrien que nous trouvons la premiere médaille précieuse qui en fut frappée, comme la légende le prouve l'an 874 de la fondation de Rome, c'est-à-dire la 121e année de l'ere chrétienne, & qui sert d'époque aux jeux plébéïens du cirque institués en cette même année-là par ce prince. On ne peut mieux orner cet article que par les vers d'Ovide, qui décrivent toute la cérémonie dont on vient de parler en prose.

Apta dies legitur, quâ moenia signet aratro.

Sacra Palis suberant : inde movetur opus.

Fossa fit ad solidum, fruges jaciuntur in ima

Et de vicino terra petita solo.

Fossa repletur humo, plenaeque imponitur arae.

Et novus accenso finditur igne focus.

Indè premens stivam designat moenia sulco :

Alba jugum niveo cum bove vacca tulit.

Il y avoit enfin des expiations publiques pour purifier les villes. La plûpart avoient un jour marqué pour cette cérémonie : elle se faisoit à Rome le 5 de Février. Le sacrifice qu'on y offroit se nommoit amburbale ou amburbium, selon Servius, & les victimes que l'on y employoit amburbiales, au rapport de Festus. Outre cette fête, il y en avoit une tous les cinq ans pour expier tous les citoyens de la ville, & c'est du mot lustrare, expier, que cet espace de tems a pris le nom de lustre. Il y avoit encore d'autres occasions où ces expiations solemnelles étoient employées, comme il arriva lorsque les Tarquins furent chassés, ainsi que nous l'apprenons de Denys d'Halicarnasse. Ce n'étoit pas seulement les villes entieres qu'on soumettoit à l'expiation, on l'employoit pour des lieux particuliers lorsqu'on les croyoit souillés ; celle de carrefours se nommoit compitalia. Voyez tous ces mots.

Les Athéniens avoient poussé aussi loin que les Romains leurs cérémonies en ce genre. Outre le jour marqué pour l'expiation de la ville, ils avoient établi des expiations pour les théatres & pour les lieux où se tenoient les assemblées publiques.

L'antiquité portoit un si grand respect aux fondateurs de villes, que plusieurs furent mis au rang des dieux. Les villes étoient aussi très-jalouses de leurs époques. Celles qui étoient construites autour des temples étoient dévouées au service du dieu qui y étoit adoré.

Les villes célebres de l'antiquité qui ont fourni des monumens aux premiers historiens, furent Thèbes, Memphis, Ninive, Babylone, Sidon, Tyr, Carthage, &c.

Si les poëtes s'étoient contentés de nous apprendre le nom des grands hommes qui ont fondé ces premieres villes, & les cérémonies religieuses qui s'observoient dans ces occasions, on auroit souvent appris des traits d'histoire que les annales des peuples n'ont pas toujours conservés, & on préféreroit de simples vérités au merveilleux qu'ils ont souvent répandu sur ce sujet. Les prodiges, les oracles & les secours visibles des dieux accompagnent toujours dans leurs récits ces sortes d'entreprises. Ce ne sont point de simples ouvriers qui bâtissent la citadelle de Corinthe ; elle est, selon eux, l'ouvrage des Cyclopes, & la lyre d'Amphion met seule les pierres en mouvement pour s'arranger d'elles-mêmes autour de la ville de Thèbes. Nous avons laissé ce merveilleux qui caractérise la poésie, & nous avons cherché simplement dans les historiens quelles étoient les cérémonies que la religion & la politique avoient introduites chez les Romains lorsqu'ils jettoient les fondemens de leurs villes. La religion avoit pour objet d'entretenir l'union entre les nouveaux citoyens par le culte des dieux, & la politique travailloit à les mettre en sûreté contre la jalousie des peuples voisins, à qui les nouveaux établissemens donnent toujours de l'ombrage. (D.J.)

VILLE, (Jurisprud.) on distingue relativement au droit public plusieurs sortes de villes.

VILLES ABONNEES, sont celles où la taille est fixée à une certaine somme pour chaque année. Voyez ABONNEMENT & TAILLE.

VILLES ANSEATIQUES d'Allemagne ou de la anse Teutonique, sont des villes impériales libres & d'autres municipales d'Allemagne, alliées ensemble pour le commerce. Voyez ANSE.

VILLES D'ARRET, sont celles dont les bourgeois & habitans jouissent du privilege de faire arrêt sur la personne & les biens de leurs débiteurs forains, sans obligation, ni condamnation. Paris, par exemple, est ville d'arrêt, suivant l'article 173. de la coûtume.

VILLE baptice, bastiche, batiche ou bateiche, bastelereche, bateleresche, bateilleche, c'étoit une ville qui n'avoit point de commune ni de murailles de pierre, & qui n'étoit défendue que par des tours & châteaux de bois, qu'on appelloit baldrescha & bastrecha, en françois bretesche, breteque. Quelques-uns croient que ce nom de villes bastiches vient de bastite, bastide ou bastille, qui signifioit autrefois une tour quarrée flanquée aux angles de tourelles, le tout en bois ; d'autres que ville bateilleche étoit celle qui étoit en état de batailler, c'est-à-dire de se défendre au moyen des fortifications dont elle étoit revêtue. Voyez la coûtume de Guise de l'an 1279, le glossaire de Thaumassiere, à la suite des coûtumes de Beauvaisis, & le mot BRETECHE.

Bonnes VILLES, c'étoient celles qui avoient une commune & des magistrats jurés, & auxquelles le roi avoit accordé le droit de bourgeoisie, avec affranchissement de taille & autres impositions. Voyez Brusselles, usage des fiefs. On trouve des exemples de cette qualification donnée à plusieurs villes dès l'an 1314. Le roi la donne encore à toutes les grandes villes dans ses ordonnances, édits, déclarations & lettres-patentes.

VILLE CAPITALE, est la premiere & principale ville d'un état ou d'une province ou pays. Paris est la capitale du royaume, Lyon la capitale du Lyonnois, &c.

VILLE CHARTREE, est celle qui a une charte de commune & affranchissement. Voyez VILLE DE COMMUNE & DE LOI.

VILLE DE COMMERCE, voyez ci-après.

VILLE DE COMMUNE, est celle qui a droit de commune, c'est-à-dire de s'assembler. Voyez VILLE DE LOI.

VILLE EPISCOPALE, est celle où se trouve le siege d'un évêché. Voyez ÉVECHE.

VILLES FORESTIERES, on a donné ce nom à quatre villes d'Allemagne, à cause de leur situation vers l'entrée de la Forêt-noire, savoir Rheinfeld, Seckingen, Lauffenbourg & Waldshut.

VILLES IMPERIALES, sont celles qui dépendent de l'Empire. Voyez EMPIRE.

VILLE JUREE, quelques-uns pensent que l'on donnoit ce nom aux villes qui avoient leurs magistrats propres élus par les bourgeois, & qui avoient ensuite prêté serment au roi ; en effet en plusieurs endroits ces officiers s'appellent jurats, jurati, à cause du serment qu'ils prêtent.

D'autres tiennent que ville jurée est celle où il y a maîtrise ou jurande pour les arts & métiers, parce qu'anciennement en France il n'y avoit que certaines bonnes villes où il y eût certains métiers jurés, c'est-à-dire ayant droit de corps & communauté, en laquelle on entroit par serment, lesquelles villes, à cette occasion, étoient appellées villes jurées ; mais par édit d'Henri III. de l'an 1581, confirmé & renouvellé par un autre édit d'Henri IV. en 1597, toutes les villes du royaume sont devenues villes jurées. Voyez Loyseau en son traité des offices, l. V. ch. vij. n. 77. & les mots ARTS, JURANDE, MAITRISE, METIER, RECEPTION, SERMENT.

VILLE LIBRE, voyez plus haut.

VILLE DE LOI, est celle qui a droit de commune, & ses libertés & franchises. Dans une confirmation des privileges de la ville de Lille en Flandre, du mois de Janvier 1392, on voit que le procureur des échevins, bourgeois & habitans de cette ville, observa que cette ville étoit ville de loi, & qu'ils avoient corps & commune, cloche, scel, ferme (ou authentique), loix, coutumes, libertés & franchises anciennes appartenans à corps & commune de bonne ville. Voyez le tome VII. des ordonn. de la troisieme race.

Quelquefois par ville de loi on entend une ville où il y a maîtrise pour le commerce, & les arts & métiers, ce qui suppose toujours une ville de commune.

VILLE MARCHANDE, villa mer catoria, nundinaria, n'est pas simplement celle où le commerce est florissant, mais celle qui jouit du droit de foire & de marché. Voyez FLETA.

VILLE DE COMMERCE, ville marchande, c'est une ville où il se fait un grand trafic & négoce de marchandises & denrées, soit par mer, soit par terre, soit par des marchands qui y sont établis, soit par ceux qui y viennent de dehors. On donne aussi le même nom aux villes où il se fait des remises d'argent & des affaires considérables par la banque & le change. Paris, Lyon, Rouen, Bordeaux, Orléans, S. Malo, Nantes, la Rochelle, Marseille sont des villes les plus marchandes de France. Londres d'Angleterre, Amsterdam & Rotterdam de Hollande, Cadix d'Espagne, Lisbonne de Portugal, Dantzik de la Pologne, Archangel de la Russie, Smyrne & le Caire du levant, &c.

VILLE D'ENTREPOT, c'est une ville dans laquelle arrivent des marchandises pour y être déchargées, mais non pour y être vendues, & d'où elles passent sans être déballées aux lieux de leur destination, en les chargeant sur d'autres voitures par eau ou par terre. Voyez ENTREPOT.

VILLE FRANCHE, se dit en général d'une ville libre & déchargée de toutes sortes d'impôts ; mais par rapport au commerce, il s'entend d'une ville aux portes, ou sur les ports de laquelle toutes les marchandises, ou seulement quelques-unes ne payent aucun droit d'entrée ou de sortie, ou n'y sont sujettes seulement qu'en entrant ou seulement qu'en sortant. Voyez PORT FRANC.

VILLE, signifie quelquefois non tous les habitans, mais seulement les magistrats municipaux qui composent ce qu'on appelle le corps de ville, & qui veillent à la police, à la tranquillité & au commerce des bourgeois, comme les bourguemestres en Hollande, en Flandres & dans presque toute l'Allemagne, les maires & aldermans en Angleterre, les jurats & capitouls en quelques villes de France, les prevôts des marchands & échevins à Paris & à Lyon. Voyez tous les noms de ces dignités, & autres semblables sous leurs titres particuliers. Dict. de comm.

VILLES LIBRES ou VILLES IMPERIALES, (Hist. mod.) en Allemagne, ce sont des villes qui ne sont soumises à aucun prince particulier, mais qui se gouvernent, comme les républiques, par leurs propres magistrats. Voyez EMPIRE.

Il y avoit des villes libres, liberae civitates, même sous l'ancien empire romain : telles étoient les villes auxquelles l'empereur, de l'avis ou du consentement du sénat, donnoit le privilege de nommer leurs propres magistrats, & de se gouverner par leurs propres loix. Voyez CITES.

VILLE SACREE, (Littérat.) les princes ou les peuples consacroient à une divinité un pays, une ville, ou quelqu'autre lieu. Cette consécration, , se faisoit par un decret solemnel : une ville ainsi sacrée étoit regardée comme sacrée, , & on ne pouvoit sans crime en violer la consécration.

Souvent une partie du territoire d'une ville étoit destinée à l'entretien du temple de la divinité & de ses ministres, & ce territoire étoit sacré, .

Les princes ou les peuples, pour augmenter l'honneur & le culte de la divinité, déclaroient que la ville étoit non-seulement sacrée, , mais encore qu'elle étoit inviolable, . Ils obtenoient des nations étrangeres que ce droit ou privilege, , seroit exactement observé. Le roi Seleucus Callinicus écrivit aux rois, aux princes, aux villes & aux nations, & leur demanda de reconnoître le temple de Vénus Stratonicide à Smyrne comme inviolable, & la ville de Smyrne comme sacrée & inviolable.

Les monumens de la ville de Téos en lonie, publiés par Chishull, dans ses antiquités asiatiques, nous donnent des détails intéressans sur la maniere dont ce privilege, , étoit reconnu par les étrangers. La ville de Téos rendoit un culte particulier à Bacchus, & l'a fait représenter sur un grand nombre de ses médailles. Les Téïens, vers l'an 559 de Rome, 195 avant Jesus-Christ, déclarerent par un decret solemnel que leur ville, avec son territoire, étoit sacrée & inviolable. Ils firent confirmer leur decret par les Romains, par les Etoliens & par plusieurs villes de l'île de Crete. On rapporte, d'après les inscriptions, les decrets de confirmation donnés par ces différens peuples.

Semblablement Démétrius Soter, roi de Syrie, dans sa lettre au grand-prêtre Jonathas & à la nation des juifs déclara la ville de Jérusalem, avec son territoire, sacrée, inviolable & exemte de tributs. Vaillant a donné la liste des villes sacrées de l'antiquité, on peut le consulter. (D.J.)

VILLE METROPOLITAINE, chez les Romains, c'étoit la capitale d'une province ; parmi nous, c'est une ville où est le siege d'une métropole ou église archiépiscopale. Voyez METROPOLE & ARCHEVECHE.

VILLES MUNICIPALES, municipia, étoient chez les Romains des villes originairement libres, qui, par leurs capitulations, s'étoient rendues & adjointes volontairement à la république romaine, quant à la souveraineté seulement, gardant néanmoins leur liberté en ce que le fonds de ces villes n'appartenoit point à la république, & qu'elles avoient leurs magistrats & leurs loix propres. Voyez Aulugelle & Loyseau, des seign.

Parmi nous, on entend par ville municipale celle qui a ses magistrats & ses loix propres.

VILLE MUREE, on entend par ce terme une ville qui est fermée de murailles, ou du-moins qui l'a été autrefois : ces villes sont à certains égards distinguées des autres ; par exemple, pour posséder une cure dans une ville murée, il faut être gradué. Voyez CURE. Dans les villes & bourgs fermés, on ne peut employer aux testamens que des témoins qui sachent signer. Ordonnance des testamens.

VILLE DE PAIX, c'étoit celle où il n'étoit pas permis aux sujets d'user du droit de guerre, ni de se venger de leur adversaire. Paris jouissoit de ce privilege, & étoit une des villes de paix, comme il paroît par une commission du 26 Mai 1344. Voyez le glossaire de M. de Lauriere.

VILLE DE REFUGE, est celle où le criminel trouve un asyle. Dieu avoit établi six villes de réfuge parmi les Israélites. Thèbes, Athènes & Rome jouissoient aussi du droit d'asyle. Il y a encore des villes en Allemagne qui ont conservé ce droit. Voyez ASYLE.

VILLE ROYALE, est celle dont la seigneurie & justice appartiennent au roi, & dans laquelle il y a justice royale ordinaire.

VILLE SEIGNEURIALE, est celle dont la seigneurie & justice ordinaire appartiennent à un seigneur particulier, quand même il y auroit quelque jurisdiction royale d'attribution, comme une élection, un grenier à sel.

VILLE-COMTAL, (Géog. mod.) misérable bicoque, que quelques géographes nomment petite ville de France, dans le Rouergue, à quatre lieues de Rodès. (D.J.)

VILLE-DIEU, (Géog. mod.) nom commun à plusieurs bourgs de France ; mais le principal est un gros bourg de ce nom en Normandie, au diocèse de Coutances, dont il est à sept lieues. Il est remarquable par une commanderie de Malthe fondée par Richard III. roi d'Angleterre, & par son commerce en poéleries, commerce ancien. Cénalis, évêque d'Avranches au xvj. siecle, écrit dans un de ses ouvrages : habet constantia civitas, sub suâ hierarchicâ ditione. Theopolim, gallicè Ville-Dieu, municipium in fabricandis aeneis vasis, fabrili arte omni ex parte addictum. Caldarios artifices vocant. (D.J.)

VILLE-FORT, (Géog. mod.) bourg que nos géographes appellent ville dans le Languedoc, au diocèse d'Uzès ; ce bourg est néanmoins un grand passage & la clé des Cévennes & du Languedoc. (D.J.)

VILLE-FRANCHE, (Géog. mod.) ville de France, capitale du Beaujolois, entre Lyon & Mâcon, à 5 lieues de la premiere, & à 6 de la seconde ; elle est sur le Morgon, qui se perd dans la Saône, à une lieue au-dessous. Cette ville fut fondée par Humbert IV. sire de Beaujeu, vers le commencement du xij. siecle ; elle est aujourd'hui fortifiée de murailles & de fossés : c'est le chef-lieu d'une élection & d'un grenier-à-sel ; elle a une bonne collégiale érigée en 1681. Long. 22. 24. latit. 45. 58.

Morin (Jean-Baptiste) né à Ville-Franche en Beaujolois, l'an 1583, s'entêta de l'astrologie judiciaire : ce qui lui donna accès chez les grands & chez les ministres. Il obtint une chaire de professeur en mathématiques à Paris, & une pension de deux mille livres du cardinal Mazarin. Il publia plusieurs ouvrages sur la vaine science dont il étoit épris ; cependant il n'eut pas la satisfaction de voir imprimée son astrologia gallica, qui lui avoit couté trente ans de travail, & qui ne parut qu'en 1661. Il attaqua le systême d'Epicure & celui de Copernic ; tout le monde se moqua de lui, & le regarda comme un fou ; c'est le jugement qu'en porte avec raison Gui Patin. On fit voir à Morin qu'il se trompoit dans ses horoscopes, & qu'il n'avoit point trouvé le problème des longitudes, comme il s'en flattoit. On avoit raison ; mais il fut trop méprisé des gens de lettres, car il ne manquoit ni de génie ni d'habileté. Il mourut l'an 1656, à 73 ans. (D.J.)

VILLE-FRANCHE, (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade de France, dans le Bourbonnois, élection de Montluçon, à quatre lieues de Montluçon, sur les ruisseaux de Hauterive & de Bessemoulin. Il y a un chapitre dans cette bourgade. (D.J.)

VILLE-FRANCHE, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le haut Languedoc, au diocèse d'Alby ; c'est maintenant une bourgade qui subsiste seulement par ses foires. (D.J.)

VILLE-FRANCHE, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Roussillon, capitale du Conflant, au pié des Pyrénées, sur la Tet, à 9 lieues au sud-ouest de Perpignan, à 10 au nord-est de Puycerda, & à 180 de Paris. Elle fut fondée en 1092 par Guillaume Raymond, comte de Cerdaigne. Sa position est entre deux montagnes très-hautes, & si voisines l'une de l'autre, qu'il n'y a entre-deux qu'un chemin pour le passage d'une charrette. La Tet y coule comme un torrent. Cette place a été cédée à la France avec tout le Roussillon en 1659, par la paix des Pyrénées. Louis XIV. y a fait élever un château où l'on tient un commandant & un état major. Long. 20. latit. 42. 23. (D.J.)

VILLE-FRANCHE, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Rouergue, capitale de la basse-Marche, sur l'Avéiron, à 8 lieues au couchant de Rodez, à 12 au sud-est de Cahors. Elle a été bâtie au xij. siecle, à-peu près dans le même tems que Montauban ; c'est aujourd'hui la deuxieme ville du Rouergue, le chef-lieu d'une élection, & elle contient environ cinq mille habitans ; elle a un college dirigé par les Péres de la doctrine chrétienne, un chapitre, une chartreuse & quelques couvens. Son commerce consiste en toiles de chanvre qu'on débite à Toulouse & à Narbonne. Long. 19. 47. latit. 44. 22. (D.J.)

VILLE-FRANCHE de Panat, (Géog. mod.) petite ville ou bourg de France, dans le Rouergue, sur le ruisseau de Dordon, près du Tarn, à 4 lieues au midi de Rodez, & à 5 au nord-ouest de Milhau. Long. 19. 40. latit. 44. 13. (D.J.)

VILLE-FRANCHE, (Géog. mod.) petite ville, ou pour mieux dire, bourgade de France, dans la Champagne, au pays d'Argonne, sur la Meuse, à une lieue au-dessus de Stenay. François I. l'avoit fortifiée comme frontiere ; mais on a rasé depuis les fortifications. (D.J.)

VILLE-FRANCHE, (Géog. mod.) petite ville du comté de Nice, sur la côte de la Méditerranée, au pié d'une montagne, & au fond d'une baie qui peut avoir deux milles de profondeur. Cette petite ville est à demi ruinée. Elle est à une lieue au nord-est de Nice, & à trois au sud-ouest de Monaco. Long. 25. 4. latit. 43. 40. & la variation de six degrés nord-ouest. (D.J.)

VILLE-MAUR, (Géog. mod.) petite ville de France, en Champagne, élection de Chaumont, avec un chapitre. Elle a été érigée en duché en 1650. (D.J.)

VILLE-MUR, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le haut Languedoc, aux confins de l'Albigeois, sur le Tarn, à quatre lieues de Montauban. Il se livra un grand combat près de cette ville l'an 1592, entre les royalistes & le parti de la ligue. Scipion, duc de Joyeuse, y périt dans le Tarn. Long. 19. 2. latit. 44. 7. (D.J.)

VILLE-NEUVE, (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de Suisse, dans le canton de Berne, au pays Romand, dans le bailliage de Vevay, anciennement Penni-Lucus. Elle est située à la tête du lac de Genève, & près de l'endroit où le Rhône se jette dans ce lac. Scheuchzer cite une inscription à demi-effacée qu'on voyoit sur un marbre ; cette inscription portoit : Victori. Aug. Nitio. Gemina. Tullia. Niti. Il y a dans ce bourg un hôpital fondé par Amé V. comte de Savoie, en 1246. Les Bernois y entretiennent un hospitalier. (D.J.)

VILLE-NEUVE, (Géog. mod.) nom commun à plusieurs petites villes ou bourgs de France : voici les principales.

1°. Ville-neuve d'Agénois, une petite ville de France en Agénois, sur le Lot. Elle a une justice royale, & un pont qui est le seul qu'il y ait sur la riviere de Lot, dans la généralité de Bourdeaux.

2°. Ville-neuve d'Avignon, petite ville de France, dans le bas Languedoc, recette d'Uzès, au bord du Rhône, au pié du mont Saint-André, & à l'opposite de la ville d'Avignon.

3°. Ville-neuve de Bergue, petite ville de France, dans le Languedoc, recette de Viviers, sur le torrent d'Ibie. Cette petite ville est le siege d'un des bailliages & de la maîtrise particuliere du Vivarais.

4°. Ville-neuve-Saint George, bourg de l'île de France, sur la Seine, dans la Brie françoise, à quatre lieues au-dessus de Paris, & à trois de Corbeil, entre l'une & l'autre ville.

5°. Ville-neuve-le-Roi, petite ville de France, dans la Champagne, élection de Sens, sur l'Yonne, à trois lieues au-dessus de Sens, & à quatre au nord de Joigny. On nomme autrement cette petite place, Villeneuve-l'Archevêque.

Sevin (François), de l'académie des Inscriptions, y prit naissance en 1682. Il entra dans l'état ecclésiastique, & fit en 1728, par ordre du roi, un voyage à Constantinople pour y rechercher des manuscrits. Il en rapporta une belle collection, & obtint la place de garde des manuscrits de la bibliotheque du roi, dont il a donné deux volumes. Il étoit depuis long-tems de l'académie des Inscriptions & belles-lettres. Cette académie a fait imprimer dans ses mémoires tous les ouvrages qu'il y lisoit, & presque tous entiers ; le nombre en est considérable. Il est mort à Paris en 1741.

6°. Ville-neuve-la-Guyart, ville de France, dans la Champagne, élection de Sens, aux frontieres du Gâtinois. Cette petite ville est située sur l'Yonne, où elle a un pont.

VILLE MARITIME, (Géog. mod.) on nomme villes maritimes, celles qui sont situées sur le bord de la mer, ou à une distance peu considérable de la mer. Platon prétend que la bonne foi ne regne pas ordinairement dans les villes maritimes, & il en apporte la raison : maris vicinitas, cum mercibus & pecuniis cauponando civitas repleatur, dolosi animi instabiles & infidos mores parit : undè parùm & ipsa ad se ipsam, & ad gentes alias fidem & amicitiam colit. Les moeurs ne sont donc plus telles que dans le siecle de Platon ; car il n'y a pas de ville où (choses d'ailleurs égales) il y ait plus de probité & de bonne foi que dans les villes où le négoce fleurit, parce que la droiture & la bonne foi sont l'ame du commerce. (D.J.)

VILLES FORESTIERES, (Géog. mod.) villes d'Allemagne, au cercle de Souabe, sur le bord du Rhin. Il y en a quatre : deux à la droite de ce fleuve, & deux à la gauche, entre le canton de Schaffhouse à l'orient, le canton de Berne au midi & le canton de Bâle au couchant. Ces quatre villes forestieres sont Waldshut, Lauffenbourg, Seckingen & Rheinfeld. (D.J.)

VILLES IMPERIALES d'Allemagne, (Géog. mod.) Voyez IMPERIALES VILLES.

VILLES impériales du Japon, (Géog. mod.) on entend sous ce nom dans le Japon les Gokosio, c'est-à-dire les cinq villes maritimes qui sont du domaine de l'empereur, & appartiennent à la couronne.

Ces cinq villes sont Miaco, dans la province de Jamasyra, & la demeure de l'empereur ecclésiastique héréditaire : Jedo, dans la province de Musasi : Osaca, dans la province de Setz : Sakai, dans la province de Jassumi : & Nagasaki, dans celle de Fisen.

Les quatre premieres sont situées dans la grande île de Niphon, & la derniere dans l'île de Kinsju. Toutes ces villes sont considérables par leur abondance & par leurs richesses : ce qui provient de la fertilité de leur terroir, de leurs manufactures, des marchandises que l'intérieur du pays leur fournit, & de divers autres avantages considérables, comme de la résidence des deux cours impériales & de l'affluence des étrangers, entre lesquels on remarque une grande quantité de princes & de seigneurs qui s'y rendent avec une nombreuse suite.

Chacune des villes impériales a deux gouverneurs ou lieutenans généraux, que leurs inférieurs nomment tonosama, c'est-à-dire, seigneur, supérieur ou prince. Ils commandent tour-à-tour ; & tandis que l'un est au lieu de son gouvernement, l'autre fait son séjour à Jedo à la cour de l'empereur, jusqu'à ce qu'il ait ordre de s'en retourner, & d'aller relever son collegue. Ce dernier va alors à la cour d'où son successeur est parti. La seule ville de Nagasaki a trois gouverneurs. On l'a réglé ainsi depuis l'année 1688, pour la sûreté d'une place aussi importante ; & pour mieux veiller sur la conduite des nations étrangeres qui ont la permission d'y trafiquer, deux de ces gouverneurs résident à la ville, tandis que le troisieme est à la cour. Les deux gouverneurs qui sont à Nagasaki, y commandent conjointement ; mais ils président tour-à-tour de deux mois en deux mois. Kaempfer, hist. du Japon. l. IV. c. j. & ij. (D.J.)


VILLENA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, & chef-lieu d'un marquisat qui comprend encore les bourgades de Chincilla & d'Albacete. (D.J.)


VILLENAGEDROIT DE, (Hist. mod.) c'étoit un droit que les seigneurs s'étoient arrogés dans les siecles de barbarie, de vendre les uns aux autres leurs vilains ou paysans, qu'ils regardoient comme une espece d'esclaves. Ce droit régnoit en Allemagne, en France, en Angleterre, en Ecosse, & ailleurs. Nous lisons qu'en Angleterre dans l'année 1102. sous le regne d'Henri I. le concile national fulmina, par le xix canon, des anathemes contre cet usage, qui ne laissa pas de se maintenir encore long-tems. Il en reste encore des traces dans quelques coutumes de France. (D.J.)

VILLENAGE, s. m. terme de Coutume, tenue de rentes ou d'héritages sous servitude, ou service abject. Villenage n'est point mancipatio, puisqu'on voit dans plusieurs auteurs que l'on appelloit villenagium, quand une personne de condition serve étoit mise en liberté, & devenoit vilain ou roturier, & quand de libre il devenoit serf. Ainsi le terme latin est villenagium.

On appelloit villenage, la tenure sous un service vil & abject, comme de porter & charroyer les fiens hors du manoir, ou de la cité de son seigneur, dit Ragueau.

Tenir en villenage, c'est, selon Galand, dans son traité du franc-aleu, tenir en censive & en roture, & M. du Cange a remarqué que le libre comme le serf, pouvoit tenir en villenage.

Tenir en villenage privilégié, c'étoit tenir du prince & être attaché à l'héritage sous un certain service, sans pouvoir en être chassé.

Tenir en pur villenage, c'étoit posseder un héritage sous un service arbitraire, & à la volonté du seigneur, ensorte que le tenant ne savoit pas le soir ce qu'il devoit faire le lendemain. Voila quels étoient nos tems de barbarie. (D.J.)


VILLENAUX(Géog. mod.) petite ville ou bourg de France, dans la Champagne, élection de Troyes.


VILLEPINTE(Géog. mod.) bourg dépeuplé, que nos géographes nomment petite ville de France, dans le haut Languedoc, au diocèse de Saint-Papoul. (D.J.)


VILLEPREUX(Géog. mod.) petite ville ou plutôt bourgade de l'île de France, dans le Hurepois, à deux lieues de Versailles. (D.J.)


VILLERS-COTERETS(Géog. mod.) en latin du moyen âge Villeriae ad cotiam ; bourg de l'île de France, dans le Valois, à six lieues de Soissons, & à trois de Crespy. Le nom de Coterets, corrompu de côte de Rets, lui est venu de sa situation dans la forêt de Rets. Ce lieu dépend de la maison d'Orléans. Il est remarquable 1°. pour sa paroisse, que desservent des religieux prémontrés, qui y ont une abbaye en regle ; 2°. par le château que les ducs de Valois, de la maison royale, y ont bâti ; 3°. par la forêt qui a environ trois lieues d'étendue, & qui contient plus de vingt-quatre mille arpens. La prevôté de Villers-coterets ressort au bailliage de Crespy, & c'est un gouvernement particulier du gouvernement de l'île de France. (D.J.)


VILLEUSEtunique des intestins, (Anat.) on appelle autrement cette membrane des intestins, la tunique veloutée. Voyez VELOUTEE, tunique (Anat.) (D.J.)


VILLICUS(Littér.) quelques commentateurs de Juvenal expliquent le mot villicus par celui de custos, le même que praefectus ou gouverneur. Les autres prétendent que Juvenal emploie satyriquement le terme de villicus, dans sa quatrieme satyre, pour marquer que la cruauté & la tyrannie de Domitien, avoient rendu la ville de Rome si déserte & si dépeuplée par le meurtre d'une infinité de personnes de qualité, que l'on pouvoit alors la regarder plutôt comme une ferme ou maison de campagne de ce prince, que comme la ville capitale du monde, & il paroît que ces derniers entrent mieux que les autres dans l'esprit de ce poëte.

Il est vrai cependant que villicus est un terme latin vague, qui veut dire gardien, intendant, maître, gouverneur ; mais ce terme vague est déterminé par ce qui suit : ainsi Catulle a dit villicus aerarii, pour le garde du trésor, ou l'intendant des finances. Juvenal appelle villicus urbis, le gouverneur de la ville. Horace villicus sylvarum, maître des eaux & forêts, ou intendant des bois. On trouve même dans les anciennes inscriptions villicus ab alimentis, intendant des vivres, & villicus à plumbo, celui qui a soin de fournir le plomb pour un bâtiment ; mais il n'est pas moins vrai que le mot villicus mis seul, signifie un fermier, un métayer, ainsi que villica veut dire une fermiere. De villicus, les Latins ont fait le mot villicor, avoir une ferme, ou métairie, & villicatio, l'administration d'une ferme ou d'une métairie ; tous ces termes sont dérivés de villa, ferme, métairie, maison de campagne. (D.J.)


VILLINGEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la forêt Noire, entre les sources du Danube & du Necker, bâtie par les comtes de Zéringen ; elle obéit ensuite à ceux de Furstemberg, & présentement elle appartient à la maison d'Autriche. (D.J.)


VILLOUNAS. m. (Hist. mod. Culte) c'est le nom que les Péruviens, avant la conquête des Espagnols, donnoient au chef des prêtres ou souverain pontife du soleil ; il étoit du sang royal, ainsi que tous les prêtres qui lui étoient subordonnés ; son habillement étoit le même que celui des grands du royaume.


VILLUZKAVIELITZKA ou VÉLICA, (Géog. mod.) lieu fameux dans la Pologne, au palatinat de Cracovie, à six milles de la ville de ce nom, & d'où l'on tire une quantité surprenante de sel. Cette vaste saline fut découverte en 1252. & a été creusée très-profondément pour en tirer le sel. M. le Laboureur a fondé dans cette mine, une espèce de ville policée, avec des rues, des maisons, des habitans, des prêtres, des juges ; cette prétendue ville est toute fabuleuse ; il n'y a dans cette carriere qu'un petit nombre de misérables qui y travaillent à tailler du sel, que les Polonois, les Silésiens, les Moraviens, les Hongrois, les Autrichiens, &c. viennent acheter. (D.J.)


VILOTTESS. f. (Jardinage) ce sont de petites meules dans lesquelles on ramasse d'abord le foin après être fané, pour en former ensuite de grandes meules.


VILSLA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, au duché de Baviere ; elle prend sa source au voisinage de Landshut, & va se perdre dans le Danube, audessous de Vilshoven. (D.J.)


VILUMBRI(Géog. anc.) peuples d'Italie, que Ptolémée, l. III. c. j. dit être plus orientaux que les Umbres, & plus occidentaux que les Sabins. Leur pays doit être aujourd'hui le duché de Spolete. (D.J.)


VILVORDE(Géog. mod.) ville des Pays-Bas, dans le Brabant, au quartier de Bruxelles, à deux lieues de cette ville, sur le canal, & à la même distance de Malines. Elle est traversée par la riviere de Senne. Il y a un hôpital, un beguinage, un château où le châtelain fait sa demeure, & quelques couvens. Les dominicains y enseignent les humanités. Long. 22. 4. latit. 50. 48. (D.J.)


VIMAIRES. f. (Gram. & Jurisprud.) vieux terme dérivé du latin, vis major, qui signifie force majeure ; il se trouve dans quelques coutumes & anciennes ordonnances, & est encore usité en matiere d'eaux & forêts, en parlant des arbres abattus par vimaire ou force majeure. Voyez FORCE MAJEURE.


VIMEULE, ou LE VIMEUX, (Géog. mod.) en latin Vimemacus, ou Pagus Vimacensis, canton de France, dans la Picardie, & qui fait partie du Ponthieu. Il s'étend depuis la Somme jusqu'à la Bresle. Il comprend S. Valery, Gamaches, Crotroy, & quelques autres lieux. La prevôté de Vimeux établie à Oisemont, est composée d'un président, d'un procureur du roi, d'un substitut, & d'un greffier. (D.J.)


VIMINACIUM(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, selon Ptolémée, l. II. c. vj. qui la place dans les terres, & la donne aux Vaccaei. L'itinéraire d'Antonin, dont les manuscrits écrivent Viminacium ou Viminatium, marque cette ville sur la route d'Astorga à Tarragone, entre Palentia & Lacobriga, à 14 milles du premier de ces lieux, & à 31 milles du second.


VIMINATIUM(Géog. anc.) ville de la haute Moesie : Ptolémée, liv. III. c. ix. qui la nomme Viminatium Legio, la met sur le bord du Danube. D'anciennes médailles de l'empereur Gordien, donnent à cette ville le nom de colonie : on y lit ces mots, Col. Vim. P. M. S. An. I. & dans d'autres, An. II. III. IV. Le même titre lui est donné dans une ancienne inscription trouvée à Gradisca, & rapportée par Gruter, p. 371. n°. 5.

Aurelio Constancio. Eq. R.

Del. Col. Vim.

L'itinéraire d'Antonin, dont la plûpart des manuscrits lisent Viminacium, place cette ville sur la route du mont d'Or, à Constantinople, entre Idenminacum & Municipium, à 24 milles du premier de ces lieux, & à 18 milles du second.

Procope, aedif. l. IV. c. v. dit que l'empereur Justinien fit rebâtir une ancienne ville nommée Viminacium, qui avoit été ruinée. Elle se trouvoit au-delà d'un fort, que le même empereur avoit fait élever à 8 milles de Sigedon ; & quand on étoit sorti de Viminatium, on rencontroit sur le bord du Danube trois forts, Picine, Cupe, & Nova, qui ne consistoient autrefois qu'en une tour. Niger veut que le nom moderne soit Vidin. (D.J.)


VIN& FERMENTATION VINEUSE, (Chymie) la fermentation vineuse ou spiritueuse est regardée comme la premiere espece de fermentation. Les autres especes sont la fermentation acéteuse, & la putréfaction. Voyez VINAIGRE & PUTREFACTION.

Personne n'a mieux éclairci que Stahl les phénomenes de la fermentation : il l'a définie un mouvement intestin imprimé par un fluide aqueux à un composé d'un tissu lâche, qui divise les parcelles de ce composé, les expose à des chocs très-multipliés, & les résout en leurs principes, dont il forme de nouvelles combinaisons.

Il faut d'abord considérer dans la fermentation proprement dite, les parties salines, huileuses & terrestres des sucs muqueux des végétaux qui fermentent.

On est fondé à croire, que les parties salines de ces sucs sont acides, parce que les fruits qui ne sont pas murs, ont une saveur acide austere, qui s'efface lorsque l'acide s'enveloppe dans les sucs gras, ou lorsque les fruits murissent ; parce qu'il n'existe point d'alkali naturel, qui ne soit le produit du feu, ou de la putréfaction : enfin parce que les sucs disposés à la fermentation vineuse donnent par la distillation une liqueur acide d'autant plus abondante, que la partie grasse de ces sucs aura été plus soigneusement extraite.

Le principe gras ou huileux de ces sucs peut se démontrer non-seulement par leur odeur & leur faveur, mais encore parce qu'on en distille une plus grande quantité d'huile, à mesure que ces sucs ont acquis plus de maturité, & donnent plus de substance spiritueuse par la fermentation. Cette huile est tenue & volatile ; mais elle ne doit pas l'être trop. Les aromates, & les plantes balsamiques ne sont pas propres à la fermentation spiritueuse, parce que leur huile déliée & expansible ne se combine pas assez étroitement avec les autres principes.

Les sels acides ne peuvent être intimement unis avec les huiles, qu'au moyen d'une longue digestion ; mais ils s'y lient beaucoup plus facilement par l'intermede des terres, avec lesquelles ils font des sels crystallisés, ou déliquescens ; en même tems, ces acides embarrassés par l'addition des huileux retiennent moins fortement les terreux ; & ce mêlange forme une substance muqueuse ou gluten, qui est beaucoup moins visqueux dans les sujets de la fermentation proprement dite, que dans ceux de la putréfaction.

L'ordre suivant lequel les différentes especes de fermentation se succedent dans les matieres qui en sont susceptibles, ne peut avoir lieu pour les corps dans la composition desquels un principe l'emporte extrêmement sur les autres. C'est ainsi que les sucs des citrons, & ceux des fruits acerbes dégénerent d'abord en moisissure. L'excès du principe terrestre dans les parties ligneuses des végétaux s'oppose à ce que leur mixtion soit dissoute. Les aromates pour être propre à la fermentation vineuse ont besoin d'être dépouillés par la distillation de leurs huiles surabondantes.

On voit par les exemples des résines artificielles & du savon, ou sel huileux de Starkey, que les mêlanges des huiles avec le sel approchent de la consistance solide : comme l'acide pur adhere bien plus fortement à la terre qu'à l'eau, il doit se lier presque sous une forme seche avec le principe terreux qui existe dans les huiles, suivant les expériences de Kunckel. Ces raisons & l'exemple des grains, prouve que l'eau n'entre pas essentiellement dans la mixtion des corps qui peuvent fermenter : mais elle est l'instrument du mouvement de fermentation. Elle s'attache à la partie saline du mixte, ou à la partie terreuse subtile qui a le plus d'affinité avec l'élément salin ; elle les sépare des parties plus grossieres, & purifie de plus en plus la liqueur qui fermente.

Le fluide aqueux qui produit cet effet par son rapport avec les corpuscules salins, & par l'agitation qui lui imprime un degré de chaleur modéré, ne doit pas être trop subtil. C'est pourquoi l'esprit-de-vin très rectifié ne dissout point le sucre, & lorsqu'il agit sur le miel & les grains, il extrait plutôt une portion de ces substances. Les suites n'excitent point la fermentation, parce que les molécules huileuses qui leur sont analogues sont retenues dans le tissu des mixtes par un plus grand nombre de molécules terrestres & salines, & d'ailleurs ne peuvent entraîner celles-ci, qui sont plus & moins mobiles.

La fermentation ne demande pas absolument le contact immédiat de l'air libre. Elle a lieu quoique plus tard & plus difficilement dans des vaisseaux bien fermés, & même, suivant Stahl, dans des vaisseaux dont on a pompé l'air, pourvu qu'ils soient assez grands. Boerhaave dit cependant qu'il ne peut se faire de mouvement de fermentation dans la machine pneumatique, lorsqu'on en a retiré l'air élastique.

Il n'est pas douteux que l'air a beaucoup d'influence dans la fermentation, car les variations du chaud & du froid extérieur accélerent ou affoiblissent beaucoup le mouvement de fermentation. Ainsi, il est avantageux pour l'égalité des progrès de la fermentation, que la masse qu'on fait fermenter soit considérable ; & on observe que les liqueurs fermentées sont plus fortes & plus pénétrantes, lorsqu'elles ont été préparées dans des grands tonneaux.

Mais il paroît certain que l'eau seule est l'instrument immédiat de la fermentation. Celle-ci est également arrêtée par l'excès ou le défaut de fluide aqueux. On fait du vin doux en remplissant de moût aussitôt qu'il est foulé, un tonneau bien relié, qu'on abandonne & qu'on met pendant quinze jours dans l'eau, qui doit baigner par-dessus ; de même une humidité surabondante empêche la putréfaction. Voyez PUTREFACTION. D'un autre côté, Stahl rapporte, qu'un vin concentré se conserva pendant plusieurs années, quoique le vaisseau où il étoit contenu ne fut qu'à demi-plein.

Les liqueurs qui fermentent jettent des vapeurs très-subtiles, dont il faut modérer l'éruption pour rendre les liqueurs plus parfaites. Ces vapeurs se répandent avec un effort, qui se fait sentir dans des espaces beaucoup plus grands que ceux que remplit l'expansion des vapeurs de l'acide vitriolique sulfureux de l'eau-forte, de l'esprit de sel fumant, qu'on retire du mercure sublimé. Ces exhalaisons forment dans les celliers, comme un nuage qui éteint la flamme des chandelles. Les effets pernicieux de cette vapeur sur les animaux qui la respirent, sont plus funestes, suivant Boerhaave, que ceux d'aucun autre poison. Elle leur cause une mort soudaine, ou des maladies très-graves du cerveau & des nerfs sans apparence d'humeur morbifique, ou de lésion des visceres.

Comme les animaux sont affectés de la même maniere par la fumée des corps gras à demi-brûlés, ou des charbons allumés dans un lieu étroit ; Stahl en a inféré avec vraisemblance, que ces vapeurs sont des parties grasses de la liqueur qui fermente, extrêmement atténuées, & jointes à des parcelles d'eau. Il a fort bien connu que l'élasticité de ces vapeurs, n'est point inhérente à leurs substances sulfureuses, puisque l'action même du feu ne peut la développer dans cette substance. Mais il a prétendu que cette substance devoit son ressort au commerce de l'air extérieur, & il s'est jetté dans une explication vague & insuffisante.

Beccher avoit pensé que ces vapeurs ne sont ni salines, ni sulfureuses, parce qu'il ne put les condenser en appliquant au bondon d'un gros tonneau plein de moût qui fermentoit un alambic avec son réfrigerant. Il a comparé ces esprits à ceux qui naissent du mêlange de l'huile de tartre avec des esprits corrosifs, durant le tems de l'effervescence. Voyez GAS.

En réfléchissant sur cette analogie proposée par Beccher, on est porté à croire, que pour achever la belle théorie de Stahl sur la fermentation, il faut y suppléer par celle de M. Venel sur les effervescences. Voyez EFFERVESCENCE. L'eau qui dissout les sujets de la fermentation spiritueuse composés d'huile, de sel & de terre, fait une précipitation de l'air combiné chymiquement avec ces principes. Cet air, à mesure qu'il se dégage, étant intercepté par les parties visqueuses de la liqueur, y produit une ébullition d'autant plus forte, qu'il rencontre plus de terre muqueuse : mais s'il trouve des parties huileuses, pures, il les atténue prodigieusement, les entraîne, & les éleve en vapeurs élastiques. On voit pourquoi les sujets de la fermentation spiritueuse étant exposés à un feu nud, ne donnent point de vapeurs semblables. Si Stahl eût connu les expériences de Halles, il n'eût pas parlé de ces vapeurs d'une maniere si obscure & si incertaine. Voyez la statique des végétaux, exp. 55. & 57. L'effervescence est causée par l'air principe de la composition des corps, dont il est détaché par l'action des acides sur les particules terreuses, qui ne sont pas réunies en de trop grandes masses. Ainsi, les vins qui ont trop bouilli sont austeres, & moisissent bientôt, parce qu'il s'y est développé trop d'acide. L'addition des terres maigres, comme la craie, par exemple, arrête l'ébullition d'une liqueur qui fermente, parce qu'elles embarrassent les acides, & sont très-peu analogues aux parties grasses & huileuses de la liqueur pour se séparer avec les feces ; l'ébullition a toujours lieu dans la biere forte, & dans les vins spiritueux, tant que ces liqueurs se conservent ; lorsqu'on les verse, on voit surnager une écume légere, qui est la marque d'une fermentation subite, & lorsqu'elles coulent aussi tranquillement que l'eau ou l'huile pure, elles sont sur le point de se gâter. Les corps gras & huileux ne renferment pas assez de sel & de terre dans leur mixtion. C'est pourquoi les vins qui sont plus huileux en Espagne & en Italie bouillent beaucoup moins que les vins des pays septentrionaux.

La fermentation ne produit de chaleur spontanée que dans ces corps terreux, dont la substance grasse est pour la plus grande partie épaisse & bitumineuse. Mais le mouvement intestin dont est agitée une liqueur qui fermente, quelque fort qu'il soit, n'est pas plus favorable à l'atténuation des molécules de cette liqueur, qu'à leur complication. Il reste donc à considerer les nouvelles combinaisons que la fermentation fait naître des principes qu'elle a divisés.

La partie grasse résineuse d'une liqueur qui fermente, comme plus mobile, forme d'abord à la surface une croute, où naissent de tems-en-tems des crevasses, qui sont aussi-tôt réparées. Cette croûte contribue à rendre la fermentation plus parfaite. Elle est enfin entraînée au fond par l'écume & les flocons de poussiere qui s'y attachent durant la forte agitation de la liqueur, après que le bouillonnement en a dissout les parties huileuses. La substance grasse & la tartareuse entrent dans la composition des feces, qui sont néanmoins formées principalement des parties les plus terrestres de la liqueur qui fermente, lorsque ces parties terrestres sont séparées des parties salines, & empêchées de s'y rejoindre par l'esprit vineux.

Cet esprit, à-mesure qu'il se forme par l'intermede de ses parties grasses, enveloppe les parties terreuses de la liqueur, & émousse les acides. Ainsi le vin, qui en commençant à fermenter a une acidité austere, étonne les dents, & ronge même les métaux les moins solubles, s'adoucit dans la suite, & il est bien plus tôt mitigé par l'addition de l'esprit-de-vin pur (en observant néanmoins avec Beccher qu'une trop grande quantité d'esprit-de-vin ajoutée, arrêteroit la fermentation). Dans la préparation que faisoit Beccher de ce qu'il appelloit la substance moyenne du vin, le tartre étoit précipité par le même principe. On sait que les acides minéraux dulcifiés par l'esprit-de vin ont beaucoup moins de prise sur les terres ; & que cet esprit rectifié étant versé sur une dissolution de vitriol, précipite un très-grand nombre de parties vitrioliques sous une forme crystalline.

Il est remarquable que la lie a une consistance épaisse & mucilagineuse, tant qu'elle renferme dans sa mixtion le vin ou la substance spiritueuse ; mais dès que cette substance est détachée par coction, la lie devient assez liquide, & après avoir été exprimée, elle donne par la distillation de l'esprit volatil, ou du sel urineux, & beaucoup d'huile. Par une seconde coction on en retire un tartre fort blanc & fort pur.

La mixtion vineuse est accomplie dans le moût qui a fermenté par la précipitation de la lie. La séparation de ce marc salin, gras & limoneux laisse une liqueur qui a un goût légérement acide, pénétrant, qu'on trouve moins épaisse au goût & au tact, & qui a acquis beaucoup de transparence & de fluidité.

La transparence des vins en assure la durée ; étant trop épais, ils moisissent facilement, sur-tout les vins nouveaux, qu'on ne soutire pas assez tôt au printems de la lie qui s'en est séparée pendant l'hiver. D'un autre côté les vins qu'on soutire trop tôt dégénerent aisément, s'ils ne sont assez forts ; parce que la lie, qui a les mêmes principes que le vin, est un sédiment ménagé par la nature, pour que cette liqueur en y puisant répare les pertes qu'elle fait par l'évaporation, tandis qu'elle fermente encore.

La lie ne donne point de sel volatil urineux qu'après avoir été exposée à l'action du feu, ou à la putréfaction. Ce sel urineux ne pourroit subsister dans la lie séparément de l'acide du tartre ; leur union formeroit un sel soluble, qui seroit entraîné par l'eau : mais on ne retire de la lie du vin qu'un sel acide tartareux, dont la fermentation dégage une grande quantité dans les substances végétales, où il existoit déjà tout formé. De plus Stahl a rendu très probable que la fermentation en produit beaucoup de tout pareil ; puisque la combinaison d'eau & de terre qui a produit ce sel naturel dans les raisins, voyez SEL, semble avoir été le résultat d'un mouvement de fermentation. En effet, il ne paroît pas que ce sel ait été rapporté dans le fruit par les racines de la vigne, puisqu'il auroit été plutôt absorbé par la terre poreuse du vignoble. Il n'est pas vraisemblable qu'il y ait pénétré en forme de vapeurs, ni qu'il ait été reçu de l'athmosphere par imbibition, puisqu'on voit souvent paroître après un mois de tems sec une quantité prodigieuse de raisins qui sont très-acides, avant que d'être mûrs.

On ne peut douter que ce sel n'ait pénétré par les racines de la vigne, malgré la qualité poreuse & absorbante du terroir qu'oppose Stahl ; puisqu'il y a apparence que l'huile suit cette route, quoiqu'elle soit un mixte plus composé & moins pénétrant que l'eau. En effet, on a observé que la trop grande quantité de fumier dans un vignoble, rend le vin mol & fade, & facile à graisser. On est parvenu à faire prendre à un sep de vigne l'odeur de l'anis. Un bon vin de Moselle doit avoir le goût de l'ardoise, parce qu'on engraisse les vignes qui donnent ces vins avec des ardoises, qu'on a laissé exposées à l'air, jusqu'à ce qu'elles fussent réduites à une espece d'argile ou de terre grasse. Les vignobles d'Hochheim auprès de Mayence enferment dans leur sein des charbons fossiles, qui peuvent être cause que les vins de ce terroir approchent du succin par le goût & par l'odeur. Hoffman, diss. de naturâ vini Rhenani, n °. 24. Les brasseurs ont trouvé que l'orge venu dans les champs couverts de fumier de brebis, produit une biere, dont la senteur & le goût sont extraordinaires & vicieux, principalement si le fumier de ce champ a été mêlé avec des excrémens humains, comme on le pratique en quelques endroits. Voyez là-dessus Kunckel de appropriatione, p. 89. l'acide du tartre, dont la consistance est seche, & qui est difficilement soluble dans l'eau, est le dernier produit que développe la fermentation vineuse. Le vin du Rhin ne pose du tartre sur les parois des vaisseaux qui le contiennent, qu'après qu'il a laissé tomber au fond la lie muqueuse & terrestre. Les vins d'Espagne ne laissent point de tartre dans leurs vaisseaux, parce qu'il est enveloppé dans ces vins d'une trop grande quantité de substance huileuse & tenace.

Le degré de consistance qui est propre à chaque liqueur fermentée, dépend de l'union de ces principes, & du concours du principe aqueux qui se combine intimément avec eux, après avoir été l'instrument de la fermentation. C'est pourquoi on ne pourroit enlever toute l'humidité que renferment le vin & le vinaigre, sans altérer extrêmement ces liqueurs, quoiqu'on pût en retirer ensuite de la lie, du tartre, de l'esprit ardent avec son phlegme essentiel.

Les vins des pays humides sont chargés d'une eau plus abondante, qu'il n'est nécessaire pour étendre leurs principes. On les dépouille de cette eau superficielle en les concentrant par la gelée ; par ce procédé dont Stahl passe pour l'inventeur, mais qui est connu depuis long-tems, comme on peut voir dans van Helmont au commencement du traité tartari vini historia : on donne au vin, ainsi qu'au vinaigre une odeur très-pénétrante & une saveur très-forte ; & en garantissant ces liqueurs concentrées d'une chaleur ou d'une agitation violente, elles résistent aux changemens des saisons, & peuvent durer des siecles.

Dans une année pluvieuse, non-seulement le vin est plus aqueux, mais encore l'humidité excessive du moût en augmentant la fermentation, produit un vin plus austere & plus acide. C'est par une raison semblable qu'on fait cuire le moût des vins de Malvoisie & de Crete, comme Belon nous l'apprend ; ceux dont on n'auroit pas fait ainsi évaporer l'humidité superflue, ne pourroient passer la mer sans s'aigrir. De même en Espagne & dans les pays chauds, pour modérer la fermentation du moût, on en prend une partie, qu'on reduit par la coction au tiers ou au quart, évitant qu'elle ne contracte une odeur de brûlé, & on la distribue sur le reste du moût, pour y diminuer la proportion de l'humidité. C'est ainsi que les vins d'Hongrie ont une qualité spiritueuse moins piquante, & conservent très-long-tems leur douceur ; parce qu'on l'extrait avec des raisins qu'on a laissé à demi sécher sur leurs souches par l'ardeur du soleil, ou qu'on en fait chauffer le moût, jusqu'à le faire bouillir. Hoffman, diss. de vini Hungarici natura, &c. n °. 20. & in obs. chym.

Les vins gras se conservent beaucoup plus longtems que les vins clairs, mais ils peuvent être trop gras dans les années seches & hâtives, par la trop grande maturité du raisin. Il arrive alors que le vin se graisse, c'est-à-dire file quand on veut le vuider, comme s'il y avoit de l'huile ; c'est une maladie du vin, qui passe au-bout de quelques mois, même sans le déplacer : sans doute parce que la fermentation qui se renouvelle quand l'eau est séparée de l'huile, porte à la surface de la liqueur les parties terrestres & salines, & les recombine de nouveau avec les parties grasses ; ce qui confirme ma conjecture, c'est que le vin se dégraisse plus tôt, lorsqu'on le met à l'air, qu'en le laissant dans la cave, & qu'on emploie pour le dégraisser de l'alun, du sable chaud, & autres ingrédiens qu'on ajoute avec le vin, en remuant & tournant le tonneau.

Rien n'est plus décisif pour la qualité des vins, que la rapidité ou la lenteur des progrès de la fermentation ; lorsqu'elle est trop impétueuse, ce qui arrive si la saison de la vendange est plus chaude qu'à l'ordinaire, il se forme dans la liqueur beaucoup de concrétions grossieres, ou de feces, elle devient foible & acide. Lorsque le vin a fermenté un tems convenable, il a un piquant sans acidité, qui est moins l'objet du goût, proprement dit, que du tact fin dans la langue, qu'il fait comme frémir légerement. Beccher conseille, pour rendre le vin plus sort, de le faire fermenter long-tems, c'est-à-dire lentement ; ce qu'on gagne par une fermentation lente, c'est d'empêcher l'éruption des vapeurs sulfureuses élastiques, qui s'exhalent de la liqueur. Stahl imagine que ces vapeurs enlevent beaucoup de substances spiritueuses, parce qu'elles approchent de la nature de l'air, de la même maniere que les vapeurs aqueuses, qui en sortant des éolipiles, peuvent souffler le feu ; mais il est plus simple de penser, comme il le dit aussi, que ces vapeurs sulfureuses sont nécessaires pour la mixtion des esprits du vin. En effet pour rendre le vin plus spiritueux, on y ajoute, tandis qu'il fermente, des aromates qui sont propres à réparer ses pertes par leurs parties volatiles, salines, & huileuses.

On se sert de différens moyens pour modérer la fermentation : on place le moût dans des lieux souterrains où le froid est tempéré ; on le met dans des tonneaux dont la courbure & la forme contraignent les vapeurs sulfureuses à retomber plusieurs fois dans la liqueur qui les absorbe avant que de pouvoir s'échapper par le trou du bondon, & les oblige à se combiner avec l'eau ; c'est par le même principe qu'avant d'entonner la biere, lorsque le levain est mûr, on frappe avec une longue perche sur la grosse écume qui se forme à la superficie, & on la fait rentrer dans la liqueur, ce qu'on appelle battre la guilloire. Voyez BRASSERIE.

Boerhaave assure que le mêlange du blanc d'oeuf empêche l'éruption des esprits du vin, & le fait fermenter plus long-tems. On parvient au même but, en couvrant la surface du moût d'esprit de vin, ou d'huile ; ce moût donne un vin beaucoup plus fort & plus agréable ; pour arrêter la fermentation des liqueurs, il suffit d'environner les vaisseaux qui les contiennent de vapeurs sulfureuses, qui pénétrent dans ces vaisseaux par les pores du bois : on n'aura pas de peine à se persuader cette pénétration, si l'on considere que le tonnerre fait tourner le vin, & que le cidre se fait mieux & se conserve plus long-tems dans les futailles où il y a eu depuis peu de l'huile d'olive.

Il ne nous reste plus qu'à parler de l'esprit de vin, dont nous n'avons pas encore traité pour ne pas interrompre ce que nous avions à dire sur le vin. Les principes exposés plus haut, semblent suffire pour l'explication des détails où nous ne pouvons entrer sur le vin : nous ajouterons seulement que si on vouloit reproduire une liqueur fermentée en mêlant tous les principes qu'on en retire, on n'y réussiroit pas ; ce qui prouve que ces principes ont souffert en se séparant une altération qui ne leur permet pas de se combiner de nouveau.

Esprit-de-vin. Deux sentimens partagent les chymistes sur l'origine de l'esprit-de-vin. Boerhaave croit qu'une portion déterminée de chaque matiere qui fermente, ne peut donner par la fermentation qu'une certaine quantité d'esprits ardents ; il remarque que le résidu d'une matiere dont on a enlevé l'esprit ardent, quoiqu'il ait conservé beaucoup d'huile, ne peut fermenter une seconde fois, ni donner de nouvel esprit, & qu'on ne peut retirer des esprits ardents du tartre, quoiqu'il renferme beaucoup d'huile inflammable & très-pénétrante. Ces observations sont autant d'inductions contre le sentiment de Beccher & de Stahl, qui regardent l'esprit-de-vin comme un produit de la fermentation.

Beccher préparoit avec du limon & des charbons un esprit insipide, qui étant mêlés à une certaine proportion d'esprit de vinaigre, se changeoit en esprit ardent. Stahl a regardé l'esprit-de-vin comme un résultat de la fermentation, dans lequel l'eau est intimement mêlée à l'huile par l'intermede d'un sel acide très-subtil. Il se fonde sur ce que les baies de genievre écrasées, dont on a ramolli le tissu muqueux dans une eau chargée de sel commun, étant exposées au feu, donnent assez d'huile tenue, & point d'esprit ardent : au-lieu que d'une égale quantité de ces baies qu'on a fait fermenter avec la levure de biere, on ne retire plus, par la distillation, que fort peu d'huile, mais bien une quantité considérable d'esprit : on trouve la même chose dans le moût & dans la farine de froment exposée au feu avant & après la fermentation. Après avoir séparé l'huile des graines aromatiques, on en retire beaucoup moins d'esprit ardent : la présence de l'acide dans l'esprit-de-vin est démontrée, parce que tous les composés qui ne peuvent tourner à l'acide, ne donnent point d'esprit ardent, & parce que l'esprit-de-vin étant redistillé plusieurs fois sur du sel de tartre, ou des cendres gravelées, le résidu après l'évaporation fournit les mêmes crystaux que le sel de tartre joint à l'esprit volatil de vitriol : crystallisation unique, par laquelle Stahl a déterminé bien plus précisément la nature de ce sel, que les auteurs qui le disent une terre foliée de tartre. Van-Helmont, & Boerhaave après lui, ont retiré le principe aqueux de l'esprit-de-vin, en le distillant sur du sel de tartre.

Les chymistes modernes ont suivi le sentiment de Stahl sur la mixtion de l'esprit-de-vin, & M. Baron a bien refuté Cartheuser, qui prétend que l'esprit-de-vin n'est que de l'eau unie au phlogistique, & qu'il ne contient ni huile ni acide.

M. Vogel (inst. chym. p. 167.) dit que sans l'autorité de Gmelin, qui le rapporte, il douteroit fort que les Tartares, en Sibérie, retirent un esprit ardent du lait de vache, sans y ajouter de ferment ; mais Stahl (fund. chym. part. alleman. pag. 188.), dit qu'il n'y a point de doute que le lait aigre qui sert à faire le beurre, ne puisse donner un esprit, puisqu'il est d'une nature moyenne entre les substances végétales & animales, & puisqu'il est le seul parmi celles-ci qui subisse la fermentation acéteuse.

On n'a vu encore personne qui pût retirer de l'esprit ardent d'autres substances que de celles qui sont préparées par la nature ; mais Stahl remarque que ce n'est point parce que la végétation seule peut produire des concrets qui sont propres à la fermentation spiritueuse, mais seulement parce que leur tissu doit être intimément pénétré d'une huile tenue.

Il est remarquable que le caractere spécifique de l'huile végétale, peut se faire appercevoir dans l'esprit ardent ; c'est ainsi qu'on retrouve l'odeur de sureau, dans l'esprit qu'on retire de ses baies, après les avoir fait fermenter.

Il est très-probable qu'il se forme une grande quantité d'esprit ardent dans les fermentations spiritueuses, d'autant plus qu'il est difficile qu'il se fasse aucune dissolution qui ne soit bientôt suivie d'une nouvelle recomposition : cependant il est vraisemblable qu'il existoit un principe spiritueux dans les raisins, puisqu'on a vu qu'étant pris avec excès, ils causoient une espece d'ivresse aux personnes d'un tempérament foible.

Il paroît que l'esprit ardent ne doit sa qualité enivrante qu'à ces vapeurs sulfureuses expansibles, dont nous avons beaucoup parlé. Il faut attribuer à la même cause, l'assoupissement qui suit l'usage des eaux de Spa, comme l'assure de Heers, & M. de Limbourg ; c'est aussi ce qui rend la boisson des eaux acidules, pernicieuse dans les maladies internes de la tête, comme Wepfer l'a observé plus d'une fois. M. le Roi, célebre professeur de Montpellier, a observé qu'il l'est assez dans la vapeur des puits méphitiques, pour teindre en rouge la teinture de tournesol, qu'on y expose. Voyez MOFFETES.

Le premier esprit ardent qu'on retire du vin, s'appelle eau-de-vie, & ce n'est que par une nouvelle distillation qu'on obtient l'esprit-de-vin pris selon l'acception vulgaire : on retire des lies de vin beaucoup d'esprit-de-vin, dans lequel le principe huileux est plus abondant, suivant la remarque de M. Pott. On peut voir dans la Chymie allemande de Stahl, un procédé qu'il a imaginé pour faire cette distillation plus avantageusement.

Après qu'on a retiré l'esprit-de-vin, la distillation continuée donne une assez grande quantité de phlegme acide légerement spiritueux, & laisse une huile épaisse, d'une odeur désagréable ; on trouve dans le caput mortuum brûlé, de l'alkali fixe.

L'esprit-de-vin prend le nom d'alcohol, après avoir été rectifié, ou dépouillé de son phlegme par plusieurs distillations : on le regardoit autrefois comme très-pur, lorsqu'il se consumoit entierement par l'inflammation, sans laisser d'humidité, ou lorsque à la fin de sa combustion il mettoit feu à la poudre à canon sur laquelle on l'avoit versé ; mais Mr. Boerhaave a remarqué que la flamme peut chasser, dans ces épreuves, les parcelles d'eau que l'esprit-de-vin renferme ; c'est pourquoi il a proposé un moyen beaucoup plus sûr de reconnoître la pureté de l'esprit-devin ; c'est de le mêler avec le sel de tartre fortement desséché, & de faire chauffer ce mêlange, après l'avoir secoué, à une chaleur un peu inférieure au degré qui feroit bouillir l'esprit-de-vin ; si l'alkali n'est point humecté par-là, c'est une preuve certaine que l'esprit-de-vin est très-pur. Voyez la chymie de Boerhaave, tom. II. p. 127.

Non-seulement on rectifie l'esprit-de-vin par des distillations repetées, mais encore en le faisant digérer sur de l'alkali bien sec. Il me paroît remarquable que l'esprit-de-vin ainsi alkalisé, a une saveur & une odeur beaucoup plus douce que celui qui est rectifié par la distillation. Cela ne viendroit-il point de ce que les parties huileuses de l'esprit-de-vin sont beaucoup plus rapprochées par la premiere espece de rectification ? on peut encore rectifier l'esprit-de-vin, en le faisant digérer sur du sel marin décrépité & bien sec : on le rend d'abord beaucoup plus pénétrant, en le rectifiant sur de la chaux vive ; mais si l'on repete trop souvent cette derniere rectification, on décompose l'esprit-de-vin, & on le réduit en phlegme : on connoit la propriété qu'a la chaux de décomposer en partie toutes les substances huileuses.

L'esprit-de-vin extrait la partie résineuse des végétaux, & donne outre les teintures des résines & des bitumes, diverses teintures métalliques, salines, astringentes, &c. il est un des excipients des plus usités des préparations pharmaceutiques. Voyez TEINTURE. Il ne peut dissoudre les graisses, ni les huiles exprimées, mais il dissout très-bien, sur-tout lorsqu'il est rectifié, les baumes & les huiles essentielles ; cela dépend, suivant M. Macquer (Mém. de l'acad. des Sciences, 1745.) du principe acide qui est surabondant dans les huiles essentielles, & beaucoup plus enveloppé dans les huiles grasses.

La solubilité respective des différentes huiles essentielles dans l'esprit-de-vin, dépend de la ténuité des parties intégrantes de ces huiles, comme Hoffman l'a prouvé dans ses observations chymiques, l. I. obs. 2. Le même auteur a fort bien remarqué, que si l'on distille les dissolutions de ces huiles dans l'esprit-de-vin, elles donnent à cet esprit leurs saveurs & leurs odeurs spécifiques ; mais que la meilleure partie de ces huiles reste au fond du vaisseau & ne peut en être chassée qu'après avoir pris une qualité empyreumatique, ce qui doit s'entendre sur-tout des huiles plus pesantes que l'eau ; par conséquent il y a un desavantage considérable à distiller les especes aromatiques avec l'esprit-de-vin, qui par sa volatilité a beaucoup moins de proportion que l'eau avec les huiles. idem. ibid. obs. 12.

L'esprit-de-vin aiguisé avec le sel ammoniac, ou avec le sel secret de Glauber, peut extraire les soufres des métaux. Hoffman assure que l'esprit-de-vin digeré & cohobé sur le précipité du mercure dissout dans l'eau forte, est un très-bon menstrue de substances métalliques. Suivant les expériences de Stahl & de Pott, on peut avec de l'esprit-de-vin extraire la couleur du vitriol de cuivre, de maniere que cette couleur ne sauroit être développée même par les esprits volatils.

On peut consulter sur les sels qui se dissolvent en partie dans l'esprit-de-vin qu'on a fait bouillir, la dissertation de M. Pott sur la dissolution des corps, section 10. mais M. Pott n'auroit pas dû dire sans restriction, que l'esprit-de-vin dissout les différens sels ammoniacaux : car suivant la remarque d'Hoffman (Obs. chym. l. II. obs. 5.) l'esprit-de-vin dissout parfaitement les sels neutres formés de l'union du sel volatil ammoniac, avec l'esprit de nitre, ou l'esprit de sel ; mais il ne peut dissoudre le sel qui résulte de la combinaison de ce sel volatil, avec l'huile de vitriol.

On dulcifie les esprits acides par l'esprit-de-vin, en mêlant ensemble ces liqueurs, qu'on prend très-pures, en les faisant digerer à froid pendant un jour ou deux, & en distillant à un feu doux, & avec précaution.

Le mêlange des trois parties d'esprit-de-vin, avec une partie d'esprit de vitriol, est un astringent fort employé, qui porte le nom d'eau de Rabel ; si l'on fait digérer le mêlange de l'acide vitriolique avec un esprit-de-vin qui ait été tenu long-tems en digestion sur des substances végétales aromatiques, on a l'élixir de vitriol de Mynsicht.

On sait que l'éther vitriolique est un des produits de la distillation du mêlange de l'esprit-de-vin, & de l'acide vitriolique. Il semble que l'ether n'est autre chose que le principe huileux de l'esprit-de-vin séparé par l'intermede de l'acide vitriolique. Voyez ETHER. D'autres chymistes pensent que l'éther est formé par la combinaison de l'acide vitriolique & de l'esprit-de-vin. M. Vogel (inst. chym. §. 486.), veut prouver ce dernier sentiment, parce que si l'on distille un mêlange d'eau & d'éther, on en retire un phlegme acide, & qu'on diminue la quantité de l'éther à mesure qu'on répete cette opération, parce que le mêlange d'éther avec l'huile de tartre par défaillance, donne un sel neutre ; enfin parce qu'on retire de l'éther, joint à l'eau de chaux, une très-petite quantité d'huile, & que le résidu présente une huile de vitriol très-âcre, & une substance qui a l'air gypseux ; mais ces phénomenes peuvent être produits par la décomposition du principe huileux de l'esprit-de-vin : on sait que cette décomposition a lieu en partie, quand on déphlegme l'esprit-de-vin par la chaux, ou par les alkalis fixes.

Quand on a retiré tout l'éther par l'opération décrite à l'article ETHER ; en continuant la distillation, on obtient un phlegme acide, & une huile beaucoup plus pesante que l'éther, qu'on appelle huile douce de vitriol. Cette huile résulte effectivement de la combinaison de l'acide vitriolique avec l'huile de l'esprit-de-vin, qui dulcifie cet acide, & qui acquiert de la pesanteur en s'y unissant : on voit que cette huile a beaucoup de rapport avec la teinture qu'Angelus Sala a nommée extrait anodin de vitriol.

Il reste au fond de la cornue une liqueur bitumineuse épaisse, que M. Beaumé a analysée par une très-longue filtration, à travers une bouteille de grès moins cuit qu'il ne l'est ordinairement ; seul moyen par lequel il a pu séparer la matiere grasse de l'esprit-de-vin, tenue en dissolution par une surabondance d'acide vitriolique ; il en a retiré successivement diverses liqueurs, dont l'examen lui a fait voir qu'une partie de l'acide vitriolique est tellement altérée, qu'elle se rapproche beaucoup des acides végétaux, & qu'un autre partie de cet acide se rapproche de la nature de l'acide marin. Le résidu de l'éther après la filtration, étant mêlé avec des alkalis fixes, ou de la lessive de savonniers, donne toujours du bleu de Prusse, qui paroît aussi quand on fait du tartre vitriolé avec le sel de tartre, & avec ce même résidu pris avant la filtration. M. Beaumé a prouvé que cette fécule bleue n'est autre chose que la portion du fer que contient toujours l'acide vitriolique, convertie en bleu de Prusse. Voyez le mémoire de M. Beaumé, dans le troisieme tome des mémoires étrangers, approuvés par l'académie des Sciences.

A la fin de l'opération de l'éther, il se sublime aussi un corps concret analogue au soufre, mais qui peut n'être qu'un sel vitriolique sulfureux. M. Pott prétend, dis. chym. tom. I. pag. 445. que le caput mortuum, que donne l'opération de l'éther, après qu'on en a dégagé par l'eau un acide vitriolique, ressemble parfaitement au résidu de l'huile de vitriol, traitée avec les huiles. En effet il est très-vraisemblable qu'à la fin de l'opération de l'éther, les principes mêmes de l'acide vitriolique, & de l'huile de l'esprit-de-vin peuvent être décomposés, soit qu'il se sublime en véritable soufre, soit par la seule production de l'acide sulfureux.

On purifie l'éther en y versant un peu d'huile de tartre par défaillance, qui absorbe l'acide sulfureux contenu dans les liqueurs, qu'on retire avec l'éther. Lorsqu'on fait l'éther suivant le procédé de M. Hellot, avec l'intermede de la terre glaise ordinaire, on ne voit paroître ni le phlegme sulfureux, ni l'huile douce de vitriol, ni le résidu bitumineux. M. Pott croit avec beaucoup de vraisemblance, que dans le procédé de M. Hellot, la terre bolaire n'est attaquée par l'acide vitriolique, que parce qu'elle s'alkalise ; il a observé, que les lotions de cette terre, après qu'elle a servi à l'opération de l'éther, donnent des véritables crystaux d'alun. Voyez sa Lithologie, to. I. page 110.

Il me semble qu'on est d'autant plus fondé à penser que l'éther n'enleve l'or & le mercure de leurs dissolutions, que par son affinité avec l'acide nitreux, depuis que M. Beaumé a fait voir dans sa dissertation sur l'éther, page 143 & suivantes, que l'éther vitriolique se décompose par son mêlange avec l'acide nitreux, & forme une espece de faux éther nitreux. Voyez sur le véritable éther nitreux, l'article ETHER ; sur l'éther marin, l'article MARIN (sel) & sur l'éther acéteux, l'article VINAIGRE.

Autres principes des vins. Nous nous sommes assez étendus sur l'acide tartareux, & sur l'esprit inflammable, qui sont les principaux produits de la fermentation vineuse ; mais pour connoître parfaitement la nature du vin, il est à-propos d'y considérer encore avec Hoffman, liv. I. obs. chym. 25. outre le phlegme, & le principe aérien, qui y est contenu, une substance sulfureuse, & comme visqueuse, qu'on observe sur-tout dans les vins de Frontignan, d'Espagne, & d'Hongrie ; ce principe huileux est d'autant plus abondant, que les vins sont d'une couleur plus foncée.

Les vins rouges reçoivent leur couleur des enveloppes des grains de raisins, dont l'acide du moût extrait & exalte la partie colorante. Ils doivent leurs qualités astringentes à ces enveloppes, & aux pepins du raisin sur lesquels ils séjournent longtems.

Les vins rouges distillés, & évaporés jusqu'à consistance d'extrait, acquierent une couleur très-chargée, & une saveur très-astringente, qu'ils peuvent communiquer à une grande quantité d'eau. Quand on verse une suffisante quantité d'huile de tartre par défaillance sur un vin rouge, ou sur son extrait obtenu par l'évaporation ; le mêlange se trouble, prend une couleur brune, & dépose un sédiment. Ce qui prouve, que la beauté de sa couleur rouge dépendoit en grande partie de l'acide, qui l'exaltoit. De plus, quand on mêle de l'huile de tartre par défaillance avec la partie acide du vin du Rhin qui reste après la distillation & l'évaporation, il se fait une effervescence violente & écumeuse, occasionnée parce que cet extrait renferme beaucoup de soufre & de principe visqueux, que les parties aériennes qui y sont contenues élevent en bulles pour se dégager.

L'air qu'on voit s'échapper en forme de bulles du vin que l'on transvase, est contenu en grande quantité dans les vins qui ont fermenté librement ; ils donnent à ceux-ci plus de finesse, plus de légéreté, & il les rend plus salubres que ceux dont on a arrêté à dessein la fermentation, en bouchant exactement les vaisseaux qui les renfermoient, quoiqu'ils ne fussent qu'à demi-pleins. Il est aisé d'imaginer, après ce que nous avons dit au commencement de cet article, que la fermentation n'est arrêtée alors, que parce que l'air renfermé dans les vaisseaux à demi-pleins, perd trop de son élasticité par les vapeurs de la liqueur qui fermente, pour pouvoir en favoriser long-tems la fermentation. Ce qui est encore plus clair, si l'on fait attention à un fait rapporté par Hoffman, dissert. de nat. vini rhen. n °. 28. que le soufre & l'esprit-de-vin ne peuvent s'enflammer dans un air qui séjourne dans un tonneau, où il est corrompu & chargé des exhalaisons d'un vin éventé.

On ne s'attend pas que nous rapportions tous les usages pharmaceutiques du vin & de l'esprit-de-vin ; on peut trouver une longue liste de ces usages dans la table des médicamens simples, qui est à la tête de la pharmacopée de Paris : nous nous arrêterons seulement aux usages diététiques de ces liqueurs.

On peut consulter sur ceux de l'esprit-de-vin, l'article LIQUEURS SPIRITUEUSES, en observant toutefois que dans ces liqueurs, sans compter la correction du sucre, il est à peine par sa dilatation en état d'eau-de-vie ; le kyrsch wasser cependant est presque un esprit-de-vin pur. Les liqueurs qu'on appelle taffia, rum, rach, &c. sont des esprits-de-vin ; tous les esprits ardens sont les mêmes lorsqu'ils sont bien dépurés, soit qu'on les retire du vin, du sarment, du sucre, &c. ainsi esprit-de-vin est synonyme à esprit ardent.

M. Halles explique la nature pernicieuse des liqueurs fortes distillées, parce qu'il a observé que la viande crue se durcit dans ces liqueurs ; effet, qu'il attribue à des sels caustiques & mal-faisans qui ont une polarité particuliere ; ne seroit-ce point, pour le dire en passant, à ces parties salines de l'esprit-de-vin, qu'il faudroit attribuer l'augmentation de chaleur indiquée par le thermometre, qui résulte du mêlange de l'eau avec l'esprit-de-vin, suivant les observations de Boerhaave & de Schwenck ?

VIN, (Diete & Matiere médicale) Hoffman a donné à la fin de sa dissertation de praest. vini rhen. in med. des détails très-instructifs sur l'utilité du vin dans plusieurs maladies. Il a enseigné même en plus d'un endroit à varier l'espece du vin que l'on prescrit, suivant la nature des maladies qu'on a à traiter.

On sait que le vin étoit la panacée d'Asclépiade, & que cet enthousiaste aussi célebre qu'ignorant, ordonnoit également l'usage du vin aux phrénétiques pour les endormir, & aux léthargiques pour les réveiller ; quelque mépris que mérite Asclépiade, on ne peut qu'approuver un précepte que Galien nous a conservé de ce médecin, T. V. éd. gr. Bas. pag. 323. c'est de donner du vin pour dissiper les roideurs qui se font sentir après les grandes évacuations. C'étoit dans la même vue qu'Hippocrate conseilloit de boire du vin pur de tems-en-tems, & même avec quelque excès, pour se remettre d'une grande fatigue.

Dioscoride & Avicenne après Hippocrate, ont dit, qu'il étoit utile pour la santé de boire quelquefois jusqu'à s'enivrer ; il est assez naturel de penser, que pour affermir sa constitution, on pourroit se permettre, quoique rarement, des excès autant dans le boire que dans le manger, si l'on ne considéroit ces déréglemens que d'un coup d'oeil philosophique ; la secte rigide des Stoïciens regardoit l'ivresse comme nécessaire pour remédier à l'abattement & aux chagrins, qui sont des maladies de l'ame.

L'usage du vin & des liqueurs spiritueuses est beaucoup plus salutaire dans les climats chauds, que dans les pays froids. On a fort bien remarqué à l'article CLIMAT, que les paysans des provinces méridionales, qui sont occupés des travaux les plus pénibles, ne trempent point leurs vins en été, mais seulement en hiver ; ce qui est contraire à la théorie reçue, qui prétend que les pertes que le sang fait, doivent être réparées par une boisson aqueuse. Il me semble qu'une théorie mieux fondée démontreroit que c'est à la chaleur du climat & de la saison qu'est dûe la disposition que les corps & le sang sur-tout ont par leur mixtion même à se putréfier ; que la boisson abondante de l'eau ne peut être alors que très-dangereuse, entant qu'elle favorise la fermentation putride ; mais que cette fermentation est puissamment prévenue par l'acide du vin.

Divers auteurs anciens avoient écrit des traités entiers sur l'article de préparer & d'améliorer les vins. Pour ne pas rendre cet article trop long, nous n'avons rien dit des moyens qu'ils employoient ; mais on pourra s'en instruire en lisant Columelle, Pline, & les Géoponiques ; on y trouvera des pratiques singulieres, propres à fournir des vues utiles, & même à confirmer la théorie de la fermentation vineuse.

VIN, (Hist. des boissons spiritueuses) suc tiré du raisin après la fermentation. La qualité propre du vin, quand on en use modérément, est de réparer les esprits animaux, de fortifier l'estomac, de purifier le sang, de favoriser la transpiration, & d'aider à toutes les fonctions du corps & de l'esprit ; ces effets salutaires se font plus ou moins sentir, selon le caractere propre de chaque vin. La consistance, la couleur, l'odeur, le goût, l'âge, la séve, le pays, l'année, apportent ici des différences notables.

Des qualités des vins en consistance, couleur, odeur, saveur, âge, séve. 1°. Quant à la consistance, le vin est ou gros ou délicat, ou entre les deux ; le gros vin contient peu de phlegme, & beaucoup de soufre grossier, de terre & de sel fixe ; ensorte que les principes qui le composent, sont portés avec moins de facilité au cerveau, & s'en dégagent avec plus de peine, quand ils y sont parvenus. Cette sorte de vins convient à ceux qui suent facilement, ou qui font un grand exercice ; à ceux que le jeûne épuise, & qui ont peine à supporter l'abstinence.

Le vin délicat renferme beaucoup de phlegme, peu de soufre, & quelques sels volatils ; ce qui le rend moins nourrissant, mais plus capable de délayer les sucs, de se distribuer aux différentes parties du corps, & d'exciter les évacuations nécessaires ; c'est pourquoi il est propre aux convalescens, & à ceux dont les visceres sont embarrassés par des obstructions ; pourvu toutefois que ce vin n'ait point trop de pointe, comme il arrive à quelques-uns.

Le vin qui tient le milieu entre le gros & le délicat, n'est ni trop nourrissant, ni trop diurétique, & il convient à un très-grand nombre de personnes.

2°. Quant à la couleur, le vin est ou blanc ou rouge, & le rouge est ou paillet ou couvert.

Les vins blancs contiennent un tartre plus fin ; les rouges en ont un plus grossier ; les premiers sont plus actifs ; les seconds le sont moins, & nourrissent davantage : en un mot, les vins blancs picotent plus que les autres ; ce qui est cause qu'ils poussent par les urines ; mais ils peuvent à la longue incommoder l'estomac & les intestins, en les dépouillant trop de leur enduit.

Il y a des vins rouges qui tirent sur le noir ; ceux-là renferment plus de tartre que d'esprit ; ils sont astringens & plus capables de resserrer que d'ouvrir ; le vin paillet ou clairet, tient beaucoup du vin blanc ; mais il est moins fumeux & plus stomacal.

3°. A l'égard de l'odeur, les vins qui en ont une agréable, qui est ce qu'on appelle sentir la framboise, sont plus spiritueux que les autres ; ils réparent plus promtement les forces, & contribuent plus efficacement à la digestion : aussi conviennent-ils mieux aux vieillards. Il y a des vins qui ont une odeur de fût ; d'autres qui sentent le poussé ; d'autres le bas, tous vins mal-faisans.

4°. Pour ce qui est de la saveur, les uns sont doux, les autres austeres ; les autres participent de l'un & de l'autre : il y en a enfin qui sont acides ; d'autres qui sont âcres.

Les vins doux sont tels, parce que dans le tems qu'ils ont fermenté, leurs parties sulfureuses ont été moins subtilisées par l'action des sels ; en sorte que ces soufres grossiers embarrassant les pointes de ces mêmes sels, les empêchent de piquer fortement la langue ; c'est pourquoi les vins doux causent moins d'irritation, & conviennent par conséquent à ceux qui sont sujets à tousser, ou qui ont des chaleurs de reins. Ils nourrissent beaucoup ; ils humectent, & ils lâchent ; mais il en faut boire peu ; sans quoi ils font des obstructions par leurs parties grossieres ; le vin bouru sur-tout, est de cette nature. Ces sortes de vins au reste n'enivrent guere ; ce qui vient de ce que les esprits en sont trop concentrés ; mais il y en a qui avec cette douceur, autrement appellée liqueur du vin, ont beaucoup de piquant ; & ceux-là sont plus apéritifs, parce que leurs soufres ont été plus coupés, & plus divisés par les pointes des sels.

Les vins rudes & austeres ont des sels grossiers, plus capables d'embarrasser les parties où ils sont portés, que de les pénétrer ; ce qui est cause qu'ils sont fort astringens, & qu'ils resserrent l'estomac & les intestins. Ces vins nourrissent peu, & n'attaquent guere la tête ; mais comme ils sont extrêmement stiptiques, il y a peu de constitutions auxquelles ils conviennent.

Les vins qui tiennent le milieu entre le doux & l'austere, sont les plus agréables, & en même tems les plus sains ; ils fortifient l'estomac & se distribuent aisément.

Il y a des vins qui n'ont que du piquant, & dont ce piquant tire sur l'amertume ; ceux-là sont à craindre aux bilieux, & à tous les tempéramens secs.

5°. Par rapport à l'âge, le vin est vieux ou nouveau, ou de moyen âge. Le nouveau parmi nous, est celui qui n'a pas encore passé deux ou trois mois ; le vieux, celui qui a passé un an ; & le vin de moyen âge, celui qui ayant passé le quatrieme mois, n'a pas encore atteint la fin de l'année.

Le vin nouveau est de deux sortes, ou tout nouvellement fait, ou fait depuis un mois ou deux. Le premier étant encore verd, & se digérant à peine, produit des diarrhées & quelquefois des vomissemens, & peut donner lieu à la génération de la pierre ; le second a les qualités du premier dans un moindre degré.

Les vins de moyen âge, c'est-à-dire, qui ayant plus de quatre mois, n'ont pas encore un an, sont bons, parce que leurs principes ont eu assez de tems pour se mêler intimement les uns avec les autres, & n'en ont pas eu assez pour se désunir ; c'est en cela que consiste leur point de maturité.

Le vin vieux qui avance dans la deuxieme année, commence à dégénérer : plus il vieillit alors, & plus généralement il perd de sa bonté. Celui d'un an, autrement dit d'une feuille, est encore dans sa vigueur ; mais les vins de quatre & cinq feuilles, que quelques personnes vantent tant, sont des vins usés, dont les uns sont insipides, les autres amers, ou aigres ; ce qui dépend de la qualité qu'ils avoient auparavant : car les vins forts deviennent amers en vieillissant, & les foibles s'aigrissent.

Chez les anciens, un vin passoit pour nouveau les cinq premieres années ; il étoit de moyen âge les cinq autres, & on ne le regardoit comme vieux que lorsqu'il avoit dix ans ; encore s'en buvoit-il qui ne commençoit à être de moyen âge qu'à quinze ans. Quelques auteurs font même mention de vins qui avoient cent & deux cent feuilles. Mais il faut remarquer que les anciens pour conserver leurs vins si long-tems, les faisoient épaissir jusqu'à consistance de miel, quelquefois même jusqu'à leur laisser prendre une telle dureté, en les exposant à la fumée dans des outres ou peaux de boucs, qu'on étoit obligé pour se servir de ces vins, de les raper avec un couteau. Souvent aussi par une certaine façon qu'on leur donnoit pour les empêcher de se gâter, quand ils étoient encore assez clairs, on les laissoit s'épaissir d'eux-mêmes avec le tems. Tous ces vins épais contractoient dans la fuite une amertume insupportable ; mais comme en s'épaississant ils se réduisoient à une fort petite quantité, & qu'en même tems ils étoient si forts, qu'on s'en servoit pour donner goût aux autres ; ils se vendoient extrêmement cher. Leur amertume & leur épaisseur étoient cause qu'il falloit employer beaucoup d'eau, tant pour les délayer que pour rendre leur goût supportable.

Il est facile de juger qu'une once de ces vins délayée dans une pinte d'eau y conservoit encore de sa vertu ; aussi y en avoit-il dans lesquels il falloit mettre vingt parties d'eau sur une de vin.

6°. Quant à la seve qui est ce qui fait la force du vin, on distingue le vin en vineux & en aqueux. Le premier est celui qui porte bien de l'eau, & le second celui qu'un peu d'eau affoiblit. Le vin vineux nourrit davantage ; l'aqueux nourrit moins. Le premier est sujet à troubler la tête ; le second est plus ami du cerveau, & convient mieux aux gens de lettres.

A l'égard du pays, nous avons les vins de Grece, d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne & de France.

Des vins de Grece, d'Italie, d'Espagne, d'Allemagne & de France. Les vins de Crete & de Chypre sont les deux vins de Grece le plus généralement estimés.

Le meilleur vin d'Italie est celui qui croît au pié du mont Vésuve, & qui est vulgairement appellé lacrima Christi. Il est d'un rouge vif, d'une odeur agréable, d'une saveur un peu douce, & il passe aisément par les urines.

Un des plus renommés après celui-là, est le vin d'Albano : il y en a de rouge & de blanc. Ils conviennent l'un & l'autre aux sains & aux infirmes ; ils facilitent la respiration, & excitent les urines.

Le vin de Monte-Fiascone ne cede point à celui d'Albano pour l'excellence du goût.

Le vin de Vicence, capitale d'un petit pays appellé le Vicentin dans l'état de Venise, est un vin innocent dont les goutteux boivent sans en ressentir aucune incommodité.

Les vins de Rhétie, qui croissent dans la vallée Télivienne, sont riches & délicieux ; ils sont rouges comme du sang, doux, & laissent un goût quelque peu austere sur la langue.

Les vins qu'on nous envoie d'Espagne, sont nonseulement différens des autres par la qualité qu'ils tiennent du climat, mais encore par la maniere dont on les fait ; car on met bouillir sur un peu de feu le suc des raisins dès qu'il a été tiré, puis on le verse dans des tonneaux, où on le laisse fermenter ; mais comme il a été dépouillé par le feu d'une partie considérable de son phlegme, ce qui a empêché les sels de se développer assez par la fermentation pour pouvoir diviser exactement les parties sulfureuses, il arrive que les soufres n'en sont qu'à demi raréfiés, & qu'embarrassant les pointes des sels, ils ne leur laissent que la liberté de chatouiller doucement la langue : ce qui est cause que ces sortes de vins ont une consistance de syrop & un goût fort doux ; mais l'usage fréquent en est dangereux. Ces vins ne se doivent boire qu'en passant & en fort petite quantité, seulement pour remédier à certaines indispositions d'estomac, que l'usage commun des vins ordinaires est quelquefois incapable de corriger.

On compte entre les excellens vins d'Espagne, le vin de Canarie, qui croît aux environs de Palma. Le vin de Malvoisie est fait avec de gros raisins ronds, & se conserve si long-tems, qu'on peut le transporter dans toutes les parties du monde. Le vin de Malaga est beaucoup plus gras que celui de Canarie. Le vin d'Alicante, dans le royaume de Valence, est rouge, épais, agréable au goût, & fortifie l'estomac. Celui auquel on donne communément le nom de tinto, ou de vin couvert, ne differe en rien du précédent.

L'Allemagne n'est pas également fertile en bons vins, il n'y a que la partie méridionale ; & l'on voit même en consultant la carte, que toutes les régions situées à plus de 51 degrés d'élévation du pole, sont stériles en bons vins, parce que dans les pays voisins du septentrion, l'air est moins subtil, la terre moins remplie de soufre, & le soleil trop foible.

Entre les vins d'Allemagne, ceux du Rhin & de la Moselle tiennent le premier rang. Ils renferment un soufre très-fin, & un acide très-délié, beaucoup d'esprit éthéré, une suffisante quantité de phlegme, & très-peu de terre : ce qui les rend sains & diurétiques.

On dira peut-être qu'ils contiennent beaucoup d'acide tartareux, comme on le reconnoît par la distillation, & que par conséquent ils doivent être ennemis des nerfs ; mais il faut remarquer que l'acide du vin du Rhin n'est point un acide grossier, un acide fixe & corrosif, mais un acide de toute une autre nature par le mêlange d'un soufre subtil qui le corrige ; car il n'y a rien qui adoucisse & qui modifie plus les acides que le soufre. D'ailleurs, s'il y a de l'acide dans le vin du Rhin, cet acide même en fait le mérite ; car il sert à en briser les soufres, qui sans cela se porteroient avec trop de violence dans le sang, & pourroient troubler les fonctions. Les vins de Hongrie contiennent au lieu d'acide tartareux, des parties extrêmement subtiles & spiritueuses, qui sont propres à rétablir les forces, & à détruire les humeurs crues du corps : ce sont des vins singulierement estimés.

Les principaux vins de France sont ceux d'Orléans, de Bourgogne, de Gascogne, de Languedoc, de Provence, d'Anjou, de Poitou, de Champagne, &c.

Les vins d'Orléans sont vineux & agréables ; ils n'ont ni trop ni trop peu de corps ; ils fortifient l'estomac ; mais ils portent à la tête, & ils enivrent aisément. Pour les boire bons, il faut qu'ils soient dans leur seconde année.

Les vins de Bourgogne sont la plûpart un peu gros, mais excellens. Ils ont pendant les premiers mois quelque chose de rude, que le tems corrige bientôt. Ils sont nourrissans ; ils fortifient l'estomac, & portent peu à la tête.

Les vins de Gascogne sont gros & couverts, peu astringens néanmoins. Ils ont du feu sans porter à la tête, comme les vins d'Orléans. Ceux de Grave qui croissent auprès de Bordeaux, & qu'on nomme ainsi à cause du gravier de leur terroir, sont fort estimés, quoiqu'ils aient un goût un peu dur. Le vin rouge de Bordeaux est austere ; il fortifie le ton de l'estomac ; il ne trouble ni la tête ni les opérations de l'esprit ; il soufre les trajets de mer, & se bonifie par le transport ; c'est peut-être le vin de l'Europe le plus salutaire.

Les vins d'Anjou sont blancs, doux & fort vineux. Ils se gardent assez long-tems, & sont meilleurs un peu vieux.

Les vins de Champagne sont très-délicats : ce qui est cause qu'ils ne portent presque point d'eau, & nourrissent peu. Ils exhalent une odeur subtile qui réjouit le cerveau. Leur goût tient le milieu entre le doux & l'austere. Ils montent aisément à la tête, & passent facilement par les urines. Ceux de la côte d'Aï sont les plus excellens.

Les vins de Poitou ont de la réputation par le rapport qu'ils ont avec les vins du Rhin ; mais ils sont plus cruds.

Les vins de Paris sont blancs, rouges, gris, paillets, foibles & portant peu l'eau.

Les vins de Roanne flattent le goût ; ils croissent sur des côteaux, dont la plûpart regardent ou l'orient ou le midi : ce qui ne peut que les rendre excellens.

Les vins de Lyon qui croissent le long du Rhône, connus sous le noms de vins de rivage, sont vigoureux & exquis. Ceux de Condrieux sur-tout sont loués pour leur bonté.

Les vins de Frontignan, de la Cioutat, de Canteperdrix, de Rivesalte, sont comparables aux vins de Saint-Laurent & de Canarie. Ils ne conviennent point pour l'usage ordinaire, & ils ne sont bons que lorsqu'il s'agit de fortifier un estomac trop froid, ou de dissiper quelque colique causée par des matieres crues & indigestes. On en use aussi par régal, comme on use des vins d'Espagne.

Ces vins contiennent une grande quantité de sels, beaucoup de soufre & peu de phlegme : ce qui vient de la façon qu'on donne au raisin dont on les fait. On en tord la grappe avant de la cueillir, & on la laisse ainsi quelque tems se cuire à l'ardeur du soleil, qui enleve une bonne partie de l'humidité ; ensorte que leur suc trop dépouillé de son phlegme ne peut ensuite fermenter entierement ; d'où il arrive qu'il retient une douceur & une épaisseur à-peu-près semblable à celle des vins d'Espagne.

Pour ce qui est de l'année, il faut y avoir beaucoup d'égard, si l'on veut juger sainement de la qualité d'un vin. Celui de Beaune, par exemple, demande une saison tempérée, & celui de Champagne veut une saison bien chaude. Le premier est sujet à s'engraisser quand les chaleurs ont été grandes, & le second demeure verd après un été médiocre ; il en est de même des autres vins ; mais le détail en seroit inutile.

Des principes des vins. Les vins different les uns des autres par rapport au goût, à l'odeur & aux autres vertus, selon la proportion & le mêlange des élemens qui les constituent. Ceux qui contiennent une grande quantité d'esprit inflammable, enivrent & échauffent ; mais ceux en qui les parties phlegmatiques ou tartareuses aigrelettes dominent, sont laxatifs & diurétiques, & n'affectent pas aisément la tête. Les vins qui contiennent une grande quantité de substance oléagineuse & sulfureuse, comme sont tous les vins vieux, sont d'un jaune extrêmement foncé, d'un goût & d'une odeur forte ; & comme ils ne transpirent pas aisément, ils restent long-tems dans le corps, & le dessechent.

On trouve encore dans les vins qui n'ont pas suffisamment fermenté, sur-tout dans ceux de Frontignan, de Canarie & de Hongrie, un autre élément ou principe essentiel, savoir une substance douce, oléagineuse, tempérée & visqueuse, qui les rend non-seulement agréables au goût, mais encore nutritifs & adoucissans.

Il y a des vins qui contiennent un soufre doux & subtil, au lieu que les autres n'ont qu'un soufre grossier moins agréable au goût. Les vins de Hongrie, par exemple, & du Rhin contiennent un esprit beaucoup plus agréable, & un soufre plus doux & plus subtil que ceux de France ; de-là vient que l'odeur seule du vin du Rhin, lorsqu'il est vieux & de bonne qualité, ranime les esprits.

Le principe tartareux varie aussi, selon les vins : les uns, comme ceux de Provence, contiennent une grande quantité de tartre grossier, & les autres, comme celui du Rhin, un tartre plus délié ; quelques-uns, comme ceux de Marseille, contiennent un tartre nitreux légérement amer : ce qui les rend laxatifs & diurétiques.

La couleur des vins dépend du principe oléagineux & sulfureux qui se résout & se mêle intimément avec leurs parties, à l'aide du mouvement fermentatif intestin ; d'où il suit qu'elle doit être d'autant plus foncée, que le vin contient une plus grande quantité d'huile.

Tous les vins rouges en général ont un goût & une vertu astringente, non-seulement à cause qu'on les laisse long-tems infuser avec les pellicules rouges du raisin, mais encore avec leurs pepins, dont le goût est manifestement astringent ; aussi extraient-ils le principe astringent de ces deux substances pour se l'approprier.

Du climat, soleil & autres causes qui contribuent à la bonté des vins. Les pays situés entre le 40 & le 50 degré de latitude, comme la Hongrie, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la France, une grande partie de l'Allemagne, l'Autriche, la Transylvanie, & une grande partie de la Grece, produisent les meilleurs vins, parce que ces régions sont beaucoup plus exposées au soleil que les autres.

L'expérience prouve encore que les vins qui croissent sur des montagnes situées sur les bords des rivieres, sont les meilleurs ; car la bonté des vins ne dépend pas seulement de l'influence du soleil, mais aussi de la nourriture que les raisins reçoivent. Or comme les montagnes sont exposées à la rosée, qui est beaucoup plus abondante aux environs des rivieres que par-tout ailleurs, & que celle-ci renferme une eau subtile & un principe éthéré, il n'est pas étonnant qu'elle fournisse une nourriture convenable pour les vignes. Les vignes ont encore besoin de pluie ; car les rosées ne suffisent pas pour les nourrir.

La nature du terroir contribue beaucoup à la bonté du vin ; l'on observe que les meilleurs ne croissent point dans les terres grasses, argilleuses, grossieres & noirâtres, mais dans celles qui abondent en pierres, en sable, en craie ; car ces dernieres, quoique stériles en apparence, conservent long-tems la chaleur du soleil, qui échauffe les racines des vignes, & donne moyen à la nourriture de se distribuer dans toutes les parties de la plante.

Ajoutez à cela que les eaux qui circulent dans ces sortes de terreins, s'atténuent, se filtrent, & se débarrassent de leurs parties les plus grossieres, au moyen de quoi le suc nourricier de la plante devient plus pur.

On ne doit donc pas douter que la nature du soleil ne contribue infiniment à varier les goûts du vin, & à lui donner une qualité bonne ou malfaisante, puisque des cantons situés sur la même montagne, également exposés au soleil, & qui portent des vignes de même espece, produisent des vins tout-à-fait différens par rapport à la salubrité, au goût & à la qualité. La salubrité des vins de Tokai & de Hongrie dépend de la subtilité de la nourriture que les vignes reçoivent, aussi bien que le principe aérien & éthéré qui se mêle avec leur suc.

Des effets du vin pris immodérément & modérément. Tout vin est composé de sel, de soufre, d'esprit inflammable, d'eau, de terre, & ce n'est qu'aux diverses proportions & aux divers mêlanges de ces principes qu'il faut attribuer les différentes qualités des vins. Ceux de ces principes qui dominent le plus dans tous les vins, sont le sel & l'esprit ; l'esprit qui est le principe le plus actif, fait la principale vertu des vins : c'est ce qui les rend capables de donner de la vigueur, d'aider à la digestion, de réjouir le cerveau, de ranimer les sucs ; mais comme le propre de cet esprit est de se raréfier dans les différentes parties où il se porte, & d'y faire raréfier les liqueurs qu'il y trouve, il arrive que lorsqu'il est en trop grande abondance, il dilate les parties outre mesure : ce qui fait qu'elles n'agissent plus avec la même aisance qu'auparavant ; ensorte que l'équilibre qui regne entre les solides & les fluides, doit se déranger ; c'est ce qu'on voit arriver à ceux qui boivent trop de vin ; leur tête appesantie, leurs yeux troubles, leurs jambes chancelantes, leurs délires ne prouvent que trop ce désordre ; mais sans boire du vin jusqu'à s'exposer à ces accidens, il arrive toujours lorsqu'on en boit beaucoup, que les membranes & les conduits du cerveau plus tendus qu'ils ne doivent être, tombent enfin par cet effort réitéré dans un relâchement qui ne leur permet plus de reprendre d'eux-mêmes leur premiere action : ce qui doit nécessairement interrompre les secrétions, & porter beaucoup de dommage au corps & à l'esprit. Mais le vin pris avec modération est une boisson très-convenable à l'homme fait. Il aide à la digestion des alimens, répare la dissipation des esprits, résout les humeurs pituitaires, ouvre les passages des urines, corrige la bile, augmente la transpiration & la chaleur naturelle trop languissante.

Le grand froid gele les vins. Tout le monde sait qu'il n'y a point de vin qui ne gele par l'âpreté du froid. Sans parler de l'année 1709, dont quelques personnes peuvent encore se souvenir, l'histoire des tems antérieurs nous en fournit bien d'autres exemples.

En 1543 Charles V. voulant reprendre Luxembourg que François I. lui avoit enlevé, le fit assiéger dans le fort de l'hiver, qui étoit, dit Martin du Bellay, l. X. fol. 478. le plus extrême qu'il fût, vingt ans au précédent. Le roi ne voulant en façon quelconque perdre rien de sa conquête, dépêcha le prince de Melphes pour aller lever le siege. Les gelées, ajoute-t-il, furent si fortes tout le voyage, qu'on départoit le vin de munition à coups de coignée, & se débitoit au poids, puis les soldats le portoient dans des paniers.

Philippe de Comines, l. II. c. xiv. parlant d'un pareil froid arrivé de son tems, en 1469, dans le pays de Liege, dit expressément, que par trois jours fut départi le vin, qu'on donnoit chez le duc pour les gens de bien qui en demandoient, à coups de coignée, car il étoit gelé dedans les pipes, & falloit rompre le glaçon qui étoit entier, & en faire des pieces que les gens mettoient en un chapeau ou en un panier, ainsi qu'ils vouloient.

Ovide parle d'un semblable événement de son tems : voici ses termes.

Nudaque consistunt formam servantia testae

Vina, nec hausta meri, sed data frusta bibunt.

Trist. l. III. éleg. x. vers. 23.

Le vin glacé retient la forme du tonneau, & ne se boit pas liquide, mais distribué en morceaux.

On ne savoit pas alors qu'un jour la Chymie tenteroit de perfectionner les vins, par le moyen de la gelée ; c'est une expérience très-curieuse, imaginée par Stahl, & sur laquelle Voyez VIN, Chymie. (D.J.)

VIN, (Chymie) Méthode pour faire des vins artificiels. La chymie enseigne l'art de changer en vin le suc naturel des végétaux.

Prenez une centaine de grappes de raisins de Malaga non écrasé, avec environ 28 pintes d'eau de source froide ; mettez le tout dans un vaisseau de bois, ou dans un tonneau à moitié couvert, placé dans un lieu chaud, afin que ce qu'il contient puisse y fermenter pendant quelques semaines. Après quoi vous trouverez que l'eau qui aura pénétré à travers la peau des raisins, aura dissout leur substance intérieure, douce & sucrée, & s'en sera chargée comme un menstrue ; vous verrez aussi un mouvement intérieur dans les parties de la liqueur, qui se manifestera par un nombre infini de petites bulles, qui s'éléveront à la surface avec un sifflement considérable. Quand la fermentation sera finie, cette liqueur deviendra du vin effectif, dont on pourra juger aisément par son goût, son odeur & ses effets. Elle déposera au fond du tonneau une grande quantité de sédiment grossier & terrestre, connu sous le nom de lie, différent de l'enveloppe ou de la peau, & des sables qui se trouvent autour des raisins.

Cette expérience est universelle, & indique la méthode générale pour faire, par la fermentation, des vins de toute espece, & toutes les autres liqueurs ou boissons spiritueuses.

En effet, avec un léger changement dans les circonstances, on peut l'appliquer à la brasserie de la biere faite avec le malt ; à l'hydromel fait avec le miel ; au cidre & au poiré qu'on fait avec des pommes & des poires.

On fait aussi de la même maniere des vins qu'on appelle artificiels, avec des cerises, des groseilles, des raisins de Corinthe, des baies de sureau, des mûres sauvages, des oranges, & plusieurs autres fruits ; des sucs de certains arbres, comme le bouleau, l'érable, le sycomore, &c. & de meilleur encore, du jus de canne de sucre, de son syrop, ou du sucre même avec de l'eau. Tous les sucs de ces végétaux, après avoir bien fermenté, fournissent conformément à leurs différentes natures, du vin aussi pur que les grappes les plus abondantes des meilleurs vignobles.

Pour former de ces différens sucs un vin parfait, la regle est de les faire évaporer, s'ils sont naturellement trop clairs & trop légers, jusqu'à ce qu'ils deviennent semblables au suc des raisins ; on peut faire cette expérience très-aisément, par le moyen du pese-liqueur ordinaire. Cet instrument montre évidemment la force de la dissolution ; car en général, tout suc ou dissolution végétale est regardée comme suffisamment chargée pour faire un vin très-fort, quand elle soutient un oeuf frais à sa surface.

La chymie nous enseigne à imiter les marchands de vin, en ôtant au suc du raisin presque toute sa douceur, ou son acidité, pour rendre les vins d'une meilleure qualité ; ceux même de Canarie, des montagnes d'Andalousie ou d'Oporto : on falsifie souvent ces vins dans le transport, quoique la base de tous soit le suc du raisin.

Ce suc examiné & considéré chymiquement, n'est cependant autre chose qu'une grande quantité de suc réel, dissous dans l'eau avec un certain montant propre au suc du raisin, conformément à la nature du vin. Cette observation nous sert à établir comme un axiome, & le résultat d'un examen exact & suivi, qu'une substance sucrée est la base de tous les vins ; car le sucre n'est pas particulier à la canne de sucre, puisqu'on en retire aussi du raisin : on en trouve même souvent des grains assez gros dans les raisins secs, particulierement dans ceux de Malaga lorsqu'ils ont été quelque tems enfermés, & pressés les uns contre les autres ; on y trouve aussi du sucre candi, une efflorescence sucrée, & des grains de sucre effectifs.

On fait en France une confiture connue sous le nom de résiné, en évaporant simplement le suc du raisin, jusqu'à ce qu'il soit capable de se coaguler par le froid ; & lorsqu'il est dans cet état, on en use comme d'un sucre mollasse. Il en est de même du malt, ou moût de biere qu'on peut employer de la même façon, ainsi que les sucs doux de tous les végétaux, qui fournissent du vin par la fermentation.

Nous pouvons tirer de ces expériences, des regles pour obtenir la matiere essentielle des vins sous une forme concrete, soit en la faisant bouillir, soit par quelqu'autre moyen, de maniere qu'on la conserve sans qu'elle s'aigrisse, pendant plusieurs années. De cette façon on pourroit faire des vins, des vinaigres & des eaux-de-vie de toute espece, même dans les pays où l'on ne cultive point de vignes. Cette découverte nous éclaire aussi sur la nature réelle & les usages de la fermentation spiritueuse & acide.

Pour confirmer encore davantage cette découverte, prenez 250 livres de sucre royal ; mettez-les dans une cuve tenant deux muids ; remplissez-la d'eau de source, jusqu'à 16 pintes ou environ du bord ; mettez-la ensuite dans un lieu chaud, ou dans un cellier ; ajoutez-y 3 ou 4 livres de levure de biere fraîche, faite sans houblon, ou plutôt d'écume de vin nouveau : la liqueur en peu de mois fermentera, & produira de fort bon vin sans couleur & sans odeur ; mais susceptible de prendre l'une ou l'autre, telle qu'on voudra la lui donner. Par exemple, avec la teinture de tournesol on en fera du vin rouge, & avec un peu d'huile essentielle on lui donnera l'odeur qu'on jugera à-propos. Cette expérience a été tentée avec succès, & peut servir de méthode pour faire des vins dans les colonies de l'Amérique, & partout ailleurs où il croît beaucoup de sucre. Ces vins pourroient le disputer en bonté aux vins de France, d'Italie & d'Espagne, si la nature de la fermentation étoit parfaitement connue ; on pourroit même abréger ce procédé avec le tems, & l'on en retireroit encore d'autres avantages.

L'usage de cette expérience peut devenir utile au commerce, & aux besoins ordinaires de la vie. Elle nous apprend d'abord que la substance qui fermente dans chaque matiere susceptible de fermentation, est très-peu de chose en comparaison de la quantité de vin qu'elle fournit. Nous voyons, par exemple, que quatre livres de raisins peuvent être délayées dans huit pintes d'eau, y fermenter, & faire encore un vin assez fort. Cependant les raisins eux-mêmes contiennent une grande quantité d'eau, outre leur substance sucrée ; cette substance devient du sucre effectif, lorsqu'elle est réduite sous une forme seche. Si on veut connoître exactement la nature, les usages & les moyens de perfectionner la fermentation spiritueuse & acide, on ne sauroit mieux faire que de choisir le sucre pour la matiere de ses expériences. Son analyse démontre évidemment les principes essentiels à cette opération. Ces principes paroissent être un sel acide, une huile & de la terre, unis si intimement ensemble, qu'ils sont capables de se dissoudre parfaitement dans l'eau.

Recomposition du vin. Comme on peut recomposer le vinaigre avec son résidu, on peut pareillement faire la recomposition du vin après qu'il a perdu son esprit par la dissolution. On exécute l'une & l'autre recomposition par le moyen d'un nouveau bouillonnement, ou d'une légere fermentation. Si l'opération dans ces deux cas, est faite par un artiste habile, la recomposition doit être exacte. Pour la bien faire dans l'une ou l'autre de ces circonstances, il faut avoir soin d'employer une substance intermédiaire qui leur soit propre, c'est-à-dire que cette substance doit être susceptible de fermentation, ou même dans un état de fermentation actuelle. Par exemple, un peu du vin nouveau, du sucre, le jus des grappes de raisins, &c. parce que ces matieres venant à travailler dans la liqueur, saisissent ses parties aqueuses, spiritueuses & salines, de maniere à les mêler ensemble, selon l'ordre ou l'arrangement qui leur convient : c'est de ces circonstances que dépend la perfection des vins & vinaigres. On n'a pas encore examiné jusqu'ici avec assez de soin jusqu'où pouvoit s'étendre cette méthode de recomposition.

Procédé pour réduire les sucs des végétaux dans un état propre à fournir du vin. Passons à la méthode de réduire les sucs des végétaux dans un état propre à fournir du vin, du vinaigre, de l'eau-de-vie ; à faire du moût ou du vin doux, aussi bon que le naturel, capable de fermenter à volonté, de bouillir, & de se clarifier de maniere à pouvoir en faire du vin, du vinaigre & des esprits inflammables.

Prenez trois livres de sucre blanc en pain, bien épuré de son syrop ; faites-les fondre dans trois pintes d'eau pure ; ajoutez-y ensuite, lorsqu'elle bouillira, une demi-once de bon tartre de vin du Rhin pulvérisé : il s'y dissoudra bientôt avec une effervescence marquée, & communiquera à la liqueur une acidité agréable : ôtez pour lors de dessus le feu le vaisseau qui la contiendra, & laissez-la refroidir. Vous aurez par ce procédé un moût qui à tous égards sera parfaitement semblable au suc naturel & doux d'un raisin blanc qui n'auroit point d'odeur. Après que ce suc a été bien purifié & soutiré plusieurs fois de son sédiment ; si l'on falsifioit ce moût artificiel, c'est-à-dire qu'on le mutât, ou qu'on le fumât avec du sucre brûlant, il feroit un moût parfait auquel l'artiste pourroit donner l'odeur & le goût qu'il voudroit.

Cette expérience est si importante, qu'elle mériteroit presque un traité exprès pour expliquer les usages auxquels elle peut être propre. Elle fournit un grand nombre d'instructions pour perfectionner l'art de faire l'hydromel, le moût, le vin, le vinaigre & les esprits inflammables. Elle nous en donne aussi de très-utiles pour connoître la nature des sucs doux & aigres des végétaux, & la façon de les imiter par le moyen de l'art.

Cette expérience fut d'abord faite d'après l'analyse du suc du raisin avant qu'il eût fermenté. Ce suc ne paroît aux sens qu'une substance sucrée, dissoute dans l'eau avec l'addition d'un acide tartareux. Cette observation est pleinement confirmée par l'examen que la Chymie en a fait. Il étoit donc fort aisé de concevoir que si le tartre qui est le sel naturel du vin, ou de tout autre suc doux tiré des végétaux, après qu'ils ont subi la fermentation, pouvoit être dissout par le moyen de l'art dans un mêlange convenable d'eau & de sucre, ce composé auroit une parfaite ressemblance avec le vin ordinaire. Dans l'essai qu'on en fit, on trouva que le tartre pouvoit se dissoudre, de maniere à communiquer au sucre une acidité agréable, & à imiter dans un grand degré de perfection le suc doux & naturel des végétaux, sans avoir à la vérité leur odeur particuliere. L'expérience qu'on en a faite sert par conséquent à nous faire découvrir en quoi consiste la nature, l'usage & la perfection de l'art de faire des liqueurs douces.

Par une liqueur douce nous entendons un sel végétal quelconque, soit qu'on l'ait obtenu par le moyen du sucre ou du raisin, soit qu'on l'ait retiré de quelqu'un de nos fruits, ou de quelque fruit étranger. On ajoute ce suc aux vins à dessein de les rendre meilleurs. Nous voyons par cette définition que l'art de faire ces liqueurs pourroit acquérir un grand degré de perfection en faisant usage de sucre bien épuré, parce que c'est une substance douce extrêmement saine. Cette méthode seroit préférable à ces mêlanges sans nombre de miel, de raisin, de syrop, de cidre, &c. dont les distillateurs fournissent les marchands de vin pour augmenter ou perfectionner leurs vins. En effet, en mettant du sucre purifié dans du vin foible, il le fait fermenter de nouveau, le rend meilleur, & lui donne le degré convenable de forces & d'esprits ; si le vin qu'on veut perfectionner d'après cette méthode, est naturellement piquant, il ne faut point ajouter de tartre au sucre ; il n'est à propos de se servir de tartre que lorsque le vin est trop doux ou trop fade.

L'expérience présente n'est pas moins utile pour perfectionner l'art du moût. Nous desirerions donc que les commerçans fissent réflexion que par-tout où l'on transporte du sucre, l'on y porte en même tems du moût, du vin, du vinaigre & de l'eau-de-vie sous une forme solide ; c'est-à-dire la matiere qui constitue ces substances, puisqu'en ajoutant simplement de l'eau au sucre, on peut préparer promtement ces différentes liqueurs. En effet, il n'est nullement nécessaire que le sucre soit transporté & vendu sous une forme liquide pour en faire du moût, du vin, &c. parce qu'il est très-aisé d'y ajouter du tartre & de l'eau dans quelque port que ce soit que l'on débarque.

Notre expérience nous enseigne aussi un moyen de perfectionner l'art de faire du vin en réduisant la substance qui le compose à un très-petit volume pour en faire du moût, en y joignant de l'eau à mesure qu'on en auroit besoin dans quelque climat que ce pût être ; on pourroit ensuite teindre ce moût ou l'impregner de la couleur & de l'odeur qu'on jugeroit à propos ; après quoi on le feroit fermenter pour en faire du vin de toutes les especes possibles. C'est ainsi qu'on peut mêler quelques gouttes d'huile essentielle de muscade ou de canelle avec du sucre de la maniere dont on fait l'elaeo-saccharum ; si on jette ensuite ce mêlange sur notre moût artificiel, le vin acquerra une odeur & un goût très-agréable. On peut encore retirer une huile essentielle de la lie de quelque vin en particulier & l'introduire dans notre moût artificiel de la même maniere qu'on vient de le décrire, alors le vin prendra l'odeur & le montant du vin naturel que cette lie aura fourni, sans les mauvaises qualités qu'elle peut avoir contractées dans le tonneau : en effet, le moût artificiel n'a point de montant, ni de couleur qui lui soit propre, mais il les acquiert promtement, & l'on peut lui communiquer l'un ou l'autre à volonté par le moyen de l'art.

Cette expérience peut encore nous conduire plus loin, & devenir très-utile en nous donnant une méthode pour faire du vin concentré, très-fort, capable de donner du corps en peu de tems à des vins foibles ; ou pour faire promtement du vin dans un besoin pressant où l'on en manqueroit, en le mêlant simplement avec de l'eau.

De la clarification des vins. Il y a plusieurs moyens de clarifier les liqueurs vineuses qui ont subi la fermentation, afin de les rendre promtement limpides & propres aux différens usages de la vie.

Prenez une once de belle colle de poisson réduite en poudre grossiere ; faites-la dissoudre en la faisant bouillir dans une pinte d'eau ; lorsqu'elle sera dissoute, ôtez-la de dessus le feu ; laissez-la refroidir, & vous aurez une gelée épaisse : prenez pour lors un peu de cette gelée, fouettez-la avec des verges dans une petite portion du vin que vous avez dessein de clarifier, jusqu'à ce qu'elle soit toute en écume ; après quoi jettez cette mousse dans le tonneau, agitez-la pendant quelque tems afin qu'elle se mêle bien avec le vin ; ensuite bouchez bien le tonneau avec son bondon, & le laissez en repos. Par cette méthode le vin devient clair ordinairement en huit ou dix jours.

Ce procédé convient mieux aux vins blancs qu'aux vins rouges. Les marchands de vin emploient communément le blanc d'oeuf fouetté, & le mêlent ensuite avec leurs vins de la même maniere qu'on a indiqué pour la colle de poisson. Telles sont les deux méthodes ordinaires pour clarifier les vins.

La raison physique de cette clarification est que les substances qu'on emploie à cet usage sont visqueuses ou gélatineuses ; par ce moyen elles se mêlent aisément avec la lie & les ordures légeres qui flottent dans le vin ; elles forment aussi une masse spécifiquement plus pesante que le vin ; cette masse traverse tout le liquide, va à fond, & emporte avec elle, comme une espece de filet, toutes les parties hétérogenes qu'elle a rencontrées dans son chemin. Mais quand le vin est extrêmement fort, de façon que sa gravité spécifique se trouve plus considérable que la masse formée par le blanc d'oeuf, ou la colle de poisson jointe avec la lie, cette masse s'éleve à la surface & flotte sur le vin, ce qui produit le même effet.

Le principal inconvénient de cette méthode est sa lenteur ; car il lui faut une semaine au moins, pour avoir son effet, & quelquefois quinze jours, selon que le tems se trouve plus ou moins favorable, nébuleux, clair, venteux ou calme, ce qui pourroit être la matiere d'une observation suivie ; mais les marchands de vin auroient souvent besoin d'un procédé qui rendît leurs vins propres à être bûs en très-peu d'heures ; il y en a certainement un lequel n'est connu que d'un petit nombre de personnes qui en font un très-grand secret : peut-être ne dépend-il que de l'usage prudent d'un esprit-de-vin tartarisé joint aux substances ordinaires propres à la clarification. Ces substances n'y servent même que d'accessoire, & on leur ajoute du gypse ou de l'albâtre calciné, comme le principal agent : on remue bien le tout ensemble dans le vin pendant une demi-heure, après quoi on le laisse reposer.

On peut employer de même le lait écumé pour clarifier tous les vins blancs, les eaux-de-vie d'arack & les esprits-de-vin foibles ; mais on ne peut pas s'en servir pour les vins rouges, parce qu'il leur enleve leur couleur. Ainsi en mettant quelques pintes de lait bien écumé dans un muid de vin rouge, il précipitera aussi-tôt la plus grande partie de sa couleur, & la liqueur deviendra beaucoup plus pâle, ou même plus blanche. C'est par cette raison qu'on fait quelquefois usage de ce procédé pour convertir en vin blanc du vin rouge qui est trop piquant, parce que ce petit degré d'acidité ne s'y apperçoit pas tant. Cette propriété du lait sert encore pour les vins blancs, à qui le tonneau a communiqué une couleur brune, ou qu'on a fait bouillir promtement avant qu'ils eussent fermenté ; car dans ce cas, l'addition d'un peu de lait écumé, précipite aussi-tôt la couleur brune, & rend le vin presque limpide, ou lui donne ce que les marchands de vin appellent une blancheur d'eau. Cette limpidité est ce qu'on desire le plus dans les pays étrangers, tant dans les vins blancs que dans les eaux-de-vie.

Il est à propos d'observer ici que tous les vins, les liqueurs maltées, & les vinaigres qui ont été faits avec soin, & dont la qualité est parfaite dans leur espece, se clarifient d'eux-mêmes en les laissant simplement en repos : s'ils ne s'éclaircissent pas dans une espace de tems raisonnable, c'est une marque qu'ils se gâtent, c'est-à-dire qu'ils sont trop aqueux, ou trop acides, ou trop alkalins, ou qu'ils tendent à la putréfaction, ou qu'ils ont quelqu'autre défaut semblable. Tous ces cas peuvent proprement s'appeller les maladies des vins, dont nous parlerons. Il y a des remedes convenables pour ces maladies, qu'il faut employer, afin qu'ils se clarifient ensuite naturellement.

Des moyens de colorer les vins en rouge. Voici la méthode de colorer, sans employer d'autres vins, les vins blancs en vins rouges, & de redonner de la couleur aux vins rouges qui l'ont perdue par la trop grande vieillesse.

Prenez quatre onces de ce qu'on appelle communément drapeau de tournesol ; mettez-les dans un vaisseau de terre, versez dessus une pinte d'eau bouillante, couvrez bien le vaisseau, & laissez-le refroidir ; après cela passez la liqueur dans un filtre, vous la trouverez d'un rouge très-foncé, tirant un peu sur le pourpre ; en mêlant une petite portion de cette liqueur dans une grande quantité de vin blanc, elle lui communiquera une belle couleur rouge brillante.

On peut mêler cette teinture avec de l'eau-de-vie ou avec du sucre, pour en faire un syrop propre à être conservé. Le procédé ordinaire des marchands de vin en gros & des cabaretiers est de faire infuser ces drapeaux à froid dans le vin qu'ils veulent colorer, pendant l'espace d'une nuit au plus : alors ils les tordent avec les mains. Mais l'inconvénient de cette méthode est qu'elle donne au vin un goût desagréable, ou ce qu'on appelle vulgairement le goût de drapeau. Par cette raison, les vins colorés passent ordinairement parmi les connoisseurs pour des vins pressés. En effet ils ont tous généralement le goût de drapeau.

La méthode de faire infuser les drapeaux dans de l'eau bouillante n'est pas sujette à cet inconvénient, parce que l'eau se charge de l'excès de la teinture qui pourroit préjudicier au vin. Si l'on en fait un syrop ou qu'on la mêle avec de l'eau-de-vie, il en résulte le même effet, parce que la couleur est délayée ou affoiblie ; par ce moyen il n'y a qu'une très-petite portion de cette couleur (la juste dose dont on a besoin) qui soit employée avec une très-grande quantité des autres substances qu'on y ajoute.

On voit par tout ce que nous venons de dire, que la méthode de colorer les vins est sujette à de grands inconvéniens dans les climats qui ne fournissent point de ce raisin rouge, qui donne un jus couleur de sang, dont on se sert souvent pour teindre les vins de France. A son défaut, les marchands de vins font quelquefois usage du suc de baie de sureau ou de bois de campêche à Oporto, quand leurs vins ne sont pas naturellement assez rouges, car il semble qu'il faut qu'ils ayent cette couleur pour pouvoir les vendre.

La couleur qu'on obtient par le moyen de notre expérience n'est pas proprement celle du vin d'Oporto, mais celle des vins de Bordeaux : elle ne convient pas si bien aux vins de Portugal ; aussi les marchands de vins des pays étrangers sont-ils souvent fort embarrassés, faute de couleur qui soit propre à leurs vins rouges dans les mauvaises années. Nous leur conseillons dans ce cas de faire usage d'un extrait, en faisant bouillir un bâton de laque dans l'eau : il donne à l'eau une belle couleur rouge qui n'est pas fort chere, & qui peut être la véritable couleur du vin d'Oporto. Si cette méthode ne leur réussit pas, on pourroit essayer de faire une espece de laque avec des raisins de teinte. La cochenille pourroit encore être employée à cet usage, quoiqu'elle perde cependant un peu de sa couleur lorsqu'on la mêle avec des vins acides. Les baies de sureau donnent une couleur assez passable, mais elles communiquent aux vins une odeur desagréable.

Le procédé de cette expérience réussiroit toujours très-bien, si l'on pouvoit avoir la couleur pure, ou qu'on la mît dans les tonneaux sans le drapeau qui l'accompagne ; car il est très-aisé d'éteindre sa grande vivacité ou sa couleur pourpre par l'addition d'un peu de sucre brûlé, de rob de prunelle sauvage, de rob de chêne, de rob de vin, ou de quelqu'autre couleur approchante de celle du tan, pour imiter la vraie couleur du vin d'Oporto.

De la concentration des vins par la gelée. Un art moins connu & très-curieux est celui de concentrer par la gelée des vins, des vinaigres & des liqueurs fortes faites avec le malt ; & par cette concentration ou condensation on vient à bout de perfectionner ces sortes de liqueurs potables ; en voici la méthode selon quelques curieux.

Prenez une pinte de vin rouge ordinaire d'Oporto, mettez-la dans une bouteille plate bien bouchée, placez ensuite cette bouteille dans un mêlange composé d'une partie de sel marin, & de deux parties de neige ou de glace pilée, la partie la plus aqueuse du vin se gelera promtement ; après quoi vous retirerez très-aisément les parties du vin les plus épaisses, les plus colorées & les plus spiritueuses, en inclinant simplement la bouteille.

Cette expérience, telle que nous venons de la décrire, est trop promte, de façon que les parties du vin les plus épaisses & les plus précieuses peuvent être saisies & retenues dans la glace. Ainsi pour la bien exécuter, il faut employer le froid naturel de la gelée en hiver. Par ce moyen, les vins, les vinaigres & les liqueurs de malt peuvent se réduire à une quatrieme de leur volume ordinaire sans aucune perte de leurs parties essentielles. L'eau inutile, ou même nuisible, étant séparée par cette voie, laisse toutes les parties spiritueuses du vin extrêmement saines, & capables de se conserver parfaites pendant plusieurs années, comme on l'a éprouvé plusieurs fois. Par un usage & une application prudente de cette expérience, il est aisé de concevoir les grands avantages qu'on pourroit en retirer pour le commerce des vins.

Par des moyens convenables & un peu d'adresse qu'on acquiert aisément par l'expérience, on peut à très-peu de frais réduire, suivant cette méthode, une grande quantité de petits vins à une moindre de vins beaucoup plus forts, de maniere à augmenter leur valeur à proportion qu'on diminuera leur volume. On peut aussi en réitérant l'opération plusieurs fois se procurer des vins extrêmement forts & spiritueux, ou même une vraie quintessence pour perfectionner les vins les plus foibles.

Dans cette vue, il est à propos de se ressouvenir que les pays de vignobles qui sont montagneux, sont souvent couverts de neige, & que par ce moyen on pourroit employer la congélation artificielle dans le tems même de la vendange. Nous n'indiquons cependant cet expédient que pour donner une idée suffisante de cette méthode, & pour introduire une branche nouvelle & utile au commerce ; car il n'est pas plus difficile de concentrer le suc des grappes avant la fermentation & sur les lieux mêmes, que de concentrer le vin après qu'il a fermenté.

On peut encore ajouter que l'art de la congélation peut aussi se perfectionner par un usage convenable d'eau & de sel ammoniac ; on retireroit aisément l'un & l'autre ensuite quand on n'en auroit plus besoin, mais il paroît qu'il faudroit encore quelque chose de plus pour porter cette expérience à sa perfection, avec tous les avantages qu'on en peut retirer.

Des maladies des vins & de leurs remedes. Les liqueurs vineuses sont du nombre de celles qui s'altéreroient ou se putréfieroient très-promtement, si elles n'étoient conservées avec soin après leur fermentation, sur-tout si, par quelque grande commotion occasionnée par la chaleur, la connexion la plus intime des parties spiritueuses avec les molécules salines & mucilagineuses, ou même avec les particules aqueuses, étoit dérangée ou interrompue, parce qu'il arriveroit que toute la liqueur se tourneroit en vinaigre ou en une substance visqueuse, corrompue & putride. Si au contraire on conserve soigneusement en repos une liqueur quelconque qui a fermenté & qu'on la mette à l'abri des injures de l'air extérieur, elle demeurera long-tems dans un état sain & incorruptible, comme on le voit tous les jours dans les vins & dans les liqueurs faites avec le malt.

Toutes ces liqueurs fermentées résisteroient encore plus long-tems aux changemens de tems & aux différentes saisons de l'année, chaudes ou froides, & à l'humidité de l'air si capable de produire la fermentation, si on en séparoit l'eau superflue par le moyen de l'art, de façon que la liqueur pût être concentrée par elle-même ; dans cet état, elle pourroit se conserver inaltérable pendant plusieurs années, malgré les chaleurs de l'été & le froid de l'hiver.

Quand on fait l'analyse chymique de ces liqueurs, la premiere partie qui monte est l'esprit inflammable, ensuite le flegme mêlé d'acide & d'huile essentielle ; il reste après au fond de l'alembic une matiere épaisse ou le rob du vin : ce rob dégagé de son humidité superflue, se conserve très-bien : il a beaucoup de tartre ; mais la simple mixtion de ces différentes parties unies ensemble ne redonne point la liqueur primitive ; il est donc prouvé que ces substances étoient précédemment unies ensemble d'une maniere particuliere qui a été dérangée ou détruite dans l'action de la séparation. Il falloit d'ailleurs que chacune de ces productions eût reçu une nouvelle espece d'altération particuliere dans cette séparation qui les empêchât de se réunir comme auparavant, à-moins qu'on n'y ajoutât une substance propre intermédiaire, ou qu'on ne les fît fermenter de nouveau.

On peut donc conclure des principes que nous venons d'établir que le vin naturel consiste en beaucoup d'eau, une certaine quantité d'esprit inflammable, un peu d'huile essentielle, une juste proportion de sel acide jointe à une substance mixte ou au rob, que Beccher appelle substance moyenne du vin. Quand ces différentes parties demeurent constamment unies ensemble dans une juste proportion, le vin est pour-lors dans son état de perfection ; mais lorsque leur connexion se trouve lâche, ou que quelqu'une de ces parties est défectueuse en elle-même ou surabondante, alors le vin est imparfait & sujet à des changemens & à des altérations qui peuvent le rendre fort mauvais. Ces observations nous apprennent le véritable fondement de ce qu'on peut appeller avec raison le bon ou le mauvais état des vins.

On voit évidemment qu'une grande quantité d'eau entre nécessairement dans la composition du vin ordinaire par la préparation des vins artificiels, & la congélation des naturels ; mais quoique cette grande quantité d'eau soit nécessaire à la fermentation, & serve à la porter à sa perfection, non-seulement elle n'est pas essentielle aux vins, mais tellement étrangere & nuisible, qu'elle rend les vins susceptibles d'une altération, dont ils n'auroient pas été capables sans elle. On peut en conclure que le préservatif le plus souverain, pour tous les vins en général, est de les priver de leur eau superflue pour les rendre inaltérables, à-moins de quelque accident imprévu & extraordinaire. En effet ce remede est si efficace, qu'on n'a plus besoin d'aucun autre, & que les vins les plus aqueux & les plus foibles peuvent par ce moyen devenir durables & acquérir du corps.

La difficulté qu'on peut trouver dans l'usage de ce puissant remede, eu égard à la grande quantité de vins qui en ont besoin, doit cependant faire regarder, comme plus commode & plus facile, une autre méthode qu'on emploie quelquefois : elle consiste à se servir d'esprit-de-vin rectifié dans une assez grande proportion, pour qu'il puisse prévenir tous les changemens que les vins pourroient subir, & conserver ses parties essentielles comme une espece de baume ; mais quand le mal est invétéré, l'esprit-de-vin tout seul n'est pas suffisant, à-moins qu'il ne soit joint à quelqu'autre substance qui puisse donner du corps & de la force aux vins. Ainsi il est à propos d'avoir toujours une certaine quantité de vin toute prête : il faut aussi que ce vin soit assez fort pour redonner le mouvement de fermentation : d'excellent esprit-de-vin qu'on ajoute ensuite dans une juste proportion ne peut produire qu'un très-bon effet, principalement si le tout est fortifié par un peu d'huile essentielle de vin, qui n'est jamais parfaite dans les vins qui sont trop aqueux. Cette maladie étant une des principales dans les vins, ou du-moins celle à laquelle toutes les autres doivent leur origine, il peut être à propos de donner ici un procédé qu'on a trouvé très-propre pour remédier à cet accident.

Prenez une once d'huile essentielle de vin très-parfaite ; mêlez-la par la trituration avec une livre de sucre bien sec, pour en faire un oleo-saccharum ; dissolvez ensuite cet oleo-saccharum dans huit pintes de vin le plus fort, auquel vous ajouterez huit pintes de l'esprit-de-vin le mieux rectifié, de maniere qu'ils puissent être bien incorporés ensemble : la dose de ce mêlange doit être proportionnée au besoin qu'en a le vin qu'on veut rétablir dans son premier état ; mais ordinairement la moitié de la dose exprimée plus haut, suffit pour un muid & demi de vin.

Il y a encore une autre maladie des vins, qui est l'opposée de celle que nous venons de décrire, c'est lorsqu'on les a trop privés de leur humidité aqueuse. Ce manque d'eau les rend, pour ainsi dire, secs & même brûlés, si l'on peut se servir de ce terme. Il est vrai que cet accident ne sauroit arriver que lorsqu'on fait concentrer le vin : cette opération rapproche en effet ses parties essentielles à un tel degré qu'il n'est plus propre à boire, jusqu'à-ce qu'on les ait séparées en les délayant dans quelqu'autre liquide, mais l'eau ne doit pas être employée seule, de crainte de rendre le vin fade & plat. La meilleure façon dans ce cas est de prendre du vin foible & sans goût, auquel on communique le degré de force qu'on veut.

Une maladie des vins fort commune, c'est de s'aigrir, mais voici la méthode pour raccommoder les vins aigres.

Prenez une bouteille de vin rouge de Portugal qui commence à s'aigrir : jettez dedans une demi-once ou environ d'esprit-de-vin tartarisé ; secouez ensuite la bouteille pour bien mêler l'esprit-de-vin dans la liqueur, après quoi vous la laisserez reposer pendant quelques jours, & vous la trouverez au bout de ce tems évidemment adoucie.

Cette expérience dépend entierement de la connoissance des acides & des alkalis ; les meilleurs vins ont naturellement un peu d'acidité, quand elle prévaut, ils sont piquans, & tendent à devenir dans l'état de vinaigre ; mais en y introduisant avec prudence de bon sel alkali, tel que celui dont on a imbibé l'esprit-de-vin, en le faisant digérer sur du sel de tartre, suivant la méthode de préparer l'esprit-de-vin tartarisé, il a le pouvoir par lui-même, d'ôter au vin sa trop grande acidité quoique l'esprit-de-vin y contribue aussi, & à d'autres égards, il sert beaucoup à la conservation des vins ; si on faisoit cette opération avec grand soin, les vins qui tournent à l'aigre pourroient se rétablir tout-à-fait, & rester dans cet état pendant quelque tems, de maniere à pouvoir les débiter. On peut se servir de la même méthode pour les liqueurs faites avec le malt lorsqu'elles sont trop âpres, ou qu'elles tournent à l'aigre, & qu'elles sont sur le point de se convertir en vinaigre.

On fait souvent usage d'un expédient de la même nature, à-peu-près, pour rétablir les petites bieres qui sont devenues aigres. On y ajoute un peu de chaux, ou de coquille d'huitre mise en poudre, parce que la chaux & les coquilles d'huitres étant des alkalis terreux, ôtent immédiatement la trop grande acidité de la liqueur, & font avec elle une effervescence qui lui donne une force & une vivacité considérable, si on la boit avant que l'effervescence soit totalement finie ; mais pour la faire durer plus longtems, il vaut mieux jetter la chaux ou les coquilles d'huitres dans le tonneau où est la liqueur, & la boire d'abord, sans quoi elle se gâteroit infailliblement si on la gardoit long-tems.

Dans les cas où les vins ne se clarifient pas promtement d'eux-mêmes, l'addition d'un peu d'esprit-de vin tartarisé en accélere l'effet, ou bien on peut faire usage d'un remede généralement bon pour tous les vins qui sont trop foibles & trop aqueux. Pour cet effet, prenez un esprit inflammable pur & sans goût, tiré du sucre ; faites-le digerer sur une dixieme partie de sel de tartre bien pur & bien sec pendant trois jours ; après cela, vous décanterez la liqueur, & vous la verserez sur dix fois sa quantité d'un vin assez fort pour fermenter de nouveau : ensuite en versant six ou huit pintes de cette liqueur, elle perfectionnera & clarifiera en peu de tems un muid & demi de vin ordinaire.

Axiomes & conséquences de ce discours. 1°. Il est possible de rapprocher tous les vins & tous les vinaigres à la consistance d'un syrop épais, puisque leur matiere premiere qui n'est que du sucre est sous une forme solide, & qu'on peut les condenser par la gelée à un degré considérable de force & d'épaississement.

2°. On pourroit introduire un nouvel art pour fournir les pays étrangers d'un syrop fort chargé, ou d'un extrait en petit volume pour en faire des vins, des bieres, des vinaigres, & des esprits inflammables dans tous les pays du monde avec un très-grand avantage. Cette observation mérite toute l'attention des colonies qui cultivent le sucre, & celle de leurs souverains.

3°. Tous leurs sucs doux & aigres, tels que ceux des fruits d'été, comme les cerises, les groseilles, &c. consistent en une substance sucrée & tartareuse, ou pour parler en termes plus positifs, en un sucre actuel, & un tartre fluide effectif. Cette observation peut nous servir de regle pour perfectionner ces sucs naturels dans les mauvaises années, & même les imiter par le moyen de l'art, comme aussi de produire des vins, des vinaigres, & des eaux-de-vie sans leurs secours, par-tout où l'on pourra avoir du sucre & du tartre.

4°. Il y a une grande affinité entre le sucre & le tartre, puisque non-seulement ils existent ensemble, & sont mêlés intimement dans tous les sucs doux & aigres des végétaux, mais paroissent aussi se convertir très-promtement l'un en l'autre réciproquement ; en effet, les sucs acides & aigres des fruits qui sont encore verds, deviennent sucrés en murissant.

5°. On fait les différentes especes de vins & d'eau-de-vie sans nombre que nous connoissons, en ajoutant simplement quelque plante odorante, ou l'huile essentielle de ces vins au moût, naturel ou artificiel, pendant le tems de la fermentation. Il en est de même, proportion gardée, de la couleur des vins, qu'on peut, avec des matieres colorantes, teindre en bleu, en verd, en jaune, ou en toute autre couleur, s'il est nécessaire, aussi-bien qu'en blanc ou en rouge.

6°. L'agent physique dans la clarification des vins & des autres liqueurs fermentées, est une substance visqueuse qui se saisit des particules grossieres & les fait couler à fond, ou les éleve à la surface du liquide : par ce moyen, elles se séparent, & ne se mêlent point avec le reste de la liqueur. C'est sur ce fondement qu'on pourroit peut-être découvrir quelques méthodes plus parfaites pour clarifier, que celles qui sont connues jusqu'ici.

7°. La méthode de colorer des vins rouges artificiels, peut être perfectionnée, par l'usage prudent d'une teinture de tournesol sans drapeau, ou d'un extrait de laque ordinaire, &c. mais particulierement par une teinture faite avec de la peau de raisin rouge, ou bien avec une laque particuliere, tirée du raisin de teinte. (D.J.)

VIN musté, (Chymie) on nomme ainsi le moût qu'on clarifie en le laissant quelque tems en repos ; on le soutire ensuite ; après quoi on le verse dans des tonneaux soufrés, c'est-à-dire imprégnés de la vapeur du soufre brûlé ; par ce procédé on conserve le moût sans craindre qu'il se gâte & qu'il puisse entrer en fermentation. C'est une belle chose que la fermentation qu'éprouve le moût, c'est-à-dire le suc du raisin, avant que d'être changé en vin ; l'auteur du discours préliminaire des leçons de chymie du docteur Shaw, a peint ce phénomene avec des couleurs agréables & brillantes, ce qui n'est pas ordinaire en Chymie.

Le suc grossier des raisins, dit-il, s'affine & se subtilise par un mouvement qui s'excite de lui-même dans toutes les molécules de la liqueur fermentante. Ce mouvement les divise chacune en particulier, les recombine ensemble, & les sépare ensuite pour les réunir de nouveau. Dans ce choc, & dans cette union réciproque, les diverses parties du tout empruntent mutuellement les unes des autres, ce qui leur manque, & forment enfin un nouveau composé, dont les principes & les produits different entierement du premier. Un suc épais & trouble se change en une liqueur claire & transparente. Sa couleur louche & indécise, prend de l'éclat & du brillant. Son goût fade & doucereux se tourne en force, & de presque inodore qu'il étoit, il acquiert le parfum le plus exquis. C'est ainsi que le moût transformé en vin, produit cet esprit subtil & inflammable, dont on n'appercevoit même aucun vestige, avant que la nature lui eût imprimé le mouvement, qui seul pourroit lui donner son dernier degré de perfection.

Cette liqueur, toute admirable qu'elle est, est capable de se conserver sans se corrompre pendant plusieurs années, pourvû qu'on la tienne dans un vaisseau fermé, & dans un endroit frais ; abandonnée à elle-même, & exposée à l'air extérieur, elle perd cependant bien-tôt tous les avantages qu'elle avoit reçus de la nature ; sa couleur brillante, son odeur suave, sa saveur agréable, & sur-tout cet esprit inflammable qui formoient son caractere distinctif. Elle pâlit, elle se trouble, elle prend un goût & une odeur acides, & si on la laisse en cet état sans y apporter de remede, elle passe à la putréfaction. Il semble que la nature ait épuisé tout son pouvoir dans la fermentation spiritueuse, & qu'elle n'ait plus rien à offrir aux hommes après un tel présent. Impuissante & fatiguée, elle ne fait plus que décroître, & nous donne dans une de ses opérations les plus parfaites, l'image de la vie humaine. (D.J.)

VIN, (Littérat.) les Romains dans le tems de leurs richesses, étoient très-curieux des grands vins du monde. Les noms des meilleurs vins de leur pays, après ceux de la Campanie, se tiroient du cru des vignobles ; tel étoit le vin de Setines, de Gaurano, de Faustianum, d'Albe, de Sorrento, qui du tems de Pline, étoient des vins recherchés.

Entre les vins Grecs, ils estimoient sur-tout le vin de Maronée, de Thase, de Cos, de Chio, de Lesbos, d'Icare, de Smyrne, &c. Leur luxe les porta jusqu'à rechercher les vins d'Asie, de la Palestine, du mont-Liban, & autres pays éloignés.

Mais il faut remarquer que les Romains tiroient leurs vins les plus précieux de la Campanie, aujourd'hui la terre de Labour, province du royaume de Naples : tous les autres vins d'Italie n'approchoient point de la bonté de ces derniers. Le Falerne & le Massique venoient de vignobles plantés sur des collines tout-autour de Mondragon, au pié duquel passe le Garigliano, anciennement nommé Iris. Mais Athénée remarque qu'il y avoit deux sortes de vins de Falerne ; l'un étoit doux & avoit beaucoup de liqueur ; l'autre étoit rude & gros. Pline, liv. XIV. ch. viij. fait la même observation sur le vin d'Albe, auquel il donne le troisieme rang parmi les grands vins d'Italie ; il y avoit, dit-il, un vin d'Albe douçâtre & l'autre rude ; en vieillissant, le premier acquéroit de la fermeté, & l'autre de la douceur, alors ils étoient excellens. Le vin de Caecube, aussi prisé que le bon Falerne, croissoit dans la terre de Labour, ainsi que le vin d'Amiela & de Fundi, près de Gaïette ; le vin de Suessa tiroit son nom d'un terroir maritime du royaume de Naples ; le Calenum, d'une ville de la terre de Labour ; il en étoit ainsi de plusieurs autres que cette province fournissoit à la ville de Rome.

Ces vins qui étoient excellens de leur nature, acquéroient encore en vieillissant un degré de perfection auquel aucun autre vin d'Italie ne pouvoit atteindre. Ces derniers vins nommés par les Grecs oligophora, & par les Latins paucifera, se conservoient aisément dans les lieux frais. Pareillement ceux que les Grecs nommoient polyphora & les Latins vinosa, devenoient plus vigoureux & plus spiritueux par la chaleur. Les vins qui se conservoient par le froid abondoient en flegme, & les derniers vins en esprits. C'est pour cela qu'ils acquéroient de la force par la chaleur, & qu'on les préparoit d'une maniere particuliere.

Les Romains mettoient leurs tonneaux pleins de vin aqueux dans des endroits exposés au nord, tels que ce que nous appellons aujourd'hui des caves. Ils mettoient au-contraire les tonneaux pleins de vins spiritueux dans des endroits découverts exposés à la pluie, au soleil, & à toutes les injures du tems. La premiere espece de vins se conservoit seulement deux ou trois ans dans ces endroits frais ; & pour les garder plus long-tems, il falloit les porter dans des endroits plus chauds. Nous apprenons de Pline, que plus le vin est fort, plus il s'épaissit par la vieillesse. C'est en effet ce que nous voyons arriver de nos jours aux vins d'Espagne.

Galien parle de vins d'Asie, qui mis dans de grandes bouteilles, qu'on pendoit au coin des cheminées, acquéroient par l'évaporation & par la fumée, la dureté du sel. Aristote dit que les vins d'Arcadie se séchoient tellement dans les outres, qu'on les en tiroit par morceaux qu'il falloit fondre dans l'eau pour la boisson.

Voici la maniere dont les Romains faisoient leurs vins. Ils mettoient dans une cuve de bois le moût qui couloit des grappes de raisin après qu'elles avoient été bien foulées auparavant. Dès que ce vin avoit fermenté quelque tems dans la cuve, ils en remplissoient des tonneaux, dans lesquels il continuoit sa fermentation ; pour aider sa dépuration, ils y jettoient du plâtre, de la craie, de la poussiere de marbre, du sel, de la résine, de la lie de nouveau vin, de l'eau salée, de la myrrhe, des herbes aromatiques, &c. chaque pays ayant son mêlange particulier, & c'est-là ce que les Latins appelloient conditura vinorum.

Ils laissoient ce vin ainsi préparé dans les tonneaux jusqu'à l'année suivante, quelquefois même deux ou trois ans, suivant la nature du vin & du crû ; ensuite ils le soutiroient dans de grandes jarres de terre vernissées en-dedans de poix fondue ; on marquoit sur le dehors de la cruche le nom du vignoble & celui du consulat sous lequel le vin avoit été fait. Les Latins appelloient le soutirage du vin de leurs tonneaux dans des vaisseaux de terre, diffusio vinorum.

Ils avoient deux sortes de vaisseaux pour leurs vins ; l'un se nommoit amphore, & l'autre cade ; l'amphore étoit de forme quarrée ou cubique à deux anses, & contenoit deux urnes, environ quatre-vingt pintes de liqueur ; ce vaisseau se terminoit en un cou étroit, qu'on bouchoit avec de la poix & du plâtre pour empêcher le vin de s'éventer ; c'est ce que Pétrone nous apprend en ces mots : amphorae vitreae diligenter gypsatae, allatae sunt, quarum in cervicibus pittacia erant affixa, cum hoc titulo :

Falernum opimianum annorum centum.

" On apporta de grosses bouteilles de verre bien bouchées, avec des écriteaux sur les bouchons, qui contenoient ces paroles : vin de Falerne de cent feuilles, sous le consulat d'Opimius. " Le cade, cadus, avoit à peu-près la figure d'une pomme de pin ; c'étoit une espece de tonneau qui contenoit une moitié plus que l'amphore. On bouchoit bien ces deux vaisseaux, & on les mettoit dans une chambre du haut de la maison exposée au midi ; cette chambre s'appelloit horreum vinarium, apotheca vinaria, le cellier du vin. Comme ce fut depuis le consulat de L. Opimius, c'est-à-dire depuis 633, que les Romains se mirent en goût de boire des vins vieux, il fallut multiplier les celliers dans tous les quartiers de Rome pour y mettre les vins en garde & à demeure.

Nous venons de voir que Pétrone parle de vins de cent feuilles, mais Pline dit qu'on en buvoit presque de deux cent ans, qui par la vieillesse avoient acquis la consistance du miel. Adhuc vina ducentis ferè annis jàm in speciem redacta mellis asperi ; etenim haec natura vini in vetustate est, lib. XIV. cap. jv. Ils délayoient ce vin avec de l'eau chaude pour le rendre fluide, & ensuite ils le passoient par la chausse ; c'est ce qui se nommoit, saccatio vinorum.

Turbida sollicitò transmittere caecuba sacco.

Martial.

Ils avoient cependant d'autres vins qu'ils ne passoient point par la chausse ; tel étoit le vin de Massique, qu'ils se contentoient d'exposer à l'air pour l'épurer. Horace nous l'apprend, sat. IV. liv. II. v. 52.

Massica si coelo supponas vina sereno,

Nocturnâ, si quid crassi est, tenuabitur aurâ,

Et decedet odor nervis inimicus : at illa

Integrum perdunt lino vitiata saporem.

" Exposez le vin de Massique au grand air dans un beau tems ; non-seulement le serein de la nuit le clarifiera, mais il emportera encore ses esprits fumeux qui attaquent les nerfs ; au-lieu que si vous le passez dans une chausse de lin, il perdra toute sa qualité ".

Ils bonifioient le vin du Surrentum en le mettant sur de la lie de vin de Falerne douçâtre, pour adoucir son âpreté ; car c'étoit un vin rude, & qui du tems de Pline, avoit déja beaucoup perdu de sa réputation.

Les Grecs mêloient de l'eau de mer dans tous les vins qu'ils envoyoient à Rome des îles de l'Archipel, & c'est ainsi qu'ils apprêtoient les vins de Chio dont les Romains étoient fort curieux. Caton, au rapport de Pline, avoit trouvé le secret de contrefaire ce dernier vin, à tromper les plus fins gourmets.

Le pere Hardouin a eu tort de mettre le vin de Crète au nombre des excellens vins grecs recherchés par les Romains ; il cite pour le prouver une médaille des Sidoniens où Bacchus paroît couronné de pampre. Les Bysantins n'en ont-ils pas fait aussi frapper une semblable aux têtes de Bacchus & de Géta avec de grosses grappes de raisin ; cependant le vin de Constantinople n'a jamais passé pour bon : mais le vin de Crète n'étoit certainement pas en réputation chez les Romains, du-moins sous le siecle d'Auguste. Il ne l'étoit pas plus sous le regne de Trajan : Martial, liv. I. épigr. 103. l'appelloit alors vindemica Cretae, mulsum pauperis ; & Juvenal, sat. XIV. v. 270. le nomme pingue passum Cretae ; car il se faisoit de raisins cuits au soleil, dont on exprimoit une liqueur grasse, épaisse & douçâtre.

Je sais bien que les vins de Candie sont aujourd'hui en réputation, mais nous voyons qu'ils ne l'ont pas toujours été. Les qualités des terres ne sont pas toujours les mêmes, & la culture y apporte souvent des changemens. Pas un des anciens n'a loué le vin de Ténédos, qui est de nos jours un délicieux muscat de l'Archipel. Combien de vignobles renommés dans l'antiquité sont tombés dans le mépris ou dans l'oubli ? On ne connoît plus le vin de Maronée, si vanté du tems de Pline. Strabon trouvoit le vin de Samos détestable, c'est aujourd'hui un muscat excellent. D'autres vins inconnus aux anciens ont pris leur place ; ou, si l'on veut, les goûts ont changé ; car nous ne serions pas curieux aujourd'hui d'eau de mer dans aucun des vins grecs.

Mais un goût qui subsiste toujours, est de frapper les vins de glace. Les Romains le faisoient aussi, & aimoient sur-tout à jetter de la neige dans leurs vins, & à passer la liqueur par une espece de couloir d'argent, que le jurisconsulte Paul appelle colum vinarium.

De plus grands détails sur cette matiere me meneroient trop loin. Je renvoie donc les curieux au savant ouvrage de Baccius, de naturali vinorum historia : de vinis Italiae, & de conviviis antiquorum, lib. VII. Romae, 1596, in-fol. & Fruncof. 1607, in-fol. (D.J.)

VIN SCILLITIQUE, voyez SCILLE, (Mat. méd.)

VIN DE CHIOS, (Littérat.) Arvisium vinum, le meilleur vin de toute la Grece, au jugement des anciens, & qui par cette raison mérite un article particulier. Théopompe, dans Athénée, Deipn. liv. I. dit que ce fut Oenepion fils de Bacchus, qui apprit aux habitans de Chios à cultiver la vigne ; que ce fut dans cette île que se but le premier vin rosé, & que ses habitans montrerent à leurs voisins la maniere de faire le bon vin. Virgile caractérise de nectar celui de Chios : le vin de Chios, dit-il, le vrai nectar des dieux, ne sera point épargné :

Vina novum fundam calathis Arvisia nectar.

Eclog. V. v. 71.

Arvisia est mis là pour Chia, du nom du promontoire de cette île, nommé Arvisium ; mais il semble qu'il vaut mieux lire Ariusia, qu'Arvisia, comme le prétend Casaubon ; en effet, Strabon, liv. XIV. pag. 645. parlant de l'île de Chio dit : la contrée Ariusienne qui produit le meilleur vin de la Grece, . Ce que nous appellons présentement v consonne tenoit lieu de l'u voyelle & de l'v consonne, du tems de Cicéron, comme l'ont prouvé le pere Mabillon, Gronovius & autres savans.

Le quartier nommé Arvisium étoit opposé à la partie de l'île nommée Psyra. Pline, liv. XIV. chap. vij. xjv & xv. parle avec éloge des vins de Chios, Arvisia ou Ariusia vina, & cite Varron, le plus savant des romains, pour prouver qu'on l'ordonnoit à Rome dans les maladies de l'estomac. Varron rapporte aussi qu'Hortensius en avoit laissé plus de dix mille pieces à son héritier. César, ajoute Pline, en regaloit ses amis dans ses triomphes, & dans les festins qu'il donnoit au grand Jupiter & aux autres divinités ; mais Athénée entre dans un plus grand détail sur la nature & sur les qualités des vins de Chios : ils aident, dit-il, à la digestion, ils engraissent, ils sont bienfaisans, & on n'en trouve point de si agréables ; sur tout ceux du quartier d'Ariuse, où l'on en fait de trois sortes, continue cet auteur ; l'un a tant-soit-peu de cette verdeur qui se convertit en seve, moëlleux, nourrissant, & passant aisément ; l'autre qui n'est pas tout-à-fait sans liqueur, engraisse, & tient le ventre libre ; le dernier participe de la délicatesse & de la vertu des autres.

La culture de la vigne des anciens habitans de Chios, n'est point tombée dans l'oubli ; les Sciotes modernes cultivent la vigne sur les côteaux, & fournissent de leur vin aux îles voisines. Ils coupent les raisins dans le mois d'Août, les font sécher pendant huit jours au soleil, les foulent ensuite, & les laissent cuver dans des celliers bien fermés. Pour faire le meilleur vin, ils mêlent parmi les raisins noirs une espece de raisins blancs, qui sont comme le noyau de pêche, , persicum ; mais pour faire le nectar, qui porte encore aujourd'hui le même nom, on emploie à Scio une autre sorte de raisin, dont le grain a quelque chosé de stiptique, & qui le rend difficile à avaler.

Les vignes les plus estimées sont celles de Mesta, d'où les anciens tiroient ce nectar ; on en recherche les crossettes, & Mesta est comme la capitale de ce fameux quartier de l'île, que les anciens appelloient Ariousia. Il est vrai que la plûpart de nos voyageurs n'aiment point le nectar moderne de Scio, ils le trouvent très-dur & très-âpre ; mais c'est que le goût des hommes, qui au fond n'est qu'un objet de mode, change sans cesse ; ou que le nectar de Scio a besoin de passer la mer, & d'être gardé long-tems pour perdre son âpreté.

Quoi qu'il en soit, les anciens préféroient les vins de Chios à tous les autres vins grecs ; & par conséquent il est aisé de comprendre pourquoi l'on voit dans Goltzius, de insul. graec. tab. 15 & 16. des grappes de raisin sur quelques médailles de Chios. On y voit aussi de ces cruches, nommées diota, pointues par le bas, & à deux anses vers le cou ; cette figure étoit propre pour en faire séparer la lie, qui se précipitoit toute à la pointe, après qu'on les avoit enterrées ; ensuite on en pompoit le vin : mais il n'est pas si aisé de rendre raison pourquoi l'on représentoit des sphinx sur les revers de ces médailles, si ce n'est que le sphinx eût servi de symbole aux habitans de Chios, de même que la chouette aux Athéniens. (D.J.)

VIN DE LA PALESTINE, (Critiq. sacrée) il y avoit dans la Palestine plusieurs bons vignobles. L'Ecriture loue les vignes de Sorec, de Sébama, de Jazer, d'Abel ; les auteurs profanes parlent avec éloge des vins de Gaza, dont nous avons fait un article à part, des vins de Sarepta, du Liban, de Saron, d'Ascalon, de Tyr.

Dulcia Bachi

Munera quae Sarepta ferax, quae Gaza crearat.

Vin de Chelbon : Ezéchiel, ch. xxvij. vers. 18. parle de ce vin exquis, & que l'on vendoit aux foires de Tyr. Ce vin est aussi fort connu des anciens ; Athenée, Strabon & Plutarque en font mention ; ils l'appellent Chalibonium vinum. On le faisoit à Damas, & les Perses y avoient exprès planté des vignes, dit Possidonius cité dans Athenée. Cet auteur ajoute que les rois de Perse n'en usoient point d'autre.

Vin du Liban ; les vins des côtes les mieux exposées du Liban étoient estimés. Cependant on croit que le texte hébreu du prophete Osée, ch. xiv. v. 8. vin du Liban, marque du vin odorant, du vin où l'on a mêlé de l'encens, ou d'autres drogues pour le rendre plus agréable au goût & à l'odorat : les vins odoriférans étoient fort recherchés des Hébreux.

Le vin de palmier est celui que la vulgate appelle sicera, & qui se fait du jus de palmier ; il est très-commun dans tout l'Orient. Le vin récent de palmier est doux comme le miel ; quand on le conserve quelque tems, il enivre comme du vin de raisin.

Le vin de droiture dont il est parlé dans le Cantique des cantiques, est un bon vin, un vin droit ; c'est une qualité qu'Horace aime sur toute autre.

Generosum & lene requiro,

Quod curas abigat, quod cum spe divite manat

In venas animumque meum ; quod verba ministret ;

Quod me, Lucanae, juvenem commendet amicae.

Liv. I. épist. xv.

" Je veux, dit-il, du vin qui ait du corps sans avoir rien de rude ; qui coulant dans mes veines, bannisse les soucis de mon esprit, porte dans mon coeur les plus riches espérances, & mette sur ma langue les graces de la parole ". (D.J.)

VIN DE MARCHE, (Jurisp.) appellé aussi pot-de-vin, est une somme que l'acquéreur paye au vendeur, pour lui tenir lieu de ce qu'il lui en auroit coûté pour boire ensemble en concluant le marché.

Quelques coutumes considerent les vins du marché ou de vente, comme faisant partie du prix, & décident en conséquence qu'il en est dû des lods au seigneur, telles sont les coutumes de Chaumont & de Vitry.

Cependant suivant l'usage le plus général, ces vins ne font pas partie du prix, tel est le sentiment de Loisel, de Dumoulin & de Charondas, à moins que le contraire ne fût stipulé, ou que ces vins ne fussent considérables.

Mais ils entrent toujours dans les loyaux couts, comme les autres frais de contrat que le retrayant est obligé de rembourser à l'acquéreur. Voyez LODS & VENTES, LOYAUX COUTS, T-DE-VIN-VIN. (A)

VIN DE MESSAGER, est un droit qui est dû à la partie qui a obtenu gain de cause avec dépens, lorsque cette partie demeure hors du lieu où est le siege de la jurisdiction dans laquelle elle a été obligée de plaider.

Ce droit est ainsi appellé, parce qu'avant l'établissement des postes & messageries publiques c'étoit ce que l'on donnoit pour la dépense des messagers, ou commissionnaires particuliers que l'on envoyoit sur les lieux, soit pour charger un procureur, soit pour faire quelque autre chose nécessaire pour l'instruction d'une affaire.

Présentement ce qu'on alloue dans la taxe des dépens, sous le titre de vins de messager, est pour tenir lieu de remboursement des ports de lettres que la partie a reçues de son procureur, & des ports de lettres & papiers qu'elle a été obligée d'envoyer à son procureur, & dont elle doit lui tenir compte.

On alloue un vin de messager, 1°. pour charger un procureur de l'exploit introductif.

2°. L'on en alloue aussi pour tous les actes dont il est nécessaire qu'un procureur instruise son client.

3°. Dans toutes les occasions où il y a des déboursés à faire, autres que ceux de procédures du procureur, comme pour consigner l'amende, payer les honoraires des avocats, lever des sentences & arrêts.

4°. Lorsqu'il s'agit de charger un avocat pour plaider, soit contradictoirement ou par défaut.

5°. Pour donner avis à la partie que son affaire est appointée.

6°. Pour faire juger une affaire appointée lorsqu'elle est en état.

Tous ces vins de messager se reglent à un taux plus on moins fort, selon l'objet des actes dont il s'agit, & la distance des lieux. Pour connoître à fond tout ce détail, il faut voir le réglement du 26 Août 1665. (A)

VIN MUET, (Hist. des arts) vin fait avec du moût, dont on empêche la fermentation au moyen du soufre. Pour cet effet, à mesure que le moût coule du pressoir, on en met une certaine quantité dans des barriques, où l'on fait brûler du soufre. En quelques endroits, comme sur la Dordogne, on y ajoute du sucre brut ; ensuite on le brasse à force jusqu'à ce qu'il ne donne aucun signe de fermentation. Il faut y revenir plusieurs fois, & à chaque fois on diminue la quantité de soufre. Enfin on le laisse bien reposer & on le soutire. Ce moût devient clair comme de l'eau-de-vie, & conserve toujours sa douceur. Il n'est point mal-sain, & même peut être utile dans plusieurs maladies du poumon ; cependant on en fait principalement usage pour bonifier les vins auxquels l'année n'a pas été favorable ; car quelques pots de ce vin muet, jettés dans une barrique de vin trop verd, le rendent potable ; & c'est un mêlange nonseulement innocent, mais très-bien imaginé. (D.J.)

