A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
USubst. masc. (Gram.) c'est la vingtieme lettre de l'alphabet latin ; elle avoit chez les Romains deux différentes significations, & étoit quelquefois voyelle, & quelquefois consonne.

I. La lettre U étoit voyelle, & alors elle représentoit le son ou, tel que nous le faisons entendre dans fou, loup, nous, vous, qui est un son simple, & qui, dans notre alphabet devroit avoir un caractere propre, plutôt que d'être représenté par la fausse diphtongue ou.

De-là vient que nous avons changé en ou la voyelle u de plusieurs mots que nous avons empruntés des Latins, peignant à la françoise la prononciation latine que nous avons conservée : sourd, de surdus ; court, de curtus ; couteau, de culter ; four, de furnus ; doux, de dulcis ; bouche, de bucca ; sous, & anciennement soub, de sub ; genou, de genu ; bouillir, & anciennement boullir, de bullire, &c.

II. La même lettre étoit encore consonne chez les Latins, & elle représentoit l'articulation sémilabiale foible, dont la forte est F ; le digamma , que l'empereur Claude voulut introduire dans l'alphabet romain, pour être le signe non équivoque de cette articulation, est une preuve de l'analogie qu'il y avoit entre celle-là & celle qui est représentée par F. (Voyez I.) Une autre preuve que cette articulation est en effet de l'ordre des labiales, c'est que l'on trouve quelquefois V pour B ; velli pour belli ; Danuvius, pour Danubius.

En prenant l'alphabet latin, nos peres n'y trouverent que la lettre U pour voyelle & pour consonne ; & cette équivoque a subsisté long-tems dans notre écriture : la révolution qui a amené la distinction entre la voyelle U ou u, & la consonne V ou v, est si peu ancienne, que nos dictionnaires mettent encore ensemble les mots qui commencent par U & par V, ou dont la différence commence par l'une de ces deux lettres ; ainsi l'on trouve de suite dans nos vocabulaires, utilité, vue, uvée, vuide, ou bien augment avant le mot avide ; celui-ci avant aulique, aulique avant le mot avocat, &c. C'est un reste d'abus dont je me suis déja plaint en parlant de la lettre I, & contre lequel je me déclare ici, autant qu'il est possible, en traitant séparément de la voyelle U, & de la consonne V.


US. m. c'est la vingt-unieme lettre de l'alphabet françois, & la cinquieme voyelle. La valeur propre de ce caractere est de représenter ce son sourd & constant qui exige le rapprochement des lévres & leur projection en-dehors, & que les Grecs appelloient upsilon.

Communément nous ne représentons en françois le son u que par cette voyelle, excepté dans quelques mots, comme j'ai eu, tu eus, que vous eussiez, ils eurent, Eustache : heureux se prononçoit hureux il n'y a pas long-tems, puisque l'abbé Régnier & le pere Buffier le disent expressément dans leurs grammaires françoises ; & le dictionnaire de l'académie françoise l'a indiqué de même dans ses premieres éditions : l'usage présent est de prononcer le même son dans les deux syllabes heu-reux.

Nous employons quelquefois u sans le prononcer après les consonnes c & g, quand nous voulons leur donner une valeur gutturale ; comme dans cueuillir, que plusieurs écrivent cueillir, & que tout le monde prononce keuillir ; figure, prodigue, qui se prononcent bien autrement que fige, prodige, par la seule raison de l'u, qui du reste est absolument muet.

Il est aussi presque toujours muet après la lettre q ; comme dans qualité, querelle, marqué, marquis, quolibet, queue, &c. que l'on prononce kalité, kerelle, marké, markis, kolibet, keue.

Dans quelques mots qui nous viennent du latin, u est le signe du son que nous représentons ailleurs par ou ; comme dans équateur, aquatique, quadrature, quadragésime, que l'on prononce ékouateur, akouatike, kouadrature, kouadragésime, conformément à la prononciation que nous donnons aux mots latins aequator, aqua, quadrum, quadragesimus. Cependant lorsque la voyelle i vient après qu, l'u reprend sa valeur naturelle dans les mots de pareille origine, & nous disons, par exemple, kuinkouagésime pour quinquagésime, de même que nous disons kuinkouagesimus pour quinquagesimus.

La lettre u est encore muette dans vuide & ses composés, où l'on prononce vide : hors ces mots, elle fait diphtongue avec l'i qui suit, comme dans lui, cuit, muid, &c.


Uu, u, quant à leur figure, sont deux i sans point liés ensemble, ils se forment du mouvement mixte des doigts & du poignet dans leurs parties inférieures & du simple mouvement des doigts dans leur premieres parties. Voyez le vol. des Pl. à la table de l'Ecriture.


UBAYELL', (Géog. mod.) petite riviere de France dans la Provence : elle prend sa source près de l'Arche & de l'Argentiere, traverse la vallée de Barcelonnette, & se rend dans la Durance. (D.J.)


UBEDA(Géog. mod.) cité d'Espagne, au royaume de Jaën, dans l'Andalousie, à une lieue au nord-est de Baeça, dans un campagne fertile en vin, en blé & en fruits. Long. 15. 4. latit. 37. 46.


UBERLINGEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Souabe, sur une partie du lac de Constance, à cinq lieues au nord-ouest de Lindaw. Elle est libre & impériale. Il s'y fait un bon commerce de blé. Long. 28. 50. lat. 47. 35.


UBIENSLES, (Géog. anc.) Ubii ; peuples de la Germanie, compris originairement sous le nom général des Staevones. Ils habitoient premierement au-de-là du Rhin. Leur pays étoit d'une grande étendue. Il confinoit du côté du nord au pays des Sicambres, ce qui est prouvé par la premiere expédition de César dans la Germanie transrhénane ; car lorsqu'il fut arrivé aux confins des Ubiens, il entra dans le pays des Sicambres ; & le Segus pouvoit servir de bornes entre ces deux peuples.

Du côté de l'orient, les Ubiens touchoient au pays des Cattes, comme le prouvent encore les expéditions que César, l. IV. c. xvj. & xjx. l. VI. c. jx. & x. fit au-delà du Rhin, & il est à croire que les sources de l'Adrana & de la Longana, étoient aux confins des deux peuples.

Au midi ils étoient limités par le Mein, qui les séparoit des Helvétiens, des Marcomans & des Sédusiens. Enfin on ne peut point douter que les Ubiens du côté du couchant ne fussent bornés par le Rhin ; car aux deux fois que César passa le Rhin, il entra d'abord dans le pays des Ubiens : outre que le pont qu'il fit à la seconde expédition, joignoit le pays de ces peuples à celui des Treviri. Spener, notit. Germ. ant. l. IV. c. j. & l. IV. c. iij.

Les Ubiens vivoient dans une perpétuelle inimitié avec les Cattes, dont ils devinrent même tributaires ; ce qui fit que les Ubiens furent les premiers des peuples au-delà du Rhin qui rechercherent l'alliance & la protection des Romains. Mais ils ne trouverent pas dans cette alliance & dans cette protection tout le secours dont ils avoient besoin pour se défendre contre des peuples à qui cette démarche les rendit odieux ; & ils couroient risque d'être entierement exterminés, si le consul M. Vipsanius Agrippa ne les eût transférés sur la rive gauche du Rhin, où ils prirent le nom du fondateur de leur colonie, qui l'an 716 de Rome, & 35 ans avant Jesus-Christ, leur bâtit une ville qui fut appellée colonia Agrippina, & Tacite donne le nom d'Agrippinenses à toute la nation.

Il ne paroît pas que les Ubiens eussent des chefs, duces, ou des rois pour les commander. Le commerce qu'ils avoient avec les Gaulois leur en avoient fait prendre quelques manieres ; & à l'exemple de ces peuples, ils avoient un sénat qui géroit les affaires générales ; aussi voyons-nous que les ambassadeurs des Tencteres s'adresserent au sénat de la colonie pour exposer la commission dont ils étoient chargés, & non à aucun prince ni chef. Lorsqu'ils eurent passé le Rhin, ils ne changerent point la forme de leur gouvernement, du-moins n'en a-t-on aucune preuve.

Quant aux bornes du pays qu'ils occuperent en-deçà du Rhin, aucun ancien ne les a déterminées. Cluvier prétend qu'ils avoient le Rhin à l'orient ; du côté du nord ils étoient bornés par une ligne tirée depuis l'embouchure du Roer dans la Meuse, jusqu'à l'endroit ou une autre riviere appellée aussi Roer, se jette dans le Rhin, ils confinoient de ce côté-là au pays des Menapii & des Gugerni ; le Roer, qui se jette dans la Meuse, les bornoit au couchant, & les séparoit du pays des Tongres ; & du côté du midi, l'Aar faisoit la borne entre leur pays & celui des Treviri. (D.J.)


UBIQUISTESou UBIQUITAIRES, s. m. plur. (Hist. ecclés.) secte de Luthériens qui s'éleva & se répandit en Allemagne dans le xvj. siecle, & qu'on nomma ainsi, parce que pour défendre la présence réelle de Jesus-Christ dans l'Eucharistie, sans soutenir la transubstantiation, ils imaginerent que le corps de J.C. est par-tout, ubique, aussi-bien que sa divinité.

On dit que Brentius, un des premiers réformateurs, fit éclorre cette hérésie en 1560, qu'immédiatement après Mélancthon s'éleva contre cette erreur, disant que c'étoit introduire, à l'exemple des Eutychiens, une espece de confusion dans les deux natures en Jesus-Christ ; & en effet il la combattit jusqu'à sa mort.

D'un autre côté, Andrew, Flaccius Illyricus ; Osiander, &c. épouserent la querelle de Brentius, & soutinrent que le corps de J. C. étoit par-tout.

Les universités de Leipsic & de Vittemberg & plusieurs protestans s'opposerent en vain à cette nouvelle doctrine. Le nombre des Ubiquistes augmenta. Six de leurs chefs, savoir Schmidelin, Selneur, Musculus, Chemnitz, Chytraeus & Cornerus s'étant assemblés en 1577 dans le monastere de Berg, ils y composerent une espece de formulaire où l'ubiquité fut établie comme un article de foi.

Cependant tous les Ubiquistes ne sont point d'accord. Les Suédois, par exemple, pensent que le corps de Jesus-Christ pendant le cours de sa vie mortelle étoit présent par-tout ; d'autres soutiennent que ce n'est que depuis son ascension qu'il a cette propriété.

Hornius n'attribue à Brentius que la propagation de l'ubiquisme, & il en rapporte l'invention à Jean de Westphalie, qu'on nomme autrement Westphale, ministre de Hambourg en 1552.

UBIQUISTE, s. m. dans l'université de Paris, signifie un docteur en Théologie, qui n'est attaché à aucune maison particuliere ; c'est-à-dire, qui n'est ni de la maison de Sorbonne, ni de celle de Navarre. On appelle simplement les ubiquistes, docteurs en Théologie, ou docteurs de Sorbonne, au-lieu que les autres se nomment docteurs de la maison & société de Sorbonne, docteurs de la maison & société royale de Navarre. Voyez SORBONNE, DOCTEUR, &c.


UBITRES. m. (Hist. nat.) poisson qui se trouve dans les mers du Brésil ; il a, dit-on, la queue fort longue, & semblable à celle d'une vache, & il la releve de même.


UCCELLO(Géogr. mod.) montagne des Alpes, l'une des croupes du mont Saint-Gothard. On l'appelle autrement Vogelsberg, c'est-à-dire, la montagne de l'oiseau. Voyez VOGELSBERG.


UDENHEIM(Géogr. mod.) ville d'Allemagne, dans l'évêché de Spire, à la droite du Rhin. Elle a été fortifiée dans le dernier siecle, & a pris depuis ce tems-là le nom de Philipsbourg. V. PHILIPSBOURG.


UDESSE(Géog. mod.) province des Indes, au royaume de Bengale, à l'orient de Daca, sur les frontieres du royaume de Tipra. (D.J.)


UDINE(Géog. mod.) en latin Utina, Utinum, ville d'Italie, dans l'état de Venise, capitale du Frioul, entre le Tajamento & le Lisonzo, à 8 milles au sud-ouest de Cividad di Friuli, & à 20 mille au couchant de Garitz. L'air y est tempéré, & le terroir fertile en grains, en vin & fruits délicieux. Long. 30. 45. lat. 46. 10.

Léonard de Utino, ainsi nommé parce qu'il étoit né à Udine, entra dans l'ordre de S. Dominique, & fut un des plus célebres prédicateurs de son tems. Ses sermons écrits en latin, ont eu un débit prodigieux dans le xv. siecle ; cependant quelques éloges qu'on en ait fait, ils tenoient beaucoup du caractere de ceux de Barlette, de Maillard & de Menot ; & si l'on n'y trouve pas des turlupinades semblables aux leurs, dumoins y rencontre-t-on des plaisanteries peu dignes de la gravité de la chaire ; telle est celle-ci tirée du sermon xliij.

Foemina corpus, animam, vim, lumina, vocem,

Polluit, annihilat, necat, eripit, orbat, acerbat.

On a publié les sermons de ce dominicain sous le titre de sermones aurei, & Bayle dit qu'ils furent imprimés pour la premiere fois l'an 1446. A la vérité il produit ses garans, mais il devoit au-contraire censurer une semblable erreur, puisque l'Imprimerie n'a point été connue, ni pratiquée dans aucun pays du monde, avant l'an 1450. La premiere édition des sermons d'or du dominicain d'Udine est de l'an 1473. sans nom de ville, ni d'imprimeur, en 2. vol. in-fol.

Amaseus (Romulus), un des savans de Rome qui brillerent le plus sous le pontificat de Jules III. étoit natif d'Udine. Il a fait paroître son intelligence de la langue grecque par la traduction de Pausanias, & par celle de l'ouvrage de Xénophon, qui concerne l'expédition du jeune Cyrus. Il naquit en 1489, & mourut vers l'an 1550.

Robortello (François), autre critique du xvj. siecle, naquit à Udine, & mourut à Padoue en 1567 à 51 ans. On a de lui un traité de l'histoire, des commentaires sur plusieurs des poëtes grecs & latins, & des ouvrages polémiques pleins d'aigreur & de violence, en particulier contre Alciat, Sigonius & Baptiste Egnatius, qui lui répondit finalement l'épée à la main, ce qui termina la dispute. (D.J.)


UDINI(Géog. anc.) ancien peuple de la Scythie. Pline, l. VI. ch. xij. qui en parle, le met à la droite, à l'entrée du détroit, par lequel on croyoit anciennement que la mer Caspienne communiquoit avec la mer Chronienne.


UDNONS. m. (Bot. exot.) nom donné par Théophraste & Dioscoride, à la truffe qu'on mangeoit communément à la table de leur tems. Dioscoride dit qu'elle étoit lisse en-dehors, rougeâtre en-dedans, qu'on la tiroit de terre, où elle étoit enfouie à une légere profondeur, & qu'elle n'avoit ni tige, ni fleurs, ni feuilles. Cette même truffe se trouve encore de nos jours en Italie. Les Grecs connoissoient une autre espece de truffe d'Afrique, & qu'ils nommoient cyrénaïque ; cette derniere truffe étoit blanche en-dehors, d'un excellent goût, & d'une odeur charmante. (D.J.)


UDON(Géog. anc.) fleuve de la Sarmatie asiatique. Son embouchure dans la mer Caspienne, est marquée par Ptolémée, l. V. c. ix. entre les embouchures de l'Alonias & du Rha. (D.J.)


UDSTEou YSTED, (Géog. mod.) ville de Suede, dans la Scanie, sur la côte méridionale de cette province, à neuf lieues de Lunden, à deux de Malmoe, & à trois de Christianstad. (D.J.)


UFENS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans le nouveau Latium. Au-lieu d'Ufens, Festus écrit Oufens, & dit qu'il donna le nom à la tribu Oufentina. Il coule à l'Orient des marais Pomptins, & se jette dans la mer, ce que Virgile, Aeneid. l. VII. vers. 802. explique de la sorte.

.... Gelidusque per imas

Quaerit iter valles, atque in mare conditur Ufens.

Les eaux d'un fleuve qui coule dans des marais, ne peuvent pas être bien claires : aussi Silius Italicus, l. VIII. vers. 381. dit-il :

.... Et atro

Liventes caeno per squallida turbidus arva,

Cogit aquas Ufens, atque inficit aequora limo.

Claudien, in probini & olybrii, cons. vers. 257. nous fait entendre que ce fleuve serpente beaucoup.

.... Tardatusque suis erroribus Ufens.

Quelques-uns l'appellent présentement Baldino ou Baudino ; mais on le nomme plus communément Aufente.

2°. Ufens, fleuve d'Italie, dans la Gaule Cispadane, selon Tite-Live, l. V. c. xxxv. Les anciennes éditions, aussi-bien que quelques-unes des modernes, portent Utens, au-lieu de Ufens. Cluvier, ital. ant. l. I. c. xxij. est pour la premiere de ces deux manieres d'écrire. Il ajoute que ce fleuve arrose la ville de Ravenne du côté du nord, & qu'on le nomme aujourd'hui Montone. (D.J.)


UGENTO(Géog. mod.) ville d'Italie, qu'on peut mieux appeller village, au royaume de Naples, dans la terre d'Otrante, à 10 milles au sud-est de Gallipoli, & à 12 au sud-ouest de Castro, avec un évêché suffragant d'Otrante. Long. 35. 52. lat. 40. 10. (D.J.)


UGLIou UGLITZ, (Géog. mod.) ville de l'empire russien, au duché de Rostow, sur le Volga. Cette ville est renommée par le malheur de Démétrius, fils du czar Jean-Basile. Ce jeune prince, âgé seulement de neuf ans, y fut tué par les ordres de Boris, son beau-frere, dans la confusion d'un incendie qui consuma une partie de la ville. Deux imposteurs, dans la suite, prirent l'un après l'autre le nom de Démétrius, & se dirent fils de Jean-Basile, ce qui causa de grands troubles dans l'état. (D.J.)


UGOCZ(Géog. mod.) ville de la haute Hongrie, dans le comté de même nom, sur une petite riviere qui se jette dans la Teisse. Long. 41. 28. latit. 48. 27. (D.J.)


UGOGNA(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au duché de Milan, à 10 milles à l'occident du lac Majeur, sur le Tosa. (D.J.)


UGRA(Géog. mod.) riviere de l'empire russien. Elle prend sa source dans le duché de Smolensko, sépare le duché de Moskow de celui de Sévérie, & se jette enfin dans l'Occa. (D.J.)


UHEBEHASONS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) c'est un arbre d'Amérique, nommé, par C. Bauhin, arbor brassicae folio, excelsissima Americana. Il est d'une hauteur & d'une grosseur surprenante, ses branches s'entrelacent les unes dans les autres ; ses feuilles sont semblables à des feuilles de chou. Ses rameaux portent un fruit d'un pié de long. Une infinité d'abeilles trouvent leur nourriture dans ce fruit, & leur logement dans les creux de l'arbre, où elles font leurs rayons & préparent leur miel. (D.J.)


UKCOUMAS. m. (Hist. mod. Culte) c'est le nom sous lequel les Esquimaux, qui habitent les pays voisins de la baie de Hudson, désignent l'être suprême, en qui ils reconnoissent une bonté infinie. Ce nom, en leur langue, veut dire grand chef. Ils le regardent comme l'auteur de tous les biens dont ils jouissent. Ils lui rendent un culte ; ils chantent ses louanges dans des hymnes que M. Ellis trouva graves & majestueuses. Mais leurs opinions sont si confuses sur la nature de cet être, que l'on a bien de la peine à comprendre les idées qu'ils en ont. Ces sauvages reconnoissent encore un autre être qu'ils appellent Ouitikka, qu'ils regardent comme la source de tous leurs maux ; on ne sait s'ils lui rendent des hommages pour l'appaiser.


UKERL 'ou UCKER, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, dans l'électorat de Brandebourg. Elle sort du petit lac d'Uker, entre dans la Poméranie, & se jette dans le Grosse-Haff. (D.J.)


UKERMARCou UCKERMARCK, (Géog. mod.) contrée d'Allemagne, dans l'électorat de Brandebourg, dont elle fut une des trois marches. Ce pays est borné au nord & à l'orient par la Poméranie, au midi par la moyenne Marche de Brandebourg, & à l'occident, partie par le Mecklenbourg, partie par le comté de Rappin. Les principaux lieux de l'Ukermarck sont Prenslow, Strasbourg, Templin & New-Angermund. (D.J.)


UKERMUNDou UCKERMUNDE, (Géogr. mod.) ville d'Allemagne, dans la Poméranie, à l'embouchure de l'Uker, à trois lieues d'Anclam, avec un château bâti par Bogislas III. duc de Poméranie. Long. 32. 4. latit. 53. 52. (D.J.)


UKRAINE(Géog. mod.) contrée d'Europe, bornée au nord par la Pologne & la Moscovie, au midi par le pays des tartares d'Oczakou, au levant par la Moscovie, & au couchant par la Moldavie.

Cette vaste contrée s'appelle autrement la petite Russie, la Russie rouge, & mieux encore la province de Kiovie ; elle est traversée par le Dnieper que les Grecs ont appellé Boristhène. La différence de ces deux noms, l'un dur à prononcer, l'autre mélodieux, sert à faire voir, avec cent autres preuves, la rudesse de tous les anciens peuples du Nord, & les graces de la langue grecque.

La capitale Kiou, autrefois Kisovie, fut bâtie par les empereurs de Constantinople, qui en firent une colonie ; on y voit encore des inscriptions grecques de douze cent années : c'est la seule ville qui ait quelque antiquité, dans ces pays où les hommes ont vécu tant de siecles sans bâtir des murailles. Ce fut-là que les grands ducs de Russie firent leur résidence, dans l'onzieme siecle, avant que les Tartares asservissent la Russie.

Les Ukraniens qu'on nomme Cosaques, sont un ramas d'anciens Roxelans, de Sarmates, de Tartares réunis. Cette contrée faisoit partie de l'ancienne Scythie. Il s'en faut beaucoup que Rome & Constantinople qui ont dominé sur tant de nations, soient des pays comparables pour la fertilité à celui de l'Ukraine. La nature s'efforce d'y faire du bien aux hommes ; mais les hommes n'y ont pas secondé la nature, vivant des fruits que produit une terre aussi inculte que féconde, & vivant encore plus de rapine, amoureux à l'excès d'un bien préférable à tout, la liberté ; & cependant ayant servi tour-à-tour la Pologne & la Turquie. Enfin ils se donnerent à la Russie en 1654, sans trop se soumettre, & Pierre les a soumis.

Les autres nations sont distinguées par leurs villes & leurs bourgades. Celle-ci est partagée en dix régimens. A la tête de ces dix régimens étoit un chef élu à la pluralité des voix, nommé Hetman ou Itman. Ce capitaine de la nation n'avoit pas le pouvoir suprême. C'est aujourd'hui un seigneur de la cour que les souverains de Russie leur donnent pour itman ; c'est un véritable gouverneur de province semblable à nos gouverneurs de ces pays d'états qui ont encore quelques privileges.

Il n'y avoit d'abord dans ce pays que des Payens & des Mahométans ; ils ont été baptisés chrétiens de la communion romaine, quand ils ont servi la Pologne, & ils sont aujourd'hui baptisés chrétiens de l'église grecque, depuis qu'ils sont à la Russie. Descript. de Russie. (D.J.)


ULA(Géog. mod.) lac, île & ville de Suede, dans la Bothnie orientale. Le laca treize milles de longueur sur dix de largeur ; il se dégorge dans le golfe de Bothnie, par le moyen d'un émissaire ou de la riviere qui porte son nom. L'île est au milieu du lac. Elle a cinq milles de longueur & trois de largeur. La ville, qui est fort petite, est sur la côte du golfe de Bothnie, près de l'endroit où se décharge le lac. Sa long. 42. 35. latit. 65. 16. (D.J.)

ULA ou OULA, (Géog. mod.) ville d'Asie, dans la Tartarie chinoise, sur la riviere orientale du Songoro. Cette ville étoit autrefois la capitale de tout le pays de Nieucheu, & la résidence du plus puissant des Moungales de l'Est. Long. selon le P. Verbiest, 136. 36. latit. 44. 20. (D.J.)


ULACIDES. m. (Hist. mod.) courier à cheval chez les Turcs. Ils prennent en chemin les chevaux de tous ceux qu'ils rencontrent, & leur donnent le leur qui est las. Ils ne courent pas autrement.


ULBANECTES(Géog. anc.) peuples de la Gaule belgique, selon Pline, l. IV. c. xvij. qui dit qu'ils étoient libres.

Le pere Hardouin remarque que tous les manuscrits, ainsi que toutes les éditions qui ont précédé celle d'Hermolaüs, portent Ulumanetes, au-lieu d'Ulbanectes. Il ajoute que ce sont les , auxquels le manuscrit de Ptolémée, l. II. c. ix. conservé dans la bibliotheque du college des jésuites à Paris, donne la ville Ratomagus, qu'il place à l'orient de la Seine : ce sont par conséquent les Subanecti des éditions latines, & que dans la suite on a appellé Silvanectenses. (D.J.)


ULCAMou ULCUMA, (Géog. mod.) royaume d'Afrique, dans l'Ethiopie occidentale, entre Arder & Bénin, vers le nord-est. On en tire des esclaves qu'on vend aux Hollandois & aux Portugais, qui les transportent en Amérique.


ULCERATIONS. f. (Chirurgie) c'est une petite ouverture, ou un trou dans la peau, causé par un ulcere. Voyez ULCERE.

Les remedes caustiques produisent quelquefois des ulcérations à la peau. Voyez CAUSTIQUES. L'arsenic ulcere toujours les parties auxquelles il s'attache. Un flux de bouche ulcere la langue & le palais. Voyez ARSENIC & SALIVATION.


ULCERES. m. terme de Chirurgie, est une solution de continuité, ou une perte de substance dans les parties molles du corps, avec écoulement de pus provenant d'une cause interne, ou d'une plaie qui n'a pas été réunie.

Galien définit l'ulcere une érosion invétérée des parties molles du corps, en conséquence de quoi elles rendent, au-lieu de sang, une espece de pus, ou de sanie ; ce qui empêche la consolidation.

Ettmuller définit l'ulcere une solution de continuité provenant de quelqu'acidité corrosive, qui ronge les parties, & convertit la nourriture propre du corps en une matiere sanieuse. Lorsqu'il arrive une pareille solution de continuité dans une partie osseuse, elle se nomme carie. Voyez CARIE.

Galien pour l'ordinaire emploie indifféremment les mots d'ulcere & de plaie ; mais les Arabes & les modernes après eux, y mettent une distinction. Voyez PLAIE.

On a exclu du nombre des plaies toutes les divisions des parties molles, qui ont pour cause le mouvement insensible des liqueurs renfermées dans le corps même, ou qui sont occasionnées par l'application extérieure de quelques substances corrosives ; & on leur a donné le nom d'ulceres. Toutes les plaies dont les bords enflammés viennent à suppurer, dégénerent en ulceres.

On croit communément que les ulceres spontanés viennent d'une acrimonie, ou d'une disposition corrosive des humeurs du corps, soit qu'elle soit produite par des poisons, par un levain vérolique, ou par d'autres causes.

Les ulceres se divisent en simples & en compliqués. Ils se divisent encore par rapport aux circonstances qui les accompagnent, en putrides ou sordides, dont la chair d'alentour est corrompue & fétide ; en vermineux, dont la matiere étant épaisse ne flue pas, mais engendre des vers, &c. en virulens, qui au-lieu de pus ou de sanie, rendent un pus de mauvaise qualité, &c.

On les distingue encore par rapport à leur figure en sinueux, fistuleux, variqueux, carieux, &c. Voyez SINUS, FISTULE, VARICES, CARIE.

Lorsqu'il survient un ulcere dans un bon tempérament, & qu'il est aisé à guerir, on le nomme simple.

Lorsqu'il est accompagné d'autres symptomes, comme d'une cacochymie qui retarde beaucoup, ou empêche la guérison, on le nomme ulcere compliqué.

Un ulcere simple n'est accompagné que d'érosion. Mais les ulceres compliqués qui surviennent à des personnes sujettes au scorbut, à l'hydropisie, aux écrouelles, peuvent être accompagnés de douleur, de fievre, de convulsions, d'un flux abondant de matiere, qui amaigrit le malade, d'inflammation & d'enflure de la partie, de callosité des bords de l'ulcere, de carie des os, &c.

ULCERE putride ou sordide, est celui dont les bords sont enduits d'une humeur visqueuse & tenace, & qui est aussi accompagné de chaleur, de douleur, d'inflammation, & d'une grande abondance d'humeurs qui se jettent sur la partie. Avec le tems l'ulcere devient plus sordide, change de couleur & se corrompt ; la matiere devient fétide, & quelquefois la partie se gangrene. Les fievres putrides donnent souvent lieu à ces sortes d'ulceres.

ULCERE phagédenique, est un ulcere rongeant, qui détruit les parties voisines tout-à-l'entour, tandis que ses bords demeurent tuméfiés. Lorsque cet ulcere ronge profondément, & se répand beaucoup, sans être accompagné d'enflure, mais se pourrit, & devient sale & fétide, on l'appelle noma. Ces deux sortes d'ulceres phagédeniques, à cause de la difficulté qu'ils ont à se consolider, se nomment aussi dysepulota. Voyez PHAGEDAENA, &c.

ULCERES variqueux, sont accompagnés de la dilatation de quelques veines. Voyez VARICE. Ils sont douloureux, enflammés & tuméfient la partie qu'ils occupent. Quand ils sont nouveaux, & qu'ils sont occasionnés par l'usage des corrosifs, ou proviennent de la rupture d'une varice, ils sont souvent accompagnés d'hémorrhagie.

Les veines voisines de l'ulcere sont alors distendues contre nature ; & on peut quelquefois les sentir entrelacées ensemble en façon de réseau autour de la partie.

Ces sortes d'ulceres surviennent communément aux jambes des artisans obligés par leur état d'être debout. Pour remplir l'indication des veines, il faut avoir recours à un bandage qu'on doit même continuer assez long-tems après la guérison. Le bandage le plus convenable est un bas étroit, qui dans ce cas est d'une utilité particuliere. On se sert avec un grand succès d'un bas de peau de chien qu'on lace, afin qu'il serre plus exactement.

On peut ouvrir une varice pour faire dégorger les vaisseaux tuméfiés. Quand il n'y a qu'une varice, qu'elle est grosse & douloureuse, on peut l'emporter en faisant la ligature de la veine au-dessus & au-dessous de la poche variqueuse, comme on fait dans l'anevrisme vrai.

ULCERES sinueux sont ceux qui de leur orifice s'étendent obliquement ou en ligne courbe. On peut les reconnoître au moyen de la sonde, ou d'une bougie, &c. ou par la quantité de matiere qu'ils rendent à-proportion de leur grandeur apparente.

Ils vont quelquefois profondément, & ont divers contours. On ne les distingue des fistules que parce qu'ils n'ont point de callosités, sinon à leur orifice. Voyez SINUS.

ULCERES fistuleux, sont des ulceres sinueux & calleux, & qui rendent une matiere claire, séreuse & fétide. Voyez FISTULE.

ULCERES vieux, se guérissent rarement sans le secours des remedes internes, qui doivent être propres à absorber & à détruire le vice humoral. Tels sont particulierement les sudorifiques, les décoctions des bois, les antimoniaux, les préparations tirées de la vipere, les volatils ; mais par-dessus tous les vomitifs souvent réitérés.

Dans les ulceres rébelles, la salivation mercurielle est souvent nécessaire. Les vieux ulceres sont souvent incurables, à moins qu'on n'ouvre un cautere à la partie opposée.

La guérison en seroit même fort dangereuse sans cette précaution. Car la matiere dont la nature avoit coutume de se débarrasser par ces ulceres invétérés, séjournant dans la masse du sang, se dépose sur quelque viscere, ou cause une diarrhée colliquative, ou une fievre qui emportent le malade.

Les ulceres simples & superficiels se guérissent ordinairement en appliquant sur le mal un plumasseau chargé de baume d'arcaeus ou de basilicum, & pardessus le plumasseau un emplâtre de diachylum simple, ou de minium, & pansant une fois le jour, ou plus rarement.

La fréquence des pansemens doit se régler sur la quantité & sur la qualité du pus. Un ulcere dont le pus est en quantité modérée, & de qualité louable, doit être pansé plus rarement que celui qui suppure beaucoup, ou dont les matieres acrimonieuses pourroient en séjournant dans la cavité de l'ulcere, occasionner des fusées & autres accidens.

S'il n'y a que l'épiderme de rongé, il suffit d'appliquer un petit onguent, comme le dessicatif rouge ou le diapompholyx, &c. que l'on étend mince sur un linge.

S'il pousse des chairs fongueuses, on peut les ronger avec la pierre infernale, ou avec un cérat dans lequel on a mis un peu de précipité rouge ou d'alun calciné, &c. Lorsqu'il s'agit de guérir les ulceres simples, qui sont produits par l'ouverture des tumeurs ordinaires ; on fait d'abord suppurer l'ulcere avec les digestifs. Voyez DIGESTIFS. Dès que la suppuration commence à diminuer, & que l'on voit paroître dans toute l'étendue de la plaie des grains charnus, rouges & vermeils l'on cesse entierement l'usage des onguens, de peur que la suppuration venant à continuer, ne nuise au malade par la dissipation qu'elle produiroit du suc nourricier ; & pour empêcher en même tems l'excroissance des chairs fongueuses sur les levres de la plaie, on fait usage des détersifs, parmi lesquels les lotions lixivielles sont les plus efficaces ; on passe ensuite à l'usage des remedes dessicatifs & cicatrisans. Voyez DETERSIFS & CICATRISANS.

Les évacuations sont absolument nécessaires dans le traitement des ulceres compliqués, lorsque l'état du malade permet de les employer. Si l'ulcere est fistuleux, sinueux, carcinomateux, &c. & la matiere fétide, séreuse ou sanieuse, il est à propos de joindre le calomelas aux purgatifs, ou de le donner par petites doses entre les purgatifs, afin de ne pas exciter la salivation.

Outre l'usage des purgatifs, il faut ordonner aussi une tisane sudorifique, sur-tout quand on soupçonne que l'ulcere est vénérien. Durant ce tems-là on fera les pansemens convenables.

Lorsque l'ulcere ne cede pas à ce traitement, on propose ordinairement l'usage des antivénériens ; ils ne manquent guere de procurer la guérison, quoique tous les autres remedes aient été inutiles. Si le malade est trop foible pour soutenir la fatigue d'une salivation continue, on peut la modérer, & l'entretenir plus long-tems, à proportion de ses forces.

Les remedes externes pour les ulceres sont des digestifs, des détersifs, des sarcotiques, & des cicatrisans.

Belloste propose un remede, qu'il dit être excellent pour la guérison des ulceres. Ce n'est autre chose qu'une décoction de feuilles de noyer dans de l'eau avec un peu de sucre ; on trempe dans cette décoction un linge, que l'on applique sur l'ulcere, & on réïtere cela de deux en deux, ou de trois en trois jours.

L'auteur trouve que ce remede simple & commun fait suppurer, déterge, cicatrise, empêche la pourriture, &c. mieux qu'aucun autre remede connu.

Un ulcere aux poumons cause la phthisie. Voyez PHTHISIE.

La maladie vénérienne produit beaucoup d'ulceres, sur-tout au prépuce & au gland dans les hommes ; au vagin, &c. dans les femmes ; à la bouche & au palais dans les uns & les autres. Voyez VENERIENNE.

Les ulceres vénériens sont de différentes sortes ; ceux qui deviennent calleux & carcinomateux sont appellés chancres. Voyez CHANCRE.

Le traité des ulceres est un des plus importans de la chirurgie ; on ne peut dans un dictionnaire que donner des notions très-générales sur un genre de maladie, qui pourroit, sous la plume d'un écrivain éclairé & précis, fournir la matiere de deux volumes in-4°. hoc opus, hic labor. (Y)


ULCERERv. act. causer un ulcere. Ce caustique a ulceré la partie à laquelle on l'a appliqué. Il a la jambe ulcerée. On dit aussi au figuré, vous l'avez ulceré. Un coeur ulceré.


ULCI(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Lucanie, selon Ptolémée, l. III. c. j. qui la marque dans les terres. On croit que c'est aujourd'hui Bucino ou Bulcino, sur le Silaro.

Il y a apparence que cette ville se nommoit aussi Vulci, Vulceja, & même Volceja ; car, selon Holsten, p. 290. ses habitans sont nommés Vulcejani & Volcejani, dans quelques inscriptions anciennes. Gruter en effet en rapporte une, où on lit ces mots : VULCEJANAE CIVITATIS ; & on en a déterré une à Burcino, avec ce mot Volcean. Holsten veut encore que les habitans de cette ville soient les Volcentani de Pline, l. III. c. xj. (D.J.)


ULDA(Géog. mod.) riviere de France, dans la Bretagne, selon Grégoire de Tours. C'est aujourd'hui l'Aoust ou l'Oust, qui prend sa source au-dessus de Rohan, coule dans l'évêché de Vannes, & se joint à la Vilaine, près de Rieux.


ULEASTERou ULIASTER, (Géog. mod.) île des Indes orientales, une des Moluques, au voisinage de celle d'Amboine. Les Hollandois ont une loge dans cette île, & la tiennent par-là sous leur domination. (D.J.)


ULEMAS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les Turcs donnent à leur clergé, à la tête duquel se trouve le mufti, qui a sous lui des scheiks ou prélats. Ce corps, ainsi qu'ailleurs, a sçu souvent se rendre redoutable aux sultans, qui cependant ont plusieurs fois reprimé son insolence, en faisant étrangler ses chefs ; unique voie pour se procurer la sûreté dans un pays où il n'y a d'autre loi que celle de la force, que le clergé turc fait trouver très-légitime au peuple, lorsqu'il n'en est pas lui-même la victime.


ULIA(Géogr. anc.) ville de l'Espagne bétique. Ptolémée, l. II. c. iv. la donne aux Turdules, & la place dans les terres. M. Spanheim rapporte une médaille de cette ville ; & dans une inscription conservée par Gruter, p. 271. n °. 1. on lit ces mots : Ordo Reip. Uliensium. Le nom moderne, selon Morales, est monte Major. (D.J.)


ULIARIUS(Géogr. anc.) ville de la Gaule, dans le golfe Aquitanique, selon Pline, l. IV. c. xjx. Elle fut dans la suite nommée Olarion ; c'est Oléron. (D.J.)


ULIEou ULIELAND, (Géog. mod.) île de la Hollande septentrionale, à l'embouchure du Zuyderzée, entre l'île du Téxel & celle de Schelling. Ortélius croit que Ulie est l'île Flevo, de Pomponius Méla. (D.J.)


ULIL(Géog. mod.) île du pays des Soudans, ou Negres, dans l'Océan atlantique, à environ trente lieues de l'embouchure du Niger ; c'est par cette embouchure que l'on transporte dans le pays des Negres le sel que l'île d'Ulil produit en abondance.


ULLAL ', (Géog. anc.) riviere d'Espagne, dans la Galice. Elle a sa source près du bourg d'Ulla, & se perd dans la mer par une grande embouchure.


ULM(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Souabe, sur la gauche du Danube qu'on y passe sur un pont, à quinze lieues au couchant d'Augsbourg, vingt-six nord-est de Munich, & cent quinze ouest de Vienne. Elle est grande, bien peuplée, la premiere des villes impériales de Souabe, & la dépositaire des archives du cercle. Le Danube & le Blaw contribuent à son embellissement, à sa propreté, & sur-tout à son commerce, qui est très-considérable en étoffes, en toiles, en futaines, & sur-tout en quincaillerie. Long. 27. 45. latit. 48. 24.

Ulm a été ainsi nommée à cause de la grande quantité d'ormes qui l'environnoient ; ce n'étoit qu'un petit bourg du tems de Charlemagne, & ce prince en fit donation à l'abbaye de Reichnaw ; l'empereur Lothaire II. ruina ce bourg pendant la guerre qu'il soutint contre Conrard & Frédéric duc de Souabe, qui lui disputoient la couronne : ceux du pays le rebâtirent, l'aggrandirent, & l'entourerent de murailles vers l'an 1200. Ensuite Frédéric II. le gratifia de plusieurs privileges, & Frédéric III. mit Ulm au rang des villes impériales. Son territoire est presque environné du duché de Wirtemberg, & le Danube l'arrose au midi oriental. La disposition de son gouvernement est la même qu'à Augsbourg, la religion luthérienne y regne depuis l'an 1531.

Freinshemius (Jean) naquit dans cette ville en 1608. Il se distingua par sa connoissance des langues mortes, & de presque toutes les langues vivantes de l'Europe. La reine Christine l'appella près d'elle, le fit son bibliothécaire & son historiographe ; mais la froideur du climat qui nuisoit à sa santé, l'obligea de renoncer à tous ces honneurs ; il se retira à Heidelberg, où il mourut cinq ans après en 1660. On a de lui des supplémens de Tacite, de Quinte-Curce, & de Tite-Live, avec des notes sur plusieurs auteurs latins, auxquelles il a joint d'excellentes tables.

Si Freinshemius s'est distingué dans la connoissance de la langue latine & des langues vivantes, Widmanstadius (Jean-Albert), & Hutterus (Elie), tous deux natifs de Ulm, avoient déja dans le seizieme siecle consacré leurs jours à l'étude des langues orientales. Le premier acquit une gloire encore rare dans le monde chrétien, par son édition du nouveau Testament syriaque. Elle parut à Vienne en Autriche en 1555. in-4°. 2. vol. Impensis regiis. On en tira mille exemplaires, dont l'empereur garda cinq cent, & les autres passerent en Orient.

On ne peut rien voir de plus beau (dit M. Simon, Hist. crit. des versions du nouveau Testament, c. xiv.), ni de mieux proportionné que les caracteres de cette édition, qui imitent les manuscrits, en ce qu'on n'y a mis aucune partie des points voyelles qu'on ajoute ordinairement aux mots, pour les lire plus facilement. Les Orientaux négligent pour l'ordinaire le plus souvent dans leurs manuscrits, ces sortes de points, & ceux qui les y ajoutent, n'y mettent que les plus nécessaires. C'est ce que Widmanstadius a aussi observé dans son édition, & il a suivi les manuscrits en plusieurs autres choses, principalement dans une table des leçons que les églises syriennes récitent pendant toute l'année. On trouve de plus dans cette édition, le titre de chaque leçon, marqué dans le corps du livre en des caracteres appellés estranguelo ; & le nombre des sections est indiqué à la marge. Comme ce nouveau Testament syriaque avoit été imprimé à la sollicitation de quelques chrétiens du Levant, & qu'il devoit même servir à leurs usages ; il eût été inutile d'y joindre une interprétation latine.

Hutterus (Elie) doit être né vers l'an 1554, & mérite par ses ouvrages & par son savoir dans les langues orientales, d'être plus connu qu'il ne l'est. Son édition de la bible en hébreu, parut pour la premiere fois à Hambourg en 1587, & lui donna des peines infinies. Elle est intitulée, Via sancta, sive biblia sacra hebraea veteris Testamenti, eleganti & majusculâ caracterum formâ, quâ primo statim intuitu, litterae radicales & serviles, deficientes & quiescentes, è situ & colore discerni possunt. La même bible se trouve sans aucune différence avec la note des années 1588, 1595, & 1603, qui ne sont sans doute que de nouveaux titres mis à l'édition de 1587. A la fin de cette bible on trouve le pseaume 117, en trente langues différentes, pour servir d'essai de la polyglotte que l'auteur se proposoit de publier.

Ce qu'il y a de singulier dans cette bible, & ce qui la distingue de toutes les autres, c'est qu'en faveur de ceux qui apprennent l'hébreu, les lettres radicales sont imprimées en caracteres noirs & pleins, aulieu que les lettres serviles sont d'un caractere creux & blanc ; & les déficientes, ainsi que celles qu'on ne prononce pas (quiescentes), sont au-dessus de la ligne en plus petit caractere.

Quelques savans ont cru que cette méthode étoit fort utile pour les jeunes gens qui apprennent l'hébreu ; mais d'autres personnes éclairées la trouvent plus nuisible qu'avantageuse, en ce qu'elle n'est d'aucun usage, attendu qu'on peut apprendre à lire l'hébreu en quelques jours de tems, sans un pareil secours. A l'égard de l'accentuation, en louant l'exactitude de Hutterus, on lui reproche d'avoir, sur-tout dans les endroits difficiles, consulté son génie plus que les exemplaires, & mis des choses qui ne sont appuyées d'aucune autorité.

Lorsque Hutterus eut achevé sa bible, il entreprit de donner diverses éditions polyglottes des livres de l'ancien & du nouveau Testament, en réunissant avec le texte original, toutes les versions orientales & occidentales : car il entendoit presque toutes ces langues, & il exécuta en partie cette prodigieuse entreprise.

On a de lui deux bibles polyglottes, & diverses parties séparées de l'Ecriture-sainte, en diverses langues. La premiere de ses bibles est en quatre langues, & a paru à Hambourg, in-fol. cinq volum. en 1596. La seconde est en six langues ; M. Bayle ne distingue pas assez nettement cette seconde bible de la premiere ; comme aussi d'un autre côté dom Calmet ne paroît pas avoir connu celle qui est en quatre langues.

La bible en six langues, Biblia hexaglotta quadruplica, parut à Nuremberg en 1599. Hutterus fut aidé par quelques collegues dans son entreprise ; cependant les polyglottes, ainsi que les autres ouvrages de ce genre, qu'il a mis au jour avec le secours de David Woderus, ne lui ont pas fait autant d'honneur qu'il en espéroit. Les savans n'y ont pas trouvé assez de choix pour les versions, & même ils accusent Hutterus d'avoir corrigé trop hardiment le travail des autres. D'ailleurs les polyglottes de Paris & de Londres ont tellement effacé celles d'Allemagne, qu'elles ont trouvé peu d'acheteurs, & moins encore d'admirateurs & de panégyristes : aussi sont-elles extrêmement rares. Hutterus mourut à Nuremberg, peu de tems après l'an 1602. Les inquisiteurs ont trouvé ces ouvrages dignes d'avoir place dans leur catalogue des livres défendus ; mais il y a long-tems que leurs indices expurgatoires servent à illustrer la plûpart des livres qu'ils condamnent. (D.J.)