VIN DE GAZA, (Littérat.) vin célebre de Palestine. Grégoire de Tours parle plusieurs fois du vin de Gaza en Palestine, vina Gazatina. Il raconte entre autres choses à ce sujet, que la femme d'un sénateur de Lyon, offroit régulierement à chaque messe qu'elle faisoit célébrer pour son mari, un septier de ce vin ; & qu'elle s'apperçut un jour en communiant sous les deux especes, que le soudiacre qui servoit à l'autel prenant sans doute pour lui le vin de Gaza, en avoit substitué d'autre. On ne sera point étonné de trouver du vin de Palestine en France sous la premiere race, si l'on se souvient que dès-lors les habitans de Syrie venoient y commercer. (D.J.)

VINS GRECS, (Agricult.) il paroît que les Romains étoient beaucoup plus curieux que nous ne le sommes des vins grecs en général, & de certains vins grecs en particulier. J'avoue que le mahométisme a presque fait abandonner la culture des vignes dans les lieux où il s'est établi ; j'avouerai même que le sol a pu changer de nature ; mais il faut aussi convenir que les goûts des hommes sont encore plus variables. Strabon trouvoit le vin de Samos détestable ; & nous le mettions dans le dernier siecle au rang des excellens muscats. Aucun ancien n'a loué le vin de Ténédos, qui passoit il n'y a pas long-tems pour le meilleur de l'Archipel ; le vin de Chypre autrefois méprisé, fait aujourd'hui nos délices en France. Les fameux vignobles d'Alexandrie, d'Egypte, ne produisent plus de vins de notre goût ; ils sont tombés dans l'oubli : cependant personne n'ignore le cas que faisoient les anciens du vin Maréotique ; les vignobles de ce vin d'Alexandrie étoient alors si excellens, que cette ville est représentée dans une médaille d'Adrien, par le symbole d'une femme qui tient du blé d'une main, & une vigne de l'autre. Nous ne prisons guere les vins de Scio, que les Romains estimoient singulierement, & que Caton, selon Pline, trouva le secret de contrefaire au point de tromper les plus fameux gourmets. Dans tous les vins qui se transportoient des îles de l'Archipel, les anciens y mêloient de l'eau de mer, pour corriger leur trop grande force & leur trop grande rudesse. On suit encore cet usage aujourd'hui, & voici la maniere dont ils font leurs vins par tout l'Archipel.

Chaque particulier a un réservoir de la grandeur qu'il juge à propos, quarré, bien maçonné, revêtu de ciment ; mais tout découvert. On foule les raisins dans ce réservoir, après les y avoir laissé sécher pendant deux ou trois jours ; à mesure que le moût coule par un trou de communication, dans un bassin qui est au bas du réservoir, on remplit de ce moût des outres que l'on porte à la ville : on les vuide dans des futailles, ou dans de grandes cruches de terre cuite, enterrées jusqu'à l'ouverture, dans lesquelles ce vin nouveau bout tout à son aise sans marc ; on y jette trois ou quatre poignées de plâtre, suivant la grandeur de la piece ; souvent on y ajoute une quatrieme partie d'eau douce, ou d'eau salée, selon la commodité des lieux. Après que le vin a suffisamment cuvé, on bouche les vaisseaux avec du plâtre gâché. (D.J.)

VIN de haut pays, (Commerce) ce sont les vins de toutes sortes de crûs, qui se recueillent au-dessus de S. Macaire, qui est à 7 lieues au-dessus de Bordeaux. On les nomme ainsi pour les distinguer de ceux qui se font dans la sénéchaussée de Bordeaux, qu'on appelle vins de ville. (D.J.)

VIN, (Critique sacrée) on employoit ordinairement cette liqueur pure dans les sacrifices que l'on offroit au Seigneur ; mais l'usage en étoit défendu aux prêtres pendant qu'ils étoient dans le tabernacle occupés au service de l'autel, Lévit. x. 9. Ce mot se prend par métaphore pour la vengeance de Dieu, Jérem. xxv. 15. & pour les biens temporels, Cantiq. j. 1. ubera tua meliora sunt vino.

Entre tous les vins de l'Idumée, le plus estimé étoit celui du Liban dont parle Osée, xiv. 8. Il croissoit sur certains côteaux de cette montagne.

Vin de myrrhe, myrrhatum vinum, Marc, xv. 23. étoit une sorte de liqueur qui se donnoit aux suppliciés pour leur causer une sorte d'ivresse, & amortir en eux le sentiment de la douleur. Voyez MYRRHE.

Vin parfumé, conditum vinum, vin qu'on aromatisoit avec des parfums pour le rendre plus agréable ; il en est parlé dans le Cantiq. viij. 2.

Vin des libations, vinum libaminum, c'étoit du vin pur, choisi, qu'on versoit sur les victimes dans les sacrifices au Seigneur.

Vin de componction, vinum compunctionis, désigne dans les Pseaumes, les châtimens de Dieu qui produisent l'amendement du pécheur.

Convivium vini, Ecclés. xxxj. 42. marque un festin, un repas de solemnité, où l'on n'épargne pas la dépense du vin.

Le vin de la condamnation, ainsi nommé dans Amos, peut s'entendre du vin assoupissant qu'on donnoit aux criminels condamnés à mort.

Mais quant au vin dont parle Zacharie, iv. 17. vinum germinans mulieres, c'est une expression métaphorique que je n'ai pas le bonheur d'entendre. (D.J.)


VINADES. f. (Gram. & Jurisprud.) est un droit dû au seigneur par ses sujets pour voiturer son vin : la vinade entiere est de deux paires de boeufs & une charrette, à la différence de la bouade ou vouade ; qui n'est que d'une paire de boeufs, ou une charrette. Voyez les coutumes d'Auvergne & de la Marche, Ragueau au mot vinade. (A)


VINAGES. m. (Gram. & Jurispr.) a différentes significations.

Il se prend quelquefois pour un droit dû au lieu du cens sur les vignes, lequel se paie à bord de cuve, & le détenteur ne peut tirer son vin sans avoir payé le droit. A Angers & dans quelques autres lieux, ce droit a été converti en argent.

Quelquefois vinage signifie le passage d'une denrée ou marchandise par la terre ou seigneurie d'autrui.

Il se prend aussi pour un droit qui se paie au seigneur par des communautés & territoires en blé, vin ou argent, en conséquence de quoi les seigneurs font réparer les ponts & passages : le roi en a plusieurs de cette espece au comté de Marle.

Il se prend encore pour un droit qui se leve sur le vin, & pour des redevances en vin, & quelquefois spécialement pour un droit sur le vin pressuré.

Enfin, dans quelques anciens titres ce terme signifie réjouissance & bonne-chere. Voyez le glossaire de Ragueau avec les notes de M. de Lauriere. (A)


VINAIGREVINAIGRE

L'esprit ardent, qui dans une liqueur vineuse empêche par son interposition la réunion des parties grasses de cette liqueur, & qui les sépare des parties salines, est détaché en grande quantité de la mixtion de cette liqueur dans la fermentation acéteuse. Il se combine en partie avec un acide grossier, ou bien il laisse échapper l'huile atténuée dont il avoit été formé par la fermentation spiritueuse ; & cette huile prenant une consistance épaisse, se lie avec la terre muqueuse, & tombe dans le sédiment, ou forme les feces du vinaigre ; enfin, si la fermentation se continue trop long-tems, il se fait de nouvelles transpositions de principes qui facilitent la destruction des parties salines, & leur résolution en terre, qui est le principal effet de la putréfaction.

La concentration du vinaigre par la gelée le rend plus durable en le déphlegmant, & en lui faisant déposer une grande quantité de substance épaisse & visqueuse. Cette substance est très-susceptible de diverses combinaisons qui hâteroient la putréfaction. La principale utilité de cette concentration est de déphlegmer le vinaigre, & de faire qu'il se conserve davantage : de même que le residu d'un bon vinaigre distillé par l'ébullition, demeure long-tems sans se corrompre, parce qu'on en a ôté le principe aqueux, qui est le principal instrument du mouvement de fermentation ; on peut consulter sur le vinaigre concentré par la glace un mémoire de M. Geoffroi l'apothicaire, dans les mémoires de l'académie des Sciences, année 1729. On a employé avec succès la même méthode pour séparer les huiles distillées de leur phlegme, & pour les obtenir parfaitement pures.

Beccher croit, avec raison, qu'on n'obtient qu'un vinaigre foible & imparfait, lorsque par une coction lente on fait évaporer l'esprit du vin qu'on veut changer en vinaigre. Il regarde les parties sulfureuses, comme essentielles dans le vinaigre, aussi-bien que les parties salines, & il pense que c'est par le défaut de la méthode ordinaire de faire le vinaigre, que nous n'observons point dans cette liqueur la même vertu détersive & modérément échauffante, que lui attribuent les anciens.

Beccher voulant prouver que du vin qui n'auroit rien perdu de sa partie spiritueuse par évaporation, peut se changer en vinaigre ; rapporte qu'ayant exposé à la digestion du vin mis dans une bouteille, dont il avoit fait fondre le goulot, il en retira, quoique plus tard qu'il n'auroit fait, par le procédé ordinaire, un vinaigre très-fort & très-durable. Cela est confirmé par une expérience curieuse de M. Homberg. Celui-ci attacha au cliquet d'un moulin une bouteille pleine de vin exactement fermée. Le seul mouvement de ce cliquet changea dans trois jours ce vin en bon vinaigre. Voyez l'histoire de l'acad. des Sciences, année 1700, obs. phys. iv.

Si on expose à une chaleur qui n'aille pas jusqu'au degré de l'ébullition une bouteille d'un cou très-étroit remplie de bon vin, il ne s'en élevera pas la moindre vapeur. Si tout-à-coup on laisse ce vin se refroidir considérablement, la saveur austere qu'il acquiert, & son promt changement en vinaigre, démontrent que la chaleur a dissous la mixtion intime de l'esprit ardent avec la substance grasse & tartareuse. C'est ce qu'on verra clairement, si l'on considere que le mêlange de l'esprit-de-vin avec l'esprit de nitre acquiert une saveur vineuse austere & comme astringente, lorsqu'on le tient pendant quelques heures à une digestion très-douce : mais si on unit ces esprits par la distillation, cette saveur austere se dissipe : l'acidité qui reste n'est presque pas sensible, & est remplacée par une âcreté fort adoucie, quoique très-pénétrante.

On sait que le vinaigre le plus fort se fait des vins les plus spiritueux ; il se corrompt lorsqu'on le voiture par eau, suivant l'observation de Beccher, parce qu'il est fort affoibli par les exhalaisons aqueuses qui le pénétrent. Boerhaave nous apprend qu'on retire une liqueur inflammable par la distillation d'un vinaigre fait depuis peu ; mais que cette distillation ne donne plus qu'une vapeur aqueuse, lorsque ce même vinaigre a été gardé plus d'un an dans des vaisseaux bien fermés.

Wallerius assure qu'en distillant le vinaigre au bain-marie, il passe une liqueur spiritueuse, que l'acide le plus concentré paroît ensuite, & qu'il reste au fond de la cornue une liqueur épaisse, brune, & inflammable ; mais rien ne prouve mieux la présence d'une liqueur inflammable dans le vinaigre, que ce qu'on observe dans la zone torride, où le suc exprimé des cannes à sucre s'aigrit dans 24 heures, si on en differe la coction, & lorsqu'on le cuit après ce tems, il en sort un esprit ardent qui, s'il est trop abondant s'enflamme, & met le feu aux maisons où on prépare le sucre.

M. Pott pense que le vinaigre distillé ne contient point d'esprit-de-vin, sur-tout lorsqu'on l'a déphlegmé. Il reconnoît que lorsqu'on a dissout quelque corps dans l'acide du vinaigre, ne fût-ce qu'une terre alkaline, on retire à la fin une portion de liqueur inflammable ; mais, dit-il, ce n'est point un esprit-de-vin qui existât dans le vinaigre, c'est plutôt une portion de la matiere grasse du vinaigre, qui étant atténuée par son acide, devient avec lui dissoluble dans l'eau. M. Pott prouve que cet esprit-de-vin est un nouveau produit, parce que dans la distillation des matieres qui le produisent, il passe après le phlegme. Mais en général le phlegme passe toujours avant l'esprit dans la distillation du vinaigre. Il est probable que cela vient, comme le dit Beccher, de la surcharge des parties salines qui adherent à cet esprit. Beccher croit, avec beaucoup de vraisemblance, que dans la fermentation qui donne au vin l'acidité qui lui est propre, les parties sulfureuses de la liqueur raréfient les parties salines les plus subtiles, auxquelles elles s'unissent ; mais qu'un nouveau degré de chaleur venant à raréfier aussi les autres parties salines, celles-ci étant en plus grande quantité que les sulfureuses, les enveloppent & forment le vinaigre. Il est bon de remarquer avec Boerhaave, que la fermentation acéteuse demande un degré de chaleur particulier, & très-supérieur à celui de la fermentation du moût & de la biere.

Beccher explique très-bien comment on retire par la distillation un esprit ardent du sucre de Saturne, dans lequel l'enveloppe saline de cet esprit demeure retenue.

Cependant l'hypothèse de M. Pott peut être recevable, puisqu'il est certain que dans le sel des coraux préparé avec du vinaigre distillé ; le vinaigre se sépare non-seulement de sa partie huileuse, mais que ces parties inflammables peuvent encore devenir volatiles, & prendre par la concentration une couleur rouge. Voyez Mender, traité sur les teintures d'antimoine, n°. 47. 48.

Nous n'avons rien à ajouter sur la nature & les propriétés du vinaigre, & nous renvoyons là-dessus à ce qui a été dit dans l'article VEGETAL, acide.

Les chymistes appellent vinaigre radical, celui dont on vient de parler ; savoir, celui qui est retiré par la distillation exécutée à la seule violence du feu, & sans intermede, des sels neutres acéteux, soit à base terreuse, soit à base alkaline fixe, soit à base métallique. Celui qu'on retire par ce moyen du sel de Saturne, est connu dans l'art sous le nom d'esprit de Saturne ; & celui qu'on retire du verdet, sous celui d'esprit de Vénus.

Le vinaigre concentré par ce moyen, qui est le plus efficace qu'il soit possible d'employer, est appellé radical, parce que cette concentration est regardée comme absolue. On peut assurer qu'au-moins est-elle très-considérable, car le phlegme qui noie l'acide dans le vinaigre, même le plus fort ou le plus concentré, n'est point admis dans la formation des sels acéteux ; & que leur eau de crystallisation pouvant être d'ailleurs facilement dissipée, avant qu'on procede à la diécrise réelle de ces sels, il est clair qu'il est possible d'obtenir par ce procédé un acide de vinaigre très-concentré.

VINAIGRE, (Art méchaniq.) la maniere de faire le vinaigre a été long-tems un secret parmi les marchands qui font profession de le faire & de le vendre : on dit que ceux qui étoient reçus dans ce corps s'obligeoient par serment de ne point révéler le secret : ce qui n'a point empêché que les Transactions philosophiques, & d'autres écrits modernes n'en aient parlé très-savamment.

Maniere de faire le vinaigre de cidre. Le cidre qu'on destine à cette opération, pour laquelle on peut prendre le plus mauvais, doit être tiré d'abord au clair dans un autre vaisseau sur lequel on jette ensuite une certaine quantité de moût.

On expose le tout au soleil, si le tems le permet, & au bout de sept ou de neuf jours on peut l'ôter du soleil. Voyez CIDRE.

Maniere de faire le vinaigre de biere. Prenez une sorte de biere moyenne, bien ou mal houblonnée, & après qu'elle a bien fermenté, & qu'elle s'est éclaircie, mettez-y un peu de rapé, ou de calottes de raisins, que l'on garde ordinairement pour cette opération ; mêlez le tout ensemble dans une cuve, attendez que le rapé soit au fond ; tirez la liqueur au clair ; versez-la dans un tonneau, & exposez-le au plus fort du soleil, en couvrant seulement le trou du bondon d'une tuile ou pierre platte ; au bout de trente ou quarante jours vous aurez de bon vinaigre, dont on pourra se servir aussi-bien que de celui qui est fait du vin, pourvu qu'il soit bien raffiné, & qu'il ne sente point le relent.

Autre maniere. Sur chaque gallon d'eau de source mettez trois livres de raisin de Malaga, jettez le tout dans une jarre, que vous exposerez à la plus forte chaleur du soleil depuis le mois de Mai jusqu'à la saint Michel. Ensuite pressurez bien le tout, & versez la liqueur dans un tonneau relié de cerceaux de fer, pour empêcher qu'il ne creve : immédiatement après le pressurage, la liqueur paroîtra extrêmement épaisse & trouble ; mais elle s'éclaircira dans le tonneau, & deviendra aussi transparente que le vin : laissez-la dans cet état pendant trois mois, avant de la soutirer, & vous aurez un vinaigre excellent.

Maniere de faire le vinaigre de vin. Mettez dans une liqueur vineuse une certaine quantité de ses propres lies, fleurs, ou levures, avec le tartre réduit auparavant en poudre, ou bien avec les rafles ou tiges du corps végétable dont on a tiré le vin ; lesquels ont presque la même vertu que son tartre ; mettez, & remuez souvent, le tout dans un vaisseau qui a renfermé auparavant du vinaigre, ou qui a été du tems dans une place chaude & remplie de l'odeur du vinaigre ; la liqueur commencera à fermenter de nouveau, concevra de la chaleur, s'aigrira par degrés, & tournera bientôt après en vinaigre.

Les sujets éloignés de la fermentation acétique, sont les mêmes que ceux de la fermentation vineuse ; mais ses sujets immédiats sont toutes sortes de jus végétables, après qu'ils ont une fois subi la fermentation qui les a réduits en vin : car il est absolument impossible de faire du vinaigre de la plûpart des jus cruds de raisins ou d'autres fruits mûrs, sans qu'ils aient passé auparavant par la fermentation vineuse.

Les levains propres à faire du vinaigre, sont 1°. les lies de tous les vins acides ; 2°. les lies de vinaigre ; 3°. du tartre pulvérisé, & sur-tout celui de vin du Rhin, ou sa crême ou son crystal ; 4°. le vinaigre lui-même ; 5°. un vaisseau de bois que l'on a bien rincé avec du vinaigre, ou qui en a renfermé pendant long-tems ; 6°. du vin qui a été souvent mêlé avec sa propre lie ; 7°. les rejettons des vignes, & les rafles des grappes de raisins, de groseilles, de cerises, ou d'autres fruits d'un goût piquant & acide ; 8°. du levain de boulanger, après qu'il s'est aigri ; 9°. toutes sortes de levures composées de celles ci-dessus mentionnées.

Le vinaigre n'est point une production de la nature, mais une créature de l'art ; car le verjus, les jus de citrons, limons, & autres semblables acides naturels, ne s'appellent que fort improprement des vinaigres naturels, puisqu'en les distillant, on n'en tire que de l'eau insipide ; au-lieu qu'en distillant le vinaigre, on en tire un esprit acide.

Maniere de faire le vinaigre en France, qui est différente de celle ci-dessus. On prend deux tonneaux de bois de chêne, les plus grands sont les meilleurs : on les ouvre par le fond d'en-haut, & on place dans l'un & dans l'autre une grille de bois, environ à un pié de distance du fond d'en-bas : sur ces grilles on met d'abord des rejettons ou des coupures de vignes, & ensuite les tiges des branches sans grappes ni pepins, jusqu'à-ce que la pile vienne à un pié de distance du bord supérieur du tonneau : alors on emplit de vin un des deux tonneaux jusqu'au bord, & on n'emplit l'autre qu'à moitié : ensuite on puise de la liqueur dans le tonneau plein, pour remplir celui qui n'étoit plein qu'à moitié : on repete tous les jours la même opération, en versant la liqueur d'un tonneau dans l'autre, de sorte que chacun se trouve alternativement plein jusqu'au bout, & plein à moitié ; après avoir continué cette opération pendant deux ou trois jours, il s'éleve un degré de chaleur dans le tonneau qui pour lors n'est plein qu'à moitié, & cette chaleur s'augmente successivement pendant plusieurs jours, sans que dans tout cet intervalle, la même chose arrive dans le tonneau qui est plein, & dont la liqueur reste toujours froide : dès que la chaleur vient à cesser dans le tonneau qui n'est plein qu'à moitié, c'est une marque que le vinaigre est fait ; ce qui dans l'été arrive au bout de quatorze ou quinze jours, à compter de celui que l'on a commencé l'opération ; mais en hiver la fermentation est plus lente, de sorte qu'on est obligé de l'avancer par les poëles, ou par d'autres chaleurs artificielles.

Quand le tems est excessivement chaud, il faut verser la liqueur du tonneau plein, dans l'autre deux fois par jour, autrement elle s'échaufferoit trop, & la fermentation seroit trop violente, de sorte que ses parties spiritueuses viendroient à s'évaporer, & qu'au lieu de vinaigre, on ne trouveroit que du vin éventé.

Il faut que le vaisseau plein demeure toujours ouvert, mais on doit mettre sur l'autre un couvercle de bois, afin de mieux arrêter & fixer les parties spiritueuses dans le corps de la liqueur ; car autrement elles s'échapperoient aisément dans la chaleur de la fermentation. Le tonneau qui n'est qu'à moitié plein paroît s'échauffer plus tôt que l'autre, parce que la liqueur y étant en plus petite quantité ; elle participe davantage à l'effet ou fermentation que produisent les tiges & rejettons de vigne, outre que la pile étant montée fort haut, & se trouvant à sec, elle conçoit plus aisément de la chaleur que celle qui trempe, & communique cette chaleur au vin qui est au fond du tonneau.

VINAIGRE, (Médecine) le vinaigre est très-utile, il résiste à la putréfaction, il ne peut nuire par son âcreté qui est émoussée par les huiles ; c'est une liqueur si pénétrante qu'elle se fraie un passage à travers les corps les plus épais, il agit avec efficacité sur nos humeurs & nos vaisseaux, sur-tout lorsqu'il est aidé par la chaleur naturelle & par le mouvement vital ; en se mêlant avec nos humeurs, il y produit différens effets merveilleux.

Il rafraîchit efficacement dans les fievres produites par une bile âcre, par les sels trop exaltés, par la putréfaction des humeurs, ou par des piquures ou morsures de bêtes vénimeuses ; il appaise la soif qui accompagne ces maladies ; de-là vient que Dioscoride & Hippocrate recommandent si fort le vinaigre dans le cas dont nous parlons, sur-tout lorsqu'on l'adoucit avec le miel. Le vinaigre est un remede contre l'ivresse ; l'oxycrat est excellent dans les maladies externes, dans l'érésipele, les démangeaisons, les ardeurs de la peau ; on en a vu de bons effets dans les syncopes, dans les vomissemens, soit en le flairant, soit en le prenant intérieurement ; il convient dans les mouvemens convulsifs ; Hippocrate & Galien l'ordonnent aux hypochondriaques ; rien n'est meilleur contre la pourriture & la corruption des humeurs, & pour arrêter le progrès de la gangrene.

On voit qu'il conserve fort bien les substances animales, au-milieu des chaleurs excessives de l'été ; il atténue le sang & ses concrétions polypeuses si on le fait chauffer avec lui, il est dès-lors un grand remede dans les fievres aiguës, ardentes, malignes, dans la peste, la petite vérole, la lepre, & autres maladies semblables ; il est plus salutaire & moins nuisible dans ces cas, que les alkalis volatils, qui augmentent le mouvement & la raréfaction du sang ; de-là vient que le vinaigre est un grand préservatif contre la peste. Sylvius Deléboé, s'en servoit avec succès dans ces cas, comme d'un sel volatil huileux. On ne connoit pas de sudorifique plus puissant pour occasionner des sueurs abondantes dans la peste, & dans les autres maladies malignes ; cependant il fait plus de bien aux personnes d'un tempérament chaud & bilieux, qu'à celles dont la constitution est atrabilaire ; & il est très-nuisible aux mélancoliques, mais il soulage spécialement dans le hoquet, & dans les maladies spasmodiques il l'emporte sur les alkalis volatils.

Le vinaigre appliqué extérieurement est atténuant, discussif, répercussif, antiphlogistique, & bon dans les inflammations, les érésypeles ; la vapeur du vinaigre jetté sur un caillou calciné jusqu'à rougeur, est excellente contre le skirrhe.

Dioscoride fait de grands éloges du vinaigre, qui selon lui, rafraîchit & resserre, fortifie l'estomac, excite l'appétit, arrête le flux de sang, soulage dans le gonflement des glandes, les érésypeles & les démangeaisons de la peau ; il guérit les catarrhes, & l'asthme, étant mêlé avec le miel & pris chaudement : on l'emploie dans l'esquinancie, le relâchement de la luette, & contre le mal de dents qu'il appaise étant gardé chaud dans la bouche.

Tous les effets du vinaigre ci-dessus décrits viennent de ce qu'il agit comme un sel volatil huileux, & non comme un acide pur, d'ailleurs son action est différente de celle des acides minéraux, car il contient beaucoup moins d'acide.

Un fait des plus singuliers, qui paroît d'abord prouver l'action de coaguler, que l'on attribue au vinaigre, est l'usage habituel qu'en font certaines filles qui ont les pâles couleurs ; mais si on examine attentivement l'effet qu'il produit chez elles, on se désabusera du préjugé que l'on avoit conçu : car il devient stomachique, stimulant, & atténuant chez elles, d'autant que l'on en voit en qui l'usage habituel du vinaigre est d'une grande utilité pour les ranimer parmi les foiblesses fréquentes que la chlorose leur attire ; il ne faut pas non plus s'étonner si dans la plûpart des maladies pestilentielles, & dans la malignité de l'air, on éprouve de si grands avantages des vinaigres médicinaux, dont nos anciens, plus attentifs aux faits & à l'expérience que nous, faisoient tant d'usage.

VINAIGRE des quatre voleurs, c'est ainsi qu'il est décrit dans la pharmacopée de Paris. Prenez sommités récentes de grande absynthe, de petite absynthe, de romarin, de sauge, de rue, de chacun une once & demie ; fleurs de lavande seche, deux onces ; ail, deux onces ; acorus vrai, canelle, gérofle, noix muscade, deux gros ; bon vinaigre, huit livres ; macerez à la chaleur du soleil, ou au feu de sable, dans un matras bien bouché, pendant deux jours, exprimez fortement & filtrez, & alors ajoutez camphre dissous dans l'esprit de vin, demi-once.

Le nom de cette composition lui vient de ce qu'on prétend que quatre voleurs se préserverent de la contagion pendant la derniere peste de Marseille, quoiqu'ils s'exposassent sans ménagement, en usant de ce vinaigre tant intérieurement qu'extérieurement ; & beaucoup de gens croient encore que c'est une bonne ressource contre l'influence de l'air infecté des hôpitaux, &c. que de tenir assidument sous le nez un flacon de ce vinaigre. (b)

VINAIGRE, sel du, (Science microscop.) le microscope fait voir que le vinaigre doit son acrimonie à une multitude de sels oblongs, quadrangulaires, qui y flottent ; chacun de ces sels s'appétissant depuis le milieu, & terminé par deux pointes extrêmement fines ; ces sels étant d'une petitesse singuliere, ne peuvent guere se découvrir, à moins qu'on n'expose pendant quelques heures à l'air, une ou deux gouttes de vinaigre, afin d'en évaporer les parties les plus aqueuses. Si l'on infuse des yeux d'écrevisse dans le vinaigre, il se fait une effervescence qui, quand elle est finie, se trouve avoir changé totalement la figure des sels ; car pour lors leurs pointes aiguës paroissent rompues, & on les voit en différentes formes quarrées.

Les sels des vins présentent différentes figures dans les vins de différentes especes ; ceux-là même qui approchent du vinaigre, ont leurs pointes plus émoussées ; quelques-uns ont la figure d'un bateau, d'autres ressemblent à un fuseau, d'autres à une navette de tisserand, & d'autres sont quarrés ; enfin ils offrent au microscope une grande variété de différentes formes. (D.J.)

VINAIGRE, (Critiq. sacrée) le vin aigri de soi-même, ou que l'on fait aigrir à dessein, étoit d'usage chez les orientaux pour se rafraîchir dans les grandes chaleurs ; c'est pour cela que Booz dit à Ruth, " versez dans votre boisson quelques gouttes de vinaigre " ; mais ce terme se prend quelquefois métaphoriquement pour affliction, & c'est assez la coutume des prophetes de peindre les maux de la vie, soit par quelque breuvage, soit par quelque aliment amer, ou piquant. (D.J.)


VINAIGRERIES. f. (Art distil.) petit bâtiment faisant partie des établissemens où l'on fabrique le sucre ; c'est proprement un laboratoire servant au travail & à la distillation de l'eau-de-vie tirée des debris du sucre que l'on a mis en fermentation. Voy. TAFFIA.


VINAIGRIERS. m. (Art méchanique) ouvrier qui fait & qui vend du vinaigre. La communauté des vinaigriers de Paris est fort ancienne. Elle fut érigée en jurande en 1394, & ses statuts de ce tems ont souffert depuis ce tems bien des augmentations, mutations & altérations jusqu'en 1658, qui est la date de leurs derniers statuts.

Suivant ces statuts, le nombre des jurés est fixé à quatre, dont on en élit deux tous les ans, le 20 Octobre, à la place des deux plus anciens qui sortent de charge.

Il n'y a que les maîtres qui ont sept ans de réception, qui puissent obliger un apprentif. Nul ne peut être reçu à la maîtrise qu'il n'ait fait quatre ans d'apprentissage, & servi les maîtres pendant deux ans en qualité de compagnon, & qu'il ne prenne chef-d'oeuvre des jurés, à la réserve des fils de maîtres, qui sont dispensés de ces formalités, & qui sont admis sur une simple expérience.

Les veuves jouissent de tous les privileges des maîtres, tant qu'elles sont en viduité, à l'exception des apprentifs qu'elles ne peuvent point obliger.

Les ouvrages & marchandises que les maîtres vinaigriers peuvent faire & vendre, exclusivement à tous les maîtres des autres communautés, sont les vinaigres de toutes sortes, le verjus, la moutarde & les lies seches & liquides. A l'égard des eaux-de-vie & esprit-de-vin qu'il leur est permis de distiller, elles leur sont communes avec les distillateurs, limonadiers & autres.

VINAIGRIER, s. m. (Orfévrerie, Verrerie, &c.) c'est une sorte de petit vase de vermeil doré, d'argent, d'étain, de fayance, de crystal, &c. où l'on met du vinaigre qu'on sert sur table. Il est composé d'un corps, d'un couvercle, d'une anse, d'un biberon & d'un pié. (D.J.)


VINALESS. f. pl. (Hist. anc.) fêtes très-célebres instituées par les anciens latins, & qu'on faisoit à Rome deux fois l'année en l'honneur de Jupiter, pour obtenir une vendange abondante.

La premiere se célébroit au commencement de Mai, & la seconde le 19 d'Août. Celle-ci s'appelloit vinalia rustica. Elle avoit été instituée à l'occasion de la guerre des Latins contre Mezence, dans le cours de laquelle ce peuple voua à Jupiter une libation de tout le vin qu'on recueilleroit cette année là. Comme au tems de la seconde on célébroit aussi à Rome la dédicace d'un temple de Vénus, quelques auteurs ont prétendu que les vinales se faisoient aussi en l'honneur de cette déesse ; mais Varron, liv. V. & Festus sur le mot rustica, distinguent ces deux cérémonies, & disent expressément que les vinales étoient un jour consacré à Jupiter & non à Vénus.

On prenoit grand soin de les célébrer dans tout le Latium. En certains endroits c'étoient les prêtres qui faisoient d'abord publiquement les vendanges. Le flamen dialis commençoit la vendange, & après avoir donné ordre qu'on recueillît le vin, il sacrifioit à Jupiter un agneau femelle. Dans le tems qui se passoit depuis que la victime étoit découpée, & que les entrailles étoient données au prêtre pour les poser sur l'autel, le flamen commençoit à recueillir le vin. Les loix sacrées tusculanes défendoient de voiturer du vin dans la ville avant qu'on eût observé toutes ces cérémonies. Enfin on ne goûtoit point de vin nouveau, qu'on n'en eût fait auparavant des libations à Jupiter.


VINASSES. f. (Arts) terme d'arts ; on appelle vinasse une liqueur trouble qui provient d'un vin à demi-aigre, & en même tems privé de sa couleur & de son odeur spiritueuse ; cette liqueur trouble sert à la préparation du verd-de-gris. La vinasse récente distillée dans une cornue de verre au feu de sable, fournit un esprit ardent en moindre quantité que le vin, & un acide qui rougit assez promtement la teinture de violettes. La vinasse vieille, qui a servi à la préparation des rafles, pour faire du verd-de-gris, & qu'on rejette ensuite comme inutile, ne donne presque plus d'esprit ardent, & fournit un acide plus foible que la vinasse récente. (D.J.)


VINCENNES(Géog. mod.) maison royale, dans l'île de France, à une lieue de Paris, du côté de l'orient, avec un parc qui a plus de 1400 arpens d'étendue, & qui est en face du château.

Vincennes est nommé Vicenae, Vicena, Vicennae par les écrivains du xij. siecle ; ensuite on a dit Vulceniae ; l'étymologie de tous ces mots est inconnue. Les uns prétendent que ce séjour favori de Charles V. avoit été appellé Vicenae, parce qu'il étoit éloigné de vingt stades de Paris, quòd vicenis, seu viginti stadiis abesset ab urbe Lutetiâ. D'autres disent que Vincennes vient de la bonté de l'air qui rend la vie saine ; & comme quelqu'un pourroit croire que cette étymologie n'est qu'une froide allusion de quelque écrivain moderne, nous remarquerons que le nom vie-saine, au lieu de Vincennes, se trouve dans un abrégé manuscrit de l'histoire de France composé en 1498, & c'est le manuscrit de la bibliotheque du roi n°. 2154 in-4°.

Dès l'an 1270, il y avoit à Vincennes une maison royale, manerium regale, bâtie vraisemblablement par Philippe Auguste. La tour de Vincennes fut commencée sous Philippe de Valois l'an 1337, & Charles V. l'acheva. François I. & Henri II. firent élever une autre tour vis-à-vis le donjon. Enfin Louis XIII. commença le nouveau bâtiment, qui ne fut achevé qu'au commencement du regne de Louis XIV. Le tout est composé de plusieurs tours quarrées, dont la plus haute appellée le donjon, destinée aux prisonniers d'état, a son fossé particulier & son pont-levis.

Quelques-uns de nos rois, Louis X. dit Hutin, Charles le bel, Charles V. & Charles IX. ont fini leurs jours au château de Vincennes.

Louis dit Hutin y mourut le 5 Juin 1316, soit de poison, soit pour avoir bu à la glace après s'être échauffé. Il ne regna que deux ans, étant parvenu à la couronne l'an 1314, âgé de 23 ou 25 ans (car on n'est pas d'accord sur cette date). Le mot hutin est un vieux mot qui signifie mutin & querelleur. Je ne sais pas pourquoi on donna cette épithete à ce prince. Il fit une loi bien importante, & qui lui est glorieuse : il défendit, sous quelque prétexte que ce pût être, & sous la peine du quadruple & d'infamie, de troubler les laboureurs dans leurs travaux, de s'emparer de leur bien, de leurs personnes, de leurs instrumens de labourage, de leurs boeufs, &c.

Charles IV. dit le bel mourut aussi dans le château de Vincennes au mois de Février 1328, âgé de 33 ans, après six ans de regne. C'est le premier roi de France qui ait accordé les décimes au pape. Ce prince, dit du Tillet, a été sévere justicier, en gardant le droit à un chacun ; mais il n'eut jamais de talent pour les hautes entreprises, & de même que ses freres, sans avoir rien fait ni pour ses peuples, ni pour la gloire, il laissa l'état accablé de dettes.

Charles V. finit sa carriere le 16 Septembre 1380, au château de Beauté dans le bois de Vincennes, âgé de 44 ans, après seize ans de regne. On dit qu'il mourut d'un poison lent ; mais sa mauvaise constitution étoit le véritable poison qui le tua. Sa prudence ou sa dextérité lui fit donner le surnom de sage, & la valeur de du Guesclin fit réussir les armes de ce monarque. Son regne est une époque mémorable dans l'histoire des lettres. " Ce prince, dit Christine de Pisan, avoit été instruit en lettres moult suffisamment ". Ce fut vers son regne, selon Pasquier, que les chants royaux, ballades, rondeaux & pastorales commencerent d'avoir cours ; c'est en effet à son tems que commence, pour ne plus s'interrompre, la chaîne de nos poëtes françois. Froissart faisoit des vers sous le regne de ce prince ; Charles d'Orléans, pere de Louis XII. nous a laissé un recueil manuscrit de ses poésies ; à sa mort François Villon avoit 33 ans, & Jean Marot, pere de Clément, étoit né. Henault.

Au reste on fait monter les trésors qu'amassa Charles V. jusqu'à la somme de dix-sept millions de livres de son tems. Il est certain qu'il avoit prodigieusement accumulé, & que tout le fruit de son économie fut ravi & dissipé par son frere le duc d'Anjou, dans sa malheureuse expédition de Naples.

Charles IX. finit aussi ses jours au château de Vincennes le 30 Mai 1574, âgé de 24 ans. M. de Cipierre avoit été son gouverneur, lorsqu'il n'étoit encore que duc d'Orléans ; quand il devint roi, on joignit à M. de Cipierre le prince de la Roche-sur-Yon. Il eut pour précepteur Jacques Amiot.

Il avoit rendu son nom odieux à toute la terre dans un âge où les citoyens de sa capitale ne sont pas encore majeurs. La maladie qui l'emporta est très-rare. Son sang couloit par tous les pores. Cet accident dont il y a quelques exemples, est la suite, ou d'une crainte excessive, ou d'une passion furieuse, ou d'un tempérament violent & atrabilaire. Il passa dans l'esprit des peuples, & sur-tout des protestans, pour l'effet de la vengeance divine : opinion utile, si elle pouvoit arrêter les attentats de ceux qui sont assez puissans & assez malheureux pour n'être pas soumis au frein des loix. Voltaire.

Une chose bien singuliere, c'est que c'est sous le regne de Charles IX. regne rempli de meurtres & d'horreurs, que furent faites nos plus sages loix & les ordonnances les plus salutaires à l'ordre public, qui subsistent encore aujourd'hui dans la plus grande partie de leurs dispositions. On en fut redevable au chancelier de l'Hôpital, dont le nom doit vivre à jamais dans la mémoire de ceux qui aimeront la justice. Ce qui est aussi extraordinaire, c'est que ce même prince, que tous les historiens nous peignent comme violent & cruel, & qui s'avoua l'auteur de la S. Barthelemi, aima cependant les sciences & les lettres, se plut & réussit aux arts, qui adoucissent l'ame, & nous a même laissé des preuves de son talent pour la poésie ; aussi ce prince n'avoit-il pas toujours été le même : ce fut, dit Brantôme, le maréchal de Retz, florentin, qui le pervertit du tout, & lui fit oublier & laisser toute la belle nourriture que lui avoit donné le brave Cipierre. Henault.

Enfin c'est à Vincennes qu'en 1661 mourut à 58 ans, le cardinal Mazarin, gouverneur de ce château, dans lequel il laissa huit millions de livres en or ; le marc d'argent qui vaut aujourd'hui 50 francs, étoit alors à 27 livres. On s'est plu à faire le parallele des cardinaux Mazarin & de Richelieu. Je dirai seulement ici que tous deux se sont ressemblés en amassant de grandes richesses, & ne cherchant qu'à venger leurs injures particulieres, & en préférant l'illustration de la place à celle de la vertu, l'autorité & la puissance à la gloire de faire passer leurs noms en bénédiction à la postérité. Ils l'ont laissé haï, odieux & détesté. (D.J.)


VINCENT SAINT(Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la province de l'Asturie, au couchant de Santillane, avec un petit port. (D.J.)

VINCENT Saint, (Géog. mod.) ou san Vicente, île d'Afrique, une de celles du Cap-verd, entre l'île de Saint-Antoine au nord-ouest, & Sainte-Lucie au sud-est. Elle est montagneuse & déserte. (D.J.)

VINCENT Saint, (Géog. mod.) capitainerie du Brésil. Voyez VICENTE san, (Géog. mod.)

VINCENT Saint, (Géog. mod.) île de l'Amérique septentrionale, une des Antilles, au midi de celle de Sainte-Lucie, à 6 lieues de l'île des Barbades, & à 12 de la Grenade. Elle peut avoir dix-huit lieues de tour ; elle est fort hachée, pleine de hautes montagnes couvertes de bois ; c'est-là le centre des sauvages Caraïbes & des Negres fugitifs. Long. 316. 40. latit. 13. (D.J.)


VINDANA(Géog. anc.) port de la Gaule lyonnoise, selon Ptolémée, l. II. c. vij. C'est le port de la ville de Vannes. (D.J.)


VINDASS. m. (Méch.) n'est autre chose qu'un tour ou treuil, dont l'axe est perpendiculaire à l'horison. On l'appelle autrement cabestan. Voyez TOUR, TREUIL & CABESTAN. (O)


VINDELICIE(Géog. anc.) Vindelicia, en grec ; les latins disoient communément par une élégance de la langue, Vindelici pour Vindelicia, c'est-à-dire qu'ils appelloient alors le pays du nom de la nation.

La Vindelicie est une contrée de l'Europe au nord des Alpes, & au midi du Danube. On prétend que ce nom est formé de ceux de deux fleuves qui arrosent la contrée, & dont l'un qui mouille la ville d'Augsbourg, à la gauche, étoit appellé Vinde, & l'autre qui la mouille à la droite se nommoit Lycus.

Strabon, l. IV. dit que les Rhétiens & les Vindeliciens habitoient près des Salasses la partie des montagnes qui regardent l'orient, & tournent vers le midi ; qu'ils étoient limitrophes des Helvétiens & des Boïens ; que les Rhétiens s'étendoient jusqu'à l'Italie, au-dessus de Vérone & de Côme, & que les Vindeliciens & les Noriques occupoient l'extrêmité des montagnes du côté du nord. Les Rhétiens, selon le même géographe, ne touchoient au lac de Constance que dans une petite partie de son bord, savoir entre le Rhin & Bregentz. Les Helvétiens & les Vindeliciens occupoient une plus grande partie du bord de ce lac, & même les Vindeliciens possédoient Bregentz.

L'ancienne Vindelicie avoit le Danube au nord ; du côté de l'orient, l'Inn (l'Aenus) la séparoit du Norique ; du côté de l'occident, elle s'étendoit depuis le lac de Constance jusqu'au Danube ; du côté du midi, les Vindeliciens possédoient des plaines montueuses à l'extrêmité des Alpes, & les Rhétiens habitoient les plus hautes Alpes jusqu'à l'Italie. Augsbourg (Augusta Vindelicorum) étoit une des principales villes des Vindeliciens. L'histoire romaine nous apprend que ces peuples ayant présenté la bataille à Drusus l'an de Rome 739, il les défit, & reçut pour cette victoire les honneurs de la préture. Velser place cette action dans les campagnes du Leck.

Lorsque la Vindelicie eut été subjuguée par les Romains, cette contrée ne forma plus une province particuliere, mais fut jointe à la Rhétie ; & depuis lors toute la contrée qui se trouve renfermée entre le lac de Constance, le Danube, l'Inn & les pays des Carni, des Vénetes & des Insubres, fut presque toujours appellée Rhoetia ou provincia Rhaetiae ; de façon néanmoins que les Rhétiens & les Vindeliciens demeuroient deux peuples séparés, quoique dans une même province. C'est pour cela que Tacite, Germ. c. xlj. qualifie Augsbourg, Augusta Vindelicorum, splendidissima Rhaetiae provinciae, colonia. (D.J.)


VINDELICIENSS. m. pl. Vindelici, (Hist. anc. & Géogr.) peuple de Germanie qui du tems des Romains habitoit les bords du Danube, & dont le pays s'étendoit jusqu'aux sources du Rhin. Leur pays occupoit les provinces connues aujourd'hui sous le nom de l'Autriche, la Stirie, la Carinthie, le Tirol, la Baviere, &c. leur capitale étoit Augusta Vindelicorum, c'est-à-dire Augsbourg.


VINDÉMIALES(Antiq. grecq. & rom.) fête des vendanges en l'honneur de Bacchus. On y vantoit ses présens ; on célébroit des jeux en son honneur dans les carrefours & les villages de la Grece, où un bouc étoit le prix de la victoire. Les acteurs animés par la liqueur bacchique sautoient à-l'envi sur des outres frottés d'huile.

Les Latins emprunterent des Grecs ces mêmes jeux. On les voyoit dans les villages réciter des vers burlesques, & couverts de masques barbouillés de lie, tantôt chanter les louanges du dieu du vin, tantôt attacher à des pins des escarpolettes pour s'y balancer hommes & femmes. On portoit par-tout la statue respectable du fils de Sémelé, que suivoit en procession une foule de peuple.

Cependant Virgile, dont j'emprunte cette peinture, semble ne pas faire autant de cas des dons de Bacchus que de ceux de Cérès, de Palès & de Pomone. Penserons-nous que ses présens, dit le poëte, soient plus chers aux hommes que les autres présens de la nature ! Que de desordres a causé ce dieu par ses largesses ! Que de crimes n'a-t-il pas fait commettre ! Autrefois il arma les centaures, & fit périr dans l'ivresse Rhétus, Pholus & le vaillant Hylée armé d'un broc de vin, dont il menaçoit de terrasser les Lapithes.

Quid memorandum aeque ? Baccheia dona tulerunt

Bacchus, & ad culpam causas dedit ; ille furentes

Centauros letho domuit, Rhoetumque, Pholumque,

Et magno Hylaeum Lapithis cratere minantem.

Georg. lib. II. vers. 454.

Mais Virgile n'entend pas qu'on néglige le culte & les honneurs que méritoit Bacchus pous ses bienfaits ; célébrons, dit-il, ses louanges par des vers tels que nos peres les chantoient ; offrons-lui des bassins chargés de fruits & de gâteaux ; enfin conduisons à ses autels un bouc sacré, & que les entrailles fumantes de la victime soient rôties avec des branches de coudrier.

Ergo rite suum Baccho dicemus honorem

Carminibus patriis, lancesque & liba feremus ;

Et ductus cornu stabit sacer hircus ad aram,

Pinguiaque in verubus torrebimus exta colurnis.

Georg. lib. II. vers. 393.

Après tout, c'est la reconnoissance qui fit instituer dans le paganisme des jours solemnels pour célébrer les dieux auxquels ils se croyoient redevables de leur recolte. De-là viennent en particulier les chants de joie qu'ils consacroient au dieu des vendanges. Ses fêtes qui arrivoient en l'automne, lorsque tous les travaux champêtres étoient finis, dans un tems fait pour jouir, furent beaucoup plus célebres que celles des autres dieux, parce que le plaisir des adorateurs se trouvoit lié avec la gloire du dieu qu'on adoroit. Enfin, après avoir chanté le dieu du vin, on chanta bientôt celui de l'amour ; ces deux divinités avoient trop de liaison pour être long-tems séparées par des coeurs sensibles. (D.J.)


VINDERIUS(Géog. anc.) fleuve de l'Hibernie. Ptolémée, l. II. c. ij. marque l'embouchure de ce fleuve sur la côte orientale de l'île, entre le promontoire Isamnium & l'embouchure du fleuve Logia. C'est aujourd'hui, selon Cambden, Bay of Knocfergus. (D.J.)


VINDICATIFadj. (Gram.) celui qui est enclin à la vengeance. Je ne voudrois pas appeller vindicatif celui qui se rappelle facilement l'injure qu'il a reçue ; car il y a des hommes qui se souviennent très-bien, qui n'oublient même jamais les torts qu'on a avec eux, & qui ne s'en vengent point, qui ne sont point tourmentés par la rancune & le ressentiment ; c'est une affaire purement de mémoire. Ils ont l'insulte qui leur est propre, présente à l'esprit à-peu-près comme celle qu'on a faite à un autre, & dont ils ont été témoins. Il y a donc dans l'esprit de vengeance quelque chose de plus que la mémoire de l'injure. Je pense qu'au moment de l'injure le ressentiment naît plus ou moins vif ; dans cet état du ressentiment, les organes intérieurs sont affectés d'une certaine maniere ; nous le sentons au mouvement qui s'y produit. Si cette affection dure, tient long-tems ; si elle passe, mais qu'elle reprenne facilement ; si elle reprend avec plus de force qu'auparavant ; voilà ce qui constituera le vindicatif. Mutatis mutandis, appliquez les mêmes idées à toutes les autres passions, & vous aurez ce qu'on appelle le caractere dominant. C'est un tic des organes intérieurs, vice qu'il est très-dangereux de prendre, qu'on peut contracter de cent manieres différentes, auquel la nature dispose & qu'elle donne même quelquefois. Lorsqu'elle le donne, il est impossible de s'en défaire ; c'est une affection des organes intérieurs, qu'il n'est pas plus possible de changer que celle des organes extérieurs ; on ne refait pas plus son coeur, sa poitrine, ses intestins, son estomac, les fibres passionnées, que son front, ses yeux ou son nez. Celui qui est colere par ce vice de conformation, restera colere ; celui qui est humain, tendre, compatissant, restera tendre, humain, compatissant ; celui qui est cruel & sanguinaire, trouvera du plaisir à plonger le poignard dans le sein de son semblable, aimera à voir couler le sang, se complaira dans les transes du moribond, & repaîtra ses yeux des convulsions de son agonie. Si l'on a vu des hommes prendre des caracteres tout opposés à ceux qu'ils avoient ou paroissoient avoir naturellement, c'est que le premier qu'ils ont montré n'étoit que simulé, ou que peut-être il est possible que les organes intérieurs aient d'abord la conformation qui donne telle passion dominante, tel fond de caractere ; qu'en s'étendant, qu'en croissant avec l'âge, ils prennent cette conformation habituelle qui rend le caractere différent, ou même qui donne un caractere opposé. Il en est ainsi des organes extérieurs ; tel enfant dans ses premieres années est beau, & devient laid ; tel autre est laid, & devient beau.


VINDICATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) chez les anciens auteurs latins signifioit vengeance ; il est employé en ce sens par Cicéron de inventione.

Mais en Droit, le terme de vindication signifie l'action réelle, par laquelle on réclamoit le droit que l'on avoit sur une chose, à la différence des actions personnelles, que l'on appelloit condictions.

La vindication, c'est à-peu-près la même chose que ce que nous entendons dans notre droit françois par le terme de revendication.

Celui de vindication venoit du latin vindicia, qui, dans l'ancien droit, signifioit possession.

La vindication étoit de trois sortes, celle de la propriété, celle des servitudes & celle du gage ; mais ces deux dernieres n'étoient pas directes, ce n'étoient que des quasi-vindications, parce que celui qui agissoit pour une servitude ou pour un gage, ne prétendoit pas être propriétaire de la chose, il y réclamoit seulement quelque droit.

La vindication de la propriété étoit universelle, ou spéciale universelle, lorsqu'on réclamoit une hérédité entiere spéciale, lorsqu'on revendiquoit une chose en espece, & celle-ci est la seule à laquelle le nom de vindication devint propre. Voyez au ff. le tit. VI. de rei vindicatione, & les mots ACTION REELLE, GAGE, HYPOTHEQUE, REVENDICATION, SERVITUDE, POSSESSION, PROPRIETE. (A)


VINDICTA(Antiq. rom.) baguette dont le licteur touchoit la tête de l'esclave que le préteur mettoit en liberté. Plaute appelle cette baguette festuca. (D.J.)


VINDICTES. f. (Gramm. & Jurisprud.) vindicta étoit une des manieres d'affranchir les esclaves usitées chez les Romains ; c'étoit lorsque l'affranchissement se faisoit devant un magistrat, tel qu'un préteur, un consul ou un proconsul. Cette manumission, per vindictam, étoit la plus pleine & la plus parfaite de toutes : elle prenoit son nom de ce que le magistrat ou un licteur frappoit deux ou trois fois la tête de l'esclave avec une petite baguette, appellée vindicta, du nom d'un esclave nommé Vindicius ou Vindex, celui qui découvrit aux Romains la conspiration des fils de Brutus, pour le rétablissement des Tarquins. D'autres prétendent que vindicta étoit le terme propre pour exprimer une baguette telle que celle dont on se servoit pour cette manumission. Voyez Borcholten, sur les institut. l. I. tit. VI. Moreri, à l'article de vindiciis ; l'hist. de la jurisprud. rom. de M. Terrasson ; & ci-devant les mots AFFRANCHISSEMENT, SERF, ESCLAVE. (A)

VINDICTE PUBLIQUE, (Jurisprud.) terme consacré pour exprimer la vengeance & poursuite des crimes.

En France, la vindicte publique n'appartient qu'au ministere public, c'est-à-dire qu'il n'appartient qu'aux gens du roi, ou aux avocats & procureurs fiscaux des seigneurs de conclure à la peine due au crime ; les particuliers qui ont été offensés ne peuvent que se porter dénonciateurs, ou se rendre parties civiles ; & en cette derniere qualité, ils ne peuvent conclure qu'en des dommages & intérêts. Voyez CRIME, DELIT, MINISTERE PUBLIC, PARTIE CIVILE, PARTIE PUBLIQUE, PEINE. (A)


VINDILESLES, (Géog. anc.) Vindili ou Vandili, selon Pline, l. IV. c. xiv. & Vandalii, selon Tacite. Ce sont les mêmes peuples de Germanie que les Vandales. Voyez VANDALES, Géog. anc. (D.J.)


VINDINUM(Géog. anc.) ville de la Gaule lyonnoise. Ptolémée, l. II. c. viij. la donne aux Aulerci, appellés aussi Cenomani. Villeneuve croit que c'est présentement Vendosme. (D.J.)


VINDIUS(Géog. anc.) montagne de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. la marque au nombre des montagnes les plus considérables du pays. Elle est nommée Vinnius mons par Florus, l. IV. c. xij. qui lui donne l'épithete d'eminentissimus. On ne s'accorde pas sur le nom moderne. Les uns l'appellent Sierra de Asturia, les autres Sierra d'Oca ou Sierra d'Oviedo ; d'autres nomment cette montagne Irnio & Ernio ; & l'auteur des délices du Portugal, page 713, dit, le mont que les anciens ont appellé Vindius ou Vinduus (car aujourd'hui il n'a point de nom particulier), est cette chaîne de montagnes qui, se détachant des Pyrénées, traverse la Biscaye & l'Asturie, & forme à l'entrée de la Galice deux branches, dont l'une s'étend de long jusqu'au cap de Finisterre ; l'autre tournant au midi, traverse le pays des anciens Bracares, & sépare la province de Tra-los-Montes de celles qui sont au couchant. (D.J.)


VINDO(Géog. anc.) fleuve de la Germanie, dans la Vindelicie. Ce fleuve, appellé aujourd'hui Wertach, arrose la ville d'Augsbourg du côté du couchant, & se joint au Lech au-dessous de cette ville. Fortunat en parle ainsi dans la vie de saint Martin, l. IV.

Pergis ad Augustam, quam Vindo, Lucusque fluentat.

Nous n'avons point d'écrivains antérieurs qui ayent fait mention du Vindo. Paul Diacre, de gest. long. l. II. c. xiij. qui, comme il le dit lui-même, copie cet endroit de Fortunat, écrit Virdo au-lieu de Vindo : ce qui donne sujet de douter s'il ne faudroit point lire aussi Virdo dans Fortunat, outre que le nom moderne contribueroit à appuyer cette orthographe. Cependant un poëte (Ricardus, aust. l. II.) venu long-tems après, suit la premiere orthographe, si ce n'est qu'il dit Vinda au-lieu de Vindo.

Respicit & latè fluvios Vindamque, Licumque.

Cellar. geogr. ant. l. II. c. vij.

(D.J.)


VINDOBONA(Géog. anc.) ville de la Pannonie supérieure. L'itinéraire d'Antonin place Vindobona sur la route de Sirmium à Treves, en passant par Sopiane ; & il la met entre Mutenum & Comagene, à 22 milles du premier de ces lieux, & à 24 du second. Aurelius Victor écrit Vendobona, la notice des dignités de l'empire Vindomada, & Jornandès Windomina, d'où apparemment a été formé le nom moderne Wien, dont les François ont fait celui de Vienne.

Personne n'a parlé de cette ville avant Ptolémée, l. II. c. xv. Velleïus Paterculus, l. II. c. cix. donne à entendre qu'elle ne subsistoit pas du tems de Tibere, ou que du-moins elle n'étoit pas alors considérable, car il dit que Carnutum ou Carnuntum, étoit la place des Romains la plus voisine du royaume de Norique. Or, il s'ensuit de-là qu'il n'y avoit aucune ville importante entre Carnuntum & les confins du Norique, du tems de Velleïus Paterculus ; autrement Carnuntum n'auroit pas été la place la plus proche de ce royaume. Mais si Carnuntum fut originairement plus célebre que Vindobona, cette derniere ne laissa pas de devenir dans la suite une place de quelque importance, puisque dès le tems de Ptolémée, l. II. c. xv. la dixieme légion germanique y étoit en garnison. D'anciennes inscriptions trouvées à Vienne, disent la même chose. Elles sont rapportées par W. Lazius, l. I. rép. V. c. vj. il y en a une entr'autres où on lit cet mots. L. Quirinaris maximus Trib. milit. leg. x. germ. Les historiens des siecles barbares ont donné à cette ville différens noms, comme Ala-Flaviana, Castra-Flaviana, Flavianum & Fabiana. Voyez VIENNE en Autriche. (Géog. mod.) (D.J.)


VINDOGLADIA(Géog. anc.) Vindugladia ou Vindocladia, ville de la grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Calleva à Viroconium, entre Sorbiodunum & Durnovaria, à 12 milles du premier de ces lieux, & à 8 du second. Il y en a qui veulent que ce soit aujourd'hui Hulphord, au pays de Galles ; mais selon Cambden, c'est Winburnminster en Dorsetshire. (D.J.)


VINDOMORA(Géog. anc.) ville de la Grande-Bretagne : l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route du retranchement au prétoire, entre Corstopitum & Vinovia, à 9 milles du premier de ces lieux, & à 19 du second. A 2 ou 3 milles de New-Castle, il y a un petit village nommé Walesend, ce qui signifie la fin ou le bout de la muraille ; quelques-uns prétendent que c'est l'ancienne Vindomora ou Vindobala, qui vouloit dire la même chose. Cependant M. Gale croit que Vindomora, est présentement Dolande. C'est la notice des dignités de l'Empire qui emploie le nom Vindobala. (D.J.)


VINDONISSA(Géog. anc.) ville de la Gaule belgique, sur la route de Sirmium à Treves, en passant par Sopianae. Cette ville est ancienne, car Tacite, l. IV. Hist. c. lxj & lxx. en fait mention, en nous apprenant que la vingt-unieme légion romaine y résidoit. La même chose semble aussi prouvée par l'inscription qui a été trouvée dans son voisinage. Cette inscription porte.... Claudio Pimno medico leg. xxj. Claudioe Quietae ejus Atticus patronus. On juge que Vindonissa, nommée Castrum Vindonissense dans la notice des villes des Gaules, est aujourd'hui Windisch, village de Suisse, au canton de Berne, dont nous faisons l'article en faveur de Vindonissa ; ainsi voyez WINDISCH. (D.J.)


VINDONUou VINDONIUM, (Géog. anc.) ville de la grande-Bretagne, selon l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route de Calleva à Viroconium, en passant par Muridunum. Elle étoit entre Viroconium & Venta-Belgarum, à 15 milles du premier de ces lieux, & à 21 milles du second ; c'est aujourd'hui Farnham-sur-le-Wey, selon M. Wesseling ; cependant Cambden veut que ce soit Silcester, au comté de Soutampton, & cette opinion est bien plus vraisemblable. Voyez SILCESTER. (D.J.)


VINETIERS. m. (Hist. nat. Botan.) nom de l'arbrisseau épineux dont le fruit s'appelle épine-vinette. Voyez EPINE-VINETTE. (D.J.)


VINEUXadj. (Gram.) ce qui a quelque rapport au vin, ou ce qui en a le goût ou l'odeur. Voyez VIN.

Toutes les plantes bien cultivées rendent une liqueur vineuse, comme le blé, les légumes, noix, pommes, raisins, &c. Voyez DRECHE, BRASSER.

Une fermentation bien ménagée convertit une liqueur vineuse en vinaigre. Voyez VINAIGRE.

L'effet de la fermentation ou son caractere propre, c'est de produire dans le corps fermenté une qualité vineuse ou acéteuse. Voyez FERMENTATION.

Quelques Anglois s'étant engagés à faire le voyage des Indes orientales, & ayant empli plusieurs tonneaux de l'eau de la Tamise pour la boire en route ; lorsqu'ils s'approcherent de l'équateur, ils remarquerent un mouvement intérieur dont cette eau étoit travaillée, & quelque tems après, ils trouverent qu'elle s'étoit changée dans une espece de liqueur vineuse, dont on auroit pû tirer un esprit inflammable par la distillation. Voyez EAU & ESPRIT.

Il est certain que cela vient des fleurs, feuilles, racines, fruits & autres matieres végétales qui tombent continuellement, ou qu'on lave dans la Tamise. Ces eaux-là se trouvent toujours dans un état de putréfaction, avant de prendre une qualité vineuse. Voyez PUTREFACTION.


VINGTmot indéclinable, (Arithmét.) nombre pair, composé de deux fois dix, ou dix fois deux, ou de quatre fois cinq, ou de cinq fois quatre. Vingt en chiffre arabe s'exprime en posant un zero après un deux, comme il se voit par ces deux caracteres (20). En chiffre romain, il s'écrit ainsi (XX), & en chiffre françois, de compte ou de finance, de cette maniere (xx). Pour mettre vingt pour cent en écriture mercantille abrégée, il faut l'écrire de la sorte (20 pour %). (D.J.)

VINGT POUR CENT, (Comm.) droit qui se paye en France sur toutes les marchandises du levant, venant des pays de la domination du grand-seigneur, du roi de Perse, de Barbarie, qui ont été entreposées dans les pays étrangers, ou qui n'entrent pas dans le royaume par le port de Marseille, ou autres désignés par les arrêts & réglemens du conseil. Dictionnaire de Commerce.

VINGT-UN POUR VINGT, (Comm.) on nomme ainsi à Bordeaux, une déduction qui se fait à la cargaison des vaisseaux marchands, tant au convoi qu'à la comptablie pour les droits de la grande coutume, à raison d'un tonneau d'un vingtieme sur vingt-un ; ensorte que les droits ne se payent que pour vingt. Voyez CARGAISON, COMPTABLIE, CONVOI, COUTUME. Dict. de Commerce.

VINGT-QUATRE, jeu du, ce jeu suit presque en tout les loix du jeu de l'impériale. Lorsqu'on joue cinq, il y faut toutes les petites cartes, & celui qui mêle, donne dix cartes à chacun ; lorsqu'on est quatre, trois ou deux, on en donne douze. Mais il faudra ôter, lorsqu'on joue à trois, les trois dernieres especes de cartes, & lorsqu'on joue à deux, on ôte toutes les petites, en commençant par les as qui ne valent qu'un point. Remarquez qu'au jeu de point les cinq premieres cartes, qui sont l'as, le deux, le trois, le quatre & le cinq, se comptent à la virade, & non pas les cinq dernieres, & au jeu par figures, c'est le roi, la dame, le valet, le dix & le neuf.

Les impériales sont au-moins de cinq ; celles de six valent mieux que ces premieres, & ainsi des autres toujours en montant, & s'emporteront, comme au piquet, par la force des points, & en cas d'égalité, celui qui l'auroit de la couleur de la tourne, gagneroit ; autrement ce seroit celui qui auroit la main. Voyez le jeu d'impériale.

On compte le point & les marquans chacun pour quatre, pour celui qui les a, comme à l'impériale, & de même que pour les cartes, c'est celui qui a plus-tôt vingt-quatre, qui gagne la partie & ce qu'on a mis au jeu ; c'est aussi ce nombre qu'il faut avoir pour gagner la partie, qui a donné nom au jeu, selon toute apparence.


VINGTAINES. f. (terme de Maçon) les Maçons appellent ainsi un petit cordage qui sert à conduire les pierres qu'ils élevent avec des engins pour mettre sur le tas. Il est attaché à la pierre ; & lorsqu'on tire le gros cable, un ouvrier tient le bout de la vingtaine pour l'éloigner des échaffauds & des murailles, & pour qu'il se pose juste sur l'endroit où il est destiné. (D.J.)


VINGTIEMES. m. sorte d'imposition. Voyez cet article à la fin de ce volume.

VINGTIEME, (Arithmétique) en fait de fractions ou nombre rompus, un vingtieme se marque ainsi (1/20) ; on dit aussi trois vingtiemes, cinq vingtiemes, sept vingtiemes, un vingt & unieme, un vingt-troisieme, un vingt-cinquieme, &c. & toutes ces différentes fractions se marquent de cette maniere 3/20 5/20 7/20 1/21 1/23 1/25.

Le vingtieme de 20 sols est un sol, qui est une des parties aliquotes de la livre tournois, & dix deniers est un vingt-quatrieme de vingt sols, qui est aussi une des parties aliquotes de la livre tournois. (D.J.)


VINHAES(Géog. mod.) les François curieux d'orthographier à leur mode, écrivent Vinais ; petite ville, ou bourg muré de Portugal, dans la province de Tra-los-montes, sur une colline, aux frontieres de la Galice. (D.J.)


VINOVIou VINONIA ou VICONIA, (Géog. anc.) ville de la grande Bretagne. Elle est placée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route du retranchement au prétoire, entre Vindomora & Cataractoni, à dix-neuf milles du premier de ces lieux, & à vingt-deux milles du second. On convient que c'est aujourd'hui Bincester ou Binchester, près de la Were, un peu au-dessus de Bischops-Anckland. On y voit sur un côteau les ruines de cette ville, avec des restes de murailles & de fortifications. On y a trouvé quantité de médailles avec des inscriptions, entr'autres, celle-ci faite à l'honneur des déesses meres :

Deab.

Matrib. Q. Lo...

... Cl.... Quintianus.... Cos.

V. S. L. M.

Cette ville est la même que Ptolémée, l. II. c. iij. nomme Vinnovium, Binonium ou Vinovia, & qu'il donne aux Brigantes. (D.J.)


VINTANA(Géog. mod.) ville de l'île de Ceylan, au royaume de Candy, sur la riviere de Trinquamale, à neuf lieues de la mer. Cette ville a une pagode célebre dans le pays. (D.J.)


VINTIMIGLIA(Géog. mod.) les François disent & écrivent Vintimille ; ville d'Italie, dans l'état de Gènes, à l'embouchure de la riviere de Rotta dans la Méditerranée, à huit milles au nord-est de Monaco, à 15 au nord-est de Nice, & à 35 d'Albenga. Cette ville est celle que Pline, liv. III. c. v. nomme Intelemium Albium. Dès le vij. siecle elle étoit évêché suffragant de Milan. Long. suivant Cassini, 25. 9. latit. 43. 49.

Aprosio (Angelico), savant religieux de l'ordre des Augustins, naquit à Vintimiglia en 1607, & mourut vers l'an 1682. On a de lui un livre intitulé, bibliotheca Aprosiana, imprimé à Bologne l'an 1673 in-12, & qui est fort recherché des curieux. Il a mis au jour quelques autres petits ouvrages, & toujours sous de faux noms ; il se plaisoit à embarrasser ceux qui aiment à ôter le masque à un auteur déguisé. (D.J.)


VINTINS. m. (Monnoie portugaise) petite monnoie de billon qui se fabrique en Portugal, & qui vaut vingt reis ; c'est aussi une monnoie de compte des Indes orientales. (D.J.)


VINTIUM(Géog. anc.) ville des Alpes maritimes. Ptolémée, l. III. c. j. la donne aux Nérusiens. Ortelius croit que c'est la ville Ventia de Dion Cassius. Le nom moderne est Vence. Dans le fauxbourg de cette ville on voit cette inscription à l'honneur de Gordien :

Civitas Vint. Devota Numini Majestatique ejus.

On y voit encore une autre inscription faite à l'honneur de Trajan, & qui finit ainsi :

P. P.

Civit. Vint.

Dans une notice des provinces cette ville est appellée civitas Vintiensium, & dans une autre, civitas Vinciencium ; & Grégoire de Tours, en parlant de la mort de Deutherius, évêque de Vence, dit : obiit Deutherius vinciensis episcopus. (D.J.)


VINUNDRIA(Géog. anc.) ville de la haute Pannonie. Ptolémée, l. II. c. xv. la nomme parmi les villes qui étoient éloignées du Danube. Lazius pense que c'est aujourd'hui Windischgratz. (D.J.)


VIOLVIOLEMENT, VIOLATION, (Synonym.) on se sert fort bien du premier en terme de palais, pour exprimer le crime que l'on commet en violant une femme ou une fille, & violement ne vaudroit rien en ce sens-là ; mais violement se prend pour l'infraction d'une loi, & est toujours suivi d'un génitif ; il a été accusé de viol ; il a été condamné pour un viol. On ne diroit pas, il a été accusé de violement ; il a été condamné pour un violement ; mais on dit, le violement des loix, le violement d'une alliance. Violation se dit plutôt que violement des choses sacrées ; on dit la violation des asyles, des églises, des sépulchres, d'une coutume religieuse, & du droit des gens en la personne d'un ambassadeur. (D.J.)

VIOL, s. m. (Gram. & Jurisp.) terme qui paroît être un abrégé du mot violence, en latin stuprum, est le crime que commet celui qui use de force & de violence sur la personne d'une fille, femme ou veuve, pour la connoître charnellement, malgré la résistance forte & persévérante que celle-ci fait pour s'en défendre.

Pour caractériser le viol, il faut que la violence soit employée contre la personne même, & non pas seulement contre les obstacles intermédiaires, tels qu'une porte que l'on auroit brisée pour arriver jusqu'à elle.

Il faut aussi que la résistance ait été persévérante jusqu'à la fin ; car s'il n'y avoit eu que de premiers efforts, ce ne seroit pas le cas du viol, ni de la peine attachée à ce crime. Cette peine est plus ou moins rigoureuse selon les circonstances.

Lorsque le crime est commis envers une vierge, il est puni de mort, & même du supplice de la roue, si cette vierge n'étoit pas nubile. Chorier sur Guypape rapporte un arrêt du parlement de Grenoble, qui condamna à cette peine un particulier pour avoir violé une fille âgée seulement de quatre ans huit mois.

Quand le viol est joint à l'inceste, c'est-à-dire qu'il se trouve commis envers une parente ou une religieuse professe, il est puni du feu.

Si le viol est commis envers une femme mariée, il est puni de mort, quand même la femme seroit de mauvaise vie : cependant quelques auteurs exigent pour cela que trois circonstances concourent ; 1°. que le crime ait été commis dans la maison du mari, & non dans un lieu de débauche ; 2°. que le mari n'ait point eu part à la prostitution de sa femme. 3°. que l'auteur du crime ignorât que la femme étoit mariée.

Lorsque le viol est joint à l'abus de confiance, comme du tuteur envers sa pupille ou autre, à qui la loi donnoit une autorité sur la personne qu'il a violée, il y a peine de mort, s'il est prouvé que le crime a été consommé ; & à celle des galeres ou du bannissement perpétuel, s'il n'y a eu simplement que des efforts.

On n'écouteroit pas une fille prostituée qui se plaindroit d'avoir été violée, si c'étoit dans un lieu de débauche ; si le fait s'étoit passé ailleurs, on pourroit prononcer quelque peine infamante, & même la peine de mort naturelle ou civile, telle que le bannissement ou les galeres perpétuelles, si cette fille avoit totalement changé de conduite avant le viol.

Boerius & quelques autres auteurs prétendent qu'une femme qui devient grosse, n'est point présumée avoir été violée, parce que le concours respectif est nécessaire pour la génération.

La déclaration d'une femme qui se plaint d'avoir été violée, ne fait pas une preuve suffisante, il faut qu'elle soit accompagnée d'autres indices, comme si cette femme a fait de grands cris, qu'elle ait appellé des voisins à son secours, ou qu'il soit resté quelque trace de la violence sur sa personne, comme des contusions ou blessures faites avec armes offensives ; mais si elle s'est tue à l'instant, ou qu'elle ait tardé quelque tems à rendre plainte, elle n'y est plus recevable.

Bruneau rapporte un trait singulier, qui prouve combien les preuves sont équivoques en cette matiere. Un juge ayant condamné un jeune homme qu'une femme accusoit de viol, à lui donner une somme d'argent par forme de dommages-intérêts, il permit en même tems à ce jeune homme de reprendre l'argent qu'il venoit de donner ; ce que ce jeune homme ne put faire par rapport à la vigoureuse résistance que lui opposa cette femme, à laquelle le juge ordonna en conséquence de restituer l'argent, sur le fondement qu'il lui eût été encore plus facile de défendre son honneur, que son argent, si elle l'eût voulu.

Voyez au ff. le titre ad leg. Jul. de vi publ. & au code de raptu virginum, instit. de publ. judic. Julius Clarus, Damhouder, Boerius, Bruneau, Papon, & le tr. des crimes par M. de Vouglans, tit. 3. ch. vij. (A)


VIOLACA-LACA(Hist. nat. Botan.) arbre de l'île de Madagascar, dont le fruit ressemble au poivre noir, sans en avoir le goût. Il est astringent & dessicatif.


VIOLES. f. (Lutherie) instrument de musique, qui est de même figure que le violon, à la reserve qu'elle est beaucoup plus grande : elle se touche de même avec un archet ; mais elle a six cordes & huit touches divisées par demi-tons ; elle rend un son plus grave qui est fort doux & fort agréable. Un jeu de violes est composé de quatre violes qui font les quatre parties. La tablature de la viole se met sur les six lignes ou reglets.

Il y a des violes de bien des sortes. 1°. La viole d'amour ; c'est une espece de dessus de viole qui a six cordes d'acier ou de laiton, comme celles du clavessin, & que l'on fait sonner avec un archet à l'ordinaire. Cela produit un son argentin qui a quelque chose de fort agréable. 2°. Une grande viole, qui a 44 cordes, & que les Italiens appellent viola de bardone, mais qui est peu connue en France. 3°. La basse de viole, que les Italiens appellent aussi viola di gamba, c'est-à-dire viole de jambe, parce qu'on la tient entre les jambes. Brossard dit qu'on la nomme aussi viole de jambe ; ce que les Italiens appellent alto viola, en est la haute-contre ; & leur tenore viola en est la taille, &c. Le sieur Rousseau a fait un traité exprès sur cet instrument ; on peut le consulter. 4°. Les Italiens ont encore une viole qu'ils appellent viole bâtarde. Brossard croit que c'est une basse de violon montée de six ou sept cordes, & accordée comme la basse de viole. 5°. Ce que les Italiens appellent viole de bras, viola di bracio, ou simplement brazzo, bras, est un instrument à archet, qui répond à notre haute-contre, taille & quinte de violon. 6°. Leur premiere viole est à-peu-près notre haute-contre de violon ; du moins on se sert communément de la clé de c sol ut, sur la premiere ligne, pour noter ce qui est destiné pour cet instrument. 7°. Leur seconde viole est à-peu-près notre taille de violon, de la clé de c sol ut, sur la seconde ligne. 8°. Leur troisieme viole est à-peu-près notre quinte de violon, la clé de c sol ut, sur la troisieme ligne. 9°. Leur quatrieme viole n'est point en usage en France ; mais on la trouve souvent dans les ouvrages étrangers, la clé de c sol ut, est comme la taille des voix, sur la quatrieme ligne d'en-haut. 10°. Enfin, leur petite viole est, à le bien prendre, notre dessus de viole. Cependant souvent les étrangers confondent ce mot avec ce que nous venons de dire de viola prima, seconda, &c. sur-tout lorsque ces adjectifs numéraux prima, seconda, terza, &c. y sont joints. (D.J.)

VIOLE, basse de, (Instrument de Musique) de la classe des violons, représenté Pl. II. fig. 1. de Lutherie, est composé, de même que les instrumens, de deux tables, collées sur des éclisses, qui sont les côtés ou le tour de l'instrument D D D, & d'un manche A F G, dont la partie supérieure A est traversée par les chevilles E, par le moyen desquelles on tend des cordes a Q sur l'instrument ; la partie FG du manche s'appelle le talon, lequel est collé sur le tasseau. Au reste, la facture de cet instrument est la même que celle du violon, voyez VIOLON, dont il ne differe que parce qu'il a un plus grand nombre de cordes, que les éclisses sont plus larges, & que la piece Q R, à laquelle les cordes sont attachées, est elle-même accrochée à un morceau de bois Q, qu'on peut appeller contre-tasseau ; au-lieu qu'aux basses de violon cette piece Q R, appellée le tirant, est liée à un bouton, qui est à la place du contre-tasseau. Le manche A F est couvert d'une piece de bois dur noirci, ou d'ébene, notée a B, qu'on appelle la touche, parce qu'on touche cette piece avec les doigts aux endroits où il faut la toucher ; il y a des ligatures de cordes de boyau, marquées a b c d, &c. que l'on appelle singulierement touches, & sur lesquelles on applique les cordes a C, pour déterminer la longueur de leur partie vibrante, laquelle se prend depuis le chevalet C jusqu'à la touche, sur laquelle la corde est appliquée ; ce qui détermine le degré de leur son. Les touches sont éloignées les unes des autres, comme les divisions du monocorde, voyez MONOCORDE, qui sont tous compris dans l'étendue de l'octave, laquelle, pour les instrumens, est divisée en douze demi-tons égaux. Voyez DIAPASON. Quoique cependant on puisse y appliquer d'autres tempéramens, l'intervalle d'une touche à l'autre est un semi-ton ; ainsi l'intervalle a b, compris depuis le sillet a qui est la piece d'ivoire, sur laquelle passent les cordes jusqu'à la premiere touche b, il n'y a qu'un semi-ton : ainsi pour former un ton, il faut toujours passer par-dessus une touche. La viole a sept cordes de boyau, dont les plus grosses sont filées d'argent ou de cuivre, comme à la basse de violon. Ces cordes sont accordées, ensorte que de chacune a sa voisine, il y a l'intervalle d'une quarte, excepté de la quatrieme à la troisieme, où l'intervalle doit être seulement d'une tierce, & forment à vuide les tons la, ré, sol, ut, mi, la, ré, 7 6 5 4 3 2 1 voyez la table du rapport de l'étendue des instrumens, & la figure suivante, & la tablature marquée par les lettres a b c d e f g h i k l m n, qui sont les seules dont on fasse usage ; on écrit ces lettres sur six lignes paralleles, comme celles sur lesquelles on écrit ordinairement la musique. La ligne supérieure réprésente la chanterelle, ou la plus aiguë ; la seconde, la seconde corde ; la troisieme, la troisieme, &c. selon l'ordre des nombres 1 2 3 4 5 6 7 ; la septieme est représentée par l'espace, qui est au-dessous de six lignes où on écrit les lettres ; on remarquera que les lettres doivent être écrites sur les lignes mêmes, & non au-dessus ou dans leur intervalle.

Figure du manche de la viole, avec les noms des tons que font les cordes étant touchées aux endroits où ces noms sont écrits. Les lignes verticales représentent les cordes, & les horisontales les touches.

Cette tablature est si intelligible, qu'elle n'a pas besoin d'explication ; on conçoit de reste que les touches b c d e f g h, lesquelles répondent à toutes les sept cordes, étant touchées sur quelle corde on voudra, rendront le ton qui est écrit à l'intersection de la corde & de la touche. Ainsi si le c de la chanterelle étant touchée, rend le son mi, la seconde corde étant touchée sur la même touche c, rendra le son si. Cette même corde étant touchée sur la touche d, rendra le son ut, qui fait l'unisson avec l'ut de la clé de c sol ut des clavecins ; ainsi des autres. Les lignes ponctuées i k l m n représentent les autres endroits de la touche où on peut poser les doigts, & qui ne sont point garnis de cordes de boyau. Ces intervalles qui ont servi à trouver les lieux des autres touches b c d e f g h, contiennent, comme eux, un demi ton. La longueur a n, comprise entre le sillet & la ligne ponctuée n, doit être égale à la moitié de la longueur des cordes prises depuis le sillet a, jusqu'au chevalet C. Voyez la figure. Les cordes fixées au point n & touchées dans leurs parties n C avec l'archet, sonnent l'octave au-dessus du son qu'elles rendent à vuide, c'est-à-dire lorsqu'elles ne sont point touchées avec les doigts, & qu'elles peuvent vibrer dans toute leur longueur a C.

La tablature de la viole qui suit par notes de musique & lettres de l'alphabet fera voir son accord, son étendue, & le rapport du doigté expliqué ci-devant par la figure du manche, les a placés au-dessous des notes, marqueront quels sons la corde rend à vuide, & les autres lettres quels sons rendent les cordes étant touchées sur les touches auxquelles ces lettres se rapportent. Toutes les lettres de différentes cordes placées au-dessous les unes des autres vis-à-vis d'une même note, sonnent toutes l'unisson de cette note, & par conséquent l'unisson entr'elles ; les six lignes de la tablature par lettres, avec l'espace au-dessous, représentent les sept cordes de la viole, comme si le manche de cet instrument étoit couché sur le coté. Les lettres mises sur chaque corde marquent à quel endroit ou quelle touche de cette corde il faut toucher.

Tablature de la basse de viole.


VIOLENCE(Mythol.) divinité fille du Styx, & compagne inséparable de Jupiter : elle avoit un temple dans la citadelle de Corinthe, conjointement avec la Nécessité ; mais il n'étoit permis à personne d'y mettre le pié, dit Pausanias. (D.J.)


VIOLENTEMPORTé, (Synon.) il semble que le violent va jusque à l'action, & que l'emporté s'arrête ordinairement aux discours.

Un homme violent est promt à lever la main ; il frappe aussi-tôt qu'il menace. Un homme emporté est promt à dire des injures ; il se fâche aisément.

Les emportés n'ont quelquefois que le premier feu de mauvais ; les violens sont plus dangereux.

Il faut se tenir sur ses gardes avec les personnes violentes ; & il ne faut souvent que de la patience avec les personnes emportées. Girard. (D.J.)


VIOLETS. & adj. (Teinture) couleur mêlée de bleu & de rouge, qui ressemble à la fleur qui porte le nom de violette. Les soies violettes cramoisies doivent être faites de pure cochenille avec la galle à l'épine, l'arsenic & le tartre ; & après avoir été bien bouillies & lavées, être passées dans une bonne cuve d'Inde sans mêlange d'autres ingrédiens. Les violets ordinaires doivent être montés de brésil, de bois d'Inde ou d'orseille, puis passés à la cuve d'Inde. La teinture des laines violettes cramoisi se fait de cuve & de cochenille, sans y mêler d'orseille ni autres ingrédiens. A l'égard des fils, les violets rose-seche & amarante claire se teignent avec le brésil, & se rabattent avec la cuve d'Inde ou indigo. (D.J.)


VIOLETTES. f. (Hist. nat. Bot.) viola, genre de plante dont la fleur est anomale & composée de plusieurs pétales ; elle ressemble à une fleur papilionacée ; les deux pétales supérieurs ont la forme d'un étendard ; les deux latéraux représentent des aîles, & l'inférieur est fait comme une carene. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit ordinairement à trois angles, qui s'ouvre en trois parties, & qui renferme des semences le plus souvent arrondies. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

La violette ordinaire, viola martia purpurea, flore simplici odoro, I. R. H. 420, est l'espece la plus commune de ce genre de plante. Tout le monde la connoît. Sa racine est fibrée, touffue, vivace. Elle pousse beaucoup de feuilles arrondies, larges comme celles de la mauve, dentelées en leurs bords, vertes, attachées à de longues queues.

Il s'éleve d'entr'elles des pédicules grêles, qui soutiennent chacun une petite fleur très-agréable à la vue, d'une belle couleur pourprée ou bleue tirant sur le noir, d'une odeur fort douce & réjouissante, d'un goût visqueux accompagné de tant-soit-peu d'âcreté. Cette fleur charmante est composée de cinq petits pétales avec autant d'étamines à sommets obtus, & d'une espece d'éperon ; le tout est soutenu par un calice divisé jusqu'à la base, en cinq parties.

A cette fleur succede une capsule ovale, qui dans sa maturité s'ouvre en trois quartiers, & laisse voir plusieurs semences presque rondes, attachées contre les parois de la capsule, plus menues que celles de la coriandre, & de couleur blanchâtre.

Cette plante croît aux lieux ombrageux, en terre grasse, dans les fossés, le long des haies, contre les murailles, à la campagne & dans les jardins, où elle se multiplie aisément par des filets longs & rampans, qui prennent racine çà & là. Elle fleurit au premier printems vers le mois de Mars, & ne perd point ses feuilles & sa verdure pendant l'hiver.

Tournefort compte cinquante-trois especes de violettes ; car cette plante donne des feuilles & des fleurs très-variées, simples, doubles, pourpres, bleues, jaunes, blanches, de trois couleurs, &c.

Les violettes du Chily different encore des européennes, selon le P. Feuillée, en ce que leurs fleurs ne donnent aucune odeur, & que leurs feuilles sont alternes, taillées en fer de pique, assez semblables à celles de l'origan, & éloignées les unes des autres d'environ un demi-pouce.

Les anciens botanistes ont nommé violettes diverses plantes qui sont d'un genre différent, comme la julienne, qui est une espece d'hesperis & violette à large feuille, qui est la grande lunaire.

Les Grecs, suivant la remarque de Saumaise, ont donné le nom général de à la fleur que les Latins ont appellé viola ; mais les Grecs faisoient deux especes d' ; la premiere qu'ils nommoient , & l'autre . La venoit d'elle-même sans être semée, & c'est celle que nous appellons violette. La seconde dite se semoit & se cultivoit dans les jardins, c'est notre violier, ou notre giroflée. Les Grecs distinguoient trois sortes de violiers, des jaunes, qui étoient les plus communs, des blancs & des pourprés. C'est des violiers jaunes & non pas des violettes, qu'Horace parle dans ce passage : nec tinctus viola pallor amantium, les Latins ayant nommé indifféremment violae & les & les des Grecs ; ainsi le poëte a emprunté la couleur de la giroflée jaune pour peindre la triste pâleur des amans, pâleur semblable à celle de ceux qui ont la jaunisse. (D.J.)

VIOLETTE, (Mat. méd. & Pharmacie) les fleurs, les feuilles & les semences de cette plante sont en usage en médecine.

Toutes ces parties sont légérement purgatives. La racine passe pour l'être beaucoup davantage ; mais elle n'est pas d'usage.

Les fleurs de violette ont une odeur douce des plus agréables ; elles donnent une eau distillée aromatique foible en parfum, & point d'huile essentielle. Elles contiennent une substance mucilagineuse, peu abondante, pour laquelle on les emploie principalement à titre de remede adoucissant, relâchant, pectoral. On prend l'infusion ou la très-légere décoction de ces fleurs pour ptisane ou boisson ordinaire, dans les rhumes, les maladies aiguës de la poitrine, les affections des voies urinaires, les douleurs d'entrailles, les menaces d'inflammation, & l'inflammation même de ces parties, &c. On a coutume de monder ces fleurs de leurs calices, qui sont regardés comme doués d'une qualité purgative assez considérable, mais avec assez peu de fondement. Cet usage paroît n'avoir d'autre origine que l'habitude de rejetter cette partie, lorsqu'on destine les fleurs à la préparation du syrop dont nous allons parler tout-à-l'heure ; car dans ce cas l'élégance de ce remede demande cette séparation.

Le syrop de violettes appellé aussi le syrop violat, se prépare avec une forte infusion de fleurs de violettes tirée par l'eau bouillante dans un vaisseau d'étain. On laisse reposer cette infusion pendant quelques heures ; on la verse par inclination, & on y fait fondre au bain marie, dans un vaisseau d'étain, le double de son poids de beau sucre.

La matiere de ce vaisseau est essentielle pour obtenir un syrop d'une belle couleur bleue : l'étain concourt matériellement à la production de cette couleur. C'est faute d'être instruit de cette circonstance, ou d'y avoir égard, que plusieurs apothicaires, sur-tout dans la province, font un syrop de violettes, dont la couleur est fausse & desagréable.

Il y a encore sur les violettes un autre secret beaucoup moins connu que celui-ci, c'est que pour leur conserver toute leur couleur dans la dessication, pour avoir des fleurs de violettes seches d'un très-beau bleu bien foncé, il faut les exposer à une chaleur convenable dans une étuve remplie de vapeurs d'alkali volatil. Il y a apparence que ces fleurs se décolorent, & prennent un rouge pâle lorsqu'on les seche sans cette précaution, parce qu'elles éprouvent un mouvement de fermentation qui dégage un acide, lequel attaque leur couleur tendre & très-facilement altérable. La vapeur alkaline ou empêche le développement de cet acide, ou l'absorbe à mesure qu'il est développé, & il prévient ainsi son action sur la partie colorante de cette fleur.

Le syrop de violettes bien coloré, bien bleu, a dans la pratique ordinaire de la chymie, un usage assez commun. Voyez VIOLETTE teinture de, (Chymie.)

Le syrop de violettes a, comme remede, les mêmes vertus que l'infusion des fleurs dont nous avons parlé plus haut. On l'emploie même plus fréquemment, & sur-tout dans les apozèmes laxatifs, les juleps rafraîchissans, &c.

Les feuilles de violettes sont rarement employées dans l'usage intérieur ; mais elles sont presque généralement employées dans les décoctions appellées émollientes destinées à l'usage extérieur, ou à être données en lavement.

Les semences de violettes sont composées d'une très-petite amande émulsive & d'une écorce mucilagineuse ; on en emploie la décoction dans les coliques intestinales & néphrétiques ; on s'en sert aussi extérieurement pour en laver les yeux dans les ophthalmies très-douloureuses. On les emploie quelquefois encore à la préparation des émulsions, mais sans aucune utilité particuliere dans quelque cas que ce puisse être, & toujours au contraire avec l'incommodité que donne leur petitesse. Voyez EMULSION.

On prépare avec les fleurs de violettes une conserve, qui est moins un remede qu'une confiture agréable, dont on peut cependant user dans la toux à titre de looch sec, de la même maniere qu'on se sert des tablettes pectorales, du sucre d'orge, de la pâte de guimauve, &c.

Le miel violat n'est autre chose qu'un syrop de fleurs de violettes entieres préparé par la cuite, & dans lequel on a employé du miel au lieu de sucre. Plusieurs apothicaires prennent pour ce miel la décoction des calices dont ils ont mondé les fleurs de violettes qu'ils ont employées à faire du syrop, & assurément ces calices sont dans ce cas tout aussi bons que les fleurs, puisque l'ébullition qu'on est obligé d'employer pour fondre & écumer le miel, dissipe l'odeur & détruit la couleur des violettes, & rend par conséquent inutile la préférence qu'on donne à cette partie, & la précaution de la traiter par l'infusion. D'ailleurs le miel violat n'étant destiné qu'à être employé dans les lavemens, & dans les lavemens laxatifs, il seroit inutile de s'occuper de l'élégance du remede ; & s'il est vrai que les calices soient plus purgatifs que les pétales, il vaut mieux employer cette derniere partie seulement dans le miel violat.

On prépare encore avec les fleurs de violettes une huile par infusion & par coction qui n'emprunte rien de ces fleurs. Voyez HUILE.

Les fleurs de violettes entrent dans le syrop de velar & dans celui de tortue ; les fleurs & les semences dans le lénitif & dans le diaprun ; les semences dans l'électuaire de psyllium & dans le catholicum ; la conserve dans l'électuaire de citron ; le syrop dans les pilules de sagapenum & dans la casse cuite ; les feuilles dans l'onguent populeum, &c. (b)

VIOLETTES teinture & syrop de, la teinture de violettes est proprement un instrument chymique. Lorsqu'elle est préparée convenablement, elle est d'un gros bleu, sans la moindre teinte de violet ni de verd. Cette couleur s'altere avec la plus grande facilité. Lorsqu'on applique à cette teinture diverses substances salines, elle est assez constamment changée en rouge par les acides, & en verd par les alkalis. Cette propriété la fait employer par les chymistes pour découvrir dans certaines liqueurs salines le caractere particulier du sel dominant ; c'est ainsi qu'on s'en sert pour trouver la saturation dans la préparation artificielle des sels neutres & dans les premieres épreuves des eaux minérales. Voyez SATURATION, (Chymie), & MINERALES, eaux ; & comme la plus foible portion d'acide ou d'alkali nud se manifeste par ce signe, avantage qu'on ne trouve dans aucun autre moyen chymique, cet emploi de la teinture de violettes est fort commode, & assez fidele dans les cas les plus ordinaires. Il est bien supérieur à celui de plusieurs autres couleurs végétales tendres, & notamment à celui de la teinture de tournesol, voyez TOURNESOL, en ce que cette derniere est très-sensible à l'impression des acides qui la changent en rouge, mais qu'elle est inaltérable par les alkalis. Mais l'artiste doit être prévenu que ce signe n'est pas tellement univoque que toute liqueur saline qui change la teinture de violettes en verd, doive être regardée comme infailliblement alkaline ; car quant au changement en rouge il est dû plus constamment aux acides. Les exceptions les plus remarquables quant aux changemens en verd, sont celles-ci : les dissolutions du vitriol, quoique ce sel neutre métallique contienne de l'acide surabondant. Voyez SURABONDANT, & même l'eau mere de vitriol qui est semblablement très-acide, changent la teinture des violettes en verd. Plusieurs sels déliquescens à base terreuse exactement neutres changent aussi la teinture de violettes en verd. Le sel marin donne encore une petite teinte verte à cette teinture ; mais il est vraisemblable que ce n'est qu'à raison d'un peu de son eau mere ou de sel à base terreuse, qu'il retient ordinairement dans ses crystaux, c'est-à-dire dans son eau de crystallisation.

La teinture de violettes n'est autre chose qu'une forte infusion à froid dans l'eau, des pétales de violettes bien mondés, sur-tout de leurs calices. Pour avoir cette teinture constamment bleue, & d'un beau bleu, on doit la préparer dans un vaisseau d'étain ; c'est-là le tour de main, arcane qui est pourtant connu aujourd'hui de tous les bons artistes ; & pour se la procurer aussi saturée qu'il est possible, on applique deux ou trois fois sur de nouvelles fleurs, la liqueur colorée par une premiere infusion.

On emploie communément la teinture de violettes réduite en syrop par l'addition d'une portion convenable de sucre très-blanc qu'on fait fondre dans cette teinture, à la chaleur la plus légere d'un bain-marie. Le sucre n'altere point la couleur naturelle de cette teinture, & elle en devient plus durable. L'artiste peut en faire sa provision pour une année entiere, & même pour plusieurs, au lieu que l'infusion de violettes qui n'est point assaisonnée avec le sucre, se corrompt bientôt. (b)

VIOLETTE AQUATIQUE, (Botan.) les Botanistes nomment cette plante hottonia. Sa fleur est en rose ; elle n'est composée que d'une feuille divisée en cinq segmens ; les divisions pénetrent presque jusqu'au fond de la fleur ; il part de son centre un pistil qui dégénere en un fruit cylindrique, dans lequel sont contenues plusieurs semences sphériques. (D.J.)

VIOLETTE, pierre de, ou IOLITE, (Hist. nat. Minéral.) lapis violaceus, iolitas. Quelques naturalistes désignent sous ce nom des pierres qui répandent quelquefois une odeur de violette très-marquée. On a remarqué que c'étoit sur-tout pendant les grandes chaleurs, & à la suite des pluies d'orage, que ces sortes de pierres répandoient l'odeur la plus forte. On a trouvé de ces pierres en quelques endroits d'Allemagne. En 1735 on découvrit à Braunlah, dans la principauté de Blanckenbourg, une roche ou une espece de grès, composée d'un sable blanc, jaune & noir, qui formoit des masses très-grandes, & qui avoit une odeur de violettes. On rencontre pareillement des pierres avec le même accident en Silésie, dans la partie septentrionale des monts Riesemberg, ou monts des géants ; ce sont des cailloux très-durs, d'un gris de cendre, sur lesquels on trouve attachée une espece de mousse ou de lichen, à qui est dûe l'odeur agréable dont on s'apperçoit. A Altenberg en Misnie on trouve une espece de géode qui a l'odeur de la racine d'iris ou de la violette. A Lauenstein au même pays, on trouve des pierres de la même qualité. A Freudenstadt dans la forêt noire, & sur-tout à Osterode dans le Hartz, on trouve de grandes masses de rochers qui sont à nud ; la mousse qui y est attachée est d'un jaune orangé, l'intérieur de la pierre est pénétré de l'odeur de violette. Ce lichen ou cette mousse odorante est appellée par Micheli byssus germanica, minima, saxatilis, aurea, violae martiae odorem spirans. La Suede présente aussi des pierres qui ont une odeur de violette ; & il y a lieu de croire qu'en se donnant la peine d'examiner les pierres par l'odorat, on en trouveroit de semblables en tout pays.


VIOLIERGIROFLIER, s. m. (Hist. nat. Bot.) leucoium, genre de plante à fleur en croix, composée de quatre pétales. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit ou une silique longue & applatie qui a deux panneaux, & qui est divisée en deux loges par une cloison mitoyenne. Cette silique renferme des semences plates, rondes & ordinairement frangées. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

VIOLIER BULBEUX, (Botan.) la plus commune des dix especes de narcisso-leucoium de Tournefort est notre violier bulbeux, narcisso-leucoium vulgare, I. R. H. 387, Raii, hist. 1144. Sa racine est bulbeuse, composée de plusieurs tuniques blanches, hormis l'extérieure qui est brune, garnie en-dessous de fibres blanchâtres, d'un goût visqueux, sans presque aucune acrimonie. Elle pousse trois, quatre ou cinq feuilles semblables à celles du porreau, assez larges, fort vertes, lisses, luisantes. Il s'éleve d'entr'elles une tige à la hauteur de plus d'un demi-pié, anguleuse, cannelée, creuse, revêtue avec ses feuilles jusqu'au milieu d'une espece de gaine ou fourreau blanc ; elle ne porte ordinairement qu'une seule fleur au sommet, quelquefois deux, rarement trois.

Cette fleur est le plus souvent à six pétales, quelquefois à sept & à huit : ce qui dépend de la bonté du terroir ; chaque fleur est disposée en maniere de petite cloche panchée, de couleur blanche, avec une pointe marquée d'une tache verdâtre par-dehors, & réfléchie légérement en-dedans, d'une odeur qui n'est point desagréable, semblable, selon Fuchsius, à celle de la violette printaniere, & selon Clusius, à celle de l'aubepine. Lorsque la fleur est passée, son calice devient un fruit membraneux, relevé de trois coins, fait en façon de poire, & divisé intérieurement en trois loges remplies de semences presque rondes, dures, d'un blanc jaunâtre.

Le violier ordinaire croît naturellement dans des prés humides, sur certaines montagnes, dans les forêts ombrageuses & dans les haies ; il fleurit en Février, & disparoit dès le mois de Mai. Sa racine subsiste cependant en terre comme celle du narcisse ; c'est par ses bulbes qu'on le multiplie ; car on le transplante volontiers dans les jardins pour l'y cultiver, à cause de sa fleur qui est des plus hâtives. (D.J.)

VIOLIER, (Botanique & Mat. méd.) violier jaune ou giroflier jaune. Voyez GIROFLIER.


VIOLONS. m. (Luth.) instrument de musique à cordes & à archet, représenté figure 7. Planche de Lutherie. Cet instrument, comme tous les autres de son espece, est composé de deux tables contournées, comme on voit dans la figure. Celle de dessous est ordinairement de hêtre, & est de deux pieces collées, suivant la largeur. Celle de dessus, sur laquelle porte le chevalet qui soutient les cordes, est de sapin ou de cedre, comme les tables des clavecins ; les deux tables sont jointes ensemble par les bandes de bois a b, b c d, d e f, qu'on appelle éclisses, & dont la largeur détermine l'épaisseur du corps de l'instrument. Ces éclisses sont de bois de hêtre. On ménage en taillant la table de dessus, une épaisseur A fig. à la partie intérieure & supérieure de cette table : cette épaisseur est quelquefois un morceau de bois collé & chevillé en cet endroit ; cette épaisseur sert d'épaulement & de point d'appui au talon a du manche a A, qui est composé de trois parties ; du manche proprement dit, qui est depuis a jusqu'en L, du sommier L A, qui est de la même piece, lequel est évuidé pour faire place aux cordes qui vont s'envelopper autour des chevilles 1, 2, 3, 4. Ce sommier dans lequel les chevilles tiennent à frottement, est armé à sa partie supérieure A d'un rouleau de sculpture, ou quelquefois d'une tête d'homme ou d'animal à la volonté du facteur ; car ces sortes de choses ne font rien à la bonté de l'instrument. La troisieme partie du manche est la touche B k, qui est collée sur le manche, laquelle est ordinairement d'ébene ou de bois noirci ; c'est sur cette touche que celui qui joue de cet instrument appuie les cordes pour déterminer leur longueur, qui se prend depuis le chevalet D jusqu'au filet d'ivoire B, lorsqu'on les touche à vuide, & seulement depuis le même chevalet jusqu'à l'endroit de la touche où elles sont tenues appliquées par le doigt lorsqu'on ne les touche pas à vuide. Ces instrumens sont en outre percés de deux ouvertures i i, dont on voit le modele dans la figure, Pl. de Lutherie. Ces ouvertures que l'on fait pour donner passage aux sons qui se forment non-seulement par les vibrations des cordes, mais aussi par celles de la table supérieure, s'appellent les ouies, lesquelles ont la forme d'une S ; au-lieu que celles des violes & contre-basses, &c. ont la forme d'un C.

Pour faire un violon, après avoir collé les deux pieces qui doivent former la table de dessus, & les avoir chantournées, suivant l'un ou l'autre des patrons A B, fig. Pl. de Luth. on applique cette table sur la machine représentée, fig. appellée creusoir, sur laquelle on l'affermit au moyen des deux vis & de leurs écrous a m. Après que la table est ainsi affermie, & que le creusoir est arrêté sur l'établi, on creuse la table autant qu'il convient, en épargnant la partie qui doit servir d'appui au talon du manche ; on fait ensuite l'autre côté de table, qu'on applique pour cet effet sur la planche représentée, fig. On fait la même chose à la planche de sapin qui doit servir de table à l'instrument, observant de la creuser davantage sur le milieu, & de la réduire à environ 3/4 de ligne d'épaisseur, plus ou moins, selon la taille de l'instrument & la qualité du bois, car il s'en trouve qui sont plus ou moins sonores les uns que les autres.

Pour creuser les tables, on se sert de rabots de fer ou de cuivre A B C, représentés, Pl. fig. dont quelques-uns, comme B, ont le fer denté. Ces rabots, dont on se sert pour creuser des surfaces courbes, ont la semelle convexe, le fer est arrêté par un coin D, qui passe entre lui & une cheville : on se sert en premier lieu du rabot dont le fer est denté ; en second lieu de ceux dont le fer est tranchant, & on acheve avec des ratissoirs d'acier, qui sont des morceaux de ce métal aiguisés en biseau sur une pierre à l'huile. Pour juger de l'épaisseur de la table, on se sert du compas à mesurer les épaisseurs, représenté, fig. qui est tellement construit que lorsque les deux pointes d embrassent l'épaisseur de la table, les deux autres pointes e laissent entr'elles un vuide égal à l'épaisseur que le compas embrasse par les autres pointes.

Après que les tables sont achevées, on prend le moule d'une grandeur convenable. Le moule est une piece de bois chantournée de même que l'instrument, ou une carcasse, comme celle de la fig. On allege le moule lorsqu'il est fait d'une seule piece de bois par de grandes mortaises, ce qui ôte un poids superflu ; ce qu'on n'est pas obligé de faire lorsque le moule est de pieces d'assemblage, soit que l'on se serve de l'un ou de l'autre des deux moules représentés, Pl. fig. Ils doivent être tellement construits qu'il y ait six entailles a a, b b, c d, dans la circonférence du moule. Ces entailles servent à placer des tasseaux sur lesquels on colle les éclisses ; les quatre entailles a a b b servent à placer les tasseaux des coins des éclisses, & l'entaille c, celui du bouton auquel le tirant est attaché : l'entaille d sert à placer le tasseau qui soutient le talon du manche. Après que les tasseaux sont placés, on colle dessus les éclisses qui doivent prendre la forme du moule, & avoir la même largeur. Les éclisses des violons sont de quatre pieces ; savoir deux pour les parties concaves x x, qui servent de voie à l'archet ; une autre piece x d x, qui fait le tour du haut du corps, & enfin la piece x c b, qui fait le tour par en-bas du même corps. On lie les éclisses sur le moule, après les avoir ployées à coups de batte pour leur faire prendre pli. Après que les éclisses sont collées & séchées sur les tasseaux, on retire le moule, & on colle les éclisses toutes assemblées sur la table de dessous, sur laquelle on les tient appliquées par le moyen des presses ou happes, représentées, fig. dont on serre les vis ou les écrous. Après que l'ouvrage est placé entre les branches des happes, si on se sert des presses, représentées, fig. Pl. de Luth. on applique l'épaulement A de la vis sous la table inférieure, & le bord de l'écrou B sur le champ des éclisses que l'on comprime par ce moyen sur la table, & qu'on laisse en cet état jusqu'à ce que la colle soit séchée. On prépare ensuite la table supérieure, dont les ouies doivent être percées avant de la coller. Pour percer les ouies, on se sert des emporte-pieces A a ; l'emporte-piece est un fer à découper, lequel est rond, en sorte que son empreinte est en cercle ; on le présente sur la table par le trou rond 1 2, qui est à l'extrêmité des S ou des C des patrons des violons ou des violes, voyez les figures, que l'on place sur la table de l'instrument, en sorte que l'ouverture du patron réponde vis-à-vis le lieu où doivent être les ouies ; on appuie l'emporte-piece sur la table par cette ouverture, & on tourne cet outil que l'on tient par la poignée C D, jusqu'à ce que l'on ait percé le trou & emporté la piece. Après que les ronds sont percés, & que l'S ou le C est tracé sur la table, on prend une petite scie ou équoine, avec laquelle on fait une fente qui communique depuis l'un des trous jusqu'à l'autre en suivant le contour de l'S ou du C : on élargit ensuite cette fente avec de petits couteaux F, jusqu'à ce qu'on ait atteint le trait qui termine le contour de l'S.

Lorsque les ouies sont percées & réparées, on trace tout-autour à quelques instrumens un double filet, qui sont deux traits éloignés l'un de l'autre d'environ demi-ligne, lesquels bordent ces ouvertures. L'outil avec lequel on trace ces filets, que l'on remplit ensuite de noir, & qu'on appelle tire-filet, est représenté dans les Planches.

Figure a est le fer qui a deux pointes pour tracer les deux traits. b est le guide qui suit le contour intérieur des S, pendant que les deux pointes tracent les filets. C D sont deux vis, dont la premiere c retient le guide b & la seconde D le burin à deux pointes a dans la boîte E. Cette boîte est emmanchée au moyen de la frette G au manche F, par lequel on tient cet instrument.

Les facteurs se servent aussi d'un autre tire-filet, représenté, fig. Pl. pour tracer les filets qui entourent tout l'instrument, & qui suivent la même direction que les éclisses. A & B est la tige de cet outil qui est de fer ; la tige est percée d'un trou quarré par lequel passe le burin D E, qui a une ou plusieurs pointes, selon le nombre de filets dont on veut entourer l'instrument. Le burin est arrêté dans son trou par les vis C. La piece en équerre g F G sert de guide, & dont on fixe la branche G à telle distance que l'on veut de la pointe E du burin, au moyen des vis g F. On se sert de cet outil comme du trusquin, dont il est une espece. Après que la table est préparée, comme il a été dit ci-devant, & avant de tracer tout-autour les filets, on la colle sur les éclisses vis-à-vis de la fausse table, avec laquelle au moyen de la colle elle ne doit plus faire qu'un même corps ; c'est pourquoi les éclisses doivent s'appliquer exactement sur le côté intérieur de cette table, qui doit être aussi collée sur les tasseaux. On tient cette table sur les éclisses par le moyen des happes & des presses, comme on a fait la premiere, jusqu'à ce que la colle soit séchée ; on polit ensuite le corps de l'instrument, tant sur les tables que sur les éclisses, avec les ratissoirs ou grattoirs dont on a parlé ci-devant, & avec de la peau de chien de mer. Quand tout le corps est ainsi achevé, on colle le manche par son talon sur le tasseau d d'en-haut, sur lequel il doit être fermement attaché. Sur le tasseau inférieur c on colle un bouton d'ivoire ou d'ébene, après y avoir percé un trou pour faire entrer la queue de ce bouton, fig. qui sert d'attache au tiran h auquel les cordes sont attachées. Par-dessus le manche on colle la touche B k, qui est d'ébene ou de quelqu'autre bois dur noirci, laquelle doit être un peu plus longue que la moitié de l'intervalle B D, compris entre le sillet B & le chevalet D. Cette touche ne doit point toucher sur le corps de l'instrument dans la partie a k, mais elle doit en être éloignée d'environ un tiers de pouce, & être un peu convexe pardessus, & un peu concave par-dessous seulement dans la partie qui répond vis-à-vis du corps & plate pardessous dans la partie a B où elle est appliquée & collée sur le manche. La partie A B du manche qui s'incline un peu en arriere, & qu'on appelle le sommier, est traversée de quatre chevilles 1 2 3 4 ; ces chevilles ont un trou dans la partie qui traverse le sommier ; on fait passer la corde dans ce trou pour qu'elle puisse tenir en s'enveloppant autour de la cheville, lorsqu'on la tourne pour tendre la corde qui est attachée par l'autre extrêmité au tiran h par le moyen d'un anneau ou anse qui passe par un des trous de cette piece, laquelle on tend sur le chevalet D & le sillet B : ces deux pieces ont de petites entailles pour loger les cordes qui, sans cette précaution ne pourroient pas rester dessus. Le chevalet est un morceau de bois plat qui a deux piés, lesquels portent sur la table, & dont l'autre côté est une portion de cercle : le milieu est découpé à jour selon le dessein qu'il plaît à ceux qui les font. Le violon est monté de quatre cordes de boyau, dont la plus menue, qui est tendue par la cheville 1, s'appelle chanterelle ou e si mi ; la seconde tendue, la cheville 2, s'appelle a mi la, & la troisieme s'appelle d la ré, & la quatrieme qui est la plus grosse de toutes, g ré sol, ou la basse, à cause de la gravité de ses tons. Ces deux dernieres cordes, qui sont tendues par les chevilles 3 4, sont filées d'argent ou de cuivre. Ce qu'on appelle des cordes filées ; ce sont des cordes de boyau qui sont entourées dans toute leur longueur d'un fil d'argent ou de cuivre argenté fort menu, qui va en tournant tout du long, en sorte que la corde en est toute couverte. Pour revêtir ainsi les cordes d'un fil d'argent ou de cuivre, les facteurs se servent d'un rouet L K, par le moyen duquel ils font tourner sur elle-même la corde A B, attachée d'un bout à l'émerillon C, voy. EMERILLON, lequel est lui-même attaché à un bout de ficelle qui passe par-dessus la poulie B, attachée à la muraille, & au bout duquel est attaché le poids D ; l'autre extrêmité de corde prend dans un crochet A, dont la tige traverse une poulie sur laquelle passe la corde sans fin A P L Q, laquelle passe aussi sur la roue P L K, que l'on tourne avec la manivelle L, par le moyen de laquelle on fait tourner la poulie A, qui transmet son mouvement à la corde A C ; présentement si on attache un fil d'argent avec la corde à l'émerillon C, il s'enveloppera autour de cette corde à mesure qu'elle tournera sur elle-même, comme on conçoit qu'il s'envelopperoit autour d'un cylindre. On conduit le fil tout du long de la corde avec une éponge humide que l'on tient de la main gauche E, afin qu'il ne redouble pas plusieurs fois sur lui-même. La main droite F sert à conduire le fil qu'on fait passer dans l'anneau que l'on forme avec le doigt index & le pouce. G est la bobine autour de laquelle le fil d'argent est enveloppé ; elle peut tourner librement autour de la cheville fixée dans le montant A du rouet, dont elle est traversée. H est une boîte dans laquelle sont les différens assortimens de fil d'argent, de cuivre ou de cordes de boyau sur lesquelles il faut opérer. Le reste de la machine est facile à entendre ; c'est un banc bordé de regles de bois pour retenir ce que l'on met dessus, dans lequel sont plantées les jumelles N qui tiennent la roue du rouet en état, & le montant A qui porte la poulie, à la tige de laquelle la corde est attachée. Ces trois pieces, les deux jumelles N & le montant A sont arrêtées par-dessous l'établi par le moyen de trois clés qui les traversent.

L'archet avec lequel on fait parler les cordes de cet instrument, est composé d'une baguette A C, fig. 8. Pl. II. courbée un peu en A, pour éloigner les crins de la baguette, qui est de quelque bois dur, ordinairement du bois de la Chine, quoique tout autre qui a la force nécessaire soit également propre à cet usage, d'un faisceau de crins A B, composé de 80 ou 100 crins de cheval, tous également tendus & attachés dans la mortaise du bec A, par le moyen d'un petit coin, qui ne laisse point sortir l'extrêmité des crins qui sont liés ensemble avec de la soie : ces crins sont attachés dans une semblable mortaise, qui est au bas c de la baguette de l'archet. La piece de bois B, qu'on appelle la hausse, parce qu'elle tient les crins éloignés de la baguette ou fust de l'archet, communique par le moyen d'un tenon taraudé, qui passe par une mortaise à la vis dont la piece d'ivoire D est la tête, laquelle entre 4 ou 5 pouces dans la tige de l'archet ; on se sert de cette vis pour faire avancer la hausse B vers A ou vers D, pour détendre ou pour tendre les crins de l'archet.

Pour jouer du violon, que l'on tient de la main gauche, l'archet de la droite ; on le prend par le manche a L, ensorte que le revers du manche soit tourné du côté du creux de la main, le pouce de la main gauche du côté de B, & les quatre autres doigts de la même main du côté de L ; l'index doit être près du sillet, & les autres doigts près les uns des autres, prêts à toucher la chanterelle ; on porte ensuite en tournant le poignet la partie inférieure du corps de l'instrument sous le menton, ensorte que le tasseau où le bouton f est attaché, réponde sur la clavicule gauche, vers laquelle on tourne & on incline un peu la tête pour appuyer avec le menton sur l'endroit où est la lettre E, & ainsi affermir l'instrument. Voyez la figure.

Violon.

On prend ensuite l'archet avec la main droite à environ deux pouces de distance de la hausse B, & on le tient avec les quatre premiers doigts ; ensorte que le pouce & les deux premiers doigts portent sur le fust de l'archet, & le quatrieme ou annulaire sur le crin que l'on doit faire passer sur les cordes, à environ deux pouces de distance du chevalet, comme si on vouloit les scier en cet endroit ; on frotte le crin de l'archet sur un morceau de colophane, sorte de résine, pour le rendre plus rude, on passe le crin de l'archet sur la colophane, comme si on vouloit le scier en deux : quelques-uns la mettent en poudre, & passent le coin de l'archet dans le papier où est cette poudre ; ces deux manieres reviennent à-peu-près au même.

Il faut ensuite connoître le manche, que l'on supposera divisé en touches, pour la facilité de l'explication, & que d'ailleurs les traits marqueront les endroits où il faudra poser les doigts.

Il faut savoir en premier lieu, que les cordes du violon, & de tous les instrumens qui en dépendent, sont accordées de quinte en quinte ; que la seconde corde marquée 2, sonne l'a mi la, & qu'on la sonne à vuide, pour donner le ton dans les concerts. Cette corde la sonne l'unisson du la, qui suit immédiatement la clé de g ré sol des clavecins. La chanterelle sonne la quinte mi au-dessus, & la troisieme la quinte ré au-dessous ; la quatrieme sonne la quinte au-dessous de cette troisieme corde ou l'unisson du sol à l'octave au-dessous de celui de la clé de G re sol, au sol qui suit immédiatement la clé d'F ut fa des clavecins, auquel tous les autres instrumens rapportent leur étendue. Voyez la table du rapport de l'étendue de tous les instrumens, & la tablature qui fuit, où les notes de musique, font voir l'étendue de cet instrument, & les quatre lignes qui sont dessous représentent les cordes numérotées comme ci-devant 1 2 3 4, à commencer par la chanterelle : les chiffres qui sont sur les lignes font connoître de quel doigt il faut toucher la corde, & la lettre de la tablature qui est audessous, faite à l'instar de celle de la viole, quoiqu'elle ne soit pas en usage pour le violon, montrera l'endroit de la touche où il faut poser le doigt, comme si elle étoit divisée ainsi que celle de la viole. Voyez VIOLE, où on trouvera des régles pour gouverner l'archet, observant de lire dans ces régles pousser au-lieu de tirer, & tirer au-lieu de pousser, pour les raisons déduites au même article.


VIORNES. f. (Hist. nat. Botan.) viburnum ; genre de plante à fleur monopétale en rosette, profondément découpée. L'extrêmité supérieure du calice perce le milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit moû, ou une baie pleine de suc, qui renferme une semence osseuse, applatie & striée. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

La viorne est un arbrisseau d'un bois fongueux & moëlleux. Il pousse des verges ou branches couvertes d'une écorce blanchâtre, longue d'environ trois piés, grosses comme le doigt, très-pliantes, & propres à lier des fagots & des paquets d'herbes. Ses feuilles sont presque semblables à celles de l'orme, mais velues, opposées, larges, épaisses, crénelées en leurs bords, blanchâtres quand elles sont en vigueur, & rougeâtres quand elles sont prêtes à tomber.

Ses fleurs naissent au bout des branches en ombelles, blanches, & odorantes, d'une odeur approchante de celle des fleurs de sureau ; chacune d'elles est un bassin coupé en cinq crénelures, avec cinq étamines blanchâtres à sommets arrondis qui en occupent le milieu.

Quand ces fleurs sont tombées, il leur succede des baies molles, presque ovales, assez grosses, vertes au commencement, puis rouges, & enfin noires dans leur entiere maturité, d'un goût douçâtre & visqueux, peu agréable ; elles contiennent chacune une seule semence de même figure, mais fort applatie, large, cannelée, presque osseuse. La racine s'étend de côté & d'autre.

Cet arbrisseau croît fréquemment dans les haies, dans les buissons, dans les bois taillis, aux lieux incultes, pierreux, montagneux ; il fleurit en été, & son fruit meurit en automne. (D.J.)

VIORNE, (Mat. méd.) les feuilles & les baies de cet arbrisseau sont comptées parmi les remedes rafraîchissans & astringens. Leur décoction est recommandée sous forme de gargarisme dans les inflammations de la gorge, & pour raffermir les gencives. Cette même décoction est encore conseillée contre le cours de ventre & le flux immodéré des hémorrhoïdes. Ces remedes sont fort peu d'usage.


VIPERES. f. (Hist. nat. Ophiolog.) vipera, nom générique que l'on a donné à tous les serpens dont la morsure est dangereuse, & dont il y a un très-grand nombre d'especes dans les pays chauds ; nous n'en avons qu'une seule dans ce pays-ci, connue sous le nom de vipere. Lorsqu'elle a pris tout son accroissement, elle est ordinairement longue de deux piés ou un peu plus, & sa grosseur égale ou surpasse celle du pouce d'un homme ; les femelles ont le corps plus gros que les mâles ; la tête est plate & a un rebord qui s'étend autour des extrêmités de sa partie supérieure ; la vipere differe principalement de la couleuvre par ce caractere, car dans la couleuvre la tête n'a point de rebord, & elle est plus pointue & plus étroite, à proportion des autres parties du corps. La tête de la vipere a un pouce de longueur, & 7 à 8 lignes de largeur prise vers le sommet, 4 à 5 lignes à l'endroit des yeux, & deux lignes & demie d'épaisseur ; ordinairement les mâles ont le cou un peu plus gros que les femelles, & communément il est de la grosseur du petit doigt à son origine. La queue a environ quatre travers de doigt de longueur ; sa grosseur à son origine est à-peu-près la même que celle du cou ; ensuite elle diminue insensiblement & se termine en pointe ; la queue des mâles est toujours un peu plus longue & plus grosse que celle des femelles.

La couleur des viperes varie, on en voit de blanchâtres, de jaunâtres, de rougeâtres, de grises, de brunes, &c. & elles ont toutes des taches noires ou noirâtres, plus ou moins foncées & placées avec une sorte de symmétrie à-peu-près à égale distance les unes des autres, principalement sur la face supérieure & sur les côtés du corps. La peau est couverte d'écailles, les plus grandes se trouvent sous la face inférieure du corps & servent de piés à cet animal ; elles ont toujours une couleur d'acier dans toute leur étendue, au lieu que celles des couleuvres sont ordinairement marquées de jaune. Il y a autant de grandes écailles que de vertebres, depuis le commencement du cou jusqu'à celui de la queue ; & comme chaque vertebre a une côte de chaque côté, chaque écaille soutient par ses deux bouts les extrêmités de ces deux côtés. Les écailles de la queue diminuent de grandeur, à proportion de celle de la queue même. Il y a au bas du ventre une ouverture à laquelle aboutissent l'anus & les parties de la génération, tant des mâles que des femelles ; cette ouverture est fermée par la derniere des grandes écailles qui est en demi cercle & qui s'abaisse dans le tems du coït, lorsque la femelle met ses petits au jour, & toutes les fois que les excrémens sortent.

Les viperes changent de peau au printems, & quelquefois aussi en automne ; au moment où elles quittent cette peau écailleuse, elles se trouvent revêtues d'une autre peau également couverte d'écailles dont les couleurs sont bien plus brillantes ; il s'en forme une nouvelle sous celle-ci pour la remplacer dans la suite, desorte que la vipere a en tout tems une double peau.

La vipere differe de la couleuvre, non-seulement en ce qu'elle rampe plus lentement, & qu'elle ne bondit & qu'elle ne saute jamais, mais encore en ce qu'elle est vivipare ; au lieu de pondre comme la couleuvre des oeufs qui n'éclosent que long-tems après, les petits de la vipere acquierent leur entiere perfection dans la matrice, & courent au sortir du ventre de la mere. Les viperes s'accouplent ordinairement deux fois l'année, elles portent leurs petits quatre ou cinq mois, & elles en font jusqu'à vingt & même vingt-cinq : elles se nourrissent de cantharides, de scorpions, de grenouilles, de souris, de taupes & de lézards ; souvent la capacité de l'estomac n'est pas assez grande pour contenir l'animal qu'elles veulent avaler, alors il en reste une partie dans l'oesophage. La vipere ne rend pas beaucoup d'excrémens, ils n'ont point de mauvaise odeur comme ceux des couleuvres, & on n'en sent aucune lorsqu'on ouvre un bocal dans lequel on nourrit plusieurs viperes : elles ne font point de trous en terre pour se cacher comme les couleuvres, elles se retirent ordinairement sous des pierres & dans de vieilles masures ; lorsqu'il fait beau, elles se tiennent sous des herbes touffues ou dans des buissons.

Les viperes different encore des couleuvres, en ce qu'elles ont des dents canines ; leur nombre varie dans différens individus, ordinairement il n'y en a qu'une de chaque côté de la mâchoire supérieure, mais on en trouve quelquefois deux ; ces dents sont entourées jusqu'à environ les deux tiers de leur longueur, d'une vésicule assez épaisse & remplie d'un suc jaunâtre, transparent & médiocrement liquide ; il y a au milieu de cette vésicule sous la grosse dent, plusieurs petites dents crochues, les unes plus longues que les autres & qui servent à remplacer les grosses dents, soit qu'elles tombent d'elles-mêmes ou accidentellement : celles-ci ont environ 2 lignes de longueur ; elles sont crochues, blanches, creuses, diaphanes & très-pointues ; ses grosses dents restent ordinairement couchées le long de la mâchoire, & leur pointe ne paroît qu'au moment où la vipere veut mordre ; alors elle les redresse & les enfonce dans sa proie. Le venin pénetre dans la plaie que fait la vipere en mordant, en passant par le canal intérieur de la dent ; les glandes qui le filtrent sont situées à la partie postérieure de chaque orbite & à la même hauteur que l'oeil, elles sont petites & jointes ensemble, elles forment un corps de la grosseur de l'oeil & s'étendent en longueur dans l'orbite au-dessous, & en partie derriere l'oeil ; chaque glande a un vaisseau qui communique dans la vésicule de la gencive & qui aboutit à la racine de la grosse dent. Mém. de l'acad. royale des Scienc. tom. III. part. II. Voyez SERPENT.

Personne n'ignore combien la morsure des viperes est dangereuse, ainsi que celle des serpens qui ne sont proprement que des viperes de différentes especes. Le remede le plus assuré que l'on ait trouvé jusqu'ici contre leurs morsures, est l'eau de luce, c'est-à-dire un alkali volatil très-pénétrant combiné avec le succin ; on en met dix gouttes dans un verre d'eau que l'on fera prendre à plusieurs reprises à la personne qui aura été mordue, qui se couchera dans un lit bien bassiné, où elle éprouvera une transpiration très-forte, qui fera disparoître les accidens. Cette découverte est dûe à M. Bernard de Jussieu, qui en a fait l'expérience avec beaucoup de succès.

VIPERE, (Pharm. Mat. méd.) vipere de notre pays ou commune ; c'est une des matieres animales les plus usitées en Médecine. Les anciens médecins ont regardé la vipere comme un aliment médicamenteux, dont le long usage étoit très-utile, presque spécifique contre plusieurs maladies chroniques, opiniâtres, & notamment contre les maladies de la peau. Pline rapporte, qu'Antonius Musa, médecin d'Auguste, avoit guéri par l'usage des décoctions de vipere, des ulceres qui passoient pour incurables.

Les viperes sont principalement consacrées encore aujourd'hui aux maladies de la peau ; elles sont regardées comme excitant principalement l'excrétion de cet organe, & comme le délivrant par-là de certains sucs malins qui sont censés l'infecter & causer la plûpart de ces maladies. Elles sont regardées encore, comme purifiant le sang & comme chassant le venin, soit celui des animaux vénéneux, soit celui des fievres malignes, &c. ce qui est une autre conséquence de l'opinion qu'on a de leurs qualités sudorifiques. Comme l'exercice de cette derniere propriété n'existe point sans que le mouvement du sang soit augmenté & que la vipere d'ailleurs est évidemment alimenteuse ; c'est encore une suite nécessaire de cette opinion, qu'elle soit regardée comme cordiale & analeptique.

La vipere se donne ordinairement en substance ou en décoction, de l'une & de l'autre maniere sous diverses formes pharmaceutiques dont nous parlerons dans la suite de cet article. Il est écrit dans les livres de médecine, & la tourbe ne manque pas de répéter que ces remedes font suer, échauffent, donnent même la fievre, qu'on est souvent obligé d'en suspendre & même d'en supprimer l'usage, &c. mais il est écrit aussi, & le même ordre de médecins répete que la vipere contient beaucoup de sel volatil, ce qui est démonstrativement faux, qu'elle abonde en esprits, expression qui très-évidemment n'est qu'un vain son, &c. ainsi en évaluant la premiere assertion par ce qu'on connoît clairement de la derniere dont elle est très-vraisemblablement déduite, on peut en bonne logique réputer absolument pour rien le témoignage de ces auteurs & de ces médecins : reste à consulter l'expérience. J'avoue que je n'ai jamais eu assez de foi aux prétendues vertus de la vipere pour l'ordonner fréquemment ; je proteste cependant avec sincérité, sanctè affirmo, que je l'ai donnée quelquefois & vû donner un plus grand nombre, & que je n'ai pas observé ces prétendues vertus ; mais je crois que le lecteur doit suspendre son jugement & s'en rapporter à des expériences ultérieures & contradictoires, c'est-à-dire faites par des gens qui ne se sont pas mis d'avance dans la tête, que les viperes chassent le venin & font suer. Au reste, quoiqu'il soit très-vrai que la prétendue abondance de sel volatil & d'esprits ne sauroit produire ces vertus dans la vipere, puisque ces principes sont purement imaginaires ; quoi qu'il soit très-vraisemblable encore que ces vertus n'ont été imaginées que parce que on les a déduites par une conséquence très-fausse & très-précaire de la vertu sudorifique, de la qualité incendiaire que possede réellement l'alkali volatil retiré de la vipere par le feu chymique ; cependant il est très-possible que les viperes animent, échauffent, fassent suer, donnent la fievre ; il est seulement très raisonnable d'en douter, par le soupçon très-légitime que nous venons d'exposer. Quoi qu'il en soit, les formes ordinaires sous lesquelles on administre la vipere sont celles de bouillon, soit préparé à la maniere commune avec des racines & herbes appropriées, soit préparées au bain-marie.

Cette derniere préparation, qui est la plus usitée parce qu'elle est la plus élégante, & qu'on croit par ce moyen mieux retenir les parties volatiles précieuses, se fait ainsi.

Bouillon de vipere. Prenez une vipere en vie, rejettez-en la tête & la queue, écorchez-la & éventrez-la, & coupez-la par morceaux, que vous mettrez dans un vaisseau convenable, avec le coeur, le foie & le sang que vous aurez conservé, & avec douze onces d'eau commune, & si vous voulez quelques plantes ou racines, selon l'indication. Fermez exactement votre vaisseau, & faites cuire au bain-marie pendant sept à huit heures. La pharmacopée de Paris dit trois ou quatre, mais ce n'est pas assez : passez avec une légere expression.

On prépare encore une gelée de vipere, en faisant cuire une certaine quantité de viperes récemment écorchées & éventrées, dans suffisante quantité d'eau, au degré bouillant pendant cinq ou six heures, en clarifiant & filtrant la décoction, l'évaporant au bain-marie, & la faisant prendre dans un lieu froid.

La poudre de vipere se prépare ainsi. Prenez des troncs, des coeurs & des foies de viperes, sechés selon l'art (Voyez DESSICATION) & coupés par petits morceaux ; réduisez-les sur le champ en poudre selon l'art, & par un tems sec ; enfermez-la dans une bouteille bien seche, que vous boucherez exactement, car l'humidité de l'air corrompt facilement cette poudre.

Les trochisques de vipere, appellés aussi trochisci theriaci, se préparent de la maniere suivante. Prenez de la chair de viperes choisies, dont vous aurez séparé les têtes, les queues, que vous aurez écorchées & éventrées ; faites cuire cette chair dans suffisante quantité d'eau, avec de l'aneth verd & du sel, jusqu'à ce qu'elle se soit séparée des épines ; prenez en huit onces ; battez-la dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, en y jettant peu-à-peu 2 onces & demie de mie de pain de froment très-blanc, séchée & réduite en poudre très-fine, jusqu'à ce qu'il ne paroisse aucune partie de chair de vipere, & que le tout soit exactement mêlé ; alors vous étant frotte les mains de baume de la mecque, formez des trochisques du poids d'un gros, que vous ferez sécher sur un tamis renversé, selon l'art.

De ces préparations celle qui mérite le plus de considération, est le bouillon de vipere ; c'est celle-là qu'on ordonne communément contre la lepre, les dartres rebelles, & les autres maladies de la peau ; contre les bouffissures, les obstructions commençantes, attribuées à une lymphe épaisse, & à une circulation languissante, &c. les pâles-couleurs dépendantes de cette derniere disposition, &c. & c'est aussi sur celle-là qu'il conviendroit de tenter les expériences dont nous avons parlé plus haut.

La gelée de vipere est fort peu usitée ; il est très-vraisemblable qu'elle a les mêmes vertus que le bouillon.

L'usage ordinaire de la poudre de vipere est absolument puérile ; on la fait entrer à petite dose dans les portions cordiales ou sudorifiques, & l'on y imagine bonnement, d'après l'erreur que nous avons déjà relevée plus haut, qu'elle y produit le même effet, quoique véritablement un peu plus doux que l'alkali volatil de vipere.

Les trochisques de vipere ne sont point du tout d'usage dans les prescriptions magistrales ; on ne les prépare absolument que pour les employer à la composition de la thériaque.

Outre les remedes dont nous avons parlé jusqu'à présent, qui ne sont que la substance même de la vipere, ou qui en sont véritablement retirés sans avoir essuyé aucune altération ; on en retire par l'art chymique, par une décomposition manifeste, une substance qui est employée à titre de médicament, je veux dire de l'alkali volatil, tant sous forme fluide, que sous forme concrete. Mais ce sel qui est un des produits de la distillation analytique de la vipere, n'a absolument que les vertus communes des produits analogues des substances animales. Voyez SUBSTANCE ANIMALE & SEL ALKALI VOLATIL.

Les Apothicaires gardent ordinairement chez eux dans des cucurbites profondes de verre, des viperes en vie. Ils les prennent pour l'usage avec de longues pinces, par le cou. Il est vrai, ce qu'on dit communément, que si on les prend par la queue, & qu'on les laisse pendre la tête en bas, elles n'ont pas la force de se redresser & d'aller piquer la main à laquelle elles sont suspendues. Il est pourtant plus sûr de les prendre par le cou, parce que de l'autre maniere elles peuvent facilement atteindre la main libre de celui qui les tient, ou quelque assistant mal avisé. On doit encore observer que la morsure des têtes séparées du corps, est aussi à craindre, & aussi dangereuse que la morsure de la vipere entiere. Les Apothicaires ont coutume de jetter ces têtes dans de l'eau-de-vie à mesure qu'ils les séparent, elles y meurent bien-tôt ; dans plusieurs pays le peuple les achete pour faire des amuletes.

On trouve dans les pharmacopées, sous le nom de syrop de vipere roborant, une composition très-compliquée, & dont les viperes sont un ingrédient assez inutile. Au reste, ce syrop doit être très-cordial & sudorifique.

Les Pharmacologistes ont mis encore au rang des remedes, indépendamment des plus usuels dont nous venons de parler, le fiel de vipere, à titre d'ophthalmique ; la graisse, comme un puissant résolutif, sudorifique, anodin, prise intérieurement à la dose d'un gros. Wedelius rapporte deux observations de phthisiques, traités avec succès par l'usage intérieur de cette graisse. Elle est encore célébrée pour l'usage extérieur, comme un excellent ophthalmique adoucissant & cicatrisant ; comme excellente contre la gale, les tumeurs scrophuleuses, & contre les rides & les taches du visage ; comme utile dans l'accouchement laborieux si on en frotte le nombril, &c. & enfin ses arêtes séchées & réduites en poudre, comme un bon alexipharmaque.

La poudre de vipere est appellée par quelques auteurs bezoard-animal ; la poudre du coeur & du foie porte le même nom chez plusieurs autres. (b)


VIPÉRINES. f. (Hist. nat. Bot.) echium ; genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir un peu courbé, dont le bord supérieur est plus long que l'inférieur. Le calice est ordinairement divisé jusqu'à sa base ; le pistil sort de ce calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons ; ils deviennent dans la suite autant de semences qui ressemblent à une tête de vipere ; elles mûrissent dans le calice même, qui s'aggrandit. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

L'espece appellée par Tournefort, echium vulgare, I. R. H. a la racine bisannuelle ; elle pousse plusieurs tiges à la hauteur de deux à trois piés, velues, fermes, vertes, marquetées de points noirs ; ses feuilles sont oblongues, étroites, lanugineuses, rudes au toucher, placées sans ordre, d'un goût fade. Ses fleurs garnissent les tiges presque depuis le bas jusqu'en haut ; elles sont formées en entonnoir, courbé & découpé par les bords, en cinq segmens inégaux ; elles sont d'une belle couleur bleue, tirant quelquefois sur le purpurin ; quelquefois cendrées, ayant au centre cinq étamines purpurines, à sommets oblongs, & un pistil blanc ; le tout est soutenu par un calice fendu jusqu'à la base en cinq parties, longues, étroites, pointues, cannelées. Quand la fleur est tombée, il lui succede quatre semences jointes ensemble, ridées, semblables à la tête d'une vipere.

Elle croît dans les champs, dans les terres incultes, dans les blés, le long des chemins & sur les murs. Elle fleurit en Juin & Juillet, demeure verte tout l'hiver ; & périt la seconde année, après avoir poussé sa tige & mûri sa graine. (D.J.)

VIPERINE, (Mat. méd.) Dioscoride & les anciens ont attribué à cette plante une vertu spécifique, contre la morsure de la vipere, & de quelques autres bêtes vénimeuses ; & c'est peut-être de cette prétendue vertu que lui vient son nom. Il pourroit bien être aussi que son nom seroit plus ancien que cette opinion ; qu'il lui viendroit, par exemple, comme le pensent quelques botanistes, d'une grossiere ressemblance qu'a sa graine avec la tête d'une vipere, & que les Pharmacologistes lui auroient ensuite attribué, pour soutenir l'honneur du nom, la vertu de guérir la morsure de cet animal. Quoi qu'il en soit, cette prétendue propriété est absolument imaginaire, & démentie par l'expérience. La vipérine est une des plantes éminemment nitreuses ; d'ailleurs dépouillée de tout autre principe vraiement actif, & dont l'action doit par conséquent être estimée par les propriétés médicinales du nitre. Voyez NITRE.

Cette plante est très-analogue à la bourache, à la buglose, à la pulmonaire, &c. & peut très-bien être substituée à ces plantes. Sa racine entre dans l'emplâtre diabotanum. (b)

VIPERINE DE VIRGINIE, (Mat. méd.) voyez SERPENTAIRE DE VIRGINIE.


VIPITENUM(Géog. anc.) nom d'une ville de la Germanie, selon l'itinéraire d'Antonin. On sait que c'est aujourd'hui Stertzingen dans le Tirol par une ancienne inscription qu'on y a déterrée.


VIR(Géogr. anc.) fleuve de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. marque son embouchure entre le promontoire où étoient les autels du soleil & un autre promontoire qu'il ne nomme point. On croit que c'est le fleuve Florius de Pline. (D.J.)


VIRAGOS. f. (Hist. anc.) femme d'une taille ou d'un courage extraordinaire, qui a les inclinations martiales. Dans l'antiquité, Sémiramis, Penthésilée, & en général toutes les amazones pouvoient être ainsi appellées, & l'on pourroit aussi approprier cette expression en écrivant en latin à Jeanne d'Arc, cette héroïne connue dans notre histoire, sous le titre de pucelle d'Orléans.

Ce mot est purement latin, & ne se dit en françois que par dérision.

Dans l'Ecriture, suivant la vulgate, Eve est appellée virago, parce qu'elle a été formée de la côte du premier homme, le traducteur latin ayant voulu conserver par ce nom l'étymologie du mot vir, dont il a formé virago, comme dans le texte hébreu Adam donne à Eve le nom d'Ischa, formé d'isch, qui signifie un homme.


VIRBI-CLIVUS(Géogr. anc.) colline d'Italie, & dont Perse fait mention dans sa sixieme satyre, où il dit, vers. 56.

.... accedo Bovillas

Clivumque ad Virbi.

Cette colline étoit, selon les commentateurs, à quatre milles de Rome, sur le chemin qui conduisoit à Aritia, & au lieu nommé ad nemus Dianae. Elle avoit pris le nom d'Hippolite, qui y étoit honoré sous le nom de Virbius, parce qu'on croyoit qu'il avoit été deux fois homme, bis vir, c'est-à-dire deux fois vivant, Diane lui ayant rendu la vie. (D.J.)


VIRBIUS(Mythologie) c'est le nom que Diane fit porter à Hippolite lorsqu'elle l'eut rappellé à la vie, comme si on disoit deux fois homme. La déesse, en le retirant des enfers, le couvrit d'un nuage, pour ne pas donner de la jalousie aux autres ombres ; mais craignant le courroux de Jupiter, qui ne permet pas qu'un mortel une fois descendu dans les enfers revienne à la lumiere, & voulant aussi mettre en sûreté les jours d'Hippolite contre les persécutions de sa marâtre, elle changea les traits de son visage, le fit paroître plus âgé qu'il n'étoit, pour le rendre entierement méconnoissable, & le transporta dans une forêt d'Italie qui lui a été consacrée. Là il vécut inconnu à tout le monde sous la protection de sa bienfaitrice & de la nymphe Egérie, honoré lui-même comme une divinité champêtre, jusqu'au regne de Numa, sous lequel il se fit connoître. Cette prétendue résurrection d'Hippolite, & toute la suite de cette fable, n'étoit qu'une imposture des prêtres de Diane dans la forêt d'Aricie, où ils avoient apparemment établi le culte d'Hippolite, qu'ils chercherent ensuite à accréditer par quelque histoire extraordinaire. Dict. mythol. (D.J.)


VIRE(Géog. mod.) ville de France, dans la basse Normandie, capitale du petit pays de Bocage, au bailliage de Caën, à 12 lieues au sud-est de Caën, à 9 au sud-est de S. Lô, & à 58 au couchant de Paris. Quoiqu'il n'y ait qu'une paroisse, elle est assez grande, & a de vastes fauxbourgs. L'église est belle, & est desservie par un grand nombre de prêtres : il y a aussi des cordeliers, des capucins, des ursulines & des bénédictines. C'est le siege d'une vicomté, d'un grenier à sel, d'une élection & d'une maîtrise des eaux & forêts. On y fabrique beaucoup de draps, dont il se fait un grand commerce. Les Vaudevires, qu'on a appellé improprement Vaudevilles, ont pris leur nom de cette ville. Long. suivant Cassini, 17. 37'. 30''. latit. 48. 50'. 15''.

Desmares (Toussaint), prêtre de l'oratoire, naquit à Vire en 1599. Il entra fort jeune dans la congrégation de l'oratoire nouvellement établie, & se distingua dans la suite en qualité de prédicateur. Il fut l'un des députés à Rome pour la défense de la doctrine de Jansénius, dont on poursuivoit la condamnation, & il défendit cette doctrine devant Innocent X. De retour en France en 1668, il reparut en chaire à Paris, & prêcha sur la grace avec un applaudissement qui lui a mérité l'éloge de Despréaux, sat. X. vers. 118.

Hà, bon ! voilà parler en docte janséniste,

Alcippe, & sur ce point si savamment touché,

Desmares, dans S. Roch, n'auroit pas mieux prêché.

Mais les applaudissemens même qu'il reçut, irriterent tellement ses ennemis, qu'ils le forcerent de chercher sa sûreté dans la fuite. Le duc de Luynes le cacha quelque tems dans ses maisons, & bientôt après le duc & la duchesse de Liancourt lui donnerent, sous le bon plaisir du roi, un logement dans leur château de Liancourt, avec tout ce qu'il lui falloit pour vivre commodément. Il travailloit dans cette douce retraite à un traité de l'eucharistie, lorsqu'il y mourut en 1687, âgé de 88 ans.

Gosselin (Jean), natif de Vire dans le xvj. siecle, publia des livres d'Astrologie, & fut garde de la bibliotheque du roi. Il mourut fort âgé d'une façon tragique ; il se laissa tomber dans le feu étant seul, & ne put jamais se relever à cause de sa caducité. " Ce feu bibliothécaire Gosselin, dit l'auteur du scaligeriana, ne laissoit entrer personne dans la bibliotheque du roi, tellement que M. Casaubon qui lui succede y trouve des trésors qu'on ne savoit point qui y fussent ".

Duhamel (Jean-Baptiste) naquit à Vire l'an 1624, & devint curé de Neuilly-sur-Marne. Il quitta cette cure au bout de dix ans, & fut nommé secrétaire de l'académie des Sciences. Il voyagea en Allemagne, en Angleterre, & en Hollande. Quoique philosophe, il étoit théologien. Son dernier livre est une bible sacrée, Biblia sacra vulgatae editionis, cum notis, prolegomenis, & tabulis chronologicis ac geographicis, Paris 1706, in fol. La Philosophie qui s'est perfectionnée depuis lui, a fait tomber tous ses ouvrages, mais son nom a subsisté, parce qu'il est à la tête de regiae scientiarum academiae historia, Paris 1701, in-4°. En 1697, il résigna sa place de secrétaire de l'académie en faveur de M. de Fontenelle. Il mourut en 1706, âgé de 83 ans, & sans aucune maladie ; les forces de la nature manquoient, il s'endormit pour toujours.

Le Tellier (Michel), jésuite, naquit auprès de Vire en 1643, & mourut à la Fleche en 1719, à 76 ans. Il devint confesseur de Louis XIV. après la mort du P. de la Chaise en 1709, & ce fut un malheur pour le royaume. " Homme sombre, ardent, inflexible, cachant ses violences sous un flegme apparent, il fit tout le mal qu'il pouvoit faire dans cette place où il est trop aisé d'inspirer ce qu'on veut, & de perdre qui l'on hait : il voulut venger ses injures particulieres. Les Jansénistes avoient fait condamner à Rome un de ses livres sur les cérémonies chinoises. Il étoit mal personnellement avec le cardinal de Noailles, & il ne savoit rien ménager. Il remua toute l'église de France : il dressa en 1711 des lettres & des mandemens que des évêques devoient signer. Il leur envoyoit des accusations contre le cardinal de Noailles, au bas desquelles ils n'avoient plus qu'à mettre leur nom. De telles manoeuvres dans des affaires profanes sont punies ; elles furent découvertes, & n'en réussirent pas moins.

La conscience du roi étoit allarmée par son confesseur, autant que son autorité étoit blessée par l'idée d'un parti rebelle. En vain le cardinal de Noailles lui demanda justice de ces mysteres d'iniquité. Le confesseur persuada qu'il s'étoit servi des voies humaines pour faire réussir les choses divines.

La place du cardinal-archevêque lui donnoit le droit dangereux d'empêcher le Tellier de confesser le roi. Mais il n'osa pas irriter à ce point son souverain ; & il le laissa avec respect entre les mains de son ennemi. Je crains (écrivit-il à madame de Maintenon) de marquer au roi trop de soumission en donnant les pouvoirs à celui qui les mérite le moins. Je prie Dieu de faire connoître au roi le péril qu'il court, en confiant son ame à un homme de ce caractere ". Essai sur l'histoire générale, tome VII. (D.J.)

VIRE, (Hydraul.) est le bout d'un tronçon de tuyau de grès, qui se met dans l'emboîture d'un autre pour être joints ensemble par le moyen d'un noeud de mastic chaud mêlé avec de la filasse. (K)

VIRE, terme de Blason, qui se dit de plusieurs anneaux passes les uns dans les autres, ensorte que les plus petits soient au milieu des plus grands, avec un centre commun, comme aux armoiries d'Albissi & de Virieu. Les Latins les appellent viria.

VIRE, la, (Géog. mod.) riviere de France, en Normandie, au diocèse de Coutances ou d'Avranches. Elle prend sa source de la bute de Brimbel, sépare le Cotentin du Bessin, & se décharge dans la mer, après avoir reçu dans son cours quelques autres petites rivieres. (D.J.)


VIRELAYS. m. (Poésie) petit poëme françois, qui est présentement hors d'usage. Le virelay tourne sur deux rimes seulement, dont la premiere doit dominer dans toute la piece ; l'autre ne vient que de tems en tems pour faire un peu de variété. Le premier, ou même les deux premiers vers du virelay se répétent dans la suite, ou tous deux, ou séparément par maniere de refrain, autant de fois qu'ils tombent à propos, & ces vers ainsi repris doivent encore fermer le virelay. On sent que cette piece de poésie a pris son nom du mot ancien virer, à cause du tour qu'y font les mêmes vers. (D.J.)


VIREMENTS. m. (Commerce) terme de banque & de négoce particulierement en usage sur la place du change à Lyon. Il se dit lorsqu'on donne en payement à un autre ce qu'on a droit d'avoir par une lettre ou billet de change, ce qui se nomme virement de partie, de l'ancien mot virer ou tourner, c'est-à-dire action par laquelle on change de débiteur ou de créancier, ce qui se fait sur le champ en écrivant ce virement ou changement sur un petit livre, qu'on appelle bilan. Voyez BILAN.

Les viremens de partie sont en usage dans toutes les banques de commerce, & sur-tout à Venise & à Amsterdam. M. Savary remarque que l'établissement s'en fit dans cette derniere ville en 1608 ou 1609, où les particuliers qui lui avoient prêté désespérant qu'elle pût jamais acquiter les dettes immenses qu'elle avoit contractées depuis plus de cinquante ans pour soutenir la guerre contre l'Espagne, demanderent pour leur sûreté qu'on fît un capital de ce qui leur étoit dû, & qu'on donnât à chacun d'eux crédit du montant de sa créance dans un livre de comptes courans qui seroit tenu pour cet effet à l'hôtel de ville, avec faculté de pouvoir assigner à leurs créanciers particuliers ce qu'ils pouvoient leur devoir. La proposition fut agréée, la ville se rendit caution envers les particuliers, tant des anciennes créances que des nouvelles qui pourroient s'y établir. Ce qui fut exécuté avec tant d'ordre & de sûreté, que les négocians trouvant d'ailleurs une extrême facilité à faire leurs payemens par ces viremens de parties, il n'y a guere de particuliers dans les Provinces-Unies & même dans le reste de l'Europe, pour peu que leur commerce s'étende vers le nord, qui n'y soient intéressés directement ou indirectement. Dict. de commerce.


VIRERPARTIE, (Commerce) c'est changer de débiteur ou de créancier en termes de banque. Toutes parties virées doivent être écrites sur le bilan par les propriétaires, ou par les facteurs qui en sont les porteurs. Voyez BILAN, ibid.

VIRER, terme usité en parlant du cabestan, pour dire tourner. Voyez CABESTAN.

VIRER, (Marine) c'est tourner sens dessus-dessous, faire capot.

VIRER AU CABESTAN, (Marine) c'est tourner un vaisseau qui amuré d'un bord au plus près, de telle maniere qu'il puisse être amuré de l'autre. C'est aussi faire tourner les barres du cabestan.

VIRER DE BORD, (Marine) c'est changer de route en mettant au vent un côté du vaisseau pour l'autre.

VIRER VENT ARRIERE, (Marine) c'est tourner un vaisseau en lui faisant prendre vent arriere. La méthode ordinaire qu'on suit pour faire cette manoeuvre, est de carguer l'artimon, de mettre la barre du gouvernail sous le vent ; & quand le vaisseau a pris son erre pour arriver, de brasser les voiles au vent en continuant toujours à les brasser à mesure que le vaisseau arrive, de maniere que les voiles se trouvent toujours orientées vent arriere, quand il est arrivé au lit du vent : pour comprendre la raison de ceci, voy. MANEGE DU NAVIRE.

VIRER VENT DEVANT, (Marine) c'est tourner le vaisseau en lui faisant prendre vent devant.

Le P. Hoste a expliqué dans son traité de la manoeuvre des vaisseaux, p. 120, plusieurs manoeuvres qu'on pratique ordinairement sur mer, pour tourner ainsi le vaisseau. Je ne m'y arrêterai pas, parce que je crois en avoir dit assez à l'article MANEGE DU NAVIRE, pour qu'on puisse faire virer le vaisseau vent devant, sans avoir recours à ces regles du pere Hoste.


VIRETONS. m. (Art milit.) espece de fleche qu'on appelloit ainsi, parce qu'elle viroit ou tournoit en l'air par le moyen des ailerons ou pennons qui lui étoient attachés. Voyez l'hist. de la milice françoise, tome I. p. 419. (Q)


VIREVAUou CABESTAN, s. m. voyez CABESTAN.


VIRGA(Littérat.) c'est le caducée de Mercure, décrit si noblement par Virgile.

Tum virgam capit, hâc animas ille evocat orco

Pallentes, alias sub tristia tartara mittit,

Dat somnos, adimitque, & lumina morte resignat.

Illâ fretus agit ventos, & turbida tranat

Nubila :

" Il prend son caducée, dont il se sert tantôt pour rappeller les ames des enfers, & tantôt pour les y conduire. Par le secours de cette simple verge, il endort les uns, reveille les autres, & ferme pour toujours les paupieres des mortels. Ce n'est pas tout ; avec le caducée il chasse les vents, les dissipe à son gré, & passe à travers de sombres nuages. " (D.J.)


VIRGAO(Géog. mod.) ou, selon le P. Hardouin, Urgao. L'itinéraire d'Antonin écrit tantôt Virgao, tantôt Vircao, tantôt Urcao, ville de l'Espagne tarragonoise, selon Pline, l. III. c. j. qui la surnomme Alba. Il est certain que ceux-là se trompent qui prennent Rota, bourgade d'Espagne dans l'Andalousie, sur la côte du golfe de Cadix, pour Virgao ; car Antonin la place loin de la côte entre Calpurniana & Iliturgis. On a découvert à Arjona une inscription citée par Gruter, qui semble indiquer que cette place est l'ancienne Virgao. Cette inscription porte, Munic. Alpense, Urgavon. D. D. (D.J.)


VIRGI(Géogr. anc.) ville d'Espagne, selon Pomponius Mela, l. II. c. vj. qui la met sur le golfe appellé Virginitanus Sinus, & auquel elle donnoit apparemment le nom. Ptolémée & Marcian d'Héraclée la nomment Urce.

Cette ville, dit Isaac Vossius, observat. ad Melam, a donné occasion de débiter bien des impertinences, parce qu'on ignoroit qu'Urci, Urgi, Virgi, Birgi & Murci, étoient autant de noms de la même place. On en trouve la preuve dans Pline, qui étend la Bétique jusqu'à la ville de Murgi ou Murgis, & qui dans un autre endroit donne la ville d'Urci pour le commencement de la province de Tarragone. Tous ceux qui ont voulu marquer les bornes de la Bétique, en ont dit autant ; si ce n'est quelques-uns qui, au-lieu de Murgi & d'Urci, ont écrit Virgi & Birgi. Il est ordinaire de voir changer l'U & B, & il ne l'est guere moins de voir le B changé en M, de-sorte qu'Urci & Murgi sont absolument le même nom.

Il est bon de remarquer néanmoins qu'outre cette Murgis, il y en a une autre que Ptolémée marque dans les terres parmi les villes des Turdules bétiques, & dont l'itinéraire d'Antonin fait mention. Mais cette Murgis n'a rien de commun avec celle dont il s'agit ici. Plusieurs ont voulu que cette derniere fût la ville de Murcie, qui a donné son nom à un royaume : mais cette opinion tombe d'elle-même, dès que la ville de Murcie, au-lieu d'être maritime, se trouve fort avant dans les terres. Ceux qui disent que Muxacra ou Vera, est l'ancienne Virgi, ne se trouvent pas mieux fondés. Vera est la ville Baria des anciens ; & l'on ne peut pas prendre Beria, puisqu'Abdera & le promontoire Charideme, aujourd'hui le cap de Gate étoient entre deux.

La ville Virgi, Urci, ou Murgi des anciens, étoit dans l'endroit où est aujourd'hui Almaçaran, à l'embouchure du Guadalentin. (D.J.)


VIRGINENSou VIRGINALE, (Mythol.) divinité que l'on invoquoit chez les Romains, lorsqu'on délioit la ceinture d'une nouvelle épouse vierge. C'étoit la même divinité que les Grecs appelloient Diana Lysizona. On portoit la statue, ou du-moins les images de Virginense dans la chambre des nouveaux époux, lorsque les Paranymphes en sortoient. On appelle aussi cette divinité Virginicuris. (D.J.)


VIRGINIETERRE DE, (Hist. nat.) nom donné par les Anglois à une terre bolaire, assez pesante & compacte, d'un rouge clair ; elle se trouve en Virginie, dans la Caroline & en Pensilvanie.

VIRGINIE, (Géog. mod.) contrée de l'Amérique septentrionale. Elle est bornée au nord par le Mariland, au midi par la Caroline, au levant par la mer du nord, & au couchant par la Louisiane.

Rawleigh, le fléau & la victime de l'Espagne, introduisit, en 1584, la premiere colonie angloise dans Mocasa, conquit ce pays, & lui donna le nom de Virginie, en mémoire de la reine Elisabeth sa maîtresse, qui passa sa vie dans le célibat, amusant tous les partis qui la recherchoient en mariage, sans vouloir en accepter aucun.

On divise la Virginie en septentrionale & méridionale. La premiere s'étend depuis le 37d. de latitude jusqu'au 39, & la seconde depuis le 33 jusqu'au 36.

La Virginie septentrionale est dans un climat assez tempéré. L'été y est chaud comme en Espagne, & l'hiver froid comme dans le nord de la France ; souvent le froid y est fort rude, mais par intervalle ; on arrive dans ce pays par un long golfe, entre deux promontoires. Le milieu de la contrée est fertile, & le seroit encore davantage, si les sauvages daignoient le cultiver ; mais ces sauvages ne s'occupent qu'à la chasse, & laissent à leurs femmes le ménage de la maison. Ils s'habillent de peaux de bêtes sauvages, se peignent le corps, & se percent les oreilles pour y pendre des coquilles. Les femmes lavent dans la riviere leurs enfans nouveau-nés, & les frottent de certaines drogues, pour leur endurcir la peau contre le froid & le chaud.

La Virginie méridionale produit en abondance le mays des Indes, & le tabac dont les Anglois font un grand commerce. Le terroir en est extrêmement fertile, & les fruits de l'Europe y viennent très-bien. On y voit quantité de cerfs, d'ours, de loutres, d'écureuils, & d'animaux dont les peaux sont fort estimées, ainsi qu'un grand nombre de coqs d'Inde, de perdrix, & d'autres oiseaux de bois & de riviere.

Il croît encore dans la Virginie une espece de lin appellé herbe-soie, dont on fait des toiles & des habits. Les naturels du pays sont robustes, agiles, francs & industrieux, ils sont idolâtres, & adorent tout ce qu'ils craignent, comme le feu, l'eau, le tonnerre, & principalement le diable, dont ils font des images effroyables. Ils tiennent le soleil, la lune & les étoiles pour autant de dieux. Leurs prêtres sont en même tems leurs médecins, & en qualité de magiciens, ils consultent le diable sur la guérison ou la mort de leurs malades. Leurs gouverneurs qu'ils nomment véroans, commandent à un ou à plusieurs villages.

Les deux principales rivieres de la Virginie, sont la riviere James, & celle d'Yorck, qui se jettent dans la baie de Chesapeack. Les colonies sont le long de la mer & sur le bord des rivieres pour la commodité du commerce. Les sauvages sont dans les terres, & ressemblent presque en tout à ceux de Mariland.

Les Anglois ont publié des descriptions civiles & naturelles également curieuses de la Virginie. On peut les consulter, car quelques-unes ont été traduites en françois ; mais comme ce détail nous meneroit trop loin, nous nous contenterons de dire, que la Virginie est partagée en 19 comtés, dont la ville principale est James-Town.

Les 19 comtés de la Virginie par le dénombrement fait en 1703, renfermoient soixante mille six cent habitans, & neuf mille six cent hommes de troupes réglées. Il est vraisemblable que depuis la publication de ce calcul, les colonies ont doublé ; ce qui suffit pour donner une idée de la grandeur des forces de l'Angleterre en Amérique comparées proportionnellement à la seule province de Virginie.

Elisabeth ne fit guere que donner un nom au continent de la Virginie. Après l'établissement d'une foible colonie, dont on vit bientôt la ruine, ce pays fut entierement abandonné. Mais lorsque la paix eut terminé les guerres entreprises contre l'Espagne, & qu'elle ne laissa plus aux caracteres ambitieux, l'espérance d'avancer si rapidement vers l'honneur & la fortune, les Anglois commencerent à seconder les pacifiques intentions de leur monarque, en cherchant une voie plus sûre, quoique plus lente, pour acquérir de la gloire & des richesses.

En 1606 Newport se chargea du transport d'une colonie, & commença un établissement, que la compagnie formée dans cette vue à Londres & à Bristol, prit soin de fournir annuellement de recrues, de provisions, d'ustensiles, & de nouveaux habitans. Vers l'an 1609, Argal découvrit une route plus sûre & plus droite pour la Virginie ; & quittant celle des anciens navigateurs, qui avoient pris au sud du tropique, il fit voile vers l'ouest, à la faveur des vents alisés, & tourna ensuite au nord, jusqu'aux établissemens de sa nation.

La même année, cinq cent personnes, sous la conduite des chevaliers Thomas Gates & George Sommers furent embarquées pour la Virginie. Le vaisseau de Sommers, agité d'une horrible tempête qui le poussa aux Bermudes, jetta les fondemens d'une autre colonie dans ces îles. Ensuite le lord Delaware prit le gouvernement des colonies angloises ; mais tous ses soins, secondés par l'attention de Jaques I. à lui envoyer des secours d'hommes, & de l'argent levé par la premiere loterie dont on ait l'exemple en Angleterre, ne garantirent point ces établissemens de leur décadence ; elle fut telle qu'en 1614, il n'y restoit pas plus de 400 hommes, de tous ceux qu'on y avoit transportés.

Enfin, ces nouveaux cultivateurs, après s'être assuré par leur travail les provisions les plus nécessaires à la vie, commencerent à planter du tabac ; & Jacques, malgré l'antipathie qu'il avoit pour cette drogue, leur en permit le transport en Angleterre, & défendit en même tems l'entrée du tabac d'Espagne. Ainsi par degrés, les nouvelles colonies prirent une forme dans ce continent ; & donnant de nouveaux noms aux lieux qu'elles occupoient, elles laisserent celui de Virginie à la province où la premiere colonie s'étoit formée.

Les spéculatifs de ce siecle firent quantité d'objections contre ces établissemens éloignés, & prédirent qu'après avoir épuisé d'habitans leur contrée maternelle, tôt ou tard on leur verroit secouer le joug, pour former en Amérique un état indépendant. Mais le tems a fait connoître que les vues de ceux qui encouragerent ces entreprises, étoient les plus justes & les plus solides. Un gouvernement doux & des forces navales ont maintenu, & peuvent maintenir long-tems la domination de l'Angleterre sur ces colonies ; & la navigation lui en a fait tirer tant d'avantages, que plus de la moitié de ses vaisseaux est employée aujourd'hui à l'entretien du commerce avec les établissemens d'Amérique. Hume. (D.J.)


VIRGINITÉ(Physiolog.)

Ut flos in septis secretus nascitur hortis

Ignotus pecori, nullo contusus aratro

Quem mulcent aurae, firmat sol, educat imber,

Multi illum pueri, multae optavere puellae

Idem cum tenui carptus defloruit ungue

Nulli illum pueri, nullae optavere puellae

Sic virgo, &c.

Il appartenoit à Catulle d'emprunter le léger pinceau d'Anacréon pour peindre la virginité, comme il appartient à l'auteur de l'Histoire naturelle de l'homme d'en parler en physicien plein d'esprit & de lumieres. On va voir avec quel coloris & quelle décence de style, il sait traiter des sujets aussi délicats : il nous arrive bien rarement de trouver des morceaux écrits dans ce goût pour embellir notre Ouvrage.

Les hommes, dit M. de Buffon, jaloux des privautés en tout genre, ont toujours fait grand cas de tout ce qu'ils ont cru pouvoir posséder exclusivement, & les premiers ; c'est cette espece de folie qui a fait un être réel de la virginité des filles. La virginité, qui est un être moral, une vertu qui ne consiste que dans la pureté du coeur, est devenue un objet physique, dont tous les hommes se sont occupés ; ils ont établi sur cela des opinions, des usages, des cérémonies, des superstitions, & même des jugemens & des peines ; les abus illicites, les coutumes les plus deshonnêtes, ont été autorisées ; on a soumis à l'examen des matrones ignorantes, & exposé aux yeux des médecins prévenus, les parties les plus secrettes de la nature, sans songer qu'une pareille indécence est un attentat contre la virginité ; que c'est la violer que de chercher à la reconnoître ; que toute situation honteuse, tout état indécent dont une fille est obligée de rougir intérieurement, est une vraie défloration.

On ne doit pas espérer de réussir à détruire les préjugés ridicules qu'on s'est formé sur ce sujet ; les choses qui font plaisir à croire seront toujours crues, quelque vaines & quelque déraisonnables qu'elles puissent être ; cependant comme dans une histoire on rapporte souvent l'origine des opinions dominantes, on ne peut se dispenser, dans un dictionnaire général, de parler d'une idole favorite à laquelle l'homme sacrifie, & rechercher si la virginité est un être réel, ou si ce n'est qu'une divinité fabuleuse.

L'anatomie elle-même laisse une incertitude entiere sur l'existence de cette membrane qu'on nomme hymen, & des caroncules myrtiformes, qui ont été si long-tems regardées comme indiquant par leur présence ou leur absence la certitude de la défloration, ou de la virginité ; l'anatomie, dis-je, nous permet de rejetter ces deux signes, non seulement comme incertains, mais comme imaginaires. Il en est de même d'un autre signe plus ordinaire, mais qui cependant est tout aussi équivoque, c'est le sang répandu : on a cru dans tous les tems, que l'effusion du sang étoit une preuve réelle de la virginité ; cependant il est évident que ce prétendu signe est nul dans toutes les circonstances où l'entrée du vagin a pû être relâchée ou dilatée naturellement.

Aussi toutes les filles, quoique non déflorées, ne répandent pas du sang ; d'autres, qui le sont en effet, ne laissent pas d'en répandre ; les unes en donnent abondamment & plusieurs fois, d'autres très-peu & une seule fois, d'autres point du tout ; cela dépend de l'âge, de la santé, de la conformation, & d'un grand nombre d'autres circonstances.

Il arrive dans les parties de l'un & de l'autre sexe un changement considérable dans le tems de la puberté ; celles de l'homme prennent un promt accroissement, elles parviennent en moins d'un an ou deux à l'état où elles doivent rester pour toujours ; celles de la femme croissent aussi dans le même tems de la puberté, les nymphes sur-tout, qui étoient auparavant presque insensibles, deviennent plus grosses, plus apparentes, & même elles excedent quelquefois les dimensions ordinaires ; l'écoulement périodique arrive en même tems ; toutes ces parties se trouvent gonflées par l'abondance du sang, & étant dans un état d'accroissement, elles se tuméfient, elles se serrent mutuellement, & elles s'attachent les unes aux autres dans tous les points où elles se touchent immédiatement. L'orifice du vagin se trouve ainsi plus retréci qu'il ne l'étoit, quoique le vagin lui-même ait pris aussi de l'accroissement dans le même tems ; la forme de ce retrécissement doit, comme on le voit, être fort différente dans les différens sujets, & dans les différens degrés de l'accroissement de ces parties. Aussi paroit-il par ce qu'en disent les anatomistes, qu'il y a quelquefois quatre protubérances ou caroncules, quelquefois trois ou deux, & que souvent il se trouve une espece d'anneau circulaire ou semi-lunaire, ou bien un froncement, une suite de petits plis ; mais ce qui n'est pas dit par les anatomistes, c'est que quelque forme que prenne ce retrécissement, il n'arrive que dans le tems de la puberté.

Avant la puberté, il n'y a point d'effusion de sang dans les jeunes filles qui ont commerce avec les hommes, pourvu qu'il n'y ait pas une disproportion trop grande, ou des efforts trop brusques ; au contraire, lorsqu'elles sont en pleine puberté, & dans le tems de l'accroissement de ces parties, il y a très-souvent effusion de sang pour peu qu'on y touche, sur-tout si elles ont de l'embonpoint, & si les regles vont bien ; car celles qui sont maigres, ou qui ont des fleurs blanches, n'ont pas ordinairement cette apparence de virginité ; & ce qui prouve évidemment que ce n'est en effet qu'une apparence trompeuse, c'est qu'elle se répete même plusieurs fois, & après des intervalles de tems assez considérables. Une interruption de quelque tems fait renaître cette prétendue virginité, & il est certain qu'une jeune personne, qui dans les premieres approches aura répandu beaucoup de sang, en répandra encore après une absence, quand même le premier commerce auroit duré pendant plusieurs mois, & qu'il auroit été aussi intime & aussi fréquent qu'on peut le supposer. Tant que le corps prend de l'accroissement, l'effusion du sang peut se répéter, pourvu qu'il y ait une interruption de commerce assez longue pour donner le tems aux parties de se réunir & de reprendre leur premier état ; & il est arrivé plus d'une fois que des filles qui avoient eu plus d'une foiblesse, n'ont pas laissé de donner ensuite à leur mari cette preuve de leur virginité, sans autre artifice que celui d'avoir renonce pendant quelque tems à leur commerce illégitime.

Quoique nos moeurs ayent rendu les femmes trop peu sinceres sur cet article, il s'en est trouvé plus d'une qui ont avoué les faits qu'on vient de rapporter ; il y en a dont la prétendue virginité s'est renouvellée jusqu'à quatre & même cinq fois dans l'espace de deux ou trois ans. Il faut cependant convenir que ce renouvellement n'a qu'un tems ; c'est ordinairement de quatorze à dix-sept, ou de quinze à dix-huit ans. Dès que le corps a achevé de prendre son accroissement, les choses demeurent dans l'état où elles sont, & elles ne peuvent paroître différentes qu'en employant des secours étrangers, & des artifices dont nous nous dispenserons de parler.

Ces filles dont la virginité se renouvelle, ne sont pas en si grand nombre que celles à qui la nature a refusé cette espece de faveur ; pour peu qu'il y ait du dérangement dans la santé, que l'écoulement périodique se montre mal & difficilement, que les parties soient trop humides, & que les fleurs blanches viennent à les relâcher, il ne se fait aucun retrécissement, aucun froncement ; ces parties prennent de l'accroissement, mais étant continuellement humectées, elles n'acquierent pas assez de fermeté pour se réunir ; il ne se forme ni caroncules, ni anneau, ni plis ; l'on ne trouve que peu d'obstacles aux premieres approches, & elles se font sans aucune effusion de sang.

Rien n'est donc plus chimérique que les préjugés des hommes à cet égard, & rien de plus incertain que ces prétendus signes de la virginité du corps : une jeune personne aura commerce avec un homme avant l'âge de puberté, & pour la premiere fois, cependant elle ne donnera aucune marque de cette virginité ; ensuite la même personne, après quelques tems d'interruption, lorsqu'elle sera arrivée à la puberté, ne manquera guere, si elle se porte bien, d'avoir tous ces signes, & de répandre du sang dans de nouvelles approches ; elle ne deviendra pucelle qu'après avoir perdu sa virginité ; elle pourra même le devenir plusieurs fois de suite, & aux mêmes conditions ; une autre au contraire, qui sera vierge en effet, ne sera pas pucelle, ou du moins n'en aura pas la même apparence. Les hommes devroient donc bien se tranquilliser sur tout cela, au lieu de se livrer, comme ils le font souvent, à des soupçons injustes, ou à de fausses joies, selon qu'ils s'imaginent avoir rencontré.

Si l'on vouloit avoir un signe évident & infaillible de virginité pour les filles, il faudroit le chercher parmi ces nations sauvages & barbares, qui n'ayant point de sentimens de vertu & d'honneur à donner à leurs enfans par une bonne éducation, s'assurent de la chasteté de leurs filles, par un moyen que leur a suggéré la grossiéreté de leurs moeurs. Les Ethiopiens, & plusieurs autres peuples de l'Afrique ; les habitans du Pégu & de l'Arabie Pétrée, & quelques autres nations de l'Asie, aussi-tôt que leurs filles sont nées, rapprochent par une sorte de couture les parties que la nature a séparées, & ne laissent libre que l'espace qui est nécessaire pour les écoulemens naturels : les chairs adherent peu-à-peu, à mesure que l'enfant prend son accroissement, desorte que l'on est obligé de les séparer par une incision lorsque le tems du mariage est arrivé. On dit qu'ils employent pour cette infibulation des femmes un fil d'amiante, parce que cette matiere n'est pas sujette à la corruption. Il y a certains peuples qui passent seulement un anneau ; les femmes sont soumises, comme les filles, à cet ouvrage outrageant pour la vertu ; on les force de même à porter un anneau ; la seule différence est que celui des filles ne peut s'ôter, & que celui des femmes a une espece de serrure, dont le mari seul a la clé.

Mais pourquoi citer des nations barbares, lorsque nous avons de pareils exemples aussi près de nous ! La délicatesse dont quelques-uns de nos voisins se piquent sur la chasteté de leurs femmes, est-elle autre chose qu'une jalousie brutale & criminelle ?

Quel contraste dans les goûts & dans les moeurs des différentes nations ! quelle contrariété dans leur façon de penser ! Après ce que nous venons de rapporter sur le cas que la plûpart des hommes font de la virginité, sur les précautions qu'ils prennent, & sur les moyens honteux qu'ils se sont avisés d'employer pour s'en assurer, imagineroit-on que d'autres la méprisent, & qu'ils regardent comme un ouvrage servile la peine qu'il faut prendre pour l'ôter ?

La superstition a porté certains peuples à céder les prémices des vierges aux prêtres de leurs idoles, ou à en faire une espece de sacrifice à l'idole même. Les prêtres des royaumes de Cochin & de Calicut jouissent de ce droit ; & chez les Canarins de Goa, les vierges sont prostituées de gré ou de force, par leurs plus proches parens, à une idole de fer ; la superstition aveugle de ces peuples leur fait commettre ces excès dans des vues de religion. Des vues purement humaines en ont engagé d'autres à livrer avec empressement leurs filles à leurs chefs, à leurs maîtres, à leurs seigneurs : les habitans des isles Canaries, du royaume de Congo, prostituent leurs filles de cette façon, sans qu'elles en soient deshonorées : c'est à-peu-près la même chose en Turquie, en Perse, & dans plusieurs autres pays de l'Asie & de l'Afrique, où les plus grands seigneurs se trouvent trop honorés de recevoir de la main de leur maître, les femmes dont il s'est dégoûté.

Au royaume d'Aracan, & aux isles Philippines, un homme se croiroit deshonoré s'il épousoit une fille qui n'eût pas été déflorée par un autre, & ce n'est qu'à prix d'argent que l'on peut engager quelqu'un à prévenir l'époux. Dans la province de Thibet, les meres cherchent des étrangers, & les prient instamment de mettre leurs filles en état de trouver des maris. Les Lapons préferent aussi les filles qui ont eu commerce avec des étrangers ; ils pensent qu'elles ont plus de mérite que les autres, puisqu'elles ont sçu plaire à des hommes qu'ils regardent comme plus connoisseurs & meilleurs juges de la beauté qu'ils ne le sont eux-mêmes. A Madagascar, & dans quelques autres pays, les filles les plus libertines & les plus débauchées, sont celles qui sont le plus tôt mariées ; nous pourrions, conclud M. de Buffon, donner plusieurs autres exemples de ce goût singulier, qui ne peut venir que de la grossiéreté ou de la dépravation de moeurs. (D.J.)

VIRGINITE, (Hist. ecclés.) les peres de l'église parlent de quatre états de filles vierges. Celle de la premiere espece, sans faire de voeu public, consacroient à Dieu leur virginité dans le secret de leur coeur ; elles ne cessoient point pour cela de demeurer dans le sein de leur famille, & elles n'étoient distinguées des autres filles que par leur modestie, soit dans leurs habits, soit dans leur maintien, & par la pratique des vertus chrétiennes. Telles étoient les quatre filles de S. Philippe, l'un des sept premiers diacres dont il est parlé dans le ch. xxj. des actes des apôtres. Telles étoient encore les autres vierges du tems de S. Paul : car il n'y avoit point alors de maison particuliere pour les recevoir. Cet usage constant dura jusqu'au troisieme siecle, vers le milieu duquel, comme les monasteres d'hommes s'étoient multipliés dans l'orient, quelques vierges pour se distinguer des filles du monde, prirent un habit différent des leurs. Cet habit consistoit en une tunique de laine brune & en un manteau noir, ainsi qu'on le voit par la lettre de S. Jérôme à Gaudentius : solent quidam cum futuram virginem spoponderint, pulla tunica eam, & fulvo operire pallio, &c. Le mot quidam prouve bien que cet usage étoit même fort rare. Tel étoit encore dans le quatrieme & dans le cinquieme siecle l'état des vierges de la seconde espece, qui ne cessoient pas pour cela de demeurer avec leurs parens.

Les vierges de la troisieme espece étoient celles qui faisoient un voeu public de virginité, & recevoient le voile de la main de leur évêque, ce qui se pratiquoit avec de grandes cérémonies, ou le jour de l'épiphanie, ou la seconde fête de pâques : c'étoit pendant la messe, au grand concours du peuple, que l'évêque recevoit le voeu & donnoit le voile, avec cette différence que pour les veuves qui se consacroient à Dieu, la cérémonie se faisoit dans la sacristie & avec moins de pompe. Quelquefois cette cérémonie se faisoit le jour de noël, comme il arriva à sainte Marcelline, soeur de S. Ambroise, à laquelle le pape Libere donna ce jour là le voile dans l'église du Vatican.

Ces trois sortes de vierges demeuroient dans le monde, ou chez leurs parens, ou dans quelque maison particuliere qu'elles choisissoient pour y vivre dans une plus grande retraite : c'est ce qu'on peut conclure de différens endroits des lettres de S. Jérôme, sur-tout de celle qui a pour titre de vitando suspecto contubernio, dans laquelle il expose aux vierges avec combien de circonspection elles doivent choisir les compagnes de leur retraite. Sainte Marcelline, après sa consécration, demeuroit à Rome avec une autre vierge de ses amies, à qui elle avoit donné un appartement. On trouve dans la vie de S. Ambroise, composée par Paulin, prêtre de Milan, le discours même du pape Libere, à la réception du voeu de cette sainte fille ; le pontife l'exhorte à éviter les assemblées publiques, sur-tout les nôces : donc ces vierges demeuroient encore dans le monde, car on ne fait pas de telles exhortations à des filles cloitrées.

On sait d'ailleurs que sainte Géneviéve, consacrée dès l'âge de sept ans par S. Germain d'Auxerre, & confirmée dans son état par l'évêque de Paris, que M. Baillet nomme Félix, demeura dans le monde jusqu'au tems de sa mort. Le même fait, s'il étoit besoin de nouvelles preuves, seroit encore établi par un passage d'Optat, évêque de Mileve, où ce prélat parlant des vierges d'Afrique, dit que la mître qu'elles portoient sur la tête, & qui désignoit leur état, servoit à les garantir contre les poursuites de ceux qui auroient voulu les épouser ou les enlever, ce qu'il n'auroit pas dit, si ces filles avoient été enfermées. Ces mîtres que les vierges d'Afrique portoient au-lieu de voile, étoient de laine teinte en pourpre, & servoient à couvrir la tête, & une partie des épaules, ainsi qu'on peut le conclure des paroles du même auteur.

Enfin les vierges de la quatrieme espece étoient celles qui aussitôt après leur profession publique de virginité, se renfermoient dans un monastere pour y vivre sous la conduite d'une supérieure ; usage qui commença à s'établir dans quelques églises d'orient, au commencement du quatrieme siecle. En effet S. Basile dans ses ascétiques, fait mention de couvens de filles, aussi-bien que de monasteres d'hommes ; & sainte Macrine sa soeur fut abbesse d'un couvent de filles qui étoit auprès de la ville de Césarée en Cappadoce, dont son frere étoit évêque. C'est ce que nous apprend S. Grégoire de Nysse, frere de ce saint docteur, & de sainte Macrine, dans la vie de cette abbesse. On le trouve encore dans les histoires de Sozomene & de Socrate, qui disent que Macédonius, évêque de Constantinople, & Eleusius, évêque de Cyzique, avoient fondé dans leurs diocèses des monasteres d'hommes & de filles.

Cet usage de renfermer les filles consacrées à Dieu, s'établit tard en Occident, sur-tout en France, où les plus anciens couvens de religieuses qu'on connoisse, sont ceux que fonderent S. Eloi, en 632. à Paris, dans une belle maison que Dagobert lui avoit donnée, & où il rassembla plusieurs religieuses sous la conduite de sainte Aure, qui en fut l'abbesse. Dadon, frere aîné de S. Ouen, fonda un autre couvent de filles à Jouarre, en 640. sous le regne de Clotaire II. & sainte Batilde, femme de Clovis II. à Chelles, en 657.

Il est bon de remarquer qu'après l'établissement de ces monasteres, les filles qui avoient fait voeu solemnel de virginité, n'étoient point astreintes à s'y renfermer ; rien ne le prouve plus clairement que l'ordonnance de Clotaire II. qui se trouve dans la collection des conciles de France, & dont voici les termes : sanctimoniales, tam quae in propriis domibus resident quàm quae in monasteriis positae sunt, &c.

Ce ne fut que par la suite des tems, & pour prévenir les inconvéniens qui pouvoient arriver, & qui arrivoient en effet quelquefois, que l'église ordonna à toutes les vierges qui se consacroient à Dieu, de se retirer dans des monasteres.

Le voeu public & solemnel de virginité étoit toujours accompagné de la réception du voile, ce qu'on peut prouver, 1°. par l'autorité de S. Ambroise, his in illo tunc die consecrationis tuae dictis, & multis super castitate tuâ praeconiis sacro velamine tecta es. Omnis populus dotem tuam subscribens non atramento sed spiritu, pariter clamavit, amen. 2°. Par le témoignage d'Optat, qui suppose le fait comme constant, dans tout son 6e. liv. contre les Donatistes. 3°. Enfin par la nov. 8. de l'empereur Majorien, dans laquelle ce prince défend aux peres & aux meres d'user de leur autorité pour contraindre leurs filles à prendre le voile sacré, & de permettre qu'elles le prennent de leur propre mouvement, avant l'âge de quarante ans. Cette ordonnance prouve qu'on prenoit alors le voile fort tard, savoir après l'âge de quarante ans, & l'empereur veut encore qu'on ne le prenne jamais que de son propre mouvement. (D.J.)


VIRGOnom latin de la constellation de la vierge. Voyez VIERGE.


VIRGONINest parmi les Tireurs d'or, une espece de manivelle qui s'emmanche sur les bobines de l'avanceur & du degrosseur dans des tenons de fer.


VIRGULES. f. (Gram.) c'est une espece d'arc de cercle, dont la convexité est tournée à droite, & qui s'insere entre les mots d'une proposition vers le bas, pour y marquer la moindre des pauses qu'il convient de faire dans la respiration [,].

On a indiqué ailleurs en détail, & avec le plus d'exactitude qu'il a été possible, les différens usages de ce caractere dans l'orthographe. Voyez PONCTUATION.


VIRIBALLUM(Géog. anc.) ville de l'île de Corse, sur la côte occidentale de l'île, selon Ptolémée, l. III. c. ij. Le nom moderne est Punta-di-Adiazza, au jugement de Léander. (D.J.)


VIRILadj. (Gram.) ce qui convient ou appartient à l'homme, ou ce qui est particulier à un homme, ou au sexe masculin.

L'âge viril est la force & la vigueur de l'âge de l'homme, depuis trente ans jusqu'à quarante-cinq ; c'est l'âge où l'on est également éloigné du grand feu de la jeunesse, & de la caducité de la vieillesse. Voyez AGE.

Les jurisconsultes ne font qu'un seul âge de la jeunesse & de la virilité, cependant la différence des tempéramens semble demander que l'on distingue l'une de l'autre, parce que la chaleur qui dans la jeunesse est au souverain degré, & qui influe sur les actions, est plus moderée dans l'âge viril ; & c'est pour cela que l'on compare ordinairement la jeunesse à l'été, & la virilité à l'automne. Voyez PUBERTE.

A Rome la jeunesse quittoit la prétexte, & prenoit la robe virile à quatorze ou quinze ans, comme pour marquer que l'on entroit dans un âge plus sérieux. Voyez PRETEXTE & ROBE.

M. Dacier prétend que les enfans ne prenoient la prétexte qu'à treize ans, & ne la quittoient qu'à dix-sept, pour prendre la robe virile.

VIRILE, (Jurisprud.) s'entend de la portion que chaque héritier a droit de prendre égale à celle des autres héritiers, c'est une part entiere.

On dit quelquefois portion virile, quelquefois virile simplement.

Succéder par portions viriles, in viriles, c'est succéder également. Voyez HERITIER, SUCCESSION, PARTAGE.

En matiere de gains nuptiaux & de survie, lorsque le conjoint survivant n'en a que l'usufruit, comme c'est l'ordinaire, il ne laisse pas d'y prendre une virile en propriété, au cas qu'il ne se remarie pas. Cette virile est une part égale à celle que chaque enfant doit recueillir dans les gains nuptiaux, de maniere que le survivant est compté pour un enfant ; s'il vient à se remarier, il perd dès cet instant, la propriété de sa virile. Voyez CONJOINT, GAINS NUPTIAUX, NOCES, SECONDES NOCES. (A)


VIRIPLACAS. f. (Mytholog.) divinité des Romains, qui selon Valere Maxime, l. II. c. j. num. 6. prenoit le soin de la reconciliation des personnes mariées ; grande, pénible & glorieuse fonction, qu'il étoit juste de démembrer du district de la reine des dieux, attendu le mauvais ménage qu'elle avoit fait avec Jupiter ! (D.J.)


VIRITIUM(Géog. anc.) ville de la Germanie, dans sa partie septentrionale, selon Ptolémée, l. II. c. xj. Althamerus prétend que le nom moderne est Gripswald. (D.J.)


VIRNEBOURG(Géog. mod.) petit comté d'Allemagne, dans l'Eiffel. Ce comté appartient aux comtes de Loëwenstein, qui ont leurs terres en Franconie. (D.J.)


VIROLES. f. (terme d'Art) petite bande de fer, d'argent, ou d'autre métal, qui sert & entoure le petit bout du manche d'une alesne, serpette, marteau, péson, couteau, &c. qui sert à tenir la meche de l'alumelle ferme dans le manche. (D.J.)

VIROLE du barillet, terme dont les Horlogers se servent pour désigner le tour ou l'anneau du barillet contre lequel s'appuye le grand ressort.

Virole du balancier est le nom qu'on donne à un petit canon, voyez les fig. qui s'ajuste sur l'assiette de la verge du balancier ; les horlogers y fixent de la maniere suivante l'extrêmité intérieure du ressort spiral ; ils font entrer l'extrêmité susdite du ressort, dans un trou triangulaire percé à la circonférence du canon, & ils la serrent ensuite contre la paroi de ce trou, parallele à l'axe de la verge, au moyen d'une goupille triangulaire qu'on y fait aussi entrer avec force.

L'avantage que l'horloger retire de la virole, est de pouvoir, en la faisant tourner sur l'assiette de la verge, mettre très-facilement la montre d'échappement. Voyez ECHAPPEMENT.

VIROLE, s. f. terme de Blason, ce mot se dit du cercle, ou de la boucle qui est aux extrêmités du cornet, du huchet, ou de la trompe, qu'il faut spécifier en blasonnant, quand elle est d'un différent émail : & en ce cas on l'appelle le cornet virolé d'or ou d'azur. &c. (D.J.)


VIRONNELA, (Géog. mod.) petite riviere de France, en Normandie, au Cotentin. Elle a sa source vers le manoir de la Lande, & se joint à la Dattée. (D.J.)


VIROSIDUM(Géog. mod.) ville de la grande Bretagne, selon la notice des dignités de l'empire, sect. 63. Cambden croit que c'est aujourd'hui Warwick, bourg du Cumberland, où l'on voit effectivement quelques restes d'antiquité. (D.J.)


VIROVESCA(Géog. anc.) ce nom est écrit fort diversement ; dans Ptolémée, liv. II. c. vj. ville de l'Espagne tarragonoise ; Pline, l. III. ch. iij. dit que c'est une des deux villes qui se trouvoient parmi les dix cités des peuples Autrigones. Le nom moderne est Birbiesca ou Virvesca, bourg d'Espagne dans la Castille vieille. (D.J.)


VIROVIACUM(Géog. anc.) lieu de la Gaule belgique ; l'itinéraire d'Antonin le marque sur la route de Portus Gessoriacensis à Bagacum, entre Castellum & Turnacum, à seize milles de chacune de ces places. On croit que c'est aujourd'hui Wervere, sur la Lys en Flandres. (D.J.)


VIRTES. f. (Jaugeage) mesure dont on se sert pour jauger les barriques ou autres futailles à mettre les vins & eaux-de-vie à Xaintes, Coignac & Angoulême : c'est à-peu-près la velte. A Coignac on compte neuf pintes par virte, à Angoulême huit pintes 2/5, & à Xaintes huit pintes 3/4. (D.J.)


VIRTOou VERTON, (Géog. mod.) petite ville des Pays-Bas, dans le duché de Luxembourg, à 8 lieues à l'ouest de Luxembourg, à 3 au sud-ouest d'Arlon, & à égale distance au nord-est de Montmédy. Elle est sujette pour le spirituel à l'électeur de Treves. Long. 23. 15. latit. 49. 52. (D.J.)


VIRTUELadj. (Gram. & Philosoph. scholastique) qui a la puissance d'opérer tel effet, mais qui ne l'opere pas actuellement. En ce sens actuel s'oppose à virtuel. L'actualité marque l'effet présent, & virtualité la puissance seulement de le produire.


VIRTUOSES. m. (Littérat.) mot italien introduit en France, il n'y a pas bien long-tems. Il signifie un homme curieux des connoissances qui ornent & enrichissent l'esprit, ou un amateur des sciences & des beaux arts, & qui en favorise le progrès.

Ce qu'on appelle en Italie virtuosi, ce sont proprement des hommes qui s'appliquent aux beaux arts & aux hautes sciences, & qui s'y distinguent, comme à la peinture, à la sculpture, aux mathématiques, à la musique, &c. On dit d'une personne qui en fait profession, c'est un virtuose, questo è un virtuoso.

En Angleterre on applique plutôt cette dénomination à quelques lettrés aimables & curieux, qu'à ceux qui cultivent des arts utiles ou des sciences qui exigent une profonde méditation. Ainsi l'on y appelle virtuoses, les antiquaires, ceux qui font des collections de raretés de toute espece, des observations avec le microscope, &c.


VIRULENTENTE, adj. (terme de Chirurgie) ce qui est infecté de virus : ce qui est d'une qualité nuisible, maligne & contagieuse. La suppuration des ulceres cancereux est une sanie virulente. Voyez CANCER, &c. (Y)


VIRUNUM(Géog. anc.) ville du Norique, au midi du Danube, selon Ptolémée, l. II. c. xiv. Gruter, pag. 108, n °. 7, en rapporte l'inscription suivante :

S. P. Censorius justus Viruno

L. Volceius Severus Sestino

Q. Sextilius Rufus Flanona

C. Valerius Veranius Tridente.

On conjecture par une autre inscription de Gruter, p. 569, n °. 7, que l'empereur Claude fit une colonie de cette ville. (D.J.)


VIRURES. f. (Marine) c'est une file de bordages qui regne tout-autour du vaisseau.


VISS. f. (Méchaniq.) est une des cinq puissances méchaniques, dont on se sert principalement pour presser ou étreindre les corps fortement, & quelquefois aussi pour élever des poids ou des fardeaux. Voy. PUISSANCES MECHANIQUES, MACHINE, &c.

La vis est un cylindre droit, tel que A B (Planch. Méchan. fig. 11. n °. 2.) creusé en forme de spirale. Sa génération se fait par le mouvement uniforme d'une ligne droite F G (fig. 11.) autour de la surface d'un cylindre, dans le même tems que le point I descend uniformément de F vers G. On appelle une vis mâle celle dont la surface creusée est convexe, & celle qui est concave est appellée vis femelle, ou plus communément écrou, & alors on appelle vis simplement la vis mâle. On joint toujours la vis mâle à la vis femelle, quand on veut exécuter quelque mouvement avec cette machine, c'est-à-dire toutes les fois que l'on veut s'en servir comme d'une machine simple ou d'une puissance méchanique. Quelquefois la vis mâle est mobile & l'écrou est fixe, quelquefois l'écrou est mobile & la vis mâle fixe : mais dans l'un & l'autre cas, l'effet de la vis est le même.

La cloison mince qui sépare les tours de la gorge de la vis, est appellée le filet de la vis ; & la distance qu'il y a d'un filet à l'autre, se nomme pas de vis.

Il est visible que le filet d'une vis n'est autre chose qu'un plan incliné roulé en spirale autour d'un cylindre, & que ce plan est d'autant moins incliné que les pas sont moins grands. Ainsi lorsqu'une vis tourne dans son écrou, ce sont deux plans inclinés dont l'un glisse sur l'autre. La hauteur est déterminée pour chaque tour par la distance d'un filet à l'autre ; & la longueur du plan est donnée par cette hauteur & par la circonférence de la vis. Car si on développe un filet de vis avec son pas, on aura un plan incliné.

Quand on veut faire usage de cette machine, on attache ou on applique l'une des deux pieces, la vis ou l'écrou, à la résistance qu'il faut vaincre, & l'autre lui sert comme de point d'appui. Alors en tournant on fait mouvoir l'écrou sur la vis ou la vis dans l'écrou, selon sa longueur ; & ce qui résiste à ce mouvement avance ou recule d'autant. Par exemple, dans les étaux des Serruriers, une des deux mâchoires est poussée par l'action d'une vis contre l'autre à laquelle est fixé un écrou. Il faut, comme l'on voit, que la puissance fasse un tour entier pour faire avancer la résistance de la quantité d'un pas de vis, c'est-à-dire de la distance d'un filet à l'autre.

Théorie ou calcul de la vis. 1°. Si la circonférence décrite par la puissance en un tour de vis, est à l'intervalle ou à la distance entre deux spires qui se suivent immédiatement (prise sur la longueur de la vis), comme le poids ou la résistance est à la puissance ; alors la puissance & la résistance seront en équilibre. Par conséquent la résistance sera surmontée, pour peu que l'on augmente la puissance.

Car il est évident qu'en un tour de vis le poids est autant élevé, ou la résistance autant repoussée, ou ce que l'on propose à serrer l'est autant qu'il y a de distance entre deux spires immédiatement voisines ; & que dans le même tems le mouvement ou le chemin de la puissance est égal à la circonférence décrite par cette même puissance en un tour de vis. C'est pourquoi la vîtesse du poids (ou de quoique ce soit qui y réponde) sera à la vîtesse de la puissance comme la distance entre deux spires est à la circonférence décrite par la puissance en une révolution ou en un tour de vis. Ainsi avec cette machine l'on perd en tems ce que l'on gagne en puissance.

2°. Plus la distance entre deux spires est petite, moins il faut employer de force pour surmonter une résistance proposée.

3°. Si la vis mâle tourne librement dans son écrou, la puissance requise pour surmonter une résistance, doit être d'autant moindre, que le levier B D (fig. 12.) est plus long.

4°. La distance B D de la puissance au centre de la vis, la distance I K de deux spires, & la puissance applicable en D étant données, déterminer la résistance que l'on pourra surmonter ; ou la résistance étant donnée, trouver la puissance capable de surmonter cette résistance.

Trouvez la circonférence d'un cercle décrit par le rayon C D ; trouvez ensuite un quatrieme terme proportionnel à la distance entre deux spires, à la circonférence que l'on vient de trouver, & à la puissance donnée, ou bien à ces trois termes, la circonférence trouvée, la distance de deux spires, & la résistance donnée. Dans le premier cas, ce quatrieme terme proportionnel exprimera la résistance que la puissance donnée pourra surmonter, & dans le second il exprimera la puissance nécessaire pour surmonter la résistance donnée.

Par ex. supposons que la distance entre deux spires soit 3, que la distance C D de la puissance au centre de la vis soit 25, & que la puissance fasse un effet de 30 liv. on trouvera que la circonférence du cercle décrit par la puissance sera 157 à-peu-près, parce que l'on n'a pas le rapport exact du diametre à la circonférence. C'est pourquoi en faisant cette proportion 3. 157 : : 30. 1570, on verra que la résistance est égale à 1570 liv.

5°. La résistance qu'une puissance donnée doit surmonter étant connue, déterminer le diametre de la vis, la distance I K de deux spires, & la longueur du levier B D, on peut prendre à volonté la distance des spires & le diametre de la vis ; s'il s'agit de faire tourner avec un levier la vis mâle dans son écrou, on dira : la puissance donnée est à la résistance qu'il faut surmonter comme la distance des spires est à un quatrieme nombre qui exprimera la circonférence que doit décrire le manche C D en un tour de vis ; c'est pourquoi en cherchant le demi-diametre de cette circonférence, on aura la longueur du levier B D. Mais s'il faut que l'écrou tourne autour de sa vis, sans se servir du levier, alors le diametre trouvé sera celui de la vis demandée.

Soit le poids 6000, la puissance 100, & la distance des spires 2 lignes ; pour trouver la circonférence que la puissance doit décrire, dites : 100. 6000 : : 2. 120. Le diametre de cette circonférence étant environ le tiers de 120 = 40 lignes, exprimera la longueur du levier, en cas que l'on en fasse usage ; autrement il faudra que la surface du corps dans lequel l'écrou est creusé ait au-moins 40 lignes de diametre.

Selon la matiere dont on fait les vis, & les efforts qu'elles ont à soutenir, on donne différentes formes aux filets, le plus souvent ils sont angulaires ou quarrés. Ceux-ci se pratiquent ordinairement aux grosses vis de métal qui servent aux presses & aux étaux, parce qu'elles en ont moins de frottement. On fait aux vis de bois des filets angulaires pour leur conserver de la force ; car par cette figure ils ont une base plus large sur le cylindre qui les porte ; on donne aussi la même forme aux filets des vis en bois, je veux dire ces petites vis de fer qui finissent en pointe & qui doivent creuser elles-mêmes leur écrou dans le bois ; on doit les considérer de même que les meches des vrilles & des tarieres, comme des coins tournans, dont l'angle ouvre le bois d'autant mieux qu'il est plus aigu ; ou pour parler plus juste, ces machines ne sont autre chose qu'une vis réunie avec un coin. Leçons de Physique de M. l'abbé Nollet. (O)

VIS SANS FIN, si une vis est disposée pour faire tourner une roue dentée D F (fig. 13.), on l'appelle vis sans fin, parce qu'elle fait tourner perpétuellement la roue E, & que cette vis elle-même peut tourner perpétuellement sans jamais finir, au lieu qu'on ne peut faire faire aux autres vis qu'un certain nombre de tours. La figure fait assez voir que quand la vis fait un tour, la roue n'avance que d'une dent.

Théorie ou calcul de la vis sans fin. 1°. Si la puissance appliquée au levier ou à la manivelle A B d'une vis sans fin est au poids ou à la résistance, en raison composée de la circonférence de l'axe de la roue E H à la circonférence décrite par la puissance qui fait tourner la manivelle, & des révolutions de la roue D F aux révolutions de la vis C B, la puissance sera en équilibre avec le poids ou la résistance.

Il suit de-là 1°. que le mouvement de la roue étant excessivement lent, il n'est besoin que d'une très-petite puissance pour élever un poids considérable par le moyen de la vis sans fin : c'est pour cette raison que l'on fait un grand usage de la vis sans fin, quand il s'agit d'élever des poids énormes à une petite hauteur, ou lorsque l'on a besoin d'un mouvement très-lent & très-doux ; ainsi l'on s'en sert fort souvent dans les horloges & dans les montres.

2°. Etant donné le nombre des dents, la distance A B de la puissance au centre de la vis, le rayon de l'axe H E & la puissance, trouver le poids que la machine élevera.

Multipliez la distance de la puissance au centre de la vis par le nombre des dents ; ce produit est proportionnel à l'espace parcouru par la puissance dans le même tems que le poids parcourt un espace égal à la circonférence de l'axe de la roue. Trouvez après cela une quatrieme proportionnelle au rayon de l'axe, à l'espace parcouru par la puissance qui vient d'être déterminé, & à la puissance ; ce quatrieme terme exprimera le poids que la puissance peut soutenir. Ainsi si A B = 3, le rayon de l'axe H E = 1, la puissance = 100 livres, le nombre des dents de la roue D E = 48, on trouvera le poids = 14400 ; d'où il paroît qu'il n'y a point de machine plus capable que la vis sans fin, d'augmenter la force d'une puissance. Mais cet avantage coute bien du tems ; car il faut, comme nous l'avons dit, que la vis fasse un tour entier pour faire passer une dent de la roue ; & il faut que toutes les dents passent pour faire tourner une fois le rouleau ; desorte que si le nombre des dents est 100, & que le diametre du rouleau soit de quatre pouces, pour élever le poids à la hauteur d'un pié, il faut que la puissance fasse tourner cent fois la manivelle ; mais il y a bien des occasions, comme nous l'avons déja dit, où cette lenteur est le principal objet qu'on se propose ; par exemple, lorsqu'il s'agit de modérer le mouvement d'un rouage, ou bien de faire avancer ou reculer un corps d'une des petites quantités qu'il importe de connoître.

Si c'est la roue qui fait aller la vis, alors le mouvement de la vis est fort promt ; c'est pour cette raison qu'on se sert aussi quelquefois de cette machine lorsqu'on veut produire un très-grand mouvement. Leç. de phys. de M. l'abbé Nollet.

VIS SANS FIN, (Horlogerie) c'est une vis dont les pas engrenent dans les dents d'une roue, & qui est tellement fixée entre deux points, qu'elle tourne sur son axe, sans pouvoir avancer ni reculer comme les vis ordinaires.

On l'emploie dans les montres, dans les tournebroches, & dans plusieurs machines de différentes especes.

Dans les montres elle sert pour bander le grand ressort. Elle a cet avantage sur les encliquetages dont on se servoit autrefois, & dont on se sert encore actuellement dans les pendules, voyez PENDULE, qu'on peut par son moyen bander le ressort tant & si peu que l'on veut.

La vis sans fin a deux pivots qui entrent dans les deux pitons a b, & au moyen de deux portées distantes entr'elles d'une quantité égale à l'intervalle de ces deux pitons, elle est retenue entr'eux. Par-là elle est mobile sur son axe sans pouvoir avancer ni reculer. Les dents de la roue de vis sans fin, fixée sur l'arbre de barillet, entrant dans les pas de cette vis, en la tournant on fait tourner la roue, & par-là on bande le ressort, voyez RESSORT, ROUE DE VIS SANS FIN, &c. Elle a à l'extrêmité de son pivot c un quarré sur lequel on fait entrer l'outil ou quarré à vis sans fin, au moyen de quoi on la fait tourner avec beaucoup de facilité.

Pour qu'une vis sans fin soit bien faite, il faut que ses pas ne fassent pas un trop grand angle avec son axe.

VIS D'ARCHIMEDE ou POMPE SPIRALE, (Méch.) c'est une machine propre à l'élévation des eaux, inventée par Archimede. Voyez POMPE & SPIRALE.

La description suivante en fera connoître la structure. C'est un tube ou un canal creux qui tourne autour d'un cylindre A B (Pl. hydrauliq. fig. 1.), de même que le cordon spiral dans la vis ordinaire, que l'on a décrite ci-dessus. Le cylindre est incliné à l'horison sous un angle d'environ 45 degrés. L'orifice du canal B est plongé dans l'eau. Si par le moyen d'une manivelle on fait tourner la vis, l'eau s'élevera dans le tube spiral, & enfin se déchargera en A ; & l'invention de cette machine est si simple & si heureuse, que l'eau monte dans le tube spiral par sa seule pesanteur. En effet lorsqu'on tourne le cylindre, l'eau descend le long du tuyau, parce qu'elle s'y trouve comme sur un plan incliné.

Cette machine est fort propre à élever une grande quantité d'eau avec une très-petite force ; c'est pourquoi elle peut être utile pour vuider des lacs ou des étangs.

Une seule vis ou pompe ne suffit pas, quand il s'agit d'élever l'eau à une hauteur considérable, parce que cette vis étant nécessairement inclinée, ne peut porter l'eau à une grande élévation sans devenir elle-même fort longue & par-là très-pesante, & sans courir les risques de se courber & de perdre son équilibre ; mais alors on peut avec une seconde pompe élever l'eau qu'une premiere a fournie, & ainsi de suite. Chambers.

M. Daniel Bernoulli, dans la section neuvieme de son hydrodynamique, a donné une théorie assez étendue de la vis d'Archimede & des effets qu'elle peut produire.

VIS, (Hydr.) petit boulon de fer, de cuivre, ou de bois cannelé en ligne spirale, & qui entre dans un écrou qui l'est de même. On s'en sert dans les conduites des tuyaux de fer ou de cuivre, en les faisant passer par les brides, & les serrant fortement. (K)

VIS, (Conchyliolog.) en latin turbo ou strombus ; en anglois the screw-shell, genre de coquilles univalves, dont la bouche est tantôt longue, large, applatie, ronde, dentée, & tantôt sans dents, diminuant vers la base, quelquefois à oreilles, se terminant toujours en une longue pointe très-aiguë.

Aristote, selon Aldrovandus, ne fait aucune distinction des vis appellées turbines, d'avec les turbinées ; elles sont cependant très-différentes. Les vis ont une bouche longue, large, & dentelée, qui diminue vers la base ; elles se terminent de plus en une pointe fort aiguë. Les coquilles au contraire appellées turbinées ou contournées, ne sont pas si pointues ; elles ont le corps gros, la bouche large, & souvent très-allongée, comme celle des buccins. Voyez TURBINEE, coquille.

Rien n'est plus aisé que de confondre la vis avec le buccin : deux auteurs, Rondelet & Aldrovandus, les ont bien confondus, & y ont joint l'épithete de muricatus ; ce qui mêle trois familles ensemble.

Le vrai caractere de ce testacé, est d'avoir la figure extrêmement longue & menue, avec une pointe très-aiguë, des spires qui coulent imperceptiblement sans une grande cavité, la base plate & petite, de même que l'ouverture de la bouche ; une figure qui imite le foret ou l'alène, détermine son caractere générique : il y a des vis marines, fluviatiles, & terrestres ou fossiles.

Lister qui veut que toutes les coquilles longues soient des buccins, appelle une vis dont les intervalles de la spirale sont très-profonds, buccinum intortum, testae aperturâ planâ, seu ore plano, figurâ productiore : combien lui a-t-il fallu de mots pour habiller cette coquille en buccin ? D'autres, F. Columna lui-même, confondent le sabot appellé trochus avec la vis.

Enfin, il est vrai que les especes de vis sont si nombreuses, qu'il convient de les ranger, comme a fait M. Dargenville, sous certains chefs ou classes.

La premiere classe est celle des vis à bouche longue sans dents, dont le fût est rayé. Cette classe comprend les especes suivantes : 1°. le clou marqué de taches bleues ; 2°. l'alène chargée de petites lignes jaunes & perpendiculaires ; 3°. le poinçon tout entouré de points ; 4°. l'aiguille tachetée & cerclée ; 5°. le perçoir entouré de lignes & de points ; 6°. la vis blanche à réseau & grenue ; 7°. la vis vergetée, entourée de cordelettes.

La seconde classe est celle des vis à bouche dentée, dont le fût est aussi rayé ; elle ne contient que deux especes ; 1°. la vis fasciée & étagée ; 2°. la vis nommée l'enfant-en-maillot.

La troisieme classe est des vis faites en pyramide, à bouche applatie ; on met dans cette classe, 1°. le télescope ridé de sillons en-travers ; 2°. la vis blanche, cerclée de lignes jaunes ; 3°. la pyramide, ou l'obélisque chinois ; 4°. la vis ridée, ornée de cercles élevés, & garnie de pointes ; 5°. la petite tour grenue, entourée de lignes.

Dans la quatrieme classe, qui est composée des vis à bouche allongée, on compte les quatre especes suivantes, nommées tarieres ; savoir ; 1°. la tariere ailée ; 2°. la tariere blanchâtre ; 3°. la tariere bariolée ; 4°. la tariere entourée de lignes fauves.

La cinquieme classe consistant en vis à bouche applatie & fort étendue, renferme deux especes ; 1°. la cheville étagée à bec, à tubercules, marquée de taches brunes & bleues ; 2°. la cheville blanche, à bec, entourée de spires & de tubercules.

La sixieme classe est formée de vis à bouche large & ovale ; on y remarque les trois especes suivantes, nommées rubans ; savoir, 1°. le ruban bariolé de veines noires, jaunes, & rouges ; 2°. le ruban de couleur d'agate, à sommet bariolé ; 3°. le ruban blanchâtre, à sommet coloré.

La septieme classe est de vis à bouche ronde ; on rapporte à cette derniere classe ; 1°. la vis de pressoir, creusée profondément ; 2°. la vis de couleur d'os, à vingt tours, tournés différemment ; 3°. la vis dont les tours épais sont blancs & fauves ; 4°. la vis décorée de 17 tours cannelés ; 5°. la vis entourée de 20 tours épais, d'un beau travail ; 6°. la vis brune, à 14 tours rayés ; 7°. la vis à oreille de Rondelet ; 8°. l'escalier de Rumphius entouré de filets blancs : c'est la scalata, qui par sa rareté vaut la peine d'être ici décrite.

Sept spirales coupent toute sa figure pyramidale, qui approche de celle d'un minaret : la derniere revient en cornet, vers sa bouche ovale, dont elle forme le bourrelet. Ces spirales sont coupées par des côtes minces, saillantes, & blanches, sur un fond plus sale ; elles sont séparées les unes des autres d'une maniere assez sensible. Ce qui fait la rareté de cette coquille, est que les Indiens la conservent parmi leurs bijoux les plus précieux, & qu'ils la pendent à leur col. Il faut que la scalata ait plus d'un pouce de haut pour être réputée belle ; il n'y a rien de si commun que les petites qui se trouvent même en quantité dans le golfe adriatique, au rapport de Bonanni.

On compare l'animal de la vis à un vermisseau solitaire, se contournant de même que sa coquille qu'il parcourt lorsqu'il est jeune, jusqu'à sa plus petite extrêmité. Sa tête a la forme d'un croissant, au sommet duquel sortent deux cornes fort pointues avec deux points noirs qui sont ses yeux placés sur leur côté extérieur, & dans leur renflement ; une fente que l'on remarque sur le haut de la tête, lui sert de bouche, entourée d'un bourrelet, qui a une petite frange au pourtour.

Ces animaux sont de grosseur & de longueur différentes, proportionnées à la coquille qu'ils habitent. Il y en a qui ont 10, 15, jusqu'à 20 spirales saillantes, détachées, & striées profondément. Ils rampent sur une base charnue à la maniere des autres testacés, qui se traînent sur un pié. Leur museau en-dehors est bordé de franges, dont les filets ont un mouvement alternatif qui couvre la bouche, & la garantit de tout accident. Dargenville, conchyliologie. (D.J.)

VIS, (Conchyliographie) on nomme ainsi la partie contournée d'une coquille qui se termine en pointe ; les vis d'une coquille sont les contours & les circonvolutions spirales qui forment la volute. (D.J.)

VIS, (Architecture) c'est le contour en ligne spirale du fût d'une colonne torse ; c'est aussi le contour d'une colonne creuse.

Vis potoyere, escalier d'une cave, qui tourne autour d'un noyau, & qui porte de fond sous l'escalier d'une maison. (D.J.)

VIS D'ESCALIER, (Coupe des pierres) c'est un arrangement de marches autour d'un pilier, qu'on appelle le noyau de la vis ; quelquefois le noyau de la vis est supprimé. Les marches alors ne sont soutenues que par leur queue dans le mur de la tour, & en partie sur celles qui sont de suite dès le bas ; alors on l'appelle vis à jour.

Si l'escalier à vis dans une tour ronde, est voûté en berceau tournant & rampant, on l'appelle vis S. Gilles ronde.

Si la tour est quarrée, le noyau étant aussi quarré, chaque côté étant voûté en berceau, on l'appelle vis S. Gilles quarrée. Voyez la figure 19.

VIS, (Outil d'ouvriers) morceau de fer ou d'autre métal, rond, menu, & long, autour duquel regne une cannelure que l'ouvrier fait à la main avec une lime, ou dans les trous d'un instrument qu'on nomme une filiere.

Il y a aussi des vis de bois qui servent à plusieurs ouvrages, comme aux presses, aux pressoirs, & à quantité de semblables machines, & instrumens de grand volume.

Les vis de fer qu'on fait à la filiere, s'engrenent dans des écrous qui se font avec des taraux ; les vis qui se font à la main, sont propres à servir en bois, & sont amorcées par la pointe. La tête des unes & des autres, est presque toujours fendue pour la commodité du tourne-vis. Il y en a cependant plusieurs qui l'ont quarrée, & qui se montent avec des clés. Les vis en bois ne se font jamais que de fer ; mais celles à écrous, c'est-à-dire, qui se taraudent à la filiere, peuvent être aussi d'or, d'argent, ou de cuivre, suivant les ouvriers & les ouvrages.

Il se fait en Forez quantité de vis en bois de toutes grosseurs, & pour la hauteur, depuis demi-pouce jusqu'à quatre ou cinq pouces. Les quincailliers les achetent de la premiere main à la grosse de douzaines, & les revendent en détail au compte & à la piece aux menuisiers & serruriers, à qui elles servent à mettre en place quantité de leurs ouvrages. Les vis à filiere, de quelques matieres qu'elles soient, se font ordinairement par les ouvriers, à mesure qu'ils en ont besoin ; à la réserve des grandes vis à serrures, à tête plate & quarrées, qui se vendent avec leurs écrous par les quincailliers. (D.J.)

VIS DU RESSORT DE BATTERIE, terme d'Arquebusier ; cette vis n'est pas tout-à-fait si longue que la vis de batterie, & est faite de même, & sert pour assujettir le ressort de batterie d'une façon immobile.

Vis de batterie ; cette vis est un peu longue & a la tête ronde & fendue. Cette vis sert pour attacher la batterie au corps de platine en-dehors, de façon cependant que la batterie peut se mouvoir ; la tête de cette vis releve un peu en-dessus, mais le bout n'excede point en-dedans.

Vis de bassinet ; ces vis sont assez petites, servent à assujettir le bassinet au-dedans du corps de platine ; la tête de ces vis ne sort point, & le bout des vis n'excede point en-dehors.

Vis de ressort à gachette ; cette vis est faite comme la vis du grand ressort, excepté que la tête ne se perd point ; elle sert pour assujettir le ressort à gachette au corps de la platine en-dedans ; mais le bout de la vis n'excede point en-dehors.

Vis de grand ressort ; cette vis est faite comme les autres, & est un peu plus forte ; quand elle est posée la tête excede : elle sert pour assujettir le grand ressort au-dedans du corps de platine, & le bout de la vis ne sort point au-dehors.

Vis de gachette ; cette vis est à-peu-près faite comme les vis de brides, & a la tête moins épaisse, & faite pour entrer tout-à-fait dans le trou de la gachette ; elle sert pour assujettir la gachette au corps de platine, de façon que la gachette peut tourner sur la vis, & peut être mobile ; cette vis n'excede point en-dehors sur le corps de platine.

Vis de brides ; ce sont deux petites vis dont la tête est un peu plus forte que le corps, ronde & plate, fendue par en-haut, & un peu épaisse ; ces vis servent pour attacher la bride sur le corps de platine, & ne débordent point en-dehors.

Vis de plaque ; ces vis sont un peu plus petites que la vis à culasse, & ont la tête ronde ; elles ne different en rien des autres vis, & servent à assujettir la plaque sur la crosse du fusil.

Vis de culasse ; cette vis se place dans le trou qui est à la lame de la culasse, sert pour assujettir par enbas le canon du fusil avec le bois ; cette vis a la tête fendue, ronde & plate, de façon que quand elle est posée elle ne se leve pas au-dessus de la piece qu'elle assujettit ; elle est un peu moins longue que les grandes vis.

Vis grandes ; ce sont deux morceaux de fer ronds, qui ont une tête ronde, fendue par le milieu pour y placer le tourne-vis, & les tourner selon le besoin ; le bout d'en-bas est plus menu & garni de vis, & sert pour attacher la platine au bois du fusil : elles vont se joindre au porte-vis qui leur sert d'écrou. On les appelle grandes-vis, parce qu'elles sont plus grandes que toutes celles qui servent à la monture d'un fusil.

VIS, partie du métier à bas ; il y a la vis de grille, la vis de marteau. Voyez METIER A BAS.

VIS, (Outil à polir les bouts des), c'est un instrument représenté dans nos Planches de l'Horlogerie, dont les horlogers se servent pour polir les bouts des vis. Il est fort commode en ce que l'on peut y en faire tenir de toutes sortes. La piece E F, comme on voit, entre à vis par la partie F sur la vis V V, l'autre E reçoit la vis S dont on veut polir le bout, & qui est contenue dans la place par la vis V V qui a une meche m, qui semblable à celle d'un tourne-vis, entre dans la fente de sa tête en tournant la piece E F d'un côté ou de l'autre, on serre plus ou moins fort la vis m contre la partie E de la piece E F.

VIS, (Outil à polir les), représenté dans nos Pl. d'Horlogerie, espece de tenaille à boucle dont les horlogers se servent pour polir leurs vis ; le trou T que l'on voit au centre des mâchoires lorsqu'elles sont fermées est taraudé ; on y met la vis, & appuyant contre sa tête une pierre à l'huile, ou un bois enduit des matieres propres à polir, au moyen des cuivrots A A A, & de la pointe p, on polit cette tête de la même maniere qu'on perce un trou avec un foret. Voyez FORET.

VIS, (arbre à), espece d'arbre dont les horlogers & d'autres artistes se servent pour tourner des pieces dont le trou a peu d'épaisseur, & qui ne pourroient que difficilement être fixées sur un arbre & y rester droites.

On fait entrer la piece à tourner sur le pivot A, fort juste, & par le moyen de l'écrou on la serre fortement contre l'assiette C C ; par ce moyen on remedie aux inconvéniens dont nous avons parlé.

VIS, (Imprimerie) piece principale d'une presse d'Imprimerie ; c'est la partie supérieure de l'arbre avec lequel elle fait, ainsi qu'avec le pivot, une seule & unique piece, mais que l'on distingue, parce que dans cette même piece il se trouve trois parties qui ont chacune une dénomination particuliere que leur donne leur structure & leur usage. Voyez ARBRE & PIVOT. La vis porte quatre à cinq pouces de long sur neuf à dix pouces de circonférence ; elle forme par la partie qui l'unit à l'arbre jusqu'à son extrêmité une espece de cylindre, du haut duquel partent quatre filets qui décrivent chacun une ligne spirale, & viennent se terminer à son extrêmité inférieure ; ces filets rendent le coup de la presse plus ou moins doux, selon qu'ils sont plus ou moins couchés. Voyez ECROU. Voyez Pl. de l'Imprimerie.

VIS à tête ronde, (Serrur.) c'est une vis, c'est-à-dire un cylindre environné d'une cannelure qui est tourné dans un écrou, & qui sert à attacher une serrure, un verrou, &c. Il y a deux sortes de vis de cette espece, des vis à tête quarrée, dont les grandes servent à attacher les serrures, & dont la tête entre de son épaisseur dans le bois, & des vis à tête perdue, dont la tête n'excede point le parement de ce qu'elle attache ou retient.


VISAS. m. (Gram. & Jurisprud.) terme latin usité dans le langage françois, pour exprimer certaines lettres d'attache que l'évêque accorde à un pourvu de cour de Rome, par lesquelles après avoir vu les provisions, il atteste que ce pourvu est capable de posséder le bénéfice qui lui a été conféré.

L'origine du visa, tel qu'on le donne présentement, est assez obscur.

Il n'étoit pas question de visa, avant que les papes se fussent attribué le droit de conférer en plusieurs cas les bénéfices dépendans des collateurs ordinaires.

Les mandats de providendo n'étant d'abord que de simples recommandations adressées aux ordinaires, il n'y avoit pas lieu au visa, puisque c'étoit le collateur ordinaire qui conféroit.

Lors même que ces mandats furent changés en ordre, le collateur, quoiqu'il n'eût plus le choix du sujet, étoit toujours chargé d'expédier la provision ; ainsi il n'y avoit point encore de visa dans le sens qu'on l'entend aujourd'hui.

L'usage du visa ne s'est introduit qu'à l'occasion des préventions de cour de Rome ; des provisions sur résignation, permutation & démission.

Dans l'origine le visa de l'ordinaire n'étoit autre chose que l'examen qu'il faisoit de la signature, ou plutôt de la bulle de cour de Rome, pour s'assurer qu'elle étoit véritablement émanée de l'autorité du pape ; on examinoit moins les moeurs & la capacité du pourvu que ses provisions.

Mais depuis le concile de Trente, les évêques veillerent plus particulierement à ce que les bénéfices ne fussent remplis que par des sujets capables.

Le clergé de France, par l'article 12 de ses remontrances au roi Charles IX. en 1574, demanda que les pourvus en cour de Rome, in formâ dignum, ne pussent s'immiscer dans la possession & administration des bénéfices, que préalablement ils ne se fussent présentés à l'évêque, & qu'ils n'eussent subi l'examen par devant lui.

Les articles proposés dans ces remontrances, furent autorisés par des lettres-patentes ; mais étant demeuré sans exécution faute d'enregistrement, l'article dont on vient de parler fut inséré dans le 12e. de l'ordonnance de Blois ; qui porte que ceux qui auront impétré en cour de Rome provision de bénéfice en la forme qu'on appelle dignum, ne pourront prendre possession desdits bénéfices, ni s'immiscer en la jouissance d'iceux, sans s'être préalablement présentés à l'archevêque ou évêque diocésain, & en leur absence à leurs vicaires généraux, afin de subir l'examen, & obtenir leur visa, lequel ne pourra être baillé sans avoir vu & examiné ceux qui seront pourvus, & dont ils seront tenus de faire mention expresse, pour l'expédition desquels visa, ne pourront les prélats ou leurs vicaires & secrétaires, prendre qu'un écu pour le plus, tant pour la lettre que pour le scel d'icelle.

L'édit de Melun, art. 14, & l'édit du mois d'Avril 1695, art. 2, ordonnent la même chose.

Le visa doit contenir une description sommaire de la signature de la cour de Rome, c'est-à-dire, expliquer quelle grace y est accordée, de qui elle est signée, sa date & la forme de son expédition.

2°. Il doit aussi faire mention de l'expéditionnaire qui l'a obtenue en cour de Rome, & de la certification qui en est faite par deux autres.

3°. Le visa doit faire mention que l'impétrant a été examiné, & qu'il a été trouvé capable, tant du côté des vie & moeurs, que du côté de la science, &c.

4°. Il doit contenir la collation du bénéfice avec la clause salvo jure cujuslibet.

5°. Enfin la mise en possession.

Le visa est tellement nécessaire à celui qui est pourvu in forma dignum, que s'il prenoit autrement possession du bénéfice, il se rendroit coupable d'intrusion. La signature & le visa ne doivent point en ce cas être séparés l'un de l'autre. Ces deux actes composent un tout qui forme le titre canonique du pourvu.

Cependant la provision donne à l'impétrant tellement droit au bénéfice, qu'avant d'avoir obtenu & même requis le visa, il peut résigner en faveur ou permuter.

Pour ce qui est des signatures en forme gracieuse, elles forment provisions irrévocables, en vertu desquelles le pourvu peut prendre possession sans aucun visa, excepté pour les bénéfices à charge d'ames, suivant la déclaration du 9 Juillet 1646, & l'article 1 de l'édit de 1695.

L'article 21 de l'ordonnance de 1629 veut que le visa soit donné par l'évêque du lieu où est situé le bénéfice.

Le pourvu qui a besoin de visa doit le demander avant de prendre possession, & pour cet effet se présenter en personne, subir l'examen nécessaire, & obtenir les lettres de visa de l'évêque du diocèse, ou de son grand-vicaire, lorsqu'il a un pouvoir spécial, à l'effet de donner les visa.

Le prélat qui est hors de son diocèse peut y renvoyer les pourvus qui lui demandent le visa.

Celui qui est pourvu de plusieurs bénéfices a besoin d'un visa pour chaque bénéfice.

L'examen qui précede le visa doit être proportionné à la qualité du bénéfice, au lieu & aux autres circonstances. On doit écrire toutes les questions & les réponses pour être en état de juger de la capacité ou incapacité du pourvu.

Dans cet examen l'évêque est le juge des moeurs & de la capacité du pourvu, mais non pas de la validité des provisions.

S'il refuse le visa, il doit exprimer les causes de son refus, à peine de nullité.

Le défaut de certificat de vie & de moeurs n'est pas une cause légitime de refus de visa ; l'exercice d'un emploi ecclésiastique dans un diocèse, sous les yeux des supérieurs, & sans aucune plainte de leur part, tient lieu de certificat.

Celui qui veut se plaindre du refus de visa, doit le faire constater par le procès-verbal de deux notaires, ou par un notaire, assisté de deux témoins.

Il peut se pourvoir contre ce refus, s'il est injuste, par la voie de l'appel simple par devant le supérieur ecclésiastique.

Il peut aussi se pourvoir au parlement par appel comme d'abus.

Les moyens sont 1°. si les causes du refus ne sont pas exprimées.

2°. Si l'évêque affecte de ne pas s'expliquer.

3°. S'il exprime une cause insuffisante.

4°. S'il en exprime une fausse, ou dont il n'y ait point de preuves, & qui tende à ternir la réputation du pourvu.

5°. Si l'évêque a pris connoissance de la validité des titres & capacité du pourvu & de l'état du bénéfice, dont il n'est point juge.

On contraignoit autrefois les collateurs par saisie de leur temporel à donner des visa & provisions à ceux auxquels ils en avoient refusé sans cause : l'ordonnance de Blois abrogea cet usage, & sa disposition fut renouvellée par l'ordonnance de 1629.

Cependant la jurisprudence n'a été fixée sur ce point que par l'édit de 1695, qui enjoint de renvoyer par devant les supérieurs ecclésiastiques.

C'est au supérieur immédiat que l'on doit renvoyer, & en remontant de l'un à l'autre de degré en degré, suivant l'ordre de la hiérarchie. Voyez Fuet, la Combe, M. Piales, & le mot BENEFICE, COLLATION, INSTITUTION, PROVISION.

Visa est aussi un terme que le garde des sceaux met au bas des ordonnances & édits qu'il scelle. Il ne met pas son visa aux déclarations, elles sont seulement contresignées par un secrétaire d'état. (A)


VISAGE(Anat. Physiol. Chirurg. Médec.) partie externe de la tête ; le philosophe diroit, c'est le miroir de l'esprit ; mais nous ne sommes ici que physiologistes, anatomistes, il faut se borner à son sujet.

Le visage ou la face comprend ce qui dans toute l'étendue superficielle de la tête se présente contre la partie chevelue & le cou ; savoir, le front, les sourcils, les paupieres, les yeux, le nez, les levres, la bouche, le menton, les joues & les oreilles. Voyez tous ces mots.

Cicéron remarque dans son traité des loix, liv. I. ch. ix. qu'on ne trouve dans aucun animal de face semblable à celle de l'homme ; il n'y en a aucun sur la face duquel on puisse observer tant de signes de pensées, & de passions internes. Nous comprenons tous quels sont ces signes, quoique nous ne puissions guere les caractériser en détail ; mais pour en dire quelque chose en général, nous savons que la rougeur monte au visage dans la honte, & que l'on pâlit dans la peur ; ces deux symptomes qui dépendent de la structure & de la transparence du réseau cutané, ne se trouvent dans aucun autre animal, & forment dans l'homme une beauté particuliere.

C'est encore sur le visage que paroissent les ris & les pleurs, deux autres symptomes des passions humaines, dont l'un est fait pour assaisonner les douceurs de la société, & l'autre pour émouvoir la compassion des caracteres les plus durs. Combien de différens mouvemens des muscles qui aboutissent aux yeux & au reste du visage, lesquels muscles sont mis en action par les nerfs de la cinquieme ou de la sixieme paire, & qui par conséquent ont une étroite communication avec le plexus particulier à l'homme ?

Cette diversité prodigieuse des traits du visage, qui fait qu'entre plusieurs milliers de personnes, à peine en voit-on deux qui se ressemblent, est une chose admirable en elle-même, & en même tems très-utile pour l'entretien des sociétés ; ainsi, tous les hommes pouvant être aisément distingués sur leur simple physionomie, chacun reconnoît sans méprise ceux avec lesquels il a quelqu'affaire ; c'est par-là qu'on peut rendre un témoignage certain de ce que quelqu'un a dit, fait ou entrepris ; toutes choses dont il n'y auroit pas moyen de s'assurer, s'il se ne trouvoit sur le visage de chaque personne quelque trait particulier qui empêchât de la confondre avec toute autre.

Que penserons-nous de Trébellius Calca, dit un historien romain, Valere Maxime, c. xv. avec quelle assurance ne soutint-il pas qu'il étoit Clodius ? Lorsqu'il voulut entrer en possession de son bien, il plaida sa cause avec tant d'avantage devant les centumvirs, que le tumulte du peuple ne laissoit presque aucun lieu d'espérer une sentence équitable ; cependant dans cette cause unique, la droiture & la religion des juges triompherent de la fourberie du demandeur, & de la violence du peuple qui le soutenoit.

Les parties du visage étant du nombre de celles qui sont les plus exposées à la vue, il faut avoir égard à deux choses dans le pansement des plaies qui leur arrivent. Premierement de conserver à chaque partie respective, l'usage auquel elle est destinée ; en second lieu, de tâcher qu'il n'y reste point de cicatrices capables de les défigurer. Mais comme le visage est composé de plusieurs parties différentes, chacune demande un traitement particulier, qui doit être indiqué à l'article de chacune de ces parties, front, sourcils, paupieres, oeil, nez, joues, &c.

La petite vérole est de toutes les maladies celles qui fait le plus grand tort au visage ; mais on prévient ses outrages par l'inoculation, qui est la plus belle & la plus utile découverte de toute la médecine.

Les autres difformités plus ou moins grandes de cette partie de la tête, sont la goutte-rose, dont on peut voir l'article, les taches de naissance, celles de rousseur, & la grosseur du teint.

Les taches de naissance sont sans remedes. Les taches de rousseur se dissipent souvent d'elles-mêmes, & quelquefois sont profondément enracinées dans les petits vaisseaux de la peau. L'esprit-de-vin mêlé avec un peu d'huile de behen, & appliqué tous les soirs sur le visage, par le moyen d'un petit pinceau, dissipe les taches de rousseur, qui viennent du hale du soleil.

La grosseur du teint a souvent pour origine le rouge qu'on met sur le visage ; car il est certain qu'il gâte le teint, desseche la peau, & la ronge.

On lit dans les mémoires de l'académie des Sciences, que le moyen de conserver la fraîcheur du visage, est d'en empêcher la transpiration par des drogues dont l'huile soit la base ; mais cet avis seroit dangereux, loin d'être utile.

Le grand air, le grand vent, & la sueur longue & fréquente grossissent le teint. Il y a des femmes qui se ratissent le visage avec des morceaux de verre pour se rendre la peau plus fine, mais elles la rendent encore plus grosse, & plus disposée à se racornir. Il ne faut jamais passer rien de rude sur le visage ; il faut se contenter de le laver fort simplement avec un peu d'eau de son, qui ne soit ni froide, ni chaude, ou avec du lait d'ânesse tout fraîchement trait. Quant à la flétrissure du teint qui naît des années, Horace savoit ce qu'il en faut penser quand il écrivoit à Posthumus.

Labuntur anni ; nec pietas moram

Rugis adfert, indomitaeque senectae.

(D.J.)

VISAGE, (Séméiotique) on peut tirer des prognostics du visage dans la plûpart des maladies, & surtout dans celles qui sont aiguës, comparées avec l'état où elles étoient lorsque le malade se portoit bien ; car, c'est un bon signe d'avoir le visage d'un homme qui se porte bien, & tel que le malade l'avoit lui-même en santé. Autant le visage s'éloigne de cette disposition, autant y a-t-il proportionnellement de danger.

Le changement du visage qui ne vient pas de la maladie, mais de quelques causes accidentelles, comme du défaut de sommeil, d'un cours de ventre, du défaut de nourriture, ne forme aucun prognostic fâcheux, qu'autant que ces choses subsistent long-tems.

A l'égard de la couleur, la rougeur du visage est quelquefois un bon signe, comme lorsqu'elle indique un saignement de nez ; & l'on doit encore plus s'y fier, lorsqu'elle est jointe avec d'autres signes qui prognostiquent le même événement, suivant ce que dit Hippocrate, coac. praenot. 142, que lorsqu'une personne qui a la fievre a une grande rougeur au visage, & un violent mal de tête, accompagné d'un pouls fort, elle ne manque guere d'avoir une hémorrhagie ; mais il faut en même tems ajouter à ces signes ceux de coction.

C'est un mauvais signe, lorsqu'au commencement d'une maladie, sur-tout d'une maladie aiguë, le visage est différent de ce qu'il étoit dans l'état de santé ; & le danger est d'autant plus grand qu'il s'éloigne de ce premier état.

Telle est l'habitude du visage dans laquelle, comme dit Hippocrate, au commencement des prognostics, le nez est aigu, les yeux enfoncés, les tempes creuses, les oreilles froides, retirées, leurs lobes renversés, la peau du front dure, tendue, seche, & la couleur du visage tirant sur le pâle, le verdâtre, le noir, le livide, ou le plombé ; c'est ce que les médecins appellent avec raison une face cadavéreuse ; & lorsqu'elle est telle au commencement, c'est-à-dire, les trois premiers jours d'une maladie, c'est un signe de mort.

Lorsque dans quelques maladies chroniques, comme dans la phthisie & dans l'empyéme, le visage s'enfle, c'est un vice de la sanguification, & qui est d'un très-fâcheux prognostic.

La couleur vermeille des joues dans les fievres lentes, indique une péripneumonie ou un empyème, qui dégénere en consomption lorsque la toux s'y rencontre.

Voilà quelques prognostics généraux qu'Hippocrate tire du visage. Il faut le lire attentivement sur cette matiere, & y joindre les excellentes réflexions de ses commentateurs. (D.J.)

VISAGE, maladies du, (Médec.) le visage dans les maladies présente un grand nombre d'indications, que la plûpart des auteurs n'ont pas décrites avec assez d'exactitude ; mais dans notre plan, nous devons nous contenter des principaux phénomenes qui concernent ces maladies.

Les couleurs du visage sont très-visibles. La naturelle qui imite si bien la blancheur du lys, & le rouge vif de la rose est une marque que la matiere morbifique n'a point passé dans les voies de la circulation ; la couleur pâle est toujours suspecte. La noire est un symptome de mélancolie & de bile corrompue ; celle qui est d'un rouge constant, est une preuve que le sang se porte au cerveau avec trop d'impétuosité ; celle au contraire qui se dissipe & revient, ordinaire aux scorbutiques, à ceux qui sont attaqués de maladies chroniques & de cacochymie, est dangereuse pour les phthisiques & ceux qui crachent le pus ; la couleur livide produite par l'embarras du sang à retourner au coeur, par la stagnation des humeurs & leur corruption, annonce du danger. Il est ordinaire de voir un cercle livide sur les yeux des cacochymes, des femmes enceintes, & de celles qui sont attaquées de suppression de regles ou de fleurs blanches. La couleur jaune est un signe d'ictere ou de cacochymie ; les changemens de couleur sont fréquens dans les sujets attaqués de convulsions ; les taches présentent différentes indications, suivant la différence de la couleur du visage qui les accompagne.

Un visage cadavéreux est celui qu'un grand nombre d'auteurs appellent hippocratique, parce qu'Hippocrate en a fait la peinture suivante. Les yeux sont concaves, le nez éfilé, les tempes affaissées, les oreilles froides & resserrées, la peau dure, la couleur pâle ou noire, les paupieres livides, ainsi que les levres & le nez ; le bord de l'orbite de l'oeil devient plus éminent ; on remarque des ordures autour des yeux, le mouvement des paupieres est languissant, l'organe de la vue est à demi fermé, la pupille se ride & ne rend point la peinture des objets ; tous ces accidens annoncent la mort : s'ils sont la suite d'une diarrhée, ils marquent une extrême foiblesse, le ralentissement de la circulation, la colliquation de la graisse & des bonnes humeurs, leur corruption & leur défaut.

La convulsion & la paralysie du visage, le spasme cynique, la contorsion de la bouche, le grincement des dents, le tremblement de la mâchoire & autres choses semblables sont extrêmement dangereuses, parce que ces symptomes proviennent de l'affection des nerfs qui partent du cerveau. Cet état exige l'application des topiques nervins sur la tête & les narines, outre les remedes opposés aux causes.

L'enflure du visage présente différens prognostics ; car quand elle vient de la trop grande impétuosité du sang, ce qu'on nomme alors visage refrogné, elle prognostique dans les maladies aiguës le délire, la phrénésie, la convulsion, les parotides, l'hémorrhagie. Dans l'esquinancie, elle est très à craindre : elle est un signe favorable dans la petite vérole. Mais dans les maladies chroniques, pituiteuses, dans les hydropisies, elle présage l'augmentation du mal. Il y a beaucoup à craindre quand elle accompagne la toux & le vomissement. Si cette enflure diminue à proportion de la cause, c'est une bonne marque ; mais si cette diminution est une suite de l'affoiblissement des forces & d'une métastase qui s'est faite intérieurement, on doit tout appréhender.

Les blessures du visage ne permettent pas qu'on fasse une suture sanglante ; dans ce cas, comme dans la brûlure & la petite-vérole, il faut éviter, s'il est possible, que le traitement de la blessure ne cause de la difformité.

Les pustules, la rougeole, les dartres ont leur traitement particulier. Une sueur abondante qui se forme autour du visage offre dans les maladies un symptome dangereux.

Les différens changemens de couleur du visage produite par diverses passions de l'ame, donnent leurs différens prognostics ; la cure regarde celle des passions mêmes. (D.J.)


VISAGERES. f. terme de faiseuse de bonnets, c'est la partie du devant des bonnets de femmes, laquelle partie regarde le visage. (D.J.)


VISAPOUR(Géog. mod.) voyez VISIAPOUR.


VISARDO(Géog. mod.) le monte Visardo est une montagne d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, entre Policastro & Santo-Severino. Barry prétend que c'est le Clibanus mons des anciens. (D.J.)


VISBURGII(Géog. anc.) peuple de la Germanie. Ptolémée, l. II. c. xj. le marque après les Cogni, & dit qu'ils habitoient au nord de la forêt Hercynienne. Cluvier, germ. ant. l. III. c. xliij. juge que Visburgii sont les mêmes que Ptolémée place dans la Sarmatie, & qu'il nomme Burgiones. Je les mets, dit-il, au voisinage des Gothini, entre les Sarmates Jazyges & Lygiens, & entre les montagnes de Sarmatie & la Vistule ; & je ne doute point, ajoute-t-il, que du nom de cette riviere ils n'ayent été appellés Thi Wisselburger, d'où les Grecs & les Latins auront fait le mot Visburgii, & de ce dernier d'autres auront fait les mots Burgii & Burgiones. (D.J.)


VISCACHOSS. m. (Hist. nat. des quadrupedes) lapin sauvage du Pérou qui gîte ordinairement dans les lieux froids. Le P. Feuillée en a vu dans des maisons de Lima qu'on avoit familiarisés. Leur poil gris de souris est fort doux, ils ont la queue assez longue, retroussée par dessus les oreilles, & la barbe comme celle de nos lapins ; ils s'accroupissent comme eux, & n'en different pas en grosseur. Durant le regne des Incas, on se servoit du poil des viscachos, pour diversifier les couleurs des laines les plus fines. Les Indiens en faisoient alors un si grand cas, qu'ils ne les employoient qu'aux étoffes dont les gens de la premiere qualité s'habilloient. (D.J.)


VISCÉRATIONS(Antiq. rom.) viscerationes, le don des entrailles des animaux qu'on faisoit au peuple à l'enterrement des grands seigneurs de Rome. (D.J.)


VISCÉRAUXREMEDES, (Méd. & Mat. méd.) ce sont des remedes propres à fortifier les visceres, c'est-à-dire à donner de la vigueur & de la fermeté aux visceres sanguins ; comme le foie, la rate, l'utérus, les reins, les poumons, afin qu'ils s'acquitent plus exactement de leurs fonctions.

Cette classe renferme donc les remedes vulgairement appellés hépatiques, spléniques, pneumoniques, utérins, cachectiques, anti-hydropiques, anti-ictériques, anti-hystériques & anti-phthisiques.

Dans cette intention, on ne peut que recommander l'usage des racines de gentiane rouge, d'aristoloche ronde & longue, de chicorée sauvage, de zédoaire, de fougere, de vraie rhubarbe, de rapontic, de safran bâtard, d'arrête-boeuf ; les écorces de quinquina, de cascarille, de winter, de tamarisc, de frêne, de caprier, de cassia lignea ; les feuilles d'absynthe, de petite centaurée, de fumeterre, de chardon beni, de treffle d'eau, d'hépatique, de mélisse, de pulmonaire tachetée, de scolopendre, d'aigremoine, de marrube, de véronique, de scabieuse, d'épithyme, de capillaire, de piloselle, &c.

On ne peut aussi que louer au même titre entre les gommeux & les résineux, le succin, la myrrhe, l'aloës, le bdellium, la gomme de lierre, la gomme ammoniac, l'oliban, le sagapenum, l'opopanax, l'assa foetida ; entre les minéraux le soufre stalactite, la limaille de fer, toutes les préparations de ce métal ; & différentes préparations de chymie, comme les sels tirés par la calcination, l'arcanum & la terre foliée de tartre, sa crême, le sel polychreste, le nitre antimonié, l'esprit de sel ammoniac, la teinture de mars tirée avec l'esprit-de-vin, des fleurs martiales produites par la sublimation de la pierre hématite au moyen du sel ammoniac, la teinture de tartre, celle d'antimoine alkaline ; l'antimoine martial céphalique, les pilules de Beccher, & autres semblables.

Il faut encore rapporter ici les fontaines médicinales, appellées ordinairement minérales, sur-tout celles qui contiennent un principe ferrugineux, délié, comme les eaux de Pyrmont, de Spa, de Schwalbach, & plus encore celles qui sont plus abondamment empreintes d'un ochre martial, telles que celles de Lauchstadt, de Radeberg, d'Egra & de Freyenwald.

Ces balsamiques viscéraux agissent sur les visceres dont les vaisseaux sont engorgés & obstrués d'humeurs tenaces, au moyen d'un principe sulfureux, balsamique, terreux, d'une nature assez fixe ou d'un sel alkali sulfureux ou savonneux, & d'un goût amer, en incisant les liqueurs épaisses, & rendant du ressort aux vaisseaux qui ont perdu leur ton. Ce sont donc des remedes d'un effet assez universel dans les maladies longues que produit le vice de ces visceres, soit pour les guérir, soit pour s'en garantir.

Quoique tous les remedes viscéraux en général se rapportent en ce qu'ils fortifient le ton des visceres, & qu'ils débarrassent les obstructions, il est cependant nécessaire d'en faire une distinction & un choix exact, suivant la nature des visceres & des maladies.

Par exemple, lorsque le foie est attaqué d'obstruction, & que cette disposition produit la jaunisse, la cachexie, le scorbut, les remedes de vertu savonneuse & détersive sont les plus efficaces ; tels sont en particulier les racines apéritives, la rhubarbe, le safran bâtard, l'opopanax, le bdellium, le savon de Venise, l'élixir de propriété sans acide, l'essence de rhubarbe préparée avec le sel de tartre, & tous les remedes martiaux bien préparés.

Quand le poumon est trop relâché & engorgé, & que l'on est par cette raison menacé de phthisie, l'on emploie avec succès la myrrhe, la gomme ammoniac, le soufre en stalactite, la véronique, la scabieuse, le cerfeuil, la piloselle, le marrube, le capillaire.

Lorsque le gonflement & l'engorgement de la rate engendrent l'impureté du sang, & sur-tout la cachexie, il faut donner la préférence sur les autres remedes aux écorces de tamarisc & de caprier, à la fumeterre, la scolopendre, l'épithyme, l'arrête-boeuf, &c.

Quand la foiblesse & le trop grand relâchement du ton des reins produit la néphrétique, l'écorce des racines d'acacia & son infusion, le rob de fruits d'églantier & de baies de genievre ont une espece de vertu un peu spécifique.

L'affoiblissement de la tension de l'utérus & de ses vaisseaux, & le ralentissement du mouvement progressif du sang & des liqueurs dans ces parties produit, sur-tout après l'avortement, beaucoup d'indispositions auxquelles remédient l'aristoloche, tant longue que ronde, l'armoise, la myrrhe, la matricaire, le galbanum, le bdellium, l'opopanax, le succin, les pilules de Beccher, & les autres faites sur le même modele.

Si les intestins & les parties qui ont du rapport avec eux, comme les glandes, les canaux secrétoires & excrétoires, biliaires, pancréatiques, lactés, ont perdu leur tension naturelle ; de sorte que le trop grand abord des humeurs cause des flux excessifs, ou que leur stagnation dans les vaisseaux devienne le foyer, & l'occasion de mouvemens de fievres, la rhubarbe, l'écorce de quinquina, de winter, de cascarille, les safrans très-divisés & les teintures de mars feront un effet qu'on attendroit vainement de tous les autres remedes.

Il faut observer sur l'usage des viscéraux fortifians en général qu'ils sont bien plus avantageux quand, avant que d'y avoir recours, on diminue la surabondance du sang, & qu'on balaie par des purgatifs appropriés les récrémens des premieres voies, sur-tout si, dans le dessein de donner plus de fluidité & de mobilité aux liqueurs, on les donne en décoction ou en infusion ; & mieux encore, lorsqu'on les joint à la boisson des eaux acidules ou thermales, ou à celle du petit-lait, qui certainement aide beaucoup l'opération de ces viscéraux qui sont de nature astringente, & leur donne une plus grande force pour dompter les maladies chroniques, sur-tout lorsqu'on en continue long-tems l'usage ; mais en même tems il est essentiel d'exercer suffisamment le corps, soit à cheval, soit en voiture, soit à pié, & de joindre les frictions journalieres à cet exercice. Telles sont les observations d'Hoffman sur les remedes viscéraux, & sur le choix qu'on en doit faire dans les diverses maladies. (D.J.)


VISCERES. m. (Physiolog.) on définit ordinairement le viscere, un organe qui par sa constitution change en grande partie les humeurs qui y sont apportées, en sorte que ce changement soit utile à la vie & à la santé du corps. Ainsi le poumon est un viscere qui reçoit tout le sang, & le change de façon qu'il devient propre à couler par tous les vaisseaux. De même le coeur est un viscere qui reçoit tout le sang, & le change par le nouveau mêlange, & la nouvelle direction de mouvement qu'il y introduit.

Il est constant, ainsi que le démontrent les injections anatomiques, que tous les visceres sont formés d'un nombre infini de vaisseaux différemment rangés dans les différens visceres, & que l'action par laquelle ils changent les humeurs qui y sont apportées, dépend de ces vaisseaux des visceres. Si donc ces vaisseaux sont plus foibles qu'il n'est besoin pour la santé, ils agiront moins sur les fluides contenus ; ils les changeront moins. Ainsi le poumon trop débile, ne pourra convertir le chyle en bon sang ; si le foie est très-relâché dans ses vaisseaux, le sang fluera & refluera dans ce viscere sans que la bile s'en sépare, & l'hydropisie s'ensuivra. Tant que le ventricule sera dans un état languissant, il troublera l'ouvrage de la chylification.

Les fonctions des visceres different encore, suivant l'âge & le sexe ; je dis l'âge, tous les visceres reçoivent une force qui s'augmente peu à peu, selon que les forces de la vie ont agi plus long-tems en eux. De là vient que dans notre premiere origine, toutes nos parties étant très-débiles, elles sont presque fluentes ; mais elles acquierent peu à peu une plus grande fermeté, jusqu'à ce qu'elles soient presque endurcies dans la derniere vieillesse. Or il y a pendant le cours de notre vie, une gradation infinie, depuis cette débilité originaire jusqu'à l'extrême fermeté.

J'ai ajouté le sexe, les hommes ont les visceres plus forts ; les femmes nées pour concevoir, enfanter & nourrir des enfans, les ont plus lâches, plus flexibles. La même chose se trouve en tous lieux chez les peuples policés, comme chez les nations qui se conduisent par l'instinct de la nature, plutôt que par les loix.

L'action de tous les visceres dépend de ce que les liquides comprimés par la force du coeur, dilatent les arteres ; ces arteres par la réaction de leurs propres forces & de leur élasticité, poussent en avant les humeurs distendantes ; or les choses qui renferment sous un même volume plus de masse corporelle, c'est-à-dire qui sont plus solides, conserveront plus long-tems le mouvement qu'elles ont une fois reçu. Il étoit donc nécessaire qu'il y eût dans les liquides mus par la force du coeur, un degré fixe de solidité pour qu'ils ne perdissent pas si promtement le mouvement donné.

On a disputé jusqu'ici par les principes de la médecine naturelle, sur les moyens que les visceres emploient à perfectionner leurs humeurs ; mais les auteurs n'ont rien dit d'un peu satisfaisant à ce sujet, jusqu'à ce que Ruysch ait démontré qu'aux extrêmités des arteres, la conformation étoit différente dans les visceres, selon la diversité des lieux : l'on voit du-moins par-là, que le viscere a été formé à dessein que cette conformation des arteres subsistât, mais nous n'en savons guere davantage. (D.J.)

VISCERES, (Jardinage) d'une plante, sont les tuyaux perpendiculaires en forme de faisceaux, qui montent dans sa tige, & que l'on n'apperçoit que quand l'écorce est levée. Ils sont mêlés avec les fibres, les nerfs, la moëlle, & portent également par-tout le suc nourricier.


VISCHLA, (Géog. mod.) ou la Vischa ; petite riviere d'Allemagne, dans la basse Autriche. Elle se perd dans le Danube, à environ 5 lieues au-dessous de Vienne. (D.J.)


VISCOSITÉS. f. (Gramm.) qui se discerne au toucher. Nous appellons visqueux, tout ce qui s'attache à nos doigts, qui a quelque peine à s'en séparer, qui les colle ensemble.

VISCOSITE des humeurs du corps, (Médecine) lentor ; c'est une constitution du sang, où les parties sont tellement embarrassées les unes dans les autres, qu'elles résistent à leur séparation entiere, & qu'elles cedent plutôt à la violence qu'on leur fait en s'étendant en tout sens, que de souffrir de division.

C'est l'état glutineux de nos humeurs qui produit de grandes maladies : ses causes sont,

1°. L'usage de farines crues, non fermentées, de matieres austeres & non mûres ; car la farine des végétaux mêlée avec l'eau, forme une pâte visqueuse, & la fermentation détruit cette viscosité.

2°. La disette de bon sang ; il en faut une certaine quantité pour aider la transformation du chyle en sang.

3°. L'action trop foible des humeurs digestives, telle que la bile, le suc gastrique, & le peu de ressort des vaisseaux. Aussi les personnes foibles & qui ont le foie obstrué, la bile mal formée, sont-elles sujettes à la viscosité des humeurs.

4°. La diminution du mouvement animal ; car le mouvement fortifie les solides, attenue les fluides, hâte la digestion, & l'assimilation des alimens.

5°. La dissipation des parties les plus fluides du sang, par le relâchement des vaisseaux excrétoires ; car il est évident que les parties les plus fluides étant dissipées, le sang s'épaissit & devient visqueux : ainsi les sudorifiques doivent être administrés avec prudence.

6°. La rétention des parties les plus épaisses des fluides engagées dans les couloirs dont ceux-ci ne peuvent se débarrasser.

La viscosité se forme d'abord dans les premieres voies, d'où elle passe dans le sang & dans toutes les humeurs qui s'en séparent, lorsque quelque particule visqueuse a traversé les vaisseaux lactées, elle se porte d'abord sur les poumons ; comme elle a de la peine à circuler dans les petits tuyaux de ce viscere, elle produit la dispnée.

Les effets sont dans les premieres voies la perte d'appétit, les nausées, le vomissement, les crudités, les concrétions pituiteuses, la paresse & l'enflure du ventre, par le défaut d'énergie dans la bile ; enfin la rétention du chyle, & son défaut de sécrétion.

Dans les humeurs, elle rend le sang visqueux, pâle, imméable, obstruant ; produit des concrétions ; rend l'urine blanche & presque sans odeur ; forme des tumeurs oedémateuses ; empêche les sécrétions ; produit la coalition des vaisseaux.

Toutes ces causes & tous ces effets pris ensemble, produiront des effets funestes, tels que la suffocation & la mort, après avoir dérangé toutes les fonctions animales, vitales & naturelles.

Le traitement de la viscosité se remplira, 1°. par l'usage d'alimens & de boisson qui aient bien fermenté, & qui soient assaisonnés de sels & d'aromates ; la biere fermentée donne moins de phlegme & de viscosité que les tisanes : il en est de même du vin. La biere double & le bon vin sont des remedes excellens avec le pain bien cuit, dans la viscosité.

2°. Les aromates sont incisifs ; les principaux sont la canelle, la muscade, le poivre, le gingembre, la menthe, le thym.

3°. Les bouillons de viande de vieux animaux, atténués par les végétaux âcres, à-peu-près comme dans l'acidité : les animaux de proie & sauvages y font excellens.

4°. Les remedes qui raffermissent les vaisseaux & les visceres, tels que les toniques, les apéritifs, les amers, les antiscorbutiques, les dessicatifs, les corroborans sont sur-tout indiqués.

5°. L'exercice & le mouvement, l'air tempéré, la tranquillité des passions, l'usage modéré & raisonné des non-naturels, sont les meilleures précautions que l'on puisse employer pour aider l'action des remedes.

6°. Les remedes délayans, les savonneux, les résolutifs doivent être continués pendant toute la cure. Voyez ces articles.

Les irritans doivent s'ordonner avec sagesse, ils sont bons pris par intervalle : voici des remedes vantés.

Prenez du fiel de boeuf & du fiel de brochet, de chaque quatre gros ; faites-les exhaler sur un feu modéré jusqu'à ce qu'ils aient la consistance de miel. Ajoutez une quantité suffisante de poudre de racine d'arum ; faites du tout des pilules du poids de trois grains chacune : on en prendra aux heures médicales.


VISÉpart. (Gram. & Jurisp.) signifie ce qui a été vu, & qui est énoncé comme tel dans un jugement ou autre acte. C'est en ce sens que l'on dit viser une requête ou demande dans un arrêt. Voyez VU. (A)


VISÉES. f. (Gramm.) l'action de diriger sa vûe vers un point, un lieu, un but. Ce canonnier a dressé sa visée vers cet endroit. Il se prend quelquefois au figuré.


VISERv. act. (Gramm.) c'est diriger sa vûe, ou quelqu'arme à un but qu'on veut atteindre. A quoi visez-vous ? Je vise au sommet de ce clocher. Visez à quelque chose d'important.

VISER, Voyez l'article VISE.


VISET(Géog. mod.) en latin Vegesatum, Vinsacum, Vinsatum ; petite ville d'Allemagne, dans l'évêché de Liege, sur la Meuse, entre les villes de Liege & de Mastricht.

Sluse (René François Walter de), natif de Viset, devint chanoine & chancelier de Liege, où il mourut en 1685. On a de lui un ouvrage assez estimé, & qui porte un titre bizarre : Mesolabum, & problemata solida. (D.J.)


VISÉUou VISEO, (Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province de Beira, à 5 lieues au nord de Mondégo, à 16 au nord-ouest de Guarda, à 20 au nord-est de Coïmbre, dans une plaine délicieuse par sa fertilité. Cette ville est épiscopale, & son évêque jouit de quinze mille ducats de revenu. Viseo est encore la capitale d'une comarca & d'un duché qui a été quelquefois possédé par des princes du sang royal. Longit. 9. 40. latit. 40. 32.

Barros (Jean dos) naquit à Viséu en 1496, & fut élevé à la cour du roi Emmanuel auprès des infans. Jean III. étant monté sur le trône, le nomma trésorier des Indes, tesoreiro da casa da India ; cette charge très-honorable & d'un grand revenu, lui inspira la pensée d'écrire l'histoire d'Asie ou des Indes, qu'il a publiée sous le nom de decadas d'Asia. Il donna la premiere décade en 1552, la seconde en 1553, & la troisieme en 1563 ; la quatrieme décade de son histoire ne fut publiée qu'en 1615 par les ordres du roi Philippe III. qui fit acheter les manuscrits des héritiers de cet auteur. D'autres écrivains ont travaillé à la continuation de cette histoire jusqu'à la douzieme décade. L'ouvrage de Barros est généralement estimé, quoi qu'en dise le sieur de la Boulaye, & il a été traduit en espagnol par Alphonse Ulloa. (D.J.)


VISIAPOUR(Géog. mod.) ou VISAPOUR, ou VISAPOR, royaume des Indes, dans la presqu'île de l'Inde en deçà du Gange, sur la côte de Malabar. Ce royaume confine par le nord au royaume de Dehli, & aux autres états du Mogol, au joug duquel il est soumis. La capitale de ce royaume en porte le nom. (D.J.)

VISIAPOUR, (Géog. mod.) VISAPOUR, VISAPOR, ville des Indes, dans la presqu'île en-deçà du Gange, capitale du royaume de Décan, sur le fleuve Mandova. On lui donne trois lieues de circuit & de grands fauxbourgs. Le roi du pays y a son palais ; ce prince est tributaire du grand Mogol. Longit. suivant le pere Catrou, 124. 30. lat. 19. 25. (D.J.)


VISIBLEadj. (Optique) se dit de tout ce qui est l'objet de la vue ou de la vision, ou ce qui affecte l'oeil de maniere à produire dans l'ame la sensation de la vue. Voyez VISION.

Les philosophes scholastiques distinguent deux especes d'objets visibles, les uns propres ou adéquats, qu'il n'est pas possible de connoître par d'autres sens que par celui de la vue, & les autres communs, qui peuvent être connus par différens sens, comme par la vue, l'ouie, le toucher, &c.

Ils ajoutent que l'objet propre de la vision est de deux especes, lumiere & couleur.

Selon ces philosophes, la lumiere est l'objet formel, & la couleur l'objet matériel. Voyez OBJET.

Les Cartésiens raisonnent d'une maniere beaucoup plus exacte en disant que la lumiere seule est l'objet propre de la vision, soit qu'elle vienne d'un corps lumineux à-travers un milieu transparent, soit qu'elle soit réfléchie des corps opaques sous une certaine modification nouvelle, & qu'elle en représente les images, soit enfin qu'étant réfléchie ou rompue de telle ou telle maniere, elle affecte l'oeil de l'apparence de couleur.

Selon le sentiment de M. Newton, il n'y a que la couleur qui soit l'objet propre de la vue ; la couleur étant cette propriété de la lumiere par laquelle la lumiere elle-même est visible, & par laquelle les images des objets opaques se peignent sur la rétine. Voyez LUMIERE & COULEUR.

Aristote, de animâ, lib. II. compte cinq especes d'objets communs qui sont visibles, & que l'on regarde ordinairement comme tels dans les écoles, le mouvement, le repos, le nombre, la figure & la grandeur. D'autres soutiennent qu'il y en a neuf, qui sont compris dans les vers suivans.

Sunt objecta novem visûs communia : quantum,

Inde figura, locus, sequitur distantia, situs,

Continuumque & discretum, motusque, quiesque.

Les philosophes de l'école sont fort partagés sur ces objets communs de la vision : il y a là-dessus deux opinions principales parmi eux. Ceux qui tiennent pour la premiere opinion disent que les objets communs visibles produisent une représentation d'eux-mêmes par quelque image particuliere, qui les fait d'abord appercevoir indépendamment des visibles propres.

Suivant la seconde opinion qui paroît plus suivie & plus naturelle que la premiere, les objets communs visibles n'ont aucune espece formelle particuliere qui les rende visibles ; les objets propres se suffisent à eux-mêmes pour se faire voir en tel ou tel endroit, situation, distance, figure, grandeur, &c. par les différentes circonstances qui les rendent sensibles au siege du sentiment.

I. La situation & le lieu des objets visibles s'apperçoivent sans aucunes especes intentionnelles qui en émanent ; cela se fait par la simple impulsion ou réflexion des rayons de lumiere qui tombent sur les objets, les rayons parviennent à la rétine, & leur impression est portée au sensorium ou au siege du sentiment.

Un objet se voit donc par les rayons qui en portent l'image à la rétine, & il se voit dans l'endroit où la faculté de voir est, pour ainsi dire, dirigée par ces rayons. Suivant ce principe, on peut rendre raison de plusieurs phénomènes remarquables de la vision.

1°. Si la distance entre deux objets visibles forme un angle insensible, les objets, quoique éloignés l'un de l'autre, paroîtront comme s'ils étoient contigus ; d'où il s'ensuit qu'un corps continu n'étant que le résultat de plusieurs corps contigus, si la distance entre plusieurs objets visibles n'est apperçue que sous des angles insensibles, tous ces différens corps ne paroîtront qu'un même corps continu. Voyez CONTINUITE.

2°. Si l'oeil est placé au-dessus d'un plan horisontal, les objets paroîtront s'élever à proportion qu'ils s'éloigneront davantage, jusqu'à ce qu'enfin ils paroissent de niveau avec l'oeil. C'est la raison pourquoi ceux qui sont sur le rivage s'imaginent que la mer s'éleve à proportion qu'ils fixent leur vue à des parties de la mer plus éloignées.

3°. Si l'on place au dessous de l'oeil un nombre quelconque d'objets dans le même plan, les plus éloignés paroîtront les plus éleves ; & si ces mêmes objets sont placés au dessus de l'oeil, les plus éloignés paroîtront les plus bas.

4°. Les parties supérieures des objets qui ont une certaine hauteur, paroissent pancher ou s'incliner en avant, comme les frontispices des églises, les tours, &c. & afin que les statues qui sont au-haut des bâtimens paroissent droites, il faut qu'elles soient un peu renversées en-arriere. La raison générale de toutes ces apparences est que quand un objet est à une distance un peu considérable, nous le jugeons presque toujours plus près qu'il n'est en effet. Ainsi l'oeil étant placé en A, fig. 20. au-dessous d'un plancher horisontal B C, l'extrêmité C lui paroît plus proche de lui comme en D, & le plancher B C paroît incliné en B D. Il en est de même des autres cas.

II. L'ame apperçoit la distance des objets visibles, en conséquence des différentes configurations de l'oeil, de la maniere dont les rayons viennent frapper cet organe, & de l'image qu'ils impriment.

Car l'oeil prend une disposition différente, selon les différentes distances de l'objet, c'est-à-dire que, pour les objets éloignés, la prunelle se dilate, le crystallin s'approche de la rétine, & tout le globe de l'oeil devient plus convexe : c'est le contraire pour les objets qui sont proches, la prunelle se contracte, le crystallin s'avance & l'oeil s'allonge ; & il n'y a personne qui n'ait senti en regardant quelque objet fort près, que tout le globe de l'oeil est alors, pour ainsi dire, dans une situation violente. Voyez PRUNELLE, CRYSTALLIN, &c.

On juge encore de la distance d'un objet par l'angle plus ou moins grand sous lequel on le voit, par sa représentation distincte ou confuse, par l'éclat ou la foiblesse de sa lumiere, par la rareté ou la multitude de ses rayons.

C'est pourquoi les objets qui paroissent obscurs ou confus, sont jugés aussi les plus éloignés ; & c'est un principe que suivent les Peintres, lorsqu'en représentant des figures sur le même plan, ils veulent que les unes paroissent plus éloignées que les autres. Voyez PERSPECTIVE, &c.

De là vient aussi que les chambres dont les murailles sont blanchies, paroissent plus petites : que les champs couverts de neige ou de fleurs blanches, paroissent moins étendus que quand ils sont revêtus de verdure : que les montagnes couvertes de neige paroissent plus proches pendant la nuit : que les corps opaques paroissent plus éloignés dans les tems du crépuscule. Voyez DISTANCE.

III. La grandeur ou l'étendue des objets visibles se connoit principalement par l'angle compris entre deux rayons tirés des deux extrêmités de l'objet au centre de l'oeil, cet angle étant combiné & composé, pour ainsi dire, avec la distance apparente de l'objet. Voyez ANGLE, OPTIQUE.

Un objet paroît d'autant plus grand, toutes choses d'ailleurs égales, qu'il est vu sous un plus grand angle : c'est-à dire que les corps vus sous un plus grand angle paroissent plus grands, & ceux qui sont vus sous un plus petit angle, paroissent plus petits ; d'où il suit que le même objet peut paroître tantôt plus grand, tantôt plus petit, selon que sa distance à l'oeil est plus petite ou plus grande : c'est ce qu'on appelle grandeur apparente.

Nous disons que pour juger de la grandeur réelle d'un objet, il faut avoir égard à la distance ; car puisqu'un objet proche peut paroître sous le même angle qu'un objet éloigné, il faut nécessairement estimer la distance ; si la distance apperçue est grande, quoique l'angle optique soit petit, on peut juger qu'un objet éloigné est grand, & réciproquement.

La grandeur des objets visibles est soumise à certaines loix démontrées par les Mathématiciens, lesquelles doivent néanmoins recevoir quelques limitations dont nous parlerons plus bas. Ces propositions sont :

1°. Que les grandeurs apparentes d'un objet éloigné sont réciproquement comme ses distances.

2°. Que les co-tangentes de la moitié des angles sous lesquels on voit un même objet, sont comme les distances ; d'où il suit qu'étant donné l'angle visuel d'un objet avec sa distance, l'on a une méthode pour déterminer la grandeur vraie ; en voici la regle : le sinus total est à la moitié de la tangente de l'angle visuel, comme la distance donnée est à la moitié de la grandeur vraie. Par la même regle, étant donnée la distance & la grandeur d'un objet, on déterminera l'angle sous lequel il est vu.

3°. Que les objets vus sous le même angle ont des grandeurs proportionnelles à leur distance.

Dans toutes ces propositions on suppose que l'objet est vu directement, c'est à dire que le rayon qui lui est perpendiculaire, le partage en deux également ; mais cette proposition ne doit être regardée comme vraie que quand les objets que l'on compare, sont l'un & l'autre fort éloignés, quoiqu'à des distances inégales. Ainsi le soleil, par exemple, qui est vu sous un angle de 32 minutes environ, seroit vu sous un angle d'environ 16 minutes, s'il étoit deux fois plus éloigné, & son diamêtre nous paroîtroit deux fois moindre. Voyez APPARENT.

Lorsque les objets sont à des distances assez petites de l'oeil, leur grandeur apparente n'est pas simplement proportionnelle à l'angle visuel. Un géant de six piés est vu sous le même angle à six piés de distance qu'un nain de deux piés vu à deux piés ; cependant le nain paroît beaucoup plus petit que le géant.

La corde ou la soutendante A B d'un arc quelconque de cercle (Pl. d'Optiq. fig. 51.) paroît sous le même angle dans tous les points D, C, E, G, quoique l'un de ses points soit considérablement plus près de l'objet que les autres ; & le diamêtre D G paroit de même grandeur dans tous les points de la circonférence du cercle. Quelques auteurs ont conclu de là que cette figure est la forme la plus avantageuse que l'on puisse donner aux théâtres.

Si l'oeil est fixe en A (fig. 52.) & que la ligne droite B C se meuve de maniere que ses extrêmités tombent toujours sur la circonférence d'un cercle, cette ligne paroîtra toujours sous le même angle ; d'où il suit que l'oeil étant placé dans un angle quelconque d'un poligone régulier, tous les côtés paroîtront sous le même angle.

Les grandeurs apparentes du soleil & de la lune à leur lever & à leur coucher, font un phénomène qui a beaucoup embarrassé les philosophes modernes. Selon les loix ordinaires de la vision, ces deux astres devroient paroître d'autant plus petits, qu'ils sont plus près de l'horison ; en effet ils sont alors plus loin de l'oeil, puisque leur distance de l'oeil, lorsqu'ils sont à l'horison, surpasse celles où ils en seroient, s'ils se trouvoient dans le zénith d'un demi-diamêtre entier de la terre, & à proportion, selon qu'ils se trouvent plus près ou plus loin du zénith dans leur passage au méridien ; cependant les astres paroissent plus petits au méridien qu'à l'horison. Ptolémée, dans son almageste, liv. I. c. iij. attribue cette apparence à la réfraction que les vapeurs font subir aux rayons. Il pense que cette réfraction doit aggrandir l'angle sous lequel on voit la lune à l'horison précisément comme il arrive à un objet placé dans l'air qu'on voit du fond de l'eau ; & Théon, son commentateur, explique assez clairement la cause de l'augmentation de l'angle sous lequel on voit l'objet dans ces circonstances. Mais on a découvert qu'il n'y a en effet aucune inégalité dans les angles sous lesquels on voit la lune ou le soleil à l'horison ou au méridien ; & c'est ce qui a fait imaginer à Alhazen, auteur arabe, une autre explication du même phénomène, laquelle a été depuis suivie & éclaircie ou perfectionnée par Vitellien, Kepler, Bacon & d'autres. Selon Alhazen, la vue nous représente la surface des cieux comme plate, & elle juge des étoiles, comme elle feroit d'objets visibles ordinaires qui seroient répandus sur une vaste surface plane. Or nous voyons l'astre sous le même angle dans les deux circonstances ; & en même tems appercevant de la différence dans leurs distances, parce que la voûte du ciel nous paroît applatie, nous sommes portés à juger l'astre plus grand lorsqu'il paroît le plus éloigné.

Descartes, & après lui le docteur Wallis & plusieurs autres auteurs, prétendent que quand la lune se leve ou se couche, une longue suite d'objets interposés entre nous & l'extrêmité de l'horison sensible, nous la font imaginer plus éloignée que quand elle est au méridien où notre oeil ne voit rien entr'elle & nous : que cette idée d'un plus grand éloignement nous fait imaginer la lune plus grande, parce que lorsqu'on voit un objet sous un certain angle, & qu'on le croit en même tems fort éloigné, on juge alors naturellement qu'il doit être fort grand pour paroître de si loin sous cet angle-là, & qu'ainsi un pur jugement de notre ame, mais nécessaire & commun à tous les hommes, nous fait voir la lune plus grande à l'horison, malgré l'image plus petite qui est peinte au fond de notre oeil. Le P. Gouye attaque cette explication si ingénieuse, en assurant que plus l'horison est borné, plus la lune nous paroît grande. M. Gassendi prétend que la prunelle qui constamment est plus ouverte dans l'obscurité, l'étant davantage le matin & le soir, parce que des vapeurs plus épaisses sont alors répandues sur la terre, & que d'ailleurs les rayons qui viennent de l'horison, en traversent une plus longue suite, l'image de la lune entre dans l'oeil sous un plus grand angle, & s'y peint réellement plus grande. Voyez PRUNELLE & VISION.

On peut répondre à cela que malgré cette dilatation de la prunelle causée par l'obscurité, si l'on regarde la lune avec un petit tuyau de papier, on la verra plus petite à l'horison. Pour trouver donc quelque autre raison d'un phénomène si singulier, le P. Gouye conjecture que quand la lune est à l'horison, le voisinage de la terre & les vapeurs plus épaisses dont cet astre est alors enveloppé à notre égard, font le même effet qu'une muraille placée derriere une colonne, qui paroît alors plus grosse que si elle étoit isolée & environnée de toutes parts d'un air éclairé ; de plus, une colonne, si elle est cannelée, paroît plus grosse que quand elle ne l'est pas, parce que les cannelures, dit-il, sont autant d'objets particuliers, qui par leur multitude donnent lieu d'imaginer que l'objet total qu'ils composent, est d'un plus grand volume. Il en est de même à-peu-près, selon cet auteur, de tous les objets répandus sur la partie de l'horison à laquelle la lune correspond quand elle en est proche ; & de là vient qu'elle paroît beaucoup plus grande lorsqu'elle se leve derriere des arbres dont les intervalles plus serrés & plus marqués font presque la même chose sur le diamêtre apparent de cette planete qu'un plus grand nombre de cannelures sur le fût d'une colonne.

Le P. Malebranche explique ce phénomène à peu-près comme Descartes, excepté qu'il y joint de plus, d'après Alhazen, l'apparence de la voûte céleste que nous jugeons applatie ; ainsi, selon ce pere, nous voyons la lune plus grande à l'horison, parce que nous la jugeons plus éloignée, & nous la jugeons plus éloignée par deux raisons : 1°. à cause que la voûte du ciel nous paroît applatie, & son extrêmité horisontale beaucoup plus éloignée de nous que son extrêmité verticale : 2°. à cause que les objets terrestres interposés entre la lune & nous, lorsqu'elle est à l'horison, nous font juger la distance de cet astre plus grande.

Voilà le précis des principales opinions des philosophes sur ce phénomène ; il faut avouer qu'il reste encore sur chacune des difficultés à lever.

IV. La figure des objets visibles s'estime principalement par l'opinion que l'on a de la situation de leurs différentes parties.

Cette opinion, ou si l'on veut, cette connoissance de la situation des différentes parties d'un objet met l'ame en état d'appercevoir la forme d'un objet extérieur avec beaucoup plus de justesse que si elle en jugeoit par la figure de l'image de l'objet tracée dans la rétine, les images étant fort souvent elliptiques & oblongues, quand les objets qu'elles représentent, sont véritablement des cercles, des quarrés, &c.

Voici maintenant les loix de la vision par rapport aux figures des objets visibles.

1°. Si le centre de la prunelle est exactement vis-à-vis, ou dans la direction d'une ligne droite, cette ligne ne paroîtra que comme un point.

2°. Si l'oeil est placé dans le plan d'une surface, de maniere qu'il n'y ait qu'une ligne du périmetre qui puisse former son image dans la rétine, cette surface paroîtra comme une ligne.

3°. Si un corps est opposé directement à l'oeil, de maniere qu'il ne puisse recevoir des rayons que d'un plan de la surface, ce corps aura l'apparence d'une surface.

4°. Un arc éloigné vu par un oeil qui est dans le même plan, n'aura l'apparence que d'une ligne droite.

5°. Une sphere vue à quelque distance paroît comme un cercle.

6°. Les figures angulaires paroissent rondes dans un certain éloignement.

7°. Si l'oeil regarde obliquement le centre d'une figure réguliere ou d'un cercle fort éloigné, le cercle paroîtra ovale, &c.

V. On apperçoit le nombre des objets visibles, non-seulement par une ou plusieurs images qui se forment au fond de l'oeil, mais encore par une certaine situation ou disposition de ces parties du cerveau d'où les nerfs optiques prennent leur origine, situation à laquelle l'ame s'est accoutumée, en faisant attention aux objets simples ou multiples.

Ainsi quand l'un des yeux ne conserve plus son juste parallélisme avec l'autre oeil, comme il arrive en le pressant avec le doigt, &c. les objets paroissent doubles, &c. mais quand les yeux sont dans le parallélisme convenable, l'objet paroît unique, quoiqu'il y ait véritablement deux images dans le fond des deux yeux. De plus, un objet peut paroître double, ou même multiple, non-seulement avec les deux yeux, mais même en ne tenant qu'un seul oeil ouvert, lorsque le point commun de concours des cônes de rayons réfléchis de l'objet à l'oeil n'atteint pas la rétine, ou tombe beaucoup au-delà.

VI. On apperçoit le mouvement & le repos, quand les images des objets représentés dans l'oeil se meuvent ou sont en repos ; & l'ame apperçoit ces images en mouvement ou en repos, en comparant l'image en mouvement avec une autre image, par rapport à laquelle la premiere change de place, ou bien par la situation de l'oeil qui change continuellement, lorsqu'il est dirigé à un objet en mouvement ; de maniere que l'ame ne juge du mouvement qu'en appercevant les images des objets dans différentes places & différentes situations : ces changemens ne peuvent même se faire sentir sans un certain intervalle de tems ; ensorte que pour s'appercevoir d'un mouvement, il est besoin d'un tems sensible. Mais on juge du repos par la perception de l'image dans le même endroit de la rétine & de la même situation pendant un tems sensible.

C'est la raison pourquoi les corps qui se meuvent excessivement vîte, paroissent en repos ; ainsi, en faisant tourner très-rapidement un charbon, on apperçoit un cercle de feu continu, parce que ce mouvement s'exécute dans un tems trop court pour que l'ame puisse s'en appercevoir ; tellement que dans l'intervalle de tems nécessaire à l'ame pour juger d'un changement de situation de l'image sur la rétine, l'objet a fait son tour entier, & est revenu à sa premiere place. En un mot, l'impression que fait l'objet sur l'oeil lorsqu'il est dans un certain endroit de son cercle, subsiste pendant le tems très-court que l'objet met à parcourir ce cercle, & l'objet est vu par cette raison dans tous les points du cercle à la fois.

Loix de la vision par rapport au mouvement des objets visibles. 1°. Si deux objets à des distances inégales de l'oeil, mais fort grandes, s'en éloignent avec des vîtesses égales, le plus éloigné paroîtra se mouvoir plus lentement ; ou si leurs vîtesses sont proportionnelles à leurs distances, ils paroîtront avoir un mouvement égal.

2°. Si deux objets inégalement éloignés de l'oeil, mais à de grandes distances, se meuvent dans la même direction avec des vîtesses inégales, leurs vîtesses apparentes seront en raison composée de la raison directe de leur vîtesse vraie, & de la raison réciproque de leurs distances à l'oeil.

3°. Un objet visible qui se meut avec une vîtesse quelconque, paroît en repos, si l'espace décrit par cet objet dans l'intervalle d'une seconde, est imperceptible à la distance où l'oeil est placé. C'est pourquoi les objets fort proches qui se meuvent très-lentement, telle que l'aiguille d'une montre, ou les objets fort éloignés qui se meuvent très-vîte, comme une planete, paroissent être dans un repos parfait. On s'apperçoit à la vérité au bout d'un certain tems que ces corps se sont mus ; mais on n'apperçoit point leur mouvement.

4°. Un objet qui se meut avec un degré quelconque de vîtesse, paroît en repos, si l'espace qu'il parcourt dans une seconde de tems, est à la distance de l'oeil, comme 1 est à 1400, ou même comme 1 est à 1300.

5°. Si l'oeil s'avance directement d'un endroit à un autre, sans que l'ame s'apperçoive de son mouvement, un objet latéral à droite ou à gauche paroîtra se mouvoir en sens contraire. C'est pour cette raison que quand on est dans un bateau en mouvement, le rivage paroît se mouvoir. Ainsi nous attribuons aux corps célestes des mouvemens qui appartiennent réellement à la terre que nous habitons, à peu-près comme lorsqu'on se trouve sur une riviere dans un grand bateau qui se meut avec beaucoup d'uniformité & sans secousses ; on croit alors voir les rivages & tous les lieux d'alentour se mouvoir & fuir, pour ainsi dire, en sens contraire à celui dans lequel le bateau se meut, & avec une vîtesse égale à celle du bateau. C'est en effet une regle générale d'optique, que quand l'oeil est mu sans qu'il s'apperçoive de son mouvement, il transporte ce mouvement aux corps extérieurs, & juge qu'ils se meuvent en sens contraire, quoique ces objets soient en repos. C'est pourquoi si les anciens astronomes avoient voulu admettre le mouvement de la terre, ils se seroient épargné bien des peines pour expliquer les apparences des mouvemens célestes.

6°. Dans la même supposition, si l'oeil & l'objet se meuvent tous deux sur la même ligne, mais que le mouvement de l'oeil soit plus rapide que celui de l'objet, celui-ci paroîtra se mouvoir en arriere.

7°. Si deux ou plusieurs objets éloignés se meuvent avec une égale vîtesse, & qu'un troisieme demeure en repos, les objets en mouvement paroîtront fixes, & celui qui est en repos, paroîtra se mouvoir en sens contraire. Ainsi quand les nuages sont emportés rapidement, & que leurs parties paroissent toujours conserver entr'elles leur même situation, il semble que la lune va en sens contraire. Wolf & Chambers.

Horison visible, voyez HORISON.

Especes visibles, voyez ESPECES.


VISIERES. m. ou FENTE, signifioit autrefois la même chose que pinule, & on l'emploie même encore quelquefois en parlant de certains instrumens dont on se sert en mer. Voyez PINULE.

VISIERE, s. f. (terme d'Heaumier) Ce mot se dit en parlant de casques & d'habillement de tête ; c'est la partie de l'habillement de tête qui couvre le visage, & qu'on leve lorsqu'on est échauffé, qu'on veut prendre un peu d'air, & voir tout à fait clair. (D.J.)


VISIGOTHSS. m. pl. (Hist. ancienne) peuple venu de la Scandinavie, & qui faisoit partie de la nation des Goths. On les appelloit Westergoths ou Goths occidentaux, d'où on les a nommés Visigoths par corruption, parce qu'ils habitoient originairement la partie occidentale de la Suede, du côté du Danemarck. Après avoir changé plusieurs fois de demeure, l'empereur Théodose leur accorda des terres en Thrace, d'où ils firent plusieurs incursions en Italie ; enfin, en 410, sous la conduite d'Alaric, ils prirent & pillerent la ville de Rome. Après la mort d'Alaric, les Visigoths élurent Ataulphe, son beau-frere, pour leur roi, qui alla faire une invasion dans les Gaules & en Espagne, où ils fonderent en 418 une monarchie puissante, dont Toulouse étoit la capitale. Après avoir chassé les Sueves & les Alains d'Espagne, ils y soutinrent la guerre contre les Romains, qu'ils dépouillerent totalement de ce royaume. La puissance des Visigoths dura dans les Gaules jusqu'à l'an 507, où Clovis, roi de France, tua leur roi Alaric dans la bataille de Vouglé, & se rendit maître de la plus grande partie de ses états. La puissance des Visigoths subsista en Espagne jusqu'à la conquête de ce royaume par les Mahométans ou Maures.

VISIGOTHES, loix (Jurisprud.) Voyez au mot LOI l'article LOI DES VISIGOTHS ; & au mot CODE, l'article CODE DES LOIX ANTIQUES, CODE D'ALARIC, CODE D'ANIAN, CODE D'EVARIX. (A)


VISIONAPPARITION, (Synonym.) La vision se passe dans les sens intérieurs, & ne suppose que l'action de l'imagination. L'apparition frappe de plus les sens extérieurs, & suppose un objet au-dehors.

Joseph fut averti par une vision de fuir en Egypte avec sa famille ; la Magdelaine fut instruite de la résurrection du Sauveur, par une apparition.

Les cerveaux échauffés & vuides de nourriture, croyent souvent avoir des visions. Les esprits timides & crédules prennent quelquefois pour des apparitions ce qui n'est rien, ou ce qui n'est qu'un jeu.

La Bruyere employe ingénieusement apparition au figuré : il y a, dit-il, dans les cours des apparitions de gens avanturiers & hardis.

Vision & visions se disent beaucoup dans le figuré ; l'un & l'autre se prennent d'ordinaire en mauvaise part, quand on n'y ajoute point d'épithete qui les rectifie ; par exemple, pour condamner le dessein de quelqu'un, on dit, quelle vision ! Nous disons d'un homme qui se met des chimeres dans l'esprit, qui forme des projets extravagans, il a des visions : gardez-vous bien, dit Racine, de croire vos lettres aussi bonnes que les lettres provinciales, ce seroit une étrange vision que cela. Vision s'applique aux ouvrages d'esprit ; peut-on préférer les poëtes espagnols aux italiens, & prendre les visions d'un certain Lopez de Vega pour de raisonnables compositions ?

Quand on donne une épithete à visions, elle se prend en bien ou en mal, selon la nature de l'épithete qu'on lui donne ; elle a des visions agréables, c'est-à-dire, elle imagine de plaisantes choses ; elle a de sottes visions, c'est-à-dire, elle imagine des choses ridicules & extravagantes. (D.J.)

VISION, s. f. (Optiq.) est l'action d'appercevoir les objets extérieurs par l'organe de la vue. Voyez OEIL.

Quelques autres définissent la vision une sensation par laquelle l'ame apperçoit les objets lumineux, leur quantité, leur qualité, leur figure, &c. en conséquence d'un certain mouvement du nerf optique, excité au fond de l'oeil par les rayons de lumiere réfléchis de dessus les objets, & portés de là dans le cerveau, au sensorium ou siege du sentiment. Voyez VISIBLE.

Les phénomenes de la vision, ses causes, la maniere dont elle s'exécute, sont un des points les plus importans de la philosophie naturelle.

Tout ce que M. Newton & d'autres ont découvert sur la nature de la lumiere & des couleurs, les loix de l'inflexion, de la réflexion & de la réfraction des rayons ; la structure de l'oeil, particuliérement celle de la rétine & des nerfs, &c. se rapportent à cette théorie.

Il n'est pas nécessaire que nous donnions ici un détail circonstancié de la maniere dont se fait la vision ; nous en avons déja exposé la plus grande partie sous les différens articles qui y ont rapport.

Nous avons donné à l'article OEIL la description de cet organe de la vision, & ses différentes parties, comme ses tuniques, ses humeurs &c. ont été traitées en particulier, quand il a été question de la cornée, du crystallin, &c.

On a traité aussi séparément de l'organe principal & immédiat de la vision, qui est la rétine, suivant quelques-uns, & la choroïde suivant d'autres : on a exposé aussi la structure du nerf optique, qui porte l'impression au cerveau ; le tissu & la disposition du cerveau même qui reçoit cette impression, & qui la représente à l'ame. Voyez RETINE, CHOROÏDE, NERF OPTIQUE, CERVEAU, SENSORIUM ou SIEGE DU SENTIMENT, &c.

De plus, nous avons exposé en détail aux articles LUMIERES & COULEURS, la nature de la lumiere, qui est le milieu ou le véhicule par lequel les images des objets sont portées à l'oeil, & l'on peut voir les principales propriétés de la lumiere aux mots REFLEXION, REFRACTION, RAYON, &c. Il ne nous reste donc ici qu'à donner une idée générale des différentes choses qui ont rapport à la vision.

Des différentes opinions sur la vision, ou des différens systêmes que l'on a imaginés pour en expliquer le méchanisme. Les Platoniciens & les Stoïciens pensoient que la vision se faisoit par une émission de rayons qui se lançoient de l'oeil ; ils concevoient donc une espece de lumiere ainsi éjaculée, laquelle, conjointement avec la lumiere de l'air extérieur, se saisissoit, pour ainsi dire, des objets qu'elle rendoit visibles ; après quoi, revenant sur l'oeil revêtue d'une forme & d'une modification nouvelle par cet espece d'union avec l'objet, elle faisoit une impression sur la prunelle, d'où résultoit la sensation de l'objet.

Ils tiroient les raisons dont ils appuyoient leur opinion, 1°. de l'éclat de l'oeil ; 2°. de ce que l'on apperçoit un nuage éloigné, sans voir celui qui nous environne (parce que, selon eux, les rayons sont trop vigoureux & trop pénétrans pour être arrêtés par un nuage voisin ; mais quand ils sont obligés d'aller à une grande distance, devenant foibles & languissans, ils reviennent à l'oeil.) 3°. de ce que nous n'appercevons pas un objet qui est sur la prunelle : 4°. de ce que les yeux s'affoiblissent en regardant par la grande multitude de rayons qui en émanent ; enfin, de ce qu'il y a des animaux qui voient pendant la nuit, comme les chats, les chat-huants & quelques hommes.

Les Epicuriens disoient que la vision se faisoit par l'émanation des especes corporelles ou des images venant des objets, ou par une espece d'écoulement atomique, lequel s'évaporant continuellement des parties intimes des objets, parvenoit jusqu'à l'oeil.

Leurs principales raisons étoient, 1°. que l'objet doit nécessairement être uni à la puissance de voir, & comme il n'y est pas uni par lui-même, il faut qu'il le soit par quelques especes qui le représentent, & qui viennent des corps par un écoulement perpétuel : 2°. qu'il arrive fort souvent que des hommes âgés voient mieux les objets éloignés que les objets proches, l'éloignement rendant les especes plus minces & plus déliées, & par conséquent plus proportionnées à la foiblesse de leur organe.

Les Péripatéticiens tiennent avec Epicure que la vision se fait par la réception des especes ; mais ils différent de lui par les propriétés qu'ils leur attribuent ; car ils prétendent que les especes qu'ils appellent intentionnelles, intentionnales, sont des especes incorporelles.

Il est cependant vrai que la doctrine d'Aristote sur la vision, qu'il a décrite dans son chapitre de aspectu, se réduit uniquement à ceci ; que les objets doivent imprimer du mouvement à quelque corps intermédiaire, moyennant quoi ils puissent faire impression sur l'organe de la vue : il ajoute dans un autre endroit, que quand nous appercevons les corps, c'est leurs apparences & non pas leur matiere que nous recevons, de la même maniere qu'un cachet fait une impression sur de la cire, sans que la cire retienne autre chose aucune du cachet.

Mais les Péripatéticiens ont jugé à propos d'éclaircir cette explication, selon eux trop vague & trop obscure. Ce qu'Aristote appelloit apparence, est pris par ses disciples pour des especes propres & réelles. Ils assurent donc que tout objet visible imprime une parfaite image de lui-même dans l'air qui lui est contigu ; que cette image en imprime une autre un peu plus petite dans l'air, immédiatement suivant & ainsi de suite jusqu'à ce que la derniere image arrive au crystallin, qu'ils regardent comme l'organe principal de la vue, ou ce qui occasionne immédiatement la sensation de l'ame : ils appellent ces images des especes intentionnelles, sur quoi voyez l'article ESPECES.

Les philosophes modernes expliquent beaucoup mieux tout le méchanisme de la vision ; ils conviennent tous qu'elle se fait par des rayons de lumiere réfléchis des différens points des objets reçus dans la prunelle, réfractés & réunis dans leur passage à travers les tuniques & les humeurs qui conduisent jusqu'à la rétine, & qu'en frappant ainsi ou en faisant une impression sur les points de cette membrane, l'impression se propage jusqu'au cerveau par le moyen des filets correspondans du nerf optique.

Quant à la suite, ou à la chaîne d'images que les Péripatéticiens supposent, c'est une pure chimere, & l'on comprend mieux l'idée d'Aristote sans les employer, qu'en expliquant sa pensée par ce moyen, en effet, la doctrine d'Aristote sur la vision peut très-bien se concilier avec celle de Descartes & de Newton ; car Newton conçoit que la vision se fait principalement par les vibrations d'un milieu très-délié qui pénetre tous les corps ; que ce milieu est mis en mouvement au fond de l'oeil par les rayons de lumiere, & que cette impression se communique au sensorium ou siege du sentiment par les filamens des nerfs optiques, & Descartes suppose que le soleil pressant la matiere subtile, dont le monde est rempli de toutes parts, les vibrations de cette matiere réfléchie de dessus les objets sont communiquées à l'oeil, & de là au sensorium ou siege du sentiment ; de maniere que nos trois philosophes supposent également l'action ou la vibration d'un milieu. Voyez MILIEU.

Théorie de la vision. Il est sûr que la vision ne sauroit avoir lieu, si les rayons de lumiere ne viennent pas des objets jusqu'à l'oeil ; & l'on va concevoir, par tout ce que nous allons dire, ce qui arrive à ces rayons lorsqu'ils passent dans l'oeil.

Supposons, par exemple, que z soit un oeil, & A B C un objet, (Pl. d'op. fig. 53.) quoique chaque point d'un objet soit un point rayonnant, c'est-à-dire, quoiqu'il y ait des rayons réfléchis de chaque point de l'objet à chaque point de l'espace environnant ; cependant comme il n'y a que les rayons qui passent par la prunelle de l'oeil qui affectent le sentiment, ce seront les seuls que nous considérerons ici.

De plus, quoi qu'il y ait un grand nombre de rayons qui viennent d'un point rayonnant, comme B, passer par la prunelle, nous ne considérerons cependant l'action que d'un petit nombre de ces rayons, tels que B D, B E, B F.

Ainsi, le rayon B D tombant perpendiculairement sur la surface E D F, passera de l'air dans l'humeur aqueuse, sans aucune réfraction, ira droit en H ; où, tombant perpendiculairement sur la surface de l'humeur crystalline, il ira tout de suite, sans aucune réfraction, jusqu'à M ; où tombant encore perpendiculairement sur la surface de l'humeur vitrée, il ira droit au point O au fond de l'oeil ; mais le rayon B E passant obliquement de l'air sur la surface de l'humeur aqueuse E D F, sera rompu ou réfracté, & s'approchera de la perpendiculaire, allant de là au point G sur la surface du crystallin, il y sera encore réfracté en s'approchant toujours de plus en plus de la perpendiculaire, & viendra tomber sur le point L de la surface de l'humeur vitrée, ainsi il s'approchera encore du point M.

Enfin G L tombant obliquement d'un milieu plus dense, qui est le crystallin, sur la surface d'un corps plus rare L M N, qui est l'humeur vitrée, se réfractera en s'écartant de la perpendiculaire ; & il est évident que par cet écartement il s'approche du rayon B D O, qu'ainsi il peut être réfracté de maniere à rencontrer ce rayon B D O, au point O ; de même le rayon B F étant réfracté en F, se détournera vers I, de-là vers N, & de-là vers O, & les rayons entre B E & B F se rencontreront à très-peu près au même point O.

Ainsi le point rayonnant B affectera le fond de l'oeil de la même maniere que si la prunelle n'avoit aucune largeur, ou comme si le point rayonnant n'envoyoit qu'un seul rayon qui eût à lui seul la même force que tous les rayons ensemble, compris entre B E & B F.

De même les rayons qui viennent du point A, seront réfractés en passant par les humeurs de l'oeil, de maniere qu'ils se rencontreront vers le point X, & les rayons qui viennent d'un point quelconque compris entre A & B, se rencontreront à-peu-près en quelqu'autre point au fond de l'oeil, entre X & O.

On peut assurer généralement que chaque point d'un objet n'affecte qu'un point dans le fond de l'oeil, & que chaque point dans le fond de l'oeil, ne reçoit des rayons que d'un point de l'objet : ceci ne doit pourtant pas s'entendre dans l'exactitude la plus rigoureuse.

Maintenant si l'objet s'éloignoit de l'oeil, de maniere que le point rayonnant B fût toujours dans la ligne B D, les rayons qui viendroient de B, sans avoir une divergence suffisante, seroient tellement réfractés en passant par les trois surfaces, qu'ils se rencontreroient avant que d'avoir atteint le point O : au-contraire, si l'objet s'approchoit trop près de l'oeil, les rayons qui passeroient du point B de la prunelle, étant trop divergens, seroient réfractés de maniere à ne se rencontrer qu'au de-là du point O. L'objet même peut être si proche que les rayons provenans d'un point quelconque, auront une divergence telle qu'ils ne se rencontreroient jamais ; dans tous ces cas, il n'y auroit aucun point de l'objet qui n'affectât une portion assez considérable du fond de l'oeil, & par conséquent l'action de chaque point se confondroit avec celle d'un point contigu, & la vision seroit confuse : ce qui arriveroit fort communément si la nature n'y avoit pourvu, en donnant à la prunelle de l'oeil une conformation propre à se dilater ou à se resserrer, selon que les objets sont plus ou moins éloignés ; & de plus, en faisant que le crystallin devienne plus ou moins convexe ; ou encore, en faisant que la distance entre le crystallin & la rétine, puisse être plus ou moins grande. Ainsi quand nos yeux se dirigent vers un objet tellement éloigné qu'ils ne peuvent pas distinctement l'appercevoir en restant dans leur état ordinaire, l'oeil s'applatit un peu par la contraction de quatre muscles, au moyen desquels la rétine s'approchant de l'humeur crystalline, reçoit plus tôt les rayons : & quand nous regardons un objet trop proche, l'oeil comprimé par les deux muscles obliques, acquiert une forme plus convexe ; moyennant quoi la rétine devenant plus éloignée du crystallin, le concours des rayons se fait sur la rétine.

Cet approchement & éloignement du crystallin est si nécessaire à la vision, que dans certains oiseaux où les tuniques de l'oeil sont d'une consistance si osseuse que les muscles n'auroient jamais été capables de les contracter ou de les étendre, la nature a fait jouer d'autres ressorts ; elle a attaché par en-bas le crystallin à la rétine, avec une espece de filet noirâtre que l'on ne trouve point dans les yeux des autres animaux. N'oublions pas d'observer que des trois réfractions dont on a parlé ci-dessus, la premiere ne se trouve point dans les poissons, & que pour y rémédier, leur crystallin n'est pas lenticulaire, comme dans les autres animaux, mais qu'il a la forme sphérique. Enfin comme les yeux des hommes avancés en âge, sont plus applatis que ceux des jeunes gens, de maniere que les rayons qui partent d'un objet proche, tombent sur la rétine avant que d'être réunis en un seul ; ces yeux doivent réprésenter les objets un peu plus confusément, & ils ne peuvent appercevoir bien distinctement que les objets éloignés. Voyez PRESBITE. Il arrive précisément le contraire à ceux qui ont les yeux trop convexes. Voyez MYOPE.

De ce que chaque point d'un objet vu distinctement n'affecte qu'un point du fond de l'oeil ; & réciproquement de ce que chaque point du fond de l'oeil ne reçoit des rayons que d'un point de l'objet, il est aisé de conclure que l'objet total affecte une certaine partie de la rétine, que dans cette partie il se fait une réunion vive & distincte de tous les rayons qui y sont reçus par la prunelle, & que comme chaque rayon porte avec lui sa couleur propre, il y a autant de points colorés au fond de l'oeil, que de points visibles dans l'objet qui lui est présenté. Ainsi il y a sur la rétine une apparence ou une image exactement semblable à l'objet ; toute la différence, c'est qu'un corps s'y représente par une surface, qu'une surface s'y représente assez souvent par une ligne, & une ligne par un point ; que l'image est renversée, la droite répondant à la gauche de l'objet, &c. que cette image est excessivement petite, & le devient de plus en plus, à proportion que l'objet est plus éloigné. Voyez VISIBLE.

Ce que nous avons dit dans d'autres articles, sur la nature de la lumiere & des couleurs, est fort propre à expliquer sans aucune difficulté, cette image de l'objet sur la rétine ; c'est un fait qui se prouve par une expérience dont M. Descartes est l'auteur. En voici le procedé : après avoir bien fermé les fenêtres d'une chambre, & n'avoir laissé de passage à la lumiere que par une fort petite ouverture, il faut y appliquer l'oeil de quelque animal nouvellement tué, ayant retiré d'abord avec toute la dextérité dont on est capable, les membranes qui couvrent le fond de l'humeur vitrée, c'est-à-dire la partie postérieure de la sclérotique, de la choroïde, & même une partie de la rétine : on verra alors les images de tous les objets de dehors, se peindre très-distinctement sur un corps blanc, par exemple, sur la pellicule d'un oeuf, appliquée à cet oeil par derriere. On démontre la même chose d'une maniere beaucoup plus parfaite, avec un oeil artificiel, ou par le moyen de la chambre obscure. Voyez OEIL, AMBRE OBSCURECURE.

Les images des objets se représentent donc sur la rétine, qui n'est qu'une expansion de filets très-déliés du nerf optique, & d'où le nerf optique lui-même va se rendre dans le cerveau : or si une extrêmité du nerf optique reçoit un mouvement, ou fait une vibration quelconque, cette vibration se communiquera à l'autre extrêmité : ainsi l'impulsion des différens rayons qui viennent des différens points de l'objet, l'affectera à-peu-près de la même maniere qu'elle affecte la rétine, c'est-à-dire avec les vibrations & la sorte de mouvement qui lui est particuliere, cette impulsion se propagera ainsi jusqu'à l'endroit où les filets optiques viennent à former un tissu dans la substance du cerveau, & par ce moyen là les vibrations seront portées au siege général ou commun des sensations.

Or l'on sait que telle est la loi de l'union de l'ame & du corps, que certaines perceptions de l'ame sont une suite nécessaire de certains mouvemens du corps : & comme les différentes parties de l'objet meuvent séparément différentes parties du fond de l'oeil, & que ces mouvemens se propagent ou se communiquent au sensorium, ou au siege du sentiment ; on voit donc qu'il doit s'ensuivre en même tems un aussi grand nombre de sensations distinctes. Voyez SENSATION.

Il est donc aisé de concevoir 1°. que la perception ou l'image, doit être plus claire & plus vive, à proportion que l'oeil reçoit de la part d'un objet, un plus grand nombre de rayons : par conséquent la grandeur de la prunelle contribuera en partie à la clarté de la vision.

2°. En ne considérant qu'un point rayonnant d'un objet, on peut dire que ce point affecteroit le siege du sentiment, d'une maniere plus foible, ou seroit vu plus obscurément, à mesure qu'il seroit plus éloigné, à cause que les rayons qui viennent d'un point, sont toujours divergens ; ainsi plus les objets seront éloignés, moins la prunelle en recevra de rayons ; mais d'un autre côté, la prunelle se dilatant d'autant plus que l'objet est plus éloigné, reçoit par cette dilatation un plus grand nombre de rayons qu'elle n'en recevroit sans ce méchanisme.

3°. La vision plus ou moins distincte dépend un peu de la grandeur de l'image représentée dans le fond de l'oeil : car il doit y avoir au-moins autant d'extrêmité de filets ou fibres du nerf optique, dans l'espace que l'image occupe, qu'il y a de particules dans l'objet qui envoie des rayons dans la prunelle ; autrement chaque particule n'ébranleroit pas son filet optique particulier ; & si les rayons qui viennent de deux points, tombent sur le même filet optique, il arrivera la même chose que s'il n'y avoit qu'un seul point qui y tombât ; puisque le même filet optique ne sauroit être ébranlé de deux manieres différentes à la fois. C'est pourquoi les images des objets fort éloignés étant très-petites, elles paroissent confuses, plusieurs points de l'image affectant un même point optique : il arrive aussi de-là que si l'objet a différentes couleurs, plusieurs de ses particules affectant en même tems le même filet optique, l'oeil n'en appercevra que les plus lumineuses & les plus brillantes : ainsi un champ parsemé d'un grand nombre de fleurs blanches, sur un fond de verdure, paroîtra néanmoins tout blanc à quelque distance.

A l'égard des raisons pourquoi nous ne voyons qu'un objet simple, quoiqu'il y ait une image dans chaque oeil, & pourquoi nous le voyons droit quoique cette image soit renversée ; nous renvoyons à ce que les auteurs d'optique ont dit là-dessus, & dont nous ne répondons pas qu'on soit satisfait.

Quant à la maniere de voir & de juger de la distance & de la grandeur des objets, consultez les articles VISIBLE, DISTANCE, &c.

Les loix de la vision, soumises aux démonstrations mathématiques, font le sujet de l'optique, prise dans la signification de ce mot la plus étendue : car ceux qui ont écrit sur les mathématiques, donnent à l'optique une signification moins étendue ; ils la réduisent à la doctrine de la vision directe ; la catoptrique traite de la vision réfléchie ; & la dioptrique de la vision réfractée. Voyez OPTIQUE, CATOPTRIQUE, OPTRIQUEIQUE.

La vision directe ou simple est celle qui se fait par le moyen de rayons directs, c'est-à-dire de rayons qui passent directement ou en ligne droite depuis le point rayonnant jusqu'à l'oeil. Nous venons d'en exposer les loix dans cet article.

La vision réfléchie se fait par des rayons réfléchis par des miroirs ou d'autres corps dont la surface est polie. Voyez-en aussi les loix aux articles REFLEXION & MIROIR.

La vision réfractée se fait par le moyen de rayons réfractés ou détournés de leur direction, en passant par des milieux de différente densité, principalement à-travers des verres & des lentilles. Voyez-en les loix aux articles REFRACTION, LENTILLE, &c.

Solution de plusieurs questions sur la vision. " On demande pourquoi, lorsque nous avons été quelque tems dans un lieu fort clair, & que nous entrons ensuite subitement dans une chambre moins éclairée ; tous les objets nous paroissent-ils alors obscurs ; ensorte que nous sommes même au commencement, comme aveugles ? Cela ne vient-il pas de ce que nous resserrons la prunelle, lorsque nous nous trouvons dans un lieu éclairé, afin que la vûe ne soit pas offensée d'une trop grande lumiere, ce qui n'empêche pourtant pas qu'elle ne reçoive une forte impression des rayons qui la pénétrent. 2 °. Notre ame est accoutumée à faire attention à ces mouvemens violens & à ces fortes impressions, & n'en fait point à celles qui sont foibles : lors donc qu'étant ainsi disposé on entre dans un lieu un peu obscur, il n'entre que peu de rayons de lumiere par la prunelle retrécie, & comme ils n'ébranlent presque pas la rétine, notre ame ne voit rien, parce qu'elle est déja accoutumée à de plus fortes impressions : c'est pour cela que tout nous paroît d'abord plus obscur, & que nous sommes en quelque maniere aveugles, jusqu'à-ce que la prunelle se dilate insensiblement, & que l'ame s'accoutume à de plus fortes impressions, & qu'elle y prête ensuite attention. "

Lorsque quelqu'un se trouve dans une chambre, qui n'est que peu éclairée, il voit facilement à-travers les vitres, ou à travers la fenêtre ouverte, tous ceux qui passent devant lui en plein jour ; mais pourquoi les passans ne l'apperçoivent-ils pas, ou ne le voient-ils qu'avec peine, & toujours d'autant moins, que le jour est plus grand ? Cela ne vient-il pas, de ce que celui qui voit dans l'obscurité reçoit beaucoup de rayons des objets, qui sont en plein air & fort éclairés, & qu'il les apperçoit par conséquent clairement & facilement : au lieu que lui ne réfléchit que peu de rayons de la chambre obscure, où il se trouve, vers les passans qui sont en plein air, de sorte que ceux-ci ne peuvent recevoir qu'une petite quantité de rayons, lesquels font sur eux une impression bien plus foible, que celle qu'ils reçoivent de la lumiere des autres objets qui sont en plein air ; & ainsi leur ame ne fait alors aucune attention à ces foibles impressions.

Lorsqu'on cligne les yeux, ou qu'on commence à les bien fermer, ou lorsqu'on pleure & qu'on envisage en même tems une chandelle allumée ou une lampe, pourquoi les rayons paroissent-ils alors être dardés de la partie supérieure & inférieure de la flamme vers les yeux ? M. de la Hire a fort bien expliqué ce phénomène, & fait voir en même tems l'erreur de M. Rohault à cet égard.

Que B, fig. opt. 53. n°. 2. soit la flamme de la chandelle, HH & II les deux paupieres, qui, en clignotant exprimeront l'humeur de l'oeil, laquelle s'attachant aux bords des paupieres & à l'oeil, comme proche de a H R, & a I S, formera comme un prisme. La flamme de la chandelle B dardant ses rayons à-travers le milieu de la prunelle, se peint sur la rétine proche de D O X ; mais les autres rayons, comme B A, tombant sur cette humeur triangulaire a H R, se rompent, comme les rayons qui traversent un prisme de verre, & forment en s'étendant la queue D L, qui est suspendue à la partie inférieure de la flamme D, d'où elle nous paroît par conséquent provenir, comme B M ; de même aussi les rayons B C, venant à tomber sur l'humeur triangulaire a I S, se rompent, comme s'ils traversoient un prisme de verre, & s'étendent par conséquent de la longueur de X K, en formant une queue, qui est suspendue à la partie supérieure de X de l'image de la flamme, d'où ils paroissent provenir, & nous représentent de cette maniere les rayons B N.

Il est clair, que lorsqu'on intercepte les rayons supérieurs B A H R L, à l'aide d'un corps opaque P, la queue D L doit disparoître dans l'oeil, & par conséquent la queue inférieure B M de la chandelle.

Mais lorsqu'on intercepte les rayons inférieurs B C I S, il faut que la queue X K, qui tient à la partie supérieure de l'image de la flamme, disparoisse, de même que les rayons supérieurs apparens B N. Comme il se rassemble beaucoup plus d'humeur aux paupieres, lorsqu'on verse des larmes, ce phénomène doit se faire alors bien mieux remarquer, comme l'expérience le confirme.

Pourquoi voit-on des étincelles sortir de l'oeil, lorsqu'on le frotte avec force, qu'on le presse ou qu'on le frappe ? La lumiere tombant sur la rétine, presse & pousse les filets nerveux de cette membrane : lors donc que ces mêmes filets viennent à être comprimés de la même maniere par l'humeur vitrée, ils doivent faire la même impression sur l'ame, qui croira alors appercevoir de la lumiere, quoiqu'il n'y en ait point. Lorsqu'on frotte l'oeil, on pousse l'humeur vitrée contre la rétine, ce qui nous fait alors voir des étincelles. Si donc les filets nerveux reçoivent la même impression que produisoient auparavant quelques rayons colorés, notre ame devra revoir les mêmes couleurs. La même chose arrive aussi, lorsque nous pressons l'angle de l'oeil dans l'obscurité, en sorte qu'il s'écarte du doigt & que l'oeil reste en repos ; ces couleurs disparoissent dans l'espace d'une seconde, & ne manquent pas de reparoître de nouveau aussi-tôt qu'on recommence à presser l'oeil avec le doigt. Mussch. ess. de Phys. §. 1218. & suiv.

VISION, (Théolog.) se prend par les Théologiens pour une apparition que Dieu envoie quelquefois à ses prophêtes & à ses saints, soit en songe, soit en réalité. Voyez PROPHETIE, REVELATION.

Telles furent les visions d'Ezéchiel, d'Amos, des autres prophêtes, dont les prédictions sont intitulées : Visio. La vision de S. Paul élevé au troisieme ciel, celle dont fut favorisé S. Joseph, pour l'assurer de la pureté de la sainte Vierge. Plusieurs personnes célebres par la sainteté de leur vie, telles que Ste Therese, Ste Brigite, Ste Catherine de Sienne, &c. ont eu de pareilles visions ; mais il y a d'extrêmes précautions à prendre sur cette matiere, l'apôtre S. Paul nous avertissant que l'ange de ténébres se transforme quelquefois en ange de lumiere.

Aussi le mot vision se prend-il quelquefois en mauvaise part, pour des chimeres, des spectres produits par la peur ou par les illusions d'une imagination blessée ou vivement échauffée ; c'est pourquoi l'on donne le nom de visionnaires à ceux qui se forgent eux-mêmes des idées singulieres ou romanesques. En ce dernier genre les visions de Quevedo ne sont que des descriptions des différens objets qui rouloient dans l'imagination bouillante de cet auteur.

Ce sont encore ou des peintures des choses gravées dans l'imagination, ou des choses que les sens apperçoivent, mais qui n'ont point de réalité, & qui ne sont point ce qu'elles paroissent ; ce sont des apparences. Ainsi S. Jean dit dans l'Apoc. ix. 17. qu'il vit des chevaux en vision ; c'est-à-dire une apparence de figures de chevaux.

De pieux & savans critiques ont pensé que l'histoire de la tentation de J. C. emmené par l'esprit au désert, Matth. iv. 1. s'est plutôt passé en vision pendant le sommeil, qu'en fait & en réalité. Il paroît dur, que Dieu ait permis au démon de transporter le Sauveur dans les airs, sur une montagne, sur le temple de Jérusalem, &c. La vûe des royaumes du monde & de leur gloire, ne se fait pas mieux d'un lieu élevé que de la plaine ; car qu'apperçoit-on du sommet d'une montagne, des champs, des rivieres, des villes, des bourgades, dans l'éloignement. Or, peut-on appeller ces sortes de choses, les royaumes & leur gloire ?

La gloire des royaumes consiste dans leur force, leur gouvernement, leur grandeur, leur opulence, leur population, le nombre des villes, la magnificence des bâtimens publics, &c. Tout cela ne se voit ni du haut d'une montagne, ni dans un instant, comme S. Luc rapporte que cet événement arriva ; mais tout cela peut se passer en vision. Ainsi ces paroles , en esprit signifient en vision, comme dans l'Apoc. j. 10. & xxi. 10. C'est ainsi qu'Ezéchiel dit xj. 2. & iv. 12. qu'il lui sembloit être enlevé en vision, . Le même prophête observe ailleurs, xl. 2. qu'il fut enlevé sur une montagne , c'est encore en vision. Au reste, Jésus-Christ a pû apprendre par sa vision, que sa vie ne se termineroit point sans tentation, & qu'il auroit à remplir ce qui lui étoit apparu en songe, c'est-à-dire à vaincre l'ambition & l'incrédulité des puissances de la terre.

Les critiques se sont donné la torture, tant pour trouver l'accomplissement des visions dont il est parlé dans le vieux & le nouveau Testament, que pour l'application des prophéties elles-mêmes. Tel est le cas du temple d'Ezéchiel, du regne temporel de J. C. sur la terre, de la destruction de l'antechrist, de l'ouverture des sept sceaux, & de plusieurs autres ; voyez sur tout cela les notes sur le nouveau Testament par Lenfant & Beausobre ; Vitringa sur l'Apocalypse ; Meyer, diss. Theol. de visione ; Ezechielis Whiston, Vind. apost. constit. harmonie des prophêtes sur la durée de l'antechrist, année 1687, &c. (D.J.)

VISION, en Théologie, se prend pour la connoissance que nous avons ou que nous aurons de Dieu & de sa nature.

En ce sens, les Théologiens distinguent trois sortes de visions ; l'une abstractive, qui consiste à connoître une chose par une autre ; la seconde, qu'ils nomment intuitive, par laquelle on connoît un objet en lui-même ; & la troisieme, qu'ils appellent compréhensive, par laquelle on connoît une chose, non-seulement comme elle est, mais encore de toutes les manieres dont elle peut être.

La vision abstractive de Dieu consiste à parvenir à la connoissance de Dieu & de ses attributs par la considération des ouvrages qui sont sortis de ses mains, comme dit S. Paul, invisibilia Dei per ea quae facta sunt intellecta conspiciuntur.

La vision intuitive est celle dont les bien-heureux jouissent dans le ciel, & dont le même apôtre a dit par opposition à la connoissance que nous avons de Dieu en cette vie, videmus nunc per speculum in aenigmate, tunc autem facie ad faciem : on l'appelle aussi vision béatifique.

Quelques hérétiques, comme les Anoméens, les Bégards, & les Béguines, & parmi les grecs modernes, les Palamites ou Quiétistes du mont Athos, se sont vantés de parvenir à la vision intuitive de Dieu par les seules forces de la nature. Ces erreurs ont été condamnées, & en particulier celle des Bégards & Béguines, par le concile général de Vienne, tenu sous Clément V. en 1311.

En effet, il est clair que si pour les oeuvres méritoires qui sont les moyens du salut, l'homme a nécessairement besoin de la grace, à plus forte raison a-t-il besoin d'un secours surnaturel pour le salut même, qui n'est autre chose que la vision béatifique. Les Théologiens appellent ce secours surnaturel, qui supplée à la foiblesse de notre intelligence, & qui nous éleve à la vision intuitive de Dieu, lumiere de gloire, lumen gloriae ; parce qu'elle sert à la vision de Dieu, dans laquelle consiste la gloire & le bonheur des saints.

L'Eglise catholique pense que les justes à qui il ne reste aucun péché à expier, jouissent de la vision intuitive de Dieu dès l'instant de leur mort, & que les ames de ceux qui meurent sans avoir entierement satisfait à la justice de Dieu pour la peine temporelle dûe à leurs péchés, ne parviennent à cette béatitude qu'après les avoir expiés dans le purgatoire.

Les Millénaires avoient imaginé que les justes ne verroient Dieu qu'après avoir regné mille ans sur la terre avec Jesus-Christ, & passé ce tems dans toutes sortes de voluptés corporelles, selon quelques-uns d'entr'eux, ou, selon les autres, dans des délices pures & spirituelles. Voyez MILLENAIRES.

Au commencement du xiv. siecle, le pape Jean XXII. pencha pour l'opinion qui soutient que les saints ne jouissent de la vision intuitive qu'après la résurrection des corps ; il l'avança même dans quelques sermons ; au-moins il desira qu'on la regardât comme une opinion problématique. Mais il ne décida jamais rien sur cette matiere en qualité de souverain pontife, & rétracta même aux approches de la mort, ce qu'il avoit pu dire ou penser de moins exact sur cette question.

Quoiqu'il ne répugne pas que Dieu puisse accorder dès cette vie à un homme la vision béatifique, on convient pourtant généralement qu'il n'en a jamais favorisé aucune créature vivante sur la terre, ni Moïse, ni Elie, ni S. Paul, ni même la sainte Vierge : tout ce qu'on avance au contraire est destitué de fondement.

Quant à la vision compréhensive, on sent que Dieu seul peut se connoître de toutes les manieres dont il peut être connu, & que l'esprit humain, de quelque secours surnaturel qu'on le suppose aidé, ne peut parvenir à ce suprême degré d'intelligence qui l'égaleroit à Dieu quant à la science & à la connoissance.

VISION CELESTE de Constantin, (Hist. eccles.) c'est ainsi qu'on nomme la vision d'une croix lumineuse, qui, au rapport de plusieurs historiens, apparut à l'empereur Constantin, surnommé le grand, quand il eut résolu de faire la guerre à Maxence.

Comme il n'y a point de tradition plus célebre dans l'histoire ecclésiastique que celle de cette vision céleste, & que plusieurs personnes la croyent encore incontestable, il importe beaucoup d'en examiner la vérité ; parce qu'il y a quantité d'autres faits, que les historiens ont répétés à la suite les uns des autres, & qui discutés critiquement, se sont trouvés faux ; ce fait-ci peut être du nombre. Plusieurs savans en sont convaincus ; & M. de Chaufepié lui-même, après un mûr examen de l'histoire du signe céleste de Constantin, n'a pu s'empêcher d'avouer, que les argumens qu'on a employés à sa défense, ne sont point assez forts pour exclure le doute, & que les témoins qu'on allegue en sa faveur, ne sont ni persuasifs, ni d'accord entr'eux ; c'est ce que cet habile théologien des Provinces-Unies, a entrepris de justifier dans son dictionnaire historique & critique, par une dissertation également curieuse & approfondie, dont nous allons donner le précis.

Pour prouver que les témoins qui déposent en faveur du fait en question, ne sont ni sûrs, ni d'accord entr'eux, le lecteur n'a qu'à se donner la peine de confronter leurs témoignages. Je commencerai pour abréger, par citer en françois le rapport d'Eusebe, Vie de Constantin, l. I. c. xxviij. 31.

Cet historien après avoir dit que Constantin résolut d'adorer le Dieu de Constance son pere, & qu'il implora la protection de ce Dieu contre Maxence, il ajoute : " Pendant qu'il faisoit cette priere, il eut une merveilleuse vision, & qui paroîtroit peut-être incroyable si elle étoit rapportée par un autre. Mais, puisque ce victorieux empereur nous l'a racontée lui même, à nous qui écrivons cette histoire long-tems après, lorsque nous avons été connus de ce prince, & que nous avons eu part à ses bonnes graces, confirmant ce qu'il disoit par serment ; qui pourroit en douter, sur-tout l'événement en ayant confirmé la vérité ? Il assuroit qu'il avoit vu dans l'après-midi, lorsque le soleil baissoit, une croix lumineuse au-dessus du soleil, avec cette inscription : , vainquez par ce signe : que ce spectacle l'avoit extrêmement étonné, de même que tous les soldats qui le suivoient, qui furent témoins du miracle. Que tandis qu'il avoit l'esprit tout occupé de cette vision, & qu'il cherchoit à en pénétrer le sens, la nuit étant survenue, Jesus-Christ lui étoit apparu pendant son sommeil avec le même signe qu'il lui avoit montré le jour dans l'air, & lui avoit commandé de faire un étendard de la même forme, & de le porter dans les combats pour se garantir du danger. Constantin s'étant levé dès la pointe du jour, raconta à ses amis le songe qu'il avoit eu ; & ayant fait venir des orfévres & des lapidaires, il s'assit au milieu d'eux, leur expliqua la figure du signe qu'il avoit vu, & leur commanda d'en faire un semblable d'or & de pierreries ; & nous nous souvenons de l'avoir vu quelquefois ".

Dans le chapitre suivant, qui est le xxjx. Eusebe décrit cet étendard auquel on donna le nom de labarum, & dont nous avons parlé en son lieu. Dans le chapitre xxxij. il raconte que Constantin tout rempli d'étonnement par une si admirable vision, fit venir les prêtres chrétiens, & qu'instruit par eux, il s'appliqua à la lecture de nos livres sacrés, & conclut qu'il devoit adorer avec un profond respect le Dieu qui lui étoit apparu. Que l'espérance qu'il eut en sa protection, l'excita bien-tôt après d'éteindre l'embrasement qui avoit été allumé par la rage des tyrans.

Le témoignage de Rufin ne nous arrêtera pas, parce qu'il n'a fait que traduire en latin l'histoire ecclésiastique d'Eusebe, & en y retranchant plusieurs choses à sa guise.

Socrate est le troisieme historien qui nous parle de cette merveille, hist. ecclés. t. I. c. ij. " Constantin, dit-il, commença à chercher les moyens de mettre fin à la tyrannie de Maxence.... Pendant que son esprit étoit partagé de la sorte, il eut une vision merveilleuse, & qui surpassoit tout ce qu'on peut dire. Comme il marchoit à la tête de ses troupes, il vit dans le ciel l'après-midi, lorsque le soleil commençoit à baisser, une colonne de lumiere en figure de croix, , sur laquelle étoient écrits ces mots : , vainquez par ceci. L'empereur étonné d'un pareil prodige, & ne s'en rapportant pas entierement à ses propres yeux, demanda à ceux qui étoient présens s'ils avoient vu le même signe. Quand ils lui eurent répondu qu'oui, cette divine & merveilleuse vision le confirma dans la créance de la vérité. La nuit étant survenue, il vit Jesus-Christ qui lui commanda de faire un étendard sur le modele de celui qu'il avoit vu en l'air, & de s'en servir contre ses ennemis, comme du gage le plus certain de la victoire, . Suivant cet oracle, il fit faire un étendard en forme de croix, lequel on conserve encore aujourd'hui dans le palais des empereurs. Rempli depuis ce moment de confiance, il travailla à l'exécution de ses desseins, & ayant attaqué l'ennemi aux portes de Rome, il remporta la victoire, Maxence étant tombé dans le fleuve, & s'étant noyé ; il étoit dans la septieme année de son regne, lorsqu'il triompha de Maxence. "

Sozomene autre historien ecclésiastique, n'a pas oublié le même fait ; mais il le raconte différemment, hist. ecclés. l. I. c. iij. en citant en même tems le récit d'Eusebe : " Constantin, dit-il, ayant résolu de faire la guerre à Maxence, songea de qui il pourroit implorer la protection. Tout occupé de ses pensées, il vit en songe la croix dans le ciel toute resplendissante, : étonné de cette apparition, les anges qui l'environnerent, lui dirent : Constantin, remportez la victoire par ce signe ; . On dit même que Jesus-Christ lui apparut, & que lui ayant montré l'étendard de la croix, il lui commanda d'en faire faire un semblable, & de s'en servir dans les combats pour vaincre ses ennemis ".

Philostorge qui a écrit une histoire ecclésiastique sous Théodose le jeune, dont Photius nous a conservé l'extrait, parle aussi, l. I. c. vj. de l'apparition du signe céleste, & la raconte autrement. Il dit que Constantin vit le signe de la croix vers l'Orient, & que ce signe étoit formé d'un tissu de lumiere fort étendu, & accompagné d'une multitude d'étoiles arrangées de façon qu'elles traçoient en langue latine ces paroles : Vainquez par ce signe, .

Nicéphore Caliste, hist. ecclés. l. VIII. c. iij. a copié à sa maniere Philostorge en partie, & pour le reste Socrate presque mot à mot. Il renchérit néanmoins sur les autres historiens, & multiplie les merveilles ; car outre la premiere apparition, Constantin, si on l'en croit, en a eu deux autres encore. Dans l'une il vit les étoiles arrangées de façon qu'elles formoient ces mots : : " Invoque-moi au jour de ta détresse, je t'en délivrerai, & tu me glorifieras ". Frappé d'étonnement, il leva encore les yeux au ciel, & il vit de nouveau la croix formée par des étoiles, & une inscription autour, en ces termes : : Par ce signe tu vaincras tous tes ennemis ; ce qui lui rappella d'abord ce qui lui étoit arrivé auparavant. Le lendemain il fit sonner la charge, & livra bataille aux Byzantins, qu'il vainquit heureusement, & se rendit maître de leur ville, ayant fait porter l'étendard de la croix dans le combat.

Photius, bibl. cod. 256. nous a conservé le témoignage d'un septieme écrivain, qui n'a rien dit de particulier, sinon que Constantin enrichit de pierreries la croix qui lui étoit apparue, & la fit porter devant lui dans le combat contre Maxence.

La narration de Lactance, de mortib. persec. c. xliv. est plus étendue que celle de ses prédécesseurs, & en differe en plusieurs points. Il est dit, par exemple, que Constantin averti en songe de mettre sur les boucliers de ses soldats la divine image de la croix, & de livrer bataille, exécuta ce qui lui étoit prescrit, & fit entrelacer la lettre X dans le monogramme de Christus, pour être marquée sur tous les boucliers. Maxence fut battu, trouva le pont rompu, & se trouvant pressé par la multitude des fuyards, il tomba dans le Tibre, & s'y noya.

Je ne sais si l'on doit mettre au rang des témoins, Arthemius à qui Julien fit trancher la tête, & à qui Métaphraste & Surius (sur le 20 Octobre) font dire que le signe de la croix étoit plus brillant que les rayons du soleil ; que les caracteres étoient dorés, & indiquoient la victoire ; assurant qu'il a été témoin oculaire de cette merveille ; qu'il a lu les lettres, & que toute l'armée a vu cet étonnant prodige.

Après avoir rapporté les témoignages des historiens, il s'agit de les peser : sur-quoi l'on doit préalablement observer deux choses. I. Qu'on ne produit d'autres témoins que des chrétiens, dont la déposition peut être suspecte dans ce cas. II. Que ces témoins ne sont nullement d'accord entr'eux, & qu'ils rapportent même des choses opposées.

I. On ne produit d'autres témoins que des chrétiens, dont la déposition peut être suspecte dans ce cas, parce qu'il s'agit d'un fait qui fait honneur à leur religion, & qui en prouve la divinité. Si ce merveilleux phénomène a été vu, non-seulement de Constantin & de ses amis, mais de toute son armée, d'où vient qu'aucun auteur païen n'en a fait mention ? Que Zozime n'en eût rien dit, il ne faudroit pas en être surpris, cet écrivain ayant quelquefois pris à tâche de diminuer la gloire de Constantin. Mais comment n'en trouve-t-on pas le mot dans le panégyrique de Constantin, prononcé en sa présence à Treves, lorsqu'après avoir vaincu Maxence, il retourna dans les Gaules & sur le Rhin ? L'auteur de ce panégyrique parle en termes magnifiques de toute la guerre contre Maxence, & garde en même tems un profond silence sur la vision dont il s'agit : ce silence est fort étrange !

Nazaire autre rhéteur, qui dans son panégyrique, parle si éloquemment de la guerre contre Maxence, de la clémence dont Constantin usa après la victoire, & de la délivrance de Rome, ne dit rien de la vision que toute l'armée doit avoir vue, tandis qu'il rapporte que par toutes les Gaules on avoit vu des armées célestes, qui prétendoient être envoyées pour secourir Constantin.

Non-seulement cette vision surprenante a été inconnue aux auteurs païens, mais à trois écrivains chrétiens contemporains de Constantin, & qui avoient la plus belle occasion d'en parler. Le premier est Publius Optatianus Porphyre, poëte chrétien, qui publia un panégyrique de Constantin en vers latins, dans lequel il fait mention plus d'une fois du monogramme de Christ, qu'il appelle le signe céleste ; mais l'apparition de la croix au ciel lui est inconnue. Lactance est le second, & son témoignage est recommandable par toutes sortes de raisons, tant à cause de la pureté de ses moeurs, de son érudition, & de son éloquence, qu'à cause qu'il a été parfaitement instruit de tout ce qui regarde Constantin, ayant été précepteur de Crispus fils de cet empereur. Dans son Traité de la mort des persécuteurs, qu'il écrivit vers l'an 314, deux ans après l'apparition dont il s'agit, il n'en fait aucune mention. Il rapporte seulement que Constantin fut averti en songe de mettre sur les boucliers de ses soldats la divine image de la croix, & de livrer bataille. Mais Lactance auroit-il raconté un songe, dont la vérité n'avoit d'autre appui que le témoignage de Constantin, & auroit-il passé sous silence un prodige qui avoit eu toute l'armée pour témoin ?

Il y a plus, Eusebe lui-même ne parle point de cette merveille dans tout le cours de son Histoire ecclésiastique, & sur-tout dans le chapitre ix. du livre IX. où il rapporte fort au long les exploits de Constantin contre Maxence. Ce n'est que dans la vie de cet empereur, écrite long-tems après, qu'il raconte cette merveille, sur le témoignage de Constantin seul. Comment concevoir qu'une vision si admirable, vue de tant de milliers de personnes, & si propre à justifier la vérité de la religion chrétienne, ait été inconnue à Eusebe, historien si soigneux de rechercher tout ce qui pouvoit contribuer à faire honneur au christianisme ; & tellement inconnue, que ce n'a été que plusieurs années après qu'il en a été informé par Constantin ? N'y avoit-il donc point de chrétiens dans l'armée de Constantin qui fissent gloire publiquement d'avoir vu un pareil prodige ? auroient-ils eu si peu d'intérêt à leur cause, que de garder le silence sur un si grand miracle ? Doit-on après cela, être surpris que Gélase de Cyzique, un des successeurs d'Eusebe dans le siege de Césarée, au cinquieme siecle, ait dit que bien des gens soupçonnoient que ce n'étoit là qu'une fable, inventée en faveur de la religion chrétienne ? Hist. de act. conc. Nic. c. iv.