    
    
ULMAIRES. f. (Hist. nat. Botan.) on connoît l'ulmaire, appellée vulgairement reine des prés, en anglois the meadow-sweet ; il faut donc décrire ici l'ulmaire de Virginie, nommée ulmaria Virginiana, trifolii floribus candidis, amplis, longis, & acutis, par Morisson, part. III. filipendula foliis ternatis, par Linnaeus, hort. Cliff. & Gron. flor. Virg.

Sa racine est dure, fibreuse & noueuse à sa partie supérieure. Elle donne naissance à plusieurs tiges ligneuses, cannelées, d'un rouge foncé, lisses & branchues. Sur ses tiges sont placées, sans ordre, des feuilles oblongues, pointues, ridées, un peu velues par-dessous, au nombre de trois sur la même queue. Elles sont finement dentelées à leurs bords, comme les feuilles de charme, & se terminent en pointe. Ses fleurs sont blanchâtres, panachées de rouge, ayant chacune un pédicule long d'un à deux pouces ; elles sont composées de cinq pétales ou feuilles arrondies, applaties, réfléchies en-dehors, attachées à un calice d'une seule feuille, découpé en cinq quartiers. Le calice donne aussi naissance à plusieurs étamines très-déliées, garnies de sommets, & à cinq embryons qui se terminent en autant de stiles. Les pétales de la fleur étant tombés, le calice devient sec, & renferme cinq graines oblongues, pointues, disposées en rond. L'ulmaire de Virginie est une des plantes auxquelles on a donné mal-à-propos le nom d'ipécacuanha. (D.J.)


ULMEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, au duché de Deux-Ponts, dans l'électorat de Mayence, sur la riviere de Lauter, avec un château. Long. 24. 38. latit. 50. 15. (D.J.)


ULOMELIA(Lexic. médic.) , de pour , entier, & , membre ; ce mot signifie dans Hippocrate la nature absolue & essentielle d'une chose ; c'est ainsi que, dans ses épîtres, il désigne la nature universelle du corps, dont il recommande l'étude aux Médecins ; ce mot veut dire encore dans le même auteur la perfection ou l'intégrité de tous les membres, & alors il est synonyme aux mots sain & entier. (D.J.)


ULON(Lexic. médic.) , au plurier , sont les gencives placées autour des dents ; on a donné chez les Grecs ce nom aux gencives, à cause de leur qualité molle & tendre ; car , dans Hésychius, est rendu par délicat & mollet. (D.J.)


ULOPHONUSS. m. (Hist. nat. Bot. anc.) plante véneneuse, connue de Dioscoride, Galien & autres sous le nom de niger chamaeleon, le chaméléon noir ; ils appellent chaméléon blanc qui étoit une plante bonne à manger, ixias chamaeleon, & ont grand soin de distinguer toujours ces deux plantes par les épithetes de blanche ou de noire ; mais Pline a mieux fait, ce me semble, d'employer le mot particulier ulophonus, pour désigner le chaméléon noir, parce qu'il prévenoit toute erreur à venir. (D.J.)


ULOTHAW(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Westphalie, au comté de Ravensberg, sur la rive gauche du Weser, entre Rintelen & Minden. (D.J.)


ULOTTEvoyez HULOTE.


ULOTTESENTES. m. (Marine) espece de gabare pontée dont on se sert à Amsterdam.


ULPIANUM(Géog. anc.) ville de la haute Moësie, dans la Dardanie, selon Ptolémée, l. III. c. ix. L'empereur Justinien l'ayant réparée, la nomma Seconde Justinienne. Il y avoit dans la Dace une autre ville nommée Ulpianum, que Ptolémée, l. III. c. viij. met au nombre des principales de cette province ; cependant on ne s'accorde point sur le nom moderne de cette ville. (D.J.)


ULSTER(Géog. mod.) en latin Ultonia & Ulidia, par les Irlandois Cui-Guilly, c'est-à-dire province de Guilly ; les Gallois disent Ultw, & les Anglois Ulster, province d'Irlande, bornée au nord par l'Océan septentrional ; au midi, par la province de Leinster ; au levant, par le canal de S. George ; & au couchant, par l'Océan occidental ; desorte qu'elle est environnée de trois côtés par la mer. Sa longueur est d'environ 116 milles, sa largeur d'environ 100 milles, & son circuit, en comptant tous les tours & retours, d'environ 460 milles.

Cette province a de grands lacs, d'épaisses forêts, un terroir fertile en grains & en pâturages, & des rivieres profondes & poissonneuses, sur-tout en saumons.

La contrée d'Ulster étoit anciennement partagée entre les Erdini qui occupoient Fermanagh & les environs ; les Venicnii qui avoient une partie du comté de Dunnagal, les Robognii qui possédoient Londonderry, Antrim & partie de Tyrone, les Volentii qui demeuroient autour d'Armagh, les Darni qui habitoient aux environs de Down & les parties occidentales.

Tir-Owen soumit tout ce pays aux Anglois, qui le divisent actuellement en dix comtés : cinq de ces comtés, savoir Louth, Down, Antrim, Londonderry & Dunnagal confinent à la mer ; les cinq autres, savoir Tyrone, Armagh, Fermanagh, Monaghan & Cavan sont dans les terres. Londonderry est regardée pour être la capitale.

Ulster donne le titre de comte au frere ou à un des fils des rois d'Angleterre, qui est d'ailleurs créé duc d'Yorck. Il y a dans cette province un archevêché, six évêchés, dix villes qui ont des marchés publics, quatorze autres de commerce, trente-quatre villes ou bourgs qui députent au parlement d'Irlande, deux cent quarante paroisses, & plusieurs châteaux qui servent à la défense du pays.

Toute la province d'Ulster étant tombée à la couronne sous le regne de Jacques I. par un acte de prescription contre les rebelles, on établit une compagnie à Londres pour former de nouvelles colonies dans cette contrée. La propriété des terres fut divisée en portions médiocres, dont la plus grande ne contenoit pas plus de deux mille acres. On y fit passer des tenanciers d'Angleterre & d'Ecosse. Les Irlandois furent éloignés de tous les lieux capables de défense, & cantonnés dans les pays plats. On leur enseigna l'agriculture & les arts. On pourvut à leur sûreté dans des habitations fixes. On imposa des punitions pour le pillage & le vol. Ainsi de la plus sauvage & la plus désordonnée des provinces de l'Irlande, l'Ulster devint bientôt celle où le regne des loix & d'une heureuse culture parut le mieux établi.

Jacques I. ne souffrit plus dans ce pays-là & dans toute l'étendue de l'île d'autre autorité que celle de la loi, qui garantissoit à l'avenir le peuple du pays de toute tyrannie. La valeur des droits que les nobles exigeoient auparavant de leurs vassaux fut fixée, & toute autre exaction arbitraire défendue sous les plus rigoureuses peines.

Telles furent les mesures par lesquelles Jacques I. introduisit l'humanité & la justice dans une nation qui n'étoit jamais sortie jusqu'alors de la plus profonde barbarie, & de la plus odieuse férocité. Nobles soins ! fort supérieurs à la vaine & criminelle gloire de conquérans, mais qui demandent des siecles d'attention & de persévérance pour conduire de si beaux commencemens à leur pleine maturité. (D.J.)


ULTÉRIEURadj. en Géographie, est un terme qui s'applique à quelque partie d'un pays, située de l'autre côté d'une riviere, montagne ou autre limite qui partage le pays en deux parties. C'est ainsi que le mont Atlas divise l'Afrique en citérieure & ultérieure, c'est-à-dire en deux parties, dont l'une est en-deçà du mont Atlas par rapport à l'Europe, & dont l'autre est au-delà de cette montagne. Chambers.


ULTRAMONDAINadj. (Physiq.) au-delà du monde, terme qu'on applique quelquefois à cette partie de l'univers, que l'on suppose être au-delà des limites de notre monde. Voyez UNIVERS, MONDE, &c.

Ce mot est plus usité en latin qu'en françois. Ultramundanum spatium, espace ultramondain.


ULTRAMONTAINadj. & subst. (Hist. mod.) ce qui est au-delà des monts.

On se sert ordinairement de cette expression relativement à la France & à l'Italie, qui sont séparées l'une de l'autre par des montagnes qu'on appelle les Alpes.

Les opinions des ultramontains, c'est-à-dire des théologiens & des canonistes italiens, tels que Bellarmin, Panorme, & d'autres qui prétendent que le pape est supérieur au concile général, que son jugement est infaillible sans l'acceptation des autres églises, &c. ne sont point reçues en France.

Les Peintres, & sur-tout ceux d'Italie, appellent ultramontains tous ceux qui ne sont point de leur pays. Le Poussin est le seul des peintres ultramontains dont ceux d'Italie paroissent envier le mérite.


ULTZEN(Géog. mod.) ville ou, pour mieux dire, bourg d'Allemagne, dans la basse-Saxe, au duché de Lunebourg, sur la riviere d'Ilmenaw, à sept lieues de Lunebourg. (D.J.)


ULUBRAE(Géog. anc.) chétive bourgade d'Italie, dans le Latium, au voisinage de Velitrae & de Suessa Pometia. Ses habitans sont nommés Ulubrani par Cicéron, l. VII. epist. xij. & Ulubrenses par Pline, l. III. c. v. Quoique Ulubre fût une colonie romaine, selon Frontin, Juvenal, sat. X. vers. 108. nous apprend que c'étoit de son tems un lieu désert ; mais Horace, l. I. epist. 11. 28. a immortalisé le nom de ce méchant village, en écrivant à Bullatius cette pensée si vraie que le bonheur est en nous-mêmes ; & qu'en le cherchant par terre & par mer, c'est vainement se consumer par une laborieuse oisiveté. " Fussiez vous, dit-il, à Ulubre même, vous l'y trouverez ce bonheur, pourvu que vous teniez toujours votre esprit dans une assiette égale & tranquille ".

Quod petis hîc est,

Est Ulubris, animus si te non deficit aequus.

(D.J.)


ULVAS. m. (Hist. nat. Botan. anc.) le mot ulva est fort commun dans les auteurs latins, mais sa signification n'est pas moins disputée. Quelques-uns veulent que ce mot désigne une espece de chien-dent aquatique, d'autres la queue de chat, & d'autres une espece de jonc qui a des masses au sommet. Bauhin imagine que ulva est une mousse marine du genre des algues.

Cette plante, quelle qu'elle soit, est fort célebre dans Virgile, qui en parle, au ij. & au vj. de son Aenéide, comme d'une plante aquatique. Je croirois volontiers que les anciens ont employé le mot ulva, pour un terme générique de toutes les plantes qui croissent sur le bord des eaux courantes ou marécageuses ; c'est pourquoi Pline dit que la sagitta ou fleche d'eau est une des ulva.

Il est vrai que ce terme, dans Caton de re rust. cap. xxxviij. désigne nettement le houblon ; car il dit que la plante ulva s'entortille aux saules, & donne une bonne espece de litiere au bétail ; mais comme ce terme ne se trouve en ce sens que dans ce seul auteur, on peut raisonnablement supposer que c'est une faute de copistes qui ont écrit ulva pour upulus, ancien nom de houblon, car la lettre h initiale qu'on a ajouté, est assez moderne. Pline, par une semblable faute de copiste, appelle le houblon lupus pour upulus. (D.J.)


ULYSSE(Mythol.) roi de deux petites îles de la mer Ionienne, Ithaque & Dulichie, étoit fils de Laerte & d'Anticlie ; c'étoit un prince éloquent, fin, rusé, & qui contribua bien autant par ses artifices à la prise de Troie, qu'Ajax & Diomede par leur valeur ; mais Homere a seul immortalisé ses avantures fictives par son poëme de l'Odyssée, & tous les Mythologues ont tâché d'en expliquer la fable ; cependant sans Homere, Ithaque, Ulysse, & tout ce qui le regarde, nous seroit fort inconnu.

On sait que ce poëte fait aussi partir le jeune Télémaque pour aller trouver son pere ; & qu'après avoir raconté son voyage jusqu'à Sparte, il le laisse là, c'est-à-dire, depuis le quatrieme livre de l'Odyssée jusqu'à l'arrivée d'Ulysse à Ithaque, où il se trouve. C'est cet intervalle qu'a si heureusement rempli l'illustre archevêque de Cambrai dans son Télémaque, un des plus beaux poëmes & le plus sage qui ait jamais été fait.

Ulysse après sa mort reçut les honneurs héroïques, & eut même un oracle dans le pays des Eurithaniens, peuples d'Etolie. Entre les monumens qui nous restent de ce prince, est une médaille de Gorlaeus qui le représente nud, tenant une pique à la main, le pié droit sur une roue : près de lui est une colonne sur laquelle est son casque. (D.J.)


ULYSSEA(Géog. anc.) ville de l'Espagne Bétique ; Strabon, liv. III. p. 149. qui la place au-dessus d'Abdera, dans les montagnes, la donne comme une preuve qu'Ulysse avoit pénétré jusqu'en Espagne, sur le témoignage de Possidonius, d'Artémidore, & d'Asclépiade de Myrlée, qui avoit enseigné la Grammaire dans la Turditanie ; Strabon, l. III. p. 157. ajoute que dans la ville Ulyssea, il y avoit un temple dédié à Minerve, & que l'on voyoit dans ce temple des monumens des voyages d'Ulysse. (D.J.)


ULYSSIS-PORTUS(Géog. anc.) port sur la côte orientale de Sicile, au midi du promontoire appellé aujourd'hui Capo-di-Molini, & dans le lieu où l'on voit présentement une tour nommée Loguina. Les pierres & les cendres que le mont Aetna a jettées depuis, ont tellement comblé ce port, qu'il n'en paroît plus aucun : on ne sauroit dire de quelle grandeur il étoit. Du reste, si on s'en rapporte à Homere, ce ne fut pas dans ce port que relâcha Ulysse ; & si Virgile & Pline mettent le port d'Ulysse près de Catane, ils imitent apparemment en cela quelques anciens commentateurs d'Homere. On voit néanmoins quatre cent ans avant Virgile, qu'Euripide avoit mis le port d'Ulysse dans ce lieu. Cluvier, Sicil. ant. l. I. c. ix. (D.J.)


UMAL ', ou UHMA, (Géog. mod.) riviere de Suede : elle a sa source dans les montagnes de la Laponie suédoise, aux confins de la Norwege, traverse la Bothnie occidentale, & se perd dans le golfe, près de la petite ville ou bourg d'Uma, auquel elle donne son nom. Long. de ce bourg, 37. 35. latit. 63. 50. (D.J.)


UMAGO(Géog. mod.) ville d'Italie, dans l'Istrie, sur la côte occidentale, avec un port ; elle appartient aux Vénitiens, & est presque déserte. Quelques savans la prennent pour la Mingum ou Ningum d'Antonin, qu'il met entre Tergeste & Parentium ; mais Simler prétend que c'est Murgia. (D.J.)


UMBARESS. m. pl. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne en Ethiopie & en Abissinie aux juges ou magistrats civils qui rendent la justice aux particuliers ; ils jugent les procès partout où ils se trouvent, même sur les grands chemins, où ils s'asseient & écoutent ce que chacune des parties a à alléguer ; après quoi ils prennent l'avis des assistans, & décident la question. Mais on appelle des décisions des Umbares à des tribunaux supérieurs.


UMBELLESS. f. chez les Botanistes, sont des touffes rondes, ou têtes de certaines plantes, serrées les unes contre les autres, & toutes de même hauteur. Les umbelles claires sont celles qui se trouvent éloignées les unes des autres, quoique toutes d'une même hauteur. Voyez UMBELLIFERES.


UMBELLIFERESadj. f. (Botan.) on nomme ainsi les plantes qui ont leurs sommités branchues, & étendues en forme d'umbelles ou parasols, sur chaque petite subdivision desquelles vient une petite fleur. Tel est le fenouil, l'aneth, &c. Voyez PLANTE.

Cette fleur est toujours à cinq pétales ; il lui succede deux semences qui sont à nud & jointes l'une contre l'autre, qui sont le véritable caractere qui distingue ces sortes de plantes des autres.

La famille des plantes umbelliferes est fort étendue ; Ray les distingue en deux classes.

La premiere est de celles qui ont les feuilles très-divisées, & d'une figure triangulaire, & dont les semences sont ou larges ou plates, comme le sphondylium, la pastinaca latifolia, le panax heracleum, le tardylium, l'oreoselinum, le thysselium, l'apium à feuilles de ciguë, le daucus alsaticus carvi folio, l'aneth, le peucedanum, le thapsia, le ferula, &c. ou dont les semences sont plus grosses & moins applaties que les premieres ; comme le cachrys, le laserpitium, la cicutaire ordinaire, le scandix, le cerfeuil, le myrrhis, l'angélique des jardins, le levisticum, le siler montanum, le bulbocastanum, le sisarum, l'oenanthe, le sium, la pimprenelle, l'ache, la ciguë, le visnaga, la saxifrage, le crithmum, le fenouil, le daucus ordinaire, l'anis, le caucalis, la coriandre, le pastinaca marina, &c.

La seconde classe est de celles qui ont les feuilles simples & sans division, ou du-moins seulement un peu découpées ; comme le perfoliata, le buplevrum, l'astrantia nigra, la sanicle, & le séseli d'Ethiopie.


UMBELLIFORMESfleurs umbelliformes. Voyez FLEUR.


UMBER(Géog. anc.) 1°. lac d'Italie dans l'Umbrie, selon Properce.

Et lacus aestivis intepet Umber aquis.

Ce lac est nommé Ombros ou Ombrus, par Etienne le géographe ; Scaliger veut que ce soit le vadimonis lacus de Tite-Live & de Pline ; & par conséquent ce seroit aujourd'hui lago di Bessanello.

2°. Umber, fleuve d'Angleterre, selon Bede, cité par Ortelius. Il conserve son ancien nom ; car on le nomme encore présentement Humber. (D.J.)


UMBILICou NOMBRIL, en Anatomie, est le centre de la partie moyenne du bas-ventre ou abdomen ; & c'est par-là que passent les vaisseaux umbilicaux qui vont du foetus au placenta.

Le mot est purement latin ; il est formé d'umbo, qui signifie la petite bosse qu'on voyoit au milieu d'un bouclier ; parce que cette bosse ressembloit au nombril. Voyez UMBILICAUX vaisseaux.


UMBILICALadj. en Anatomie, est ce qui a rapport à l'umbilic ou nombril. Voyez UMBILIC, &c.

UMBILICALE, région, est la partie de l'abdomen qui est autour de l'umbilic ou nombril. Voyez ABDOMEN & REGION.

UMBILICAUX, vaisseaux, sont un assemblage de vaisseaux propres au foetus, & qui forment ce qu'on nomme le cordon umbilical. Voyez FOETUS, ARRIERE-FAIX, &c.

Ces vaisseaux consistent en deux arteres, une veine, & l'ouraque.

Les arteres umbilicales viennent des iliaques près de leur division en externes & internes, & passant ensuite de chaque côté de la vessie & à-travers le nombril, vont se rendre au placenta.

La veine umbilicale vient du placenta par une infinité de rameaux capillaires qui se réunissent en un seul tronc, lequel va se rendre au foie du foetus, & se distribue en partie dans la veine-porte, & en partie dans la veine-cave.

L'ouraque ne se découvre manifestement que dans les animaux, quoiqu'il n'y ait pas lieu de douter qu'il n'existe aussi dans l'homme. Voyez OURAQUE.

L'usage des vaisseaux umbilicaux est d'entretenir une communication entre la mere & le foetus. Quelques auteurs prétendent que c'est par-là que le foetus reçoit sa nourriture, & qu'il croît comme une plante dont la mere est pour ainsi dire la racine, les vaisseaux umbilicaux la tige, & l'enfant est la tête ou le fruit. Voyez CIRCULATION, NUTRITION, FOETUS, &c.

UMBILICAL, cordon, est une espece de cordon formé par les vaisseaux umbilicaux, lesquels étant enveloppés dans une membrane ou tunique commune, traversent l'arriere-faix, & se rendent d'un côté au placenta de la mere, & de l'autre à l'abdomen du foetus.

Le cordon umbilical est membraneux, tortillé, & inégal ; il vient du milieu de l'abdomen du foetus, & se rend au placenta de la mere : il est ordinairement de la longueur d'une demi-aune, & de la grosseur d'un doigt. Il devoit nécessairement avoir cette longueur, afin que le foetus devenant fort, ne pût pas le rompre en s'étendant & se roulant de tout côté dans la matrice, & afin qu'il pût servir à tirer plus aisément l'arriere-faix après l'accouchement.

La route que tient ce cordon de l'umbilic jusqu'au placenta n'est pas toujours la même. Quelquefois il va du côté droit au cou du foetus, & l'ayant entouré, descend pour gagner le placenta. D'autres fois il va du côté gauche au cou, &c. D'autres fois il ne va point du tout au cou du foetus, mais se porte d'abord un peu vers la poitrine, & tournant ensuite autour du dos, se rend de-là au placenta.

Après l'accouchement, on rompt ou on coupe le cordon près du nombril ; ensorte que ses vaisseaux, savoir les deux arteres, la veine & l'ouraque, deviennent entierement inutiles, & se desséchant, se bouchent & ne servent plus que de ligamens pour suspendre le foie.

Le docteur Boerhaave propose une question difficile ; savoir pourquoi tous les animaux mordent & déchirent le cordon umbilical de leurs foetus, dès qu'ils sont nés, sans qu'aucun périsse d'hémorrhagie, tandis que l'homme perd tout son sang en peu de tems, si on ne fait une ligature au cordon avec soin, quoique le cordon soit plus long & plus entortillé dans l'homme, & que par conséquent il y ait moins à craindre l'hémorrhagie ; à cette question on a donné des solutions diverses. Tauvry accuse le luxe de l'homme & son sang plus dissous ; Chirac la lenteur avec laquelle les bêtes mordent, mâchent, & rompent le cordon.

D'autres ont allégué la grandeur des vaisseaux, qu'ils prétendent beaucoup plus vastes que dans les brutes ; mais Fanton a proposé par conjecture, le peu de nécessité de la ligature, & Schulzius nie que le foetus humain perde son sang quoiqu'on ne lie pas le cordon. Dans ce cas Lamotte, Trew, &c. conviennent qu'il n'y a eu qu'une petite hémorrhagie. On trouve, il est vrai, des expériences contraires chez d'autres observateurs, tels que Mauriceau, Hildanus, Burgmann, Quellmalz, & Cramer, qui le sixieme ou le dixieme jour vit le sang sortir pour avoir bassiné le nombril d'une liqueur chaude. Au-reste, on ne peut mieux prouver combien les observateurs varient, & combien il est difficile d'asseoir un jugement sur leurs faits ; il n'y a qu'à rapporter les expériences de Carpi, qui a vû des foetus de cheval & d'âne périr, après avoir rompu leur cordon.


UMBILICUS(Lang. lat.) ce terme signifie le milieu d'une chose, le nombril. Dans Horace, ad umbilicum opus ducere, veut dire achever un ouvrage, y mettre la derniere main, parce que les Romains écrivant leurs ouvrages en long, sur des membranes ou écorces d'arbres, ils les rouloient après que tout étoit écrit, & les fermoient avec des bossettes de corne ou d'ivoire, en forme de nombril, pour les tenir fixes. (D.J.)


UMBILIQUÉECOQUILLE, (Conchyliolog.) coquille contournée en forme de nombril. Rondelet, ainsi qu'Aldrovandus, ont fait mal-à-propos un genre particulier des coquilles umbiliquées, car elles ne sont autre chose que les especes de limaçons, dont la bouche a dans ses environs une ouverture appellée en latin umbilicus, à-cause de sa ressemblance avec l'umbilic humain. (D.J.)


UMBLES. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson du lac de Lausanne, qui ressemble au saumon par la forme du corps, par le nombre & la position des nageoires, par les visceres ; aussi a-t-on donné à ce poisson le nom de saumon du lac de Lausanne. Voyez SAUMON. Il a la bouche grande, & garnie de dents, non-seulement aux deux mâchoires, mais encore sur la langue ; la tête est de couleur livide ; les couvertures des ouies ont une belle couleur argentée, à l'exception de l'extrêmité qui est d'un jaune doré. Ce poisson est très-bon à manger ; il a la chair seche & dure, sur-tout lorsqu'il est vieux ; il a jusqu'à deux coudées de longueur lorsqu'il a pris tout son accroissement. Rondelet, hist. des poissons des lacs, chap. xij. Voyez POISSON.

UMBLE-CHEVALIER, (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson qui se trouve aussi dans le lac de Lausanne ; il ressemble entierement au saumon & à la truite saumonée pour la forme du corps, & par le nombre & la position des nageoires ; il ne differe de l'umble simplement dit, qu'en ce qu'il est plus grand. Le dos a une couleur mêlée de bleu & de noir, & le ventre est d'un jaune doré. La chair de ce poisson est dure & seche ; la tête passe pour la partie la plus délicate, comme dans le saumon. Rondelet, histoire nat. des poissons des lacs, chap. xiij. Voyez POISSON.


UMBREvoyez OMBRE.


UMBRIATICO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, sur le Lipuda, à 20 milles au nord de Sancta-Severina, dont son évêché est suffragant. Longit. 34. 52. lat. 39. 27. (D.J.)


UMBRIEUmbria, (Géog. anc.) contrée d'Italie, bornée au nord par le fleuve Rubicon, à l'orient par la mer Supérieure & par le Picenum ; au midi encore par le Picenum & par le Nar ; au couchant, par l'Etrurie, dont elle étoit séparée par le Tibre.

Cette contrée qui étoit partagée en deux par l'Apennin, est appellée par les Grecs , du mot , imber, à cause des pluies qui avoient inondé le pays. Pline, l. III. c. xiv. appuie cette origine : Umbrorum gens antiquissima Italiae existimatur, ut quos Umbrios à graecis putent dictos, quod inundatione terrarum umbribus superfuissent.

Solin dit, que d'autres ont prétendu que les Umbres étoient descendus des anciens Gaulois : c'est ce qui ne seroit pas aisé à prouver. On pourroit dire néanmoins avec fondement, que les Sénonois habiterent la partie maritime de l'Umbrie, depuis la mer jusqu'à l'Apennin, & qu'ils se mêlerent avec les Umbres : mais les Sénonois ne furent pas les premiers des Gaulois qui passerent en Italie.

Quoi qu'il en soit, les auteurs latins ont tous écrit le nom de cette contrée par un u, & non par un o, comme les Grecs. Etienne le géographe en fait la remarque. Après avoir dit, le peuple étoit appellé , Ombrici ; & , Ombri ; il ajoute , dicuntur ab Italis scriptoribus Umbri.

L'Umbrie étoit la patrie de Properce, & il nous l'apprend lui-même au premier livre de ses élégies :

Proxima supposito contingens Umbria campo

Me genuit terris fertilis uberibus.

On dit au pluriel, Umbri, & au singulier, Umber, selon ces vers de Catulle, in Egnatium.

Si urbanus esses, aut Sabinus, aut Tiburs

Aut porcus Umber, aut obesus Hetruscus.

On voit la même chose dans une inscription de Préneste, rapportée par Gruter, p. 72. n. 5.

Quos Umber sulcare solet, quos

Tuscus arator.

L'Umbrie maritime, ou du-moins la plus grande partie de ce quartier, qui avoit été habitée par les Gaulois Sénonois, conserva toujours le nom d'Ager gallicus ou gallicanus, après même que le pays eut été restitué à ses premiers habitans : c'est ce qui fait que Tite-Live, l. XXXIX. c. lxiv. dit coloniae duae Potentia in Picenum, Pisaurum in gallicum agrum deductae sunt. (D.J.)


UMBRO(Géog. anc.) fleuve d'Italie. Pline, liv. III. c. v. dit qu'il est navigable ; ce que Rutilius, liv. I. v. 337. n'a pas oublié :

Tangimus Umbronem : non est ignobile flumen,

Quod tuto trepidas excipit ore rates.

L'itinéraire d'Antonin, dans la route maritime de Rome à Arles, met Umbronis fluvius entre Portus Telamonis & Lacus Aprilis, à 12 milles du premier de ces lieux, & à 18 du second. Ce fleuve se nomme aujourd'hui l'Umbrone ; c'est sans-doute l'Umber de Properce, & l'Ombros d'Etienne le géographe. (D.J.)


UMBUS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) espece de prunier du Brésil, nommé par Pison, arbor prunifera Brasiliensis, fructu magno, radicibus tuberosis.

On le prendroit à quelque distance, soit par sa forme, sa grosseur, ou son fruit pour un petit citronnier ; son tronc est court, foible, & divisé en un grand nombre de petites branches tortillées ; ses feuilles sont étroites, unies, d'un beau verd, acides & astringentes au goût ; sa fleur est blanchâtre ; son fruit d'un blanc jaunâtre, semblable à une assez grosse prune, mais dont la pulpe est plus dure, & en plus petite quantité ; il contient un gros noyau, & murit dans les mois pluvieux ; alors il est fort agréable au goût : en tout autre tems, son âcreté est si grande qu'elle agace les dents ; on en fait usage en qualité de rafraîchissant & d'astringent.

Sa racine a quelque chose de particulier, outre qu'elle se répand dans la terre ainsi que celle des autres arbres, elle se met en différens tubercules, compactes & pesans, que vous prendriez à leur forme & à leur couleur extérieure cendrée, pour de grosses patates ; lorsqu'ils sont dépouillés de leur peau, ils sont blancs en-dedans comme de la neige ; leur pulpe est molle, succulente, semblable à celle de la gourde, & se résout dans la bouche en un suc aqueux, froid, doux, & très-agréable.

Ce fruit soulage & rafraîchit dans la fievre, accompagnée de chaleur violente ; il n'est pas inutile aux voyageurs, ainsi que Pison l'a lui-même éprouvé. (D.J.)


UNS. m. (Arithmétique) unité de nombre ; un multiplié par lui-même ne produit jamais qu'un ; une fois un est un, un joint à un autre un, fait deux ; un & un font deux. Un en chiffre arabe s'écrit ainsi (1), en chiffre romain (I) & en chiffre françois, de compte ou finance, ainsi (j). (D.J.)

UN, DEUX, TROIS, (Marine) ces mots sont prononcés par celui qui fait haler la bouline, & au dernier les travailleurs agissent en même tems.


UNA(Géog. anc.) fleuve de la Mauritanie tingitane, selon Ptolémée, liv. IV. ch. j. on croit que c'est la riviere de Sus. (D.J.)


UNANIMEadj. (Gram.) qui a été fait par plusieurs, comme s'ils n'avoient eu qu'une même ame. On dit un accord unanime ; un concert unanime ; un mouvement unanime.


UNANIMITÉS. f. (Gram.) concorde parfaite entre plusieurs personnes. Il regne dans toutes leurs actions la plus grande unanimité. Il y eut dans cette assemblée la plus entiere unanimité.


UNCIALESadj. f. pl. termes d'Antiquaire, les antiquaires donnoient cette épithete à certaines lettres ou grands caracteres dont on se servoit autrefois, pour faire des inscriptions & des épitaphes ; on les nommoit en latin litterae unciales. Ce mot vient d'uncia, qui étoit la douzieme partie d'un tout, & qui en mesure géométrique valoit la douzieme partie d'un pié ou un pouce : & telle étoit la grosseur de ces lettres. (D.J.)


UNCTUARIUMS. m. (Hist. anc.) partie du gymnase des anciens ; c'étoit la piece ou appartement destiné aux onctions qui précédoient ou qui suivoient l'usage des bains, la lutte, le pancrace, &c. Voyez ALYPTERION & GYMNASE.


UNCTUSSICCUS, (Littérat.) les gens aisés qui chez les Romains, ne se mettoient point à table sans s'être auparavant bien parfumés d'essences, sont les uncti d'Horace, que ce poëte oppose aux sicci. Unctus ne désignoit pas seulement un homme parfumé, il indiquoit tout ensemble un homme qui joignoit à l'amour de la parure, le goût pour la chere délicate, unctum obsonium.

Uncta popina, dans Horace est un cabaret bien fourni de tout ce qui peut contribuer à la bonne chere, redolens & optimis cibis plena, comme dit le scholiaste. (D.J.)


UNDALUS(Géog. anc.) ville de la Gaule narbonnoise, dans l'endroit où la riviere Selgae, aujourd'hui la Sorgue, se jette dans le Rhône, selon Strabon, l. IV. pag. 185. qui ajoute que Domitius Aenobarbus défit près de cette ville une grande quantité de Gaulois. Mais Tite-Live, épitom. 50. en parlant de cette victoire du proconsul Cn. Domitius, dit que ce fut sur les Allobroges qu'il la remporta ; & au lieu de nommer la ville Undalum, il la nomme oppidum Vindalium : voici le passage, Cn. Domitius proconsul contrà Allobroges ad oppidum Vindalium feliciter pugnavit.

Il y a apparence que Vindalium oppidum ou Vindalum, sont les vrais noms de cette ville, & que l'Undalus ou Undalum de Strabon, sont corrompus. En effet, Florus, l. III. c. ij. appuie l'orthographe de Tite-Live : car en nommant les quatre fleuves, qui furent témoins de la victoire des Romains, il met du nombre le Vandalicus : c'est ainsi qu'il faut lire, & non Vindalicus, comme portent plusieurs éditions : les Vindéliciens sont trop éloignés, pour qu'aucun fleuve de leur pays puisse être nommé dans cette occasion avec le Var, l'Isere & le Rhône, qui sont les trois autres fleuves dont parle Florus.

Ce fleuve Vandalicus est le Sulgae de Strabon, & avoit peut-être donné son nom à la ville Vandalum, qui étoit à son embouchure. (D.J.)

UNDECIM-VIR, s. m. (Hist. anc.) magistrat à Athènes qui avoit dix collegues tous revêtus de la même charge ou commission.

Leurs fonctions étoient à-peu-près les mêmes que celles de nos prevôts & autres officiers des maréchaussées en France, savoir, d'arrêter, d'emprisonner les criminels, de les mettre entre les mains de la justice, & lorsqu'ils étoient condamnés, de les remettre en prison jusqu'à l'exécution de la sentence.

Les onze tribus d'Athènes élisoient ces magistrats, chacune en nommant un de son corps. Mais après le tems de Clisthenes, ces tribus ayant été réduites au nombre de dix, on élisoit un greffier ou notaire qui complettoit le nombre de onze. C'est pour cela que Cornelius Nepos, dans la vie de Phocion, les appelle , & Julius Pollux les nomme & . Cependant les fonctions des nomophylaces étoient très-différentes. Voyez NOMOPHYLACES.


UNDERSEWEN(Géog. mod.) ou Underseen, petite ville de Suisse, au canton de Berne, dans l'Oberland ou pays d'en-haut, au bord du lac de Thoun, entre ce lac & celui de Brienz. Les Bernois y ont un avoyer. Long. 25. 44. latit. 46. 37. (D.J.)


UNDERWALD(Géog. mod.) canton de Suisse, le sixieme en rang, il est nommé élégamment en latin Subsylvania. Ce canton est borné au nord par celui de Lucerne & par une partie du lac des quatre cantons, au midi par le canton de Berne, dont il est séparé par le mont Brunick, à l'orient par des hautes montagnes qui le séparent du canton d'Uri, & à l'occident par le canton de Lucerne encore.

Il est partagé en deux vallées qu'on peut nommer l'une supérieure, & l'autre inférieure. Ce partage fait par la nature a donné lieu au partage du gouvernement ; car quoique pour les affaires du dehors les deux vallées ne fassent qu'un seul canton, cependant chacune a son gouvernement particulier, son conseil, ses officiers, & même ses terres. La vallée supérieure se divise en six communautés, & la vallée inférieure en quatre. Le terroir des deux vallées est le même, & ne differe presque point de celui des cantons de Lucerne & d'Uri. Quoique les deux vallées aient chacune leur corps & leur conseil à part, elles ont établi pour les affaires du dehors un conseil général, dont les membres se tirent des conseils de chaque communauté.

Le canton d'Underwald est un canton catholique. Il ne possede point de bailliages en propre ; mais il jouit avec d'autres cantons, des bailliages communs du Thurgau, de l'Ober-Freyamter, de Sargans & du Rhein-Thal ; & il nomme encore, comme les onze autres cantons, des baillifs dans les quatre bailliages d'Italie.

Arnold de Melchtal, natif de ce canton, est un des quatre héros de la Suisse, qui le 7 Novembre de l'an 1307 arborerent les premiers l'étendard de la liberté, engagerent leurs compatriotes à secouer le joug de la domination d'Autriche, & à former une république confédérée, qu'ils ont depuis soutenue avec tant de gloire. Melchtal étoit irrité en particulier des horreurs de Grisler, gouverneur du pays, qui avoit fait crever les yeux à son pere. N'ayant point eu de justice de cette violence, il trouva des amis prêts à le venger ; & ils taillerent en pieces un corps de troupes ennemies commandées par le comte de Strasberg. Tell tua Grisler d'un coup de fleche. Enfin le peuple chassa du pays les Autrichiens, & établit pour principe du gouvernement à venir la liberté & l'égalité des conditions. Voyez SUISSE. (D.J.)


UNEDO(Botan. anc.) nom employé par les anciens naturalistes pour désigner un fruit qu'ils estimoient être rafraîchissant & un peu astringent. La plûpart des modernes ont prétendu que ce fruit étoit celui de l'arboisier, parce que Pline le dit lui-même ; mais le naturaliste de Rome contredit dans son opinion tous les anciens écrivains latins, qui ont toujours appellé le fruit de l'arboisier du même nom que l'arbre qui le donne ; je veux dire arbutum ou arbutus. Varron parlant de la cueillette des fruits d'automne, les appelle tous du nom de leurs arbres ; il ne dit point decerpendo unedinem, mais decerpendo arbutum, mora, pomaque. Il est vrai que Servius employa le mot unedo pour le fruit de l'arboisier ; mais c'est l'erreur de Pline qu'il a copiée ; & le fait est si vrai, que d'un côté Galien, & de l'autre Paul Eginete déclarent unanimément que unedo n'est point du-tout le fruit de l'arboisier, mais le fruit de l'épimelis, qui étoit une espèce de neffle appellée sitanienne, ou selon d'autres, une espece de petite pomme sauvage.


UNGEN(Géog. mod.) montagne du Japon, dans l'île de Ximon, entre Nangajaqui & Xima-Bara. Son sommet n'est qu'une masse brûlée, pelée & blanchâtre ; c'est un volcan qui exhale sans cesse une fumée de soufre, dont l'odeur est si forte, qu'à plusieurs milles à la ronde on n'y voit pas un seul oiseau.


UNGHL', (Géog. mod.) riviere de la haute Hongrie. Elle prend sa source aux confins de la Pologne, dans les monts Krapack, donne son nom au comté d'Unghwar qu'elle traverse ; ensuite elle entre dans le comté de Zemblin, où elle se jette dans le Bodrog.


UNGHWAR(Géog. mod.) comté de la haute Hongrie, aux frontieres de la Pologne, dans les monts Krapack. Sa capitale, & seule ville, porte le même nom. (D.J.)

UNGHWAR, (Géogr. mod.) petite ville de la haute Hongrie, capitale du comté du même nom, dans une île formée par la riviere d'Ungh, à douze lieues au levant de Cassovie. Long. 40. 6. latit. 48. 53. (D.J.)


UNGUENTARIUSS. m. (Littér.) les unguentarii étoient les parfumeurs à Rome ; ils avoient leur quartier nommé vicus thurarius, dans la rue Toscane, qui faisoit partie du Vélabre. Elle prit son nom des Toscans qui vinrent s'y établir, après qu'on eut desséché les eaux qui rendoient ce quartier inhabitable : c'est pour cela qu'Horace appelle les parfumeurs, tusci turba impia vici, parce que ces gens-là étoient les ministres de tous les jeunes débauchés de Rome. (D.J.)


UNGUISen Anatomie, est le nom de deux os du nez, qui sont minces comme des écailles, & ressemblent à un ongle, d'où leur vient ce nom. Voyez NEZ.

Les os unguis sont les plus petits os de la mâchoire supérieure, & sont situés vers le grand angle des yeux. Voyez MACHOIRE.

Quelques auteurs les appellent os lacrymans, mais improprement, n'y ayant point de glande lacrymale dans le grand angle. D'autres les nomment os orbitaires.

Il est articulé par son bord supérieur avec le coronal, par son bord antérieur & son inférieur avec le maxillaire & le cornet inférieur du nez, par son bord postérieur avec l'os ethmoïde. Voyez CORNET, ETHMOÏDE, &c.

UNGUIS, (Jardinage) est la partie blanche au bout des feuilles, environnée d'une zone ou ligne épaisse, dentelée, souvent colorée avec des utricules, des épines, des poils & des barbes à l'extrêmité.


UNIPLAIN, SIMPLE, (Synonym.) ce qui est uni, n'est pas raboteux. Ce qui est plain, n'a ni enfoncemens ni élévations.

Le marbre le plus uni est le plus beau. Un pays où il n'y a ni montagnes ni vallées, est un pays plain.

Uni se prend encore pour simple. On dit qu'un ouvrage est uni, lorsqu'on n'y a exécuté aucune sorte d'ornement. (D.J.)

UNI, (terme d'Agriculture) les laboureurs disent travailler à l'uni, pour dire, relever avec l'oreille de la charrue toutes les raies de terre d'un même côté, de telle maniere qu'il ne paroît aucun sillon, lorsqu'on a achevé de labourer le champ, & qu'au contraire il semble tout uni. L'on observe cette maniere de labourer les champs, sur-tout dans les terres seches & pierreuses, & pour y semer seulement des avoines ou des orges qu'on fauche, au lieu de les scier avec la faucille ; pour mieux réussir dans cette sorte de labour, on se sert d'une charrue à tourne-oreille. (D.J.)

UNI, adj. (terme de Manege) on dit cheval qui est uni, pour désigner un cheval dont les deux trains de devant & de derriere ne font qu'une même action, sans que le cheval change de pié ou galope faux. (D.J.)


UNIA(Géog. mod.) île du golfe de Venise, au midi de celle d'Osoro. Il n'y a qu'un village dans cette île, quoiqu'elle ait environ quinze milles de tour. (D.J.)


UNICORNEvoyez NARWAL.


UNICORNUUNICORNU

Il y a une terre de cette espece qu'on appelle magnes carneus ou aimant de chair : c'est une terre bolaire, fort seche, & qui s'attache fortement à la langue.


UNIFORMEUNIFORMITÉ, (Gram.) ce sont les opposés de divers & diversité, d'inégal & d'inégalité, de varié & variété. On dit des coutumes uniformes, une conduite uniforme, une vie uniforme, égale à elle-même, la veille constamment semblable au jour & le jour au lendemain.

UNIFORME, adj. (Méchan.) le mouvement uniforme est celui d'un corps qui parcourt des espaces égaux en tems égaux ; telle est au-moins sensiblement le mouvement d'une aiguille de montre ou de pendule. Voyez MOUVEMENT.

C'est dans le mouvement uniforme que l'on cherche ordinairement la mesure du tems. En voici la raison ; comme le rapport des parties du tems nous est inconnu en lui-même, l'unique moyen que nous puissions employer pour découvrir ce rapport, c'est d'en chercher quelqu'autre plus sensible & mieux connu, auquel nous puissions le comparer ; on aura donc trouvé la mesure du tems la plus simple, si on vient à bout de comparer de la maniere la plus simple qu'il soit possible, le rapport des parties du tems, avec celui de tous les rapports que l'on connoit le mieux. De-là il résulte que le mouvement uniforme est la mesure du tems la plus simple : car d'un côté le rapport des parties d'une ligne droite est celui que nous saisissons le plus facilement ; & de l'autre, il n'y a point de rapports plus aisés à comparer entr'eux, que des rapports égaux. Or dans le mouvement uniforme, le rapport des parties du tems est égal à celui des parties correspondantes de la ligne parcourue. Le mouvement uniforme nous donne donc tout-à-la-fois le moyen, & de comparer le rapport des parties du tems, au rapport qui nous est le plus sensible, & de faire cette comparaison de la maniere la plus simple ; nous trouvons donc dans le mouvement uniforme, la mesure la plus simple du tems.

Je dis, outre cela, que la mesure du tems par le mouvement uniforme, est indépendamment de la simplicité, celle dont il est le plus naturel de penser à se servir. En effet, comme il n'y a point de rapport que nous connoissions plus exactement que celui des parties de l'espace, & qu'en général un mouvement quelconque dont la loi seroit donnée, nous conduiroit à découvrir le rapport des parties du tems, par l'analogie connue de ce rapport avec celui des parties de l'espace parcouru ; il est clair qu'un tel mouvement seroit la mesure du tems la plus exacte, & par conséquent celle qu'on devroit mettre en usage préférablement à toute autre. Donc, s'il y a quelque espece particuliere de mouvement, où l'analogie entre le rapport des parties du tems & celui des parties de l'espace parcouru, soit connue indépendamment de toute hypothèse, & par la nature du mouvement même, & que cette espece de mouvement soit la seule à qui cette propriété appartienne, elle sera nécessairement la mesure du tems la plus naturelle. Or il n'y a que le mouvement uniforme qui réunisse les deux conditions dont nous venons de parler : car le mouvement d'un corps est uniforme par lui-même : il ne devient accéléré ou retardé qu'en vertu d'une cause étrangere, & alors il est susceptible d'une infinité de loix différentes de variation. La loi d'uniformité, c'est-à-dire l'égalité entre le rapport des tems & celui des espaces parcourus, est donc une propriété du mouvement considéré en lui-même ; le mouvement uniforme n'en est par-là que plus analogue à la durée, & par conséquent plus près à en être la mesure, puisque les parties de la durée se succédent aussi constamment & uniformément. Au-contraire, toute loi d'accélération ou de diminution dans le mouvement, est arbitraire, pour ainsi-dire, & dépendante des circonstances extérieures ; le mouvement non uniforme ne peut être par-conséquent la mesure naturelle du tems : car en premier lieu, il n'y auroit pas de raison pourquoi une espece particuliere de mouvement non uniforme, fût la mesure premiere du tems, plutôt qu'un autre : en second lieu, on ne pourroit mesurer le tems par un mouvement non uniforme, sans avoir découvert auparavant par quelque moyen particulier l'analogie entre le rapport des tems & celui des espaces parcourus, qui conviendroit au mouvement proposé. D'ailleurs, comment connoître cette analogie autrement que par l'expérience, & l'expérience ne supposeroit-elle pas qu'on eût déja une mesure du tems fixe & certaine ?