On dira peut-être que selon les maximes du droit, on doit plus de foi à un seul témoin qui affirme, qu'à dix qui nient ; & qu'il suffit qu'Eusebe ait rapporté ce fait dans la vie de Constantin, & que quantité d'autres écrivains l'aient rapporté après lui. Mais on doit se souvenir aussi que selon les maximes du droit, il est nécessaire de confronter les témoins, & que lorsqu'ils se contredisent, il faut ajouter foi au plus grand nombre, & aux plus graves.

II. Les témoins ne sont nullement d'accord entr'eux, & rapportent même des choses opposées. Ils ne sont pas d'accord sur les personnes à qui cette merveille est apparue ; presque tous assurent qu'elle a été vue de Constantin & de toute son armée. Gélase ne parle que de Constantin seul : . Ils different encore sur le tems de la vision ; Philostorge dit que ce fut lorsque Constantin remporta la victoire sur Maxence ; d'autres prétendent que ce fut auparavant, lorsque Constantin faisoit des préparatifs pour attaquer le tyran, & qu'il étoit en marche avec son armée.

Les auteurs ne s'accordent pas davantage sur la vision même ; le plus grand nombre n'en reconnoissant qu'une, & encore en songe, ; il n'y a qu'Eusebe, suivi par Socrate, Nicéphore & Philostorge, qui parlent de deux, l'une que Constantin vit de jour, & l'autre qu'il vit en songe, servant à confirmer la premiere.

L'inscription offre de nouvelles différences ; Eusebe dit qu'on lisoit , d'autres ajoutent la particule ; d'autres ne parlent point d'inscription. Selon Philostorge & Nicéphore, elle étoit en caracteres latins ; les autres n'en disent rien, & semblent par leur récit supposer que les caracteres étoient grecs. Philostorge assure que l'inscription étoit formée par un assemblage d'étoiles ; Artemius dit que les lettres étoient dorées ; l'auteur cité comme septieme témoin, les représente composées de la même matiere lumineuse que la croix. Selon Sozomène il n'y avoit point d'inscription, & ce furent les anges qui dirent à Constantin : Remportez la victoire par ce signe.

Enfin les historiens ne sont pas plus d'accord sur les suites de cette vision. Si l'on s'en rapporte à Eusebe, Constantin aidé du secours de Dieu, remporta sans peine la victoire sur Maxence. Mais selon Lactance, la victoire fut fort disputée ; on se battit de part & d'autre avec beaucoup de courage, & ni les uns ni les autres ne lâcherent le pié. Il dit même que les troupes de Maxence eurent quelque avantage avant que Constantin eût fait approcher son armée des portes de Rome. Si l'on en croit Eusebe, depuis cette époque Constantin fut toujours victorieux, & opposa à ses ennemis comme un rempart impénétrable, le signe salutaire de la croix.

Sozomène assure aussi ce dernier fait ; cependant un auteur chrétien, dont M. de Valois a rassemblé des fragmens, ad calcem Ammian. Marcellin. p. 473, 475. rapporte que dans les deux batailles que Constantin livra à Licinius, la victoire fut douteuse, & que même Constantin reçut une légere blessure à la cuisse. Selon Nicéphore, Hist. ecclés. l. VII. c. xlvij. tant s'en faut que Constantin ait toujours été heureux depuis cette apparition, & qu'il ait toujours fait porter l'enseigne de la croix, qu'au contraire il combattit deux fois les Bizantins sans l'avoir, & ne s'en seroit pas même souvenu, s'il n'eût perdu neuf mille hommes, & si la même vision ne lui étoit apparue une seconde fois, avec une inscription bien plus claire, & plus nette encore : Par ce signe tu vaincras tous tes ennemis. Constantin n'auroit pas sans-doute compris la premiere, vainquez par ceci, sans une explication précédée encore d'un autre avertissement formé par l'arrangement des étoiles, contenant ces paroles du pseaume l. invoque-moi, &c. Philostorge assure que la vision de la croix, & la victoire remportée sur Maxence, déterminerent Constantin à embrasser la foi chrétienne. Mais Rufin dit qu'il favorisoit dejà la religion chrétienne, & honoroit le vrai Dieu ; & l'on sait cependant qu'il ne reçut le baptême que peu de jours avant que de mourir, comme il paroît par le témoignage de S. Athanase (Athanas. de synod. p. 917.), de Socrate (l. II. c. xlvij.) de Philostorge (l. VI. c. vj.), & de la chronique d'Alexandrie (chron. Alexand. p. 684. édit. Rav.)

Dans une si grande variété de récits, à qui doit-on s'en rapporter, si ce n'est au plus grand nombre, & à ceux dont la narration est la plus simple ? Sur ce pié là, il faut abandonner Eusebe, le fabuleux Nicéphore, & Philostorge que Photius appelle menteur, , qui parlent d'une apparition arrivée de jour, & s'en tenir à la vision en songe.

Nous pourrions nous borner à ces courtes réflexions sur le caractere des témoins en général ; mais par surabondance de droit, nous discuterons l'autorité des principaux ; celle d'Eusebe comme historien, & celle d'Artemius & de Constantin comme témoins oculaires.

Commençons par Eusebe qui a donné le ton à tous les autres historiens sur ce sujet. Nous n'adopterons pas le soupçon de quelques savans qui doutent qu'il soit l'auteur de la Vie de Constantin ; nous ne nous prévaudrons pas non plus ici, de ce qu'Eusebe ne parle point d'une chose dont il ait été lui-même témoin, & de ce qu'il ne raconte le fait que sur le seul témoignage de Constantin ; nous ferons valoir seulement la maxime des jurisconsultes, qui dit : Personne ne peut produire comme témoin celui à qui il peut ordonner d'en faire la fonction, tel qu'est un domestique, ou tel autre qui lui est soumis. Mais Eusebe n'est-il pas un témoin de cet ordre ? N'est-ce pas par le commandement de Constantin qu'il a écrit la vie, ou pour mieux dire le panégyrique de ce prince ? N'est-ce pas un témoin qui dans cet ouvrage, revêt par-tout le caractere de panégyriste, plutôt que celui d'historien ? N'est-ce pas un écrivain qui a supprimé soigneusement tout ce qui pouvoit être desavantageux & peu honorable à son héros ? Il passe sous silence le rétablissement du temple de la Concorde, dont on voyoit la preuve par une inscription qui se lisoit du tems de Lilio Giraldi, dans la basilique de Latran. Il ne dit rien de la mort de Crispus fils de Constantin, que cet empereur fit périr sur de faux & de légers soupçons : pas un mot de la mort de Faustine, étouffée dans un bain, quoique Constantin lui fût redevable de la vie ; sans parler de quantité d'autres faits qu'un historien uniquement attentif à dire la vérité, n'auroit pas obmis. Il est donc bien permis d'en appeller d'Eusebe courtisan, flatteur & panégyriste, à Eusebe historien à qui ce prodige a été inconnu, jusqu'au tems qu'il eut la commission de publier les louanges de Constantin.

Artemius ne nous paroîtra pas plus digne de foi ; voici le langage qu'on lui fait tenir à Julien. Ad Christum declinavit Constantinus, ab illo vocatus quando difficillimum commisit praelium adversus Maxentium. Tunc enim, & in meridie, apparuit signum crucis radiis solis splendidius, & litteris aureis belli significans victoriam. Nam nos quoque aspeximus, cum bello interessemus, & litteras legimus ; quin etiam totus quoque, id est contemplatus exercitus, & multi hujus sunt testes in exercitu. Mais tout ce beau discours ne porte que sur la foi de Métaphraste, auteur fabuleux, chez qui l'on trouve les actes d'Artemius, que Baronius prétend à tort de pouvoir défendre ; en même tems qu'il avoue qu'on les a interpolés.

Reste le témoignage de Constantin lui-même, qui a raconté le fait, & qui a confirmé son récit par serment. Tout semble d'abord donner du poids à un pareil témoignage ; la dignité de ce prince ; ses exploits ; sa constance ; sa religion ; enfin c'est un témoin oculaire qui confirme son assertion par serment. Que peut-on demander de plus, & sur quels fondemens s'élever contre un témoignage de ce caractere ? Je réponds, sur des fondemens appuyés de très-fortes raisons, & je vais entreprendre de prouver : I. que le serment de Constantin n'est pas d'un aussi grand poids qu'on le prétend : II. qu'il étoit tout-à-fait de l'interêt de Constantin d'inventer un fait de cette espece : III. qu'il rapporte de lui-même des choses qui ne lui conviennent point : IV. qu'il attribue à notre seigneur J. C. des choses indignes de lui.

I. Je dis que le serment de Constantin dans ce cas, n'est pas d'un aussi grand poids qu'on le prétend. Supposons d'abord qu'il l'a fait de bonne foi & dans la simplicité de son ame ; comme ce n'a été que fort long-tems après qu'il a raconté la vision qu'il avoit eue de jour, & le songe qu'il avoit fait la nuit suivante, on peut fort bien penser, sans faire tort à la probité d'un prince vertueux, qu'ayant perdu en partie le souvenir des circonstances d'un fait arrivé depuis si long-tems, il y a ajouté, retranché, & a confondu les choses sans aucune mauvaise intention, & qu'en conséquence il a cru pouvoir affirmer par serment, ce qu'une mémoire peu fidele lui fournissoit.

Par exemple, il pourroit avoir vu un phénomène naturel, une parhélie, ou halo-solaire, comme le prétendent quelques savans ; ensuite il auroit peut-être vu en songe l'inscription , & confondant les tems & les circonstances, il auroit cru avoir vu l'inscription de jour. Cependant diverses raisons ne nous permettent pas de taxer dans cette occasion, Constantin d'un simple défaut de mémoire.

En premier lieu, c'est ici un serment fait en conversation familiere, qui peut avoir été l'effet d'une mauvaise habitude, & non l'effet de la réflexion & d'une mure délibération, ce qui seul peut lui donner du poids.

Secondement, c'est un serment nullement nécessaire. S'il eût été question de son songe, comme l'empereur n'avoit d'autre preuve à alléguer que sa parole, on conçoit que le serment pouvoit être d'usage ; mais s'agissant d'un prodige qui devoit être fort connu, puisqu'il avoit été vu de toute l'armée, qu'étoit-il besoin de serment pour confirmer un fait public, & qu'un grand nombre de témoins oculaires pouvoient attester ? C'est sans contredit une chose étonnante, que Constantin ait craint de n'en être pas cru à moins qu'il ne fît serment, & qu'Eusebe ne se soit informé du fait à aucun des officiers, ou des soldats de l'armée, qui sans doute n'étoient pas tous morts ; ou que s'il s'étoit informé, il n'en ait rien dit dans la vie de Constantin, pour appuyer le récit de ce prince.

En troisieme lieu, quoique les auteurs chrétiens aient prodigué les plus grands éloges à Constantin, & qu'ils aient donné les plus hautes idées de sa piété, il est certain néanmoins qu'il n'étoit pas aussi vertueux qu'il le faudroit pour mériter une entiere foi de la part de ceux qui jugent sainement du prix des choses.

Sans adopter le sentiment de quelques savans, qui ne prétendent pas à la légere que ce prince étoit plus payen que chrétien, nous avons bien assuré qu'il étoit chrétien plutôt de nom que d'effet. Il a donné plus d'une preuve de son hypocrisie, & de son peu de piété. Quel christianisme que celui d'un prince qui fit rebâtir à ses dépens un temple idolâtre, ruiné par l'ancienneté ; un prince chrétien qui fit périr Crispus son fils, déjà décoré du titre de César, sur un léger soupçon d'avoir commerce avec Fauste sa belle-mere, qui fit étouffer dans un bain trop chauffé cette même Fauste son épouse, à qui il étoit redevable de la conservation de ses jours ; qui fit étrangler l'empereur Maximien Herculius, son pere adoptif ; qui ôta la vie au jeune Licinius, son beau-frere, qui faisoit paroître de fort bonnes qualités ; qui, en un mot, s'est deshonoré par tant de meurtres, que le consul Ablavius appelloit ces tems-là néroniens. On pourroit ajouter qu'il y a d'autant moins de fonds à faire sur le serment de Constantin, qu'il ne s'est pas fait une peine de se parjurer, en faisant étrangler Licinius, à qui il avoit promis la vie par serment. Au reste toutes ces actions de Constantin sont rapportées dans Eutrope, l. X. c. iv. Zosim. l. II. c. xxix. Oros. lib. VII. cap. xxviij. S. Jerôme, in chron. ad ann. 321, Aurelius Victor, in epit. c. l. &c.

II. Il étoit de l'intérêt de Constantin d'inventer un fait de cette espece dans les circonstances où il se trouvoit, & sa politique raffinée le lui suggéroit. Il avoit reçu des députés des villes d'Italie, & de Rome même, pour implorer son secours contre la tyrannie de Maxence. Il souhaitoit fort d'aller les délivrer, d'acquérir de la gloire, & sur-tout un plus grand empire. La crainte s'étoit emparée de ses soldats. Les chefs de son armée murmuroient d'une guerre entreprise avec des forces fort inférieures à celles que Maxence avoit à leur opposer ; de sinistres présages annonçoient des malheurs. A quoi se résoudre dans de pareilles conjonctures ? Renoncer à la guerre projettée ? il ne le pouvoit après l'avoir lui-même déclarée à Maxence. Demandera-t-il la paix au tyran ? mais il ne peut l'espérer qu'en renonçant à l'empire, ce qui ne convenoit ni à son honneur, ni à sa sureté. D'ailleurs, son ambition étoit si grande, que dans la suite il ne put, ni ne voulut souffrir de compagnon. Il crut donc devoir user d'adresse, & il ne trouva rien de meilleur & de plus avantageux, que de se concilier les chrétiens qui étoient en très-grand nombre, non-seulement dans les Gaules, où Constance Chlore, pere de Constantin, les avoit favorisés, mais encore en Italie, & à Rome même où regnoit Maxence.

Dès le tems de Marc-Aurele les légions étoient remplies de chrétiens, & on prétend qu'il y en avoit qui étoient toutes entieres composées de chrétiens. Sous Septime Severe & son fils Antonin Caracalla, ils furent admis aux charges. Alexandre Severe pensa à élever un temple à Jésus-Christ, & à le mettre au rang des dieux. Philippe favorisa tellement les chrétiens, qu'Eusebe & d'autres auteurs ont cru qu'il l'étoit lui-même, & Constance Chlore, pere de Constantin, les avoit protégés dans les pays de sa domination. C'étoit donc un trait de politique de se les attacher ; Maxence avoit employé déjà le même artifice au commencement de son regne. " Maxence, dit Eusebe, hist. ecclés. l. VIII. c. xiv. ayant usurpé à Rome la souveraine puissance, feignit d'abord pour flatter le peuple, de faire profession de notre religion, de nous vouloir traiter favorablement, & d'user d'une plus grande clémence que n'avoient fait ses prédécesseurs : mais bien-tôt après, il démentit les belles espérances qu'il avoit données ". Constantin supposa donc un songe où la croix lui étoit apparue, afin de se concilier l'affection des chrétiens répandus dans toutes les provinces de l'empire, de donner du courage à ses soldats, & d'attirer le peuple dans son parti. C'est ainsi que quelque tems après Licinius, pour encourager son armée contre Maximin, supposa qu'un ange lui avoit dicté en songe une priere qu'il devoit faire avec son armée.

III. Constantin rapporte de lui-même des choses qui ne lui conviennent point. A l'en croire, il ignore ce que veut dire la croix ; il ne comprend rien à l'apparition, il y pense & repense, & il faut que Jésus-Christ lui apparoisse en songe pour l'en instruire. Qui ne croiroit sur ce récit que les chrétiens étoient entierement inconnus à Constantin, dumoins qu'il ignoroit que la croix étoit comme leur enseigne, & qu'ils s'en servoient par-tout, jusques-là qu'on leur attribuoit déjà, du tems de Tertullien, de l'adorer ? Cependant Constance, pere de Constantin, avoit favorisé les chrétiens, & Constantin lui-même, né d'une mere chrétienne, passoit déjà pour l'être avant que de triompher de Maxence.

IV. Enfin il attribue à nôtre Seigneur Jésus-Christ des choses indignes de lui. Jésus-Christ lui ordonne de se servir de ce signe pour combattre ses ennemis, & comme d'un rempart contre eux. Mais qui ne voit tout ce qu'il y a ici de superstitieux, comme si la croix étoit une espece d'amulete qui eût une vertu secrette ? Il y a plus ; Constantin lui-même n'obéit point dans la suite à cet ordre divin, puisqu'il combattit deux fois ceux de Bizance sans avoir le signe de la croix, & il en avoit entierement perdu le souvenir ; il fallut une perte de neuf mille hommes, & une nouvelle vision pour lui en rappeller la mémoire.

Qui peut douter à présent que l'apparition prétendue du signe céleste ne soit une fraude pieuse que Constantin imagina, pour favoriser le succès de ses desseins ambitieux ?

Cette ruse a cependant fait une longue fortune, & n'a pas même été soupçonnée de fausseté par d'habiles gens du dernier siecle & de celui-ci. Je trouve dans le nombre de ceux qui y ont ajouté fortement & religieusement foi, le célebre Jacques Abbadie, & le pere Grainville. Le premier a soutenu la vérité de la vision céleste de Constantin, dans son ouvrage intitulé triomphe de la providence ; & le second dans une dissertation insérée dans le journal de Trévoux, Juin 1724, art. 48.

On peut réduire à six chefs tout ce que le doyen de Killalow allegue avec l'éloquence véhémente qui lui est propre en faveur de sa cause.

I. Il cite le témoignage de quantité d'auteurs de toute tribu, langue & nation, anglois, françois, espagnols, italiens, allemands, tant anciens que modernes, catholiques romains, comme Godeau, évêque de Grasse, & protestans, comme le Sueur, qui croyent tous la vérité de l'apparition.

Mais premierement cette croyance n'a pas été aussi unanime que le pretend M. Abbadie, puisque dès le cinquieme siecle, Gélaze de Cyzique disoit que bien des gens soupçonnoient que c'étoit une fraude pieuse pour accréditer la réligion chrétienne. 2°. Quand cette croyance seroit encore plus universelle, on n'en pourroit rien conclure, parce qu'il y a quantité de fables auxquelles personne n'a contredit pendant plusieurs siecles, & qui ont été reconnues pour telles quand on s'est donné la peine de les examiner.

II. M. Abbadie fait valoir le témoignage des Ariens tant anciens, comme Eusebe, un de leurs chefs, & Philostorge leur historien & leur avocat, que modernes, entre lesquels il met Grotius.

Le doyen de Killalow s'imagine que les Ariens avoient un intérêt capital à contester la vérité de la vision de Constantin. On pourroit répondre bien des choses à ce sujet.

1°. L'argument n'est rien moins que concluant : Dieu a promis à Constantin la victoire en lui montrant le signe de la croix au ciel : donc douze ans après, cet empereur n'a pu errer dans la foi. La vision n'étoit pas destinée à lui assurer une foi inébranlable, mais la victoire sur ses ennemis.

2°. Quel rapport la croix de Christ a-t-elle à l'erreur des Ariens ? Comment sert-elle à les confondre ? Condamnoient-ils, ou rejettoient-ils la croix du Sauveur ? Est-ce que de ce que Jésus-Christ a été crucifié, ou a fait voir la croix à Constantin, il s'ensuit qu'il est consubstantiel () au pere.

3°. Tant s'en faut que les Ariens aient regardé la vision de Constantin, comme défavorable à leur cause, qu'ils ont prétendu le contraire, en observant, comme le reconnoît M. Abbadie, que le signe céleste étoit tourné vers l'Orient, le centre de l'arianisme.

4°. M. Abbadie s'est trompé sur le témoignage de Grotius ; car ce savant étoit un de ceux qui ne croyoient point la vérité de l'apparition céleste à Constantin.

III. M. Abbadie allegue le silence de Zosime & de l'empereur Julien, qui, si le fait en question n'avoit pas été incontestable, n'auroit pas manqué de relever Eusebe, & de convaincre publiquement les chrétiens d'imposture. Mais pourquoi Zosime, historien payen, devoit-il relever Eusebe ? Est-ce que son but en écrivant son histoire, a été de réfuter en tout l'historien de l'Eglise ? D'ailleurs ce qu'Eusebe a écrit de la vision de Constantin, se trouve-t-il dans son histoire ecclésiastique ? Zosime auroit dû aussi réfuter sur ce pié-là, tout ce qui se trouve dans les autres panégyriques faits à l'honneur de Constantin.

Par quelle raison encore Julien devoit-il réfuter Eusebe ? il n'a pas écrit l'histoire, & on ne prouve pas qu'il ait lu le panégyrique qu'Eusebe a fait de Constantin ; supposé qu'il l'ait lu, il faudroit faire voir qu'il l'a pris pour une histoire, & non pour ce qu'il est véritablement un panégyrique. Julien n'a pas réfuté cette prétendue merveille, soit parce qu'elle lui étoit inconnue, soit parce qu'il n'a pas voulu s'en donner la peine, ou plutôt parce qu'il n'ajoutoit aucune foi à la vision, comme il paroît par le changement qu'il fit au labarum.

Si Julien avoit cru que cette enseigne militaire avoit été sur le modele d'un signe céleste, & qu'elle avoit servi à Constantin à remporter tant de victoires, pourquoi ce prince, qui étoit ambitieux & avide de gloire, n'auroit-il pas conservé le labarum, dont la vertu avoit été tant de fois éprouvée ? Ne devoit-il pas craindre qu'en changeant un signe fait par ordre du ciel même, il n'éprouvât des disgraces, & ne fût vaincu par ses ennemis ?

IV. Le savant doyen soutient que la vérité du fait en question s'est conservée en divers monumens : tels sont les vers de Prudence qui ne parlent que du labarum.

L'arc de triomphe que le sénat fit élever à Constantin après sa victoire sur Maxence, dans l'inscription duquel il est parlé de l'inspiration de la Divinité, ce qui néanmoins s'explique bien plus naturellement d'un songe que d'une apparition vue de jour.

La statue de Constantin, dont l'inscription, composée par ce prince même, porte que par ce signe salutaire, il a délivré la ville du joug de la tyrannie. Mais ni dans les vers de Prudence, ni sur l'arc de triomphe, ni sur la statue, il n'est parlé du signe céleste vu de jour ; preuve évidente que dans ce tems-là, Constantin ne se vantoit de rien de semblable ; qu'il ne prétendoit que faire valoir une ruse, un songe réel ou fictif, d'après lequel il ordonna qu'on fît le labarum. Il y a plus : si aux yeux de toute son armée, Constantin a vu en plein jour un signe céleste accompagné de caracteres lumineux & lisibles, d'où vient n'a-t-il pas gravé en termes clairs & précis une telle merveille sur l'arc de triomphe, ou dans l'inscription de la statue ? Ce prince si pieux, si reconnoissant, auroit-il négligé de transmettre sur le marbre & sur l'airain à la postérité un prodige attesté par toute son armée ?

V. Un autre argument que M. Abbadie presse, & sur lequel il paroît faire beaucoup de fond, parce qu'il y revient sous différens tours, est pris des vertus & des victoires continuelles de Constantin, qui depuis ce tems-là ne perdit aucune bataille, & ne trouva point d'ennemis qui lui résistassent. Mais nous avons déjà répondu à tous les préjugés du doyen de Killalow sur la gloire de Constantin, son mérite & ses vertus.

Nous avons prouvé qu'il étoit de la politique de cet empereur de se conduire ainsi. Il fit ôter sur les drapeaux les lettres initiales qui désignoient le sénat & le peuple romain, & fit mettre à la place le monogramme de Jésus-Christ, parce qu'il portoit par ce moyen les derniers coups à l'autorité de la nation ; Maxence lui-même jugea à-propos pendant quelque tems d'employer un pareil artifice. Nous avons vu que Constantin rapportoit tout à son intérêt, & qu'il ne craignoit pas beaucoup de se parjurer. Nous avons vu aussi que malgré son monogramme & sa vision, la victoire lui fut fort disputée dans les deux batailles qu'il livra à Licinius son beau-frere, & qu'il eut deux fois du dessous en combattant les Byzantins ; enfin quand nous supposerions (ce dont nous ne convenons point) que Constantin ait toujours été victorieux après l'apparition du signe céleste, il ne s'ensuit point de-là, qu'il n'a pas inventé (pour encourager ses troupes, & pour se concilier l'affection des chrétiens) le songe où il prétend avoir vu cette merveille.

On peut citer nombre d'impostures qui ont été couronnées d'heureux succès ; celle de Jeanne d'Arc surnommée la pucelle d'Orléans, n'étoit pas inconnue à M. Abbadie.

Cependant il s'écrie avec indignation : " quoi nous devrions à la folie des fictions la ruine des idoles, & l'illumination des nations " ? Et nous lui répondons, 1°. qu'on ne lit nulle part que les peuples se soient convertis en considération de cette apparition. Il est vrai que lorsque Constantin témoigna goûter le christianisme, nombre de personnes en firent profession, soit par conviction, soit pour plaire à l'empereur, ou entraînées par son exemple. Si le signe céleste a été vu de toute l'armée composée pour la plus grande partie de payens, d'où vient qu'un grand nombre des chefs & des soldats, sinon toute l'armée, n'ont pas embrassé la religion de Jésus-Christ ? 2°. Quand même un très-grand nombre de payens auroient en ce tems-là fait profession de l'Evangile, ce qui pourtant n'est rapporté nulle part, il ne seroit pas surprenant que leur conversion fût dûe à l'artifice.

VI. Enfin M. Abbadie se persuade que les prodiges qui rendirent inutiles les efforts de Julien pour le rétablissement du temple de Jérusalem, forment un témoignage confirmatif de l'apparition du signe céleste à Constantin.

Mais quand, pour abréger, nous accorderions au doyen de Killalow que les prodiges merveilleux qu'il a recueillis des historiens, sont réellement arrivés lorsque les Juifs entreprirent de rebâtir le temple, quelle liaison ont ces prodiges avec le signe dont Constantin s'est vanté ? De ce que le projet des Juifs favorisés par Alypius d'Antioche, ami de Julien, pour rétablir leur temple, a échoué, s'ensuit-il qu'il faut admettre la vérité de la vision du fils de Constance Chlore ? Ces deux choses n'ont aucun rapport ensemble ; Jesus-Christ a bien prédit la destruction entiere du temple de Jérusalem, mais non pas la vision de l'empereur Flav. Valer. Constantin.

Le P. de Grainville, après avoir défendu la vérité de la vision de Constantin par les témoignages des historiens ecclésiastiques, remarque que l'empereur raconta l'histoire de sa vision en présence de plusieurs évêques, qu'aucun auteur ancien ni moderne ne s'est inscrit en faux contre cette vision, & que plusieurs inscriptions antiques & des panégyriques anciens en font mention ; mais il croit sur-tout trouver des preuves incontestables de ce fait dans les médailles antiques.

Comme nous avons discuté déja les témoignages des historiens, des panégyriques & du consentement général, nous nous bornerons ici à la preuve que le P. Grainville tire des médailles, & sur laquelle roule principalement sa dissertation. Nous observerons seulement que nous ne connoissons aucun historien qui ait dit, comme le prétend ce jésuite, que Constantin raconta l'histoire de la vision en présence de plusieurs évêques, parmi lesquels se trouvoit Eusebe ; mais supposé que quelque auteur ancien l'ait dit, comment concilieroit-on son récit avec celui d'Eusebe même, qui nous assure que Constantin raconta cette histoire à lui seul, après qu'il fut entré dans la familiarité de ce prince ?

Les médailles que rapporte le P. Grainville, sont destinées à prouver la vérité de ces trois choses, qui sont remarquables dans la vision : 1°. la croix qui apparut à Constantin : 2°. l'assurance qu'on lui donna qu'il seroit vainqueur : 3°. le labarum, ou l'enseigne qu'il eut ordre de faire avec le monogramme de Jesus-Christ. Tout cela est exprimé, selon ce jésuite, dans les médailles de Constantin & de sa famille, dont les unes sont dans les cabinets d'antiquaires, & les autres dans le livre du pere Banduri. Mais ces trois choses ne prouvent pas le point en question, que Constantin a vu en plein jour le signe de la croix avec cette inscription : vainquez par cela. Ces trois choses peuvent être vraies, en supposant que Constantin a eu une vision en songe. Il y a plus, elles ne prouvent point même que l'empereur ait vu cette merveille en songe ; tout ce que l'on peut en inférer, c'est que Constantin a voulu faire croire que Dieu lui avoit envoyé un songe extraordinaire, dans lequel il avoit eu une pareille vision.

Nous avons démontré que Constantin étoit intéressé à inventer ce qui pouvoit inspirer de la terreur à ses ennemis, du courage à son armée, & lui concilier l'affection des chrétiens répandus dans l'empire. Nous avons fait voir aussi que le serment de cet empereur n'est pas d'un grand poids ; on sent donc aisément que les argumens tirés des médailles perdent toute leur force.

La premiere que cite le P. Grainville, est de petit bronze. On y voit le buste de Constantin couronné de pierreries, avec ces mots : Constantinus Max. Aug. au revers, gloria exercitus, deux figures militaires debout, tenant d'une main un bouclier appuyé contre terre, & de l'autre une pique, entr'eux deux une croix assez grande. Cette croix est, selon le P. Grainville, celle que Constantin avoit apperçue dans le ciel ; mais ne peut-ce pas être celle qu'il prétendoit avoir vue en songe ?

La seconde médaille aussi de petit bronze, représente le buste de Constantin couvert d'un casque, couronné de rayons, avec cette inscription : Imp. Constantinus Aug. au revers, Victoriae laetae Princ. Perp. Deux victoires debout, soutenant sur une espece d'autel, un bouclier, sur lequel est une croix. Cette croix est encore, selon le savant P. Grainville, celle que Constantin avoit vue de jour, & à laquelle il étoit redevable des victoires qu'il remporta sur Maxence. Mais ne peut-on pas répondre que cette croix est une preuve que Constantin vouloit répandre par-tout le bruit de son prétendu songe ? Ne pourroit-on pas conjecturer même que cette croix que désigne le nombre de X. marque les voeux décennaux ? Peut-être n'indique-t-elle que la valeur de la piece : ce qui pourtant n'est qu'une conjecture sur laquelle nous n'insistons pas, parce qu'on ne trouve point ce X. sur les médailles de cuivre.

Il n'y a rien dans la troisieme médaille qui mérite quelque attention, ni qui forme la moindre preuve.

La quatrieme encore de petit bronze, représente le buste de Constantin avec un voile sur la tête, & ces mots, Divo Constantino P. au revers, Aeterna Pietas ; une figure militaire debout un casque sur la tête, s'appuyant de la main droite sur une pique, & tenant à la main gauche un globe, sur lequel est le monogramme de Jesus-Christ. Ici le P. Grainville fait diverses remarques qui ne concluent rien sur la question dont il s'agit ; il semble même qu'il se trompe en attribuant à Constantin la piété éternelle marquée sur la médaille ; c'est plutôt celle de ses fils qui honoroient la mémoire de leur pere par cette monnoie.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur les médailles rapportées par le P. Grainville ; c'est assez de dire qu'il n'en est aucune qui prouve ce qu'il falloit prouver ; j'entends la réalité de la vision, ou la réalité même du songe.

La dissertation dont on vient de lire l'extrait, peut servir de modele dans toutes les discussions critiques de faits extraordinaires que rapportent les historiens. Ici la lumiere perce brillamment à-travers les nuages des préjugés ; il faut que tout cede à son éclat. (D.J.)


VISIR GRAND(Hist. turq.) premier ministre de la Porte ottomane ; voici ce qu'en dit Tournefort.

Le sultan met à la tête de ses ministres d'état le grand-visir, qui est comme son lieutenant général, avec lequel il partage, ou plutôt à qui il laisse toute l'administration de l'empire. Non-seulement le grand-visir est chargé des finances, des affaires étrangeres & du soin de rendre la justice pour les affaires civiles & criminelles, mais il a encore le département de la guerre & le commandement des armées. Un homme capable de soutenir dignement un si grand fardeau, est bien rare & bien extraordinaire. Cependant il s'en est trouvé qui ont rempli cette charge avec tant d'éclat, qu'ils ont fait l'admiration de leur siecle. Les Cuperlis pere & fils, ont triomphé dans la paix & dans la guerre, & par une politique presque inconnue jusqu'alors, ils sont morts tranquillement dans leurs lits.

Quand le sultan nomme un grand-visir, il lui met entre les mains le sceau de l'empire, sur lequel est gravé son nom : c'est la marque qui caractérise le premier ministre ; aussi le porte-t-il toujours dans son sein. Il expédie avec ce sceau tous ses ordres, sans consulter & sans rendre compte à personne. Son pouvoir est sans bornes, si ce n'est à l'égard des troupes, qu'il ne sauroit faire punir sans la participation de leurs chefs. A cela près, il faut s'adresser à lui pour toutes sortes d'affaires, & en passer par son jugement. Il dispose de tous les honneurs & de toutes les charges de l'empire, excepté de celles de judicature. L'entrée de son palais est libre à tout le monde, & il donne audience jusqu'au dernier des pauvres. Si quelqu'un pourtant croit qu'on lui ait fait quelque injustice criante, il peut se présenter devant le grand-seigneur avec du feu sur la tête, ou mettre sa requête au haut d'un roseau, & porter ses plaintes à sa hautesse.

Le grand-visir soutient l'éclat de sa charge avec beaucoup de magnificence ; il a plus de deux mille officiers ou domestiques dans son palais, & ne se montre en public qu'avec un turban garni de deux aigrettes chargées de diamans & de pierreries ; le harnois de son cheval est semé de rubis & de turquoises, la housse brodée d'or & de perles. Sa garde est composée d'environ quatre cent bosniens ou albanois, qui ont de paie depuis 12 jusqu'à 15 aspres par jour ; quelques-uns de ses soldats l'accompagnent à pié quand il va au divan ; mais quand il marche en campagne, ils sont bien montés, & portent une lance, une épée, une hache & des pistolets. On les appelle délis, c'est-à-dire, fous, à cause de leurs fanfaronades & de leur habit qui est ridicule ; car ils ont un capot, comme les matelots.

La marche du grand-visir est précédée par trois queues de cheval, terminées chacune par une pomme dorée : c'est le signe militaire des Ottomans qu'ils appellent thou ou thouy. On dit qu'un général de cette nation ne sachant comment rallier ses troupes, qui avoient perdu leurs étendards, s'avisa de couper la queue d'un cheval, & de l'attacher au bout d'une lance ; les soldats coururent à ce nouveau signal, & remporterent la victoire.

Quand le sultan honore le grand-visir du commandement d'une de ses armées, il détache à la tête des troupes une des aigrettes de son turban, & la lui donne pour placer sur le sien : ce n'est qu'après cette marque de distinction que l'armée le reconnoit pour général, & il a le pouvoir de conférer toutes les charges vacantes, même les vice-royautés & les gouvernemens, aux officiers qui servent sous lui. Pendant la paix, quoique le sultan dispose des premiers emplois, le grand-visir ne laisse pas de contribuer beaucoup à les faire donner à qui il veut ; car il écrit au grand-seigneur, & reçoit sa réponse sur le champ ; c'est de cette maniere qu'il avance ses créatures, ou qu'il se venge de ses ennemis ; il peut faire étrangler ceux-ci, sur la simple relation qu'il fait à l'empereur de leur mauvaise conduite. Il va quelquefois dans la nuit visiter les prisons, & mene toujours avec lui un bourreau pour faire mourir ceux qu'il juge coupables.

Quoique les appointemens de la charge de grand-visir ne soient que de quarante mille écus (monnoie de nos jours), il ne laisse pas de jouir d'un revenu immense. Il n'y a point d'officier dans ce vaste empire qui ne lui fasse des présens considérables pour obtenir un emploi, ou pour se conserver dans sa charge : c'est une espece de tribut indispensable.

Les plus grands ennemis du grand-visir sont ceux qui commandent dans le serrail après le sultan, comme la sultane mere, le chef des eunuques noirs & la sultane favorite ; car ces personnes ayant toujours en vue de vendre les premieres charges, & celle du grand-visir étant la premiere de toutes, elles font observer jusqu'à ses moindres gestes ; c'est ainsi qu'avec tout son crédit il est environné d'espions ; & les puissances qui lui sont opposées, soulevent quelquefois les gens de guerre, qui sous prétexte de quelque mécontentement, demandent la tête ou la déposition du premier ministre ; le sultan pour lors retire son cachet, & l'envoie à celui qu'il honore de cette charge.

Ce premier ministre est donc à son tour obligé de faire de riches présens pour se conserver dans son poste. Le grand-seigneur le suce continuellement, soit en l'honorant de quelques-unes de ses visites qu'il lui fait payer cher, soit en lui envoyant demander de tems-en-tems des sommes considérables. Aussi le visir met tout à l'enchere pour pouvoir fournir à tant de dépenses.

Son palais est le marché où toutes les graces se vendent. Mais il y a de grandes mesures à garder dans ce commerce ; car la Turquie est le pays du monde où la justice est souvent la mieux observée parmi les injustices.

Si le grand-visir a le génie belliqueux, il y trouve mieux son compte que dans la paix. Quoique le commandement des armées l'éloigne de la cour ; il a ses pensionnaires qui agissent pour lui en son absence ; & la guerre avec les étrangers, pourvu qu'elle ne soit pas trop allumée, lui est plus favorable qu'une paix qui causeroit des troubles intérieurs. La milice s'occupe pour lors sur les frontieres de l'empire, & la guerre ne lui permet pas de penser à des soulevemens ; car les esprits les plus ambitieux cherchant à se distinguer par de grandes actions, meurent souvent dans le champ de Mars ; d'ailleurs le ministre ne sauroit mieux s'attirer l'estime des peuples qu'en combattant contre les infideles.

Après le premier visir, il y en a six autres qu'on nomme simplement visirs, visirs du banc ou du conseil, & pachas à trois queues, parce qu'on porte trois queues de cheval quand ils marchent, au lieu qu'on n'en porte qu'une devant les pachas ordinaires. Ces visirs sont des personnes sages, éclairées, savantes dans la loi, qui assistent au divan ; mais ils ne disent leurs sentimens sur les affaires qu'on y traite, que lorsqu'ils en sont requis par le grand-visir, qui appelle souvent aussi dans le conseil secret, le moufti & les cadilesques ou intendans de justice. Les appointemens de ces visirs sont de deux mille écus par an. Le grand-visir leur renvoie ordinairement les affaires de peu de conséquence, de même qu'aux juges ordinaires ; car comme il est l'interprête de la loi dans les choses qui ne regardent pas la religion, il ne suit le plus souvent que son sentiment, soit par vanité, soit pour faire sentir son crédit. (D.J.)


VISITATIONS. f. (Théologie) fête instituée en mémoire de la visite que la sainte Vierge rendit à sainte Elizabeth. Dès que l'ange Gabriel eut annoncé à la sainte Vierge le mystere de l'incarnation du Verbe divin, & lui eut révélé que sainte Elisabeth sa cousine étoit grosse de six mois, elle fut inspirée d'aller voir cette parente, qui demeuroit avec Zacharie son mari, à Hébron, ville située sur une des montagnes de Juda, à vingt-cinq ou trente lieues de Nazareth. Marie partit le 26 Mars, & arriva le 30 à Hébron dans la maison de Zacharie. Elisabeth n'eut pas plutôt entendu sa voix, qu'elle sentit son enfant remuer dans son sein. Elle lui dit : vous êtes bénie entre toutes les femmes, & le fruit de vos entrailles est béni, & la congratula sur son bonheur. Ce fut alors que Marie prononça ce cantique pieux que nous appellons magnificat. Après y avoir demeuré environ trois mois, elle retourna à Nazareth, un peu avant la naissance de saint Jean-Baptiste. Il y a des auteurs qui tiennent que la sainte Vierge assista aux couches de sainte Elisabeth. A l'égard de la fête, celui qui a pensé le premier à l'établir, a été S. Bonaventure, général de l'ordre de S. François, lequel en fit un decret dans un chapitre général tenu à Pise l'an 1263, pour toutes les églises de son ordre. Depuis, le pape Urbain IV. étendit cette fête dans toute l'église. Sa bulle qui est de l'an 1379, ne fut publiée que l'année suivante par Boniface IX. son successeur. Le concile de Bâle commencé l'an 1431, l'a aussi ordonnée, & a marqué son jour au 2 Juillet : ce qui a fait croire à quelques-uns que la sainte Vierge ne partit de chez Zacharie que le lendemain de la circoncision de S. Jean, qui fut le premier de Juillet, huit jours après sa naissance. Il auroit été plus naturel de la placer, comme on a fait dans quelques églises, au 28 Mars, trois jours après l'annonciation. Christophe de Castro, vie de la sainte Vierge.

VISITATION, (Hist. ecclés.) ordre de religieuses, qui a été fondé par S. François de Sales & par la mere de Chantal. Au commencement ces religieuses ne faisoient que des voeux simples, dans le tems qu'elles habitoient la premiere maison de l'institut à Annecy en Savoie. Depuis, cette congrégation a été érigée en religion.

VISITATION, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est un ancien terme de palais usité pour exprimer la visite ou examen que les juges font d'un procès ; présentement on dit plus communément visite que visitation. Voyez l'ordonnance criminelle, tit. XXIV. art. 2. (A)

VISITATION, (Commerce) c'est le droit que les maîtres & gardes, & les jurés des corps & communautés ont d'aller chez les marchands & maîtres de leur corps & communauté visiter & examiner leurs poids, mesures, marchandises & ouvrages, pour, en cas de fraude ou de contravention aux statuts & réglemens, en faire la saisie & en obtenir la confiscation des officiers de police, par-devant lesquels ils doivent se pourvoir & faire leur rapport dans les vingt-quatre heures.

Dans la communauté des maîtres corroyeurs de Paris, on appelle jurés de la visitation royale les quatre grands jurés de cette communauté, & les quatre petits sont nommés jurés de la conservation. Diction. de commerce.


VISITES. f. (Gramm.) acte de civilité, qui consiste à marquer quelqu'intérêt à quelqu'un en se présentant à sa porte pour le voir. L'activité & l'ennui ont multiplié les visites à l'infini. On se visite pour quelque chose que ce soit ; & quand on n'a aucune raison de se visiter, on se visite pour rien. Faire une visite, c'est fuir l'ennui de chez soi, pour aller chercher l'ennui d'un autre lieu.

VISITE, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes, selon les objets auxquels la visite s'applique.

La visite se prend quelquefois pour le droit d'inspection & de réformation qu'un supérieur a sur ceux qui lui sont soumis. Quelquefois on entend par visite l'action même de visiter, ou pour le procès-verbal qui contient la relation de ce qui s'est passé dans cette visite.

VISITE DES ABBES, est celle que les abbés ont droit de faire dans les prieurés dépendans de leur abbaye. Voyez TABLE ABBATIALE. (A)

VISITE DES ARCHEVEQUES ET EVEQUES est celle qu'ils ont droit de faire chacun dans les églises de leur diocèse.

Ce droit est fondé sur leur qualité de premiers pasteurs, & conséquemment d'institution divine.

Aussi est-il imprescriptible. Le concile de Ravenne tenu en 1314, prononce l'excommunication contre les personnes religieuses séculieres, & l'interdit contre les églises qui, sous prétexte de non-usage & de prescription, s'opposeront à la visite de l'ordinaire. Innocent III. avoit déja décidé la même chose en faveur de l'archevêque de Sens.

Il n'y a que les droits utiles dûs à l'évêque pour sa visite, qui soient sujets à prescription.

Les canons & les conciles imposent aux évêques l'obligation de visiter leur diocèse ; tels sont les conciles de Meaux en 845, de Paris en 831, le troisieme de Valence en 855.

Tous les ans ils doivent visiter une partie de leur diocèse. Le réglement de la chambre ecclésiastique de 1614 leur donnoit deux ou trois ans pour achever leur visite ; mais l'ordonnance de Blois veut qu'elle soit finie dans deux ans.

Il fut aussi ordonné par la chambre ecclésiastique en 1614, que les évêques feroient leur visite en personne ; mais l'édit de 1695 leur permet de faire visiter par leurs archidiacres, ou autres personnes ayant droit sous leur autorité, les endroits où ils ne pourront aller en personne.

Les bénéficiers doivent se trouver à leurs bénéfices lors de la visite, à-moins de quelque empêchement légitime.

Lorsque l'évêque fait sa visite en personne, il doit avoir les honneurs du poêle, qui doit être porté par les consuls ou officiers de justice.

Les réguliers même exempts sont tenus de le recevoir revêtus de surplis, portant la croix, l'eau-benite & le livre des évangiles, & le conduire processionnellement au choeur, & recevoir sa bénédiction, & lui rendre en tout l'honneur dû à sa dignité.

L'objet de ces sortes de visites est afin que l'évêque introduise la foi orthodoxe dans toutes les églises de son diocèse, en chasse les hérésies & les mauvaises moeurs, & que les peuples, par ses exhortations, soient excités à la vertu & à la paix.

L'évêque ou autre personne envoyée de sa part, ne peut demeurer plus d'un jour dans chaque lieu.

Il doit visiter les églises, les vases sacrés, le tabernacle, les autels, se faire rendre compte des revenus des fabriques ; il peut prendre connoissance de l'état & entretien des hôpitaux, de l'entretien des églises & des réparations des presbyteres, de ce qui concerne les bancs & sépultures, la réunion des églises ruinées aux paroisses, l'établissement d'un vicaire ou secondaire dans les lieux où cela peut être nécessaire, l'établissement & la conduite des maîtres & maîtresses d'école ; & si dans le cours de sa visite il trouve quelques abus à reformer, il a droit de correction & de réformation.

Toutes les églises paroissiales ou cures possédées par des séculiers ou réguliers, dépendantes des corps exempts ou non, même dans les monasteres ou abbayes même chef-d'ordre, sont sujettes à la visite de l'évêque diocésain.

Il en est de même des cures où les chapitres prétendent avoir droit de visite ; celle-ci n'empêchant pas l'évêque de faire la sienne.

Il peut de même visiter tous les monasteres, exempts ou non-exempts, toutes les chapelles & bénéfices, même les chapelles domestiques, pour voir si elles sont tenues avec la décence nécessaire.

Enfin les lieux mêmes qui ne sont d'aucun diocèse, sont sujets à la visite de l'évêque le plus prochain.

Il est dû à l'évêque un droit de procuration pour sa visite. Voyez PROCURATION, voyez le concile de Trente, l'ordonnance de Blois, l'édit de 1695, les mémoires du clergé. (A)

VISITE DE L'ARCHIDIACRE, est celle que l'archidiacre fait sous l'autorité de l'évêque dans l'archidiaconé, ou partie du diocèse sur laquelle il est préposé.

L'usage n'est pas uniforme au sujet de ces sortes de visites ; le concile de Trente ne maintient les archidiacres dans leur droit de visite que dans les églises seulement où ils en sont en possession légitime, & à condition qu'ils feront leur visite en personne.

Il y a cependant des diocèses où ils sont en possession de commettre pour faire leurs visites lorsqu'ils ont des empêchemens légitimes.

Ils ne peuvent au surplus faire leurs visites, ou commettre quelqu'un pour les faire que du consentement de l'évêque.

Les procès-verbaux de leurs visites doivent être remis à l'évêque un mois après qu'elles sont achevées, afin que l'évêque ordonne sur iceux ce qu'il estimera nécessaire.

Les marguilliers doivent présenter leurs comptes au jour qui leur aura été indiqué par l'archidiacre quinze jours avant sa visite.

Il peut, dans le cours de sa visite, réduire les bancs & tombeaux élevés hors de terre, s'ils nuisent au service divin.

Les maîtres & maîtresses d'école sont sujets à être examinés par lui sur le catéchisme, il peut même les destituer s'il n'est pas satisfait de leur capacité & de leurs moeurs.

Mais il ne peut confier le soin des ames à personne sans l'ordre exprès de l'évêque.

Il peut visiter les églises paroissiales, même celles dont les curés sont religieux, ou dans lesquelles les chapitres prétendent avoir droit de visite, mais l'évêque a seul droit de visiter celles qui sont situées dans les monasteres, commanderies & autres églises des religieux. Voyez le concile de Trente, l'édit de 1695, les mémoires du clergé, & ci-devant le mot ARCHIDIACRE.

VISITE DES EGLISES, voyez VISITE DES ARCHEVEQUES.

VISITE DE L'EVEQUE, voyez ci-devant VISITE DES ARCHEVEQUES.

VISITE D'EXPERTS, est l'examen que des experts font de quelque lieu ou de quelque ouvrage contentieux, pour en faire leur rapport & l'estimation de la chose, si cette estimation est ordonnée. Voyez EXPERTS, ESTIMATION, RAPPORT.

VISITE DES GARDES ET JURES, est la descente & perquisition que les gardes & jurés d'un corps de marchands ou artisans font chez quelque maître du même état, pour vérifier les contraventions dans lesquelles il peut être tombé. Voyez GARDES & JURES.

VISITE DES HOPITAUX, voyez VISITE DES ARCHEVEQUES.

VISITE DE MEDECINS ET CHIRURGIENS, est l'examen qu'un médecin ou chirurgien fait d'une personne pour reconnoître son état, & pour en faire leur rapport à la justice. Voyez RAPPORT.

VISITE DES PRISONS ET PRISONNIERS, est la séance que les juges tiennent en certains tems de l'année aux prisons, pour voir si elles sont sûres & saines, si les géoliers & guichetiers font leur devoir, & pour entendre les plaintes & requêtes des prisonniers. Les géoliers sont aussi obligés de visiter tous les jours les prisonniers qui sont aux cachots, & les procureurs du roi & ceux des seigneurs de visiter les prisons une fois chaque semaine pour entendre les plaintes des prisonniers. Voyez SEANCE & PRISON, PRISONNIER.

VISITE DU PROCES, est l'examen que les juges font d'un procès à l'effet de le juger. (A)


VISITERv. act. (Gram.) voyez l'article VISITE.

VISITER, (Critique sacrée) ce mot se prend dans l'Ecriture en bonne & en mauvaise part. Dieu visite les hommes de deux manieres, par les bienfaits & par les punitions ; & c'est dans ce dernier sens que ce terme est employé le plus communément, par exemple, Exod. xx. 5. Lévit. xviij. 25. &c. (D.J.)

VISITER LA LETTRE, v. act. (Fonder. de caract.) c'est après qu'on a tiré la lettre du moule où elle a été fondue, examiner si elle est parfaite, pour, si elle l'est, en rompre le jet, & la donner aux ouvriers & ouvrieres qui frottent & achevent les caracteres ; ou si elle ne l'est pas, la mettre à la refonte. (D.J.)


VISITEURS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui visite une maison, un pays, ou quelque administration & régie particuliere, sur lesquels il a inspection.

Il y avoit anciennement des visiteurs & regardeurs dans tous les arts & métiers, qui faisoient au juge leur rapport des contraventions qu'ils avoient reconnues ; ce sont ceux qu'on appelle présentement gardes ou jurés.

Les maîtres des ports & passages étoient appellés visiteurs des ports & passages.

Il y avoit aussi des visiteurs & commissaires sur le fait des aides, sur le fait des gabelles, &c.

On appelle visiteur dans les monasteres celui qui a l'inspection sur plusieurs maisons d'un même ordre, & que l'on y envoye pour voir si la discipline réguliere y est bien observée.

Le visiteur général est celui qui a le département de visiter toute une province, ou même l'ordre entier. Voyez VISITE. (A)

VISITEUR, (Marine) c'est un officier établi dans un port, pour visiter les marchandises des passagers, & pour observer l'arrivée & le départ des bâtimens dont il tient registre. Il est obligé d'empêcher la sortie des marchandises de contrebande, sans un congé enregistré.


VISIVEadj. f. dans la Philosophie scholastique est un terme qu'on applique à la faculté de voir. Voyez VISION.

Les auteurs ne s'accordent point sur le lieu où réside la faculté visive ; quelques-uns prétendent que c'est dans la rétine, d'autres dans la choroïde, d'autres dans les nerfs optiques, d'autres, comme M. Newton, dans le lieu ou les nerfs optiques se rencontrent avant que d'arriver au cerveau, & d'autres enfin dans le cerveau même. Voyez SENSATION & VISION. Chambers.


VISLIEZA(Géog. mod.) ville de la petite Pologne, au palatinat de Sandomir, sur la riviere de Nidda, environ à moitié chemin entre Cracovie & Sandomir. Cette petite ville est le chef-lieu d'une châtellenie. (D.J.)


VISNAGE(Botan.) nom vulgaire de l'espece de fenouil, nommé par Tournefort, foeniculum annuum, umbellâ contractâ, oblongâ. Voyez FENOUIL, Botan. (D.J.)


VISO(Géog. mod.) le mont Viso, ou le mont Visoul est une montagne du Piémont, dans la partie septentrionale du marquisat de Saluces. On la nommoit anciennement Vesulus mons, & quelques-uns la regardent comme la plus haute montagne des Alpes, Elle donne la naissance au Pô. (D.J.)


VISONTIUM(Géog. anc.) nom commun à une ville de l'Espagne tarragonoise, & à une ville de la haute Pannonie. (D.J.)


VISORIUMS. m. terme d'Imprimerie, s'entend d'une petite planche de bois amincie au rabot, large de trois doigts sur la longueur d'un pié, & terminée à l'extrêmité inférieure, en une espece de talon pris dans le même morceau ; au bout de ce talon est une fiche de fer pointue qui lui sert de pié ou de point d'appui, destinée à entrer dans différens trous faits sur le rebord de la casse, où il se place à la volonté du compositeur. Le visorium est ce qui porte la copie devant les yeux du compositeur ; elle y est comme adossée & retenue par le secours des mordans, qui sont deux petites tringles de bois fendu de long, à-peu-près dans toute leur longueur. Voyez MORDANT, & nos Planches de l'Imprimerie, où l'une des fig. est un canon de papier en plusieurs doubles, dont on garnit le visorium lorsque la quantité de copie est trop petite pour remplir le mordant ; & l'autre fait voir le visorium garni de copie, que deux mordans y assujettissent.


VISP LE(Géog. mod.) riviere de Suisse, dans le haut-Vallais ; elle prend sa source dans les montagnes, aux confins du val d'Aoste, & se jette dans le Rhône auprès d'un village auquel elle donne son nom. (D.J.)


VISPE(Géog. anc.) selon quelques exemplaires de Tacite, annal. l. XII. & Uspe selon d'autres. Ville du pays des Soraces, au voisinage du bosphore de Thrace. Cet historien ajoute que c'étoit une place forte, tant par son enceinte que par ses fossés ; d'espace en espace on y avoit élevé des tours plus hautes que les courtines. Les Romains assistés d'Ennones, roi des Adorses, ayant pris les armes pour s'opposer aux progrès de Mithridate, se présenterent devant la ville de Vispe, & y donnerent un assaut où ils furent repoussés. Le lendemain, comme ils l'attaquoient par escalade, les habitans envoyerent des députés qui demanderent la vie pour les personnes libres, & offrirent de donner dix mille esclaves. Les assiégeans rejetterent ces conditions, parce qu'ils vouloient faire un exemple qui jettât la terreur dans les esprits des révoltés. Cependant comme ils trouvoient de la cruauté à massacrer des gens qui se rendoient volontairement, & trop peu de sévérité à mettre en prison un si grand nombre de personnes, ils aimerent mieux user du droit des armes. Aussitôt ils donnerent le signal aux troupes qui étoient déja dans les échelles, de faire main-basse sur tout ce qu'ils rencontreroient. Ainsi fut saccagée cette malheureuse ville, qui n'a pas sans doute été repeuplée depuis, aucun autre auteur n'en faisant mention. (D.J.)


VISQUEUXse dit du sang, des alimens, du chyle, &c. Visqueux, c'est-à-dire glutineux ou collant, comme la glu, que les Latins nomment viscus. Voyez GLU.

Les corps visqueux sont ceux qui sont composés de parties tellement embarrassées les unes dans les autres, qu'elles résistent long-tems à une séparation entiere, & cedent plutôt à la violence qu'on leur fait, en s'étendant en tout sens. Voyez PARTICULE & COHESION.

La trop grande viscosité des alimens, a de très-mauvais effets. Ainsi les farines non fermentées, les gelées, &c. des animaux, les fromage dur, le caillé trop pressé, causent une pesanteur sur l'estomac, produisent des vents, des bâillemens, des crudités, des obstructions dans les plus petits vaisseaux des intestins, &c. d'où s'ensuit l'inaction des intestins, l'enflure du ventre ; & en conséquence la viscosité du sang à raison des particules visqueuses qui se réunissent, les obstructions des glandes, la pâleur, la froideur, le tremblement, &c.


VISSIERS. m. (Marine) vieux mot ; c'étoit une sorte de vaisseau de transport, dont on se servoit en particulier pour le transport des chevaux. (D.J.)


VISSOGRODou VISCHGROD, (Géog. mod.) petite ville de la grande Pologne, dans le palatinat de Mazovie, aux confins de celui de Ploczko, sur la Vistule à la droite, & à six lieues de la ville de Ploczko. Long. 37. 40. latit. 52. 38. (D.J.)


VISTNOUou VISTNUM, s. m. (Hist. mod. Mythol.) c'est le nom que l'on donne dans la théologie des Bramines, à l'un des trois grands dieux de la premiere classe, qui sont l'objet du culte des habitans de l'Indostan. Ces trois dieux sont Brama, Vistnou & Ruddiren. Suivant le védam, c'est-à-dire la bible des Indiens idolâtres, ces trois dieux ont été créés par le grand Dieu, ou par l'être suprême, pour être ses ministres dans la nature. Brama a été chargé de la création des êtres ; Vistnou est chargé de la conservation ; & Ruddiren de la destruction. Malgré cela, il y a des sectes qui donnent à Vistnou la préférence sur ses deux confreres, & ils prétendent que Brama lui-même lui doit son existence & a été créé par lui. Ils disent que Vistnou a divisé les hommes en trois classes, les riches, les pauvres, & ceux qui sont dans un état moyen ; & que d'ailleurs il a créé plusieurs mondes, qu'il a rempli d'esprits, dont la fonction est de conserver les êtres. Ils affirment que le védam, ou livre de la loi, n'a point été donné à Brama, comme prétendent les autres Indiens, mais que c'est Vistnou qui l'a trouvé dans une coquille. Toutes ces importantes disputes ont occasionné des guerres fréquentes & cruelles, entre les différentes sectes des Indiens, qui ne sont pas plus disposées que d'autres à se passer leurs opinions théologiques.

Les Indiens donnent un grand nombre de femmes à leur dieu Vistnou, sans compter mille concubines. Ses femmes les plus chéries sont Lechisni, qui est la Vénus indienne, & la déesse de la fortune, dont la fonction est de gratter la tête de son époux. La seconde est Siri pagoda, appellée aussi pumi divi, la déesse du ciel, sur les genoux de qui Vistnou met ses piés, qu'elle s'occupe à frotter avec ses mains. On nous apprend que ce dieu a eu trois fils, Kachen, Laven, & Varen ; ce dernier est provenu du sang qui sortit d'un doigt que Vistnou s'est une fois coupé.

Ce dieu est sur-tout fameux dans l'Indostan, par ses incarnations qui sont au nombre de dix, & qui renferment, dit-on, les principaux mysteres de la théologie des Bramines, & qu'ils ne communiquent point ni au peuple ni aux étrangers. Ils disent que ce dieu s'est transformé 1°. en chien de mer ; 2°. en tortue ; 3°. en cochon ; 4°. en un monstre moitié homme & moitié lion ; 5°. en mendiant ; 6°. en un très-beau garçon appellé Prassaram ou parecha Rama ; 7°. il prit la figure de Ram qui déconfit un géant ; 8°. sous la figure de Kisna, ou Krisna ; dans cet état il opéra des exploits merveilleux contre un grand nombre de géants, il détrôna des tyrans, rétablit de bons rois détrônés, & secourut les opprimés ; après quoi il remonta au ciel avec ses 16000 femmes. Les Indiens disent que si toute la terre étoit de papier, elle ne pourroit contenir toute l'histoire des grandes actions de Vistnou, sous la figure de Kisna ; 9°. il prit la forme de Bodha, qui, suivant les Banians, n'a ni pere ni mere, & qui se rend invisible ; lorsqu'il se montre il a quatre bras : on croit que c'est ce dieu qui est adoré sous le nom de Fo, dans la Chine, & dans une grande partie de l'Asie ; 10°. la derniere transformation de Vistnou, sera sous la forme d'un cheval aîlé, appellé Kalenkin, elle n'est point encore arrivée, & n'aura lieu qu'à la fin du monde.

Le dieu Vistnou est le plus respecté dans le royaume de Carnate, au-lieu que Ram ou Brama est mis fort au-dessus de lui, par les bramines de l'empire du Mogol ; & Ruddiren est le premier des trois dieux, pour les Malabares. Voyez RAM & RUDDIREN.

Ceux qui voudront approfondir les mysteres de la religion indienne, & connoître à fond l'histoire de Vistnou, n'auront qu'à consulter l'histoire universelle d'une société de savans Anglois, tom. VI. in-4°.


VISTNOUVA(Hist. mod.) on a vu dans l'article qui précéde, que les bramines ou prêtres sont divisés en plusieurs sectes, suivant les dieux à qui ils donnent le premier rang. Ceux qui regardent le dieu Wistnou comme la divinité suprême, s'appellent Vistnouvas ; leur secte se soudivise en deux, les uns se nomment tadvadis, disputeurs, ou bien madva-vistnouva, du nom de leur fondateur. Ils se font une marque blanche qui va du nés au front, sur les tempes, & sur les omoplates ; c'est selon eux, le signe de Vistnou, & ils sont convaincus que tant qu'ils le porteront, ni le diable, ni le juge des enfers n'auront aucun pouvoir sur eux. Ces tadvadis ont un chef ou patriarche, qui réside près de Paliacate sur la côte de Coromandel, qui est obligé de garder le célibat, sous peine de quitter son ordre.

La seconde secte de vistnouvas s'appelle romanouva vistnouva, ceux-ci se mettent la marque de l'Y grec sur le front, faite avec de la craye ; & ils se font une brûlure sur les omoplates ; ils sont persuadés que Vistnou ne les punira d'aucun péché. Ces sectaires, comme de raison, se croient infiniment plus parfaits que les Tadvadis ; leur chef réside à Carnate. Il n'est point permis à ces prêtres ni de faire le commerce, ni d'entrer dans des lieux de débauche, comme aux autres.


VISTRELE, (Géog. mod.) riviere de France, dans le Languedoc, au diocèse de Nismes. Elle prend sa source au pié de la Tourmagne, & se perd dans l'étang de Thau. (D.J.)


VISTRIZALA, (Géog. mod.) riviere de la Turquie européenne, dans le Coménolitari. Elle prend sa source au mont du petit Dibra, traverse presque tout le Coménolitari, & se perd dans le Vardar, un peu au-dessus de l'endroit où ce fleuve se jette dans le golfe de Salonique. (D.J.)


VISTULA(Géog. anc.) Visula, Vistulus, Vistla, Viscla, Bisula, car on trouve tous ces noms dans les auteurs, grand fleuve de l'Europe, & que les anciens ont pris pour la borne entre la Germanie & la Sarmatie. Ptolémée l. II. c. xj. dit que la source de ce fleuve, & ce fleuve même jusqu'à la mer, termine la Germanie du côté de l'orient ; & dans un autre endroit, l. III. c. v. il donne la Vistule pour le commencement de la Sarmatie européenne. Dans le pays ce fleuve est connu sous le nom de Weixel, Wiessel, ou Weissel, & en françois on l'appelle la Vistule. Voyez VISTULE. (D.J.)


VISTULELA, (Géog. mod.) en allemand Veissel ou Viessel, en latin Vistula, grand fleuve de l'Europe. Il prend sa source dans la Moravie, au pié du mont Krapac, à douze ou quatorze lieues de Cracovie. Il traverse la Pologne du midi au nord, ainsi que la Prusse-royale, & forme à six lieues de ses embouchures l'île de Marienbourg ; enfin il se jette dans la mer Baltique par trois ou quatre bouches différentes. Ce fleuve porte de fort grands bateaux, & reçoit dans son sein le Rab, le Dona, la Vislok, la Sane, le Bouk, le Narew, la Prisla, &c. Cependant la Vistule dans un cours de cent cinquante lieues de Pologne, n'a qu'un seul bon pont, qui est celui de la ville de Thorn, lequel est bâti sur pilotis, sans gardes-foux ni liaisons dans une longueur de près de cinq cent pas. (D.J.)


VISUELadj. (Opt.) se dit de ce qui appartient à la vue ou à la faculté de voir.

Les rayons visuels sont des lignes de lumiere qu'on imagine venir de l'objet jusque dans l'oeil. Les rayons visuels sont des lignes droites, car l'expérience prouve qu'on ne sauroit voir un objet dès qu'il y a entre cet objet & l'oeil quelque corps opaque qui empêche les rayons de venir à nos yeux ; & c'est en quoi la propagation de la lumiere differe de celle du son, car le son se transmet jusqu'à l'oreille par toutes sortes de lignes, droites ou courbes, & malgré toutes sortes d'obstacles. Voyez RAYON.

Point visuel, en Perspective, est un point sur la ligne horisontale, & dans lequel les rayons visuels s'unissent. Voyez POINT & PERSPECTIVE.


VISURGIS(Géog. anc.) nom que les Latins & les Grecs ont donné à un fleuve de la Germanie, connu aujourd'hui sous le nom de Weser. Voyez ce mot.

Strabon l'appelle . Ptolémée, l. II. c. xj. place son embouchure entre celle de l'Ems & celle de l'Elbe.

Velleïus Paterculus, l. II. c. cv. nous apprend que cette riviere devint célebre par la défaite de l'armée romaine sur ses bords. Pomponius Mela, l. III. c. iij. le compte au nombre des fleuves les plus considérables qui se jettent dans l'Océan. Pline, l. IV. c. xiv. dit qu'il faisoit la séparation entre les Romains & les Chérusques. (D.J.)


VIT-COQVoyez BECASSE.


VITALLE, adj. dans l'économie animale, est ce qui sert principalement à produire ou à entretenir la vie dans le corps des animaux. Voyez VIE.

C'est ainsi que le coeur, le poumon, & le cerveau sont appellés des parties vitales. Voyez PARTIE, COEUR, &c.

Fonctions ou actions vitales, sont les opérations par lesquelles les parties vitales produisent la vie, ensorte qu'elle ne peut subsister sans elles. Voyez ACTION, MOUVEMENT, &c.

Telle est l'action musculaire du coeur, la secrétion qui se fait dans le cerveau, la respiration qui se fait par le moyen du poumon, la circulation du sang dans les arteres & les veines, & des esprits dans les nerfs. Voyez COEUR, CERVEAU, RESPIRATION, CIRCULATION, &c.

Esprits vitaux, sont les parties les plus fines & les plus volatiles du sang. Voyez ESPRITS, SANG, CHALEUR, FLAMME, &c.


VITEadj. (Gram.) léger, promt, qui se meut avec célérité. Voyez VITESSE.

VITE, en Musique, presto, c'est le dernier degré du mouvement pour la promtitude, & qui n'a après lui que son superlatif prestissimo, très-vîte. (S)


VITELLIA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium, au pays des Eques, selon Tite-Live, l. V. c. xxix. qui dit : Vitelliam coloniam romanam, in suo agro Aequi expugnant. Suétone, in Vitellio, ch. j. nous apprend que, selon quelques-uns, cette ville tiroit son nom de la famille des Vitellius, qui demanderent à la défendre à leurs propres dépens, contre les efforts des Eques. Elle est mise par Tite-Live, l. II. c. xxxix. au nombre des villes dont Coriolan s'empara. (D.J.)


VITELLIANIS. m. pl. (Hist. anc.) dans l'antiquité, c'étoit des especes de tablettes ou de petits livres de poche, sur lesquelles on avoit coutume d'écrire ses pensées, ses saillies & celles des autres, & souvent beaucoup de puérilités & d'impertinences ; c'est à-peu-près ce que les Anglois appellent trifle book ou livre de bagatelles, & les François un sottisier. Voyez Martial, l. XIV. épigr. 8.

Quelques-uns prétendent que ce mot vient de vitellus, un jaune d'oeuf, parce qu'on en frottoit les feuilles de ces tablettes, & d'autres le font venir du nom de Vitellius leur inventeur.


VITERBE(Géog. mod.) en latin Viterbo, ville d'Italie, dans l'état de l'Eglise, capitale du patrimoine de saint Pierre, à 30 milles au nord de la mer, & à 40 milles au couchant de Rome, au pié d'une haute montagne, que les Latins appelloient Ciminius mons.

Quoique Viterbe se vante d'être plus ancienne que Rome, c'est une ville moderne bâtie par Didier, dernier roi des Lombards, qui regna depuis 763 jusqu'en 774. Il la forma de quatre bourgs ou villages, & l'environna de murs ; cette quadruple union fut d'abord appellée Tetrapolis, ensuite Vitercinium, & enfin Viterbum. Ainsi Cluvier s'est étrangement trompé quand il a imaginé que cette ville pourroit être le fanum Voltumnae de Tite-Live.

Viterbe est grande, ses rues sont larges, bien pavées, & chargées d'églises, de chapelles, de couvens, & de monasteres. On y compte à peine douze mille ames, & la ville en contiendroit trois fois davantage par son étendue.

Elle est partagée en seize paroisses, y compris la cathédrale, où l'on voit dans le goût gothique les tombeaux de Jean XXII. & d'Alexandre IV. Les fontaines publiques y sont en grand nombre, & soigneusement entretenues. L'évêché n'a été établi qu'à la fin du douzieme siecle, & se donne aujourd'hui à un cardinal.

Les environs de Viterbe sont admirables par leur fertilité en vin, en toutes sortes de grains & de légumes, en fruit de toute espece, en mûriers & en oliviers ; tout le territoire est arrosé de petites rivieres poissonneuses, ensorte qu'il ne manque rien à ce pays de ce qui sert à la vie & à la délicatesse.

On trouve au sud-ouest, environ à un mille de Viterbe, des eaux chaudes qu'on nommoit autrefois aquae caiae ; ces eaux sont si chaudes qu'elles cuisent en un moment les oeufs, les fruits, & les légumes qu'on y plonge. A la distance de deux milles de la ville de Viterbe est le couvent de la Quercia, habité par une riche communauté de plus de soixante religieux. Le pendant de ce couvent est celui de Notre-Dame de Grace, qui appartient aux dominicains. Long. de Viterbe 29. 40. lat. 42. 21.

Les curieux peuvent consulter sur cette ville Bassi Feliciano, historia della citta di Viterbo. Romae 1742, in-fol. fig.

Nannius (Jean) fameux jacobin, s'appelle ordinairement Annius de Viterbe, parce qu'il naquit en cette ville en 1432. Il a beaucoup fait parler de lui par l'édition de quelques auteurs fort anciens, dont les écrits passoient pour perdus. L'ouvrage d'Annius de Viterbe parut à Rome pour la premiere fois en 1498, & contient dix-sept livres d'antiquités ; mais on découvrit bien-tôt que le bon jacobin avoit publié pour vraies des pieces supposées. Onuphre Panvini, Goropius Becanus, Jean-Baptiste Agucchi, Volaterranus, & autres auteurs l'ont démontré. Il mourut à Rome l'an 1502, âgé de 70 ans.

Latinus Latinius a imité l'exemple de son compatriote Annius, & il est en cela d'autant plus coupable qu'il n'a pas péché par ignorance, & qu'au contraire il avoit beaucoup d'érudition, comme il paroît par les ouvrages qu'il a mis au jour, & entre autres par sa bibliotheca sacra & profana, publiée à Rome pour la seconde fois en 1667, in-fol. Il supprima tant qu'il lui fut possible tout ce qui n'étoit pas conforme à ses opinions, & c'est ce qui se prouve par le retranchement qu'il a fait de l'épître de Firmilien de Césarée dans l'édition des oeuvres de saint Cyprien qu'a donnée Manuce. On l'aggrégea au nombre des savans qui travaillerent à la correction du decret de Gratien, & il employa plusieurs années de suite à ce grand ouvrage. Il mourut en 1593, âgé de 80 ans. (D.J.)


VITESSES. f. (Méchan.) affection du mouvement, par laquelle un corps est capable de parcourir un certain espace en un certain tems. Voyez MOUVEMENT.

Leibnitz, Bernoulli, Wolfius, & les autres partisans des forces vives, prétendent qu'on doit estimer la force d'un corps en mouvement, par le produit de sa masse & par le quarré de sa vîtesse ; ceux qui n'ont pas admis le sentiment de ces savans, veulent que la force ne soit autre chose que la quantité de mouvement, ou le produit de la masse par la vîtesse. Voyez FORCES VIVES.

La vîtesse uniforme est celle qui fait parcourir au mobile des espaces égaux en tems égaux. Voyez UNIFORME. Il n'y a qu'un espace qui ne feroit aucune résistance, dans lequel un mouvement parfaitement uniforme pût s'exécuter, de même qu'il n'y a qu'un tel espace dans lequel un mouvement perpétuel fût possible ; car dans cet espace il ne se pourroit rien rencontrer qui put accélérer ou retarder le mouvement des corps. L'inégalité ou la non uniformité de tous les mouvemens que nous connoissons, est une démonstration contre le mouvement perpétuel méchanique, que tant de gens ont cherché ; il est impossible, vû les pertes continuelles de forces que font les corps en mouvement, par la résistance des milieux dans lesquels ils se meuvent, le frottement de leurs parties, &c. Ainsi, afin qu'un mouvement perpétuel méchanique pût s'exécuter, il faudroit trouver un corps qui fût exempt de frottement, ou qui eût reçu du Créateur une force infinie, par laquelle il surmontât des résistances à tous momens répétées. Au reste, quoiqu'à parler exactement, il n'y ait point de mouvement parfaitement uniforme, cependant lorsqu'un corps se meut dans un espace qui ne résiste pas sensiblement, & que ce corps ne reçoit ni accélération ni retardement sensible, on considere son mouvement comme s'il étoit parfaitement uniforme. M. Formey.

La vîtesse est considérée ou comme absolue, ou comme relative ; la définition que nous avons donnée convient à la vîtesse simple ou absolue, celle par laquelle un certain espace est parcouru en un certain tems.

La vîtesse propre ou absolue d'un corps, est le rapport de l'espace qu'il parcourt, & du tems dans lequel il se meut. La vîtesse respective est celle avec laquelle deux corps s'approchent ou s'éloignent l'un de l'autre d'un certain espace dans un tems déterminé, quelles que soient leurs vîtesses absolues. Ainsi la vîtesse absolue est quelque chose de positif ; mais la vîtesse respective n'est qu'une simple comparaison que l'esprit fait de deux corps, selon qu'ils s'approchent ou s'éloignent plus l'un de l'autre. M. Formey.

La vîtesse avec laquelle deux corps s'éloignent ou s'approchent l'un de l'autre, est leur vîtesse relative, ou respective, soit que chacun de ces corps soit en mouvement, soit qu'il n'y en ait qu'un seul. Quoiqu'un corps soit en repos, on peut le regarder comme ayant une vîtesse relative par rapport à un autre corps supposé en mouvement ; si deux corps, en une seconde, se trouvent plus proches qu'ils n'étoient de deux piés, leur vîtesse respective sera double de celle qu'auroient deux corps qui n'auroient fait dans le même tems qu'un pié l'un vers l'autre, le mouvement étant supposé uniforme.

Une vîtesse non uniforme est celle qui reçoit quelque augmentation ou quelque diminution : un corps a une vîtesse accélérée, lorsque quelque nouvelle force agit sur lui, & augmente sa vîtesse. Il faut pour cet effet que la nouvelle force qui agit sur lui, agisse en tout ou en partie dans la direction suivant laquelle le corps se meut déja.

La vîtesse d'un corps est retardée, lorsque quelque force opposée à la sienne lui ôte une partie de sa vîtesse.

La vîtesse d'un corps est également ou inégalement accélérée, selon que la nouvelle force qui agit sur lui, y agit également ou inégalement en tems égal ; & elle est également ou inégalement retardée, selon que les pertes qu'il fait sont égales ou inégales en tems égaux.

Vîtesse des corps parcourans des lignes courbes. Suivant le systême de Galilée sur la chûte des corps, systême reçu aujourd'hui de tout le monde, la vîtesse d'un corps qui tombe verticalement, est à chaque moment de sa chûte, proportionnelle à la racine de la hauteur d'où il est tombé. Après que Galilée eut découvert cette proposition, il reconnut encore que si le corps tomboit le long d'un plan incliné, la vîtesse seroit la même que s'il étoit tombé par la verticale qui mesure sa hauteur, & il étendit la même conclusion jusqu'à l'assemblage de plusieurs plans inclinés qui feroient entre eux des angles quelconques, en prétendant toujours que la vîtesse à la fin de la chûte faite le long de ces différens plans, devoit être la même que s'il étoit tombé verticalement de la même hauteur.

Cette derniere conclusion a été admise par tous les mathématiciens, jusqu'en 1693, que M. Varignon en démontra la fausseté, en faisant remarquer que le corps qui vient de parcourir le premier plan incliné, & qui arrive sur le second, le frappe avec une partie de la vîtesse qui se trouve perdue, & l'empêche par conséquent d'être dans le même cas que s'il étoit tombé par un seul plan incliné, qui n'auroit point eu de pli. M. Varignon après avoir relevé cette erreur, éclaircit la matiere de maniere à empêcher qu'on ne tombât dans l'erreur opposée, & à laquelle on étoit porté tout naturellement, qui étoit de croire que la chûte d'un corps le long d'une ligne courbe, c'est-à-dire le long d'une infinité de plans inclinés, ne pouvoit pas non plus produire des vîtesses égales à celles d'un corps qui seroit tombé verticalement de la même hauteur. Pour montrer la différence de ces deux cas, il fit voir que quand les plans inclinés font ensemble des angles infiniment petits, ainsi qu'il arrive dans les courbes, la vîtesse perdue à chacun de ces angles, est un infiniment petit du second ordre, ensorte qu'après une infinité de ces chûtes, c'est-à-dire après la chûte entiere par la courbe, la vîtesse perdue n'est plus qu'un infiniment petit du premier ordre, qu'on peut négliger, par conséquent, auprès d'une vîtesse finie : on peut voir aussi sur ce sujet notre traité de dynamique, premiere partie vers la fin.

De même qu'une équation entre deux variables, peut exprimer une courbe quelconque, dont les coordonnées sont les variables de cette équation : on peut exprimer aussi par les variables d'une équation, les différentes vîtesses que deux forces produiroient séparément dans un même corps ; & si ces forces sont supposées agir parallelement aux deux lignes données de position, sur lesquelles on suppose prises ces variables, la courbe exprimée par l'équation sera alors celle que le corps décrit, en vertu de deux forces combinées ensemble. Si par exemple on suppose que l'une des forces est la gravité, & que l'autre ne soit qu'une premiere impulsion finie à laquelle ne succede aucune accélération, la courbe ayant des ordonnées proportionnelles aux racines des abscisses, sera une parabole. Voyez PARABOLE.

Pour mesurer une vîtesse quelconque, d'une maniere constante qui puisse servir à la comparer à toute autre vîtesse, on prend le quotient de l'espace par le tems, supposant que cet espace soit parcouru, en vertu de cette vîtesse supposée constante. Si par exemple un corps, avec sa vîtesse actuelle, pouvoit parcourir 80 piés en 40 secondes de tems, on auroit 80/40, ou 2, pour exprimer sa vîtesse, ensorte que si on comparoit cette vîtesse à celle d'un autre corps qui feroit 90 piés en 3 secondes, comme on trouveroit de la même maniere 90/3 ou 3, pour cette nouvelle vîtesse, on reconnoîtroit par ce moyen que le rapport de ces vîtesses est celui de 2 à 3.

s étant en général l'espace, & t le tems, s t est la vîtesse ; pourvu que le mouvement soit uniforme : on peut faire une objection assez fondée sur cette mesure de la vîtesse : on dira que l'espace & le tems sont deux quantités hétérogenes, qui ne peuvent être comparées, & qu'on n'a point une idée claire du quotient s t ; à cela il faut répondre que cette expression de la vîtesse ne signifie autre chose, sinon que les vîtesses de deux corps sont toujours entr'elles comme les quotiens des espaces divisés par les tems, pourvu que l'on représente les espaces & les tems par des nombres abstraits qui aient entr'eux le même rapport que ces espaces & que ces tems. Voyez la fin de l'article EQUATION.

Si le mouvement est variable, on le suppose constant pendant la description d'une partie infiniment petite d s de l'espace, & on exprime alors la vîtesse par d s, d t. Voyez MOUVEMENT.

VITESSE circulaire. Voyez CIRCULAIRE.

VITESSE du son, de la lumiere, du vent, &c. Voyez SON, LUMIERE, VENT, &c.

VITESSE, (Hydraul.) Voyez DEPENSE, FORCE.


VITEXS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, qui a deux levres, & dont la partie postérieure est allongée en forme de tuyau ; le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit presque sphérique, qui est divisé en quatre loges, & qui renferme des semences oblongues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


VITIA(Géog. anc.) contrée de la Médie, ou du moins voisine de la mer Caspienne & de l'Arménie, selon Strabon, l. II. p. 508. Cette contrée avoit une ville du même nom, que bâtirent les Aenianes de Thessalie. (D.J.)


VITILOVITOLO, ou VITULO, (Géog. mod.) ville de la Morée, dans le Brazzo-di-Maina, à l'embouchure de la riviere de même nom, au fond d'un port ou petit golfe qui fait partie de celui de Coron. Sophien croit que c'est la ville Bithylae des anciens. (D.J.)

VITILO le, Vitolo, ou Vitulo, (Géog. mod.) riviere de la Morée, dans le Brazzo-di-Maina. Cette petite riviere se jette dans la mer de Sapienza, où elle forme un port auquel elle donne son nom.


VITIS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Cispadane. Pline, l. III. c. xv. le met entre le Sapis & l'Anemo, au voisinage de Ravenne. C'est le même fleuve que Tite-Live, l. V. c. xxxv. nomme Utens, & qu'il donne pour borne aux Sénones du côté du nord. Tum Senones recentissimi advenarum ab Utente flumine ad Aesim fines habuere. Cluvier & Cellarius prétendent qu'il faut lire Utens dans Pline, au-lieu de Vitis. Le nom moderne de ce fleuve est Bevano, selon le Pere Hardouin. (D.J.)


VITODURUMou VITUDORUM, (Géog. anc.) ville de la Gaule belgique, dans l'Helvétie, selon la table de Peutinger. C'est Wintherthour. (D.J.)


VITRAGES. m. (Vitrer.) nom général de toutes les vitres d'un bâtiment. (D.J.)


VITRAILS. m. (Archit.) grande fenêtre d'une église, ou d'une basilique, avec des croisillons de pierre ou de fer. (D.J.)


VITRÉ(Géog. mod.) ville de France, dans la Bretagne, sur la droite de la Vilaine, à 6 lieues au nord est de Rennes, à 25 au nord de Nantes, & à 22 au sud-ouest de Saint-Malo. C'est la seconde ville du diocèse de Rennes. Elle députe aux états de la province, qui s'y sont même quelquefois assemblés. Il s'y fait un assez bon commerce de toiles crues, de bas, & de gants de fil. Longitude 16. 22. latitude 48. 12.

Argentré (Bertrand d'), historien & jurisconsulte du xvij. siecle, étoit d'une ancienne noblesse de Bretagne. On a de lui une histoire de Bretagne, & des commentaires estimés sur la coutume de cette province. Il mourut en 1690, à 71 ans. (D.J.)


VITRÉEadj. en Anatomie, est le nom que l'on donne à la troisieme humeur de l'oeil, parce qu'elle ressemble à du verre fondu. Voyez HUMEUR, ILOEIL.

Elle est placée au-dessous du crystallin, dont la configuration rend concave sa partie antérieure. Voyez CRYSTALLIN.

Pour ce qui est de la fonction de l'humeur vitrée. Voyez VISION.

Quelques auteurs appellent aussi les tuniques ou membranes qui contiennent cette humeur, tuniques vitrées.


VITRERIES. f. (Art méchanique) tout ce qui appartient à l'art d'employer le verre. Quoique l'invention du verre soit très-ancienne, & qu'il y ait long-tems qu'on en fait de très-beaux ouvrages, l'art néanmoins de l'employer aux vitres n'est venu que long-tems après, & on peut le considérer comme une invention des derniers siecles. Il est vrai que du tems de Pompée, Marcus Scaurus fit faire de verre une partie de la scène de ce théatre magnifique qui fut élevé dans Rome pour le divertissement du peuple. Cependant il n'y avoit point alors de vitres aux fenêtres des bâtimens. Si les plus grands seigneurs & les personnes les plus riches vouloient avoir des lieux bien clos, comme doivent être les bains, les étuves, & quelques autres endroits, dans lesquels, sans être incommodés du froid & du vent, la lumiere pût entrer, l'on fermoit les ouvertures avec des pierres transparentes, telles que sont les agates, l'albâtre, & d'autres pierres délicatement travaillées. Mais ensuite ayant connu l'utilité du verre pour un tel usage, l'on s'en est servi au lieu de ces sortes de pierres ; faisant d'abord de petites pieces rondes, appellées cives, que l'on voit encore dans certains endroits, lesquelles on assembloit avec des morceaux de plomb refendus des deux côtés, pour empêcher l'eau & le vent d'entrer, & voilà comment les premieres vitres ont été faites. Voyez tout ce qui concerne les vitres aux lettres de différens instrumens qui servent à leur construction. Pour la peinture sur le verre, voyez l'article général de la fabrique du VERRE.


VITRESS. f. (Vitrer.) verre que l'on met aux croisées, chassis, &c. pour laisser le passage à la lumiere. Les vitres, ou le vitrage, sont des panneaux de pieces de verre mises par compartimens, & qui ont différentes formes.

L'usage des vitres est fort postérieur à la découverte du verre. Selon M. Félibien, du tems de Pompée, Marcellus Scaurus fit faire de verre une partie de la scène de ce superbe théatre qui fut élevé dans Rome pour le divertissement du peuple, & il n'y avoit cependant point alors de vitres aux fenêtres des bâtimens. Les personnes les plus riches fermoient les ouvertures par lesquelles elles recevoient le jour, avec des pierres transparentes, comme les agates, l'albâtre, &c. & les pauvres étoient exposés aux incommodités du froid & du vent.

On ne sait pas quel est celui qui fit connoître la maniere d'employer le verre au-lieu des pierres transparentes ; mais l'histoire nous apprend que les premieres vitres furent de petites pieces rondes, que l'on assembloit avec des morceaux de plomb refendus de deux côtés, afin d'empêcher que le vent ni l'eau ne pussent passer. On employa après cet heureux essai, des verres de différentes couleurs, que les verriers savoient colorier, & on les rangea par compartimens. Le succès donnant de l'essor à l'imagination, on tâcha de représenter sur les vitres toute sorte de figures, & même des histoires entieres : ce qui s'exécuta d'abord sur du verre blanc, avec des couleurs à la colle, mais les injures de l'air ayant détruit cet ouvrage, on découvrit d'autres moyens. Voyez PEINTURE sur verre. (D.J.)

VITRE, (Hist. des inventions) les vitres ne furent inventées que vers le siecle de Théodose surnommé le grand ; & c'est S. Jérôme, à ce que pense le pere Montfaucon, qui en parle le premier. Avant le regne de ce prince, on ne s'étoit point encore avisé d'employer le verre au vitrage. Séneque dit que ce fut de son tems qu'on commença de mettre aux fenêtres des pierres transparentes. On en fit venir de différens pays, & l'on tailloit celles qui fournissoient un plus grand jour. Pline le jeune s'en servoit aussi pour le même usage. Cependant, quoi de plus aisé à des gens qui depuis si long-tems employoient le verre à tant de choses, que de s'en servir aussi pour jouir, à l'abri des injures de l'air, de la clarté du jour, sans perdre la vue des objets même les plus éloignés ? (D.J.)

VITRES, peintures sur des, (Peinture) la peinture sur les vitraux des églises & des palais, ayant été autrefois beaucoup d'usage, cet art produisit plusieurs artistes qui s'y distinguerent. Cousin (Jean), né à Soucy près de Sens, sur la fin du seizieme siecle, est le plus ancien peintre françois qui se soit fait quelque réputation en ce genre. C'est lui qui a peint les vitres de la sainte Chapelle de Vincennes sur les desseins de Raphaël ; il a peint aussi sur les vitres du choeur de S. Gervais à Paris, le martyre de S. Laurent, la Samaritaine, & le paralytique. Desangives a encore mieux réussi que Cousin. Mais les peintres flamands & hollandois l'emportent sur ceux de tous les autres pays, & l'on peut dire que l'église de Tergaw en particulier, fournit des morceaux excellens en ce genre. Quant à ce qui regarde l'opération de cette peinture entierement abandonnée, voyez PEINTURE sur verre. (D.J.)


VITRESCIBILITÉS. f. (Chymie) c'est la propriété que quelques substances ont de se fondre par l'action du feu, & de se réduire en verre. Suivant Beccher, cette propriété de certains corps vient d'une qualité inhérente & essentielle à la terre dont ces corps sont composés, & que pour cette raison il appelle terre vitrescible.

C'est suivant ce grand chymiste cette terre qui domine dans les sels, dans les pierres ; elle se trouve aussi en différentes proportions dans les métaux où elle est combinée avec la terre mercurielle & la terre inflammable. Voyez METAUX & TERRES.

Quoi qu'il en soit de cette théorie, la vitrescibilité est une qualité relative dans les terres & les pierres ; elle dépend du degré de chaleur que l'on applique aux corps que l'on veut vitrifier, & il n'en est point qui ne soient vitrescibles, lorsqu'on les expose au feu solaire concentré par un miroir ardent. Voyez l'article MIROIR ARDENT.

Un phénomene remarquable, c'est que le diamant fait une exception à cette regle, & le miroir ardent le dissipe totalement en fumée. Voyez l'article PIERRES PRECIEUSES.

Quoique le feu du soleil parvienne à vitrifier plus ou moins promtement toutes les terres, pierres & substances minérales, on peut pourtant regarder la vitrescibilité comme un caractere distinctif de quelques-unes de ces substances, en tant qu'il y en a que le feu ordinaire que l'on emploie dans les analyses de la chymie réduit très promtement en verre, tandis qu'il y en a d'autres sur lesquelles ce même feu ne produit point d'altération, telles que sont les pierres apyres, le talc, l'amianthe, &c. D'autres substances sont calcinées, atténuées & divisées par le même feu ; ce sont les substances calcaires, telles que la pierre à chaux, le marbre, &c. ainsi relativement au feu ordinaire on pourra diviser les substances du regne minéral en calcaires, en vitrifiables ou vitrescibles, & en apyres ou réfractaires.


VITRou VITRY, (Géog. mod.) en latin du moyen âge Vitriacum, Victriacum, mot qui vient de quelque verrerie, de quelque victoire, ou peut être de ce que la légion romaine dite victrix, a demeuré en garnison dans les endroits des Gaules nommés depuis Vitri. Quoi qu'il en soit, ces divers lieux sont ou des villes, ou des bourgades, ou des villages, ou des châteaux.

Vitry-le-François est aujourd'hui la seule ville du nom de Vitry.

Vitry-le-Brûlé, dont nous parlerons, n'est plus qu'un village.

Vitry-sur-la-Scarpe, est une bourgade à deux lieues de Douai, connue pour avoir été le séjour de quelques princes de la premiere race des rois de France. Il y a deux châteaux du nom de Vitry, l'un dans la forêt d'Orléans, dont quelques anciens monumens de l'histoire de France font mention ; l'autre est dans la forêt de Biere en Gâtinois ; & c'est ici que mourut Henri I. roi de France, en 1060, âgé de 55 ans, sans avoir rien fait de mémorable. On sait que c'est sous son regne que commença la premiere maison de Bourgogne, la maison de Lorraine d'aujourd'hui dans la personne de Gérard d'Alsace, & la maison de Savoye dans Humbert aux blanches mains, comte de Maurienne. Le château de Fontainebleau est vraisemblablement élevé sur les ruines de celui de Vitry dont nous parlons. (D.J.)

VITRI-LE-BRULE, (Géog. mod.) ancienne ville, & à présent village de France dans la Champagne, situé sur la riviere de Saulx, à demi-lieue de Vitry-le-François. Elle portoit le titre de comté, & les comtes du Pertois y faisoient leur résidence. L'église paroissiale a été bâtie, selon les uns, par le roi Robert, & selon les autres par les comtes de Champagne, qui furent vassaux des archevêques de Rheims pour Vitry, ainsi que pour d'autres lieux.

Louis le Jeune étant en guerre contre Thibaud, prit Vitry ; ses soldats mirent le feu à l'église, qui fut consumée, & dans laquelle treize cent personnes innocentes périrent d'une maniere affreuse, dit Mezerai ; c'est à cause de cette désolation que Vitri fut nommé le Brûlé. Louis le Jeune en ayant eu la conscience bourrelée, S. Bernard lui prescrivit une croisade pour pénitence, tantum religio....

La ville de Vitri étoit destinée à périr cruellement par le feu. Elle fut en partie incendiée par Jean de Luxembourg, & totalement brûlée par Charles-quint, en 1544. François I. la fit rebâtir à une demi-lieue plus loin sur la Marne, au village de Montcontour, & cette nouvelle ville prit le nom de Vitri-le-François. Voyez en l'article. (D.J.)

VITRI LE-FRANÇOIS, (Géog. mod.) ville de France, dans la Champagne, sur la droite de la Marne, à 6 lieues au sud est de Châlons, à 12 au couchant de Bar-le-Duc, & à 46 au levant de Paris. Long. 22. 16. lat. 48. 39.

On appelle cette ville Vitri le-François, en latin barbare Victoriacum Francisci I. parce que François I. la fit bâtir, & lui donna son nom & sa devise, après le saccagement de Vitri-le-Brûlé, ou Vitri en Pertois, par les troupes de Charles-quint, en 1544. François I. y transfera les jurisdictions qui étoient dans l'autre. Henri II. y fit élever sur la grande place le palais dans lequel lesdites jurisdictions tiennent leurs séances.

Cette ville est aujourd'hui très-peuplée, & fait un gros commerce en grains ; ses places sont assez belles, quoique les maisons n'y soient que de bois. Elle a pour sa défense huit bastions sans maçonnerie, mais entourés de fossés d'eau vive.

Il y a à Vitri un chapitre de fondation royale, un collége des peres de la doctrine chrétienne, deux hôpitaux, un couvent de minimes, un autre de récollets, & des religieuses de la congrégation.

Cette ville a aussi un bailliage, un présidial créé en 1551, & régi par sa coutume particuliere, un maître des eaux & forêts, un grenier à sel, & une châtellenie pour les domaines du roi.

Mais la principale gloire de Vitri-le-François est d'avoir donné naissance, en 1667, à M. Moivre (Abraham.) Il entrevit de bonne heure les charmes des mathématiques, & en fit son étude favorite. Il eut pour maître à Paris le célebre Ozannam, avec lequel il lut non-seulement les livres d'Euclide, qui lui parurent trop difficiles à entendre sans le secours d'un maître, mais encore les sphériques de Théodose.

La révocation de l'édit de Nantes obligea M. Moivre à changer de religion ou de pays. Il opta sans balancer pour ce dernier parti, & passa en Angleterre, comptant, avec raison, sur ses talens, & croyant cependant encore trop légerement avoir atteint le sommet des mathématiques. Il en fut bien-tôt & bien singulierement désabusé.

Le hazard le conduisit chez le lord Devonshire, dans le moment où M. Newton venoit de laisser à ce seigneur un exemplaire de ses principes. Le jeune mathématicien ouvrit le livre, & séduit par la simplicité apparente de l'ouvrage, se persuada qu'il alloit l'entendre sans difficulté ; mais il fut bien surpris de le trouver hors de la portée de ses connoissances, & de se voir obligé de convenir, que ce qu'il avoit pris pour le faîte des mathématiques, n'étoit que l'entrée d'une longue & pénible carriere qui lui restoit à parcourir. Il se procura promtement ce beau livre, & comme les leçons qu'il étoit obligé de donner l'engageoient à des courses presque continuelles, il en déchira les feuillets pour les porter dans sa poche, & les étudier dans les intervalles de ses travaux. De quelque façon qu'il s'y fût pris, il n'auroit jamais pu offrir à Newton un hommage plus digne, ni plus flatteur, que celui qu'il lui rendoit en déchirant ainsi ses ouvrages.

M. Moivre parcourut toute la géométrie de l'infini avec la même facilité & la même rapidité, qu'il avoit parcouru la géométrie élémentaire ; il fut bien-tôt en état de figurer avec les plus illustres mathématiciens de l'Europe ; & par un grand bonheur, il devint ami de M. Newton même.

En 1697, il communiqua à la Société royale, une méthode pour élever ou pour abaisser un multinome infini à quelque puissance que ce soit, d'où il tira depuis une méthode de retourner les suites, c'est-à-dire d'exprimer la valeur d'une des inconnues par une nouvelle suite, composée des puissances de la premiere. Ces ouvrages lui procurerent sur le champ une place dans la Société.

Il avoit donné en 1707 différentes formules pour résoudre, à la maniere de Cardan, un grand nombre d'équations, où l'inconnue n'a que des puissances impaires ; ces formules étoient déduites de la considération des secteurs hyperboliques, & comme l'équation de l'hyperbole ne differe que par les signes de celle du cercle, il appliqua les mêmes formules aux arcs du cercle ; par ce secours, & celui de certaines suites, il résolut des problèmes qu'il n'eut osé tenter sans cela. Ces succès lui attirerent les plus grands éloges de la part de M. Bernoulli & de M. Leibnitz.

M. de Montmort ayant publié son analyse des jeux de hazard, on proposa à M. Moivre quelques problèmes plus difficiles & plus généraux, qu'aucun de ceux qui s'y rencontrent : comme il étoit depuis long-tems au fait de la doctrine, des suites & des combinaisons, il n'eut aucune peine à les résoudre ; mais il fit plus, il multiplia ses recherches, & trouva ses solutions & la route qu'il avoit prise si différentes de celles de M. de Montmort, qu'il ne craignit point qu'on pût l'accuser de plagiat ; aussi de l'aveu de la Société royale qui en porta le même jugement, son ouvrage fut imprimé dans les transactions Philosophiques, sous le titre de mensura sortis.

M. Moivre donna depuis deux éditions angloises de son ouvrage, dans lesquelles il renchérit beaucoup sur les précédentes ; la seconde sur-tout qui parut en 1738, est précédée d'une introduction qui contient les principes généraux de la maniere d'appliquer le calcul au hazard ; il y indique le fondement de ses méthodes, & la nature des suites qu'il nomme récurrentes, dans lesquelles chacun des termes a un rapport fixe avec quelques-uns des précédens ; & comme elles se divisent toujours en un certain nombre de progressions géométriques, elles sont toujours aussi facilement sommables.

Les recherches de M. Moivre sur les jeux de hazard, l'avoient tourné du côté des probabilités : il continua de travailler sur ce sujet, & résolut la question suivante : " si le nombre des observations sur les événemens fortuits peut être assez multiplié, pour que la probabilité se change en certitude ". Il trouve qu'il y a effectivement un nombre de faits, ou d'observations assignables, mais très-grand, après lequel la probabilité ne differe plus de la certitude ; d'où il suit qu'à la longue le hazard ne change rien aux effets de l'ordre, & que par conséquent, où l'on observe l'ordre & la constante uniformité, on doit reconnoître aussi l'intelligence & le choix ; raisonnement bien fort contre ceux qui osent attribuer la création au hazard & au concours fortuit des atomes.

L'âge de M. Moivre commençant à s'avancer, il se trouva successivement privé de la vûe & de l'ouie ; mais ce qu'il y eut de plus singulier, c'est que le besoin de dormir augmenta chez lui à un tel point, que vingt heures de sommeil par jour, lui devinrent habituelles. Enfin, en 1754 il cessa de s'éveiller, étant âgé de quatre-vingt-sept ans. L'académie des Sciences de Paris, l'avoit nommé cinq mois auparavant à la place d'associé étranger, & il se flattoit même alors, de pouvoir payer cet honneur par quelque tribut académique. (D.J.)


VITRICIUM(Géogr. anc.) ville des Alpes, selon l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route de Milan à Vienne, en prenant par les Alpes graïennes. Les géographes disent, que c'est aujourd'hui Vereggio ou Verezo, sur la Doria. (D.J.)


VITRIERS. m. (Vitrerie) ouvrier qui emploie le verre, le coupe & le dresse, pour en construire des panneaux, avec ou sans plomb, en garnir des chassis à carreaux, faire des lanternes & autres ouvrages, appartenans au métier de Vitrier. La communauté des maîtres Vitriers-peintres sur verre, de la ville de Paris, a reçu ses premiers statuts sous le regne de Louis XI. qui leur en fit expédier des patentes le 24 Juin 1467, enregistrées aux registres du châtelet le 26 Août de la même année. La Marre. (D.J.)


VITRIFIABLEadj. (Hist. nat. & Chymie) se dit de tous les corps que l'action du feu peut changer en verre. Parmi les pierres, on nomme vitrifiables celles qui se fondent au feu & qui s'y convertissent en une substance semblable à du verre ; plusieurs naturalistes ont fait une classe particuliere des terres & des pierres, qu'ils ont nommées vitrifiables ; ils placent dans ce nombre les cailloux, les jaspes, les agates, les crystaux, les pierres précieuses, &c. mais cette dénomination paroît impropre, vû que ; 1°. aucune de ces pierres ou terres n'est vitrifiable par elle-même, c'est-à-dire n'entre en fusion au feu ordinaire sans addition ; ainsi celles qui s'y convertissent en verre sans addition, portent leur fondant avec elles, 2°. Les pierres sont presque toutes vitrifiables en plus ou moins de tems au miroir ardent, quoique le feu ordinaire ne soit point suffisant pour les faire entrer en fusion, voyez MIROIR ARDENT. 3°. Des terres & des pierres qui seules n'entrent point en fusion dans le feu ordinaire, peuvent y entrer facilement lorsqu'on les combine avec d'autres pierres ou terres qui elles-mêmes ne fondent point seules. C'est ainsi que la craie & l'argille mêlées ensemble font du verre, tandis que chacune de ces substances prise séparément, ne produit point cet effet dans le feu ordinaire.

On voit donc, que pour parler avec exactitude, on devroit refuser ou donner le nom de vitrifiable à toutes les pierres ; ou du-moins on devroit borner cette dénomination aux substances minérales, que le feu ordinaire change en verre sans aucune addition, & qui, comme on l'a déja fait observer, contiennent au dedans d'elles-mêmes des substances propres à faciliter leur fusion ; c'est ainsi que le spath qu'on nomme fusible paroît contenir une portion de plomb, qui, comme on sait, est un des plus grands fondans de la Chymie ; le basaltes ou la pierre de touche en grands crystaux, telle que celle de Stolpen, en Misnie, se fond très-aisément. Quant à l'argille & aux pierres argilleuses, elles n'ont jamais qu'un commencement de vitrification dans le feu ordinaire, c'est ce qui fait leur caractere distinctif, & ce qui est le fondement de la propriété qu'elles ont de prendre de la liaison & de la dureté lorsqu'on les expose au feu ; ainsi il est à présumer que les terres de cette espece n'ont qu'une certaine portion de fondant qui n'est point suffisant pour les saturer, au point de se changer totalement en verre.

Les Chymistes ont donné le nom de terre vitrescible à celle qui est cause de la propriété que certains corps ont de se vitrifier. Cette terre est connue par ses effets, mais la Chymie ne paroît point en état de développer quels sont ses principes. Voyez VITRESCIBILITE.


VITRIOLS. m. (Hist. nat. Minéralog.) c'est un sel d'un goût acerbe & astringent, formé par l'union d'un acide particulier, que l'on nomme vitriolique, avec du fer, du cuivre ou du zinc, ou avec une terre ; il est ou vert, ou bleu, ou blanc.

Suivant que l'acide vitriolique est combiné avec ces différentes substances, il constitue des vitriols différens. Quand il est combiné avec le fer, il forme un sel d'une couleur verte plus ou moins foncée, que l'on nomme vitriol de Mars, ou martial, ou couperose verte ; quand ce même acide est combiné avec le cuivre, il fait un sel d'une couleur bleue, que l'on nomme vitriol de Vénus, vitriol cuivreux, vitriol bleu, couperose bleue, vitriol de Chypre, &c. Quand cet acide est combiné avec le zinc, il fait un sel blanc que l'on nomme vitriol blanc, couperose blanche, vitriol de Goslar, ou vitriol de zinc. Tous ces différens vitriols se crystallisent sous la forme d'un lozange, dont les côtés sont en bizeau. Enfin l'acide vitriolique combiné avec une terre particuliere, forme un sel blanc que l'on nomme alun. Il est rare que ces différentes especes de vitriols soient parfaitement purs ; ce qui fait que quelques auteurs appellent le vitriol mêlangé, vitriol mixte, ou vitriol hermaphrodite.

L'acide vitriolique qui produit ces différens sels, est aussi appellé acide universel, parce qu'il est répandu dans notre athmosphere ; mais sur tout il est propre au regne minéral. Il est le même que celui qui se trouve dans le soufre, & alors cet acide est combiné avec le phlogistique des matieres inflammables. Voyez l'article SOUFRE.

Ce qui prouve que l'acide vitriolique est répandu dans l'air, c'est que si on expose à l'air un sel alkali, il se dissout & devient liquide ; & si on fait évaporer cette liqueur, on obtient un sel que l'on appelle tartre vitriolé, qui est exactement de la même nature que celui qui se fait par art en combinant ensemble de l'acide vitriolique avec un alkali fixe. A la vûe de la prodigieuse quantité de soufre que la terre renferme dans son sein, & qui est ordinairement combiné avec les métaux dans les mines, on ne peut douter que l'acide vitriolique n'y soit très-abondant ; mais alors il a des entraves, puisqu'il est lié par la partie grasse du soufre qui est uni avec les substances métalliques.

Pour former du vitriol, il faut que l'acide vitriolique se dégage de la partie grasse du soufre, & le combine avec une des substances que nous avons dites, c'est-à-dire ou avec le fer, ou avec le cuivre, ou avec le zinc, ou avec une terre. Ces trois substances métalliques sont les seules qui constituent un sel avec l'acide vitriolique.

Les différens vitriols sont ou naturels ou factices. Les vitriols naturels sont ceux qui se sont formés sans le concours de l'art. Leur formation est dûe à la décomposition des pyrites. Ce sont des substances minérales, composées de soufre, de fer, & quelquefois de cuivre. Voyez PYRITE. Quelques-unes de ces pyrites, lorsqu'elles viennent à être frappées par l'air extérieur, perdent leur liaison ; se réduisent en une poudre qui se couvre d'une espece de moisissure, qui n'est autre chose que du vitriol en crystaux extrêmement deliés. Ce qu'on peut dire de plus vraisemblable sur cette décomposition des pyrites, c'est que par le contact de l'air qui est lui-même, comme nous l'avons dit, chargé d'acide vitriolique, cet acide se joint à l'acide analogue contenu dans le pyrite, & lui fournit assez de force pour se débarrasser des entraves que le soufre lui donnoit. Comme cet acide mis en liberté a beaucoup de disposition à s'unir avec le fer, ou avec le cuivre qui étoient contenus dans le pyrite, il se combine avec ces métaux, & constitue par-là le sel que nous appellons vitriol. Nous voyons quelques pyrites se décomposer sous nos yeux ; la même chose arrive dans l'intérieur de la terre, lorsque les pyrites viennent à être frappées par l'air ; c'est là ce qui est cause que l'on rencontre dans les souterrains de quelques mines du vitriol, soit martial, soit cuivreux, tout formé ; c'est celui-là qu'on appelle vitriol natif. Comme quelquefois on le trouve sous la forme de stalactites, ou semblable aux glaçons qui s'attachent en hiver aux toîts des maisons, on lui a donné le nom de vitriolum stillatitium, ou vitriolum stalacticum. On en rencontre de cette espece dans les mines du Hartz, dans quelques mines d'Hongrie, &c.

On trouve dans quelques mines de ce dernier royaume, un vitriol naturel qui paroît sous la forme d'un enduit soyeux ; les Allemands l'appellent atlasvitriol, c'est-à-dire vitriol satiné.

On trouve encore du vitriol tout formé dans quelques terres & dans quelques pierres, telles sont celles que l'on nomme pierres atramentaires. On les reconnoît à leur goût acerbe ; on en peut retirer le vitriol en les lavant. Ces terres & pierres sont ou jaunes, ou rougeâtres, ou noirâtres, ou grises, à qui les anciens naturalistes ont donné différens noms, tels que ceux de misy, de sory, de chalcitis, de melanteria, &c. que l'on a trop multipliés, & qui ne font que jetter de la confusion dans les idées, comme le célebre M. Henckel l'a prouvé dans sa pyritologie. Toutes ces terres & pierres sont redevables de leur vitriol à des pyrites tombées en efflorescence.

Quelques eaux sont chargées d'une quantité plus ou moins forte de vitriol ; on les reconnoît à la sensation qu'elles font sur la langue. Telles sont sur tout les eaux vitrioliques que l'on nomme eaux cementatoires. Lorsqu'on voudra s'assurer si une eau contient du vitriol, on n'aura qu'à y verser une infusion de noix de galle ; si elle noircit, ce sera une preuve qu'elle contenoit du vitriol martial ; si elle contient du vitriol cuivreux, en y trempant du fer, le cuivre se précipitera, & rougira le fer qu'on y aura trempé.

Le chêne, le bois d'aune, & un grand nombre de fruits & de plantes contiennent du vitriol.

Mais l'on n'obtient de toutes ces substances qu'une très-petite quantité de vitriol, relativement aux besoins de la société ; c'est pour cela qu'on cherche à en tirer une quantité plus grande, en employant les secours de l'art.

En effet, toutes les pyrites n'ont point la propriété de se décomposer d'elles-mêmes à l'air ; & celles à qui cela arrive le font quelquefois très-lentement. On est donc obligé de commencer par les griller ; pour cet effet, on commence par former des aires, que l'on couvre de bois, & l'on arrange par-dessus les pyrites en tas ; on met le feu à ce bois, & par ce moyen on dégage la plus grande partie du soufre qui empêchoit l'acide vitriolique de se mettre en action. Voyez l'article SOUFRE. Lorsque les pyrites ont été grillées suffisamment, on les laisse exposées en un tas à l'air, & alors il s'y forme du vitriol, que l'on en retire en lavant ces pyrites calcinées, ou ce qui vaut encore mieux, en les faisant bouillir avec de l'eau dans des chaudieres de plomb ; on laisse reposer cette eau pendant quelque tems, afin qu'elle puisse se dégager des matieres étrangeres qui se déposent au fond. Alors on la met dans de nouvelles chaudieres de plomb, dont le fond est plat & peu profond, & qui sont placées sur un fourneau. On y fait bouillir l'eau chargée de vitriol, ayant soin d'en remettre de nouvelle à mesure que l'évaporation s'en fait, de maniere que la chaudiere demeure toujours pleine. On continue à faire bouillir l'eau vitriolique, jusqu'à ce qu'elle devienne d'une consistance épaisse, & qu'elle soit prête à se crystalliser, ce que l'on reconnoît à la pellicule saline qui se forme à sa surface ; alors on vuide cette eau dans des auges ou cuves de bois, où elle séjourne quelque tems pour se clarifier, après quoi on la remet dans d'autres auges ou cuves, dans lesquelles on place des bâtons de bois branchus. Par ce moyen le vitriol, sous la forme de crystaux, s'attache aux parois de ces auges, & aux bâtons qu'on n'y a mis que pour présenter un plus grand nombre de surfaces au vitriol qui se forme. L'eau qui surnage aux crystaux se remet en évaporation avec de nouvelle eau chargée de vitriol, & on la fait bouillir de nouveau dans les chaudieres de plomb, de la maniere qui vient d'être décrite. Mais il faut prendre garde pendant la cuisson, qu'il ne tombe aucune matiere grasse dans la chaudiere, parce que cela nuiroit à l'opération.

Telle est la maniere qui se pratique pour obtenir le vitriol des pyrites grillées ; elle peut avoir quelques variations dans les différens pays, mais ces différences ne sont point essentielles. Quand on a obtenu le vitriol de cette maniere, il se met dans des tonneaux à l'abri du contact de l'air, & il est propre à entrer dans le commerce.

On sent aisément qu'il est presque impossible qu'un vitriol soit parfaitement pur, vû que les pyrites contiennent souvent, outre le fer, une portion plus ou moins grande de cuivre, ce qui est cause que le vitriol est quelquefois mêlangé ; & il peut aussi s'y trouver des portions d'alun. Ainsi quand on veut faire des opérations exactes avec le vitriol, il faut le purifier de nouveau, ou bien le faire artificiellement. Si l'on veut avoir un vitriol martial bien pur, on n'aura qu'à faire dissoudre dans l'eau le vitriol que l'on soupçonne de contenir quelques portions de cuivre, on y trempera un morceau de fer, & par ce moyen la partie cuivreuse se précipitera sur le fer qui deviendra d'une couleur de cuivre, & les parties du fer prendront la place du cuivre qui se sera précipité.

Le vitriol bleu ou cuivreux, se trouve quelquefois formé naturellement, quoiqu'en petite quantité ; il est rare qu'il ne contienne point une portion de fer, parce qu'il est produit par des pyrites qui contiennent toujours nécessairement ce métal. Ce vitriol se fait artificiellement, en mettant en cémentation des lames & des rognures de cuivre avec du soufre, on en fait des couches alternatives ; l'acide qui se dégage du soufre s'unit au cuivre, & forme avec lui un vitriol bleu, que l'on obtient en lavant le mêlange, & en le faisant crystalliser.

Le vitriol blanc n'est pas non-plus parfaitement pur, comme celui qui vient de Goslar est produit par une mine très-mêlangée, qui contient du fer, du cuivre, du zinc, & du plomb ; il renferme souvent des portions de toutes ces substances.

On trouve quelquefois de ce vitriol blanc tout formé par la nature, dans les souterrains de la mine de Ramelsberg, au Hartz, dans le voisinage de la ville de Goslar. Mais c'est par l'art que l'on en obtient la plus grande quantité. Pour cet effet, on commence par griller la mine, qui comme nous l'avons observé, est très-mêlangée ; après le grillage on lave cette mine dans de l'eau, que l'on laisse séjourner pour qu'elle se clarifie. Alors on la décante, & on la verse dans des chaudieres de plomb, où on la fait bouillir ; on la laisse reposer de nouveau, après quoi on la fait crystalliser. On calcine de nouveau les crystaux de vitriol blanc qui se sont formés ; on les dissout dans de l'eau ; on laisse reposer la dissolution ; on décante ensuite la partie qui est claire & limpide ; on la fait bouillir de nouveau, & lorsqu'elle est devenue d'une consistance solide, on la met dans des moules triangulaires, où ce vitriol acheve de se sécher : & on la débite de cette maniere. Malgré ces précautions, ce vitriol ne peut être que très-mêlangé, quoique le zinc en fasse le principal ingrédient. En effet, on peut en retirer ce demi métal ; pour cela l'on n'a qu'à dissoudre le vitriol blanc dans de l'eau ; on précipitera la dissolution par un alkali fixe ; on mêlera le précipité qu'on aura obtenu avec du charbon pulvérisé ; on mettra ce mêlange en distillation dans une cornue de verre, & l'on trouvera qu'il se sera attaché dans le col de la cornue du zinc sublimé, qui mêlé avec le cuivre, le jaunira : propriété qui caractérise ce demi-métal. Voyez ZINC. On voit par ce qui précede, que quand on voudra avoir du vitriol blanc, bien pur, le plus sûr sera de le faire soi-même, en combinant de l'acide vitriolique avec du zinc.

L'alun, comme nous l'avons fait observer, est aussi un vrai vitriol, il est formé par la combinaison de l'acide vitriolique & d'une terre dont la nature est peu connue des chymistes ; M. Rouelle la regarde comme une terre végétale produite sur-tout par la décomposition des bois qui ont été ensevelis en terre. Ce savant académicien croit que tout l'alun qui se trouve tout formé dans la nature est produit des volcans & des feux souterrains. Il est certain que ce sel se trouve en grande abondance en Italie, près du Vésuve, de l'Etna, près de Rome, dans la Solfatara, &c. on tire aussi l'alun de quelques terres grasses & bitumineuses qui se trouvent près des charbons de terre, & qui paroissent formés par la décomposition de bois fossiles & bitumineux.

On donne quelquefois aux différens vitriols les noms des pays d'où ils nous viennent ; c'est ainsi qu'on dit du vitriol romain, d'Hongrie, d'Angleterre, de Chypre, &c. Ces vitriols sont plus ou moins purs en raison du soin que l'on apporte à les faire, & de la nature des substances d'où on les tire. Avant que de s'en servir dans les opérations de la chymie, il est à propos de les purifier, pour les dégager des matieres étrangeres qui peuvent s'être jointes à ces vitriols par le peu de soin que l'on a pris dans les atteliers où on les travaille en grand ; pour les purifier, il faut dissoudre les vitriols dans de l'eau pure, filtrer la dissolution, la faire évaporer, & ensuite la porter dans un lieu frais pour qu'elle se crystallise. On pourra, s'il en est besoin, réitérer plusieurs fois cette opération. Par ce moyen, chaque vitriol donnera des crystaux ou verds, ou bleus, ou blancs. Le vitriol martial sera en lozanges ou en rhomboïdes, dont les bords sont disposés en biseau ou en plans inclinés. Le vitriol bleu sera aussi en rhomboïdes, & la surface sera en dos d'âne. L'alun donne des crystaux hexagones à côtés inégaux. Le vitriol blanc donne des crystaux oblongs qui ont la forme d'une biere à enterrer les morts.

Toutes les fois qu'on dissout du vitriol martial, il se précipite au fond de la dissolution une terre jaune, qui est produite par la décomposition du fer qui est contenu dans ce sel. Cette terre jaune est ce qu'on appelle l'ochre factice ; si on la calcine, elle devient d'un rouge assez vif. On en fait le crayon rouge, & une couleur propre à servir aux peintres.

Le vitriol se calcine à l'air, & sur-tout au soleil, & s'y réduit en une poudre blanche, que l'on nomme vulgairement poudre de sympathie.

C'est par la distillation que l'on sépare du vitriol l'acide qui le constitue, & que l'on nomme acide vitriolique. Pour cet effet, on prend du vitriol calciné à blanc, soit au soleil, soit sur le feu ; on le met dans une cornue de grès bien lutée, que l'on place dans un fourneau de réverbere ; on y adapte un grand ballon percé d'un petit trou ; on lutte bien les jointures des vaisseaux ; on commence par donner d'abord un feu doux, de peur de briser les vaisseaux ; ensuite on donne un feu assez violent pour faire rougir la cornue, que l'on tient dans cet état pendant trois jours & trois nuits. Par cette distillation on obtient d'abord une liqueur flegmatique, un peu acide, que l'on nomme quelquefois esprit de vitriol ; ensuite on obtient une liqueur pesante, qui est un acide, & que l'on a nommé très-improprement huile de vitriol, & qui est d'une couleur jaunâtre. Il reste dans la cornue une substance rouge, semblable à de la terre, que l'on nomme colcothar ; cette substance attire l'humidité de l'air, tant qu'elle contient quelques portions de l'acide, mais elle ne l'humecte point lorsqu'on en a chassé tout l'acide. En lavant ce colcothar, on en retire un sel blanc, que l'on nomme gilla vitrioli ; ce qui n'arrive que lorsque le vitriol, dont on s'est servi pour la distillation, contenoit de l'alun.

Si l'on veut concentrer & rendre plus actif l'acide vitriolique, ou ce qu'on appelle l'huile de vitriol, on n'aura qu'à la mettre dans une cornue de verre bien luttée, on la mettra dans un fourneau de réverbere, on y adaptera une allonge, au bout de laquelle on ajustera un ballon percé d'un petit trou. On aura soin de bien lutter les jointures des vaisseaux ; on commencera par donner un feu doux, & ensuite on le rendra assez fort pour faire bouillir l'acide vitriolique. Cette méthode est de M. Rouelle, qui est parvenu à obtenir un acide vitriolique très-concentré, & qui a le double du poids de l'eau. Pour cet effet, il prend du vitriol calciné jusqu'à rougeur ; il le met dans une cornue toute chaude, de peur qu'il n'attire l'humidité de l'air, & il distille à grand feu ; par ce moyen on obtient ce qu'on appelle huile glaciale de vitriol, c'est un acide aussi concentré qu'il est possible. L'acide vitriolique attire très fortement l'humidité de l'air, & avec d'autant plus de force qu'il est plus concentré, & alors le mêlange s'échauffe considérablement.

L'acide vitriolique dissout la craie ; & de leur combinaison, il résulte un sel que l'on nomme sélénite, qui exige, suivant M. Rouelle, trois cent soixante fois son poids d'eau pour être mis en dissolution. Voyez SELENITE.

L'acide vitriolique combiné avec un sel alkali fixe, produit un sel neutre, que l'on nomme tartre vitriolé : ce sel crystallise en hexagone, il ne se décompose pas au plus grand feu, c'est un excellent purgatif. En exposant de l'alkali fixe à l'air, il se forme un tartre vitriolé tout semblable.

Si on combine l'acide vitriolique avec un sel alkali volatil, on obtient un sel neutre, que l'on nomme sel ammoniacal secret de Glauber.

Cet acide combiné avec le principe inflammable, constitue le corps que l'on appelle soufre. Voyez SOUFRE.

En combinant l'acide vitriolique avec de l'huile essentielle de térébenthine, on produit une résine artificielle qui ressemble beaucoup à du bitume. Cet acide agit aussi sur les huiles tirées par expression.

L'acide vitriolique combiné avec l'esprit-de-vin bien déflegmé, donne l'acide vitriolique vineux volatil, connu sous le nom de liqueur éthérée de Frobenius ou d'éther. Voyez l'article ÉTHER. On n'a rien à ajouter à ce qui a été dit dans cet article, sinon que M. le comte de Lauraguais a découvert depuis que l'éther est miscible avec l'eau ; mais pour qu'il y soit entierement mêlé, il faut joindre dix parties d'eau contre une d'éther.

L'acide vitriolique, sur-tout quand il est concentré, agit avec une très-grande force sur les substances animales & végétales qu'il décompose. Lorsqu'on en mêle avec une grande quantité d'eau & de sucre, on peut faire une espece de limonade très-agréable, & utile pour ceux qui font de longs voyages sur mer, & qui ne peuvent se procurer du citron. Cette liqueur est très-rafraîchissante, mais il faut observer de ne mettre que quelques gouttes de cet acide sur une pinte d'eau.

Les mémoires de l'académie royale de Suede nous apprennent un secret très-utile pour conserver les bois de charpente contre les vers, contre les injures de l'air & contre l'humidité ; il consiste à tremper ces bois dans une dissolution de vitriol faite dans l'eau ; lorsque le bois a été imprégné de vitriol à plusieurs reprises, on peut encore le couvrir de quelques couches de peinture à l'huile. On prétend que cette méthode est très-propre à conserver les bois pendant un très-grand nombre d'années ; elle seroit aussi applicable aux bois de construction pour les vaisseaux. (-)


VITRIOLIQUEACIDE, (Chymie) c'est de l'acide vitriolique que derivent tous les autres, suivant le sentiment des chymistes qui ont voulu pénétrer par la théorie dans la connoissance des choses, lorsque l'expérience les abandonnoit. Quoiqu'ils le pensent, & qu'on soupçonne leur transmutation possible, on ne connoît aucun procédé par lequel on puisse produire les autres acides avec celui ci.

Cet acide est le plus pesant de tous, répandu dans l'air ; il en a pris le nom d'universel. On le retire par la combustion du soufre, par la distillation & des procédés particuliers des sels neutres qu'il compose. Il dissout toutes les terres & métaux, si on excepte les vitrifiables & l'or. Il s'unit avec effervescence & chaleur à ces corps ; il fait de même en se mêlant à l'eau & à l'esprit-de-vin. Cette derniere liqueur le dulcifie, & le rend plus tempéré, plus astringent & moins rafraîchissant. Ce mêlange distillé fournit la liqueur minérale anodine d'Hoffman, & l'éther. Ce même acide versé sur les huiles essentielles, les enflamme, & laisse après lui un charbon spongieux, appellé le champignon philosophique. Lorsqu'il est concentré, il attaque non-seulement les chaux & les verres métalliques, mais même le verre ordinaire, si on les fait bouillir ensemble. Ce qui nous fait croire qu'on pourroit décomposer le verre en versant dans une cornue du verre pulvérisé & cet acide, les soumettant à une violente distillation pour obtenir un tartre vitriolé ou un sel de Glauber, qui resteroient au fond de la cornue. Comme il a plus d'affinité que les autres acides avec les alkalis, & même avec la plûpart des métaux il décompose presque tous les sels neutres, & fournit un des meilleurs moyens d'en dégager l'acide.

Quant à son usage médicinal, il est le même que celui que nous avons attribué aux acides en général. Voyez les propriétés de ces sels au mot SELS. Nous y joindrons seulement la remarque que cet acide étant en quelque maniere plus acide que les autres, il possede à un plus haut point les vertus qui leur sont communes.


VITTAS. f. (Littérat.) bandelette, bande ; ces bandes, vittae, servoient à border des robes d'hommes & de femmes ; on les employoit sur-tout dans les cérémonies religieuses, pour orner les victimes destinées aux sacrifices.

Je crois qu'il faut distinguer vittae de infulae ; infula étoit un bandeau qui couvroit le front du grand pontife, & vittae étoient des bandelettes qui ceignoient sa tête, & tomboient sur les épaules : elles sont l'origine de ces deux bandes pendantes, attachées aux mitres épiscopales. (D.J.)

VITTA, chez les Anatomistes, bandeau est un mot usité pour exprimer cette partie de l'amnios, qui est attachée à la tête d'un enfant lorsqu'il vient au monde. Voyez AMNIOS, COEFFE, &c.


VITTEAUX(Géog. mod.) petite ville de France, dans la Bourgogne, recette de Sémur, avec un grenier à sel & une mairie. Il y a dans cette ville un hôpital, un couvent de minimes & des ursulines. Elle députe aux états de Bourgogne ; sa situation est sur la Braine & sur un torrent entre des montagnes où l'on trouve du marbre, à 11 lieues ouest de Dijon, 5 sud-est de Sémur. Long. 22. 2. latit. 47. 22.

Languet (Hubert) naquit à Vitteaux en 1518, & se rendit illustre par son habileté dans les lettres, par sa capacité dans les affaires, & par sa grande probité. Ayant lu à Boulogne un livre de Mélanchton, (ce sont les lieux communs de ce théologien), il conçut une telle estime pour l'auteur, qu'il se rendit à Wittemberg en 1549 ; & après l'avoir connu, il embrassa la religion protestante. Il devint en 1565 l'un des premiers conseillers d'Auguste, électeur de Saxe. Ce prince le chargea de négociations importantes, & Languet s'en acquitta très-bien. Il est auteur de la harangue pleine de force, qui fut faite à Charles IX. le 23 de Décembre 1570, au nom de plusieurs princes d'Allemagne.

Il étoit auprès de Guillaume, prince d'Orange, & admis dans le secret de ses affaires, lorsqu'il mourut à Anvers l'an 1581, à 63 ans, sans avoir été marié. On a de lui un gros recueil de lettres en latin, écrites à Auguste électeur de Saxe, aux Camerarius pere & fils, & à son héros Philippe Sidney, vice roi d'Irlande. On lui attribue encore le fameux livre qui a pour titre Vindiciae contra tyrannos ; sur quoi le lecteur peut voir la dissertation de Bayle, qui est à la fin de son dictionnaire.

Philibert de la Mare a écrit en latin la vie de cet homme illustre. M. de Thou, qui l'avoit connu aux eaux de Bade, en fait un grand éloge dans son histoire, lib. LXXIV. ad an. 1581 ; & du Plessis Mornay dit de lui : Is fuit (Languetus) quales multi videri volunt ; is vixit qualiter optimi mori cupiunt. (D.J.)


VITTESVITTES


VITTONNIEREou BITTONNIERES, (Marine) voyez ANGUILLIERS.


VITTORIA(Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la Biscaie, fondée par don Sanche, roi de Navarre, & capitale de la province d'Alava, avec titre de cité, entre Miranda & Tolosa, à 60 lieues au nord de Madrid. Elle a une double enceinte de murailles, sans aucune fortification. Ses grandes rues sont bordées d'arbres arrosés de ruisseaux d'eau vive pour leur entretien contre la chaleur. On y commerce en marchandises de fer, & en lames d'épées qu'on y fabrique avec soin. Long. 14. 43. latit. 42. 49.

Alava (Diego Equivel de), célebre évêque espagnol du xvj. siecle, naquit à Vittoria, & mourut vers l'an 1562. Son ouvrage intitulé, de conciliis universalibus, ac de his quae ad religionis & reipublicae christianae reformationem instituenda videntur, parut à Grenade en 1582, in-fol. c'est un ouvrage plein de bonnes vues de réformation qui n'ont pas été suivies. L'auteur avoit assisté au concile de Trente, & proposa dans une congrégation générale des évêques qui y étoient, de lire publiquement les bulles du pape, concernant les pouvoirs qu'il donnoit aux légats. Mais le cardinal de Ste Croix fit tomber cette proposition, parce que la bulle du pontife de Rome accordée à ses légats ôtoit réellement toute autorité au concile, ce qui fit que chaque légat tint sa bulle secrette. Lorsqu'après l'ouverture du concile on débattit la question de la pluralité des bénéfices, Alava proposa de défendre toutes les commendes & l'union de deux bénéfices en un même sujet, quoique cette union ne fût que pour la vie de celui qui en jouissoit ; mais les autres évêques, & sur-tout ceux d'Italie, ne goûterent point cette réforme, & la rejetterent hautement d'un consentement unanime. (D.J.)

VITTORIA, (Géog. mod.) ville de l'Amérique, en Terre ferme, au nouveau royaume de Grenade, dans l'audience de Santa Fé, à 50 lieues au nord-ouest de Santa-Fé. (D.J.)


VITULAS. f. (Mytholog.) déesse de la réjouissance chez les Romains. Macrobe dit qu'elle a été mise au nombre des divinités à l'occasion suivante. Dans la guerre contre les Toscans, les Romains furent mis en déroute le 7 de Juillet, qui pour cela fut appellé populi fuga, fuite du peuple ; mais le lendemain ils eurent leur revanche, & remporterent la victoire. On fit des sacrifices aux dieux, & sur-tout une vitulation publique, c'est-à-dire, une grande réjouissance, en mémoire de cet heureux succès. (D.J.)


VITULI INSULA(Géog. anc.) île de la grande Bretagne, selon Bede, qui dit que dans le pays on la nomme Scoleseu. Il ajoute que c'est un lieu tout environné de la mer, excepté du côté de l'occident, qu'il y a une entrée de la largeur d'un jet de fronde.

Au midi de Chichester, la mer d'une part, & deux baies des deux autres côtés, forment une petite presqu'île nommée Selsey, au lieu de Scaleseg : ce qui signifie l'île des veaux marins. Elle n'est peuplée aujourd'hui que de villages ; mais anciennement on y voyoit sur le rivage oriental, & vers la pointe de la baie, une ville nommée aussi Selsey, qui fut long-tems florissante, ayant eu des évêques depuis le septieme siecle jusqu'au regne de Guillaume le conquérant. Elle fut ruinée par quelque inondation de l'Océan, & le siege épiscopal fut transféré à Chichester ; il n'y reste plus rien que des masures qu'on peut voir lorsque la mer est basse. (D.J.)


VITUMNUS(Mythologie) ce dieu qu'on invoquoit lors de la conception d'un enfant, n'est pas de la mythologie payenne, mais de la fabrique de S. Augustin ; il est aisé de s'en appercevoir. (D.J.)


VITZILIPUTZLIS. m. (Hist. mod. Superstit.) c'étoit le nom que les Mexicains donnoient à leur principale idole, ou au Seigneur tout-puissant de l'univers : c'étoit le dieu de la guerre. On le représentoit sous une figure humaine assise sur une boule d'azur, posée sur un brancard, de chaque coin duquel sortoit un serpent de bois. Ce dieu avoit le front peint en bleu ; une bande de la même couleur lui passoit par dessus le nez, & alloit d'une oreille à l'autre. Sa tête étoit couverte d'une couronne de plumes élevées dont la pointe étoit dorée ; il portoit dans sa main gauche une rondache sur laquelle étoient cinq pommes de pin & quatre fleches que les Mexicains croyoient avoir été envoyées du ciel. Dans la main droite il tenoit un serpent bleu. Les premiers espagnols appelloient ce dieu Huchilobos, faute de pouvoir prononcer son nom. Les Mexicains appelloient son temple teutcalli : ce qui signifie la maison de Dieu. Ce temple étoit d'une richesse extraordinaire ; on y montoit par cent quatorze degrés, qui conduisoient à une plate-forme, au-dessus de laquelle étoient deux chapelles : l'une dédiée à Vitziliputzli, & l'autre au dieu Tlaloch, qui partageoit avec lui les hommages & les sacrifices. Devant ces chapelles étoit une pierre verte haute de cinq piés, taillée en dos-d'âne, sur laquelle on plaçoit les victimes humaines, pour leur fendre l'estomac & leur arracher le coeur, que l'on offroit tout fumant à ces dieux sanguinaires ; cette pierre s'appelloit quatixicali. On célébroit plusieurs fêtes en l'honneur de ce dieu, dont la plus singuliere est décrite à l'article YPAÏNA.


VIVACEPLANTE, (Botan.) on appelle en botanique plantes vivaces les plantes qui portent des fleurs plusieurs années de suite sur les mêmes tiges, & sans être transplantées. Les botanistes distinguent les plantes vivaces de celles qui meurent après avoir donné de la semence. Les plantes vivaces sont encore de deux sortes : les unes qui sont toujours vertes comme le giroflier, & les autres qui perdent leurs feuilles pendant l'hiver, comme la fougere. (D.J.)


VIVACITÉPROMTITUDE, (Synonym.) la vivacité tient beaucoup de la sensibilité & de l'esprit ; les moindres choses piquent un homme vif ; il sent d'abord ce qu'on lui dit, & réfléchit moins qu'un autre dans ses réponses. La promtitude tient davantage de l'humeur & de l'action ; un homme promt est plus sujet aux emportemens qu'un autre ; il a la main légere, & il est expéditif au travail. L'indolence est l'opposé de la vivacité, & la lenteur l'est de la promtitude. (D.J.)


VIVANDIERS. m. (Art milit.) c'est un particulier à la suite d'un régiment ou d'une troupe, qui se charge de provisions pour vendre & distribuer à la troupe. Les vivandiers doivent camper à la queue des troupes auxquelles ils sont attachés, & immédiatement avant les officiers. (Q)


VIVANT(Jurisprud.) homme vivant & mourant. Voyez l'article HOMME. Voyez aussi l'article VIE.


VIVARAISLE, (Géog. mod.) ou le VIVAREZ ; petite province de France, dans le gouvernement du Languedoc ; elle est bornée au nord par le Lyonnois, au midi par le diocèse d'Uzès, au levant par le Rhône, qui la sépare du Dauphiné, & au couchant par le Vélay & le Gévaudan.

Le Vivarais a pris son nom de la ville de Viviers. Les peuples de ce pays s'appelloient autrefois Helvii, & appartenoient à la province romaine du tems de Jules César. Après la nouvelle division des provinces sous Constantin & ses successeurs, les Helviens furent attribués à la premiere Viennoise. Leur capitale s'appelloit Albe, & même Albe-Auguste, aujourd'hui Alps ; mais ce n'est plus qu'un bourg, qui a succédé à l'ancienne ville ruinée par les Barbares.

Lorsque l'empire romain s'écroula dans le cinquieme siecle, les peuples helviens tomberent sous l'empire des Bourguignons, & ensuite sous celui des François ; tout le pays est nommé dans Pline, Helvicus Pagus ; cet historien en fait mention, ainsi que du vin de son territoire, helvicum vinum.

Le Vivarais est divisé en haut & bas Vivarais par la riviere d'Erieu. Le haut Vivarais est couvert de montagnes qui nourrissent quantité de bestiaux. Le bas Vivarais est encore plus cultivé par l'industrie des habitans.

Argoux (Gabriel) avocat du parlement de Paris, mort au commencement de ce siecle, étoit né dans le Vivarais ; son institution au droit françois est un ouvrage estimé.

La Fare (Charles-Auguste de) né en 1644 au château de Valgorge en Vivarais, mourut à Paris en 1712. Il est connu par ses mémoires & par des vers agréables où regne le bon goût & la finesse du sentiment. Il lia l'amitié la plus étroite avec l'abbé de Chaulieu, & tous deux faisoient les délices de la bonne compagnie. Inspirés par leur esprit, par la déesse de Cythere & par le dieu du vin, ils chantoient délicatement dans les soupers du Temple les éloges de ces deux divinités. Mais ce qu'il y a de singulier, c'est que le talent du marquis de la Fare pour la poésie ne se développa que dans la maturité de l'âge. " Ce fut, dit M. de Voltaire, madame de Cailus, l'une des plus aimables personnes de son siecle par sa beauté & par son esprit, pour laquelle il fit ses premiers vers, & peut-être les plus délicats qu'on ait de lui. "

M'abandonnant un jour à la tristesse,

Sans espérance, & même sans desirs,

Je regrettai les sensibles plaisirs

Dont la douceur enchanta ma jeunesse.

Sont-ils perdus, disois-je, sans retour ?

Et n'es-tu pas cruel, Amour,

Toi que j'ai fait dès mon enfance

Le maître de mes plus beaux jours,

D'en laisser terminer le cours

A l'ennuyeuse indifférence ?

Alors j'apperçus dans les airs

L'enfant maître de l'univers,

Qui plein d'une joie inhumaine,

Me dit en souriant, Tircis, ne te plains plus,

Je vais mettre fin à ta peine ;

Je te promets un regard de Cailus.

Quoique M. de la Fare vécût dans le grand monde, il en connoissoit aussi bien que personne la frivolité & les erreurs. Voyez comme il en parle dans son ode sur la campagne. Elle est pleine de réflexions d'un philosophe qui nous enchante par sa morale judicieuse.

Je vois sur des côteaux fertiles.

Des troupeaux riches & nombreux,

Ceux qui les gardent, sont heureux,

Et ceux qui les ont, sont tranquilles.

S'ils ont à redouter les loups,

Et si l'hiver vient les contraindre,

Ce sont-là tous les maux à craindre ;

Il en est d'autres parmi nous.

Nous ne savons plus nous connoître,

Nous contenir encore moins.

Heureux, nous faisons par nos soins,

Tout ce qu'il faut pour ne pas l'être.

Notre coeur soumet notre esprit

Aux caprices de notre vie ;

En vain la raison se récrie,

L'abus parle, tout y souscrit.

Ici je rêve à quoi nos peres

Se bornoient dans les premiers tems :

Sages, modestes & contens,

Ils se refusoient aux chimeres.

Leurs besoins étoient leurs objets ;

Leur travail étoit leur ressource

Et la vertu toujours la source

De leurs moeurs & de leurs projets.

Ils savoient à quoi la nature

A condamné tous les humains.

Ils ne devoient tous qu'à leurs mains,

Leur vêtement, leur nourriture.

Ils ignoroient la volupté,

Et la fausse délicatesse,

Dont aujourd'hui notre mollesse

Se fait une félicité.

L'intérêt ni la vaine gloire

Ne dérangeoient pas leur repos ;

Ils aimoient plus dans leurs héros,

Une vertu qu'une victoire.

Ils ne connoissoient d'autre rang,

Que celui que la vertu donne ;

Le mérite de la personne

Passoit devant les droits du sang.

Heureux habitans de ces plaines,

Qui vous bornez dans vos desirs,

Si vous ignorez nos plaisirs,

Vous ne connoissez pas nos peines ;

Vous goutez un bonheur si doux,

Qu'il rappelle le tems d'Astrée ;

Enchanté de cette contrée,

J'y reviendrai vivre avec vous.

Personne n'a mieux rendu que M. de la Fare, le naturel, la tendresse, la délicatesse, & l'élégante simplicité de Tibulle, témoin sa traduction de la premiere élégie du poëte latin : ceux qui la connoissent comme ceux qui ne la connoissent pas, me sauront gré de la leur transcrire.

Que quelqu'autre aux dépens de sa tranquillité

Amasse une immense richesse ;

Pour moi de mes desirs la médiocrité

Me livre entier à la paresse.

Je suis content, pourvû que ma vigne & mes champs,

Ne trompent point mon espérance,

Et que dans mon grenier & ma cave en tout tems,

Je retrouve un peu d'abondance.

Je ne dédaigne point, pressant de l'aiguillon

Du boeuf tardif la marche lente,

De tracer quelquefois un fertile sillon ;

Quelquefois j'arrose une plante.

Si le soir par hasard je trouve en mon chemin

Un agneau laissé par sa mere,

L'appellant doucement je l'emporte en mon sein,

Et je le rends à sa bergere.

Je lave & purifie avec soin mes troupeaux,

Pour me rendre Palès propice ;

Et lorsque la saison produit des fruits nouveaux,

J'en fais à Pan un sacrifice.

Je révere ces dieux & celui des confins,

Et Cérès d'épis couronnée,

Et chez moi, du puissant protecteur des jardins,

La tête de fleurs est ornée.

Et vous aussi, jadis d'un plus ample foyer,

O divinités tutélaires,

Recevez de vos soins un plus foible loyer,

Et des offrandes plus légeres.

J'offrois une génisse, à-présent un agneau

Convient à mon peu de richesse ;

Autour de lui se rend de mon petit hameau

Toute la rustique jeunesse ;

Qui crie à haute voix : ô dieux ! assistez-nous,

Acceptez les présens peu dignes

Qu'humblement nous venons offrir à vos genoux ;

Bénissez nos champs & nos vignes.

La premiere liqueur qu'on versa pour les dieux

Fut mise en des vases d'argille ;

Nos vases, comme au tems de nos premiers ayeux,

Ne sont que de terre fragile.

O vous, loups ravisseurs, épargnez nos moutons,

Allez chercher dans nos prairies,

Pour y rassasier vos appétits gloutons,

De plus nombreuses bergeries.

Je suis pauvre & veux l'être, & ne souhaite pas

Des grands l'importune abondance ;

Peu de chose suffit à mes meilleurs repas,

En mon lit est mon espérance.

O qu'il est doux, pendant une orageuse nuit,

D'embrasser un objet aimable !

Et de se rendormir dans ses bras, au doux bruit

Que fait une pluie agréable !

Qu'un tel bonheur m'arrive ; & soit riche à bon droit

Celui qui bravant la furie

De la mer & des vents, abandonne son toît ;

Pour moi j'irai dans ma prairie,

Eviter, si je puis, la chaleur des étés,

A l'abri d'un bocage sombre,

Et sous un chêne assis à l'ombre,

Voir couler en rêvant les ruisseaux argentés.

Ah ! périssent plutôt l'or & les diamans,

Que je cause la moindre allarme

A ma douce maîtresse, & qu'à ses yeux charmans

Mon absence coûte une larme !

C'est à toi, Messala, d'aller de mers en mers

Signaler ton nom par les armes ;

Je suis avec plaisir arrêté dans les fers

D'une beauté pleine de charmes.

Pour la gloire mon coeur ne peut former des voeux ;

Oui, je consens, chere Délie,

D'être estimé de tous, foible & peu généreux,

Pour t'avoir consacré ma vie.

Qu'avec toi le désert le plus inhabité

A mes yeux paroîtroit aimable !

Qu'en tes bras, sur la mousse, en un mont écarté

Mon sommeil seroit agréable !

Sans le dieu des amours, sans ses douces faveurs,

Que le lit le plus magnifique

Est souvent arrosé d'un déluge de pleurs !

Car ni la broderie antique,

Ni l'or, ni le duvet, ni le doux bruit des eaux,

Ni le silence & la retraite,

N'ont assez de douceur pour assoupir les maux

Qui troublent une ame inquiete.

Celui-là porteroit, Délie, un coeur de fer,

Qui pouvant jouir de ta vûe,

S'en iroit, assuré de vaincre & triompher,

Chercher une terre inconnue.

Que je vive avec toi, que j'expire à tes yeux,

Et puisse ma main défaillante,

Serrer encore la tienne en mes derniers adieux !

Puisse encor ma bouche mourante

Recevoir tes baisers mêlés avec tes pleurs !

Car tu n'es point assez cruelle,

Pour ne pas honorer par de vives douleurs,

La mort de ton amant fidele.

Il n'est jeune beauté qui regardant ton deuil

Ne sente émouvoir ses entrailles,

Qui n'en soit attendrie, & n'ait la larme à l'oeil,

Au retour de mes funérailles.

Epargne toutefois l'or de tes blonds cheveux,

C'est faire à mes manes outrage

Qu'attenter à ton sein l'objet de tous mes voeux,

Ou meurtrir un si beau visage.

En attendant, cueillons le fruit de nos amours,

Le tems qui fuit nous y convie ;

La mort trop tôt, hélas ! mettra fin pour toujours

Aux douceurs d'une telle vie.

La vieillesse s'avance, & nos ardens desirs

S'évanouiront à sa vûe,

Car il seroit honteux de pousser des soupirs

Avec une tête chenue.

C'est maintenant qu'il faut profiter des momens

Que Vénus propice nous donne,

Pendant qu'à nos plaisirs & nos amusemens

La jeunesse nous abandonne.

J'y veux être ton maître, & disciple à mon tour.

Loin de moi tambours & trompettes,

Allez porter ailleurs qu'en cet heureux séjour

Le bruit éclatant que vous faites.

De la richesse ainsi que de la pauvreté,

Exempt dans ma douce retraite,

J'y saurai bien jouir en pleine liberté

D'une félicité parfaite.

Enfin le célebre Rousseau a consacré un sonnet, ou si l'on veut une épigramme, à la gloire de M. de la Fare. Il fait à son ami, dans cette épigramme, l'application du vers si connu de l'anthologie.


VIVARIA(Littérature) terme générique, qui désigne un lieu fermé où l'on conserve des bêtes fauves, du poisson, ou de la volaille. Les Romains, dit Procope, appellent vivaria les parcs où ils enferment les bêtes. (D.J.)


VIVARO(Géog. mod.) petite île du royaume de Naples, sur la côte de la terre de Labour dont elle dépend, à deux milles de l'île d'Ischia, entre cette île & celle de Procita. (D.J.)


VIVEARAIGNEE DE MER, s. f. (Histoire nat. Insectolog.) draco marinus araneus, poisson de mer qui se trouve dans l'Océan & dans la Méditerranée ; les vives de l'Océan croissent jusqu'à une coudée de longueur, & celles de la Méditerranée sont plus petites : ce poisson reste sur les rivages couverts d'arène ; il a le ventre un peu convexe sur sa longueur ; le dos est en droite ligne ; les yeux sont grands, brillans comme une émeraude, & placés fort près de la face supérieure de la tête ; l'espace qui se trouve entr'eux est garni de petits aiguillons & forme un triangle régulier. L'ouverture de la bouche s'étend obliquement de haut en bas, & la mâchoire du dessous est un peu plus longue que celle du dessus ; les dents sont petites & fort serrées les unes contre les autres ; en général la tête ressemble à celle de la perche de mer. Les couvertures des ouies sont terminées par des aiguillons dont la pointe est dirigée en-arriere ; ils sont minces, noirs, & très-pointus, & tiennent à une membrane ; la piquûre de ces aiguillons est très-dangereuse, même après la mort du poisson ; les pêcheurs appliquent sur la plaie de la chair ou le cerveau de la vive qui l'a faite, ou des feuilles de lentisque. La vive a une nageoire sur le dos qui s'étend depuis les aiguillons dont il a été fait mention, jusqu'à la queue, deux aux ouies près desquelles se trouve l'anus, deux sous le ventre, & une derriere l'anus, qui s'étend jusqu'à la queue. Rondelet, Hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. X. ch. x. Voyez POISSON.


VIVE-DIEU(Hist. de France) ce fut le cri de guerre dans la fameuse bataille d'Ivry, gagnée par Henri IV. Voici comme Etienne Pasquier le raconte dans sa lettre écrite à M. de Sainte-Marthe, tom. II. pag. 667. " Le roi voyant lors ses affaires en mauvais termes, commença en peu de paroles à exhorter les siens ; & quelques-uns faisant contenance de fuir : tournez visage (leur dit-il), afin que si ne voulez combattre, pour le moins me voyez mourir. Sur cette parole lui & les siens ayant un vive-Dieu en la bouche pour le mot du guet, il broche son cheval des éperons, & entre dans la mêlée avec telle générosité, que ses ennemis ne firent plus que conniller ". (D.J.)


VIVE-JAUGE(Jardinage) on dit labourer à vive-jauge, quand on laboure un peu avant.


VIVELLES. f. Voyez SCIE.

VIVELLE, terme de Couture, petit réseau qu'on fait à l'aiguille pour reprendre un trou dans une toile déliée au-lieu d'y mettre une piece. (D.J.)


VIVELOTES. f. (Droit cout. franç.) droit établi dans quelques coutumes, en vertu duquel la veuve, outre son douaire, prend après le décès de son mari, son meilleur habit, son anneau nuptial, le fermail, & les ornemens du chef, son lit étoffé & les courtines, & quelques autres ustensiles de maison. Ragueau dans son indice. (D.J.)


VIVEROou BIVERO, (Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Galice, sur une montagne escarpée, à neuf lieues au nord-ouest de Ribadéo, & à sept au sud-est du cap Ortégal. Long. 10. 28. latit. 43. 42. (D.J.)


VIVIERS. m. ou PISCINE, (Archit. hydraul.) grand bassin d'eau dormante ou courante, bordé de mâçonnerie, dans lequel on met du poisson pour peupler. Les plus beaux viviers sont bordés d'une tablette ou balustrade : tel est celui de la Vigne-Montalte à Rome. (D.J.)

VIVIER, (Marine) c'est un bateau pêcheur, qui a un retranchement au milieu, dans lequel l'eau entre par des trous qui sont aux côtés, pour contenir le poisson qu'on vient de pêcher.

VIVIERS des Romains, (Hist. rom.) aucun peuple n'a été aussi curieux de beaux, de grands, & de nombreux viviers, que le furent les Romains, dès qu'ils eurent fait du poisson la principale partie du luxe de leurs tables. Les historiens & les poëtes ne parlent que de la magnificence des viviers qu'on voyoit dans toutes les maisons de campagne des riches citoyens, de Lucullus, de Crassus, d'Hortensius, de Philippus, & autres consulaires. " Croyez-vous, dit Ciceron, qu'aujourd'hui que nos grands mettent tout leur bonheur & toute leur gloire à avoir de vieux barbeaux qui viennent manger dans la main, croyez-vous que les affaires de l'état soient celles dont on se soucie ? " (D.J.)


VIVIERS(Géog. mod.) ville de France, dans le gouvernement du Languedoc, capitale du Vivarais, sur la rive droite du Rhône, à 4 lieues au nord du Saint-Esprit, & à 9 au midi de Valence ; elle est petite, mal-propre, & située entre des rochers. La cathédrale est assise sur un rocher qui domine la ville, & au-dessous est un couvent de Jacobines ; son évêché suffragant de Vienne, vaut plus de trente-trois mille livres de rente, & a environ 314 paroisses ; son diocèse comprend le bas-Vivarais, & une partie du haut. Long. 22. 21. lat. 44. 29.

Cette ville nommée en latin du moyen âge Vivarium, doit son origine & son aggrandissement à la ruine d'Albe-Auguste, capitale des anciens Helvii. L'empereur Conrad de la maison de Souabe, parent de Guillaume évêque de Viviers, lui donna & à son église, dans le milieu du xij. siecle, la ville & le comté de Viviers. Guillaume & ses successeurs ont joui librement de ce comté, sans aucune dépendance des rois de France ou des seigneurs voisins, jusqu'à la réunion du Languedoc à la couronne, l'an 1361. (D.J.)


VIVIFIER(Critique sacrée) ce terme au propre dans l'Ecriture, signifie donner, conserver la vie ; au figuré, c'est éclairer les hommes sur les sacrifices agréables à l'Etre suprême ; c'est les tirer des ténebres de l'erreur ou de l'idolâtrie ; il ne faut point chercher de grace vivifiante pour l'explication de ce mot. (D.J.)


VIVIPAREadj. dans l'économie animale, se dit des animaux qui retiennent l'oeuf fécondé dans leur sein jusqu'à ce que l'animal soit formé suffisamment, pour n'avoir plus besoin du secours du placenta. Voyez PLACENTA.


VIVONNE(Géog. mod.) petite ville de France, dans le Poitou, sur le Clain, à trois lieues au midi de Poitiers, & à deux au levant de Lusignan. Long. 17. 49. latit. 46. 24.

Lambert (Michel) célebre musicien françois, & l'homme de France qui chantoit le mieux, naquit à Vivonne, & fut regardé dans le royaume comme le premier qui ait fait sentir les beautés de la musique vocale, les graces, & la justesse de l'expression. Il sut faire valoir la légereté de la voix, en doublant la plûpart de ses airs, & en les ornant de passages brillans. Il excelloit à jouer du luth, & tenoit dans sa maison une espece d'académie de musique, où se rendoient les amateurs. Il fut pourvu d'une charge de maître de musique de la chambre du roi, & mit le premier en musique des leçons de ténebres ; il mourut à Paris en 1696, âgé de 87 ans. Son corps fut déposé dans le tombeau de Lulli son gendre, qui étoit mort en 1687. (D.J.)


VIVREv. neut. (Gram.) jouir de la vie. Voyez l'article VIE.

VIVRES, s. m. pl. voyez VICTUAILLES.

VIVRES, les, (Art milit.) sont à la guerre tout ce qui sert à la subsistance ou à la nourriture de l'armée. Les provisions qu'on fait pour cet effet, sont appellées munitions de bouche. Voyez les articles MUNITIONS, APPROVISIONNEMENS, MAGASINS & RATION.

Les vivres font un objet très-intéressant & très-essentiel pour les armées. Celui qui en est chargé, est appellé munitionnaire général ; on lui donne aussi quelquefois le titre de munitionnaire des vivres.

" Celui qui a le secret de vivre sans manger, peut, dit Montecuculli, aller à la guerre sans provisions. La famine est plus cruelle que le fer, & la disette a ruiné plus d'armées que les batailles. On peut trouver du remede pour tous les autres accidens ; mais il n'y en a point du-tout pour le manque de vivres. S'ils n'ont pas été préparés de bonne heure, on est défait sans combattre. " Mém. sur la guerre, liv. I. ch. ij.

Comme l'article des vivres est de la plus grande importance, M. de Feuquiere prétend que la bonne disposition pour leur administration est une des principales parties d'un général, sans laquelle il court souvent risque d'être gêné dans ses mouvemens. (Q)


VIVRÉadj. en terme de Blason, se dit de bandes & fasces qui sont sinueuses & ondées avec des entailles faites d'angles rentrans & saillans, comme des redens de fortification. Sart au pays de Valois, de gueule à la bande vivrée d'argent.


VIZE(Géog. mod.) & par l'abbé de Commainville Bilsier, en latin vulgaire, Bizia, Bicia ; ville de la Turquie européenne, dans la Romanie, à 60 milles au sud-ouest de Constantinople. Elle étoit évêché dans le cinquieme siecle. (D.J.)


VIZIR DU BANC(terme de relation) on appelle vizirs du banc en Turquie, les vizirs qui ont séance avec le grand-vizir dans le divan, lorsqu'on examine les procès. Ils n'ont que voix consultative, & seulement lorsqu'ils sont mandés. Quelquefois néanmoins lorsqu'il s'agit de délibérations importantes, ils sont admis dans le conseil du cabinet avec le grand-vizir, le mufti & les cadileskers. Ce sont eux qui écrivent ordinairement le nom du grand-seigneur au haut de ses ordonnances, & le sultan pour les autoriser, fait apposer son sceau au-dessous de son nom. Voyez VISIR. (D.J.)

VIZIR-KAN, s. m. (terme de relation) on appelle de ce nom à Constantinople un grand bâtiment quarré à deux étages, rempli haut & bas de boutiques & d'atteliers, où l'on travaille à peindre les toiles de coton ; c'est aussi le lieu où l'on en fait le commerce. (D.J.)


VLAERDINGEN(Géog. mod.) bourgade des Pays-bas, dans la Hollande méridionale, proche de la Meuse, à deux lieues au-dessous de Rotterdam, au voisinage de Schiedam. C'étoit autrefois une bonne ville, & même souvent la résidence des comtes de Hollande ; mais les débordemens de la Meuse & les guerres l'ont réduite en bourgade. Long. 21. 57. latit. 51. 54. (D.J.)


VOA-DOUROou VOA-FONTSI, (Hist. nat. Botan.) c'est le fruit d'une espece de balisier de l'île de Madagascar, qui est d'une grande utilité aux habitans ; ils se servent de ses feuilles séchées pour couvrir leurs maisons. Ils employent les feuilles vertes à faire des nappes, des serviettes, des assiettes, des tasses, des cuilleres, &c. Elles sont longues de huit à dix piés sans la tige, & en ont deux de large. Son fruit est assez semblable au blé de Turquie, chaque grain est gros comme un pois, & couvert d'une écorce très-dure, il est enveloppé dans une espece de substance bleue dont on fait de l'huile. Le grain fournit une farine qui se mange avec du lait.


VOA-NOUNOUES. m. (Hist. nat. Bot.) fruit de l'île de Madagascar, qui ressemble à une figue dont il a le même goût ; l'arbre qui le produit ressemble par ses feuilles à un poirier ; quand on coupe ses branches il en sort une liqueur laiteuse ; son écorce sert à faire des cordages. Cet arbre s'éleve fort haut, mais ses branches en retombant à terre, y prennent racine.


VOA-SOUTRES. m. (Hist. nat. Bot.) fruit de l'île de Madagascar ; il vient de la grosseur d'une poire, mais lorsqu'il est cuit, il a le goût d'une châtaigne ; l'arbre qui produit ce fruit est assez haut, son bois est d'une dureté extraordinaire, ses feuilles sont de la longueur de celles d'un amandier, mais elles sont déchiquetées, & il sort une fleur semblable à celle du romarin de chaque dentelure ; c'est cette fleur qui produit le fruit.


VOA-TOLALACS. m. (Hist. nat. Bot.) arbrisseau de l'île de Madagascar ; il est épineux ainsi que son fruit que l'on nomme bassi, & qui est renfermé dans une gousse.


VOA-VEROMES. m. (Hist. nat. Bot.) fruit de l'île de Madagascar ; il est violet, & aussi petit que la groseille rouge ; son goût est doux & agréable : on s'en sert pour teindre en violet & en noir.


VOACHITS(Hist. nat. Botan.) espece de vigne de l'île de Madagascar, qui produit un raisin qui a le goût du verjus. Sa feuille est ronde & semblable à celle du liere, son bois est toujours verd.


VOADROUS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de féve qui croît abondamment dans l'île de Madagascar. Ce fruit vient sous terre, il n'y a qu'une féve dans chaque gousse. Ses feuilles sont de trois en trois comme celles du tréfle ; il n'y a ni tige, ni rameaux. On croit que cette plante est la même que l'arachidna de Théophraste.


VOAHÉS. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau de l'île de Madagascar, qui produit des fleurs blanches, comme celles du lilium convallium.


VOALELATSS. m. (Hist. nat. Botan.) fruit de l'île de Madagascar, qui ressemble à la mûre blanche, mais qui est d'une aigreur extraordinaire. L'arbre qui le produit ne ressemble point aux mûriers d'Europe.


VOAMENESS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de pois d'une couleur rouge, qui croissent dans l'île de Madagascar ; ils different très-peu de ceux que l'on nomme condours aux Indes ; les voamenes servent, comme eux, à la soudure de l'or ; pour cet effet, on les pile avec du jus de citron, & l'on trempe l'or dans ce suc avant que de le mettre au feu.


VOANANES. f. (Hist. nat. Botan.) fruit de l'île de Madagascar, qui est d'un demi pié de longueur ; il se divise en quatre quartiers ; son goût est à-peu-près semblable à celui d'une poire pierreuse. Il est astringent & propre à arrêter les diarrhées.


VOANATOS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est le fruit d'un arbre qui croît dans l'île de Madagascar, vers le bord de la mer ; sa chair est nourrissante, quoique fort visqueuse. Les habitans du pays mangent ce fruit soit avec du lait, soit avec du sel. Le bois de cet arbre est très-compacte & solide, il n'est point sujet à être vermoulu, on l'emploie avec succès à toutes sortes d'ouvrages & de bâtimens.


VOANDSOUROUS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de pois fort petits de l'île de Madagascar, qui ne sont tout-au-plus que de la grosseur des lentilles ; on les seme au mois de Juin.


VOANGHEMBESS. f. (Hist. nat. Botan.) espece de petites féves de l'île de Madagascar, d'un goût très-agréable, soit qu'on les mange vertes ou mûres, mais elles sont d'une difficile digestion ; on les seme au mois de Juin, & elles mûrissent en trois mois.


VOANGISSAIESS. f. (Hist. nat. Bot.) espece d'oranges de l'île de Madagascar, qui croissent par bouquet de dix ou douze, & qui ont le goût du raisin muscat.


VOAROTSS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est le fruit d'un grand arbre de l'île de Madagascar ; il est très-chargé de branches qui lui donnent une forme ovale ; sa feuille ressemble à celle de l'olivier ; il produit une espece de cerise aigrelette dont le noyau est fort gros, elle croît par bouquets ; il y en a de blanche, de rouge, & de noire.


VOAZATRES. m. (Hist. nat. Bot.) fruit de l'île de Madagascar ; il est de la grosseur d'un oeuf, il contient une liqueur qui a le goût du pain d'épice ; l'arbre qui le produit est d'une grandeur moyenne ; ses feuilles sont larges & en forme d'éventail : on en fait des nattes, des paniers, des cordages, &c.


VOBERGA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Martial, qui en parle, l. I. épigr. 52. v. 14. fait entendre qu'elle étoit dans un pays de chasse :

Praestabit illic ipsa fingendas propè,

Voberga prandenti feras.

Au lieu de Voberga, quelques manuscrits portent Vobisca, & d'autres Vobercum. Jérôme Paulus, allégué par Ortélius, dit que Voberga étoit dans le territoire de Bilbilis ; & Varrerius, aussi-bien que Montanus, la nomment Bobierca. (D.J.)


VOBERNUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Gaule transpadane, sur le bord de la riviere Clésius ou Clusius, aujourd'hui la Chièse. On trouve des traces de cette ancienne ville dans le village de Boarno au Bressan, & l'on y a déterré l'inscription suivante :

P. Atinius. L. F. Fab.

Hic situs est

Perlege ut ReQuietus Queas dicere

Saepe tuis. Finibus ItaLiae monumentum

Vidi Voberna in Quo

Est Atini conditum.

(D.J.)


VOBRIX(Géog. anc.) ville de la Mauritanie tingitane, dans les terres, selon Ptolémée, l. IV. c. j. On voit ses ruines au-dessus de Lampta, dans le royaume de Fez. (D.J.)


VOCABULAIRES. m. (Gram.) dictionnaire d'une langue, ouvrage où l'on en a rassemblé tous les mots.

On appelle vocabulistes les auteurs malheureux de ces sortes d'ouvrages utiles.


VOCALadj. (Gram.) qui se dit de bouche, qu'on parle. Ainsi on dit une priere vocale par opposition à celle qui ne s'articule point de la voix, qu'on appelle priere mentale.

VOCAL, s. m. (Gram.) qui a droit de voter, de donner sa voix dans une assemblée. Il faut avoir un certain tems de religion pour être admis dans les assemblées de la communauté comme vocal.

VOCAL, (Philos. scholast.) c'est la même chose que le nominal. Voyez NOMINAUX.