Mais le moyen de s'assurer, dira-t-on, qu'un mouvement soit parfaitement uniforme ? Je réponds d'abord qu'il n'y a non plus aucun mouvement non uniforme dont nous sachions exactement la loi, & qu'ainsi cette difficulté prouve seulement que nous ne pouvons connoître exactement & en toute rigueur le rapport des parties du tems ; mais il ne s'ensuit pas de-là que le mouvement uniforme n'en soit par sa nature seule, la premiere & la plus simple mesure. Aussi ne pouvant avoir de mesure du tems précise & rigoureuse, c'est dans les mouvemens à-peu-près uniformes que nous en cherchons la mesure au-moins approchée. Nous avons deux moyens de juger qu'un mouvement est à-peu-près uniforme, ou quand nous savons que l'effet de la cause accélératrice ou retardatrice ne peut être qu'insensible ; ou quand nous le comparons à d'autres mouvemens, & que nous observons la même loi dans les uns & dans les autres : ainsi si plusieurs corps se meuvent de maniere que les espaces qu'ils parcourent durant un même tems soient toujours entr'eux, ou exactement, ou à-peu-près dans le même rapport, on juge que le mouvement de ces corps est ou exactement, ou à très-peu près uniforme.

UNIFORME, s. m. (Art milit.) on appelle uniforme dans le militaire, l'habillement qui est propre aux officiers & aux soldats de chaque régiment. Les troupes n'ont commencé à avoir des uniformes que du tems de Louis XIV. Comme elles avoient auparavant des armures de fer qui les couvroient entierement, ou presque entierement, l'uniforme n'auroit pu servir à les distinguer comme aujourd'hui. Les officiers françois sont obligés, par une ordonnance de 1737. de porter toujours l'habit uniforme pendant le tems qu'ils sont en campagne ou en garnison, afin qu'ils soient plus aisément connus des soldats. Sa Majesté a aussi depuis obligé ses officiers généraux de porter un uniforme par lequel on distingue les maréchaux de camp des lieutenans généraux. Cet uniforme qui les fait connoître, peut servir utilement pour les faire respecter, & leur faire rendre par toutes les troupes les honneurs dûs à leurs dignités. (Q)


UNIGENITUSLe P. Quesnel, prêtre de l'Oratoire, ami du célebre Arnauld, & qui fut compagnon de sa retraite jusqu'au dernier moment, avoit dès l'an 1671, composé un livre de réflexions pieuses sur le texte du nouveau Testament. Ce livre contient quelques maximes qui pourroient paroître favorables au jansénisme ; mais elles sont confondues dans une si grande foule de maximes saintes & pleines de cette onction qui gagne le coeur, que l'ouvrage fut reçu avec un applaudissement universel. Le bien s'y montre de tous côtés ; & le mal il faut le chercher. Plusieurs évêques lui donnerent les plus grands éloges dans sa naissance, & les confirmerent quand le livre eut reçu par l'auteur sa derniere perfection. L'abbé Renaudot, l'un des plus savans hommes de France, étant à Rome la premiere année du pontificat de Clément XI. allant un jour chez ce pape qui aimoit les savans, & qui l'étoit lui-même, le trouva lisant le livre du pere Quesnel. Voila, lui dit le pape, un livre excellent, nous n'avons personne à Rome qui soit capable d'écrire ainsi ; je voudrois attirer l'auteur auprès de moi. C'est cependant le même pape qui depuis condamna le livre.

Un des prélats qui avoit donné en France l'approbation la plus sincere au livre de Quesnel, étoit le cardinal de Noailles, archevêque de Paris. Il s'en étoit déclaré le protecteur, lorsqu'il étoit évêque de Châlons ; & le livre lui étoit dédié. Ce cardinal plein de vertus & de science, le plus doux des hommes, le plus ami de la paix, protégeoit quelques jansénistes sans l'être, & aimoit peu les jésuites, sans leur nuire & sans les craindre.

Ces peres commençoient à jouir d'un grand crédit depuis que le pere de la Chaise, gouvernant la conscience de Louis XIV. étoit en effet à la tête de l'église gallicane. Le pere Quesnel qui les craignoit, étoit retiré à Bruxelles avec le savant bénédictin Gerberon, un prêtre nommé Brigode, & plusieurs autres du même parti. Il en étoit devenu le chef après la mort du fameux Arnauld, & jouissoit comme lui de cette gloire flatteuse de s'établir un empire secret indépendant des souverains, de régner sur des consciences, & d'être l'ame d'une faction composée d'esprits éclairés.

Les jésuites plus répandus que sa faction, & plus puissans, déterrerent bientôt Quesnel dans sa solitude. Ils le persécuterent auprès de Philippe V. qui étoit encore maître des Pays-bas, comme ils avoient poursuivi Arnauld son maître auprès de Louis XIV. Ils obtinrent un ordre du roi d'Espagne de faire arrêter ces solitaires. Quesnel fut mis dans les prisons de l'archevêché de Malines. Un gentil-homme, qui crut que le parti janséniste feroit sa fortune s'il délivroit le chef, perça les murs, & fit évader Quesnel, qui se retira à Amsterdam, où il est mort en 1719. dans une extrême vieillesse, après avoir contribué à former en Hollande quelques églises de jansénistes ; troupeau foible, qui dépérit tous les jours. Lorsqu'on l'arrêta, on saisit tous ses papiers ; & comme on y trouva tout ce qui caractérise un parti formé, on fit aisément croire à Louis XIV. qu'ils étoient dangereux.

Il n'étoit pas assez instruit pour savoir que de vaines opinions de spéculation tomberoient d'elles-mêmes, si on les abandonnoit à leur inutilité. C'étoit leur donner un poids qu'elles n'avoient point, que d'en faire des matieres d'état. Il ne fut pas difficile de faire regarder le livre du pere Quesnel comme coupable, après que l'auteur eut été traité en séditieux. Les jésuites engagerent le roi lui-même à faire demander à Rome la condamnation du livre. C'étoit en effet faire condamner le cardinal de Noailles qui en avoit été le protecteur le plus zélé. On se flattoit avec raison que le pape Clément XI. mortifieroit l'archevêque de Paris. Il faut savoir que quand Clément XI. étoit le cardinal Albani, il avoit fait imprimer un livre tout moliniste, de son ami le cardinal de Sfondrate, & que M. de Noailles avoit été le dénonciateur de ce livre. Il étoit naturel de penser qu'Albani devenu pape, feroit au-moins contre les approbations données à Quesnel, ce qu'on avoit fait contre les approbations données à Sfondrate.

On ne se trompa pas, le pape Clément XI. donna, vers l'an 1708, un decret contre le livre de Quesnel ; mais alors les affaires temporelles empêcherent que cette affaire spirituelle qu'on avoit sollicitée, ne réussit. La cour étoit mécontente de Clément XI. qui avoit reconnu l'archiduc Charles pour roi d'Espagne, après avoir reconnu Philippe V. On trouva des nullités dans son decret, il ne fut point reçu en France, & les querelles furent assoupies jusqu'à la mort du pere de la Chaise, confesseur du roi, homme doux, avec qui les voies de conciliation étoient toujours ouvertes, & qui ménageoit dans le cardinal de Noailles, l'allié de madame de Maintenon.

Les jésuites étoient en possession de donner un confesseur au roi, comme à presque tous les princes catholiques. Cette prérogative est le fruit de leur institut, par lequel ils renoncent aux dignités ecclésiastiques : ce que leur fondateur établit par humilité, est devenu un principe de grandeur. Plus Louis XIV. vieillissoit, plus la place de confesseur devenoit un ministere considérable. Ce poste fut donné au pere le Tellier, fils d'un procureur de Vire en basse Normandie, homme sombre, ardent, inflexible, cachant ses violences sous un flegme apparent : il fit tout le mal qu'il pouvoit faire dans cette place, où il est trop aisé d'inspirer ce qu'on veut, & de perdre qui l'on hait : il avoit à venger ses injures particulieres. Les jansénistes avoient fait condamner à Rome un de ses livres sur les cérémonies chinoises. Il étoit mal personnellement avec le cardinal de Noailles, & il ne savoit rien ménager. Il remua toute l'église de France ; il dressa en 1711. des lettres & des mandemens, que des évêques devoient signer : il leur envoyoit des accusations contre le cardinal de Noailles, au bas desquelles ils n'avoient plus qu'à mettre leur nom. De telles manoeuvres dans des affaires profanes sont punies ; elles furent découvertes & n'en réussirent pas moins.

La conscience du roi étoit allarmée par son confesseur, autant que son autorité étoit blessée par l'idée d'un parti rebelle. Envain le cardinal de Noailles lui demanda justice de ces mysteres d'iniquité. Le confesseur persuada qu'il s'étoit servi des voies humaines, pour faire réussir les choses divines ; & comme en effet il défendoit l'autorité du pape, & celle de l'unité de l'église, tout le fond de l'affaire lui étoit favorable. Le cardinal s'adressa au dauphin, duc de Bourgogne ; mais il le trouva prévenu par les lettres & les amis de l'archevêque de Cambrai. Le cardinal n'obtint pas davantage du crédit de madame de Maintenon, qui n'avoit guere de sentimens à elle, & qui n'étoit occupée que de se conformer à ceux du roi.

Le cardinal archevêque, opprimé par un jésuite, ôta les pouvoirs de prêcher & de confesser à tous les jésuites, excepté à quelques-uns des plus sages & des plus modérés. Sa place lui donnoit le droit dangereux d'empêcher le Tellier de confesser le roi. Mais il n'osa pas irriter à ce point son souverain ; & il le laissa avec respect entre les mains de son ennemi. " Je crains, écrivit-il à madame de Maintenon, de marquer au roi trop de soumission, en donnant les pouvoirs à celui qui les mérite le moins. Je prie Dieu de lui faire connoître le péril qu'il court, en confiant son ame à un homme de ce caractere ".

Quand les esprits sont aigris, les deux partis ne font plus que des démarches funestes. Des partisans du pere le Tellier, des évêques qui espéroient le chapeau, employerent l'autorité royale pour enflammer ces étincelles qu'on pouvoit éteindre. Au-lieu d'imiter Rome, qui avoit plusieurs fois imposé silence aux deux partis ; au-lieu de réprimer un religieux, & de conduire le cardinal ; au-lieu de défendre ces combats comme les duels, & de réduire tous les prêtres, comme tous les seigneurs, à être utiles sans être dangereux ; au-lieu d'accabler enfin les deux partis sous le poids de la puissance suprême, soutenue par la raison & par tous les magistrats : Louis XIV. crut bien faire de solliciter lui-même la fameuse constitution, qui remplit le reste de sa vie d'amertume.

Le pere le Tellier & son parti envoyerent à Rome cent trois propositions à condamner. Le saint office en proscrivit cent & une. La bulle fut donnée au mois de Septembre 1713. Elle vint & souleva contr'elle presque toute la France. Le roi l'avoit demandée pour prévenir un schisme ; & elle fut prête d'en causer un. La clameur fut générale, parce que parmi ces cent & une propositions il y en avoit, qui paroissoient à tout le monde contenir le sens le plus innocent, & la plus pure morale. Une nombreuse assemblée d'évêques fut convoquée à Paris. Quarante accepterent la bulle pour le bien de la paix ; mais ils en donnerent en même tems des explications, pour calmer les scrupules du public.

L'acceptation pure & simple fut envoyée au pape ; & les modifications furent pour les peuples. Ils prétendoient par-là satisfaire à-la-fois le pontife, le roi, & la multitude. Mais le cardinal de Noailles, & sept autres évêques de l'assemblée qui se joignirent à lui, ne voulurent ni de la bulle, ni de ses correctifs. Ils écrivirent au pape, pour demander des correctifs même à sa sainteté. C'étoit un affront qu'ils lui faisoient respectueusement. Le roi ne le souffrit pas : il empêcha que la lettre ne parût, renvoya les évêques dans leurs diocèses, & défendit au cardinal de paroître à la cour.

La persécution donna à cet archevêque une nouvelle considération dans le public. C'étoit une véritable division dans l'épiscopat, dans tout le clergé, dans les ordres religieux. Tout le monde avouoit, qu'il ne s'agissoit pas des points fondamentaux de la religion ; cependant il y avoit une guerre civile dans les esprits, comme s'il eût été question du renversement du christianisme ; & on fit agir des deux côtés tous les ressorts de la politique, comme dans l'affaire la plus profane.

Ces ressorts furent employés pour faire accepter la constitution par la Sorbonne. La pluralité des suffrages ne fut pas pour elle ; & cependant elle y fut enregistrée. Le ministere avoit peine à suffire aux lettres de cachet, qui envoyoient en prison ou en exil les opposans.

Cette bulle avoit été enregistrée au parlement, avec la reserve des droits ordinaires de la couronne, des libertés de l'église gallicane, du pouvoir & de la jurisdiction des évêques ; mais le cri public perçoit toujours à-travers l'obéissance. Le cardinal de Bissi, l'un des plus ardens défenseurs de la bulle, avoua dans une de ses lettres, qu'elle n'auroit pas été reçue avec plus d'indignité à Genève qu'à Paris.

Les esprits étoient sur-tout revoltés contre le jésuite le Tellier. Rien ne nous irrite plus qu'un religieux devenu puissant. Son pouvoir nous paroît une violation de ses voeux ; mais s'il abuse de ce pouvoir, il est en horreur. Le Tellier osa présumer de son crédit jusqu'à proposer de faire déposer le cardinal de Noailles, dans un concile national. Ainsi un religieux faisoit servir à sa vengeance son roi, son pénitent & sa religion ; & avec tout cela, j'ai de très-fortes raisons de croire, qu'il étoit dans la bonne foi : tant les hommes s'aveuglent dans leurs sentimens & dans leur zèle !

Pour préparer ce concile, dans lequel il s'agissoit de déposer un homme devenu l'idole de Paris & de la France, par la pureté de ses moeurs, par la douceur de son caractere, & plus encore par la persécution ; on détermina Louis XIV. à faire enregistrer au parlement une déclaration, par laquelle tout évêque, qui n'auroit pas reçu la bulle purement & simplement, seroit tenu d'y souscrire, ou qu'il seroit poursuivi à la requête du procureur-général, comme rebelle.

Le chancelier Voisin, secrétaire d'état de la guerre, dur & despotique, avoit dressé cet édit. Le procureur-général d'Aguesseau, plus versé que le chancelier Voisin dans les loix du royaume, & ayant alors ce courage d'esprit que donne la jeunesse, refusa absolument de se charger d'une telle piece. Le premier président de Mesme en remontra au roi les conséquences. On traîna l'affaire en longueur. Le roi étoit mourant. Ces malheureuses disputes troublerent ses derniers momens. Son impitoyable confesseur fatiguoit sa foiblesse par des exhortations continuelles à consommer un ouvrage, qui ne devoit pas faire chérir sa mémoire. Les domestiques du roi indignés lui refuserent deux fois l'entrée de la chambre ; & enfin ils le conjurerent de ne point parler au roi de la constitution. Ce prince mourut, & tout changea.

Le duc d'Orléans, régent du royaume, ayant renversé d'abord toute la forme du gouvernement de Louis XIV. & ayant substitué des conseils aux bureaux des secrétaires d'état, composa un conseil de conscience, dont le cardinal de Noailles fut le président. On exila le pere le Tellier, chargé de la haine publique & peu aimé de ses confreres.

Les évêques opposés à la bulle, appellerent à un futur concile, dût-il ne se tenir jamais. La Sorbonne, les curés du diocèse de Paris, des corps entiers de religieux, firent le même appel ; & enfin le cardinal de Noailles fit le sien en 1717, mais il ne voulut pas d'abord le rendre public. On l'imprima malgré lui. L'Eglise de France resta divisée en deux factions, les acceptans & les refusans. Les acceptans étoient les cent évêques qui avoient adhéré sous Louis XIV. avec les jésuites & les capucins. Les refusans étoient quinze évêques & toute la nation. Les acceptans se prévaloient de Rome ; les autres des universités, des parlemens, & du peuple. On imprimoit volume sur volume, lettres sur lettres ; on se traitoit réciproquement de schismatique, & d'hérétique.

Un archevêque de Rheims du nom de Mailly, grand & heureux partisan de Rome, avoit mis son nom au bas de deux écrits que le parlement fit brûler par le bourreau. L'archevêque l'ayant sû, fit chanter un te Deum, pour remercier Dieu d'avoir été outragé par des schismatiques. Dieu le récompensa ; il fut cardinal. Un évêque de Soissons ayant essuyé le même traitement du parlement, & ayant signifié à ce corps que ce n'étoit pas à lui à le juger, même pour un crime de lése-majesté, il fut condamné à dix mille livres d'amende ; mais le régent ne voulut pas qu'il les payât, de peur, dit-il, qu'il ne devînt cardinal aussi.

Rome éclatoit en reproches : ou se consumoit en négociations ; on appelloit, on réappelloit ; & tout cela pour quelques passages aujourd'hui oubliés du livre d'un prêtre octogénaire, qui vivoit d'aumônes à Amsterdam.

La folie du systême des finances contribua, plus qu'on ne croit, à rendre la paix à l'Eglise. Le public se jetta avec tant de fureur dans le commerce des actions ; la cupidité des hommes, excitée par cette amorce, fut si générale, que ceux qui parlerent encore de jansénisme & de bulle, ne trouverent personne qui les écoutât. Paris n'y pensoit pas plus qu'à la guerre, qui se faisoit sur les frontieres d'Espagne. Les fortunes rapides & incroyables qu'on faisoit alors, le luxe, & la volupté portés aux derniers excès, imposerent silence aux disputes ecclésiastiques ; & le plaisir fit ce que Louis XIV. n'avoit pu faire.

Le duc d'Orléans saisit ces conjonctures, pour réunir l'église de France. Sa politique y étoit intéressée. Il craignoit des tems où il auroit eu contre lui Rome, l'Espagne, & cent évêques.

Il falloit engager le cardinal de Noailles non-seulement à recevoir cette constitution, qu'il regardoit comme scandaleuse, mais à rétracter son appel, qu'il regardoit comme légitime. Il falloit obtenir de lui plus que Louis XIV. son bienfaiteur ne lui avoit en vain demandé. Le duc d'Orléans devoit trouver les plus grandes oppositions dans le parlement, qu'il avoit exilé à Pontoise ; cependant il vint à bout de tout. On composa un corps de doctrine, qui contenta presque les deux partis. On tira parole du cardinal qu'enfin il accepteroit. Le duc d'Orléans alla lui-même au grand-conseil, avec les princes & les pairs, faire enregistrer un édit, qui ordonnoit l'acceptation de la bulle, la suppression des appels, l'unanimité & la paix.

Le parlement qu'on avoit mortifié en portant au grand-conseil des déclarations qu'il étoit en possession de recevoir, menacé d'ailleurs d'être transféré de Pontoise à Blois, enregistra ce que le grand-conseil avoit enregistré ; mais toujours avec les réserves d'usage, c'est-à-dire, le maintien des libertés de l'église gallicane, & des loix du royaume.

Le cardinal archevêque, qui avoit promis de se retracter quand le parlement obéiroit, se vit enfin obligé de tenir parole ; & on afficha son mandement de retractation le 20 Août 1720.

Depuis ce tems, tout ce qu'on appelloit en France jansénisme, quietisme, bulles, querelles théologiques, baissa sensiblement. Quelques évêques appellans resterent seuls opiniâtrément attachés à leurs sentimens.

Sous le ministere du cardinal de Fleury, on voulut extirper les restes du parti, en déposant un des prélats des plus obstinés. On choisit, pour faire un exemple, le vieux Soanen, évêque de la petite ville de Sénès, homme également pieux & inflexible, d'ailleurs sans parens, sans crédit.

Il fut condamné par le concile provincial d'Ambrun en 1728, suspendu de ses fonctions d'évêque & de prêtre, & exilé par la cour en Auvergne à l'âge de plus de 80 ans. Cette rigueur excita quelques vaines plaintes.

Un reste de fanatisme subsista seulement dans une petite partie du peuple de Paris, sur le tombeau du diacre Paris, & les jésuites eux-mêmes semblerent entraînés dans la chûte du jansénisme. Leurs armes émoussées n'ayant plus d'adversaires à combattre, ils perdirent à la cour le crédit dont le Tellier avoit abusé. Les évêques sur lesquels ils avoient dominé, les confondirent avec les autres religieux ; & ceux-ci ayant été abaissés par eux, les rabaisserent à leur tour. Les parlemens leur firent sentir plus d'une fois ce qu'ils pensoient d'eux, en condamnant quelques-uns de leurs écrits qu'on auroit pu oublier. L'université qui commençoit alors à faire de bonnes études dans la littérature, & à donner une excellente éducation, leur enleva une grande partie de la jeunesse ; & ils attendirent pour reprendre leur ascendant, que le tems leur fournit des hommes de génie, & des conjonctures favorables.

Il seroit très-utile à ceux qui sont entêtés de toutes ces disputes, de jetter les yeux sur l'histoire générale du monde ; car en observant tant de nations, tant de moeurs, tant de religions différentes, on voit le peu de figure que font sur la terre un moliniste & un janséniste. On rougit alors de sa frénésie pour un parti qui se perd dans la foule & dans l'immensité des choses. (D.J.)


UNIONJONCTION, (Synonyme) l'union regarde particulierement deux différentes choses, qui se trouvent bien ensemble. La jonction regarde proprement deux choses éloignées, qui se rapprochent l'une de l'autre.

Le mot d'union renferme une idée d'accord ou de convenance. Celui de jonction semble supposer une marque ou quelque mouvement.

On dit l'union des couleurs, & la jonction des armées ; l'union de deux voisins, & la jonction de deux rivieres.

Ce qui n'est pas uni est divisé, ce qui n'est pas joint est séparé.

On s'unit pour former des corps de société. On se joint pour se rassembler, & n'être pas seuls.

Union s'emploie souvent au figuré en vers & en prose ; mais on ne se sert de jonction que dans le sens littéral.

L'union soutient les familles, & fait la puissance des états. La jonction des ruisseaux forme les grands fleuves. Girard, synon. françois. (D.J.)

UNION CHRETIENNE, (Hist. ecclésiastique) communauté de veuves & de filles, projettée par madame de Polaillon, institutrice des filles de la providence, & exécutée par M. le Vachet, prêtre, de Romans en Dauphiné, secondé d'une soeur Renée de Tordes, qui avoit fait l'établissement des filles de la propagation de la foi à Metz, & d'une soeur Anne de Croze, qui avoit une maison à Charonne, où la communauté de l'union chrétienne commença, en 1661. Le but singulier de cette association étoit de travailler à la conversion des filles & femmes hérétiques, à retirer des femmes pauvres, qui ne pourroient être reçues ailleurs, & à élever de jeunes filles. Le séminaire de Charonne fut transféré à Paris en 1685 ; elles eurent des constitutions en 1662 : ces constitutions furent approuvées en 1668. Ces filles n'ont de pénitence que celles de l'église ; seulement elles jeûnent le vendredi. Elles tiennent de petites écoles. Après deux ans d'épreuves, elles s'engagent par les trois voeux ordinaires & par un voeu particulier d'union.

Elles ont un vêtement qui leur est propre.

La petite union est un autre établissement fait par le même M. le Vachet, mademoiselle de Lamoignon, & une mademoiselle Mallet. Il s'agissoit de retirer des filles qui viennent à Paris pour servir, & de fonder un lieu où les femmes pussent trouver des femmes-de-chambre & des servantes de bonnes moeurs. Ce projet s'exécuta en 1679.

UNION, (Gram. & Jurisp.) signifie en général la jonction d'une chose à une autre, pour ne faire ensemble qu'un tout.

En matiere bénéficiale on entend par union la jonction de plusieurs bénéfices ensemble.

On distingue plusieurs sortes d'unions.

La premiere se fait quand les deux églises restent dans le même état qu'elles étoient, sans aucune dépendance l'une de l'autre, quoique possédées par le même titulaire.

La seconde, lorsque les deux bénéfices demeurent aussi dans le même état, & que les fruits sont perçus par le même titulaire, mais que le moins considérable est rendu dépendant de l'autre ; auquel cas le titulaire doit desservir en personne le principal bénéfice, & commettre pour l'autre un vicaire, s'il est chargé de quelque service personnel ou de la conduite des ames.

La troisieme est lorsque les deux titres sont tellement unis, qu'il n'y en a plus qu'un, soit au moyen de l'extinction d'un des titres, & réunion des revenus à l'autre, soit par l'incorporation des deux titres.

Les unions personnelles ou à vie ou à tems, ne sont pas admises en France, n'ayant pour but que l'utilité de l'impétrant, & non celle de l'église.

Les papes ont prétendu être en droit de procéder seuls à l'union des archevêchés & évêchés.

De leur côté les empereurs grecs prétendoient avoir seuls droit d'unir ou diviser les archevêchés ou évêchés, en divisant les provinces d'Orient.

L'église gallicane a pris là dessus un sage tempérament, ayant toujours reconnu depuis l'établissement de la monarchie que l'union de plusieurs archevêchés ou évêchés ne peut être faite que par le pape ; mais que ce ne peut être que du consentement du roi.

Le légat même à latere ne la peut faire, à moins qu'il n'en ait reçu le pouvoir par ses facultés duement enregistrées.

L'union des autres bénéfices peut être faite par l'évêque diocésain, en se conformant aux canons & aux ordonnances.

Mais si l'union se faisoit à la manse épiscopale, il faudroit s'adresser au pape, qui nommeroit des commissaires sur lieux, l'évêque ne pouvant être juge dans sa propre cause.

Aucun autre supérieur ecclésiastique ne peut unir des bénéfices, quand il en seroit le collateur, & qu'il auroit jurisdiction sur un certain territoire.

C'est un usage immémorial que les bénéfices de collation royale peuvent être unis par le roi seul en vertu de lettres patentes registrées en parlement.

Toute union en général ne peut être faite sans nécessité ou utilité évidente pour l'église.

Il faut aussi y appeller tous ceux qui y ont intérêt, tels que les collateurs, patrons ecclésiastiques & laïcs, les titulaires, & les habitans, s'il s'agit de l'union d'une cure.

Si le collateur est chef d'un chapitre, comme un évêque ou un abbé ; il faut aussi le consentement du chapitre.

Quand les collateurs ou patrons refusent de consentir à l'union, il faut obtenir un jugement qui l'ordonne avec eux : à l'égard du titulaire & des habitans, il n'est pas besoin de jugement ; les canons & les ordonnances ne requerant pas leur consentement ; on ne les appelle que pour entendre ce qu'ils auroient à proposer contre l'union, & l'on y a tel égard que de raison.

On ne peut cependant unir un bénéfice vacant, n'y ayant alors personne pour en soutenir les droits.

Pour vérifier s'il y a nécessité ou utilité, on fait une information de commodo & incommodo, ce qui est du ressort de la jurisdiction volontaire ; mais s'il survient des contestations qui ne puissent s'instruire sommairement, on renvoie ces incidens devant l'official.

Le consentement du roi est nécessaire pour l'union de tous les bénéfices consistoriaux, des bénéfices qui tombent en régale, & pour l'union des bénéfices aux communautés séculieres ou régulieres, même pour ceux qui dépendent des abbayes auxquelles on veut les unir.

On obtient aussi quelquefois des lettres-patentes pour l'union des autres bénéfices lorsqu'ils sont considérables, afin de rendre l'union plus authentique.

Avant d'enregistrer les lettres-patentes qui concernent l'union, le parlement ordonne une nouvelle information par le juge royal.

On permet quelquefois d'unir à des cures & prébendes séculieres, dont le revenu est trop modique, ou à des séminaires, des bénéfices réguliers, pourvu que ce soient des bénéfices simples, & non des offices claustraux, qui obligent les titulaires à la résidence.

On unit même quelquefois à un séminaire toutes les prébendes d'une collégiale.

Mais les cures ne doivent point être unies à des monasteres, ni aux dignités & prébendes des églises cathédrales ou collégiales, encore moins à des bénéfices simples.

L'union des bénéfices en patronage laïc doit être faite de maniere que le patron ne soit point lézé.

On unit quelquefois des bénéfices simples de différens diocèses, mais deux cures dans ce cas ne peuvent être unies, à cause de la confusion qui en résulteroit.

Quand l'union a été faite sans cause légitime, ou sans y observer les formalités nécessaires, elle est abusive, & la possession même de plusieurs siecles n'en couvre point le défaut.

Celui qui prétend que l'union est nulle, obtient des provisions du bénéfice uni ; & s'il y est troublé, il appelle comme d'abus du decret d'union.

Si l'union est ancienne, l'énonciation des formalités fait présumer qu'elles ont été observées.

Enfin, quand le motif qui a donné lieu à l'union cesse, on peut rétablir les choses dans leur premier état. Voyez le concile de Trente, M. de Fleury, d'Héricourt, de la Combe, les mém. du clergé, & le mot BENEFICE. (A)

UNION de créanciers, est lorsque plusieurs créanciers d'un même débiteur obéré de dettes, se joignent ensemble pour agir de concert, & par le ministere des mêmes avocats & procureurs, à l'effet de parvenir au recouvrement de leur dû, & d'empêcher que les biens de leur débiteur ne soient consommés en frais, par la multiplicité & la contrariété des procédures de chaque créancier.

Cette union de créanciers se fait par un contrat devant notaire, par lequel ils déclarent qu'ils s'unissent pour ne former qu'un même corps, & pour agir par le ministere d'un même procureur, à l'effet de quoi ils nomment un, ou plusieurs d'entr'eux pour syndics, à la requête desquels seront faites les poursuites.

Lorsque le débiteur fait un abandonnement de biens à ses créanciers, ceux-ci nomment des directeurs pour gérer ces biens, les faire vendre, recouvrer ceux qui sont en main tierce, & pour faire l'ordre à l'amiable entre les créanciers. Voyez ABANDONNEMENT, CESSION DE BIENS, CREANCIER, DIRECTEUR, DIRECTION. (A)

UNION, (Gouver. polit.) la vraie union dans un corps politique, dit un de nos beaux génies, est une union d'harmonie, qui fait que toutes les parties quelqu'opposées qu'elles nous paroissent, concourent au bien général de la société ; comme des dissonnances dans la musique, concourent à l'accord total. Il peut y avoir de l'union dans un état, où l'on ne croit voir que du trouble, c'est-à-dire qu'il peut y avoir une harmonie, d'où résulte le bonheur qui seul est la vraie paix ; une harmonie qui seule produit la force & le maintien de l'état. Il en est comme des parties de cet univers éternellement liées par l'action des unes, & la réaction des autres.

Dans l'accord du despotisme asiatique, c'est-à-dire de tout gouvernement qui n'est pas modéré, il n'y a point d'union ; mais au contraire, il y a toujours une division sourde & réelle. Le laboureur, l'homme de guerre, le négociant, le magistrat, le noble, ne sont joints que parce que les uns oppriment les autres sans résistance ; & si l'on y voit de l'union, ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps morts ensévelis les uns auprès des autres. L'union d'un état consiste dans un gouvernement libre, où le plus fort ne peut pas opprimer le plus foible. (D.J.)

UNION de l'Ecosse avec l'Angleterre, (Hist. mod.) traité fameux par lequel ces deux royaumes sont réunis en un seul, & compris sous le nom de royaume de la grande - Bretagne.

Depuis que la famille royale d'Ecosse étoit montée sur le trône d'Angleterre, par l'avénement de Jacques I. à la couronne, après la mort d'Elisabeth ; les rois d'Angleterre n'avoient rien négligé pour procurer cette union salutaire ; mais ni ce prince, ni son successeur Charles I. ni les rois qui vinrent ensuite, jusqu'à la reine Anne, n'ont eu cette satisfaction ; des intérêts politiques d'une part, de l'autre des querelles de religion y ayant mis de grands obstacles. La nation écossoise jalouse de sa liberté, accoutumée à se gouverner par ses loix, à tenir son parlement, comme la nation angloise a le sien, craignoit de se trouver moins unie que confondue avec celle-ci ; & peut-être encore davantage d'en devenir sujette. La forme du gouvernement ecclésiastique établi en Angleterre par les loix, étoit encore moins du goût des Ecossois chez qui le presbytérianisme étoit la religion dominante.

Cependant cette union si salutaire, souvent projettée & toujours manquée, réussit en 1707, du consentement unanime de la reine Anne, & des états des deux royaumes.

Le traité de cette union contient ving-cinq articles, qui furent examinés, approuvés & signés le 3 Août 1706, par onze commissaires anglois, & par un pareil nombre de commissaires écossois.

Le parlement d'Ecosse ratifia ce traité le 4 Février 1707, & le parlement d'Angleterre le 9 Mars de la même année. Le 17 du même mois, la reine se rendit au parlement, où elle ratifia l'union. Depuis ce tems-là il n'y a qu'un seul conseil privé, & un seul parlement pour les deux royaumes. Le parlement d'Ecosse a été supprimé, ou pour mieux dire réuni à celui d'Angleterre ; desorte que les deux n'en font qu'un, sous le titre de parlement de la grande Bretagne.

Les membres du parlement que les Ecossois peuvent envoyer à la chambre des communes, suivant les articles de l'union, sont au nombre de quarante-cinq, & ils représentent les communes d'Ecosse ; & les pairs qu'ils y envoient, pour représenter les pairs d'Ecosse, sont au nombre de seize. Voyez PARLEMENT.

Avant l'union, les grands officiers de la couronne d'Ecosse étoient le grand chancelier, le grand trésorier, le garde du sceau privé, & le lord greffier ou secrétaire d'état. Les officiers subalternes de l'état étoient le lord greffier, le lord avocat, le lord trésorier député, & le lord juge clerc.

Les quatre premieres charges ont été supprimées par l'union, & l'on a créé de nouveaux officiers qui servent pour les deux royaumes, sous les titres de lord grand chancelier de la grande-Bretagne, &c. & aux deux secrétaires d'état qu'il y avoit auparavant en Angleterre, on en a ajouté un troisieme, à cause de l'augmentation de travail que procurent les affaires d'Ecosse.

Les quatre dernieres charges subsistent encore aujourd'hui. Voyez AVOCAT, GREFFIER, TRESORIER, DEPUTE, &c.

UNION, (Chymie) il est dit à l'article CHYMIE, p. 417. col. 1. que la Chymie s'occupe des séparations & des unions des principes constituans des corps ; que les deux grands changemens effectués par les opérations chymiques, sont des séparations & des unions ; que les deux effets généraux primitifs & immédiats de toutes les opérations chymiques, sont la séparation & l'union des principes ; que l'union chymique est encore connue dans l'art sous le nom de mixtion, de génération, de synthese, de syncrese, ou pour mieux dire, de syncrise, de combinaison, de coagulation, &c. que de ces mots les plus usités en françois, sont ceux d'union, de combinaison & de mixtion. Voy. sur - tout MIXTION.

Quoique les affections des corps aggrégés n'appartiennent pas proprement à la Chymie ; & qu'ainsi strictement parlant, elle ne s'occupe que de l'union mixtive, cependant comme plusieurs de ses opérations ont pour objet, au moins secondaire, préparatoire, intermédiaire, &c. l'union aggrégative ; la division méthodique des opérations chymiques qui appartiennent à l'union, doit se faire en celles qui effectuent des unions mixtives, & celles qui effectuent des unions aggrégatives : aussi avons-nous admis cette division. Voyez l'article OPERATION CHYMIQUE.

On voit par cette derniere considération, que le mot union est plus général que celui de mixtion ou de combinaison ; aussi dans le langage chymique exact, doit-on ajouter l'épithete de chymique ou de mixtive au mot union, lorsqu'on l'employe dans le sens rigoureux. On ne l'employe sans épithete que lorsqu'on le prend dans un sens vague, ou qui se détermine suffisamment de lui-même.

Le principe de l'union chymique est exposé aux articles MIXTION, MISCIBILITE, RAPPORT ; celui de l'union aggrégative n'est presque que l'attraction de cohésion, ou la cohésibilité des physiciens modernes. Voyez COHÉSION. (b)

UNION, s. f. (Archit.) on appelle ainsi l'harmonie des couleurs dans les matériaux, laquelle contribue avec le bon goût du dessein, à la décoration des édifices. (D.J.)

UNION de couleurs, on dit qu'il y a une belle union de couleurs dans un tableau, lorsqu'il n'y en a point de trop criantes, c'est-à-dire qui font des crudités, mais qu'elles concourent toutes ensemble à l'effet total du tableau.


UNIQUESEUL, (Synonyme) une chose est unique, lorsqu'il n'y en a point d'autre de la même espece ; elle est seule, lorsqu'elle n'est pas accompagnée.

Un enfant qui n'a ni freres, ni soeurs, est unique.

Un homme abandonné de tout le monde, reste seul.

Rien n'est plus rare que ce qui est unique ; rien n'est plus ennuyant que d'être toujours seul. Voilà ce que dit l'abbé Girard. J'ajoute seulement qu'il y a des occasions où le mot unique se peut joindre à un pluriel. Moliere dans sa comédie des Fâcheux, fait dire plaisamment à un joueur :

Je croyois bien du moins faire deux points uniques. (D.J.)


UNIRv. act. (Gramm.) c'est applanir, rendre égal. Voyez UNI.

UNIR un cheval, (Maréchal.) c'est le remettre lorsqu'il est désuni au galop. Voyez DESUNI.


UNISSANTterme de Chirurgie, ce qui sert à rapprocher & à réunir les parties divisées. Voyez BANDAGE UNISSANT au mot INCARNATIF.

Les sutures sont les moyens que la Chirurgie recommande pour la réunion des parties dont la continuité est détruite récemment, par cause externe. On a fort abusé de ce secours. Voyez SUTURE & PLAIE. (Y)


UNISSONS. m. en Musique, c'est l'union de deux sons qui sont au même degré, dont l'un n'est ni plus grave ni plus aigu que l'autre, & dont le rapport est un rapport d'égalité.

Si deux cordes sont de même matiere, égales en longueur, en grosseur, & également tendues, elles seront à l'unisson ; mais il est faux de dire que deux sons à l'unisson aient une telle identité & se confondent si parfaitement, que l'oreille ne puisse les distinguer : car ils peuvent différer beaucoup quant au timbre & au degré de force. Une cloche peut être à l'unisson d'une guittare, une vielle à l'unisson d'une flûte, & l'on n'en confondra point le son.

Le zéro n'est pas un nombre, ni l'unisson un intervalle ; mais l'unisson est à la série des intervalles, ce que le zéro est à la série des nombres ; c'est le point de leur commencement ; c'est le terme d'où ils partent.

Ce qui constitue l'unisson, c'est l'égalité du nombre des vibrations faites en tems égaux par deux corps sonores. Dès qu'il y a inégalité entre les nombres de ces vibrations, il y a intervalle entre les sons qu'elles produisent. Voyez CORDE, VIBRATION.

On s'est beaucoup tourmenté pour savoir si l'unisson étoit une consonnance. Aristote prétend que non ; Jean de Mur assure que si ; & le pere Mersenne se range à ce dernier avis. Comme cela dépend de la définition du mot consonnance, je ne vois pas quelle dispute il peut y avoir là-dessus.

Une question plus importante est de savoir quel est le plus agréable à l'oreille de l'unisson, ou d'un intervalle consonnant, tel, par exemple, que l'octave ou la quinte. A suivre le systême de nos philosophes, il ne doit pas y avoir le moindre doute sur cela ; & l'unisson étant en rapport plus simple, sera sans contredit le plus agréable. Malheureusement, l'expérience ne confirme point cette hypothèse ; nos oreilles se plaisent plus à entendre une octave, une quinte, & même une tierce bien juste, que le plus parfait unisson. Il est vrai que plusieurs quintes de suite ne nous plairoient pas comme plusieurs unissons ; mais cela tient évidemment aux loix de l'harmonie & de la modulation, & non à la nature de l'accord. Cette expérience fournit donc un nouvel argument contre l'opinion reçue. Il est certain que les sens se plaisent à la diversité ; ce ne sont point toujours les rapports les plus simples qui les flattent le plus ; & j'ai peur qu'on ne trouve à la fin que ce qui rend l'accord de deux sons agréable ou choquant à l'oreille, dépend d'une toute autre cause que celle qu'on lui a assignée jusqu'ici. Voyez CONSONNANCE.

C'est une observation célebre en musique que celle du frémissement & de la résonnance d'une corde au son d'une autre qui sera montée à son unisson, ou même à son octave, ou à l'octave de sa quinte, &c.

Voici comment nos philosophes expliquent ce phénomene.

Le son d'une corde A met l'air en mouvement ; si une autre corde B se trouve dans la sphere du mouvement de cet air, il agira sur elle. Chaque corde n'est susceptible que d'un certain nombre déterminé de vibrations en un tems donné. Si les vibrations dont la corde B est susceptible sont égales en nombre à celles de la corde A dans le même tems ; l'air agissant sur elle, & la trouvant disposée à un mouvement semblable à celui qu'il lui communique, il l'aura bien-tôt ébranlée. Les deux cordes marchant, pour ainsi dire de pas égal, toutes les impulsions que l'air reçoit de la corde A, & qu'il communique à la corde B, seront coincidentes avec les vibrations de cette corde, & par conséquent augmenteront sans-cesse son mouvement au-lieu de le retarder. Ce mouvement ainsi augmenté, ira bientôt jusqu'à un frémissement sensible ; alors la corde rendra du son, & ce son sera nécessairement à l'unisson de celui de la corde A.

Par la même raison l'octave frémira & résonnera aussi, mais moins sensiblement que l'unisson ; parce que la coincidence des vibrations, & par conséquent l'impulsion de l'air, y est moins fréquente de la moitié. Elle l'est encore moins dans la douzieme ou quinte redoublée, & moins dans la dix-septieme ou tierce majeure triplée, qui est la derniere des consonnances qui frémisse & résonne sensiblement & directement.

On ne sauroit douter que toutes les fois que les nombres des vibrations dont deux cordes sont susceptibles en tems égal, sont commensurables ; le son de l'une ne communique à l'autre quelque ébranlement ; mais cet ébranlement n'étant plus sensible audelà des quatre accords précédens, il est compté pour rien dans tout le reste. Voyez CONSONNANCE. (S)


UNITAIRES(Théol. & Métaph.) secte très-fameuse qui eut pour fondateur Fauste Socin, & qui fleurit long-tems dans la Pologne & dans la Transylvanie.

Les dogmes théologiques & philosophiques de ces sectaires ont été pendant long-tems l'objet de la haine, de l'anathème & des persécutions de toutes les communions protestantes. A l'égard des autres sectaires, s'ils ont également eu en horreur les Sociniens, il ne paroît pas que ce soit sur une connoissance profonde & réfléchie de leur doctrine, qu'ils ne se sont jamais donné la peine d'étudier, vraisemblablement à cause de son peu d'importance : en effet, en rassemblant tout ce qu'ils ont dit du socinianisme dans leurs ouvrages polémiques, on voit qu'ils en ont toujours parlé sans avoir une intelligence droite des principes qui y servent de base, & par conséquent avec plus de partialité que de modération & de charité.

Au reste, soit que le mépris universel & juste dans lequel est tombée parmi les protestans cette science vaine, puérile & contentieuse, que l'on nomme controverse, ait facilité leurs progrès dans la recherche de la vérité, en tournant leurs idées vers des objets plus importans, & en leur faisant appercevoir dans les sciences intellectuelles une étendue ultérieure : soit que le flambeau de leur raison se soit allumé aux étincelles qu'ils ont cru voir briller dans la doctrine socinienne ; soit enfin que trompés par quelques lueurs vives en apparence, & par des faisceaux de rayons lumineux qu'ils ont vu réfléchir de tous les points de cette doctrine, ils aient cru trouver des preuves solides & démonstratives de ces théories philosophiques, fortes & hardies qui caractérisent le socinianisme ; il est certain que les plus sages, les plus savans & les plus éclairés d'entr'eux, se sont depuis quelque tems considérablement rapprochés des dogmes des antitrinitaires. Ajoutez à cela le tolérantisme, qui, heureusement pour l'humanité, semble avoir gagné l'esprit général de toutes les communions tant catholiques que protestantes, & vous aurez la vraie cause des progrès rapides que le socinianisme a fait de nos jours, des racines profondes qu'il a jettées dans la plûpart des esprits ; racines dont les ramifications se développant & s'étendant continuellement, ne peuvent pas manquer de faire bientôt du protestantisme en général, un socinianisme parfait qui absorbera peu-à-peu tous les différens systêmes de ces errans, & qui sera comme un centre commun de correspondance, où toutes leurs hypothèses jusqu'alors isolées & incohérentes, viendront se réunir, & perdre, si j'ose m'exprimer ainsi, comme les élémens primitifs des corps dans le systême universel de la nature, le sentiment particulier du soi, pour former par leur copulation universelle la conscience du tout.

Après avoir lu & médité avec l'attention la plus exacte, tout ce qu'on a écrit de plus fort contre les sociniens, il m'a semblé que ceux qui ont combattu leur opinion ne leur ont porté que des coups très-foibles, & qu'ils devoient nécessairement s'embarrasser fort peu de parer. On a toujours regardé les Unitaires comme des théologiens chrétiens qui n'avoient fait que briser & arracher quelques branches de l'arbre, mais qui tenoient toujours au tronc ; tandis qu'il falloit les considérer comme une secte de philosophes, qui, pour ne point choquer trop directement le culte & les opinions vraies ou fausses reçues alors, ne vouloient point afficher ouvertement le déisme pur, ni rejetter formellement & sans détours toute espece de révélation ; mais qui faisoient continuellement à l'égard de l'ancien & du nouveau Testament, ce qu'Epicure faisoit à l'égard des dieux qu'il admettoit verbalement, & qu'il détruisoit réellement. En effet, les Unitaires ne recevoient des Ecritures, que ce qu'ils trouvoient conforme aux lumieres naturelles de la raison, & ce qui pouvoit servir à étayer, & à confirmer les systêmes qu'ils avoient embrassés. Comme ils ne regardoient ces ouvrages que comme des livres purement humains, qu'un concours bizarre & imprévu de circonstances indifférentes, & qui pouvoient fort bien ne jamais arriver, avoit rendu l'objet de la foi & de la vénération de certains hommes dans une certaine partie du monde, ils n'y attribuoient pas plus d'autorité qu'aux livres de Platon & d'Aristote, & ils les traitoient en conséquence, sans paroître néanmoins cesser de les respecter, au-moins publiquement.

Les sociniens étoient donc une secte de déistes cachés, comme il y en a dans tous les pays chrétiens, qui, pour philosopher tranquillement & librement sans avoir à craindre la poursuite des loix & le glaive des magistrats, employoient toute leur sagacité, leur dialectique & leur subtilité à concilier avec plus ou moins de science, d'habileté & de vraisemblance, les hypothèses théologiques & métaphysiques exposées dans les Ecritures avec celles qu'ils avoient choisies.

Voilà, si je ne me trompe, le point de vue sous lequel il faut envisager le socinianisme, & c'est, faute d'avoir fait ces observations, qu'on l'a combattu jusqu'à présent avec si peu d'avantage ; que peut-on gagner en effet, en opposant perpétuellement aux Unitaires la révélation ? N'est-il pas évident qu'ils la rejettoient, quoiqu'ils ne se soient jamais expliqués formellement sur cet article ? S'ils l'eussent admise, auroient-ils parlé avec tant d'irrévérence de tous les mysteres que les théologiens ont découverts dans le nouveau Testament ? Auroient-ils fait voir avec toute la force de raisonnement dont ils ont été capables, l'opposition perpétuelle qu'il y a entre les premiers principes de la raison, & certains dogmes de l'Evangile ? En un mot l'auroient-ils exposée si souvent aux railleries des profanes par le ridicule dont ils prenoient plaisir à en charger la plûpart des dogmes & des principes moraux, conformément à ce précepte d'Horace.

Ridiculum acri

Fortius & melius magnas plerumque secat res.

Telles sont les réflexions que j'ai cru devoir faire avant d'entrer en matiere ; faisons connoître présentement les sentimens des Unitaires ; & pour le faire avec plus d'ordre, de précision, d'impartialité, & de clarté, présentons aux lecteurs par voie d'analyse un plan général de leur systême extrait de leurs propres écrits. Cela est d'autant plus équitable, qu'il y a eu parmi eux, comme parmi tous les hérétiques, des transfuges qui, soit par esprit de vengeance, soit pour des raisons d'intérêt, ce mobile si puissant & si universel, soit par ces causes réunies, & par quelques autres motifs secrets aussi pervers, ont noirci, décrié & calomnié la secte pour tâcher de la rendre odieuse, & d'attirer sur elle les persécutions, l'anathême & les proscriptions. Afin donc d'éviter les pieges que ces esprits prévenus & aveuglés par la haine, pourroient tendre à notre bonne foi, quelques efforts que nous fissions d'ailleurs pour découvrir la vérité, & pour ne rien imputer aux sociniens qu'ils n'aient expressément enseigné, soit comme principes, soit comme conséquences, nous nous bornerons à faire ici un extrait analytique des ouvrages de Socin, de Crellius, de Volkelius, & des autres savans unitaires, tant anciens que modernes ; & pour mieux développer leur systême, dont l'enchaînure est difficile à saisir, nous rassemblerons avec autant de choix que d'exactitude tout ce qu'ils ont écrit de plus intéressant & de plus profond en matiere de religion ; de toutes ces parties inactives & éparses dans différens écrits fort diffus, & fort abstraits, nous tâcherons de former une chaîne non interrompue de propositions tantôt distinctes, & tantôt dépendantes, qui toutes seront comme autant de portions élémentaires & essentielles d'un tout. Mais pour réussir dans cette entreprise aussi pénible que délicate, au gré des lecteurs philosophes, les seuls hommes sur la terre desquels le sage doive être jaloux de mériter le suffrage & les éloges, nous aurons soin de bannir de notre exposé toutes ces discussions de controverse qui n'ont jamais fait découvrir une vérité, & qui d'ailleurs sentent l'école, & décélent le pédant : pour cet effet, sans nous attacher à réfuter pié-à-pié tous les paradoxes & toutes les impiétés que les auteurs que nous allons analyser pourront débiter dans les paragraphes suivans ; nous nous contenterons de renvoyer exactement aux articles de ce Dictionnaire, où l'on a répondu aux difficultés des Unitaires d'une maniere à satis faire tout esprit non prévenu, & où l'on trouvera sur les points contestés les véritables principes de l'orthodoxie actuelle posés de la maniere la plus solide.

Toutes les hérésies des Unitaires découlent d'une même source : ce sont autant de conséquences nécessaires des principes sur lesquels Socin bâtit toute sa théologie. Ces principes ; qui sont aussi ceux des calvinistes, desquels il les emprunta, établissent 1°. que la divinité des Ecritures ne peut être prouvée que par la raison.

2°. Que chacun a droit, & qu'il lui est même expédient de suivre son esprit particulier dans l'interprétation de ces mêmes Ecritures, sans s'arrêter ni à l'autorité de l'Eglise, ni à celle de la tradition.

3°. Que tous les jugemens de l'antiquité, le consentement de tous les peres, les décisions des anciens conciles, ne font aucune preuve de la vérité d'une opinion ; d'où il suit qu'on ne doit pas se mettre en peine, si celles qu'on propose en matiere de religion, ont eu ou non des sectateurs dans l'antiquité.

Pour peu qu'on veuille réfléchir sur l'énoncé de ces propositions, & sur la nature de l'esprit humain, on reconnoîtra sans peine que des principes semblables sont capables de mener bien loin un esprit malheureusement conséquent, & que ce premier pas une fois fait, on ne peut plus savoir où l'on s'arrêtera. C'est aussi ce qui est arrivé aux Unitaires, comme la suite de cet article le prouvera invinciblement : on y verra l'usage & l'application qu'ils ont fait de ces principes dans leurs disputes polémiques avec les protestans, & jusqu'où ces principes les ont conduits. Ce sera, je pense, un spectacle assez intéressant pour les lecteurs qui se plaisent à ces sortes de matieres, de voir avec quelle subtilité ces sectaires expliquent en leur faveur les divers passages de l'Ecriture que les catholiques & les protestans leur opposent : avec quel art ils échappent à ceux dont on les presse ; avec quelle force ils attaquent à leur tour ; avec quelle adresse ils savent, à l'aide d'une dialectique très-fine, compliquer une question simple en apparence, multiplier les difficultés qui l'environnent, découvrir le foible des argumens de leurs adversaires, en retorquer une partie contre eux, & faire évanouir ainsi les distances immenses qui les séparent des orthodoxes : en un mot, comment en rejettant peu-à-peu les dogmes qui s'opposent à la raison, & en ne retenant que ceux qui s'accordent avec elle, & avec leurs hypothèses, ils sont parvenus à se faire insensiblement une religion à leur mode, qui n'est au fond, comme je l'ai déjà insinué, qu'un pur déisme assez artificieusement déguisé.

On peut rapporter à sept principaux chefs les opinions théologiques des Unitaires : 1°. sur l'Eglise : 2°. sur le péché originel, la grace, & la prédestination : 3°. sur l'homme & les sacremens : 4°. sur l'éternité des peines & la résurrection : 5°. sur le mystere de la trinité : 6°. sur celui de l'incarnation, ou la personne de Jesus-Christ : 7°. sur la discipline ecclésiastique, la politique, & la morale. Ce sont autant de tiges dont chacune embrasse une infinité de branches & de rejettons de principes hétérodoxes.

I. Sur l'Eglise. Les Unitaires disent :

Que celle qu'on nomme église visible, n'a pas toujours subsisté, & qu'elle ne subsistera pas toujours.

Qu'il n'y a pas de marques distinctes & certaines qui puissent nous désigner la véritable église.

Qu'on ne doit pas attendre de l'Eglise la doctrine de la vérité divine, & que personne n'est obligé de chercher & d'examiner quelle est cette église véritable.

Que l'Eglise est entierement tombée, mais qu'on peut la rétablir par les écrits des apôtres.

Que ce n'est point le caractere de la véritable Eglise, de condamner tous ceux qui ne sont point de son sentiment, ou d'assurer que hors d'elle il n'y a point de salut.

Que l'Eglise apostolique est celle qui n'erre en rien quant aux choses nécessaires au salut, quoiqu'elle puisse errer dans les autres points de la doctrine.

Qu'il n'y a que la parole de Dieu interprêtée par la saine raison, qui puisse nous déterminer les points fondamentaux du salut.

Que l'Antechrist a commencé à régner dès que les pontifes romains ont commencé leur regne, & que c'est alors que les loix de Christ ont commencé à déchoir.

Que quand Jesus-Christ a dit à S. Pierre, vous êtes Pierre, & sur cette pierre je bâtirai mon église : il n'a rien promis & donné à S. Pierre, que ce qu'il a promis & donné aux autres apôtres.

Qu'il est inutile & ridicule de vouloir assurer fur ces paroles de Jesus-Christ, que les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle ; qu'elle ne peut être séduite & renversée par les artifices du démon.

Que le sens de cette promesse est que l'enfer, ou la puissance de l'enfer ne prévaudra jamais sur ceux qui sont véritablement chrétiens, c'est-à-dire qu'ils ne demeureront pas dans la condition des morts.

Que les clés que Jesus-Christ a données à S. Pierre, ne sont autre chose qu'un pouvoir qu'il lui a laissé de déclarer & de prononcer qui sont ceux qui appartiennent au royaume des cieux, & ceux qui n'y appartiennent pas, c'est-à-dire qui sont ceux qui appartiennent à la condition des chrétiens, & chez qui Dieu veut demeurer en cette vie par sa grace, & dans l'autre par sa gloire éternelle, dont il les comblera. " C'est donc en vain, ajoutent-ils, que les docteurs de la communion romaine s'appuient sur ce passage, pour prouver que S. Pierre a été établi chef de l'église catholique. En effet, quand ils auroient prouvé clairement cette thèse, ils n'auroient encore rien fait, s'ils ne montroient que les promesses faites à S. Pierre, regardent aussi ses successeurs ; au-lieu que la plûpart des peres ont cru que c'étoient des privileges personnels, comme Tertullien dans son livre de la chasteté, (chap. xxj.) qui parle ainsi au pape Zéphirin : si parce que le Seigneur a dit à Pierre, sur cette pierre je bâtirai mon église, & je te donnerai les clés du royaume du ciel, & tout ce que tu lieras ou délieras sur la terre, sera lié ou délié dans le ciel : si, dis je, à cause de cela, vous vous imaginez que la puissance de délier ou de lier est passée à vous, c'est-à-dire à toutes les églises fondées par Pierre : qui êtes-vous, qui renversez & changez l'intention claire du Seigneur, qui a conféré cela personnellement à Pierre ? sur toi, dit-il, j'édifierai mon Eglise, & je te donnerai les clés, & non à l'Eglise, & tout ce que tu délieras, & non ce qu 'ils délieront.

Après avoir montré que ces privileges ne sont pas personnels, il faudroit prouver :

1°. Qu'ils ne regardent que les évêques de Rome, à l'exclusion de ceux d'Antioche.

2°. Qu'ils les regardent tous sans exception & sans condition, c'est-à-dire que tous & un chacun des papes sont infaillibles, tant dans le fait que dans le droit, contre l'expérience & le sentiment de la plûpart des théologiens catholiques romains.

3°. Il faudroit définir ce que c'est que l'église catholique, & montrer par des passages formels, que ces termes marquent le corps des pasteurs, qu'on appelle l'église représentative, ce qui est impossible, au-lieu qu'il est très-facile de faire voir que l'Eglise ne signifie jamais dans l'Ecriture que le peuple & les simples fideles, par opposition aux pasteurs : & dans ce sens il n'est rien de plus absurde que tout ce qu'on dit du pouvoir de l'église & de ses privileges, puisqu'elle n'est que le corps des sujets du pape & du clergé romain, & que des sujets bien loin de faire des décisions n'ont que la soumission & l'obéissance en partage.

4°. Après tout cela il faudroit encore prouver que les privileges donnés à S. Pierre & aux évêques de Rome ses successeurs, n'emportent pas simplement une primauté d'ordre, & quelque autorité dans les choses qui regardent la discipline & le gouvernement de l'église ; ce que les Protestans pourroient accorder sans faire préjudice à leur cause ; mais qu'ils marquent de plus une primauté de jurisdiction, de souveraineté & d'infaillibilité dans les matieres de foi, ce qui est impossible à prouver par l'Ecriture, & par tous les monumens qui nous restent de l'antiquité ; ce qui est même contradictoire, puisque la créance d'un fait ou d'un dogme se persuade & ne se force pas. A quoi pensent donc les Catholiques romains d'accuser les Protestans d'opiniâtreté, sur ce qu'ils refusent d'embrasser une hypothèse qui suppose tant de principes douteux, dont la plûpart sont contestés même entre les théologiens de Rome ; & de leur demander qu'ils obéissent à l'église, sans leur dire distinctement qui est cette église, ni en quoi consiste la soumission qu'on leur demande, ni jusqu'où il la faut étendre. (a) ? "

C'est par ces argumens & d'autres semblables, que les Sociniens anéantissent la visibilité, l'indéfectibilité, l'infaillibilité, & les autres caracteres ou prérogatives de l'église, la primauté du pape, &c. Tel est le premier pas qu'ils ont fait dans l'erreur ; mais ce qui est plus triste pour eux, c'est que ce premier pas a décidé dans la suite de leur foi : aussi nous ne croirons pas rendre un service peu important à la religion chrétienne en général, & au catholicisme en particulier, en faisant voir au lecteur attentif, & sur-tout à ceux qui sont foibles & chancelans dans leur foi, où l'on va se perdre insensiblement lorsqu'on s'écarte une fois de la créance pure & inaltérable de l'Eglise, & qu'on refuse de reconnoître un juge souverain & infaillible des controverses

(a) Voyez le livre d'Episcopius contre Guillaume Bom, prêtre catholique romain.

& du vrai sens de l'Ecriture. Voyez EGLISE, PAPE, FAILLIBILITELITE.

II. Sur le péché originel, la grace, & la prédestination. Le second pas de nos sectaires n'a pas été un acte de rébellion moins éclatant ; ne voulant point par un aveuglement qu'on ne peut trop déplorer, s'en tenir aux sages décisions de l'église, ils ont osé examiner ce qu'elle avoit prononcé sur le péché originel, la grace, & la prédestination, & porter un oeil curieux sur ces mysteres inaccessibles à la raison. On peut bien croire qu'ils se sont débattus long-tems dans ces ténebres, sans avoir pu les dissiper ; mais pour eux ils prétendent avoir trouvé dans le pélagianisme, & le sémi-pélagianisme le plus outré, le point le plus près de la vérité ; & renouvellant hautement ces anciennes hérésies, ils disent :

Que la doctrine du péché originel imputé & inhérent, est évidemment impie.

Que Moïse n'a jamais enseigné ce dogme, qui fait Dieu injuste & cruel, & qu'on le cherche en vain dans ses livres.

Que c'est à S. Augustin que l'on doit cette doctrine qu'ils traitent de désolante & de préjudiciable à la religion.

Que c'est lui qui l'a introduite dans le monde où elle avoit été inconnue pendant l'espace de 4400 ans ; mais que son autorité ne doit pas être préférée à celle de l'Ecriture, qui ne dit pas un mot de cette prétendue corruption originelle ni de ses suites.

Que d'ailleurs quand on pourroit trouver dans la bible quelques passages obscurs qui favorisassent ce systême, ce qui, selon eux, est certainement impossible, quelque violence que l'on fasse au texte sacré, il faudroit nécessairement croire que ces passages ont été corrompus, interpolés, ou mal traduits : " car, disent-ils, il ne peut rien y avoir dans les Ecritures que ce qui s'accorde avec la raison : toute interprétation, tout dogme qui ne lui est pas conforme, ne sauroit dès-lors avoir place dans la théologie, puisqu'on n'est pas obligé de croire ce que la raison assure être faux ".

Ils concluent de là :

Qu'il n'y a point de corruption morale, ni d'inclinations perverses, dont nous héritions de nos ancêtres.

Que l'homme est naturellement bon.

Que dire comme quelques théologiens, qu'il est incapable de faire le bien sans une grace particuliere du S. Esprit, c'est briser les liens les plus forts qui l'attachent à la vertu, & lui arracher, pour ainsi-dire, cette estime & cet amour de soi ; deux principes également utiles, qui ont leur source dans la nature de l'homme, & qu'il ne faut que bien diriger pour en voir naître dans tous les tems, & chez tous les peuples, une multitude d'actions sublimes, éclatantes & qui exigent le plus grand sacrifice de soi-même.

Qu'en un mot c'est avancer une maxime fausse, dangereuse, & avec laquelle on ne fera jamais de bonne morale.

Ils demandent pourquoi les Chrétiens auroient besoin de ce secours surnaturel pour ordonner leur conduite selon la droite raison, puisque les Payens par leurs propres forces, & sans autre regle que la voix de la nature qui se fait entendre à tous les hommes, ont pu être justes, honnêtes, vertueux, & s'avancer dans le chemin du ciel ?

Ils disent que s'il n'y a point dans l'entendement, des ténebres si épaisses que l'éducation, l'étude & l'application ne puissent dissiper, point de penchans vicieux ni de mauvaises habitudes que l'on ne puisse rectifier avec le tems, la volonté & la sanction des loix, il s'ensuit que tout homme peut sans une grace interne atteindre dès ici-bas une sainteté parfaite.

Qu'un tel secours détruiroit le mérite animal de ses oeuvres, & anéantiroit non pas sa liberté, car ils prétendent que cette liberté est une chimere, mais la spontanéïté de ses actions.

Que bien loin donc que cet homme sage puisse raisonnablement s'attendre à une telle grace, il doit travailler lui-même à se rendre bon, s'appuyer sur ses propres forces, vaincre les difficultés & les tentations par ses efforts continuels vers le bien, dompter ses passions par sa raison, & arrêter leurs emportemens par l'étude ; mais que s'il s'attend à un secours surnaturel, il périra dans sa sécurité.

Qu'il est certain que Dieu n'intervient point dans les volontés des hommes par un concours secret qui les fasse agir.

Qu'ils n'ont pas plus besoin de son secours ad hoc que de son concours pour se mouvoir, & de ses inspirations pour se déterminer.

Que leurs actions sont les résultats nécessaires des différentes impressions que les objets extérieurs font sur leurs organes & de l'assemblage fortuit d'une suite infinie de causes, &c. Voyez PECHE ORIGINEL, GRACE, &c.

A l'égard de la prédestination, ils prétendent :

Qu'il n'y a point en Dieu de décret par lequel il ait prédestiné de toute éternité ceux qui seront sauvés & ceux qui ne le seront pas.

Qu'un tel décret, s'il existoit, seroit digne du mauvais principe des Manichéens.

Ils ne peuvent concevoir qu'un dogme, selon eux, si barbare, si injurieux à la divinité, si révoltant pour la raison, de quelque maniere qu'on l'explique, soit admis dans presque toutes les communions chrétiennes, & qu'on y traite hardiment d'impies ceux qui le rejettent, & qui s'en tiennent fermement à ce que la raison & l'Ecriture sainement interprêtée leur enseignent à cet égard. Voyez PREDESTINATION & DECRET, où l'on examine ce que S. Paul enseigne sur cette matiere obscure & difficile.

III. Touchant l'homme & les sacremens. En voyant les Unitaires rejetter aussi hardiment les dogmes ineffables du péché originel, de la grace & de la prédestination, on peut bien penser qu'ils n'ont pas eu plus de respect pour ce que l'Eglise & les saints conciles ont très-sagement déterminé touchant l'homme & les sacremens. L'opinion de nos sectaires à cet égard peut être regardée comme le troisieme pas qu'ils ont fait dans la voie de l'égarement ; mais ils n'ont fait en cela que suivre le sentiment de Socin qui leur a servi de guide. Je fais cette remarque, parce qu'ils n'ont pas adopté sans exception les sentimens de leur chef, nulle secte ne poussant plus loin la liberté de penser, & l'indépendance de toute autorité. Socin dit donc :

Que c'est une erreur grossiere de s'imaginer que Dieu ait fait le premier homme revêtu de tous ces grands avantages que les Catholiques, ainsi que le gros des Réformés, lui attribuent dans son état d'innocence, comme sont la justice originelle, l'immortalité, la droiture dans la volonté, la lumiere dans l'entendement, &c. & de penser que la mort naturelle & la mortalité sont entrées dans le monde par la voie du péché.

Que non-seulement l'homme avant sa chûte n'étoit pas plus immortel qu'il ne l'est aujourd'hui, mais qu'il n'étoit pas même véritablement juste, puisqu'il n'étoit pas impeccable.

Que s'il n'avoit pas encore péché, c'est qu'il n'en avoit pas eu d'occasion.

Qu'on ne peut donc pas affirmer qu'il fût juste, puisqu'on ne sauroit prouver qu'il se seroit abstenu de pécher, s'il en eût eu l'occasion, &c.

Pour ce qui regarde les sacremens, il prétend :

Qu'il est évident pour quiconque veut raisonner sans préjugés, qu'ils ne sont ni des marques de conférer la grace, ni des sceaux de l'alliance qui la confirment, mais de simples marques de profession.

Que le baptême n'est nécessaire ni de nécessité de précepte, ni de nécessité de moyen.

Qu'il n'a pas été institué par Jesus-Christ, & que le chrétien peut s'en passer sans qu'il puisse en résulter pour lui aucun inconvénient.

Qu'on ne doit donc pas baptiser les enfans, ni les adultes, ni en général aucun homme.

Que le baptême pouvoit être d'usage dans la naissance du christianisme à ceux qui sortoient du paganisme, pour rendre publique leur profession de foi, & en être la marque authentique ; mais qu'à présent il est absolument inutile, & tout-à-fait indifférent. Voyez BAPTEME & SACREMENS.

Quant à l'usage de la cene, on doit croire, selon lui, si l'on ne veut donner dans les visions les plus ridicules :

Que le pain & le vin qu'on y prend, n'est autre chose que manger du pain & boire du vin, soit qu'on fasse cette cérémonie avec foi ou non, spirituellement ou corporellement.

Que Dieu ne verse aucune vertu sur le pain ni sur le vin de l'Eucharistie, qui restent toujours les mêmes en nature, quoi qu'en puissent dire les Transsubstantiateurs. Voyez TRANSUBSTANTIATION.

Que l'usage de faire cette manducation orale seul au nom de tous, ou avec les fideles assemblés qui y participent, n'est institué que pour l'action de grace, qui se peut très-bien faire sans cette formule ; en un mot, que la cene n'est point un sacrement.

Qu'elle n'a point d'autre fin que de nous rappeller la mémoire de la mort de Jesus-Christ, & que c'est une absurdité de penser qu'elle nous procure quelques nouvelles graces, ou qu'elle nous conserve dans celles que nous avons. Voyez EUCHARISTIE & CENE.

Qu'il en est de même des autres cérémonies auxquelles on a donné le nom de sacremens.

Qu'on peut, sans craindre de s'écarter de la vérité, en rejetter la pratique & l'efficace.

Que pour le mariage, il ne devroit être chez tous les peuples de la terre qu'un contrat purement civil.

Que ce n'est même qu'en l'instituant comme tel, par un petit nombre de loix sages & invariables, mais toujours relatives à la constitution politique, au climat & à l'esprit général de la nation à laquelle elles seront destinées, qu'on pourra par la suite réparer les maux infinis en tout genre que ce lien considéré comme sacré & indissoluble, a causé dans tous les états où le christianisme est établi. Voyez MARIAGE & POPULATION.

IV. Quatrieme pas : sur l'éternité des peines & la résurrection. Nous venons de voir Socin faire des efforts aussi scandaleux qu'inutiles & impies, pour détruire l'efficace, la nécessité, la validité & la sainteté des sacremens. Nous allons voir dans ce paragraphe ses sectateurs téméraires marcher aveuglément sur ses dangereuses traces, & passer rapidement de la réjection des sacremens à celle de l'éternité des peines & de la résurrection, dogmes non moins sacrés que les précédens, & sur lesquels la plûpart des Unitaires admettent sans détour le sentiment des Origénistes & des Saducéens, condamné il y a longtems par l'Eglise. Pour montrer à quel point cette secte héterodoxe pousse la liberté de penser, & la fureur d'innover en matiere de religion, je vais traduire ici trois ou quatre morceaux de leurs ouvrages sur le sujet en question. Ce sera une nouvelle confirmation de ce que j'ai dit ci-dessus de la nécessité d'un juge dépositaire infaillible de la foi, & en même tems une terrible leçon pour ceux qui ne voudront pas captiver leur entendement sous l'obéissance de la foi, captivantes intellectum ad obsequium fidei, pour me servir des propres termes de S. Paul. Mais écoutons nos hérétiques réfractaires.

" Il est certain, disent-ils, que de toutes les idées creuses, de tous les dogmes absurdes & souvent impies que les théologiens catholiques & protestans ont avancés comme autant d'oracles célestes, il n'y en a peut-être point, excepté la Trinité & l'Incarnation, contre lesquels la raison fournisse de plus fortes & de plus solides objections que contre ceux de la résurrection des corps & l'éternité des peines. La premiere de ces opinions n'est à la vérité qu'une rêverie extravagante, qui ne séduira jamais un bon esprit, quand il n'auroit d'ailleurs aucune teinture de physique expérimentale ; mais la seconde est un blasphême dont tout bon chrétien doit avoir horreur. Juste ciel ! quelle idée faudroit il avoir de Dieu, si cette hypothèse étoit seulement vraisemblable ? Comment ces ames de pierre, qui osent déterminer le degré & la durée des tourmens que l'être suprême infligera, selon eux, aux pécheurs impénitens, peuvent-ils, sans trembler, annoncer ce terrible arrêt ? de quel droit & à quel titre se donnent-ils ainsi l'exclusion, & s'exemptent-ils des peines dont ils menacent si inhumainement leurs freres ? Qui leur a dit à ces hommes de sang qu'ils ne prononçoient pas eux mêmes leur propre condamnation, & qu'ils ne seroient pas un jour obligés d'implorer la clémence & la miséricorde infinies de cet être souverainement bon qu'ils représentent aujourd'hui comme un pere cruel & implacable, qui ne peut être heureux que par le malheur & le supplice éternels de ses enfans ? Je ne débattrai point à toujours, & je ne serai point indigné à jamais, dit Dieu dans Isaïe. Après un texte aussi formel, & tant d'autres aussi décisifs que nous pourrions rapporter, quels sont les théologiens assez insensés pour se déclarer encore en faveur d'une opinion qui donne si directement atteinte aux attributs les plus essentiels de la divinité, & par conséquent à son existence ? Comment peut-on croire qu'elle punisse éternellement des péchés qui ne sont point éternels & infinis, & qu'elle exerce une vengeance continuelle sur des êtres qui ne peuvent jamais l'offenser, quelque chose qu'ils fassent ? Mais en supposant même que l'homme puisse réellement offenser Dieu, proposition qui nous paroît aussi absurde qu'impie, quelle énorme disproportion n'y auroit-il pas entre des fautes passageres, un désordre momentané, & une punition éternelle ? Un juge équitable ne voudroit pas faire souffrir des peines éternelles à un coupable pour des péchés temporels & qui n'ont duré qu'un tems. Pourquoi donc veut-on que Dieu soit moins juste & plus cruel que lui ? D'ailleurs, comme le dit très-bien un (a) auteur célebre, un tourment qui ne doit avoir aucune fin ni aucun relâche, ne peut être d'aucune utilité à celui qui le souffre, ni à celui qui l'inflige ; il ne peut être utile à l'homme, s'il n'est pas pour lui un état d'amélioration, & il ne peut l'être, s'il ne reste aucun lieu à la repentance, s'il n'a ni le tems de respirer, ni celui de réfléchir sur sa condition. L'éternité des peines est donc de tout point incompatible avec la sagesse de Dieu, puisque dans cette hypothèse il seroit méchant uniquement pour le plaisir de l'être. " Voyez la collect. des freres Polonois.

(a) Le hazard m'a fait découvrir que c'est de Thomas Burnet dont il est ici question ; car en lisant un de ses ouvrages, j'y ai trouvé le passage cité ici par les Sociniens. Neque Deo, neque homini prodesse potest cruciatus indesiniens & sine exitu ; non utique homini si nullus locus sit resipiscentiae, meliorescere possit punitus, si nulla intermissio, aut levamen ad respirandum paulisper, & deliberandum de animo & sorte mutandis. Thom. Burnet de stat. mortuor. & resurg. cap. xi. p. 240.

" Disons plus : si ce qu'on appelle juste & injuste, vertu & vice, étoit tel par sa nature, & ne dépendoit pas des institutions arbitraires des hommes, il pourroit y avoir un bien & un mal moral proprement dits, fondés sur des rapports immuables & éternels d'équité & de bonté antérieurs aux loix politiques, & par conséquent des êtres bons & méchans moralement : de tels êtres seroient alors de droit sous la jurisdiction de Dieu, & pouvant mériter ou démeriter vis-à-vis de lui, il pourroit les punir ou les récompenser dans sa cité particuliere. Mais comme les termes de juste & d'injuste, de vertu & de vice, sont des mots abstraits & métaphysiques, absolument inintelligibles, si on ne les applique à des êtres physiques, sensibles, unis ensemble par un acte exprès ou tacite d'association, il s'ensuit que tout ce qui est utile ou nuisible au bien général & particulier d'une société ; tout ce qui est ordonné ou défendu par les loix positives de cette société, est pour elle la vraie & unique mesure du juste & de l'injuste, de la vertu & du vice, & par conséquent qu'il n'y a réellement de bons & de méchans, de vertueux & de vicieux, que ceux qui font le bien ou le mal des corps politiques dont ils sont membres, & qui en enfreignent ou qui en observent les loix. Il n'y a donc, à parler exactement, aucune moralité dans les actions humaines ; ce n'est donc point à Dieu à punir, ni à récompenser, mais aux loix civiles : car que diroit-on d'un souverain qui s'arrogeroit le droit de faire torturer dans ses états les infracteurs des loix établies dans ceux de ses voisins ? D'ailleurs pourquoi Dieu puniroit-il les méchans ? Pourquoi même les haïroit - il ? Qu'est ce que le méchant, sinon une machine organisée qui agit par l'effort irrésistible de certains ressorts qui la meuvent dans telle & telle direction, & qui la déterminent nécessairement au mal ? Mais si une montre est mal réglée, l'horloger qui l'a faite est-il en droit de se plaindre de l'irrégularité de ses mouvemens ? & n'y auroit-il pas de l'injustice ou plutôt de la folie à lui d'exiger qu'il y eût plus de perfection dans l'effet qu'il n'y en a eu dans la cause ? Ici l'horloger est Dieu, ou la nature, dont tous les hommes, bons ou méchans, sont l'ouvrage. Il est vrai que saint Paul ne veut pas que le vase dise au potier, pourquoi m'as-tu ainsi fait ? Mais, comme le remarque judicieusement un (c) philosophe illustre, cela est fort bien, si le potier n'exige du vase que des services qu'il l'a mis en état de lui rendre ; mais s'il s'en prenoit au vase de n'être pas propre à un usage pour lequel il ne l'auroit pas fait, le vase auroit-il tort de lui dire, pourquoi m'as-tu fait ainsi ?

Pour nous nous croyons fermement que s'il y a une vie à venir, tous les hommes, sans exception, y jouiront de la suprême béatitude, selon ces paroles expresses de l'apôtre : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Si, par impossible, il y en avoit un seul de malheureux, l'objection contre l'existence de Dieu seroit aussi forte pour ce seul être, que pour tout le genre humain. Comment ces théologiens impitoyables qui tordent avec tant de mauvaise foi les écritures pour y trouver des preuves de l'éternité des peines, & par conséquent de l'injustice de Dieu, ne voient-ils pas que tout ce que Jesus-Christ & ses apôtres ont dit des tourmens de l'enfer, n'est qu'allégorique & semblable à ce qu'ont écrit les (d) poëtes d'Ixion, de Sysiphe, de Tantale, &c. & qu'en parlant de la sorte, Jesus-Christ & ses disciples s'accommodoient aux opinions reçues de leur tems parmi le peuple à qui la crainte de l'enfer peut quelquefois servir de frein au défaut d'une bonne législation " ? Voyez la collect. des freres Polon.

On peut voir sous le mot ENFER ce qu'on oppose à ces idées des Sociniens. Disons seulement ici que ce qui rend leur conversion impossible, c'est qu'ils combattent nos dogmes par des raisonnemens philosophiques, lorsqu'ils ne devroient faire que se soumettre humblement, & imposer silence à leur raison, puisqu'enfin nous cheminons par foi & non point par vue, comme le dit très-bien S. Paul.

Quoi qu'il en soit, voyons ce qu'ils ont pensé de la résurrection. Ils disent donc,

Qu'il est aisé de voir, pour peu qu'on y réfléchisse attentivement, qu'il est métaphysiquement impossible que les particules d'un corps humain, que la mort & le tems ont dispersées en mille endroits de l'univers, puissent jamais être rassemblées même par l'efficace de la puissance divine.

Qu'un auteur anglois, aussi profond théologien que bon physicien, & auquel on n'a jamais reproché de favoriser en rien leurs sentimens, paroît avoir été frappé du poids & de l'importance de cette objection ; & qu'il n'a rien négligé pour la mettre dans toute sa force. Ils citent ensuite le passage de cet auteur, dont voici la traduction.

" On sçait & on voit tous les jours de ses propres yeux que les cendres & les particules des cadavres sont en mille manieres dispersées par mer & par terre ; & non-seulement par toute la terre, mais qu'étant élevées dans la région de l'air, par la chaleur & l'attraction du soleil, elles sont jettées & dissipées en mille différens climats ; & elles ne sont pas seulement dispersées, mais elles sont aussi comme insérées dans les corps des animaux, des arbres & autres choses d'où elles ne peuvent être retirées facilement. Enfin dans la transmigration de ces corpuscules dans d'autres corps, ces parties ou particules prennent de nouvelles formes & figures, & ne retiennent pas les mêmes qualités & la même nature.

Cette difficulté se faisant sentir vivement à ceux qui sont capables de réflexion & à ceux qui ne donnent pas tête baissée dans les erreurs populaires, on demande si ce miracle dont nous venons de parler, si cette récollection de toutes ces cendres, de toutes ces particules dispersées en un million de lieux, & métamorphosées en mille sortes de différens corps, est dans l'ordre des choses possibles.

Il y a plusieurs personnes qui en doutent, & qui, pour appuyer leur incrédulité sur ce sujet, alleguent la voracité de certaines nations, de certains antropophages qui se mangent les uns les autres, & qui se nourrissent de la chair humaine : cela supposé, voici comme ils raisonnent : c'est qu'en ce cas il sera impossible que cette même chair qui a contribué à faire de la chair à tant de différens corps alternativement puisse être rendue numériquement & spécifiquement à divers corps en même tems.

Mais pourquoi nous retrancher sur ce petit nombre d'antropophages ? Nous le sommes tous, & tous tant que nous sommes nous nous repaissons des dépouilles & des cadavres des autres hommes, non pas immédiatement, mais après quelques transmutations en herbes, & dans ces animaux nous mangeons nos ancêtres ou quelques-unes de leurs parties. Si les cendres de chaque homme avoient été serrées & conservées dans des urnes depuis la création du monde, ou plutôt si les cadavres de tous les hommes avoient été convertis en momies, & qu'ils fussent restés entiers ou presqu'entiers,

(c) Je ne sai point quel est l'auteur que les Sociniens ont ici en vue.

(d) C'est ce que les Sociniens disent expressément dans les actes de la conférence de Racovie.

il y auroit quelqu'espérance de rassembler toutes les parties du corps, n'ayant pas été confondues ni mêlangées dans d'autres corps : mais puisque les cadavres sont presque tous dissous & dissipés, que leurs parties sont mêlangées dans d'autres corps, qu'elles s'exhalent en l'air, qu'elles retombent en pluie & en rosée, qu'elles sont imbibées par les racines, qu'elles concourent à la production des graines, des blés & des fruits, d'où par une circulation continuelle elles rentrent dans des corps humains, & redeviennent corps humains ; il se peut faire que par ce circuit presqu'infini la même matiere aura subi plus de différentes métamorphoses, & aura habité plus de corps que ne le fit l'ame de Pythagore. Or elle ne peut être rendue à chacun de ces corps dans la résurrection ; car si elle est rendue aux premiers hommes qui ont existé, comme il paroît juste que cela soit, il n'y en aura plus pour ceux qui sont venus après eux ; & si on la rend à ces derniers, ce sera alors au préjudice de leurs ancêtres. Supposons, par exemple, que les premiers descendans d'Adam ou les hommes des premiers siecles redemandent leurs corps, & qu'ensuite les peuples de chaque siecle successif recherchent aussi les leurs, il arrivera que les neveux d'Adam les plus reculés ou les derniers habitans de la terre auront à peine assez de matiere pour faire des demi-corps (e) ". Voyez RESURRECTION.

V. Cinquieme pas. Nous voici arrivés au mystere incompréhensible, mais divin, de la Trinité, cet éternel sujet de scandale des Sociniens, cette cause de leur division d'avec les Protestans, ce dogme enfin qu'ils ont attaqué avec tant d'acharnement qu'ils en ont mérité le surnom d'antitrinitaires.

Ils commencerent par renouveller les anciennes hérésies de Paul de Samosate & d'Arius, mais bientôt prétendant que les Ariens avoient trop donné à Jésus-Christ, ils se déclarerent nettement Photiniens & sur-tout Sabelliens ; mais ils donnerent aux objections de ces hérésiarques une toute autre force, & en ajouterent même de nouvelles qui leur sont particulieres : enfin ils n'omirent aucune des raisons qu'ils crurent propres à déraciner du coeur des fideles un dogme aussi nécessaire au salut, & aussi essentiel à la foi & aux bonnes moeurs.

Pour faire connoître leurs sentimens sur ce dogme, il suffit de dire qu'ils soutiennent que rien n'est plus contraire à la droite raison que ce que l'on enseigne parmi les Chrétiens touchant la Trinité des personnes dans une seule essence divine, dont la seconde est engendrée par la premiere, & la troisieme procede des deux autres.

Que cette doctrine inintelligible ne se trouve dans aucun endroit de l'Ecriture.

Qu'on ne peut produire un seul passage qui l'autorise, & auquel on ne puisse, sans s'écarter en aucune façon de l'esprit du texte, donner un sens plus clair, plus naturel, plus conforme aux notions communes, & aux vérités primitives & immuables.

Que soutenir, comme font leurs adversaires, qu'il y a plusieurs personnes distinctes dans l'essence divine, & que ce n'est pas l'éternel qui est le seul vrai Dieu, mais qu'il y faut joindre le Fils & le S. Esprit, c'est introduire dans l'église de J. C. l'erreur la plus grossiere & la plus dangereuse ; puisque c'est favoriser ouvertement le Polythéisme.

Qu'il implique contradiction de dire qu'il n'y a qu'un Dieu, & que néanmoins il y a trois personnes, chacune desquelles est véritablement Dieu.

Que cette distinction, un en essence, & trois en personnes, n'a jamais été dans l'Ecriture.

Qu'elle est manifestement fausse, puisqu'il est certain qu'il n'y a pas moins d'essences que de personnes, & de personnes que d'essences.

Que les trois personnes de la Trinité sont ou trois substances différentes, ou des accidens de l'essence divine, ou cette essence même sans distinction.

Que dans le premier cas on fait trois dieux.

Que dans le second on fait Dieu composé d'accidens, on adore des accidens, & on métamorphose des accidens en des personnes.

Que dans le troisieme, c'est inutilement & sans fondement qu'on divise un sujet indivisible, & qu'on distingue en trois ce qui n'est point distingué en soi.

Que si on dit que les trois personnalités ne sont ni des substances différentes dans l'essence divine, ni des accidens de cette essence, on aura de la peine à se persuader qu'elles soient quelque chose.

Qu'il ne faut pas croire que les trinitaires les plus rigides & les plus décidés, aient eux-mêmes quelque idée claire de la maniere dont les trois hypostases subsistent en Dieu, sans diviser sa substance, & par conséquent sans la multiplier.

Que S. Augustin lui-même, après avoir avancé sur ce sujet mille raisonnemens aussi faux que ténébreux, a été forcé d'avouer qu'on ne pouvoit rien dire sur cela d'intelligible.

Ils rapportent ensuite le passage de ce pere, qui en effet est très-singulier. " Quand on demande, dit-il, ce que c'est que les trois, le langage des hommes se trouve court, & l'on manque de termes pour les exprimer : on a pourtant dit trois personnes, non pas pour dire quelque chose, mais parce qu'il faut parler, & ne pas demeurer muet " Dictum est tamen tres personae, non ut aliquid diceretur, sed ne taceretur. De Trinit. l. V. c. ix.

Que les théologiens modernes n'ont pas mieux éclairci cette matiere.

Que quand on leur demande ce qu'ils entendent par ce mot de personne, ils ne l'expliquent qu'en disant que c'est une certaine distinction incompréhensible, qui fait que l'on distingue dans une nature unique en nombre, un Pere, un Fils & un S. Esprit.

Que l'explication qu'ils donnent des termes d'engendrer & de procéder, n'est pas plus satisfaisante ; puisqu'elle se réduit à dire que ces termes marquent certaines relations incompréhensibles qui sont entre les trois personnes de la trinité.

Que l'on peut recueillir de là que l'état de la question entre les orthodoxes & eux, consiste à savoir s'il y a en Dieu trois distinctions dont on n'a aucune idée, & entre lesquelles il y a certaines relations dont on n'a point d'idée non-plus.

De tout cela ils concluent qu'il seroit plus sage de s'en tenir à l'autorité des apôtres, qui n'ont jamais parlé de la trinité, & de bannir à jamais de la religion tous les termes qui ne sont pas dans l'Ecriture, comme ceux de trinité, de personne, d'essence, d'hypostase, d'union hypostatique & personnelle, d'incarnation, de génération, de procession, & tant d'autres semblables, qui étant absolument vuides de sens puisqu'ils n'ont dans la nature aucun être réel représentatif, ne peuvent exciter dans l'entendement que des notions fausses, vagues, obscures & incompletes, &c.

Voyez le mot TRINITE, où ces argumens sont examinés & réduits à leur juste valeur, & où le mystere en lui-même est très-bien exposé. Voyez aussi dans les Nouvelles de la république des lettres de Bayle, ann. 1685, le parallele de la Trinité avec les trois dimensions de la matiere.

VI. Sixieme pas. Sur l'incarnation & la personne de J. C. les Unitaires ne se sont pas moins écartés de la foi pure & sainte de l'Eglise : comme ils avoient détruit le mystere de la trinité, il falloit par une conséquence

(e) Voyez Thomas Burnet, docteur en Théologie, & maître de la chartreuse de Londres, dans son traité de statu mortuorum & resurgentium, cap. 9. p. 168. & seq.

nécessaire, attaquer jusque dans ses fondemens celui de l'incarnation ; car ces deux mysteres ineffables exigeant pour être crus le même sacrifice de la raison à l'autorité, ils ne se seroient pas suivis s'ils eussent admis l'un & rejetté l'autre. Mais malheureusement ils n'ont été que trop conséquens, ainsi qu'on l'a pu voir par tout ce qui précede : quoi qu'il en soit ils prétendent,

Que l'opinion de ceux qui disent que le verbe, ou la seconde personne de la trinité a été unie hypostatiquement à l'humanité de J. C. & qu'en vertu de cette union personnelle de la nature divine avec l'humaine, il est Dieu & homme tout ensemble, est fausse & contradictoire.

Que ce Dieu incarné n'a jamais existé que dans le cerveau creux de ces mystiques, qui ont fait d'une vertu, ou d'une manifestation divine externe, une hypostase distincte, contre le sens naturel des termes dont S. Jean s'est servi.

Que lorsqu'il dit, que la parole a été faite chair, cela ne signifie autre chose, sinon que la chair de J. C. a été le nuage glorieux où Dieu s'est rendu visible dans ces derniers tems, & d'où il a fait entendre ses volontés.

Que ce seroit se faire illusion, & donner à ces paroles claires en elles-mêmes, l'interprétation la plus forcée que de les entendre comme si elles signifioient qu'un Dieu s'est véritablement incarné, tandis qu'elles ne désignent qu'une simple présence d'assistance & d'opération.

Que si on lit avec autant d'attention que d'impartialité, les premiers versets de l'évangile selon S. Jean, & qu'on n'y cherche pas plus de mystere qu'il n'y en a réellement, on sera convaincu que l'auteur n'a jamais pensé ni à la préexistence d'un verbe distinct de Dieu, & Dieu lui-même, ni à l'incarnation.

Non contens d'accommoder l'Ecriture à leurs hypothèses, ils soutiennent

Que l'incarnation étoit inutile, & qu'avec la foi la plus vive, il est impossible d'en voir le cui bono.

Ils appliquent à l'envoi que Dieu a fait de son fils pour le salut des hommes, le fameux passage d'Horace.

Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus

Inciderit.

Si on leur répond qu'il ne falloit pas moins que le sang d'un Dieu-homme pour expier nos péchés & pour nous racheter, ils demandent pourquoi Dieu a eu besoin de cette incarnation, & pourquoi au-lieu d'abandonner aux douleurs, à l'ignominie & à la mort son fils Dieu, égal & consubstantiel à lui, il n'a pas au contraire changé le coeur de tous les hommes, ou plutôt pourquoi il n'a pas opéré de toute éternité leur sanctification par une seule volition.

Ils disent que cette derniere économie s'accorde mieux avec les idées que nous avons de la puissance, de la sagesse & de la bonté infinies de Dieu.

Que l'hypothèse de l'incarnation confond & obscurcit toutes ces idées, & multiplie les difficultés au-lieu de les résoudre.

Les Catholiques & les Protestans leur opposent avec raison tous les textes de l'Ecriture ; mais les Unitaires soutiennent au contraire, que si on se fût arrêté au seul nouveau Testament, on n'auroit point fait de J. C. un Dieu. Pour confirmer cette opinion, ils citent un passage très-singulier d'Eusebe, Hist. ecclés. l. I. c. ij. où ce pere dit, " qu'il est absurde & contre toute raison, que la nature non engendrée & immuable du Dieu tout-puissant, prenne la forme d'un homme, & que l'Ecriture forge de pareilles faussetés ".