VOCALE, adj. musique vocale, est celle qui est destinée pour les voix. Voyez VOIX, MUSIQUE, COMPOSITION. (S)


VOCATES(Géog. anc.) peuples de la Gaule aquitanique. César, Bel. Gal. l. III. qui parle de ces peuples, les met au nombre de ceux qui furent subjugués par Crassus. On ne s'accorde pas sur le nom moderne du pays qu'ils habitoient : les plus sages disent qu'ils ignorent sa situation, qui n'a point été déterminée par les anciens. Scaliger, notit. gal. moins modeste, a d'abord soupçonné que les Vocates étoient les mêmes que les Boates, aujourd'hui Buchs, dit-il ; & comme un simple soupçon ne décidoit pas assez à sa fantaisie, il n'a point craint d'avancer que son sentiment étoit certain, quod omninò certum est : mais ce qui étoit certain pour lui, est regardé comme très-faux par les meilleurs critiques.

Un curé dans l'histoire de Boucou en Sauveterre, né à Nébouzan, comté de Comminges, estime que les Vocates de César, sont ceux de Boucou, & apparemment la seule ressemblance des noms l'a déterminé à embrasser cette idée. Il pouvoit néanmoins se fonder sur quelque chose de plus, & dire que par les passages de César, où il est parlé des Vocates, il semble qu'ils fussent à-peu-près limitrophes de ce que nous appellons à présent Languedoc. En ce cas, les Vocates pourroient être les Commingeois, nom que le seul lieu de Boucou nous auroit conservé. Ce qu'il y a de certain, c'est que le nom de Convenae n'étoit point connu du tems de César, & qu'il ne le fut que sous Auguste, qui donna aux habitans le droit de Latium. (D.J.)


VOCATIFS. m. (Gram.) dans les langues qui ont admis des cas pour les noms, les pronoms & les adjectifs, le vocatif est un cas qui ajoute, à l'idée primitive du mot décliné, l'idée accessoire d'un sujet à la seconde personne. Dominus est au nominatif, parce qu'il présente le seigneur comme le sujet dont on parle, quand on dit, par exemple, Dominus regit me, & nihil mihi deerit in loco pascuae ubi me collocavit (Ps. xxij.), ou comme le sujet qui parle, par exemple, dans cette phrase, ego Dominus respondebo ei in multitudine immunditiarum suarum (Ezech. xiv. 4.). Mais Domine est au Vocatif, parce qu'il présente le Seigneur, comme le sujet à qui l'on parle de lui-même, comme dans cette phrase, exaudi Domine vocem meam, quâ clamavi ad te (Ps. xxvj.). Voici les conséquences de la définition de ce cas.

1°. Le pronom personnel ego ne peut point avoir de vocatif ; parce qu'ego étant essentiellement de la premiere personne, il est essentiellement incompatible avec l'idée accessoire de la seconde.

2°. Le pronom réflechi sui ne peut pas avoir non plus de vocatif ; parce qu'il n'est pas plus susceptible de l'idée accessoire de la seconde personne, étant nécessairement de la troisieme. D'ailleurs étant réfléchi, il n'admet aucun cas qui puisse indiquer le sujet de la proposition, comme je l'ai fait voir ailleurs. Voyez RECIPROQUE.

3°. Le pronom de la seconde personne ne peut point avoir de nominatif ; parce que l'idée de la seconde personne étant essentielle à ce pronom, elle se trouve nécessairement comprise dans la signification du cas qui le présente, comme sujet de la proposition, lequel est par conséquent un véritable vocatif. Ainsi c'est une erreur à proscrire des rudimens, que d'appeller nominatif le premier cas du pronom tu, soit au singulier, soit au pluriel.

4°. Les adjectifs possessifs tuus & vester ne peuvent point admettre le vocatif. Ces adjectifs désignent par l'idée générale d'une dépendance relative à la seconde personne : voyez POSSESSIF. Quand on fait usage de ces adjectifs, c'est pour qualifier les êtres dont on parle, par l'idée de cette dépendance ; & ces êtres doivent être différens de la seconde personne dont ils dépendent, par la raison même de leur dépendance : donc ces êtres ne peuvent jamais, dans cette hypothèse, se confondre avec la seconde personne ; & par conséquent, les adjectifs possessifs qui tiennent à cette hypothèse, ne peuvent jamais admettre le vocatif, qui la détruiroit en effet.

Ce doit être la même chose de l'adjectif national vestras, & pour la même raison.

5°. Le vocatif & le nominatif pluriels sont toujours semblables entr'eux, dans toutes les déclinaisons grecques & latines ; & cela est encore vrai de bien des noms au singulier, dans l'une & dans l'autre langue.

C'est que la principale fonction de ces deux cas est d'ajouter à la signification primitive du mot, l'idée accessoire du sujet de la proposition, qu'il est toujours essentiel de rendre sensible : au-lieu que l'idée accessoire de la personne n'est que secondaire, parce qu'elle est moins importante, & qu'elle se manifeste assez par le sens de la proposition, ou par la terminaison même du verbe dont le sujet est indéterminé à cet égard. Dans Deus miseretur, le verbe indique assez que Deus est la troisieme personne ; & dans Deus miserere, le verbe marque suffisamment que Deus est à la seconde : ainsi Deus est au nominatif, dans le premier exemple, & au vocatif dans le second ; quoique ce soit le même cas matériel.

Cette approximation de service dans les deux cas, semble justifier ceux qui les mettent de suite & à la tête de tous les autres, dans les paradigmes des déclinaisons : & je joindrois volontiers cette réflexion à celles que j'ai faites sur les paradigmes. Voyez PARADIGME. (B. E. R. M.)


VOCATIONS. f. en terme de Théologie ; grace ou faveur que Dieu fait quand il appelle quelqu'un à lui, & le tire de la voie de perdition pour le mettre dans celle du salut.

Dans ce sens-là nous disons, la vocation des juifs, la vocation des gentils.

Il y a deux sortes de vocations, l'une extérieure & l'autre intérieure : la premiere consiste dans une simple & nue proposition d'objets qui se fait à notre volonté : la seconde est celle qui rend la premiere efficace en disposant nos facultés à recevoir ou embrasser ces objets.

Vocation se dit aussi d'une destination à un état, ou à une profession. C'est un principe que personne ne doit embrasser l'état ecclésiastique ni monastique sans une vocation particuliere. Voyez ORDRES, ORDINATION, &c.

Les catholiques soutiennent que la vocation des pasteurs ou théologiens réformés est nulle & invalide ; & parmi les Anglois-mêmes, quelques-uns prétendent qu'une succession qui n'ait point été interrompue est nécessaire pour la validité de la vocation des prêtres. Voyez ORDINATION.


VOCEMterme de Breviaire ; c'est le nom qu'on donne au cinquieme dimanche d'après Pâques, parce que l'introït de la messe commence par vocem jucunditatis, & qu'il est ainsi marqué dans quelques almanachs. Les Rogations sont immédiatement le lendemain du dimanche vocem jucunditatis. (D.J.)


VOCENTII(Géog. anc.) peuples de la Gaule narbonnoise, à l'orient des Tricastini, & à l'occident des Tricorii. Ce peuple étoit limitrophe des Allobroges, & libre ; c'est-à-dire, que par la libéralité des Romains, il étoit exempt de la jurisdiction du président de la province. Ptolémée, l. II. c. x. donne à ce peuple pour capitale Vasio, aujourd'hui Vaison. (D.J.) Voyez VOCONTII.


VOCETUou VOCETIUS, (Géog. anc.) montagne de l'Helvétie. Cluvier, germ. ant. l. II. c. iv. & Cellarius, c. iij. sont d'avis que le mont Vocetus, est cette partie du mont Jura, qui est dans le canton de Zoug, & qu'on appelle présentement Bozen, Bozberg ou Botyberg. Quelques-uns ont confondu le Vocetus, ou Vocetius avec le Vogesus. C'est une grande erreur. Voyez VOGESUS.


VOCONTIENSS. m. pl. (Hist. ancienne) Vocontio ; peuple de l'ancienne Gaule, qui du tems des Romains habitoient les pays connus des modernes sous le nom de Dauphiné.


VOCONTII(Géog. anc.) peuples de la Gaule narbonnoise. Ils habitoient à l'orient des Tricastini, & à l'occident des Tricorii : ce que nous apprenons de la route d'Annibal décrite par Tite-Live. l. XXI. c. xxxj. Quum jam Alpes peteret, non rectâ regione iter instituit, sed ad laevam in Tricastinos flexit : indè per extremam oram Vocontiorum agri, tetendit in Tricorios.

Strabon, l. IV. p. 178, écrit , Vocontii, p. 203, , Vocuntii. Il dit que ce peuple étoit limitrophe des Allobroges, & libre ; c'est-à-dire, que par la libéralité des Romains il étoit exempt de la jurisdiction du président de la province ; aussi Pline, l. III. c. iv. lui donne-t-il le titre de cité confédérée. Il ajoute qu'ils avoient deux capitales Vasio, Vaison, & Lucus Augusti, le Luc. Pomponius Mela, l. II. c. iij. & Ptolémée, l. II. c. x. ne nomment qu'une de ces capitales ; savoir, Vasio Vocontiorum, ou civitas Vasiorum.

Trogue-Pompée étoit du pays des Voconces, & fleurissoit du tems d'Auguste. Son pere étoit secrétaire & garde du sceau de cet empereur. Trogue-Pompée s'acquit une grande gloire par une histoire universelle écrite en XLIV. livres, dont Justin a fait un abrégé, sans y changer ni le nombre des livres, ni le titre d'histoire Philippique. Il y a apparence que ce titre étoit fondé sur ce que depuis le VII. livre jusqu'au XLI. il parloit de l'empire des Macédoniens, qui doit son commencement à Philippe pere d'Alexandre le Grand. Quoi qu'il en soit, l'abrégé de Justin nous a fait perdre le grand ouvrage de Trogue-Pompée. (D.J.)


VODABLE(Géog. mod.) bourg de France dans l'Auvergne, élection d'Issoire. Ce bourg est remarquable parce qu'il est le chef-lieu d'une grande châtellenie, qu'on nomme le Dauphiné d'Auvergne, à cause du dauphin d'Auvergne qui en fut un des premiers seigneurs. Cette terre fut ensuite nommée absolument le Dauphiné ; & ses seigneurs qui s'appelloient dauphins d'Auvergne, prirent pour armes un dauphin. Long. 20. 51. lat. 45. 24. (D.J.)


VODANA(Géog. mod.) ville de l'Arabie heureuse, au royaume & à 15 lieues de Mascaté. Elle est la résidence d'un émir. Le terroir ne produit point de blé, mais du riz, des dattes, des fruits, des melons, du raisin & des coings qui n'ont pas l'âpreté des nôtres. (D.J.)


VODENA(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Macédoine ou Coménolitari, sur la riviere de Vistriza, environ à 15 lieues au couchant de Salonichi. On croit que c'est l'ancienne Oedessa, & la même sans-doute que M. Delisle appelle Eclisso, & qu'on ne trouve point ailleurs. (D.J.)


VOERDEN(Géog. mod.) ou Woerden ; ville des Pays-bas, dans la Hollande, sur le Rhin qui la traverse, à 3 lieues d'Utrecht, & à 6 de Leyde. Les Etats-généraux qui en sont les maîtres depuis l'an 1521, l'ont extrêmement fortifiée. Long. 22. 23. lat. 52. 8.

Bakker (Jean), appellé en latin Joannes Pistorius ; naquit à Voerden en 1498, & passe pour être le premier des hollandois qui ait embrassé publiquement le Calvinisme. On l'emprisonna à Utrecht pour cette hérésie ; mais il fut relâché lors de la pacification de Gand. Quelque tems après, sous le gouvernement de Marguerite de Savoie, il fut arrêté de nouveau, & brûlé vif à la Haye pour sa religion, en 1525, n'ayant pas encore 27 ans. C'est un fait bien singulier, & même je crois l'unique en Hollande. (D.J.)


VOEUS. m. (Gramm. & Jurisp.) est une promesse faite à Dieu d'une bonne oeuvre à laquelle on n'est pas obligé, comme d'un jeûne, d'une aumône, d'un pélerinage.

Pour faire un voeu en général, il faut être en âge de raison parfaite, c'est-à-dire en pleine puberté ; être libre, & avoir la disposition de ce que l'on veut vouer. Ainsi une femme ne peut vouer sans le consentement de son mari, ni une fille, sans le consentement de ses pere & mere. Un religieux ne peut s'engager à des jeûnes extraordinaires sans la permission de son supérieur.

Il est libre de ne pas faire de voeux ; mais quand on en a fait, on doit les tenir.

Cependant si le voeu a été fait légérement, ou que différentes circonstances en rendent l'accomplissement trop difficile, on en obtient une dispense de l'évêque ou du pape, selon la nature des voeux.

Le voeu solemnel de religion dispense de plein droit de tous les autres voeux qu'on auroit pu faire avant que d'entrer dans le monastere ; ce qui a lieu même par rapport à ceux qui s'étoient engagés d'entrer dans un ordre plus sévere que celui dans lequel ils ont fait profession.

Il y a différentes sortes de voeux, qui ont chacun leurs regles particulieres, ainsi qu'on va l'expliquer dans les subdivisions suivantes.

VOEU ad limina apostolorum, c'est-à-dire d'aller à Rome en pélerinage. La dispense de ce voeu est réservée au pape ; il en est de même de certains autres pélerinages.

VOEU DE CHASTETE, ne consiste pas simplement dans une promesse de ne rien faire de contraire à la pureté, mais aussi dans un renoncement au mariage, & à tout ce qui pourroit porter à la dissipation : lorsque l'on a fait voeu de chasteté perpétuelle, il n'y a que le pape qui puisse en dispenser, quand même le voeu seroit simple.

VOEU DE CLOTURE, est un voeu particulier aux religieuses, que leur regle ne permet point de sortir du monastere.

VOEU DE CONTINENCE, Voyez VOEU DE CHASTETE.

VOEU DU FAISAN, Voyez ci-après VOEU DU PAON.

GRANDS VOEUX, on appelle ainsi dans certains ordres les voeux solemnels qui seuls lient la personne, de maniere qu'elle ne peut plus retourner au siecle ; par exemple les jésuites peuvent être congédiés jusqu'à leur troisieme & dernier voeu, quoique leurs deux premiers les lient envers la société. Voyez les loix ecclésiast. de d'Héricourt, tit. des voeux solemnels, n. 33. aux notes.

VOEU D'OBEISSANCE, est celui que tous les religieux font d'obéir à leurs supérieurs. Il y a certains ordres qui font en outre voeu d'obéissance speciale au pape, comme les jésuites.

VOEU DU PAON ou DU FAISAN, du tems que la chevalerie étoit en vogue, étoit le plus authentique de tous les voeux que faisoient les chevaliers, lorsqu'ils étoient sur le point de prendre quelque engagement pour entreprendre quelque expédition. La chair de paon & du faisan étoit, selon nos vieux romanciers, la nourriture particuliere des preux & des amoureux. Le jour auquel on devoit prendre l'engagement, on apportoit dans un grand bassin d'or ou d'argent, un paon ou un faisan, quelquefois roti, mais toujours paré de ses plus belles plumes. Ce bassin étoit apporté avec cérémonie par des dames ou damoiselles ; on le présentoit à chacun des chevaliers, lequel faisoit son voeu sur l'oiseau ; après quoi on le rapportoit sur une table, pour être distribué à tous les assistans, & l'habileté de celui qui le découpoit, étoit de le partager de maniere que chacun en pût avoir. Les cérémonies de ce voeu sont expliquées dans un mémoire fort curieux de M. de Ste Palaye, sur la chevalerie, où il rapporte un exemple de cette cérémonie, pratiquée à Lille en 1453, à l'occasion d'une croisade projettée contre les Turcs, laquelle néanmoins n'eut pas lieu.

VOEU DE PAUVRETE, est le renoncement aux biens temporels : ce voeu se pratique de différentes manieres. Il y a des ordres dans lesquels le voeu de pauvreté s'observe plus étroitement que dans d'autres ; quelques congrégations font même profession de ne posséder aucun bien fonds.

Anciennement ce voeu n'étoit fait qu'au profit de la communauté ; le religieux profès n'étoit point incapable de recueillir des successions, mais le fonds en appartenoit au monastere, lequel lui en laissoit seulement l'usufruit & la dispensation. Les papes ont même confirmé ce privilege à divers ordres ; Clément IV. l'accorda en 1265, à celui de S. François & de S. Dominique.

Cette habileté des religieux à succéder a duré en France, jusque dans le xi. siecle.

Présentement l'émission des voeux emporte mort civile, & le religieux profès est incapable de rien recueillir, soit à son profit, ou au profit du couvent ; si ce n'est quelque modique pension viagere, que l'on peut donner à un religieux pour ses menus besoins, ce qu'il ne touche même que par les mains de son supérieur.

VOEUX DE RELIGION, sont ceux qu'un novice profere en faisant profession. Ces voeux qu'on appelle solemnels, sont ordinairement au nombre de trois, savoir de chasteté, pauvreté, obéissance. Les religieuses font en outre voeu de clôture ; & dans quelques ordres, les voeux comprennent encore certains engagemens particuliers, comme dans l'ordre de Malthe, dont les chevaliers font voeu de faire la guerre aux infideles.

L'âge auquel on peut s'engager par des voeux solemnels ou de religion, a été réglé diversement depuis la puberté où l'on peut contracter mariage, jusqu'à la pleine majorité qui est de 25 ans. Le concile de Trente l'a enfin fixé à 16 ans : ce qui a été adopté & confirmé par l'ordonnance de Blois. Ceux qui font des voeux avant cet âge, ne contractent point d'engagement valable.

Les voeux que fait le profès, doivent être reçus par le supérieur, & il doit en être fait mention dans l'acte de profession.

La formule des voeux de religion n'est pas la même dans toutes les communautés ; dans quelques-unes, le religieux promet de garder la chasteté, la pauvreté & l'obéissance ; dans d'autres qui sont gouvernées par la regle de S. Benoit, le profès promet la conversion des moeurs & la stabilité sous la regle de S. Benoit selon les usages de la congrégation dans laquelle il s'engage ; mais quelle que soit la formule des voeux, elle produit toujours le même effet.

Quelques-uns attribuent l'établissement des voeux de religion à S. Basile, lequel vivoit au milieu du iv. siecle.

D'autres tiennent que les premiers solitaires ne faisoient point de voeux, & ne se consacroient point à la vie religieuse par des engagemens indissolubles : qu'ils n'étoient liés qu'avec eux-mêmes, & qu'il leur étoit libre de quitter la retraite, s'il ne se sentoient pas en état de soutenir plus long-tems ce genre de vie.

Les voeux du moins solemnels ne furent introduits que pour fixer l'inconstance trop fréquente de ceux qui s'étant engagés trop légérement dans l'état monastique, le quittoient de même : ce qui causoit un scandale dans l'église, & troubloit la tranquillité des familles.

Erasme a cru que les voeux solemnels de religion ne furent introduits que sous le pontificat de Boniface VIII. dans le xiij. siecle.

D'autres prétendent que dès le tems du concile de Chalcedoine tenu en 451, il falloit se vouer à Dieu sans retour.

D'autres au contraire soutiennent qu'avant Boniface VIII. on ne faisoit que des voeux simples, qui obligeoient bien quant à la conscience, mais que l'on en pouvoit dispenser.

Ce qui est de certain, c'est qu'alors l'émission des voeux n'emportoit point mort civile, & que le religieux en rentrant dans le siecle, rentroit aussi dans tous ses droits.

Mais depuis long-tems les voeux de religion sont indissolubles, à moins que le religieux n'ait réclamé contre ses voeux, & qu'il ne soit restitué.

Anciennement il falloit réclamer dans l'année de l'émission des voeux ; mais le concile de Trente a fixé le délai à cinq ans ; les conciles de France postérieurs, l'assemblée du clergé de 1573, & les ordonnances de 1629, 1657 & 1666 y sont conformes ; & telle est la jurisprudence des parlemens.

Les moyens de restitution sont 1°. le défaut de l'âge requis par les saints decrets & par les ordonnances, 2°. le défaut de noviciat en tout ou en partie, 3°. le défaut de liberté.

Ce n'est point devant le pape que l'on doit se pourvoir pour la réclamation, & il n'est pas même besoin d'un rescrit de cour de Rome pour réclamer.

Ce n'est pas non plus devant le supérieur régulier que l'on doit se pourvoir, mais devant l'official du diocèse, par demande en nullité des voeux, ou bien au parlement par la voie de l'appel comme d'abus, s'il y a lieu. Voyez le concile de Trente, l'instit. de M. de Fleuri, les loix ecclésiastiques, Fuet, les mémoires du clergé.

VOEU DE RESIDENCE, est celui qui oblige à demeurer ordinairement dans une maison, sans néanmoins assujettir à une clôture perpétuelle.

VOEU SIMPLE, est celui qui se fait secrétement & sans aucune solemnité ; il n'oblige cependant pas moins en conscience ; mais s'il a été fait trop légérement, ou si par la suite l'accomplissement en est devenu trop difficile, l'évêque en peut dispenser ou commuer une bonne oeuvre en une autre.

VOEU SOLEMNEL, est celui qui est fait entre les mains d'un supérieur ecclésiastique pour l'entrée en religion. Voyez ci-devant VOEU DE RELIGION.

VOEU DE STABILITE, est celui que l'on fait dans certaines communautés, de vivre sous une telle regle, comme dans l'ordre de S. Benoit.

VOEU DE VIRGINITE, est le voeu de chasteté que fait une personne non encore mariée de garder sa virginité. Voyez VOEU DE CHASTETE. (A)

VOEU CONDITIONNEL, (Morale) c'est un engagement qu'on prend avec Dieu de faire telle ou telle chose qu'on suppose lui devoir être agréable, dans la vûe & sous la condition d'en obtenir telle ou telle faveur. C'est une espece de pacte où l'homme, premier contractant & principal intéressé, se flate de faire entrer la Divinité par l'appât de quelque avantage réciproque. Ainsi, quand Romulus, dans un combat contre les Sabins, promit à Jupiter de lui bâtir un temple, s'il arrêtoit la fuite de ses gens & le rendoit vainqueur, il fit un voeu. Idoménée en fit un, quand il promit à Neptune de lui sacrifier le premier de ses sujets qui s'offriroit à ses yeux à son débarquement en Crete, s'il le sauvoit du péril imminent où il se trouvoit de faire naufrage.

J'ai dit que l'homme avoit à la chose le principal intérêt : en effet s'il croyoit qu'il lui fût plus avantageux de conserver ce qu'il promet que d'obtenir ce qu'il demande, il ne feroit point de voeu. Romulus ni Idoménée n'en firent qu'après avoir mis dans la balance, l'un les fruits d'une victoire importante avec les frais de construction d'un temple, l'autre la perte d'un sujet avec la conservation de sa propre vie.

Tout homme qui fait un voeu est dès ce moment ce que les Latins appelloient voti reus ; si de plus il obtient ce qu'il demande, il devient (selon leur langage) damnatus voti. C'est, pour le dire en passant, une distinction que n'ont pas toujours su faire les interpretes ni les commentateurs ; & il leur arrive assez fréquemment de confondre ces deux expressions, dont la seconde emporte néanmoins un sens beaucoup plus fort que la premiere. Elles sont l'une & l'autre empruntées du style usité dans les tribunaux de l'ancienne Rome. Le mot reus n'y étoit pas restraint au sens odieux & exclusif que nous lui prêtons. Tout accusé, ou même tout simple défendeur, étoit ainsi qualifié jusqu'à l'arrêt définitif. Reos appello (dit Cicéron, l. II. de or.) non eos modò qui arguuntur sed omnes quorum de re disceptatur. C'est ici l'évenement conditionnel qui décide le procès, & tient lieu d'arrêt. Se trouve-t-il conforme à l'intention du voteur ? celui-ci est condamné à se dessaisir de la chose promise : y est-il contraire ? elle lui est en quelque sorte adjugée, & il ne doit rien. Romulus ne contracta d'obligation effectivement pour le temple envers Jupiter, que du moment que la victoire se fut déclarée en sa faveur ; sa défaite consommée l'eût absous de son voeu.

Les Payens en général avoient de la Divinité des idées trop grossieres, pour sentir toute l'indécence du voeu conditionnel. Qu'est-ce en effet que ce marché insolent que la créature ose faire avec son créateur ? c'est comme si elle disoit : " Seigneur, je sais que telle ou telle chose seroit agréable à vos yeux ; mais avant que de me déterminer à la faire, composons. Voulez-vous de votre côté m'accorder telle ou telle grace (qui m'importe en effet plus que ce que je vous offre) ? c'est une affaire faite ; pourvu cependant, pour ne rien donner à la surprise, que vous vous désaisissiez le premier. Autrement, n'attendez rien de moi ; je ne suis pas d'humeur à me gêner pour vous complaire, à moins que d'ailleurs je n'y trouve mon compte ".... Eh ! qui es-tu, mortel audacieux, pour oser traiter de la sorte avec ton Dieu, & mettre un indigne prix à tes hommages ? Il semble que tu craignes d'en trop faire ; mais ce que tu peux n'est-il pas à cet égard la mesure exacte de ce que tu dois ? Commence donc par faire sans condition ce que tu sais devoir plaire à l'auteur de ton existence, & lui abandonne le reste. Peut-être que touché de ta soumission il se portera à te refuser l'objet de tes voeux inconsidérés, cette grace funeste qui causeroit ta perte.

Evertere domos totas, optantibus ipsis,

Dî faciles.

Nous regardons en pitié le stupide africain, qui tantôt prosterné devant son idole, & tantôt armé contre elle, aujourd'hui la porte en triomphe & demain la traîne ignominieusement, lui prodiguant tour-à-tour les cantiques & les invectives, l'encens & les verges ; selon que les évenemens le mettent vis-à-vis d'elle de bonne ou de mauvaise humeur. Mais l'homme qui a fait un voeu ne se rend-il pas jusqu'à un certain point coupable d'une extravagance & d'une impiété à-peu-près semblables, lorsque n'ayant pas obtenu ce qui en étoit l'objet, il se croit dispensé de l'accomplir ? N'est-ce pas, autant qu'il est en lui, punir la Divinité, que de la frustrer d'un acte religieux qu'il savoit lui devoir être agréable, & dont il lui avoit, pour ainsi dire, fait fête ? Je ne vois ici d'autre différence entre l'habitant de la zone brûlée & celui de la zone tempérée, que celle qui se remarque entre le paysan grossier & l'homme bien né, dans la maniere de corriger leur enfant. Le premier s'emporte avec indécence & use brutalement de peines afflictives : l'autre, plus modéré en apparence, y substitue aussi efficacement la privation de quelque plaisir annoncé d'avance, & présenté dans une riante perspective.

Je ne prétens pas au reste que ces sentimens soient bien distinctement articulés dans le coeur de tout homme qui fait un voeu : mais enfin ils y sont, en raccourci du-moins & comme repliés sur eux-mêmes ; & sa conduite en est le développement. Il faut donc convenir que pour n'y rien trouver d'offensant, il est bien nécessaire que Dieu aide à la lettre ; & qu'ici, comme en beaucoup d'autres rencontres, par une condescendance bien digne de sa grandeur & de sa bonté, il se prête à la foiblesse & à l'imperfection de sa créature. Mais ne seroit-ce pas mieux fait de lui sauver cette nécessité ?

Tout ce qui peut caractériser un véritable marché se retrouve d'ailleurs dans le voeu conditionnel. On renfle ses promesses, à proportion du prix qu'on attache à la faveur qu'on attend...

Nunc te marmoreum... fecimus...

Si foetura gregem suppleverit, aureus esto.

Il n'est pas non plus douteux que qui avoit promis une hécatombe, se comparant à celui qui pour pareil évenement & en pareilles circonstances n'avoit promis qu'un boeuf, n'estimât son espérance d'être exaucé mieux fondée dans la raison de 100 à 1. Peut-on supposer que les dieux n'entendissent pas leur intérêt, ou qu'ils ne sussent pas compter ?

Mais si plutôt on eût voulu supposer (ce qui est très-vrai) que la Divinité n'a besoin de rien pour elle-même & qu'elle aime les hommes, on en eût conclu que les offres les plus déterminantes qu'on puisse lui faire sont celles qui se trouvent liées à quelque utilité réelle pour la société : & le voeu conditionnel, dirigé de ce côté là, eût pu du-moins, à raison de ses suites, trouver grace à ses yeux. Mais ces reflexions étoient encore trop subtiles pour le commun des payens. Accoutumés à prêter à leurs dieux leurs propres goûts & leurs propres passions, il étoit naturel que dans leurs voeux ils cherchassent à les tenter par l'appât des mêmes biens qui sont en possession d'exciter l'humaine cupidité. Et comme entre ceux-ci l'or & l'argent tiennent sans contredit le premier rang ; delà cet amas prodigieux de richesses dont regorgeoient leurs temples & autres lieux de dévotion, à proportion de leur célébrité. Richesses, qui détournées une fois de la voie de la circulation n'y rentroient plus, & y laissoient pour le commerce un vuide ruineux & irréparable. Delà l'appauvrissement insensible des états, pour enrichir quelques lieux particuliers, où tant de matieres précieuses alloient se perdre comme dans un gouffre ; n'y servant tout-au-plus qu'à une vaine montre, & à nourrir l'ostentation puérile des ministres qui en étoient les dépositaires souvent infideles.

Peut-être s'imagine-t-on que c'étoit au-moins une ressource toute prête dans les besoins pressans de l'état. Tout porte en effet à le penser ; & c'eût été un bien réel qui pouvoit naître de l'abus même : mais malheur au prince qui dans les pays même de son obéissance eût osé le tenter, & faire passer à la monnoie tous ces ex voto, ou seulement partie, pour se dispenser de fouler ses peuples ! Toute la cohorte des prêtres n'eût pas manqué de crier aussitôt à l'impie & au sacrilége ; on l'eût chargé d'anathèmes ; on l'eût menacé hautement de la vengeance céleste ; & plus d'un bras armé sourdement d'un fer sacré se fût prêté à l'exécution. Que sait-on ? ce même peuple dont il eût cherché à procurer le soulagement, vendu, comme il l'étoit, à la superstition & à ses prêtres, eût peut-être été le premier à rejetter le bienfait, & à se soulever contre le bienfaiteur. Pour en faire perdre l'envie à qui eût pu être tenté de l'entreprendre, on faisoit courir certaines histoires sur les châtimens effrayans qui devoient avoir suivi pareils attentats ; on les débitoit ornées de toutes les circonstances qui pouvoient leur assurer leur effet, & la légende payenne insistoit fort sur ces articles. On citoit en particulier l'exemple de nos bons ancêtres les Gaulois, qui, dans une émigration sous Brennus, avoient trouvé bon, en passant par Delphes, de s'accommoder des offrandes du temple d'Apollon ; exemple néanmoins des plus mal choisis, puisqu'on ne pouvoit se dissimuler que, malgré leur sacrilége présumé, ils n'avoient pas laissé de se faire en Asie un assez bon établissement. Les Gaulois de leur côté avoient aussi leurs histoires, pour servir d'épouvantail aux impies & de sauve-garde à leurs propres temples. L'or de Toulouse n'étoit-il pas passé en proverbe ? Voyez Aul. Gell. l. III. c. ix. Enfin une nouvelle religion ayant paru dans le monde, les princes qui l'avoient embrassée, affranchis par elle de ces vaines terreurs, firent main-basse indistinctement sur tous les ex voto : leur témérité n'eut aucune mauvaise suite, & il se trouva que cet or étoit dans le commerce d'un aussi bon emploi que tout autre. C'est ainsi qu'une secte amasse & thésaurise, sans le savoir, pour sa plus cruelle ennemie ; & souvent dans la même secte, une branche particuliere pour quelqu'une des autres dans lesquelles elle vient avec le tems à se partager.

Si le voeu conditionnel admet un choix, même entre les choses qu'on peut toutes supposer agréables à Dieu ; à plus forte raison exige-t-il que ce qu'on promet soit innocent & légitime en soi. Il seroit également absurde & impie de prétendre acheter les faveurs du ciel par un outrage fait au ciel même, c'est-à-dire par un crime. Tel fut le voeu d'Idoménée. Sans qu'il soit besoin d'un plus long commentaire, on en sent assez toute l'horreur : pour y mettre le comble, il ne manquoit à ce roi barbare que de l'accomplir ; & c'est ce qu'il fit, & sur son propre fils, malgré le cri de la nature. Funeste exemple des excès où peut porter la religion mal entendue !... Celui qui suit a quelque chose de moins odieux, & tient même un peu du burlesque. J'ai connu un homme qui, pour se débarrasser une bonne fois des importuns, & sanctifier en quelque sorte son avarice & sa dureté, avoit fait voeu à Dieu de ne se rendre jamais caution pour personne. Chaque fois qu'on lui en faisoit la proposition, il prenoit une contenance dévote & citoit son voeu, qui lui lioit les mains & enchaînoit sa bonne volonté ; renvoyant ainsi son monde bien édifié, à ce qu'il pensoit, de sa religion & de sa délicatesse de conscience, dont il ne doutoit pas que Dieu ne lui tînt un grand compte. On tenta plusieurs fois de lui ouvrir les yeux sur l'illusion grossiere où il étoit ; ce fut en vain : il ne put ou ne voulut jamais comprendre qu'il lui fût permis de se départir de ce qu'il avoit si solemnellement & de si bon coeur promis à Dieu. Et en effet il fut toute sa vie plus fidele à ce voeu singulier qu'à aucun de ceux de son baptême. A quoi tenoit-il que tout d'un tems il ne s'interdît aussi par voeu l'exercice de l'aumône & de tout autre acte de charité ? Article de M. RALLIER DES OURMES, à qui l'Encyclopédie doit d'ailleurs de bons articles de Mathématiques.

VOEU, s. f. (Littérat. moderne) on appelle voeux ou ex voto, des présens qu'on a voués, & qu'on fait aux églises, après qu'on s'est rétabli de maladie. Ces présens sont des tableaux, des statues, des têtes, des bras, des jambes d'argent. Le tableau de la croisée de Notre-Dame de Paris, qui représente la sainte famille, est un voeu. Le tableau de S. Yves, qui est dans la croisée du cloître, est encore un voeu. Il y a des églises en Espagne, en Italie, toutes garnies de semblables voeux. (D.J.)

VOEUX solemnels des Romains, (Hist. rom.) au tems de la république, les Romains offroient souvent des voeux & des sacrifices solemnels pour le salut de l'état. Depuis que la puissance souveraine eut été déférée aux empereurs, on offroit en différentes occasions des sacrifices pour la conservation du prince, pour le salut, la tranquillité & la prospérité de l'empire ; de-là ces inscriptions de la flatterie si ordinaires aux monumens, Vota publica. Salus Augusta. Salus generis humani. Securitas publica, &c. Le jour de la naissance des princes étoit encore célébré avec magnificence par des voeux & des sacrifices ; c'étoit un jour de fête qui a été quelquefois marqué dans les anciens calendriers. On solemnisoit ainsi le 23 du mois de Septembre, viiij. kal. Octob. le jour de la naissance d'Auguste.

Les jours consacrés pour offrir des voeux & des sacrifices, étoient l'avénement des princes à l'empire, l'anniversaire de leur avénement, les fêtes quinquennales & décennales, & le premier jour de l'année civile, tant à Rome que dans les provinces. Les Chrétiens mêmes faisoient des prieres pour la conservation des empereurs payens & pour la prospérité de l'empire. Nos, disoit Tertullien, pro salute imperatorum Deum invocamus aeternum, Deum verum, & Deum vivum, quem & ipsi imperatores propitium sibi praeter caeteros malunt : imperatoribus precamur vitam prolixam, imperium securum, domum tutam, exercitus fortes, senatum fidelem, populum probum & orbem quietum. (D.J.)

VOEUX, (Antiq. grecq. & rom.) l'usage des voeux étoit si fréquent chez les Grecs & chez les Romains, que les marbres & les anciens monumens en sont chargés ; il est vrai que ce que nous voyons, se doit plutôt appeller l'accomplissement des voeux que les voeux mêmes, quoique l'usage ait prévalu d'appeller voeu ce qui a été offert & exécuté après le voeu.

Ces voeux se faisoient ou dans les nécessités pressantes, ou pour le succès de quelque entreprise, de quelque voyage, ou pour un heureux accouchement, ou par un mouvement de dévotion, ou pour le récouvrement de la santé. Ce dernier motif a donné lieu au plus grand nombre des voeux ; & en reconnoissance l'on mettoit dans les temples la figure des membres dont on croyoit avoir reçu la guérison par la bonté des dieux. Entre les anciens monumens qui font mention des voeux, on a trouvé une table de cuivre, sur laquelle on a gravé plusieurs guérisons opérées par la puissance d'Esculape. Le lecteur peut s'instruire à fond sur cette matiere dans le traité de Thomasini, de donariis & tabellis votivis.

Enfin on faisoit tous les ans des voeux après les calendes de Janvier, pour l'éternité de l'empire & pour les succès de l'empereur.

Mais une chose plus étrange & moins connue, c'est l'usage qui s'établit parmi les Romains sur la fin de la république, de se faire donner une députation particuliere dans un lieu choisi, sous prétexte d'aller à quelque temple célebre accomplir un voeu qu'on feignoit avoir fait. Cicéron écrit à Atticus, lettre 2. liv. XVIII. que s'il n'accepte pas le parti que lui propose César de venir servir sous lui dans les Gaules, en qualité de lieutenant, il a en main un moyen de s'absenter de Rome, c'est de se faire députer ailleurs pour rendre un voeu. Cicéron pélerin est une idée assez plaisante ! Voilà comme les hommes de son tems se servoient de la crédulité & de la superstition des peuples, pour cacher les véritables ressorts de leurs actions ! (D.J.)

VOEU des Juifs, (Critiq. sacrée) le premier voeu dont il soit parlé dans l'Ecriture, est celui de Jacob, qui allant en Mésopotamie, voua au Seigneur la dixme de ses biens, & promit de s'attacher à son culte avec fidélité. L'usage des voeux étant très-bien étendu & très-fréquent chez les Juifs, Moïse pour procurer leur exécution, établit des loix fixes à l'égard de ceux qui voueroient leurs biens, leur personne, leurs enfans, & même des animaux au Seigneur. Ces loix sont rapportées dans le Lévitique, ch. xxxvij. Par exemple, quand on s'étoit voué pour le service du tabernacle, il falloit racheter son voeu, si on ne vouloit pas l'accomplir. Il en étoit de même des biens & des animaux que l'on vouoit à Dieu en oblation ; on pouvoit les racheter, à moins que les animaux n'eussent les qualités requises pour être immolés, ou pour être dévoués à toujours par la consécration ; semblablement celui qui avoit voué son champ ou sa maison à Dieu, pouvoit la racheter, en donnant la cinquieme partie du prix de l'estimation.

Les Juifs faisoient aussi des voeux, soit pour le succès de leurs entreprises, de leurs voyages, soit pour recouvrer leur santé, ou pour d'autres besoins ; dans ces cas ils coupoient leurs cheveux, s'abstenoient de vin, & faisoient à Dieu des prieres pendant trente jours, avant que d'offrir leur sacrifice. Voyez Josephe, de la guerre des Juifs, liv. II. ch. xxvj. (D.J.)

VOEUX de chevalerie, (Hist. de la Chev.) engagemens généraux ou particuliers, que prenoient les anciens chevaliers dans leurs entreprises, par honneur, par religion, & plus encore par fanatisme. Voyez ENGAGEMENT.

Soit que l'on s'enfermât dans une place pour la défendre, soit qu'on en fît l'investissement pour l'attaquer, soit qu'en pleine campagne on se trouvât en présence de l'ennemi ; les chevaliers faisoient souvent des sermens & des voeux inviolables, de répandre tout leur sang plutôt que de trahir, ou d'abandonner l'intérêt de l'état.

Outre ces voeux généraux, la superstition du tems leur en suggéroit d'autres, qui consistoient à visiter divers lieux saints auxquels ils avoient dévotion ; à déposer leurs armes ou celles des ennemis vaincus, dans les temples & dans les monasteres ; à faire différens jeûnes, à pratiquer divers exercices de pénitence. On peut voir la Colombiere, théâtre d'honneur, c. xxj, des voeux militaires ; mais en voici quelques exemples qui lui ont échappé, & qui se trouvent dans l'histoire de Bertrand du Guesclin.

Avant que de partir pour soutenir un défi d'armes proposé par un anglois, il entendit la messe ; & lorsque l'on étoit à l'offrande, il fit à Dieu celle de son corps & de ses armes qu'il promit d'employer contre les infideles, s'il sortoit vainqueur de ce combat. Bientôt après, il en eut encore un autre à soutenir contre un anglois, qui en jettant son gage de bataille, avoit juré de ne point dormir au lit sans l'avoir accompli. Bertrand relevant le gage, fit voeu de ne manger que trois soupes en vin au nom de la sainte Trinité, jusqu'à ce qu'il l'eût combattu. Je rapporte ces faits pour la justification de ceux qu'on voit dans nos romans ; d'ailleurs ces exemples peuvent servir d'éclaircissemens à quelques passages obscurs des anciens auteurs, tels que le Dante.

Du Guesclin étant devant la place de Moncontour que Clisson assiégeoit depuis long-tems sans pouvoir la forcer, jura de ne manger de viande, & de ne se déshabiller qu'il ne l'eût prise ; " jamais ne mangerai chair, ne dépouillerai ne de jour, ne de nuit ". Une autre fois il avoit fait voeu de ne prendre aucune nourriture après le souper qu'il alloit faire, jusqu'à ce qu'il eût vû les Anglois pour les combattre. Son écuyer d'honneur, au siége de Bressiere, en Poitou, promit à Dieu de planter dans la journée sur la tour de cette ville la banniere de son maître qu'il portoit, en criant du Guesclin, ou de mourir plutôt que d'y manquer.

On lit dans la même histoire plusieurs autres voeux faits par des chevaliers assiégés, comme de manger toutes leurs bêtes ; & pour derniere ressource, de se manger les uns les autres par rage de faim, plutôt que de se rendre. On jure de la part des assiégeans, de tenir le siége toute sa vie, & de mourir en bataille, si l'on venoit la présenter, ou de donner tant d'assauts qu'on emportera la place de vive force. J'ai voeu à Dieu & à S. Yves, dit Bertrand aux habitans de Tarascon, que par force d'assaut vous aurez. De-là ces façons de parler si fréquentes avoir de voeu, vouer, vouer à Dieu, à Dieu le voeu, &c. Cependant Balzac exaltant la patience merveilleuse des François au siége de la Rochelle, la met fort au-dessus de celle de nos anciens chevaliers, quoiqu'ils s'engageassent par des sermens dont il rappelle les termes, à ne se point désister de la résolution qu'ils avoient prise.

La valeur, ou plutôt la témérité, dictoit encore aux anciens chevaliers des voeux singuliers, tels que d'être le premier à planter son pennon sur les murs ou sur la plus haute tour de la place dont on vouloit se rendre maître, de se jetter au milieu des ennemis, de leur porter le premier coup ; en un mot, de faire tel exploit, &c. Voyez encore la Colombiere au sujet des voeux dictés par la valeur : les romans nous en fournissent une infinité d'exemples. Je me contente, pour prouver que l'usage nous en est connu par de meilleures autorités, de rapporter le témoignage de Froissart. James d'Endelée, suivant cet historien, avoit fait voeu qu'à la premiere bataille où se trouveroit le roi d'Angleterre, ou quelqu'un de ses fils, il seroit le premier assaillant ou le meilleur combattant de son côté, ou qu'il mourroit à la peine ; il tint parole à la bataille de Poitiers, comme on le voit dans le récit du même auteur. Ste Palaye, Mém. sur l'ancienne chevalerie.

Mais le plus authentique de tous les voeux de l'ancienne chevalerie, étoit celui que l'on appelloit le voeu du paon ou du faisan, dont nous avons parlé ci-dessus. (D.J.)

VOEU du paon, (ancienne Chevalerie) voyez ci-devant pag. 411. col. 2. & PAON, voeu du. (D.J.)

VOEU rendu, (Inscript. antiq.) on appelle ainsi des tableaux que l'on pend dans les églises, & qui contiennent une image du péril dont on est échappé. Les payens nous ont servi d'exemple ; ils ornoient leurs temples de ces sortes de tableaux, qu'ils appelloient tabellae votivae ; ainsi Tibulle a dit,

Picta decet templis multa tabella tuis.

Juvenal, Sat. 14. peint la chose plus fortement.

Mersâ rate naufragus assem

Dùm rogat, & pictâ se tempestate tuetur.

Ces sortes de tableaux ont pris le nom d'ex voto, parce que la plûpart étoient accompagnés d'une inscription qui finissoit par ces mots, ex voto, pour marquer que celui qui l'offroit, s'acquitoit de la promesse qu'il avoit faite à quelque divinité dans un extrême danger, ou pour rendre public un bienfait reçu de la bonté des dieux. On reconnoissoit la qualité & le motif de l'inscription ou du tableau par ces caracteres.

Les recueils de Gruter, de Reinesius & de Boissard sont remplis de ces sortes de voeux. (D.J.)

VOEUX, (Art numis.) on voit par les monnoies des empereurs, qu'il y avoit des voeux appellés quinquennalia, decennalia, vicennalia, pour cinq ans, pour dix ans, pour vingt ans. Les magistrats faisoient aussi graver ces voeux sur des tables d'airain & de marbre. On trouve dans des médailles de Maxence & de Decentius, ces mots, votis quinquennalibus, multis decennalibus. Sur les médailles d'Antonin le Pieux & de Marc Aurele, on a un exemple des voeux faits pour vingt ans, vota suscepta vicennalia ; mais on a déjà traité cette matiere au mot MEDAILLE VOTIVE.

Quand ces voeux s'accomplissoient, on dressoit des autels, on allumoit des feux, on donnoit des jeux, on faisoit des sacrifices, avec des festins dans les rues & places publiques. (D.J.)


VOGELSBERG(Géog. mod.) montagne de Suisse, au pays des Grisons, dans le Rhein-wald, vulgairement colme del Occello, c'est-à-dire le mont de l'Oiseau, ce que signifie de même le nom allemand Vogelsberg. On appelle aussi cette montagne le mont S. Bernardin. Elle est couverte de glaces éternelles ; ce sont des glacieres de deux lieues de longueur, d'où sortent divers ruisseaux au-dessous d'un endroit sauvage qu'on nomme paradis, apparemment par ironie. Tous ces ruisseaux se jettent dans un lit profond, & forment le haut-Rhin. (D.J.)


VOGESUS(Géog. anc.) montagne de la Gaule Belgique, aux confins des Lingones, selon César, Bel. Gal. l. IV. c. x. qui dit que la Meuse prenoit sa source dans cette montagne : Mosa profluit ex monte Vogeso, qui est in finibus Lingonum. Cluvier, l. II. c. xxix. soutient qu'au lieu de Vogesus, il faut lire Vosegue dans César. Il se fonde sur deux manuscrits qui lisent de cette maniere ; & une ancienne inscription trouvée à Berg - Zabern, fait encore quelque chose pour son sentiment. Voici cette inscription :

Vosego. Maximinus.

V. S. L. L.

Cluvier ajoute à ces preuves d'autres autorités, qui étant plus modernes, peuvent être combattues.

D'un autre côté, Cellarius, l. II. c. ij. qui tient pour Vogesus, se détermine par l'orthographe la plus ordinaire dans César, & par celle dont use Lucain, laquelle est décisive, s'il est vrai qu'il ait écrit Vogesus, comme le persuadent les manuscrits qui nous restent. Lucain dit :

Deseruere cavo tentoria fixa Lemano,

Castraque Vogesi curvam super ardua rupem

Pugnaces pictis cohibebant Lingonas armis.

Pour moi, dit la Martiniere, je crois que Cluvier & Cellarius ont tort de préférer une orthographe à l'autre, les preuves étant à-peu-près d'égale force pour Vogesus, ou pour Vosegus. Le traducteur grec de César rend à la vérité Vogesi par ; mais, comme le remarque Cellarius, il a pu s'accommoder à la prononciation du siecle où il écrivoit. En effet, dans le moyen âge on disoit Vosegus ou Vosagus, comme nous le voyons dans ce vers de Fortunat, l. VII. carm. 4.

Ardenna an Vosagus cervi, caprae, Helicis, ursi

Caede sagittiferâ silva fragore tonat ?

Les auteurs du moyen âge donnent assez souvent à cette montagne le nom de forêt, silva, saltus, ou celui de desert, eremus. Voyez VOSGE. (D.J.)


VOGHERA(Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans le Pavésan, au bord de la riviere Staffora, sur le chemin de Pavie à Tortone, à 12 milles de Pavie. On croit que c'est le vicus Iriae d'Antonin. Long. 26. 33. latit. 44. 57. (D.J.)


VOGUE(Marine) c'est le mouvement ou le cours d'un bâtiment à rames.

Vogue-avant, nom du rameur qui tient le bout de la rame, & qui lui donne le branle.


VOGUERv. n. (Marine) c'est siller, faire route par le moyen des rames.

VOGUER, (terme de Chapelier) faire voguer l'étoffe, c'est faire voguer sur une claie par le moyen de la corde qui est tendue sur l'instrument qu'on appelle un arçon, le poil, la laine ou autres matieres, dont on veut faire les capades d'un chapeau. (D.J.)


VOGUETSS. m. en terme de jeu de mail, c'est une petite boule dont on se sert quand il fait beau, que le terrain est sec & uni, qui a moins de grosseur, mais toujours d'un poids proportionné à celui de la masse.


VOHITZ-BANCH(Géog. mod.) grande province de l'île de Madagascar. C'est un pays montagneux, abondant en miel, ignames, riz, & autres sortes de vivres. Les habitans ont la chevelure frisée, sont très-noirs, circoncis, & sans religion. (D.J.)


VOIES. f. (Gram.) chemin public qui conduit d'un lieu à un autre. Ce terme n'est guere usité qu'au palais & dans l'histoire ancienne. Nous disons rue, chemin.

VOIE DU SOLEIL, (Astron.) terme dont se servent quelques astronomes, pour signifier l'écliptique, dont le soleil ne sort jamais. Voyez ECLIPTIQUE.

VOIE, (Critique sacrée) chemin, route ; ce mot se prend au figuré dans l'Ecriture en plusieurs sens, & quelquefois d'une maniere proverbiale ; par exemple, aller par un chemin, & fuir par sept, Deut. 28. 25. marque en proverbe la déroute d'une armée. Les voies raboteuses s'applaniront, Luc, 3. 5. c'est-à-dire les déréglemens seront corrigés. Suivre la voie de toute la terre, c'est mourir. La voie des nations, ce sont les usages & la religion des payens.

Voie se prend métaphoriquement pour la conduite. Que le paresseux aille à la fourmi, & considere ses voies, Prov. 6. 6. Ce mot désigne les loix & les oeuvres de Dieu, Ps. 102. 7. Les voies de la paix, de la justice, de la vérité, sont les moyens qui y conduisent. Ce terme marque une secte. Saul demanda des lettres pour le grand prêtre, afin que s'il trouvoit des gens de cette secte, il les menât liés à Jérusalem, Act. 9. 2. La voie large, c'est une conduite relâchée qui mene à la perdition. La voie étroite, c'est une conduite religieuse qui mene au salut. (D.J.)

VOIE LACTEE, (Mythol.) la fable donne à cet amas d'étoiles une origine céleste ; elle dit que Junon donnant à teter à Hercule, cet enfant dont la force étoit prodigieuse, lui pressoit si rudement le bout du téton, qu'elle ne le put souffrir ; & comme elle retira sa mammelle avec effort & promtitude, il se répandit de son lait céleste qui forma ce cercle que les Grecs nommoient , & les Latins, orbis lacteus, via lactea ; mais il vaut bien mieux emprunter cette fable dans le langage de la poésie, puisque c'est elle qui l'inventa.

Nec mihi celanda est famae vulgata vetustas

Molliori e niveo lactis fluxisse liquorem

Pectore reginae divûm, coelumque colore

Infecisse suo. Quapropter lacteur orbis

Dicitur, & nomen causâ descendit ab ipsâ.

Manil. lib. I.

Ce joli conte suppose que Junon étoit dans le ciel ; mais les Thébains ne le prétendoient pas ; car Pausanias, l. IX. rapporte qu'ils montroient le lieu où cette déesse, trompée par Jupiter, allaita Hercule. (D.J.)

VOIES, les premieres, (Médec.) primae viae ; on appelle ainsi en médecine l'oesophage, l'estomac, les intestins, & leurs appendices, sur lesquels les purgatifs, les vomitifs, & les autres remedes qu'on prend intérieurement exercent d'abord leur vertu, avant qu'ils fassent leur opération dans d'autres parties. Quelques-uns mettent aussi les vaisseaux méséraiques au rang des premieres voies. (D.J.)

VOIE, (Jurisprud.) via, signifie chemin, passage dans le droit romain : le droit de voie, via, est différent du droit de passage personnel, appellé iter, & du droit de passage pour les bêtes & voitures, appellé actus ; le droit appellé via, voie ou chemin, comprend le droit appellé iter & celui appellé actus.

On appelle voie privée une route qui n'est point faite pour le public, mais seulement pour l'usage d'un particulier ; & voie publique, tout chemin ou sentier qui est destiné pour l'usage du public. Voyez aux institutes, l. II. le tit. de servitut. (A)

VOIE MINUCIENNE, (Litter.) via minucia, grand chemin des Romains, qui montoit tout-au-travers de la Sabine, du Samnium, & joignoit le chemin d'Appius, via appia, à Beneventum. Il prit son nom de Tiberius Minutius, consul, qui le fit faire l'an 448 de Rome, sept ans après celui d'Appius. Cicéron parle de la voie minucienne dans la sixieme lettre du IX. livre à Atticus.

La porte Minucia étoit dans le neuvieme quartier de Rome, entre le Tibre & le capitole, & par conséquent fort éloignée de la voie minucienne. Cette porte fut nommée minucienne à cause qu'elle étoit proche de la chapelle & de l'autel du dieu Minucius.

Il y avoit encore à Rome dans le neuvieme quartier une halle au blé, porticus frumentaria, qui fut aussi nommée porticus minucia, parce que Minucius Augurinus, qui exerça le premier l'intendance des vivres, la fit bâtir en 315. (D.J.)

VOIE ROMAINE, (Antiq. rom. & Littérat.) via romana ; route, chemin des Romains, qui conduisoit de Rome par toute l'Italie, & ailleurs. Au défaut des connoissances que nous n'en pouvons plus avoir dans les Gaules, recueillons ce que l'histoire nous apprend de ces sortes d'ouvrages élevés par les Romains dans tout l'empire, parce que c'est en ce genre de monumens publics qu'ils ont de bien loin surpassé tous les peuples du monde.

Les voies romaines étoient toutes pavées, c'est-à-dire, revêtues de pierres & de cailloux maçonnés avec du sable. Les loix des douze tables commirent cette intendance au soin des censeurs, censores urbis vias, aquas, aerarium, vectigalia, tueantur. C'étoit en qualité de censeur qu'Appius, surnommé l'aveugle, fit faire ce grand chemin depuis Rome jusqu'à Capoue, qui fut nommé en son honneur la voie appienne. Des consuls ne dédaignerent pas cette fonction ; la voie flaminienne & l'émilienne en sont des preuves.

Cette intendance eut les mêmes accroissemens que la république. Plus la domination romaine s'étendit, moins il fut possible aux magistrats du premier rang de suffire à des soins qui se multiplioient de jour en jour. On y pourvut en partageant l'inspection. Celle des rues de la capitale fut affectée d'abord aux édiles, & puis à quatre officiers, nommés viocuri, nous dirions en françois voyers. Leur département étoit renfermé dans l'enceinte de Rome. Il y avoit d'autres officiers publics pour la campagne, curatores viarum. On ne les établissoit d'abord que dans l'occasion, & lorsque le besoin de quelque voie à construire ou à réparer le demandoit. Ils affermoient les péages ordonnés pour l'entretien des routes & des ponts. Ils faisoient payer les adjudicataires de ces péages, régloient les réparations, adjugeoient au rabais les ouvrages nécessaires, avoient soin que les entrepreneurs exécutassent leurs traités, & rendoient compte au trésor public des recettes & des dépenses. Il est souvent parlé de ces commissaires, & de ces entrepreneurs, mancipes, dans les inscriptions, où ils étoient nommés avec honneur.

Le nombre des commissaires n'est pas aisé à déterminer. Les marbres nous apprennent que les principales voies avoient des commissaires particuliers, & que quelquefois aussi un seul avoit pour départemens trois ou quatre grandes voies. On peut juger du relief que donnoit cette commission par ces mots de l'orateur romain, ad Attic. l. I. epist. 1. Thermus est commissaire de la voie flaminienne ; quand il sortira de charge, je ne ferai nulle difficulté de l'associer à César pour le consulat.

Le peuple romain crut faire honneur à Auguste en l'établissant curateur & commissaire des grandes voies aux environs de Rome. Suétone dit qu'il s'en réserva la dignité, & qu'il choisit pour substituts des hommes de distinction qui avoient déja été préteurs. Tibere se fit gloire de lui succéder pour cette charge ; & afin de la remplir avec éclat, il fit aussi travailler à ses propres frais, quoiqu'il y eût des fonds destinés à cette sorte de dépense. Caligula s'y appliqua à son tour, mais il s'y prit d'une maniere extravagante & digne de lui. L'imbécille Claudius entreprit & exécuta un projet que le politique Auguste avoit cru impossible ; je veux dire de creuser à-travers une montagne un canal pour servir de décharge au lac Fucin, aujourd'hui lac de Celano. Aussi l'exécution lui couta-t-elle des sommes immenses. Néron ne fit presque rien faire aux grandes voies de dehors, mais il embellit beaucoup les rues de Rome. Les regnes d'Othon, de Galba & de Vitellius furent trop courts & trop agités. C'étoit des empereurs qu'on ne faisoit que montrer, & qui disparoissoient aussi-tôt. Vespasien, sous qui Rome commença d'être tranquille, reprit le soin des grandes voies. On lui doit en Italie la voie intercica. Son attention s'étendit jusqu'à l'Espagne. Ses deux fils Titus & Domitien l'imiterent en cela ; mais ils furent surpassés par Trajan. On voit encore en Italie, en Espagne, sur le Danube, & ailleurs les restes des nouvelles voies & ponts qu'il avoit fait construire en tous ces lieux-là. Ses successeurs eurent la même passion jusqu'à la décadence de l'empire, & les inscriptions qui restent suppléent aux omissions de l'histoire.

Il faut d'abord distinguer les voies militaires, viae militares, consulares, praetoriae, de celles qui ne l'étoient pas, & que l'on nommoit viae vicinales. Ces dernieres étoient des voies de traverse qui aboutissoient à quelque ville située à droite ou à gauche hors de la grande voie, ou à quelque bourg, ou à quelque village, ou même qui communiquoient d'une voie militaire à l'autre.

Les voies militaires se faisoient aux dépens de l'état, & les frais se prenoient du trésor public, ou sur les libéralités de quelques citoyens zélés & magnifiques, ou sur le produit du butin enlevé aux ennemis. C'étoient les intendans des voies, viarum curatores, & les commissaires publics qui en dirigeoient la construction ; mais les voies de traverse, viae vicinales, se faisoient par les communautés intéressées, dont les magistrats régloient les contributions & les corvées. Comme ces voies de la seconde classe fatiguoient moins que les voies militaires, on n'y faisoit point tant de façons : cependant elles devoient être bien entretenues. Personne n'étoit exempt d'y contribuer, pas même les domaines des empereurs.

Des particuliers employoient eux mêmes, ou léguoient par leur testament une partie de leurs biens pour cet usage. On avoit soin de les y encourager ; le caractere distinctif du romain étoit d'aimer passionnément la gloire. Quel attrait pouvoit-on imaginer qui eût plus de force pour l'animer, que le plaisir de voir son nom honorablement placé sur des monumens publics, & sur les médailles qu'on en frappoit. L'émulation s'en mêloit, c'étoit assez.

La matiere des voies n'étoit point partout la même. On se servoit sagement de ce que la nature présentoit de plus commode & de plus solide ; sinon, on apportoit ou par charrois, ou par les rivieres, ce qui étoit absolument nécessaire, quand les lieux voisins ne l'avoient pas. Dans un lieu c'étoit simplement la roche qu'on avoit coupée ; c'est ainsi que dans l'Asie mineure on voit encore des voies naturellement pavées de marbre. En d'autres lieux, c'étoit des couches de terres, de gravois, de ciment, de briques, de cailloux, de pierres quarrées. En Espagne la voie de Salamanque étoit revêtue de pierre blanche : de là son nom via argentea, la voie d'argent. Dans les Pays bas les voies étoient revêtues de pierres grises de couleur de fer. Le nom de voies ferrées que le peuple leur a donné, peut aussi bien venir de la couleur de ces pierres, que de leur solidité.

Il y avoit des voies pavées, & d'autres qui ne l'étoient pas, si par le mot de pavées on entend une construction de quelques lits de pierres sur la surface. On avoit soin que celles qui n'étoient point pavées fussent dégarnies de tout ce qui les pouvoit priver du soleil & du vent ; & dans les forêts qui étoient sur ces sortes de voies, on abattoit des arbres à droite & à gauche, afin de donner un libre passage à l'air ; on y faisoit de chaque côté un fossé en bordure pour l'écoulement des eaux ; & d'ailleurs pour n'être point pavées, il falloit qu'elles fussent d'une terre préparée, & qu'on rendoit très-dure.

Toutes les voies militaires étoient pavées sans exception, mais différemment, selon le pays. Il y avoit en quelques endroits quatre couches l'une sur l'autre. La premiere, statumen, étoit comme le fondement qui devoit porter toute la masse. C'est pourquoi avant que de la poser, on enlevoit tout ce qu'il y avoit de sable ou de terre molle.

La seconde, nommée en latin ruderatio, étoit un lit de tests de pots, de tuiles, de briques cassées, liées ensemble avec du ciment.

La troisieme, nucleus, ou le noyau, étoit un lit de mortier que les Romains appelloient du même nom que la bouillie, puls, parce qu'on le mettoit assez mou pour lui donner la forme qu'on vouloit, après quoi on couvroit le dos de toute cette masse ou de cailloux, ou de pierres plates, ou de grosses briques, ou de pierrailles de différentes sortes, selon le pays. Cette derniere couche étoit nommée summa crusta, ou summum dorsum. Ces couches n'étoient pas les mêmes partout, on en changeoit l'ordre ou le nombre, selon la nature du terrein.

Bergier qui a épuisé dans un savant traité tout ce qui regarde cette matiere, a fait creuser une ancienne voie romaine de la province de Champagne, près de Rheims, pour en examiner la construction. Il y trouva premierement une couche de l'épaisseur d'un pouce d'un mortier mêlé de sable & de chaux. Secondement, dix pouces de pierres larges & plates qui formoient une espece de maçonnerie faite en bain de ciment très dur, où les pierres étoient posées les unes sur les autres. En troisieme lieu, huit pouces de maçonnerie de pierres à peu-près rondes & mêlées avec des morceaux de briques, le tout lié si fortement, que le meilleur ouvrier n'en pouvoit rompre sa charge en une heure. En quatrieme lieu, une autre couche d'un ciment blanchâtre & dur, qui ressembloit à de la craie gluante ; & enfin une couche de cailloux de six pouces d'épaisseur.

On est surpris quand on lit dans Vitruve, les lits de pavés qui étoient rangés l'un sur l'autre dans les appartemens de Rome. Si on bâtissoit si solidement le plancher d'une chambre qui n'avoit à porter qu'un poids léger, quelles précautions ne prenoit-on pas pour des voies exposées jour & nuit à toutes les injures de l'air, & qui devoient être continuellement ébranlées par la pesanteur & la rapidité des voitures ?

Tout ce maçonnage étoit pour le milieu de la voie, & c'est proprement la chaussée, agger. Il y avoit de chaque côté une lisiere, margo, faite des plus grosses pierres & de blocailles, pour empêcher la chaussée de s'ébouler ou de s'affaisser, en s'étendant par le pié. Dans quelques endroits, comme dans la voie appienne, les bordages étoient de deux piés de largeur, faits de pierres de taille, de maniere que les voyageurs pouvoient y marcher en tout tems & à pié sec ; & de dix piés en dix piés, joignant les bordages, il y avoit des pierres qui servoient à monter à cheval ou en chariot.

On plaçoit de mille en mille des pierres qui marquoient la distance du lieu où elles étoient placées, à la ville d'où on venoit, ou à la ville où l'on alloit. C'étoit une invention utile de Caius Gracchus, que l'on imita dans la suite.

Toutes les voies militaires du coeur de l'Italie, ne se terminoient pas aux portes de Rome, mais au marché forum, au milieu duquel étoit la colonne milliaire qui étoit dorée, d'où lui venoit le nom de milliarium aureum. Pline, & les autres écrivains de la bonne antiquité, prennent de cette colonne le terme & l'origine de toutes les voies. Pline, l. III. c. v. dit : ejusdem spatii mensura currente à milliario in capite fori Romani statuto. C'est de là que se comptoient les milles ; & comme ces milles étoient distingués par des pierres, il s'en forma l'habitude de dire ad tertium lapidem, ad duodecimum, ad vigesimum, &c. pour dire à trois milles, à douze milles, à vingt milles, &c. On ne voit point que les Romains aient compté au-delà de cent, ad centesimum, lorsqu'il s'agissoit de donner à quelque lieu un nom pris de sa distance. Bergier croit que c'est parce que la jurisdiction du vicaire de la ville ne s'étendoit pas plus loin.

Quoi qu'il en soit, il y avoit de ces colonnes milliaires dans toute l'étendue de l'empire romain, & sans parler d'un grand nombre d'autres, on en voit encore une debout à une lieue de la Haye, avec le nom de l'empereur Antonin. Les colonnes, sous les empereurs, portoient d'ordinaire les noms des empereurs, des Césars, des villes, ou des particuliers qui avoient fait faire ou réparer les voies ; quelquefois aussi l'étendue du travail qu'on y avoit fait ; & enfin la distance du lieu où elle étoit à l'endroit du départ, ou au terme auquel cette voie menoit.

Tout ce que je viens de marquer, ne regarde que les voies militaires. Les Romains avoient encore des voies d'une autre espece ; leur mot iter, qui est générique, comprenoit sous lui diverses especes, comme le sentier, semita, pour les hommes à pié ; le sentier pour un homme à cheval, callis ; les traverses, tramites ; les voies particulieres, par exemple, avoient huit piés de largeur pour deux chariots venant l'un contre l'autre. La voie pour un simple chariot, actus, n'avoit que quatre piés ; la voie nommée proprement iter, pour le passage d'un homme à pié ou à cheval, n'en avoit que deux ; le sentier qui n'avoit qu'un pié, semita, semble être comme si on disoit semi iter ; le sentier pour les animaux, callis, n'avoit qu'un demi-pié ; la largeur des voies militaires étoit de soixante piés romains, savoir vingt pour le milieu de la chaussée, & vingt pour la pente de chaque côté.

Toutes les voies militaires, & même quelques-unes des voies vicinales ont été conservées dans un détail très-précieux, dans l'itinéraire d'Antonin, ouvrage commencé dès le tems de la république romaine, continué sous les empereurs, & malheureusement altéré en quelques endroits par l'ignorance, ou par la hardiesse des copistes. L'autre est la table théodosienne, faite du tems de l'empereur Théodose, plus connue sous le nom de table de Peutinger, ou table d'Augsbourg, parce qu'elle a appartenu aux Peutingers d'Augsbourg ; Velser a travaillé à l'éclaircir, mais il a laissé une matiere à supplément & à correction.

Les voies militaires étoient droites & uniformes dans tout l'empire, je veux dire qu'elles avoient cinq piés pour un pas, mille pas pour un mille, une colonne ou une pierre avec une inscription à chaque mille. Les altérations arrivées naturellement dans l'espace de plusieurs siecles, & les réparations modernes que l'on a faites en divers endroits, n'ont pu empêcher qu'il ne restât des indications propres à nous faire reconnoître les voies romaines. Elles sont élevées, plus ordinairement construites de sable établi sur des lits de cailloux, toujours bordées par des fossés de chaque côté, au point même que quelque coupées qu'elles fussent sur le talus d'une montagne, elles étoient séparées de cette même montagne par un fossé destiné à les rendre séches, en donnant aux terres & aux eaux entrainées par la pente naturelle, un dégagement qui n'embarrassoit jamais la voie. Cette précaution, la seule qui pouvoit rendre les ouvrages solides & durables, est un des moyens qui sert le plus à reconnoître les voies romaines ; c'est du moins ce que l'on remarque dans plusieurs de ces voies de la Gaule, qui plus étroites, & n'ayant pas la magnificence de celles que cette même nation avoit construites pour traverser l'Italie, ou pour aborder les villes principales de son empire, n'avoient pour objet que la communication & la sûreté de leurs conquêtes, par la marche facile & commode de leurs troupes, & des bagages indispensablement nécessaires.

Il faut à présent passer en revue les principales voies romaines, dont les noms sont si fréquens dans l'histoire, & dont la connoissance répand un grand jour sur la géographie ; cependant pour n'être pas trop long, je dois en borner le détail à une simple nomenclature des principales.

Voies de la ville de Rome, en latin viae urbis ; c'est ainsi qu'on appelloit les rues de Rome ; elles étoient pavées de grands cailloux durs, qui n'étoient taillés qu'en dessus, mais dont les côtés étoient joints ensemble par un ciment inaltérable. Ces rues dans leur origine étoient étroites, courbes & tortues ; mais quand sous Néron les trois quarts de la ville furent ruinés par un incendie, cet empereur fit tracer les rues incendiées, larges, droites & régulieres.

Voie Aemilienne. Elle fut construite l'an de Rome 567, par M. Aemilius Lepidus, lorsqu'il étoit consul avec C. Flaminius ; elle alloit de Rimini jusqu'à Bologne, & de - là tout autour des marais jusqu'à Aquiléia. Elle commençoit du lieu où finissoit la voie flaminia, savoir du pont de Rimini, & elle est encore le chemin ordinaire de Rimini par Savignano, Césene, Forli, Immola, & Faenza à Bologne, ce qui peut faire une étendue de vingt lieues d'Allemagne, & il faut qu'elle ait eu un grand nombre de ponts considérables. C'est de cette voie que le pays entre Rimini & Bologne s'appelloit Aemilia ; il étoit la septieme des onze régions dans lesquelles Auguste divisa l'Italie.

Il y avoit une autre voie aemilienne qui alloit de Pise jusqu'à Tortone ; ce fut M. Aemilius Scaurus qui la fit construire étant censeur, du butin qu'il avoit pris sur les Liguriens dans le tems de son consulat.

Voie d'Albe, en latin via Albana. Elle commençoit à la porte Caelimontana, & alloit jusqu'à Albe la longue. M. Messala y fit faire les réparations nécessaires du tems d'Auguste ; elle ne peut pas avoir été plus longue que dix-sept milles d'Italie, parce qu'il n'y a que cette distance entre Rome & Albano.

Voie d'Amérie, en latin via amerina. Elle partoit de la voie flaminienne, & conduisoit jusqu'à Améria, ville de l'Umbrie, aujourd'hui Amelia, petite ville du duché de Spolete ; mais comme on ne sait point d'où cette voie partoit de la flaminienne, on n'en sauroit déterminer la longueur.

Voie appienne, en latin via appia ; comme c'étoit la plus célebre voie romaine par la beauté de son ouvrage, & le premier chemin public qu'ils se soient avisés de paver, il mérite aussi plus de détails que les autres.

Cette voie fut construite par Appius Claudius Caecus, étant censeur, l'an de Rome 441, elle commençoit en sortant de Rome, de la porte Capene, aujourd'hui di San Sebastiano, & elle alloit jusqu'à Capoue, ce qui fait environ vingt-quatre lieues d'Allemagne ; Appius ne la conduisit pas alors plus loin, parce que de son tems les provinces plus éloignées n'appartenoient pas encore aux Romains. Deux chariots pouvoient y passer de front ; chaque pierre du pavé étoit grande d'un pié & demi en quarré, épaisse de dix à douze pouces, posée sur du sable & d'autres grandes pierres, pour que le pavé ne pût s'affaisser sous aucun poids de chariot ; toutes ces pierres étoient assemblées aussi exactement que celles qui forment les murs de nos maisons ; la largeur de cette voie doit avoir eté anciennement de vingt-cinq pies ; ses bords étoient hauts de deux piés, & composés des mêmes pierres que le pavé ; à chaque distance de dix à douze pas, il y avoit une pierre plus élevée que les autres, sur laquelle on pouvoit s'asseoir pour se reposer, ou pour monter commodément à cheval ; exemple qui fut imité par toutes les autres voies romaines. Les auberges & les cabarets fourmilloient sur cette route, comme nous l'apprenons d'Horace.

L'agrandissement de la république, & sur tout la conquête de la Grece & de l'Asie, engagerent les Romains à pousser cette voie jusqu'aux extrêmités de l'Italie, sur les bords de la mer lonienne, c'est à dire à l'étendre jusqu'à 350 milles. Jules-César ayant été établi commissaire de cette grande voie, la prolongea le premier après Appius, & y fit des dépenses prodigieuses. On croit que les pierres qu'il y employa furent tirées de trois carrieres de la Campanie, dont l'une est près de l'ancienne ville de Sinuesse, l'autre près de la mer entre Pouzzol & Naples, & la derniere proche de Terracine. Cette voie a aussi été nommée via trajana, après que Trajan l'eut fait réparer de nouveau. Gracchus y avoit fait poser les thermes, & on l'appella toujours pour son antiquité, sa solidité, & sa longueur, regina viarum.

Autant cette voie étoit entiere & unie autrefois, autant est elle délabrée aujourd'hui ; ce ne sont que morceaux détachés qu'on trouve de lieu à autre dans des vallées perdues ; il est difficile dans plusieurs endroits de la pratiquer à cheval ni en voiture, tant à cause du glissant des pierres, que pour la profondeur des ornieres ; les bords du pavé qui subsistent encore ça & là, ont vingt palmes romaines, ou quatorze piés moins quatre pouces, mesure d'Angleterre.

Voie ardéatine. Quelques uns lui font prendre son origine dans Rome même, au dessous du mont Aventin, près les thermes d'Antonius Caracalla, d'où ils la font sortir par une porte du même nom, & la conduisent dans la ville d'Ardea, entre la voie appienne & la voie ostiense ; c'est le sentiment d'Onuphrius, qui dit, haec (Ardeatina) intra urbem sub Aventino juxta thermas antonianas principium habebat. Cependant le plus grand nombre de savans font partir la voie ardéatine de celle d'Appius, hors de Rome, au-travers des champs à main droite. Quoi qu'il en soit, cette route n'avoit que trois milles & demi de longueur, puisque la ville d'Ardea étoit située à cette distance de Rome.

Voie aurélienne, en latin via aurelia. Elle prit son nom d'Aurélius Cotta, ancien consul, qui fut fait censeur l'an de Rome 512. Cette voie alloit le long des côtes en Toscane, jusqu'à Pise ; elle étoit double, savoir via aurelia vetus, & via aurelia nova, qu'on nomma de son restaurateur, via trajana ; elle touchoit aux endroits Lorium, Alsium, Pyrgos, Castrum novum, & Centum cellae. On conjecture que la voie nouvelle aurélienne fut l'ouvrage d'Aurélius Antonin, & l'on croit qu'elle étoit jointe à l'ancienne.

Voie cassienne, en latin via cassia. Elle alloit entre la voie flaminienne, & la voie aurélienne, au-travers de l'Etrurie. L'on prétend en avoir vu les vestiges entre Sutrio, aquae passerae, & près de Vulsinio jusqu'à Clusium ; & l'on conjecture qu'elle fut l'ouvrage de Cassius Longinus, qui fut censeur l'an de Rome 600, avec Valérius Messala.

Voie ciminia, en latin ciminia via ; elle traversoit en Etrurie, la montagne & la forêt de ce nom, & passoit à l'orient du lac aujourd'hui nommé lago di Vico, dans le petit état de Ronciglione.

Voie claudienne ou clodienne, en latin clodia via ; ce grand chemin commençoit au pont Milvius, alloit joindre la voie flaminienne, & passoit par les villes de Luques, Pistoye, Florence, &c. Ovide, ex ponto, l. I. Eleg. 8. v. 43. & 44. dit :

Nec quos piniferis positos in collibus hortos,

Spectat flaminiae Clodia juncta via.

Voie domitienne, construite par l'empereur Domitien, alloit de Sinuesse jusqu'à Pozzuolo, prenoit son trajet par un chemin sablonneux, & se joignoit enfin à la voie appienne ; elle existe encore presque toute entiere.

Voie flaminienne ; elle fut construite par C. Flaminius, censeur, l'an de Rome 533. Son trajet alloit de la porte Flumentana, par Ocriculus, Narnia, Carsula, Menavia, Fulginium, forum Flaminii, Helvillum, forum Sempronii, forum Fortunae, & Pisaurum, jusqu'à Ariminum (Rimini), où elle aboutissoit au-bout du pont de cette ville.

De l'autre côté commençoit la voie émilienne, qui alloit jusqu'à Boulogne, & peut-être jusqu'à Aquiléïa ; c'est pourquoi plusieurs auteurs prennent ces deux voies pour une seule, & lui donnent la longueur de la voie appienne.

Auprès du fleuve Metaurus, elle étoit coupée par le roc, d'où vient qu'on l'appella intercisa, ou petra pertusa ; lorsqu'elle fut délabrée, Auguste la fit réparer ; sa longueur jusqu'à Rimini, étoit de deux cent vingt-deux mille pas, ou cinquante-cinq lieues d'Allemagne ; une partie de cette voie étoit dans l'enceinte de Rome ; elle alloit, comme je l'ai déja dit, de la porte Flumentana, aujourd'hui porta del popolo, jusqu'à la fin de la via lata, dans la septieme région, ou jusqu'à la piazza di sciarra, en droite ligne depuis le pont Milvius ; c'est pourquoi Vitellius, Honorius, Stilico, &c. firent leur entrée triomphante par cette voie.

On l'appelle maintenant jusqu'au Capitole, & même une partie qui passe la piazza di sciarra, la strada del corso, parce que le pape Paul II. avoit prescrit la course à cheval du carnaval dans cette rue, pour qu'il pût voir cette course du palais qu'il avoit près de l'église de S. Carlo di corso ; on avoit fait auparavant cette course près du mont Testace, c'est-à-dire depuis le palais Farnese, jusqu'à l'église de S. Pierre, mais on la fit alors depuis l'église de S. Maria del Popolo, jusqu'audit palais ; cette rue est une des plus belles de Rome, à cause du palais, outre qu'elle a en face une place ornée d'un obélisque, & que son commencement se fait par les deux églises della Madona di monte santo, & di santa Maria di miracoli, qu'on appelle à cause de leur ressemblance le sorelle.

Voie gabine ou gabienne ; elle partoit à droite de la porte gabine, & s'étendoit jusqu'à Gabies. Son trajet étoit de 100 stades, environ 12 milles & demi d'Italie.

Voie gallicane, en latin gallicana via ; elle étoit dans la Campanie, & traversoit les marais pomptins.

Voie herculienne, en latin herculanea ; c'étoit une chaussée dans la Campanie, entre le lac Lucrin & la mer. Silius Italicus, liv. XII. v. 118. nomme cette voie herculeum iter, supposant que c'étoit l'ouvrage d'Hercule. Properce, l. III. éleg. 16. dit dans la même idée.

Qua jacet & Trojae tubicen Misenus arena

Et sonat Herculeo structa labore via.

Voie hignatienne, en latin hignatia via ; elle étoit dans la Macédoine, & avoit 530 milles de longueur, selon Strabon, l. VII. Il ne faut pas la confondre avec l'equatia via qui étoit en Italie. La voie hignatienne menoit depuis la mer Ionienne, jusqu'à l'Hellespont. Ciceron en parle dans son oraison touchant les provinces consulaires.

Via lata, rue célebre de Rome dans la septieme région de la ville, qui en prit son nom ; elle commençoit de la Piazza di Sciarra, & alloit jusqu'au capitole, elle fait maintenant partie della Strada del Corso, & elle est une des plus belles rues de Rome. Autrefois elle étoit ornée des arcs de triomphe de Gordianus, Marcus, Verus, & d'autres belles choses, dont on voit à peine quelques vestiges.

Voie latine, en latin latina via ; elle commençoit à Rome de la porte latine, s'étendoit dans le latium, & se joignoit près de Casilino à la voie appienne. Elle prenoit son trajet entre l'Algidum & les montagnes de Tusculum par Picta, & continuoit par Ferentinum, Frusinum, Teanum, Sidicinum, Calenum, jusqu'à Caselinum.

On trouvoit sur cette voie le temple de la Fortune féminine, avec la statue de la déesse, que les seules femmes mariées pouvoient toucher sans sacrilége. Il y avoit aussi sur la même voie plusieurs tombeaux, sur l'un desquels étoit cette épitaphe remarquable, rapportée par Ausone, & qu'un de nos poëtes modernes a pris pour modele de la sienne :

Ci gît, qui ? quoi ? Ma foi personne, rien, &c.

Non nomen, non quo genitus, non undè, quid egi ?

Mutus in aeternum, sum cinis, ossa, nihil.

Non sum, nec fueram : genitus tamen è nihilo sum

Mitte, nec exprobres singula : talis eris.

Phylis, nourrice de Domitien, avoit sa maison de campagne sur cette voie ; & comme l'empereur lui-même fut inhumé dans le voisinage, les voyageurs qui étoient mal traités sur cette route, disoient que c'étoit l'esprit de Domitien qui y régnoit encore.

La voie latine s'appelloit aussi la voie ausonienne. Martial la nomme latia, dans les deux vers suivans :

Herculis in magni vultus descendere Caesar

Dignatus latiae dat nova templa viae.

Dans un autre endroit, il l'appelle ausonia.

Appia, quam simili venerandus imagine Caesar

Consecrat Ausoniae, maxima fama viae.

Selon l'itinéraire d'Antonin, la voie latine étoit partagée en deux parties, dont la premiere y est ainsi décrite.

A Compitum succede Anagnia, & autres lieux jusqu'à Beneventum, qui est au bout de la voie prénestine.

Les antiquaires ont trouvé sur la voie latine, l'inscription suivante.

L. Annio. Fabiano.

III. Viro. Capitali.

Trib. Leg. 11. Aug.

Quaest. Urban. Tr. Pleb.

Praetor. Curatori.

Viae Latinae. Leg.

Leg. x. Fretensis.

Leg. Aug. v. Propr. Pro.

Vinc. Dac. Col. Ulp.

Trajana. Zarmat.

Voie laurentine ; cette voie, selon Aulugelle, se trouvoit entre la voie ardéatine & l'ostiense. Pline le jeune les fait voisines l'une de l'autre, quand il dit que l'on pouvoit aller à sa maison de campagne par l'une & l'autre route. Aditur non unâ viâ, nam & laurentina & ostiensis eodem ferunt ; sed laurentina ad xiv. lapides ostiensis ad xj. relinquenda est.

Voie nomentane, en latin via nomentana ; elle commençoit à la porte Viminale, & alloit jusqu'à Nomentum, en Sabine, à 4 ou 5 lieues de Rome.

Voie ostiense, en latin via ostiensis ; elle commençoit à la porte Trigemina, & alloit jusqu'à Ostie. Selon Procope, cette voie avoit 126 stades de longueur, qui font 19 milles italiques & un huitieme ; mais l'itinéraire ne lui donne que 16 milles d'étendue, & cette seule étendue, continue-t-il, empêche que Rome ne soit ville maritime.

Voie postumiane, en latin via postumia ; route d'Italie, aux environs de la ville Hostiliae, selon Tacite, hist. l. III. Il en est aussi fait mention dans une ancienne inscription, conservée à Gènes. Augustin Justiniani, dit qu'on nomme aujourd'hui cette route via costumia, qu'elle conduit depuis Rumo jusqu'à Novae, & qu'elle passe par Vota Arquata, & Seravalla.

Voie praenestine, en latin praenestina via ; route d'Italie, qui, selon Capitolin, conduisoit de Rome à la ville de Préneste, d'où elle a pris son nom ; elle commençoit à la porte Esquiline, & alloit à droite du champ esquilin jusqu'à Préneste.

Voie Quinctia ; elle partoit de la voie salarine, & tiroit son nom de Lucius Quinctius qu'on fit dictateur, lorsqu'il labouroit son champ.

Voie salarienne, en latin via salaria ; elle commençoit à la porte Colline, & prenoit son nom du sel que les Sabins alloient chercher à la mer en passant sur cette voie : elle conduisoit par le pont Anicum en Sabine.

Voie setina ; elle portoit le nom de la ville de Setia, dans le Latium, & finissoit par se joindre à la voie Appienne.

Voie triomphale ; elle commençoit à la porte Triomphale, prenoit son trajet par le champ flaminien, & le champ de Mars, sur le vatican, d'où elle finissoit en Etrurie.

Voie valerienne, en latin via valeria ; elle commençoit à Tibur, & alloit par Alba Fernentis, Cersennia, Corfinium, Interbromium, Teate, Marremium jusqu'à Hadria.

Voie vitellienne, en latin via vitellia ; elle alloit depuis le janicule jusqu'à la mer, & croisoit l'Aurelia vetus.

Voilà les principales voies des Romains en Italie ; ils les continuerent jusqu'aux extrêmités orientales de l'Europe, & vous en trouverez la preuve au mot CHEMIN.

C'est assez de dire ici, que d'un côté on pouvoit aller de Rome en Afrique, & de l'autre jusqu'aux confins de l'Ethiopie. Les mers, comme on l'a remarqué ailleurs, " ont bien pû couper les chemins entrepris par les Romains, mais non les arrêter ; témoins la Sicile, la Sardaigne, l'île de Corse, l'Angleterre, l'Asie, l'Afrique, dont les chemins communiquoient, pour ainsi dire, avec ceux de l'Europe par les ports les plus commodes. De l'un & de l'autre côté d'une mer, toutes les terres étoient percées de grandes voies militaires. On comptoit plus de 600 de nos lieues de voies pavées par les Romains dans la Sicile ; près de 100 lieues dans la Sardaigne ; environ 73 lieues dans la Corse ; 1100 lieues dans les îles Britanniques ; 4250 lieues en Asie ; 4674 lieues en Afrique. (D.J.) "

VOIE D'EAU. C'est une ouverture dans le bordage d'un vaisseau par où l'eau entre ; ce qui est un accident fâcheux, qu'on doit réparer promtement.

VOIE, s. f. (Comm.) ce mot se dit ordinairement des marchandises qui peuvent se transporter sur une même charette & en un seul voyage. Ainsi l'on dit une voie de bois, une voie de charbon de terre, une voie de plâtre, &c. A Paris, la voie de bois à brûler, c'est-à-dire de celui qui n'est ni d'andelle, ni de compte, & qu'on appelle bois de corde, est composée d'une demi corde de bois mesurée dans une sorte de mesure de bois de charpente appellée membrure, qui doit avoir 4 piés de tout sens. La voie de charbon de terre qui se mesure comble, est composée de 30 demi-minots, chaque demi-minot faisant 3 boisseaux ; ensorte que la voie de charbon de terre doit être de 90 boisseaux. La voie de plâtre est ordinairement de douze sacs, chaque sac de 2 boisseaux ras, suivant les ordonnances de police. La voie de pierre de taille ordinaire est de 5 carreaux, c'est-à-dire environ 15 piés cubes de pierre. Deux voies font le chariot. La voie de libage, est de six à sept morceaux de pierre. On appelle quartier de voie, quand il n'y en a qu'un ou deux à la voie. (D.J.)

VOIE de pierre, s. f. (Maçonn.) c'est une charretée d'un ou plusieurs quartiers de pierre, qui doit être au moins de 15 piés cubes.

Voie de plâtre. Quantité de douze sacs de plâtre, chacun de 2 boisseaux & demi. (D.J.)

VOIE de calandre, s. f. (Manufact.) on dit qu'on a donné une voie de calandre à une étoffe ou à une toile, pour faire entendre qu'elles ont passé huit fois de suite sous la calandre. On parle aussi par demi voie : ce qui s'entend quand l'étoffe ou la toile n'ont eu que quatre tours. (D.J.)

VOIE de chardon, s. f. (Lainage) donner une voie de chardon à un drap ou autre étoffe de laine, c'est le lainer, en tirer la laine, le garnir superficiellement de poil depuis le chef jusqu'à la queue, par le moyen du chardon. (D.J.)

VOIE de sautereaux, (Lutherie) sorte de petit poinçon ou équarrissoir à pans, dont les facteurs de clavecins se servent pour accroître les trous des languettes, afin qu'elles tournent librement autour de l'épingle qui leur sert de charniere. Voyez SAUTEREAU & la figure de cet outil, qui est emmanché comme une lime, Pl. de Lutherie, fig. 16. n °. 2.

VOIE, s. f. (Menuis. Charp. Sciage) les Menuisiers, les Charpentiers, les Scieurs au long appellent voie l'ouverture que fait la scie dans le bois qu'on coupe ou qu'on fend avec la scie. Les dents d'une scie doivent sortir alternativement, & s'incliner à droite & à gauche, afin que la scie puisse passer facilement. Il faut de tems en tems recoucher les dents d'une scie de l'un de l'autre côté, afin qu'elle se procure assez de voie. (D.J.)

VOIE, MOYEN, (Synonym.) on suit les voies ; on se sert des moyens.

La voie est la maniere de s'y prendre pour réussir. Le moyen est ce qu'on met en oeuvre pour cet effet. La premiere a un rapport particulier aux moeurs ; & le second aux événemens. On a égard à ce rapport, lorsqu'il s'agit de s'énoncer sur leur bonté : celle de la voie dépend de l'honneur & de la probité : celle du moyen consiste dans la conséquence & dans l'effet. Ainsi la bonne voie est celle qui est juste ; le bon moyen est celui qui est sûr. La simonie est une très-mauvaise voie, mais un fort bon moyen pour avoir des bénéfices.

Voie, dans le sens de chemin, ne se dit ordinairement qu'au figuré, comme la voie du salut est difficile ; marcher dans la voie que Dieu a prescrite. On se sert de voie dans le propre, en parlant des grands chemins des Romains ; la voie d'Appius Claudius subsiste aujourd'hui pour la plus grande partie. Ce terme se dit encore au propre en parlant de chasse : être sur les voies, retrouver les voies de la bête. (D.J.)

VOIE, se prend aussi pour une forme d'agir & de procéder.

Voie canonique, est lorsqu'on n'emploie que des formes & moyens légitimes & autorisés par les canons, pour faire quelque élection ou autre acte ecclésiastique.

Voie civile, est lorsque l'on se pourvoit par action civile contre quelqu'un.

Voie criminelle, est lorsque l'on rend plainte contre quelqu'un.

Voie de droit, est lorsque l'on poursuit son droit en la forme qui est autorisée par les loix. La voie de droit est opposée à la voie de fait.

Voie extraordinaire, est lorsqu'on poursuit une affaire criminelle par récolement & confrontation.

Voie de fait, est lorsqu'on commet quelque excès envers quelqu'un, ou lorsque de son autorité privée l'on fait quelque chose au préjudice d'un tiers. Voyez ci-devant VOIE DE DROIT.

Voie de nullité, signifie demande en nullité, moyen de nullité. Voyez NULLITE.

Voie d'opposition, c'est lorsqu'on forme opposition à quelque jugement ou contrainte. Voyez OPPOSITION.

Voie de requête civile, c'est lorsqu'on se pourvoit contre un arrêt par requête civile. Voyez REQUETE CIVILE.

Voie parée, se dit en quelques pays pour exécution parée, comme au parlement de Bordeaux.

Voie de saisie, c'est lorsqu'un créancier fait quelque saisie sur son débiteur. Voyez CREANCIER, CRIEES, DEBITEUR, DECRET, EXECUTION, SAISIE. (A)

VOIE, (Chymie) voie seche, voie humide, via sicca, via humida. Les chymistes se servent de l'une ou de l'autre de ces expressions, pour désigner la maniere de traiter un certain corps, déduite de ce qu'on applique à ce corps un menstrue auquel on procure la liquidité ignée, ou bien un menstrue liquide de la liquidité aqueuse. Voyez LIQUIDITE, Chymie. Par exemple, ils disent du kermès minéral préparé en faisant fondre de l'antimoine avec de l'alkali fixe, qu'il est préparé par la voie seche ; & de la même préparation exécutée en faisant bouillir de l'antimoine avec une lessive d'alkali fixe, qu'elle est faite par la voie humide ; ils appellent le départ des matieres d'or & d'argent fait par le moyen de l'eau forte, le départ par la voie humide, & cette même séparation effectuée par le moyen du soufre & d'autres matieres fondues avec l'argent aurifere, départ par la voie seche. Voyez KERMES MINERAL, DEPART, Docimastiq. & SEPARATION, Docimastiq. (b)


VOIERIES. f. (Gram. & Jurisprud.) viaria ou viatura seu viatoria, & par corruption voeria, voueria, lesquels sont tous dérivés du latin via, qui signifie voie, se prend en général pour une voie, chemin, travers, charriere, sentier ou rue commune ou publique & privée.

On entend aussi quelquefois par-là certaines places publiques, vaines & vagues, adjacentes aux chemins, qui servent de décharge pour les immondices des villes & bourgs. C'est ainsi que la ville de Paris a au-dehors une voierie particuliere pour chaque quartier, dans laquelle les tombereaux qui servent au nettoiement des rues & places publiques, conduisent les immondices. Anciennement les bouchers y jettoient le sang & les boyaux des animaux : ce qui causoit une puanteur insupportable ; c'est pourquoi on les enferma de murailles ; on y jettoit les cadavres des criminels qui avoient été exécutés à mort, & singulierement de ceux qui étoient trainés sur la claie. Il y a encore quelques lieux où l'on jette ainsi les cadavres des criminels, comme à Rouen, où il y a hors de la ville une petite enceinte de murailles en forme de tour découverte destinée pour cet usage.

On entend plus communément par le terme de voierie, la police des chemins, & la jurisdiction qui exerce cette police.

Cette partie de la police étoit déja connue des Romains qui la nommerent viaria ; & c'est sans doute d'eux que nous avons emprunté le même terme, & celui de voierie qui en est la traduction, & l'usage même d'avoir un juge particulier pour cette portion de la police générale.

On trouve dès le dixieme siecle des chartes qui mettent la voierie, viariam, au nombre des droits de justice.

Quelques autres chartres font connoître que la vicomté ne différoit point de la voierie, vicecomitiam id est viariam : ce qui doit s'entendre de la grande voierie ; car suivant les établissemens de S. Louis & autres anciens monumens, la voierie simplement s'entendoit de la basse justice.

Le terme d'advocatio pris pour basse justice, est aussi employé dans d'autres chartes comme synonyme de viatura.

Les coutumes distinguent deux sortes de voieries, savoir la grande ou grosse, & la petite qui est aussi nommée basse voierie ou simple voierie.

La grande voierie a été ainsi nommée, parce qu'elle appartenoit anciennement à la haute justice, du tems qu'il n'y avoit encore en France que deux degrés de justice, la haute & la basse ; mais depuis que l'on eut établi un degré de justice moyen entre la haute & la basse, la voierie fut attribuée à la moyenne justice ; & les coutumes la donnent toutes au moyen justicier ; c'est pourquoi le terme de vicomte ou justice-vicomtiere, qui est la moyenne justice, est en quelques endroits synonyme de voierie : ce qui s'entend de la grande.

La coutume d'Anjou dit que moyenne justice, grande voierie & justice à sang est tout un ; & celle de Blois dit que moyen justicier est appellé vulgairement gros voyer.

De même aussi la petite voierie, ou basse & simple voierie est confondue par les coutumes avec la basse justice. Celle de Blois dit que le bas justicier est appellé simple voyer.

Quoique les coutumes donnent au gros voyer ou grand voyer tous les droits qui appartiennent à la moyenne justice, & au simple voyer tous ceux qui appartiennent à la basse justice, ce n'est pas à dire que tous les différens objets qui sont de la compétence de ces deux ordres de jurisdictions, soient des attributs de la voierie grande ou petite proprement dite, la moyenne & basse justice s'exerçant sur bien d'autres objets que la voierie, & n'ayant été nommée voierie qu'à cause que la police de la voierie qui en dépend, & qui est de l'ordre public, a été regardée comme un des plus beaux apanages de ces sortes de jurisdictions inférieures.

En quelques endroits la voierie est exercée par des juges particuliers ; en d'autres elle est réunie avec la moyenne ou la basse justice.

Le droit de voierie en général consiste dans le pouvoir de faire des ordonnances & réglemens pour l'alignement, la hauteur & la régularité des édifices, pour le pavé & le nettoiement des rues & des places publiques, pour tenir les chemins en bon état, libres & commodes, pour faire cesser les dangers qui peuvent s'y trouver, pour empêcher toutes sortes de constructions & d'entreprises contraires à la décoration des villes, à la sûreté, à la commodité des citoyens & à la facilité du commerce. Ces attentions de la justice par rapport à la voierie, sont ce que l'on appelle la police de la voierie.

Les autres prérogatives de la voierie consistent dans le pouvoir d'imposer des droits, d'ordonner des contributions perpétuelles ou à tems préfixe, en deniers ou en corvées, & d'établir des juges & des officiers pour tenir la main à l'exécution des ordonnances & réglemens qui concernent cette portion de l'ordre public.

Les charges de la voierie consistent dans les soins & l'obligation d'entretenir le pavé & la propreté des rues, des places publiques & des grands chemins, & même quelquefois les autres chemins, selon les coutumes & usages des lieux.

Les émolumens & revenus de la voierie sont de deux sortes.

Les uns sont des droits purement lucratifs qui se payent en reconnoissance de la supériorité & seigneurie par ceux qui font construire ou poser quelque chose de nouveau qui fait saillie ou qui a son issue tant sur les rues que sur les places publiques ; ces droits sont ce que l'on appelle le domaine de la voierie, & qui compose le revenu attaché à l'office de grand voyer.

Les autres droits sont certains tributs ou impôts qui se levent sous le titre de péage & de barrage, sur les voitures & sur les marchandises qui passent par les grands chemins & par ceux de traverse ; ces droits sont destinés à l'entretien du pavé & aux réparations des chemins, des ponts & chaussées.

Il n'appartient qu'au souverain qui a la puissance publique, de faire des ordonnances & réglemens, & d'imposer des droits sur ses sujets ; c'est pourquoi la voierie en cette partie est considérée comme un droit royal que personne ne peut exercer que sous l'autorité du roi.

A l'égard des rues & places publiques & des grands chemins, quoique la jouissance en soit libre & commune à tous, le souverain en a la propriété, ou au-moins la garde & la surintendance.

Ainsi la police des grands chemins appartient au roi seul, même dans les terres des seigneurs hauts justiciers.

Du reste la voierie ordinaire ou petite voierie étant une partie de la police, elle appartient à chaque juge qui a la police, dans l'étendue de son territoire, à moins qu'il n'y ait un juge particulier pour la voierie. Voyez le traité de la police de la Mare, tome IV. liv. VI. tit. 15, & le code de la voierie, celui de la police, tit. 6. & ci-après le mot VOYER, & les mots CHEMINS, PEAGE, PLACES, RUES. (A)


VOIGTLAND(Géog. mod.) contrée d'Allemagne, dans la haute Saxe, & un des quatre cercles qui forment le marquisat de Misnie. Elle est entre la Bohème, le cercle des montagnes, le duché d'Altenbourg & le marggraviat de Culembach. Plawen est la principale ville du Voigtland. Son nom lui vient des prevôts appellés vogts en allemand, & que les empereurs d'Allemagne y envoyoient autrefois pour le gouverner ; ces prevôts furent institués, selon les meilleurs historiens du pays, par l'empereur Henri IV. (D.J.)


VOILE(Hist. & Critiq. sacrée) piece de crêpe ou d'étoffe qui sert à couvrir la tête & une partie du visage.

Il y auroit bien des choses à dire sur le voile, soit au propre, comme littérateur, soit au figuré, comme chrétien, qui considere l'état des filles qui prennent le voile, c'est-à-dire qui se font religieuses. Bornons-nous cependant à quelques faits un peu choisis sur cette matiere.

L'usage d'avoir la tête couverte ou découverte dans les temples, n'a point été le même chez les différens peuples du monde. Les anciens romains rendoient leur culte aux dieux la tête couverte. Caligula voulut qu'on l'adorât comme un dieu, la tête voilée ; ensuite Dioclétien prescrivit la même chose. Alexander ab Alexandro témoigne que selon l'ancienne coutume dans les sacrifices & autres cérémonies sacrées, celui qui sacrifioit, immoloit la victime, la tête voilée ; cependant ceux qui sacrifioient à l'Honneur & à Saturne, comme à l'ami de la vérité, avoient la tête découverte ; dans les prieres qu'on faisoit devant le grand autel d'Hercule, c'étoit l'usage d'y paroître la tête découverte, soit à l'imitation de la statue d'Hercule, soit parce que cet autel & le culte d'Hercule existoient avant le tems d'Enée, qui le premier introduisit la coutume de faire le service divin avec un voile sur la tête.

Et capite ante aras phrygio velatus amictu.

Les mages avoient dans leurs cérémonies un voile qui leur couvroit la tête. Hyde en allegue une raison, c'est afin que leur haleine ne souillât pas le feu sacré, devant lequel ils récitoient leurs prieres. Cornelius à Lapide remarque que les sacrificateurs des Juifs ne prioient ni ne sacrifioient point à tête découverte dans le temple, mais qu'ils la couvroient d'une tiare qui leur faisoit un ornement.

Quant aux prêtres modernes, M. Assemanni rapporte que le patriarche des Nestoriens officie la tête couverte : que celui d'Alexandrie en fait de même, ainsi que les moines de S. Antoine, les Cophtes, les Abyssins & les Syriens maronites. Mais S. Paul décida que les hommes doivent prier la tête découverte, & que les femmes soient voilées dans les temples. Or qu'arriva-t-il dans la primitive église, de cette ordonnance de S. Paul ? Une chose bien singuliere à l'égard des femmes ; on suivoit son précepte pour celles qui étoient veuves ou mariées, mais on en dispensa les filles, afin de les engager par cette marque d'éclat à prendre le voile spirituel, c'est-à-dire à se faire religieuses.

Quand on se fut mis dans l'esprit d'élever le célibat au-dessus du mariage, comme un état de perfection au-dessus d'un état d'imperfection, on n'oublia rien pour y porter le beau sexe ; & pour le gagner plus surement, on employa entr'autres moyens, le puissant motif des distinctions & de la vaine gloire. Voilà du moins ce qui se pratiquoit en Afrique, au rapport de Tertullien, dans son livre de velandis virginibus.

Les femmes alloient à l'église voilées ; on permit aux filles d'y paroître sans voile ; & ce privilege les flatta. Ceux qui prenoient la défense de cet abus, dit Tertullien, soutenoient que cet honneur étoit dû à la virginité, & que cette prérogative qui caractérisoit la sainteté des vierges, ne devoit point leur être ôtée, parce qu'étant remarquables dans les temples du Seigneur, elles invitoient les autres à imiter leur conduite. Aussi quand la question de voiler les vierges fut mise sur le tapis, plusieurs représenterent qu'on manqueroit de ressources pour engager les filles au voeu de virginité, si on détruisoit ce motif de gloire ; mais, dit Tertullien, là où il y a de la gloire, il y a des sollicitations ; là où il y a des sollicitations, il y a de la contrainte ; là où il y a de la contrainte, il y a de la nécessité ; & là où il y a de la nécessité, il y a de la foiblesse ; or, ajoute-t-il, la virginité contrainte est la source de toutes sortes de crimes. Haec admittit coacta & invita virginitas.

Enfin les raisons de Tertullien commencerent à prévaloir, moins par leur solidité, que parce qu'il les appuya du passage de S. Paul, que la femme devoit porter un voile dans l'église à cause des anges ; ce pere africain avoit lu dans le fabuleux livre d'Enoch, que les anges devenus amoureux des filles des hommes, les avoient épousées, & en avoient eu des enfans. Prévenu de cette imagination commune à plusieurs autres anciens, il se persuada que S. Paul avoit voulu dire que les femmes, & à plus forte raison les filles, devoient être voilées, pour ne pas donner de l'amour aux anges qui se trouvoient dans les assemblées des fideles. Il faut excuser ces ridicules interprétations qui ne regardent point la foi ; mais en même tems il faut se souvenir qu'une infinité de fausses explications de l'Ecriture n'ont point d'autre cause que les erreurs dont on se nourrit, & qu'on cherche à appuyer. Clément d'Alexandrie a été plus heureux que Tertullien dans l'interprétation du mot d'anges employé par S. Paul. Ce sont les justes, selon lui, qui sont les anges. Ainsi, continue-t-il, les filles doivent porter le voile dans l'église comme les femmes, afin de ne pas scandaliser les justes. Car pour les anges du ciel, ils les voient également, quelques voilées qu'elles puissent être ; mais la modestie doit être l'apanage de tout le sexe en général & en particulier.

Voilà pour ce qui regarde le voile des femmes, dans la signification propre de ce mot ; qu'il me soit permis d'y joindre quelques traits tirés de notre histoire, concernant le voile pris dans le sens figuré, pour l'état de religieuse. On voit par des lettres de Philippe le long, datées l'an 1317, un usage qui paroît bien singulier ; on donnoit alors le voile de religion à des filles de l'âge de huit ans, & peut-être plus tôt ; quoiqu'on ne leur donnât pas la bénédiction solemnelle, & qu'elle ne prononçassent pas de voeux, il semble cependant que si après cette cérémonie elles sortoient du cloître pour se marier, il leur falloit des lettres de légitimation pour leurs enfans, afin de les rendre habiles à succéder : ce qui fait croire qu'ils auroient été traités comme bâtards sans ces lettres. Regître 53 du trésor des chartes, piece 190.

Un fait bien différent, c'est que plus de deux cent ans auparavant, vers l'an 1109, S. Hugues, abbé de Cluni, dans une supplique pour ses successeurs, où il leur recommande l'abbaye de filles de Marcigni qu'il avoit fondée, leur enjoint de ne point souffrir qu'on y reçoive aucun sujet au-dessous de l'âge de vingt ans, faisant de cette injonction un point irrévocable, comme étant appuyé de l'autorité de toute l'église.

On ne doit pas non plus, par rapport aux religieuses, omettre un usage qui remonte jusqu'au douzieme siecle ; on exigeoit qu'elles apprissent la langue latine, qui avoit cessé d'être vulgaire ; cet usage dura jusqu'au quatorzieme siecle, & n'auroit jamais dû finir. Un autre usage plus important n'auroit jamais dû commencer, c'est celui de faire des religieuses. Abrégé de l'histoire de France, p. 276. (D.J.)

VOILE de religieuse, s. f. (Draperie) espece d'étamine très claire, dont on fait les voiles des religieuses, d'où elle a pris son nom. Elle sert aussi a faire des doublures de juste-au-corps en été, & même des manteaux courts pour les gens d'église & de robe, qui sont très-commodes pour leur légéreté. (D.J.)

VOILE, (Marine) assemblage de plusieurs lés, ou bandes de toile cousues ensemble, que l'on attache aux vergues ou étais, pour recevoir le vent qui doit pousser le vaisseau. Chaque voile emprunte le nom du mât où elle est appareillée. Ainsi on dit voile du grand mât, du hunier, de l'artimon, de misaine, du perroquet, &c. Celle de beauprè s'appelle la civadiere ou sivadiere. Voyez CIVADIERE. Il y a encore de petites voiles qu'on nomme bonnettes, qui servent à allonger les basses voiles, pour aller plus vîte. Voyez BONNETTES. Presque toutes les voiles dont on fait usage sur l'Océan, sont quarrées, & on en voit peu de triangulaires, qui sont au contraire très-communes sur la Méditerranée.

Les voiles doivent être proportionnées à la longueur des vergues, & à la hauteur des mâts ; & comme il n'y a point de regles fixes sur ces dimensions de mâts & de vergues (Voyez MAT & MATURE), il ne peut y en avoir pour les voiles.

Voici cependant la voilure qu'a un vaisseau ordinaire ; & pour plus d'intelligence Voyez la Pl. XXII. Marine, les proportions & figures des principales voiles pour un vaisseau du premier rang.

Voilure d'un vaisseau de grandeur ordinaire. Grande voile, 22 cueilles de large, 16 aunes & demie de

Il n'y a point de regles pour les étais, ni pour les bonnettes.

Voici quelques remarques sur la forme & l'usage des voiles.

1°. Plus les voiles sont plates, plus est grande l'impulsion du vent sur elles. Parce que premierement, l'angle d'incidence du vent sur elles est plus grand ; en second lieu, parce qu'elles prennent plus de vent ; & enfin parce que l'impression qu'elles reçoivent du vent est plus uniforme.

2°. Les voiles quarrées ont plus de force que les triangulaires, parce qu'elles sont plus amples ; mais aussi elles ont un plus grand attirail de manoeuvres ; sont plus difficiles à manier, & ne se manient que très-lentement.

3°. Les voiles de l'avant, c'est-à-dire de misaine & de beaupré, servent à soutenir le vaisseau, en empêchant qu'il ne tanque, & n'aille par élans.

Elles servent aussi à le faire arriver, quand elles sont poussées de l'arriere par le vent. Voyez MANEGE du navire.

4°. L'usage de la voile d'artimon ne consiste pas seulement à pousser le vaisseau de l'avant, mais à le faire venir au vent. Voyez l'article ci-dessus. Voilà pourquoi on la fait triangulaire, parce qu'on la cargue plus vîte ; qu'elle présente plus au vent, & que ses haubans ne la gênent pas.

A l'égard des usages des autres voiles, comme les voiles d'étai, les bonnettes, ils concourent à ceux dont je viens de parler.

Les Grecs attribuent l'invention de la voile à Dédale ; quelques autres peuples à Eole, & Pline en fait honneur à Icare : tout cela est fort vague & sans preuve. J'ai eu occasion de rechercher autrefois l'origine de la voile, & j'ai expliqué une médaille qui paroît avoir été frappée au sujet de cette origine.

J'ai représenté cette médaille dans les Recherches historiques sur l'origine & les progrès de la construction des navires des anciens. On y voit une femme qui est debout sur la proue d'un navire, tenant avec ses deux mains élevées & étendues, son voile de tête qui semble flotter au gré des vents. Un génie paroît descendre du haut d'un mât, posé au milieu du navire ; après y avoir attaché une voile à une vergue surmontée de deux palmes. Un autre génie est debout derriere la poupe de ce navire, montrant d'une main la voile attachée au mât. Sur la poupe est un troisieme génie, sonnant de la trompette ; & en dehors un quatrieme génie, qui tient une sorte de luth ou de guittare.

Telle est l'explication que j'ai donnée de cette médaille, d'après le trait d'histoire suivant, que j'ai tiré de Cassiodore.

On lit dans la xvij. épître du liv. V. de cet auteur, qu'Isis ayant perdu son fils qu'elle aimoit éperduement, se proposa de mettre tout en oeuvre pour le trouver. Après l'avoir cherché sur terre, elle veut encore visiter les mers. A cette fin elle s'embarque dans le premier bâtiment que le hazard lui fait rencontrer. Son courage & son amour lui donnent d'abord assez de force pour manier de lourdes rames ; mais enfin épuisée par ce rude travail, elle se leve, & dans la plus forte indignation contre la foiblesse de son corps, elle défait son voile de tête : pendant ce mouvement les vents font impression sur lui, & font connoître l'usage de la voile.

C'est précisément Isis qui est représentée dans la médaille dont il s'agit, & dont on a voulu transmettre cette action singuliere à la postérité. En effet, par ce génie qui descend du mât, on a voulu apprendre que le voile d'Isis a donné lieu à l'usage de la voile. Le génie qui montre cette voile avec la main, signifie que c'est le sujet de remarque de cette médaille. Le génie sonnant de la trompette, instrument dont on se servoit sur mer, annonce & publie cette importante découverte. Celui qui tient cette sorte de luth, ou de guittare, représente les instrumens au son desquels on faisoit voguer les rameurs, & indique que malgré l'usage de la voile, les navires sentiront toujours le coup des avirons. Enfin les deux palmes que l'on voit au haut du mât, sont le signe de la victoire qu'à la faveur des voiles on remporte sur la violence des flots, & sur la fureur des mers. Rech. hist. sur l'orig. &c. pag. 19 & 20.

Anciennement les voiles étoient de différentes figures. On en voit dans des médailles & sur des pierres gravées, de rondes, de triangulaires & de quarrées. Elles étoient aussi de différentes matieres ; les Egyptiens en faisoient de l'arbre appellé papyrus ; les Bretons du tems de César, en avoient de cuir, & les habitans de l'île de Bornéo en font encore aujourd'hui de la même matiere : on en faisoit aussi de chanvre. Sur le Pô, & même sur la mer, on en voyoit de joncs entrelacés, Plin. l. XVI. ch. xxxvij. La plante que les Latins appellent spartum, & que nous appellons genêt d'Espagne, étoit encore une matiere pour les voiles : mais le lin étoit celle dont on se servoit ordinairement, & voilà pourquoi les Latins appelloient une voile carbasus.

Aujourd'hui les Chinois en font de petits roseaux fendus, tissus, & passés les uns sur les autres ; les habitans de Bantam se servent d'une sorte d'herbe tissue avec des feuilles ; ceux du cap de Las tres Puntas en font beaucoup de coton.

Suivant Pline, on plaça d'abord de son tems, les voiles les unes sur les autres : on en mit ensuite à la poupe & à la proue, & on les peignit de différentes couleurs, Plin. l. XIX. c. j. Celles de Thésée, quand il passa en Crete, étoient blanches ; les voiles de la flotte d'Alexandre, qui entra dans l'Océan par le fleuve Indus, étoient diversement colorées ; les voiles des pirates étoient de couleur de mer ; celles du navire de Cléopatre, à la bataille d'Actium, étoient de pourpre. Enfin on distinguoit les voiles d'un vaisseau par des noms différens ; on appelloit epidromus, la voile de poupe ; dolones, les voiles de la proue ; thoracium, celle qui étoit au haut des mâts ; orthiax, celle qui se mettoit au bout d'une autre ; & artemon, la trinquette.

Les voiles étoient attachées avec des cordes faites avec leur même matiere. On y employoit aussi des feuilles de palmier, & cette peau qui est entre l'écorce & le bois de plusieurs arbres. Théoph. Hist. plant. 4 & 5.

Des courroies tenoient encore lieu de cordes, comme nous l'apprend Homere, ainsi cité par Giraldus.

Cet auteur rapporte les noms de différens cordages dont se servoient les Grecs. C'est un détail sec, qui ne peut être d'aucune utilité dans l'histoire même.

Il me reste à expliquer quelques façons de parler au sujet des voiles, & à définir celles qui ont des noms particuliers.

Avec les quatre corps des voiles ; maniere de parler à l'égard d'un vaisseau qui ne porte que la grande voile, avec la misaine & les deux huniers.

Faire toutes voiles blanches ; c'est pirater, & ne faire aucune différence d'amis & d'ennemis.

Forcer de voiles ; c'est mettre autant de voiles qu'en peut porter le vaisseau, pour aller plus vîte.

Ce vaisseau porte la voile comme un rocher ; on veut dire par-là qu'un vaisseau porte bien la voile, qu'il penche peu, quoique le vent soit si violent, qu'un autre vaisseau plieroit extrêmement.

Les voiles sur les cargues ; c'est la situation des voiles qui sont dessélées, & qui ne sont soutenues que par les cargues.

Les voiles sur le mât ; cela signifie que les voiles touchent le mât ; ce qui arrive quand le vent est sur les voiles.

Régler les voiles ; c'est déterminer ce qu'il faut porter de voiles.

Toutes voiles hors ; c'est avoir toutes les voiles au vent.

Les voiles au sec ; on entend par-là que les voiles sont dessélées & exposées à l'air, pour les faire secher.

Les voiles fouettent le mât ; mouvement de la voile, qui lui fait toucher le mât par reprises.

Voile ; ce mot se prend pour le vaisseau même : ainsi une flotte de cent voiles, est une flotte composée de cent vaisseaux.

Voile angloise ; c'est une voile de chaloupe & de canot, dont la figure est presque en losange, & qui a la vergue pour diagonale.

Voile d'eau ; c'est une voile que les Hollandois mettent dans un tems calme, à l'arriere du vaisseau, vers le bas, & qui plonge dans l'eau, afin que la marée la pousse, & que le sillage en soit par-là augmenté. Elle sert aussi pour empêcher que le vaisseau ne roule & ne se tourmente, parce que le vent & l'eau, qui la poussent de chaque côté, contribuent à l'équilibre.

Voile défoncée ; voile dont le milieu est emporté.

Voile de fortune ; voyez TREOU.

Voile de la ralingue ; voile dont la ralingue qui la bordoit a été déchirée.

Voile en banniere ; c'est une voile dont les écoutes ont manqué, & qui voltige au gré des vents.

Voile en patenne ; voile qui ayant perdu sa situation ordinaire, se tourmente au gré des vents.

Voile enverguée ; voile qui est appareillée à sa vergue.

Voile latine, ou voile à oreille de lievre ; voyez LATINE.

Voile quarrée ; c'est une voile qui a la figure d'un parallélogramme ; telles sont les voiles de presque tous les vaisseaux qui naviguent sur l'Océan.

Voiles basses, ou basses voiles ; on appelle ainsi la grande voile & la voile de misaine.

Voiles de l'arriere ; ce sont les voiles d'artimon & du grand mât.

Voiles de l'avant ; voiles des mâts de beaupré & de misaine.

Voiles d'étai ; voiles triangulaires, qu'on met sans vergues aux étais. Voyez ÉTAI.

VOILE, (Charpent.) on appelle ainsi dans la Lorraine ce qu'on nomme ailleurs des trains. Ils sont composés de planches qui se scient dans les montagnes de Vosge, & qu'on conduit & fait flotter sur la Moselle, pour les mener à Nanci ou à Metz. (D.J.)

VOILES, (Jardinage) sont certaines feuilles qui étant épanouies forment une espece d'étendards. Les fleuristes se servent assez de ce terme.

VOILE, (Peinture) est un crêpe de soie noire très-fin & serré, au point qu'on puisse cependant voir facilement les objets au-travers : les peintres s'en servent lorsqu'ils veulent faire quelques copies. On coud autour de ce crêpe une bande de toile, & on le tend sur un chassis de bois : on applique ce crêpe sur le tableau ou dessein qu'on veut copier, & comme on voit au-travers les objets du tableau, on les dessine sur le voile avec un crayon de craie blanche : lorsque cela est fait, on couche par terre la toile sur laquelle on veut transmettre ce dessein, & on applique dessus ce voile, qu'on a ôté de dessus le tableau sans le secouer, on l'y assujettit de façon qu'il y pose également, avec un linge en plusieurs doubles, dessus tous les traits tracés sur le voile, qui passant au-travers s'impriment sur la toile. Après on ôte le voile, & on le frotte de nouveau avec le linge, pour en faire tomber ce qui pourroit y rester de craie.


VOILECY-ALLER(Vénérie) le veneur qui a détourné le cerf, voyant tout prêt, se doit mettre devant tous les autres, & frapper à route, car l'honneur lui appartient, en criant, voilecy-aller, voilecy-avant, va avant, voilecy par les portées, rotte, rotte, rotte.


VOILERv. act. (Gram.) couvrir d'un voile ; donner le voile. Les vestales étoient presque toujours voilées. C'est ce prélat qui l'a voilée. Il faut voiler certaines idées. Faut-il voiler sa méchanceté ? faut-il la laisser paroître ? Faut-il être impudent ou hypocrite ? C'est qu'il faut être bon, pour n'avoir point à choisir entre l'hypocrisie & l'impudence. Le voile qui nous dérobe les objets par intervalle, sert à nos plaisirs qu'il rend plus durables & plus piquans. Le desir est caché sous le voile ; levez le voile, le desir s'accroît, & le plaisir naît.

VOILER, en terme d'ouvriers en métaux ; c'est l'action de céder à l'impression du feu, de l'air, ou au souffle du moindre vent. On dit d'une piece mince, qui se plie aisément, qu'elle voile.


VOILERIES. f. (Marine) lieu où l'on fait & où l'on raccommode les voiles.


VOILIERS. m. (Gram. anc.) dans l'antiquité étoit un officier à la cour des empereurs romains, ou un huissier qui avoit son poste derriere le rideau, velum, dans l'appartement même du prince, comme le chancelier avoit sa place à l'entrée de la balustrade, cancelli, & l'huissier de la chambre, ostiarius, avoit la sienne auprès de la porte.

Ces voiliers avoient un chef de même nom, qui les commandoit, comme il paroît par deux inscriptions que Saumaise a citées dans ses notes sur Vopiscus, & par une troisieme recueillie par Gruter : voici la premiere.

D. M. TI. CL. HALLVS. PRAEPOSITVS. VELARIORUM. DOMVS AVGVSTANAE FEC. SIBI. ET FILIIS SVIS. LL. POST. EORVM.

Saumaise & d'autres écrivent Thallus au-lieu de Hallus, comme porte l'inscription trouvée à Rome. Cependant l'historien Josephe fait mention d'un certain Hallus, samaritain de nation, & affranchi de Tibere, qui pourroit bien être celui qui est marqué sur l'inscription, ce qui prouveroit que ces voiliers dont il est qualifié chef, étoient des officiers très-anciens & employés auprès de la personne du prince sous les premiers empereurs romains.

VOILIER, (Marine) c'est le nom qu'on donne à un vaisseau qui porte ou bien ou mal la voile. Il est bon voilier dans le premier cas, & mauvais voilier ou pesant de voile dans le second.

VOILIER, (Marine) nom de celui qui travaille aux voiles, & qui a soin de les visiter pour voir si elles sont en bon état.


VOILIERES. f. (Géom.) c'est le nom que donne M. Jean Bernoulli à la courbe formée par une voile que le vent enfle. Il a démontré que cette courbe est la même que la chaînette. Voyez CHAINETTE, & l'essai sur la manoeuvre des vaisseaux de cet illustre auteur.


VOILURES. f. (Marine) c'est la maniere de porter les voiles pour prendre le vent. Il y a trois sortes de voilures pour cela : le vent arriere, le vent largue, & le vent de bouline. Voyez VENT ARRIERE, VENT DE BOULINE & LARGUE.

VOILURE, (Marine) c'est tout l'appareil & tout l'assortiment des voiles d'un vaisseau. Voyez VOILE.


VOIOXIURA(Géog. mod.) port du Figen, dans l'île de Ximo, au Japon, presque vis-à-vis l'île de Firando. C'est une espece de golfe de deux lieues de circuit, bordé de pointes avancées qui y forment autant de petits havres, à l'abri des vents. (D.J.)


VOIRREGARDER, (Synonymes) on voit ce qui frappe la vue. On regarde où l'on jette le coup d'oeil. Nous voyons les objets qui se présentent à nos yeux. Nous regardons ceux qui excitent notre curiosité. On voit ou distinctement, ou confusément. On regarde ou de loin, ou de près. Les yeux s'ouvrent pour voir, ils se tournent pour regarder. Les hommes indifférens voyent, comme les autres, les agrémens du sexe ; mais ceux qui en sont frappés, les regardent. Le connoisseur regarde les beautés d'un tableau qu'il voit : celui qui ne l'est pas, regarde le tableau sans en voir les beautés. Girard. (D.J.)

VOIR, (Critique sacrée) ce verbe, outre sa signification naturelle de la vue, se met encore pour marquer les autres sensations, videbant voces, Exod. xx. 18. le peuple entendoit la voix ; non dabis sanctum tuum videre corruptionem, Ps. xv. 10. vous ne permettrez pas que votre saint éprouve la corruption. Voir la face du roi, c'est l'approcher de près, Esth. j. 14. parce qu'il n'y avoit que les plus intimes courtisans des rois de Perse, qui eussent cette faveur. (D.J.)

VOIR L'UN PAR L'AUTRE, (Marine) voyez OUVRIR.

VOIR PAR PROUE, (Marine) c'est voir devant soi.


VOISINadj. (Gram.) qui est proche, limitrophe, immédiat, & séparé de peu de distance, ou attenant. Deux maisons voisines, deux places voisines, deux contrées voisines, des terres voisines. La finesse est très- voisine de la fausseté. Bon avocat mauvais voisin.


VOITURES. f. (Gram. & Comm.) ce qui sert à voiturer & porter les personnes, leurs hardes, les marchandises, & autres choses que l'on veut transporter & faire passer d'un lieu dans un autre. Il y a des voitures particulieres & des voitures publiques, des voitures par eau & des voitures par terre.

On appelle voitures particulieres, celles qu'ont les particuliers pour leur utilité ou commodité, & qu'ils entretiennent à leurs dépens ; telles que les carrosses, berlines, chaises de poste, litieres, &c.

Les voitures publiques sont celles dont chacun a la liberté de se servir en payant par tête pour les personnes, ou tant de la livre pesant pour les hardes, marchandises, ou autres effets. Ces voitures sont encore de deux sortes ; les unes qu'il n'est permis d'avoir & de fournir qu'en vertu d'un privilege ; comme sont les chariots, charrettes, fourgons, & chevaux de messageries, les coches & carrosses qui partent à des jours ou heures marquées pour certaines villes & provinces, & les caleches, chaises, litieres, & chevaux de poste & de louage. Les autres voitures publiques sont celles qu'il est permis à toutes sortes de personnes d'entretenir, d'avoir, & de louer, comment & à qui ils jugent à-propos ; de ce genre sont les haquets, charrettes sur ridelles, chariots de voituriers, rouliers, chasse-marée, &c.

Les voitures par eau sont en général tous les bâtimens propres à transporter par mer & sur les fleuves, rivieres, lacs, étangs, canaux, les personnes ou marchandises ; & ces bâtimens sont à voile ou à rame, ou tirés par des hommes ou par des animaux. On ne donne pas néanmoins ordinairement le nom de voitures aux navires, vaisseaux, frégates, & autres grands bâtimens de mer ; mais à ceux d'un moindre volume, & qui servent sur les rivieres ; tels que sont les coches d'eau, foncets, chalans, barques, grandes & petites alleges, toues, bachots, &c. sur lesquels on transporte les bois, vins, sels, épiceries, pierres, chaux, grains, charbons, ou d'une province à une autre, ou des provinces dans la capitale, ou dans les principales villes de commerce.

Les voitures par terre sont ou des machines inventées pour porter avec plus de commodité & en plus grande quantité les personnes, balles, ballots, caisses, & tonneaux de marchandises tirées par diverses sortes d'animaux, suivant les pays ; ou bien ces mêmes animaux qui servent de monture, & sur les bats ou le dos desquels on charge ces fardeaux proportionnés à leurs forces.

Les voitures de terre pour le transport des voyageurs & marchandises dont l'usage est le plus commun en France, & dans une grande partie de l'Europe, sont les carrosses, chariots, caleches, berlines, & coches à quatre roues, les chaises, charrettes, & fourgons qui n'en ont que deux. Ces machines roulantes sont tirées par des chevaux, des mulets, des mules, des bufles, & des boeufs. Dans le nord on se sert de traîneaux en hiver, & lorsque la terre est couverte de neige. On y attelle ordinairement des chevaux, mais en Laponie ils sont traînés par des rennes qui ressemblent à de petits cerfs, & dans quelques cantons de la Sibérie par des especes de chiens accoutumés à cet exercice. Voyez TRAINEAU.

Tous les animaux qu'on vient de nommer, à l'exception des rennes & des chiens de Sibérie, sont propres à la charge, & peuvent porter des marchandises, sur-tout les mules & mulets, qui sont d'un très-grand secours dans les pays de montagnes, tels que les Alpes, les Pyrénées, &c.

Dans les caravanes de l'Asie & les cafilas de l'Afrique, on se sert de chameaux & de dromadaires. Voyez CHAMEAU, DROMADAIRE, CARAVANE, CAFILA.

En quelques endroits de l'Amérique espagnole, & sur-tout dans le Pérou & le Chily, les vigognes, les Ilamas, & les alpagnes, qui sont trois sortes d'animaux de la grandeur d'une médiocre bourique, mais qui n'ont pas tant de force, servent non-seulement pour le transport des vins & autres marchandises, mais encore pour celui des minerais & pierres métalliques des mines d'or & d'argent, si communes dans cette partie du nouveau monde.

Enfin, le palanquin porté sur les épaules de deux, quatre, ou six hommes, & la litiere à laquelle on attelle deux mulets, l'un devant, l'autre derriere, sont aussi des voitures, mais seulement pour les voyageurs. La premiere est d'usage dans les Indes orientales, & la seconde dans presque toute l'Europe. Voyez PALANQUIN, TIEREIERE, Dictionnaire de Commerce.

Voiture s'entend aussi des personnes & des marchandises transportées.

On dit en ce sens une pleine voiture, lorsque les huit places d'un carrosse & les seize places d'un coche par terre sont remplies, & demi-voiture, quand il n'y en a que la moitié ; de même quand un roulier ne part qu'avec la moitié ou le tiers de la charge qu'il peut porter, on dit qu'il n'a pas voiture. Dictionnaire de Commerce, tome III. lettre V. page 661.

En termes de commerce de mer on dit, charge, chargement, cargaison. Voyez CHARGE, &c.

Voiture est encore le droit que chaque personne doit payer pour être menée en quelque lieu, ou celui qui est dû pour les effets & marchandises qu'on fait voiturer ; ce qui varie suivant la distance des lieux : les rouliers de Lyon font payer deux sols par livre de voiture.

Sur mer le terme de fret ou de nolis est plus en usage que celui de voiture. Voyez FRET & NOLIS.

Voiture d'argent, signifie quelquefois une ou plusieurs charrettes, chariots, mulets, &c. chargés d'especes monnoyées ; comme lorsqu'on dit qu'il est arrivé à l'armée une voiture d'argent pour payer les troupes. Quelquefois ils signifient un barril de fer que les receveurs des tailles ou autres envoient par les coches ou messagers aux receveurs généraux.

Voiture de sel est une certaine quantité de muids de sel qui arrive ou sur des bateaux ou sur des charrettes, chariots, &c. pour remplir les greniers à sel, soit de dépôt, soit de distribution. On appelle aussi une voiture de drap, de vin, de blé, de sucre, &c. une charrette chargée de ces marchandises. Ibid.

VOITURE, lettre de, (Commerce) écrit que l'on donne à un voiturier, contenant la quantité & la qualité des pieces, caisses, balles & ballots de marchandises qu'on lui confie afin qu'il puisse se faire payer de ses salaires par celui à qui elles sont adressées ; & aussi que celui qui les reçoit, puisse juger si elles arrivent bien conditionnées, en nombre compétent, & à tems convenable. Voyez LETTRE DE VOITURE.

Dans le commerce de mer, on nomme charte partie & connoissement ou manifeste, l'écrit ou régistre qui contient la liste des marchandises, & les noms & qualités des passagers dont un vaisseau marchand est chargé. Voyez CHARTE-PARTIE, CONNOISSEMENT, MANIFESTE, &c.

Les cochers des carrosses, coches publics, qui servent au transport des personnes, ont aussi leur feuille ou lettre de voiture, qu'ils sont obligés de montrer aux commis que leurs maîtres mettent souvent sur les routes, pour faire connoître qu'ils n'ont pris personne en chemin, & qu'ils n'ont que la charge avec laquelle ils sont partis. Voyez FEUILLE, Ibid.


VOITURERv. act. (Commerce) transporter sur des voitures soit par eau soit par terre, des personnes, des hardes, des marchandises. Voyez VOITURE.


VOITURIERS. m. (Commerce) celui qui voiture, qui se charge de transporter d'un lieu à un autre des personnes, des marchandises, des papiers, de l'or, de l'argent, des vins, des bois, &c. même des prisonniers, moyennant un prix ou fixé par les supérieurs & magistrats de police, ou arbitraire & tel que le voiturier en convient avec les marchands ou autres particuliers qui veulent se servir de son ministere.

Sous ce nom sont compris non-seulement les voituriers proprement dits, ou rouliers, & les bateliers ou maîtres de barques & de bateaux, qui voiturent librement par toute la France, soit par terre, soit par eau ; mais encore les messagers, maîtres des coches, les maîtres des carrosses, les fermiers des coches d'eau, les loueurs de chevaux, les maîtres des postes, & autres, qui ont des privileges & des pancartes. Voyez MESSAGERS, COCHES, CARROSSES, POSTES, &c.

Quant aux voituriers rouliers, quoiqu'ils soient libres à certains égards, comme sur la faculté d'entretenir autant de voitures qu'ils veulent ; de n'être fixés ni pour le prix à certaine somme invariable ; ni pour le départ ou l'arrivée, à certains jours & à certains lieux, comme les maîtres des coches ou carrosses publics y sont obligés ; les rouliers cependant sont astreints à divers reglemens de police & de commerce, concernant le soin qu'ils doivent avoir des marchandises ; les frais & indemnités dont ils sont tenus en cas de perte occasionnée par leur faute ; les avis qu'ils doivent donner aux propriétaires ou commissionnaires de l'arrivée des marchandises ; la maniere dont ils doivent se comporter par rapport aux lettres de voiture. Les voituriers par eau sont aussi sujets à de semblables reglemens, qu'on peut voir en détail dans le Dictionnaire de Commerce.


VOITURINS. m. (Commerce) signifie la même chose que voiturier, & est usité en ce sens dans quelques provinces de France, comme dans le Lyonnois, en Languedoc, en Dauphiné, & en Provence. Voyez VOITURIER, Dict. de Com. Tom. III. lettre V. pag. 670.


VOIX(Physiologie) c'est le son qui se forme dans la gorge & dans la bouche d'un animal, par un méchanisme d'instrumens propres à le produire. Voyez SON.

Voix articulées sont celles qui étant réunies ensemble, forment un assemblage ou un petit système de sons : telles sont les voix qui expriment les lettres de l'alphabet, dont plusieurs, jointes ensemble, forment les mots ou les paroles. Voyez LETTRE, MOT, PAROLE.

Voix non articulées, sont celles qui ne sont point organisées ou assemblées en paroles, comme l'aboi des chiens, le sifflement des serpens, le rugissement des lions, le chant des oiseaux, &c.

La formation de la voix humaine, avec toutes ses variations, que l'on remarque dans la parole, dans la musique, &c. est un objet bien digne de notre curiosité & de nos recherches ; & le méchanisme ou l'organisation des parties qui produisent cet effet, est une chose des plus étonnantes.

Ces parties sont la trachée artere par laquelle l'air passe & repasse dans les poumons ; le larynx qui est un canal court & cylindrique à la tête de la trachée ; & la glotte qui est une petite fente ovale, entre deux membranes sémi-circulaires, étendues horisontalement du côté intérieur du larynx, lesquelles membranes laissent ordinairement entre elles un intervalle plus ou moins spacieux, qu'elles peuvent cependant fermer tout-à-fait, & qui est appellée la glotte. Voyez la description de ces trois parties aux articles TRACHEE, LARYNX, & GLOTTE.

Le grand canal de la trachée qui est terminé enhaut par la glotte, ressemble si bien à une flute que les anciens ne doutoient point que la trachée ne contribuât autant à former la voix, que le corps de la flûte contribue à former le son de cet instrument. Galien lui-même tomba à cet égard dans une espece d'erreur ; il s'apperçut à la vérité que la glotte est le principal organe de la voix, mais en même-tems il attribua à la trachée artere une part considérable dans la production du son.

L'opinion de Galien a été suivie par tous les anciens qui ont traité cette matiere après lui, & même par tous les modernes qui ont écrit avant M. Dodart : mais ce dernier ayant fait attention que nous ne parlons ni ne chantons en respirant ou en attirant l'air, mais en soufflant ou en expulsant l'air que nous avons respiré, & que cet air en sortant de nos poumons, passe toujours par des vésicules qui s'élargissent à mesure qu'elles s'éloignent de ce vaisseau ; & enfin par la trachée même, qui est le plus large canal de tous, de sorte que l'air trouvant plus de liberté & d'aisance à mesure qu'il monte le long de tous ces passages, & dans la trachée plus que par-tout ailleurs, il ne peut jamais être comprimé dans ce canal avec autant de violence, ni acquérir là autant de vîtesse qu'il en faut pour la production du son ; mais comme l'ouverture de la glotte est fort étroite en comparaison de la largeur de la trachée, l'air ne peut jamais sortir de la trachée par la glotte, sans être violemment comprimé, & sans acquérir un degré considérable de vîtesse ; de sorte que l'air ainsi comprimé & poussé, communique en passant une agitation fort vive aux particules des deux levres de la glotte, leur donne une espece de secousse, & leur fait faire des vibrations qui frappent l'air à mesure qu'il passe, & forment le son. Voyez VIBRATION.

Ce son ainsi formé passe dans la cavité de la bouche & des narines, où il est réfléchi & où il résonne ; & où M. Dodart fait voir que c'est de cette résonnance que dépend entierement le charme de la voix. Les différentes conformations, consistances, & sinuosités des parties de la bouche, contribuent chacune de leurs côtés à la résonnance ; & c'est du mêlange de tant de résonnances différentes, bien proportionnées les unes aux autres, que naît dans la voix humaine une harmonie inimitable à tous les musiciens : c'est pourquoi lorsqu'une de ces parties se trouve dérangée, comme lorsque le nez est bouché, ou que les dents sont tombées, &c. le son de la voix devient désagréable.

Il semble que cette résonnance dans la cavité de la bouche, ne consiste point dans une simple réflexion, comme celle d'une voute, &c. mais que c'est une résonnance proportionnée aux tons du son que la glotte envoie dans la bouche : c'est pour cela que cette cavité s'allonge ou se raccourcit à mesure que l'on forme les tons plus graves ou plus aigus.

Pour que la trachée artere produisît cette résonnance, comme c'étoit autrefois l'opinion commune, il faudroit que l'air modifié par la glotte au point de former un son, au-lieu de continuer sa course du dedans en dehors, retournât au-contraire du dehors en dedans, & vînt frapper les côtés de la trachée artere, ce qui ne peut jamais arriver que dans les personnes qui sont tourmentées d'une toux violente, & dans les ventriloques. A la vérité dans la plûpart des oiseaux de riviere qui ont la voix forte, la trachée artere résonne, mais c'est parce que leur glotte est placée au fond de la trachée, & non pas à la sommité, comme dans les hommes.

Aussi le canal qui a passé d'abord pour être le principal organe de la voix, n'en est pas seulement le second dans l'ordre de ceux qui produisent la résonnance : la trachée à cet égard ne seconde point la glotte autant que le corps d'une flûte douce seconde la cheville de son embouchure ; mais c'est la bouche qui seconde la glotte, comme le corps d'un certain instrument à vent, qui n'est point encore connu dans la musique, seconde son embouchure : en effet la fonction de la trachée n'est autre que celle du portevent dans une orgue, savoir de fournir le vent.

Pour ce qui est de la cause qui produit les différens tons de la voix, comme les organes qui forment la voix font une espece d'instrument à vent, il semble qu'on pourroit se flatter d'y trouver quelque chose qui pût répondre à ce qui produit les différences de tons dans quelques autres instrumens à vent ; mais il n'y a rien de semblable dans le hautbois, dans les orgues, dans le clairon, &c.

C'est pourquoi il faut attribuer le ton à la bouche, ou aux narines qui produisent la résonnance, ou à la glotte qui produit le son : & comme tous ces différens tons se produisent dans l'homme par le même instrument, il s'ensuit que la partie qui forme ces tons doit être susceptible de toutes les variations qui peuvent y répondre : nous savons d'ailleurs que pour former un ton grave, il faut plus d'air que pour former un ton aigu ; la trachée, pour laisser passer cette plus grande quantité d'air, doit se dilater & se raccourcir, & au moyen de ce raccourcissement, le canal extérieur, qui est le canal de la bouche & du nez, à compter depuis la glotte jusqu'aux levres, ou jusqu'aux narines, se trouve allongé : car le raccourcissement du canal intérieur, qui est celui de la trachée, fait descendre le larynx & la glotte, & par conséquent sa distance de la bouche, des levres, & du nez, devient plus grande : chaque changement de ton & de demi-ton opere un changement dans la longueur de chaque canal ; de sorte que l'on n'a point de peine à comprendre que le noeud du larynx hausse & baisse dans toutes les roulades ou secousses de la voix, quelque petite que puisse être la différence du ton.

Comme la gravité du ton d'un hautbois répond à la longueur de cet instrument, ou comme les plus longues fibres du bois dont les vibrations forment la résonnance, produisent toujours les vibrations les plus lentes, & par conséquent le ton le plus grave, il paroît probable que la concavité de la bouche, en s'allongeant pour les tons graves, & en se raccourcissant pour les tons aigus, peut contribuer à la formation des tons de la voix.

Mais M. Dodart observe que dans le jeu d'orgue, appellé la voix humaine, le plus long tuyau est de six pouces, & que malgré cette longueur, il ne forme aucune différence de ton, mais que le ton de ce tuyau est précisément celui de son anche : que la concavité de la bouche d'un homme qui a la voix la plus grave, n'ayant pas plus de six pouces de profondeur, il est évident qu'elle ne peut pas donner, modifier, & varier les tons. Voyez TONS.

C'est donc la glotte qui forme les tons aussi bien que les sons, & c'est la variation de son ouverture qui est cause de la variation des tons. Une piece de méchanisme si admirable mérite bien que nous l'examinions ici de plus près.

La glotte humaine représentée dans les Planches anatom. est seule capable d'un mouvement propre, savoir de rapprocher ses levres, en conséquence les lignes de son contour marquent trois différens degrés d'approche. Les anatomistes attribuent ordinairement ces différentes ouvertures de la glotte à l'action des muscles du larynx ; mais M. Dodart fait connoître par leur position, direction, &c. qu'ils sont destinés à d'autres usages, & que l'ouverture & la fermeture de la glotte se fait par d'autres moyens, savoir par deux cordons ou filets tendineux, renfermés dans les deux levres de l'ouverture.

En effet chacune des deux membranes semi-circulaires, dont l'interstice forme la glotte, est pliée en double sur elle-même, & au-milieu de chaque membrane ainsi pliée, se trouve un paquet de fibres qui d'un côté tient à la partie antérieure du larynx, & de l'autre côté à la partie postérieure : il est vrai que ces filets ressemblent plutôt à des ligamens qu'à des muscles, parce qu'ils sont formés de fibres blanches & membraneuses, & non pas de fibres rouges & charnues ; mais le grand nombre de petits changemens qui doivent se faire nécessairement dans cette ouverture pour former la grande variété de tons, demande absolument une espece de muscle extraordinaire, par les contractions duquel ces variations puissent s'exécuter ; des fibres charnues ordinaires, qui reçoivent une grande quantité de sang, auroient été infiniment trop matérielles pour des mouvemens si délicats.

Ces filets qui dans leur état de rélaxation forment chacun un petit arc d'une ellipse, deviennent plus longs & moins courbes à mesure qu'ils se retirent, de sorte que dans leur plus grande contraction, ils sont capables de former deux lignes droites, qui se joignent si exactement, & d'une maniere si serrée, qu'il ne sauroit échapper entre deux un seul atome d'air qui partiroit du poumon, quelque gonflé qu'il puisse être, & quelques efforts que puissent faire tous les muscles du bas ventre contre le diaphragme, & le diaphragme lui-même contre ces deux petits muscles.

Ce sont donc les différentes ouvertures des levres de la glotte, qui produisent tous les tons différens dans les différentes parties de la musique vocale, savoir la basse, la taille, la haute-contre, le bas-dessus, & le dessus ; & voici de quelle maniere.

Nous avons fait voir que la voix ne peut se former que par la glotte, & que les tons de la voix sont des modifications de la voix, qui ne peuvent être formées non plus que par les modifications de la glotte ; s'il n'y a que la glotte qui soit capable de produire ces modifications, par l'approche & l'éloignement réciproque de ses levres, il est certain que c'est elle qui forme les sons différens.

Cette modification renferme deux circonstances, la premiere & la principale est que les levres de la glotte s'étendent de plus en plus en formant les tons, à commencer depuis le plus grave jusqu'au plus aigu.

La seconde, que plus ces levres s'étendent, plus elles se rapprochent l'une de l'autre.

Il s'ensuit de la premiere circonstance, que les vibrations des levres deviennent promtes & vives à mesure qu'elles approchent du ton le plus aigu, & que la voix est juste quand les deux levres sont également étendues, & qu'elle est fausse quand les levres sont étendues inégalement, ce qui s'accorde parfaitement bien avec la nature des instrumens à cordes.

Il s'ensuit de la seconde circonstance que plus les tons sont aigus, plus les levres s'approchent l'une de l'autre : ce qui s'accorde aussi parfaitement avec les instrumens à vent gouvernés par anches ou languettes.

Les degrés de tension dans les levres sont les premieres & les principales causes des tons, mais leurs différences sont insensibles ; les degrés d'approche ne sont que les conséquences de cette tension, mais il est plus aisé de rendre sensibles ces différences.

Pour donner une idée exacte de la chose, nous ne pouvons mieux y réussir, qu'en disant que cette modification consiste dans une tension, de laquelle résulte une ample subdivision d'un très-petit intervalle ; car cet intervalle, quelque petit qu'il soit, est cependant susceptible, physiquement parlant, de subdivisions à l'infini. Voyez DIVISIBILITE.

Cette doctrine est confirmée par les différentes ouvertures que l'on a trouvées en disséquant des personnes de différens âges, & des deux sexes, l'ouverture est plus petite, & le canal extérieur est toujours plus bas dans les personnes du sexe, & dans celles qui chantent le dessus. Ajoutez à cela que l'anche du hautbois, séparée du corps de l'instrument, se trouvant un peu pressée entre les levres du joueur, rend un son un peu plus aigu que celui qui lui est naturel ; si on la presse davantage, elle rend un son encore plus aigu, de-sorte qu'un habile musicien lui fera faire ainsi successivement tous les tons & demi-tons d'une octave.

Ce sont donc les différentes ouvertures qui produisent, ou du-moins, qui accompagnent les tons différens dans certains instrumens à vent, tant naturels qu'artificiels, & la diminution ou contraction de ces ouvertures, hausse les tons de la glotte aussibien que de l'anche.

La raison pourquoi la contraction de l'ouverture hausse le ton, c'est que le vent y passe avec plus de vélocité : & c'est pour la même raison que lorsqu'on souffle trop doucement dans l'anche de quelqu'instrument, il fait un ton plus bas qu'à l'ordinaire.

En effet, il faut que les contractions & dilatations de la glotte soient infiniment délicates ; car il paroît par un calcul exact de M. Dodart, que pour former tous les tons & demi-tons d'une voix ordinaire, dont l'étendue est de douze tons, pour former toutes les particules & subdivisions de ces tons en commas, & autres tems plus courts, mais toujours sensibles, pour former toutes les ombres ou différences d'un ton, quand on le fait résonner plus ou moins fort, sans changer le ton même, le petit diametre de la glotte, qui n'excede pas la dixieme partie d'un pouce, mais qui dans cette petite étendue varie à chaque changement, doit être divisée actuellement en 9632 parties, lesquelles sont encore fort inégales, de-sorte qu'il y en a beaucoup parmi elles qui ne font point la 1/963200 partie d'un pouce. On ne peut guere comparer une si grande délicatesse qu'à celle d'une bonne oreille, qui dans la perception des sons est assez juste pour sentir distinctement les différences de tous ces tons modifiés, & même celles dont la base est beaucoup plus petite que la 963200e partie d'un pouce. Voyez OUIE.

La diversité des tons dépend-elle uniquement de la longueur des ligamens de la glotte, longueur qui peut varier suivant que le cartilage scutiforme est plus ou moins tiré en-devant, & que les cartilages aryténoïdes le sont plus ou moins en arriere ? Suivant cette loi, les tons qui se forment lorsque ces ligamens sont très-tendus, doivent être très-aigus, parce qu'ils font alors de plus fréquentes vibrations : c'est ce que quelques modernes ont voulu confirmer par de l'expérience.

Ce n'est pas à moi, dit M. Haller, physiq. §. 331, à décider une question que mes expériences ne m'ont pas encore éclaircie : mais la glotte immobile, cartilagineuse & osseuse des oiseaux, & qui en conséquence ne peut s'étendre, la voix plus aiguë dans le sifflement, qui très-certainement dépend du seul rétrécissement des levres ; l'exemple des femmes qui ont la voix plus aiguë que l'homme, quoiqu'elles aient la glotte & le larynx plus courts ; les expériences qui constatent que les sons les plus aigus se forment par les ligamens de la glotte, approchés l'un de l'autre autant qu'ils le peuvent être ; l'incertitude des nouvelles expériences confirment ce système ; le défaut des machines propres à tirer le cartilage scutiforme en-devant ; le soupçon évident que l'auteur de l'expérience a cru que le cartilage scutiforme étoit porté en-devant, tandis qu'il étoit certainement élevé ; toutes ces choses font naître des doutes très-grands. Il paroît donc qu'on doit examiner de plus près cette observation, sans cependant blâmer les efforts de l'auteur, & sans adhérer trop précisément à son sentiment.

Rapprochons sous les yeux le morceau qu'on vient de lire, pour faciliter au lecteur avec plus de précision, l'intelligence de ce phénomene merveilleux qu'on nomme la voix, & qui est si nécessaire aux hommes vivans en société.

On sait que la partie supérieure de la trachée-artere s'appelle larynx, lequel est composé de cinq cartilages : au haut du larynx est une fente nommée la glotte, qui peut s'allonger, se raccourcir, s'élargir, s'étrécir, au moyen de plusieurs muscles artistement posés ; il y a d'autres muscles qui font monter cette flûte, & d'autres qui la font descendre : l'air venant heurter contre ses bords, se brise & fait plusieurs vibrations qui forment le son de la voix ; plus l'ouverture de la glotte est étroite, plus l'air y passe avec rapidité, & plus le son est aigu : on voit par-là que ceux qui s'efforcent à donner à leur voix un son fort aigu, seroient enfin suffoqués, s'ils continuoient long-tems ; car, comme ils rétrécissent la glotte presqu'entierement, il ne peut sortir que peu d'air ; il leur arrive donc la même chose qu'à ceux en qui on arrête la respiration ; mais si on élargit trop l'ouverture de la glotte, l'air qui passera sans peine, & sans beaucoup de vîtesse, ne se brisera point ; ainsi il n'y aura pas de frémissemens ; de-là vient que ceux qui veulent donner à leur voix un ton trop grave, ne peuvent former aucun son.

L'air qui revient lentement des poumons, passe avec violence par la fente de la glotte, parce qu'il marche d'un espace large dans un lieu fort étroit ; l'espace de la bouche & des narines ne contribue en rien à le produire, mais il lui donne diverses modifications : c'est ce qu'on voit par l'altération de la voix dans les rhumes, ou lorsque le nez est bouché. Le son forme la parole, & les tons, dont la variété offre tant d'agrémens à l'oreille.

Il y a plusieurs instrumens qui servent à la parole, la langue est le principal, les levres & les dents y contribuent aussi beaucoup, l'expérience le montre dans ceux qui perdent les dents, ou qui ont des levres mal configurées ; la luette paroît aussi, selon plusieurs savans, être d'usage pour articuler ; car ceux à qui elle manque, ne parlent pas distinctement.

Il y a sur la glotte une languette nommée épiglotte, qui par ses vibrations différentes peut donner à l'air beaucoup de modifications ; les cartilages aryténoïdes qui sont renversés sur la glotte, peuvent produire un effet semblable par les divers mouvemens dont ils sont capables. Ensuite la bouche modifie, augmente, tempere le son, selon les proportions qu'elle observe en se raccourcissant. Enfin la glotte a une faculté étonnante de se resserrer & de se dilater ; ses contractions & ses dilatations répondent avec une exactitude merveilleuse à la formation de chaque ton.

Supposons avec l'ingénieux docteur Keill, que la plus grande distance des deux côtés de la glotte, monte à la dixieme partie d'un pouce, quand le son qu'elle rend, marque la douzieme note à laquelle la voix peut atteindre facilement ; si on divise cette distance en 12 parties, ces divisions marqueront l'ouverture requise pour telle ou telle note, poussée avec telle ou telle force : si l'on considere les subdivisions des notes que la voix peut parcourir, il faudra un mouvement beaucoup plus subtil & plus délicat dans les côtés de la glotte ; car si de deux cordes exactement tendues à l'unisson, on raccourcit l'une d'une 2000 partie de sa longueur, une oreille juste distinguera la discordance de ces deux cordes ; & une bonne voix fera sentir la différence des sons qui ne différeront que de la 190e partie d'une note. Mais supposons que la voix ne divise une note qu'en 100 parties, il s'ensuivra que les différentes ouvertures de la glotte diviseront actuellement la dixieme partie d'un pouce en 1200 parties, dont chacune produira quelque différence sensible dans le ton, qu'une bonne oreille pourra distinguer ; mais le mouvement de chaque côté de la glotte étant égal, il faudra doubler ce nombre, & les côtés de la glotte diviseront en effet par leur mouvement la dixieme partie d'un pouce en 2400 parties.

Il est aisé maintenant de définir ce que c'est que la voix & le chant, car nous avons déjà vu ce que c'étoit que la parole.

La voix est un bruit que l'air enferme dans la poitrine excite en sortant avec violence, & frottant les membranes de la glotte, il les ébranle & les froisse, ensorte que le retour cause un trémoussement capable de faire impression sur l'organe de l'ouïe. Or cet air agité avec promtitude, va frapper la cavité du palais & la membrane dont il est revêtu, ce qui produit la réflexion du son ; la modification de ce son ainsi réfléchi, se fait par le mouvement des levres & de la langue, qui donnent la forme aux accens de la voix, & aux syllabes dont la parole est composée.

Pour que la voix se forme aisément, il faut 1°. de la souplesse dans les muscles qui ouvrent & resserrent la glotte ; s'ils devenoient paralytiques, on ne pourroit plus former de son.

2°. Il faut que les ligamens qui unissent les pieces du larynx obéissent facilement.

3°. Il faut une liqueur qui humecte continuellement le larynx ; peut-être que le suc huileux de la glande thyroïde exprimé par les muscles qu'on nomme sternothyroïdiens, contribue à rendre la surface interne du larynx glissante, & par conséquent plus propre à former la voix.

4°. Il faut que le nez ne soit pas bouché, autrement l'air qui se refléchit & se modifie diversement dans le fond de la bouche qui conduit au nez, forme un son désagréable ; on appelle cela parler du nez, mais mal-à-propos, car alors tout l'air passe par la bouche, & le nez bouché n'en reçoit que peu ou point.

5°. Il faut que le thorax puisse avoir une dilatation considérable ; car si les poumons ne peuvent pas bien s'étendre ; il faudra reprendre haleine à chaque moment, ainsi la voix tombera, ou s'interrompra désagréablement.

Remarquons encore que la pointe de la langue prend quelquefois part à la formation des tons ; car quand ils se suivent de bien près, la glotte labiale n'étant pas assez déliée pour prendre si promtement les différens diametres nécessaires, la pointe de la langue vient se présenter en-dedans à cette ouverture, & par un mouvement très-preste, la retrécit autant qu'il faut, ou la laisse libre un instant pour revenir aussitôt la retrécir encore. A l'égard du sifflement, on sait qu'il n'est formé que par les seules vibrations des parties des levres alors extrêmement froncées & agitées par le passage précipité de l'air qui les fait frémir. Voilà les principales merveilles de la voix, il nous reste à répondre à quelques questions qu'on fait à son sujet.

On demande ce qui cause la différence de la voix pleine & de la voix de fausset qui commence au plus haut ton de la voix pleine, & ne lui ajoute que trois tons au plus. M. Dodart a observé que dans tous ceux qui chantent en fausset, le larynx s'éleve sensiblement, & par conséquent, le canal de la trachée s'allonge & se retrécit, ce qui donne une plus grande vîtesse à l'air qui y coule. Cela seul suffiroit pour hausser le ton ; mais d'ailleurs il est très-vraisemblable que la glotte se resserre encore, & plus que pour les tons naturels. Peut-être aussi le musicien pousse l'air avec une plus grande force, & par-là le ton devient plus aigu, comme il le devient dans une flûte sur un même trou lorsque le souffle est plus fort. Mais comme la disposition du larynx qui est élevé, ne permet à l'air que d'enfiler la route du nez, & non pas celle de la bouche, cela fait que la voix n'est pas désagréable, mais elle est toujours plus foible, & n'est, pour ainsi dire, qu'une demi- voix.

La voix fausse est différente du fausset ; c'est celle qui ne peut entonner juste le ton qu'elle voudroit. M. Dodart en rapporte la cause à l'inégale constitution des deux levres de la glotte, soit en épaisseur, soit en grandeur, soit en tension. L'une fait, pour ainsi dire, la moitié d'un ton, l'autre la moitié d'un autre, & l'effet total n'est ni l'un, ni l'autre ; mais M. de Buffon ayant remarqué dans plusieurs personnes qui avoient l'oreille & la voix fausse, qu'elles entendoient mieux d'une oreille que d'une autre, l'analogie l'a conduit à faire quelques épreuves sur des personnes qui avoient la voix fausse, il a trouvé qu'elles avoient en effet une oreille meilleure que l'autre ; elles reçoivent donc à-la-fois par les deux oreilles deux sensations inégales, ce qui doit produire une discordance dans le résultat total de la sensation ; & c'est par cette raison qu'entendant toujours faux, elles chantent faux nécessairement, & sans pouvoir même s'en appercevoir. Ces personnes dont les oreilles sont inégales en sensibilité, se trompent souvent sur le côté d'où vient le son ; si leur bonne oreille est à droite, le son leur paroîtra venir plus souvent du côté droit que du gauche. Au reste, il ne s'agit ici que des personnes nées avec ce défaut ; ce n'est que dans ce cas que l'inégalité de sensibilité des deux oreilles, leur rend l'oreille & la voix fausses. Or ceux auxquels cette différence n'arrive que par accident, & qui viennent avec l'âge à avoir une des oreilles plus dure que l'autre, n'auront pas pour cela l'oreille & la voix fausses, parce qu'ils avoient auparavant les oreilles également sensibles, qu'ils ont commencé par entendre & chanter juste, & que si dans la suite leurs oreilles deviennent également sensibles, & produisent une sensation de faux, ils la rectifient sur le champ par l'habitude où ils ont toujours été d'entendre juste, & de juger en conséquence.

On demande enfin pourquoi des personnes qui ont le son de la voix agréable en parlant, l'ont désagréable en chantant, ou au contraire. Premierement le chant est un mouvement général de toute la région vocale, & la parole est le seul mouvement de la glotte ; or puisque ces deux mouvemens sont différens, l'agrément ou le. désagrément qui résulte de l'un par rapport à l'oreille, ne tire point à conséquence pour l'autre. Secondement, on peut conjecturer que le chant est une ondulation, un balancement, un tremblement continuel, non pas ce tremblement des cadences qui se fait quelquefois seulement dans l'étendue d'un ton, mais un tremblement qui paroît égal & uniforme, & ne change point le ton, du-moins sensiblement : semblable en quelque sorte au vol des oiseaux qui planent, dont les aîles ne laissent pas de faire incessamment des vibrations, mais si courtes & si promtes qu'elles sont imperceptibles. Le tremblement des cadences se fait par des changemens très-prestes & très-délicats de l'ouverture de la glotte ; mais le tremblement qui regne dans tout le chant, est celui du larynx même. Le larynx est le canal de la voix, mais un canal mobile, dont les balancemens contribuent à la voix de chant. Cela posé, on voit assez que si les tremblemens qui ne doivent pas être sensibles le sont ; ils choqueront l'oreille, tandis que dans la même personne la voix, qui n'est que le simple mouvement de la glotte, pourra faire un effet qui plaise.

Ce détail nous a conduit plus loin que nous ne croyons en le commençant, mais il amuse, & d'ailleurs le sujet sur lequel il roule est un des plus curieux de la Physiologie.

Nous avons suivi pour l'explication des phénomenes de la voix, le systême de MM. Dodart & Perrault, par préférence à tout autre, & nous pensons qu'il le mérite. Nous n'ignorons pas cependant que M. Ferrein est d'une opinion différente, comme on peut le voir par son mémoire sur cette matiere, inséré dans le recueil de l'académie des Sciences, année 1741. Selon lui, l'organe de la voix est un instrument à corde & à vent, & beaucoup plus à corde qu'à vent ; l'air qui vient des poumons, & qui passe par la glotte, n'y faisant proprement que l'office d'un archet sur les fibres tendineuses de ses levres, qu'il appelle cordes vocales ou rubans de la glotte : c'est, dit-il, la collision violente de cet air & des cordes vocales qui les oblige à frémir, & c'est par leurs vibrations plus ou moins promtes qu'ils les rendent différens, selon les loix ordinaires des instrumens à cordes.

VOIX des animaux, (Physiolog.) le son que rendent les animaux, insectes, oiseaux, quadrupedes, est bien différent de la voix de l'homme.

Il y a dans quelques insectes un son qu'on peut appeller voix, parce qu'il se fait par le moyen de ce qui leur tient lieu de poumons, comme dans les cigales & les grillons qui ont une espece de chant.

Il y a un autre son commun qu'on trouve dans les insectes aîlés, & qui n'est autre chose qu'un bourdonnement causé par le mouvement de leurs aîles, ce qui se démontre, parce que ce bruit cesse aussitôt que ces insectes cessent de voler.

Il y a un petit animal nommé grison qui forme un son, en frappant avec sa tête sur des corps minces & résonnans, tels que sont des feuilles seches & du papier, ce qu'il exécute par des coups fort fréquens & espacés assez également. Ces animaux sont ordinairement dans les fentes de vieilles murailles.

Le chant du cygne, dont la douceur est si vantée par les poëtes, n'est point produit par leur gosier, qui ne fait ordinairement qu'un cri très-rude & très-désagréable ; mais ce sont les aîles de cette espece d'oiseau, qui étant à demi levées & étendues lorsqu'il nage, sont frappées par le vent, qui produit sur ces aîles un son d'autant plus agréable, qu'il ne consiste pas en un seul ton, comme dans la plûpart des autres oiseaux, mais est composé de plusieurs tons qui forment une espece d'harmonie, suivant que par hazard, l'air frappant plusieurs plumes diversement disposées, fait des tons différens ; mais il résulte toujours que ce son n'est point une voix.

La voix prise dans sa propre signification est de trois especes ; savoir la voix simple qui n'est point articulée, celle qui ne l'est qu'imparfaitement, & celle qui l'est parfaitement qu'on appelle parole.

La voix simple est un son uniforme qui ne souffre aucune variation, telle qu'est celle des serpens, des crapauds, des lions, des tigres, des hiboux, des roitelets. En effet, la voix des serpens n'est qu'un sifflement qui sans avoir d'articulation, ni même de ton, est seulement ou plus fort, ou plus foible. Celle des crapauds est un son clair & doux qui a un ton qui ne change point. Les tigres, les lions, & la plûpart des bêtes féroces ont une voix rude & sourde tout ensemble, sans aucune variation. Le hibou, le roitelet, & beaucoup d'autres oiseaux ont une voix très-simple, qui n'a presque point d'autre variation que celle de ses entrecoupemens ; car quoique les oiseaux soient fort recommandés pour leur chant, on doit pourtant convenir qu'il n'est que foiblement articulé, excepté dans le perroquet, le sansonnet, la linote, le moineau, le geai, la pie, le corbeau, qui imitent la parole & le chant de l'homme.

Il faut même remarquer que dans toutes les infléxions du chant des oiseaux qui font une si grande diversité de sons, il ne se trouve point de ton ; ce n'est que la diversité de l'articulation qui rend ces infléxions différentes, par la différente promtitude de l'impulsion de l'air, par ses entrecoupemens, & par toutes les autres modifications, qui peuvent être diversifiées en des manieres infinies, sans changer de ton.

Les organes de la voix simple, sont les parties qui composent la glotte, les muscles du larynx & du poumon. Les membranes cartilagineuses de la glotte produisent le son de la voix, lorsqu'elles sont secouées par le passage soudain de l'air contenu dans le poumon. Les muscles du larynx servent à la modification de ce son, & aux entrecoupemens qui se rencontrent dans la voix simple. L'usage du poumon pour la voix est principalement remarquable dans les oiseaux, où il a une structure particuliere, qui est d'être composé de grandes vessies capables de contenir beaucoup d'air ; ce qui fait que les oiseaux ont la voix forte & de durée.