A ce passage ils en joignent deux autres non moins étranges ; l'un de Justin martyr, & l'autre de Tertullien, qui disent la même chose. (f)

Si on objecte aux Sociniens que J. C. est appellé Dieu dans les saintes lettres, ils répondent que ce n'est que par métaphore, & à raison de la grande puissance dont le Pere l'a revêtu.

Que ce mot Dieu se prend dans l'Ecriture en deux manieres ; la premiere pour le grand & unique Dieu, & la seconde pour celui qui a reçu de cet être suprême une autorité ou une vertu extraordinaire, ou qui participe en quelque maniere aux perfections de la divinité.

Que c'est dans ces derniers sens qu'on dit quelquefois dans l'Ecriture que J. C. est Dieu, quoi qu'il ne soit réellement qu'un simple homme qui n'a point existé avant sa naissance, qui a été conçu à la maniere des autres hommes, & non par l'opération du S. Esprit, qui n'est pas une personne divine, mais seulement la vertu & l'efficacité de Dieu, &c.

Socin anéantit ensuite la rédemption de J. C. & réduit ce qu'il a fait pour les hommes à leur avoir donné des exemples de vertus héroïques ; mais ce qui prouve sur-tout le peu de respect qu'il avoit pour le nouveau Testament, c'est ce qu'il dit sur la satisfaction de J. C. dans un de ses ouvrages adressé à un théologien. " Quand l'opinion de nos adversaires, dit-il, se trouveroit écrite, non pas une seule fois, mais souvent dans les écrits sacrés, je ne croirois pourtant pas que la chose va comme vous pensez ; car comme cela est impossible, j'interprêterois les passages en leur donnant un sens commode, comme je fais avec les autres en plusieurs autres passages de l'Ecriture ".

Voyez ce que les Catholiques opposent aux argumens de ces hérétiques, sous les mots INCARNATION, REDEMPTION & SATISFACTION.

VII. Septieme pas. Sur la discipline ecclésiastique, la politique & la morale, les Unitaires ont avancé des opinions qui ne sont ni moins singulieres, ni moins hétérodoxes, & qui jointes à ce qui précede, acheveront de faire voir (on ne peut trop le répéter), qu'en partant comme eux de la réjection d'une autorité infaillible en matiere de foi, & en soumettant toutes les doctrines religieuses au tribunal de la raison, on marche dès ce moment à grands pas vers le déisme ; mais ce qui est plus triste encore, c'est que le déisme n'est lui-même, quoi qu'en puissent dire ses apologistes, qu'une religion inconséquente, & que vouloir s'y arrêter, c'est errer inconséquemment, & jetter l'ancre dans des sables mouvans : c'est ce qu'il me seroit très-facile de démontrer si c'en étoit ici le lieu, mais il vaut mieux suivre nos sectaires, & achever le tableau de leurs erreurs théologiques, en exposant leurs sentimens sur les points qui font le sujet de cet article.

Ils disent qu'il y a dans tous les états chrétiens, un vice politique qui a été jusqu'à présent pour eux une source intarissable de maux & de désordres de toute espece.

Que les funestes effets en deviennent de jour en jour plus sensibles ; & que tôt ou tard il entraînera infailliblement la ruine de ces empires, si les souverains ne se hâtent de le détruire.

Que ce vice est le pouvoir usurpé & par conséquent injuste des ecclésiastiques, qui faisant dans chaque état un corps à part qui a ses loix, ses privileges, sa police, & quelquefois son chef particulier, rompent par cela même cette union de toutes les forces & de toutes les volontés qui doit être le caractere distinctif de toute société politique bien constituée, & introduisent réellement deux maîtres au lieu d'un.

Qu'il est facile de voir combien un pareil gouvernement

(f) Voyez Justin martyr. dial. cum Tryphon. & Tertullien, adv. Prax. cap. 16.

est vicieux, & contraire même au pacte fondamental d'une association légitime.

Que plus le mal qui en résulte est sensible, plus on a lieu de s'étonner, que les souverains qui sont encore plus intéressés que leurs sujets à en arrêter les progrès rapides, n'aient pas secoué il y a longtems le joug de cette puissance sacerdotale qui tend sans cesse à tout envahir.

Que pour eux, sans cesse animés de l'amour de la vérité & du bien public, malgré les persécutions cruelles dont cet amour les a rendus si souvent les victimes, ils oseront établir sur cette matiere si importante pour tous les hommes en général, un petit nombre de principes, qui en affermissant les droits & le pouvoir trop long-tems divisés, & par conséquent affoiblis des souverains, de quelque maniere qu'ils soient représentés, serviront en même tems à donner aux différens corps politiques un fondement plus solide & plus durable. Après ce préambule singulier, nos sectaires entrent aussi-tôt en matiere, posent pour principe, qu'une regle sûre, invariable, & dont ceux qui, dans un gouvernement quelconque, sont revêtus légitimement de la souveraineté, ne doivent jamais s'écarter, sous quelque prétexte que ce soit ; c'est celle que tous les philosophes législateurs ont regardée avec raison, comme la loi fondamentale de toute bonne politique, & que Cicéron a exprimée en ces termes : Salus populi suprema lex est, le salut du peuple est la suprême loi.

Que de cette maxime incontestable, & sans l'observation de laquelle tout gouvernement est injuste, tyrannique, & par cela même, sujet à des révolutions ; il résulte :

1°. Qu'il n'y a de doctrine religieuse véritablement divine & obligatoire, & de morale réellement bonnes, que celles qui sont utiles à la société politique à laquelle on les destine ; & par conséquent que toute religion & toute morale qui tendent chacune, suivant son esprit & sa nature, d'une maniere aussi directe qu'efficace, au but principal que doivent avoir tous les gouvernemens civils, légitimes, sont bonnes & revélées en ce sens, quels qu'en soient d'ailleurs les principes.

2°. Que ce qu'on appelle dans certains états la parole de Dieu, ne doit jamais être que la parole de la loi, ou si l'on veut l'expression formelle de la volonté générale statuant sur un objet quelconque.

3°. Qu'une religion qui prétend être la seule vraie, est par cela même, mauvaise pour tous les gouvernemens, puisqu'elle est nécessairement intolérante par principe.

4°. Que les disputes frivoles des Théologiens n'étant si souvent funestes aux états où elles s'élevent, que parce qu'on y attache trop d'importance, & qu'on s'imagine faussement que la cause de Dieu y est intéressée ; il est de la prudence & de la sagesse du corps législatif, de ne pas faire la moindre attention à ces querelles, & de laisser aux ecclésiastiques, ainsi qu'à tous les sujets, la liberté de servir Dieu, selon les lumieres de leur conscience.

De croire & d'écrire ce qu'ils voudront sur la religion, la politique & la morale.

D'attaquer même les opinions les plus anciennes.

De proposer au souverain l'abrogation d'une loi qui leur paroîtra injuste ou préjudiciable en quelque sorte au bien de la communauté.

De l'éclairer sur les moyens de perfectionner la législation, & de prévenir les usurpations du gouvernement.

De déterminer exactement la nature & les limites des droits & des devoirs réciproques du prince & des sujets.

De se plaindre hautement des malversations & de la tyrannie des magistrats, & d'en demander la déposition ou la punition, selon l'exigence des cas.

En un mot, qu'il est de l'équité du souverain de ne géner en rien la liberté des citoyens qui ne doivent être soumis qu'aux loix, & non au caprice aveugle d'une puissance exécutrice & tyrannique.

5°. Que pour ôter aux prêtres l'autorité qu'ils ont usurpée, & arracher pour jamais de leurs mains le glaive encore sanglant de la superstition & du fanatisme, le moyen le plus efficace est de bien persuader au peuple.

Qu'il n'y a aucune religion bonne exclusivement.

Que le culte le plus agréable à Dieu, si toutefois Dieu en peut exiger des hommes, est l'obéissance aux loix de l'état.

Que les véritables saints sont les bons citoyens, & que les gens sensés n'en reconnoîtront jamais d'autres.

Qu'il n'y a d'impies envers les dieux, que les infracteurs du contrat social.

En un mot, qu'il ne doit regarder, respecter & aimer la religion quelle qu'elle soit, que comme une pure institution de police relative, que le souverain peut modifier, changer, & même abolir d'un instant à l'autre, sans que le prétendu salut spirituel des sujets soit pour cela en danger. C'est bien ici qu'on doit dire que la fin est plus excellente que les moyens : mais suivons.

6°. Que les privileges & les immunités des ecclésiastiques étant un des abus les plus pernicieux qui puissent s'introduire dans un état ; il est de l'intérêt du souverain, d'ôter sans aucune restriction ni limitation ces distinctions choquantes, & ces exemptions accordées par la superstition dans des siecles de ténébres, & qui tendent directement à la division de l'empire. Voyez les lettres ne repugnate vestro bono.

7°. Enfin, que le célibat des prêtres, des moines, & des autres ministres de la religion, ayant causé depuis plusieurs siecles, & causant tous les jours des maux effroyables aux états, où il est regardé comme d'institution divine, & en tant que tel ordonné par le prince ; on ne peut trop se hâter d'abolir cette loi barbare & destructrice de toute société civile, visiblement contraire au but de la nature, puisqu'elle l'est à la propagation de l'espece, & qui prive injustement des êtres sensibles, du plaisir le plus doux de la vie, & dont tous leurs sens les avertissent à chaque instant qu'ils ont le droit, la force & le desir de jouir. Voyez CELIBAT & POPULATION.

Que les avantages de ce plan de législation sont évidens pour ceux dont les vûes politiques, vastes & profondes, ne se bornent pas à suivre servilement celles de ceux qui les gouvernent.

Qu'il seroit à souhaiter pour le bien de l'humanité, que les souverains s'empressassent de le suivre, & de prévenir par ce nouveau systême d'administration les malheurs sans nombre & les crimes de toute espece, dont le pouvoir tyrannique des prêtres & les disputes de religion ont été si souvent la cause, principalement depuis l'établissement du christianisme, &c.

D'autres unitaires moins hardis à la tête desquels est Socin, ont sur la discipline & la morale des idées fort différentes : ceux-ci se contentent de dire avec leur chef :

Qu'il n'est pas permis à un chrétien de faire la guerre, ni même d'y aller sous l'autorité & le commandement d'un prince, ni d'employer l'assistance du magistrat pour tirer vengeance d'une injure qu'on a reçue.

Que faire la guerre, c'est toujours mal faire, & agir contre le précepte formel de J. C.

Que J. C. a défendu les sermens qui se font en particulier, quand même ce seroit pour assurer des choses certaines : Socin ajoute pour modifier son opinion, que si les choses étoient de conséquence, on pourroit jurer.

Qu'un chrétien ne peut exercer l'office de magistrat, si dans cet emploi il faut user de violence.

Que les chrétiens ne peuvent donner cet office à qui que ce soit.

Qu'il n'est pas permis aux Chrétiens de défendre leur vie, ni celle des autres par la force même contre les voleurs & les autres ennemis, s'ils peuvent la défendre autrement ; parce qu'il est impossible que Dieu permette qu'un homme véritablement pieux, & qui se confie à lui avec sincérité, se trouve dans ces fâcheuses rencontres où il veuille se conserver aux dépens de la vie du prochain.

Que le meurtre que l'on fait de son aggresseur est un plus grand crime que celui qu'on commet en se vengeant ; car dans la vengeance on ne rend que la pareille ; mais ici, c'est-à-dire, en prévenant son voleur ou son ennemi, on tue un homme qui n'avoit que la volonté de faire peur, afin de voler plus aisément.

Que les ministres, les prédicateurs, les docteurs, & autres, n'ont pas besoin de mission ni de vocation.

Que ces paroles de S. Paul, comment pourront-ils prêcher si on ne les envoye, ne s'entendent pas de toutes sortes de prédications, mais seulement de la prédication d'une nouvelle doctrine, telle qu'étoit celle des apôtres par rapport aux Gentils.

Les Sociniens agissent en conséquence ; car dans leurs assemblées de religion, tous les assistans ont la liberté de parler. Un d'entr'eux commence un chapitre de l'Ecriture, & quand il a lu quelques versets qui forment un sens complet, celui qui lit & ceux qui écoutent, disent leur sentiment s'ils le jugent àpropos sur ce qui a été lu ; c'est à quoi se réduit tout leur culte extérieur.

Je finis ici l'exposé des opinions théologiques des Unitaires : je n'ai pas le courage de les suivre dans tous les détails où ils sont entrés sur la maniere dont le canon des livres sacrés a été formé ; sur les auteurs qui les ont recueillis ; sur la question s'ils sont véritablement de ceux dont ils portent les noms ; sur la nature des livres apocryphes, & sur le préjudice qu'ils causent à la religion chrétienne ; sur la pauvreté & les équivoques de la langue hébraïque ; sur l'antiquité, l'utilité, & la certitude de la masore ; sur l'infidélité & l'inexactitude de la plûpart des versions de l'Ecriture ; sur les variétés de lecture qui s'y trouvent ; sur la fréquence des hébraïsmes que l'on rencontre dans le nouveau Testament ; sur le style des apôtres ; sur la précaution avec laquelle il faut lire les interprêtes & les commentateurs de la Bible ; sur la nécessité de recourir aux originaux pour ne pas leur donner un sens contraire au sujet des écrivains sacrés ; en un mot, sur plusieurs points de critique & de controverse, essentiels à la vérité, mais dont la discussion nous meneroit trop loin. Il me suffit d'avoir donné sur les objets les plus importans de la Théologie, une idée générale de la doctrine des Sociniens extraite de leurs propres écrits. Rien n'est plus capable, ce me semble, que cette lecture, d'intimider desormais ceux qui se sont éloignés de la communion romaine, & qui refusent de reconnoître un juge infaillible de la foi ; je ne dis pas dans le pape, car ce seroit se déclarer contre les libertés de l'église gallicane, mais dans les conciles généraux présidés par le pape.

Après avoir prouvé par l'exemple des Unitaires la nécessité de recourir à un pareil juge pour décider les matieres de foi, il ne me reste plus pour exécuter le plan que je me suis proposé, qu'à donner un abrégé succint de la philosophie des Sociniens ; on y trouvera de nouvelles preuves des écarts dans lesquels on donne, lorsqu'on veut faire usage de sa raison, & l'on verra que cette maniere de philosopher n'est au fond que l'art de décroire, si l'on peut se servir de ce terme. Entrons présentement en matiere ; & pour exprimer plus nettement les pensées de nos hérétiques, suivons encore la même méthode dont nous avons fait usage dans l'exposé précédent.

Socin & ses sectateurs reconnoissent unanimement un Dieu, c'est-à-dire, un être existant par lui-même, unique, nécessaire, éternel, universel, infini, & qui renferme nécessairement une infinité d'attributs & de propriétés ; mais ils nient en même tems que cette idée nous soit naturelle & innée (g). Ils prétendent,

Que ce n'est qu'en prenant le mot Dieu dans ce sens étendu, ou pour parler plus clairement, en établissant un systême de forces & de propriétés, comme une idée précise & représentative de sa substance, qu'on peut assurer sans crainte de se tromper, que cette proposition il y a un Dieu, a toute l'évidence des premiers principes ;

Que mieux on connoît toute la force des objections métaphysiques & physiques, toutes plus insolubles les unes que les autres, que l'homme abandonné à ses propres réflexions peut faire contre l'existence de Dieu considéré en tant que distinct du monde, & contre la Providence, plus on est convaincu qu'il est absolument impossible que les lumieres naturelles de la raison puissent jamais conduire aucun homme à une ferme & entiere persuasion de ces deux dogmes. Voyez DIEU.

Qu'il semble au contraire qu'elles le conduiroient plutôt à n'admettre d'autre Dieu que la nature universelle, &c.

Qu'il n'est pas moins impossible à quiconque veut raisonner profondément, de s'élever à la connoissance de l'Etre suprême par la contemplation de ses ouvrages.

Que le spectacle de la nature ne prouve rien, puisqu'il n'est à parler avec précision ni beau ni laid.

Qu'il n'y a point dans l'univers un ordre, une harmonie, ni un desordre, & une dissonnance absolus, mais seulement relatifs, & déterminés par la nature de notre existence pure & simple.

Que s'appliquer à la recherche des causes finales des choses naturelles, c'est le fait d'un homme qui établit sa foible intelligence pour la véritable mesure du beau & du bon, de la perfection & de l'imperfection. Voyez CAUSES FINALES.

Que les Physiciens qui ont voulu démontrer l'existence & les attributs de Dieu par les oeuvres de la création, n'ont jamais fait faire un pas à la science, & n'ont fait au fond que préconiser sans s'en appercevoir leur propre sagesse & leurs petites vûes.

Que ceux qui ont reculé les bornes de l'esprit humain, & perfectionné la philosophie rationnelle, sont ceux qui, appliquant sans cesse le raisonnement à l'expérience, n'ont point fait servir à l'explication de quelques phénomenes l'existence d'un être dont ils n'auroient su que faire un moment après.

Qu'une des plus hautes & des plus profondes idées qui soient jamais entrées dans l'esprit humain, c'est celle de Descartes, qui ne demandoit pour faire un monde comme le nôtre que de la matiere & du mouvement. Voyez CARTESIANISME.

Que pour bien raisonner sur l'origine du monde, & sur le commencement de sa formation, il ne faut recourir à Dieu que lorsqu'on a épuisé toute la série des causes méchaniques & matérielles.

(g) Voyez Socin, praelectionum theologicarum, cap. ij. p. 537. col. 2. tom. I. & alibi. Voyez aussi Crellius, de Deo & attributis, & sur - tout les Sociniens modernes.

Que ces causes satisfont à tout, & n'ont point les inconvéniens de l'autre systême ; puisqu'alors on raisonne sur des faits, & non sur des conjectures & des hypothèses.

Que la matiere est éternelle & nécessaire, & renferme nécessairement une infinité d'attributs, tant connus qu'inconnus. Voyez MATIERE & SPINOSISME.

Que l'homogénéité de ses molécules est une supposition absurde & insoutenable, par laquelle le systême de l'univers devient une énigme inexplicable ; ce qui n'arrive pas si, en suivant l'expérience, on considere la matiere comme un aggrégat d'élémens hétérogènes, & par conséquent doués de propriétés différentes.

Que c'est une assertion téméraire de dire avec quelques métaphysiciens que la matiere n'a ni ne peut avoir certaines propriétés, comme si on ne lui en découvroit pas tous les jours de nouvelles qu'on ne lui auroit jamais soupçonnées. Voyez AME, PENSEE, SENSATION, SENSIBILITE, &c.

Que la création du néant est une chose impossible & contradictoire. Voyez CREATION.

Que le cahos n'a jamais existé ; à-moins qu'on n'entende par ce mot l'état des molécules de la matiere au moment de leur coordination.

Que rigoureusement parlant, il n'y a point de repos absolu ; mais seulement cessation apparente de mouvement ; puisque la tendance, ou si l'on veut, le nisus, n'est lui-même qu'un mouvement arrêté.

Que dans l'univers la quantité de mouvement reste toujours la même ; ce qui est évident si on prend la somme totale des tendances & des forces vives.

Que l'accélération ou la retardation du mouvement dépend du plus ou moins de résistance des masses, & conséquemment de la nature des corps dans lesquels il est distribué ou communiqué.

Qu'on ne peut rendre raison de l'existence des corps mous, des corps élastiques, & des corps durs, qu'en supposant l'hétérogénéité des particules qui les composent. Voyez DURETE & ÉLASTICITE.

Que rien n'est mort dans la nature, mais que tout a une vie qui lui est propre & inhérente.

Que cette vérité si importante par elle-même, & par les conséquences qui en découlent, se trouve démontrée par les expériences que les Physiciens ont faites sur la génération, la composition, & la décomposition des corps organisés, & sur les infusions des plantes.

Que la plus petite partie d'un fluide quelconque, est peuplée de ces corps.

Qu'il en est vraisemblablement de même de tous les végétaux.

Que la découverte du polype, du puceron hermaphrodite, & tant d'autres de cette espece, sont aux yeux de l'observateur autant de clés de la nature, dont il se sert avec plus ou moins d'avantage, selon l'étendue ou la petitesse de ses vues.

Que la division que l'on fait ordinairement de la matiere en matiere vivante, & en matiere morte, est de l'homme & non de la nature.

Qu'il en faut dire autant de celle que l'on fait des animaux en genres, en especes, & en individus.

Qu'il n'y a que des individus.

Que le systême universel des êtres ne représente que les différentes affections ou modes d'une matiere hétérogene, éternelle, & nécessaire.

Que toutes ces affections ou coordinations quelconques, sont successives & transitoires.

Que toutes les especes sont dans une vicissitude continuelle, & qu'il n'est pas plus possible de savoir ce qu'elles seront dans deux cent millions d'années, que ce qu'elles étoient il y a un million de siecles.

Que c'est une opinion aussi fausse que peu philosophique, d'admettre sur l'autorité de certaines relations l'extemporanéité de la formation de l'univers, de l'organisation & de l'animation de l'homme, & des autres animaux sensibles & pensans, des plantes, &c.

Que ce monde, ainsi que tous les êtres qui en font partie, ont peut-être été précédés par une infinité d'autres mondes & d'autres êtres qui n'avoient rien de commun avec notre univers & avec nous que la matiere dont les uns & les autres étoient formés ; matiere qui ne périt point, quoiqu'elle change toujours de forme, & qu'elle soit susceptible de toutes les combinaisons possibles.

Que l'univers & tous les êtres qui coéxistent passeront, sans que qui que ce soit puisse conjecturer ce que deviendront tous ces aggrégats, & quelle sera leur organisation.

Que ce qu'il y a de sûr, c'est que, quelle que soit alors la coordination universelle, elle sera toujours belle, & que comme il n'y a personne qui puisse accuser celle qui est passée, il est de même impossible qu'il y ait quelqu'être qui accuse celle qui aura lieu dans la succession de la durée, &c. &c.

Si on demande aux Unitaires quelle idée ils ont de la nature de Dieu, ils ne font nulle difficulté de dire qu'il est corporel & étendu.

Que tout ce qui n'est point corps est un pur néant. Voyez MATERIALISME.

Que la spiritualité des substances est une idée qui ne mérite pas d'être réfutée sérieusement.

Que les plus savans peres de l'Eglise ne l'ont jamais connue.

Qu'ils ont tous donné un corps à Dieu, aux anges & aux ames humaines, mais un corps subtil, délié & aérien.

Que l'Ecriture favorise en mille endroits cette opinion.

Que le terme d'incorporel ne se trouve pas même dans toute la bible, ainsi que l'a remarqué Origene.

Que l'idée d'un Dieu corporel est si naturelle à l'homme, qu'il lui est impossible de s'en défaire tant qu'il veut raisonner sans préjugés, & ne pas croire sur parole ce qu'il ne comprend pas, & ce qui confond les idées les plus claires qui soient dans son esprit.

Qu'une substance incorporelle est un être contradictoire.

Que l'immensité & la spiritualité de Dieu sont deux idées qui s'entre-détruisent. Voyez DIEU.

Que l'immatérialisme est un athéisme indirect, & qu'on a fait de Dieu un être spirituel pour n'en rien faire du tout, puisqu'un esprit est un pur être de raison. Voyez ESPRIT.

Conséquemment à ces principes impies, ils soutiennent que l'homme est un.

Que le supposer composé de deux substances distinctes, c'est multiplier les êtres sans nécessité, puisque c'est employer à la production d'un effet quelconque le concours de plusieurs causes, lorsqu'une seule suffit. Voyez AME.

Qu'il n'y a aucune différence spécifique entre l'homme & la bête.

Que l'organisation est la seule chose qui les différencie.

Que l'un & l'autre agissent & se meuvent par les mêmes loix.

Qu'après la mort leur sort est égal ; c'est-à-dire, que les élémens de matiere qui les composent se désunissent, se dispersent, & vont se rejoindre à la masse totale pour servir ensuite à la nourriture & à l'organisation d'autres corps. Voyez IMMORTALITE, ANIMAL, ANIMALITE, &c.

Que s'il n'y a rien dans les mouvemens & les actions des bêtes qu'on ne puisse expliquer par les loix de la méchanique, il n'y a de même rien dans les oscillations, les déterminations & les actes de l'homme dont on ne puisse rendre raison par les mêmes loix.

Qu'ainsi ceux qui, à l'exemple de Descartes, ont prétendu que les animaux étoient de pures machines, & qui ont fait tous leurs efforts pour le prouver, ont démontré en même tems que l'homme n'étoit rien autre chose. Voyez INSTINCT.

Que c'est la conséquence qu'ils laissent tirer à leurs lecteurs, soit qu'ils l'aient fait à dessein, soit qu'ils n'aient pas connu les dépendances inévitables du systême qu'ils vouloient établir.

Que la perfectibilité n'est pas même une faculté que nous ayons de plus que les bêtes, puisqu'on voit que leur instinct, leur adresse, & leurs ruses augmentent toujours à-proportion de celles qu'on emploie pour les détruire ou pour les perfectionner.

Que réduire tout ce qui se passe dans l'homme à la seule sensibilité physique, ou à la simple perception, c'est tout un pour les conséquences. Voyez SENSIBILITE.

Que ces opinions sont toutes deux vraies, & ne different que dans les mots qui les expriment, dont le premier touche de très-près au corps, & le second appartient plus à l'ame. Voyez PERCEPTION, SENSATION, IDEE.

Que point de sens, point d'idées.

Que point de mémoire, point d'idées.

Que la liberté considérée comme le pouvoir de faire ou de ne faire pas est une chimere.

Qu'à la vérité on peut ce qu'on veut, mais qu'on est déterminé invinciblement à vouloir. Voyez VOLONTE.

En un mot, qu'il n'y a point d'actions libres, proprement dites, mais seulement spontanées. Voyez LIBERTE.

Si on leur objecte que nous sommes libres d'une liberté d'indifférence, & que le christianisme enseigne que nous avons cette liberté, ils répondent par ce raisonnement emprunté des stoïciens : " La liberté, disent ces philosophes, n'existe pas. Faute de connoître les motifs, de rassembler les circonstances qui nous déterminent à agir d'une certaine maniere, nous nous croyons libres. Peut-on penser que l'homme ait véritablement le pouvoir de se déterminer ? Ne sont-ce pas plutôt les objets extérieurs, combinés de mille façons différentes, qui le poussent & le déterminent ? Sa volonté est-elle une faculté vague & indépendante, qui agisse sans choix & par caprice ? Elle agit, soit en conséquence d'un jugement, d'un acte de l'entendement, qui lui représente que telle chose est plus avantageuse à ses intérêts que toute autre, soit qu'indépendamment de cet acte les circonstances où un homme se trouve, l'inclinent, le forcent à se tourner d'un certain côté : & il se flatte alors qu'il s'y est tourné librement, quoiqu'il n'ait pu vouloir se tourner d'un autre ". &c.

Après avoir ainsi établi une suite de principes aussi singuliers qu'hétérodoxes ; les Unitaires tâchent de prouver qu'ils s'accordent avec les phénomenes, & qu'ils ont de plus l'avantage de donner la solution des problêmes les plus obscurs & les plus compliqués de la métaphysique & de la théologie ; ils passent de-là à la discussion des objections qu'on pourroit leur faire, & après y avoir répondu de leur mieux, ils examinent de nouveau les deux principes qui servent de base à leur systême. Ces deux principes sont, comme on l'a pu voir ci - dessus, la corporéité de Dieu, & l'existence éternelle & nécessaire de la matiere, & de ses propriétés infinies : nos sectaires s'attachent à faire voir, que ces deux propositions une fois admises, toutes les difficultés disparoissent.

Que l'origine du mal physique & mal moral, ce phénomene si difficile à concilier avec les attributs moraux de la divinité, à moins de recourir à l'hypothèse de Manès, cesse dès ce moment d'être une question embarrassante, puisqu'alors l'homme n'a plus personne à accuser, il n'y a ni mal, ni bien absolus, & tout est comme il devoit nécessairement être.

Qu'on sait de même à quoi s'en tenir sur les questions tant de fois agitées, de l'imputation prétendue du péché d'Adam à toute sa postérité ; de la providence & de la prescience de Dieu ; de la nature & de l'immortalité de l'ame ; d'un état futur de récompenses & de peines, &c. &c. &c.

Que l'homme n'a plus à se plaindre de son existence.

Qu'il sait qu'elle est le résultat déterminé & infaillible d'un méchanisme secret & universel.

Qu'à l'égard de la liberté & des événemens heureux ou malheureux qu'on éprouve pendant la vie, il voit que tout étant lié dans la nature, il n'y a rien de contingent dans les déterminations de nos volontés ; mais que toutes les actions des êtres sensibles, ainsi que tout ce qui arrive dans les deux ordres, a son principe dans un enchaînement immuable, & une coordination fatale de causes & d'effets nécessaires.

En un mot, qu'il y a peu de vérités importantes, soit en philosophie, soit en physique ou en morale, qu'on ne puisse déduire du principe de l'éternité de la matiere & de son coefficient.

" Il est vrai, ajoutent-ils, que pour appliquer cette théorie aux phénomenes du monde matériel & intelligent, & trouver avec cette donnée les inconnues de ces problèmes, il faut joindre à un esprit libre & sans préjugés, une sagacité & une pénétration peu communes : car il s'agit non-seulement de rejetter les erreurs reçues, mais d'appercevoir d'un coup d'oeil les rapports & la liaison de la proposition fondamentale avec les conséquences prochaines ou éloignées qui en émanent, & de suppléer ensuite par une espece d'analyse géométrique les idées intermédiaires qui séparent cette même proposition de ses résultats, & qui en font sentir en même tems la connexion ".

Ce qu'on vient de lire suffiroit pour donner une idée générale de la philosophie des Sociniens, si la doctrine de ces sectaires étoit constante & uniforme : mais ils ont cela de commun avec toutes les autres sectes chrétiennes, qu'ils ont varié dans leur croyance & dans leur culte. Ce n'est donc pas-là le systême philosophique reçu & adopté unanimement par ces hérétiques, mais seulement l'opinion particuliere de plusieurs savans unitaires anciens & modernes.

Observons cependant que ceux de cette secte qui se sont le plus éloignés des principes exposés ci-dessus, n'ont fait seulement que les restreindre, les modifier, & rejetter quelques conséquences qui en découloient immédiatement, soit qu'elles leur parussent trop hardies & trop hétérodoxes, soit qu'ils ne les crussent pas nécessairement inhérentes aux principes qu'ils admettoient : mais s'il m'est permis de dire mon sentiment sur cette matiere délicate, il me semble que le systême de ces derniers est bien moins lié, & qu'il est sujet à des difficultés très-fâcheuses.

En effet que gagnent-ils à ne donner à Dieu qu'une étendue bornée ? N'est-ce pas supposer que la substance divine est divisible ? C'est donc errer inconséquemment. Ils ne peuvent pas dire qu'une étendue finie soit un être essentiellement simple, & exempt de composition, sous prétexte que ses parties n'étant point actuellement divisées, elles ne sont point véritablement distinctes les unes des autres. Car dès qu'elles n'occupent pas toutes le même lieu, elles ont des relations locales à d'autres corps qui les différencient ; elles sont donc aussi réellement distinctes, indépendantes & désunies, quoiqu'elles ne soient séparées qu'intelligiblement, que si leurs parties étoient à des distances infinies les unes des autres, puisque l'on peut affirmer que l'une n'est pas l'autre, & ne la pénetre pas.

A l'égard de l'origine du mal, que leur sert-il d'ôter à Dieu la prévision des futurs contingens, & de dire qu'il ne connoît l'avenir dans les agens libres que par des conjectures qui peuvent quelquefois le tromper ? Croyent-ils par cette hypothèse justifier la providence, & se disculper de l'accusation de faire Dieu auteur du péché ? C'est en vain qu'ils s'en flatteroient, car si Dieu n'a pas prévu certainement les événemens qui dépendoient de la liberté de l'homme, il a pu au-moins, comme le remarque un fameux théologien, les deviner par conjecture. " Il a bien soupçonné que les créatures libres se pourroient dérégler par le mauvais usage de leur liberté. Il a dû prendre des sûretés pour empêcher les désordres. Au-moins il a pu savoir les choses quand il les a vues arrivées. Il n'a pu ignorer quand il a vu Adam tomber & pécher, qu'il alloit faire une race d'hommes méchans. Il a dû employer toutes sortes de moyens pour mettre des digues à cette malice, & pour l'empêcher de se multiplier autant qu'elle a fait. Au-lieu de cela on voit un Dieu qui laisse courir pendant 4000 ans tous les hommes dans leurs voies, qui ne leur envoie ni conducteurs, ni prophêtes, & qui les abandonne entierement à l'ignorance, à l'erreur & à l'idolâtrie ; n'exceptant de cela que deux ou trois millions d'ames cachées dans un petit coin de la terre. Les Sociniens pourroient - ils bien répondre à cela & satisfaire parfaitement les incrédules ? "

Je sais bien que les Unitaires dont nous parlons, objectent que la prescience divine détruiroit la liberté de la créature ; voici à-peu-près comment ils raisonnent sur ce sujet. " Si une chose, disent-ils, est contingente en elle-même, & peut aussi-bien n'arriver pas, comme arriver, comment la prévoir avec certitude ? Pour connoître une chose parfaitement, il la faut connoître telle qu'elle est en elle-même ; & si elle est indéterminée par sa propre nature, comment la peut-on regarder comme déterminée, & comme devant arriver ? Ne seroit-ce pas en avoir une fausse idée ? & c'est ce qu'il semble qu'on attribue à Dieu, lorsqu'on dit qu'il prévoit nécessairement une chose, qui en elle-même n'est pas plus déterminée à arriver, qu'à n'arriver pas ".

Ils concluent de là qu'il est impossible que Dieu puisse prévoir les événemens qui dépendent des causes libres, parce que s'il les prévoit, ils arriveront nécessairement & infailliblement ; & s'il est infaillible qu'ils arriveront, il n'y a plus de contingence, & par conséquent plus de liberté. Ils poussent les objections sur cette matiere beaucoup plus loin, & prétendent réfuter solidement la réponse de quelques théologiens, qui disent que les choses n'arrivent pas parce que Dieu les a prévues, mais que Dieu les a prévues parce qu'elles arrivent. Voyez PRESCIENCE, CONTINGENT, LIBERTE, FATALITE, &c.

Leur sentiment sur la providence va nous fournir une autre preuve de l'incohérence de leurs principes. Ne pouvant concilier ce dogme avec notre liberté, & avec la haine infinie que Dieu a pour le péché, ils refusent à cet être suprême la providence qui regle & gouverne les choses en détail. Mais il est aisé de voir, pour peu qu'on y réfléchisse, que c'est soumettre toutes les choses humaines aux loix d'un destin nécessitant & irrésistible, & par conséquent introduire le fatalisme. Ainsi s'ils veulent se suivre, ils ne doivent rendre aucune espece de culte à la divinité : leur hypothèse rend absolument inutiles les voeux, les prieres, les sacrifices, en un mot, tous les actes intérieurs & extérieurs de religion. Elle détruit même invinciblement la doctrine de l'immortalité de l'ame, &, ce qui en est une suite, celle des peines & des récompenses après la mort ; hypothèses qui ne sont fondées que sur celle d'une providence particuliere & immédiate, & qui s'écroulent avec elle.

Leurs défenseurs répondent à cela, qu'il est impossible d'admettre le dogme d'une providence universelle, sans donner atteinte à l'idée de l'être infiniment parfait. " Concevez-vous, disent-ils, que sous l'empire d'un Dieu tout-puissant, aussi bienfaisant que juste, il puisse y avoir des vases à honneur, & des vases à deshonneur ? Cela ne répugne-t-il pas aux idées que nous avons de l'ordre & de la sagesse ? le bonheur continuel des êtres intelligens ne doit-il pas être le premier des soins de la providence, & l'objet principal de sa bonté infinie ? Pourquoi donc souffrons-nous, & pourquoi y a-t-il des méchans ? Examinez tous les systêmes que les théologiens de toutes les communions ont inventé pour répondre aux objections sur l'origine du mal physique & du mal moral, & vous n'en trouverez aucun qui vous satisfasse même à quelques égards. Il en résulte toujours pour quiconque sait juger des choses, que Dieu pouvant empêcher très-facilement que l'homme ne fût criminel ni malheureux, l'a néanmoins laissé tomber dans le crime & dans la misere. Concluons donc qu'il faut nécessairement faire Dieu auteur du péché, ou être fataliste. Or puisqu'il n'y a que ce seul moyen de disculper pleinement la divinité, & d'expliquer les phénomènes, il s'ensuit qu'il n'y a pas à balancer entre ces deux solutions ".

Telles sont en partie, les raisons dont les fauteurs du Socinianisme se servent pour justifier l'opinion de nos unitaires sur la providence : raisons qu'ils fortifient du dilemme d'Epicure, & de toutes les objections que l'on peut faire contre le systême orthodoxe. Mais nous n'avons pas prétendu nier que ce systême n'eût aussi ses difficultés ; tout ce que nous avons voulu prouver, c'est premierement que ces sectaires n'ont point connu les dépendances inévitables du principe sur lequel ils ont bâti toute leur philosophie, puisque l'idée d'une providence quelle qu'elle soit, est incompatible avec la supposition d'une matiere éternelle & nécessaire.

Secondement, qu'en excluant la providence divine de ce qui se passe ici-bas, & en restreignant ses opérations seulement aux grandes choses, ces Sociniens ne sont pas moins hétérodoxes que ceux dont ils ont mutilé le systême, soit en en altérant les principes, soit en y intercalant plusieurs opinions tout à fait discordantes. J'en ai donné, ce me semble, des preuves sensibles, auxquelles on peut ajouter ce qu'ils disent de l'ame des bêtes.

Ils remarquent d'abord (h) que l'homme est le seul de tous les animaux auquel on puisse attribuer une raison, & une volonté proprement dites, & dont les actions sont réellement susceptibles de mérite & de démérite, de punition & de récompense. Mais s'ils ne donnent point aux bêtes une volonté, ni un franc-arbitre proprement dits ; s'ils ne les font pas capables de la vertu & du vice, ni des peines & des récompenses proprement parlant, ils ne laissent pas de dire que la raison, la liberté & la vertu se trouvent en elles imparfaitement & analogiquement, & qu'elles se rendent dignes de peines & de récompenses

(h) Voyez Crellius, Ethicae christianae, lib. II. cap. j. pag. 65. 66.

en quelque façon. Ce qu'ils prouvent par des passages de (i) la Genèse, de l'Exode & du Lévitique, où Dieu ordonne des peines contre les bêtes.

Quelque hardie que soit cette pensée, elle ne tient point au fond de l'hérésie socinienne. En raisonnant conséquemment, les Unitaires dont nous ne sommes que les historiens, devoient dire avec Salomon : " Les hommes meurent comme les bêtes, & leur sort est égal ; comme l'homme meurt, les bêtes meurent aussi. Les uns & les autres respirent de même, & l'homme n'a rien de plus que la bête, tout est soumis à la vanité. Ils s'en vont tous au même lieu, & comme ils ont tous été formés de la terre, ils s'en retournent tous également en terre. Qui sait si l'ame des enfans d'Adam monte en-haut, & si l'ame des bêtes descend en-bas " ? Eclésiast. c. iij. 19. & suiv. Cet aveu devoit leur coûter d'autant moins qu'ils soutiennent la mortalité des ames, ou leur dormir jusqu'au jour du jugement, & l'anéantissement de celles des méchans, &c.

Voilà ce que j'ai trouvé de plus curieux & de plus digne de l'attention des philosophes, dans les écrits des Unitaires. J'ai tâché de donner à cet extrait analytique toute la clarté dont les matieres qui y sont traitées sont susceptibles ; & je n'ai pas craint de mettre la doctrine de ces sectaires à la portée de tous mes lecteurs ; elle est si impie & si infectée d'hérésie, qu'elle porte sûrement avec elle son antidote & sa réfutation. D'ailleurs j'ai eu soin pour mieux terrasser l'erreur, de renvoyer aux articles de ce Dictionnaire, où toutes les hétérodoxies des Unitaires doivent avoir été solidement réfutées, & où les vérités de la religion, & les dogmes de la véritable église ont pu être éclaircis & mis par nos théologiens dans un si haut degré d'évidence & de certitude, qu'il faudroit se faire illusion pour n'en être pas frappé, & pour n'en pas augurer l'entiere destruction de l'incrédulité. Par le moyen de ces renvois, des esprits foibles, ou qui ne s'étant pas appliqués à sonder les profondeurs de la métaphysique, pourroient se laisser éblouir par des argumens captieux, seront à l'abri des séductions, & auront une regle sûre & infaillible pour juger du vrai & du faux.

Je finirai cet article par une réflexion dont la vérité se fera sentir à tout lecteur intelligent.

La religion catholique, apostolique & romaine est incontestablement la seule bonne, la seule sûre, & la seule vraie ; mais cette religion exige en même tems de ceux qui l'embrassent, la soumission la plus entiere de la raison. Lorsqu'il se trouve dans cette communion un homme d'un esprit inquiet, remuant, & difficile à contenter, il commence d'abord par s'établir juge de la vérité des dogmes qu'on lui propose à croire, & ne trouvant point dans ces objets de sa foi un degré d'évidence que leur nature ne comporte pas, il se fait protestant ; s'appercevant bientôt de l'incohérence des principes qui caractérisent le protestantisme, il cherche dans le socinianisme une solution à ses doutes & à ses difficultés, & il devient socinien : du socinianisme au déïsme il n'y a qu'une nuance très-imperceptible, & un pas à faire, il le fait : mais comme le deïsme n'est lui-même, ainsi que nous l'avons déja dit, qu'une religion inconséquente, il se précipite insensiblement dans le pyrrhonisme, état violent & aussi humiliant pour l'amour propre, qu'incompatible avec la nature de l'esprit humain : enfin il finit par tomber dans l'athéïsme, état vraiment cruel, & qui assure à l'homme une malheureuse tranquillité à laquelle on ne peut guere espérer de le voir renoncer.

Au reste quoique le but de l'Encyclopédie ne soit pas de donner l'histoire des hérétiques, mais celle de leurs opinions, nous rapporterons cependant quelques anecdotes historiques sur ce qui concerne la personne & les avantures des principaux chefs des Unitaires. Ces sectaires ont fait trop de bruit dans le monde, & s'y sont rendus trop célebres par la hardiesse de leurs sentimens, pour ne pas faire en leur faveur une exception.

Lélie Socin naquit à Sienne en 1525, & s'étant laissé infecter du poison des nouvelles erreurs que Luther & Calvin répandoient alors comme à l'envi, il quitta sa patrie en 1547, voyagea pendant quatre ans tant en France & en Angleterre que dans les Pays-bas & en Pologne ; s'étant enfin fixé à Zurich, il commença à y répandre les semences de l'hérésie arienne & photinienne, qu'il vouloit introduire ; & mourut en cette ville à l'âge de 37 ans, l'an 1562, laissant ses écrits à Fauste Socin son neveu.

Celui-ci né à Sienne en 1539, & déja séduit par les lettres de son oncle, sortit de l'Italie pour éviter les poursuites de l'Inquisition, & se hâta de se mettre en possession des écrits de Lélius, qu'il négligea pourtant après les avoir recueillis, étant repassé en Italie, où il demeura douze ans à la cour du duc de Florence ; mais l'ayant quitté tout-à-coup, il se retira à Bâle où il s'appliqua à l'étude, revit les ouvrages de son oncle, & y composa en 1578, son livre de Jesu Christo servatore, qui ne fut pourtant imprimé qu'en 1595. De Suisse il fut appellé par George Blandrata, autre anti-trinitaire, en Transylvanie, où il eut des disputes fort vives avec François David, hérésiarque encore plus décidé que Socin & Blandrata, contre la divinité de Jésus-Christ. De-là il passa en Pologne, où les nouveaux ariens étoient en grand nombre, & souhaita d'entrer dans la communion des Unitaires ; mais comme il différoit d'eux sur quelques points, & qu'il ne vouloit pas garder le silence, on le rejetta assez durement : il ne laissa pas d'écrire en leur faveur contre ceux qui les attaquoient, & vit enfin ses sentimens approuvés par plusieurs ministres ; mais il éprouva de la part des catholiques des persécutions fort cruelles ; pour s'en délivrer il se retira à un petit village éloigné d'environ neuf milles de Cracovie. Ce fut là que suivi d'un assez petit nombre de disciples, & protégé par quelques grands seigneurs, il employa vingt-cinq ans à composer un grand nombre de petits traités, d'opuscules, de remarques, de relations de ses différentes disputes, &c. imprimés en différens tems, soit de son vivant, soit après sa mort, & qu'on trouve recueillis en deux tomes in-fol. à la tête de la bibliotheque des freres Polonois.

Ce patriarche des Unitaires mourut en 1604. " Sa secte, comme le dit très-bien Bayle, bien-loin de mourir avec lui, se multiplia dans la suite considérablement ; mais depuis qu'elle fut chassée de Pologne, l'an 1658, elle est fort déchue & fort diminuée quant à son état visible : car d'ailleurs, il n'y a guere de gens qui ne soient persuadés qu'elle s'est multipliée invisiblement, & qu'elle devient plus nombreuse de jour en jour : & l'on croit qu'en l'état où sont les choses, l'Europe s'étonneroit de se trouver socinienne dans peu de tems, si de puissans princes embrassoient publiquement cette hérésie, ou si seulement ils donnoient ordre que la profession en fût déchargée de tous les désavantages temporels qui l'accompagnent ". Voyez notre introduction à la tête de cet article.

Ce qu'il y a de sûr c'est que les Unitaires étoient autrefois fort répandus en Pologne ; mais en ayant été chassés par un arrêt public de la diete générale

(i) Voyez la Genèse ch. ix. v. 5. Exod. xij. v. 18. Levitique xx. v. 15. 16. & notez ces paroles de Franzius. Quaeri autem posset an non ponenda sit rationalis anima in brutis.... cum, Genes. 9. 5. Deus ipse velit vindicare sanguinem hominis in brutis siquando effuderunt sanguinem humanum, hist. animal. sacra, part. I. cap. ij. p. 16.

du royaume, ils se réfugierent en Prusse, & dans la marche de Brandebourg, quelques-uns passerent en Angleterre, & d'autres en Hollande, où ils sont tolérés, & où l'on débite publiquement leurs livres, quoi qu'en dise Bayle.

Outre les deux Socins, leurs principaux écrivains sont Crellius, Smalcius, Volkélius, Schlichtingius, le chevalier Lubinietzki, &c. On soupçonne aussi avec beaucoup de raison, Episcopius, Limborch, de Courcelles, Grotius, Jean le Clerc, Locke, Clarke & plusieurs autres modernes, d'avoir adopté leurs principes sur la divinité du Verbe, l'incarnation, la satisfaction de Jesus Christ, &c. & sur quelques autres points de théologie & de philosophie. Voy. la bibliotheque des anti-trinitaires ; Crellius, de uno Deo patre, de Deo & attributis, &c. Volkelius, de verâ religione ; Micraelii, hist. eccles. Natalis Alexander, hist. eccles. ad sec. xvj. Hoornbeeck, in apparatu ad controvers. socinianas ; le catéchisme de Racovie, & les ouvrages des Unitaires modernes, d'où cet article a été tiré en partie. Article de M. NAIGEON.


UNITÉS. f. (Matth.) c'est ce qui exprime une seule chose ou une partie individuelle d'une quantité quelconque. Quand on dit individuelle, ce n'est pas que l'unité soit indivisible, mais c'est qu'on la considere comme n'étant pas divisée, & comme faisant partie d'un tout divisible. Voyez NOMBRE.

Quand un nombre a quatre ou cinq chiffres, celui qui est le plus à la droite, c'est-à-dire le premier en allant de droite à gauche, exprime ou occupe la place des unités. Voyez NUMERATION. Et selon Euclide, on ne doit pas mettre au rang des nombres l'unité ; il dit que le nombre est une collection d'unités ; mais c'est là une question de mots.

UNITE en Théologie, est un des caracteres distinctifs de la véritable Eglise de Jesus Christ.

Par unité, les Théologiens catholiques entendent le lieu qui unit les fideles par la profession d'une même doctrine, par la participation aux mêmes Sacremens, & par la soumission au même chef visible. La multitude des églises particulieres qui sont répandues dans les différentes parties du monde ne préjudicie en rien à cette unité ; toutes ces églises réunies ensemble ne formant qu'un seul & même tout moral, qu'un seul & même corps ; en un mot, qu'une seule & même société, qui professe la même foi, qui participe aux mêmes sacremens, qui obéit aux mêmes pasteurs & au même chef. Or cette unité, selon les catholiques, est restrainte à une seule société, de laquelle sont exclus les hérétiques qui professent une foi différente, les excommuniés qui ne participent plus aux sacremens, les schismatiques qui refusent de se soumettre à l'autorité des pasteurs légitimes. Or, cette société c'est l'Eglise romaine, comme l'ont prouvé nos controversistes dont on peut consulter les écrits.

Les protestans conviennent que l'église doit être une, mais ils prétendent que cette unité peut subsister, sans que ses membres soient réunis sous un chef visible, & qu'il suffit que tous les chrétiens soient unis par les liens d'une charité mutuelle, & qu'ils soient d'accord sur les points fondamentaux de la religion. On sait que cette derniere condition est de l'invention du ministre Jurieu, & qu'elle jette les protestans dans l'impossibilité de décider, de combien ou de quelles sectes l'Eglise pourra être composée, parce que chacun voulant ou prétendant déterminer à son gré, quels sont ces points fondamentaux ; les uns ouvrent la porte à toutes les sectes, tandis que d'autres la leur ferment. D'ailleurs, ces caracteres d'unité qu'assignent les protestans sont, ou intérieurs & invisibles, ou équivoques. Et pour discerner l'unité de l'Eglise, il faut des caracteres visibles, extérieurs, & de nature à frapper vivement les plus simples, & à leur montrer quelle est la société à laquelle ils doivent s'attacher.

UNITE, (Belles Lettres) dans un ouvrage d'éloquence ou de poésie. Qualité qui fait qu'un ouvrage est par-tout égal & soutenu. Horace, dans son art poétique, veut que l'ouvrage soit un :

Denique sit quod vis simplex duntaxat & unum.

Et Despréaux a rendu ce précepte par celui - ci :

Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu

Que le début, la fin répondent au milieu.

Art poét. ch. j.

Il n'y a point d'ouvrage d'esprit, de quelqu'étendue qu'on le suppose, qui ne soit sujet à cette regle. L'auteur d'une ode n'est pas moins obligé de se soutenir, que celui d'une tragédie ou d'un poëme épique, & souvent même on excuse moins aisément ce défaut dans un petit ouvrage que dans un grand. Cette unité consiste à distribuer un ordre général dans la matiere qu'on traite, & à établir un point fixe auquel tout puisse se rapporter. C'est l'art d'assortir les diverses parties d'un ouvrage, de ne choisir que le nécessaire, de rejetter le superflu, de savoir à propos sacrifier quelques beautés pour en placer d'autres qui seront plus en jour, d'éclaircir les vérités les unes par les autres, & de s'avancer insensiblement de degrés en degrés vers le but qu'on se propose. Enfin, l'unité est dans les arts d'imitation, ce que sont l'ordre & la méthode dans les hautes sciences ; telles que la Philosophie, les Mathématiques, &c. La science, l'érudition, les pensées les plus nobles, l'élocution la plus fleurie, sont des matériaux propres à produire de grands effets ; cependant si la raison n'en regle l'ordre & la distribution, si elle ne marque à chacune de ces choses le rang qu'elle doit tenir, si elle ne les enchaîne avec justesse, il ne résulte de leur amas qu'un cahos, dont chaque partie prise en soi peut être excellente, quoique l'assortiment en soit monstrueux. Cette unité nécessaire dans les ouvrages d'esprit, loin d'être incompatible avec la variété, sert au contraire à la produire par le choix, la distribution sensée des ornemens. Tout le commencement de l'art poétique d'Horace est consacré à prescrire cette unité, que les modernes ont encore mieux connue & mieux observée que les anciens.

Unité, dans la poésie dramatique, est une regle qu'ont établie les critiques, par laquelle on doit observer dans tout drame une unité d'action, une unité de tems, & une unité de lieu ; c'est ce que M. Despréaux a exprimé par ces deux vers :

Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli

Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli.

Art poét. ch. iij.

C'est ce qu'on appelle la regle des trois unités, sur lesquelles Corneille a fait un excellent discours, dont nous emprunterons en partie ce que nous en allons dire pour en donner au lecteur une idée suffisante.

Ces trois unités sont communes à la tragédie & à la comédie ; mais dans le poëme épique, la grande & presque la seule unité est celle d'action. A la vérité, on doit y avoir quelqu'égard à l'unité des tems, mais il n'y est pas question de l'unité de lieu. L'unité de caractere n'est pas du nombre des unités dont nous parlons ici. Voyez CARACTERE.

1°. L'unité d'action consiste, à ce que la tragédie ne roule que sur une action principale & simple, autant qu'il se peut : nous ajoutons cette exception, car il n'est pas toujours d'une nécessité absolue que cela soit ainsi, & pour mieux entendre ceci, il est à propos de distinguer avec les anciens deux sortes de sujets propres à la tragédie ; savoir le sujet simple, & le sujet mixte ou composé : le premier est celui, qui étant un & continué, s'acheve sans un manifeste changement au contraire de ce qu'on attendoit, & sans aucune reconnoissance. Le sujet mixte ou composé est celui qui s'achemine à sa fin avec quelque changement opposé à ce qu'on attendoit, ou quelque reconnoissance, ou tous deux ensemble. Telles sont les définitions qu'en donne Corneille, d'après Aristote. Quoique le sujet simple puisse admettre un incident considérable qu'on nomme épisode, pourvû que cet incident ait un rapport direct & nécessaire avec l'action principale, & que le sujet mixte qui par lui-même est assez intrigué, n'ait pas besoin de ce secours pour se soutenir ; cependant dans l'un & dans l'autre l'action doit être une & continue, parce qu'en la divisant, on diviseroit & l'on affoibliroit nécessairement l'intérêt & les impressions que la tragédie se propose d'exciter. L'art consiste donc à n'avoir en vûe qu'une seule & même action, soit que le sujet soit simple, soit qu'il soit composé, à ne la pas surcharger d'incidens, à n'y ajouter aucun épisode qui ne soit naturellement lié avec l'action ; rien n'étant si contraire à la vraisemblance, que de vouloir réunir & rapporter à une même action un grand nombre d'incidens, qui pourroient à peine arriver en plusieurs semaines. " C'est par la beauté des sentimens, par la violence des passions, par l'élégance des expressions, dit M. Racine dans sa préface de Bérénice, que l'on doit soutenir la simplicité d'une action, plutôt que par cette multiplicité d'incidens, par cette foule de reconnoissances amenées comme par force, refuge ordinaire des poëtes stériles qui se jettent dans l'extraordinaire en s'écartant du naturel ". Cette simplicité d'action qui contribue infiniment à son unité, est admirable dans les poëtes grecs ; les Anglois, & entr'autres Shakespear, n'ont point connu cette regle ; ses tragédies d'Henri IV. de Richard III. de Macbeth, sont des histoires qui comprennent les événemens d'un regne tout entier. Nos auteurs dramatiques, quoiqu'ils aient pris moins de licence, se sont pourtant donnés quelquefois celle, ou d'embrasser trop d'objets, comme on le peut voir dans quelques tragédies modernes, ou de joindre à l'action principale des épisodes qui par leur inutilité ont refroidi l'intérêt, ou par leur longueur l'ont tellement partagé, qu'il en a résulté deux actions au lieu d'une. Corneille & Racine n'ont pas entierement évité cet écueil. Le premier, par son épisode de l'amour de Dircé pour Thésée, a défiguré sa tragédie d'Oedipe : lui même a reconnu que dans Horace, l'action est double, parce que son héros court deux périls différens, dont l'un ne l'engage pas nécessairement dans l'autre ; puisque d'un péril public qui intéresse tout l'état, il tombe dans un péril particulier où il n'y va que de sa vie. La piece auroit donc pû finir au quatrieme acte, le cinquieme formant pour ainsi dire une nouvelle tragédie. Aussi l'unité d'action dans le poëme dramatique dépend-elle beaucoup de l'unité de péril pour la tragédie, & de l'unité d'intrigue pour la comédie. Ce qui a lieu non-seulement dans le plan de la fable, mais aussi dans la fable étendue & remplie d'épisodes. Voyez ACTION & FABLE.

Les épisodes y doivent entrer sans en corrompre l'unité, ou sans former une double action : il faut que les différens membres soient si bien unis & liés ensemble, qu'ils n'interrompent point cette unité d'action si nécessaire au corps du poëme, & si conforme au précepte d'Horace, qui veut que tout se réduise à la simplicité & à l'unité de l'action. Sit quod vis simplex duntaxat & unum. Voyez EPISODE.

C'est sur ce fondement, qu'on a reproché à Racine, qu'il y avoit duplicité d'action dans Andromaque & dans Phedre ; & à considérer ces pieces sans prévention, on ne peut pas dire que l'action principale y soit entierement une & dégagée, sur-tout dans la derniere, où l'épisode d'Aricie n'influe que foiblement sur le dénouement de la piece même, en admettant la raison que le poëte allegue dans la préface pour justifier l'invention de ce personnage. Une des principales causes pour laquelle nos tragédies en général ne sont pas si simples que celles des anciens ; c'est que nous y avons introduit la passion de l'amour qu'ils en avoient exclue. Or, cette passion étant naturellement vive & violente, elle partage l'intérêt & nuit par conséquent très-souvent à l'unité d'action. Principes pour la lect. des poëtes, tom. II. p. 52. & suiv. Corn. discours des trois unités.

A l'égard du poëme épique, M. Dacier observe que l'unité d'action ne consiste pas dans l'unité du héros, ou dans l'uniformité de son caractere ; quoique ce soit une faute que de lui donner dans la même piece des moeurs différentes. L'unité d'action exige qu'il n'y ait qu'une seule action principale, dont toutes les autres ne soient que des accidens & des dépendances. Voyez HEROS, CARACTERES, MOEURS, ACTION.

Pour bien remplir cette regle, le pere le Bossu demande trois choses ; 1°. que l'on ne fasse entrer dans le poëme aucun épisode qui ne soit pris dans le plan, ou qui ne soit fondé sur l'action, & qu'on ne puisse regarder comme un membre naturel du corps du poëme ; 2°. que ces épisodes ou membres s'accordent & soient liés étroitement les uns aux autres ; 3°. que l'on ne finisse aucun épisode au point qu'il puisse ressembler à une action entiere & séparée ou détachée ; mais que chaque épisode ne soit jamais qu'une partie d'un tout, & même une partie qui ne fasse point un tout elle-même.

Le critique examinant sur ces regles l'Enéide, l'Iliade, & l'Odyssée, trouve qu'elles y ont été observées à la derniere rigueur. En effet, ce n'est que de la conduite de ces poëmes qu'il a tiré les regles qu'il prescrit ; & pour donner un exemple d'un poëme où elles ont été négligées, il cite la Thébaïde de Stace. Voyez THEBAÏDE & ACTION.

2°. L'unité de tems est établie par Aristote dans sa poétique, où il dit expressément que la durée de l'action ne doit point excéder le tems que le soleil employe à faire sa révolution, c'est-à-dire, l'espace d'un jour naturel. Quelques critiques veulent que l'action dramatique soit renfermée dans un jour artificiel, ou l'espace de douze heures. Mais le plus grand nombre pense que l'action qui fait le sujet d'une piece de théâtre, doit être bornée à l'espace de vingt-quatre heures, ou, comme on dit communément, que sa durée commence & finisse entre deux soleils ; car on suppose qu'on présente aux spectateurs un sujet de fable ou d'histoire, ou tiré de la vie commune pour les instruire ou les amuser ; & comme on n'y parvient qu'en excitant les passions, si on leur laisse le tems de se refroidir, il est impossible de produire l'effet qu'on se proposoit. Or en mettant sur la scène une action qui vraisemblablement, ou même nécessairement n'auroit pu se passer qu'en plusieurs années, la vivacité des mouvemens se ralentit ; ou si l'étendue de l'action vient à excéder de beaucoup celle du tems, il en résulte nécessairement de la confusion ; parce que le spectateur ne peut se faire illusion jusqu'à penser que les événemens en si grand nombre se seroient terminés dans un si court espace de tems. L'art consiste donc à proportionner tellement l'action & sa durée, que l'une paroisse être réciproquement la mesure de l'autre ; ce qui dépend sur-tout de la simplicité de l'action. Car si l'on en réunit plusieurs sous prétexte de varier & d'augmenter le plaisir, il est évident qu'elles sortiront des bornes du tems prescrit, & de celles de la vraisemblance. Dans le Cid, par exemple, Corneille fait donner dans un même jour trois combats singuliers & une bataille, & termine la journée par l'espérance du mariage de Chimene avec Rodrigue, encore tout fumant du sang du comte de Gormas, pere de cette même Chimene, sans parler des autres incidens, qui naturellement ne pouvoient arriver en aussi peu de tems, & que l'histoire met effectivement à deux ou trois ans les uns des autres. Guillen de Castro auteur espagnol, dont Corneille avoit emprunté le sujet du Cid, l'avoit traité à la maniere de son tems & de son pays, qui permettant qu'on fît paroître sur la scène un héros qu'on voyoit, comme dit M. Despréaux,

Enfant au premier acte, & barbon au dernier.

n'assujettissoit point les auteurs dramatiques à la regle des vingt-quatre heures ; & Corneille pour vouloir y ajuster un événement trop vaste, a péché contre la vraisemblance. Les anciens n'ont pas toujours respecté cette regle ; mais nos premiers dramatiques françois & les Anglois l'ont violée ouvertement. Parmi ces derniers, sur-tout Shakespear semble ne l'avoir pas seulement connue ; & on lit à la tête de quelques-unes de ces pieces, que la durée de l'action est de trois, dix, seize années, & quelquefois de davantage. Ce n'est pas qu'en général on doive condamner les auteurs qui pour plier un événement aux regles du théâtre, négligent la vérité historique, en rapprochant comme en un même point des circonstances éparses qui sont arrivées en différens tems, pourvû que cela se fasse avec jugement & en matieres peu connues ou peu importantes. " Car le poëte, disent messieurs de l'académie françoise dans leurs sentimens sur le Cid, ne considere dans l'histoire que la vraisemblance des événemens, sans se rendre esclave des circonstances qui en accompagnent la vérité ; de maniere que pourvu qu'il soit vraisemblable que plusieurs actions se soient aussibien pu faire conjointement que séparément, il est libre au poëte de les rapprocher, si par ce moyen, il peut rendre son ouvrage plus merveilleux ". Mais la liberté à cet égard ne doit point dégénérer en licence, & le droit qu'ont les Poëtes de rapprocher les objets éloignés, n'emporte pas avec soi celui de les entasser & de les multiplier de maniere que le tems prescrit ne suffise pas pour les développer tous ; puisqu'il en résulteroit une confusion égale à celle qui regneroit dans un tableau où le peintre auroit voulu réunir un plus grand nombre de personnages que sa toile ne pouvoit naturellement en contenir. Car, de même qu'ici les yeux ne pourroient rien distinguer ni démêler avec netteté, là l'esprit du spectateur & sa mémoire ne pourroient ni concevoir clairement, ni suivre aisément une foule d'événemens pour l'intelligence & l'exécution desquels la mesure du tems, qui n'est que de vingt-quatre heures au plus, se trouveroit trop courte. Le poëte est même à cet égard beaucoup moins gêné que le peintre ; celui-ci ne pouvant saisir qu'un coup d'oeil, un instant marqué de la durée de l'action ; mais un instant subit & presque indivisible. Principes pour la lecture des Poëtes, tome II. page 48. & suivantes.

Dans le poëme épique, l'unité de tems prise dans cette rigueur, n'est nullement nécessaire ; puisqu'on ne sauroit guere y fixer la durée de l'action : plus celle ci est vive & chaude, & plus il en faut précipiter la durée. C'est pourquoi l'Iliade ne fait durer la colere d'Achille que quarante-sept jours tout au plus ; au lieu que, selon le pere le Bossu, l'action de l'Odyssée occupe l'espace de huit ans & demi, & celle de l'Enéïde près de sept ans ; mais ce sentiment est faux, comme nous l'avons démontré au mot action. Voyez ACTION.

Pour ce qui est de la longueur du poëme épique, Aristote veut qu'il puisse être lû tout entier dans l'espace d'un jour ; & il ajoute que lorsqu'un ouvrage en ce genre s'étend au delà de ces bornes, la vûe s'égare ; desorte qu'on ne sauroit parvenir à la fin sans avoir perdu l'idée du commencement.

3°. L'unité de lieu est une regle dont on ne trouve nulle trace dans Aristote, & dans Horace ; mais qui n'en est pas moins fondée dans la nature. Rien ne demande une si exacte vraisemblance que le poëme dramatique : comme il consiste dans l'imitation d'une action complete & bornée, il est d'une égale nécessité de borner encore cette action à un seul & même lieu afin d'éviter la confusion, & d'observer encore la vraisemblance en soutenant le spectateur dans une illusion qui cesse bien-tôt dès qu'on veut lui persuader que les personnages qu'il vient de voir agir dans un lieu, vont agir à dix ou vingt lieues de ce même endroit, & toujours sous ses regards, quoiqu'il soit bien sûr que lui-même n'a pas changé de place. Que le lieu de la scène soit fixe & marqué, dit M. Despréaux ; voilà la loi. En effet, si les scènes ne sont préparées, amenées, & enchaînées les unes aux autres, de maniere que tous les personnages puissent se rencontrer successivement & avec bienséance dans un endroit commun ; si les divers incidens d'une piece exigent nécessairement une trop grande étendue de terrein ; si enfin le théâtre représente plusieurs lieux différens les uns après les autres, le spectateur trouve toujours ces changemens incroyables, & ne se prête point à l'imagination du poëte qui choque à cet égard les idées ordinaires, & pour parler plus nettement, le bon sens. Pour connoître combien cette unité de lieu est indispensable dans la tragédie, il ne faut que comparer quelques pieces où elle est absolument négligée, avec d'autres où elle est observée exactement ; & sur le plaisir qui résulte de celles-ci, & l'embarras ou la confusion qui naissent des autres, il est aisé de prononcer que jamais regle n'a été plus judicieusement établie ; avant Corneille, elle étoit comme inconnue sur notre théâtre ; la lecture des auteurs italiens & espagnols qui la violoient impunément, ayant à cet égard comme à beaucoup d'autres, gâté nos poëtes. Hardy, Rotrou, Mairet, & les autres qui ont précédé Corneille, transportent à tout moment la scène d'un lieu dans un autre. Ce défaut est encore plus sensible dans Shakespear, le pere des tragiques anglois : dans une même piece la scène est tantôt à Londres, tantôt à Yorck, & court, pour ainsi dire, d'un bout à l'autre de l'Angleterre. Dans une autre elle est au centre de l'Ecosse dans un acte, & dans le suivant elle est sur la frontiere. Corneille connut mieux les regles, mais il ne les respecta pas toujours ; & lui-même en convient dans l'examen du Cid, où il reconnoît que quoique l'action se passe dans Séville, cependant cette détermination est trop générale ; & qu'en effet, le lieu particulier change de scène en scène. Tantôt c'est le palais du roi, tantôt l'appartement de l'infante, tantôt la maison de Chimene, & tantôt une rue ou une place publique. Or non-seulement le lieu général, mais encore le lieu particulier doit être déterminé ; comme un palais, un vestibule, un temple ; & ce que Corneille ajoute, qu'il faut quelquefois aider au théâtre & suppléer favorablement à ce qui ne peut s'y représenter, n'autorise point à porter, comme il l'a fait en cette matiere, l'incertitude & la confusion dans l'esprit des spectateurs. La duplicité de lieu si marquée dans Cinna, puisque la moitié de la piece se passe dans l'appartement d'Emilie, & l'autre dans le cabinet d'Auguste, est inexcusable ; à-moins qu'on n'admette un lieu vague, indéterminé, comme un quartier de Rome, ou même toute cette ville, pour le lieu de la scène. N'étoit-il pas plus simple d'imaginer un grand vestibule commun à tous les appartemens du palais, comme dans Polyeucte & dans la mort de Pompée ? Le secret qu'exigeoit la conspiration n'eût point été un obstacle ; puisque Cinna, Maxime, & Emilie, auroient pû là, comme ailleurs, s'en entretenir en les supposant sans témoin ; circonstance qui n'eût point choqué la vraisemblance, & qui auroit peut-être augmenté la surprise. Dans l'Andromaque de Racine, Oreste dans le palais même de Pyrrhus, forme le dessein d'assassiner ce prince, & s'en explique assez hautement avec Hermione, sans que le spectateur en soit choqué. Toutes les autres tragédies du même poëte sont remarquables par cette unité de lieu, qui sans effort & sans contrainte, est par-tout exactement observée, & particulierement dans Britannicus, dans Phedre, & dans Iphigénie. S'il semble s'en être écarté dans Esther, on sait assez que c'est parce que cette piece demandoit du spectacle ; au reste toute l'action est renfermée dans l'enceinte du palais d'Assuérus. Celle d'Athalie se passe aussi toute entiere dans un vestibule extérieur du temple, proche de l'appartement du grand prêtre ; & le changement de décoration qui arrive à la cinquieme scene du dernier acte, n'est qu'une extension de lieu absolument nécessaire, & qui présente un spectacle majestueux.

Quant au poëme épique, on sent que l'étendue de l'action principale, & la variété des épisodes, supposent nécessairement des voyages par mer & par terre, des combats, & mille autres positions incompatibles avec l'unité de lieu. Principes pour la lecture des Poëtes, tome II. page 42. & suiv. Corneille, discours des trois unités. Examen du Cid & de Cinna.

UNITE, (Peint.) on exige en peinture l'unité d'objets, c'est-à dire, que s'il y a plusieurs grouppes de clair-obscur dans un tableau, il faut qu'il y en ait un qui domine sur les autres ; de même dans la composition, il doit y avoir unité de sujets. On observe encore dans un tableau l'unité du tems, ensorte que ce qui y est représenté, ne paroisse pas excéder le moment de l'action qu'on a eu dessein de rendre. Enfin tous les objets doivent être embrassés d'une seule vue, & paroître compris dans l'espace que le tableau est supposé renfermer. Dictionnaire des beaux arts. (D.J.)


UNIVALVE(Conchyliolog.) ce terme se dit d'une coquille qui n'a qu'une seule piece ; quand elle en a deux on l'appelle bivalve, & multivalve quand elle en a plusieurs.

La classe des univalves marins forme, selon M. d'Argenville, quinze familles ; savoir, le lépas, l'oreille de mer, les tuyaux & vermisseaux de mer, les nautiles, les limaçons à bouche ronde, ceux à bouche demi-ronde, & ceux qui ont la bouche applatie, les buccins, les vis, les cornets, les rouleaux ou olives, ceux à bouche demi-ronde, les murex, les pourpres, les tonnes & les porcelaines.

La classe des univalves fluviatiles, consiste en sept familles ; savoir, le lépas, les limaçons à bouche ronde, les vis, les buccins, les tonnes, & le planorbis.

Les coquillages terrestres sont tous univalves, & se divisent en général en animaux vivans, & en animaux morts. Les animaux vivans se partagent en ceux qui sont couverts de coquilles, & en ceux qui en sont privés. Les premiers sont les limaçons à bouche ronde, ceux à bouche demi-ronde, ceux à bouche plate, les buccins, & les vis. Les seconds n'offrent que les limaces, dont il y a plusieurs especes. Les coquillages terrestres morts, sont toutes les coquilles qui se divisent en univalves, bivalves & multivalves, & en autant de familles (à l'exception de trois ou quatre), que les coquillages marins.

Comme les coquilles univalves font sortir plus de parties de leur corps que les bivalves, il est plus aisé de découvrir leur tête, leurs cornes, leurs conches, leurs opercules. Les petits points noirs qui représentent leurs yeux ont un nerf optique, une humeur crystalline, & une humeur vitrée. Quelquefois ils sont placés à l'orifice des cornes, souvent à leurs extrêmités, les uns en - dedans, les autres en - dehors. Leur opercule suit ordinairement le bout de leur pié, ou de leur plaque ; quelquefois il est au milieu de cette plaque, ou au sommet de leur tête ; cependant cet opercule tient au corps, & n'a jamais fait partie de la coquille : il est même d'une matiere toute différente. Ce n'est souvent qu'une peau mince & baveuse : quelquefois c'est une espece de corne qui ferme exactement les coquilles, dont la bouche est ronde ; & dans les oblongues, il n'en couvre qu'une partie.

Tous ces animaux au reste sont différens dans leur jeunesse pour la figure, les couleurs, & l'épaisseur de leurs coquilles : les jeunes pénetrent jusqu'à l'extrêmité pointue de leurs demeures ; elles ont moins de tours, de stries, leurs couleurs sont plus vives : les vieilles au contraire qui ont eu besoin d'aggrandir leurs couvertures, à mesure qu'elles avançoient en âge, ont par conséquent plus de tours, plus de stries, la teinte de leurs couleurs plus terne ; & elles ne vont point à l'extrêmité de leurs coquilles, dont elles rompent souvent une partie du sommet extérieur ; c'est une vérité qui est cependant contestée par F. Columna.

Pour dessiner vivans les coquillages univalves & autres, il faut user de ruse, sans quoi on ne peut contraindre ces animaux renfermés dans leurs coquilles à faire sortir quelques parties de leurs corps. Ainsi donc au sortir de la mer on mettra ces animaux tout vivans dans un bocal de crystal, ou dans de grands plats de fayance un peu creux, & remplis d'eau de la mer ; alors on les verra marcher & s'étendre en cherchant un point d'appui, pour assurer leur marche, & prendre leur nourriture.

Si le coquillage univalve ne veut rien faire paroître, on se servira d'une pince, pour enlever un peu du dessus de sa valve supérieure, en prenant garde néanmoins de le blesser, & de couper le nerf ou tendon qui l'attache à sa coquille, ce qui le feroit bientôt mourir, comme il arrive aux huitres & aux moules.

Les bivalves & les multivalves ne demandent pas tant de soin, elles s'ouvrent d'elles-mêmes. Il faut avoir soin de changer l'eau de la mer tous les jours, & de laisser un peu à sec les coquillages ; car quand il a été privé d'eau pendant quelques heures, & qu'il en retrouve, il sort de sa coquille & s'épanouit peu-à-peu.

Comme la lumiere leur est très-contraire, & qu'ils se retirent à son éclat, c'est la nuit qui est le tems le plus favorable pour les examiner : une petite-lampe sourde réussit à merveille pour les suivre ; on les rafraîchit le soir avec de l'eau nouvelle, & l'on change deux fois par jour le varech dans lequel ils doivent être enveloppés ; on les trouve souvent qui rampent la nuit sur cette herbe, & y cherchent les insectes qu'elle peut contenir. Dargenville, Conchyl. (D.J.)


UNIVERSS. m. (Phys.) nom collectif, qui signifie le monde entier, ou l'assemblage du ciel & de la terre avec tout ce qui s'y trouve renfermé. Les Grecs l'ont appellé , le tout, & les Latins mundus. Voyez MONDE, CIEL, TERRE, SYSTEME, &c.

Plusieurs philosophes ont prétendu que l'univers étoit infini. La raison qu'ils en donnoient, c'est qu'il implique contradiction de supposer l'univers fini ou limité, puisqu'il est impossible de ne pas concevoir un espace au-delà de quelques limites qu'on puisse lui assigner. Voyez ESPACE.

D'autres pour prouver que l'univers est fini, leur opposent ces deux réflexions.

La premiere, que tout ce qui est composé de parties, ne peut jamais être infini, puisque les parties qui le composent sont nécessairement finies, soit en nombre, soit en grandeur ; or si ces parties sont finies, il faut que ce qu'elles composent soit de même nature.

Seconde réflexion : si l'on veut que les parties soient infinies en nombre ou en grandeur, on tombe dans une contradiction, en supposant un nombre infini : & supposer des parties infiniment grandes, c'est supposer plusieurs infinis, dont les uns sont plus grands que les autres : c'est ce que l'on peut passer aux mathématiciens, qui ne raisonnent sur les infinis que par supposition ; mais on ne peut pas passer la même chose aux philosophes dans une question de la nature de celle-ci. Chambers.


UNIVERSALISTESS. m. pl. (Hist. ecclésiastique) nom qu'on a donné parmi les protestans à ceux d'entre leurs théologiens qui soutiennent qu'il y a une grace universelle & suffisante, offerte à tous les hommes pour opérer leur salut. De ce nombre sont surtout les Arminiens, qui à leur tour ont donné le nom de particularistes à leurs adversaires. Voyez ARMINIENS & PARTICULARISTES.


UNIVERSAUXS. m. pl. (Hist. mod. politique) c'est ainsi que l'on nomme en Pologne les lettres que le roi adresse aux seigneurs & aux états du royaume pour la convocation de la diete, ou pour les inviter à quelqu'assemblée relative aux intérêts de la république.

Lorsque le trône est vacant, le primat de Pologne a aussi le droit d'adresser des universaux ou lettres de convocation aux différens palatinats, pour assembler la diete qui doit procéder à l'élection d'un nouveau roi.


UNIVERSELadj. (Logique) l'universel en Logique, est une chose qui a rapport à plusieurs, unum versus multa, seu unum respiciens multa. On en distingue principalement de deux sortes ; savoir l'universel in essendo, & l'universel in praedicando.

L'universel in essendo est incréé ou créé. L'incréé est une nature propre à se trouver dans plusieurs, dans un sens univoque, & d'une maniere indivisible. Telle est la nature qui se multiplie dans le Pere, le Fils & le S. Esprit, sans se diviser, ni se partager.

L'universel in essendo créé, est une nature propre à se trouver dans plusieurs, dans un sens univoque & d'une maniere divisible. Telle est la nature humaine qui, à mesure qu'elle se multiplie dans tous les hommes, se divise.

L'universel in praedicando est pareillement de deux sortes, ou incréé, ou créé. L'incréé est un attribut propre à être dit dans un sens univoque de plusieurs, & cela sans se diviser ; tels sont tous les attributs de Dieu. Le créé est un attribut qui se divise, à mesure qu'il se dit de plusieurs, & cela dans un sens univoque ; tels sont ces mots homme, cercle, triangle.

Ce qui distingue l'universel in essendo d'avec l'universel in praedicando, c'est que le premier s'exprime par un nom abstrait, & le second par un nom concret.

Ce double universel se divise en cinq autres universaux, qui sont le genre, l'espece, la différence, le propre & l'accident.

Le genre se définit une chose propre à se trouver dans plusieurs, ou à être dit de plusieurs comme la partie la plus commune de l'essence.

Il se divise d'abord en genre éloigné, & en genre prochain. Le genre éloigné est celui qui est séparé de l'espece par un autre genre, qui est interposé entre eux deux. Telle seroit, par exemple, la substance par rapport à Dieu, laquelle ne se dit de cet être suprême, que moyennant l'esprit qui en est le genre prochain.

On en distingue encore de trois sortes ; savoir le genre suprême, le genre subalterne & le genre infime. Le genre suprême, qu'on appelle aussi transcendental, ne reconnoît aucun genre au-dessus de lui ; tel est l'être. Le genre subalterne se trouve placé entre des genres dont les uns sont au-dessus de lui & les autres au-dessous ; & le genre infime, est celui qui n'en a point sous lui : il est le même que le genre prochain.

Ce qui est genre par rapport à un autre genre moins universel, n'est plus qu'une espece par rapport à celui qui est plus étendu que lui. Ainsi la substance qui est genre par rapport à l'esprit & au corps, n'est qu'une espece de l'être en général.

Tout ce qui se trouve dans le genre, à son universalité près, se trouve aussi dans tous ses inférieurs ; mais cela n'est pas réciproque de la part des inférieurs par rapport à leur genre. On peut bien dire de l'esprit qu'il est substance ; mais on ne dira pas de la substance en général, qu'elle est esprit.

La différence se définit dans les écoles, une chose propre à se trouver dans plusieurs, ou à être dite de plusieurs comme la partie la plus stricte ; je veux dire la plus propre, la moins étendue de l'essence. Voici les trois fonctions qu'on lui donne ; 1°. de diviser le genre, c'est-à-dire de le multiplier ; 2°. de constituer l'espece ; 3°. de la distinguer de toute autre : essentielle à l'espece qu'elle constitue, elle est contingente au genre qu'elle multiplie.

On en distingue de plusieurs sortes ; savoir la différence générique, la différence spécifique, & la différence numérique.

La différence générique est un attribut, par exemple, qui étant commun à des êtres même de différente espece, sert néanmoins à les distinguer d'autres êtres dont l'espece est plus éloignée. Ainsi l'intelligence convenant à Dieu, aux anges & aux hommes, qui sont tous de différente espece, sert à les distinguer des corps qui n'en sont pas susceptibles.

La différence spécifique est le degré qui constitue l'espece infime, & qui la distingue de toutes les autres especes. Cette différence renferme deux propriétés ; la premiere est de distinguer une chose d'avec toutes celles qui ne sont pas de la même espece ; & la seconde d'être la source & l'origine de toutes les propriétés qui constituent un être.

La différence numérique consiste en ce qu'un individu n'est pas un autre individu. Ceux qui voient par-tout dans les genres, dans les especes, dans les essences & dans les différences, autant d'êtres qui vont se placer dans chaque substance, pour la déterminer à être ce qu'elle est, verront aussi dans la différence numérique je ne sais quel degré, enté, pour ainsi dire, sur l'espece infime, & qui la détermine à être tel individu. Ce degré d'individuation sera, par exemple, dans Pierre la pétréité, dans Lentulus la lentuléité, &c.

L'espece se définit dans les écoles, une chose propre à se trouver dans plusieurs, ou à être dite de plusieurs comme toute l'essence commune. Ainsi l'espece résulte du genre & de la différence.

Il y a deux sortes d'especes, l'une subalterne & l'autre infime ; la subalterne est genre par rapport aux especes inférieures, & espece par rapport à ce qui est plus étendu & plus universel qu'elle ; l'espece infime ne reconnoît sous elle que des individus.

Le propre se définit dans les écoles, une chose propre à se trouver dans plusieurs, ou à être dite de plusieurs comme une propriété qui découle de leur nature ; ce qui le distingue de l'accident, qui ne se trouve dans plusieurs & n'est dit de plusieurs, qu'à titre de contingence.

Les Philosophes ont quelquefois étendu plus loin ce nom de propre, & en ont fait quatre especes. La premiere est celle-ci, quod convenit omni, soli & semper ; ainsi c'est le propre de tout cercle, & du seul cercle, & cela dans tous les tems, que les lignes tirées du centre à la circonférence soient égales. La seconde, quod convenit omni, sed non soli ; comme on dit qu'il est propre à l'étendue d'être divisible, parce que toute étendue peut être divisée, quoique la durée, le nombre & la force le puissent être aussi. La troisieme est, quod convenit soli, sed non omni ; comme il ne convient qu'à l'homme d'être médecin ou philosophe, quoique tous les hommes ne le soient pas. La quatrieme, quod convenit omni & soli, sed non semper ; comme, par exemple, d'avoir de la raison.

Il y a des contestations fort vives & fort animées entre les Thomistes & les Scotistes, pour savoir si l'universel existe à parte rei, ou seulement dans l'esprit ; les Scotistes soutiennent le premier, & les Thomistes le second. Ce qui cause tous les débats où ils sont les uns avec les autres, c'est la difficulté de concilier l'unité avec la multiplicité, deux choses qui ne doivent point être séparées quand il est question des universaux.

Les Thomistes disent des Scotistes qu'ils donnent trop à la multiplicité, & pas assez à l'unité ; & les Scotistes à leur tour leur reprochent de sacrifier la multiplicité à l'unité. Mais pour bien entendre le sujet de leur dispute, il faut observer qu'il y a deux sortes d'unités : l'une d'indistinction, autrement numérique, & une unité d'indiversité ou de ressemblance. Les Thomistes soutiennent que l'unité de similitude ou de ressemblance n'est pas une vraie unité, & qu'elle ne peut par conséquent constituer l'universel. Voici comment ils conçoivent la chose. Tous les hommes ont une nature parfaitement ressemblante ; or ce fond de ressemblance qui se trouve dans tous les hommes, fournit à l'esprit une raison légitime pour se représenter, d'une maniere abstraite, dans tous les hommes une nature qui soit la même d'une unité numérique, laquelle unité, selon eux, peut s'allier avec l'universel. Or la chose étant ainsi exposée, il est évident que l'universel n'existe pas à parte rei, mais seulement dans l'esprit, puisque la même nature numérique ne se trouve pas dans deux hommes. Les Scotistes au contraire prétendent que l'unité de similitude ou de ressemblance est une vraie unité, & qu'elle est la seule qui puisse s'associer avec la multiplicité. Dans la persuasion où ils sont que tous les êtres sont du-moins possibles de la maniere dont ils les conçoivent, ils tournent en ridicule les Thomistes pour admettre dans l'unité numérique une multiplicité qui y est formellement opposée. Les Thomistes à leur tour leur rendent bien la pareille, en se moquant de toutes ces idées réalisées de genres, d'especes, de différences, qui vont comme autant d'êtres se placer dans les substances pour les déterminer à être ce qu'elles sont. Qui croiroit, par exemple, que la nature humaine en Pierre fût distinguée positivement de lui ? Or c'est cependant ce que reconnoissent, & ce que doivent reconnoître dans leurs principes les Scotistes. La nature de Pierre, qui d'elle même est universelle, se trouve contractée & déterminée à être telle qu'elle est, par je ne sais quel degré d'être qui lui survient, & qu'ils appellent pétréité. Oh ! pour cela ce sont d'admirables gens que ces Scotistes. Il se dévoile à leurs yeux une infinité d'êtres qui sont cachés au reste des hommes ; ils voient encore où les autres ne voient plus.

Par la maniere dont je viens d'exposer cette fameuse dispute, qui fait tant de bruit dans les écoles, il est aisé de juger combien toute cette question des universaux est frivole & ridicule. Cependant quelque mépris qu'on en fasse dans le monde, elle se maintient toujours fierement dans les écoles. Voici le jugement qu'en porte la logique de Port-Royal. " Personne, Dieu merci, ne prend intérêt à l'universel à parte rei, à l'être de raison, ni aux secondes intentions ; ainsi on n'a pas lieu d'appréhender que quelqu'un se choque de ce qu'on n'en parle point, outre que ces matieres sont si peu propres à être mises en françois, qu'elles auroient été plus capables de décrier la philosophie que de la faire estimer ". Dagoumer a beau se récrier contre cette décision, logique pour logique, nous en croirons plutôt celle de Port-Royal que la sienne, parce que les vaines subtilités de l'une ne peuvent balancer dans notre esprit le choix judicieux des questions qu'on y traite avec toute la force & la solidité du raisonnement. Ce n'est pourtant pas qu'il ne s'y trouve certaines questions dignes des écoles ; mais il faut bien donner quelque chose au préjugé & au torrent de la coutume.

UNIVERSEL, (Théolog.) les catholiques romains ne conviennent pas entr'eux sur le titre d'évêque universel, que les papes se sont arrogés ; quoique quelques-uns d'eux n'aient pas voulu l'accepter. Baronius soutient que ce titre appartient au pape de droit divin ; & néanmoins S. Grégoire, à l'occasion de cette même qualité donnée par un concile en 586, à Jean, patriarche de Constantinople, assuroit expressément qu'elle n'appartenoit à aucun évêque, & que les évêques de Rome ne pouvoient ni ne devoient le prendre ; c'est pourquoi S. Léon refusa d'accepter ce titre, lorsqu'il lui fut offert par le concile de Chalcédoine, de peur qu'en donnant quelque qualité particuliere à un évêque, on ne diminuât celle de tous les autres, puisque l'on ne pourroit pas admettre d'évêque universel sans diminuer l'autorité de tous les autres. Voy. EVEQUE, OECUMENIQUE, PAPE, &c.

Nous avons expliqué sous le mot OECUMENIQUE, les divers sens dans lesquels on peut prendre ce terme qui est synonyme à universel, quel est celui dans lequel on doit dire que le pape est pasteur universel, & quel est le sens abusif dans lequel ce titre ne lui convient pas, selon la doctrine de l'église gallicane. Voyez OECUMENIQUE.

UNIVERSEL, adj. (Physiq.) ce qui est commun à plusieurs choses, ce qui appartient à plusieurs choses, ou même à toutes choses en général. Voyez GENERAL.

Il y a des instrumens universels pour mesurer toutes sortes de distances, de hauteurs, de longueurs, &c. que l'on appelle pantometres & holometres ; mais pour l'ordinaire ces instrumens, à force d'être universels, ne sont d'usage dans aucun cas particulier. Chambers.

UNIVERSEL, adj. (Gnomon.) cadran solaire universel est celui par lequel on peut trouver l'heure en quelque endroit de la terre que ce soit, ou sous quelque élévation de pole que ce puisse être. Voyez CADRAN.


UNIVERSITÉ(Belles-Lettres) terme collectif qu'on applique à un assemblage de plusieurs colleges établis dans une ville, où il y a des professeurs en différentes sciences, appointés pour les enseigner aux étudians, & où l'on prend des degrés ou des certificats d'études dans les diverses facultés.

Dans chaque université on enseigne ordinairement quatre sciences, savoir la théologie, le droit, la médecine, & les humanités ou les arts, ce qui comprend aussi la philosophie. Il y a cependant en France quelques universités où l'on ne prend des degrés que dans certaines facultés, par exemple à Orléans & à Valence pour le droit, à Montpellier pour la médecine. Voyez THEOLOGIE, &c.

On les appelle universités, ou écoles universelles, parce qu'on suppose que les quatre facultés font l'université des études, ou comprennent toutes celles que l'on peut faire. Voyez FACULTE.

Les universités ont commencé à se former dans le douzieme & treizieme siecles. Celles de Paris & de Boulogne en Italie, prétendent être les premieres qui aient été établies en Europe ; mais elles n'étoient point alors sur le pié que sont les universités de notre tems. Voyez SEMINAIRE & ECOLE.

On commençoit ordinairement par étudier les arts pour servir d'introduction aux sciences, & ces arts étoient la grammaire, la dialectique, & tout ce que nous appellons humanités & philosophie. De-là on montoit aux facultés supérieures, qui étoient la physique ou médecine, les loix ou le droit civil, les canons, c'est-à-dire le décret de Gratien, & ensuite les décrétales, la théologie qui consistoit alors dans le maître des sentences, & ensuite dans la somme de S. Thomas. Les papes exempterent ces corps de docteurs & d'écoliers de la jurisdiction de l'ordinaire, & leur donnerent autorité sur tous les membres de leur corps, de quelque diocèse & de quelque nation qu'ils fussent ; & à ceux qu'ils auroient éprouvés & faits docteurs, pouvoir d'enseigner par toute la chrétienté. Les rois les prirent aussi sous leur protection ; & outre que comme clercs, les membres de ces universités étoient exempts de la jurisdiction laïque, ils leur donnerent encore droit de committimus, & exemption des charges publiques ; enfin la portion des bénéfices qui fut affectée aux gradués, contribua à peupler les universités, & à en faire instituer de nouvelles dans toutes les parties de l'Europe.

On dit que l'université de Paris prit naissance sous Charlemagne, & qu'elle doit son origine à quatre Anglois, disciples du vénérable Bede ; que ces Anglois ayant formé le dessein d'aller à Paris pour se faire connoître, ils y donnerent leurs premieres leçons dans les places qui leur furent assignées par Charlemagne. Telle est l'opinion de Gaguin, de Gilles de Beauvais, &c. mais les auteurs contemporains, comme Eginart, Almon, Reginon, Sigebert, &c. ne font pas la moindre mention de ce fait. Au contraire Pasquier, du Tillet, &c. assurent expressément, que les fondemens de cette université ne furent jettés que sous les regnes de Louis le jeune, & de Philippe Auguste, dans le douzieme siecle. Celui qui en a parlé le premier est Rigord, contemporain de Pierre Lombard, le maître des sentences, & le principal ornement de l'université de Paris, en mémoire duquel les bacheliers en licence sont obligés d'assister tous les ans, le jour de saint Pierre, à un service dans l'église de S. Marcel, lieu de sa sépulture.