Dans les oyes & les canards, ce n'est point la glotte qui produit le son de leur voix, mais ce sont des membranes mises à un autre larynx qui est au bas de leur trachée-artere. L'effet de cette structure se fait aisément connoître, si après avoir coupé la tête à ces animaux & leur avoir ôté le larynx, on leur presse le ventre ; car alors on produit en eux la même voix que lorsqu'ils étoient vivans, & qu'ils avoient un larynx. Il y a encore un autre effet de cette structure qui est le nazard particulier au son de la voix de ces animaux, & que les anciens nommoient gingrisme : on imite ce gingrisme dans les cromornes des orgues par une structure pareille, en mettant pardessus les anches un tuyau de la longueur de l'âpre-artere au-delà des membranes qui tiennent lieu d'anche.

Les grues ont le tuyau de l'âpre-artere plus long que leur col, & en même tems redoublé comme celui d'une trompette.

La structure du larynx interne qui est particuliere aux oyes, aux canards, aux grues, &c. consiste en un os, & en deux membranes, qui sont dans l'endroit ou l'âpre-artere se divise en deux pour entrer dans le poumon. L'os est fait comme un hausse-col. La partie supérieure de leur larynx est bordée de trois os, dont il y en a deux longs & un peu courbés, & le troisieme qui est plat sort entre les deux qui forment la fente ou la glotte ; de maniere que le passage de la respiration est ouvert ou fermé, lorsque le larynx s'applatissant ou se relevant, fait entrer ou sortir ce troisieme os d'entre les deux autres, pour empêcher que la nourriture ne tombe dans l'âpre-artere & pour laisser passer l'air nécessaire à la respiration.

Quelques animaux terrestres ont la voix plus articulée que les autres, & la diversifient non-seulement par l'entrecoupement du son, mais encore par le changement de ton. Et cette articulation leur est naturelle ; ensorte qu'ils ne la changent & ne la perfectionnent jamais, comme certains oiseaux. Les chiens, & sur-tout les chats, ont naturellement une diversité de ports de voix & d'accens qui est admirable ; cependant leur voix n'est articulée que très-imparfaitement, si on la compare avec la parole.

C'est la parole qui est particuliere à l'homme. Elle consiste dans une variation d'accens presque infinie ; toutes leurs différences étant sensibles & remarquables, dépendent d'un grand nombre d'organes que la nature a fabriqués pour cet effet.

Cependant la parole dans l'homme dépend beaucoup moins des organes que de la prééminence de l'être qui les possede ; car il y a des animaux comme le singe qui ont tous les organes de même que l'homme pour la parole, & les oiseaux qui parlent n'ont rien approchant de cette structure. C'est une chose remarquable que la grande différence qu'on voit entre la langue du perroquet & celle de l'homme qui est assez semblable à celle d'un veau, tandis que celle du perroquet est ordinairement épaisse, ronde, dure, garnie au bout d'une petite corde, & de poil pardessus.

On fait parler des chats & des chiens, en donnant à leur gosier une certaine configuration dans le tems qu'ils crient. Cela ne doit pas paroître surprenant depuis qu'on est venu à bout de faire prononcer une sentence assez longue à une machine, dont les ressorts étoient certainement moins déliés que ceux des animaux. On doit être encore moins surpris de ce phénomene dans ce siecle, après qu'on a vû le flûteur de M. de Vaucanson.

Remarquons enfin, que dans chaque créature on trouve une disposition différente de la trachée-artere, proportionnée à la diversité de leur voix. Dans le hérisson qui a la voix très-petite, elle est presqu'entierement membraneuse : dans le pigeon, qui a la voix basse & douce, elle est en partie cartilagineuse, en partie membraneuse : dans la chouette dont la voix est haute & claire, elle est cartilagineuse : mais dans le geai, elle est composée d'os durs, au lieu de cartilages : il en est de même de la linote, & c'est à cause de cela que ces deux oiseaux ont la voix plus haute & plus forte, &c.

Les anneaux de la trachée-artere sont très-bien appropriés pour la modulation différente de la voix. Dans les chiens & les chats, qui comme les hommes, diversifient extrêmement leur ton, pour exprimer diverses passions, ils sont ouverts & fléxibles, de même que dans les hommes. Par-là, ils sont tous, ou la plûpart, en état de se dilater ou de se resserrer plus ou moins, selon qu'il est convenable à un ton plus ou moins élevé & aigu, &c. au lieu qu'en quelques autres animaux, comme dans le paon du Japon, qui n'a guere qu'un seul ton, ces anneaux sont entiers, &c. voyez de plus grands détails dans la cosmolog. sacr. de Grew. (D.J.)

VOIX des oiseaux, (Anatom. comparée) la voix, le cri des oiseaux approche beaucoup plus de la voix humaine que celle des quadrupedes, que nous examinerons séparément ; il y a même des oiseaux qui parviennent à imiter assez passablement notre parole & nos tons. Cependant leur voix differe beaucoup de celle de l'homme, & présente un grand nombre de singularités qui ne sont pas épuisées ; mais on en a découvert quelques-unes qu'il convient d'indiquer dans cet ouvrage.

Les oiseaux ont comme les hommes, une espece de glotte placée à l'extrêmité supérieure de la trachée-artere ; mais les levres de cette glotte, incapables de faire des vibrations assez promtes & assez multipliées, ne contribuent presque en rien à la formation des sons : le principal & le véritable organe qui les produit, est placé à l'autre extrêmité de la trachée-artere. Ce larynx, que nous nommerons interne d'après M. Perrault, est placé au bas de la trachée-artere, à l'endroit où elle commence à se séparer en deux, pour former ce qu'on appelle les bronches : du-moins M. Hérissant, de l'académie des Sciences de Paris, dit ne l'avoir encore vu manquer dans aucun des oiseaux qu'il a disséqués. Cet organe, au reste, n'est pas le seul qui soit employé à la formation de la voix des oiseaux ; il est ordinairement accompagné d'un nombre plus ou moins grand d'organes accessoires, qui sont probablement destinés à fortifier les sons du premier, & à les modifier.

L'organe principal de la voix varie dans les différens oiseaux ; dans quelques-uns, comme dans l'oie, il n'est composé que de quatre membranes disposées deux à deux, & qui font l'effet de deux anches de haut-bois, placées l'une à côté de l'autre aux deux embouchures osseuses & oblongues du larynx interne, qui donnent entrée aux deux premieres bronches ; mais, comme nous l'avons dit, ces anches membraneuses ne sont pas le seul organe de la voix des oiseaux ; M. Hérissant en a découvert d'autres, placés dans l'intérieur des principales bronches de ce poumon des oiseaux, que M. Perrault nomme poumon charnu.

On trouve dans ces canaux une grande quantité de petites membranes très-déliées en forme de croissant, placées toutes d'un même côté les unes audessus des autres, de maniere qu'elles occupent environ la moitié du canal, laissant l'autre libre à l'air, qui ne peut cependant y passer avec vîtesse, sans exciter dans ces membranes ainsi disposées des trémoussemens plus ou moins vifs, & par conséquent des sons.

Dans quelques oiseaux aquatiques du genre des canards, on découvre encore un organe différent, composé d'autres membranes posées en divers sens, dans certaines parties osseuses ou cartilagineuses. La figure de ces parties varie dans les différentes especes, & on les rencontre ou vers la partie moyenne de la trachée-artere, ou vers sa partie inférieure.

Mais il est un organe qui se trouve dans tous les oiseaux, & qui est si nécessaire à la formation de leur voix, que tous les autres deviennent inutiles lorsqu'on abolit ou qu'on suspend les fonctions de celui-ci. C'est une membrane plus ou moins solide, située presque transversalement entre les deux branches de l'os connu sous le nom d'os de la lunette ; cette membrane forme de ce côté-là une cavité assez grande, qui se rencontre dans tous les oiseaux à la partie supérieure & interne de la poitrine, & qui répond à la partie externe des anches membraneuses, dont nous venons de parler.

Lorsqu'un oiseau veut se faire entendre, il fait agir les muscles destinés à comprimer les sacs du ventre & de la poitrine, & force par cette action l'air qui y étoit contenu à enfiler la route des bronches du poumon charnu, où rencontrant d'abord les petites membranes à ressort dont nous avons parlé, il y excite certains mouvemens & certains sons destinés à fortifier ceux que doivent produire les anches membraneuses que le même air rencontre ensuite ; mais ces dernieres n'en rendroient aucun, si une partie de l'air contenu dans les poumons ne passoit par de petites ouvertures, dans la cavité située sous l'os de la lunette. Cet air aide apparemment les anches à entrer en jeu, soit en leur prêtant plus de ressort, soit en contrebalançant par intervalles l'effort de l'air qui passe par la trachée-artere. De quelque façon qu'il agisse, son action est si nécessaire, que si l'on perce dans un oiseau récemment tué la membrane qui forme cette cavité, & qu'ayant introduit un chalumeau par une ouverture faite entre deux côtes, dans quelqu'un des sacs de la poitrine, on souffle par ce chalumeau, on sera maître, avec un peu d'adresse & d'attention, de renouveller la voix de l'oiseau, pourvû qu'on tienne le doigt sur l'ouverture de la membrane ; mais sitôt qu'on l'ôtera, & qu'on laissera à l'air contenu dans la cavité la liberté de s'échapper, l'organe demeurera absolument muet, quelque chose qu'on puisse faire pour le remettre en jeu. Il n'est pas étonnant que l'organe des oiseaux, destiné à produire des sons assez communément variés, & presque toujours harmonieux, soit composé avec tant d'art & tant de soin. Hist. de l'acad. des Scienc. ann. 1753. (D.J.)

VOIX des quadrupedes, (Anatom. comparée) la différence qui se trouve entre la voix humaine & les cris des différens animaux, & sur-tout ceux de ces cris qui paroissent composés de plusieurs sons différens produits en même tems, auroit dû depuis longtems faire soupçonner que les organes qui étoient destinés à les produire, étoient aussi multipliés que ces sons. Cette réflexion si naturelle a échappé ; on regardoit les organes de la voix des animaux, & sur-tout de celle des quadrupedes, comme aussi simples & presque de la même nature que l'organe de la voix de l'homme.

Il s'en faut cependant beaucoup que dans plusieurs des quadrupedes, & plus encore dans les oiseaux, l'organe de la voix jouisse d'une aussi grande simplicité : la dissection anatomique y a découvert des parties tout à fait singulieres, & qui n'ont rien de commun avec l'organe de la voix humaine.

Les quadrupedes peuvent se diviser à cet égard en deux classes ; les uns ont l'organe de la voix assez simple, les autres l'ont fort composé.

Du nombre de ces derniers est le cheval. On sait que le hennissement de cet animal commence par des tons aigus, tremblottans & entrecoupés, & qu'il finit par des tons plus ou moins graves. Ces derniers sont produits par les levres de la glotte, que MM. Dodart & Ferrein nomment cordes dans l'homme ; mais les sons aigus sont dûs à un organe tout à fait différent, ils sont produits par une membrane à ressort, tendineuse, très-mince, très-fine & très-déliée. Sa figure est triangulaire, & elle est assujettie lâchement à l'extrêmité de chacune des levres de la glotte du côté du cartilage thyroïde ; & comme par sa position elle porte en partie à faux, elle peut facilement être mise en jeu par le mouvement de l'air qui sort rapidement de l'ouverture de la glotte.

On peut aisément voir tout le jeu de cette membrane, en comprimant avec la main un larynx frais de cheval, & en faisant souffler par la trachée fortement & par petites secousses. On verra alors la membrane faire ses vibrations très-promtes, & on entendra le son aigu du hennissement. Pour se convaincre que les levres de la glotte n'y contribuent en rien, on n'aura qu'à y faire transversalement une légere incision qui en abolisse la fonction, sans permettre à l'air un cours trop libre ; l'on verra pour lors que la membrane continuera son jeu, & que le son aigu ne cessera point, ce qui devroit nécessairement arriver s'il étoit produit par les levres de la glotte.

L'organe de la voix de l'âne offre encore des singularités plus remarquables : la plus grande partie de cette voix est tout à fait indépendante de la glotte ; elle est entierement produite par une partie qui paroît être charnue. Cette partie est assujettie lâchement, comme une peau de tambour non tendue, sur une cavité assez profonde qui se trouve dans le cartilage thyroïde. L'espece de peau qui bouche cette cavité est située dans une direction presque verticale, & l'enfoncement qui sert de caisse à ce tambour, communique à la trachée-artere par une petite ouverture située à l'extrêmité des levres de la glotte ; au - dessus de ces levres se trouvent deux grands sacs assez épais, placés à droite & à gauche ; & chacun d'eux a une ouverture ronde, taillée comme en bizeau, & tournée du côté de celle de la caisse du tambour.

Lorsque l'animal veut braire, il gorge ses poumons d'air par plusieurs grandes inspirations, pendant lesquelles l'air entrant rapidement par la glotte qui est alors retrécie, fait entendre une espece de sifflement ou de râle plus ou moins aigu. Alors le poumon se trouvant suffisamment rempli d'air, il le chasse par des expirations redoublées ; & cet air, en trop grande quantité pour sortir aisément par l'ouverture de la glotte, enfile en grande partie, l'ouverture qui communique dans la cavité du tambour, & mettant en jeu sa membrane, & les sacs dont nous avons parlé, produit le son éclatant que rend ordinairement cet animal.

Tout ce que nous venons de dire se prouve aisément, si tenant un larynx d'âne tout frais, on le comprime vers ses parties latérales, & qu'on pousse l'air avec force par un chalumeau placé un peu audessous de l'ouverture qui communique dans le tambour, on verra alors distinctement le jeu du tambour & des sacs. Pour se convaincre que les cordes de la glotte n'y jouent pas un grand rôle, il ne faudra que les couper, & répéter l'expérience en comprimant seulement le larynx avec la main ; on verra que quoique l'incision faite aux levres de la glotte les ait rendues incapables d'action, le même son se fera entendre sans aucune différence.

Le mulet engendré, comme on sait, d'un âne & d'une jument, a une voix presque semblable à celle de l'âne ; aussi lui trouve-t-on presque le même organe, & rien qui ressemble à celui du cheval : réflexion importante, & qui semble justifier que l'examen des animaux nés du mêlange de différentes especes, est peut-être le moyen le plus sûr pour faire connoître la part que chaque sexe peut avoir à la génération.

La voix du cochon ne dépend pas beaucoup plus que celle de l'âne, de l'action des levres de la glotte ; elle est dûe presqu'entierement à deux grands sacs membraneux, décrits par Casserius ; mais ce que le larynx de cet animal offre de plus singulier, c'est qu'à proprement parler, sa glotte est triple : outre la fente qui se trouve entre les bords de la veritable glotte, il y en a encore une autre de chaque côté, & ce sont ces deux ouvertures latérales qui donnent entrée dans les deux sacs membraneux, dont nous venons de parler.

Lorsque l'animal pousse l'air avec violence en rétrécissant la glotte, une grande partie de cet air est portée dans les sacs, où il trouve moins de résistance ; il les gonfle, & y excite des mouvemens & des tremblemens d'autant plus forts, qu'il y est lancé avec plus de violence, d'où résultent nécessairement des cris plus ou moins aigus.

On peut aisément voir le jeu de tous ces organes, en comprimant avec la main un larynx frais de cochon ; & soufflant avec force par la trachée-artere, on y verra les sacs s'enfler, & former des vibrations d'autant plus marquées, que l'action de l'air qui entre dans les sacs, se trouve contrebalancée jusqu'à un certain point par le courant de celui qui s'échappe en partie par la glotte, & force par ce moyen les sacs à battre l'un contre l'autre, & à produire un son.

Si on entame les levres de la glotte par une incision faite près du cartilage aryténoïde, sans endommager les sacs, en soufflant par la trachée-artere, on entendra presque le même son qu'auparavant. Nous disons presque le même, car on ne peut nier qu'il n'y ait quelque différence, & que la glotte n'entre pour quelque chose dans la production de la voix de cet animal ; mais si on enleve les sacs, en prenant bien garde de détruire la glotte, les mêmes sons ne se feront plus entendre, preuve évidente de la part qu'ils ont à cette formation. Hist. de l'acad. des Scienc. ann. 1753. (D.J.)

VOIX, (Médecin. semeiotiq.) les signes qu'on peut tirer de la voix pour la connoissance & le prognostic des maladies sont assez multipliés ; nous les devons tous à Hippocrate ; cet illustre & infatigable observateur que nous avons eu si souvent occasion de célébrer, & qui ne sauroit l'être assez, est le premier & le seul qui les ait recueillis avec exactitude ; Galien n'a fait que le commenter sans l'étendre, & Prosper Alpin s'est contenté d'en donner un extrait qui est très-incomplet. Nous nous bornerons dans cet article à ramasser dans ses différens ouvrages les axiomes qui concernent le sujet que nous traitons, ne présentant, à son exemple, que les vérités toutes nues, sans les envelopper du frivole clinquant de quelque théorie hazardée.

La voix ne peut être le signe de quelque accident présent ou futur, qu'autant qu'elle s'éloigne de l'état naturel, qui peut arriver de trois façons principales : 1°. lorsque cette fonction s'exécute autrement qu'elle ne devroit, comme dans la voix rauque, grêle, entrecoupée, plaintive, tremblante, &c. 2°. lorsqu'elle n'a pas l'étendue, la force & la rapidité qui lui conviennent, telles sont les voix obscures, foibles, bégayantes, tardives, &c. 3°. lorsqu'elle est tout-à-fait interceptée : ce vice est connu sous les noms synonymes d'aphonie, perte, extinction, interruption de voix, mutité, qu'il ne faut pas confondre avec le silence qui suppose la liberté des organes & le défaut de volonté, au lieu que l'aphonie est toujours l'effet d'un dérangement organique, & par conséquent n'est jamais volontaire.

1°. La voix rauque qui se rencontre avec la toux & le dévoiement, n'est pas long-tems sans être suivie d'expectoration purulente ; elle est toujours un mauvais signe, lorsqu'en même tems les crachats sont visqueux & salés. Hippoc. coac. praenot. cap. xvj. n °. 30 & 38. Parmi les signes d'une phthisie tuberculeuse commençante, il n'y en a point d'aussi certain, suivant l'observation de Morton, excellent phthisiologiste, conforme à celle d'Hippocrate, que la raucité de la voix jointe à la toux ; l'expérience journaliere confirme cette assertion. La voix aiguë accompagne ordinairement la rétraction des hypocondres en-dedans. Prorrhet. lib. I. sect. II. n °. 9. Il y a plusieurs degrés ou différences de voix aiguë ; quand ce vice augmente, la voix prend le nom de clangor ; le son qu'elle rend, ressemble au cri des grues. Ce même vice étant porté à un degré plus haut, la voix devient lugubris, flebilis, , semblable à celle d'un enfant qui pleure, ensuite prolabunda, querula, stridula. Il n'y a point de mots françois qui rendent bien la signification de ces termes latins ; c'est pourquoi nous ne balançons point à les conserver ; en général toutes ces dépravations de voix sont très-mauvaises, sur-tout dans les phrénésies & les fievres ardentes. La voix aiguë, clangosa, fournit un présage sinistre. Prorrhet. lib. I. sect. II. n °. 11. La voix clangosa ou tremblante, & la langue en convulsion sont des signes de délire prochain (coac. praenot. cap. ij. n °. 24.) ; de même, lorsqu'à la suite d'un vomissement nauséeux la voix ressemble à celle des grues, & que les yeux sont chargés de poussiere, il faut s'attendre à l'aliénation d'esprit. Tel fut le sort de la femme d'Hermogyge, qui eut cette dépravation de voix, délira ensuite, & mourut enfin muette. Prorrhet. lib. I. sect. I. n °. 17. Du délire les malades passent souvent à la raucité accompagnée de toux. Coac. praenot. cap. xxij. n °. 9. La voix aiguë semblable à celle de ceux qui pleurent, jointe à l'obscurcissement des yeux, annonce les convulsions. Ibid. cap. ix. n °. 13. La voix tremblante avec un cours de ventre survenu sans raison apparente, est un symptome pernicieux dans les maladies chroniques. Ibid. n °. 14.

2°. La foiblesse de la voix est toujours un mauvais signe ; elle dénote pour l'ordinaire un affaissement général. Sa lenteur doit faire craindre quelque maladie soporeuse, l'apoplexie, l'épilepsie, ou la léthargie, sur-tout si elle est accompagnée de vertige, de douleur de tête, de tintement d'oreille & d'engourdissement des mains. Coac. praenot. cap. iv. n °. 2.

3°. L'extinction de voix ou l'aphonie est une des suites fréquentes des commotions du cerveau. Aphor. 58, lib. VII. Elle est presque toujours un signe funeste, & même mortel dans les maladies aiguës, surtout quand elle est jointe à une extrême foiblesse, ou qu'elle est accompagnée de hoquet. Prorrhet. lib. I. sect. I. n °. 23. Ceux qui perdent la voix dans un redoublement après la crise, meurent dans peu attaqués de tremblement ou ensévelis dans un sommeil apoplectique. Ibid. sect. II. n °. 58. Les interceptions de voix sans crise annoncent aussi les mêmes accidens & la même terminaison. Coac. praen. cap. ix. n °. 3. L'aphonie est mortelle, lorsqu'elle est suivie de frisson ; ces malades ont une légere douleur de tête. Ibid. n °. 11. Les délires avec perte de voix sont d'un très-mauvais caractere. Ibid. n °. 10. Dans les épidémies, Hippocrate rapporte l'histoire de deux phrénétiques qui moururent avec ce symptome ; l'extinction de voix dans la fievre en forme de convulsion ; est mortelle, sur-tout si elle est suivie de délire silencieux. Ibid. n °. 4. La malade dont il est fait mention dans le cinquieme livre des épidémies, attaquée d'angine, tomba dès le quatrieme jour dans les convulsions, perdit la voix ; il y eut en même tems grincemens des dents & rougeur aux mâchoires ; elle mourut le cinquieme jour. La mutité qui se rencontre dans une affection soporeuse, dans la catalepsie, est d'un très-mauvais augure. Ibid. n °. 6. Ceux que la douleur prive de la voix, meurent avec beaucoup d'inquiétudes & de difficulté. Prorrhet. lib. I. sect. II. n °. 19. La perte de voix dans une fievre aiguë avec défaillance, est mortelle, si elle n'est point accompagnée de sueur ; elle est moins dangereuse si le malade sue ; mais elle annonce que la maladie sera longue. N'arrive-t-il pas que ceux qui éprouvent cet accident dans le cours d'une rechûte, sont beaucoup plus en sûreté ? mais le danger est pressant & certain, si l'hémorrhagie du nez ou le dévoiement surviennent. Coac. praenot. cap. ix. n °. 12. Lorsque les pertes de voix sont l'effet & la suite d'une douleur de tête, & que la fievre avec sueur est suivie de dévoiement, les malades lâchent sous eux sans s'en appercevoir, ; ils risquent de retomber & d'être longtems malades ; le frisson survenant là dessus n'est point fâcheux. Ibid. n °. 9. Si le frisson a produit l'aphonie, le tremblement la fait cesser ; & le tremblement joint ensuite au frisson est critique & salutaire. Ibid. cap. j. n °. 27. Les douleurs aux hypocondres dans le courant des fievres accompagnées d'interception de voix, sont d'un très-mauvais caractere, si la sueur ne les dissipe pas ; les douleurs aux cuisses survenues à ces malades avec une fievre ardente sont pernicieuses, surtout si le ventre coule alors abondamment. Prorrhet. lib. I. sect. II. n °. 57. La mutité qui vient tout-à-coup dans une personne saine, avec douleur de tête & râlement, ne cesse que par la fievre ou par la mort du malade, qui arrive dans l'espace de sept jours. Aphor. 51. lib. VI. De même l'yvrogne qui perd subitement la voix, meurt dans les convulsions, si la fievre ne survient, ou si à l'heure que l'ivresse a coutume de se dissiper, il ne récouvre la parole. Aphor. 5. lib. V. L'extinction de voix qui est l'effet ordinaire des douleurs de tête, du fondement & des parties génitales extérieures, n'est pas bien à craindre : ces malades tombent au neuvieme mois dans l'assoupissement, & ont le hoquet, & bientôt après la voix revient, & ils rentrent dans leur état naturel. Coac. praenot. cap. iv. n °. 5. Il n'en est pas de même de celle qui vient à un phthisique confirmé, elle est un signe certain d'une mort prochaine.

Nous pouvons conclure de ces différentes observations que la perte de voix, toujours par elle-même de mauvais augure, est un signe sûrement mortel, quand elle se rencontre avec d'autres signes pernicieux ; & en considérant les cas où elle n'est pas aussi dangereuse, nous voyons que c'est sur-tout quand les sueurs ou la fievre surviennent ; d'où nous pouvons tirer quelques canons pratiques pour le traitement des maladies où ce symptome se rencontre. Il faut bien se garder de s'opposer aux efforts de la fievre, de la diminuer, de l'affoiblir, moins encore de tâcher à la faire cesser tout-à-fait, suivant la pratique routiniere & très-nuisible de la plûpart des médecins, qui ne sauroient s'accoutumer à regarder la fievre comme un remede assuré, & qui la redoutent toujours comme un ennemi dangereux. En second lieu, il faut tâcher de pousser les humeurs vers la peau, de favoriser & déterminer la sueur, ou au-moins il faut prendre garde de ne pas empêcher cette excrétion par des purgatifs qu'un autre abus de cette aveugle routine malheureusement encore trop suivie fait si souvent réitérer, au point que dans la plûpart des fievres aiguës on purge tous les deux jours. Le dévoiement est, comme on a pu le remarquer, une excrétion très-désavantageuse dans les extinctions de voix.

Aux trois dérangemens de voix que nous avons parcourus, il me semble qu'on en pourroit ajouter un quatrieme, savoir l'augmentation de la voix. J'ai souvent observé que les malades qui étoient sur le point de délirer, ou qui étoient même déja dans un délire obscur, avoient la voix grosse, brusque, plus ferme & plus nette, &, si je puis ainsi parler, plus arrondie. (m)

VOIX maladies de la, (Médec.) l'air reçu dans les poumons, & qui en est chassé par la compression de la poitrine, venant à passer par la fente du larynx légérement rétrécie, rend un son, qui ensuite par la modulation de la langue & des autres parties de la bouche, forme la voix ; mais comme plusieurs choses concourent à cette formation, savoir la poitrine, le diaphragme, le poumon, le larynx, le gosier, la luette, le palais, la langue & la mucosité qui enduit ces parties ; comme toutes sont sujettes à grand nombre de maladies aiguës & chroniques, il ne s'agit pas ici de les rapporter, mais seulement de parcourir les principaux accidens de la voix en général ; ceux qui viennent de naissance, sont incurables.

Dans les maladies inflammatoires, lorsque la voix vient à manquer, qu'elle est foible, aiguë (ce qui désigne ou la débilité des forces, ou bien une métastase sur les organes de la voix, & quelquefois une constriction spasmodique), c'est toujours un mauvais présage.

Quand ces accidens arrivent dans les maladies chroniques, la convulsion, la passion hystérique, la mobilité des esprits, c'est une marque d'un resserrement spasmodique, qu'il faut traiter par les remedes opposés aux causes.

Dans les pituiteux, les hydropiques, les maladies soporeuses, les apoplectiques, dans l'engourdissement & la catalepsie, le défaut de voix tire son origine de la surabondance ou vices de la pituite, ou de la compression du cerveau ; cet accident présage tantôt la longueur, tantôt le danger de la maladie ; il faut employer dans le traitement, les résolutifs externes & les dérivatifs.

Si la voix se supprime dans la céphalalgie, le délire, la phrénésie, comme cette suppression marque l'affaissement du cerveau, le péril est encore plus grand ; cependant on ne doit pas recourir à un traitement palliatif, c'est le mal même qu'il faut guérir.

Lorsque la voix est supprimée dans la péripneumonie, la pleurésie, l'empyème, l'hydropisie de poitrine, l'asthme humoral, c'est un symptome dangereux, parce qu'il doit sa naissance à la réplétion ou à l'oppression du poumon. Il faut en chercher le remede dans l'évacuation ou la dérivation de cette matiere dont le poumon est abreuvé.

L'enflure inflammatoire, érésipélateuse, oedémateuse, catharreuse du palais, de la luette, de la langue, du larynx, suivie de la suppression de la voix, comme les aphthes & les croûtes varioliques, n'exige pas seulement les remedes généraux propres à ces maladies, mais en outre l'application des topiques internes au gosier & externes sur le col, de même que dans les angines. (D.J.)

VOIX, s. f. en Musique. La voix d'un homme est la collection de tous les sons qu'il peut tirer, en chantant, de son organe ; ainsi on doit appliquer à la voix tout ce que nous avons dit du son en général. Voyez SON.

On peut considérer la voix selon différentes qualités. Voix forte, est celle dont les sons sont forts & bruyans : grande voix, est celle qui a beaucoup d'étendue : une belle voix, est celle dont les sons sont nets, justes & harmonieux. Il y a dans tout cela des mesures communes dont les voix ordinaires ne s'écartent pas beaucoup. Par exemple, j'ai trouvé que généralement l'étendue d'une voix médiocre qui chante sans s'efforcer, est d'une tierce par-dessus l'octave, c'est-à-dire, d'une dixieme.

Des voix de même étendue n'auront pas pour cela le même diapason, mais l'une sera plus haute, l'autre plus basse, selon le caractere particulier de chaque voix.

A cet égard, on distingue génériquement les voix en deux classes, sçavoir ; voix aiguës ou féminines, & voix graves ou masculines, & l'on a trouvé que la différence générale des unes & des autres, étoit à-peu-près d'une octave, ce qui fait que les voix aiguës chantent réellement à l'octave des voix graves, quand elles paroissent chanter à leur unisson.

Les voix graves sont celles qui sont ordinaires aux hommes faits ; les voix aiguës sont celles des femmes ; les eunuques & les enfans ont aussi à-peu-près le diapason des voix féminines. Les hommes même en peuvent approcher en chantant le fausset ; mais de toutes ces voix aiguës, je ne crains point de dire, malgré la prévention des Italiens, qu'il n'y en a nulle d'espece comparable à celle des femmes, ni pour l'étendue, ni pour la beauté du timbre ; la voix des enfans a peu de consistance, & n'a point de bas ; celle des eunuques n'est supportable non plus que dans le haut ; & pour le fausset, c'est le plus désagréable de tous les timbres de la voix humaine. Pour bien juger de cela, il suffit d'écouter les choeurs du concert spirituel de Paris, & d'en comparer les dessus avec ceux de l'opéra.

Tous ces diapasons différens réunis forment une étendue générale d'à-peu-près trois octaves qu'on a divisées en quatre parties, dont trois appellées haute-contre, taille & basse appartiennent aux voix masculines, & la quatrieme seulement qu'on appelle dessus est assignée aux voix aiguës, sur quoi se trouvent plusieurs remarques à faire.

1°. Selon la portée des voix ordinaires qu'on peut fixer à-peu-près à une dixieme majeure, en mettant deux tons d'intervalles entre chaque espece de voix, & celle qui la suit, ce qui est toute la différence réelle qui s'y trouve ; le systême général des voix qu'on fait passer trois octaves ne devroit renfermer que deux octaves & deux tons ; c'étoit en effet à cette étendue générale que se bornerent les quatre parties de la musique, long-tems après l'invention du contre-point, comme on le voit dans les compositions du quatorzieme siecle, où la même clé sur quatre positions successives de ligne en ligne sert pour la basse qu'ils appelloient tenor, pour la taille qu'ils appelloient contra-tenor, pour la haute-contre qu'ils appelloient motetus, & pour le dessus qu'ils appelloient triplum, comme je l'ai découvert dans l'examen des manuscrits de ce tems-là. Cette distribution devoit rendre à la vérité la composition plus difficile, mais en même tems l'harmonie plus serrée & plus agréable.

2°. Pour pousser le systême vocal à l'étendue de trois octaves avec la gradation dont je viens de parler, il faudroit six parties au-lieu de quatre, & rien ne seroit si naturel que cette division, non par rapport à l'harmonie qui ne comporte pas tant de sons différens, mais par rapport à la nature des voix qui sont actuellement assez mal distribuées. En effet, pourquoi trois parties dans les voix d'hommes, & une seule dans les voix de femmes ; si l'universalité de celles - ci renferme une aussi grande étendue que l'universalité des autres ? Qu'on mesure l'intervalle des sons les plus aigus des plus aiguës voix de femmes aux sons les plus graves des voix de femmes les plus graves ; qu'on fasse la même chose pour les voix d'hommes ; je m'assure que non-seulement on n'y trouvera pas une différence suffisante pour établir trois parties d'un côté, & une seule de l'autre, mais même que cette différence, si elle existe, se réduira à très-peu de chose. Pour juger sainement de cela, il ne faut pas se borner à l'examen des choses qui sont sous nos yeux ; mais il faut considérer que l'usage contribue beaucoup à former les voix sur le caractere qu'on veut leur donner : en France où l'on veut des basses & des hautes-contres, & où l'on ne fait aucun cas des bas-dessus, les voix d'hommes s'appliquent à différens caracteres, & les voix de femmes à un seul ; mais en Italie où l'on fait autant de cas d'un beau bas-dessus que de la voix la plus aiguë, il se trouve parmi les femmes de très-belles voix graves qu'ils appellent contr'alti, & de très-belles voix aiguës qu'ils appellent soprani ; mais en voix d'hommes récitantes ils n'ont que des tenori ; de sorte que s'il n'y a qu'un caractere de voix de femmes dans nos opéra, il n'y a dans les leurs qu'un caractere de voix d'hommes. A l'égard des choeurs, si généralement les parties en sont distribuées en Italie comme en France, c'est un usage universel mais arbitraire qui n'a point de fondement naturel. D'ailleurs n'admire-t-on pas en plusieurs lieux, & singulierement à Venise, des musiques à grand choeur exécutées uniquement par des jeunes filles ?

3°. Le trop grand éloignement des parties entre elles qui leur fait à toutes excéder leur portée, oblige souvent d'en diviser plusieurs en deux ; c'est ainsi qu'on divise les basses en basses-contres, basse-tailles, les tailles en hautes tailles & concordans, les dessus en premiers & seconds ; mais dans tout cela on n'apperçoit rien de fixe, rien de déterminé par les regles. L'esprit général des compositeurs est toujours de faire crier toutes les voix, au-lieu de les faire chanter. C'est pour cela qu'on paroît se borner aujourd'hui aux basses & hautes-contre. A l'égard de la taille, partie si naturelle à l'homme qu'on l'a appellée voix humaine par excellence, elle est déja bannie de nos opéra où l'on ne veut rien de naturel, & l'on peut juger que par la même raison elle ne tardera pas à l'être de toute la musique françoise.

On appelle plus particulierement voix, les parties vocales & récitantes pour lesquelles une piece de musique est composée ; ainsi on dit une cantate à voix seule, au-lieu de dire une cantate en récit, un motet à deux voix, au-lieu de dire un motet en duo. Voyez DUO, TRIO, QUATUOR, &c. (S)

VOIX, s. f. (Gram.) c'est un terme propre au langage de quelques grammaires particulieres, par exemple, de la grammaire grecque & de la grammaire latine. On y distingue la voix active & la voix passive.

La voix active est la suite des inflexions & terminaisons entées sur une certaine racine, pour en former un verbe qui a la signification active.

La voix passive est une autre suite d'inflexions & de terminaisons entées sur la même racine, pour en former un autre verbe qui a la signification passive.

Par exemple, en latin, amo, amas, amat, &c. sont de la voix active ; amor, amaris, amatur, &c. sont de la voix passive : les unes & les autres de ces inflexions sont entées sur le même radical am, qui est le signe de ce sentiment de l'ame qui lie les hommes par la bienveillance : mais à la voix active, il est présenté comme un sentiment dont le sujet est le principe ; & à la voix passive, il est simplement montré comme un sentiment dont le sujet en est l'objet plutôt que le principe.

La génération de la voix active & de la voix passive en général, si on la rapporte au radical commun, appartient donc à la dérivation philosophique ; mais quand on tient une fois le premier radical actif ou passif, la génération des autres formes de la même voix est du ressort de la dérivation grammaticale. Voyez FORMATION.

J'ai déja remarqué ailleurs que ce qu'on a coutume de regarder en hébreu comme différentes conjugaisons d'un même verbe, est plutôt une suite de différentes voix. La raison en est que ce sont autant de suites différentes des inflexions & terminaisons verbales entées sur un même radical, & différenciées entre elles par la diversité des sens accessoires ajoutées à celui de l'idée radicale commune.

Par exemple, (mésar, en lisant selon Masclef,) tradidit ; (noumesar) traditus est ; (hémésir) tradere fecit ; (hémesar) tradere factus est, selon l'interprétation de Masclef, laquelle veut dire effectum est ut traderetur ; (héthamésar, ou hethmésar) se ipsum tradidit.

" On voit, dit M. l'Abbé Ladvocat (Gramm. hebr. pag. 74.) que les conjugaisons en hébreu ne sont pas différentes, selon les différens verbes, comme en grec, en latin ou en françois ; mais qu'elles ne sont que le même verbe conjugué différemment, pour exprimer ses différentes significations, & qu'il n'y a en hébreu, à proprement parler, qu'une seule conjugaison sous sept formes ou manieres différentes d'exprimer la signification d'un même verbe ".

Il est donc évident que ces différentes formes différent entre elles, comme la forme active & la forme passive dans les verbes grecs ou latins ; & qu'on auroit pû, peut-être même qu'on auroit dû, donner également aux unes & aux autres le nom de voix. Si l'on avoit en outre caractérisé les voix hébraïques par des épithetes propres à désigner les idées accessoires qui les différencient ; on auroit eu une nomenclature plus utile & plus lumineuse que celle qui est usitée. (B. E. R. M.)

VOIX, (Critique sacrée) ce mot marque non-seulement la voix de l'homme, des animaux, mais aussi toutes sortes de sons, & le bruit même que font les choses inanimées. Ainsi l'abyme a fait éclater sa voix, Habacuc, iij. 10. le prophete veut dire, le son a retenti jusqu'au fond de l'abyme. De même dans l'Apoc. x. 41. les tonnerres proférerent leur voix, pour dire qu'on entendit le bruit du tonnerre. Rien n'est plus commun dans l'Ecriture que ces expressions, la voix des eaux, la voix de la nue, la voix de la trompette. Ecouter la voix de quelqu'un, est un terme métaphorique, qui signifie lui obéir. Ecouter la voix de Dieu, c'est suivre ses commandemens. (D.J.)

VOIX, (Jurisp.) signifie avis, suffrage. Dans toutes les compagnies les voix ou opinions ne se pesent point, mais se comptent à la pluralité.

En matiere civile, quand il y a égalité de voix, l'affaire est partagée ; une voix de plus d'un côté ou d'autre suffit pour empêcher le partage ou pour le départage.

En matiere criminelle, quand il y a égalité de voix, l'avis le plus doux prévaut ; une voix ne suffit pas en cette matiere, pour que l'avis le plus sévere prévale sur le plus doux ; il en faut au-moins deux de plus.

Celui qui préside la compagnie, recueille les voix, & donne la sienne le dernier ; il lui est libre ordinairement de se ranger à tel avis que bon lui semble. Néanmoins, selon la discipline de quelques compagnies, lorsqu'il y a une voix de plus d'un côté que de l'autre, il doit se joindre à la pluralité, afin que son avis n'occasionne point de partage. Voyez AVIS, JUGES, OPINION, SUFFRAGE.

VOIX ACTIVE en matiere d'élection, est la faculté que quelqu'un a d'élire. Voyez VOIX PASSIVE.

VOIX ACTIVE & PASSIVE, est la faculté que quelqu'un a d'élire & d'être élu soi-même.

VOIX CONCLUSIVE, est celle qui a l'effet de départager les opinions.

VOIX CONSULTATIVE, est l'avis que quelqu'un donne sans être juge, comme font les experts, les interpretes, & autres personnes qui font quelque rapport.

VOIX DELIBERATIVE, est l'avis que quelqu'un donne dans une assemblée, & qui est compté pour l'élection, jugement ou autre affaire dont il s'agit. Dans les tribunaux, les jeunes officiers qui sont reçus par dispense d'âge avant d'avoir atteint leur majorité, n'ont point voix délibérative, si ce n'est dans les affaires qu'ils rapportent, suivant la déclaration du 20 May 1713.

VOIX EXCITATIVE & HONORAIRE, est celle que les magistrats ont à certaines assemblées, comme aux élections des docteurs-régens & aggrégés de droit, le droit d'élire appartenant aux seuls docteurs-régens, suivant un arrêt du parlement de Paris du 25 Juin 1626. Filleau.

VOIX MI-PARTIES, c'est lorsque les voix sont partagées. Voyez PARTAGE.

VOIX PASSIVE, est la faculté que quelqu'un a d'être élu pour remplir quelque dignité ou fonction. Voyez VOIX ACTIVE.

VOIX DU PEUPLE, on entend par-là non pas l'opinion du vulgaire, mais l'opinion commune & la plus générale.

VOIX PUBLIQUE, c'est le bruit public, la commune renommée.

VOIX PAR SOUCHES, sont celles d'une branche d'héritiers qui tous ensemble n'ont qu'une voix, comme quand ils nomment avec d'autres à quelque office ou bénéfice.

VOIX UNIFORMES, sont celles qui tendent au même but. Dans les tribunaux les suffrages uniformes entre proches parens, comme le pere & le fils ou le gendre, les deux freres ou beaux-freres, ne sont comptés que pour un. Voyez les déclarations du 25 Août 1708, & 30 Septembre 1738. (A)

VOIX, (Marine) on sous-entend à la. Commandement aux gens de l'équipage de travailler à la fois lorsqu'on donne la voix.

On appelle donner la voix, lorsque par un cri, comme oh hisse, &c. on avertit les gens de l'équipage de faire tous leurs efforts tous à la fois.

VOIX ANGELIQUE, jeu d'orgue, qui est d'étain ; il ne differe de la voix humaine, qu'en ce qu'il est plus petit, & qu'il sonne l'octave au-dessus, & l'unisson du prestant.

VOIX HUMAINE, jeu d'orgue, ainsi nommé, parce qu'il imite assez bien, quand le jeu est bien fait, la voix de l'homme, est un jeu de la classe des jeux d'anches : il est d'étain, & sonne l'unisson de la trompette, aux anches de laquelle les anches sont égales ; mais son corps qui est de plus grosse taille, & n'a que le quart de longueur, (Voy. la fig. 40. Pl. d'orgue a b,) est le corps du tuyau qui est à moitié fermé par le haut avec une plaque d'étain a, dont la forme est un demi-cercle. c la noix soudée à l'extrêmité inférieure du tuyau, laquelle porte l'anche & la languette 3, qui est reglée par la rosette 2 1, qui, après avoir passé dans la noix c, passe par un trou fait au tuyau, pour sortir par l'ouverture supérieure. Le tout est placé dans une boîte d'étoffe d e qui porte le vent du sommier à l'anche. Voyez TROMPETTE, & la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue.

VOIX DU CERF, (Venerie) on connoît les vieux cerfs à la voix, plus ils l'ont grosse & tremblante, plus ils sont vieux ; on connoît aussi à la voix s'ils ont été chassés, car alors ils mettent la gueule contre terre, & ruent bas & gros, ce que les cerfs de repos ne font pas, ayant presque toujours la tête haute.


VOLS. m. (Droit naturel) action de prendre le bien d'autrui malgré le propriétaire à qui seul les loix donnent le droit d'en disposer.

Comme cette action est contraire au bien public, soit dans l'état de nature, soit dans l'état civil, tout voleur mérite d'être puni ; mais cette punition doit être réglée suivant la nature du vol, les circonstances & la qualité du voleur ; c'est pour cela qu'on punit plus sévérement le vol domestique, le vol à main armée, le vol de nuit que le vol de jour.

Il paroît que le simple vol ne doit pas mériter la peine de mort ; mais s'il est permis pour défendre son bien & sa vie de tuer un voleur de nuit, parce que dans un pareil cas, l'on rentre en quelque maniere dans l'état de nature, où les petits crimes peuvent être punis de mort ; ici, il n'y a point d'injustice dans une défense poussée si loin pour conserver uniquement son bien ; car comme ces sortes d'attentats ne parviennent guere à la connoissance du magistrat, le tems ne permettant pas d'implorer leur protection, ils demeurent aussi très-souvent impunis. Lors donc qu'on trouve moyen de les punir, on le fait à toute rigueur, afin que si d'un côté l'espérance de l'impunité rend les scélérats plus entreprenans, de l'autre la crainte d'un châtiment si sévere soit capable de rendre la malice plus timide.

Mais dans l'ancienne Lacédémone, ce que l'on souhaitoit principalement, comme naturellement bon à l'état, c'étoit d'avoir une jeunesse hardie & rusée ; ainsi le vol étoit permis à Sparte, l'on n'y punissoit que la mal-adresse du voleur surpris. Le vol nuisible à tout peuple riche, étoit utile à Lacédémone, & les loix de Lycurgue en autorisoient l'impunité ; ces loix étoient convenables à l'état pour entretenir les Lacédémoniens dans l'habitude de la vigilance. D'ailleurs, si l'on considere l'inutilité de l'or & de l'argent dans une république où les loix ne donnoient cours qu'à une monnoie de fer cassant, on sentira que les vols de poules & légumes étoient les seuls qu'on pouvoit commettre ; toujours faits avec adresse, & souvent niés avec la plus grande fermeté.

Chez les Scythes, au contraire, nul crime plus grand que le vol, & leur maniere de vivre exigeoit qu'on le punît séverement. Leurs troupeaux erroient çà & là dans les plaines ; quelle facilité à dérober ! & quel désordre, si l'on eût autorisé de pareils vols ! Aussi, dit Aristote, a-t-on chez eux établi la loi gardienne des troupeaux. (D.J.)

VOL, (Critiq. sacrée) Le vol simple chez les Hébreux se punissoit par la restitution plus ou moins grande que le voleur étoit obligé de faire. Le vol d'un boeuf étoit réparé par la restitution de cinq ; celui d'une brebis ou d'une chevre, par la restitution de quatre de ces animaux. Si le vol se trouvoit encore chez le voleur, la loi restraignoit la restitution au double ; mais si le voleur n'avoit pas de quoi restituer, on pouvoit le vendre ou le réduire en esclavage, Exod. xxij. 3.

Celui qui enlevoit un homme libre pour le mettre en servitude, étoit puni de mort, Exod. xxj. 16. La loi permettoit de tuer le voleur nocturne, parce qu'il est présumé qu'il en veut à la vie de la personne qu'il veut voler ; mais la loi ne permettoit pas de tuer celui qui voloit pendant le jour, parce qu'il étoit possible de se défendre contre lui, & de poursuivre devant les juges la restitution de ce qu'il avoit pris, Exod. xxij. 2. (D.J.)

Il ne paroît pas en général que chez les Hébreux, le vol emportât avec soi une infamie particuliere. L'écriture même nous donne dans Jephté l'exemple d'un chef de voleurs, qui après avoir changé de conduite, fut nommé pour gouverner les Israélites. (D.J.)

VOL, (Jurisprud.) Les anciens n'avoient pas des idées aussi pures que nous par rapport au vol, puisqu'ils pensoient que certaines divinités présidoient aux vols, telles que la déesse Laverna & Mercure.

Il y avoit chez les Egyptiens une loi qui régloit le métier de ceux qui vouloient être voleurs ; ils devoient se faire inscrire chez le chef apud forum principum, lui rendre compte chaque jour de tous leurs vols dont il devoit tenir registre. Ceux qui avoient été volés s'adressoient à lui, on leur communiquoit le registre, & si le vol s'y trouvoit, on le leur rendoit en retenant seulement un quart pour les voleurs, étant, disoit cette loi, plus avantageux, ne pouvant abolir totalement le mauvais usage des vols, d'en retirer une partie par cette discipline, que de perdre le tout.

Plutarque, dans la vie de Lycurgue, rapporte que les Lacédémoniens ne donnoient rien ou très-peu de chose à manger à leurs enfans, qu'ils ne l'eussent dérobé dans les jardins ou lieux d'assemblée ; mais quand ils se laissoient prendre, on les fouettoit très-rudement. L'idée de ces peuples étoit de rendre leurs enfans subtils & adroits, il ne manquoit que de les exercer à cela par des voies plus légitimes.

Pour ce qui est des Romains, suivant le code Papyrien, celui qui étoit attaqué par un voleur pendant la nuit, pouvoit le tuer sans encourir aucune peine.

Lorsque le vol étoit fait de jour, & que le voleur étoit pris sur le fait, il étoit fustigé & devenoit l'esclave de celui qu'il avoit volé. Si ce voleur étoit déja esclave, on le fustigeoit & ensuite on le précipitoit du haut du capitole ; mais si le voleur étoit un enfant qui n'eût pas encore atteint l'âge de puberté, il étoit châtié selon la volonté du préteur, & l'on dédommageoit la partie civile.

Quand les voleurs attaquoient avec des armes, si celui qui avoit été attaqué avoit crié & imploré du secours, il n'étoit pas puni s'il tuoit quelqu'un des voleurs.

Pour les vols non manifestes, c'est-à-dire cachés, on condamnoit le voleur à payer le double de la chose volée.

Si après une recherche faite en la forme prescrite par les loix, on trouvoit dans une maison la chose volée, le vol étoit mis au rang des vols manifestes, & étoit puni de même.

Celui qui coupoit des arbres qui n'étoient pas à lui, étoit tenu de payer 25 as d'airain pour chaque pié d'arbre.

Il étoit permis au voleur & à la personne volée de transiger ensemble & de s'accommoder ; & s'il y avoit une fois une transaction faite, la personne volée n'étoit plus en droit de poursuivre le voleur.

Enfin, un bien volé ne pouvoit jamais être prescrit.

Telles sont les loix qui nous restent du code Papyrien, au sujet des vols, sur lesquels M. Terrasson en son histoire de la Jurisprudence romaine, a fait des notes très-curieuses.

Suivant les loix du digeste & du code, le vol connu sous le terme furtum étoit mis au nombre des délits privés.

Cependant, à cause des conséquences dangereuses qu'il pouvoit avoir dans la société, l'on étoit obligé, même suivant l'ancien droit, de le poursuivre en la même forme que les crimes publics.

Cette poursuite se faisoit par la voie de la revendication, lorsqu'il s'agissoit de meubles qui étoient encore en nature, ou par l'action appellée condictio fustra, lorsque la chose n'étoit plus en nature ; enfin, s'il s'agissoit d'immeubles, on en poursuivoit la restitution par une action appellée interdictum recuperandae possessionis, desorte que l'usurpation d'un héritage étoit aussi considérée comme un vol.

L'on distinguoit, quant à la peine, le vol en manifeste & non manifeste ; au premier cas, savoir, lorsque le voleur avoit été surpris en flagrant délit, ou du moins dans le lieu où il venoit de commettre le vol, la peine étoit du quadruple ; au second, c'est-à-dire lorsque le vol avoit été fait secrétement, & que l'on avoit la trace du vol, la peine étoit seulement du double ; mais dans ce double, ni dans le quadruple, n'étoit point compris la chose ou le prix.

La rapine, rapina, étoit considérée comme un délit particulier que l'on distinguoit du vol, en ce qu'elle se faisoit toujours avec violence & malgré le propriétaire, au lieu que le vol furtum étoit censé fait sans violence, & en l'absence du propriétaire, quoiqu'il pût arriver qu'il y fût présent.

La peine de la rapine étoit toujours du quadruple, y compris la chose volée ; ce délit étoit pourtant plus grave que le vol manifeste qui se commettoit sans violence ; mais aussi ce vol n'étoit jamais puni que par des peines pécuniaires, comme les autres délits privés, au lieu que ceux qui commettoient la rapine pouvoient, outre la peine du quadruple, être encore condamnés à d'autres peines extraordinaires, en vertu de l'action publique qui résultoit de la loi julia de vi publicâ seu privatâ.

En France, on comprend sous le terme de vol les deux délits que les Romains distinguoient par les termes furtum & rapina.

Les termes de vol & de voleur tirent leur étymologie de ce qu'anciennement le larcin se commettoit le plus souvent dans les bois & sur les grands chemins ; ceux qui attendoient les passans pour leur dérober ce qu'ils avoient, avoient ordinairement quelqu'oiseau de proie qu'ils portoient sur le poing, & qu'ils faisoient voler lorsqu'ils voyoient venir quelqu'un, afin qu'on les prît pour des chasseurs, & que les passans ne se défiant pas d'eux, en approchassent plus facilement, ensorte que le terme de vol ne s'appliquoit dans l'origine qu'à ceux qui étoient commis sur les grands chemins ; les autres étoient appellés larcin. Cependant sous le terme de vol, on comprend présentement tout enlevement frauduleux d'une chose mobiliaire.

Un impubere n'étant pas encore capable de discerner le mal, ne peut être puni comme voleur : néanmoins s'il approche de la puberté, il ne doit point être entiérement exempt de peine.

De même aussi celui qui prend par nécessité, & uniquement pour s'empêcher de mourir de faim, ne tombe point dans le crime de vol, il peut seulement être poursuivi extraordinairement pour raison de la voie de fait, & être condamné en des peines pécuniaires.

Il en est de même de celui qui prend la chose d'autrui à laquelle il prétend avoir quelque droit, soit actuel ou éventuel, ou en compensation de celle qu'on lui retient ; ce n'est alors qu'une simple voie de fait qui peut bien donner lieu à la voie extraordinaire, comme étant défendue par les loix à cause des désordres qui en peuvent résulter, mais la condamnation se résout en dommages & intérêts, avec défense de récidiver.

On distingue deux sortes de vol ; savoir, le vol simple & le vol qualifié ; celui-ci se subdivise en plusieurs especes, selon les circonstances qui les caractérisent.

La peine du vol est plus ou moins rigoureuse, selon la qualité du délit, ce qui seroit trop long à détailler ici : on peut voir là-dessus la déclaration du 4 Mars 1724.

L'auteur de l'esprit des Loix observe à cette occasion que les crimes sont plus ou moins communs dans chaque pays, selon qu'ils y sont punis, plus ou moins rigoureusement ; qu'à la Chine, où les voleurs cruels sont coupés par morceaux, on vole bien, mais que l'on n'y assassine pas ; qu'en Moscovie, où la peine des voleurs & assassins est la même, on assassine toujours : & qu'en Angleterre, on n'assassine point, parce que les voleurs peuvent espérer d'être transportés dans les colonies, & non pas les assassins.

Voyez au digest. les tit. de furtis de usurpationibus ad leg. jul. de vi privatâ, & au code eod. tit. institut. de oblig. quae ex delicto nasc.

VOL avec armes, est mis au nombre des vols qualifiés & punis de mort ; même de la roue s'il a été commis dans une rue ou sur un grand chemin.

VOL DE BESTIAUX, voyez ABIGEAT.

VOL AVEC DEGUISEMENT, est celui qui est fait par une personne masquée ou autrement déguisée : les ordonnances permettent de courir sur ceux qui vont ainsi masqués, comme s'ils étoient déja convaincus. Voyez les ordonnances de 1539, celle de Blois, & la déclaration du 22 Juillet 1692. (A)

VOL DOMESTIQUE, est celui qui est fait par des personnes qui sont à nos gages, & nourries à nos dépens : ce crime est puni de la potence, à moins que l'objet ne fût extrêmement modique, auquel cas la peine pourroit être modérée.

VOL AVEC EFFRACTION, est lorsque le voleur a brisé & forcé quelque clôture ou fermeture pour commettre le vol. Celui-ci est un cas royal & même prevôtal, lorsqu'il est accompagné de port d'armes & de violence publique, ou-bien que l'effraction a été faite dans le mur de clôture, dans les toîts des maisons, portes & fenêtres extérieures ; la peine de ce vol est le supplice de la roue, ou au moins de la potence si les circonstances sont moins graves. V. la déclaration de 1731 pour les cas prevôtaux.

VOL DE GRAND CHEMIN, est celui qui est commis dans les rues ou sur les grands chemins ; ces vols sont réputés cas prevôtaux, à l'exception néanmoins de ceux qui sont commis dans les rues des villes & fauxbourgs ; du reste, les uns & les autres sont punis de la roue.

VOL DE NUIT ou NOCTURNE, est celui qui est commis pendant la nuit ; la difficulté qu'il y a de se garantir de ces sortes de vols, fait qu'ils sont punis plus séverement que ceux qui sont commis pendant le jour.

VOL PUBLIC, est ce qui est pris frauduleusement sur les deniers publics, c'est-à-dire, destinés pour le bien de l'état. Voyez CONCUSSION.

VOL QUALIFIE, est celui qui intéresse principalement l'ordre public, & qui est accompagné de circonstances graves qui demandent une punition exemplaire.

Ces circonstances se tirent 1°. de la maniere dont le vol a été fait, comme quand il est commis avec effraction, avec armes ou déguisement, ou par adresse & filouterie.

2°. De la qualité de ceux qui le commettent ; par exemple, si ce sont des domestiques, des vagabonds, gens sans aveu, gens d'affaires, officiers ou ministres de la justice, soldats, cabaretiers, maîtres de coches ou de navire, ou de messagerie, voituriers, serruriers & autres dépositaires publics.

3°. De la qualité de la chose volée, comme quand c'est une chose sacrée, des deniers royaux ou publics, des personnes libres, des bestiaux, des pigeons, volailles, poissons, gibiers, arbres de forêts ou vergers, fruits des jardins, charrues, harnois de labours, bornes & limites.

4°. De la quantité de l'action volée, si le vol est considérable & emporte une déprédation entiere de la fortune de quelqu'un.

5°. De l'habitude, comme quand le vol a été réitéré plusieurs fois, ou s'il est commis par un grand nombre de personnes.

6°. Du lieu, si c'est à l'église, dans les maisons royales, au palais ou auditoire de la justice, dans les spectacles publics, sur les grands chemins.

7°. Du tems, si le vol est fait pendant la nuit, ou dans un tems d'incendie, de naufrage, & de ruine, ou de famine.

Enfin de la sûreté du commerce, comme en fait d'usure & de banqueroute frauduleuse, monopole ou recelement. Voyez le traité des crimes, par M. de Vouglans, où chacune de ces circonstances est très-bien développée.

VOL SIMPLE, est celui qui ne blesse que l'intérêt des particuliers, & non l'ordre public.

Quand le vol est commis par des étrangers, ils doivent être punis, bannis, fouettés & marqués de la lettre V.

Mais quand celui qui a commis le vol avoit quelque apparence de droit à la chose, par exemple si le vol est fait par un fils de famille à son pere, par une veuve aux héritiers de son mari, ou par ceux-ci à la veuve ou à leurs cohéritiers, par le créancier qui abuse du gage de son débiteur, par le dépositaire qui se sert du dépôt ; ces sortes de vols ne peuvent être poursuivis que civilement, & ne peuvent donner lieu qu'à des condamnations pécuniaires, telles que la restitution de la chose volée avec des dommages & intérêts. Voyez FILOU, LARCIN, VOLEUR.

VOL DU CHAPON, est un certain espace de terre que plusieurs coutumes permettent à l'aîné de prendre par préciput, autour du manoir seigneurial, outre les bâtimens, cours & basse-cours ; ce terrein a été appellé vol du chapon, pour faire entendre que c'est un espace à-peu-près égal à celui qu'un chapon parcouroit en volant.

La coutume de Bourbonnois désigne cet espace par un trait d'arc.

Celle du Maine, Tours, & Lodunois l'appellent le cheré.

Cette étendue de terrein n'est pas par-tout la même ; la coutume de Paris, art. 13. donne un arpent, d'autres donnent deux ou quatre arpens ; celle de Lodunois, trois sextérées. Voyez AINESSE, PRECIPUT, MANOIR, PRINCIPAL MANOIR. (A)

VOL, s. m. (Gram.) mouvement progressif des oiseaux, des poissons, des insectes, par le moyen des aîles. Voyez l'article VOLER.

VOL, chasse du vol, c'est celle qu'on fait avec des oiseaux de proie ; c'est un spectacle assez digne de curiosité, & fait pour étonner ceux qui ne l'ont pas encore vû : on a peine à comprendre comment des animaux naturellement aussi libres que le sont les oiseaux de proie, deviennent en peu de tems assez apprivoisés pour écouter dans le plus haut des airs la voix du chasseur qui les guide, être attentifs aux mouvemens du leurre, y revenir & se laisser reprendre. C'est en excitant & en satisfaisant alternativement leurs besoins, qu'on parvient à leur faire goûter l'esclavage ; l'amour de la liberté qui combat pendant quelque tems, cede enfin à la violence de l'appetit ; dès qu'ils ont mangé sur le poing du chasseur, on peut les regarder presque comme assujettis. Voyez FAUCONNERIE.

La chasse du vol est un objet de magnificence & d'appareil beaucoup plus que d'utilité : on peut en juger par les especes de gibiers qu'on se propose de prendre dans les vols qu'on estime le plus. Le premier de tous les vols, & un de ceux qu'on exerce le plus rarement, est celui du milan ; sous ce nom on comprend le milan royal, le milan noir, la buse, &c. Lorsqu'on apperçoit un de ces oiseaux, qui passent ordinairement fort haut, on cherche à le faire descendre, en allant jetter le duc à une certaine distance. Le duc est une espece de hibou, qui, comme on sait, est un objet d'aversion pour la plûpart des oiseaux. Pour le rendre plus propre à exciter la curiosité du milan qu'on veut attirer, on peut lui ajouter une queue de renard, qui le fait paroître encore plus difforme. Le milan s'approche de cet objet extraordinaire, & lorsqu'il est à une distance convenable, on jette les oiseaux qui doivent le voler : ces oiseaux sont ordinairement des sacres & des gerfauts. Lorsque le milan se voit attaqué, il s'éleve & monte dans toutes les hauteurs ; ses ennemis font aussi tous leurs efforts pour gagner le dessus. La scène du combat se passe alors dans une région de l'air si haute, que souvent les yeux ont peine à y atteindre.

Le vol du héron se passe à-peu-près de la même maniere que celui du milan ; l'un & l'autre sont dangereux pour les oiseaux qui, dans cette chasse, courent quelquefois risque de la vie : ces deux vols ont une primauté d'ordre que leur donnent leur rareté, la force des combattans, & le mérite de la difficulté vaincue.

Le plus fort des oiseaux de proie employé à la volerie, est sans doute le gerfaut : il joint à la noblesse & à la force, la vîtesse & l'agilité du vol ; c'est celui dont on se sert pour le lievre ; cependant il est rare qu'on prenne des lievres avec des gerfauts sans leur donner quelque secours ; ordinairement, avec deux gerfauts qu'on jette, on lâche un mâtin destiné à les aider ; les oiseaux accoutumés à voler ensemble, frappent le lievre tour-à-tour avec leurs mains, le tuent quelquefois, mais plus souvent l'étourdissent & le font tomber : la course du lievre étant ainsi retardée, le chien le prend aisément, & les gerfauts le prennent conjointement avec lui.

Le vol pour la corneille a moins de noblesse & de difficultés que ceux pour le milan & le héron ; mais c'est un des plus agréables ; il est souvent varié dans ses circonstances : il se passe en partie plus près des yeux, & il oblige quelquefois les chasseurs à un mouvement qui rend la chasse plus piquante. La corneille est un des oiseaux qu'on attire presque sûrement avec le duc, & lorsqu'on la juge assez près, on jette les oiseaux : dès qu'elle se sent attaquée, elle s'éleve, & monte même à une grande hauteur : ce sont des faucons qui la volent ; ils cherchent à gagner le dessus ; lorsque la corneille s'apperçoit qu'elle va perdre son avantage, on la voit descendre avec une vîtesse incroyable, & se jetter dans l'arbre qu'elle trouve le plus à portée : alors les faucons restent à planer au-dessus : la corneille n'auroit plus à les craindre, si les fauconniers n'alloient pas au secours de leurs oiseaux, mais ils vont à l'arbre, ils forcent par leurs cris la corneille à déserter sa retraite, & à courir de nouveaux dangers ; elle ne repart qu'avec peine, elle tente de nouveau & à diverses reprises les ressources de la vîtesse & de la ruse, & si elle succombe à la fin, ce n'est qu'après avoir mis plus d'une fois l'une & l'autre en usage pour sa défense.

Le vol pour la pie est aussi vif que celui pour la corneille, mais il n'a pas autant de noblesse à beaucoup près, parce que la pie n'a de ressource que celle de la foiblesse. Ce vol ne se fait guere comme ceux dont nous avons parlé de poing en fort, c'est-à-dire que les oiseaux n'attaquent pas en partant du poing ; ordinairement on les jette amont, parce qu'on attaque la pie lorsqu'elle est dans un arbre. Les oiseaux étant jettés, & s'étant élevés à une certaine hauteur, sont guidés par la voix du fauconnier, & rentrent au mouvement du leurre. Lorsqu'on les juge à portée d'attaquer, on se presse de faire partir la pie, qui ne cherche à échapper qu'en gagnant les arbres les plus voisins : souvent elle est prise au passage, mais quand elle n'a été que chargée, on a beaucoup de peine à la faire repartir ; sa frayeur est telle qu'elle se laisse quelquefois prendre par le chasseur plutôt que de s'exposer à la descente de l'oiseau qu'elle redoute.

On jette amont de la même maniere, lorsqu'on vole pour champs & pour riviere, c'est-à-dire pour la perdrix ou le faisan, & pour le canard. Pour la perdrix on jette amont un ou deux faucons ; pour le faisan deux faucons ou un gerfaut : on laisse monter les oiseaux, & lorsqu'ils planent dans le plus haut des airs, le fauconnier aidé d'un chien, fait partir le gibier sur lequel l'oiseau descend. Pour le canard, on met amont jusqu'à trois faucons, & on se sert aussi de chiens pour le faire partir, & l'obliger de voler lorsque la frayeur qu'il a des faucons l'a rendu dans l'eau.

Outre ces vols, on dresse aussi pour prendre des cailles, des alouettes, des merles, de petits oiseaux de proie tels que l'émerillon, le hobereau, l'épervier ; mais ce dernier n'appartient pas à la fauconnerie proprement dite ; il est ainsi que l'autour & son tiercelet, du ressort de l'autourserie : les premiers sont de ceux qu'on nomme oiseaux de leurre ; les autres s'appellent oiseaux de poing, parce que sans être leurrés ils reviennent sur le poing.

On emploie à-peu-près les mêmes moyens pour apprivoiser & dresser les uns & les autres ; mais on porte presque toujours à la chasse les derniers sans chaperon ; ils sont plus promts à partir du poing que les autres : on ne les jette point amont ; ils ne volent que de poing en fort, & font leur prise d'un seul trait d'aîle : par cette raison ils se fatiguent moins, & ils peuvent prendre plus de gibier : ainsi la chasse en est plus utile si elle est moins noble & moins agréable. On dit que le vol du faucon appartient principalement aux princes, & que celui de l'autour convient mieux aux gentilshommes. Article de M. LEROI.

VOL, en terme de Blason, se dit de deux aîles posées dos à dos dans les armoiries, comme étant tout ce qui fait le vol d'un oiseau : lorsqu'il n'y a qu'une aîle seule, on l'appelle demi-vol ; & quand il y en a trois, trois demi-vols. On appelle vol banneret celui qu'on met au cimier, & qui est fait en banniere, ayant le dessus coupé & quarré, comme celui des anciens chevaliers.


VOLAGEadj. (Gram.) inconstant, léger, changeant : tous ces mots sont synonymes ; ce sont des métaphores empruntées de différens objets ; léger, des corps tels que les plumes, qui n'ayant pas assez de masse, eu égard à leur surface, sont détournées & emportées çà & là à chaque instant de leur chûte ; changeant, de la surface de la terre ou du ciel qui n'est pas un moment la même ; inconstant, de l'athmosphere de l'air, & des vents ; volage, des oiseaux : on dit des enfans qu'ils ont l'esprit & le caractere volage ; d'une femme qui change souvent d'objet, qu'elle est volage.

VOLAGE, appel, (Jurisprud.) on appelloit ainsi autrefois ce que nous appellons aujourd'hui fol appel. Voyez AMENDE & APPEL, FOL APPEL.

VOLAGES, rentes, ou rentes volantes. Voyez RENTE VOLAGE ou VOLANTE. (A)


VOLAILLEsignifie en général la même chose qu'oiseau. Voyez OISEAU.

Mais en prenant ce mot dans un sens plus particulier, il s'applique à ce que l'on appelle volaille, ou à cette espece de gros oiseaux domestiques ou sauvages que l'on éleve, ou que l'on poursuit à la chasse, pour être servis sur nos tables : comme les coqs d'indes, les oies, les coqs, les poules, & les canards sauvages ou domestiques, les faisans, les perdrix, les pigeons, les bécassines, &c. Voyez CHASSE AUX OISEAUX.

Les oiseaux domestiques, ou la volaille, est une partie nécessaire du fonds d'une ferme, elle rend de fort bons services, & il revient un profit très-considérable des couvées, des oeufs, des plumes, de la fiente ou du fumier, &c.

On peut entretenir les oiseaux domestiques à peu de frais, quand on est situé sur une grande route, à cause que pendant la plus grande partie de l'année ils trouvent le moyen de vivre par eux-mêmes, en se nourrissant d'insectes, de vers, de limaçons, de glanes, ou presque de tout ce qui est mangeable.

Les plus vieilles poules sont toujours les meilleures pour couver, & les plus jeunes pour pondre ; mais si elles sont trop grosses, elles ne sont bonnes ni à l'un ni à l'autre ; l'âge le plus avantageux pour faire couver des poulets à une poule, est depuis deux ans jusqu'à cinq ; & le mois de Février est le mois le plus propre à cet effet ; quoique cela puisse réussir assez bien en quelque tems que ce soit, depuis Février jusqu'à la S. Michel. Un coq peut servir dix poules ; une poule couve vingt jours, au-lieu que les oies, les canards, les coqs d'inde, en couvent trente. Le sarrasin, le froment de France, ou le chénevi, ont la propriété, à ce que l'on dit, de faire pondre les poules plus vîte, qu'en leur donnant toute autre nourriture ; & on les engraisse fort promtement, quand on les nourrit avec du sarrasin entier, moulu, ou en pâte ; quoique la nourriture ordinaire dont on se sert pour cet effet, soit de la farine d'orge ou de la fleur de froment réduite en pâte avec du lait ou de l'eau, & deux fois par jour on leur fourre de cette pâte dans le gosier, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus y en tenir. Il est rare qu'une oie veuille couver d'autres oeufs que les siens ; mais une poule en couve indifféremment.

Les oies les plus blanches sont les meilleures & celles qui commencent à pondre plus tôt, & il peut arriver qu'elles fassent deux couvées par an ; elles commencent à pondre au printems, & elles font douze ou seize oeufs : on commence à engraisser les oisons à l'âge d'un mois, & ils deviennent gras en un mois. Pour les oies qui ont atteint toute leur crue, on les engraisse à l'âge de six mois, pendant le tems de la moisson, ou après la recolte. Quand une oie sauvage a les piés rouges & velus, elle est vieille, mais elle est jeune si elle a les piés blancs & non velus.

Quand une poule, ou quelqu'autre volaille couve des oeufs, il est nécessaire d'en marquer le dessus ; & quand elle va manger on doit faire attention si elle a soin de les tourner sens-dessus-dessous ou non, afin que si elle y manque, on le fasse en sa place. Voyez OEUF, PLUME, &c.


VOLANTadj. & part. (Gram.) Voyez le verbe VOLER, qui se meut par le moyen des aîles. Il y a des poissons volans.

VOLANT, (Cuisine) est une verge de fer plantée au-dessus de la cage du tournebroche, à l'extrêmité de laquelle est une croix dont chaque branche est chargée de plomb pour ralentir l'action du poids qui entraîneroit toutes les roues dans un instant, sans le volant qui par sa pesanteur est plus difficile à mouvoir.

VOLANT, terme d'Horlogerie ; c'est une piece qui se met sur le dernier pignon d'un rouage de sonnerie, ou de répétition, & qui sert à ralentir le mouvement de ce rouage, lorsque la pendule ou l'horloge sonne. Voyez SONNERIE, PENDULE, &c. & les fig. Pl. de l'Horlogerie, n °. 18. & 17. 19.

Dans les pendules le volant est une espece de rectangle de cuivre fort mince, & assez large. Voyez la figure 8 & 9. Planches de l'Horlogerie, pour que la résistance de l'air, lorsqu'il tourne, puisse retarder son mouvement, & par conséquent ralentir, comme nous l'avons dit plus haut, celui du rouage. Il tient à frottement sur la tige de son pignon au moyen d'un petit ressort a a, fig. 9. qui appuie contre cette tige. Par-là ils peuvent bien tourner ensemble ; mais lorsque l'on arrête le pignon, ce frottement n'est pas assez fort pour empêcher le volant de tourner seul. Cette disposition est nécessaire pour que celui-ci par son mouvement acquis, ne casse pas les pivots de son pignon. Au moyen de ce frottement, ils peuvent bien tourner ensemble ; mais lorsqu'on arrête le pignon, ce frottement n'est pas assez fort pour empêcher le volant de tourner tout seul. Dans les montres à répétition on se sert peu de volant, & quand on l'y emploie, il y est fixément adapté.

Comme dans les grosses horloges le mouvement de la sonnerie est plus rapide, & que le volant est beaucoup plus considérable, comme on peut le voir dans la fig. 5. 17. 18. il y a un ressort 19. dont l'extrêmité entre dans un rochet P P, adapté sur la tige du pignon ; par ce moyen, l'horloge sonnant, le volant & son pignon tournent ensemble, & la sonnerie étant arrêtée, il peut encore tourner par son mouvement acquis ; ce qui produit un bruit assez semblable à celui d'une cresselle. Voyez HORLOGE.

VOLANT, terme de Meunier, ce sont deux pieces de bois qui sont attachées en forme de croix à l'arbre du tournant, mises au-dehors de la cage du moulin à vent, & qui étant garnies d'échelons, & vêtues de toiles, tournent quand les toiles sont tendues, & qu'il vente assez pour les faire aller ; on les appelle aussi volées, & aîles de moulin. (D.J.)

VOLANT, (Hist. des modes) on a donné ce nom dans le dernier siecle à des bandes de taffetas qu'on attachoit aux jupes des dames, & dont le nombre se mettoit à discrétion ; il y en avoit quelquefois deux, trois, quatre, ou cinq. C'étoit autant de cerceaux volans, parce qu'ils n'étoient cousus que par le haut, & que le vent faisoit voler le bas à discrétion. Les volans étoient quelquefois de différentes couleurs, & alors on les nommoit volans pretintailles, qui furent tellement à la mode, que chaque volant étoit encore de plusieurs couleurs. (D.J.)

VOLANT, (Hist. des modes d'hommes) espece de surtout léger qui a peu de plis dans le bas, & qui n'est doublé qu'en certains endroits. (D.J.)

VOLANS, s. m. pl. (Pipée) les pipeurs appellent volans, les rejets ou perches dont ils ont coupé le feuillage, & qu'ils plient & attachent par le bout aux environs de la loge, en y faisant des entailles pour y insérer des gluaux. (D.J.)

VOLANT, (Jeu) morceau de liége taillé en forme de cône obtus, couvert par-dessous de velours ou d'autre étoffe, & percé en-dessus d'une douzaine de petits trous, dans lesquels on met, on range, & on dispose en calice une douzaine de plumes uniformes, ou de toutes couleurs, & d'une grandeur proportionnée à la grosseur du cône, que deux personnes se renvoient avec des raquettes ou des tymbales. C'est un jeu ou un exercice d'adresse agréable, bien imaginé, très-sain, & qui se pratique avec raison dans toute l'Europe. (D.J.)

VOLANT, adj. (Blason) on appelle oiseau volant, un oiseau qui est élevé en l'air, les aîles étendues, comme s'il voloit ; il doit avoir les aîles plus ouvertes & plus étendues que celui qui est dit essorant. La maison de Noël en Languedoc, porte d'azur à la colombe volante en bande, becquée & membrée d'or, à la bordure componée d'or & de gueules. (D.J.)

VOLANTES, rentes, (Jurisprud.) voyez RENTE VOLANTE.


VOLATERRAE(Géog. anc.) ville d'Italie, dans l'Etrurie, l'une des douze premieres colonies des Toscans, & plus ancienne de cinq cent ans que Rome même. Strabon, l. V. p. 154. dit qu'elle est située dans une vallée, & que la forteresse qui la défendoit étoit sur le haut d'une colline. Elle soutint trois ans le siége contre Sylla, devint ensuite un municipe, & eut le titre de colonie. Les thermes de son territoire sont nommés dans la table de Peutinger aquae volaterranae ; cette ville conserve son ancien nom ; car on l'appelle Volterra, ou Volterre. Il y avoit encore dans le dernier siecle une maison de son voisinage qu'on nommoit l'Hospitalité, bâtie sur le champ de bataille où Catilina fut tué.

Perse, en latin Aulus Persius Flaccus, poëte satyrique, naquit à Volaterra, d'une maison noble & alliée aux plus grands de Rome ; il mourut dans sa patrie âgé de 28 ans, sous la huitieme année du regne de Néron. Il étudia sous un philosophe stoïcien nommé Cornutus, pour lequel il conçut la plus haute estime. Il a immortalisé dans ses ouvrages l'amitié & la reconnoissance qu'il avoit pour cet illustre maître ; & à sa mort il lui légua sa bibliotheque, & la somme de vingt-cinq-mille écus ; mais Cornutus ne se prévalut que des livres, & laissa tout l'argent aux héritiers.

Perse étudia sous Cornutus avec Lucain dont il se fit admirer ; il méritoit son estime & celle de tout le monde, étant bon ami, bon fils, bon frere, & bon parent ; il fut chaste, quoique beau garçon, plein de pudeur, sobre, & doux comme un agneau. Il est très-grave, très-sérieux, & même un peu triste dans ses écrits ; & soit la vigueur de son caractere supérieure à celle d'Horace, soit le zèle qu'il a pour la vertu, il semble qu'il entre dans sa philosophie un peu d'aigreur & d'animosité contre ceux qu'il attaque.

On ne peut nier qu'il n'ait écrit durement & obscurément ; & ce n'est point par politique qu'il est obscur, mais par la tournure de son génie ; on voit qu'il entortille ses paroles, & qu'il recourt à des figures énigmatiques, lors même qu'il ne s'agit que d'insinuer des maximes de morale ; mais Scaliger le pere, & d'autres excellens critiques, n'ont point rendu à ce poëte toute la justice qui lui étoit dûe ; M. Despréaux a mieux jugé de son mérite, & s'est attaché à imiter plusieurs morceaux de ses satyres. (D.J.)


VOLATERRANA-VADA(Géog. anc.) ville ou bourgade d'Italie dans l'Etrurie, à l'embouchure du Cecina, avec un port, selon Pline, l. III. c. v. Ce lieu nommé aujourd'hui Vadi, est placé par l'itinéraire d'Antonin entre Populonium & ad Herculem, à vingt-cinq milles du premier ; & à dix huit milles du second. (D.J.)


VOLATILadj. (Gram.) ce qui s'évapore, se dissipe sans l'application d'aucun moyen artificiel. Il y a deux alkalis, l'alkali fixe & l'alkali volatil.


VOLATILISATIONS. f. (Gram. Chymie) VOLATILISER, v. act. termes relatifs à l'art de communiquer la volatilité à des substances fixes. Cet art consiste à appliquer à la substance fixe une substance moins fixe ; puis une moins fixe encore ; encore une substance moins fixe, jusqu'à ce qu'il y en ait une derniere qui donne des aîles au tout.


VOLATILITÉS. f. (Gram.) Il paroît que cette qualité qui consiste à se dissiper de soi-même, tient beaucoup à la divisibilité extrême. Ce principe n'est pourtant pas le seul ; la combinaison y fait aussi beaucoup.


VOLCAE(Géog. anc.) peuples de la Gaule-Narbonnoise. On divisoit ces peuples en Volces arécomiques & en Volces-tectosages. Souvent on les désignoit sous le nom générique de Celtes, dont ils formoient une des principales cités. Les Volces-arécomiques, Volcae arecomici, dans Strabon, l. IV. p. 186 ; & Volcae aricomii, dans Ptolémée, l. II. s'étendoient jusqu'au bord du Rhône. Ptolémée leur donne deux villes qu'il marque dans les terres ; savoir Vindomagus & Nemausûm Colonia. Les Volces tectosages, Volcae tectosages, s'étendoient jusqu'aux Pyrénées, depuis la ville de Narbonne qui étoit dans leur pays. Samson dit qu'ils occupoient tout le haut Languedoc & davantage. Voyez TECTOSAGES.

M. l'abbé de Guasco se proposoit de donner l'état des sciences chez les Volces. Il ne manque à ce projet que des monumens historiques qui puissent aider à le remplir. Nous savons seulement que les Phocéens d'Ionie après avoir fondé Marseille, établirent des colonies dans le pays des Volces, comme dans les villes d'Agde, de Rodez, de Nîmes, & que ces colonies communiquerent aux Volces leur langue & l'usage de leurs caracteres.

Quand Rome eut conquis le pays des Volces, elle en changea le gouvernement, y envoya des magistrats pour l'administrer, & y sema des colonies. Les Volces devenus en quelque sorte Romains dans leur gouvernement, dans leur langage, dans leurs moeurs, dans leur goût, le devinrent aussi en grande partie dans leur religion. Les pontifes, les flamines, les augures, prirent la place des druides, & substituerent leurs cérémonies & leurs solemnités à celles des prêtres gaulois. Enfin ce nouveau culte chez les Volces, céda aux lumieres du christianisme. (D.J.)


VOLCAE-PALUDES(Géog. anc.) Dion Cassius, l. LV. sub finem, nomme ainsi les marais auprès desquels les Batones attaquerent Coecina Severus, dans le tems qu'il vouloit y faire camper son armée. Ces marais devoient être au voisinage de la Moesie. (D.J.)


VOLCANS(Hist. nat. Minéralog.) montes ignivomi. C'est ainsi qu'on nomme des montagnes qui vomissent en de certains tems de la fumée, des flammes, des cendres, des pierres, des torrens embrasés de matieres fondues & vitrifiées, des soufres, des sels, du bitume, & quelquefois même de l'eau.

Les volcans, ainsi que les tremblemens de terre, sont dûs aux embrasemens souterrains excités par l'air, & dont la force est augmentée par l'eau. En parlant des tremblemens de terre, je crois avoir suffisamment expliqué la maniere dont ces trois agents operent, & la force prodigieuse qu'ils exercent ; on a fait voir dans cet article que la terre étoit remplie de substances propres à exciter & à alimenter le feu ; ainsi il seroit inutile de répéter ici ce qui a déjà été dit ailleurs ; il suffira d'y renvoyer le lecteur.

Les volcans doivent être regardés comme les soupiraux de la terre, ou comme des cheminées par lesquelles elle se débarrasse des matieres embrasées qui dévorent son sein. Ces cheminées fournissent un libre passage à l'air & à l'eau qui ont été mis en expansion par les fourneaux ou foyers qui sont à leur base ; sans cela ces agents produiroient sur notre globe des révolutions bien plus terribles que celles que nous voyons opérer aux tremblemens de terre ; ils seroient toujours accompagnés d'une subversion totale des pays où ils se feroient sentir. Les volcans sont donc un bienfait de la nature ; ils fournissent au feu & à l'air un libre passage ; ils les empêchent de pousser leurs ravages au-delà de certaines bornes, & de bouleverser totalement la surface de notre globe. En effet, toutes les parties de la terre sont agitées par des tremblemens qui se font sentir en différens tems avec plus ou moins de violence. Ces conclusions de la terre nous annoncent des amas immenses de matieres allumées ; c'est donc pour leur donner passage que la providence a placé un grand nombre d'ouvertures propres à éventer, pour ainsi dire, la mine. Aussi voyons-nous que la providence a placé des volcans dans toutes les parties du monde : les climats les plus chauds étant les plus sujets aux tremblemens de terre, en ont une très-grande quantité. Aujourd'hui l'on en compte trois principaux en Europe ; c'est l'Etna en Sicile, le mont Vésuve dans le royaume de Naples, & le mont Hecla en Islande ; comme chacun de ces volcans sont décrits dans des articles particuliers, nous ne parlerons ici que des phénomenes généraux qui sont communs à tous les volcans.

Il n'est point dans la nature de phénomenes plus étonnans que ceux que présentent ces montagnes embrasées : quoi qu'en disent des voyageurs peu instruits, il ne paroît point prouvé qu'il en existe qui vomissent perpétuellement des flammes : quelquefois après des éruptions violentes, les matieres s'épuisent & le volcan cesse de vomir, jusqu'à ce qu'il se soit amassé une assez grande quantité de substances pour exciter une nouvelle éruption. Ainsi le feu couvera quelquefois pendant un très-grand nombre d'années dans les gouffres profonds qui sont dans l'intérieur de la montagne, & il attendra que différentes circonstances le mettent en action.

Les éruptions des volcans sont ordinairement annoncées par des bruits souterrains semblables à ceux du tonnerre, par des sifflemens affreux, par un déchirement intérieur ; la terre semble s'ébranler jusque dans ses fondemens ; ces phénomenes durent jusqu'à ce que l'air dilaté par le feu ait acquis assez de force pour vaincre les obstacles qui le tiennent enchaîné ; & alors il se fait une explosion plus vive que celle des plus fortes décharges d'artillerie : la matiere enflammée semblable à des fusées volantes, est lancée en tout sens à une distance prodigieuse, & s'échappe avec impétuosité par le sommet de la montagne. On en voit sortir des quartiers de rochers d'une grosseur prodigieuse, qui après s'être élevés à une grande hauteur dans l'air, retombent & roulent par la pente de la montagne ; les champs des environs sont enterrés sous des amas prodigieux de cendres, de sable brûlant, de pierres-ponces ; souvent les flancs de la montagne s'ouvrent tout d'un coup pour laisser sortir des torrens de matiere liquide & embrasée qui vont inonder les campagnes, & qui brûlent & détruisent tous les arbres, les édifices & les champs qui se trouvent sur leur chemin.

L'histoire nous apprend que dans deux éruptions du Vésuve, ce volcan jetta une si grande quantité de cendres, qu'elles volerent jusqu'en Egypte, en Libye & en Syrie.

En 1600, à Arequipa au Pérou, il y eut une éruption d'un volcan qui couvrit tous les terreins des environs, jusqu'à trente ou quarante lieues, de sable calciné & de cendres ; quelques endroits en furent couverts de l'épaisseur de deux verges. La lave vomie par le mont-Etna, a formé quelquefois des ruisseaux qui avoient jusqu'à 18000 pas de longueur ; & le célebre Borelli a calculé que ce volcan, dans une éruption arrivée en 1669, a vomi assez de matieres pour remplir un espace de 93838750 pas cubiques. Ces exemples suffisent pour faire juger des effets prodigieux des volcans. Voyez l'article LAVE.

Souvent on a vu des volcans faire sortir de leur sein des ruisseaux d'eau bouillante, des poissons, des coquilles & d'autres corps marins. En 1631, pendant une éruption du Vésuve, la mer fut mise à sec ; elle parut absorbée par ce volcan, qui peu après inonda les campagnes de fleuves d'eau salée.

Les éruptions des volcans n'ont point toujours le même degré de violence ; cela dépend de l'abondance des matieres enflammées, & de différentes circonstances propres à augmenter ou à diminuer l'action du feu.

On remarque que la plûpart des volcans sont placés dans le voisinage de la mer ; cette position peut même contribuer à rendre leurs éruptions plus violentes. En effet, l'eau venant à tomber par les fentes de la montagne dans les amas immenses de matieres enflammées qui s'y trouvent, ne peut manquer de produire des explosions très-vives, mais les effets doivent devenir plus terribles encore lorsque cette eau est bitumineuse & chargée de parties salines. Une expérience assez triviale peut nous rendre raison de cette vérité : les cuisiniers, pour rendre la braise plus ardente, y jettent quelquefois une poignée de sel, le feu devient par - là beaucoup plus âpre.

Les sommets des volcans ont communément la forme d'un cône renversé ou d'un entonnoir ; lorsque les cendres & les roches qui entourent cette partie de la montagne permettent d'en approcher dans les tems où il ne se fait point d'éruption, on y voit un bassin rempli de soufre qui bouillonne en de certains endroits, & qui répand une odeur sulfureuse très-forte & souvent une fumée épaisse. Cette partie du volcan est très-sujette à changer de face, & chaque éruption lui fait présenter un aspect différent de celui que le sommet avoir auparavant ; en effet, il y a des portions de la montagne qui s'écroulent, & le gouffre vomit de nouvelles matieres qui les remplacent. Les chemins qui conduisent au sommet de ces montagnes sont aussi couverts de sel ammoniac, de matieres bitumineuses, de pierres ponces, de scories ou de lave, d'alun, &c. on y rencontre des sources d'eaux chaudes, salines, sulfureuses, d'une odeur & d'un goût insupportables. Dans les tems qui précedent les éruptions, les matieres contenues dans le bassin semblent bouillonner, elles se gonflent quelquefois au point de sortir par-dessus les rebords, & de découler le long de la pente du volcan ; cela n'arrive point sans un fracas épouvantable, & sans des sifflemens & des déchiremens propres à donner le plus grand effroi. On sent aisément que les matieres, en se fondant, doivent former une croute qui s'oppose au passage de l'air & du feu, ce qui doit produire une expansion qui renouvelle la violence des éruptions.

Plusieurs physiciens ont cru qu'il y avoit une espece de correspondance entre les différens volcans que l'on voit sur notre globe, la proximité rend cette conjecture assez vraisemblable pour le Vésuve & l'Etna qui souvent exercent leurs ravages dans le même tems ; d'ailleurs nous avons fait voir dans l'article TREMBLEMENT DE TERRE, que les embrasemens de la terre sembloient se propager par des canaux souterrains à des distances prodigieuses.

Il arrive quelquefois que des volcans, après avoir eu des éruptions pendant une longue suite de siecles, cessent enfin d'en avoir ; cela vient soit de ce que les matieres qui excitoient leurs embrasemens se sont à la fin totalement épuisées, soit de ce qu'elles ont pris une autre route ; en effet on a vu que lorsque quelques volcans cessoient de jetter des matieres, d'autres montagnes devenoient des volcans, & commençoient à vomir du feu avec autant & plus de furie que ceux dont ils prenoient la place ; c'est ainsi que depuis un très-grand nombre d'années le mont Hecla en Islande a cessé de vomir des flammes, & une autre montagne de la même île est devenue un volcan. Les différentes parties du monde présentent aux voyageurs plusieurs montagnes qui ont servi autrefois de soupiraux aux embrasemens de la terre, comme on peut en juger par les abymes & les précipices qu'elles offrent, par les pierres-ponces, les roches calcinées, le soufre, les cendres, l'alun, le sel ammoniac dont le terrein qui les environne est rempli. Il paroît que quelques-uns de ces volcans ont exercé leurs ravages dans des tems dont l'histoire ne nous a point conservé le souvenir, mais un observateur habile reconnoîtra sans peine qu'ils ont existé par les matieres que nous venons d'indiquer, & sur-tout par les couches de lave que les volcans ont fait sortir de leurs flancs, & qui ont inondé les campagnes dans leur voisinage. Voyez l'article LAVE. Plusieurs montagnes d'Europe ont été autrefois des volcans. Les monts Apennins paroissent avoir été dans ce cas. On a rencontré en Auvergne des matieres qui indiquent d'une maniere indubitable que cette province a autrefois été fouillée par les feux souterrains. L'endroit de la Provence, qu'on nomme les gorges d'Olioule, qui se trouve sur le chemin de Marseille à Toulon, porte des caracteres qui annoncent qu'il y a eu autrefois un volcan dans cette partie de la France. Plusieurs autres pays présenteroient les mêmes signes, si on les examinoit plus attentivement. La description que le célebre M. de Tournefort nous a donnée du mont Ararat en Arménie, peut nous faire présumer avec beaucoup de certitude que cette montagne est un volcan dont le feu s'est éteint ; il dit qu'il s'y trouve un abyme dont les côtés sont comme taillés à plomb, & dont les extrêmités sont hérissées de rochers noirâtres & comme salis par la fumée ; on voit que cette description convient parfaitement au bassin d'un volcan.

Les montagnes ne sont point toujours le siege des éruptions des feux souterrains ; on a vu quelquefois sortir tout-à-coup du fond du lit de la mer, des feux, des rochers embrasés, de la pierre-ponce, & un amas prodigieux de sable, de cendres, & de matieres qui ont formé des îles dans des endroits où peu auparavant il n'y avoit que des eaux ; c'est de cette maniere que s'est formée la fameuse île de Santorin. Un phénomene pareil arriva en 1720 auprès de l'île de S. Michel, l'une des Açores ; la nuit du 7 au 8 de Décembre il sortit tout d'un-coup du fond de la mer une quantité prodigieuse de pierres, de sable, & de matieres embrasées, qui formerent une île toute nouvelle à côté de la premiere, que cette révolution avoit presque entierement renversée. Urbani Hiaerne.

Les feux contenus dans le sein de la terre n'agissent point toujours avec la même fureur, souvent ils brûlent sans bruit, & couvent, pour ainsi dire, sous terre ; on ne reconnoît leur présence que par les sources d'eaux chaudes que l'on voit sortir à la surface de la terre, par les bitumes liquides, tels que le pétrole & le naphte que la chaleur fait suinter au-travers des roches & des couches de la terre. C'est ainsi que dans le voisinage de Modene on trouve en creusant une quantité prodigieuse de pétrole qui nage à la surface des eaux.

Quelquefois on rencontre à la surface de la terre des endroits qui brûlent, pour ainsi dire, imperceptiblement ; c'est ainsi que l'on trouve dans le Dauphiné un terrein qui, sans être embrasé visiblement, ne laisse pas d'allumer la paille & le bois qu'on y jette. Il se trouve un terrein tout semblable, mais d'une beaucoup plus grande étendue, en Perse près de Baku. Voyez l'article NAPHTE. L'on doit aussi mettre dans le même rang l'endroit connu en Italie sous le nom de Solfatara. Voyez cet article. (-)

VOLCAN, (Géog. mod.) on appelle volcans des montagnes brûlantes, & qui jettent du feu, des flammes, de la fumée, des cendres chaudes, avec plus ou moins de violence, & en quantité plus ou moins grande. Le nom de volcan a été donné à ces sortes de montagnes par les Portugais, & l'usage l'a adopté. On sait qu'il y a des volcans dans les quatre parties du monde, en Amérique, en Afrique, en Asie, en Europe. Voici la liste des principaux, & je ne la donne pas pour exacte.

On connoît dans l'Amérique septentrionale le volcan d'Anion près de la mer du sud, celui d'Atilan, celui de Cataculo, celui de Colima, celui de Guatimala, celui de Léon, celui de Nicaragua, celui de Sonsonate, & quelques autres.

On trouve dans l'Amérique méridionale au Pérou le volcan d'Arequipa, à 90 lieues de Lima : c'est une montagne qui jette sans discontinuer un soufre enflammé, & les habitans appréhendent que tôt ou tard elle ne brûle ou n'abyme la ville voisine.

On trouve encore au Pérou dans une vallée appellée Mulahallo, à cinquante lieues de Quito, un volcan sulfureux qui s'enflamma dans le dernier siecle, & jetta des pierres hors de son sein, avec un bruit terrible. Dans la chaîne des montagnes du Pérou appellées les Andes ou Cordilieres, il y a en différens lieux des montagnes qui vomissent les unes de la flamme & les autres de la fumée ; telle est celle de Carrapa, province de Popayan.

L'Asie abonde en volcans ; un d'eux dans l'île de Java, se forma en 1586, par une éruption violente de soufre, & vomit une quantité prodigieuse de fumée noire mêlée de flamme & de cendres chaudes : cette éruption fut fatale à quelques milliers de personnes.

Le volcan Gonapi, situé dans une des îles Banda, ayant brûlé plusieurs années de suite, se creva finalement dans le dernier siecle, & vomit avec mugissement une furieuse quantité de grosses pierres accompagnées d'une matiere sulfureuse, brûlante & épaisse, qui tomba sur la terre & dans la mer. Les cendres chaudes couvrirent les canons des Hollandois, qui étoient plantés sur les murs de leur citadelle. L'eau se gonfla auprès de la côte, bouillonna, & laissa quantité de poissons morts flottant sur la surface.

Le mont Balaluanum, dans l'île de Sumatra, jette des flammes & de la fumée, de même que le mont Etna.

On voit plusieurs volcans sur les côtes de l'Océan indien, qui sont décrits dans les voyages de Dampier ; mais le plus terrible de tous est celui de l'île Ternate.

La montagne est roide & couverte au pié de bois épais ; mais son sommet qui s'éleve jusqu'aux nues, est pelé par le feu. Le soupirail est un grand trou qui descend en ligne spirale, & devient par degrés de plus en plus petit, comme l'intérieur d'un amphithéâtre. Dans le printems & en automne, vers les équinoxes, quand le vent du nord regne, cette montagne vomit avec bruit des flammes mêlées d'une fumée noire, & toutes les montagnes des environs se trouvent couvertes de cendres. Les habitans y vont dans certains tems de l'année, pour y recueillir du soufre, quoique la montagne soit si escarpée en plusieurs endroits, qu'on ne peut y parvenir qu'avec des cordes attachées à des crochets de fer.

L'île Manille dans l'Océan indien, a ses volcans ; les navires qui viennent de la nouvelle Espagne, apperçoivent de fort loin celui qui est près de la grande baie d'Albay, & qui jette des flammes dans certains tems.

A soixante lieues des Moluques, on voit une île dont les montagnes sont souvent secouées par des tremblemens de terre suivis d'éruptions de flammes, de cendres & de pierres ponces calcinées.

Le volcan de l'île de Fuego, une des petites îles du Cap-verd, est une haute montagne, du sommet de laquelle il sort des flammes qu'on apperçoit en mer dans le tems de la nuit.

Le Japon abonde en volcans ; il y en a un considérable à soixante milles de Firando ; il y en a un autre vis-à-vis de Saxuma, un troisieme dans la province de Chiangen, un quatrieme dans le voisinage du Surunga, un cinquieme plus considérable que tous les autres dans l'île de Ximo ; son sommet n'est qu'une masse brûlée, & la terre y est si spongieuse qu'on n'y marche qu'en tremblant ; tout n'offre dans cette montagne que des abîmes & des exhalaisons infectes.

Dans une des îles nommées Papous que le Maire a découverte & qui n'est peut être pas une île, mais une suite de la côte orientale de la nouvelle Guinée, on trouve un volcan plein de feu & de fumée.

On voit aussi des volcans dans le pays habité par les Tartares Tongouses, & au-delà de leur pays. On en compte quatre dans ces parties septentrionales de la Tartarie : nous savons encore que le Groenland & les contrées voisines ont aussi des montagnes brûlantes.

L'Afrique n'est pas sans volcans ; il y en a dans le royaume de Fez & ailleurs. Mais les volcans de l'Europe sont les plus connus. Ceux qui navigent sur la Méditerranée apperçoivent de fort loin les éruptions de flammes & de fumée du mont Etna, appellé maintenant Gibel en Sicile. On voit les éruptions de ce volcan à la distance de trente milles. Quoiqu'il jette du feu & de la fumée presque sans interruption, il y a des tems où il les exhale avec plus de violence. En 1656, il ébranla une partie de la Sicile : bientôt après, l'entonnoir qui est au sommet de la montagne, vomit quantité de cendres chaudes, que le vent dispersa de toutes parts. Farelli nous a donné une relation des éruptions de ce volcan. M. Oldenbourg en a fait l'extrait dans les Transactions philosoph. n °. 48. Plus récemment encore, Bottone Leontini a mis au jour l'exacte topographie de cette montagne & de ses volcans.

Le mont Hecla en Islande a quelquefois des éruptions aussi violentes que celles du mont Gibel. Mais le Vésuve est un fourneau de feu si célebre par ses terribles incendies, qu'il mérite un article à part. Voyez donc VESUVE, éruptions du (Hist. nat. des volcans). Voyez aussi VESUVE.

Il résulte de ce détail, qu'on trouve des volcans dans toutes les parties du monde, & dans les contrées les plus froides comme dans les pays les plus chauds. Il y a des volcans qui n'ont pas toujours existé, & d'autres qui ne subsistent plus. Par exemple, celui de l'île Queimoda sur la côte du Brésil, à quelque distance de l'embouchure de Rio de la Plata, a cessé de jetter du feu & des flammes. Il en est de même des montagnes de Congo & d'Angola. Celles des Açores, sur-tout de l'île de Tercere, brûloient anciennement dans différens lieux, & ne jettent à-présent que de tems à autre de la fumée & des vapeurs.

Les îles de sainte Hélene & de l'Ascension, produisent une terre qui paroît composée de cendres, de scories, & de charbon de terre à-demi brûlé. De plus, comme on trouve dans ces îles, aussi bien qu'aux Açores, des terres sulfureuses, & des scories semblables au mâchefer, qui sont fort propres à s'enflammer, il ne seroit pas étonnant qu'il s'élevât dans la suite des volcans nouveaux dans ces îles ; car la cause de ces montagnes brûlantes n'est autre chose qu'une matiere sulfureuse & bitumineuse mise en feu.

Les Physiciens pensent que les tremblemens de terre & les volcans dépendent d'une même cause, savoir de terreins qui contiennent beaucoup de soufre & de nitre, qui s'allument par la vapeur inflammable des pyrites, ou par une fermentation de vapeurs portées à un degré de chaleur égal à celle du feu & de la flamme. Les volcans sont autant de soupiraux qui servent à la sortie des matieres sulfureuses sublimées par les pyrites. Quand la structure des parties intérieures de la terre, est telle que le feu peut passer librement hors de ces cavernes, il en sort de tems en tems avec facilité & sans secouer la terre. Mais quand cette communication n'est pas libre, ou que les passages ne sont pas assez ouverts, le feu ne pouvant parvenir aux soupiraux, ébranle la terre jusqu'à ce qu'il se soit fait un passage à l'ouverture du volcan, par laquelle il sort tout en flamme avec beaucoup de violence & de bruit, jettant au loin & au large des pierres, des cendres chaudes, des fumées noires, & des laves de soufre & de bitume. (D.J.)


VOLCELESYterme de Chasse, que l'on doit dire quand on revoit la bête fauve qui va fuyant, ce qui se connoît quand elle ouvre les quatre piés.


VOLCEou VOLSCES, Volcae, (Hist. anc.) peuple de la Gaule méridionale, qui habitoit avant que les Romains en fissent la conquête, le pays qui est entre les Pyrénées & Toulouse, c'est-à-dire la province que l'on nomme aujourd'hui Languedoc. On les divisoit en Volces Tectosages & Volces arécomiques. Ces derniers occupoient la partie de ce pays, qui est sur les bords du Rhône, où se trouve maintenant la ville de Nîmes. Voyez VOLCAE.


VOLCI(Géogr. anc.) ville d'Italie, dans l'Etrurie. Ptolémée, l. III. c. j. la marque dans les terres. Ses habitans sont appellés Volcentini par Pline, l. III. cap. v. qui les surnomme Etrusci ; il ajoute qu'ils avoient donné leur nom à la ville Cossa qui étoit dans leur territoire, & qu'on appelloit Cossa Volcientium. Dans les premiers tems, au-lieu de Volci & de Volcentini, on écrivoit Vulci & Vulcientes, comme on le voit dans la table des triomphes du capitole, où on lit : De Vulsiniensibus, & Vulcientibus. (D.J.)


VOLCIANI(Géog. anc.) peuples de l'Espagne tarragonoise, connus principalement par la réponse vigoureuse qu'ils firent aux ambassadeurs romains, lorsque ceux-ci les solliciterent de renoncer à l'alliance des Carthaginois. On croit que leur ville est aujourd'hui Villa-Dolce, au royaume d'Aragon. Selon les archives du pays, Villa-Dolce se nommoit autrefois Volce. Il seroit heureux que ce rapport de nom nous fît retrouver une ville, ou du-moins la demeure d'un peuple que les anciens géographes ont ignoré ou négligé, & dont la mémoire néanmoins méritoit bien d'être transmise à la postérité, par la part qu'ils eurent à la résolution que les Espagnols prirent de préférer l'alliance des Carthaginois à celle des Romains. (D.J.)


VOLCKMARK(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, au cercle d'Autriche, dans la basse Carinthie, sur la rive gauche de la Drave. Cellarius conjecture que c'est la Virunum des anciens. (D.J.)


VOLEfaire la, (Jeu de cartes) c'est faire toutes les levées seul ; & au quadrille, quand on joue le sans-prendre, ou avec l'ami, quand on a appellé un roi.


VOLÉES. f. (Art militaire) c'est la partie du canon depuis les tourillons jusqu'à la bouche. Voyez CANON. (Q)

VOLEE DE CANON, (Art militaire) est une décharge de plusieurs pieces qu'on tire sur l'ennemi, ou dans une place pour saluer quelqu'officier général. Voyez SALUT. (Q)

VOLEE, terme de Charron ; c'est une piece de bois ronde, de la longueur de quatre piés, placée à demeure sur les erremonts, & qui sert à attacher à ses deux extrêmités les paloniers. Voyez la fig. Pl. du Charron.

VOLEE, (Jardin.) c'est le nom qu'on donne au travail de plusieurs hommes rangés de front, qui battent une allée de jardin, sur la longueur en même tems. Ainsi on dit qu'une allée a été battue à deux, à trois, quatre, &c. volées, c'est-à-dire autant de fois dans toute son étendue. (D.J.)

VOLEE, (Maréchal.) se dit des chevaux qu'on met au-devant des autres, quand il y en a plusieurs rangs, pour tirer plus vîte une voiture. Ces chevaux sont plus propres à la volée, & ceux-ci au timon. Voyez TIMON.

On appelle encore de ce nom plusieurs pieces de bois de traverse auxquelles on attelle les chevaux de carrosse. Il y a la volée de devant & la volée de derriere.

VOLEE, terme de Paumier, qui signifie le tems qu'une balle est en l'air, depuis qu'elle a été frappée par la raquette jusqu'à ce qu'elle tombe à terre. Ainsi prendre une balle à la volée, c'est la prendre en l'air avant qu'elle ait touché la terre. Les coups de volée sont plus brillans que ceux où on prend la balle au bond.

VOLEE, terme de Pêche ; sorte de ret propre à faire la pêche ou chasse des oiseaux de mer.

Les pêcheurs riverains du village de Marais, lieu dans le ressort de l'amirauté de Quillebeuf, qui font à la côte, pendant l'hiver, la pêche des oiseaux marins, placent pour cet effet de hautes perches où ils amarrent des filets, à-peu-près établis comme ceux des passées pour prendre les bécasses ; ils les nomment volets ou volées, les mailles en ont six pouces & demi à sept pouces en quarré ; comme le filet est libre & volant, les oiseaux les plus gros & les plus petits y demeurent pris également.

Lorsque les nuits sont noires, obscures, la marée qui monte avec une grande rapidité dans cette partie de l'embouchure de la riviere, où elle forme par sa précipitation la barre que l'on nomme de quilleboeuf, & où elle tombe avec le plus de violence, elle amene en même tems avec elle un grand nombre d'oiseaux de mer, & plus les froids sont grands, plus elle en amene ; ce sont ordinairement des oies, des canards & autres semblables especes qui suivent le flot, qui se retirent souvent avec le reflux, & qui se trouvent pris dans ces pêcheries. Voyez la fig. 1. Pl. XV. de Pêche.


VOLERv. neut. c'est le mouvement progressif que fait en plein air un oiseau, ou tout autre animal qui a des aîles. Voyez VOL & OISEAU.

Le voler est naturel ou artificiel.

Le voler naturel est celui qui s'exécute par l'assemblage & la structure des parties que la nature a destinées à cette action : telle est la conformation de la plûpart des oiseaux, des insectes & de quelques poissons.

En Virginie & dans la nouvelle Angleterre il y a aussi des cerfs volans. Trans. philosoph. n °. 127. En 1685, dans plusieurs contrées du Languedoc, la terre fut couverte de sauterelles volantes, longues d'environ un pouce, & en si grand nombre, qu'en quelques endroits il y en avoit l'épaisseur de quatre pouces ou d'un tiers de pié. Ibid. n °. 182.

Les parties des oiseaux qui servent principalement à voler, sont les aîles & la queue : par le moyen des aîles l'oiseau se soutient & se conduit en long, & la queue lui sert à monter, à descendre, à tenir son corps droit & en équilibre, & à le garantir des vacillations. Voyez AILE & QUEUE.

C'est la grandeur & la force des muscles pectoraux, qui rendent les oiseaux si propres à voler vîte, ferme & long-tems.

Ces muscles, qui sont à peine dans les hommes une soixante & dixieme partie des muscles du corps, surpassent en grandeur & en poids tous les autres muscles pris ensemble dans les oiseaux : sur quoi M. Willoughby fait cette réflexion, que s'il est possible à l'homme de voler, il faut qu'il imagine des aîles, & qu'il les ajuste de maniere qu'il les fasse agir avec ses jambes, & non pas avec ses bras. Voyez MUSCLE PECTORAL.

Voici comment se fait le vol des oiseaux : d'abord l'oiseau plie les jambes, & il pousse avec violence la place d'où il s'éleve ; il ouvre alors ou il déploie les articulations ou les jointures de ses aîles, de maniere qu'elles fassent une ligne droite, perpendiculaire aux côtés de son corps. Ainsi, comme les aîles avec leurs plumes forment une lame continue, ces aîles étant alors élevées un peu au-dessus de l'horison, l'oiseau leur faisant faire des battemens ou des vibrations avec force & prestesse, qui agissent perpendiculairement contre l'air qui est dessous, quoique cet air soit un fluide, il résiste à ces secousses, tant par son inactivité naturelle, que par son ressort ou son elasticité, qui le rétablit dans son premier état, après qu'il a été comprimé, & sa réaction est égale à l'action que l'on a exercée sur lui : par cette méchanique le corps de l'oiseau se trouve poussé. L'industrie ou la sagacité de la nature est fort remarquable dans la maniere avec laquelle il étend & remue ses aîles quand il les fait agir ; pour le faire directement & perpendiculairement, il eût fallu surmonter une grande résistance ; afin d'éviter cet inconvénient, la partie osseuse, ou la bande de l'aîle, dans laquelle les plumes sont insérées, se meut obliquement ou de biais par sa tranche antérieure ; les plumes suivent cette disposition, en forme de pavillon.

Quoique l'air soit indifférent pour toutes sortes de mouvemens, & qu'il puisse être agité par la moindre action, l'expérience néanmoins fait voir qu'il résiste avec plus de force au mouvement d'un coup à-proportion que ce même corps se meut plus vîte. Il y a diverses causes de cette résistance, & qui marquent comment le mouvement des aîles peut être affoibli ; la premiere vient de ce que l'air des côtés est en repos, tandis que celui qui est poussé doit se mouvoir comme tous les autres corps fluides ; mais afin qu'il n'y ait que fort peu d'air qui se meuve & qui change de place, il est nécessaire qu'il se meuve circulairement autour de toute la masse d'air qui est en repos, comme s'il étoit enfermé dans un vase, quoique ce mouvement des parties de l'air ne se fasse point de résistance, ni sans que ces mêmes parties de l'air, & celles qui tournent en rond, se pressent mutuellement ensemble.

La seconde raison qui fait encore voir que le mouvement des aîles est retardé, est que tout air agité résiste au battement de l'aîle, & que les petites parties de l'air étant ainsi comprimées par cette impulsion font effort pour se dilater : c'est pourquoi la résistance de l'air & ce mouvement de l'aîle pourront être en équilibre pourvu que la force avec laquelle l'aîle frappe l'air soit égale à sa résistance.

Si l'aîle de l'oiseau se meut avec une vîtesse égale à la résistance de l'air, ou bien si l'air cede avec autant de vîtesse que les aîles le poussent, l'oiseau demeurera dans la même situation sans monter ni descendre, parce qu'il ne s'éleve que lorsque ces aîles en frappant l'air se fléchissent. Mais au-contraire si l'aîle se meut plus vîte que l'air qui est au-dessous, l'oiseau monte, & ne demeure plus alors à la même place, parce que l'arc que son aîle décrit par son mouvement sera plus grand que l'espace que parcourt l'air qui descend.

Supposons que l'oiseau soit en l'air, & qu'il ait les aîles étendues & le ventre en-bas, & que le vent pousse le dessous des aîles perpendiculaires, de sorte que l'oiseau soit soutenu en l'air, pour lors il volera horisontalement, parce que les aîles étant toujours étendues résistent par leur dureté & l'effort des muscles à l'effort du vent ; mais si toute la largeur de l'aîle cede à l'impulsion du vent, à cause qu'elle peut aisément tourner dans la cavité de l'omoplate, c'est une nécessité que les bouts des plumes des aîles s'approchent l'une de l'autre pour former un coin, dont la pointe sera en-haut, & les plans de ce coin seront comprimés de tous côtés par le vent, ensorte qu'il soit chassé vers sa base, parce qu'il ne sauroit avancer, s'il n'entraîne le corps de l'oiseau qui lui est attaché, il s'ensuit qu'il doit faire place à l'air, c'est pourquoi l'oiseau volera de côté par un mouvement horisontal.

Supposons présentement que l'air de-dessous soit en repos, & que l'oiseau le frappe avec ses aîles par un mouvement perpendiculaire ; les plumes des aîles formeront un coin dont la pointe sera tournée vers la queue ; mais il faut remarquer que les aîles seront également comprimées par l'air, soit qu'elles le frappent à-plomb avec beaucoup de force, ou qu'étant étendues elles ne fassent que recevoir l'agitation du vent.

Quoique la nature ait fait le vol non-seulement pour élever les oiseaux en-haut & les tenir suspendus, mais aussi pour les faire voler horisontalement, néanmoins ils ne peuvent s'élever qu'en faisant plusieurs sauts de-suite, & en battant des aîles pour s'empêcher de descendre, & quand ils sont élevés, ils ne peuvent encore se soutenir en l'air qu'en frappant à-plomb de leurs aîles, parce que ce sont des corps pesans qui tendent en-bas.

A l'égard du mouvement transversal des oiseaux, il y en a qui croyent qu'il se fait de la même maniere qu'un vaisseau est poussé en-devant par les rames horisontalement agitées vers la poupe, & que les aîles s'élancent vers la queue par un mouvement horisontal en rencontrant l'air qui est en repos ; mais cela répugne à l'expérience & à la raison ; car on voit par exemple, que les cignes, les oies, & tous les grands oiseaux lorsqu'ils volent ne portent point leurs aîles vers la queue horisontalement, mais qu'ils les fléchissent en-bas, en décrivant seulement des cercles perpendiculaires. Il faut pourtant remarquer que le mouvement horisontal des rames se peut facilement faire, & que celui des aîles des oiseaux seroit fort difficile, & même désavantageux, puisqu'il empêcheroit le vol, & causeroit la chûte de l'oiseau, qui doit frapper l'air à plomb par des continuels battemens. Mais la nature pour soutenir l'oiseau & le pousser horisontalement, lui fait frapper cet air presque perpendiculairement par des petits coups obliques, qui dépend de la seule flexion de ses plumes.

Les anciens philosophes ont dit que la queue faisoit dans les oiseaux ce que le gouvernail fait dans le navire ; & comme le navire peut être retourné à droite & à gauche par le gouvernail, ils se sont imaginés que les oiseaux en volant ne tournoient à droite & à gauche que par le mouvement de la queue ; la raison & l'expérience font connoître la fausseté de cette opinion, puisque les pigeons, les hirondelles & les éperviers en volant se tournent à droite & à gauche, sans étendre leur queue & sans la fléchir d'aucun côté, & que les pigeons à qui on a coupé la queue, & les chauve-souris qui n'en ont point, ne laissent pas de voler en tournant facilement à droite & à gauche. Cependant il ne faut pourtant pas nier que la queue ne fasse l'office du gouvernail, pour faire monter & descendre les oiseaux, puisqu'il est certain que si un oiseau, lorsqu'il vole horisontalement, éleve sa queue en haut & la tienne étendue, il ne trouvera point d'empêchement du côté du ventre, mais seulement du côté du dos, parce que l'air qui rencontre sa queue élevée & étendue, fait effort pour la baisser ; mais les muscles la retenant dans cet état, il faut que l'oiseau qui est en équilibre au milieu de l'air, change de situation. Il en est de même de l'oiseau dont la queue est abaissée lorsqu'il vole horisontalement ; elle doit frapper l'air & s'élever en haut, pour se mouvoir autour du centre de pesanteur, & pour lors la tête de l'oiseau se baisse. Voici un exemple qui va confirmer cette vérité. Qu'on mette une lame de fer dans un vaisseau plein d'eau, & qu'elle soit attachée avec un fil par son centre de pesanteur, afin qu'elle se puisse mouvoir horisontalement, & qu'il y ait par derriere une autre petite lame semblable à la queue d'un oiseau ; si on la fléchit en-haut en tirant le fil horisontalement, la premiere lame à laquelle ce fil est attaché, montera en tournant fort vîte autour du centre sans se mouvoir horisontalement à droite ni à gauche ; l'expérience fait voir qu'un petit gouvernail qu'on tourne du côté gauche, peut faire mouvoir lentement de ce même côté un grand vaisseau quand il est poussé en droite ligne ; mais lorsque ce vaisseau est en repos, & qu'il n'est point poussé par le vent ni par les rames, la flexion du gouvernail ne le fait point tourner de côté. Au contraire quand on a ôté le gouvernail, si l'on meut les rames du côté droit en poussant l'eau vers la poupe, soit que le vaisseau soit en repos ou qu'il soit poussé en ligne droite, la proue tournera toujours fort promtement du côté gauche. La même chose arrivera encore, si les rames du côté droit poussent l'eau en-arriere avec plus de vîtesse que celles qui sont à gauche.

La cause de cet effet est si évidente qu'elle n'a pas besoin d'explication. Il en est de même d'un oiseau qui vole ; s'il fléchit l'aîle droite, en poussant l'air vers la queue, il faut qu'il se meuve du même côté, c'est-à-dire que la partie antérieure de l'oiseau se détourne à gauche. La même chose arrive en nageant ; car si l'on fléchit le bras droit, que l'on approche la main vers les fesses, on tourne à gauche. On remarque aussi que quand les pigeons veulent se détourner à gauche, ils élevent plus haut l'aîle droite, & qu'ils poussent l'air avec plus de force vers la queue par un mouvement oblique, ce qui fait que l'épaule & le droit de l'oiseau se levent sur le plan horisontal, & qu'en même tems le gauche se baisse, parce que sa pesanteur n'est pas soutenue d'un aussi grand effort que la partie droite est élevée sur l'horison ; ce mouvement horisontal de l'oiseau se fait fort vîte.

Lorsque l'oiseau se meut dans l'air selon sa longueur, & qu'il fléchit la tête & le cou du côté gauche, le centre de pesanteur de la tête & du cou est transporté en même tems ; ainsi il est certain que le centre de pesanteur de tout l'oiseau s'éloigne de la ligne droite, en retenant néanmoins l'impression qu'il a reçue de la queue vers la tête ; c'est de ces deux mouvemens que se fait le transversal. Quoique le vaisseau dont nous avons rapporté l'exemple, puisse être tourné à droite & à gauche par les rames & par le gouvernail, & que ce ne soit pas tant la force du gouvernail qui agit, que l'impétuosité que le vaisseau a acquise par la résistance de l'eau qui rencontre le gouvernail ; l'oiseau cependant ne se tourne pas dans son vol horisontal par la flexion latérale du cou & de la tête ; car si la flexion latérale du cou faisoit l'office du gouvernail, l'oiseau iroit, comme le vaisseau, à droite & à gauche ; & si le cou se haussoit ou s'abaissoit, l'oiseau descendroit ou monteroit, & ainsi la queue n'auroit aucun usage.

Mais une raison plus convainquante, & qui prouve infailliblement que la flexion du cou n'est pas la cause du détour de l'oiseau dans le vol horisontal, c'est que les oiseaux qui auroient le cou fort court & la tête petite & légere, comme les aigles, les éperviers & les hirondelles, ne pourroient se tourner qu'avec peine ; mais le contraire arrive, puisque les oies, les cannes, les cignes & les autres oiseaux qui ont le cou fort long, & la tête & le bec fort pesans, ont bien plus de peine à se tourner de côté lorsqu'ils volent horisontalement.

La derniere raison est que si dans la flexion latérale du cou, le centre de pesanteur s'éloignoit de la direction de l'oiseau, il ne pourroit demeurer dans une situation droite parallele à l'horison, parce que le côté de l'oiseau étant pressé par l'aîle, devroit se soulever avec violence ; & ainsi se feroit un mouvement contraire au premier, qui empécheroit la flexion qui est faite par l'éloignement du centre de pesanteur ; & quoiqu'on nous puisse dire que l'oiseau qui se détourne promtement, fait ce mouvement par l'effort d'une seule aîle vers la queue, & que lorsqu'il vole doucement, il le fait au contraire en fléchissant le cou de côté sans un nouvel effort de l'aîle, nous voyons pourtant que le détour de l'oiseau, lorsqu'il est lent, n'a pas besoin de plus de force qu'il n'en faut pour mouvoir les aîles dans le vol ordinaire, puisqu'il suffit que l'aîle qui fait détourner l'oiseau, s'approche un peu de la queue, & qu'elle y pousse l'air, afin que le détour latéral de l'oiseau, lorsqu'il est lent, se puisse faire facilement sans aucun nouvel effort.

Par tout ce que nous avons dit ci-dessus, il est certain que l'oiseau acquiert en volant, une impétuosité qui le pousse, de même que le vaisseau qui a été poussé par les rames reçoit une impression qui dure quelque tems, même après que l'action des rames a cessé ; mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que l'impétuosité du vaisseau reste toujours la même, quoique sa direction soit changée, c'est-à-dire, quoiqu'il s'écarte de la ligne droite par le mouvement du gouvernail, & que l'impression que l'oiseau a acquise par son mouvement, continue quand sa direction change, à moins que l'oiseau ne monte, parce qu'alors sa pesanteur lui fait obstacle ; & si l'effort que l'oiseau a acquis en montant, est plus grand que celui qui le fait descendre, il continue encore de monter ; mais lorsque ses deux efforts sont égaux, savoir l'impétuosité que l'oiseau a acquise, & sa pesanteur qui le fait descendre, il demeure un peu de tems les aîles étendues dans la même ligne horisontale.

Et la raison pourquoi il ne peut pas demeurer longtems dans cette situation, c'est que le vol ne se fait jamais par une ligne perpendiculaire, mais toujours par un mouvement oblique ou par une ligne courbe parabolique, comme se meuvent les corps qui sont poussés au loin. Lorsque ces deux efforts dont je viens de parler, sont égaux, il arrive quelquefois qu'ils se détruisent l'un l'autre, & quelquefois aussi qu'ils s'aident si mutuellement, que des deux il en résulte un mouvement très-promt, comme celui avec lequel les éperviers se jettent sur leur proie pour la dévorer.

Il y en a qui veulent que les oiseaux qui sont fort élevés dans l'air, se soutiennent plus aisément que ceux qui volent proche de la terre, & qu'ils pesent moins alors, parce qu'ils sont moins attirés par la vertu magnétique de la terre, qui selon leur hypothèse, est la seule cause de la descente des corps pesans : ce qu'ils prouvent, parce que l'aimant n'attire point le fer lorsqu'il est trop éloigné. Mais cette opinion qui attribue la chûte des corps pesans à la vertu magnétique de la terre, s'accorde peu avec l'expérience, puisqu'on voit que les éperviers qui volent proche de la terre où, selon eux, il y a beaucoup de cette matiere, ne frappent pas l'air plus souvent que quand ils volent plus haut. Ce n'est donc pas par défaut de la vertu magnétique, que les oiseaux demeurent suspendus au plus haut de l'air sans battre souvent des aîles, mais plutôt par la force qu'ils ont acquis en volant.

Comme c'est une loi de la nature, qu'un corps dur qui rencontre un autre corps homogene en repos, se réflechit, & souvent se rompt, elle a pris soin d'empêcher que les oiseaux qui sont des corps pesans, ne se luxassent les jointures, & ne se rompissent les jambes en descendant sur la terre, & pour cet effet, elle leur a donné l'instinct de ployer leurs aîles & leurs queues ; de maniere que leur partie cave fût perpendiculaire : ce qui fait que les oiseaux ayant ainsi les plumes & les piés étendus, ralentissent aisément leur impétuosité en flechissant doucement les jointures, & en relachant leurs muscles quand ils veulent descendre sur la terre.

On pourroit demander ici si les hommes peuvent voler. Il y a trois choses à remarquer dans le vol, savoir, la force qui suspend en l'air le corps de l'animal, les instrumens propres qui sont les aîles, & enfin la résistance du corps. Mais afin que les hommes pussent voler, il faudroit outre ces conditions, qu'il y eût encore la même proportion entre la force des muscles pectoraux dans l'homme, & la pesanteur de son corps, que celle qui se trouve entre la force des muscles & la pesanteur du corps dans les oiseaux. Or il est certain que cette proportion ne se trouve point dans les hommes de même que dans les oiseaux ; puisque les muscles des hommes n'égalent pas la centieme partie de leur corps, & que dans les oiseaux au contraire la pesanteur des muscles flechisseurs des aîles est égale à la sixieme partie du poids de tout leur corps : donc les hommes ne peuvent voler.

Ceux qui soutiennent le contraire disent qu'il est aisé de trouver cette proportion, & que l'on peut par artifice diminuer la pesanteur des corps, & augmenter la force des muscles ; mais je leur répons que l'un & l'autre sont impossibles, & qu'il n'y a point de machine qui puisse surmonter la résistance du poids, ni même élever le corps de l'homme avec la même vîtesse que font les muscles pectoraux.

Il y a cependant quelques modernes qui ont pris delà occasion de dire que le corps de l'homme pourroit être en équilibre dans l'air, en y ajoutant un grand vase. Il est aisé de faire voir qu'ils se trompent ; 1°. parce qu'on ne sauroit fabriquer une machine si mince qui pût résister à la forte impulsion de l'air sans être brisée ; 2°. il faudroit qu'on en eût pompé l'air, ce qui deviendroit extrêmement difficile ; 3°. ce vaisseau devroit être fort grand, pour que l'espace qu'il occuperoit dans l'air pesât autant que l'homme & le vaisseau. Enfin il faut remarquer que ce vaisseau auroit autant de peine, à cause de la résistance de l'air, que les petites bouteilles qu'on fait avec de l'eau de savon, ou les petites plumes qui volent en l'air en ont, à cause de sa tranquillité. Verduc, t. III. de la patholog.

VOLER, signifie prendre ou poursuivre le gibier avec des oiseaux de proie.

Un des plaisirs des grands seigneurs, c'est de faire voler l'oiseau, le lâcher sur le gibier.

Voler à la toise, c'est lorsque l'oiseau part du poing à tire d'aîle poursuivant la perdrix au courir qu'elle fait de terre.

Voler de poing en fort, c'est quand on jette les oiseaux de poing après le gibier.

Voler d'amont, c'est quand on laisse voler les oiseaux en liberté, afin qu'ils soutiennent les chiens.

Voler haut & gras, bas & maigre, voler de bon trait, c'est-à-dire de bon gré.

Voler en troupe, c'est quand on jette plusieurs oiseaux à la fois.

Voler en rond, c'est quand un oiseau vole en tournant au-dessus de la proie.

Voler en long, c'est voler en droite ligne, ce qui arrive lorsque l'oiseau a envie de dérober ses sonnettes.

Voler en pointe, c'est lorsque l'oiseau de proie va d'un vol rapide en se levant ou en s'abaissant.

Voler comme un trait, c'est lorsqu'un oiseau vole sans discontinuer.

Voler à reprises, c'est lorsqu'un oiseau se reprend plusieurs fois à voler.

Voler en coupant, c'est lorsque l'oiseau traverse le vent.


VOLERIES. f. c'est la chasse avec les oiseaux de proie ; on dit, il a la haute volerie, qui est celle du faucon sur le héron, canards, grues, & le gerfaut sur le sacre & le milan.

La basse volerie de bas vol, est le lanier & le laneret ; le tiercelet de faucon exerce la basse volerie ou des champs sur les faisans, les perdrix, les cailles, &c.


VOLETS. m. (Marine) petite boussole ou compas de route, qui n'est point suspendue sur un balancier, comme la boussole ordinaire, & dont on se sert sur les barques & sur les chaloupes.

VOLETS, s. m. pl. (Menuiser.) fermeture de bois sur les chassis par-dedans les fenêtres. Ce sont comme des petites portes aux fenêtres, de même longueur, de même largeur & de même hauteur que le vitrage. Il y a des volets brisés, & des volets séparément ; ceux-là se plient sur l'écoinçon, ou se doublent sur l'embrasure ; & ceux-ci ont des moulures devant & derriere.

Volets d'orgues. Espece de grands chassis, partie ceintrés par leur plan, & partie droits, & garnis de légers panneaux de volice ou de forte toile imprimée des deux côtés, qui servent à couvrir les tuyaux d'un buffet d'orgue.

Volets de moulins à eau ; ce sont des planches arrangées autour de l'aissieu d'une roue de moulin à eau, sur lesquelles l'eau faisant effort, en coulant par-dessous, ou en tombant par-dessus, donne le mouvement à la roue. On les nomme autrement aîlerons & alichons. (D.J.)

VOLET, (Econ. rustique) petit colombier bourgeois & domestique où l'on nourrit des pigeons qui ne sortent point ; il y a au-dehors une petite ouverture que l'on tient fermée avec un ais.

VOLET, s. m. (terme de Blason) c'est un ornement que les anciens chevaliers portoient sur leurs heaumes, qui étoit un ruban large pendant par derriere, volant au gré du vent dans leurs marches & leurs combats ; il s'attachoit avec le bourlet ou tortil, dont leur casque étoit couvert. (D.J.)

VOLET, s. m. (orig. des Proverb.) on a nommé volet le couvercle d'un pot ou de quelqu'autre vase où l'on serroit des pois ou autres légumes : témoin l'enseigne des trois volets, hôtellerie fort connue sur la levée de la Loire, où l'on voyoit trois couvercles de pot d'or. Delà est venue cette façon de parler proverbiale, trié sur le volet, parce qu'avant que de mettre bouillir les pois qu'on tiroit du pot où on les gardoit, on les trioit & on les épluchoit sur le couvercle ou volet ; Pétrone a dit, in lance argentea pisum purgabat.

On nomme aussi volet en Normandie, une sorte de ruban, parce que les filles en ornoient les voiles dont elles paroient leur tête. De volet, est venu le nom de bavolet, qu'on dit pour bas-voilet, & de-là on appella bavolettes les jeunes paysannes coëffées de ces voiles, qui descendoient plus bas que ceux des autres. (D.J.)


VOLETTESS. f. (terme de Chanvrier) ce sont plusieurs rangs de petites cordes qui tiennent toutes chacune par un bout à une sorte de sangle large, ou à une maniere de couverture de réseau de chanvre : lorsque ces petites cordes sont attachées à une sangle, on les met le long des flancs du cheval, & lorsqu'elles bordent une maniere de couverture de réseau, on met cette couverture sur le dos du cheval de harnois ou de carrosse ; quand il vient à marcher, ces volettes brandillent, & servent ainsi à chasser les mouches qui, dans l'été, incommodent extrêmement les chevaux. (D.J.)


VOLEUR(Droit civil) le voleur est puni différemment chez les divers peuples de l'Europe. La loi françoise condamne à mort, & celle des Romains les condamnoit à une peine pécuniaire, distinguant même le vol en manifeste & non - manifeste. Lorsque le voleur étoit surpris avec la chose volée, avant qu'il l'eut portée dans le lieu où il avoit résolu de la cacher ; cela s'appelloit chez les Romains, un vol manifeste, quand le voleur n'étoit découvert qu'après, c'étoit un vol non manifeste.

La loi des douze tables ordonnoit que le voleur manifeste fût battu de verges, & réduit en servitude, s'il étoit pubere, ou seulement battu de verges, s'il étoit impubere ; elle ne condamnoit le voleur non-manifeste qu'au payement du double de la chose volée. Lorsque la loi Porcia eût aboli l'usage de battre de verges les citoyens, & de les réduire en servitude, le voleur manifeste fut condamné au quadruple, & on continua à punir du double le voleur non-manifeste.

Il paroît bizarre que ces loix missent une telle différence dans la qualité de ces deux crimes, & dans la peine qu'elles infligeoient : en effet, que le voleur fût surpris avant ou après avoir porté le vol dans le lieu de sa destination ; c'étoit une circonstance qui ne changeoit point la nature du crime.

M. de Montesquieu ne s'est pas contenté de faire cette remarque, il a découvert l'origine de cette différence des loix romaines, c'est que toute leur théorie sur le vol, étoit tirée des constitutions de Lacédémone. Lycurgue, dans la vue de donner à ses citoyens de l'adresse, de la ruse & de l'activité, voulut qu'on exerçât les enfans au larcin, & qu'on fouettât ceux qui s'y laisseroient surprendre : cela établit chez les Grecs, & ensuite chez les Romains, une grande différence entre le vol manifeste & le vol non - manifeste.

Parmi nous les voleurs souffrent une peine capitale, & cette peine n'est pas juste. Les voleurs qui ne tuent point, ne méritent point la mort, parce qu'il n'y a aucune porportion entre un effet quelquefois très-modique qu'ils auront dérobé, & la vie qu'on leur ôte. On les sacrifie, dit-on, à la sûreté publique. Employez-les comme forçats à des travaux utiles : la perte de leur liberté, plus ou moins long-tems, les punira assez rigoureusement de leur faute, assurera suffisamment la tranquillité publique, tournera en même tems au bien de l'état, & vous éviterez le reproche d'une injuste inhumanité. Mais il a plû aux hommes de regarder un voleur comme un homme impardonnable, par la raison sans doute que l'argent est le dieu du monde, & qu'on n'a communément rien de plus cher après la vie que l'intérêt. (D.J.)

Maraudeur, (Art militaire) on appelle maraudeurs les soldats qui s'éloignent du corps de l'armée, pour aller piller dans les environs. De la maraude naissent les plus grands abus, & les suites les plus fâcheuses. 1°. Elle entraîne après elle l'esprit d'indiscipline qui fait négliger ses devoirs au soldat, & le conduit à mépriser les ordres de ses supérieurs. 2°. Les maraudeurs en portant l'épouvante dans l'esprit des paysans détruisent la confiance que le général cherche à leur inspirer ; malheureuses victimes du brigandage ! aulieu d'apporter des provisions dans les camps, ils cachent, ils enterrent leurs denrées, ou même ils les livrent aux flammes pour qu'elles ne deviennent pas la proie du barbare soldat. 3°. Enfin les dégâts que font les maraudeurs, épuisent le pays. Un général compte pouvoir faire subsister son armée pendant quinze jours dans un camp, il le prend en conséquence ; & au bout de huit, il se trouve que tout est dévasté ; il est donc obligé d'abandonner plus tôt qu'il ne le vouloit, une position peut-être essentielle à la réussite de ses projets ; il porte ailleurs son armée, & les mêmes inconvéniens la suivent. Nécessairement il arrive de - là que tout son plan de campagne est dérangé ; il avoit tout prévu, le tems de ses opérations étoit fixé, le moment d'agir étoit déterminé, il ne lui restoit plus qu'à exécuter, lorsqu'il s'est apperçu que toutes ses vues étoient renversées par les désordres des maraudeurs qu'il avoit espéré d'arrêter. Il faut à présent que le général dépende des événemens, au-lieu qu'il les eût fait dépendre de lui. Il n'est plus sûr de rien ; comment pourroit-il encore compter sur des succès ? On s'étendroit aisément davantage sur les maux infinis que produit la maraude ; mais l'esquisse que nous venons de tracer, suffit pour engager les officiers à veiller sur leur troupe avec une attention scrupuleuse. Cependant l'humanité demande qu'on leur présente un tableau qui parlant directement à leur coeur, fera sans-doute sur lui l'impression la plus vive. Qu'ils se peignent la situation cruelle où se trouvent réduits les infortunés habitans des campagnes ruinées par la guerre ; que leur imagination les transporte dans ces maisons dévastées que le chaume couvroit, & que le désespoir habite ; ils y verront l'empreinte de la plus affreuse misere, leurs coeurs seront émus par les larmes d'une famille que les contributions ont jettée dans l'état le plus déplorable ; ils seront témoins du retour de ces paysans qui, la tristesse sur le front, reviennent exténués par la fatigue que leur ont causé les travaux que, par nécessité, on leur impose ; qu'ils se retracent seulement ce qui s'est passé sous leurs yeux. Ils ont conduit des fourrageurs dans les granges des malheureux laboureurs. Ils les ont vu dépouiller en un moment les fruits d'une année de travail & de sueurs ; les grains qui devoient les nourrir, les denrées qu'ils avoient recueillies leur ont été ravis. On les a non-seulement privés de leur subsistance actuelle, mais toute espece de ressources est anéantie pour eux. N'ayant plus de nourriture à donner à leurs troupeaux, il faut qu'ils s'en défassent, & qu'ils perdent le secours qu'ils en pouvoient tirer ; les moyens de cultiver leurs terres leur sont ôtés ; tout est perdu pour eux, tout leur est arraché : il ne leur reste pour soutenir la caducité d'un pere trop vieux pour travailler lui-même, pour nourrir une femme éplorée & des enfans encore foibles ; il ne leur reste que des bras languissans, qu'ils n'auront même pas la consolation de pouvoir employer à leur profit pendant que la guerre subsistera autour d'eux. Cette peinture, dont on n'a pas cherché à charger les couleurs, est sans-doute capable d'attendrir, si l'on n'est pas dépourvu de sensibilité ; mais comment ne gémiroit-elle pas cette sensibilité en songeant que des hommes livrés à tant de maux sont encore accablés par les horribles désordres que commettent chez eux des soldats effrénés, qui viennent leur enlever les grossiers alimens qui leur restoient pour subsister quelques jours encore ? Leur argent, leurs habits, leurs effets, tout est volé, tout est détruit. Leurs femmes & leurs filles sont violées à leurs yeux. On les frappe, on menace leur vie, enfin ils sont en bute à tous les excès de la brutalité, qui se flatte que ses fureurs seront ignorées ou impunies. Malheur à ceux qui savent que de pareilles horreurs existent, sans chercher à les empêcher !

Les moyens d'arrêter ces désordres doivent être simples & conformes à l'esprit de la nation dont les troupes sont composées. M. le maréchal de Saxe en indique de sages, dont il prouve la bonté par des raisons solides. " On a, dit - il, une méthode pernicieuse, qui est de toujours punir de mort un soldat qui est pris en maraude ; cela fait que personne ne les arrête, parce que chacun répugne à faire périr un misérable. Si on le menoit simplement au prevôt ; qu'il y eût une chaîne comme aux galeres ; que les maraudeurs fussent condamnés au pain & à l'eau pour un, deux ou trois mois ; qu'on leur fit faire les ouvrages qui se trouvent toujours à faire dans une armée, & qu'on les renvoyât à leur régiment la veille d'une affaire, ou lorsque le général le jugeroit à propos ; alors tout le monde concouroit à cette punition : les officiers des grands-gardes & des postes avancés les arrêteroient par centaines, & bientôt il n'y auroit plus de maraudeurs, parce que tout le monde y tiendroit la main. A présent il n'y a que les malheureux de pris. Le grand - prevôt, tout le monde détourne la vue quand ils en voient ; le général crie à cause des desordres qui se commettent ; enfin le grand-prevôt en prend un, il est pendu, & les soldats disent, qu'il n'y a que les malheureux qui perdent. Ce n'est là que faire mourir des hommes sans remédier au mal. Mais les officiers, dira - t - on, en laisseront également passer à leurs postes. Il y a un remede à cet abus. C'est de faire interroger les soldats que le grand - prevôt aura pris dehors : leur faire déclarer à quel poste ils auront passé, & envoyer dans les prisons pour le reste de la campagne les officiers qui y commandoient : cela les rendra bientôt vigilans & inexorables. Mais lorsqu'il s'agit de faire mourir un homme, il y a peu d'officiers qui ne risquassent deux ou trois mois de prison ".

Avec une attention suivie de la part des officiers supérieurs, & de l'exactitude de la part des officiers particuliers, on parviendra dans peu à détruire la maraude dans une armée. Qu'on cherche d'abord à établir dans l'esprit des soldats, qu'il est aussi honteux de voler un paysan, que de voler son camarade. Une fois cette idée reçue, la maraude sera aussi rare parmi eux, que les autres especes de vols. Une nation où l'honneur parle aux hommes de tous les états, a l'avantage de remédier aux abus bien plus tôt que les autres. Sans les punir de mort, qu'on ne fasse jamais de grace aux maraudeurs, que les appels soient fréquens, que les chefs des chambrées où il se trouvera de la maraude soient traités comme s'ils avoient maraudé eux-mêmes ; qu'il soit défendu aux vivandiers sous les peines les plus severes de rien acheter des soldats ; que le châtiment enfin soit toujours la suite du desordre, & bientôt il cessera d'y avoir des maraudeurs dans l'armée, le général & les officiers seront plus exactement obéis, les camps mieux approvisionnés, & l'état conservera une grande quantité d'hommes qui périssent sous la main des bourreaux, ou qui meurent assassinés par les paysans révoltés contre la barbarie. Article de M. le marquis DE MARNESIA.

Si c'est M. le maréchal de Broglio qui a substitué au supplice de mort dont on punissoit les maraudeurs, la bastonnade, qu'on appelle schlaguer, appliquée par le caporal, qu'on appelle caporal schlagueur, il a fait une innovation pleine de sagesse & d'humanité : car à considérer la nature de la faute, il paroît bien dur d'ôter la vie à un brave soldat, dont la paye est si modique, pour avoir succombé, contre la discipline, à la tentation de voler un choux. Les coups de bâton qui peuvent être bons pour des allemands, sont un châtiment peu convenable à des françois. Ils avilissent celui qui les reçoit, & peut-être même celui qui les donne. Je n'aime point qu'on bâtonne un soldat. Celui qui a reçu une punition humiliante craindra moins dans une action de tourner à l'ennemi un dos bâtonné, que de recevoir un coup de feu dans la poitrine. M. le maréchal de Saxe faisoit mieux : il condamnoit le maraudeur au piquet ; & dans ses tournées, lorsqu'il en rencontroit un, il l'accabloit de plaisanteries ameres, & le faisoit huer.

Nous ajoutons ici quelques réflexions sur les moyens d'empêcher la désertion, & sur les peines qu'on doit infliger aux déserteurs. Ces réflexions nous sont venues trop tard pour être mises à leur véritable place.

Réflexions sur les moyens d'empêcher la désertion, & sur les peines qu'on doit infliger aux déserteurs. Il est plusieurs causes de désertion. Il en est qui entrent souvent dans le caractere d'une nation, & qui lui sont particulieres. S'il existe, par exemple, un peuple léger, inconstant, avide de changement, & promt à se dégouter de tout, il n'est pas douteux qu'on n'y trouve un grand nombre de gens qui se dégoûtent des états gênans qu'ils auront embrassés. Si cet esprit d'inconstance & de légereté regne parmi ceux qui suivent la profession des armes, il est certain qu'on trouvera plus de déserteurs chez eux, que chez les peuples qui n'auront pas le même esprit.

On voit de-là pourquoi les troupes françoises désertent plus facilement que les autres troupes de l'Europe. On voit aussi que c'est cet esprit d'inconstance, ou plutôt ce vice du climat qu'il faudroit corriger pour empêcher la désertion. J'en indiquerai les moyens.

Une autre cause de désertion est en second lieu la trop longue durée des engagemens. Les soldats suisses ne sont engagés que pour trois ans, & ils sont aussi bons soldats que les nôtres. On m'objectera que par la façon dont les Suisses sont élevés & exercés dans leur pays, ils sont plus tôt formés que nous pour la guerre. Je réponds que cela peut être : mais qu'il faut choisir un milieu entre l'engagement des suisses, s'il est trop court, & celui des françois, dont le terme de huit ans est trop long, relativement au caractere de la nation & à l'esprit de chacun d'eux. Que de soldats n'a-t-on pas fait déserter lorsque, sous différens prétextes, on les forçoit de servir le double & plus de leur engagement !

Les autres causes de désertion sont la dureté avec laquelle on les traite, la misere des camps, le libertinage, le changement perpétuel de nouvel exercice, le changement de vie & de discipline, comme dans les troupes légeres, qui, accoutumées pendant la guerre au pillage & à moins de dépendance, désertent plus facilement en tems de paix.

Il est aisé de remédier à ces dernieres causes. Voyons comme on peut corriger cet esprit d'inconstance, & attacher à leur état des gens si promts à s'en détacher.

Les troupes romaines tirées de la classe du peuple, ou de celle des citoyens, ou des alliés ayant droit de bourgeoisie, désertoient peu. Il regnoit parmi eux un amour de la patrie qui les attachoit à elle ; ils étoient enorgueillis du titre de citoyen, & ils étoient jaloux de se le conserver ; instruits des intérêts de la république, éclairés sur leurs devoirs, encouragés par l'exemple ; la raison, le préjugé, la vanité les retenoient dans ces liens sacrés.

Pourquoi sur leur modele ne pas communiquer au soldat françois un plus grand attachement pour sa patrie ? Pourquoi ne pas embraser son coeur d'amour pour elle & pour son roi ? Pourquoi ne pas l'enorgueillir de ce qu'il est né françois ? Voyez le soldat anglois. Il déserte peu, parce qu'il est plus attaché à son pays, parce qu'il croit y trouver & y jouir de plus grands avantages que dans tout autre pays.

Cet amour de la patrie, dit un grand homme, est un des moyens le plus efficace qu'il faille employer pour apprendre aux citoyens à être bons & vertueux. Les troupes mercenaires qui n'ont aucun attachement pour le pays qu'elles servent, sont celles qui combattent avec le plus d'indifférence, & qui désertent avec le plus de facilité. L'appât d'une augmentation de solde, l'espoir du pillage, l'abondance momentanée d'un camp contribueront à leur désertion, dont on peut tirer parti. Voyez la différence de fidélité & de courage entre les troupes romaines & les troupes mercenaires de Carthage. Les Suisses seuls font à présent exception à cette regle, aussi l'esprit militaire, & la réputation de bravoure qu'a cette nation, nourrissent sa valeur naturelle ; & l'exactitude à tenir parole au soldat au terme de son engagement empêche la désertion, en facilitant les recrues. Si, comme on le dit souvent, on faisoit en France un corps composé uniquement d'enfans-trouvés, ce seroit le corps le plus sujet à déserter ; outre qu'ils auroient le vice du climat, ils ne seroient point retenus par l'espoir de partager un jour le peu de bien qu'ont souvent les peres ou les meres ; espoir qui retient assez de soldats.

Ce qui attache aujourd'hui les Turcs au service de leur maître, ce sont les préjugés & les maximes dans lesquelles on les éleve envers le sultan & envers leur religion. Nous avons vu que les Romains autrefois l'étoient par l'amour de la patrie ; & les Anglois à présent par cet esprit de fierté, de liberté, & par les avantages qu'ils croiroient ne pas trouver ailleurs. Ce qui doit attacher le soldat françois, est l'amour de sa patrie & de son roi ; amour, qu'il faut augmenter, c'est l'amour de son état de soldat ; amour, qu'il faut nourrir par des distinctions, des prérogatives, des récompenses, & de la considération attachée à cet état honorable qu'on n'honore point assez ; amour, qu'il faut nourrir par la fidélité & l'exactitude à tenir parole au soldat, par une retraite honnête & douce, s'il a bien rempli ses devoirs. Plus il aimera son état de soldat, son roi & sa patrie, plus le vice du climat sera corrigé, la désertion diminuera & les déserteurs seront notés d'infamie.

Les peines à décerner contre les déserteurs doivent donc dériver de ce principe ; car toutes les vérités se tiennent par la main. Ces peines seront la privation & la dégradation de ces honneurs, distinctions, &c. l'infamie qui doit suivre cette dégradation, la condamnation aux travaux publics, quelque flétrissure corporelle qui fasse reconnoître le déserteur, & qui l'expose à la risée de ses camarades, à l'insulte des femmes & du peuple. Les déserteurs qu on punit de mort, sont perdus pour l'état. En 1753, on en comptoit plus de trente-six mille fusillés, depuis qu'on avoit cessé de leur couper le nez & les oreilles pour crime de désertion. L'état a donc perdu & perd encore des hommes qui lui auroient été utiles dans les travaux publics, & qui auroient pû lui donner d'autres citoyens. Cette punition de mort qui n'est point déshonorante, ne sauroit d'ailleurs retenir un homme accoutumé à mépriser & à exposer sa vie.

Qu'on pese d'un côté la honte, l'infamie, la condamnation perpétuelle aux travaux publics contre le changement qui doit se faire dans l'esprit du soldat, contre la certitude qu'il aura d'être récompensé, & d'obtenir son congé au terme de son engagement, & l'on verra s'il peut avoir l'idée de déserter. Dans ce cas, comme en tout autre, l'espece de liberté dont on jouit, ou à laquelle on pense atteindre, engage les hommes à tout faire & à tout endurer. Cet article est de M. DE MONTLOVIER, gendarme de la garde du roi.

VOLEUR, terme de Fauconnerie ; on dit oiseau bon voleur ou beau voleur, quand il vole bien & surement.


VOLGESIA(Géog. anc.) ville de la Babylonie, sur le fleuve Baarsares, selon Ptolémée, l. V. c. xx. qui, ce semble, devoit écrire Vologesia, parce qu'elle portoit le nom de son fondateur, nommé Vologeses ou Vologesus. Il étoit roi des Parthes du tems de Néron & de Vespasien, & il en est beaucoup parlé dans Tacite.

Pline, l. VI. c. xxvj. nous apprend que Volgesia fut bâtie au voisinage de Ctésiphone, par ce même Vologesus qui la nomma, dit-il, Vologesocerta, c'est-à-dire la ville de Vologese ; car certa dans la langue des Arméniens, signifie une ville. Etienne le géographe, qui la place sur le bord de l'Euphrate, la nomme Vologesias : Ammien Marcellin, l. III. c. xx. écrit Vologessia.

Peut-être, dit Cellarius, l. III. c. xvj. doit-on réformer le nom du fondateur & celui de la ville, sur une médaille rapportée par M. Ez. Spanheim, & sur laquelle on lit ce mot , Bologasi. Du reste, Ptolomée marque la situation de cette ville, de façon qu'elle devoit être au midi occidental de Babylone, sur le fleuve Maarsès, sur lequel elle est également placée dans la table de Peutinger, qui la met à 18 milles de Babylone. (D.J.)


VOLHINIE(Géog. mod.) palatinat de la petite Pologne. Il est borné au nord par la Polésie ou le palatinat de Brzescie, au midi par celui de Podolie, au levant par celui de Kiovie, & au couchant par celui de Belz. Il a environ 120 lieues d'occident en orient, & 50 à 60 du midi au nord. Trois rivieres, le Ster, l'Horin & le Stucz, l'arrosent dans toute son étendue, & rendent son terroir fertile.

On divise le palatinat de Volhinie en deux grands districts, savoir celui de Krzeminiec & celui de Luck. Le palatin & le castelan, ainsi que l'évêque de Luck, ont le titre de sénateurs. Cette contrée a été incorporée au royaume de Pologne en même tems que la Lithuanie. Ses deux villes principales sont Luck capitale, & Krzeminiec. (D.J.)


VOLIANS. m. (Hist. anc. Mytholog.) nom d'une divinité adorée par les anciens germains, & que les Romains, d'après la ressemblance du nom, ont pris pour le dieu Vulcain. Ce mot en langue celtique, signifie une fournaise ardente.


VOLIBA(Géog. anc.) ville de la grande Bretagne. Ptolomée, l. II. c. iij. la donne aux Domnonii. Cambden croit que ce pourroit être aujourd'hui Falmouth.


VOLICELATTE, s. f. terme de Couvreur, nom qu'on donne à la latte d'ardoise, qui est deux fois plus large que la quarrée. La latte volice a la même longueur & épaisseur que la quarrée. La botte de volice n'est que de 25. (D.J.)


VOLIERES. f. (Archit.) lieu exposé à l'air, enfermé avec des treillis de fil-de-fer, où l'on tient différens oiseaux, soit par curiosité, ou pour avoir le plaisir de les entendre chanter.

VOLIERE, (Archit. domest.) on appelle ainsi un petit colombier où l'on met des pigeons domestiques, qui ne vont point à la campagne avec les autres pigeons. (D.J.)


VOLILLES. f. (Commer. de bois) petite planche de bois de sapin ou de peuplier, très-légere & peu épaisse. Le bois de sapin ou de peuplier se débite pour l'ordinaire en volilles, ou petites planches depuis trois jusqu'à cinq lignes d'épaisseur, sur dix pouces de large, & six piés de long, pour foncer des cabinets, & faire des bieres. (D.J.)


VOLITIONS. f. (Logique, Métaphysique) la volition, dit Locke, est un acte de l'esprit faisant paroître avec connoissance, l'empire qu'il suppose avoir sur l'homme, pour l'appliquer à quelque action particuliere, ou pour l'en détourner. La volonté est la faculté de produire cet acte. Quiconque refléchira en lui-même sur ce qui se passe dans son esprit lorsqu'il veut, trouvera que la volonté, ou la puissance de vouloir, ne se rapporte qu'à nos propres actions, qu'elle se termine là sans aller plus loin, & que la volition n'est autre chose que cette détermination particuliere de l'esprit, par laquelle il tâche par un simple effet de la pensée, de produire, continuer, ou arrêter une action qu'il suppose être en son pouvoir. (D.J.)


VOLKAMERIAS. f. (Hist. nat. Bot.) nom donné par Linnaeus au genre de plante appellé par Houston duglassia, & par le chevalier Sloane, paliuro affinis. Le calice est d'une seule feuille très-petite, turbinée, & légérement dentelée en quatre ou cinq endroits sur les bords ; la fleur est monopétale & entr'ouverte ; le tuyau est cylindrique, ayant deux fois la longueur du calice ; son bord est divisé en cinq segmens qui sont contournés les uns vers les autres ; les étamines sont quatre grands filets chevelus, leurs bossettes sont simples ; le germe du pistil est quadrangulaire ; le stile est très-délié, ayant à-peu-près la longueur des étamines ; le stigma est fendu en deux ; le fruit est une capsule rondelette à deux loges, renfermant une seule noix divisée en deux cellules. Linnaei, gen. plant. pag. 305. Houston, A. A. Sloane, hist. plant. Jamaïc. vol. II. p. 23. (D.J.)


VOLLENHOVEPAYS DE, (Géog. mod.) petite contrée des Pays-bas dans l'Overissel, où elle forme un des trois bailliages de la province. Cette contrée s'étend le long de la côte du Zuyderzée qu'elle a pour bornes à l'occident ; la Frise la termine au septentrion, la Drente à l'orient, & la Hollande au midi. Sa principale ville porte aussi le nom de Vollenhove. Les autres lieux les plus remarquables sont Steenwick, Kunder, & Blockzylt. (D.J.)


VOLO(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la province de Janna, entre Démétriade & Armiro, sur un golfe de son nom, où elle a un assez bon port défendu par une forteresse, à 14 lieues sud-est de Larisse.

La forteresse est à cent pas de la marine, & les Turcs y tiennent garnison ; c'est à Volo qu'on fait le biscuit pour les flottes du grand-seigneur, & on l'y tient dans des magasins particuliers. Le territoire de la ville consiste en plaines fertiles, & en collines chargées de vignes. Volo fut surpris & pillé par l'armée navale des Vénitiens en 1655, mais les Turcs l'ont fortifié depuis ce tems-là d'une nouvelle citadelle.

Tout concourt à justifier que Volo est la Pagasae des anciens, où Jason fit bâtir & mettre à l'eau pour la premiere fois cette nef célebre, qui au retour de Colchos, fut placée parmi les étoiles du firmament, & c'est dans le port voisin appellé par les anciens aphetae, que se fit l'embarquement des argonautes, selon le témoignage de Strabon. Le même géographe ajoute qu'on y voyoit des sources très-abondantes ; c'est toujours la même chose, il n'y a point dans toute cette côte de sources plus fécondes que celles de Volo, & c'est ici que la plûpart des bâtimens qui se trouvent en parage, viennent faire de l'eau. Long. 41. 16. lat. 39. 36. (D.J.)

VOLO, golfe de, (Géog. mod.) golfe de la mer Méditerranée, dans la Turquie Européenne, au fond duquel est bâtie la ville qui lui donne son nom. Ce golfe nommé par les anciens sinus Pelasgicus, court au nord, & a le meilleur de ses ancrages à Volo, qui est le port le plus proche de Larisse ; c'est près de ce port, comme je l'ai déja dit, qu'étoit l'ancienne Argos, Pelasgicum, d'où les argonautes firent voile pour le fameux voyage de Colchos. C'est aussi dans ce port qu'arrivoient les nouvelles qu'on apportoit de Candie au grand-seigneur, aussi-bien que les lettres qui lui venoient d'Asie & d'Afrique : enfin, c'est encore près de-là, je veux dire au voisinage du promontoire Sépias, que s'est fait le plus grand naufrage dont on ait entendu parler dans l'histoire du monde ; car Xerxès y perdit 500 vaisseaux par une tempête qui arriva d'un vent d'est. (D.J.)


VOLOCK(Géog. mod.) ville de l'empire Russien, dans la province de Rzeva, aux confins du duché de Moskou, au bord de la forêt de Wolkouskile. (D.J.)


VOLONES(Hist. anc.) est le nom que les anciens Romains donnerent aux esclaves, qui dans la seconde guerre punique, vinrent s'offrir pour servir la république dans ses armées, parce qu'elle manquoit d'un nombre suffisant de citoyens. Voyez ESCLAVES.

On croit que le nom de volo, volones, fut donné à ces esclaves, parce qu'ils s'étoient présentés volontairement. Festus met cet événement après la bataille de Cannes ; mais Macrobe, sat. lib. I. cap. ij. le place avant cette bataille.

Jules Capitolin dit, que l'empereur Marc-Aurele forma des légions d'esclaves, qu'il appella volontaires, & que dans la seconde guerre punique ces troupes avoient été appellées volones.

Cependant Auguste avoit déja donné le nom de volontaires aux troupes qu'il avoit formées des affranchis, comme nous l'assure Macrobe à l'endroit qu'on vient de citer.


VOLONTAIREadj. terme d'Ecole ; la plûpart des philosophes emploient le mot volontaire dans le même sens que celui de spontanée, & ils l'appliquent à ce qui procede d'un principe intérieur, accompagné d'une parfaite connoissance de cause : comme lorsqu'un chien court à son manger, ils disent que c'est-là un mouvement volontaire.

Aristote & ses sectateurs restraignent le terme de volontaire aux actions produites par un principe intérieur qui en connoît toutes les circonstances. Ainsi pour qu'une action soit volontaire, ils demandent deux choses ; la premiere, qu'elle procede d'un principe intérieur ; comme lorsqu'on se promene pour se divertir, ils disent que cette action est volontaire, parce que c'est un effet de la volonté qui commande, & de la faculté mouvante qui obéit, l'une & l'autre étant des principes intérieurs. Au contraire, le mouvement d'un homme que l'on traîne en prison est une action involontaire, parce qu'elle ne part ni de sa volonté, ni de sa faculté mouvante.

La seconde condition, est que celui qui fait l'action en connoisse la fin & les circonstances ; & dans ce sens-là, les actions des bêtes brutes, des enfans, & de ceux qui dorment ne sont pas proprement des actions volontaires.

VOLONTAIRE, adj. dans l'économie animale, se dit des mouvemens qui dépendent de la volonté. Voyez MOUVEMENT.

Les mouvemens volontaires sont exécutés par les esprits animaux ; l'ame n'est qu'une cause déterminante de ces mouvemens. L'ame raisonnable détermine par ses volontés décisives les mouvemens volontaires & libres des hommes. Les mouvemens volontaires dépendent de la faculté déterminante que l'ame exerce sur le corps. Le sommeil suspend les mouvemens volontaires. Les mouvemens volontaires peuvent être supprimés dans une partie sans que le sentiment soit éteint.

VOLONTAIRE Jurisdiction, (Jurisprud.) Voyez JURISDICTION VOLONTAIRE. (A)

VOLONTAIRE, s. m. (Gram. & Art milit.) celui qui entre dans un corps de troupe, librement, sans solde, sans pacte, sans rang fixe, seulement pour servir son roi, son pays, & apprendre le métier de la guerre.

VOLONTAIRE, adj. (Gram. Morale) on donne le nom de volontaire à un enfant qu'on ne fait obéir que par la violence, & qui suit, indépendamment de son devoir & de ses supérieurs, tous les caprices de son esprit.


VOLONTÉS. f. (Gram. & Philosophie morale) c'est l'effet de l'impression d'un objet présent à nos sens ou à notre réflexion, en conséquence de laquelle nous sommes portés tout entiers vers cet objet comme vers un bien dont nous avons la connoissance, & qui excite notre appétit, ou nous en sommes éloignés comme d'un mal que nous connoissons aussi, & qui excite notre crainte & notre aversion. Aussi il y a toujours un objet dans l'action de la volonté ; car quand on veut, on veut quelque chose ; de l'attention à cet objet, une crainte ou un desir excité. De-là vient que nous prenons à tout moment la volonté pour la liberté. Si l'on pouvoit supposer cent mille hommes tous absolument conditionnés de même, & qu'on leur présentât un même objet de desir ou d'aversion, ils le desireroient tous & tous de la même maniere, ou le rejetteroient tous, & tous de la même maniere. Il n'y a nulle différence entre la volonté des fous & des hommes dans leur bon sens, de l'homme qui veille & de l'homme qui rêve, du malade qui a la fievre chaude & de l'homme qui jouit de la plus parfaite santé, de l'homme tranquille & de l'homme passionné, de celui qu'on traîne au supplice ou de celui qui y marche intrépidement. Ils sont tous également emportés tout entiers par l'impression d'un objet qui les attire ou qui les repousse. S'ils veulent subitement le contraire de ce qu'ils vouloient, c'est qu'il est tombé un atome sur le bras de la balance, qui l'a fait pancher du côté opposé. On ne sait ce qu'on veut lorsque les deux bras sont à-peu-près également chargés. Si l'on pese bien ces considérations, on sentira combien il est difficile de se faire une notion quelconque de la liberté, sur-tout dans un enchaînement de causes & des effets, tels que celui dont nous faisons partie.

VOLONTE en Dieu, (Théolog.) c'est l'attribut par lequel Dieu veut quelque chose.

Quoique cette volonté soit en Dieu, comme son entendement, un acte très-simple, & qui n'est pas distingué de la nature divine, cependant proportionnellement aux différens objets vers lesquels se porte cette volonté, & pour s'accommoder à notre maniere de concevoir, les théologiens distinguent en Dieu diverses sortes de volontés.

Ils la divisent donc en volonté de signe & volonté de bon plaisir, volonté antécédente & volonté conséquente, volonté efficace & volonté inefficace, volonté absolue & volonté conditionnée.

Ils appellent volonté de signe celle que Dieu nous fait connoître par quelque signe extérieur, comme les conseils, les préceptes qu'on appelle par métaphore la volonté de Dieu. Aussi convient-on généralement que cette volonté n'est que métaphorique. Les théologiens en distinguent cinq especes, savoir le précepte, la prohibition, la permission, le conseil & l'opération : ce qu'ils expriment par ce vers technique :

Praecipit & prohibet, permittit, consulit, implet.

La volonté de bon plaisir est une volonté intérieure & réelle qui réside en Dieu. C'est celle dont l'apôtre a dit : ut probetis quae sit voluntas Dei bona & beneplacens & perfecta. Rom. xij. v. 2. La volonté de bon plaisir est toujours jointe à celle de signe dans ce que Dieu opere ; elle y est quelquefois jointe, & quelquefois elle en est séparée dans ce qu'il commande, conseille ou défend ; mais elle n'y est jamais unie dans ce qu'il permet quant au péché ; car ce seroit un blasphême que de dire que Dieu veut intérieurement & réellement qu'on commette le péché.

La volonté de bon plaisir se divise en volonté antécédente & volonté conséquente. Par volonté antécédente on entend celle qui considere un objet en lui-même, abstraction faite des circonstances particulieres & personnelles ; on l'appelle ordinairement volonté de bonté & de miséricorde. La volonté conséquente est celle qui considere son objet accompagné & revêtu de toutes ses circonstances tant générales que particulieres. On la nomme aussi volonté de justice. On trouve cette distinction dans S. Chrysostome, homel. 1. sur l'épître aux Ephésiens ; dans S. Jean Damascene, lib. II. de fid. orthodox. cap. xxix. & plus expressément encore dans S. Thomas, part. I. quaest. XIX. art. 6, respons. ad 1.

La volonté efficace en Dieu est celle qui a toujours son effet. La volonté inefficace est celle qui est privée de son effet par la résistance de l'homme.

Enfin par volonté absolue on entend celle qui ne dépend d'aucune condition, mais uniquement des decrets libres de Dieu, telle qu'a été la volonté de créer le monde ; & par volonté conditionnée l'on entend celle qui dépend d'une condition ; telle est la volonté de sauver tous les hommes, pourvû qu'eux-mêmes veuillent coopérer à la grace, & observer les commandemens de Dieu.

Que Dieu veuille sauver tous les hommes, c'est une vérité de foi clairement exprimée dans les Ecritures ; mais de quelle volonté le veut-il ? C'est un point sur lequel ont erré divers hérétiques, & qui partage extrêmement les théologiens.

Les Pélagiens & les semi-Pélagiens ont prétendu que Dieu vouloit sauver indifféremment tous les hommes, sans prédilection particuliere pour les élus, & qu'en conséquence Jesus-Christ avoit versé son sang pour tous les hommes également. Les Prédestinatiens au contraire ont avancé que Jesus-Christ n'étoit mort que pour les élus, & que Dieu ne vouloit sincerement le salut que des seuls prédestinés. Calvin a soutenu la même erreur, & Jansénius l'a imité, quoique d'une maniere plus captieuse & plus enveloppée ; car il reconnoit que Dieu veut le salut de tous les hommes, en ce sens que nul n'est sauvé que par sa volonté, ou que le mot tous se doit entendre de plusieurs, d'un grand nombre, ou enfin parce qu'il leur inspire le desir & la volonté de se sauver. Mais toutes ces explications sont insuffisantes. Le véritable noeud de la difficulté est de savoir si Dieu prépare ou confere sincerement à tous les hommes des graces vraiment suffisantes pour opérer leur salut ; & c'est ce que Jansénius & ses disciples refusent de reconnoître.

Parmi les théologiens quelques-uns, comme Hugues de Saint-Victor, Robert Pullus, &c. disent que la volonté de Dieu pour le salut de tous les hommes, n'est qu'une volonté de signe, parce qu'ils n'admettent en Dieu de volonté vraie & réelle que celle qui est efficace, & qu'il est de fait que tous les hommes ne se sauvent pas ; mais d'un autre côté, ils reconnoissent qu'en conséquence de cette volonté de signe, Dieu donne aux hommes des graces vraiment suffisantes.

D'autres, comme S. Bonaventure & Scot, admettent en Dieu une volonté antécédente, vraie, réelle & de bon plaisir pour le salut de tous les hommes ; mais, selon eux, elle n'a pour objet que les graces vraiment suffisantes qui précedent le salut ; & c'est pour cela qu'ils la nomment volonté antécédente.

Sylvius, Estius, Bannez, &c. enseignent que cette volonté antécédente pour le salut de tous les hommes n'est pas proprement & formellement en Dieu, mais seulement virtuellement & éminemment, parce que Dieu est une source infinie de bonté & de miséricorde, & qu'il offre à tous les hommes des moyens généraux & suffisans de salut.

Aureolus, Suarez & d'autres expliquent cette volonté antécédente d'un amour de complaisance en Dieu pour le salut de tous les hommes, amour nécessaire & actif, qui leur prépare des graces avec lesquelles ils se sauveroient s'ils en usoient bien.

Vasquez distingue entre les adultes & les enfans. Il prétend que Dieu veut d'une volonté antécédente & sincere le salut des premiers, mais qu'on ne peut pas dire la même chose des enfans qui meurent dans le sein de leur mere, & auxquels on n'a pas pu conférer le baptême.

Enfin Lemos, Alvarès, Gamache, Isambert, Duval, Bellarmin, Tournely & la plûpart des théologiens modernes pensent que Dieu veut d'une volonté antécédente, vraie, réelle & formelle le salut de tous les hommes, même des reprouvés & des enfans qui meurent sans baptême, & qu'il leur prépare, leur offre ou leur confere des moyens suffisans de salut, & que Jesus Christ est mort & a répandu son sang pour le salut d'autres que des prédestinés.

On convient cependant généralement que Dieu ne veut d'une volonté conséquente le salut que des seuls élus, & que c'est aussi d'une volonté absolue, conséquente & efficace, que Jesus-Christ est mort pour le salut des prédestinés ; car, comme le dit expressément le concile de Trente, sess. V. c. iij. quoique le Sauveur du monde soit mort pour tous, tous néanmoins ne reçoivent pas le bienfait de sa mort.

VOLONTE derniere, (Jurisprud.) est une disposition faite en vue de la mort, & que celui qui dispose, regarde comme la derniere qu'il fera, quoiqu'il puisse arriver qu'il en change : les actes de derniere volonté, sont les testamens & codicilles, les partages des peres entre leurs enfans. Voyez CODICILLE, TESTAMENT, PARTAGE. (A)


VOLPLE, (Géog. mod.) riviere de France, dans le Languedoc, au diocèse de Rieux. Elle se jette dans la Garonne, près de Tersac. Castel prétend que son nom latin doit être Volvestria, qui a donné le nom à un quartier du diocèse de Rieux. (D.J.)


VOLSAS-SINUS(Géog. anc.) golfe de la grande Bretagne. Ptolomée le marque sur la côte septentrionale, entre les embouchures des fleuves Itys & Nobaeus. Ce pourroit être aujourd'hui Sandset-Head. (D.J.)


VOLSINII(Géog. anc.) Volcinii, Vulsinii ou Vulsunii, ville d'Etrurie située au bord du lac de son nom, Volsiniensis Lacus, duquel Pline, l. XXXVI. c. xxij. & Vitruve, l. II. c. ij. rapportent quelques particularités. Volsinii, aujourd'hui Bolsena, étoit renommée par la richesse de ses habitans, les plus opulens des Etrusques.

Cette ville étoit la patrie de Séjan. Tacite & Suétone vous peindront son odieux caractere, sa puissance & ses crimes. Rusé, lâche, orgueilleux, délateur, plein de retenue au-dehors, dévoré en-dedans d'une ambition insatiable, il parvint par ses artifices à être le dépositaire des secrets de Tibere, qui souffrit que l'image de son favori fût révérée dans les places publiques, sur les théatres & dans les armées. Séjan corrompit la femme de Drusus, & voulut l'épouser, après avoir empoisonné son mari. Agrippine, Germanicus & ses fils périrent par les artifices de ce monstre. Il porta son insolence jusqu'à jouer Tibere même dans une comédie. Ce prince en étant instruit, donna ordre au sénat de poursuivre séjan ; il fut le même jour arrêté, jugé & étranglé en prison. On est indigné de le voir peint par Paterculus comme un des plus vertueux personnages qu'ait eu la république romaine. Mais voilà ce qui doit arriver aux historiens qui mettent la main à la plume avec dessein de donner au public pendant leur vie, l'histoire flatteuse de leur tems. (D.J.)


VOLSQUESLES (Géog. anc.) Volsci, peuples d'Italie, compris dans le nouveau Latium. Ils habitoient depuis la mer d'Antium jusqu'à la source du Liris & au-delà. La grandeur du pays qu'ils occupoient, a été cause que Pomponius Méla, l. II. c. iv. l'a distinguée du Latium, comme s'il eût fait encore de même qu'autrefois, une contrée séparée ; car il détaille ainsi les divers pays de l'Italie : Etruria, post Latium Volsci, Campania. Le périple de Scylax en fait autant, en disant que les Latins sont voisins des Volsques, & les Volsques voisins des habitans de la Campanie.

Les Volsques étoient une nation fiere & indépendante, qui bravoit Rome, & qui dédaignoit d'entrer dans la confédération que plusieurs autres avoient faite avec elle. Tarquin, selon quelques historiens, fut le premier des rois de Rome qui fit la guerre aux Volsques. Quoi qu'il en soit, il est certain que Rome ne trouva point en Italie d'ennemis plus obstinés. Deux cent ans suffirent à peine à les dompter ou à les détruire. (D.J.)


VOLTALA (Géog. mod.) riviere d'Afrique dans la Guinée. Cette riviere est la borne de la côte d'Or, à l'est : on ignore son origine, la longueur de son cours, & l'on ne connoît point les pays qu'elle traverse. C'est la prodigieuse rapidité de son courant qui a porté les Portugais à l'appeller Volta. Son embouchure dans la mer est extrêmement large. (D.J.)


VOLTES. f. (Manege) On appelle ainsi un rond ou une piste circulaire, sur laquelle on manie un cheval. Il y a des voltes de deux pistes, & c'est quand un cheval, en maniant, marque un cercle plus grand des piés de devant, & un autre plus petit de ceux de derriere. D'autres sont d'une piste, & c'est lorsqu'un cheval manie à courbettes & à caprioles, de maniere que les hanches suivent les épaules, & ne font qu'un rond ou ovale de côté ou de biais autour d'un pilier ou d'un centre réel, ou imaginaire.

Demi-volte, est un demi-rond que le cheval fait d'une ou de deux pistes, au bout duquel il change de main & revient sur la même ligne.

Volte renversée, est celle où le cheval maniant de côté, a la tête tournée vers le centre, & la croupe vers la circonférence, de façon que le petit cercle se forme par les piés de devant, & le grand par ceux de derriere.

La situation des épaules & de la croupe, eu égard au centre directement opposé à leur situation dans la volte ordinaire, lui a fait donner le nom de renversée.

On dit faire les six voltes, manier un cheval sur les quatre coins de la volte, le mettre sur les voltes, se coucher sur les voltes, &c. en parlant de divers exercices qu'on fait au manége.

Les six voltes se font terre à terre, deux à droite, deux à gauche, deux autres à droite, & toutes d'une haleine, observant le terrein de même cadence, maniant tride & avec prestesse, le devant en l'air, le cul à terre, la tête & la queue fermes. Voyez TRIDE, PRESTESSE.

VOLTE, (Marine) terme synonyme à route ; on dit prendre telle volte, pour dire prendre telle route.

On entend aussi par le mot volte, les mouvemens & reviremens nécessaires pour se disposer au combat. Voyez EVOLUTIONS.

VOLTE, estocade de (Escrime) est une botte qu'on porte à l'ennemi en tournant sur le pié gauche : elle se porte dans les armes & hors les armes ; on s'en sert contre un Escrimeur qui attaque trop vivement & qui s'abandonne.

On dit improprement quarté pour volté.

VOLTE DE QUARTE ou de QUARTE BASSE, estocade de, (Escrime) quand l'épée de l'ennemi est dedans les armes, & qu'il s'avance trop ; 1°. on fait le mouvement de lui porter une estocade de quarte ou de quarte basse : 2°. dans le même instant, au lieu d'allonger le pié droit, il faut le porter derriere le gauche, en le faisant passer par-devant : 3°. on tiendra le pié droit dans son même alignement, & on en placera le bout sur l'alignement du bout du pié gauche, à la distance d'une longueur de pié de l'un à l'autre, le talon du pié droit en l'air : 4°. le bras gauche placé devant le corps pour l'opposer à l'épée de l'ennemi : 5°. on effacera le plus qu'on pourra. Voyez EFFACER quarte.

VOLTE EN TIERCE ou EN SECONDE, estocade de, (Escrime) quand l'épée de l'ennemi est hors les armes, & qu'il se précipite sur vous ; 1°. vous faites le mouvement de porter une estocade de tierce ou de seconde ; 2°. au même instant, au lieu d'allonger le pié droit en avant, vous le portez derriere le gauche en faisant un demi-tour à droite, c'est-à-dire qu'on fait face où on avoit le derriere ; 3°. le pié droit se place à deux longueurs de piés de distance du gauche ; 4°. on plie un peu le genouil gauche, & on tient le jarret droit bien étendu ; 5°. la main droite tournée comme pour parer une estocade de tierce, placée à la hauteur & vis-à-vis le noeud de l'épaule, le bras arrondi, le coude élevé, & l'épée parallele à l'axe des épaules ; 6°. la main gauche placée devant le corps, pour l'opposer à l'épée de l'ennemi.

VOLTE-FACE, (Art milit.) dans la cavalerie, est un mouvement par lequel on fait retourner les escadrons de la tête à la queue sur le même terrein. Il ne consiste qu'à leur faire faire demi-tour à droite ; aussi l'appelle-t-on dans l'usage ordinaire, demi-tour à droite. Voyez DEMI-TOUR A DROITE & EVOLUTION.


VOLTERRE(Géog. mod.) ou plutôt Volterra, comme disent les Italiens, ville d'Italie dans la Toscane, près d'un ruisseau nommé Zambra, sur une montagne à 10 mille au sud-ouest de Colle, & à 30 au sud-est de Pise, avec un évêché que quelques-uns disent suffragant de Florence.

Cette ville est remarquable par son ancienneté, ayant été connue des Romains sous le nom de Volaterrae. Elle est encore bonne à voir par ses belles fontaines, dont quelques-unes sont ornées de statues antiques de marbre, entieres ou rompues, outre plusieurs bas-reliefs, épitaphes & inscriptions, dont Ant. Franc. Gori a mis au jour la description à Florence en 1744, en un vol. in-fol. avec fig.

Volterre, comme je l'ai dit au mot Volaterrae, est la patrie de Perse ; elle l'est aussi du fameux sculpteur Daniel Ricciarelli, éleve de Michel-Ange. Le pape S. Lin, qu'on nous donne pour successeur immédiat de S. Pierre sur le siege de Rome, étoit natif de cette ville ; mais sa vie est entiérement inconnue, & vraisemblablement elle étoit très-obscure ; cet homme étant sans pouvoir, sans église & sans crédit. Long. 28. 34. latit. 43. 20. (D.J.)


VOLTIGERen termes de Manége, c'est faire les exercices sur le cheval de bois, pour apprendre à monter à cheval, & à descendre légerement, ou à faire divers tours qui montrent l'agilité & la dextérité du cavalier. Il y a des maîtres à voltiger qui montrent cet exercice.


VOLTIGLOLES. f. (Marine) cordon de la poupe qui sépare le corps de la galere de l'aissade de poupe : on dit autrement la massane.


VOLTORNOLE, (Géog. mod.) ou VULTURNO, anciennement Vulturnus, fleuve d'Italie dans le royaume de Naples ; il prend sa source sur les confins de la terre de Labour, arrose dans son cours Vénafre & Capoue, & se rend dans la mer, près de l'embouchure du Clanio. (D.J.)


VOLTUMNAE FANUM(Géog. anc.) lieu d'Italie dans l'Etrurie, aux environs de Viterbe, & peut-être c'est Viterbe même. Quoi qu'il en soit, les assemblées générales des Etrusques se tenoient souvent à Voltumnae Fanum, au rapport de Tite-Live, l. IV. c. xxiij. xxv. & lxj. (D.J.)


VOLTURARA(Géog. mod.) ou VULTURARIA, petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Capitanate, au pié de l'Apennin, vers les confins du comté de Molise, à 10 lieues au nord-ouest de Benévent, dont son évêque est suffragant. Long. 32. 43. latit. 41. 29. (D.J.)


VOLTURNES. m. (Mythol.) fleuve d'Italie dans la Campanie, nommé encore aujourd'hui Volturno. Les anciens peuples de la Campanie en avoient fait un dieu, & lui avoient consacré un temple, dans lequel ils s'assembloient pour délibérer de leurs affaires ; il avoit à Rome un culte particulier, puisque parmi les flamines, on trouve celui du dieu Volturne, & qu'on y célébroit les volturnales. (D.J.)


VOLUBILIou GRAND LISERON, (Jardinage) les tiges de cette plante vivace sont longues & foibles ; elles cherchent à s'entortiller autour des plantes voisines. Le long de ces tiges sont des feuilles presques rondes, d'où sortent des pédicules avec des fleurs blanches à une seule feuille en forme de cloches. Cette fleur vient en automne ; sitôt qu'elle est passée il paroît un fruit cylindrique rempli de semences quarrées qui en multiplient l'espece.

Il y a un liseron appellé convolvulus, qui est de trois couleurs, jaune, bleu & blanc, & le petit liseron, dont les fleurs sont purpurines.

Cette plante vient souvent dans les haies ; elle se seme aussi sur couche & craint peu le froid. On la soutient avec des baguettes.

VOLUBILIS, (Géog. anc.) ville de la Mauritanie tangitane, selon Pomponius Méla, l. III. c. x. & Ptolomée, l. IV. c. j. qui écrit Volobilis. Elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin, entre Tocolosida & Aquae Dacicae, à trois milles du premier de ces lieux, & à seize milles du second. C'étoit une colonie romaine. Pline, l. V. c. j. qui l'appelle Volubile oppidum, la met à 35 milles de Banaza, & à une pareille distance de chacune des deux mers, ce qui est impossible ; car une place à 35 milles de Banaza (qui étoit à 94 milles de Tingis), ne pouvoit être à 35 milles de chacune des deux mers.

Le pere Hardouin, qui ne s'est pas apperçu de ce mécompte, a conclu que le gros des géographes avoit tort de prendre la ville de Fez pour l'ancienne Volubilis, parce que Fez est à plus de 120 milles de l'Océan & de la mer Méditerranée. Mais s'il eût fait attention que l'itinéraire d'Antonin marque Volubilis Colonia à 145 milles de Tingis, vers le midi oriental de cette ville, dans les terres, & par conséquent à une égale distance des deux mers, il eût aisément compris que cette ville pouvoit fort bien être la même que Fez. (D.J.)


VOLUBILITÉS. f. (Gram.) facilité & promptitude à se mouvoir. On dit la volubilité des corps célestes ; la volubilité de la prononciation ; la volubilité de la déclamation.


VOLUCZA(Géog. mod.) montagne de la Turquie européenne, dans le Coménolitari, proche la source de la Platamona. Ce sont, à ce qu'on croit, les Cambunii montes dont Tite-Live fait mention, l. XLIII. c. liij. & ailleurs. Il dit que le Paniasus y prenoit sa source. (D.J.)


VOLUES. f. (Tisseranderie) terme dont les tisserands se servent pour exprimer la petite fusée qui tourne dans la navette, & qui porte la tissure.


VOLUMES. m. en Physique, est l'espace qu'occupe un corps, ou sa quantité de matiere considérée entant qu'elle occupe une telle quantité d'espace. Voyez PERIMETRE, CIRCONFERENCE, & c.

Un pié cube d'or & un pié cube de liege sont égaux en volume, mais non en pesanteur, ni en densité. Voyez DENSITE.

Il s'en faut bien que la matiere propre ou les parties d'un corps remplissent exactement tout le volume de ce corps. Voyez PORE. Chambers.

VOLUME, TOME, (Synonyme) le volume peut contenir plusieurs tomes, & le tome peut faire plusieurs volumes : mais la reliure sépare les volumes ; & la division de l'ouvrage distingue les tomes.

Il ne faut pas toujours juger de la science de l'auteur par la grosseur du volume qu'il publie. Il y a beaucoup d'ouvrages en plusieurs tomes, qui seroient meilleurs s'ils étoient réduits en un seul. Girard. (D.J.)

VOLUME, (Art numismat.) les monnoyeurs se servent de ce terme, pour désigner la grandeur & l'épaisseur de l'espece ; de même en matiere de médailles, on entend par le volume, l'épaisseur, l'étendue, le relief d'une médaille, & la grosseur de la tête, desorte que si quelqu'une de ces qualités y manque, un médaillon du haut-empire s'appelle médaille de grand bronze ; mais dans le bas-empire, dès que la médaille a plus de volume, c'est-à-dire, plus d'étendue & de relief que le moyen bronze ordinaire, on la fait passer pour médaillon. Exceptons-en cependant pour l'épaisseur & pour le relief, les médailles contorniates, qui n'ont ni l'une ni l'autre de ces deux qualités, & qui ne laissent pas de passer la plûpart pour médaillons. (D.J.)


VOLUMENS. m. (Lang. latine) ce mot latin désigne un volume, un livre, parce que les anciens Romains avant l'usage du papier, écrivoient d'abord sur des tablettes enduites de cire ; quand ils avoient mis la derniere main à leur ouvrage, ils le mettoient au net sur des membranes, ou des écorces d'arbres, qu'ils rouloient ensuite. De-là, evolvere librum, signifie lire un livre, parce qu'il falloit dérouler ce volume, afin de pouvoir le lire.

Pour conserver les livres écrits, volumina, on les frottoit avec de l'huile de cèdre, & on les serroit dans des tablettes de cyprès, qui est un bois à l'épreuve de la pourriture. (D.J.)


VOLUPIES. f. (Mythol.) Volupia, déesse de la Volupté, celle qui en procuroit aux hommes : Apulée dit, qu'elle étoit fille de l'Amour & de Psyché. Elle avoit un petit temple à Rome, près de l'arcenal de marine, & sur son autel étoit non-seulement sa statue, mais encore celle de la déesse du Silence. Volupia étoit représentée en jeune personne, mignardement ajustée, assise sur un trône, comme une reine, & tenant la Vertu sous ses piés ; mais on lui donnoit un teint pâle & blême. (D.J.)


VOLUPTÉS. f. (Morale) la Volupté, selon Aristippe, ressemble à une reine magnifique & parée de sa seule beauté ; son trône est d'or, & les Vertus, en habit de fêtes, s'empressent de la servir. Ces vertus sont la Prudence, la Justice, la Force, la Tempérance ; toutes quatre véritablement soigneuses de faire leur cour à la Volupté, & de prévenir ses moindres souhaits. La Prudence veille à son repos, à sa sûreté ; la Justice l'empêche de faire tort à personne, de peur qu'on ne lui rende injure pour injure, sans qu'elle puisse s'en plaindre ; la Force la retient, si par hasard quelque douleur vive & soudaine l'obligeoit d'attenter sur elle-même ; enfin la Tempérance lui défend toute sorte d'excès, & l'avertit assiduement que la santé est le plus grand de tous les biens, ou celui du moins sans lequel tous les autres deviennent inutiles, ne se font point sentir.

La morale d'Aristippe, comme on voit, portoit sans détour à la Volupté, & en cela elle s'accordoit avec la morale d'Epicure. Il y avoit cependant entr'eux cette différence, que le premier regardoit comme une obligation indispensable de se mêler des affaires publiques, de s'assujettir dès sa jeunesse à la société, en possédant des charges & des emplois, en remplissant tous les devoirs de la vie civile ; & que le second conseilloit de fuir le grand monde, de préférer à l'éclat qui importune, cette douce obscurité qui satisfait, de rechercher enfin dans la solitude un sort indépendant des caprices de la fortune. Cette contrariété de sentimens entre deux grands philosophes, donna lieu au stoïcien Panétius d'appeller en raillant la volupté d'Aristippe, la volupté debout, & celle d'Epicure, la volupté assise.

Il s'éleva dans le quatrieme siecle de l'église un hérésiarque (Jovinian) qu'on nomma l'Aristippe & l'Epicure des chrétiens, parce qu'il osoit soutenir que la religion & la volupté n'étoient point incompatibles ; paradoxe qu'il coloroit de spécieux prétextes, en dégageant d'une part la volupté de ce qu'elle a de plus grossier ; & de l'autre, en réduisant toutes les pratiques de la religion à des simples actes de charité. Cette espece de système séduisit beaucoup de gens, sur-tout des prêtres & des vierges consacrées à Dieu ; mais S. Jérôme attaqua ouvertement le perfide hérésiarque, & sa victoire fut aussi brillante que complete. " Vous croyez, lui disoit-il, avoir persuadé ceux qui marchent sur vos traces, détrompez-vous, ils étoient déja persuadés par les penchans secrets de leur coeur ".

Jamais réputation n'a plus varié que celle d'Epicure ; ses ennemis le décrioient comme un voluptueux, que l'apparence seule du plaisir entraînoit sans cesse hors de lui-même, & qui ne sortoit de son oisiveté que pour se livrer à la débauche. Ses amis au-contraire, le dépeignoient comme un sage qui fuyoit par goût & par raison le tumulte des affaires, qui préféroit un genre de vie bien ménagé, aux flatteuses chimeres dont l'ambition repaît les autres hommes, & qui par une judicieuse économie mêloit les plaisirs à l'étude, & une conversation agréable au sérieux de la méditation. Cet homme poli & simple dans ses manieres, enseignoit à éviter tous les excès qui peuvent déranger la santé, à se soustraire aux impressions douloureuses, à ne desirer que ce qu'on peut obtenir, à se conserver enfin dans une assiette d'esprit tranquille. Au fond cette doctrine étoit très-raisonnable, & l'on ne sauroit nier qu'en prenant le mot de bonheur comme il le prenoit, la félicité de l'homme ne consiste dans le plaisir. Epicure n'a point pris le change, comme presque tous les anciens philosophes qui, en parlant du bonheur, se sont attachés non à la cause formelle, mais à la cause efficiente. Pour Epicure, il considere la béatitude en elle-même & dans son état formel, & non pas selon le rapport qu'elle a à des êtres tout-à-fait externes, comme sont les causes efficientes. Cette maniere de considérer le bonheur, est sans doute la plus exacte & la plus philosophique. Epicure a donc bien fait de la choisir, & il s'en est si bien servi, qu'elle l'a conduit précisément où il falloit qu'il allât. Le seul dogme que l'on pouvoit établir raisonnablement, selon cette route, étoit de dire que la béatitude de l'homme consiste dans le sentiment du plaisir, ou en général dans le contentement de l'esprit. Cette doctrine ne comporte point pour cela que l'on établit le bonheur de l'homme dans la bonne chere & dans les molles amours : car tout au plus ce ne peuvent être que des causes efficientes, & c'est de quoi il ne s'agit pas ; quand il s'agira des causes efficientes, on vous marquera les meilleures, on vous indiquera d'un côté les objets les plus capables de conserver la santé de votre corps, & de l'autre les occupations les plus propres à prévenir les chagrins de l'esprit ; on vous prescrira donc la sobriété, la tempérance, & le combat contre les passions tumultueuses & déréglées, qui ôtent à l'ame la tranquillité d'esprit qui ne contribue pas peu à son bonheur : on vous dira que la volupté pure ne se trouve ni dans la satisfaction des sens, ni dans l'émotion des appétits ; la raison en doit être la maîtresse, elle en doit être la regle, les sens n'en sont que les ministres, & ainsi quelques délices que nous espérions dans la bonne chere, dans les plaisirs de la vie, dans les parfums & la musique, si nous n'approchons de ces choses avec une ame tranquille, nous serons trompés, nous nous abuserons d'une fausse joie, & nous prendrons l'ombre du plaisir pour le plaisir même. Un esprit troublé & emporté loin de lui par la violence des passions, ne sauroit goûter une volupté capable de rendre l'homme heureux. C'étoient là les voluptés dans lesquelles Epicure faisoit consister le bonheur de l'homme. Voici comment il s'en explique : c'est à Ménecée qu'il écrit : " Encore que nous disions, mon cher Ménecée, que la volupté est la fin de l'homme, nous n'entendons pas parler des voluptés sales & infâmes, & de celles qui viennent de l'intempérance & de la sensualité. Cette mauvaise opinion est celle des personnes qui ignorent nos préceptes ou qui les combattent, qui les rejettent absolument ou qui en corrompent le vrai sens ". Malgré cette apologie qu'il faisoit de l'innocence de sa doctrine contre la calomnie & l'ignorance, on se récria sur le mot de volupté ; les gens qui en étoient déja gâtés en abuserent ; les ennemis de la secte s'en prévalurent, & ainsi le nom d'épicurien devint très-odieux. Les Stoïciens qu'on pourroit nommer les jansénistes du paganisme, firent tout ce qu'ils purent contre Epicure, afin de le rendre odieux & de le faire persécuter. Ils lui imputerent de ruiner le culte des dieux, & de pousser dans la débauche le genre humain. Il ne s'oublia point dans cette rencontre, il sut penser & agir en philosophe ; il exposa ses sentimens aux yeux du public ; il fit des ouvrages de piété ; il recommanda la vénération des dieux, la sobriété, la continence ; il ne se plaignit point des bruits injurieux qu'on versoit sur lui à pleines mains. " J'aime mieux, disoit-il, les souffrir & les passer sous silence, que de troubler par une guerre désagréable la douceur de mon repos ". Aussi le public, du moins celui qui veut connoître avant que de juger, se déclara-t-il en toutes les occasions pour Epicure ; il estimoit sa probité, son éloignement des vaines disputes, la netteté de ses moeurs, & cette grande tempérance dont il faisoit profession, & qui loin d'être ennemie de la volupté, en est plutôt l'assaisonnement. Sa patrie lui éleva plusieurs statues ; d'ailleurs ses vrais disciples & ses amis particuliers vivoient d'une maniere noble & pleine d'égards les uns pour les autres ; ils portoient à l'excès tous les devoirs de l'amitié, & préféroient constamment l'honnête à l'agréable. Un maître qui a su inspirer tant d'amour pour les vertus douces & bienfaisantes, ne pouvoit manquer d'être un grand homme ; mais on ne doit pas reconnoître pour ses disciples quelques libertins qui ayant abusé du nom de ce philosophe, ont ruiné la réputation de sa secte. Ces gens ont donné à leurs vices l'inscription de sa sagesse, ils ont corrompu sa doctrine par leurs mauvaises moeurs, & se sont jettés en foule dans son parti, seulement parce qu'ils entendoient qu'on y louoit la volupté, sans approfondir ce que c'étoit que cette volupté. Ils se sont contentés de son nom en général, & l'ont fait servir de voile à leurs débauches ; & ils ont cherché l'autorité d'un grand homme, pour appuyer les désordres de leur vie, au-lieu de profiter des sages conseils de ce philosophe, & de corriger leurs vicieuses inclinations dans son école. La réputation d'Epicure seroit en très-mauvais état, si quelques personnes désintéressées n'avoient pris soin d'étudier plus à fond sa morale. Il s'est donc trouvé des gens qui se sont informés de la vie de ce philosophe, & qui sans s'arrêter à la croyance du vulgaire, ni à l'écorce des choses, ont voulu pénétrer plus avant, & ont rendu des témoignages fort authentiques de la probité de sa personne, & de la pureté de sa doctrine. Ils ont publié à la face de toute la terre, que sa volupté étoit aussi sévere que la vertu des Stoïciens, & que pour être débauché comme Epicure, il falloit être aussi sobre que Zénon. Parmi ceux qui ont fait l'apologie d'Epicure, on peut compter Ericius Puteanus, le fameux dom Francisco de Quevedo, Sarrazin, le sieur Colomiés, M. de Saint-Evremont, dont les réflexions sont curieuses & de bon goût, M. le baron Descoutures, la Mothe le Vayer, l'abbé Saint Réal, & Sorbiere. Un auteur moderne qui a donné des ouvrages d'un goût très-fin, avoit promis un commentaire sur la réputation des anciens ; celle d'Epicure devoit y être rétablie. Gassendi s'est sur-tout signalé dans la défense de ce philosophe ; ce qu'il a fait là-dessus est un chef-d'oeuvre, le plus beau & le plus judicieux recueil qui se puisse voir, & dont l'ordonnance est la plus nette & la mieux réglée. M. le chevalier Temple, si illustre par ses ambassades, s'est aussi déclaré le défenseur d'Epicure, avec une adresse toute particuliere. On peut dire en général que la morale d'Epicure est plus sensée & plus raisonnable que celle des Stoïciens, bien entendu qu'il soit question du systême du paganisme. Voyez l'article du SAGE.

On entend communément par volupté tout amour du plaisir qui n'est point dirigé par la raison ; & en ce sens toute volupté est illicite ; le plaisir peut être considéré par rapport à l'homme qui a ce sentiment, par rapport à la société, & par rapport à Dieu. S'il est opposé au bien de l'homme qui en a le sentiment, à celui de la société, ou au commerce que nous devons avoir avec Dieu, dès-lors il est criminel. On doit mettre dans le premier rang ces voluptés empoisonnées qui font acheter aux hommes par des plaisirs d'un instant, de longues douleurs. On doit penser la même chose de ces voluptés qui sont fondées sur la mauvaise foi & sur l'infidélité, qui établissent dans la société la confusion de race & d'enfans, & qui sont suivies de soupçons, de défiance, & fort souvent de meurtres & d'attentats sur les loix les plus sacrées & les plus inviolables de la nature. Enfin on doit regarder comme un plaisir criminel, le plaisir que Dieu défend, soit par la loi naturelle qu'il a donnée à tous les hommes, soit par une loi positive, comme le plaisir qui affoiblit, suspend ou détruit le commerce que nous avons avec lui, en nous rendant trop attachés aux créatures.

La volupté des yeux, de l'odorat, & de l'ouie, est la plus innocente de toutes, quoiqu'elle puisse devenir criminelle, parce qu'on n'y détruit point son être, qu'on ne fait tort à personne ; mais la volupté qui consiste dans les excès de la bonne chere, est beaucoup plus criminelle : elle ruine la santé de l'homme ; elle abaisse l'esprit, le rappellant de ces hautes & sublimes contemplations pour lesquelles il est naturellement fait, à des sentimens qui l'attachent bassement aux délices de la table, comme aux sources de son bonheur. Mais le plaisir de la bonne chere n'est pas à beaucoup près si criminel que celui de l'ivresse, qui non-seulement ruine la santé & abaisse l'esprit, mais qui trouble notre raison & nous prive pendant un certain tems du glorieux caractere de créature raisonnable. La volupté de l'amour ne produit point de désordres tout à fait si sensibles ; mais cependant on ne peut point dire qu'elle soit d'une conséquence moins dangereuse : l'amour est une espece d'ivresse pour l'esprit & le coeur d'une personne qui se livre à cette passion ; c'est l'ivresse de l'ame comme l'autre est l'ivresse du corps ; le premier tombe dans une extravagance qui frappe les yeux de tout le monde, & le dernier extravague, quoiqu'il paroisse avoir plus de raison ; d'ailleurs le premier renonce seulement à l'usage de la raison, au-lieu que celui-ci renonce à son esprit & à son coeur en même tems. Mais quand vous venez à considérer ces deux passions dans l'opposition qu'elles ont au bien de la société, vous voyez que la moins déréglée est en quelque sorte plus criminelle que l'ivresse, parce que celle-ci ne nous cause qu'un désordre passager, au lieu que celle-là est suivie d'un déréglement durable : l'amour est d'ailleurs plus souvent une source d'homicide que le vin : l'ivresse est sincere ; mais l'amour est essentiellement perfide & infidele. Enfin l'ivresse est une courte fureur qui nous ôte à Dieu pour nous livrer à nos passions ; mais l'amour illicite est une idolâtrie perpétuelle.

L'amour propre sentant que le plaisir des sens est trop grossier pour satisfaire notre esprit, cherche à spiritualiser les voluptés corporelles. C'est pour cela qu'il a plu à l'amour-propre d'attacher à cette félicité grossiere & charnelle la délicatesse des sentimens, l'estime d'esprit, & quelquefois même les devoirs de la religion, en la concevant spirituelle, glorieuse, & sacrée. Ce prodigieux nombre de pensées, de sentimens, de fictions, d'écrits, d'histoires, de romans, que la volupté des sens a fait inventer, en est une preuve éclatante. A considérer les plaisirs de l'amour sous leur forme naturelle, ils ont une bassesse qui rebute notre orgueil. Que falloit il faire pour les élever & pour les rendre dignes de l'homme ? Il falloit les spiritualiser, les donner pour objet à la délicatesse de l'esprit, en faire une matiere de beaux sentimens, inventer là-dessus des jeux d'imagination, les tourner agréablement par l'éloquence & la poésie. C'est pour cela que l'amour-propre a annobli les honteux abaissemens de la nature humaine : l'orgueil & la volupté sont deux passions, qui bien qu'elles viennent d'une même source, qui est l'amour-propre, ne laissent pourtant pas d'avoir quelque chose d'opposé. La volupté nous fait descendre, au-lieu que l'orgueil veut nous élever ; pour les concilier, l'amour-propre fait de deux choses l'une ; ou il transporte la volupté dans l'orgueil, ou il transporte l'orgueil dans la volupté ; renonçant au plaisir des sens, il cherchera un plus grand plaisir à acquérir de l'estime ; ainsi voilà la volupté dédommagée ; ou prenant la résolution de se satisfaire du côté du plaisir des sens, il attachera de l'estime à la volupté ; ainsi voilà l'orgueil consolé de ses pertes ; mais l'assaisonnement est encore bien plus flatteur, lorsqu'on regarde ce plaisir comme un plaisir que la religion ordonne. Une femme débauchée qui pouvoit se persuader dans le paganisme qu'elle faisoit l'inclination d'un dieu, trouvoit dans l'intempérance des plaisirs bien plus sensibles ; & un dévot qui se divertit ou qui se vange sous des prétextes sacrés, trouve dans la volupté un sel plus piquant & plus agréable que la volupté même.

La plûpart des hommes ne reconnoissent qu'une sorte de volupté, qui est celle des sens ; ils la réduisent à l'intempérance corporelle, & ils ne s'apperçoivent pas qu'il y a dans le coeur de l'homme autant de voluptés différentes, qu'il y a d'especes de plaisir dont il peut abuser ; & autant d'especes différentes de plaisir, qu'il y a de passions qui agitent son ame.

L'avarice qui semble se vouloir priver des plaisirs les plus innocens, a sa volupté qui la dédommage des douceurs auxquelles elle renonce : populus me sibilat, dit cet avare dont Horace nous a fait le portrait, at mihi plaudo ipse domi, simul ac nummos contemplor in arcâ. Mais comme il y a des passions plus criminelles les unes que les autres, il y a aussi une sorte de volupté qui est particulierement dangereuse. On peut la réduire à trois especes ; savoir la volupté de la haine & de la vengeance ; celle de l'orgueil & de l'ambition ; celle de l'incrédulité, & celle de l'impiété.

C'est une volupté d'orgueil que de s'arroger ou des biens qui ne nous appartiennent pas, ou des qualités qui sont en nous, mais qui ne sont point nôtres ; ou une gloire que nous devons rapporter à Dieu, & non point à nous. On s'étonne avec raison que le peuple romain trouvât quelque sorte de plaisir dans les divertissemens sanglans du cirque, lorsqu'il voyoit des gladiateurs s'égorger en sa présence pour son divertissement. On peut regarder ce plaisir barbare comme une volupté d'ambition & de vaine gloire : c'étoit flatter l'ambition des Romains que de leur faire voir que les hommes n'étoient faits que pour leurs divertissemens. Il y a une volupté de haine & de vengeance qui consiste dans la joie que nous donnent les disgraces des autres hommes ; c'est un affreux plaisir que celui qui se nourrit de larmes que les autres répandent ; le degré de ce plaisir fait le degré de la haine qui le fait naître. Le grand Corneille à qui on ne peut refuser d'avoir bien connu le coeur de l'homme, exprime dans ces vers l'excès de la haine par l'excès du plaisir.

Puissai-je de mes yeux y voir tomber la foudre,

Voir tes maisons en cendre & tes lauriers en poudre,

Voir le dernier romain à son dernier soupir,

Moi seule en être cause, & mourir de plaisir.

L'incrédulité se fortifie du plaisir de toutes les autres passions qui attaquent la religion, & se plaisent à nourrir des doutes favorables à leurs déreglemens ; & l'impiété qui semble commettre le mal pour le mal même, & sans en trouver aucun avantage, ne laisse pas d'avoir ses plaisirs secrets, d'autant plus dangereux, que l'ame se les cache à elle-même dans l'instant qu'elle les goûte le mieux ; il arrive souvent qu'un intérêt de vanité nous fait manquer de révérence à l'Etre suprême. Nous voulons nous montrer redoutables aux hommes, en paroissant ne craindre point Dieu ; nous blasphémons contre le ciel pour menacer la terre ; mais ce n'est pourtant pas là le sel qui assaisonne principalement l'impiété. L'homme impie hait naturellement Dieu, parce qu'il hait la dépendance qui le soumet à son empire, & la loi qui borne ses desirs. Cette haine de la Divinité demeure cachée dans le coeur des hommes, où la foiblesse & la crainte la tiennent couverte, sans même que la raison s'en apperçoive le plus souvent ; cette haine cachée fait trouver un plaisir secret dans ce qui brave a Divinité.

Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni.

" Il dédaigne de voir le ciel qui le trahit ".

Tout cela a paru brave, parce qu'il étoit impie.

La volupté corporelle est plus sensible que la volupté spirituelle ; mais celle-ci paroît plus criminelle que l'autre : car la volupté de l'orgueil est une volupté sacrilége, qui dérobe à Dieu l'honneur qui lui appartient, en retenant tout pour elle. La volupté de la haine est une volupté barbare & meurtriere qui se nourrit de pleurs ; & la volupté de l'incrédulité est une volupté impie qui se plaît à dégrader la Divinité.


VOLUPTUAIREadj. (Gramm. & Jurisprud.) se dit de ce qui n'est fait que pour l'agrément & non pour l'utilité.

Ce terme n'est guere usité qu'en fait d'impenses ; on distingue celles qui sont utiles de celles qui ne sont que voluptuaires ; on fait raison au possesseur de bonne foi des premieres, mais non pas des secondes. Voyez IMPENSES. (A)


VOLUPTUEUXadj. (Gram.) qui aime les plaisirs sensuels : en ce sens, tout homme est plus ou moins voluptueux. Ceux qui enseignent je ne sais quelle doctrine austere qui nous affligeroit sur la sensibilité d'organes que nous avons reçue de la nature qui vouloit que la conservation de l'espece & la nôtre fussent encore un objet de plaisirs ; & sur cette foule d'objets qui nous entourent & qui sont destinés à émouvoir cette sensibilité en cent manieres agréables, sont des atrabilaires à enfermer aux petites-maisons. Ils remercieroient volontiers l'être tout-puissant d'avoir fait des ronces, des épines, des venins, des tigres, des serpens, en un mot tout ce qu'il y a de nuisible & de malfaisant ; & ils sont tout prêts à lui reprocher l'ombre, les eaux fraîches, les fruits exquis, les vins délicieux, en un mot, les marques de bonté & de bienfaisance qu'il a semées entre les choses que nous appellons mauvaises & nuisibles. A leur gré, la peine, la douleur, ne se rencontrent pas assez souvent sur notre route. Ils voudroient que la souffrance précédât, accompagnât & suivît toujours le besoin ; ils croient honorer Dieu par la privation des choses qu'il a créées. Ils ne s'apperçoivent pas que s'ils font bien de s'en priver, il a mal fait de les créer ; qu'ils sont plus sages que lui ; & qu'ils ont reconnu & évité le piege qu'il leur a tendu.


VOLUTES. f. (Conchyliolog.) genre de coquille univalve qui a pris ce nom de sa propre figure, dont la bouche est toujours allongée, le sommet élevé, souvent applati, quelquefois couronné.

La famille des volutes se confond aisément avec celle qui renferme les rouleaux ; mais pour peu qu'on examine ces coquilles dans leur figure extérieure, on observera que les volutes sont faites en cônes, dont une des extrémités est pyramidale, & l'autre se coupe à vives arêtes pour former une clavicule applatie, ou une couronne dentelée. Le rouleau au contraire a la tête élevée, & est presque égal dans ses deux extrémités, avec les côtés un peu renflés dans le milieu ; on ne doit point s'arrêter à la bouche pour fixer son caractere générique, sa figure qui s'allonge en pointe par le bas, est tout ce qui le détermine, ainsi que sa tête applatie & séparée du corps par une vive arête.

Le caractere spécifique le plus remarquable de cette famille est dans la clavicule ; il y en a de fort élevées, comme celle de la flamboyante ; & d'autres très-plates, telle qu'est la clavicule de la moire : la couronne impériale a aussi sa singularité dans la couronne dentelée qui orne sa tête.

Les volutes, qu'on nomme aussi cornets en françois, sont appellées en latin par plusieurs auteurs rhombi, mot qui veut dire une lozange, & qui par conséquent est impropre pour désigner les coquilles dont il s'agit ici. On leur a donné plus justement le nom de volute, parce que dans l'architecture les volutes d'un chapiteau vont en diminuant jusqu'au point appellé l'oeil de la volute. D'autres disent, volutae, à volvendo, vel revolutione spirali dictae.

On peut distribuer avec M. Dargenville, les volutes sous cinq classes générales. 1°. Volutes dont le sommet est élevé. 2°. Volutes dont le sommet est applati & coupé par différentes côtes. 3°. Volutes dont le sommet est couronné. 4°. Volutes dont le sommet est joint au corps sans aucune arête. 5°. Volutes dont le sommet est détaché du corps par un cercle, le corps renflé dans le milieu & la bouche évasée.

Dans la classe des volutes dont le sommet est élevé, on met les especes suivantes. 1°. le grand-amiral ; 2°. le vice-amiral ; 3°. l'amiral d'orange ; 4°. l'amiral chagriné ; 5°. le faux amiral, ou le navet ; 6°. les spectres ; 7°. la volute entourée de lignes, & de couleur fauve ; 8°. la flamboyante ; 9°. la peau de chagrin ; 10°. la minime ; 11°. la guinée, ou la spéculation ; 12°. la volute fasciée à stries, & rougeâtre ; 13°. la pointillée ; 14°. l'hébraïque ; 15°. la volute brune, entourée de deux zônes blanches ; 16°. l'isabelle ; 17°. le drapeau ; 18°. la volute bariolée de deux zônes à réseaux ; 19°. la chauve-souris ; 20°. la volute blanche marquetée de points, & de taches jaunes.

Dans la classe des volutes dont le sommet est applati & coupé par différentes côtes, on distingue les especes suivantes. 1°. la moire, en latin bombix ; 2°. le léopard ou tigre noir ; 3°. le léopard jaune ; 4°. le léopard rouge ; 5°. le damier ; 6°. le damier à points bleus ; 7°. la volute fasciée de points jaunes & blancs ; 8°. la tinne de beurre, elle est quelquefois tachetée de petites lignes couleur d'agate ; 9°. la volute, dite esplandion ; 10°. la volute cerclée d'une fasce blanche ; 11°. le cierge brut, autrement dit l'onix ; quand il est poli, on l'appelle le cygne ; 12°. l'aîle de papillon ; 13°. la volute verdâtre, cerclée de points & de zônes bariolées.

Dans la classe des volutes dont le sommet est couronné, on compte 1°. la couronne impériale toute fasciée ; 2°. la même moins fasciée ; 3°. la même bariolée de brun ; 4°. la même marbrée de noir.

A la classe des volutes dont le sommet est joint au corps sans aucune arête, appartiennent 1°. le drap d'or ; 2°. le drap d'argent ; 3°. le drap citron ; 4°. le drap d'or fascié ; 5°. la brunette ; 6°. l'omelette ; 7°. la volute à réseau ; 8°. la volute empennée, ou représentant des plumes d'oiseau ; 9°. la volute bariolée de taches bleues ; 10°. la volute grenue, entourée de taches & de pointes ; 11°. la même toute jaune.

La cinquieme & derniere classe des volutes, contient 1°. l'écorchée ; 2°. le nuage ; 3°. le brocard de soie ; 4°. le brocard d'argent ; 5°. le taffetas, en latin pannus sericus ; 6°. la tulipe, toutes coquilles recherchées.

Aussi est il vrai que les volutes composent une des plus riches & des plus précieuses familles que l'on ait dans l'histoire des coquilles ; & Rumphius a eu raison de les nommer eximiae. Rien n'est au-dessus des compartimens de l'amiral ; l'éclat de ses couleurs, l'émail de sa blancheur, & sa belle forme, le rendent encore plus recommandable que sa rareté. Les Hollandois sont si curieux de cette coquille, que quelques uns l'ont achetée jusqu'à mille florins ; ainsi que le vice-amiral qui n'est guere moins estimé. Cette derniere est un fond blanc marqueté de taches longues, déchiquetées de couleur rouge foncé, avec une ligne ponctuée vers le milieu, comme à l'amiral. Comme elle vient de la mer & des pays éloignés, ils l'ont appellée par excellence le grand-amiral, l'amiral, l'amiral d'Orange. Quand au lieu d'une ligne ponctuée qui se trouve dans le bas ou au milieu de la grande fasce jaune, on compte jusqu'à trois ou quatre de ces lignes, cette singularité augmente le prix de la coquille. La volute nommée les spectres, est encore singulierement recherchée. Voyez SPECTRES, les. (Conchyliolog.)

La peau de chagrin est remarquable par sa surface grenue, tandis que sur une couleur fauve tachetée de blanc, s'éleve par étages une tête pointillée. Les taches noires répandues sur la robe blanche de l'hébraïque, imitent assez bien des caracteres hébreux.

Le tigre ou léopard jaune tacheté de blanc, est rare. L'aîle de papillon l'est encore davantage : certains yeux & des taches faites en croissant sur les trois rangs de bandelettes qui l'entourent, ressemblent assez à celles des aîles de papillon. La couronne impériale a pris son nom d'une tête très-plate chargée de tubercules, qui régulierement disposées, forment une espece de couronne.

Remarque générale à faire sur la beauté des volutes. Leur clavicule ou sommet est ordinairement assez élevé & composé de huit à dix spires arrondies, souvent coupées dans leur contour par de petits filets qui tournent avec elles jusqu'à l'oeil de la volute dont la pointe est extrêmement fine ; quand les mêmes compartimens qui ornent la robe, se répetent régulierement sur le sommet, ils rendent ces coquilles parfaites.

Deux mots sur l'animal qui habite les volutes, suffiront. Il est peu different de celui qui occupe le rouleau. Il sort de l'extrémité opposée au sommet un col penché avec une tête ronde, d'où partent deux cornes cylindriques, très pointues, au milieu desquelles sont situés deux points noirs saillans qui dénotent ses yeux, surmontés par la pointe de ses cornes. Un petit trou rond, ouvert au milieu d'une place assez large au haut de la tête, indique la position de la bouche. Elle fait l'office d'un suçoir pour attirer à soi les corps qui lui conviennent. (D.J.)

VOLUTE, (Conchyliographie) en latin helix, c'est le contour des spirales autour du fust de la coquille ; lequel fust, en latin columella, va en diminuant à un point comme centre qu'on appelle oeil de la volute. (D.J.)

VOLUTE, (Architect civile) c'est un des principaux ornemens des chapiteaux ioniques & composites. Il représente une espece d'écorce roulée en ligne spirale ; & les Grecs qui l'ont inventée, ont voulu représenter par-là les boucles des cheveux des femmes sur lesquelles ils proportionnerent les colonnes ioniques. On dessine ainsi la volute, selon M. Perrault.

1°. Ayant marqué l'astragale qui doit avoir deux douziemes d'épaisseur, & s'étendre à droite & à gauche (autant que le diamêtre du bas de la colonne peut le permettre) ; du haut de la colonne sur la face où l'on veut tracer la volute, tirez une ligne à niveau par le milieu de l'astragale, & faites la passer au-delà de l'extrémité de cette moulure.

2°. Faites descendre du haut de l'abaque une ligne perpendiculaire sur une autre ligne qui passe par le centre du cercle, dont la moitié décrit l'extrémité de l'astragale. Vitruve appelle oeil ce cercle qui a deux douziemes de diamêtre ; & c'est dans ce cercle que sont placés douze points qui servent de centre aux quatre quartiers de chacune des trois révolutions dont la volute est composée. On fait l'opération suivante pour avoir ces douze points.

3°. Tracez dans l'oeil un quarré dont les diagonales soient l'une dans la ligne horisontale, & l'autre dans la ligne verticale ; ces lignes se coupent au centre de l'oeil.

4°. Du milieu du côté de ce quarré, tirez deux lignes qui séparent le quarré en quatre parties égales ; ces parties donnent les douze points dont il s'agit. On trace ensuite la volute. Pour la faire, on met une jambe du compas sur le premier point qui est dans le milieu du côté intérieur & supérieur du quarré, & l'autre jambe à l'endroit où la ligne verticale coupe la ligne du bas de l'abaque ; & on trace un quart de cercle en dehors & en bas, jusqu'à la ligne horizontale. De cet endroit au second point, on décrit un second quart de cercle tournant intérieurement jusqu'à la ligne verticale. On passe de là au troisieme point, qui est dans le milieu du côté inférieur & extérieur du quarré, pour tracer le troisieme quart de cercle tournant en haut & en bas, jusqu'à la ligne horisontale. On vient ensuite au quatrieme point d'où l'on décrit le quatrieme quart de cercle tournant en haut & en bas jusqu'à la ligne verticale. Du cinquieme point on décrit de même le cinquieme quart de cercle, & de même le sixieme, du sixieme point qui est au-dessous du second ; & le septieme, du septieme qui est au dessous du troisieme. En allant ainsi de point en point par le même ordre, on trace les douze quartiers qui font le contour spiral de la volute. (D.J.)

VOLUTE, s. f. (Archit.) enroulement en ligne spirale ionique, qui fait le principal ornement des chapiteaux ionique, corinthien & composite. Les volutes sont différentes dans ces trois ordres. Voy. là-dessus le cours d'architecture de Daviler, édition 1750, & la maniere de dessiner les volutes. Les volutes du chapiteau corinthien qui sont au dessus des caulicoles, sont au nombre de seize, huit angulaires, & huit autres plus petites appellées hélices. Il y a quatre volutes dans le chapiteau ionique, & huit dans le composite. Mais cet ornement est particulier au chapiteau ionique. Il représente une espece d'oreiller ou de coussin, posé entre l'abaque & l'échine, comme si l'on avoit craint que la pesanteur de l'abaque, ou de l'entablement qui est au-dessus, ne rompît ou ne gâtât l'échine.

Si l'on en croit Vitruve, les volutes représentent la coëffure des femmes, & les boucles des cheveux. Leon-Baptiste Albert les appelle coquilles, parce qu'elles ressemblent à la coquille d'un limaçon, & par cette raison, les ouvriers leur donnent le nom de limaces.

Les volutes ne sont pas seulement des ornemens aux chapiteaux ; il y en a encore aux consoles, aux modillons & ailleurs. Dans les modillons, ce sont deux enroulemens inégaux du côté du modillon corinthien, & dans les consoles, les enroulemens des côtés de la console sont presque semblables aux enroulemens du modillon.

Volute à l'envers. Volute qui au sortir de la tigette se contourne en dedans. Il y a des volutes de cette façon à Saint-Jean-de Latran & à la Sapience à Rome, du dessein du cavalier Bernin.

Volute angulaire. Volute qui est pareille dans les quatre faces du chapiteau, comme au temple de la Concorde, à Rome.

Volute arasée. Volute dont le listel, dans ses trois contours, est sur une même ligne, comme les volutes de l'ionique antique, & la volute de Vignole.

Volute à tige droite. Volute dont la tige parallele au tailloir, sort de derriere la fleur de l'abaque, comme aux chapiteaux composites de la grande salle des thermes de Dioclétien, à Rome.

Volute de parterre. Enroulement de buis ou de gazon dans un parterre.

Volute évuidée. Volute dont le canal d'une circonvolution est détaché du listel d'une autre par un vuide à jour. De toutes les volutes, celle-ci est la plus legere. On en voit de pareilles aux pilastres ioniques de l'Eglise des PP. Barnabites à Paris.

Volute fleuronnée. Volute dont le canal est enrichi d'un rinceau d'ornement, comme aux chapiteaux composites des arcs antiques à Rome.

Volute unissante. Volute qui semble sortir du vase par derriere l'orc, & qui monte dans l'abaque. On la pratique aux plus beaux chapiteaux composites.

Volute ovale. Volute qui a ses circonvolutions plus hautes que larges, comme on les pratique aux chapiteaux angulaires modernes, ioniques & composites, & comme elles sont au temple de la Fortune virile, & au théâtre de Marcellus à Rome.

Volute rentrante. Volute dont les circonvolutions rentrent en-dedans, comme les ioniques de Michel-Ange au Capitole à Rome.

Volute saillante. Volute dont les enroulemens se jettent en-dehors, comme aux ordres ioniques du portail des PP. Feuillans, & de celui de Saint-Gervais à Paris. Daviler. (D.J.)


VOLUTITESS. f. (Hist. nat.) nom donné par les naturalistes à une coquille univalve pétrifiée, parce qu'elle est en volute ou en spirale. La coquille nommée l'amiral, est de cette espece.


VOLUTRINES. f. (Mytholog.) divinité des Romains qui présidoit à l'enveloppe des grains.


VOLVESTRE(Géogr. mod.) petit pays de France, dans le Languedoc, au diocèse de Rieux ; ce nom pourroit bien venir de celui de la petite riviere de Vol, qui arrose une partie du diocèse de Rieux. (D.J.)


VOLVULESvolvulae, (Hist. nat.) quelques auteurs ont donné ce nom aux fragmens de l'entrochite que l'on nomme trochites, à cause de leur forme semblable à celle d'une roue. On a aussi donné ce nom aux entrochites elles mêmes. Voyez TROCHITES & ENTROCHITES.


VOLVULUSS. m. en Médecine, est un nom que donnent quelques auteurs à la passion iliaque ; d'autres l'appellent chordapsus, & d'autres miserere. Voy. ILIAQUE, CHORDAPSUS & MISERERE. Voyez PASSION ILIAQUE.


VOMANOLE, (Géog. mod.) en latin Vomanus, riviere d'Italie au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure. Elle y prend sa source à quelques milles d'Amatri ; & après avoir mouillé Montorio, elle vient se perdre dans le golfe de Venise. (D.J.)


VOMANUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans le Picenum, selon Pline, l. III. c. xiij. Silius Italicus, l. VIII. v. 439. en fait mention dans ces vers.

..... Statque humectata Vomano

Hadria..........

Ce fleuve conserve son ancien nom ; car il s'appelle encore le Vomano. (D.J.)


VOMERS. m. (Anatom.) La lame osseuse qui sépare la cavité des narines est sujette à de grandes irrégularités, car on la trouve dans le plus grand nombre de sujets, bossuée tantôt d'un côté, tantôt de l'autre ; desorte qu'il s'en faut beaucoup que les cavités des narines soient égales, ce qui n'est pas inutile de savoir.

Les anatomistes prétendent que cette cloison nasale est composée de deux pieces, une supérieure antérieure qui appartient à l'os ethmoïde ; l'autre inférieure & postérieure, à laquelle ils ont donné le nom de vomer ; mais tout cela paroît être une erreur, dont voici la cause.

La lame osseuse est si mince vers son milieu échancré, qu'elle se brise, pour peu qu'on y touche ; elle se fend d'elle-même lorsqu'elle a été exposée quelque tems au soleil & à la rosée ; desorte qu'on a quelque peine à la trouver dans son entier, sur-tout dans les têtes des cimetieres ; on l'a donc regardée comme faite de deux os, & en conséquence on a placé l'articulation de ces deux os dans l'endroit le plus foible de la cloison, qu'on trouve ordinairement brisé, sans faire attention au peu de solidité qu'auroit cette connexion qui seroit contraire aux loix que la nature s'est imposée dans l'assemblage des os, & sans considérer que dans les articulations par surface, l'étendue doit être proportionnée au volume & à l'usage des parties, ce qui ne sauroit convenir à l'articulation supposée ; enfin l'irrégularité de cette connexion, qui n'a presque jamais la même forme dans les sujets secs, & qu'on trouve tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, n'a point frappé le commun des anatomistes ; mais si l'on examine cette partie dans les sujets frais, on aura le plaisir de trouver la cloison dans son entier, & même on la trouvera telle dans plusieurs têtes seches qui n'auront pas été long tems exposées au soleil & à la rosée. (D.J.)


VOMIQUES. f. (Médecine) cette maladie est un abscès dans le poumon qui provient ou de tubercules cruds qui sont venus à suppurer, ou d'une inflammation lente qui n'a pû se résoudre, & que la trop grande étendue de l'engorgement, & la tension des parties ont forcé d'abscéder ; les causes & les signes sont les mêmes que ceux des abscès. La respiration est extrêmement génée. Voyez PHTHISIE.

La vomique des poumons est une maladie occulte dans laquelle les malades paroissent jouir d'une assez bonne santé ; ils ont un petit abscès dans quelque partie de ce viscere ; cet abscès est exactement renfermé dans un kiste ou une membrane qui forme une espece de poche ; ceux qui sont attaqués d'atrophie, ou qui ont quelques vaisseaux rompus dans les poumons, sont fort sujets aux vomiques, ils ont l'haleine puante long-tems avant qu'elle perce, le sang leur vient quelquefois à la bouche en toussant, ils ont le corps lourd & pesant ; leurs toux sont longues & incommodes, elles sont suivies quelquefois de l'ouverture de la vomique & de l'expectoration de la matiere qu'elle contient, alors il leur survient une fievre assez considérable, le crachement de sang & des agitations du corps violentes : ces symptomes ne sont pas toujours suivis de la mort, on recouvre quelquefois la santé ; mais s'il arrive que la vomique en s'ouvrant se décharge sur le coeur, le malade mourra subitement ; on a des exemples de cet accident. Lommius.

Cette maladie ne peut qu'être extrêmement dangereuse, comme il le paroît par la fonction de la partie attaquée ; mais on ne peut la prévenir, & il est difficile d'y remédier lorsqu'elle est formée : voici les vues que l'on peut suivre dans le traitement.

1°. Dans la vomique imminente il faut prendre garde qu'elle ne se forme, & cela par les saignées & tous les remedes de l'inflammation, les adoucissans, les huileux & les béchiques doux ; il faut ordonner au malade le même régime qu'aux phthisiques. On peut s'enhardir à ordonner les expectorans.

2°. Dans la vomique formée, & prête à se rompre, il y a d'autres mesures à prendre pour diminuer les dangers de sa rupture, s'il est possible ; car elle est à craindre pour le malade de quelque façon qu'elle se fasse : il seroit à souhaiter qu'elle se vuidât par métastase, en prenant la route des selles ou des urines ; cette voie quoique longue seroit bien moins dangereuse ; mais si elle se jette sur les bronches, comme il est naturel que cela arrive, alors le danger est imminent, car le poumon se trouve engorgé de matiere purulente, & les vésicules sont remplies de pus, de façon qu'elles ne peuvent recevoir l'air ni le chasser ; la respiration devient interceptée, & le malade est comme englouti & suffoqué par la mauvaise odeur qu'exhale la matiere purulente qui sort des bronches par flot : dans ce dernier cas, il faut disposer le malade de façon à empêcher qu'il ne soit étouffé par la rupture de la vomique, & pour cela on le fait coucher sur le ventre, afin d'aider l'éruption du pus par les bronches & la trachée artere ; ensuite on lui fait respirer une eau de senteur, ou on lui en met dans la bouche pour empêcher la puanteur de le suffoquer.

Supposé que la rupture fût prochaine & imminente, & qu'on la prévît ne pouvoir se faire d'elle-même, on pourroit l'aider ou l'accélérer en faisant éternuer ou tousser le malade, en excitant le vomissement. Ces moyens quoique périlleux, sont pourtant salutaires dans l'occasion : si la matiere ne peut sortir tout à la fois, ou parce qu'il y a plus d'un sac, ou parce qu'elle est en trop grande quantité, alors on doit ménager les forces du malade, & prendre garde de l'épuiser.

Lorsque la rupture & l'éruption de la vomique sont faites, on doit remédier au délabrement qu'elles ont causé ; mais ce point est encore plus difficile que le précédent, car l'ulcere étant fort étendu, toujours arrosé par la lymphe bronchiale, agité par l'action du poumon même, frappé par l'abord continuel de l'air, il est impossible qu'il se cicatrise ; on doit donc employer une cure palliative qui est la même que pour la phthisie ; mais on doit avoir égard à la corruption de la matiere purulente, à l'affoiblissement des forces, & à la fievre lente dont les indications sont différentes.

La premiere demande des fortifians, des restaurans & des analeptiques, tels que les bouillons, les gelées de veau, de poulet, le blanc-manger ; ensuite on peut recourir aux baumes naturels & artificiels, tels que le baume de tolu, son syrop, le baume du commandeur de Perne.

La seconde indication demande les adoucissans, les tempérans, le lait coupé avec l'eau d'orge, ou le biscuit dans le bouillon, la semoule, le gruau cuit de même. Ces sortes d'alimens doivent être aromatisés avec l'essence de bergamotte ou de citron.

Si la fievre peut s'emporter, on change l'air du malade, on le mene à la campagne pour y prendre le lait, & enfin on prend toutes les précautions que demande le traitement de la phthisie.


VOMIRv. act. & neut. (Gram.) c'est rendre par la bouche ce qui est renfermé dans l'estomac. On vomit naturellement ou artificiellement. Il se prend aussi au figuré : vomir des injures, vomir du feu. Les injures que les auteurs ont vomi les uns contre les autres, &c.

VOMIR, (Hydraul.) se dit en terme de fontaines, d'une figure ou d'un masque qui jette beaucoup d'eau, presque à fleur de la surface d'un bassin. (K)


VOMISSEMENTS. m. (Médecine) c'est un mouvement spasmodique & retrograde des fibres musculaires de l'oesophage, de l'estomac, des intestins, accompagné de convulsions des muscles de l'abdomen & du diaphragme, qui, lorsqu'elles sont légeres, produisent les rots, les nausées ; & le vomissement, quand elles sont violentes. Ces désordres convulsifs procedent de la quantité immodérée, ou de l'acrimonie des alimens, d'un poison, de quelque lésion du cerveau, comme plaies, contusion, compression, ou inflammation de cette partie, d'une inflammation au diaphragme, à l'estomac & aux intestins, à la rate, au foie, aux reins, au pancréas ou au mésentere, de l'irritation du gosier, d'un mouvement désordonné des esprits, causé par une irritation ou une agitation non accoutumée, comme le mouvement d'un carrosse, d'un vaisseau, ou autre cause semblable, ou l'idée de quelque chose dégoûtante.

Les symptomes du vomissement sont les nausées incommodes, la tension dans la région épigastrique, un sentiment de pesanteur au même endroit, l'amertume dans la bouche, la chaleur, les tiraillemens, la perte de l'appétit, l'anxiété, la chaleur à l'endroit de l'estomac, l'agitation, l'affluence de la salive à la bouche, les crachats fréquens, le vertige, l'affoiblissement de la vue, la pesanteur, la rougeur au visage, le tremblement de la levre inférieure, la cardialgie qui dure jusqu'à ce qu'on ait rejetté ce qui étoit contenu dans l'estomac.

Tous ces symptomes dénotent évidemment un mouvement spasmodique & convulsif de l'estomac, & de ses parties nerveuses.

Le vomissement se distingue par les matieres que l'on rend. Le pituiteux est celui où l'on rend des matieres mucilagineuses, chyleuses, & des restes d'alimens imparfaitement dissous. Il est bilieux lorsque les matieres rendues ne sont qu'un amas bilieux ; enfin, il y a des vomissemens noirâtres, corrompus, verds, érugineux & porracés, selon la couleur des matieres & des humeurs rejettées. On rend aussi quelquefois par le vomissement des vers & des insectes.

Le vomissement est souvent sanguinolent ; on rend alors le sang tout fluide, il est souvent épais, noirâtre ; cela arrive sur-tout dans la maladie noire d'Hippocrate, dans l'inflammation & l'engorgement de l'estomac.

Souvent le vomissement est stercoreux, parce que le mouvement retrograde de l'estomac & des intestins rappelle de ces cavités les matieres stercorales ; il y a des vomissemens où l'on évacue du pus & une matiere sanieuse. On voit des malades rendre par le vomissement des masses charnues & membraneuses qui s'étoient engendrées dans leur estomac.

On voit que la cause prochaine qui dispose au vomissement est la stimulation ou le tiraillement des fibres nerveuses de l'estomac & du duodenum, où la matiere qui cause ce tiraillement est dans ces parties mêmes, ou dans d'autres plus éloignées, mais qui correspondent à celles-ci par des nerfs, de là naît la distinction du vomissement en symptomatique & en idiopathique, la cause matérielle de celui-ci est dans l'estomac même ou dans le duodenum ; celle de l'autre ou du symptomatique est plus éloignée, elle réside dans les intestins inférieurs, les conduits biliaires, les reins, la tête, ou quelqu'autre partie distante ou prochaine de l'estomac, elle dépend principalement du concours des parties, de la sympathie des nerfs ; c'est ainsi que les douleurs du foie, de la rate, des reins, de la vessie, les rétentions d'urine, la colique néphrétique, l'affection coeliaque, la hernie entérocele, épiplocele, périplocele, causent les vomissemens.

Le symptomatique est plus ordinaire que l'idiopathique, il paroît occasionné par le renversement des mouvemens des nerfs & des esprits, ce qui provient des chatouillemens différens ; c'est ainsi que l'imagination frappée de quelque chose de désagréable excite au vomissement ; c'est ainsi que les vers dans le nez, dans les intestins produisent le vomissement : Une plaie dans le cerveau excite le même symptome.

Prognostic. Le vomissement critique en général est salutaire. Le symptomatique est mauvais ; le pire de tous est celui que cause une acrimonie subtile qui irrite les nerfs.

Le vomissement violent avec toux, douleur, obscurcissement de la vue, pâleur, est dangereux ; car il peut causer l'avortement, une descente, repousser la matiere arthritique, dartreuse, érésypélateuse, vérolique sur quelques parties nobles, au grand détriment du malade ; il occasionne quelquefois la rupture de l'épiploon, le vomissement devient mortel dans ceux qui sont disposés aux hernies, ou qui en sont attaqués, car il y produit un étranglement.

Les vomissemens bilieux, poracés, érugineux, sont effrayans ; ils menacent d'inflammation.

Le vomissement causé par des vers qui corrodent l'estomac, sur-tout si l'on rend des vers morts, & qu'il y ait cessation des symptomes les plus formidables, avec des convulsions violentes dans les membres ; c'est l'indication d'un sphacele qui détruit les vers & les malades.

Le vomissement fétide n'augure jamais rien de bon, attendu qu'il indique une corruption interne.

Le vomissement de sang continué long-tems & violent ne peut que terminer bientôt la vie du malade.

Le vomissement qui dure depuis six mois & plus, qui est accompagné de chaleur & de fievre lente avec exténuation par tout le corps, donne lieu de soupçonner que l'estomac est ulcéré.

Souvent le vomissement se guérit de lui-même, parce qu'il détruit la cause morbifique qui le produisoit ; c'est ainsi que les matieres peccantes étant évacuées & emportées cessent d'irriter l'estomac. Dans ce sens l'émétique est salutaire dans le vomissement, & le proverbe qui dit vomitus vomitu curatur, se trouve vrai. C'est le sentiment d'Hippocrate, Epid. l. VI. & la maxime qui dit que les contraires se guérissent par les contraires, n'est pas moins vraie dans ce cas.

Le traitement du vomissement demande que l'on emporte les causes qui le produisent, & que l'on emploie ensuite les remedes calmans, restaurans & prophilactiques : ainsi la premiere indication consiste à évacuer la matiere peccante par le vomissement, si cette voie est nécessaire.

On commence dans l'acrimonie par saigner le malade, pour diminuer la contraction spasmodique de l'estomac, c'est ce qui se pratique aussi dans le vomissement de sang, dans la chaleur d'entrailles ; ensuite on ordonne l'émétique en lavage, le tartre stibié, comme nous l'avons dit en son lieu (voyez ÉMETIQUE) ou l'ipécacuanha, à la dose de six grains, lorsque la matiere peccante est une humeur glaireuse qui corrode & irrite les tuniques de l'estomac. Ce végétal résineux opere de même dans le vomissement, que dans la dyssenterie, contre laquelle il est regardé comme spécifique.

On peut encore évacuer & calmer tout-à-la-fois par un purgatif ordonné de la façon suivante. Prenez de manne deux onces, de catholicon double une once, de syrop violat une once, d'eau de pavot rouge six onces ; faites du tout une potion purgative & calmante.

La seconde indication dans le vomissement consiste à calmer les spasmes, les convulsions & les tiraillemens de l'estomac par les remedes appropriés.

Dans le vomissement bilieux, on évacuera la bile surabondante, on la délayera par les amers, les purgatifs minoratifs, comme la casse, la manne, la rhubarbe, le rapontic & autres.

Dans le vomissement de sang, on emploiera la saignée réitérée, on évitera l'émétique, à-moins qu'il n'y eût sabure ; on emportera ce mal par les eaux acidules, les apozèmes & les juleps astringens & anodins.

Mais on doit prendre garde de tourmenter le malade par les remedes astringens dans aucun vomissement, si l'on n'a pas eu le soin auparavant d'emporter les matieres âcres & irritantes ; autrement on fatigueroit beaucoup, & on ne feroit qu'attirer des inflammations sur l'estomac ou les intestins. Ainsi dans le vomissement sympathique & symptomatique, il faut songer avant toutes choses à attaquer la cause éloignée qui produit le vomissement. Ainsi, on doit commencer par soulager le mal de tête, la migraine, les plaies, les contusions du cerveau, les convulsions des méninges ; on emportera la fievre, les vers, la colique néphrétique, on remettra la hernie, on fera rentrer le sac herniaire, s'il est possible, on procurera le rétablissement des évacuations ordinaires, dont la suppression auroit pu causer le vomissement ; c'est ainsi que l'écoulement des menstrues, le flux hémorrhoïdal rétabli guérissent le vomissement causé par leur suppression.

Dans le vomissement avec cardialgie continuelle & accompagné de vapeurs, ou précédé de spasme & de convulsion, on ordonnera les remedes antispasmodiques, tels que les teintures de castor, les huiles de succin, les teintures de fleurs de tilleul, de pivoine, l'eau de cerise noire, l'opium & ses préparations, les gouttes d'Angleterre, l'huile douce de vitriol, le soufre anodin de vitriol.

Dans le vomissement avec ulcere à l'estomac, on aura soin de penser à cet ulcere ; pour remplir les indications qu'il présente, & soulager le malade autant qu'il est possible, on doit éviter tout aliment âcre, on emploiera les alimens gélatineux & nourrissans, le lait coupé avec les bois, les baumes naturels & artificiels, & sur-tout celui du commandeur de Perne.

Mais tous les remedes sont inutiles, si on n'insiste sur un régime exact & modéré ; les alimens doivent être proportionnés à la cause du mal, à l'état de l'estomac & à sa foiblesse, la quantité doit être réglée, l'esprit doit être tranquille, on doit aider le sommeil, l'air sera pur, l'exercice fréquent & modéré.

La troisieme indication sera préservative ou prophilactique ; ainsi elle variera selon les causes : on aura donc recours aux atténuans, aux remedes chauds & stomachiques dans la viscosité des humeurs, dans la disposition pituiteuse & phlegmatique des visceres, on emploiera les amers dans le défaut de ressort & l'atonie des parties qui servent à la chylification.

Les principaux remedes & les plus efficaces dans le vomissement produit par un acide, répondent à une indication fort générale, qui est d'absorber ces mêmes acides qui produisent le vomissement ; on emploie pour la remplir les absorbans, les terreux & les diaphorétiques.

Les absorbans sont d'autant plus salutaires, qu'ils émoussent les pointes des acides, & forment avec elles de véritables sels neutres qui sont laxatifs & purgatifs.

Le vomissement chronique & qui a duré long-tems, ne peut s'emporter que par l'usage des eaux minérales sulphureuses ou thermales dans le cas de relâchement & de viscosité, par les eaux savonneuses dans le cas d'obstructions lentes & glutineuses des visceres, & par les eaux acidules & ferrugineuses, lorsque les obstructions sont tenaces & produites par un sang épais & noirâtre.

La saignée n'est nécessaire dans le vomissement que dans le cas de chaleur, d'ardeur d'estomac, ou dans le vomissement de sang. La saignée est pour prévenir l'effet des remedes indiqués dans cette maladie.

Corollaire. Le vomissement peut être regardé comme un symptome salutaire dans beaucoup de maladies, il est des personnes en qui il produit le même effet que le flux menstruel & l'éruption des regles ; alors on ne doit point l'arrêter, non plus que ces évacuations, il faut seulement procurer l'évacuation par une autre voie.

Il ne faut pas s'exciter à vomir à la légere, souvent on s'attire des maladies funestes, & l'estomac affoibli par ce vomissement forcé ne peut se rétablir quelque remede que l'on emploie.

VOMISSEMENT DE MER, (Marine) la plûpart de ceux qui voyagent sur mer sont sujets à des vomissemens qui deviennent souvent dangereux pour leur santé, indépendamment de l'incommodité qui en résulte pour eux. M. Rouelle a trouvé que l'éther ou la liqueur éthérée de Frobenius, étoit un remede souverain contre ces accidens ; cette liqueur appaise les vomissemens, & facilite la digestion des alimens dans ceux qui étant sujets à ces inconvéniens, sont forcés de se priver souvent de nourriture pendant un tems très-considérable. Pour prévenir cette incommodité, l'on n'aura donc qu'à prendre dix ou douze gouttes d'éther sur du sucre, que l'on avalera en se bouchant le nez, de peur qu'il ne s'exhale ; ou bien on commencera par mêler l'éther avec environ dix ou douze parties d'eau, on agitera ce mêlange afin qu'il s'incorpore, au moyen d'un peu de sucre en poudre, qui est propre à retenir l'éther, & à le rendre plus miscible avec l'eau, & l'on boira une petite cuillerée de ce mêlange, ce qui empêchera le vomissement, ou le soulevement d'estomac que cause le mouvement de la mer.

VOMISSEMENT ARTIFICIEL, ou VOMITIF, (Médecine thérapeutique) il s'agit ici du vomissement qui est déterminé à dessein par des remedes, dans la vue de changer en mieux l'état du sujet qu'on fait vomir.

Ce vomissement est donc un genre de secours médicinal ; & comme il peut être employé ou pour prévenir un mal futur, ou pour remédier à un mal présent, c'est tantôt une ressource qui appartient à la partie de la Médecine connue sous le nom d'hygiene, c'est-à-dire régime des hommes dans l'état de santé (voyez REGIME), & tantôt une ressource thérapeutique ou curative, c'est-à-dire appartenant au traitement des maladies. Voyez THERAPEUTIQUE.

Le vomissement artificiel est une espece de purgation. Voyez PURGATIF & PURGATION.

Les moyens par lesquels les médecins excitent le vomissement, sont connus dans l'art sous le nom d'émétique, qui est grec, & sous celui de vomitif, dérivé du latin vomitivum ou vomitorium ; on exprime encore l'effet de ces remedes en disant qu'ils purgent par le haut, per superiora.

Le vomissement artificiel est un des secours que la Médecine a employés le plus anciennement, sur-tout à titre de préservatif, c'est-à-dire comme moyen d'éviter des maux futurs. Hippocrate conseilloit aux sujets les plus sains de se faire vomir au moins une ou deux fois par mois, au printems & en été, surtout aux gens vigoureux, & qui vomissoient facilement ; & avec cette circonstance que ceux qui avoient beaucoup d'embonpoint, devoient prendre les remedes vomitifs à jeun ; & ceux qui étoient maigres, après avoir dîné ou soupé. Le plus commun de ces remedes vomitifs se préparoit avec une décoction d'hyssope, à laquelle on ajoutoit un peu de vinaigre & de sel commun. C'étoit encore un remede vomitif, usité chez les anciens, qu'une livre d'écorce de racine de raiforts macérée dans de l'hydromel, mêlé d'un peu de vinaigre simple ou de vinaigre scillitique, que le malade mangeoit toute entiere, & sur laquelle il avaloit peu à peu la liqueur dans laquelle elle avoit macéré. Ce remede fut sur-tout familier aux méthodiques, qui l'employoient même dans les maladies aiguës, au rapport de Caelius Aurelianus. Prosper Alpin rapporte que les Egyptiens modernes sont encore dans l'usage de se faire vomir de tems en tems dans le bain.

Cet usage du vomissement artificiel est presqu'entierement oublié parmi les médecins modernes ; & il paroît qu'en effet, & l'usage en lui-même, & le moyen par lequel on le remplissoit, se ressentent beaucoup des commencemens grossiers & imparfaits de l'art naissant.

Quant à l'usage curatif du vomissement, les anciens ne l'employerent presque que dans certaines maladies chroniques ; & ils en usoient au contraire très-sobrement dans les maladies aiguës. Hippocrate ne le conseille par préférence à la purgation par en-bas, & la purgation étant indiquée en général, que dans le cas de douleur de côté, qui a son siege au-dessus du diaphragme, voyez aphorisme 18. sect. 4. & il n'est fait mention qu'une fois dans ses livres des épidémies (liv. V.) de l'emploi de ce secours contre un cholera morbus, dans lequel il dit avoir donné de l'ellébore avec succès.

Les principales maladies chroniques dans lesquelles il l'employoit, étoient la mélancolie ; la manie ; les fluxions qu'il croyoit venir du cerveau, & tomber sur les organes extérieurs de la tête ; les douleurs opiniâtres de cette partie ; les foiblesses des membres, & principalement des genoux ; l'enflure universelle, ou leucophlegmatie, & quelques autres maladies chroniques très-invétérées. Hippocrate qui employoit quelquefois le vomissement dans tous ces cas, osoit faire vomir aussi les phthisiques, & même avec de l'ellébore blanc, qui étoit le vomitif ordinaire de ce tems-là, & qui est un remede si féroce. Voyez ELLEBORE.

En général, les anciens ont mal manié les émétiques ; & cela est arrivé vraisemblablement parce qu'ils n'en avoient que de mauvais, soit qu'ils fussent impuissans, comme la décoction d'hyssope d'Hippocrate ; soit qu'ils fussent d'un emploi très-incommode dans les maladies, comme les raves des méthodiques ; soit enfin qu'ils fussent trop violens, comme l'ellébore blanc de tous les anciens.

Les médecins modernes au contraire, sont très-habiles dans l'administration des vomitifs, qui sont devenus entre leurs mains le remede le plus général, le plus efficace, & en même tems le plus sûr de tous ceux que la médecine emploie ; & il est vraisemblable que leur pratique prévaut en ce point sur la pratique ancienne, par l'avantage qu'a la pharmacie moderne d'avoir été enrichie de plusieurs émétiques très-efficaces, mais en même tems sûrs & innocens. Quoi qu'il en soit, le très-fréquent usage que les médecins modernes font des émétiques, peut être considéré, & même doit l'être (pour être apprécié avec quelque ordre), par rapport aux incommodités ou indispositions légeres, par rapport aux maladies aiguës, & par rapport aux maladies chroniques.

Au premier égard, il est sûr que toutes les indispositions dépendantes d'un vice des digestions, & principalement d'un vice récent de cette fonction, que toutes ces indispositions, dis-je, sont très-efficacement, très-directement, & même très-doucement combattues par le vomissement artificiel ; & notamment que la purgation ordinaire, c'est-à-dire la purgation par en-bas, qu'on n'emploie que trop souvent au lieu du vomissement, est inférieure à ce dernier secours à plusieurs titres.

Premierement une médecine glisse souvent sur les glaires & les autres impuretés qui sont les principales causes matérielles de ces sortes d'indispositions, & par conséquent ne les enlevent point ; au-lieu que les émétiques les enlevent infailliblement, & leur action propre est même ordinairement suivie d'une évacuation par les selles qui acheve l'évacuation de toutes les premieres voies.

2°. Les potions purgatives sont souvent rejettées ou vomies par un estomac impur, & cela sans qu'elles entraînent qu'une très-petite portion des matieres viciées contenues dans ce viscere, & dès-lors c'est un remede donné à pure perte.

3°. L'action d'un émétique usuel, est plus douce que l'action d'une médecine ordinaire, au moins elle est beaucoup plus courte, & elle a des suites moins fâcheuses. On éprouve pendant le vomissement, il est vrai, des angoisses qui vont quelquefois jusqu'à l'évanouissement, & quelques secousses violentes ; mais ces secousses & ces angoisses ne sont point dangereuses, & elles ne sont que momentanées ; & enfin après l'opération d'un émétique, qui est communément terminée en moins de deux heures, le sujet qui vient de l'essuyer n'est point affoibli, n'est point fatigué, ne souffre point une soif importune, ne reste point exposé à une constipation incommode ; au-lieu que celui qui a pris une médecine ordinaire, est tourmenté toute la journée, éprouve des foiblesses lors même qu'il n'éprouve point de tranchées, souffre après l'opération du remede une soif toujours incommode, est foible encore le lendemain, est souvent constipé pendant plusieurs jours.

4°. Enfin une médecine ordinaire est communément un breuvage détestable, & un émétique, même doux, peut être donné dans une liqueur insipide ou agréable, dont elle n'altere point le goût.

Quant à la méthode plus particuliere encore aux modernes de prescrire des émétiques au commencement de presque toutes les maladies aiguës, l'expérience lui est encore très-favorable.

Ce remede, qu'on donne ordinairement après le premier, ou tout au plus après le second redoublement, & qu'on a coutume de faire précéder par quelques saignées, a l'avantage singulier d'exciter la nature sans troubler ses déterminations, sans s'opposer à sa marche critique ; en ébranlant au contraire également tous les organes excrétoires, au-lieu de faire violence à la nature en la sollicitant d'opérer par un certain couloir l'évacuation critique que dès le commencement de la maladie elle avoit destinée à un autre ; ce qui est l'inconvénient le plus grave de l'administration prématurée des évacuans réels & proprement dits.

L'emploi de ce remede dans le cours d'une maladie aiguë, ou dans d'autres tems que dans le commencement, demande plus d'attention & plus d'habileté de la part du médecin, parce que cet emploi est moins général, & que l'indication de réveiller par une secousse utile les forces de la nature qui paroît prête à succomber dans sa marche, & cela sans risquer de les épuiser, parce que cette indication, disje, ne peut être saisie que par le praticien le plus consommé ; il est même clair à-présent que c'est faute d'avoir su choisir ce tems de la maladie, & juger sainement de l'état des forces du malade, que les émétiques réussissoient quelquefois si mal lorsqu'on ne les donnoit que dans les cas presque désespérés, & à titre de ces secours douteux qu'il vaut mieux tenter dans ces cas, selon la maxime de Celse, que de n'en tenter aucun, comme il le fait encore dans les angines suppurées, par exemple. Au reste, ces cas où l'on peut donner l'émétique avec succès dans les cours des maladies aiguës, peuvent être naturellement ramenés au cas vulgaire de leurs emplois dans le commencement des maladies ; car c'est précisément lorsqu'une nouvelle maladie survient, ou commence dans le cours d'une autre maladie, que l'émétique convient éminemment. Or ce cas d'une maladie aiguë entée sur une autre fort peu observé par la foule des médecins, est un objet très-intéressant, & soigneusement observé par les grands maîtres ; & cet état se détermine principalement par la nouvelle doctrine du pouls. Voyez POULS (Médecine.)

On voit clairement par cette maniere dont nous envisageons l'utilité des émétiques dans les maladies aiguës, que nous ne l'estimons point du tout par l'évacuation qu'il procure ; il paroît en effet que c'est un bien très-subordonné, très-secondaire, presqu'accidentel, que celui qui peut résulter de cette évacuation ; aussi quoique les malades, les assistans & quelques médecins n'apprécient le bon effet des émétiques que par les matieres qu'ils chassent de l'estomac, on peut assurer assez généralement que c'est à peine comme évacuant que ce remede est utile dans le traitement des maladies aiguës.

En effet, on observe que l'efficacité de ce remede est à-peu-près la même dans ce cas, soit que l'action de vomir soit suivie d'une évacuation considérable, soit qu'elle ne produise que la sortie de l'eau qu'on a donnée au malade, devenue mousseuse & un peu colorée ; ce qui est précisément l'événement le plus fréquent, & celui sur lequel les artistes les plus expérimentés doivent toujours compter. Il faut observer encore à ce sujet, que quand même on pourroit procurer quelquefois par l'émétique une évacuation utile, ce ne pourroit jamais être qu'à la fin ou dans le tems critique de la maladie, & dans le cas très-rare où la nature prépareroit une crise par les couloirs de l'estomac, & jamais dans le commencement des maladies aiguës ; tems auquel nous avons dit que les médecins modernes l'employoient assez généralement & avec succès. Enfin, on doit remarquer que l'effet des émétiques donnés dans le commencement des maladies aiguës, est, par les considérations que nous venons de proposer, bien différent de l'effet de ce remede dans les indispositions dont nous avons parlé plus haut.

Quant à l'emploi des émétiques contre les maladies chroniques, il est très-rare ou presque nul dans la pratique moderne ; il a seulement lieu à titre de préservatif pour ceux qui sont sujets à quelques maladies à paroxysme, & principalement aux maladies convulsives & nerveuses, comme épilepsie, apoplexie, paralysie, &c. car quant à l'usage des émétiques dans le paroxysme même de plusieurs maladies chroniques, comme dans ceux de l'apoplexie & de l'asthme ; comme il est certain que ces paroxysmes doivent être regardés en soi-même comme des affections aiguës, il s'ensuit que cet usage doit être ramené à celui de ce remede dans les maladies aiguës. Et quant aux toux stomacales & aux coqueluches des enfans qui en sont des especes, les émétiques agissent dans ces cas & comme dans les maladies aiguës, & comme dans les incommodités ; ils ébranlent utilement toute la machine, ils réveillent l'excrétion pectorale cutanée, & ils chassent de l'estomac des sucs viciés & ordinairement acides, qui sont vraisemblablement une des causes matérielles de ces maladies.

Le vomissement artificiel, excité dans la vue de procurer la sortie du foetus mort ou de l'arriere-faix, qui est recommandé dans bien des livres, & par conséquent pratiqué par quelques médecins, est une ressource très-suspecte.

Il est peu de contrindications réelles des émétiques ; outre le cas d'inflammations réelles de l'estomac, des intestins & du foie, elles se bornent presque à ne pas exposer à leurs actions les sujets qui ont des hernies ou des obstructions au foie, & les femmes enceintes ; encore y a-t-il sur ces derniers cas une considération qui semble restraindre considérablement l'opinion trop légerement conçue du danger inévitable auquel on exposeroit les femmes enceintes en général, en les faisant vomir dans les cas les plus indiqués. Cette considération qu'Angelus Sala propose au commencement de son émétologie, est que rien n'est si commun que de voir des femmes vomir avec de grands efforts & très-souvent, pendant plusieurs mois de leur grossesse, & que rien n'est si rare que de les voir faire de fausses couches par l'effet de cet accident. Il n'est pas clair non plus que les émétiques soient contrindiqués par la délicatesse de la poitrine, & par la pente aux hémorrhagies de cette partie, ou aux hémorrhagies utérines. Hippocrate, comme nous l'avons rapporté plus haut, émétisoit fortement les phthisiques ; & quoique ce ne soit pas une pratique qu'on doive conseiller sans restriction, l'inutilité presque générale des remedes benins contre la phthisie peut être regardée comme un droit au moins à ne pas exclure certains remedes héroïques, quand même on ne pourroit dire en leur faveur, sinon qu'ils ne peuvent faire pis que les remedes ordinaires, à plus forte raison, lorsqu'on peut alléguer en leur faveur l'autorité d'Hippocrate.

Les contrindications tirées de l'âge, des sujets, des climats & des saisons, sont positivement démenties par l'expérience ; les émétiques peuvent être donnés utilement à tous les âges, depuis la vieillesse la plus décrépite, dans toutes les saisons, quoiqu' Hippocrate ait excepté l'hiver, quoiqu' Hippocrate ait exclus cette saison ; & dans tous les climats, quoique Baglivi ait écrit qu'on ne pouvoit pas les donner à Rome, in aere romano, qui étoit très-chaud, encore qu'il les crût très-utiles dans les pays plus tempérés ; & que des médecins de Paris eussent écrit auparavant que des émétiques pouvoient être très-convenables en Grece, où le climat étoit chaud, mais que pour des climats plus froids tel que celui de Paris, on devoit bien se donner de garde de risquer de tels remedes.

Au reste, ce préjugé contre le vomissement s'accrut considérablement dans plusieurs pays, & notamment à Paris, lorsqu'il se confondit avec un autre préjugé plus frivole encore, qui fit regarder vers le milieu du dernier siecle un remede dont les principales préparations étoient émétiques, comme un vrai poison. Je veux parler de cette singuliere époque de l'histoire de la faculté de médecine de Paris, rappellée dans la partie historique de l'article Chymie (Voy. cet article) où une guerre cruelle excitée dans son sein au sujet de l'antimoine, présenta l'événement singulier de la proscription de ce remede par un decret de la faculté, confirmé par arrêt du parlement, d'un docteur dégradé pour avoir persisté à employer ce remede ; & enfin l'antimoine triomphant bientôt après, & placé avec honneur dans l'antidotaire de la faculté. L'ouvrage plein de fanatisme & d'ignorance, qui a pour titre martyrologe de l'antimoine, & qui ne put manquer d'être accueilli avec fureur par les ennemis de l'antimoine dans ce tems orageux, est aujourd'hui presqu'absolument ignoré, & les médecins modernes qui font un usage si étendu des émétiques, n'employent presque que des émétiques antimoniaux. Voyez ANTIMOINE. Il est très-essentiel d'observer à ce sujet que ceux qui craignent encore aujourd'hui ces émétiques antimoniaux, se trompent évidemment sur l'objet de leur crainte ; ils s'occupent de l'instrument employé à procurer le vomissement, du tartre émétique, par exemple, qui est toujours innocent, tandis que c'est le vomissement lui-même, c'est-à-dire, la secousse, les efforts, la convulsion de l'estomac & son influence sur toute la machine, qui est le véritable objet de l'attention du médecin. Car quoique la plûpart des sujets veuillent être délicats, que le plus grand nombre de ceux à qui on propose des remedes un peu actifs se trouvent même offensés de ce que le médecin les croit capables d'en supporter l'action ; il n'en est cependant aucun qui ne se crût en état de vomir sans danger, si on ne lui annonçoit d'autre vomitif que de l'eau chaude. Or s'il vomissoit cinq ou six fois avec de l'eau chaude, & par le secours d'une plume ou du doigt qu'il introduiroit dans sa gorge, il essuyeroit une opération médicamenteuse toute aussi violente, peut-être plus incommode à la machine, que s'il avoit vomi le même nombre de fois au moyen de trois grains de bon émétique. Au reste, ce préjugé populaire (où trop de médecins sont encore peuple à cet égard) contre les émétiques antimoniaux, commence heureusement à se dissiper, & on commence à l'employer même à Montpellier, où l'emploi presque exclusif des purgatifs regne souverainement.

Nous avons déja insinué que les émétiques des anciens qu'ils tiroient principalement du regne végétal, n'étoit plus en usage chez les modernes. Ils n'ont presque retenu que le cabaret ou oreille d'homme, & ils ne lui ont associé qu'une autre production du regne végétal ; savoir, l'ypecacuanha qui est une découverte moderne, voyez CABARET & YPECACUANHA. Le tabac qui est une autre découverte moderne & qui est un émétique très-féroce, n'est employé que dans des cas rares. Voyez TABAC.

Le regne animal ne fournit aucun vomitif usuel, ce sont des sujets du regne minéral traités par la Chymie, qui ont fourni aux médecins modernes le plus grand nombre d'émétiques ; & ces principaux sujets sont les vitriols, le mercure & l'antimoine ; & principalement ce dernier qui est aujourd'hui le seul dont les préparations soient employées à ce titre.

Parmi un grand nombre de préparations antimoniales que les Chymistes ont décrites ou vantées sans en révéler la composition, telles que, un aqua benedicta Rullandi, un oxysaccharum emeticum Angeli Salae, un oxysaccharum emeticum Ludovici ; des syrops émétiques préparés avec les sucs de tous les différens fruits acides, avec le vinaigre & avec la crême de tartre, un sapa vomitoria Sylvii ; le mercure de vie, la rosée minérale d'Angelus Sala, &c. au lieu de tout cela, dis-je, les Médecins instruits n'employent plus que le tartre émétique, & par préférence celui qui est préparé avec le verre d'antimoine.

Le mochlique des freres de la charité de Paris, voyez cet article, n'est employé qu'à un usage particulier, aussi-bien que le verre d'antimoine ciré ; savoir, la colique de Poitou pour le premier, & la dyssenterie pour le dernier. Voyez COLIQUE & DYSSENTERIE.

C'est une pratique connue de tout le monde, que celle de faire prendre de l'eau tiéde à ceux à qui on a donné des émétiques ; mais c'est une regle moins connue de cette administration, que celle qui prescrit de n'en faire prendre que lorsque l'envie de vomir est pressante.

Il est encore à-propos de faire observer, que l'action des émétiques jette ordinairement dans des angoisses qui vont quelquefois jusqu'à la défaillance ; mais que cet état est toujours fort passager & n'a point de suite dangereuse. (b)


VOMITIF(Littérat.) on vient de lire la pratique médicinale des vomitifs. Les Romains sur la fin de la république en faisoient un usage bien différent ; ils en prenoient immédiatement avant & après le repas, non-seulement pour leur santé, mais par luxure. Ils prennent un vomitif, dit Séneque, afin de mieux manger, & ils mangent afin de prendre un vomitif ; par cette évacuation avant que de manger, ils se préparoient à manger encore davantage, & en vuidant leur estomac d'abord après avoir mangé, ils croyoient prévenir tout accident qui pouvoit résulter de la réplétion ; ainsi Vitellius, quoiqu'il fût un fameux glouton, est dit avoir conservé sa vie par le moyen des vomitifs, tandis qu'il avoit crevé tous ses camarades, qui n'avoient pas pris les mêmes précautions.

Ciceron nous apprend, que César pratiquoit souvent cette coutume. Il écrit à Atticus, l'an 708 de Rome, que ce vainqueur des Gaules étant venu le voir dans les saturnales, il lui avoit donné un grand repas à sa maison de campagne. Après qu'il se fut fait frotter & parfumer, ajoute Ciceron, il prit dans la matinée un vomitif, se promena l'après-midi, se mit le soir à table, but, mangea librement, & montra beaucoup de gaîté dans ce souper. César en prenant un vomitif chez Ciceron, lui prouvoit par-là, qu'il avoit dessein de faire honneur à sa table ; mais ce qui plut encore davantage à l'orateur de Rome, fut la conversation fine & délicate qui régna dans cette fête, bene cocto & condito sermone. Ce n'est pas néanmoins, ajoute Ciceron, un de ces hôtes à qui l'on dit ; ne manquez pas, je vous prie, de repasser chez moi à votre retour ; une fois c'est assez. César avoit deux mille hommes pour cortege. Barba Cassius fit camper les soldats au-dehors. Outre la table de César, il y en avoit trois autres très-bien servies pour les principaux de sa suite, comme aussi pour ses affranchis du premier & du second ordre. La réception n'étoit pas peu embarrassante dans la conjoncture des tems ; cependant on ne parla point de choses sérieuses, la conversation se tourna toute entiere du côté de la littérature avec beaucoup d'aisance & d'agrément. Alors les Romains se délassoient des affaires d'état, par les plaisirs de l'esprit. (D.J.)


VOMITOIRES. m. (Antiq. rom.) on appelloit vomitoires, vomitoria chez les Romains, les endroits par où le peuple sortoit du théâtre. L'affluence du monde qui passoit par ces endroits-là pour vuider le théatre, donna vraisemblablement lieu à l'origine du mot. (D.J.)


VONTACAS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) fruit des Indes orientales, appellé par Garcias, coing de Bengale ; Rai nomme l'arbre qui le porte arbor cucurbitifera. C'est un grand arbre, garni de quantité de rameaux épineux. Ses feuilles fixées trois ensemble à une même queue, sont rondes, dentelées en leurs bords, luisantes, odorantes. Ses fleurs sont attachées six ou sept à un pédicule ; elles sont composées de cinq pétales oblongs, & répandent une odeur agréable. Ses fruits sont ronds, couverts d'une écorce verdâtre, déliée, sous laquelle il y en a une autre qui est dure, ligneuse, presque osseuse ; ils contiennent une chair visqueuse, jaunâtre, humide, d'un goût aigre-doux ; les semences qu'ils renferment, sont oblongues, blanches, pleines d'un suc gommeux, transparent ; on confit ce fruit mûr ou verd, au sucre ou au vinaigre ; & quand il est confit avant sa maturité, on l'employe contre le cours de ventre. (D.J.)


VOORBOURou VOORBURG, (Géog. mod.) village de la Hollande, entre Delft & Leyde, au voisinage de la Haye. C'est l'un des plus anciens & des plus beaux villages de Hollande, & c'est assez en faire l'éloge. (D.J.)


VOORHOUT(Géog. mod.) village de Hollande, sur le chemin de Leyde à Haerlem, mais village illustré le 31 Décembre de l'an 1668, par la naissance de Herman Boerhaave, un des grands hommes de notre tems, & un des plus célebres médecins qu'il y ait eu depuis Hippocrate, dont il a fait revivre les principes & la doctrine.

Son pere, ministre du village, cultiva l'éducation de ce fils, qu'il destinoit à la théologie, & lui enseigna ce qu'il savoit de latin, de grec, & de belles-lettres. Il l'occupoit pour fortifier son corps, à cultiver le jardin de la maison, à travailler à la terre, à semer, planter, arroser. Peu-à-peu, cet exercice journalier qui délassoit son esprit, endurcit son corps au travail. Il y fit provision de forces pour le reste de sa vie, & peut-être en rapporta-t-il ce goût dominant qu'il a toujours eu pour la Botanique.

Agé d'environ douze ans, il fut attaqué d'un ulcere malin à la cuisse, qui résista tellement à tout l'art des Chirurgiens, qu'on fut obligé de les congédier : le malade prit le parti de se faire de fréquentes fomentations avec de l'urine, où il avoit dissout du sel, & il se guérit lui-même. Les douleurs qu'il souffrit à cette occasion pendant près de cinq ans, lui donnerent la premiere pensée d'apprendre la Médecine ; cependant cette longue maladie ne nuisit presque pas au cours de ses études. Il avoit par son goût naturel trop d'envie de savoir, & il en avoit trop de besoin par l'état de sa fortune ; car son pere le laissa à l'âge de quinze ans, sans secours, sans conseil, & sans bien.

Il obtint néanmoins de ses tuteurs, la liberté de continuer ses études à Leyde, & il y trouva d'illustres protecteurs qui encouragerent ses talens, & le mirent en état de les faire valoir. En même tems qu'il étudioit la Théologie, il enseignoit les Mathématiques à de jeunes gens de condition, afin de n'être à charge à personne. Sa théologie étoit le grec, l'hébreu, le chaldéen, l'Ecriture-sainte, la critique du vieux & du nouveau Testament, les anciens auteurs ecclésiastiques, & les commentateurs les plus renommés.

Un illustre magistrat l'encouragea à joindre la médecine à la théologie, & il ne fut pas difficile de le porter à y donner aussi toute son application. En effet, il faut avouer, que quoiqu'également capable de réussir dans ces deux sciences, il n'y étoit pas également propre. Le fruit d'une vaste & profonde lecture avoit été de lui persuader que la religion étoit depuis long-tems défigurée par de vicieuses subtilités philosophiques, qui n'avoient produit que des dissensions & des haines, dont il auroit bien de la peine à se garantir dans le sacré ministere ; enfin, son penchant l'emporta pour l'étude de la nature. Il apprit par lui-même l'anatomie, & s'attacha à la lecture des Médecins, en suivant l'ordre des tems, comme il avoit fait pour les auteurs ecclésiastiques.

Commençant par Hippocrate, il lut tout ce que les Grecs & les Latins nous ont laissé de plus savant en ce genre ; il en fit des extraits, il les digéra, & les réduisit en systêmes, pour se rendre propre tout ce qui y étoit contenu. Il parcourut avec la même rapidité & la même méthode, les écrits des modernes. Il ne cultiva pas avec moins d'avidité la chymie & la botanique ; en un mot, son génie le conduisit dans toutes les sciences nécessaires à un médecin ; & s'occupant continuellement à étudier les ouvrages des maîtres de l'art, il devint l'Esculape de son tems.

Tout dévoué à la Médecine, il résolut de n'être désormais théologien qu'autant qu'il le falloit pour être bon chrétien. Il n'eut point de regret, dit M. de Fontenelle, à la vie qu'il auroit menée, à ce zele violent qu'il auroit fallu montrer pour des opinions fort douteuses, & qui ne méritoient que la tolérance, enfin à cet esprit de parti dont il auroit dû prendre quelques apparences forcées, qui lui auroient coûté beaucoup, & peu réussi.

Il fut reçu docteur en médecine l'an 1693, âgé de 25 ans, & ne discontinua pas ses leçons de mathématique, dont il avoit besoin, en attendant les malades qui ne vinrent pas sitôt. Quand ils commencerent à venir, il mit en livres tout ce qu'il pouvoit épargner, & ne se crut plus à son aise, que parce qu'il étoit plus en état de se rendre habile dans sa profession. Par la même raison qu'il se faisoit peu-à-peu une bibliotheque, il se fit aussi un laboratoire de chymie ; & ne pouvant se donner un jardin de botanique, il herborisa dans les campagnes & dans les lieux incultes.

En 1701, les curateurs de l'université de Leyde le nommerent lecteur en médecine, avec la promesse de la chaire qui vint bientôt à vacquer. Les premiers pas de sa fortune une fois faits, les suivans furent rapides : en 1709, il obtint la chaire de botanique, & en 1718, celle de chymie.

Ses fonctions multipliées autant qu'elles pouvoient l'être, attirerent à Leyde un concours d'étrangers qui enrichissoient journellement cette ville. La plûpart des états de l'Europe fournissoient à Boerhaave des disciples ; le Nord & l'Allemagne principalement, & même l'Angleterre, toute fiere qu'elle est, & avec justice, de l'état florissant où les sciences sont chez elle. Il abordoit à Leyde des étudians en médecine de la Jamaïque & de la Virginie, comme de Constantinople & de Moscow. Quoique le lieu où il tenoit ses cours particuliers, fût assez vaste, souvent pour plus de sûreté, on s'y faisoit garder une place par un collegue, comme nous faisons ici aux spectacles qui réussissent le plus.

Outre les qualités essentielles au grand professeur, M. Boerhaave avoit encore celles qui rendent aimable à des disciples ; il leur faisoit sentir la reconnoissance & la considération qu'il leur portoit, par les graces qu'il mettoit dans ses instructions. Non-seulement il étoit très-exact à leur donner tout le tems promis, mais il ne profitoit jamais des accidens qui auroient pu légitimement lui épargner quelques leçons, & même quelquefois il prioit ses disciples d'agréer qu'il en augmentât le nombre. Tous les équipages qui venoient le chercher pour les plus grands seigneurs étoient obligés d'attendre que l'heure des cours fût écoulée.

Boerhaave faisoit encore plus vis-à-vis de ses disciples ; il s'étudioit à connoître leurs talens ; il les encourageoit & les aidoit par des attentions particulieres. Enfin s'ils tomboient malades, il étoit leur médecin, & il les préféroit sans hésiter, aux pratiques les plus brillantes & les plus lucratives ; en un mot, il regardoit ceux qui venoient prendre ses instructions, comme ses enfans adoptifs à qui il devoit son secours ; & en les traitant dans leurs maladies, il les instruisoit encore efficacement.

Il remplissoit ses trois chaires de professeur de la même maniere, c'est-à-dire avec le même éclat. Il publia en 1707, ses Institutions de médecine, & l'année suivante ses Aphorismes sur la connoissance & sur la cure des maladies. Ces deux ouvrages qui se réimpriment tous les trois ou quatre ans, sont admirés des maîtres de l'art. Boerhaave ne se fonde que sur l'expérience bien avérée, & laisse à part tous les systêmes, qui ne sont ordinairement que d'ingénieuses productions de l'esprit humain désavouées par la nature. Aussi comparoit-il ceux de Descartes à ces fleurs brillantes qu'un beau jour d'été voit s'épanouir le matin, & mourir le soir sur leur tige.

Les Institutions forment un cours entier de médecine théorique, mais d'une maniere très-concise, & dans des termes si choisis, qu'il seroit difficile de s'exprimer plus nettement & en moins de mots. Aussi l'auteur n'a eu pour but que de donner à ses disciples des germes de vérités réduits en petits, & qu'il faut développer, comme il le faisoit par ses explications. Il prouve dans cet ouvrage que tout ce qui se fait dans notre machine, se fait par les loix de la méchanique, appliquées aux corps solides & liquides dont le nôtre est composé. On y voit encore la liaison de la physique & de la géométrie avec la médecine ; mais quoique grand géometre, il n'a garde de regarder les principes de sa géométrie comme suffisans pour expliquer les phénomenes du corps humain.

L'utilité de ce beau livre a été reconnue jusque dans l'Orient ; le mufti l'a traduit en arabe, ainsi que les Aphorismes ; & cette traduction que M. Schultens trouva fidele, a été mise au jour dans l'imprimerie de Constantinople fondée par le grand-visir.

Tout ce qu'il y a de plus solide par une expérience constante, regne dans les Aphorismes de Boerhaave ; tout y est rangé avec tant d'ordre, qu'on ne connoit rien de plus judicieux, de plus vrai, ni de plus énergique dans la science médicinale. Nul autre, peut-être, après l'Esculape de la Grece, n'a pu remplir ce dessein, ou du-moins n'a pu le remplir aussi dignement, que celui qui guidé par son propre génie, avoit commencé à étudier la médecine par la lecture d'Hippocrate, & s'étoit nourri de la doctrine de cet auteur. Il a encore rassemblé dans cet ouvrage, avec un choix judicieux, tout ce qu'il y a de plus important & de mieux établi dans les médecins anciens grecs & latins, dans les principaux auteurs arabes, & dans les meilleurs écrits modernes. On y trouve enfin les différentes lumieres que répandent les découvertes modernes, dont de beaux génies ont enrichi les sciences. Toute cette vaste érudition est amplement développée par les beaux commentaires de Van-Swieten sur cet ouvrage, & par ceux de Haller sur les Institutions de médecine.

J'ai dit que M. Boerhaave fut nommé professeur de Botanique en 1709, année funeste aux plantes par toute l'Europe. Il trouva dans le jardin public de Leyde environ trois mille simples, & dix ans après, il avoit déja doublé ce nombre. Je sais que d'autres mains pouvoient travailler au soin de ce jardin ; mais elles n'eussent pas été conduites par les mêmes yeux. Aussi Boerhaave ne manqua pas de perfectionner les méthodes déja établies pour la distribution & la nomenclature des plantes.

En 1722, il fut attaqué d'une violente maladie dont il ne se rétablit qu'avec peine. Il s'étoit exposé, pour herboriser, à la fraîcheur de l'air & de la rosée du matin, dans le tems que les pores étoient tout ouverts par la chaleur du lit. Cette imprudence qu'il recommandoit soigneusement aux autres d'éviter, pensa lui couter la vie. Une humeur goutteuse survint, & l'abattit au point qu'il ne lui restoit plus de mouvement ni presque de sentiment dans les parties inférieures du corps ; la force du mal étoit si grande, qu'il fut contraint pendant long-tems de se tenir couché sur le dos, & de ne pouvoir changer de posture par la violence du rhumatisme goutteux, qui ne s'adoucit qu'au bout de quelques mois, jusqu'à permettre des remedes. Alors M. Boerhaave prit des potions copieuses de sucs exprimés de chicorée, d'endive, de fumeterre, de cresson aquatique & de veronique d'eau à larges feuilles : ce remede lui rendit la santé comme par miracle. Mais ce qui marque jusqu'à quel point il étoit considéré & chéri, c'est que le jour qu'il recommença ses leçons, tous les étudians firent le soir des réjouissances publiques, des illuminations & des feux de joie, tels que nous en faisons pour les plus grandes victoires.

En 1725, il publia, conjointement avec le professeur Albinus, une édition magnifique des oeuvres de Vésale, dont il a donné la vie dans la préface.

En 1727, il fit paroître le Botanicon parisiense de Sébastien Vaillant. Il mit à la tête une préface sur la vie de l'auteur & sur plusieurs particularités qui regardent ce livre. On y trouve un grand nombre de choses nouvelles qui ne se rencontrent point dans l'ouvrage de Tournefort. On y voit les caracteres des plantes & les synonymes marqués avec la derniere exactitude. Il y regne encore une savante critique touchant les descriptions, les figures & les noms que les auteurs ont donnés des plantes ; enfin la beauté des planches répond au reste.

En 1728, parut son traité latin des maladies vénériennes, qui fut reçu avec tant d'accueil en Angleterre, qu'on en fit une traduction & deux éditions en moins de trois mois. Le traité dont nous parlerons, sert de préface au grand recueil des auteurs qui ont écrit sur cette même maladie, & qui est imprimé à Leyden en deux tom. in-fol.

Vers la fin de 1727, M. Boerhaave avoit été attaqué d'une seconde rechûte presque aussi rude que la premiere de 1722, & accompagnée d'une fievre ardente. Il en prévit de bonne heure les symptomes qui se succéderoient, prescrivit jour-par-jour les remedes qu'il faudroit lui donner, les prit & en rechappa ; mais cette rechûte l'obligea d'abdiquer deux ans après, les chaires de Botanique & de Chymie.

En 1731, l'académie des Sciences de Paris le nomma pour être l'un de ses associés étrangers, & quelque tems après, il fut aussi nommé membre de la société royale de Londres. M. Boerhaave se partagea également entre les deux compagnies, en envoyant à chacune la moitié de la relation d'un grand travail sur le vif-argent, suivi nuit & jour sans interruption pendant quinze ans sur un même feu, d'où il résultoit que le mercure étoit incapable de recevoir aucune vraie altération, ni par conséquent de se changer en aucun autre métal. Cette opération ne convenoit qu'à un chymiste fort intelligent, fort patient & en même tems fort aisé. Il ne plaignit pas la dépense, pour empêcher, s'il est possible, celle où l'on est si souvent & si malheureusement engagé par les alchymistes. Le détail de ses observations à ce sujet se trouve dans l'hist. de l'acad. des Sciences, année 1734, & dans les Trans. philosop. n °. 430, année 1733. On y verra avec quelle méthode exacte, rigide & scrupuleuse, il a fait ses expériences, & combien il a fallu d'industrie & de patience pour y réussir.

La même année 1731, Boerhaave avoit donné, avec le secours de M. Grorenvelt, médecin & magistrat de Leyde, une nouvelle édition des oeuvres d'Arétée de Cappadoce ; il avoit dessein de faire imprimer en un corps & de la même maniere, tous les anciens médecins grecs ; mais ses occupations ne lui permirent pas d'exécuter cet utile projet.

En 1732, parurent ses élémens de Chymie, Lugd. Bat. 1732, in-4°. 2 vol. ouvrage qui fut reçu avec un applaudissement universel. Quoique la Chymie eût déja été tirée de ces ténebres mystérieuses où elle se retranchoit anciennement, il sembloit néanmoins qu'elle ne se rangeoit pas encore sous les loix générales d'une science réglée & méthodique ; mais M. Boerhaave l'a réduite à n'être qu'une simple physique claire & intelligible. Il a rassemblé toutes les lumieres acquises, & confusément répandues en mille endroits différens, & il en a fait, pour ainsi dire, une illumination bien ordonnée, qui offre à l'esprit un magnifique spectacle. La beauté de cet ouvrage paroît sur-tout dans le détail des procédés, par la sévérité avec laquelle l'auteur s'est astreint à la méthode qu'il s'est prescrite, par son exactitude à indiquer les précautions nécessaires pour faire avec sûreté & avec succès les opérations, & par les corollaires utiles & curieux qu'il en tire continuellement.

Voilà les principaux ouvrages par lesquels Boerhaave s'est acquis une gloire immortelle. Je passe sous silence ses élégantes dissertations recueillies en un corps après sa mort, & quelques-uns de ses cours publics sur des sujets importans de l'art, que les célebres docteurs Van-Swieten & Tronchin nous donneront exactement quand il leur plaira. Tous les éleves de ce grand maître ont porté pendant sa vie dans toute l'Europe son nom & ses louanges. Chacune des trois fonctions médicinales dont il donnoit des leçons, fournissoit un flot qui partoit, & se renouvelloit d'année en année. Une autre foule presque aussi nombreuse venoit de toutes parts le consulter sur des maladies singulieres, rebelles à la médecine commune, & quelquefois même par un excès de confiance, sur des maux incurables ; sa maison étoit comme le temple d'Esculape, & comme l'est aujourd'hui celle du professeur Tronchin à Genève.

Il guérit le pape Benoît XIII. qui l'avoit consulté, & qui lui offrit une grande récompense. Boerhaave ne voulut qu'un exemplaire de l'ancienne édition des opuscules anatomiques d'Eustachi, pour la rendre plus commune, en la faisant réimprimer à Leyde. Enfin son éclatante réputation avoit pénétré jusqu'au bout du monde ; car il reçut un jour du fond de l'Asie, une lettre dont l'adresse étoit simplement, à monsieur Boerhaave, médecin en Europe.

Après cela, on ne sera pas surpris que des souverains qui se trouvoient en Hollande, tels que le czar Pierre I. & le duc de Lorraine aujourd'hui empereur, l'aient honoré de leurs visites. Le czar vint pour Boerhaave à Leyde en yacht, dans lequel il passa la nuit aux portes de l'académie, pour être de grand matin chez le professeur, avec lequel il s'entretint assez long-tems. " Dans toutes ces occasions, c'est le public qui entraîne ses maîtres, & les force à se joindre à lui ".

Pendant que ce grand homme étoit couvert de gloire au-dehors, il étoit comblé de considération dans son pays & dans sa famille. Suivant l'ancienne & louable coutume des Hollandois, il ne se détermina au choix d'une femme, qu'après qu'il eût vu sa fortune établie. Il épousa Marie Drolenvaux, & vécut avec elle pendant 28 ans dans la plus grande union. Lorsqu'il fit réimprimer en 1713, ses Institutions de médecine, il mit à la tête une épitre dédicatoire à son beau-pere, par laquelle il le remercie dans les termes les plus vifs, de s'être privé de sa fille unique, pour la lui donner en mariage. C'étoit au bout de trois années, dit joliment M. de Fontenelle, que venoit ce remerciment, & que M. Boerhaave faisoit publiquement à sa femme une déclaration d'amour.

Toute sa vie a été extrêmement laborieuse, & son tempérament robuste n'y devoit que mieux succomber. Il prenoit encore néanmoins de l'exercice, soit à pié, soit à cheval sur la fin de ses jours. Mais depuis sa rechûte de 1727, des infirmités différentes l'affoiblirent & le minerent promptement. Vers le milieu de 1737, parurent les avant-coureurs de la derniere maladie qui l'enleva l'année suivante, âgé de 69 ans, 3 mois & 8 jours.

M. Boerhaave étoit grand, proportionné & robuste. Son corps auroit paru invulnérable à l'intempérie des élémens, s'il n'eût pas eu un peu trop d'embonpoint. Son maintien étoit simple & décent. Son air étoit vénérable, sur-tout depuis que l'âge avoit blanchi ses cheveux. Il avoit l'oeil vif, le regard perçant, le nez un peu relevé, la couleur vermeille, la voix fort agréable, & la physionomie prévenante. Dans ce corps sain logeoit une très-belle ame, ornée de lumieres & de vertus.

Il a laissé un bien considérable, plus de deux millions de notre monnoie. Mais si l'on réfléchit qu'il a joui long-tems des émolumens de trois chaires de professeur ; que ses cours particuliers produisoient beaucoup ; que les consultations qui lui venoient de toutes parts étoient payées, sans qu'il l'exigeât, sur le pié de l'importance des personnes dont elles venoient, & sur celui de sa réputation ; enfin si l'on considére qu'il menoit une vie simple, sans fantaisies, & sans goût pour les dépenses d'ostentation, on trouvera que les richesses qu'il a laissées sont modiques, & que par conséquent elles ont été acquises par les voies les plus légitimes. Mais je n'ai pas dit encore tout ce qui est à l'honneur de ce grand homme.

Il enseignoit avec une méthode, une netteté & une précision singulieres. Ennemi de tout excès, à la réserve de ceux de l'étude, il regardoit la joie honnête comme le baume de la vie. Quand sa santé ne lui permit plus l'exercice du cheval, il se promenoit à pié ; & de retour chez lui, la musique qu'il aimoit beaucoup, lui faisoit passer des momens délicieux, où il reprenoit ses forces pour le travail. C'étoit surtout à la campagne qu'il se plaisoit. La mort l'y a trouvé, mais ne l'y a point surpris. J'ai vu & j'ai reçu de ses lettres dans les derniers jours de sa derniere maladie. Elles sont d'un philosophe qui envisage d'un oeil stoïque la destruction prochaine de sa machine. Sa vie avoit été sans taches, frugale dans le sein de l'abondance, modérée dans la prospérité, & patiente dans les traverses.

Il méprisa toujours la vengeance comme indigne de lui, fit du bien à ses ennemis, & trouva de bonne heure le secret de se rendre maître de tous les mouvemens qui pouvoient troubler sa philosophie. Un jour qu'il donnoit une leçon de médecine, où j'étois présent, son garçon chymiste entra dans l'auditoire pour renouveller le feu d'un fourneau ; il se hâta trop & renversa la coupelle. Boerhaave rougit d'abord. C'est, dit-il en latin à ses auditeurs, une opération de vingt ans sur le plomb, qui est évanouie en un clin d'oeil. Se tournant ensuite vers son valet désespéré de sa faute. " Mon ami, lui dit-il, rassurez-vous, ce n'est rien ; j'aurois tort d'exiger de vous une attention perpétuelle qui n'est pas dans l'humanité ". Après l'avoir ainsi consolé, il continua sa leçon avec le même sens-froid, que s'il eût perdu le fruit d'une expérience de quelques heures.

Il se mettoit volontiers à la place des autres, ce qui (comme le remarque très-bien M. de Fontenelle) produit l'équité & l'indulgence ; & il mettoit aussi volontiers les autres en sa place, ce qui prévient ou réprime l'orgueil. Il désarmoit la satyre en la négligeant, comparant ses traits aux étincelles qui s'élancent d'un grand feu, & s'éteignent aussi-tôt qu'on ne souffle plus dessus.

Il savoit par sa pénétration démêler au premier coup-d'oeil le caractere des hommes, & personne n'étoit moins soupçonneux. Plein de gratitude, il fut toujours le panégyriste de ses bienfaiteurs, & ne croyoit pas s'acquiter en prenant soin de la vie de toute leur famille. La modestie qui ne se démentit jamais chez lui, au milieu des applaudissemens de l'Europe entiere, augmentoit encore l'éclat de ses autres vertus.

Tous mes éloges n'ajouteront rien à sa gloire : mais je ne dois pas supprimer les obligations particulieres que je lui ai. Il m'a comblé de bontés pendant cinq ans, que j'ai eu l'honneur d'être son disciple. Il me sollicita long-tems avant que je quittasse l'académie de Leyde, d'y prendre le degré de docteur en Médecine, & je ne crus pas devoir me refuser à ses desirs, quoique résolu de ne tirer de cette démarche d'autre avantage que celui que l'homme recherche par l'humanité, j'entends de pouvoir secourir charitablement de pauvres malheureux. Cependant Boerhaave estimant trop une déférence, qui ne pouvoit que m'être honorable, voulut la reconnoître, en me faisant appeller par le stadhouder à des conditions les plus flatteuses, comme gentilhomme & comme médecin capable de veiller à la conservation de ses jours. Mais la passion de l'étude forme naturellement des ames indépendantes. Eh ! que peuvent les promesses magnifiques des cours sur un homme né sans besoins, sans desirs, sans ambition, sans intrigue ; assez courageux pour présenter ses respects aux grands, assez prudent pour ne les pas ennuyer, & qui s'est bien promis d'assûrer son repos par l'obscurité de sa vie studieuse ? Après tout, les services éminens que M. Boerhaave voulut me rendre étoient dignes de lui, & sont chers à ma mémoire. Aussi, par vénération & par reconnoissance, je jetterai toute ma vie des fleurs sur son tombeau.

Manibus dabo lilia plenis.

Purpureos spargam flores, & fungar inani

Munere.

(D.J.)


VOORN(Géog. mod.) îles des Pays-bas, à l'embouchure de la Meuse, dans la Hollande méridionale, au nord des îles de Goerée & d'Over-Flakée, dont elle est séparée par l'Haring-Vliet. La Brille & Helvoet-Sluys en sont les principaux lieux. C'est delà qu'on s'embarque ordinairement pour l'Angleterre. L'île de Voorn abonde en grains, & produit naturellement une espece de genêt à grandes racines, par le moyen desquelles on maintient dans leur force les digues & les levées. (D.J.)


VOPISCUSS. m. (Hist. anc.) terme latin usité pour signifier celui de deux enfans jumeaux qui vient heureusement à terme, tandis que l'autre n'y vient pas. Voyez JUMEAUX & AVORTEMENT.


VOQUERce mot n'est pas françois, quoiqu'il se lise dans le Trévoux ; c'est voguer que disent les Potiers de terre & autres ouvriers. Voyez VOGUER.


VORACEadj. VORACITé, s. f. (Gram.) qui dévore, qui est carnacier, qui ne se donne pas le tems de mâcher. Cet épithete convient à presque tous les animaux. Il y a la voracité de l'espece, & la voracité de l'individu ; il y a des oiseaux voraces. La voracité de l'espece vient de la facilité de la digestion. La voracité de l'individu est un vice, quand l'espece n'est pas vorace.


VORDONIA(Géog. mod.) ville des états du turc, dans la Morée, sur le Vasilipotamos, à une lieue & demie au-dessous de Misitra. M. de Witt pense que c'est l'ancienne Amyclée. (D.J.)


VOREDA(Géog. anc.) ville de la grande Bretagne : elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin sur la route du retranchement à Portus-Rutupis, entre Longuvallum & Brovonacis, à 14 milles du premier de ces lieux, & à 12 du second. M. Wesseling croit que c'est Old Penreth. (D.J.)


VOROTINSK(Géog. mod.) principauté de l'empire russien, dans la Russie moscovite. Elle est bornée au nord & au levant par le duché de Rézan, au midi par le pays des Cosaques, & au couchant par le duché de Sévérie. La riviere d'Occa la traverse du midi au nord. Sa capitale porte le même nom. (D.J.)

VOROTINSK, (Géog. mod.) ville de la Russie, capitale de la principauté de même nom, sur la gauche de l'Occa. (D.J.)


VOROU-AMBAS. m. (Hist. nat. Ornith.) oiseau nocturne de l'île de Madagascar, qui a, dit-on, le cri d'un petit chien ou d'un enfant nouveau-né.


VOROU-CHOTSIS. m. (Hist. nat. Ornith.) oiseau de l'île de Madagascar, qui ne vit que de mouches. Il est blanc, & suit toujours les boeufs. Quelques François l'ont nommé aigrette de boeuf.


VOROU-DOULS. m. (Hist. nat Ornith.) oiseau de l'île de Madagascar, qui est une espece d'orfraye. On prétend qu'il sent de loin un homme moribond ou attenué par quelque maladie, & qu'alors il vient faire des cris aux environs de son habitation.


VOROU-PATRAS. m. (Hist. nat. Ornith.) espece d'autruche de l'île de Madagascar, qui ne vit que dans les déserts, & dont les oeufs sont d'une grosseur prodigieuse.


VORSELA, (Géog. mod.) riviere de France en Picardie. Elle prend sa source aux confins du Vermandois, traverse Noyon, & se jette dans l'Oise. (D.J.)


VOSAVIA(Géog. anc.) lieu de la Gaule belgique, selon la table de Peutinger, qui le marque sur la route d'Autunnacum à Mayence, entre Boutobrice & Bingium, à 9 milles du premier de ces lieux, & à 12 milles du second. Tout le monde convient que c'est Ober-Wesel. (D.J.)


VOSGEou VAUGES, (Géog. mod.) en latin Vogesius Saltus ; chaîne de montagnes couvertes de bois qui séparent l'Alsace & la Franche-Comté de la Lorraine, & s'étendent jusqu'à la forêt des Ardennes. Elles occupent une partie du duché de Lorraine, vers l'orient & le midi. Le nom de Vosge vient du latin Vosagus, que les plus anciens auteurs écrivent Vogesus, comme font César & Lucain. Les auteurs postérieurs ont dit Vosagus, & l'appellent souvent une forêt, un désert, saltus, eremus ; car dans le vij. siecle c'étoit un vrai désert de montagnes & de bois. Cette forêt déserte ou montagne a toujours appartenu pour la plus grande partie aux peuples Belges, Leuci ; le reste étoit du territoire des Séquaniens, & c'est le quartier où s'établit S. Colomban. (D.J.)


VOSSES. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede de l'île de Madagascar, qui ressemble à celui qui est connu en France sous le nom de tesson. Voyez cet article.


VOSTANCE(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans le Coménolitari, sur le Vardari, à quatre lieues de Sturachi. Quelques géographes prétendent que c'est l'ancienne Andaristus, ville que Ptolomée, l. III. c. xiij. met dans la Macédoine, au pays de Pélagonie. (D.J.)


VOTATIONS. f. (Hist. de Malthe) ce mot en général est l'action de donner sa voix pour quelque élection ; mais il est sur-tout d'usage dans l'ordre de Malthe, à cause de l'exactitude requise dans les formalités de l'élection du grand-maître. Lorsqu'il s'agit de nommer les trois premiers électeurs, il faut que tous les votaux donnent chacun leur bulletin, & si le nombre de ceux-ci n'égaloit pas celui des votaux, on les brûleroit, & l'on recommenceroit une nouvelle votation. Il faut, pour qu'un chevalier puisse être électeur, qu'il ait le quart franc des bulletins, ou balottes, en sa faveur ; & lorsque aucun n'a le quart franc des suffrages, il faut recommencer la votation. (D.J.)


VOTERv. n. (Gram. & Jurispr.) terme usité dans quelques ordres & communautés, pour dire donner son voeu, ou plutôt son suffrage, pour quelque délibération. Voyez DELIBERATION, SUFFRAGE, VOIX, (A)


VOTIFSJEUX, (Antiq. rom.) ludi votivi ; les jeux votifs étoient ceux auxquels on s'engageoit par quelque voeu ; & ceux-là étoient ou publics, lorsque le voeu étoit public, ce qui arrive ou dans les calamités publiques, ou au fort d'un combat, ou dans quelques autres occasions importantes ou particulieres, lorsque quelque autre personne privée les faisoit représenter. Les premiers étoient donnés par les magistrats, sur un arrêt du sénat : nous avons une inscription qui fait mention d'un de ces jeux votifs & publics pour l'heureux retour d'Auguste : Ti. Claud. &c. Ludos Votivos pro reditu Imp. Caes. Divi F. Augusti. On en trouvera plusieurs autres exemples dans Gruter & dans Thomasini. (D.J.)


VOUAS. f. (Comm. & Mesure) mesure des longueurs dont on se sert dans le royaume de Siam. Elle revient à une de nos toises moins un pouce.


VOUDSIRAS. m. (Hist. nat. Zoolog.) petit animal quadrupede de l'île de Madagascar, qui ressemble à une belette ; il a le poil d'un rouge foncé, & se nourrit de miel. Il répand une odeur semblable à celle du musc.


VOUEDES. m. (Hist. nat. Bot.) le vouede ou guesde, & le pastel, ne sont qu'une seule & même plante connue des botanistes sous le nom d'isatis ; on la nomme pastel en Languedoc, & vouede en Normandie ; les deux seules provinces de France où on la cultive soigneusement.

On a décrit cette plante sous le nom de pastel ; il ne reste qu'à dire un mot ici de sa préparation pour la teinture.

Celle qu'on lui donne, consiste à la faire fermenter après l'avoir cueillie, jusqu'à ce qu'elle commence à se pourrir : cette fermentation développe les particules colorantes qui étoient contenues dans la plante, mais on ne se met point en peine de les séparer comme on fait aux Indes celles de l'anil, pour les avoir seules : on met le tout en pelote, qu'on emploie dans la teinture ; aussi quatre livres d'indigo donnent-elles autant de teinture que deux cent livres de pastel, & M. Hellot croit qu'il y auroit un bénéfice réel & considérable à travailler le pastel comme les Indiens travaillent leur indigo ; quelques expériences même qui en ont été faites d'après les mémoires de M. Astruc, semblent prouver que cette opération ne seroit ni difficile ni dispendieuse.

Le pastel, ou le vouede s'emploie en le faisant seulement dissoudre dans l'eau chaude, & en y mêlant une certaine quantité de chaux : sa teinture est cependant solide, & quoique les teinturiers soient dans l'usage de mêler de l'indigo dans la cuve de pastel, M. Hellot s'est assuré que cet ingrédient n'étoit nullement nécessaire pour rendre solide la couleur du premier, qui est aussi bonne sans ce mêlange. Ceci semble encore faire une exception à la regle ; car on ne voit ici ni tartre vitriolé, ni alkali volatil ; mais l'analyse du vouede fait évanouir cette difficulté : il contient naturellement les mêmes sels qu'on ajoute à la cuve d'indigo, & n'a besoin que de la chaux qui est nécessaire pour développer l'alkali volatil qui doit en opérer la parfaite dissolution.

Il y a sur cette plante un livre également bon & rare, dont voici le titre : Crolucchius (Henric.) de culturâ herbae isatidis ejusque praeparatione ad lanas tingendas. Tiguri 1555. in-8°. il mériteroit d'être traduit en françois. Miller & Mortimer ont aussi traité savamment de la culture de cette plante précieuse, par son profit. J'y renvoie le lecteur. (D.J.)


VOUGA(Géog. mod.) riviere de Portugal. Elle sort du mont Alcoba, baigne les murs d'un bourg ou petite ville, à laquelle elle donne son nom, & se jette un peu au-dessous dans la mer ; c'est la Vaca ou Vacua des anciens. (D.J.)


VOUGLÉ(Géog. mod.) bourg de France dans le Poitou, élection de Poitiers. Ce bourg est remarquable par la victoire gagnée en 507, sur Alaric, roi des Visigoths, qui y fut tué de la main de Clovis ; ce prince soumit ensuite tout le pays, depuis la Loire jusqu'aux Pyrénées. (D.J.)


VOULES. f. (Commerce) petite mesure dont se servent les habitans de l'île de Madagascar pour mesurer le riz mondé quand on le vend en détail ; elle contient environ une demi-livre de riz ; il faut douze voules pour faire le troubahouache ou monka, & cent pour le zatou. Voyez MONKA & ZATOU, dict. de Commerce.


VOULGELA, ou VOULGI, s. f. (Art milit.) espece de pieu, à-peu-près comme celui dont on se sert à la chasse du sanglier, de la longueur d'une halebarde, garni par un bout d'un fer large & pointu. C'étoit une arme dont les francs-archers se servoient. Hist. de la milice françoise. (Q)


VOULI-VAZAS. f. (Hist. nat. Bot.) arbrisseau de l'île de Madagascar ; il porte un fruit de la grosseur d'une prune, rempli de petits grains ; sa fleur répand un parfum délicieux qui participe de la canelle, de la fleur d'orange, & du girofle ; cette fleur est fort épaisse, sa couleur est blanche & bordée de rouge ; son odeur est encore plus agréable, lorsqu'elle a été flétrie.


VOULIBOHITSS. f. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar, dont les feuilles sont fort grasse, & qui porte une fleur mouchetée de jaune, qui a l'odeur du mélilot ; ses feuilles ont la propriété de faire tomber le poil ; on brûle cette plante toute verte pour en tirer les cendres, qui servent à teindre en bleu & en noir : on lui donne aussi le nom de fiononts.


VOULOIRv. act. (Gramm.) être mu par le désir ou par l'aversion. Voyez l'article VOLONTE.

On dit comment s'intéresser à un homme qui voit sa perte, qui la reconnoit, & qui la veut ? quand les rois veulent, ils ordonnent, & à des gens bassement disposés à leur obéir aveuglément ; ils ne peuvent donc être trop attentifs à ne vouloir que des choses justes ; je veux que vous réussissiez, mais la suite de ce succès la voyez-vous ? ce bois ne veut pas brûler ; cette clé ne veut pas tourner dans la serrure ; vous voulez que j'aie tort, & je le veux aussi, puisque je vous aime & que vous êtes belle ; que veulent tous ces gens ? que veulent ces préparatifs de guerre au milieu de la paix ? on est bien & mal voulu souvent sans l'avoir mérité ; cet ignorant en veut à tous les habiles gens ; il en veut à toutes les femmes ; veuille Dieu, veuille le diable, cela sera.

VOULOIR, s. m. (Gram.) c'est l'action de la volonté. On dit le vouloir des dieux ; il semble que ce mot entraîne plus de force & de nécessité que volonté.


VOULUS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de bambou de l'île de Madagascar : on l'emploie aux mêmes usages que celui des Indes, & l'on en tire une espece d'amidon ou de sucre en farine insipide ; son fruit est de la grosseur d'une féve.


VOURA(Géog. mod.) par les Grecs modernes, Vouro-potami ; riviere des états du turc, en Europe, dans l'Albanie propre. Elle prend sa source aux montagnes qui séparent cette province de la Janna, & elle coule vers le midi occidental ; son embouchure est au fond du golfe de Larta ; comme la Voura passe assez près du village d'Ambrakia, il en résulte que cette riviere est l'Arachthus des anciens : car quoiqu'elle ne mouille plus aujourd'hui le village d'Ambrakia, on peut présumer que l'ancienne ville d'Ambrakia s'étendoit autrefois jusques-là. (D.J.)


VOURLA(Géog. mod.) village des états du turc, en Asie, dans l'Anatolie, sur la côte méridionale de la baye de Smyrne. On croit que c'est l'ancienne Clazomène, ville illustre de la belle Grece, & qui méritera son article dans le supplément de cet ouvrage. (D.J.)


VOURSTou WURST, s. m. (Sellier) c'est ainsi que l'on nomme une voiture découverte, à quatre roues, sur laquelle est un siege fort long, qui peut recevoir 8, 10, & même jusqu'à 12 ou 15 personnes placées les unes auprès des autres, & assises jambes deçà & jambes delà. Cette voiture a été inventée en Allemagne, où chez les princes on s'en sert pour mener à la chasse un grand nombre de personnes. Le mot wurst est allemand, & signifie boudin ; il lui a été donné à cause de la forme du siege sur lequel on est assis. Quoique cette voiture soit assez incommode, on l'a imitée en France ; le siege est communément garni de crin & recouvert de quelque étoffe, pour qu'il soit moins dur.


VOUSSOIRS. m. (Archit.) on nomme voussoir en Architecture une pierre propre à former le ceintre d'une voûte, taillée en espece de coin tronqué, dont les côtés, s'ils étoient prolongés, aboutiroient à un centre où tendent toutes les pierres de la voûte.

Une voûte ou un arc demi-circulaire, étant posé sur ses deux piédroits, & toutes les pierres ou vousoirs qui composent cet arc, étant taillés & posés entr'eux, de maniere que leurs joints prolongés se rencontrent tous au centre de l'arc, il est évident que tous les voussoirs ont une figure de coin plus large par haut que par bas, en vertu de laquelle ils s'appuient & se soutiennent les uns les autres, & résistent réciproquement à l'effort de leur pesanteur qui les porteroit à tomber.

Le voussoir du milieu de l'arc, qui est perpendiculaire à l'horison, & qu'on appelle clé de voûte, est soutenu de part & d'autre par les deux voussoirs voisins, précisément comme par deux plans inclinés, & par conséquent l'effort qu'il fait pour tomber, n'est pas égal à sa pesanteur, mais en est une certaine partie d'autant plus grande, que les plans inclinés qui le soutiennent sont moins inclinés ; desorte que s'ils étoient infiniment peu inclinés, c'est-à-dire perpendiculaires à l'horison, aussi-bien que la clé de la voûte, elle tendroit à tomber par toute sa pesanteur, ne seroit plus du-tout soutenue, & tomberoit effectivement, si le ciment que l'on ne considere pas ici, ne l'empêchoit.

Le second voussoir qui est à droite ou à gauche de la clé de voûte est soutenu par un troisieme voussoir, qui, en vertu de la figure de la voûte, est nécessairement plus incliné à l'égard du second, que le second ne l'est à l'égard du premier ; & par conséquent le second voussoir dans l'effort qu'il fait pour tomber, exerce une moindre partie de sa pesanteur que le premier.

Par la même raison, tous les voussoirs, à compter depuis la clé de voûte, vont toujours en exerçant une moindre partie de leur pesanteur totale, & enfin le dernier qui est posé sur une face horisontale du piédroit, n'exerce aucune partie de sa pesanteur ; ou, ce qui est la même chose, ne fait nul effort pour tomber, puisqu'il est entierement soutenu par le piédroit.

Si l'on veut que tous les voussoirs fassent un effort égal pour tomber, ou soient en équilibre, il est visible que chacun depuis la clé de voûte jusqu'au piédroit, exerçant toujours une moindre partie de sa pesanteur totale, le premier, par exemple, n'en exerçant que la moitié, le second, un tiers, le troisieme, un quart, &c. il n'y a pas d'autres moyens d'égaler ces différentes parties, qu'en augmentant à proportion les tous dont elles sont parties ; c'est-à-dire qu'il faut que le second voussoir soit plus pesant que le premier, le troisieme plus que le second, & ainsi de suite jusqu'au dernier qui doit être infiniment pesant, parce qu'il ne fait nul effort pour tomber, & qu'une partie nulle de sa pesanteur, ne peut être égale aux efforts finis des autres voussoirs, à moins que cette pesanteur ne soit infiniment grande.

Pour prendre cette même idée d'une maniere plus sensible & moins métaphysique, il n'y a qu'à faire réflexion que tous les voussoirs, hormis le dernier, ne pourroient laisser tomber un autre voussoir quelconque, sans s'élever ; qu'ils résistent à cette élévation jusqu'à un certain point déterminé par la grandeur de leur poids, & par la partie qu'ils en exercent ; qu'il n'y a que le dernier voussoir qui puisse en laisser tomber un autre sans s'élever en aucune sorte, & seulement en glissant horisontalement ; que les poids, tant qu'ils sont finis, n'apportent aucune résistance au mouvement horisontal, & qu'ils ne commencent à y en apporter une finie, que quand on les conçoit infinis.

M. de la Hire, dans son traité de Méchanique, imprimé en 1695, a démontré quelle étoit la proportion selon laquelle il falloit augmenter la pesanteur des voussoirs d'un arc demi-circulaire, afin qu'ils fussent tous en équilibre ; ce qui est la disposition la plus sûre que l'on puisse donner à une voûte, pour la rendre durable. Jusque-là, les Architectes n'avoient eu aucune regle précise, & ne s'étoient conduits qu'en tâtonnant. Si l'on compte les degrés d'un quart de cercle, depuis le milieu de la clé de voûte, jusqu'à un pié droit, l'extrémité de chaque voussoir appartiendra à un arc d'autant plus grand, qu'elle sera plus éloignée de la clé ; & il faut par la regle de M. de la Hire, augmenter la pesanteur d'un voussoir par-dessus celle de la clé, autant que la tangente de l'arc de ce voussoir l'emporte sur la tangente de l'arc de la moitié de la clé. La tangente du dernier voussoir devient nécessairement infinie, & par conséquent aussi sa pesanteur. Mais comme l'infini ne se trouve pas dans la pratique, cela se réduit à changer autant qu'il est possible, les derniers voussoirs, afin qu'ils résistent à l'effort que fait la voûte pour les écarter, qui est ce qu'on appelle sa poussée. Acad. des Sciences, année 1704. (D.J.)


VOUSSURES. f. (Architect.) signifie toute sorte de courbure en voûte, mais particulierement les portions de voûte en forme de scotie, qui servent d'empatement aux plafonds & qui sont aujourd'hui en usage. Les voussures qui sont au-dedans d'une baie de porte ou de fenêtre derriere la fermeture, s'appellent arrieres-voussures ; il en est de différentes figures. Voyez ARRIERE-VOUSSURE.


VOÛTES. f. en Architecture, est un plancher en arc, tellement fabriqué, que les différentes pierres dont il est fabriqué, se soutiennent les unes les autres par leur disposition. Voyez ARC.

On préfere dans bien des cas les voûtes plates, parce qu'elles donnent à la piece plus de hauteur & d'élévation, & que d'ailleurs elles sont plus fermes & plus durables. Voyez PLAFOND, PLANCHER, &c.

Saumaise remarque que les anciens ne connoissoient que trois sortes de voûtes ; la premiere, fornix, faite en forme de berceau ; la seconde, testudo, en forme de tortue, & nommée chez les François, cul de four ; & la troisieme, concha, faite en forme de coquille.

Mais les modernes subdivisent ces trois sortes en un bien plus grand nombre, auxquelles ils donnent différens noms, suivant leurs figures & leur usage ; il y en a de circulaires, d'elliptiques, &c.

Les calottes de quelques-unes, sont des portions de sphere plus ou moins grandes ; celles qui sont audessus de l'hémisphere sont appellées grandes voûtes, ou voûtes surmontées : celles qui sont moindres que des hémispheres se nomment voûtes basses ou surbaissées, &c.

Il y en a dont la hauteur est plus grande que le diametre ; d'autres dont elle est moindre.

Il y a des voûtes simples, des doubles, des croisées, diagonales, horisontales, montantes, descendantes, angulaires, obliques, pendantes, &c. Il y a aussi des voûtes gothiques, de pendentives, &c. Voyez OGIVES, PENDENTIVES, &c.

Les voûtes principales qui couvrent les principales parties des bâtimens, pour les distinguer des voûtes moindres & subordonnées qui n'en couvrent qu'une petite partie, comme un passage, une porte, &c.

Double voûte, est celle qui étant bâtie sur une autre pour rendre la décoration extérieure proportionnée à l'intérieure, laisse un espace entre la convexité de la premiere voûte & la concavité de l'autre, comme dans le dôme de S. Paul à Londres, & de S. Pierre à Rome.

Voûtes à compartimens, sont celles dont la face intérieure est enrichie de panneaux de sculpture séparés par des plates bandes : ces compartimens qui sont de différentes figures, suivant les voûtes, & pour l'ordinaire dorés sur un fond blanc, sont faites de stuc sur des murailles de briques, comme dans l'église de S. Pierre à Rome, & de plâtre sur des voûtes de bois.

Théorie des voûtes. Une arcade demi-circulaire ou voûte étant appuyée sur deux piés droits, & toutes les pierres qui la composent étant taillées & placées de maniere que leurs jointures ou leurs lits prolongés, se rencontrent tous au centre de la voûte ; il est évident que toutes les pierres doivent être taillées en forme de coins, c'est-à-dire, plus larges & plus grosses au sommet qu'au fond ; au moyen de quoi elles se soutiennent les unes les autres, & opposent mutuellement l'effort de leur pesanteur qui les détermine à tomber.

La pierre qui est au milieu de la voûte, qui est perpendiculaire à l'horison, & qu'on appelle la clé de la voûte, est soutenue de chaque côté par les deux pierres contiguës précisément comme par deux plans inclinés ; & par conséquent l'effort qu'elle fait pour tomber, n'est pas égal à sa pesanteur.

Mais il arrive toujours que cet effort est d'autant plus grand, que les plans inclinés le sont moins ; de sorte que s'ils étoient infiniment peu inclinés, c'est-à-dire, s'ils étoient perpendiculaires à l'horison aussibien que la clé, elle tendroit à tomber avec tout son poids, & tomberoit actuellement, à-moins que le mortier ne la retînt.

La seconde pierre qui est à droite ou à gauche de la clé est soutenue par une troisieme, qui au moyen de la figure de la voûte, est nécessairement plus inclinée à la seconde, que la seconde ne l'est à la premiere ; & par conséquent la seconde emploie dans l'effort qu'elle fait pour tomber, une moindre partie de son poids que la premiere.

Par la même raison toutes les pierres, à compter depuis la clé, emploient toujours une moindre partie de leur poids, à mesure qu'elles s'éloignent du centre de la voûte, jusqu'à la derniere, qui posée sur un plan horisontal, n'emploie point du tout de son poids ; ou, ce qui revient à la même chose, ne fait point d'effort pour tomber, parce qu'elle est entierement soutenue par le pié droit.

De plus, il y a un grand point auquel il faut faire attention dans les voûtes, c'est que toutes les clés fassent un effort égal pour tomber. Pour cet effet, il est visible que comme chaque pierre (à compter de la clé jusqu'au pié droit) emploient toujours moins que la totalité de leur poids ; la premiere n'en employant, par exemple, que moitié ; la seconde, un tiers ; la troisieme, un quart, &c. Il n'y a point d'autres moyens de rendre ces différentes parties égales, qu'en augmentant la totalité du poids à proportion ; c'est-à-dire, que la seconde pierre doit être plus pesante que la premiere ; la troisieme, que la seconde, &c. jusqu'à la derniere, qui doit être infiniment plus pesante.

M. de la Hire démontre quelle est cette proportion dans laquelle les pesanteurs des pierres d'une voûte demi-circulaire doivent être augmentées pour être en équilibre, ou tendre en en-bas avec une force égale ; ce qui est la disposition la plus ferme qu'une voûte puisse avoir.

Avant lui les Architectes n'avoient point de regles certaines pour se conduire, mais le faisoient au hasard.

La regle de M. de la Hire est d'augmenter le poids de chaque pierre au-delà de celui de la clé, d'autant que la tangente de l'arc de la pierre excede la tangente de l'arc de moitié de la clé. De plus, la tangente de la derniere pierre devient nécessairement infinie, & par conséquent son poids devroit l'être aussi ; mais comme l'infini n'a pas lieu dans la pratique, la regle revient à ceci, que les dernieres pierres soient chargées autant que faire se peut, afin qu'elles soient plus en état de résister à l'effort que la voûte fait pour les séparer : c'est ce qu'on appelle le dessein & le but de la voûte.

M. Parent a depuis déterminé la courbe ou la figure que doivent avoir l'extrados ou la surface extérieure d'une voûte, dont l'intrados ou la surface intérieure est sphérique, afin que toutes les pierres puissent être en équilibre.

La clé d'une voûte est une pierre ou brique placée au milieu de la voûte en forme de cône tronqué, & qui sert à soutenir tout le reste. Voyez CLE.

Les montans d'une voûte sont les côtés qui la soutiennent.

Pendentive d'une voûte, est la partie qui est suspendue entre les arcs ou ogives. Voyez PENDENTIVE.

Pié droit d'une voûte, est la pierre sur laquelle est posée la premiere pierre qui commence à caver. Dans les arches on entend par pié droit, toute la hauteur des culées ou des piles depuis le dessus des fondemens & des retraites jusqu'à la naissance de ces arches. Voyez PIE DROIT.

VOUTE, (Coupe des pierres) voûtes annulaires, sont des voûtes cylindriques en quelque sorte, comme si un cylindre se courboit ensorte que son axe devînt un cercle en le réunissant par les deux bouts. Le plan d'une telle voûte est un anneau aussi-bien que tous les rangs de voussoirs que l'on peut diviser en deux classes, en extérieurs & en intérieurs ; les extérieurs sont ceux qui s'appuient sur le mur de la tour, & dont les lits en joints sont des surfaces coniques, dont le sommet est en en-bas ; les intérieurs sont ceux qui appuient sur le noyau qui est au milieu de la tour, voyez NOYAU, & dont les lits en joints sont des surfaces coniques dont le sommet est en en-haut. Toutes ces surfaces coniques qui font les joints de lit, doivent passer par l'axe courbé du cylindre, comme aux voûtes cylindriques simples.

Tous les joints de tête, tant des voussoirs intérieurs que des extérieurs, doivent passer par le centre de la tour comme aux voûtes sphériques.

Voûtes cylindriques, sont celles dont le doelles imitent le cylindre ; leur construction est très-facile ; elles se réduisent à observer, que les joints de lit, c'est-à-dire leurs plans, passent par l'axe du cylindre & que les joints de tête lui soient perpendiculaires & en liaison entr'eux.

Voûtes coniques, sont celles dont la figure imite en quelque sorte le cône, comme sont les trompes. Il faut seulement observer pour leur construction, que les joints de lit passent par l'axe, & que les joints de tête soient perpendiculaires à la surface du cône.

Voûtes hélicoïdes ou en vis, sont des voûtes cylindriques annulaires dont l'axe s'éleve en tournant autour du noyau : les joints de lit doivent suivre constamment l'axe du cylindre, & les joints de tête doivent y être perpendiculaires. Voyez au mot NOYAU.

Voûtes mixtes & irrégulieres, participent toujours de quelques-unes des especes précédentes, auxquelles il faut les rapporter, comme nous rapporterons les voûtes hélicoïdes aux annulaires & aux cylindriques.

Voûte plane. Il y a en général deux manieres de les faire : si on avoit des pierres assez grandes pour pouvoir couvrir de grands appartemens, la voûte plane seroit bientôt faite ; il n'y auroit qu'à tailler la pierre A en biseau ou talud renversé a b sur les bords, ensorte que la pierre fût une pyramide tronquée & renversée, ainsi qu'elle est représentée dans la figure à la lettre A, & le haut des murs de la chambre en talud B C D pour servir de coussinets à la pierre A ; si on l'applique alors dans l'espece d'entonnoir B C D E, il est évident qu'elle ne pourra point tomber en-bas, à cause que l'ouverture de chambre est plus petite que sa grande base.

Mais comme on ne trouve pas de pierre assez grande pour faire les planchers d'une seule piece, on est obligé de les faire de différens morceaux, qui réunis font le même effet.

Supposons qu'au lieu de grandes pierres, on ne trouvât que des anneaux Q R S T, fig. 31. n °. 2. de différentes grandeurs, & percés à jour en talud m n, & ayant un talud renversé T V, en tout semblable au talud a b de notre grande pierre. Si on en met plusieurs les uns dans les autres, comme la fig. 31. le représente ; leur assemblage formera une voûte plate, que l'on pourroit comparer au marc dont se servent les orfevres. Mais comme on ne trouve pas non plus de pierre assez grande pour faire les anneaux d'une seule piece, on les fait de plusieurs parties, qu'il faut observer de poser en liaison. Voyez LIAISON.

Tous les joints de cette sorte de voûte, tant ceux de lit (qui sont ceux qui séparent les anneaux les uns des autres), que ceux de tête, doivent concourir au sommet commun P des pyramides renversées, dont nous avons supposé les tronçons enfilés les uns dans les autres.

La figure L M N O, fig. 32. représente l'épure de cette sorte de voûte. Si la chambre étoit ronde, les rangs de claveaux seroient des tronçons de cône.

La seconde maniere de construire les voûtes plates est fondée sur une invention de Serlio, qui a donné une maniere de faire des planchers avec des poutrelles trop courtes pour être appuyées sur les murs de part & d'autre : c'est une certaine disposition qui consiste à les faire croiser alternativement, ensorte qu'elles s'appuient réciproquement le bout de l'une sur le milieu de l'autre, duquel arrangement on voit la représentation dans la fig. 33.

On ne peut douter que les voûtes plates de la seconde maniere n'aient été imitées de cette charpente ; car si on considere chaque parallélogramme de l'extrados comme une piece de bois, fig. 34. on verra qu'on a suppléé aux entailles & aux tenons de la fig. 33. par des taluds sur les côtés, & des coupes en sur-plomb sur les bouts ; les uns & les autres conservant toujours cette sorte d'arrangement, que les architectes appellent à batons rompus.

Mais ce qui rend l'invention de cette voûte plus ingénieuse que celle de la charpente, c'est que par le moyen de ces sur-plombs & de ces taluds prolongés, on remplit le vuide (qui reste entre les poutrelles), dans le parement inférieur, où l'on forme un plafond continu, tout composé de quarrés parfaits arrangés de-suite en échiquier, fig. 35. qu'on appelle en architecture en déliaison, ce qui en rend l'artifice digne d'admiration : il n'en est pas de même dans la surface supérieure, elle ne peut être continue, parce que les coupes des taluds restent en partie découvertes, de-sorte qu'il s'y forme des vuides en pyramides quarrées renversées a b c d e, fig. 36. qui représente l'extrados de cette voûte, dont l'inventeur est M. Abeille. Ces vuides donnent occasion de faire un compartiment de pavé agréable & varié, parce qu'on peut y mettre des carreaux différens de celles des premieres pierres.

Cette interruption de continuité a donné occasion au pere Sebastien & à M. Frezier, de chercher les moyens de remplir les vuides piramidaux par des claveaux mixtes. Le pere Sebastien en a inventé dont les joints au talud sont des surfaces gauches, & M. Frezier en a trouvé de deux sortes, dont voici les exemples. A, fig. 37. n °. 2. représente un claveau vu par la surface inférieure. B, représente le même claveau vu par-dessus, & la figure 37. l'extrados de cette voûte.

L'autre maniere de voûte est représentée fig. 38. l'extrados est tout composé de quarrés, lesquels sont précisément la moitié de ceux de la doelle. Un des claveaux est représenté par-dessus & par-dessous aux figures a & b, fig. 38. n °. 2.

Voûtes sphériques, sont celles dont la figure imite la sphere. Tous les claveaux ou voussoirs des voûtes sphériques, sont des cônes tronqués, ou des parties d'anneaux coniques, dont le sommet est au centre de la sphere. Les joints de lit sont des surfaces coniques dirigées au centre de la sphere, le plan des joints de tête doit passer par le centre.

VOUTE à lunettes, (Architecture) espece de voûte qui traverse les reins d'un berceau ; ou pour m'exprimer plus nettement, c'est lorsque dans les côtés d'un berceau d'une voûte, on fait de petites arcades, pour y pratiquer quelques jours, ou des vues : on la nomme lunette biaize, quand elle coupe obliquement un berceau, & lunette rampante, lorsque son ceintre est rompu. (D.J.)

VOUTE MEDULLAIRE, est le nom que les anatomistes ont donné à une portion du corps calleux, qui en se continuant de côté & d'autre avec la substance médullaire, qui dans tout le reste de son étendue est entierement unie à la substance corticale, & forme, conjointement avec le corps calleux, une voûte médullaire un peu oblongue, & comme ovale.

La voûte à trois piliers n'est que la portion inférieure du corps calleux, dont la face inférieure est comme un plancher concave à trois angles, un antérieur & deux postérieurs ; & à trois bords, deux latéraux & un postérieur.

VOUTE DU NEZ, voyez NEZ.

VOUTES, (Hist. d'Allemagne) on appelle voûtes en Allemagne, des endroits particuliers où se font les dépôts publics. Il y a communément deux voûtes : dans la premiere, on dépose les pieces des affaires qui n'ont pas été portées par appel à la chancellerie de la chambre de Spire, mais qui lui sont dévolues par d'autres voies. Tels sont les actes du fisc, ceux qui constatent ou qui renferment les mandats, les infractions de la paix, les violences, &c. La deuxieme voûte contient les actes des causes pendantes par appel, des attentats contre l'appel, des défauts, des compulsoires, des défenses. (D.J.)

VOUTE ou VOUTIS, (Marine) partie extérieure de l'arcasse, construite en voûte au-dessus du gouvernail. C'est sur cette partie qu'on place ordinairement le cartouche qui porte les armes du prince. Voyez Pl. III. Marine, fig. 1.


VOUTÉadj. (Gram.) voyez les articles VOUTE & VOUTER.

VOUTE, fer voûté, (Maréchal.) les maréchaux appellent ainsi une espece de fer qui sert aux chevaux qui ont le pié comble. Voyez COMBLE. Son enfoncement l'empêche de porter sur la sole qu'ils ont alors plus haute que la corne. Les meilleurs écuyers blâment cet usage, & prétendent, avec raison, que la corne étant plus tendre que le fer, elle en prend la forme, & n'en devient par conséquent que plus ronde. Voyez CORNE, SABOT, &c.


VOUTERv. act. (Archit.) c'est construire une voûte sur des ceintres & dossets, ou sur un noyau de maçonnerie. On doit, selon les lieux, préférer les voûtes aux sofites ou plafonds, parce qu'elles donnent plus d'exhaussement, & qu'elles ont plus de solidité.

Voûter en tas de charge ; c'est mettre les joints des lits partie en coupe du côté de la douelle, & partie de niveau du côté de l'extrados, pour faire une voûte sphérique. (D.J.)


VOUZYELA, (Géog. mod.) petite riviere de France, dans la Brie. Elle sort d'un étang, mouille la ville de Provins, & tombe dans la Seine, au-dessous de Bray.


VOYAGES. m. (Gram.) transport de sa personne d'un lieu où l'on est dans un autre assez éloigné. On fait le voyage d'Italie. On fait un voyage à Paris. Il faut tous faire une fois le grand voyage. Allez avant le tems de votre départ déposer dans votre tombeau la provision de votre voyage.

VOYAGE, (Commerce) les allées & les venues d'un mercenaire qui transporte des meubles, du blé, & autres choses. On dit qu'il a fait dix voyages, vingt voyages.

VOYAGE, (Education) les grands hommes de l'antiquité ont jugé qu'il n'y avoit de meilleure école de la vie que celle des voyages ; école où l'on apprend la diversité de tant d'autres vies, où l'on trouve sans cesse quelque nouvelle leçon dans ce grand livre du monde ; & où le changement d'air avec l'exercice sont profitables au corps & à l'esprit.

Les beaux génies de la Grece & de Rome en firent leur étude, & y employoient plusieurs années. Diodore de Sicile met à la tête de sa liste des voyageurs illustres, Homere, Lycurgue, Solon, Pythagore, Démocrite, Eudoxe & Platon. Strabon nous apprend qu'on montra long-tems en Egypte le logis où ces deux derniers demeurerent ensemble pour profiter de la conversation des prêtres de cette contrée, qui possédoient seuls les sciences contemplatives.

Aristote voyagea, avec son disciple Alexandre, dans toute la Perse, & dans une partie de l'Asie jusques chez les Bracmanes. Cicéron met Xénocrates, Crantor, Arcesilas, Carnéade, Panétius, Clitomaque, Philon, Possidonius, &c. au rang des hommes célebres qui illustrerent leur patrie par les lumieres qu'ils avoient acquises en visitant les pays étrangers.

Aujourd'hui les voyages dans les états policés de l'Europe (car il ne s'agit point ici des voyages de long cours), sont au jugement des personnes éclairées, une partie des plus importantes de l'éducation dans la jeunesse, & une partie de l'expérience dans les vieillards. Choses égales, toute nation où regne la bonté du gouvernement, & dont la noblesse & les gens aisés voyagent, a des grands avantages sur celle où cette branche de l'éducation n'a pas lieu. Les voyages étendent l'esprit, l'élevent, l'enrichissent de connoissances, & le guérissent des préjugés nationaux. C'est un genre d'étude auquel on ne supplée point par les livres, & par le rapport d'autrui ; il faut soi-même juger des hommes, des lieux, & des objets.

Ainsi le principal but qu'on doit se proposer dans ses voyages, est sans contredit d'examiner les moeurs, les coutumes, le génie des autres nations, leur goût dominant, leurs arts, leurs sciences, leurs manufactures & leur commerce.

Ces sortes d'observations faites avec intelligence, & exactement recueillies de pere en fils, fournissent les plus grandes lumieres sur le fort & le foible des peuples, les changemens en bien ou mal qui sont arrivés dans le même pays au bout d'une génération, par le commerce, par les loix, par la guerre, par la paix, par les richesses, par la pauvreté, ou par de nouveaux gouverneurs.

Il est en particulier un pays au-delà des Alpes, qui mérite la curiosité de tous ceux dont l'éducation a été cultivée par les lettres. A peine est-on aux confins de la Gaule sur le chemin de Rimini à Cesene, qu'on trouve gravé sur le marbre, ce célebre sénatus-consulte qui dévouoit aux dieux infernaux, & déclaroit sacrilege & parricide quiconque avec une armée, avec une légion, avec une cohorte passeroit le Rubicon, aujourd'hui nommé Pisatello. C'est au bord de ce fleuve ou de ce ruisseau, que César s'arrêta quelque tems, & là la liberté prête à expirer sous l'effort de ses armes, lui couta encore quelques remords. Si je differe à passer le Rubicon, dit-il à ses principaux officiers, je suis perdu, & si je le passe, que je vais faire de malheureux ! Ensuite après y avoir réflechi quelques momens, il se jette dans la petite riviere, & la traverse en s'écriant (comme il arrive dans les entreprises hazardeuses) : n'y songeons plus, le sort est jetté. Il arrive à Rimini, s'empare de l'Umbrie, de l'Etrurie, de Rome, monte sur le trône, & y périt bientôt après par une mort tragique.

Je sais que l'Italie moderne n'offre aux curieux que les débris de cette Italie si fameuse autrefois ; mais ces débris sont toujours dignes de nos regards. Les antiquités en tout genre, les chefs-d'oeuvres des beaux arts s'y trouvent encore rassemblés en foule, & c'est une nation savante & spirituelle qui les possede ; en un mot, on ne se lasse jamais de voir & de considerer les merveilles que Rome renferme dans son sein.

Cependant le principal n'est pas, comme dit Montagne, " de mesurer combien de piés a la santa Rotonda, & combien le visage de Néron de quelques vieilles ruines, est plus grand que celui de quelques médailles ; mais l'important est de frotter, & limer votre cervelle contre celle d'autrui ". C'est ici sur-tout que vous avez lieu de comparer les tems anciens avec les modernes, " & de fixer votre esprit sur ces grands changemens qui ont rendu les âges si différens des âges, & les villes de ce beau pays autrefois si peuplées, maintenant désertes, & qui semblent ne subsister, que pour marquer les lieux où étoient ces cités puissantes, dont l'histoire a tant parlé. " (D.J.)