Il est certain que l'université de Paris ne fut point établie d'abord sur le pié qu'elle est aujourd'hui, & il paroît que ce n'étoit au commencement qu'une école publique, tenue dans la cathédrale de Paris : que cette université ne se forma en corps régulier que par degrés, & sous la protection continuée des rois de France.

Du Boulay qui a écrit une histoire très-ample de l'université de Paris, a adopté les vieilles traditions incertaines, pour ne pas dire fabuleuses, qui en font remonter l'origine jusqu'au tems de Charlemagne. Il est vrai que ce prince rétablit les écoles monastiques & épiscopales, & qu'il en fonda même une dans son palais ; mais on n'a point de monumens certains qu'il ait institué une université dans Paris. Ce ne fut que sur la fin de l'onzieme siecle que Géoffroi de Boulogne, chancelier de France & évêque de Paris, forma des écoles séculieres où Guillaume de Champeaux, & après lui Abailard, enseignerent la rhétorique, la dialectique, & la théologie. Ils eurent des successeurs, & l'émulation qui se mit tant entre les maîtres qu'entre les disciples, ayant rendu l'école de Paris florissante pendant le douzieme siecle, elle s'attira au commencement du treizieme les regards & les bienfaits de nos rois & des souverains pontifes. Ses premiers statuts furent dressés par Robert de Corcéon, légat du saint siege, en 1215. mais alors elle n'étoit encore composée que d'artistes qui enseignoient les arts & la philosophie, & de théologiens qui donnoient des commentaires sur le livre des sentences de Pierre Lombard, & expliquoient l'Ecriture. Il y avoit pourtant dès-lors à Paris des maîtres en droit civil & en médecine. Ils furent peu de tems après unis aux deux autres facultés : car Grégoire IX. par sa bulle de l'an 1231, fait mention des maîtres en théologie, en droit, des physiciens (c'est ainsi qu'on appelloit alors les médecins), & des artistes : cette forme a toujours subsisté depuis, & subsiste encore aujourd'hui ; & la division de la faculté des arts en quatre nations, s'introduisit vers l'an 1250. Le recteur qui dans l'origine étoit à la tête de cette faculté, devint le chef de toute l'université. Il est appellé dans un édit de saint Louis, capital parisiensium scholarium, & ne peut être choisi que dans la faculté des arts. Il est électif & peut être changé à chaque trimestre. Mais l'université a d'autres officiers perpétuels, savoir les deux chanceliers, le syndic, le greffier ; elle a onze colleges de plein exercice, sans parler des écoles de théologie, de droit, & de médecine ; ses suppôts jouissent de plusieurs privileges, aussi-bien que ses étudians, auxquels le roi a procuré l'instruction gratuite, en assignant aux professeurs des honoraires réglés. Les services importans que ce corps a rendus & rend encore tous les jours à l'état & à la religion, doivent le rendre également cher à l'un & à l'autre.

Les universités d'Oxford & de Cambridge peuvent disputer le mérite de l'ancienneté à toutes les universités du monde.

Les colleges de l'université de Baliol & de Merton, à Oxford, & le college de saint Pierre à Cambridge, ont tous été fondés dans le treizieme siecle, & on peut dire qu'il n'y a point en ce genre de plus anciens établissemens en Europe.

Quoique le college de l'université à Cambridge ait été une place fréquentée par les étudians depuis l'année 872, cependant ce n'étoit point un college en forme, non plus que plusieurs autres colleges anciens au-delà des mers de la Grande-Bretagne ; ils ressembloient à l'université de Leyden, où les étudians ne sont point distingués par des habits particuliers, ne logent que dans les maisons bourgeoises où ils sont en pension, & ne font que se trouver à certains rendez-vous, qui sont des écoles où l'on dispute & où l'on prend les leçons.

Dans la suite des tems on bâtit des maisons, afin que les étudians pussent y vivre en société, desorte cependant que chacun y faisoit sa propre dépense, & la payoit comme à l'auberge, & comme font encore aujourd'hui ceux qui étudient dans les colleges de droit à Londres. Ces bâtimens s'appelloient autrefois hôtelleries ou auberges, mais on leur donne aujourd'hui le nom de halles. Voyez AUBERGE, HALLE.

Enfin on attacha des revenus solides à la plûpart de ces halles, à condition que les administrateurs fourniroient à un certain nombre d'étudians la nourriture, le vêtement, & autres besoins de la vie : ce qui fit changer le nom de halle en celui de college. Voyez COLLEGE.

La même chose eut lieu dans l'université de Paris, où les colleges sont encore autant de petites communautés composées d'un certain nombre de bourses ou places pour de pauvres étudians, sous la direction d'un maître ou principal. Les premiers furent des hospices pour les religieux qui venoient étudier à l'université, afin qu'ils pussent vivre ensemble séparés des séculiers. On en fonda plusieurs ensuite pour les pauvres étudians qui n'avoient pas dequoi subsister hors de leur pays, & la plûpart sont affectés à certains diocèses. Les écoliers de chaque college vivoient en commun, sous la conduite d'un proviseur ou principal, qui avoit soin de leurs études & de leurs moeurs, & ils alloient prendre les leçons aux écoles publiques ; & c'est ce qui se pratique encore dans la plûpart de ces petits colleges qui ne sont point de plein exercice.

Les universités d'Oxford & de Cambridge sont gouvernées sous l'autorité immédiate du roi, par un chancelier qui préside à l'administration de toute l'université, & qui a soin d'en maintenir les privileges & immunités. Voyez CHANCELIER.

Ce chancelier a sous lui un grand maître d'hôtel, qui aide le chancelier & les autres suppôts de l'université à faire leurs fonctions lorsqu'il en est requis, & à juger les affaires capitales conformément aux loix du royaume & aux privileges de l'université.

Le troisieme office est celui de vice-chancelier, qui fait les fonctions du chancelier en l'absence de ce chef.

Il y a aussi deux procureurs qui aident à gouverner l'université, sur-tout dans ce qui regarde les exercices scholastiques, la prise des degrés, la punition de ceux qui violent les statuts, &c. Voyez PROCUREUR.

Enfin il y a un orateur public, un garde des archives, un greffier, des bedeaux, & des porte-verges.

A l'égard des degrés que l'on prend dans chaque faculté, & des exercices que l'on fait pour y parvenir, voyez les articles DEGRE, DOCTEUR, BACHELIER, &c.


UNNA(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Westphalie, au comté de la Marck, à quatre lieues au levant de Dortmund. Elle a été anséatique, & appartient aujourd'hui au roi de Prusse. Longit. 25. 18. latit. 51. 39. (D.J.)


UNNIS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) cet arbre croît au Chili, & porte un fruit en grappes, à peu-près de la grosseur d'un pois, douçâtre, & cependant un peu âcre. Les naturels en tirent une liqueur limpide qui ressemble au vin, & dont ils sont une espece de vinaigre. (D.J.)


UNOVISTESS. m. pl. (Anat. & Physiolog.) branche des physiciens ovistes, qui ne different des infinitovistes qu'en ce qu'ils veulent que chaque oeuf soit un petit hermitage habité par un solitaire inanimé, soit mâle ou femelle, & formé peu après la naissance de celle qui le porte. Tout ce systême est fondé sur ce que quelques observateurs prétendent avoir à l'aide du microscope, découvert l'embrion formé dans l'oeuf avant qu'il ait été rendu fécond par le mâle ; mais ces faits prétendus & difficiles à constater, continue l'auteur de l'art de faire des garçons, sont détruits par d'autres faits incontestables, & par des raisons aussi convaincantes que les faits. Voyez la premiere partie de ce livre, ch. vj.


UNST(Géog. mod.) île de la mer d'Ecosse, l'une de celles qu'on nomme îles de Schetland, & la plus agréable de toutes. Elle a trois églises, trois havres, & huit milles de longueur. (D.J.)


UNSTRUTT(Géog. mod.) riviere d'Allemagne dans le cercle de la haute Saxe, au landgraviat de Thuringe. Elle prend sa source à quelques lieues au-dessus de Mulhausen, & tombe dans la Saale, vis-à-vis de la ville de Naumburg. (D.J.)


UNTERTHANENS. m. (Hist. d'Allemagne) c'est ainsi qu'on appelle en Allemagne les hommes de condition servile ; ces hommes, par rapport à leur personne, sont libres, & peuvent contracter & disposer de leurs actions & de leurs biens ; mais eux & leurs enfans sont attachés à certaines terres de leurs seigneurs qu'ils sont tenus de cultiver, & qu'ils ne peuvent abandonner sans leur consentement ; c'est pour cela que leurs filles mêmes ne peuvent se marier hors des terres dans lesquelles elles sont obligées de demeurer & de servir.

Un seigneur acquiert ce droit injuste de propriété 1°. par la naissance, car, selon ses prétentions, les enfans qui naissent de ses serfs doivent être de condition servile, comme leurs peres & meres ; & 2°. par voie de convention, lorsqu'un homme libre & misérable se donne volontairement à un seigneur en qualité de serf. C'est par ces raisons qu'un seigneur s'attribue un droit réel sur ses sujets de condition servile, & il en peut intenter la revendication contre tout possesseur du serf qui lui appartient.

Un long usage a introduit en Allemagne & dans quelques autres pays cette sorte de servitude, qui, sans changer l'état de la personne, affecte cependant d'une maniere essentielle la personne & sa condition. Ces malheureux hommes sont ce qu'on appelle en allemand eigenbehorige ou unterthanen, en latin homines propriae glebae adscripti, & c'est à-peu-près ce que les François appellent des mort - taillables. Voyez MORT-TAILLABLE, GLEBE, SERVITUDE.

Il est honteux que cette espece d'esclavage subsiste encore en Europe, & qu'il faille prouver qu'un tel est de condition servile, comme s'il pouvoit l'être effectivement, comme si la nature, la raison & la religion le permettoient. (D.J.)


UNZAINES. f. (Charpent.) sorte de bateau qui sert à voiturer les sels en Bretagne sur la riviere de Loire. Il y a de grandes & de petites unzaines ; les grandes peuvent tenir six muids ou environ, mesure nantoise, & les petites seulement quatre. (D.J.)


UPLANDE(Géog. mod.) province de Suede. Elle est bornée au nord & au levant par la mer Baltique, au midi en partie par la mer, & en partie par la Sudermanie, & au couchant par la Westmanie. Sa longueur est d'environ 28 lieues, sur 18 de largeur. On y trouve plusieurs mines de fer & de plomb. Elle produit de très-beau froment. Ubbon, roi de Suede résidoit en cette province, & l'on croit qu'elle a pris de-là le nom d'Uplande, comme qui diroit pays d'Ubbon. Ses principales villes sont Stockholm, capitale, Upsal, Oregrand, Enekoping, Telge, &c. (D.J.)


UPPINGHAM(Géog. mod.) ville d'Angleterre, dans Rutlandshire, à la source d'une riviere qui se jette dans le Weland. Elle est bâtie sur le penchant d'un côteau, & sa situation a occasionné son nom. Cette petite ville est considérable par son commerce, & par son college fondé par R. Thomson, ministre de l'église anglicane. Les noms des hommes utiles à leur patrie, doivent passer à la postérité. (D.J.)


UPSAL(Géog. mod.) ville de Suede, dans l'Uplande, sur la riviere de Sala, à 12 lieues au nord-ouest de Stockholm.

Ubbon qui regna sur les Suédois, fonda la ville d'Upsal, & lui donna son nom ; elle donna ensuite le sien aux rois de Suede, qui se qualifierent rois d'Upsal ; elle devint ainsi la capitale du royaume, & c'est encore le lieu où l'on couronne les rois. Cette ville, dit un historien du pays, ne fut pas seulement dès ses commencemens, la demeure des hommes, des princes & des rois, mais encore celle des grands-prêtres des Goths, & celle de leurs dieux à qui elle fut consacrée.

Elle n'a d'autres fortifications qu'un château bâti sur un rocher. La Sala qui la partage en deux, s'y gele presque toujours assez fortement pour porter une grande quantité d'hommes, de bétail & de marchandises dans le tems de la foire qui s'y tient tous les ans sur la glace au mois de Février.

La cathédrale d'Upsal est la plus belle église du royaume. Le bâtiment tout couvert de cuivre est orné de plusieurs tours, & renferme les tombeaux de plusieurs rois, d'archevêques, d'évêques & de seigneurs.

S. Suffrid, archevêque d'Yorck, que Eldre, roi d'Angleterre, envoya en Suede pour y prêcher l'évangile, le fit avec succès, & sacra Suerin, quatrieme évêque d'Upsal. L'église fut érigée en archevêché par le pape Alexandre III. & Etienne qui mourut en 1185, en fut le premier archevêque. Les prélats de cette église n'ont aujourd'hui ni les richesses ni la pompe de ceux qui les ont précédés quand le pays étoit catholique ; mais les archevêques luthériens d'Upsal ne laissent pas que de jouir d'un revenu honnête, d'avoir séance & voix dans le sénat & dans les dietes, de prendre le pas sur tous les autres ecclésiastiques, & ce qui vaut mieux encore d'être fort honorés dans le royaume.

Le college d'Upsal fondé pour quatre professeurs, par l'archevêque Jerler, du tems du roi Eric-le-Begue, donna naissance à l'université que le pape Sixte IV. honora en 1476 des mêmes immunités & privileges, dont jouit l'université de Boulogne. Charles IX. Gustave Adolphe, & la reine Christine, prirent soin de rendre cette université florissante, elle l'est encore. Long. suivant Cassini, 37. 25. latit. 59. 34. & suivant Celsius, 59. 50. 20.

" C'est à Upsal que fut inhumé Gustave Ericson, roi de Suede, mort à Stockholm dans la 70e année de son âge. Il mérita d'être adoré de ses sujets, soit que l'on considere la situation dont il les tira, ou celle dans laquelle il eut la gloire de les laisser. Sa fermeté fut admirable contre les malheurs. Il suivit toujours ses desseins en dépit des élémens, des lieux & des hommes les plus cruels & les plus puissans ; ses soldats étoient des volontaires sans solde, & qui n'avoient d'autre subordination que celle que leur dictoit leur vénération pour leur chef.

Gustave établit la religion luthérienne dans ses états, il mit par-là des bornes au pouvoir & aux richesses immenses du clergé, & se fit un fonds suffisant pour les dépenses publiques, autre que celui des taxes qui ruinoient le peuple, en le privant du fruit de son labeur ; ennemi de toute esprit de persécution, il toléra les préjugés de ses sujets, & il aima mieux persuader leur raison, que de forcer leur conscience.

Ses moeurs répondirent à ses sentimens, & les graces de sa personne inspirerent l'amour & le respect. Il étoit éloquent, insinuant, affable, & son exemple adoucit la férocité de ses sujets. Il les enrichit en étendant beaucoup leur commerce. Il récompensa les savans, fonda les magasins publics pour secourir les pauvres, & des hôpitaux pour les malades. Toutes ces choses ont éternisé la mémoire de ce prince. " (Le chev(D.J.))


UPTON(Géog. mod.) bourg d'Angleterre, dans la province de Worcester, près de la montagne de Malvernes, au bord de la Saverne, au-milieu d'une grande & belle prairie. Ce bourg qui est considérable, doit être un ancien lieu, car on y a trouvé quelquefois des médailles romaines. (D.J.)


UR(Géog. sacrée) ville de Chaldée, patrie de Tharé & d'Abraham. Quoiqu'il en soit beaucoup parlé dans l'Ecriture, on ignore sa situation. Quelques-uns croient que c'est Ura dans la Syrie, sur l'Euphrate, & d'autres, comme Bochart & Grotius, pensent que c'est Ura dans la Mésopotamie, à deux journées de Nisibe. On a remarqué que la Chaldée & la Mésopotamie sont souvent confondues. On prétend aussi que le nom d'Ur qui signifie le feu, fut donné à la ville d'Ur, à cause qu'on y entretenoit un feu sacré, en l'honneur du soleil, dans plusieurs temples qui n'étoient point couverts, mais fermés de toutes parts. (D.J.)


URA(Hist. nat.) espece d'écrevisse de mer qui se trouve dans les mers du Brésil, & qui se tient dans la vase ; c'est la nourriture la plus ordinaire des Indiens & des Negres. Sa chair est fort saine & d'un bon goût.


URABA(Géog. mod.) province de l'Amérique, dans la Terre-ferme, audience de Santa-Fé, & gouvernement de Carthagène, au levant de celle de Darien. Les forêts y sont remplies de gibier, & les rivieres, ainsi que la mer voisine, abondent en poisson.

Les montagnes Cordilleras ne sont pas éloignées de cette province. (D.J.)

URABA, golphe, (Géog. mod.) autrement & plus communément le golphe de Darien ; c'est un golphe célebre de l'Amérique, à l'extrémité orientale de l'isthme de Panama, sur la mer du nord. Son entrée a six lieues de large, & plusieurs rivieres se déchargent dans ce golphe. (D.J.)


URAMÉA(Géog. mod.) petite riviere d'Espagne, dans le Guipuscoa. Elle sort des montagnes qui séparent le Guipuscoa de la Navarre, & se perd dans la mer de Basque, à S. Sébastien. (D.J.)


URANA(Géog. mod.) nom commun à une petite ville de Dalmatie, à un village de Livadie, & à une riviere de l'empire turc en Europe. La ville Urana est sur un petit lac qui porte son nom, entre Zara & Sebennico. Le village est environ huit milles de Cophissa, dans la plaine de Marathon. On ne prendroit plus ce lieu, qui n'a qu'une dixaine de maisons d'Albinois, pour l'ancienne ville de Brauron, célebre par son temple de Diane Brauronienne. La riviere court dans la Macédoine, & se perd dans la mer Noire. (D.J.)


URANIBOURG(Géog. mod.) château de Suede, & autrefois du Danemarck, dans la petite île d'Huen ou de Ween, au milieu du détroit du Sund. Long. 30. 22. latit. 55. 54. 5.

Quoique ce château soit ruiné depuis long-tems, le nom en est toujours célebre, à cause de Tycho-Brahé qui le fit bâtir. Le roi de Danemarck Frédéric II. avoit donné à cet illustre & savant gentilhomme l'île de Weene pour en jouir durant sa vie, avec une pension de deux mille écus d'or, un fief considérable en Norwege, & un bon canonicat dans l'église de Roschild.

Cette île convenoit parfaitement aux desseins & aux études de Tycho-Brahé ; c'est proprement une montagne qui s'éleve au milieu de la mer, & dont le sommet plat & uni de tous côtés domine la côte de Scanie & tous les pays d'alentour : ce qui donne un très-bel horison, outre que le ciel y est ordinairement serein, & que l'on y voit rarement des brouillards.

Ticho-Brahé riche de lui-même, & rendu très-opulent par les libéralités de Frédéric, éleva au milieu de l'île son fameux château qu'il nomma Uranibourg, c'est-à-dire, ville du ciel, & l'acheva en quatre années. Il bâtit aussi dans la même île une autre grande maison nommée Stellbourg, pour y loger une foule de disciples & de domestiques ; enfin il y dépensa cent mille écus de son propre bien.

La disposition & la commodité des appartemens d'Uranibourg, les machines & les instrumens qu'il contenoit, le faisoient regarder comme un édifice unique en son genre. Aux environs de ces deux châteaux, on trouvoit des ouvriers de toute espece, une imprimerie, un moulin à papier, des laboratoires pour les observations chymiques, des logemens pour tout le monde, des fermes & des métairies ; tout étoit entretenu aux dépens du maître ; rien n'y manquoit pour l'agrément & pour les besoins de la vie ; des jardins, des étangs, des viviers & des fontaines rendoient le séjour de cette île délicieux. Ressenius en a donné un ample tableau dans ses Inscriptiones Uraniburgicae, &c.

Ce fut là que Tycho-Brahé imagina le systême du monde, qui porte son nom, & qui fut alors reçu avec d'autant plus d'applaudissemens, que la supposition de l'immobilité de la terre contentoit la plûpart des astronomes & des théologiens du xvj. siecle. On n'adopte pas aujourd'hui ce systême d'astronomie, qui n'est qu'une espece de conciliation de ceux de Ptolemée & de Copernic ; mais il sera toujours une preuve des profondes connoissances de son auteur. Tycho-Brahé avoit la foiblesse commune d'être persuadé de l'astrologie judiciaire ; mais il n'en étoit ni moins bon astronome, ni moins habile méchanicien.

Non-seulement il vivoit en grand seigneur dans son île, mais il y recevoit des visites des princes mêmes, admirateurs de son savoir. Jacques VI. roi d'Ecosse, & premier du nom en Angleterre, lui fit cet honneur dans le tems qu'il passa en Danemarck pour y épouser la princesse Anne, fille de Frédéric II.

La destinée de Tycho-Brahé fut celle des grands hommes ; il ne put se garantir de la jalousie de ses compatriotes, qui auroient dû être les premiers à l'admirer ; il en fut au contraire cruellement persécuté après la mort du roi son protecteur. Dès l'an 1596, ils eurent le crédit de le dépouiller de son fief de Norwege & de son canonicat de Roschild. Ils firent raser ses châteaux d'Uranibourg & de Stellbourg, dont il ne reste plus rien que dans les livres de ceux qui ont pris le soin de nous en laisser la description.

Obligé de quitter l'île de Ween en 1597, il vint à Copenhague pour y cultiver l'astronomie dans une tour destinée à cet usage. On lui envia cette derniere ressource. Les ministres de Christiern IV. qui ne se lassoient point de le persécuter, lui firent défendre par le magistrat de se servir de la tour publique pour faire ses observations.

Privé de tous les moyens de suivre ses plus cheres études en Danemarck, il se rendit à Rostock avec sa famille & plusieurs de ses éleves qui ne voulurent jamais l'abandonner ; ils eurent raison, car bientôt après l'empereur Rodolphe se déclara le protecteur de Tycho-Brahé, & le dédommagea de toutes les injustices de ses concitoyens. Il lui donna une de ses maisons royales en Bohème, aux environs de Prague, & y joignit une pension de trois mille ducats. Tycho-Brahé plein de reconnoissance, s'établit avec sa famille & ses disciples dans ce nouveau palais, & y goûta jusqu'à la fin de ses jours, le repos que son pays lui avoit envié.

Il étoit né en 1546, & mourut en 1601, d'une rétention d'urine que lui avoit causé son respect pour l'empereur, étant avec lui dans son carrosse, qu'il n'avoit osé prier qu'on arrêtât un moment. (D.J.)

Tycho, sur la fin de sa vie, fit transporter de Danemarck à Prague, où il alla s'établir avec toute sa famille, les machines & les instrumens dont il s'étoit servi pour faire un grand nombre d'observations célestes très-importantes. De Prague, il les fit transporter au château de Benach ; & de-là il les fit ramener à Prague dans le palais de l'empereur, d'où on les fit passer dans l'hôtel de Curtz. Après la mort de Tycho, l'empereur Rodolphe, à qui les enfans de cet astronome avoient dédié un de ses ouvrages posthumes, craignant qu'on ne fît quelque aliénation de ces instrumens, ou quelque mauvais usage, voulut en avoir la propriété pour le prix de vingt-deux mille écus d'or, qu'il paya aux héritiers de Tycho ; & il y commit une garde à gage, qui tint ce grand trésor si bien renfermé dans l'hôtel de Curtz, qu'il ne fut plus possible à personne de le voir, pas même à Kepler, quoique disciple de Tycho, & favorisé de l'empereur. Ces machines demeurerent ensevelies de la sorte jusqu'aux troubles de Bohème en 1619 ; l'armée de l'électeur Palatin croyant mettre la main sur un bien qui étoit propre à la maison d'Autriche, les pilla comme des dépouilles ennemies, en prisa une partie, & en convertit une autre à des usages tout différens. Le reste fut tellement distrait, qu'on n'a pas pu savoir depuis ce que sont devenus tant de précieux monumens. On vint cependant à bout de sauver le grand globe céleste, qui étoit d'airain : il fut retiré de Prague, & emporté sur l'heure à Neiss en Silésie, où on le mit en dépôt chez les jésuites. Il fut enlevé treize ans après par Udalric, fils de Christiern, roi de Danemarck, conduit à Copenhague & placé dans l'académie royale.

M. de Fontenelle dit, dans l'éloge du czar Pierre, que ce prince ayant vu à Copenhague un globe céleste fait sur les desseins de Tycho, & autour duquel douze personnes pouvoient s'asseoir, en faisant des observations, demanda ce globe au roi de Danemarck, & fit venir exprès de Petersbourg une frégate qui l'y apporta. C'est apparemment ce même globe dont nous parlons.

M. Picart ayant été faire un voyage à Uranibourg, il trouva que le méridien tracé dans ce lieu par Tycho, s'éloignoit du méridien véritable. D'un autre côté cependant M. de Chazelles ayant été en Egypte, & ayant mesuré les pyramides & examiné leur position, il trouva que leurs faces se tournoient exactement vers les poles du monde. Or comme cette position singuliere doit avoir été recherchée vraisemblablement par les constructeurs de ces pyramides, il paroîtroit s'ensuivre de-là que les méridiens n'ont point changé. Seroit-il possible que les anciens astronomes égyptiens eussent bien tracé leur méridienne, & que Tycho, si habile & si exact, eût mal décrit la sienne ? C'est sur quoi il ne paroît pas aisé de prononcer. Voyez MERIDIEN. (O)


URANIE(Mytholog.) muse qui préside à l'astronomie ; on la représente vétue d'une robe couleur d'azur, couronnée d'étoiles, soutenant un globe, & environnée de plusieurs instrumens de mathématiques, quelquefois seulement elle a près d'elle un globe posé sur un trépié. (D.J.)

URANIE, (Littérature) , jeu des enfans en Grece & en Italie. On jettoit dans ce jeu une balle en l'air, & celui qui l'attrapoit le plus souvent avant qu'elle touchât la terre, étoit le roi du jeu. Horace y fait allusion, quand il dit avec une critique sensible & délicate :

Si quadringentis sex septem millia desunt,

Est animus tibi, sunt mores, & lingua, fidesque,

Plebs eris. At pueri ludentes, rex eris, aiunt,

Si recte feceris.

Epist. j. l. I.

" Vous avez des sentimens, des moeurs, de l'éloquence, de la bonne foi, on le sait ; mais si avec tout cela vous n'avez pas un fond de cinquante mille livres, vous ne parviendrez à rien. Les enfans, au milieu de leurs jeux, raisonnent d'une maniere bien plus sensée : faites bien, disent-ils à leur camarade, & vous serez roi. " (D.J.)

URANIES, (Mythologie) les Poëtes nous disent que c'étoient les nymphes célestes qui gouvernoient les spheres du ciel. Vénus uranie ou la Vénus céleste méritoit bien d'avoir des nymphes qui, sous ses ordres, présidassent au maintien de toute la nature. (D.J.)


URANOPOLIS(Géog. anc.) 1°. ville de l'Asie mineure, dans la Pamphilie & dans la contrée appellée Carbalie, selon Ptolomée, l. V. c. v.

2°. Ville de la Macédoine, dans la Chalcidie, sur le mont Athos, selon Pline, l. IV. c. x. Son fondateur, au rapport d'Athénée, l. III. fut Alexarque, frere de Cassandre, roi de Macédoine. (D.J.)


URANUS(Mythologie) l'histoire dit que ce fut le premier roi des Atlantides, peuple qui habitoit cette partie de l'Afrique, qui est au pié du mont Atlas, du côté de l'Europe.

Ce prince obligea ses sujets, alors errans & vagabonds, à vivre en société, à cultiver la terre, & à jouir des biens qu'elle leur présentoit.

Appliqué à l'astronomie, Uranus régla l'année sur le cours du soleil, les mois sur celui de la lune, & fit, par rapport au cours des astres, des prédictions, dont l'accomplissement frappa tellement ses sujets, qu'ils crurent qu'il y avoit quelque chose de divin dans le prince qui les gouvernoit, ensorte qu'après sa mort ils le mirent au rang des dieux, & l'appellerent roi éternel de toutes choses. Titée sa femme étant morte, reçut aussi les honneurs divins, & son nom fut donné à la terre, comme celui de son mari avoit été donné au ciel.

On peut lire dans Diodore de Sicile, l. III. c. iv. les autres détails de la théogonie des Atlantides, qui est assez semblable à celle des Grecs, sans qu'on sache s'ils l'ont reçue de ces peuples d'Afrique, ou si les Atlantides l'ont tirée d'eux ; ce que l'on voit clairement, c'est que le culte du soleil & de la lune a été la plus ancienne religion des Atlantes, ainsi que de tous les autres peuples du monde. (D.J.)


URAQUES. f. terme de riviere, charrette garnie de claies, dans laquelle arrive le charbon que l'on mesure ensuite à la voie.


URBANEA(Géogr. mod.) petite ville d'Italie, dans l'Etat de l'Eglise, au duché d'Urbin ; sur le Métro ou Météoro, à 6 milles au sud-ouest d'Urbin. dont son évêque est suffragant. Le pape Urbain VIII. l'embellit, & lui donna son nom. C'est l'Urbinum Metaurense des anciens.

Maccio (Sébastien), né à Urbanea au commencement du xvij. siecle, écrivit avec assez de politesse sur l'histoire romaine. On a de lui deux livres, dont l'un est intitulé, de bello Asdrubalis, & l'autre de historiâ Livianâ. Il mourut à 37 ans. (D.J.)


URBANITÉIl paroît d'abord étrange que le mot urbanité ait eu tant de peine à s'établir dans notre langue ; car quoique d'excellens écrivains s'en soient servi, & que le dictionnaire de l'académie françoise l'autorise, on ne peut pas dire qu'il soit fort en usage, même aujourd'hui. En examinant qu'elle en pourroit être la raison, il est vraisemblable que les François qui examinent rarement les choses à fond, n'ont pas jugé ce mot fort nécessaire ; ils ont cru que leurs termes politesse & galanterie renfermoient tout ce que l'on entend par urbanité ; en quoi ils se sont fort trompés, le terme d'urbanité désignant non-seulement beaucoup plus, mais quelquefois toute autre chose. D'ailleurs urbanitas chez les Romains étoit un mot propre, qui signifioit, comme nous l'avons dit, cette politesse d'esprit, de langage & de manieres, attachée spécialement à la ville de Rome ; & parmi nous, la politesse n'est le privilege d'aucune ville en particulier, pas même de la capitale, mais uniquement de la cour. Enfin l'idée que le mot urbanité présente à l'esprit, n'étant pas bien nette, c'est une raison de son peu d'usage.

Cicéron faisoit consister l'urbanité romaine dans la pureté du langage, jointe à la douceur & à l'agrément de prononciation ; Domitius Marsus donne à l'urbanité beaucoup plus d'étendue, & lui assigne pour objet non-seulement les mots comme fait Cicéron, mais encore les personnes & les choses. Quintilien & Horace en donnent l'idée juste, lorsqu'ils la définissent un goût délicat pris dans le commerce des gens de lettres, & qui n'a rien dans le geste, dans la prononciation, dans les termes de choquant, d'affecté, de bas & de provincial. Ainsi le mot urbanité qui d'abord n'étoit affecté qu'au langage poli, a passé au caractere de politesse qui se fait remarquer dans l'esprit, dans l'air, & dans toutes les manieres d'une personne, & il a répondu à ce que les Grecs appelloient , mores.

Homere, Pindare, Euripide & Sophocle, ont mis tant de graces & de moeurs dans leurs ouvrages, que l'on peut dire que l'urbanité leur étoit naturelle ; on peut sur-tout donner cette louange au poëte Anacréon. Nous ne la refuserons certainement pas à Isocrate, encore moins à Démosthene, après le témoignage que Quintilien lui rend, Demosthenem urbanum fuisse dicunt, dicacem negant ; mais il faut avouer que cette qualité se fait particulierement remarquer dans Platon. Jamais homme n'a si-bien manié l'ironie, qui n'a rien d'aimable, jusques-là qu'au sentiment de Cicéron, il s'est immortalisé pour avoir transmis à la postérité le caractere de Socrate, qui en cachant la vertu la plus constante sous les apparences d'une vie commune, & un esprit orné de toutes sortes de connoissances sous les dehors de la plus grande simplicité, a joué en effet un rôle singulier & digne d'admiration.

Les auteurs latins étant plus connus, il ne seroit presque pas besoin d'en parler : car qui ne sait, par exemple, que Térence est si rempli d'urbanité, que de son tems ses pieces étoient attribuées à Scipion & à Lelius, les deux plus honnêtes hommes & les plus polis qu'il y eût à Rome ? & qui ne sent que la beauté des poésies de Virgile, la finesse d'esprit & d'expression d'Horace, la tendresse de Tibulle, la merveilleuse éloquence de Cicéron, la douce abondance de Tite-Live, l'heureuse briéveté de Salluste, l'élégante simplicité de Phedre, le prodigieux savoir de Pline le naturaliste, le grand sens de Quintilien, la profonde politique de Tacite : qui ne sent, dis-je, que ces qualités qui sont répandues dans ces différens auteurs, & qui font le caractere particulier de chacun d'eux, sont toutes assaisonnées de l'urbanité romaine ?

Il en est de cette urbanité comme de toutes les autres qualités ; pour être éminentes, elles veulent du naturel & de l'acquis. Cette qualité prise dans le sens de politesse & de moeurs, d'esprit & de manieres, ne peut, de même que celle du langage, être inspirée que par une bonne éducation, & dans le soin qui y succede. Horace la reçut cette éducation ; il la cultiva par l'étude & par les voyages. Enhardi par d'heureux talens, il fréquenta les grands & sut leur plaire. D'un côté, admis à la familiarité de Pollion, de Messala, de Lollius, de Mécénas, d'Auguste même : de l'autre, lié d'amitié avec Virgile, avec Varius, avec Tibulle, avec Plotius, avec Valgius, en un mot, avec tout ce que Rome avoit d'esprits fins & délicats ; il n'est pas étonnant qu'il eût pris dans le commerce de ces hommes aimables, cette politesse, ce goût fin & délicat qui se fait sentir dans ses écrits. Voilà ce qu'on peut appeller une culture suivie, & telle qu'il la faut pour acquérir le caractere d'urbanité. Quelque bonne éducation que l'on ait eue, pour peu que l'on cesse de cultiver son esprit & ses moeurs par des réflexions & par le commerce des honnêtes gens de la ville & de la cour, on retombe bientôt dans la grossiereté.

Il y a une espece d'urbanité qui est affectée à la raillerie ; elle n'est guere susceptible de préceptes : c'est un talent qui naît avec nous, & il faut y être formé par la nature même. Parmi les romains on ne cite qu'un Crassus, qui avec un talent singulier pour la fine plaisanterie, ait su garder toutes les bienséances qui doivent l'accompagner.

L'urbanité, outre les perfections dont on a parlé, demande encore un fond d'honnêteté qui ne se trouve que dans les personnes heureusement nées. Entre les défauts qui lui sont opposés, le principal est une envie marquée de faire paroître ce caractere d'urbanité, parce que cette affectation même la détruit.

Pour me recueillir en peu de paroles, je crois que la bonne éducation perfectionnée par l'usage du grand monde, un goût fin, une érudition fleurie, le commerce des savans, l'étude des lettres, la pureté du langage, une prononciation délicate, un raisonnement exact, des manieres nobles, un air honnête, & un geste propre, constituoient tous les caracteres de l'urbanité romaine. (D.J.)


URBANUS(Littérat.) ce mot, outre le sens propre, signifie quelquefois un plaisant de profession ; mais il désigne communément un homme du bel air, un homme qui se pique d'esprit, de beau langage & de belles manieres. Cicéron s'en est servi en ce sens dans plusieurs passages de ses écrits ; voyez URBANITE. (D.J.)


URBIGENUS-PAGUS(Géog. anc.) canton de la Gaule-belgique, dans l'Helvétie, dont parle César, l. I. c. xxvij. de ses commentaires. Sa capitale se nommoit Urba ; c'est aujourd'hui Orbe. (D.J.)


URBINduché d ', (Géog. mod.) pays d'Italie, borné au nord par le golfe de Venise, au midi par l'Ombrie, au levant par la Marche d'Ancone, au couchant par la Toscane & la Romagne. Sa plus grande étendue du septentrion au midi, est d'environ cinquante-cinq milles, & de soixante-six d'orient en occident. La Foglia, la Césena, & la Rigola, sont les principales rivieres de cette province, qui peut se diviser en sept parties ; savoir, le duché d'Urbin propre, le comté de Mont-Feltro, le comté de Cita-di-Castello, le comté de Gubio, le vicariat de Sinigaglia, la seigneurie de Pesaro, la république de Saint-Marin.

Le duché d'Urbin, proprement dit, occupe le milieu de la province, & s'étend jusqu'à la mer, la Marche d'Ancone, la Romagne & la Toscane. C'est un pays mal-sain & peu fertile, dont la capitale porte son nom.

Ce duché a été possédé par la maison de Monte-Feltro, & par celle de la Rovere. François-Marie de la Rovere II. du nom, ne se voyant aucun enfant mâle, réunit le duché d'Urbin au saint siege en 1626, & mourut peu de tems après. (D.J.)

URBIN, ou URBAIN, (Géog. mod.) anciennement Urbinum, petite ville d'Italie dans l'état de l'église, capitale du duché du même nom, sur une montagne entre les rivieres de Métro & la Foglia. Son évêché fut érigé en archevêché en 1551 ; & Clément X. y fonda une université. Le palais des ducs d'Urbin fut bâti par le duc Frédéric I. duc d'Urbin, qui embellit ce palais de statues, de peintures, & d'une bibliotheque de livres précieux. On peut consulter au sujet de cette ville un ouvrage intitulé, Memorie concernenti la citta di Urbino, Romae 1724, in-fol. fig. Long. suivant Cassini & Bianchini, 30, 21. lat. 43, 48'. 30.

Urbin se vante avec raison d'avoir produit des hommes célebres dans les sciences. Il est certain que Virgile, ou plutôt Vergile (Polydore) né dans cette ville au xv. siecle, ne manquoit ni d'esprit ni d'érudition. Il fut envoyé en Angleterre au commencement du siecle suivant pour y lever le tribut que l'on nommoit denier de saint Pierre ; mais il se rendit si recommandable dans son ministere, & il se plut de telle sorte dans ce pays, qu'il résolut d'y passer sa vie ; il renonça donc à la charge d'exacteur de ce tribut, & obtint la dignité d'archidiacre de l'église de Wells. Il ne se dégoûta point du royaume lorsque les affaires de la religion changerent sous Henri VIII. & sous Edouard ; ce ne fut qu'en 1550 qu'il en sortit, à cause que sa vieillesse demandoit un climat plus chaud ; & le roi lui accorda la jouissance de ses bénéfices dans les pays étrangers. On croit qu'il mourut à Urbin l'an 1556.

Son premier livre fut un recueil de proverbes qu'il publia en 1498. Son second ouvrage fut celui de rerum inventoribus, dont il s'est fait plusieurs éditions. Son traité des prodiges parut l'an 1526 ; c'est un ouvrage bien différent de celui de Julius-Obsequens, augmenté par Lycosthènes ; car Polydore y combat fortement les divinations. Il dédia à Henri VIII. en 1533 son histoire d'Angleterre, dont les savans critiques anglois ne font aucun cas. Voici ce qu'en dit Henri Savil : Polydorus in rebus nostris hospes, & (quod caput est) neque in republicâ versatus, nec vir magni ingenii ; pauca ex multis delibans, & falsa plerùmque pro veris amplexus, historiam nobis reliquit, cùm caetera mendosam, tùm exiliter sanè & jejunè conscriptam.

Le comte Bonarelli (Gui Ubaldo) naquit à Urbin en 1563, & mourut à Fano en 1608, à 45 ans. Il est auteur de la Philis de Scyro, Filli di Sciro, pastorale pleine de graces & d'esprit, dont j'ai déja parlé au mot SCYROS.

Commandin (Fréderic) naquit à Urbin, en 1509, & mourut en 1575, âgé de 66 ans. Il étudia d'abord la médecine, mais trouvant trop d'incertitude dans les principes de cette science, & trop de dangers dans ses expériences, il s'appliqua tout entier à l'étude des mathématiques, & y gagna beaucoup de gloire. Le public lui est redevable de plusieurs ouvrages des mathématiciens grecs qu'il a traduits & commentés ; par exemple, d'Archimede, d'Apollonius, de Pappus, de Ptolemée, d'Euclide. On lui doit encore Aristarchus de magnitudinibus ac distantiis solis & lunae, à Pésaro 1572, in-4°. Hero de spiritalibus, à Urbin, 1575, in-4°. Machometes Bagdedinus de superficierum divisionibus, à Pésaro 1570, in-fol. Le style de Commandin est pur, & il a mis dans ses ouvrages tous les ornemens dont les mathématiques sont susceptibles. Baldus (Bernardin) a fait sa vie, & nous assure que s'il n'avoit pas trop aimé les femmes, Momus n'auroit rien pu trouver à reprendre dans cet habile géometre. Commandin mérite sans doute d'être loué ; mais ce n'est pas la plus petite de ses louanges, que d'avoir eu le même Baldus pour disciple.

En effet, Baldus se montra un des plus savans hommes de son tems. Il naquit à Urbin l'an 1553, fut fait abbé de Guastalla, l'an 1586, & mourut l'an 1617, à 64 ans. Il passa sa vie dans l'étude, sans ambition, sans vaine gloire, plein de bonté dans le caractere, excusant toujours les fautes d'autrui, & cependant fort dévot, non-seulement pour un mathématicien, mais même pour un homme d'église, car il jeûnoit deux fois la semaine, & communioit tous les jours de fêtes.

Son premier ouvrage est un livre des machines de guerre, de tormentis bellicis, & eorum inventoribus. Les commentaires qu'il publia l'an 1582 sur les méchaniques d'Aristote, prouverent sa capacité en cette sorte de connoissances. Il mit au jour quelque tems après, le livre de verborum vitruvianorum significatione. Il publia, l'an 1595, cinq livres de novâ gnomonice.

Comme il possédoit les langues orientales, il traduisit sur l'hébreu le livre de Job, & les lamentations de Jérémie. Il fit aussi un dictionnaire de la langue arabe. Ce n'est pas tout, il traduisit Heronem de automaticis & balistis, les paralipomenes de Quintus Calaber, & le poëme de Musée. Enfin il donna dans le cours de ses voyages, quelques poëmes, les uns en latin, les autres en italien ; & c'est dans cette derniere langue qu'est écrit celui de l'art de naviger. Il aimoit tellement le travail, qu'il se levoit à minuit pour étudier, & qu'il lisoit même en mangeant. Fabricius Scharloncinus a écrit sa vie que les curieux peuvent consulter.

Un des plus savans antiquaires du dernier siecle, Fabretti (Raphael), naquit à Urbin, l'an 1619. Il voyagea dans toute l'Italie, en France & en Espagne, où il demeura 13 ans, avec un emploi considérable que lui procura le cardinal Imperiali ; mais l'amour qu'il avoit pour les antiquités, lui fit desirer de revenir à Rome, où les papes Alexandre VIII. & Innocent XII. le comblerent de bienfaits. Fabretti en profita, pour se donner entierement à son étude favorite. Plusieurs excellens ouvrages en ont été les fruits. En voici le catalogue.

1°. De aquis & aquae-ductibus veteris Romae dissertationes tres. Romae 1680, in-4°. Il y avoit dans l'ancienne Rome environ vingt sortes de ruisseaux que l'on avoit fait venir de lieux assez éloignés par le moyen des aqueducs, & qui y produisoient un grand nombre de fontaines. Ces aqueducs tenoient leur rang parmi les principaux édifices publics, non-seulement par leur utilité, mais encore par la magnificence, la solidité & la hardiesse de leur structure. Fabretti tâche dans cet ouvrage d'expliquer tout ce qui regarde ces sortes d'antiquités ; & son livre peut beaucoup servir à entendre Frontin, qui a traité des aqueducs de Rome, tels qu'ils étoient de son tems, c'est-à-dire, sous l'empire de Trajan. Les dissertations de Fabretti contiennent quantité d'observations utiles, au jugement de Kuster. Elles ont été insérées dans le quatrieme volume des antiquités romaines de Graevius, avec des figures. Utrecht, 1697, in-fol.

2°. De columna Trajana, syntagma. Accesserunt veteris tabellae anagliphae Homeri iliadem, atque ex Stesichoro, Archino, Lesche, Ilii excidium continentis & emissarii lacus Fucini descriptio. Romae, 1683, infol. Ce livre est rempli de recherches d'antiquités fort curieuses.

3°. Inscriptionum antiquarum, quae in aedibus paternis asservantur, explicatio. Romae 1699, in-fol. Cet ouvrage est divisé en huit chapitres. Le premier traite de titulis & columbariis. Pour l'intelligence de ces termes, il faut savoir que les anciens, & principalement les personnes de distinction, avoient de fort grands tombeaux qui servoient pour toutes les personnes de la même famille. Ces tombeaux étoient partagés en différentes niches, semblables à celles d'un colombier, ce qui leur a fait donner le nom de columbaria par les Latins.

Dans chaque niche il y avoit une urne où étoient les cendres d'une personne, dont le nom étoit marqué dessus ; ces inscriptions s'appelloient tituli. Fabretti prouve qu'il n'y a jamais eu de loi chez les Romains de brûler les morts ; & que depuis le tems de Sylla le dictateur, qui est le premier dont on a brûlé le corps, l'ancien usage d'enterrer les morts n'a jamais entierement cessé. Les urnes où l'on recueilloit les cendres s'appelloient ollae, & avant que les cendres y fussent mises, virgines. L'auteur établit dans ce même chapitre, que par les mots livia Augusti dans les inscriptions, les anciens désignoient la femme d'Auguste, & non sa fille ; & que tous les gladiateurs n'étoient pas de condition servile, mais qu'il y en avoit de l'ordre des chevaliers. Dans le chapitre second il justifie que le nom de genii se donnoit tantôt aux dii manes, tantôt aux ames humaines, tantôt à ces puissances qui tenoient le milieu entre les dieux & les hommes.