VOYAGES DE LONG COURS. (Marine) On appelle ainsi les grands voyages de mer, que quelques marins fixent à 1000 lieues.

VOYAGE, (Jurisprud.) est un droit que l'on alloue dans la taxe des dépens à celui qui a plaidé hors du lieu de son domicile, & qui a obtenu gain de cause avec dépens, pour les voyages qu'il a été obligé de faire, soit pour charger un procureur, soit pour produire ses pieces, soit pour faire juger l'affaire.

On joint quelquefois les termes de voyages & séjours, quoiqu'ils aient chacun leur objet différent. Ces voyages sont ce qui est alloué pour aller & venir ; les séjours sont ce qui s'est alloué pour le séjour que la partie a été obligée de faire.

Ces voyages ne doivent être alloués qu'autant qu'ils ont été véritablement faits, & que l'on en fait appercevoir par un acte d'affirmation fait au greffe.

La femme peut venir pour son mari, & le mari pour sa femme ; les enfans âgés de 20 ans pour leurs pere & mere, & le gendre pour son beau-pere, en affirmant par eux leur voyage au greffe.

Voyez le réglement de 1665 pour la taxe des dépens, & celui du 10 Avril 1691 sur les voyages & séjours. (A)


VOYAGEUR(Hist. particul. des pays) celui qui fait des voyages par divers motifs, & qui, quelquefois en donne des relations ; mais c'est en cela que d'ordinaire les voyageurs usent de peu de fidélité. Ils ajoutent presque toujours aux choses qu'ils ont vues, celles qu'ils pouvoient voir ; & pour ne pas laisser le récit de leurs voyages imparfait, ils rapportent ce qu'ils ont lu dans les auteurs, parce qu'ils sont premiérement trompés, de même qu'ils trompent leurs lecteurs ensuite. C'est ce qui fait que les protestations que plusieurs de ces observateurs, comme Belon, Pison, Marggravius & quelques autres font de ne rien dire que ce qu'ils ont vu, & les assurances qu'ils donnent d'avoir vérifié quantité de faussetés qui avoient été écrites avant eux, n'ont guere d'autre effet que de rendre la sincérité de tous les voyageurs fort suspecte, parce que ces censeurs de la bonne foi & de l'exactitude des autres, ne donnent point de cautions suffisantes de la leur.

Il y a bien peu de relations auxquelles on ne puisse appliquer ce que Strabon disoit de celle de Ménélas : je vois bien que tout homme qui décrit ses voyages est un menteur, ; cependant il faut exclure de ce reproche les relations curieuses de Paolo, de Rawleigh, de Pocock, de Spon, de Wheler, de Tournefort, de Fourmont, de Kaempfer, des savans Anglois qui ont décrit les ruines de Palmyre, de Shaw, de Catesby, du chevalier Hans-Sloane, du lord Anson, de nos MM. de l'académie des sciences, au Nord & au Pérou, &c. (D.J.)

VOYAGEUR, s. m. pl. (Hist. anc.) celui qui est en route, & qui a entrepris un voyage.

Les Mythologues & les historiens ont observé que dans l'antiquité païenne, les voyageurs adressoient des prieres aux dieux tutélaires des lieux d'où ils partoient : ils en avoient d'autres pour les dieux sous la protection desquels étoient les lieux par où ils passoient ; & d'autres enfin, pour les divinités du lieu où se terminoit leur voyage : la formule de ces prieres nous a été conservé dans les inscriptions pro salute, itu & reditu. Ils marquoient aussi leur reconnoissance à quelque divinité particuliere, sous la protection de laquelle ils comptoient avoir fait leur voyage : Jovi reduci, Neptuno reduci, Fortunae reduci. Les Grecs, entre les dieux protecteurs des voyages, choisissoient sur-tout Mercure, qui est appellé dans les inscriptions viacus & trivius, & pour la navigation, Castor & Pollux. Les Romains honoroient ces dieux à même intention, sous le nom de viales & de semitales. Saint Augustin & Martianus Capella font mention d'une Junon surnommée Iterduca ou guide des voyageurs.

Athenée observe que les Crétois, dans leurs repas publics, avoient une table particuliere pour y recevoir ceux qui se trouvoient chez eux à titre de voyageurs, & Plutarque assure que chez les Perses, quoiqu'ils voyageassent peu eux-mêmes, un officier du palais n'avoit d'autre fonction que celle de recevoir les hôtes. Voyez HOSPITALITE.

Outre que les voyageurs portoient sur eux quelqu'image ou petite statue d'une divinité favorite, dès qu'ils étoient de retour dans leur patrie, ils offroient un sacrifice d'action de grace, s'acquittoient des voeux qu'ils pouvoient avoir faits, & consacroient pour l'ordinaire à quelque divinité les habits qu'ils avoient portés pendant leur voyage. C'est ce qu'Horace & Virgile appellent votae vestes. L'assemblage de toutes ces circonstances fait voir que la religion entroit pour beaucoup dans les voyages des anciens. Mém. de l'acad. tom. III.


VOYANS FRERES(Quinze-vingts) Dans la communauté des quinze-vingts, on appelle freres voyans, ceux de cette communauté qui voient clair, & qui sont mariés à une femme aveugle ; & femmes voyantes, les femmes qui voient clair & qui sont mariées à des aveugles. (D.J.)


VOYELLES. f. (Gram.) La voix humaine comprend deux sortes d'élémens, le son & l'articulation. Le son est une simple émission de la voix, dont les différences essentielles dépendent de la forme du passage que la bouche prête à l'air qui en est la matiere. L'articulation est le degré d'explosion que reçoivent les sons, par le mouvement subit & instantané de quelqu'une des parties mobiles de l'organe. Voyez H.

L'écriture qui peint la parole en en représentant les élémens dans leur ordre naturel, par des signes d'une valeur arbitraire & constatée par l'usage que l'on nomme lettres, doit donc comprendre pareillement deux sortes de lettres ; les unes doivent être les signes représentatifs des sons, les autres doivent être les signes représentatifs des articulations : ce sont les voyelles & les consonnes.

Les voyelles sont donc des lettres consacrées par l'usage national à la représentation des sons. " Les voyelles, dit M. du Marsais (CONSONNE), sont ainsi appellées du mot voix, parce qu'elles se font entendre par elles-mêmes ; elles forment toutes seules un son, une voix " : c'est-à-dire, qu'elles représentent des sons qui peuvent se faire entendre sans le secours des articulations ; au lieu que les consonnes, qui sont destinées par l'usage national à la représentation des articulations, ne représentent en conséquence rien qui puisse se faire entendre seul, parce que l'explosion d'un son ne peut exister sans le son, de même qu'aucune modification ne peut exister sans l'être, qui est modifié : de-là vient le nom de consonne, (qui sonne avec) parce que l'articulation représentée ne devient sensible qu'avec le son qu'elle modifie.

J'ai déja remarqué (LETTRES) que l'on a compris sous le nom général de lettres, les signes & les choses signifiées, ce qui aux yeux de la philosophie est un abus, comme c'en étoit un aux yeux de Priscien. (Lib. I. de litterâ.) Les choses signifiées auroient dû garder le nom général d'élémens, & les noms particuliers de sons & d'articulations ; & il auroit fallu donner exclusivement aux signes le nom général de lettres, & les noms spécifiques de voyelles & de consonnes. Il est certain que ces dernieres dénominations sont en françois du genre féminin, à cause du nom général lettres, comme si l'on avoit voulu dire lettres voyelles, lettres consonnes.

Cependant l'auteur anonyme d'un traité des sons de la langue françoise (Paris 160. in-8°.) se plaint au contraire, d'une expression ordinaire qui rentre dans la correction que j'indique : voici comme il s'en explique. (Part. I. pag. 3.) " Plusieurs auteurs disent que les voyelles & les consonnes sont des lettres. C'est comme si on disoit que les nombres sont des chiffres. Les voyelles & les consonnes sont des sons que les lettres représentent, comme les chiffres servent à représenter les nombres. En effet, on prononçoit des consonnes & des voyelles avant qu'on eût inventé les lettres. "

Il me semble, au contraire, que quand on dit que les voyelles & les consonnes sont des sons, c'est comme si l'on disoit que les chiffres sont des nombres ; sans compter que c'est encore un autre abus de désigner indistinctement par le mot de sons tous les élémens de la voix. J'ajoûte que l'on prononçoit des sons & des articulations avant qu'on eût inventé les lettres, cela est dans l'ordre ; mais loin que l'on prononçât alors des consonnes & des voyelles, on n'en prononce pas même aujourd'hui que les lettres sont connues ; parce que, dans la rigueur philosophique, les voyelles & les consonnes, qui sont des especes de lettres, ne sont point sonores, ce sont des signes muets des élémens sonores de la voix.

Au reste, le même auteur ajoute : " on peut cependant bien dire que ces lettres a, e, i, &c. sont des voyelles, & que ces autres b, c, d, &c. sont des consonnes, parce que ces lettres réprésentent des voyelles & des consonnes ". Il est assez singulier que l'on puisse dire que des lettres sont voyelles & consonnes, & que l'on ne puisse pas dire réciproquement que les voyelles & les consonnes sont des lettres ? je crois que la critique exige plus de justesse.

Selon le P. Lami, (Rhét. liv. III. chap. iij. pag. 202.) On peut dire que les voyelles sont au regard des lettres qu'on appelle consonnes, ce qu'est le son d'une flûte aux différentes modifications de ce même son, que font les doigts de celui qui joue de cet instrument. Le P. Lami parle ici le langage ordinaire, en désignant les objets par les noms mêmes des signes. M. du Marsais, parlant le même langage, a vu les choses sous un autre aspect, dans la même comparaison prise de la flûte : tant que celui qui en joue, dit-il, (CONSONNE) y souffle de l'air, on entend le propre son au trou que les doigts laissent ouvert.... Voilà précisément la voyelle : chaque voyelle exige que les organes de la bouche soient dans la situation requise pour faire prendre à l'air qui sort de la trachée-artère la modification propre à exciter le son de telle ou telle voyelle. La situation qui doit faire entendre l 'a, n'est pas la même que celle qui doit exciter le son de l 'i. Tant que la situation des organes subsiste dans le même état, on entend la même voyelle aussi longtems que la respiration peut fournir d'air. Ce qui marquoit, selon le P. Lami, la différence des voyelles aux consonnes, ne marque, selon M. du Marsais, que la différence des voyelles entr'elles ; & cela est beaucoup plus juste & plus vrai. Mais l'encyclopédiste n'a rien trouvé dans la flûte qui pût caractériser les consonnes, & il les a comparées à l'effet que produit le battant d'une cloche, ou le marteau sur l'enclume.

M. Harduin, dans une dissertation sur les voyelles & les consonnes qu'il a publiée (en 1760.) à l'occasion d'un extrait critique de l'abrégé de la Grammaire françoise par M. l'abbé de Wally, a repris (pag. 7.) la comparaison du P. Lami, & en la rectifiant d'après des vues semblables à celles de M. du Marsais, il étend ainsi la similitude jusqu'aux consonnes : " la bouche & une flûte sont deux corps, dans la concavité desquels il faut également faire entrer de l'air pour en tirer du son. Les voyelles répondent aux tons divers causés par la diverse application des doigts sur les trous de la flûte ; & les consonnes répondent aux coups de langue qui précedent ces tons. Plusieurs notes coulées sur la flûte sont, à certains égards, comme autant de voyelles qui se suivent immédiatement ; mais si ces notes sont frappées de coups de langue, elles ressemblent à des voyelles entremêlées de consonnes ". Il me semble que voilà la comparaison amenée au plus haut degré de justesse dont elle soit susceptible, & j'ai appuyé volontiers sur cet objet, afin de rendre plus sensible la différence réelle des sons & des articulations, & conséquemment celle des voyelles & des consonnes qui les représentent.

J'ai observé (art. LETTRES) que notre langue paroît avoir admis huit sons fondamentaux, qu'on auroit pû représenter par autant de voyelles différentes ; & que les autres sons usités parmi nous dérivent de quelqu'un de ces huit premiers, par des changemens si légers & d'ailleurs si uniformes, qu'on auroit pû les figurer par quelques caracteres accessoires. Voici les huit sons fondamentaux rangés selon l'analogie des dispositions de la bouche, nécessaires à leur production.

I. La bouche est simplement plus ou moins ouverte pour la génération des quatre premiers sons qui retentissent dans la cavité de la bouche : je les appellerois volontiers des sons retentissans, & les voyelles qui les représenteroient seroient pareillement nommées voyelles retentissantes.

Les levres, pour la génération des quatre derniers, se rapprochent ou se portent en avant d'une maniere si sensible, qu'on pourroit les nommer sons labiaux, & donner aux voyelles qui les représenteroient le nom de labiales.

II. Les deux premiers sons de chacune de ces deux classes sont susceptibles de variations, dont les autres ne s'accommodent pas. Ainsi l'on pourroit, sous ce nouvel aspect, distinguer les huit sons fondamentaux en deux autres classes ; savoir, quatre sons variables, & quatre sons constans : les voyelles qui les représenteroient recevroient les mêmes dénominations.

1°. Les sons variables que M. Duclos (Rem. sur le chap. j. de la part. I. de la Gramm. gén.) appelle grandes voyelles, sont les deux premiers sons retentissans a, ê, & les deux premiers labiaux eu, o ; chacun de ces sons peut être grave ou aigu, oral ou nasal.

Un son variable est grave, lorsqu'étant obligé d'en traîner davantage la prononciation, & d'appuyer, pour ainsi-dire, dessus, on sent qu'indépendamment de la longueur, l'oreille apperçoit dans la nature même du son quelque chose de plus plein & plus marqué. Un son variable est aigu, lorsque passant plus légerement sur sa prononciation, l'oreille y apperçoit quelque chose de moins nourri & de moins marqué, qu'elle n'en est, en quelque sorte, que piquée plutôt que remplie. Par exemple, a est grave dans pâte, & aigu dans pate ; ê est grave dans la tête, & aigu dans il tete ; eu est grave dans jeûne, (abstinence de manger), aigu dans jeune (qui n'est pas vieux), & muet ou presqu'insensible dans âge, o est grave dans côte (os), & aigu dans cote (jupe).

Un son variable est oral, lorsque l'air qui en est la matiere sort entierement par l'ouverture de la bouche qui est propre à ce son. Un son variable est nasal, lorsque l'air qui en est la matiere, sort en partie par l'ouverture propre de la bouche, & en partie par le nez. Par exemple, a est oral dans pâte & dans pate, & il est nasal dans pante de lit ; ê est oral dans tête & dans tète, & il est nasal dans teinte ; eu est oral dans jeûne & dans jeune, & nasal dans jeun ; o est oral dans côte & dans cote, & il est nasal dans conte.

2°. Les sons constans, que M. Duclos (ibid.) nomme petites voyelles, sont les deux derniers sons retentissans, é, i, & les deux derniers labiaux u, ou. Je les appelle constans, parce qu'en effet chacun d'eux est constamment oral, sans devenir jamais nasal, & que la constitution en est invariable, soit qu'on en traîne ou qu'on en hâte la prononciation.

M. l'abbé Fromant (supplém. 1. j.) pense autrement, & il n'est pas possible de discuter son opinion ; c'est une affaire d'organe, & le mien se trouve d'accord à cet égard avec celui de M. Duclos. J'observerois seulement que par rapport à l'i nasal, qu'il admet & que je rejette, il se fonde sur l'autorité de l'abbé de Dangeau, qui, selon lui, connoissoit assurément la prononciation de la cour & de la ville, & sur la pratique constante du théatre, où l'on prononce en effet l'i nasal.

Mais en accordant à l'abbé de Dangeau tout ce qu'on lui donne ici ; ne peut-on pas dire que l'usage de notre prononciation a changé depuis cet académicien, & en donner pour preuve l'autorité de M. Duclos, qui ne connoît pas moins la prononciation de la cour & de la ville, & qui appartient également à l'académie françoise ?

Pour ce qui regarde la pratique du théatre, on peut dire, 1°. que jusqu'ici personne ne s'est avisé d'en faire entrer l'influence dans ce qui constitue le bon usage d'une langue ; & l'on a raison : Voyez USAGE. On peut dire, 2°. que le grand Corneille étant en quelque sorte le pere & l'instituteur du théatre françois, il ne seroit pas surprenant qu'il se fût conservé traditionellement une teinte de la prononciation normande que ce grand homme pourroit y avoir introduite.

Dans le rapport analysé des remarques de M. Duclos & du supplément de M. l'abbé Fromant, que fit à l'académie royale des Sciences, belles-lettres, & arts de Rouen, M. Maillet du Boulay, secrétaire de cette académie pour les belles-lettres, il compare & discute les pensées de ces deux auteurs sur la nature des voyelles. " Cette multiplication de voyelles, dit-il, est-elle bien nécessaire ? & ne seroit-il pas plus simple de regarder ces prétendues voyelles (nasales) comme de vraies syllabes, dans lesquelles les voyelles sont modifiées par les lettres m ou n, qui les suivent " ? M. l'abbé de Dangeau avoit déja répondu à cette question d'une maniere détaillée & propre, ce me semble, à satisfaire. (Opusc. pag. 19. 32.) Il démontre que les sons que l'on nomme ici, & qu'il nommoit pareillement voyelles nasales, sont de véritables sons simples & inarticulés en eux-mêmes ; & ses preuves portent, 1°. sur ce que dans le chant les ports de voix se font tout entiers sur an, ein, on, &c. que l'on entend bien différens de a, è, o, &c ; 2°. sur l'hiatus que produit le choc de ces voyelles nasales, quand elles se trouvent à la fin d'un mot & suivies d'un autre mot commençant par une voyelle. Ces preuves, détaillées comme elles sont dans le premier discours de M. l'abbé de Dangeau, m'ont toujours paru démonstratives ; & je crains bien qu'elles ne l'aient paru moins à M. du Boulay, par la même raison que l'abbé de Dangeau trouva vingt-six de ces hiatus dont je viens de parler dans le Cinna de Corneille, & qu'il n'en rencontra qu'onze dans le Mithridate de Racine, huit dans le Misantrope de Moliere, & beaucoup moins dans les opéra de Quinault.

Voici donc sous un simple coup-d'oeil, le système de nos sons fondamentaux.

Les variations de ceux de ces huit sons fondamentaux qui en sont susceptibles, ont multiplié les sons usuels de notre langue jusqu'à dix-sept bien sensibles, conformément au calcul de M. Duclos. Faudroit-il également dix-sept voyelles dans notre alphabet ? Je crois que ce seroit multiplier les signes sans nécessité, & rendre même insensible l'analogie de ceux qui exigent une même disposition dans le tuyau organique de la bouche. En descendant de l'a à l'ou, il est aisé de remarquer que le diametre du canal de la bouche diminue, & qu'au contraire, le tuyau qu'elle forme s'allonge par des degrés, inappréciables peut-être dans la rigueur géométrique, mais distingués comme les huit sons fondamentaux : au lieu qu'il n'y a dans la disposition de l'organe, aucune différence sensible qui puisse caractériser les variations des sons qui en sont susceptibles ; elles ne paroissent guere venir que de l'affluence plus ou moins considérable de l'air, de la durée plus ou moins longue du son, ou de quelque autre principe également indépendant de la forme actuelle du passage.

Il seroit donc raisonnable, pour conserver les traces de l'analogie, que notre alphabet eût seulement huit voyelles, pour représenter les huit sons fondamentaux ; & dans ce cas un signe de nasalité, comme pourroit être notre accent aigu, un signe de longueur, tel que pourroit être notre accent grave, & un signe tel que notre accent circonflexe, pour caractériser l'eu muet, feroient avec nos huit voyelles tout l'appareil alphabétique de ce systême. La voyelle qui n'auroit pas le signe de nasalité, représenteroit un son oral ; celle qui n'auroit pas le signe de longueur, représenteroit un son bref : & quoique Théodore de Bèze (de francicae linguae rectâ pronunciatione tractatus, Genev. 1584.) ait prononcé que eadem syllaba acuta quae producta, & eadem gravis quae correpta, il est cependant certain que ce sont ordinairement les sons graves qui sont longs, & les sons aigus qui sont brefs ; d'où il suit que la présence ou l'absence du signe de longueur serviroit encore à désigner que le son variable est grave ou aigu. Ainsi a oral, bref & aigu ; à oral, long & grave ; à nasal. C'est à mon sens, un vrai superflu dans l'alphabet grec, que les deux e & les deux o qui y sont figurés diversement ; , , , .

Notre alphabet peche dans un sens contraire ; nous n'avons pas assez de voyelles, & nous usons de celles qui existent d'une maniere assez peu systématique. Le détail des différentes manieres dont nous représentons nos sons usuels, ne me paroît pas assez encyclopédique pour grossir cet article ; & je me contenterai de renvoyer sur cette matiere, aux éclaircissemens de l'abbé de Dangeau, (opusc. p. 61-110.) aux remarques de M. Harduin, sur la prononciation & l'orthographe, & au traité des sons de la langue françoise, dont j'ai parlé ci-dessus. (B. E. R. M.)


VOYERS. m. (Gramm. Jurispr.) se dit du seigneur qui est propriétaire de la voirie, & qui la tient en fief, ou du juge qui exerce cette partie de la police ; & enfin, de l'officier qui a l'intendance & la direction de la voirie.

Il y avoit chez les Romains quatre voyers, viaecuri, ainsi appellés à viarum curâ, parce qu'ils étoient chargés du soin de tenir les rues & chemins en bon état.

Il est parlé de voyer & même de sous-voyer, dès le tems d'Henri I, les seigneurs qui tenoient la voirie en fief, établissoient un voyer.

Mais ces voyers étoient des juges qui exerçoient la moyenne justice appellée alors voirie, plutôt que des officiers préposés pour la police de la voirie proprement dite, & s'ils connoissoient aussi de la voirie, ce n'étoit que comme faisant partie de la police.

Pour ce qui est des voyers ou officiers ayant l'intendance de la voirie, il y avoit dès le tems de S. Louis un voyer à Paris, cette place étoit alors donnée à vie ; mais on tient que la jurisdiction contentieuse de la voirie ne lui appartenoit pas, & qu'elle appartenoit au prevôt de Paris, comme faisant partie de la police générale, ce qui lui est commun avec tous les autres premiers magistrats & juges ordinaires des villes dans tous les lieux.

L'office de grand voyer de France fut créé par édit du mois de Mai 1599, pour avoir la surintendance générale de la voirie, sans pouvoir prétendre aucune jurisdiction contentieuse. M. le duc de Sully, auquel le roi donna cette charge, acquit aussi en 1603 celle de voyer particulier de Paris, & les fit unir par déclaration du 4 Mai 1606.

En 1626, l'office de grand voyer fut uni au bureau des finances, celui de voyer particulier de Paris supprimé, & les droits de la voirie réunis au domaine.

Mais par édit du mois de Juin suivant, l'office de voyer de Paris fut rétabli, & les choses demeurerent en cet état jusqu'en 1635, que les trésoriers de France acquirent cet office de voyer.

Au moyen de l'acquisition & réunion de ces deux offices de voyer & de grand voyer, les trésoriers de France du bureau des finances de Paris se disent grands voyers dans toute la généralité de Paris.

Il est néanmoins certain, que le roi a toujours la surintendance & l'administration supérieure de la grande voirie.

Un directeur général est chargé de prendre connoissance de tout ce qu'il convient faire, soit pour construire à neuf, soit pour réparer ; il a sous ses ordres un inspecteur général, quatre inspecteurs particuliers, un premier ingénieur, vingt-trois autres ingénieurs provinciaux, qui ont chacun une généralité pour département dans les pays d'élection.

Les intendans départis dans les provinces, font les adjudications des ouvrages & veillent sur le tout, suivant les ordres qu'ils reçoivent du roi.

Les pays d'états veillent eux-mêmes à l'entretien des ponts & chaussées dans l'étendue de leurs provinces. Voyez le traité de la police du commissaire de la Mare, tom. IV. liv. VI. tit. 15. le code de la voirie, celui de la police, & le mot VOIRIE. (A)

VOYER la lessive, (Blanchiss.) c'est faire passer & couler l'eau chaude sur le linge dans les pannes. On appelle panne en Anjou, une espece de cuvier de bois dont on se sert pour lessiver les toiles que l'on veut mettre au blanchiment. (D.J.)


VOYTSBERG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la basse-Stirie, vers les confins de la Carinthie, au confluent du Gradès & du Kainach. (D.J.)


VRAIVÉRITABLE, (Synon.) vrai marque précisément la vérité objective ; c'est-à-dire, qu'il tombe directement sur la réalité de la chose ; & il signifie qu'elle est telle qu'on l'a dit. Véritable désigne proprement la vérité expressive, c'est-à-dire, qu'il se rapporte principalement à l'exposition de la chose, & signifie qu'on l'a dit telle qu'elle est. Ainsi le premier de ces mots aura une grace particuliere, lorsque, dans l'emploi, on portera d'abord son point de vue sur le sujet en lui-même ; & le second conviendra mieux, lorsqu'on portera le point de vue sur le discours. Cette différence qu'établit M. l'Abbé Girard, est extrêmement métaphysique ; mais on ne doit pas exiger des différences marquées où l'usage n'en a mis que de très-délicates. L'exemple suivant qu'apporte le même auteur, peut donner jour à sa distinction, & faire qu'on la sente mieux dans l'application que dans la définition.

Quelques écrivains, même protestans, soutiennent qu'il n'est pas vrai qu'il y ait eû une papesse Jeanne, & que l'histoire qu'on en a faite, n'est pas véritable. Girard. (D.J.)

VRAI, adj. (Alg.) une racine vraie est une racine affectée du signe +, ou autrement une racine positive, par opposition aux racines fausses, qui sont des racines négatives ou affectées du signe-. Voyez RACINE & EQUATION. (E)

VRAIES COTES. Voyez COTES.

VRAI, (Poésie) Boileau dit après les anciens,

Le vrai seul est aimable !

Il doit regner par-tout, & même dans la fable.

Il a été le premier à observer cette loi qu'il a donnée : presque tous ses ouvrages respirent le vrai ; c'est-à-dire qu'ils sont une copie fidele de la nature. Ce vrai doit se trouver dans l'historique, dans la morale, dans la fiction, dans les sentences, dans les descriptions, dans l'allégorie.

Racine n'a presque jamais perdu le vrai dans les pieces de théatre. Il n'y a guere chez lui l'exemple d'un personnage, qui ait un sentiment faux, qui l'exprime d'une maniere opposée à sa situation ; si vous en exceptez Théramène, gouverneur d'Hippolite, qui l'encourage ridiculement dans ses froides amours pour Aricie.

Vous-même, où seriez-vous, vous qui la combattez,

Si toujours Antiope à ses loix opposée,

D'une pudique ardeur n'eût brûlé pour Thésée.

Il est vrai physiquement qu'Hippolite ne seroit pas venu au monde sans sa mere. Mais il n'est pas dans le vrai des moeurs, dans le caractere d'un gouverneur sage, d'inspirer à son pupille, de faire l'amour contre la défense de son pere.

C'est pécher contre le vrai, que de peindre Cinna comme un conjuré timide, entraîné malgré lui dans la conspiration contre Auguste, & de faire ensuite conseiller à Auguste, par ce même Cinna, de garder l'empire, pour avoir un prétexte de l'assassiner. Ce trait n'est pas conforme à son caractere. Il n'y a rien de vrai. Corneille peche souvent contre cette loi dans les détails.

Moliere est vrai dans tout ce qu'il dit. Tous les sentimens de la Henriade, ceux de Zaïre, d'Alzire, de Brutus, portent un caractere de vérité sensible.

Il y a une autre espece de vrai qu'on recherche dans les ouvrages ; c'est la conformité de ce que dit un auteur avec son âge, son caractere & son état. Une bonne regle pour lire les auteurs avec fruit, c'est d'examiner si ce qu'ils disent est vrai en général, s'il est vrai dans les occasions où ils le disent, enfin s'il est vrai dans la bouche des personnages qu'ils font parler ; car la vérité est toujours la premiere beauté, & les autres doivent lui servir d'ornement. C'est la pierre de touche dans toutes les langues & dans tous les genres d'écrire. (D.J.)


VRAISEMBLANCES. f. (Métaphysique) la vérité, dit le P. Buffier, est quelque chose de si important pour l'homme, qu'il doit toujours chercher des moyens sûrs pour y arriver ; & quand il ne le peut, il doit s'en dédommager en s'attachant à ce qui en approche le plus, qui est ce qu'on appelle vraisemblance.

Au reste, une opinion n'approche du vrai que par certains endroits ; car approcher du vrai, c'est ressembler au vrai, c'est-à-dire être propre à former ou à rappeller dans l'esprit l'idée du vrai. Or, si une opinion par tous les endroits par lesquels on la peut considérer, formoit également les idées du vrai, il n'y paroîtroit rien que de vrai, on ne pourroit juger la chose que vraie ; & par-là ce seroit effectivement le vrai, ou la vérité même.

D'ailleurs, comme ce qui n'est pas vrai est faux, & que ce qui ne ressemble pas au vrai ressemble au faux, il se trouve en tout ce qui s'appelle vraisemblable, quelques endroits qui ressemblent au faux ; tandis que d'autres endroits ressemblent au vrai. Il faut donc faire la balance de ces endroits opposés, pour reconnoître lesquels l'emportent les uns sur les autres, afin d'attribuer à une opinion la qualité de vraisemblable, sans quoi au même tems elle seroit vraisemblable & ne le seroit pas.

En effet, quelle raison y auroit-il d'appeller semblable au vrai, ce qui ressemble autant au faux qu'au vrai ? Si l'on nous demandoit à quelle couleur ressemble une étoffe tachetée également de blanc & de noir, répondrions-nous qu'elle ressemble au blanc parce qu'il s'y trouve du blanc ? On nous demanderoit en même tems, pourquoi ne pas dire aussi qu'elle ressemble au noir, puisqu'elle tient autant de l'un que de l'autre. A plus forte raison ne pourroit-on pas dire que la couleur de cette étoffe ressemble au noir, s'il s'y trouvoit plus de noir que de blanc. Au contraire, si le blanc y dominoit beaucoup plus que le noir, ensorte qu'elle rappellât tant d'idée du blanc, que le noir en comparaison ne fît qu'une impression peu sensible, on diroit que cette couleur approche du blanc, & ressemble à du blanc.

Ainsi dans les occasions où l'on ne parle pas avec une si grande exactitude, dès qu'il paroît un peu plus d'endroits vrais que de faux, on appelle la chose vraisemblable ; mais pour être absolument vraisemblable, il faut qu'il se trouve manifestement & sensiblement beaucoup plus d'endroits vrais que de faux, sans quoi la ressemblance demeure indéterminée, n'approchant pas plus de l'un que de l'autre. Ce que je dis de la vraisemblance, s'entend aussi de la probabilité ; puisque la probabilité ne tombe que sur ce que l'esprit approuve, à cause de la ressemblance avec le vrai, se portant du côté où sont les plus grandes apparences de vérité, plutôt que du côté contraire, supposé qu'il veuille se déterminer. Je dis, supposé qu'il veuille se déterminer, car l'esprit ne se portant nécessairement qu'au vrai, dès qu'il ne l'apperçoit point dans tout son jour, il peut suspendre sa détermination ; mais supposé qu'il ne la suspende pas, il ne sauroit pencher que du côté de la plus grande apparence de vrai.

On peut demander, si dans une opinion, il ne pourroit pas y avoir des endroits mitoyens entre le vrai & le faux, qui seroient des endroits où l'esprit ne sauroit que penser. Or, dans les hypotheses pareilles, on doit regarder ce qui est mitoyen entre la vérité & la fausseté, comme s'il n'étoit rien du tout ; puisqu'en effet il est incapable de faire aucune impression sur un esprit raisonnable. Dans les occasions mêmes où il se trouve de côté & d'autre des raisons égales de juger, l'usage autorise le mot de vraisemblable ; mais comme ce vraisemblable ressemble autant au mensonge qu'à la vérité, j'aimerois mieux l'appeller douteux que vraisemblable.

Le plus haut degré du vraisemblable, est celui qui approche de la certitude physique, laquelle peut subsister peut-être elle-même avec quelque soupçon ou possibilité de faux. Par exemple, je suis certain physiquement que le soleil éclairera demain l'horison ; mais cette certitude suppose que les choses demeureront dans un ordre naturel, & qu'à cet égard il ne se fera point de miracle. La vraisemblance augmente, pour ainsi dire, & s'approche du vrai par autant de degrés, que les circonstances suivantes s'y rencontrent en plus grand nombre, & d'une maniere plus expresse.

1°. Quand ce que nous jugeons vraisemblable s'accorde avec des vérités évidentes.

2°. Quand ayant douté d'une opinion nous venons à nous y conformer à mesure que nous y faisons plus de réflexion, & que nous l'examinons de plus près.

3°. Quand des expériences que nous ne savions pas auparavant, surviennent à celles qui avoient été le fondement de notre opinion.

4°. Quand nous jugeons en conséquence d'un plus grand usage des choses que nous examinons.

5°. Quand les jugemens que nous avons portés sur des choses de même nature, se sont vérifiés dans la suite. Tels sont à-peu-près les divers caracteres qui selon leur étendue ou leur nombre plus considérable, rendent notre opinion plus semblable à la vérité ; ensorte que si toutes ces circonstances se rencontroient dans toute leur étendue, alors comme l'opinion seroit parfaitement semblable à la vérité, elle passeroit non-seulement pour vraisemblable, mais pour vraie, ou même elle le seroit en effet. Comme une étoffe qui par tous les endroits ressembleroit à du blanc, non-seulement seroit semblable à du blanc, mais encore seroit dite absolument blanche.

Ce que nous venons d'observer sur la vraisemblance en général, s'applique, comme de soi-même à la vraisemblance qui se tire de l'autorité & du témoignage des hommes. Bien que les hommes en général puissent mentir, & que même nous ayons l'expérience qu'ils mentent souvent, néanmoins la nature ayant inspiré à tous les hommes l'amour du vrai, la présomption est que celui qui nous parle suit cette inclination ; lorsque nous n'avons aucune raison de juger, ou de soupçonner qu'il ne dit pas vrai.

Les raisons que nous en pourrions avoir, se tirent ou de sa personne, ou des choses qu'il nous dit ; de sa personne, par rapport ou à son esprit, ou à sa volonté.

1°. Par rapport à son esprit, s'il est peu capable de bien juger de ce qu'il rapporte ; 2°. si d'autres fois il s'y est mépris ; 3°. s'il est d'une imagination ombrageuse ou échauffée : caractere très-commun même parmi des gens d'esprit, qui prennent aisément l'ombre ou l'apparence des choses pour les choses mêmes ; & le phantome qu'ils se forment, pour la vérité qu'ils croyent discerner.

Par rapport à la volonté ; 1°. si c'est un homme qui se fait une habitude de parler autrement qu'il ne pense ; 2°. si l'on a éprouvé qu'il lui échappe de ne pas dire exactement la vérité ; 3°. si l'on apperçoit dans lui quelque intérêt à dissimuler : on doit alors être plus réservé à le croire.

A l'égard des choses qu'il dit ; 1°. si elles ne se suivent & ne s'accordent pas bien ; 2°. si elles conviennent mal avec ce qui nous a été dit par d'autres personnes aussi dignes de foi ; 3°. si elles sont par elles-mêmes difficiles à croire, ou en des sujets où il ait pu aisément se méprendre.

Ces circonstances contraires rendent vraisemblable ce qui nous est rapporté : savoir, 1°. quand nous connoissons celui qui nous parle pour être d'un esprit juste & droit, d'une imagination réglée, & nullement ombrageuse, d'une sincérité exacte & constante ; 2°. quand d'ailleurs les circonstances des choses qu'il dit ne se démentent point entr'elles, mais s'accordent avec des faits ou des principes dont nous ne pouvons douter. A mesure que ces mêmes choses sont rapportées par un plus grand nombre de personnes, la vraisemblance augmentera aussi ; elle pourra même de la sorte parvenir à un si haut degré, qu'il sera impossible de suspendre notre jugement, à la vue de tant de circonstances qui ressemblent au vrai. Le dernier degré de la vraisemblance est certitude, comme son premier degré est doute ; c'est-à-dire qu'où finit le doute, là commence la vraisemblance, & où elle finit, là commence la certitude. Ainsi les deux extrêmes de la vraisemblance sont le doute & la certitude ; elle occupe tout l'intervalle qui les sépare, & cet intervalle s'accroit d'autant plus qu'il est parcouru par des esprits plus fins & plus pénétrans. Pour des esprits médiocres & vulgaires, cet espace est toujours fort étroit ; à peine savent-ils discerner les nuances du vrai & du vraisemblable.

L'usage le plus naturel & le plus général du vraisemblable est de suppléer pour le vrai : ensorte que là où notre esprit ne sauroit atteindre le vrai, il atteigne du-moins le vraisemblable, pour s'y reposer comme dans la situation la plus voisine du vrai.

1°. A l'égard des choses de pure spéculation, il est bon d'être réservé à ne porter son jugement dans les choses vraisemblables, qu'après une grande attention : pourquoi ? parce que l'apparence du vrai subsiste alors avec une apparence de faux, qui peut suspendre notre jugement jusqu'à ce que la volonté le détermine. Je dis le suspendre, car elle n'a pas la faculté de déterminer l'esprit à ce qui paroît le moins vrai. Ainsi dans les choses de pure spéculation, c'est très-bien fait de ne juger que lorsque les degrés de vraisemblance sont très-considérables, & qu'ils font presque disparoître les apparences du faux, & le danger de se tromper.

En effet dans les choses de pure spéculation, il ne se rencontre nul inconvénient à ne pas porter son jugement, lorsque l'on court quelque hasard de se tromper : or pourquoi juger, quand d'un côté on peut s'en dispenser, & que d'un autre côté en jugeant, on s'expose à donner dans le faux ? il faudroit donc s'abstenir de juger sur la plûpart des choses ? n'est-ce pas le caractere d'un stupide ? tout-au-contraire, c'est le caractere d'un esprit sensé, & d'un vrai philosophe, de ne juger des objets que par leur évidence, quand il ne se trouve nulle raison d'en user autrement : or il ne s'en trouve aucune de juger dans les choses de pure spéculation, quand elles ne sont que vraisemblables.

Cependant cette regle si judicieuse dans les choses de pure spéculation, n'est plus la même dans les choses de pratique & de conduite, où il faut par nécessité agir ou ne pas agir. Quoiqu'on ne doive pas prendre le vrai pour le vraisemblable, on doit néanmoins se déterminer par rapport aux choses de pratique, à s'en contenter comme du vrai, n'arrêtant les yeux de l'esprit que sur les apparences de vérité, qui dans le vraisemblable surpassent les apparences du faux.

La raison de ceci est évidente, c'est que par rapport à la pratique il faut agir, & par conséquent prendre un parti : si l'on demeuroit indéterminé, on n'agiroit jamais ; ce qui seroit le plus pernicieux comme le plus impertinent de tous les partis. Ainsi pour ne pas demeurer indéterminé, il faut comme fermer les yeux à ce qui pourroit paroître de vrai dans le parti contraire à celui qu'on embrasse actuellement. A la vérité dans la délibération on ne peut regarder de trop près aux diverses faces ou apparences de vrai qui se rencontrent de côté & d'autre, pour se bien assurer de quel côté est le vraisemblable ; mais quand on en est une fois assuré, il faut par rapport à la pratique, le regarder comme vrai, & ne le point perdre de vue : sans quoi on tomberoit nécessairement dans l'inaction ou dans l'inconstance ; caractere de petitesse ou de foiblesse d'esprit.

Dans la nécessité où l'on est de se déterminer pour agir ou ne pas agir, l'indétermination est toujours un défaut de l'esprit, qui au milieu des faces diverses d'un même objet, ne discerne pas lesquelles doivent l'emporter sur les autres. Hors de ce besoin, on pourroit très-bien, & souvent avec plus de sagesse, demeurer indéterminé entre deux opinions qui ne sont que vraisemblables.

VRAISEMBLANCE, (Poésie) La premiere regle que doit observer le poëte, en traitant les sujets qu'il a choisis, est de ne rien insérer qui soit contre la vraisemblance. Un fait vraisemblable est un fait possible dans les circonstances où on le met sur la scène. Les fictions sans vraisemblance, & les événemens prodigieux à l'excès, dégoûtent les lecteurs dont le jugement est formé. Il y a beaucoup de choses, dit un grand critique, où les poëtes & les peintres peuvent donner carriere à leur imagination ; il ne faut pas toujours les resserrer dans la raison étroite & rigoureuse ; mais il ne leur est pas permis de mêler des choses incompatibles, d'accoupler les oiseaux avec les serpens, les tigres avec les agneaux.

Sed non ut placidis coeant immitia, non ut

Serpentes avibus geminentur, tigribus agni.

Art poétiq. v. 14.

Si de telles licences révoltantes sont défendues aux poëtes, d'un autre côté les événemens où il ne regne rien de surprenant, soit par la noblesse du sentiment, soit par la précision de la pensée, soit par la justesse de l'expression, paroissent plats ; l'alliance du merveilleux & du vraisemblable, où l'un & l'autre ne perdent point leurs droits, est un talent qui distingue les poëtes de la classe de Virgile, des versificateurs sans invention, & des poëtes extravagans ; cependant un poëme sans merveilleux, déplaît encore davantage qu'un poëme fondé sur une supposition sans vraisemblance.

Comme rien ne détruit plus la vraisemblance d'un fait, que la connoissance certaine que peut avoir le spectateur que le fait est arrivé autrement que le poëte ne le raconte ; les poëtes qui contredisent dans leurs ouvrages des faits historiques très-connus, nuisent beaucoup à la vraisemblance de leurs fictions. Je sais bien que le faux est quelquefois plus vraisemblable que le vrai, mais nous ne réglons pas notre croyance des faits sur leur vraisemblance métaphysique, ou sur le pié de leur possibilité, c'est sur la vraisemblance historique. Nous n'examinons pas ce qui doit arriver plus probablement, mais ce que les témoins nécessaires, & ce que les historiens racontent ; & c'est leur récit, & non pas la vraisemblance, qui détermine notre croyance. Ainsi nous ne croyons pas l'événement qui est le plus vraisemblable & le plus possible, mais ce qu'ils nous disent être véritablement arrivé. Leur déposition étant la regle de notre croyance sur les faits, ce qui peut être contraire à leur déposition, ne sauroit paroître vraisemblable : or comme la vérité est l'ame de l'histoire, la vraisemblance est l'ame de la poésie.

Je ne nie pas néanmoins qu'il n'y ait des vraisemblances théatrales, par exemple en matiere d'opéra, auxquelles on est obligé de se prêter ; en accordant cette liberté aux poëtes, on en est payé par les beautés qu'elle le met en état de produire. Il y a des vraisemblances d'une autre espece pour l'épopée ; cependant il faut dans ce genre même, rendre par l'adresse & le génie, les suppositions les plus vraisemblables qu'il soit possible, comme Virgile a fait pour pallier la bisarrerie de ce cheval énorme que les Grecs s'aviserent de construire pour se rendre maîtres de Troie.

Ces réflexions peuvent suffire sur la vraisemblance en général, la question particuliere du vraisemblable dramatique a été traitée au mot POESIE dramatique. (D.J.)

VRAISEMBLANCE pittoresque, (Peinture) Il est deux sortes de vraisemblances en peinture ; la vraisemblance méchanique, & la vraisemblance poétique. Indiquons d'après M. l'abbé du Bos, en quoi consistent l'une & l'autre.

La vraisemblance méchanique exige de ne rien représenter qui ne soit possible, qui ne soit encore suivant les loix de la statique, les loix du mouvement, & les loix de l'optique. Cette vraisemblance méchanique, consiste donc à ne point donner à une lumiere d'autres effets que ceux qu'elle avoit dans la nature : par exemple, à ne lui point faire éclairer les corps sur lesquels d'autres corps interposés l'empêchent de tomber : elle consiste à ne point s'éloigner sensiblement de la proportion naturelle des corps, à ne point leur donner plus de force qu'il est vraisemblable qu'ils en puissent avoir. Un peintre pécheroit contre ces loix, s'il faisoit lever par un homme foible, & dans une attitude gênée, un fardeau qu'un homme qui peut faire usage de toutes ses forces auroit peine à ébranler. Encore moins faut-il faire porter à une figure, un tronc de colonnes, ou quelqu'autre fardeau d'une pesanteur excessive, & au-dessus des forces d'un Hercule. Il est aisé à un artiste de ne pas pécher contre la vraisemblance méchanique, parce que avec un peu de lumieres, & des regles formelles qu'il trouve dans tous les ouvrages de peinture, il est en état d'éviter les erreurs grossieres ; mais la vraisemblance poétique est un art tout autrement difficile à acquérir. Ainsi nous devons nous arrêter davantage à en représenter toute l'étendue.

La vraisemblance poétique consiste en général, à donner toujours à ses personnages, les passions qui leur conviennent, suivant leur âge, leur dignité, suivant le tempérament qu'on leur prête, & l'intérêt qu'on leur fait prendre dans l'action. Elle consiste encore à observer dans son tableau ce que les Italiens appellent il costume, c'est-à-dire à s'y conformer à ce que nous savons des moeurs, des usages, des rites, des habits, des bâtimens, & des armes particulieres des peuples qu'on veut représenter. Enfin la vraisemblance poétique consiste à donner aux personnages d'un tableau, leur tête & leur caractere connu, quand ils en ont un.

Quoique tous les spectateurs dans un tableau deviennent des acteurs, leur action néanmoins ne doit être vive qu'à proportion de l'intérêt qu'ils prennent à l'événement dont on les rend témoins. Ainsi le soldat qui voit le sacrifice d'Iphigénie, doit être ému ; mais il ne doit point être aussi ému qu'un frere de la victime. Une femme qui assiste au jugement de Susanne, & qu'on ne reconnoît point à son air de tête ou à ses traits, pour être la soeur de Susanne ou sa mere, ne doit pas montrer le même degré d'affliction qu'une parente. Il faut qu'un jeune homme applaudisse avec plus d'empressement qu'un vieillard.

L'attention à la même chose est encore différente à ces deux âges. Le jeune homme doit paroître livré entierement à tel spectacle, que l'homme d'expérience ne doit voir qu'avec une légere attention. Le spectateur à qui l'on donne la physionomie d'un homme d'esprit, ne doit point admirer comme celui qu'on a caractérisé par une physionomie stupide. L'étonnement du roi ne doit point être celui d'un homme du peuple. Un homme qui écoute de loin, ne doit pas se présenter comme celui qui écoute de près. L'attention de celui qui voit, est différente de l'attention de celui qui ne fait qu'entendre. Une personne vive ne voit pas, & n'écoute pas dans la même attitude qu'une personne mélancolique. Le respect & l'attention que la cour d'un roi de Perse témoigne pour son maître, doivent être exprimés par des démonstrations qui ne conviennent pas à l'attention de la suite d'un consul romain pour son magistrat. La crainte d'un esclave n'est pas celle d'un citoyen, ni la peur d'une femme celle d'un soldat. Un soldat qui verroit le ciel s'entr'ouvrir, ne doit pas même avoir peur comme une personne d'une autre condition. La grande frayeur peut rendre une femme immobile ; mais un soldat éperdu doit encore se mettre en posture de se servir de ses armes, du-moins par un mouvement purement machinal. Un homme de courage attaqué d'une grande douleur, laisse bien voir sa souffrance peinte sur son visage, mais elle n'y doit point paroître telle qu'elle se montreroit sur le visage d'une femme. La colere d'un homme vif n'est pas celle d'un homme mélancolique.

On voit au maître-autel de la petite église de S. Etienne de Gènes, un tableau de Jules, romain, qui représente le martyre de ce saint. Le peintre y exprime parfaitement la différence qui est entre l'action naturelle des personnes de chaque tempérament, quoiqu'elles agissent par la même passion ; & l'on sait bien que cette sorte d'exécution ne se faisoit point par des bourreaux payés, mais par le peuple lui-même. Un des Juifs qui lapide le saint, a des cheveux roussâtres, le teint haut en couleur, enfin toutes les marques d'un homme bilieux & sanguin ; & il paroît transporté de colere ; sa bouche & ses narines sont ouvertes extraordinairement ; son geste est celui d'un furieux ; & pour lancer sa pierre avec plus d'impétuosité, il ne se soutient que sur un pié. Un autre juif placé auprès du premier, & qu'on reconnoît être d'un tempérament mélancolique, à sa maigreur, à son teint livide, à la noirceur des poils, se ramasse tout le corps en jettant sa pierre, qu'il dirige à la tête du saint. On voit bien que sa haine est encore plus forte que celle du premier, quoique son maintien & son geste ne marquent pas tant de fureur. Sa colere contre un homme condamné par la loi, & qu'il exécute par principe de religion, n'en est pas moins grande pour être d'une espece différente.

L'emportement d'un général ne doit pas être semblable à celui d'un simple soldat. Enfin il en est de même de tous les sentimens & de toutes les passions. Si je n'en parle point plus au long, c'est que j'en ai déja trop dit pour les personnes qui ont réfléchi sur le grand art des expressions, & je n'en saurois dire assez pour celles qui n'y ont pas réfléchi.

La vraisemblance poétique consiste encore dans l'observation des regles que nous comprenons, ainsi que les Italiens, sous le mot de costume, observation qui donne un si grand mérite aux tableaux du Poussin. Suivant ces regles, il faut représenter les lieux où l'action s'est passée, tels qu'ils ont été, si nous en avons connoissance ; & quand il n'en est pas demeuré de notion précise, il faut, en imaginant leur disposition, prendre garde à ne se point trouver en contradiction avec ce qu'on en peut savoir. Les mêmes regles veulent qu'on donne aux différentes nations qui paroissent ordinairement sur la scene des tableaux, la couleur du visage & l'habitude de corps que l'histoire a remarqué leur être propres. Il est même beau de pousser la vraisemblance jusqu'à suivre ce que nous savons de particulier des animaux de chaque contrée, quand nous représentons un événement arrivé dans ce lieu-là. Le Poussin qui a traité plusieurs actions dont la scene est en Egypte, met presque toujours dans ses tableaux, des bâtimens, des arbres ou des animaux, qui par différentes raisons, sont regardés comme étant particuliers à ce pays.

M. le Brun a suivi ces regles avec la même ponctualité dans ses tableaux de l'histoire d'Alexandre. Les Perses & les Indiens s'y distinguent des Grecs à leur physionomie autant qu'à leurs armes. Leurs chevaux n'ont pas le même corsage que ceux des Macédoniens. Conformément à la vérité, les chevaux des Perses y sont représentés plus minces. On raconte que M. le Brun avoit fait dessiner à Alep des chevaux de Perse, afin d'observer le costume sur ce point-là dans ses tableaux. Il est vrai qu'il se trompa pour la tête d'Alexandre dans le premier qu'il fit : c'est celui qui représente les reines de Perse aux piés d'Alexandre. On avoit donné à M le Brun pour la tête d'Alexandre, la tête de Minerve qui étoit sur une médaille, au revers de laquelle on lisoit le nom d'Alexandre. Ce prince, contre la vérité qui nous est connue, paroît donc beau comme une femme dans ce tableau. Mais M. le Brun se corrigea, dès qu'il eût été averti de sa méprise, & il nous a donné la véritable tête du vainqueur de Darius, dans le tableau du passage du Granique & dans celui de son entrée à Babylone. Il en prit l'idée d'après le buste de ce prince, qui se voit dans un des bosquets de Versailles sur une colonne, & qu'un sculpteur moderne a déguisé en Mars gaulois, en lui mettant un coq sur son casque ; ce buste, ainsi que la colonne qui est d'albâtre oriental, ont été apportés d'Alexandrie.

La vraisemblance poétique exige aussi qu'on représente les nations avec leurs vêtemens, leurs armes & leurs étendards ; elle exige qu'on mette dans les enseignes des Athéniens, la chouette ; dans celles des Egyptiens, la cigogne, & l'aigle dans celles des Romains ; enfin qu'on se conforme à celles de leurs coutumes qui ont du rapport avec l'action du tableau. Ainsi le peintre qui fera un tableau de la mort de Britannicus, ne représentera pas Néron & les autres convives assis autour d'une table, mais bien couchés sur des lits.

L'erreur d'introduire dans une action des personnages qui ne purent jamais être témoins, pour avoir vécu dans des tems éloignés de celui de l'action, est une erreur grossiere où nos peintres ne tombent plus. On ne voit plus un S. François écouter la prédication de S. Paul, ni un confesseur le crucifix en main, exhorter le bon larron.

Enfin la vraisemblance poétique demande que le peintre donne à ses personnages leur air de tête connu, soit que cet air nous ait été transmis par des médailles, des statues, ou par des portraits, soit qu'une tradition dont on ignore la source, nous l'ait conservé, soit même qu'il soit imaginé. Quoique nous ne sachions pas certainement comme S. Pierre étoit fait, néanmoins les peintres & les sculpteurs sont tombés d'accord par une convention tacite, de le représenter avec un certain air de tête & une certaine taille qui sont devenus propres à ce saint. En imitation, l'idée réelle & généralement établie tient lieu de vérité. Ce que j'ai dit de S. Pierre, peut aussi se dire de la figure sous laquelle on représente plusieurs autres saints, & même de celle qu'on donne ordinairement à S. Paul, quoiqu'elle ne convienne pas trop avec le portrait que cet apôtre fait de lui-même ; il n'importe, la chose est établie ainsi. Le sculpteur qui représenteroit S. Paul moins grand, plus décharné, & avec une barbe plus petite que celle de S. Pierre, seroit repris autant que le fut Bandinelli, pour avoir mis à côté de la statue d'Adam qu'il fit pour le dôme de Florence, une statue d'Eve plus haute que celle de son mari. Ces deux statues ne sont plus dans l'église cathédrale de Florence ; elles en ont été ôtées en 1722, par ordre du grand duc Cosme III. pour être mises dans la grande salle du vieux palais. On leur a substitué un grouppe que Michel Ange avoit laissé imparfait, & qui représente un Christ descendu de la croix.

Nous voyons par les épîtres de Sidonius Apollinaris, que les philosophes illustres de l'antiquité avoient aussi chacun son air de tête, sa figure & son geste, qui lui étoient propres en peinture. Raphaël s'est bien servi de cette érudition dans son tableau de l'école d'Athènes. Nous apprenons aussi de Quintilien, que les anciens peintres s'étoient assujettis à donner à leurs dieux & à leurs héros, la physionomie & le même caractere que Zeuxis leur avoit donné : ce qui lui valut le nom de législateur.

L'observation de la vraisemblance nous paroît donc, après le choix du sujet, la chose la plus importante d'un tableau. La regle qui enjoint aux peintres, comme aux poëtes, de faire un plan judicieux, d'ordonner & d'arranger leurs idées, de maniere que les objets se débrouillent sans peine, vient immédiatement après la regle qui enjoint d'observer la vraisemblance. Voyez donc ORDONNANCE, Peinture. (D.J.)


VRILLES. f. (Outils) petit instrument de fer emmanché d'un morceau de bois couché de travers. Il sert au-lieu de vilebrequin à faire des trous, & se tourne d'une seule main. (D.J.)

VRILLES, s. f. pl. (Botan.) nom synonyme en botanique à celui de tendrons & de mains. Voyez MAINS. Mais il est bon de remarquer que les vrilles ou mains sont d'une nature plus composée qu'on ne pense ; elles tiennent le milieu entre la racine & le tronc ; leur usage est quelquefois de soutenir uniquement les plantes, comme dans la vigne & la brione, &c. dont sans leur secours les sarmens longs, menus & fragiles, se romproient par leur propre poids, & sur-tout par celui du fruit ; mais les vrilles les empêchent de se rompre, en s'attachant à tout ce qu'ils rencontrent, & s'y entortillant fortement. Les vrilles de la brione, après avoir fait trois tours en cercles, se tournent en sens contraire, & de cette maniere forment un double tenon, afin que s'ils manquent de s'entortiller en un sens, ils puissent s'accrocher en un autre. D'autres fois les vrilles servent à procurer une nourriture suffisante à la plante ; telles sont les petites racines qui sortent du tronc du lierre ; cette derniere plante s'élevant fort haut, & étant d'une substance plus ferme & plus compacte que la vigne, la seve ne pourroit monter en assez grande quantité jusqu'au sommet, si la racine principale n'étoit aidée par ses racines auxiliaires. Enfin, quelquefois les vrilles servent tout ensemble à supporter, à propager, & à donner de l'ombre : les tendrons des concombres servent au premier usage ; ceux de la camomille, qui sont autant de racines, servent au second ; & les filamens ou serpentins des fraisiers, à tous les trois. (D.J.)

VRILLE, outil d'Arquebusier, cette vrille n'a rien de particulier, ressemble à celle des menuisiers, & sert aux arquebusiers pour faire des trous en bois ; ils en ont de plus grandes, de plus grosses les unes que les autres. Voyez Planche du Sellier.

VRILLE, outil de Guainier, cette vrille n'a rien de particulier, & sert aux guainiers à aggrandir le trou de leurs moules, pour y introduire plus facilement le tirefond. Voyez VRILLE des Menuisiers.

VRILLE, (Menuiserie) outil qui sert à percer des trous lorsqu'on ne peut se servir du vilebrequin. Voyez la fig. 31. Pl. de menuiserie.


VRILLERv. act. terme d'Artificier, ce terme d'artificier signifie pirouetter en montant d'un mouvement hélicoïde, comme en vis ; tel est celui des saucissons volans. (D.J.)


VRILLERIES. f. (Taillanderie) c'est une des classes des ouvrages de taillanderie ; cette classe ainsi nommée des vrilles (petits instrumens qui servent à faire des trous dans le bois), comprend tous les menus ouvrages & outils de fer & d'acier qui servent aux orfévres, graveurs, chauderonniers, armuriers, sculpteurs, tabletiers, potiers d'étain, tourneurs, tonneliers, libraires, épingliers, & menuisiers ; tels que sont toutes sortes de limes, fouillieres, tarots, forets, ciseaux, cisailles, poinçons ; tous les outils servans à la monnoie, enclumes, enclumeaux, bigorneaux, burins, étaux, tenailles à vis, marteaux, gouges de toutes façons, terriers, vilebrequins, vrilles, vrillettes, perçoirs à vin, tirefonds, marteaux à ardoises, fers de rabot, fermoirs, essettes, ciseaux en bois & en pierre, & quantité d'autres dont à peine les noms & usages sont connus à d'autres qu'à ceux des professions qui les font, & qui s'en servent. (D.J.)


VRILLIERS. m. terme de Taillandier, l'on nomme ainsi dans la communauté des maîtres taillandiers de Paris, ceux d'entr'eux qui font des vrilles, & autres légers outils de fer ou d'acier, propres aux orfévres, graveurs, chauderonniers, armuriers, sculpteurs, menuisiers, &c. on les appelle aussi tailleurs de limes. Savary. (D.J.)


VRYGRAVESou FREYGRAVES, (Hist. mod. & droit politique) mots allemands qui signifient comtes libres ; c'est ainsi que l'on nommoit les assesseurs, échevins ou juges qui composoient le tribunal secret de Westphalie. Dans les tems d'ignorance & de superstition, les plus grands seigneurs d'Allemagne se faisoient un honneur d'être aggrégés à ce tribunal infâme. Semblables aux familiers de l'inquisition d'Espagne ou de Portugal, ils croyoient se faire un mérite devant Dieu, en se rendant les délateurs, les espions & les accusateurs, & souvent en devenant les assassins & les bourreaux secrets de ceux de leurs concitoyens, accusés ou coupables d'avoir violé les commandemens de Dieu & de l'Eglise. Leurs fonctions sublimes furent abolies en 1512 par l'empereur Maximilien I. ainsi que le tribunal affreux auquel ils ne rougissoient pas de prêter leur ministere. Voyez l'article TRIBUNAL secret de Westphalie.


VUparticipe. (Gram.) Voyez l'article VOIR, VISIBILITE, VISION.

VU ou VUE, (Jurisprud.) est un terme usité dans les jugemens, pour indiquer que les juges ont vu & examiné telles & telles pieces. Les jugemens d'audience n'ont que deux parties, les qualités & le dispositif. Les jugemens sur procès par écrit ou sur pieces vues, ont trois parties ; les qualités, le vu & le dispositif. La seconde partie que l'on appelle le vu, a été ainsi nommée, parce qu'elle commence par ces mots, vu par la cour, &c. ou vu par nous si ce ne sont par des juges souverains.

Au conseil du roi, on appelle requête en vu d'arrêt celle qui est rédigée dans la forme d'un vu d'arrêt, de maniere que pour en faire un arrêt, il n'y a que le dispositif à ajouter. Voyez ARRET, CASSATION, JUGEMENT, DISPOSITIF, SENTENCE, QUALITES, REQUETE. (A)


VUBARANA(Ichthyolog. exot.) poisson qu'on prend dans les mers d'Amérique, & qui est excellent à manger ; il ressemble de figure à notre truite de riviere, son corps est partout à-peu-près de la même épaisseur, seulement un peu élevé sur le dos, & un peu plus applati vers la queue ; son épaisseur est d'environ six pouces, & sa longueur d'un pié ; il a la tête petite & pointue, la langue longue & la bouche sans dents ; sa queue est grande & fourchue, ses écailles sont très-petites & rangées également, & si près les unes des autres, qu'elles offrent une surface des plus douces au toucher ; il n'a qu'une nageoire sur le dos, lequel est d'un blanc bleuâtre ; le reste de son corps paroît tantôt de couleur olive, tantôt d'un blanc argentin, selon le jour auquel on le regarde ; son ventre est plat, mais très-blanc, & les ouvertures de ses nageoires paroissent par leur blancheur lustrée, comme des plaques d'argent. Marggravii, Hist. Brasil.


VUCH'ANG(Géog. mod.) grande ville de la Chine, sur le fleuve Kiang, dans la province de Huquand, où elle a le rang de premiere métropole, & renferme dix villes dans son territoire. Elle est de 3. 16. plus occidentale que Pékin, sous le 31 d. O. de latitude septentrionale. (D.J.)


VUES. f. (Physiolog.) l'action d'appercevoir les objets extérieurs par le moyen de l'oeil, ou si vous voulez, c'est l'acte & l'exercice du sens de voir. Voyez SENS & VISION.

La vue est la reine des sens, & la mere de ces sciences sublimes, inconnues au grand & au petit vulgaire. La vue est l'obligeante bienfaitrice qui nous donne les sensations les plus agréables que nous recevions des productions de la nature. C'est à la vue que nous devons les surprenantes découvertes de la hauteur des planetes, & de leurs révolutions autour du soleil, le centre commun de la lumiere. La vue s'étend même jusqu'aux étoiles fixes, & lorsqu'elle est hors d'état d'aller plus loin, elle s'en remet à l'imagination, pour faire de chacune d'elles un soleil qui se meut sur son axe, dans le centre de son tourbillon. La vue est encore la créatrice des beaux arts, elle dirige la main savante de ces illustres artistes, qui tantôt animent le marbre, & tantôt imitent par leur pinceau les voutes azurées des cieux. Que l'amour & l'amitié nous disent les délices que produit après une longue absence la vue d'un objet aimé ! enfin, il n'est guere de sens aussi utile que la vue, & sans contredit, aucun n'est aussi fécond en merveilles. Mais je laisse à Milton la gloire de célébrer ses charmes, pour ne parler que de sa nature.

L'oeil, son organe, est un prodige de dioptrique ; & la lumiere, qui est son objet, est la plus pure substance dont l'ame reçoive l'impression par les sens. Voyez donc OEIL & LUMIERE, en vous ressouvenant qu'il faut appliquer à la connoissance de la structure de l'oeil tout ce que l'optique, la catoptrique, & la dioptrique, nous démontrent sur ce sujet, d'après les découvertes de Newton, homme d'une si grande sagacité, qu'il paroît avoir passé les bornes de l'esprit humain.

La vue, (comme le dit M. de Buffon qui a répandu tant d'idées ingénieuses & philosophiques dans son explication des phénomenes de ce sens admirable) ; la vue est une espece de toucher, quoique bien différente du toucher ordinaire. Pour toucher quelque chose avec le corps ou avec la main, il faut ou que nous nous approchions de cette chose, ou qu'elle s'approche de nous, afin d'être à portée de pouvoir la palper ; mais nous la pouvons toucher des yeux à quelque distance qu'elle soit, pourvu qu'elle puisse renvoyer une assez grande quantité de lumiere, pour faire impression sur cet organe, ou bien qu'elle puisse s'y peindre sous un angle sensible.

Le plus petit angle sous lequel les hommes puissent voir les objets, est d'environ une minute ; il est rare de trouver des yeux qui puissent appercevoir un objet sous un angle plus petit : cet angle donne pour la plus grande distance, à laquelle les meilleurs yeux peuvent appercevoir un objet, environ 3436 fois le diametre de cet objet : par exemple, on cessera de voir à 3436 piés de distance un objet haut & large d'un pié ; on cessera de voir un homme haut de cinq piés à la distance de 17180 piés, ou d'une lieue & d'un tiers de lieue, & en supposant même que ces objets soient éclairés au soleil. Cette estimation de la portée des yeux est néanmoins plutôt trop forte que trop foible, parce qu'il y a peu d'hommes qui puissent appercevoir les objets à d'aussi grandes distances.

Mais il s'en faut bien qu'on ait par cette estimation une idée juste de la force & de l'étendue de la portée de nos yeux ; car il faut faire attention à une circonstance essentielle, c'est que la portée de nos yeux diminue & augmente à proportion de la quantité de lumiere qui nous environne, quoi qu'on suppose que celle de l'objet reste toujours la même ; ensorte que si le même objet que nous voyons pendant le jour à la distance de 3436 fois son diametre, restoit éclairé pendant la nuit de la même quantité de lumiere dont il l'étoit pendant le jour, nous pourrions l'appercevoir à une distance cent fois plus grande, de la même façon que nous appercevons la lumiere d'une chandelle pendant la nuit, à plus de deux lieues ; c'est-à-dire, en supposant le diametre de cette lumiere égal à un pouce, à plus de 316800 fois la longueur de son diametre ; au-lieu que pendant le jour, on n'appercevra pas cette lumiere à plus de 10 ou 12 mille fois la longueur de son diametre, c'est-à-dire, à plus de deux cent toises, si nous la supposons éclairée aussi-bien que nos yeux par la lumiere du soleil.

Il y a trois choses à considérer pour déterminer la distance à laquelle nous pouvons appercevoir un objet éloigné ; la premiere, est la grandeur de l'angle qu'il forme dans notre oeil ; la seconde, le degré de lumiere des objets voisins & intermédiaires que l'on voit en même-tems ; & la troisieme, l'intensité de lumiere de l'objet lui-même. Chacune de ces causes influe sur l'effet de la vision, & ce n'est qu'en les estimant & en les comparant, qu'on déterminera dans tous les cas la distance à laquelle on peut appercevoir tel ou tel objet particulier.

Au reste, la portée de la vue, ou la distance à laquelle on peut voir le même objet, est assez rarement la même pour chaque oeil ; il y a peu de gens qui ayent les deux yeux également forts. Lorsqu'ils sont également bons, & que l'on regarde le même objet des deux yeux, il semble qu'on devroit le voir une fois mieux qu'avec un seul oeil ; cependant il n'y a pas de différence sensible entre les sensations qui résultent de l'une & de l'autre façon de voir ; & après avoir fait sur cela des expériences, on a trouvé qu'avec deux yeux égaux en force, on voyoit mieux qu'avec un seul oeil, mais d'une treizieme partie seulement ; ensorte qu'avec les deux yeux, on voit l'objet comme s'il étoit éclairé de treize lumieres égales, au-lieu qu'avec un seul oeil, on ne le voit que comme s'il étoit éclairé de douze lumieres.

Avant que de résoudre la question qu'on propose sur la vue, il faut considérer quel est ce sens au moment de la naissance.

Les yeux des enfans nouveaux nés n'ont point encore les brillans qu'ils auront dans la suite ; leur cornée est plus épaisse que dans les adultes ; elle est plus plate & un peu ridée ; leur humeur aqueuse est en petite quantité, & ne remplit pas entierement les chambres. Il est aisé d'imaginer d'où vient cet état des yeux dans les enfans qui viennent au monde : leurs yeux ont été fermés pendant neuf mois ; la cornée a toujours été poussée de dehors en-dedans, ce qui l'a empêché de prendre sa convexité naturelle en-dehors ; les vaisseaux où se filtre l'humeur aqueuse, n'ont guere permis cette filtration, &c. Ce n'est donc qu'à la longue qu'il s'amasse dans l'oeil des enfans, après leur naissance, une suffisante quantité d'humeur aqueuse qui puisse remplir les deux chambres, dilater la cornée & la pousser en dehors, faire disparoître les plis qui s'y trouvent, enfin la rendre plus mince en la comprimant davantage.

Il résulte des défauts qu'on voit dans les yeux d'un enfant nouveau-né, qu'il n'en fait aucun usage ; cet organe n'ayant pas encore assez de consistance, les rayons de la lumiere ne peuvent arriver que confusément sur la rétine. Ce n'est qu'au bout d'un mois ou environ qu'il paroît que l'oeil a pris de la solidité, & le degré de tension nécessaire pour transmettre ces rayons dans l'ordre que suppose la vision ; cependant alors même, c'est-à-dire au bout d'un mois, les yeux des enfans ne s'arrêtent sur rien ; ils les remuent & les tournent indifféremment, sans qu'on puisse remarquer si quelques objets les affectent réellement ; mais bientôt, c'est-à-dire, à 6 ou 7 semaines, ils commencent à arrêter leur regard sur les choses les plus brillantes, à tourner souvent les yeux & à les fixer du côté du jour, des lumieres ou des fenêtres ; cependant l'exercice qu'ils donnent à cet organe, ne fait que le fortifier sans leur donner encore une notion exacte des différens objets ; car le premier défaut du sens de la vue est de représenter tous les objets renversés. Les enfans avant que de s'être assurés par le toucher de la position des choses & de celle de leur propre corps, voient en bas tout ce qui est en haut, & en haut tout ce qui est en bas ; ils prennent donc par les yeux une fausse idée de la position des objets.

Un second défaut & qui doit induire les enfans dans une autre espece d'erreur ou de faux jugement, c'est qu'ils voient d'abord tous les objets doubles, parce que dans chaque oeil il se forme une image du même objet ; ce ne peut encore être que par l'expérience du toucher, qu'ils acquierent la connoissance nécessaire pour rectifier cette erreur, & qu'ils apprennent en effet à juger simples les objets qui leur paroissent doubles. Cette erreur de la vue, aussi-bien que la premiere, est dans la suite si-bien rectifiée par la vérité du toucher, que quoique nous voyons en effet tous les objets doubles & renversés, nous nous imaginons cependant les voir réellement simples & droits ; ce qui n'est qu'un jugement de notre ame, occasionné par le toucher, est une appréhension réelle, produite par le sens de la vue : si nous étions privés du toucher, les yeux nous tromperoient donc, non-seulement sur la position, mais aussi sur le nombre des objets.

La premiere erreur est une suite de la conformation de l'oeil, sur le fond duquel les objets se peignent dans une situation renversée, parce que les rayons lumineux qui forment les images de ces mêmes objets, ne peuvent entrer dans l'oeil qu'en se croisant dans la petite ouverture de la pupille : si l'on fait un petit trou dans un lieu fort obscur, on verra que les objets du dehors se peindront sur la muraille de cette chambre obscure dans une situation renversée. C'est ainsi que se fait le renversement des objets dans l'oeil ; la prunelle est le petit trou de la chambre obscure.

Pour se convaincre que nous voyons réellement tous les objets doubles, quoique nous les jugions simples, il ne faut que regarder le même objet, d'abord avec l'oeil droit, on le verra correspondre à quelque point d'une muraille ou d'un plan que nous supposons au-delà de l'objet ; ensuite en le regardant avec l'oeil gauche, on verra qu'il correspond à un autre point de la muraille ; & enfin en le regardant des deux yeux, on le verra dans le milieu entre les deux points auxquels il correspondoit auparavant : ainsi il se forme une image dans chacun de nos yeux ; nous voyons l'objet double, c'est-à-dire, nous voyons une image de cet objet à droite & une image à gauche ; & nous le jugeons simple & dans le milieu, parce que nous avons rectifié par le sens du toucher cette erreur de la vue. Si le sens du toucher ne rectifioit pas le sens de la vue dans toutes les occasions, nous nous tromperions sur la position des objets, sur leur nombre, & encore sur leur lieu ; nous les jugerions renversés, nous les jugerions doubles, & nous les jugerions à droite & à gauche du lieu qu'ils occupent réellement ; & si au-lieu de deux yeux nous en avions cent, nous jugerions toujours les objets simples, quoique nous les vissions multipliés cent fois.

Avec le seul sens de la vue, nous nous tromperions également sur les distances ; & sans le toucher, tous les objets nous paroîtroient être dans nos yeux, parce que les images de ces objets y sont en effet ; ce n'est qu'après avoir mesuré la distance en étendant la main, ou en transportant son corps d'un lieu à l'autre, que l'homme acquiert l'idée de la distance & de la grandeur des objets ; auparavant il ne connoissoit point du tout cette distance, & il ne pouvoit juger de la grandeur d'un objet que par celle de l'image qu'il formoit dans son oeil. Dans ce cas le jugement de la grandeur n'étant produit que par l'ouverture de l'angle formé par les deux rayons extrêmes de la partie supérieure & de la partie inférieure de l'objet, on jugeroit grand tout ce qui est près ; & petit tout ce qui est loin ; mais après avoir acquis par le toucher les idées de distance, le jugement de la grandeur des objets commence à se rectifier, on ne se fie plus à la premiere appréhension qui nous vient par les yeux pour juger de cette grandeur, on tâche de connoître la distance, on cherche en même tems à reconnoître l'objet par sa forme, & ensuite on juge de sa grandeur.

Mais nous nous tromperons aisément sur cette grandeur quand la distance sera trop considérable, ou bien lorsque l'intervalle de cette distance n'est pas pour nous dans la direction ordinaire ; par exemple quand au-lieu de la mesurer horisontalement, nous la mesurons du haut en bas ou du bas en haut.

Les premieres idées de la comparaison de grandeur entre les objets, nous sont venues en mesurant soit avec la main, soit avec le corps en marchant, la distance de ces objets relativement à nous & entr'eux ; toutes ces expériences par lesquelles nous avons rectifié les idées de grandeur que nous en donnoit le sens de la vue, ayant été faites horisontalement, nous n'avons pu acquérir la même habitude de juger de la grandeur des objets élevés ou abaissés au-dessous de nous, parce que ce n'est pas dans cette direction que nous les avons mésurés par le toucher. C'est par cette raison, & faute d'habitude à juger les distances dans cette direction, que lorsque nous nous trouvons au-dessus d'une tour élevée, nous jugeons les hommes & les animaux qui sont au-dessous beaucoup plus petits que nous ne les jugerions en effet à une distance égale qui seroit horisontale ; c'est-à-dire, dans la direction ordinaire suivant laquelle nous avons l'habitude de juger des distances. Il en est de même d'un coq ou d'une boule qu'on voit au-dessus d'un clocher ; ces objets nous paroissent être beaucoup plus petits que nous ne les jugerions être en effet, si nous les voyons dans la direction ordinaire & à la même distance horisontalement, à laquelle nous les voyons verticalement.

Tout ce que nous venons de dire au sujet du sens de la vue, a été confirmé par l'histoire célebre de l'aveugle de Cheselden ; histoire rapportée dans les Trans. philos. n °. 402, & transcrite depuis dans plusieurs ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde.

Lorsque par des circonstances particulieres nous ne pouvons avoir une idée juste de la distance, & que nous ne pouvons juger des objets que par la grandeur de l'angle, ou plutôt de l'image qu'ils forment dans nos yeux, nous nous trompons alors nécessairement sur la grandeur de ces objets. Tout le monde a éprouvé qu'en voyageant la nuit, on prend un buisson dont on est près, pour un grand arbre dont on est loin ; ou bien on prend un grand arbre éloigné pour un buisson qui est voisin : de même si on ne connoît pas les objets par leur forme, & qu'on ne puisse avoir par ce moyen aucune idée de distance, on se trompera encore nécessairement ; une mouche qui passera avec rapidité à quelques pouces de distance de nos yeux, nous paroîtra dans ce cas être un oiseau qui en seroit à une très-grande distance.

Toutes les fois qu'on se trouvera la nuit dans des lieux inconnus où l'on ne pourra juger de la distance, & où l'on ne pourra reconnoître la forme des choses à cause de l'obscurité, on sera en danger de tomber à tout instant dans l'erreur, au sujet des jugemens que l'on fera sur les objets qui se présenteront ; c'est delà que vient la frayeur & l'espece de crainte intérieure que l'obscurité de la nuit fait sentir à presque tous les hommes ; c'est sur cela qu'est fondée l'apparence des spectres & des figures gigantesques & épouvantables que tant de gens disent avoir vues.

On leur répond communément que ces figures étoient dans leur imagination ; cependant elles pouvoient être réellement dans leurs yeux, & il est très-possible qu'ils aient en effet vu ce qu'ils disent avoir vu : ca il doit arriver nécessairement, toutes les fois qu'on ne pourra juger d'un objet que par l'angle qu'il forme dans l'oeil, que cet objet inconnu grossira & grandira à mesure qu'on en sera plus voisin, & que s'il a paru d'abord au spectateur qui ne peut connoître ce qu'il voit, ni juger à quelle distance il le voit ; que s'il a paru, dis-je, d'abord de la hauteur de quelques piés lorsqu'il étoit à la distance de vingt ou trente pas, il doit paroître haut de plusieurs toises lorsqu'il n'en sera plus éloigné que de quelques piés ; ce qui doit en effet l'étonner & l'effrayer, jusqu'à ce qu'enfin il vienne à toucher l'objet ou à le reconnoître ; car dans l'instant même qu'il reconnoîtra ce que c'est, cet objet qui lui paroissoit gigantesque, diminuera tout-à-coup, & ne lui paroîtra plus avoir que sa grandeur réelle : mais si l'on fuit ou qu'on n'ose approcher, il est certain qu'on n'aura d'autre idée de cet objet, que celle de l'image qu'il formoit dans l'oeil, & qu'on aura réellement vu une figure gigantesque ou épouvantable par la grandeur & par la forme.

Enfin il y a une infinité de circonstances qui produisent des erreurs de la vue sur la distance, la grandeur, la forme, le nombre & la position des objets. Mais pourquoi ces erreurs de la vue sur la distance, la grandeur, &c. des objets ? C'est que la mesure des distances & des grandeurs n'est pas l'objet propre de la vue ; c'est celui du toucher, celui de la regle & du compas. La vue n'a proprement en partage que la lumiere & les couleurs.

Il nous sera maintenant plus facile de répondre à la plûpart des questions qu'on fait sur le sens de la vue.

1°. Nous venons de voir comment nous jugeons de la grandeur & de la distance des objets : l'ame fonde ses jugemens à cet égard, sur la connoissance que nous avons de la grandeur naturelle de certains objets, & de la diminution que l'éloignement y apporte. Un couvreur vu au-haut d'un clocher, me paroît d'abord un oiseau ; mais dès que je le reconnois pour un homme, je l'imagine de 5 à 6 piés, parce que je sai qu'un homme a pour l'ordinaire cette hauteur ; & tout d'un tems je juge par comparaison, la croix & le coq de ce clocher d'un volume beaucoup plus considérable, que je ne les croyois auparavant. C'est ainsi que la peinture exprimera un géant terrible dans l'espace d'un pouce, en mettant auprès de lui un homme ordinaire qui ne lui ira qu'à la cheville du pié, une maison, un arbre qui ne lui iront qu'au genou ; la comparaison nous frappe, & nous jugeons d'abord le géant d'une grandeur énorme, quoiqu'au fond, il n'ait qu'un pouce.

Nous jugeons aussi des distances par la maniere distincte ou confuse dont nous appercevons les objets ; car ils sont ordinairement d'autant plus proches de nous, que nous les voyons plus distinctement.

Enfin, nous jugeons des distances par l'éclat des objets qui paroissent plus brillans, lorsque nous en sommes proches, que lorsque nous en sommes éloignés ; c'est pour cela que les peintres placent sur leurs tableaux les montagnes & les bois dans l'obscurité, pour en marquer l'éloignement.

Mais tous les jugemens que l'ame porte sur les grandeurs, les distances des objets, &c. sont tous fondés sur une longue habitude de voir, & dégénerent par-là en une espece d'instinct chez ceux qui ont acquis cette habitude ; c'est pourquoi les architectes, les dessinateurs, &c. jugent bien des petites distances, & les pilotes des grandes.

C'est aussi l'habitude seule qui nous fait juger de la convéxité & de la concavité des corps, à la faveur de leurs ombres latérales. L'aveugle de Cheselden regarda d'abord la peinture, comme une table de diverses couleurs ; ensuite y étant plus accoutumé, il la prit pour un corps solide, ne sachant quel sens le trompoit, de la vue ou du tact.

Nous jugeons qu'un corps se meut, quand il nous paroît successivement en d'autres points. De-là, nous pensons que des objets petits & fort éloignés sont tranquilles, quoiqu'ils soient en mouvement, parce que la variété des points dans lesquels ils se représentent à nos yeux, n'est point assez frappante, c'est pourquoi nous ne voyons remuer certains corps, qu'au microscope, comme les petits vers des liquides, &c.

Nous estimons le lieu des corps, par l'extrémité de l'axe optique ; & ici il y a beaucoup d'incertitude. Si nous ne regardons que de l'oeil droit, le corps sera à l'extrémité de l'axe optique droit. Si nous regardons de l'oeil gauche seul, il sautera à la fin de l'axe de l'oeil gauche. Si les deux yeux sont employés, l'objet sera dans l'endroit intermédiaire.

Nous jugeons du nombre, par les diverses sensations que les objets nous impriment. S'il n'y a qu'une sensation, & une sensation homogène, nous croyons que l'objet est unique ; s'il y en a plusieurs, il est naturel que nous en jugions plusieurs. Dès que les axes des yeux ne concourent pas, nous sommes donc forcés de voir plusieurs objets, comme dans l'yvresse ; mais c'en est assez sur les jugemens que porte la vue des différentes qualités des corps.

2°. On demande, pourquoi on voit les objets droits, quoiqu'ils soient peints reversés dans les yeux ?

L'habitude & le sentiment du toucher rectifient promptement cette erreur de la vûe. Mais pourquoi, me dira-t-on, ces aveugles nés auxquels on a donné la vue, n'ont-ils pas vu d'abord les objets renversés ? Ces aveugles avoient toute leur vie tâté les objets, & jugé sûrement de leur situation ; leur ame pouvoit donc bien moins s'y méprendre qu'une autre. Au reste, peut-être que la sensation renversée aura fait une partie de l'étonnement dont ils furent saisis à l'aspect de la lumiere, & que dans la foule ils n'auront pas distingué cette singularité ; mais ce renversement n'aura rien renversé dans leurs idées bien établies par les longues leçons de leur vrai maître, le sentiment du toucher. L'aveugle accoutumé à se conduire avec ses deux bâtons, & à juger par eux de la situation des corps, ne s'y trompe point, il sait fort bien que son chien qu'il touche du bâton droit est à gauche, & que l'arbre qui touche du bâton gauche est à droite ; quand on lui donneroit dans l'instant deux bons yeux, au fonds desquels le chien seroit à droite, & l'arbre à gauche, il n'en croiroit rien, & s'en rapporteroit à la démonstration de ses bâtons qu'il sait être infaillible. L'ame en fait autant, au-moins pour tous les objets sur lesquels l'expérience du toucher a pu répandre ses lumieres, ou immédiatement, ou par comparaison.

3°. On demande, comment on voit un objet simple, quoique son image fasse impression sur les deux yeux, & pourquoi on le voit quelquefois double.

Un objet vu des deux yeux paroît simple, quand chaque image tombe directement sur le point de l'axe visuel, ou sur le pole de chaque oeil ; mais il paroît double, toutes les fois que l'image tombe hors de ses points.

4°. Pourquoi voit-on distinctement, quand les objets sont à distance que comporte la disposition de l'oeil ?

Parce qu'alors l'angle optique n'est ni trop grand, ni trop petit. Il ne faut pas qu'il soit si grand que les rayons ne puissent se réunir, & peindre les objets sur la rétine ; mais il faut qu'il soit le plus grand qu'il est possible pour prendre un grand nombre de rayons.

5°. Pourquoi la vue est-elle foiblement affectée, quand les objets sont dans un grand éloignement ?

Parce que les rayons plus paralleles, exigent une petite force refringente pour s'unir à l'axe optique ; au-lieu que les rayons divergens en requierent une plus considérable, & par conséquent s'écartent facilement, de façon qu'ils arrivent séparément à la rétine.

6°. Pourquoi les objets qui sont trop près, paroissent-ils confus ?

Parce que les rayons réfléchis par ces corps, sont si divergens, qu'ils se rassemblent par de-là la rétine : ils forment plusieurs points, plusieurs traits, mais non ce seul point qui représente, pour ainsi dire, la physionomie des corps. La petitesse de ce point, où les rayons s'unissent comme dans un foyer, dépend de la petitesse des fibres de la rétine. Elle a été soumise au calcul, par Hook, par Porterfields, & Montanarius, &c.

7°. Comment voit-on les objets distinctement ?

Une image est distincte, quand tous les points du cône lumineux qui la forment sont rassemblés dans la même proportion qu'ils ont sur l'objet même sans confusion, ni intervalle entr'eux, sans mêlange de rayons étrangers, & lorsque ce juste assemblage de rayons n'affecte point l'organe, ni trop vivement, ni trop foiblement ; c'est-à-dire qu'une image est distincte, quand tous les points de lumiere & les nuances d'ombre qui la forment, sont placées les uns auprès des autres, comme ils le sont sur l'original même ; ensorte que plusieurs de ses points ou de ces nuances d'ombre ne se réunissent pas en un seul, ou ne laissent pas entr'eux des intervalles qui ne sont pas dans l'original ; & qu'enfin leur impression n'est pas disproportionnée à la sensibilité de l'organe ; car l'un ou l'autre de ces défauts rendroit l'image confuse.

8°. Pourquoi les objets paroissent-ils obscurs ; quand on va d'un lieu éclairé dans un lieu sombre ?

C'est que nous trouvant dans un lieu très-éclairé, nous resserrons la prunelle, afin que la rétine ne soit pas offensée d'une si grande lumiere qui lui fait de la peine. Or, entrant alors dans un lieu obscur, les rayons de lumiere n'ébranlent presque pas la rétine, & notre ame qui vient d'être accoutumée à de plus fortes impressions ne voit rien dans ce moment.

9°. Pourquoi l'oeil trompé, voit-il les objets plus grands dans les brouillards, & pareillement la lune à l'horison beaucoup plus grande que dans le reste du ciel.

Le brouillard, les vapeurs de l'horison, dit M. le Cat, en couvrant les objets d'une couche vaporeuse, les font paroître plus éloignés qu'ils ne sont ; mais en même tems ils n'en diminuent pas le volume, & par-là, ils sont cause que nous les imaginons plus considérables. Quand on se promene par le brouillard, un homme qu'on rencontre paroît un géant, parce qu'on le voit confusément, & comme très-éloigné, & qu'étant néanmoins fort près, il renvoie une très-grande image dans notre oeil : or, l'ame juge qu'un objet très-éloigné qui envoie une grande image dans l'oeil est très-grand ; mais ici, on revient bien-tôt de son erreur, & l'on en découvre par-là l'origine, car on est surpris de se trouver en un instant tout près de cet homme qu'on croyoit si éloigné, & alors le géant disparoît.

C'est par le même enchantement que les vapeurs de l'horison nous faisant voir la lune aussi confusément, que si elle étoit une fois plus éloignée ; & ces mêmes vapeurs ne diminuant pas la grandeur de l'image de la lune, mon ame qui n'a point l'idée réelle de la grandeur de cette planete, la juge une fois plus grande ; parce que, quand elle voit un objet à 200 pas sous un angle aussi grand que celui d'un autre objet vu à 100 pas, elle juge l'objet distant de 200 pas une fois plus grand que l'autre, à-moins que la grandeur réelle de cet objet ne lui soit connue.

10°. Pourquoi un charbon ardent, une meche allumée, tournée rapidement en rond, nous fait-elle voir un cercle de feu ?

C'est que l'impression de la lumiere sur la rétine subsiste encore un certain tems après son action : or si l'action d'un objet recommence sur un mamelon nerveux avant que sa premiere impression soit éteinte, les impressions seront continues, comme si l'objet n'avoit pas cessé d'agir. C'est par la même raison qu'une corde tendue sur quelque instrument de musique, & que l'on fait trémousser, nous paroît nonseulement double, mais encore de la même épaisseur, & de la même figure, que l'espace qu'elle décrit en trémoussant.

11°. Pourquoi voit-on des étincelles sortir de l'oeil, lorsqu'on le frotte avec force, qu'on le presse, ou qu'on le frappe ?

La lumiere, dit Musschenbroeck, tombant sur la rétine, émeut les filets nerveux de cette membrane ; lors donc que ces mêmes filets viennent à être comprimés de la même maniere par l'humeur vitrée, ils doivent faire la même impression sur l'ame, qui croira alors appercevoir de la lumiere, quoiqu'il n'y en ait point. Lorsqu'on frotte l'oeil, on pousse l'humeur vitrée contre la rétine ; ce qui nous fait alors voir des étincelles. Si donc les filets nerveux reçoivent la même impression que produisoit auparavant quelques rayons colorés, notre ame devra revoir les mêmes couleurs. La même chose arrive aussi lorsque nous pressons l'angle de l'oeil dans l'obscurité, ensorte qu'il s'écarte du doigt ; car on verra alors un cercle qui sera orné des mêmes couleurs que nous remarquons à la queue d'un paon ; mais dès qu'on retire le doigt, & que l'oeil reste en repos, ces couleurs disparoissent dans l'espace d'une seconde, & ne manquent pas de reparoître de nouveau, aussi-tôt qu'on recommence à presser l'oeil avec le doigt.

Semblablement lorsqu'on fait quelque effort, qu'on éternue, par exemple avec violence, on voit des étincelles de feu. Ce phénomene vient de ce que le cours des esprits étant interrompu dans les nerfs optiques, & coulant ensuite par secousses dans la rétine, l'ébranle, & nous fait paroître ces étincelles.

12°. D'où vient la vue claire ?

Elle dépend 1°. de la capacité de la prunelle, & de la mobilité de l'iris ; car plus la prunelle est ample, plus elle peut transmettre de rayons réfléchis de chaque point de l'objet. 2°. Elle dépend de la transparence des trois humeurs de l'oeil, pour transmettre les rayons qui tombent sur la cornée. 3°. Elle dépend de la bonne constitution de la rétine & du nerf optique. Il faut aussi que l'objet qu'on regarde soit lumineux ; ce qui arrive sur-tout aux objets blancs ou peints de quelque couleur éclatante, qui réfléchissent & envoyent dans l'oeil beaucoup de rayons de lumiere.

13°. D'où vient la vue distincte ?

On voit les objets distinctement, 1°. lorsque l'oeil étant bien constitué, les rayons réfléchis qui partent d'un seul point de l'objet, viennent se réunir sur la rétine en un seul, après avoir traversé les trois humeurs de l'oeil ; c'est pour cette raison, qu'on voit beaucoup plus distinctement les objets qui sont près de nous, que ceux qui en sont éloignés. 2°. Il faut aussi pour voir distinctement, que les objets ne soient ni trop, ni trop peu éclairés ; lorsqu'ils sont trop éclatans, ils nous éblouissent ; & lorsqu'ils ne sont pas assez éclairés, leurs rayons n'agissent pas avec assez de force sur la rétine.

Remarquons en passant que la trop grande quantité de lumiere est peut-être tout ce qu'il y a de plus nuisible à l'oeil, & que c'est une des principales causes qui peuvent occasionner la cécité. Voyez le recueil de l'acad. des Sciences, année 1743. Mém. de M. de Buffon.

14°. D'où vient la vue courte, c'est-à-dire, celle des gens qui ne voyent bien que de très-près, ou qui ne voyent distinctement que les objets qui sont presque sur leurs yeux ?

La vue courte de ces sortes de gens, qu'on nomme myopes, vient de plusieurs causes ; ou parce qu'ils ont la cornée transparente trop saillante, ou le crystallin trop convexe, & que la réfraction trop forte fait croiser trop tôt les rayons ; ou parce qu'avec une réfraction ordinaire, ils ont le globe de l'oeil trop gros, trop distendu, ou l'espace de l'humeur vitrée trop grand ; dans ces deux cas, le point optique se fait en-deçà de la rétine. Ces sortes de gens mettent les yeux presque sur les objets, afin d'allonger le foyer par cette proximité, & faire que le point optique atteigne la rétine. C'est pour cela qu'ils se servent avec succès d'un verre concave qui allonge le croisement des rayons, & le point où l'image est distincte ; comme l'âge diminue l'abondance des liqueurs, & l'embonpoint de l'oeil, il corrige souvent le défaut de la myopie.

15°. D'où vient la vue longue, c'est-à-dire, des personnes qui ne voyent clairement que de loin ?

La vue des gens qui ne voyent clairement que de loin, & qu'on nomme presbytes, vient de plusieurs causes ; ou parce qu'ils ont la cornée transparente, ou le crystallin trop peu convexe, ou bien de ce que l'espace de l'humeur vitrée est trop petit.

S'ils ont la cornée ou le crystallin trop peu convexes, la réfraction est foible, le croisement & la réunion des pinceaux optiques se font de loin ; ainsi le cône renversé atteint la rétine, avant que les pinceaux soient réunis, & que l'image soit formée distinctement.

Si la réfraction & le croisement se font à l'ordinaire, mais que l'appartement de l'humeur vitrée soit trop petit, trop court, ou applati, la rétine ne recevra d'image que des objets éloignés qui ont un foyer plus court ; ce défaut se corrige avec la lunette convexe, la loupe, la lentille, qui augmente la réfraction, & rend le croisement des rayons plus court ; l'âge ne corrige pas ce défaut, il l'augmente au contraire, parce que les parties de l'oeil se dessechent.

16°. D'où vient que les vieillards voyent de loin, & cessent de voir distinctement de près ?

Nous venons d'en rendre la raison ; cependant cette vue longue des vieillards, ne procede pas seulement de la diminution ou de l'applatissement des humeurs de l'oeil ; mais elle dépend aussi d'un changement de position entre les parties de l'oeil, comme entre la cornée & le crystallin, ou bien entre l'humeur vitrée & la rétine ; ce qu'on peut entendre aisément, en supposant que la cornée devienne plus solide à mesure qu'on avance en âge ; car alors elle ne pourra pas prêter aussi facilement, ni prendre la plus grande convexité qui est nécessaire pour voir les objets qui sont près, & elle se sera un peu applatie en se desséchant avec l'âge ; ce qui suffit seul pour qu'on puisse voir de plus loin les objets éloignés.

Il faut donc, comme nous l'avons déja dit, distinguer dans la vision la vue claire & la vue distincte. On voit clairement un objet toutes les fois qu'il est assez éclairé pour qu'on puisse le reconnoître en général ; on ne voit distinctement, que lorsqu'on approche d'assez près pour en distinguer toutes les parties. Les vieillards ont la vue claire, & non distincte ; ils apperçoivent de loin les objets assez éclairés, ou assez gros pour tracer dans l'oeil une image d'une certaine étendue ; ils ne peuvent au contraire distinguer les petits objets, comme les caracteres d'un livre, à-moins que l'image n'en soit augmentée par le moyen d'un verre qui grossit.

Il résulte de-là, qu'un bon oeil est celui qui ajoute à sa bonne conformation, l'avantage de voir distinctement à toutes les distances, parce qu'il a la puissance de se métamorphoser en oeil myope ou allongé, quand il regarde des objets très-proches ; ou en oeil presbyte ou applati, quand il considere des objets très-éloignés. Cette puissance qu'a l'oeil de s'allonger ou de se raccourcir, réside dans ses muscles, ainsi que dans les fibres ciliaires qui environnent & meuvent le crystallin.

17°. On demande enfin, d'où est-ce que dépend la perfection de la vue ?

Comme nous venons d'indiquer en quoi consistoit un bon oeil, nous répondrons plus aisément à cette derniere question.

La perfection de la vue dépend non-seulement de la figure, de la transparence, de la fabrique, & de la vertu des solides qui composent cet admirable organe, mais de la densité & de la transparence de ses humeurs ; ensorte que les rayons qui partent de chaque point visible de l'objet, sans se mêler à aucun autre, se réunissent en un seul point ou foyer distinct, qui n'est ni trop près, ni trop loin de la rétine. Ce n'est pas tout, il faut que ces humeurs & ces solides ayent cette mobilité nécessaire pour rendre les objets clairement & distinctement visibles à diverses distances ; car par-là, grandeur, figure, distance, situation, mouvement, repos, lumieres, couleurs, tout se représente à merveille. Il faut encore que la rétine ait cette situation, cette expansion, cette délicatesse, cette sensibilité ; en un mot, cette proportion de substance médullaire, artérielle, veineuse, lymphatique, sur laquelle les objets se peignent comme dans un tableau. Il faut enfin que le nerf optique soit libre & bien conditionné pour seconder la rétine & propager le long de ses fibres jusqu'au sensorium commune, l'image entiere & parfaite des objets qui y sont dessinés.

A ce détail que j'ai tiré des écrits d'excellens physiciens modernes, & de M. de Buffon en particulier, le lecteur curieux d'approfondir les connoissances que l'Optique, la Dioptrique, & la Catoptrique, nous donnent sur le sens de la vue, doivent étudier les ouvrages de Newton, Gregori, Barrow, Molineux, Brighs, Smith, Hartsoeker, Musschenbroeck, S'gravesande, la Hire, Desaguliers, &c. (D.J.)

VUE, lésion de la, (Patholog.) la lésion de la vue peut arriver en une infinité de manieres. Mais quelque nombreux que soient les symptomes de cette lésion, on les distingue fort bien en faisant le dénombrement des causes qui affectent les différentes parties de l'organe de la vue ; car premierement les parties qui enferment & retiennent le globe de l'oeil, sont pressées, enfoncées, poussées en-dehors, rongées par des tumeurs inflammatoires, par des aposthumes, des skirrhes, des cancers, des exostoses, par la carie des os qui forment l'orbite ; & delà la figure de l'oeil, la nature, la circulation des humeurs, l'axe de la vue, la collection des rayons dans le lieu convenable, se dépravent.

Ensuite l'inflammation, la suppuration, l'enflure, la conglutination, la concrétion des paupieres, des grains qui s'y forment, troublent la vue, & cela par plusieurs causes ; mais le plus souvent par la mauvaise affection des glandes sébacées. En effet, les yeux se remplissent d'ordures, commencent à souffrir, à s'irriter, perdent leur vivacité, & finalement leurs humeurs se corrompent.

De plus, les larmes trop abondantes, âcres, épaisses, coulant par gouttes au bord des paupieres, & delà sur les joues, causent en cet endroit des humidités qui troublent la vue, des érosions inflammatoires, des offuscations, des fistules lacrymales ; maux qui arrivent par la trop grande laxité de la glande lacrymale, ou par l'acrimonie & le trop grand mouvement de la matiere des larmes. Peut-être aussi par la mauvaise disposition de la caroncule qui est placée à l'angle de l'oeil, ou par la mauvaise & la différente disposition des points lacrymaux, & des tuyaux qui portent les larmes de ces points dans le sac lacrymal ; de plus, par l'éloignement quelconque où ce sac peut être de son état naturel, & par un vice du canal nasal, ou de la membrane qui tapisse intérieurement les narines, par un vice, dis-je, qui empêche la communication de ce canal dans la cavité du nez. Or, les causes dont on vient de donner le détail, viennent elles-mêmes d'un grand nombre d'autres causes.

La vue est encore dépravée, empêchée, détruite, par les différentes maladies de la cornée & de l'albuginée, telles que l'obscurcissement, le défaut de blancheur, l'épaississement, l'oedème, les phlictènes, l'inflammation, les tayes, les cicatrices, la nature cartilagineuse de ces tuniques ; & ces maux viennent ordinairement de plusieurs causes de différente nature.

Quand l'humeur aqueuse vient à manquer, la cornée se ride, l'oeil s'éteint ; si elle est trop abondante, elle forme un oeil d'éléphant ; croupit-elle faute d'être renouvellée, elle détruit toute la fabrique de l'oeil par la putréfaction ; si elle se colore ou s'épaissit comme de la mucosité ou de la pituite, les yeux prennent une couleur étrangere ; des suffusions, des cataractes s'ensuivent : ces choses arrivent le plus souvent entre les parties internes de l'uvée & le crystallin, & leur cause est l'inflammation, la cacochymie, ou l'imprudente application de remedes trop coagulans.

Si l'uvée s'enflamme, il naît une ophthalmie fort douloureuse, & qui devient bientôt très-pernicieuse à la vue ; si elle suppure, on devient aveugle ; si elle devient immobile, & en même tems se resserre, l'héméralopie s'ensuit, genre de maladie qui survient aussi à l'occasion d'une petite cataracte, moins épaisse aux bords qu'au milieu. Mais si l'uvée immobile est en même tems fort ouverte, cela donne lieu à la nyctalopie.

Il arrive encore que l'opacité, l'inflammation, la suppuration, l'hydropisie, la corruption, l'atrophie du crystallin, produisent le glaucôme, la cataracte, émoussent la vue, font naître l'aveuglement, l'amblyopie. Mais si ce même corps est lésé par rapport à sa figure, à sa masse, à sa consistance, à sa transparence, il s'ensuivra plusieurs accidens fâcheux à la vue, de différente nature, & souvent surprenans.

La figure trop sphérique de la partie du bulbe qui avance en-dehors, la petitesse même de la pupille, & plusieurs conditions qu'on n'a point encore assez bien examinées, par rapport à la longueur de l'oeil, au crystallin même, à sa situation, pourront produire différentes especes de myopies ; comme au contraire, l'oeil trop plat ou trop long, ainsi que la différente nature du crystallin, & sa diverse situation, peuvent donner lieu à la presbyopie.

Comme l'humeur vitrée est exposée aux mêmes vices dont on a fait mention, elle pourra souffrir & produire des maux à-peu-près semblables.

Les différens vaisseaux de la membrane appellée rétine, sont aussi sujets à souffrir & à produire divers maux. En effet, l'hydropisie, l'oedème, les phlictènes, l'inflammation, la compression de ces vaisseaux ; de pareils maux qui attaquent le nerf optique même, & les membranes qui l'enveloppent ; de plus une tumeur, un stéatome, un abscès, une hydatide, une pierre, l'inflammation, l'exténuation, l'érosion, la corruption, l'obstruction, affectant le cerveau, ensorte que la communication libre entre le nerf optique & son origine, dans la partie médullaire du cerveau, soit empêchée, ou tout à fait abolie ; toutes ces choses produisent de différentes manieres, des images, des flocons, des étincelles, & l'amaurose ou la goutte sérène.

La paralysie, ou le spasme des muscles moteurs de l'oeil, leurs divers tiraillemens qui viennent des os, l'orbite mal affecté, ainsi que les plaies, les ulceres, l'inflammation, la pression, peuvent donner lieu à la rinoptie, au strabisme, à l'oeil louche, au regard féroce, & à d'autres maux surprenans.

La choroïde, la tunique de Ruysch, l'uvée, qui sont remplies d'une très-grande quantité de vaisseaux sanguins, étant exposées par-là à l'inflammation & à la suppuration, peuvent produire l'upopie. De plus, selon que les diverses parties de l'oeil seront diversement affectées, on sera très-fréquemment sujet à des hallucinations, à des erreurs, à des vues confuses, & à l'aveuglement. Boerhaave. (D.J.)

VUE, seconde, (Hist. mod.) c'est une propriété extraordinaire que l'on attribue à plusieurs des habitans des îles occidentales de l'Ecosse. Le fait est attesté par un si grand nombre d'auteurs dignes de foi, que malgré le merveilleux de la chose, il paroît difficile de la révoquer en doute ; cependant il n'y faut pas manquer. Le plus moderne des auteurs qui font mention de cette singularité, est M. Martin, auteur de l'histoire naturelle de ces îles, & membre de la société Royale de Londres.

La seconde vue est donc une faculté de voir les choses qui arrivent, ou qui se font en des lieux fort éloignés de celui où elles sont apperçues. Elles se représentent à l'imagination comme si elles étoient devant les yeux, & actuellement visibles.

Ainsi, si un homme est mourant, ou sur le point de mourir, quoique peut-être il n'ait jamais été vu par la personne qui est douée de la seconde vue, son image ne laissera pas de lui apparoître distinctement sous sa forme naturelle, avec son drap mortuaire & tout l'équipage de ses funérailles : après quoi la personne qui a apparu meurt immanquablement.

Le don de la seconde vue n'est point une qualité héréditaire : la personne qui en est douée, ne peut l'exercer à volonté ; elle ne sauroit l'empêcher, ni la communiquer à un autre, mais elle lui vient involontairement, & s'exerce sur elle arbitrairement ; souvent elle y cause un grand trouble & une grande frayeur, particulierement dans les jeunes-gens qui ont cette propriété.

Il y a un grand nombre de circonstances qui accompagnent ces visions, par l'observation desquelles on connoît les circonstances particulieres, telles que celles du tems, du lieu, &c. de la mort, de la personne qui a apparu.

La méthode d'en juger & de les interprêter est devenue une espece d'art, qui est très-différent suivant les différentes personnes.

La seconde vue est regardée ici comme une tache, ou comme une chose honteuse ; desorte que personne n'ose publiquement faire semblant d'en être doué : un grand nombre le cachent & le dissimulent.

VUE, s. f. (Archit.) ce mot se dit de toutes sortes d'ouvertures par lesquelles on reçoit le jour ; les vues d'appui sont les plus ordinaires, elles ont trois piés d'enseuillement, & au-dessous.

Vue ou jour de coutume. C'est dans un mur non mitoyen, une fenêtre dont l'appui doit être à neuf piés d'enseuillement du rez-de-chaussée, pris au-dedans de l'héritage de celui qui en a besoin, & à sept pour les autres étages, & même à cinq selon l'exhaussement des planchers ; le tout à fer maillé, & verre dormant. Ces sortes de vues sont encore appellées vues hautes, & dans le droit vues mortes.

Vue à tems. Vue dont on jouit par titre pour un tems limité.

Vue de côté. Vue qui est prise dans un mur de face, & qui est distante de deux piés du milieu d'un mur mitoyen en retour, jusqu'au tableau de la croisée. On la nomme plutôt bée que vue.

Vue du prospect. Vue libre dont on jouit par titre, ou par autorité seigneuriale, jusqu'à une certaine distance & largeur, devant laquelle personne ne peut bâtir, ni même planter aucun arbre.

Vue dérobée. Petite fenêtre pratiquée au-dessus d'une plinthe, ou d'une corniche, ou dans quelque ornement, pour éclairer en abat-jour des entre-sols ou petites pieces, & pour ne point corrompre la décoration d'une façade.

Vue de terre. Espece de soupirail au rez-de-chaussée d'une cour, ou même d'un lieu couvert, qui sert à éclairer quelque piece d'un étage souterrain, par le moyen d'une pierre percée, d'une grille, ou d'un treillis de fer. Telle est la vue de la cave de St. Denis de la Chartre à Paris.

Vue droite. Vue qui est directement opposée à l'héritage, maison ou place d'un voisin, & qui ne peut être à hauteur d'appui, s'il n'y a six piés de distance depuis le milieu du mur mitoyen, jusqu'à la même vue ; mais si elle est sur une ruelle qui n'ait que trois ou quatre piés de large, il n'y a aucune sujétion, parce que c'est un passage public.

Vue enfilée. Fenêtre directement opposée à celle d'un voisin, étant à même hauteur d'appui.

Vue faîtiere. Nom général qu'on donne à tout petit jour, comme une lucarne, ou un oeil de boeuf pris vers le faîte d'un comble, ou la pointe d'un pignon.

Vue de servitude. Vue qu'on est obligé de souffrir, en vertu d'un titre qui en donne la jouissance au voisin.

Vue de souffrance. Vue dont on a la jouissance par tolérance ou consentement d'un voisin, sans titre.

Vue désigne encore l'aspect d'un bâtiment ; on l'appelle vue de front, lorsqu'on le regarde du point du milieu ; vue de côté, quand on le voit par le flanc ; & vue d'angle, par l'encoignure.

Vue à-plomb. C'est une inspection perpendiculaire du dessus des combles & terrasses d'un bâtiment, considérés dans leur étendue en raccourci. Quelques architectes l'appellent improprement plan des combles.

Vue d'oiseau. C'est la représentation d'un plan supposé vu en l'air. (D.J.)

VUE ou VEUE, (Marine) être à vue, avoir la vue ; c'est découvrir & avoir connoissance. Voyez encore NON-VUE.

VUE PAR VUE, ET COURS PAR COURS, (Marine) cela signifie qu'on regle la navigation par les remarques de l'apparence des terres, comme on le pratiquoit avant la découverte de la boussole.

VUE, s. f. (Commerce de change) ce mot signifie, en terme de commerce de lettres-de-change ; le jour de la présentation d'une lettre à celui sur qui elle est tirée, & qui la doit payer, par celui qui en est le porteur ou qui la doit recevoir. Quand on dit qu'une lettre est payable à vûe, on entend qu'elle doit être payée sur le champ, sans remise, & dans le moment même qu'on la présente à la vûe de celui sur qui elle est tirée, sans avoir besoin ni d'acceptation ni d'autre acte équivalent. Ricard. (D.J.)

VUE, (Chasse) chasser à vûe, c'est voir la bête en la courant.


VUIDANGES. f. (Archit.) c'est le transport des décombres ou ordures qu'on ôte d'un lieu ; & comme on connoît trois sortes de transports principaux dans l'art de bâtir, nous allons faire, sous ce terme, trois articles séparés.

Vuidange d'eau, c'est l'étanche qui se fait de l'eau d'un batardeau, par le moyen de moulins, chapelets, vis d'Archimede & autres machines, pour le mettre à sec & y pouvoir fonder.

Vuidange de forêt, c'est l'enlevement des bois abattus dans une forêt, qui doit être incessamment fait par les marchands à qui la coupe a été adjugée.

Vuidange de terre, c'est le transport des terres fouillées, qui se marchande par toises cubes, & dont le prix se regle selon la qualité des terres & la distance qu'il y a de la fouille au lieu où elles doivent être portées.

On dit aussi vuidange de fosse d'aisance. Daviler. (D.J.)


VUIDES. m. (Phys. & Métaph.) espace destitué de toute matiere. Voyez ESPACE & MATIERE.

Les philosophes ont beaucoup disputé dans tous les tems sur l'existence du vuide, les uns voulant que tout l'univers fût entierement plein, les autres soutenant qu'il y avoit du vuide. Voyez PLEIN.

Les anciens distinguoient le vuide en deux especes : vacuum coacervatum & vacuum disseminatum ; ils entendoient par le premier un espace privé de toute matiere, tel que seroit l'espace renfermé par les murailles d'une chambre, si Dieu annihiloit l'air & tous les autres corps qui y sont. L'existence de ce vuide a été soutenue par les Pythagoriciens, par les Epicuriens & par les atomistes ou corpusculaires, dont la plupart ont soutenu que le vuide existoit actuellement & indépendamment des limites du monde sensible ; mais les philosophes corpusculaires de ces derniers tems, lesquels admettent le vacuum coacervatum, nient cette assertion, entant que ce vuide devroit être infini, éternel & non créé. Voyez UNIVERS.

Suivant ces derniers, le vacuum coacervatum, indépendamment des limites du monde sensible, & le vuide que Dieu feroit en annihilant les corps contigus, ne seroit qu'une pure privation ou néant. Les dimensions de l'espace qui, selon les premiers, étoient quelque chose de réel, ne sont plus, dans le sentiment des derniers, que de pures privations, que la négation de la longueur, de la largeur & de la profondeur qu'auroit le corps qui rempliroit cet espace. Dire qu'une chambre dont toute la matiere seroit annihilée, conserveroit des dimensions réelles, c'est, suivant ces philosophes, dire cette absurdité, que ce qui n'est pas corps, peut avoir des dimensions corporelles.

Quant aux Cartésiens, ils nient toute espece de vacuum coacervatum, & ils soutiennent que si Dieu annihiloit toute la matiere d'une chambre & qu'il empêchât l'introduction d'aucune autre matiere, il s'ensuivroit que les murailles deviendroient contiguës, & ne renfermeroient plus aucun espace entr'elles ; ils prétendent que des corps qui ne renferment rien entr'eux, sont la même chose que des corps contigus ; que dès qu'il n'y a point de matiere entre deux corps, il n'y a point d'étendue qui les sépare. Etendue & corps, disent-ils, signifient la même chose. Or s'il n'y a point d'étendue entre deux corps, ils sont donc contigus, & le vuide n'est qu'une chimere ; mais tout ce raisonnement porte sur une méprise, en ce que les philosophes confondent la matiere avec l'étendue. Voyez ETENDUE & ESPACE.

Le vuide disséminé est celui qu'on suppose être naturellement placé entre les corps & dans leurs interstices. Voyez PORE.

C'est sur cette espece de vuide que disputent principalement les philosophes modernes. Les corpusculaires le soutiennent, & les Péripatéticiens & les Cartésiens le rejettent. Voyez CORPUSCULAIRES, CARTESIANISME, &c.

Le grand argument des Péripatéticiens contre le vuide disséminé, c'est qu'on voit différentes sortes de corps qui se meuvent dans certains cas, d'une maniere contraire à leur direction & inclination naturelle, sans autre raison apparente que pour éviter le vuide ; ils concluent de-là que la nature l'abhorre, & ils font une classe de mouvemens qu'ils attribuent tous à cette cause. Telle est, par exemple, l'ascension de l'eau dans les seringues & dans les pompes.

Mais comme le poids & l'élasticité de l'air ont été prouvés par des expériences incontestables, tous ces mouvemens sont attribués avec raison à la pression causée par le poids de l'air. Voyez SERINGUE, AIR, POMPE, VENTOUSE, &c.

Les Cartésiens ne nient pas seulement l'existence actuelle du vuide, mais sa possibilité, & cela sur ce principe que l'étendue étant l'essence de la matiere ou des corps, tout ce qui est étendu, est matiere, l'espace pur & vuide qu'on suppose étendu, doit être matériel, selon eux. Quiconque, disent-ils, admet un espace vuide, conçoit des dimensions dans cet espace, c'est-à-dire une substance étendue, & par conséquent il nie le vuide en même tems qu'il l'admet.

D'un autre côté, les physiciens corpusculaires prouvent par plusieurs considérations, non-seulement la possibilité, mais l'existence actuelle du vuide ; ils la déduisent du mouvement en général, & en particulier du mouvement des planetes, des cometes, de la chûte des corps, de la raréfaction & de la condensation, des différentes gravités spécifiques des corps, & de la divisibilité de la matiere.

I. On prouve d'abord que le mouvement ne sauroit être effectué sans vuide. Voyez MOUVEMENT. C'est ce que Lucrece a si bien rendu dans son poëme.

Principium quoniam cedendi nulla daret res ;

Undique materies quondam stipata fuisset.

La force de cet argument est augmentée par les considérations suivantes.

1°. Que tout mouvement doit se faire en ligne droite ou dans une courbe qui rentre en elle-même, comme le cercle & l'ellipse, ou dans une courbe qui s'étende à l'infini, comme la parabole, &c.

2°. Que la force mouvante doit toujours être plus grande que la résistance.

Car de-là il suit qu'aucune force même infinie ne sauroit produire un mouvement dont la résistance est infinie, & par conséquent que le mouvement en ligne droite ou dans une courbe qui ne rentre point en elle-même, seroit impossible dans le cas où il n'y auroit point de vuide, à cause que dans ces deux cas la masse à mouvoir & par conséquent la résistance doit être infinie. De plus, de tous les mouvemens curvilignes, les seuls qui puissent se perpétuer dans le plein, sont ou le mouvement circulaire autour d'un point fixe, & non le mouvement elliptique, ou d'une autre courbure, ou le mouvement de rotation d'un corps autour de son axe, pourvû encore que le corps qui fait sa révolution, soit un globe parfait ou un sphéroïde ou autre figure de cette espece, or de tels corps ni de telles courbes n'existent point dans la nature : donc dans le plein absolu il n'y a point de mouvement : donc il y a du vuide.

II. Les mouvemens des planetes & des cometes démontrent le vuide. " Les cieux, dit M. Newton, ne sont point remplis de milieux fluides, à-moins que ces milieux ne soient extrêmement rares : c'est ce qui est prouvé par les mouvemens réguliers & constans des planetes & des cometes qui vont en tout sens au-travers des cieux. Il s'ensuit évidemment de-là que les espaces célestes sont privés de toute résistance sensible & par conséquent de toute matiere sensible ; car la résistance des milieux fluides vient en partie de l'attrition des parties du milieu, & en partie de la force de la matiere qu'on nomme sa force d'inertie. Or cette partie de la résistance d'un milieu quelconque, laquelle provient de la ténacité, du frottement ou de l'attrition des parties du milieu, peut être diminuée en divisant la matiere en des plus petites parcelles, & en rendant ces parcelles plus polies & plus glissantes. Mais la partie de la résistance qui vient de la force d'inertie, est proportionnelle à la densité de la matiere, & ne peut être diminuée par la division de la matiere en plus petites parcelles, ni par aucun moyen que par la densité du milieu ; & par conséquent si les espaces célestes étoient aussi denses que l'eau, leur résistance ne seroit guere moindre que celle de l'eau ; s'ils étoient aussi denses que le vif-argent, leur résistance ne seroit guere moindre que celle du vif-argent ; & s'ils étoient absolument denses ou pleins de matiere sans aucun vuide, quelque subtile & fluide que fût cette matiere, leur résistance seroit plus grande que celle du vif-argent. Un globe solide perdroit dans un tel milieu plus de la moitié de son mouvement, en parcourant trois fois la longueur de son diametre, & un globe qui ne seroit pas entierement solide, telles que sont les planetes, s'arrêteroit en moins de tems. Donc pour assurer les mouvemens réguliers & durables des planetes & des cometes, il est absolument nécessaire que les cieux soient vuides de toute matiere, excepté peut-être quelques vapeurs ou exhalaisons qui viennent des atmospheres de la terre, des planetes & des cometes, & les rayons de lumiere. Voyez RESISTANCE, MILIEU, PLANETE, COMETE. "

III. Newton déduit encore le vuide de la considération du poids des corps. " Tous les corps, dit-il, qui sont ici-bas pesent vers la terre, & les poids de tous ces corps, lorsqu'ils sont à égale distance du centre de la terre, sont comme les quantités de matiere de ces corps. Si donc l'éther ou quelqu'autre matiere subtile étoit entierement privée de gravité, ou qu'elle pesât moins que les autres à raison de sa quantité de matiere, il arriveroit, suivant Aristote, Descartes & tous ceux qui veulent que cette matiere ne differe des autres corps que par le changement de sa forme, que le même corps pourroit, en changeant de forme, être graduellement changé en un corps de même constitution que ceux qui pesent plus que lui à raison de leur quantité de matiere, & de même les corps les plus pesans pourroient perdre par degrés leur gravité en changeant de forme, ensorte que les poids dépendroient uniquement des formes des corps, & changeroient en même tems que ces formes, ce qui est contraire à toute expérience ". Voyez POIDS.

IV. La chûte des corps prouve encore, suivant M. Newton, que tous les espaces ne sont pas également pleins. " Si tous les espaces étoient également pleins, la gravité spécifique du fluide dont l'air seroit rempli, ne seroit pas moindre que la gravité spécifique des corps les plus pesans, comme le vif-argent & l'or, & par conséquent aucun de ces corps ne devroit tomber ; car les corps ne descendent dans un fluide que lorsqu'ils sont spécifiquement plus pesans que ce fluide. Or si, par le moyen de la machine pneumatique, on parvient à tirer l'air d'un vaisseau au point qu'une plume y tombe aussi vîte que l'or dans l'air libre, il faut que le milieu qui occupe alors le vaisseau soit beaucoup plus rare que l'air. Voyez CHUTE. Puis donc que la quantité de matiere peut être diminuée dans un espace donné par la raréfaction, pourquoi cette diminution ne pourroit-elle pas aller jusqu'à l'infini ? Ajoutez à cela que nous regardons les particules solides de tous les corps comme étant de même densité, & comme ne pouvant se raréfier qu'au moyen des pores qui sont entr'elles, & que de-là le vuide suit nécessairement. Voyez RAREFACTION, PORE & PARTICULE. "

V. " Les vibrations des pendules prouvent encore l'existence du vuide ; car puisque ces corps n'éprouvent point de résistance qui retarde leur mouvement ou qui raccourcisse leurs vibrations, il faut qu'il n'y ait pas de matiere sensible dans ces espaces, ni dans les interstices des particules de ces corps ". Voyez PENDULE.

Quant à ce que Descartes a dit, que la matiere peut être atténuée au point de rendre sa résistance insensible, & qu'un petit corps en en frappant un grand ne sauroit ni lui résister, ni altérer son mouvement, mais qu'il doit retourner en arriere avec toute sa force ; c'est ce qui est contraire à l'expérience. Car Newton a fait voir que la densité des fluides étoit proportionnelle à leur résistance à très-peu de chose près, & c'est une méprise bien grossiere que de croire que la résistance qu'éprouvent les projectiles est diminuée à l'infini, en divisant jusqu'à l'infini les parties de ce fluide. Puisqu'au contraire il est clair que la résistance est fort peu diminuée par la sousdivision des parties, & que les forces résistantes de tous les fluides sont à-peu-près comme leurs densités, princip. l. II. prop. 38 & 40. Et pourquoi la même quantité de matiere divisée en un grand nombre de parties très-petites, ou en un petit nombre de parties plus grandes ne produiroit-elle pas la même résistance ? S'il n'y avoit donc pas de vuide, il s'ensuivroit qu'un projectile mû dans l'air, ou même dans un espace purgé d'air, éprouveroit autant de résistance que s'il se mouvoit dans du vif-argent. Voyez PROJECTILE.

VI. La divisibilité actuelle de la matiere & la diversité de la figure de ses parties prouve le vuide disséminé. Car dans la supposition du plein absolu, nous ne concevons pas plus qu'une partie de matiere puisse être actuellement séparée d'une autre, que nous ne pouvons comprendre la division des parties de l'espace absolu. Lorsqu'on imagine la division ou séparation de deux parties unies, on ne sauroit imaginer autre chose que l'éloignement de ces parties à une certaine distance. Or de telles divisions demandent nécessairement du vuide entre les parties. Voyez DIVISIBILITE.

VII. Quant aux figures des corps, elles devroient toutes être dans la supposition du plein, ou absolument rectilignes, ou concaves-convexes, autrement elles ne pourroient jamais remplir exactement l'espace ; or tous les corps n'ont pas ces figures.

VIII. Ceux qui nient le vuide supposent ce qu'il est impossible de prouver, que le monde matériel n'a point de limite. Voyez UNIVERS.

Puisque l'essence de la matiere ne consiste pas dans l'étendue, mais dans la solidité ou dans l'impénétrabilité, on peut dire que l'univers est composé de corps solides qui se meuvent dans le vuide : & nous ne devons craindre en aucune maniere que les phénomenes, qui s'expliquent dans le systême du plein, se refusent au systême de ceux qui admettent le vuide, les principaux de ces phénomenes, tels que le flux & reflux, la suspension du mercure dans le barometre, le mouvement des corps célestes, de la lumiere, &c. s'expliquent d'une maniere bien plus satisfaisante dans ce dernier systême. Voyez FLUX, &c.

VUIDE de Boyle, est le nom que quelques auteurs donnent à l'espace de milieu rare qui se trouve dans la machine pneumatique, & qui approche si fort du vuide parfait. Cet espace n'est pourtant pas absolument vuide ; car la lumiere au-moins y entre & le pénetre, & la matiere de la lumiere est corporelle : les Cartésiens prétendent qu'à mesure qu'on pompe l'air, le récipient de la machine se remplit de matiere subtile. Quoiqu'il en soit, l'expérience prouve que la matiere qui remplit alors le récipient, n'a aucune résistance par elle-même ; & c'est pour cela qu'on regarde le récipient comme vuide. Voyez MACHINE PNEUMATIQUE.

Que les principaux phénomenes observés dans le vuide, sont que les corps les plus pesans & les plus légers, comme un louis & une plume, y tombent également vîte ; que les fruits, comme les grappes de raisins, les pêches, les pommes, &c. gardés quelque tems dans le vuide, conservent leur fraîcheur, leur couleur, &c. & que ces fruits fanés & ridés dans l'air libre deviennent fermes & tendus dans le vuide. Toute espece de feu & de lumiere s'éteint dans le vuide.

La collision d'un caillou & de l'acier ne donne point d'étincelle. Le son ne se propage pas dans le vuide.

Une phiole quarrée remplie d'air commun se brise dans le vuide ; une ronde ne s'y brise pas. Une vessie à demi pleine d'air peut supporter plus de quarante livres dans le vuide. Les chats & la plupart des autres animaux meurent dans le vuide.

Par des expériences faites en 1704, M. Derham a trouvé que les animaux qui avoient deux ventricules & qui n'avoient point de trou ovale, mouroient en moins d'une demi-minute dès la premiere exhaustion. Une taupe y meurt en une minute, une chauve-souris en sept ou huit. Les insectes, comme guêpes, abeilles, sauterelles, semblent morts au bout de deux minutes ; mais, après avoir été même vingtquatre heures dans le vuide, ils revivent lorsqu'on vient à les mettre dans l'air libre. Les limaçons peuvent être vingt heures dans le vuide, sans en paroître incommodés.

Les graines semées dans le vuide ne croissent point : la petite-biere s'évente, & perd tout son goût dans le vuide : l'eau tiede y bout très-violemment.

La machine pneumatique ne peut jamais donner un vuide parfait, comme il est évident par sa structure & par la maniere de l'employer. En effet, chaque exhaustion n'enleve jamais qu'une partie de l'air qui reste dans le récipient, ensorte qu'après quelque nombre que ce soit d'exhaustions, il reste toujours un peu d'air. Ajoutez à cela que la machine pneumatique n'a d'effet qu'autant que l'air du récipient est capable de lever la soupape, & que quand la raréfaction est venue au point qu'il ne peut plus la soulever, on a approché du vuide autant qu'il est possible.

M. Newton ayant remarqué qu'un thermometre placé dans le vuide du récipient haussoit & baissoit, suivant que l'air de la chambre s'échauffoit ou se refroidissoit, a conjecturé que la chaleur de l'air extérieur se communiquoit dans l'intérieur du récipient, par les vibrations de quelque milieu beaucoup plus subtil que l'air qui y étoit resté, Opt. p. 323. Voyez MILIEU, CHALEUR, &c. Chambers.

VUIDE, s. m. (Archit.) c'est une ouverture ou une baie dans un mur. Ainsi on dit, les vuides d'un mur de face ne sont pas égaux aux pleins, pour dire que ses baies sont ou moindres ou plus larges que les trumeaux ou massifs. Espacer tant plein que vuide, c'est peupler un plancher de solives, ensorte que les entrevoux soient de même largeur que les solives. On dit aussi que les trumeaux sont espacés, tant plein que vuide, lorsqu'ils sont de la largeur des croisées. Enfin on dit pousser ou tirer au vuide, c'est-à-dire de verser & sortir hors de son à plomb.

Vuides, dans les massifs de maçonnerie trop épais, sont des chambrettes ou cavités pratiquées, autant pour épargner la dépense de la matiere, que pour rendre la charge moins pesante, comme il y en a dans le mur circulaire du panthéon à Rome & aux arcs de triomphe. (D.J.)

VUIDE, adj. en Musique, corde à vuide, ou, selon quelques-uns, corde à jouer ; c'est sur les instrumens à touche, comme la viole ou le violon, le son qu'on tire de la corde dans toute sa longueur, depuis le chevalet jusqu'au sillet, sans y placer aucun doigt.

Le son des cordes à vuide est non-seulement plus grave, mais beaucoup plus plein que quand on y pose quelque doigt, ce qui vient de la mollesse du doigt qui gêne le jeu des vibrations. Cette différence fait que les habiles joueurs d'instrumens évitent de toucher aucune corde à vuide, pour ôter cette inégalité de son qui est fort désagréable à l'oreille, mais cela augmente de beaucoup la difficulté du jeu. (S)


VUIDÉen terme de Blason, se dit d'une piece principale dont la partie intérieure est vuide, & dont il ne reste que les bords pour en faire connoître la forme, desorte que le champ paroît au-travers ; il n'est pas nécessaire d'exprimer la couleur ou le métal de la partie vuidée, puisque c'est naturellement la couleur du champ.

La croix vuidée est différente de la croix engrelée, en ce que cette derniere ne fait pas voir le champ au-travers d'elle, comme fait la premiere.

La même chose a lieu pour les autres pieces.

Buffevent en Dauphiné, d'azur à la croix clechée, vuidée & fleuronnée d'argent.


VUIDERv. act. (Gram.) c'est enlever, ôter, verser, éloigner d'un lieu ce qui le remplissoit. On vuide un vase, un appartement ; on vuide ses mains, le pays ; on vuide une fosse, un canon, une clé ; une querelle, un procès, &c.

VUIDER, (Jurisprud.) ce terme a différentes significations.

Vuider un différend, signifie le regler ou faire regler.

Vuider les lieux est lorsqu'un locataire ou autre personne cesse d'occuper les bâtimens & autres lieux dont il jouissoit, & qu'il en retire ses meubles & effets.

Vuider ses mains, c'est délaisser ou remettre quelque chose entre les mains d'un autre.

Les gens de main-morte peuvent être contraints de vuider leurs mains dans l'an des héritages non-amortis. Voyez AMORTISSEMENT, MAIN-MORTE, COMMUNAUTES, RELIGIEUX.

Un dépositaire ou tiers saisi vuide ses mains des deniers ou autres effets qu'il a, en les remettant à qui par justice il est ordonné. Voyez SAISIE, TIERS SAISI, DENIER, DELIVRANCE. (A)

VUIDER, en terme de Batteur d'or, c'est ôter l'or battu & réduit au degré de légéreté qu'on souhaitoit du moule, pour le mettre dans un quarteron. Voyez QUARTERON.

VUIDER, v. act. dans la Gravure en bois, c'est enlever, soit avec le fermoir, soit avec la gouge, les champs qui doivent être creux dans la planche, autour des traits & des contours de reliefs. Voyez l'article GRAVURE EN BOIS, & aux principes de cet art.

VUIDER, on dit en Fauconnerie, vuider un oiseau pour le purger ; faire vuider le gibier, c'est le faire partir quand les oiseaux sont montés ou détournés.


VUIDURES. f. (Métiers) ce terme est de signification différente en divers métiers ; par exemple, les Peigniers appellent vuidure bien faite, l'égalité du pié des dents d'un peigne ; & parmi les découpeurs, ce mot signifie un ouvrage à jour. (D.J.)

VUIDURE, c'est dans une planche de bois gravée tout ce qui a été vuidé & creusé, pour la finir & la mettre en état de pouvoir servir.


VULCAINS. m. (Mythol. Littérat. Iconolog.) fils de Jupiter & de Junon, est un dieu dont les avantures & les travaux sont immortalisés par les poëtes. Il se bâtit dans le ciel un palais tout d'airain, & parsemé des plus brillantes étoiles. C'est-là que ce dieu forgeron, d'une taille prodigieuse, tout couvert de sueur, & tout noir de cendre & de fumée, s'occupoit sans cesse après les soufflets de sa forge, à mettre en pratique les idées que lui fournissoient sa science divine.

Un jour que le pere des dieux piqué contre Junon de ce qu'elle avoit excité une tempête pour faire périr Hercule, l'avoit suspendue au milieu des airs avec deux fortes enclumes aux piés ; Vulcain, pour son malheur, s'avisa de quitter son palais, & de venir au secours de sa mere. Jupiter indigné de son audace, le prit par un pié, & le précipita dans l'île de Lemnos, où il tomba presque sans vie, après avoir roulé tout le jour dans la vaste étendue des airs. Les habitans de Lemnos le releverent, & l'emporterent ; mais il demeura toujours un peu boiteux de cette terrible chûte.

Cependant par le crédit de Bacchus, Vulcain fut rappellé dans le ciel, & rétabli dans les bonnes graces de Jupiter, qui lui fit épouser la mere de l'Amour. Elle regna souverainement sur son coeur, par l'empire des graces & de la beauté. On n'en peut pas douter, après les preuves convainquantes qu'en rapporte Virgile.

La déesse, dit-il, couchée dans un lit d'or avec son époux, se mit en tête d'avoir de sa main des armes divines pour son cher fils Enée. Rien au monde n'étoit plus difficile que d'obtenir cette grace ; mais elle l'entreprit ; & pour s'en assurer le succès, après lui avoir fait sa supplication d'une voix enchanteresse.

Niveis hinc atque hinc diva lacertis

Cunctantem amplexu molli fovet. Ille repente

Accepit solidam flammam ; notusque medullas

Intravit calor, & labefacta per ossa cucurrit.

Non secùs atque olim tonitru cùm rupta corusco

Ignea rima micans percurrit lumine nimbos.

Sensit laeta dolis & formae conscia conjux.

Tunc pater aeterno fatur devinctus amore :

Quidquid in arte meâ possum promittere curae.

Quod fieri ferro, liquido ve potest electro

Quantum ignes animaeque valent, absiste precando

Viribus indubitare tuis. Ea verba locutus

Optatos dedit amplexus, placidoque petivit

Conjugis infusus gremio per membra soporem.

Aenéide, l. VIII. v. 387.

" Elle l'embrasse tendrement, & le serre amoureusement entre ses deux bras d'une couleur éclatante. Vulcain jusqu'alors insensible, sent renaître toute son ardeur pour sa divine épouse. Un feu qui ne lui est pas inconnu court dans ses veines, & se répand dans tous ses membres amollis. Ainsi l'éclair qui s'échappe de la nue enflammée, vole en un instant d'un pole à l'autre. Vénus voit avec une secrette joie, l'effet de ses caresses, & le triomphe de ses charmes, dont elle connoissoit le pouvoir. Le dieu qui n'avoit jamais cessé de l'aimer, lui répond ; je vous offre, déesse, toutes les ressources de mon art, tout ce que je puis opérer sur le fer & sur le métal de fonte composé d'or & d'argent. Cessez par vos prieres de douter de votre empire sur moi. En même tems, il lui donne les plus vifs & les plus délicieux embrassemens ; enfin il s'endort tranquillement sur son sein. "

Voilà pour la fable, passons à l'historique. Cicéron reconnoît quatre Vulcains ; le premier, fils du Ciel ; le second, du Nil ; le troisieme, de Jupiter & de Junon ; & le quatrieme, de Ménalius ; c'est ce dernier qui habitoit les îles Vulcanies.

Le Vulcain fils du Nil, avoit regné le premier en Egypte, selon la tradition des prêtres ; & ce fut l'invention même du feu qui lui procura la royauté ; ensuite cette invention jointe à sa sagesse, lui mérita après sa mort, d'être mis à la tête des divinités égyptiennes.

Le troisieme Vulcain, fils de Jupiter & de Junon, fut un des princes Titans qui se rendit illustre dans l'art de forger le fer. Diodore de Sicile dit, qu'il est le premier auteur des ouvrages de fer, d'airain, d'or, d'argent, en un mot, de toutes les matieres fusibles. Il enseigna tous les usages que les ouvriers & les autres hommes peuvent faire du feu. C'est pour cela que ceux qui travaillent en métaux, donnent au feu le nom de Vulcain, & offrent à ce dieu des sacrifices, en reconnoissance d'un présent si avantageux. Ce prince ayant été disgracié, se retira dans l'île de Lemnos, où il établit des forges ; & voilà l'origine de la fable de Vulcain précipité du ciel en terre.

Les Grecs mirent ensuite sur le compte de leur Vulcain, tous les ouvrages qui passoient pour des chefs-d'oeuvre dans l'art de forger : comme le palais du Soleil, les armes d'Achille, celles d'Enée, le fameux sceptre d'Agamemnon, le collier d'Hermione, la couronne d'Ariadne, &c.

Les monumens représentent ce dieu d'une maniere assez uniforme ; il y paroît barbu, la chevelure un peu négligée, couvert à-demi d'un habit qui ne lui descend qu'au-dessus du genou ; portant un bonnet rond & pointu, tenant de la main droite un marteau, & de l'autre des tenailles.

Quoique tous les mythologues assûrent que Vulcain soit boiteux, ses statues ne le représentent pas tel. Les anciens peintres & sculpteurs, ou supprimoient ce défaut, ou l'exprimoient peu sensible. Nous admirons, dit Cicéron, ce Vulcain d'Athènes, fait par Alcamène : il est debout & vêtu ; il paroît boiteux, mais sans aucune difformité.

Les Egyptiens peignoient Vulcain marmouzet. Cambise au rapport d'Hérodote étant entré dans le temple de Vulcain à Memphis, se moqua de sa figure, & fit des éclats de rire. Il ressembloit, dit-il, à ces dieux que les Phéniciens appelloient Pataïques, & qu'ils peignent sur la proue de leurs navires. Ceux qui n'en ont point vu, entendront ma comparaison, si je leur dis que ces dieux sont faits comme des pigmées.

Le temple de Vulcain à Memphis, devoit être de la derniere magnificence, à en juger par le récit d'Hérodote.

Les rois d'Egypte se firent gloire d'embellir, à l'envi les uns des autres, cet édifice commencé par Ménès, le premier des rois connu en Egypte.

Vulcain eut plusieurs temples à Rome, mais le plus ancien, bâti par Romulus, étoit hors de la ville ; les augures ayant jugé que le dieu du feu ne devoit pas être dans Rome. Tatius fit pourtant bâtir un temple à ce dieu dans l'enceinte de la ville ; c'étoit dans ce dernier temple que se tenoient assez souvent les assemblées du peuple, où l'on traitoit les affaires les plus graves de la république. Les Romains ne croyoient pas pouvoir invoquer rien de plus sacré pour assurer les décisions & les traités qui s'y faisoient, que le feu vengeur, dont ce dieu étoit le symbole.

On avoit coutume dans ses sacrifices, de faire consumer par le feu toute la victime, ne réservant rien pour le festin sacré ; ensorte que c'étoient de véritables holocaustes. Ainsi le vieux Tarquin, après la défaite des Sabins, fit brûler en l'honneur de ce dieu, leurs armes & leurs dépouilles.

Les chiens étoient destinés à la garde de ses temples ; & le lion qui dans ses rugissemens, semble jetter du feu par la gueule, lui étoit consacré. On avoit aussi établi des fêtes en son honneur ; dans la principale, on couroit avec des torches allumées, qu'il falloit porter sans les éteindre jusqu'au but marqué.

On regarda, comme fils de Vulcain, tous ceux qui se rendirent célebres dans l'art de forger les métaux ; Olénus, Albion & quelques autres ; Brontéus & Erictonius ont passé dans la fable pour ses véritables enfans.

Les noms les plus ordinaires qu'on donne à ce dieu, sont Héphestos, Lemnius, Mulciber ou Mulcifer, Ethneus, Tardipes, Junonigena, Chrysor, Caleopodion, Amphigimeus, &c. (D.J.)


VULCANALESS. f. pl. (Mythol.) fête de Vulcain, qui se célebroit au mois d'Août ; & comme Vulcain est le dieu du feu, ou le feu même, on brûloit une portion des victimes qu'on offroit sur ses autels.


VULCANI INSULA(Géog. anc.) île voisine de la Sicile, selon Ptolomée, l. III. c. iv. & Tite-Live, l. XXI. c. xlix. C'est l'île d'Hiera, située entre la Sicile & l'île de Lipari. Elle étoit consacrée à Vulcain ; Strabon l'appelle le temple de Vulcain ; & Virgile la maison & la terre de Vulcain. Il faut transcrire ici sa description, c'est un chef-d'oeuvre de poésie, mais un chef-d'oeuvre que notre langue ne peut imiter.

Insula sicanium juxtà latus Aeoliamque

Erigitur Liparem, fumantibus ardua saxis ;

Quam subter specus, & Cyclopum exesa caminis

Antra Aetnaea tonant, validique incudibus ictus

Auditi referunt gemitum, striduntque cavernis

Stricturae chalybum ; & fornacibus ignis anhelat ;

Volcani domus, & volcania nomine tellus,

Huc tunc ignipotens coelo descendit ab alto.

Aenéid. l. VIII. v. 416.

" Entre la Sicile & l'île de Lipari, l'une des Eoliennes, s'éleve une île couverte de rochers, dont le sommet vomit d'affreux tourbillons de flammes & de fumée. Sous ces rochers tournans, émules du mont Etna, est un antre profond, miné par les fournaises des Cyclopes, qui sans cesse y font gémir l'enclume sous leurs pesans marteaux. Là un feu bruyant, animé par les soufflets, embrase le fer, qui retentit & étincelle sous les coups redoublés des forgerons. C'est dans cette île ardente, demeure de Vulcain, dont elle porte le nom, que le dieu du feu descendit du haut des cieux ". (D.J.)


VULCANou VOLCANO, l'île de, (Géog. mod.) île d'Italie, voisine, & un peu moins grande que celle de Lipari. On en tire beaucoup de soufre. Sur le haut de cette île du côté du nord, il y a une montagne dont le sommet est ouvert, & dont il sort presque continuellement du feu & de la fumée ; c'est de cette île que nous avons donné le nom de volcans à toutes les montagnes qui jettent du feu. (D.J.)


VULGAIREadj. (Gram.) commun, trivial, ordinaire, du petit peuple ; des idées vulgaires ; des sentimens vulgaires ; penser comme le vulgaire, sur le vice, sur la vertu, sur la religion. Vulgaire s'oppose quelquefois à ancien & savant. On dit les langues vulgaires ; la Vénus vulgaire ou publique, étoit l'opposée de la Vénus Uranie.

VULGAIRE, substitution, (Jurisprud.) la substitution vulgaire est celle qui est faite au profit d'un second héritier au cas que le premier ne recueille pas la succession. V. SUBSTITUTION & FIDEICOMMIS. (A)


VULGATES. f. (Théol.) nom qu'on donne au texte latin de nos bibles, que le concile de Trente a déclaré authentique & préférable aux autres versions latines.

Voici les termes de ce concile, sess. iv. c. ij. " le saint concile considérant que l'église de Dieu ne tireroit pas un petit avantage si de plusieurs éditions latines que l'on voit aujourd'hui, on sçavoit qui est celle qui doit passer pour autentique, ordonne & déclare qu'on doit tenir pour autentique l'ancienne & commune édition qui a été approuvée dans l'Eglise par un long usage de tant de siecles, qu'elle doit être reconnue pour autentique dans les leçons publiques, dans les disputes, dans les prédications, dans les explications théologiques, & veut que nul ne soit si osé que de la rejetter, sous quelque prétexte que ce soit ".

Le concile, comme on voit, ne compare pas la vulgate aux originaux ; il n'en étoit pas question alors ; mais seulement aux autres versions latines qui couroient en ce tems-là, & dont plusieurs étoient suspectes, comme venant d'auteurs inconnus ou hérétiques. C'est donc mal-à-propos qu'on accuse l'Eglise d'avoir préféré la vulgate aux originaux. Salmeron qui avoit assisté au concile de Trente, & Pallavicin qui en a fait l'histoire, nous assurent que le concile n'eut point d'autre intention que de déclarer que la vulgate étoit la seule des versions latines qu'il approuvât & qu'il tînt pour autentique, comme ne contenant rien ni contre la foi ni contre les moeurs.

Il est certain que les chrétiens ont eu de bonne heure des versions de l'Ecriture, & qu'elles s'étoient si fort multipliées & avec tant de différences entre elles, que S. Jérôme assûroit qu'il y avoit autant de versions diverses qu'il y avoit d'exemplaires. Mais parmi ces anciennes versions, il y en eut toujours une plus autorisée & plus universellement reçue, c'est celle qui est connue dans l'antiquité sous le nom d'ancienne italique, itala vetus, de commune, de vulgate, & qui fut appellée ancienne, depuis que S. Jérôme en eût composé une nouvelle sur l'hébreu. La premiere avoit été faite sur le grec des septante, mais on n'en connoît pas l'auteur, pas même par conjecture. On lui avoit donné le premier rang parmi les éditions latines, parce qu'elle étoit la plus attachée à la lettre & la plus claire pour le sens. Verborum tenacior cum perspicuitate sententiae, dit S. Grégoire, praefat. moral. in Job. S. Augustin pensoit aussi qu'elle devoit être préférée à toutes les autres versions latines qui existoient de son tems, parce qu'elle rendoit les mots & le sens ou la lettre, & l'esprit du texte sacré avec plus d'exactitude & de justesse que toutes les autres versions. Nobilius en 1588 & le pere Morin en 1628, en donnerent de nouvelles éditions, prétendant l'avoir rétablie & recueillie dans les anciens qui l'ont citée.

S. Jérôme retoucha cette ancienne version, traduisit sur l'hébreu la plûpart des livres de l'ancien Testament, mais il ne toucha point à ceux qui ne se trouvent qu'en grec, il fit quelques légeres corrections à l'ancienne version italique du pseautier, & traduisit tout le nouveau Testament à la sollicitation du pape S. Damase. C'est cette version de S. Jérôme qu'on appelle aujourd'hui la vulgate, & que le concile de Trente a déclarée autentique.

L'Eglise romaine ne se sert que de cette vulgate de S. Jérôme, excepté quelques passages de l'ancienne qu'on a laissés dans le missel & le pseautier tel qu'on le chante, qui est presque tout entier de l'ancienne italique ; ou, pour mieux dire, notre version du pseautier n'est pas même l'ancienne version latine réformée sur le grec par S. Jérôme ; c'est un mêlange de cette ancienne italique & des corrections de ce saint docteur.

Le concile de Trente ayant ordonné, sess. iv. que l'Ecriture sainte seroit imprimée au plus tôt le plus correctement qu'il seroit possible, particulierement selon l'édition ancienne de la vulgate, le pape Sixte V. donna ses soins à procurer une édition parfaite de la vulgate latine, qui pût servir de modele à toutes celles que l'on feroit dans la suite pour toute l'église catholique. Il employa à cet ouvrage plusieurs savans théologiens qui y travaillerent avec beaucoup d'application. Son édition fut faite dès l'an 1589, mais elle ne parut qu'en 1590 ; & comme elle ne se trouva pas encore dans toute la perfection que l'on desiroit, le pape Clément VIII. en fit une autre édition en 1592, qui a toujours été considérée depuis comme le modele de toutes celles qu'on a imprimées. C'est cette édition que l'église latine tient pour autentique, suivant la déclaration du concile de Trente, & selon la bulle de Clément VIII. Il ne faut pas toutefois s'imaginer que cette édition soit entierement exemte des plus légers défauts. Le cardinal Bellarmin, qui avoit travaillé avec d'autres théologiens à la corriger, reconnoît dans sa lettre à Luc de Bruges qu'il y a encore plusieurs fautes que les correcteurs n'ont pas jugé à-propos d'en ôter, pour de justes causes.

La vulgate du nouveau Testament est celle que S. Jérôme fit sur le grec, & que le concile de Trente a aussi déclaré autentique, sans cependant défendre d'avoir recours aux originaux ; car plusieurs auteurs catholiques, & en particulier le pere Bouhours, qui a employé les dernieres années de sa vie à nous donner une traduction françoise du nouveau Testament, conformément à la vulgate, conviennent que dans le nombre des différences qui se trouvent entre le texte grec & la vulgate, il y en a où les expressions grecques paroissent plus claires & plus naturelles que les expressions latines, desorte que l'on pourroit corriger la vulgate sur le texte grec, au cas que le saint siége l'approuvât. Cependant ces différences ne consistent en général que dans un petit nombre de mots & de syllabes, qui n'influent que rarement sur le sens, outre que dans quelques-unes de ces différences la vulgate est autorisée par un grand nombre d'anciens manuscrits. Ainsi quelque déchaînement que les Protestans aient d'abord marqué contre la vulgate, on peut dire que les plus modérés & quelques-uns des plus habiles d'entr'eux, tels que Grotius, Louis de Dieu, Fagius, &c. ont reconnu qu'elle étoit préférable aux autres éditions latines.

En 1675, l'université d'Oxford publia une nouvelle édition du nouveau Testament grec, & elle prit un soin particulier de comparer le texte grec commun avec tous les manuscrits les plus anciens qui se trouvent en France, en Angleterre, en Espagne & en Italie, & de marquer toutes les différences des uns aux autres.

Dans la préface de cet ouvrage, les éditeurs, en parlant des diverses traductions de la bible en langues vulgaires, observent qu'il n'y en a point qui puisse entrer en comparaison avec la vulgate ; ce qu'ils justifient en comparant les passages des manuscrits grecs les plus célebres avec les mêmes passages de la vulgate où il se trouve quelque différence entr'elle & la commune copie grecque imprimée. En effet, il est probable que dans le tems que S. Jérôme traduisit le nouveau Testament, il avoit des copies grecques plus exactes & mieux conservées que toutes celles dont on s'est servi depuis l'établissement des imprimeries, c'est-à-dire depuis deux siecles. D'où il s'ensuit que cette vulgate est infiniment préférable à toutes les autres versions latines, & à juste titre déclarée autentique.

M. Simon appelle ancienne vulgate grecque la version des septante, avant qu'elle eût été revue & réformée par Origene. La révision d'Origene l'emporta sur cette ancienne version des septante dont on cessa de faire usage ; desorte qu'à-présent à peine en reste-t-il quelques copies. Voyez SEPTANTE.


VULGIENTES(Géog. anc.) peuples de la Gaule narbonnoise : Pline, l. III. c. iv. leur donne pour ville Apta Julia, qui est aujourd'hui la ville d'Apt. Les Vulgientes faisoient partie des Tricorii. (D.J.)


VULNÉRABLEadj. (Gramm.) qui peut être blessé. Les poëtes ont dit qu'Achille n'étoit vulnérable qu'au talon. Achille est ici le symbole de tous les hommes extraordinaires. Quelque parfaits qu'ils aient été, quelque effort qu'ils aient fait pour s'élever audessus de la condition humaine, il leur est toujours resté un endroit vulnérable & mortel ; & c'est toujours un Pâris, quelque ame vile, basse & lâche qui le découvre.


VULNÉRAIRES. f. (Hist. nat. Bot.) vulneraria, genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice qui a la forme d'un tuyau renflé ; il devient dans la suite une silique courte qui contient une semence arrondie. Ajoutez aux caracteres de ce genre que la silique est renfermée dans une vessie membraneuse qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

La vulnéraire sauvage, vulneraria rustica, I. R. H. 591. est des quatre especes de Tournefort la seule qu'on doit ici décrire.

Sa racine est simple, longue, droite, noirâtre, & d'un goût légumineux ; elle pousse des tiges à la hauteur d'environ un pié, grêles, rondes, un peu rougeâtres & couchées par terre ; ses feuilles sont rangées par paires sur une côte, terminée par une seule feuille ; elles sont semblables à celles du galenga, mais un peu plus moëlleuses, velues en-dessous & tirant sur le blanc, d'un verd jaunâtre en-dessus, d'un goût douçâtre accompagné de quelque âcreté ; celles qui soutiennent les fleurs aux sommités des rameaux sont oblongues & plus larges que les autres.

Les fleurs naissent aux sommets des branches disposées en bouquets, légumineuses, jaunes, soutenues chacune par un calice fait en tuyau renflé, lanugineux, argentin & sans odeur ; lorsque la fleur est passée, ce calice s'enfle davantage, & devient une vessie qui renferme une capsule membraneuse remplie pour l'ordinaire d'une ou de deux petites semences jaunâtres.

Cette plante croît aux lieux montagneux, secs, sablonneux, sur des coteaux exposés au soleil, en terrein maigre, & sur les bords des champs. On la cultive quelquefois dans les jardins, à cause de sa fleur qui donne des variétés & qui paroît en Juin. Sa graine mûrit au mois d'Août. (D.J.)

VULNERAIRE, plante, (Médec.) les Médecins appellent plantes vulnéraires celles qui guérissent les plaies & les ulceres tant internes qu'externes. Or les plaies sont quelquefois accompagnées d'hémorrhagies, ou bien elles dégénerent en ulceres lorsqu'elles sont vieilles ; ou même il survient des inflammations autour des plaies ; enfin il se fait encore un amas d'humeurs qui venant à s'épaissir dans les vaisseaux forment des obstructions. Toutes ces circonstances sont fort contraires à la guérison des plaies. C'est pourquoi selon que ces plantes peuvent remédier à ces différens obstacles, on les divise en plusieurs classes, & sur-tout en trois principales.

La premiere classe contient des plantes vulnéraires astringentes, lesquelles en fronçant l'extrémité des vaisseaux ou épaississant le sang, arrêtent les hémorrhagies, & procurent une prompte réunion des parties. La seconde classe contient les plantes vulnéraires détersives qui dissolvent la mucosité âcre attachée aux bords des plaies ; & la troisieme classe renferme les plantes vulnéraires résolutives, qui calment l'inflammation des plaies & résolvent les tumeurs en adoucissant l'acrimonie des humeurs, & en relâchant les fibres qui sont en crispation. (D.J.)

VULNERAIRES DE SUISSE, (Mat. médic.) Voyez FALTRANCK.


VULPINALESS. f. pl. (Antiq. rom.) les vulpinales étoient chez les Romains une fête publique où l'on brûloit des renards ; cette fête se célebroit le 19 Avril. On a imprimé dans les Mémoires de littérature & d'histoire, sur cette fête une dissertation que l'on peut consulter. (D.J.)


VULSI(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne dans la Morée, vers le nord de la Tsaconie, sur le bord de l'Erasino, à quelques lieues au midi oriental du lac Vulsi. (D.J.)

VULSI, LAC, (Géog. mod.) lac de la Turquie européenne, dans la Morée, vers le nord de la Zaconie, au pié du mont Poglisi. Ce lac ce nommoit anciennement Stymphalus Lacus. La riviere Erasino (Stymphalus), prend sa source dans ce lac, & en sort. Sur le bord de cette riviere, il y a une bourgade, à laquelle le lac Vulsi donne son nom.


VULTUR(Géog. anc.) montagne d'Italie, dans la Pouille, au pays des Peucetii, qui est aujourd'hui la terre de Bari. Le nom moderne de cette haute montagne du royaume de Naples est Montechio ; il y a sur son sommet deux lacs assez profonds, & des eaux minérales. Un des coteaux de cette montagne s'avançoit vers la Lucanie, & c'est ce qu'explique le passage d'Horace, l. III. ode 4. où il feint un prodige qui lui arriva sur cette montagne.

Me fabulosae Vulture in Appulo,

Altricis extrà limen Apuliae,

Ludo fatigatumque somno

Fronde novâ puerum palumbes

Texere.

" Un jour étant sur le Vultur, montagne de la Pouille ma patrie, je me retirai, las de jouer, & accablé de sommeil, sur un des coteaux où commence la Lucanie. Là les pigeons de Vénus, si célebres dans nos poëtes, me couvrirent d'une verte ramée ".

Lucain fait aussi mention du Vultur dans ces beaux vers de sa Pharsale, l. IX. vers. 183.

Et revocare parans hibernas Appulus herbas,

Igne fovet terras, simul & Garganus, & arva

Vulturis, & calidi lucent buceta matini.


VULTURIUSS. m. (Mytholog.) surnom donné à Apollon, suivant Conon, narrat. 35. Voici l'histoire qui y donne lieu.

Deux bergers ayant mené paître leurs troupeaux sur le mont Lyssus, près d'Ephèse, ils apperçurent un essaim de mouches à miel qui sortoit d'une caverne fort profonde, & où il n'y avoit pas moyen d'entrer ; aussitôt l'un d'eux imagine de se mettre dans un grand manequin, d'y attacher une corde, & de se faire descendre dans la caverne par son camarade. Quand il fut au bas il trouva le miel qu'il cherchoit, & beaucoup d'or qu'il ne cherchoit pas : il en remplit jusqu'à trois fois son manequin que l'autre tiroit à mesure. Ce trésor épuisé il cria à son camarade qu'il alloit se remettre dans le manequin, & qu'il eût à bien tenir la corde ; mais un moment après il lui vint à l'esprit que l'autre berger pour jouir tout seul de leur fortune, pourroit bien lui jouer un mauvais tour : dans cette pensée, il charge le panier de grosses pierres : en effet, l'autre berger ayant tiré le panier jusqu'en haut, croyant que son camarade est dedans, lâche la corde, & laisse retomber le panier au fond du précipice, après quoi il enfouit tranquillement son trésor, fait courir le bruit que le berger a quitté le pays, & invente des raisons qui le font croire.

Pendant ce tems-là son pauvre compagnon étoit fort en peine, nulle espérance de pouvoir sortir de la caverne : il alloit périr de faim lorsqu'étant endormi, il crut voir en songe Apollon qui lui disoit de prendre une pierre aiguë, de s'en déchiqueter le corps, & de démeurer tout étendu sans remuer, ce qu'il fit. Des vautours attirés par l'odeur du sang, fondent sur lui comme sur une proie, & font tant de leur bec & de leurs ongles, qu'ils l'élevent en l'air, & le portent dans un prochain vallon.

Ce berger ainsi sauvé comme par miracle, va d'abord porter sa plainte devant le juge ; il accuse son compagnon non-seulement de l'avoir volé, mais d'avoir voulu lui ôter la vie : on cherche le malfaiteur, on le prend : atteint & convaincu, il subit la peine qu'il méritoit : on l'oblige à découvrir le lieu où il avoit caché son trésor : on en consacre la moitié à Apollon & à Diane, l'autre moitié on la donne au bon berger, qui par-là devenu riche, érige un autel à Apollon sur le sommet du mont Lyssus, & en mémoire d'un événement si extraordinaire, le Dieu fut surnommé Vulturius. Voilà une fable mythologique bien longue ; c'est un conte de fée bon pour occuper un moraliste. (D.J.)


VULTURNUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Campanie, aujourd'hui le Volturno. Il donnoit son nom à la ville de Volturnum, située à son embouchure, & qu'on nomme encore présentement castello di Voltorno.

Pline, l. III. c. v. dit, Vulturnum oppidum cum amne. Tite-Live parle du fleuve, l. VIII. c. xj. l. X. c. xx. & l. XXII. c. xiv. & il nous apprend, l. XXV. c. xx. que dans la seconde guerre punique, on bâtit à l'embouchure de ce fleuve un fort qui devint dans la suite une ville, où l'on conduisit une colonie romaine. Varron, de ling. lat. l. IV. c. v. écrit Volturnum, & donne à la ville le titre de colonie : colonia nostra Volturnum. L'orthographe de Plutarque differe encore davantage : car il écrit Vaturanus, , à ce que dit Ortélius. (D.J.)


VULVES. f. (Anat.) la vulve s'étend depuis la partie inférieure de l'os pubis, jusqu'au voisinage de l'anus ; desorte qu'entre l'extrémité de cette fente & l'ouverture de l'anus, il n'y a pas plus d'un travers de pouce : cet espace se nomme le périnée. La fente en son extrémité inférieure augmente un peu en largeur & en profondeur, & forme une cavité qu'on appelle la fosse naviculaire.

Quelques filles viennent au monde avec les orifices des parties naturelles tellement fermées, qu'elles ne peuvent même pisser, & dans ce cas il faut que l'enfant périsse, à moins qu'on ne le soulage par l'opération. Roonhuysen, Scultet, Mauriceau, Deventer, la Motte, en citent des exemples. D'autres filles ont le conduit de la pudeur obstrué par une membrane plus ou moins forte, située plus ou moins avant dans ce conduit, & qui le bouche plus ou moins exactement.

Des médecins instruits de ce jeu de la nature, ont désigné les filles chez lesquelles il se rencontre, par l'épithète d'atretae, bouchées. Aristote en a eu connoissance. " Quelques filles, dit-il, ont la vulve bouchée depuis leur naissance, jusqu'au tems que leurs regles commencent à paroître ; pour lors le sang qui cherche à sortir, leur cause des douleurs vives, qui ne cessent qu'après qu'il s'en fraie de lui-même un passage libre, ou qu'on le lui ait procuré par le secours de l'art. Cet état, ajoute-t-il, n'a même quelquefois cessé que par la mort de la malade, soit à cause de la violence avec laquelle ce passage s'est fait, soit par l'impossibilité qu'on a trouvé à l'ouvrir ".

Quelquefois le conduit de la pudeur paroît fermé au-dehors, & y admet à peine un stilet. Mauriceau a vu deux filles, dont l'une n'étoit point perforée dans la partie extérieure de la vulve ; & l'autre, âgée de quatre ans, n'y avoit qu'un petit trou de la grosseur du tuyau d'une plume de pigeon.

Quelquefois encore le vagin se trouve obstrué par une cohérence étroite & forte de ses parties, ou par une substance charnue profondément située dans le conduit, deux cas où l'opération est difficile & dangereuse.

Palfyn rapporte que faisant publiquement la dissection du cadavre d'une fille de vingt-quatre ans, il trouva un ligament charnu de la largeur de deux à trois lignes, qui barroit par le milieu l'entrée du vagin ; il étoit attaché d'une part au-dessous de l'orifice de l'uretre, & de l'autre à la partie inférieure qui regarde l'anus. Il y a des exemples semblables dans les observations de Morgagni. Advers. Anat. 1. pag. 39.

Il est certain que si de tels accidens viennent de naissance, comme Aristote & Celse l'ont observé de leur tems ; il arrive encore plus souvent qu'ils se forment dans les filles & les femmes mariées, de causes externes, comme ensuite de l'ulcération que l'orifice du vagin a souffert dans un accouchement laborieux. Il y en a divers exemples dans Roonhuysen ; Amiand en cite un dans les Transactions philosophiques, n °. 422. Benivenius rapporte un cas de cette nature, occasionné par une maladie vénérienne. Bécher, un autre dont la petite vérole fut la cause. On lit aussi dans Saviard, deux observations de cohérence de la vulve, indiscrettement procurées par des astringens trop efficaces. Je vais citer à ce sujet la seconde des observations de cet habile chirurgien de l'Hôtel-Dieu, en le laissant parler lui-même.

Le premier Avril 1693, une particuliere qui se disoit fille, quoiqu'elle eût toutes les marques d'avoir eu des enfans, vint, dit-il, s'adresser à moi pour lui élargir l'entrée du vagin, dont l'ouverture ne pouvoit qu'à peine admettre l'extrêmité d'un petit stilet. Comme je ne doutois point que cette prétendue fille ne se fût servie d'astringens pour réparer les breches de sa virginité, je la fis mettre sur le lit des accouchées, après quoi je dilatai avec ma lancette, le petit trou qui restoit à sa vulve, autant qu'il falloit pour que ma sonde-creuse pût y entrer ; cette sonde étant introduite jusqu'au fond du vagin, à la faveur de cette premiere dilatation, je glissai un bistouri un peu courbé dans sa rainure, avec lequel j'incisai haut & bas la cohérence & les duretés que j'enlevai ensuite, en lui faisant une ouverture vaginale, capable de recevoir une tente d'un pouce & demi de circonférence ; elle fut chargée d'un onguent digestif, & elle servit dans la suite du traitement, à entretenir l'ouverture jusqu'à la guérison parfaite. Si cette fille est jamais devenue grosse, son accouchement aura été très-difficile.

Licétus prétend avoir trouvé dans une femme la vulve double ; le cas est bien extraordinaire ; cependant Riolan assure qu'il a dissequé, en présence de plusieurs personnes, une espece d'hermaphrodite, qui non-seulement avoit une double vulve, mais encore prolongée jusqu'au fond de l'utérus, & pour surcroît de singularité, l'utérus étoit partagé en deux par une cloison au milieu. (D.J.)

La vulve du cerveau est l'ouverture antérieure du troisieme ventricule, ou plutôt la fente par laquelle il communique avec l'entonnoir. V. ENTONNOIR.


VUNING(Géog. mod.) ville de la Chine, dans la province de Kiangsi, & sa premiere métropole. Elle est de 3. 6. plus occidentale que Pékin, sous les 40. 50. de latitude septentrionale. (D.J.)


VUTING(Géog. mod.) ville de la Chine dans la province de Xantung, & sa premiere métropole. Elle est d'un degré plus orientale que Pékin, sous les 37. 44. de latitude septentrionale. (D.J.)