Il prouve aussi que la ville de Parme s'appelloit anciennement Julia Chrysopolis. Il observe dans le troisieme chapitre, que les anciens mettoient un point à la fin de chaque mot dans leurs inscriptions, mais toujours à la fin de chaque ligne, & quelquefois à la fin de chaque syllabe. Il recherche la signication du mot ascia dans les anciennes inscriptions ; terme, dit-il, qu'il ne trouve guere que dans les inscriptions des Gaules. Il remarque dans le quatrieme chapitre, que le mot d'alumnus, ne se prend jamais dans les bons auteurs dans un sens actif, mais dans un sens passif. Il montre dans le septieme, que les poids des anciens étoient plus grands que ceux des modernes. Il soutient dans le huitieme, que les vaisseaux de verre que l'on trouve auprès des tombeaux des anciens chrétiens, sont des preuves de leur martyre, & que les taches rouges qu'on y apperçoit, sont des restes du sang que les fideles y ont mis, ce qui n'est nullement vraisemblable, & est peu physique.

A la fin de ce recueil, il rend compte des corrections qu'il a faites dans les inscriptions recueillies par Gruter en deux volumes ; outre un grand nombre d'autres corrections sur divers autres compilateurs d'inscriptions, qui sont répandues dans l'ouvrage même.

M. Fabretti avoit une capacité merveilleuse pour déchiffrer les inscriptions qui paroissent toutes défigurées, & dont les lettres sont tellement effacées, qu'elles ne sont presque plus reconnoissables. Il nettoyoit la surface de la pierre, sans toucher aux endroits où les lettres avoient été creusées ; ensuite il mettoit dessus un carton bien mouillé, & le pressoit avec une éponge, ou un rouleau entouré d'un linge ; ce qui faisoit entrer le carton dans le creux des lettres pour en prendre la poussiere qui s'y attachoit, & dont la trace faisoit connoître les lettres qu'on y avoit autrefois gravées.

M. Baudelot dans son livre de l'utilité des voyages, indique un secret à-peu-près semblable, pour lire sur les médailles les lettres qu'on a de la peine à déchiffrer. (D.J.)


URBINUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans l'Umbrie, près de la voie Flaminienne du côté du couchant, entre le Metaurus & le Pisaurus, à-peu-près à égale distance de ces deux fleuves, selon Tacite, Procope & Paul diacre. Elle conserve encore son ancien nom ; car on l'appelle Urbino.

Pline, l. III. c. xiv. nomme ses habitans Urbinates : mais il distingue deux sortes d'Urbinates, les uns surnommés Metaurenses, & les autres Hortenses ; & comme il est sans contredit, que les premiers demeuroient sur le bord du Metaurus, où étoit la ville Urbinum Metaurense, aujourd'hui Castel-Durante, il s'ensuit que les Urbanites Hortenses habitoient la ville d'Urbinum, devenue depuis la capitale du duché d'Urbin.

Procope dit qu'il y avoit dans Urbinus une fontaine, où tous les habitans puisoient de l'eau. Cette fontaine, selon Cluvier, Ital. ant. l. II. c. vj. est aujourd'hui hors de la ville, au pié de la citadelle. C'étoit un municipe considérable, comme le prouvent plusieurs inscriptions qu'on y voit encore présentement. (D.J.)


URBou URBIS, (Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Ligurie, selon Claudien, de Bel. get. v. 554. qui en parle ainsi :

........ Ligurum regione supremâ

Pervenit ad fluvium miri cognominis Urbem.

Ce fleuve se nomme encore aujourd'hui Urba ou Orba : il mouille la ville d'Ast.

URBS-SALVIA, (Géog. anc.) aujourd'hui Urbi-Saglia, ville d'Italie dans le Picenum, en-deçà de l'Apennin. La table de Peutinger, écrit Urbe-Salvia, & la marque à douze milles de Ricina. (D.J.)

URBS-VETUS, (Géog. anc.) ville d'Italie, dans l'Etrurie, selon Paul-Diacre, Longobard, liv. IV. c. xxxiij. Procope la met sur le Clanis aujourd'hui la Chiana, & la nomme Urbiventus. On croit que cette ville est Orviete.


URES. m. (Hist. nat. des quadrupedes) en latin urus, & je ne peux mieux rendre ce mot qu'en le francisant ; car le mot de boeuf sauvage ne répond pas aussi bien au terme latin. L'ure est un quadrupede, dont les anciens ont beaucoup parlé ; cet animal a la corne large, le poil noir & court, le corps gros, la peau dure, & la tête fort petite proportionnellement à la grosseur du corps. Virgile appelle avec raison ces animaux sylvestres, Georg. l. II. v. 374.

Sylvestres uri assiduè capraeque sequaces

Illudunt.

" Les ures & les chevreuils qui se suivent de près, feroient de grands dégats dans votre vigne ". Servius remarque que les ures de Virgile naissent dans les Pyrénées, & qu'ils sont ainsi nommés du mot grec , montagne.

César est le premier romain qui les ait décrits, l. VI. de bell. gallico. Il dit que les ures sont un peu moins grands que les éléphans ; qu'ils ressemblent à un taureau, & qu'ils en ont la couleur & la figure ; qu'ils sont d'une force & d'une vîtesse merveilleuse ; qu'ils se jettent sur tout ce qu'ils apperçoivent, homme ou bête, qu'on les prend dans des fosses ou trapes, & qu'on les met à mort ; il ajoute que les jeunes gaulois s'exerçoient à leur chasse, qu'ils rapportoient les cornes de ces animaux pour témoignage de leur valeur ; que ceux qui en tuoient le plus acquéroient le plus de gloire, que les ures ne pouvoient s'apprivoiser, pas même quand on les prenoit tout petits ; que l'ouverture & la forme de leurs cornes étoit fort différente de celles de nos boeufs ; que les Gaulois les recherchoient avec soin ; qu'ils en revêtoient les bords d'un cercle d'argent, & s'en servoient au-lieu de coupes dans les festins solemnels.

Solin met les ures en Germanie. Pline prétend que les forêts des Indes en sont pleines ; nous savons aussi que l'Afrique en a quantité ; mais les ures de l'Europe different beaucoup des ures de l'Afrique & de l'Asie ; nous en avons parlé avec quelqu'étendue au mot TAUREAU sauvage. (D.J.)


UREDELÉES. f. terme de Pêche, sorte de rets qui est une espece de picot, à la côte & à pié. Ce rets a environ 15 à 20 brasses de longueur, une brasse de chûte par les bouts, & il augmente à mesure qu'il avance dans le milieu, où il a alors au moins 3 à 4 brasses de chûte.

Il faut ordinairement dix à douze hommes pour faire la pêche avec ce filet, & un seul accon pour porter le rets à l'eau. Il y a aux deux bouts un bâton, comme aux seines & aux colerets, avec cette différence que les rets ne traîne jamais ; qu'il n'est chargé ni de plomb, ni de pierres par le bas, & qu'il n'a que la corde du pié, & les bouts frappés sur le bâton qui fait couler bas le pié du rets. Deux hommes, un à chaque bout, tiennent le filet un peu en cercle, l'ouverture du côté de terre, & le fond exposé à la mer. La pêche s'en fait de marée montante, une heure au plus avant le plein de l'eau. Le haut du rets est garni de flottes de liege enfilées, pour le soutenir à fleur-d'eau. Il faut commencer la pêche avant le jussant, parce que les poissons qui ont monté à la côte avec le flux, s'en retournent à l'instant que le reflux se fait sentir. Quand le rets est exposé le long de la côte, cinq à six hommes se mettent à l'eau jusqu'au cou, & battent l'eau avec des perches, allant du bord de la côte vers le filet dans lequel ils chassent les muges ou mulets, qui sont les seuls poissons qu'on prenne à ces côtes de cette maniere.

Pour relever le rets, lorsque le trait ou le land est fini, les deux hommes qui tiennent le bâton ou le canon du rets, le relevent, & joignant en même tems ensemble les deux lignes de la tête & du pié, ils en ramassent tout le poisson qu'ils viennent jetter dans l'accon, pour recommencer encore un nouveau trait, si la marée le permet.

Cette pêche dure à cette côte pendant trois mois, de la S. Jean à la S. Michel, parce que plus les eaux sont chaudes, & plus volontiers les muges ou mulets rangent la côte. Les vents d'est & d'est-sud-est, sont les plus favorables ; ceux d'aval font fuir le poisson de la côte.

Cette pêche ne se fait jamais que de jour ; elle ne peut causer aucun préjudice au général de la pêche, parce qu'elle se fait sur des fonds de vases & de bourbes, où le frai, comme on l'a remarqué, ne se forme point, si on excepte celui des anguilles.

Les mailles de ces uredelées sont de trois especes ; les plus larges ont seulement 12 lignes en quarré, les autres dix ; & les plus serrées, qui sont au fond pour arrêter ce qui entre dans le filet, n'ont que 6 lignes aussi en quarré, en quoi il y auroit de l'abus ; mais avec des mailles de 15 lignes en quarré, permises pour faire la pêche du grand haneau, par la déclaration du 18 Mars 1727, ces pêcheurs pourront, sans abus, faire une bonne pêche avec succès.


UREDO(Maladies) est un mot latin, qui signifie la nielle ou brouïne des arbres ou des herbes. Voyez NIELLE, BROUÏNE, MALADIES des plantes, &c.

Les Médecins emploient aussi quelquefois ce terme pour marquer une démangeaison de la peau. Voyez GRATELLE.


URENAS. f. (Hist. nat. Bot.) nom donné par Dillenius à un genre de plante, dont voici les caracteres selon Linnaeus. Le calice est une double enveloppe ; l'extérieure est formée d'une seule feuille, légérement découpée en cinq larges segmens ; l'intérieure est composée de cinq feuilles étroites & angulaires. La fleur est à cinq pétales oblongs qui naissent ensemble, s'élargissent vers le sommet, & finissent en une pointe obtuse ; les étamines sont des filets nombreux, qui vers leur base croissent en cylindre, mais qui se dégagent à leur sommité. Le germe du pistil est arrondi ; le stile est simple, de la longueur des étamines, & est couronné de dix stygma, chevelus & recourbés. Le fruit est une capsule arrondie, formant cinq angles, & contenant cinq loges. Les graines sont uniques, rondelettes, mais en quelque maniere applaties à leur pointe. Linnaei, gen. plant. page 329. Dillen. hort. eltham. page 319.


URETACS. m. (Marine) c'est une manoeuvre qu'on passe dans une poulie, qui est tenue par une herse dans l'éperon, au-dessus de la saisine de beaupré, & qui sert à renfoncer l'amure de misaine, quand il est nécessaire qu'elle le soit.


URETERES. m. (Anatom.) les uréteres sont deux canaux longs, ronds & membraneux, de la grosseur d'une plume à écrire. Ils sortent de chaque côté de la partie cave des reins, & descendant le long des muscles psoas, en forme d'S capitale, enfermés dans la duplicature du péritoine, ils vont se terminer postérieurement vers le col de la vessie.

Ils sont composés de trois tuniques, dont la prémiere est charnue, la seconde est nerveuse, & la troisieme veloutée ; cette derniere empêche que l'âcreté de l'urine n'irrite les fibres nerveuses.

Ils reçoivent des rameaux d'arteres & de veines des parties voisines, & des nerfs de l'intercostal, & des vertebres des lombes, qui donnent à ces canaux un sentiment très-vif, & font souffrir d'extrêmes douleurs à ceux qui sont attaqués de la gravelle, ou de la néphrétique.

Mais pour mieux développer l'origine & la structure des uréteres, il faut savoir qu'il part de la circonférence des papilles rénales 11 à 12 canaux membraneux, qui les reçoivent avec l'humeur qui en découle, & qui forment trois rameaux dont l'union ne produit qu'un large bassinet, lequel se termine en un seul tuyau membraneux, épais, fort, garni d'arteres, de veines, de nerfs, de petits vaisseaux lymphatiques, de fibres motrices & de lacunes mucilagineuses, propres à adoucir ses parois. Ce canal (l'urétere) va d'abord droit en-bas, se courbe aussitôt, couvert par la lame du péritoine d'une largeur inégale en différens endroits.

Il va s'insérer à la partie postérieure de la vessie, presqu'à deux doigts de distance de la partie inférieure de son col, & de l'autre urétere. Après avoir percé la tunique extérieure, & parcouru obliquement l'espace du petit doigt entr'elle & la tunique interne, il s'insinue dans la cavité de la vessie. Il y forme, par la production de ses fibres, un corps rond, long, déterminé en-bas, qui empêche l'urine de remonter dans l'urétere, lorsque la vessie est pleine ; car alors l'expansion de la vessie fait que ce corps tire nécessairement l'urétere en-bas & le bouche. Ce canal est donc tellement situé & construit, qu'il peut sûrement porter l'urine des reins dans la vessie, sans qu'elle puisse jamais remonter dans ce canal, quelque comprimée qu'elle soit.

Il résulte de ce détail, que les plaies de uréteres sont suivies de violentes douleurs aux flancs, le blessé rend des urines sanglantes ; & lorsque ces conduits sont totalement coupés, il souffre une suppression d'urine, qui s'épanchant dans la cavité du ventre, se corrompt bientôt faute d'issue, & cause la mort au malade.

Parlons maintenant des jeux que la nature exerce sur cette partie. D'abord M. Ruysch dit avoir observé que les uréteres descendent quelquefois des reins vers la vessie en ligne spirale ; mais Riolan a vu des choses bien plus singulieres dans le corps d'un vérolé, qui venoit de finir ses jours au bois d'une potence. Ce fut en 1611 qu'il fit la dissection du cadavre ; il trouva premierement deux uréteres à chaque rein, où ils avoient chacun leur cavité particuliere, séparée par une membrane mitoyenne. L'insertion de chaque urétere se faisoit en divers endroits de la vessie ; l'un y entroit joignant le col, & l'autre par le milieu du fond. Ils étoient tous deux creux, & égaux en grosseur : ce n'est pas tout. Riolan trouva trois émulgentes au rein droit, & une seule au rein gauche, qui jettoit une double branche. Pour comble de singularités en ce genre, les spermatiques sortoient des émulgentes à droite & à gauche.

Il arrive encore d'autres jeux de la nature sur les uréteres. Le bassinet du rein, qui n'est autre chose qu'une dilatation de l'extrémité supérieure de l'urétere, se divise quelquefois avant que d'être reçu dans la profonde scissure, qui augmente la concavité du rein ; & dans le cas particulier de cette division, l'on trouve deux bassinets, qui sont néanmoins d'ordinaire plus petits de moitié que le seul qu'on rencontre presque toujours.

Nous avons vu que la premiere observation de Riolan, dans le cadavre de son malheureux vérolé, étoit deux uréteres à chaque rein au lieu d'un seul ; mais comme ce jeu de la nature est fort commun, on a tenté d'en chercher la raison en Physiologie, & je trouve les conjectures de M. Hunauld trop plausibles pour les supprimer.

Un urétere se divise ordinairement dans le rein en deux ou trois branches ; chacune de ces branches va ensuite former des especes d'entonnoirs, qui embrassent les mamelons du rein. Si dans les premiers tems du développement de l'embryon, & lorsque les reins & la vessie se touchent pour ainsi dire, l'accroissement se fait dans l'urétere & ses branches, comme il se fait le plus ordinairement ; les branches se réuniront dans la sinuosité du rein, & un seul urétere ira du rein à la vessie. Si ces branches croissent plus à proportion que l'urétere, elles se réuniront au-dessous du rein, à une distance plus ou moins grande ; & c'est ce qu'on rencontre assez souvent. Si enfin deux ou trois de ces branches prennent beaucoup d'accroissement, tandis que l'urétere n'en prend point, alors il y aura deux ou trois uréteres qui s'étendront depuis le rein jusqu'à la vessie. Jettez les yeux sur la premiere figure de la troisieme planche d'Eustache, vous verrez sensiblement que ces trois uréteres ne sont que les branches qui se réunissent pour l'ordinaire dans la sinuosité du rein, & vous reconnoîtrez dans la branche inférieure, les calices qui en partent pour embrasser les mamelons du rein. (D.J.)

URETERES, maladies des, (Médec.) les deux canaux membraneux, situés de chaque côté des deux reins, se nomment uréteres. Ils sont doués d'une grande sensibilité, & enduits intérieurement d'une humeur onctueuse ; après avoir fait une courbure, ils vont se rendre dans la vessie, & y déposent l'urine dont ils sont chargés.

Quand ce canal à l'entrée de la vessie est obstrué par le calcul, du pus, de la mucosité trop épaisse ou trop abondante, il acquiert une grande capacité, & de-là résulte la suppression de l'urine ; si le calcul se trouve adhérent à l'extrémité de ce canal, il est impossible de l'atteindre avec le cathéter, mais on vient à bout de le tirer en faisant une ouverture au périnée. Si la trop grande acrimonie de la mucosité ou le calcul, qui souvent s'arrête au milieu des uréteres, vient à passer par ces canaux pendant qu'il descend, le malade éprouve un sentiment cruel de douleur depuis les lombes jusqu'aux aînes & au pubis. La rupture ou la blessure des uréteres fait couler dans la cavité du bas-ventre, ou dans son tissu cellulaire, l'urine qu'ils charrient. (D.J.)


URETHREURETHRE

1°. La situation dans un sillon formé par l'interstice, que les deux corps caverneux laissent entr'eux inférieurement.

2°. Le cours qui ne suit pas une ligne droite, il y a une courbure particuliere.

3°. La longueur qui est de douze ou treize pouces.

4°. La grosseur qui approche de celle d'une plume à écrire.

5°. La substance qui est composée de deux membranes fortes, l'une est interne & l'autre externe ; il y a dans l'entre-deux une substance caverneuse, où quelques auteurs ont remarqué qu'il y a des glandes.

6°. Le bulbe ou la protubérance de l'urethre est la partie postérieure, qui est plus épaisse que le reste, située auprès des prostates, large d'un pouce, & semblable en quelque maniere à un oignon.

7°. La surface interne, qui est percée de divers trous ; les uns sont ronds, & les autres oblongs, il en sort une liqueur visqueuse.

8°. Les trois glandes décrites par Cowper. Il y en a une à chaque côté de l'urethre, entre les muscles accélérateurs & le bulbe de l'urethre ; elles ont une figure ovoïde, elles sont un peu applaties, leur grandeur est comme celle d'une petite feve ; il y a pour chacune un tuyau particulier de la longueur de deux doigts, qui perce la double tunique de l'urethre ; c'est par ce canal qu'elles envoient dans la cavité de l'urethre une liqueur transparente, visqueuse ou muqueuse. Il y a une troisieme glande, qui est dans l'angle formé par la courbure de l'urethre sous les os pubis ; elle est, à ce qu'on prétend, dans le tissu spongieux ou caverneux de l'urethre. Cowper l'a représenté comme ayant la figure d'une lentille.

9°. La petite glande de M. Littre, qui est entre les deux membranes de l'urethre presque au-dessous des prostates ; elle est d'une couleur rouge foncée, large d'un pouce, de l'épaisseur de deux lignes ; elle environne la membrane interne de l'urethre comme une ceinture, & la perce de plusieurs petits trous qui donnent passage à une liqueur mucilagineuse destinée à humecter l'urethre.

Il faut encore remarquer les vaisseaux & les nerfs de l'urethre. Les vaisseaux sanguins viennent des vaisseaux hypogastriques. Les vaisseaux lymphatiques sont parfaitement représentés dans les planches de Cowper & de Drake. Les nerfs viennent des derniers nerfs de l'os sacrum. Voilà ce qu'on doit remarquer en général dans l'urethre ; voici maintenant l'exposition de la structure détaillée de cette partie, faite pour les gens de l'art.

L'urethre de l'homme est un canal rond, recourbé du côté du ventre depuis le col de la vessie où elle commence, jusqu'à la partie inférieure des os pubis, & pendant depuis les os pubis jusqu'à l'extrémité du gland où il finit. Ce canal est long de douze à treize pouces ; il est placé sous les deux corps caverneux, depuis l'endroit de leur union jusqu'au bout de la verge ; il est couvert de la même peau que les corps caverneux, & forme trois tumeurs, dont l'une est située en son commencement, & se nomme la glande prostate, la seconde est un pouce en-deçà de la premiere, & s'appelle le bulbe de l'urethre ; on donne le nom de gland à la troisieme, qui termine ce canal.

L'urethre est composé de membranes, de glandes, de substance spongieuse, de muscles & de vaisseaux.

L'urethre a deux membranes, qui sont minces & d'un tissu fort serré. La membrane extérieure couvre le dehors de l'urethre, & le dedans du prépuce ; & l'intérieure tapisse seulement le dedans de ce canal. Ces deux membranes laissent entr'elles une espace qui est rempli de glandes, & d'une substance spongieuse.

La premiere glande renfermée entre les membranes de l'urethre du côté de la vessie est la glande prostate. Cette glande n'est pas double comme on dit, puisqu'elle est continue en toutes ses parties. Elle est placée à la racine de l'urethre ; sa figure est conique, & ressemble à un petit coeur ; elle est longue d'un pouce trois lignes, & enveloppe ce canal dans toute sa longueur, & elle est épaisse de sept lignes ; sa base qui est du côté de la vessie est large d'un pouce quatre lignes, & sa pointe, qui est du côté du gland, a neuf lignes de largeur ; elle est enveloppée de fibres musculeuses, & composée d'environ douze petits sacs, qui n'ont entr'eux aucune communication par leur cavité, & qui se terminent dans le canal de l'urethre autour du verumontanum par autant de tuyaux, gros comme des soies de porc.

Il y a dans chacun de ces sacs quantité de petits grains glanduleux, dont les conduits excrétoires (qui ont chacun un sphincter à leur extrémité) s'ouvrent dans la cavité de ces sacs, & y déposent la liqueur qu'ils filtrent, comme dans autant de réservoirs. Cette liqueur est peut-être de quelque usage pour la génération, en se mêlant avec la semence dans le bassin de l'urethre pendant le coït ; elle peut sur-tout servir à enduire la superficie intérieure du canal de l'urethre, pour rendre à l'urine ce passage plus coulant & plus aisé, & le garantir de l'acrimonie de cette liqueur.

La deuxieme glande, placée entre les deux membranes de l'urethre immédiatement après la glande prostate du côté du gland, est une glande qu'on appelle la glande de Littre. Cette glande est d'une couleur rouge-foncée ; elle forme autour de l'urethre une espece de bande unie large d'un pouce, épaisse de deux lignes, & perce la membrane intérieure de l'urethre dans toute sa circonférence par un grand nombre de conduits excrétoires, qui versent dans ce canal la liqueur que la glande filtre. Cette liqueur est un peu mucilagineuse, & par conséquent propre à enduire le canal de l'urethre.

L'espace qui reste entre les deux membranes de l'urethre, depuis la derniere glande, dont je viens de parler, jusqu'à la fin de ce canal, est occupé par une substance spongieuse, composée d'un très-grand nombre de fibres musculaires. Ces fibres s'entrecroisent en différentes manieres, & laissent entr'elles quantité de petites cellules, dans lesquelles une grande partie des arteres capillaires se terminent, & d'où naît un pareil nombre de veines. Cette substance spongieuse en son commencement s'éleve en-dehors, principalement par la partie inférieure ; elle forme une tumeur ou bulbe longue d'environ un pouce, de figure conique, dont la base, qui est du côté de la vessie, a huit lignes d'épaisseur, & la pointe, qui est du côté du gland, en a quatre ; depuis cette tumeur jusqu'au gland, elle est épaisse d'une ligne & demie dans les deux côtés & au-dessous, & d'une demi-ligne seulement le long de la partie supérieure.

Enfin la substance spongieuse contenue entre les deux membranes de l'urethre a dans le gland cinq lignes d'épaisseur à l'endroit de sa base, qu'on appelle couronne, & deux lignes dans le bout opposé.

La substance spongieuse de l'urethre, de même que celle des corps caverneux, en se remplissant de sang & d'esprits animaux, donne à la verge toute la roideur & toute la tension dont elle a besoin pour être propre à la génération.

La membrane qui couvre le dehors du gland, est extrêmement fine, apparemment parce qu'elle se sépare au commencement du gland en deux parties, dont l'extérieure tapisse le dedans du prépuce. Le frein qui attache fortement le gland au prépuce par sa partie inférieure, n'est autre chose que la membrane extérieure du gland qui est double en cet endroit. La partie de l'urethre qui fait portion du gland, est retroussée par sa partie postérieure sur l'extrémité antérieure des deux corps caverneux, & les couvre exactement de tous côtés.

On remarque autour de la couronne des corps gros comme une soie fine de porc, longs d'une demi-ligne, de figure presque cylindrique, posés parallelement sur cette couronne, selon la direction du gland, & éloignés les uns des autres d'un tiers de ligne. On entrevoit à l'extrémité postérieure de chacun de ces corps un petit trou, d'où l'on peut faire sortir quelquefois une matiere blanche & épaisse, qui en sortant se forme en filets, comme celle qu'on exprime des glandes des paupieres.

Ce méchanisme semble prouver que les petits corps de la couronne du gland sont des glandes aussibien que celles des paupieres, & non pas les mamelons de la peau gonflée, puisqu'il ne sort aucune matiere par les mamelons de la peau. D'ailleurs ils sont quatre fois plus épais que la membrane qui couvre le dehors du gland, & ils sont toujours fort sensibles dans tous les glands de l'homme autour de la couronne, jamais autre part & toujours & à-peu-près dans le même nombre. D'où on peut conclure que ces petits corps sont dans l'homme la véritable source de la matiere blanche & onctueuse, qu'on remarque entre la couronne du gland & la racine du prépuce ; d'autant plus qu'avec le microscope même, on n'apperçoit dans le prépuce rien qui ait la moindre apparence de glande. D'ailleurs toutes les filtrations connues se faisant par des glandes, il faut absolument qu'il y en ait dans le prépuce ou dans le gland pour filtrer la matiere blanche & onctueuse, dont on vient de parler, laquelle en huilant le gland & le prépuce empêche que ces deux parties ne se dessechent & ne se collent l'une à l'autre.

La superficie intérieure du canal de l'urethre est lisse & uniforme par-tout, hormis vers sa racine où l'on trouve une petite éminence & deux petites cannelures.

La petite éminence est située verticalement au milieu de la partie inférieure de la racine de ce canal, à six lignes du cou de la vessie ; elle ressemble à une petite crête de coq, & on l'appelle communément le verumontanum. On remarque à chacun des deux côtés de cette éminence un trou, de figure un peu ovale & large d'environ une ligne. Ces trous ne sont autre chose que l'embouchure des deux conduits excrétoires communs des vésicules séminales, lesquels, après avoir traversé la partie supérieure de la glande prostate, se terminent dans la cavité de l'urethre pour y verser la semence dans le tems du coït.

Les deux cannelures de l'urethre sont aussi placées à la partie inférieure de ce canal, desorte que le commencement de chacune répond à un des trous du verumontanum ; elles sont séparées l'une de l'autre par une simple ligne formée par l'allongement du verumontanum ; leur profondeur est superficielle ; elles ont huit lignes de longueur sur une de largeur, & se portent du côté du gland en diminuant peu-à-peu de leur largeur & de leur profondeur.

Le canal de l'urethre forme en son commencement une espece de bassin, qui a environ un pouce de longueur sur cinq lignes de largeur. Le pouce suivant de la cavité de ce canal n'est large que de deux lignes, & le reste l'est de près de trois.

Entre la membrane extérieure de l'urethre & les muscles accélérateurs de la verge, on trouve deux glandes, une de chaque côté, que M. Cowper a décrites. Ces glandes ont chacune un conduit excrétoire commun, long de deux pouces, & gros d'une demi-ligne ; ces conduits dès leur naissance percent la membrane extérieure de l'urethre ; ensuite ils rampent dans son tissu spongieux, & percent enfin la membrane intérieure de ce canal par sa partie inférieure un pouce huit lignes en-deçà du verumontanum, & environ une ligne à côté l'un de l'autre. Il suit de-là que la liqueur que ces glandes filtrent ne coule pas dans la cavité de l'urethre, dans le tems de l'érection de la verge ; parce que leurs conduits contenus dans le tissu spongieux de l'urethre sont affaissés par le sans & les esprits animaux, dont alors ce tissu est beaucoup plus rempli que hors du tems de l'érection. Par conséquent la liqueur filtrée par ces glandes n'est pas destinée pour la génération, mais pour humecter & enduire le canal de l'urethre. On trouvera dans le livre de M. Cowper la description d'une troisieme glande qui appartient aussi à l'urethre.

L'urethre est dilatée par trois muscles, & resserrée par deux. L'un des muscles dilatateurs de l'urethre naît de la partie inférieure & antérieure du rectum, & s'attache par son autre extrémité à la partie inférieure & postérieure de l'urethre. Les deux autres muscles dilatateurs naissent chacun de la partie intérieure de la tubérosité d'un des os ischium, & s'inserent chacun de son côté à la partie latérale & postérieure de l'urethre.

L'urethre est resserrée par les deux muscles accélérateurs, dont une partie naît du sphincter de l'anus, & l'autre, qui est beaucoup plus considérable, naît de la partie inférieure & postérieure de l'urethre ; ils s'inserent chacun à la partie latérale inférieure du corps caverneux de son côté vers la racine de la verge.

On a remarqué dans plusieurs cadavres qu'il se détache de la partie antérieure de chaque muscle accélérateur quelques fibres charnues, qui, après avoir rampé sur les côtés de la verge, se terminent au prépuce. Ainsi dans le coït & lorsqu'on urine, ces fibres se mettant en contraction, tirent le prépuce du côté de la racine de la verge & découvrent le trou de l'urethre, pendant que le reste de ces muscles en se contractant aussi en même tems, pousse l'urine ou la semence pour les chasser hors de ce canal.

L'urethre reçoit ses nerfs des dernieres paires sacrées ; ses arteres viennent des hypogastriques, & les veines vont se rendre dans les hypogastriques. Les tuniques des veines de l'urethre & celles des veines des corps caverneux dans leur tissu spongieux sont percées de quantité de petits trous, de même que les tuniques des veines de la rate, principalement de veau, vraisemblablement pour faciliter le retour du sang dans le tems de l'érection, parce qu'alors il est difficile à cause de l'extrême tension de la verge.

L'urethre n'est pas exempte des jeux de la nature. Palfyn a vu en 1707 un enfant âgé d'environ trois mois, dont l'urethre se terminoit à la partie antérieure & supérieure du scrotum, & toute la verge au-delà du scrotum en étoit destituée par un vice singulier de conformation, qui a dû rendre dans la suite cet enfant inhabile à la génération, & lui causer beaucoup d'incommodité pour évacuer son urine.

Fabrice de Hildan rapporte avoir vu un enfant âgé de douze ans qui avoit un double urethre par où l'urine sortoit sans aucune difficulté ; ils étoient situés l'un au-dessus de l'autre dans leur lieu ordinaire, & séparés par une membrane fort mince, mais l'intérieur étoit un peu courbé, de maniere que l'urine ne sortoit pas en droite ligne, mais vers le bas.

Quelquefois l'extrémité de l'urethre est fermée dans les enfans nouveaux-nés, ou n'est point ouverte dans l'endroit ordinaire. (D.J.)

URETHRE de la femme, (Anat. & Chirurg.) conduit de l'urine ; il faut remarquer plusieurs choses dans l'urethre de la femme, ou le conduit de leur urine ; savoir,

1°. La situation au-dessous du clitoris ; il y a une petite éminence qui la découvre.

2°. La longueur, qui est de deux travers de doigt.

3°. La capacité, qui est plus considérable que dans les hommes ; ce canal peut se dilater beaucoup, comme il paroît quand on tire la pierre de la vessie.

4°. Les conduits qui y portent, de même que dans l'homme, une liqueur muqueuse qui vient des glandes.

5°. Les lacunes de Graaf, ou les petites fosses qui paroissent autour de l'urethre ; elles sont les orifices des conduits qui versent une liqueur pour humecter le vagin ; ces conduits viennent de petites glandes.

Cabrol rapporte un cas bien rare d'une jeune fille de 18 ans, qui eut l'urethre tellement bouché par une membrane qui s'y forma, que l'urine vint à sortir par le nombril, lequel pendoit de la longueur de trois pouces, comme la crête d'un coq-d'inde, & jettoit une odeur insupportable.

Pour remédier à cette incommodité, il fit une incision à cette membrane, & introduisit une cannule de plomb jusqu'à la vessie pour entretenir le passage de l'urine ouvert. Il fit le lendemain une ligature à la partie saillante du nombril, par où l'urine avoit pris son cours jusqu'alors, & il l'extirpa au-dessous de la ligature ; enfin, il traita l'ulcere, le cicatrisa avec des dessicatifs, & la cure fut achevée au bout de 12 jours. (D.J.)

URETHRE, Maladies de l '(Médec.) 1°. Ce canal membraneux très-sensible, & intérieurement lubréfié par une humeur mucilagineuse, est sujet à différentes maladies ; on sait que ce canal prend son origine au col de la vessie, que dans les deux sexes il est destiné à l'évacuation de l'urine, & de plus dans les hommes à celle de la semence.

2°. Lorsqu'une mucosité trop épaisse obstrue ce canal, on doit tâcher de l'ouvrir par des injections détersives ; ensuite dès qu'il est débarrassé des corps étrangers, il convient d'y laisser une sonde, pour obvier à la suppression de l'urine ; mais il est nécessaire de recourir à l'art pour tirer la pierre qui s'y trouveroit. Lorsqu'une caroncule, un tubercule, ou un ulcere arrête l'écoulement de l'urine, ou y porte obstacle, il faut introduire une tente balsamique dans cette partie pour diminuer l'accident, & le traiter ensuite suivant les regles. Le défaut de mucosité, ou sa trop grande acrimonie, demande l'usage des injections balsamiques & mucilagineuses. La paralysie qui produit la suppression d'urine, ou qui est cause qu'elle ne vient que goutte-à-goutte, requiert l'application des corroborans sur le périnée. Ces mêmes remedes sont encore nécessaires, quand les femmes, après l'extraction du calcul, sont attaquées d'une incontinence d'urine, par la trop grande dilatation du conduit urinaire ; mais s'il arrive une hémorrhagie, c'est le cas de recourir aux astringens.

3°. Quand l'urethre est affecté dans les hommes, par sympathie l'intestin droit l'est aussi ; & dans les femmes l'indisposition du canal urinaire produit celle du vagin. Suivant les différentes maladies de cette partie, il en résulte un pissement de sang, la dysurie, la strangurie, le diabète & quelques autres accidens dont on a parlé sous leurs articles respectifs. (D.J.)


URGEL(Géog. mod.) ville d'Espagne dans la Catalogne, sur la rive droite de la Segre, à 6 lieues au sud-ouest de Puicerda, & à 35 au nord-est de Tarragone, dont son évêque, qui jouit de 9 mille ducats de revenu, est suffragant. Long. 19. 10. latit. 42. 25. (D.J.)


URGENCEou URGENS, (Géog. mod.) ville d'Asie nommée autrefois Korkang, à 20 lieues d'Allemagne de la côte orientale de la mer Caspienne, sur la gauche de l'ancien lit du Gihum : ses maisons sont de briques cuites au soleil. Long. 76. 30. latit. 42. 18. (D.J.)


URGENTadj. (Gram.) qui presse, qui ne souffre point de délai. Il ne se dit guere que des choses ; les besoins urgens de l'état, la nécessité urgente.


URGENUM(Géog. anc.) ville de la Gaule narbonnoise, selon Strabon, l. IV. p. 178. qui semble la mettre sur la route de Nîmes à Aix ; il dit que de Nîmes à Aix, en passant par Urgenum & par Tarrascon, le chemin est de 53 milles. C'est l'Ernaginum de Ptolomée : ce pourroit être aussi l'Ugernum de Grégoire de Tours ; car, comme le remarque Casaubon, les manuscrits de Strabon portent Ugernum & non Urgenum ; & de plus, Strabon un peu plus bas appelle cette ville Gernum. (D.J.)


URGI(Géog. anc.) peuples de la Sarmatie. Strabon, l. VII. pag. 306. les place avec d'autres peuples, entre le Borystène & le Danube. (D.J.)


URGIA(Géog. anc.) ville de l'Espagne. Pline, l. III. c. j. la met au nombre des villes qui formoient l'assemblée générale de Gades. Il dit de plus, qu'elle jouissoit du droit de Latium, qu'on la surnommoit Castrum Julium, & qu'elle avoit encore un autre surnom ; savoir, celui de Caesaris salutariensis. (D.J.)


URGO(Géog. anc.) petite isle de la mer Ligustique, dans le golfe de Pise, au nord oriental de la pointe septentrionale de l'isle de Corse. Pline en parle, l. III. c. vj. ainsi que Pomponius Mela, l. II. c. vij. Cette isle s'appelle aujourd'hui Gorgona, ou Gorgone. (D.J.)


URI(Géog. mod.) canton de Suisse le plus méridional, le quatrieme entre les treize, & le premier entre les petits qui vicatim habitant ; c'est-à-dire, qui n'ont que des villages & des bourgades pour habitation. Il est borné au midi par les bailliages d'Italie, au levant par les Grisons & le canton de Glaris ; au couchant par le canton d'Underwald, & une partie du canton de Berne. Le pays d'Uri est proprement une longue vallée d'environ 25 mille pas, entourée de trois côtés des hautes montagnes des Alpes, & arrosée par la Reuss, qui prend sa source au mont Saint-Gothard.

Ce canton peut être regardé comme le séjour ancien & moderne de la valeur Helvétique. Les peuples qui l'habitent sont les descendans des Taurisques, Taurisci, & n'ont point dégénéré du mérite de leurs ancêtres. Uri a pris pour armes une tête de taureau sauvage, en champ de sinople.

Ce canton n'a qu'un seul bailliage en propre ; mais les bailliages d'Italie lui appartiennent en commun avec les autres petits cantons. Quoique situé plus avant dans les Alpes que ses voisins, cependant il est plus fertile qu'eux, & les fruits y sont plus tôt mûrs, à cause de la réverbération des rayons du soleil qui se trouvent concentrés dans des vallons étroits ; & les montagnes fournissent des pâturages pour une grande quantité de bétail.

Le gouvernement est à-peu-près le même que dans les autres petits cantons qui n'habitent que des villages ; savoir, Schwitz, Underwald, Glaris & Appenzel. L'autorité souveraine est entre les mains de tout le peuple, & dès qu'un homme a atteint l'âge de seize ans, il a entrée & voix dans l'assemblée générale. Ces assemblées se tiennent ordinairement en rase campagne ; on y renouvelle les charges, on y fait les élections, & le président de l'assemblée est au milieu du cercle avec ses officiers à ses côtés, debout & appuyé sur son sabre. On forme aussi ces assemblées extraordinairement quand il s'agit d'affaires importantes, comme de traiter de la guerre & de la paix, de faire des loix, des alliances, &c.

Les peuples de ce canton vivent frugalement ; leurs manieres sont simples, & leurs moeurs sont honnêtes. Leur chef s'appelle amman ou land-amman, & est en place pendant deux ans. A cet amman ils joignent une régence pour régler les affaires ordinaires, & celles des particuliers. La régence d'Uri se tient ordinairement à Altorf, qui est le lieu le plus considérable du pays. Ce canton est catholique : il a été d'abord soumis à l'abbaye de Vettingen, mais il racheta cette soumission par de l'argent, & il dépend aujourd'hui, pour les affaires ecclésiastiques, de l'évêque de Constance ; cependant on y décide quelquefois des causes matrimoniales dans les assemblées générales du pays. (D.J.)


URI-NOSE(Géog. mod.) c'est-à-dire, nez de travers ; montagne d'Angleterre qui regne dans le Cumberland, le Westmorland & le Lancashire. C'est une des plus hautes du pays. (D.J.)


URIA(Géog. anc.) 1°. ville de la Pouille Daunienne, selon Pline, l. III. c. ij. qui la met entre le fleuve Arbalus, & la ville Sipantum.

2°. Ville d'Italie dans la Messapie ou la Calabre, sur la voie Appienne, entre Tarente & Brindes, selon Strabon, l. VI. p. 283. (D.J.)


URIBACO(Icthyolog. exot.) nom d'un poisson de mer du Brésil, qui est excellent à manger ; il tient un peu de la figure de la perche, & a dans sa grandeur dix à douze pouces de long. Ses dents sont petites & pointues ; les nageoires de ses ouïes finissent en pointe triangulaire ; celles du ventre sont soutenues par une côte roide & forte ; il n'a qu'une seule nageoire sur le dos, qui est par-tout d'une même largeur, s'étend presque jusqu'à la queue, & est soutenue par des rayons roides & piquans ; sa queue est fourchue très-profondément, ses écailles sont d'un blanc argenté, avec une légere teinture d'un rouge pâle. Voyez de plus grands détails dans Marggravii, hist. Brasil. (D.J.)


URICONIUM(Géog. anc.) ville de la grande Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route du retranchement, à portus Rutupis, entre Rutunium & Uxacona, à onze milles de chacun de ces lieux. C'est la ville Viroconium de Ptolémée.

La Saverne, après avoir mouillé Shrewsbury, reçoit la riviere de Terne. C'est au confluent de ces deux rivieres que les Romains avoient bâti la ville de Uriconium, afin de pouvoir passer & repasser la Saverne, qui depuis sa jonction avec la Terne, n'est plus guéable.

Cette ville ne subsiste plus : on voit seulement quelques pans de murailles, & un petit village qui a retenu le nom de la ville ; car on le nomme Wrockcester, & par corruption Wroxeter. Dans le lieu où étoit la ville, la terre est plus noire qu'ailleurs, & rapporte de fort bon orge. A l'une des extrémités on trouve des remparts, des pans de murailles faits en voûte par dedans ; & on peut juger que c'étoit la citadelle de la ville : on a déterré quelques médailles romaines parmi ces ruines. (D.J.)


URIEZdétroit d '(Géog. mod.) détroit de l'Asie au nord du Japon, par les 45 degrés de latitude septentrionale, & les 170 degrés de longitude. Ce détroit peut avoir quatorze lieues d'étendue. (D.J.)


URIM & THUMMIM(Critiq. sacrée) mots hébreux que les septante traduisent par , évidence & vérité. On est toujours curieux de demander aux plus savans critiques, ces deux choses ; l'une, ce que c'étoit que urim & thummim, & l'autre quel étoit son usage.

A l'égard du premier point, l'Ecriture se contente de nous dire que c'étoit quelque chose que Moïse mit dans le pectoral ou rational du souverain sacrificateur. Exod. xxviij. 30. Lévit. viij. 8.

Ce pectoral, comme je l'ai dit ailleurs, étoit une espece d'étoffe pliée en double, d'environ dix pouces en quarré, chargée de quatre rangs de pierres précieuses, sur chacune desquelles étoit gravé le nom d'une des douze tribus d'Israël. Or c'est dans ce pectoral porté par le souverain sacrificateur aux occasions solemnelles, que furent mis urim & thummim.

Christophorus à Castro, & Spencer qui a fait une grande dissertation sur cette matiere, prétendent que urim & thummim, étoient deux statues cachées dans la capacité du pectoral, & qui rendoient des oracles par des sons articulés ; mais on regarde ce sentiment comme plus convenable au paganisme qu'à l'esprit de la loi divine.

Plusieurs rabbins croient que urim & thummim étoient le tétragrammaton, ou le nom ineffable de Dieu gravé d'une maniere mystérieuse dans le pectoral ; & que c'étoit de-là qu'il possédoit la faculté de rendre des oracles. On sait que la plûpart des rabbins se sont fait une très-haute idée de la vertu miraculeuse du tétragrammaton.

Cependant il est d'autres habiles Juifs, tels que R. David Kimchi, R. Abraham Séba, Aben-ezra, &c. qui abandonnant l'idée commune de leurs confreres, se contentent de penser que c'étoient en général des choses d'une nature mystérieuse enfermées dans la doublure du pectoral ; & que ces choses donnoient au souverain prêtre le pouvoir de prononcer des oracles, quand il étoit revêtu du pectoral.

Comme toutes ces conjectures ne présentent que des idées de sortiléges & d'exorcismes, je me persuade qu'il vaut mieux n'entendre par urim & thummim, que le pouvoir divin attaché au pectoral, lorsqu'il fut consacré, d'obtenir quelquefois de Dieu des oracles ; ensorte que les noms d'urim & thummim lui furent donnés seulement pour marquer la clarté & la plénitude des réponses ; car urim signifie en hébreu lumiere, & thummim perfection.

Quant à l'usage de l'urim & thummim, on s'en servoit seulement pour consulter Dieu dans les cas difficiles & importans qui regardoient l'intérêt public de la nation, soit dans l'état, soit dans l'église. Alors le souverain sacrificateur revêtu de ses habits pontificaux & du pectoral par-dessus, se présentoit à Dieu devant l'arche d'alliance, non pas au-dedans du voile dans le saint des saints, où il n'entroit que le seul jour des expiations, mais hors du voile dans le lieu saint. C'est delà que se tenant debout, le visage tourné vers l'arche & le propitiatoire où reposoit le shékina, il proposoit le sujet sur lequel l'Eternel étoit consulté. Derriere lui, sur la même ligne, mais à quelque distance hors du lieu saint, peut-être à la porte (car il n'étoit pas permis à un laïc d'approcher de plus près), se tenoit avec humilité & respect la personne qui desiroit d'avoir l'oracle divin, soit que ce fût le roi ou tout autre.

Mais de quelle maniere la réponse de Dieu étoit-elle rendue ? Rabbi Lévi Ben Gerson, Abarbanel, R. Azarias, R. Abraham Séba, Maimonides, & autres, nous disent que le souverain sacrificateur lisoit la réponse de Dieu par l'éclat & l'enflure des lettres gravées sur les pierres précieuses du pectoral. Cette idée n'est pas nouvelle, on la trouve dans Josephe, antiq. liv. III. c. ix. ainsi que dans Philon juif, de monarchiâ, lib. II. Et c'est sur la foi de ces deux écrivains, que plusieurs des anciens peres de l'église, entr'autres S. Chrysostôme & S. Augustin, ont expliqué la chose de la même maniere.

Cependant ce sentiment est insoutenable, pour ne pas dire absurde. On le détruit par une seule remarque ; c'est que toutes les lettres de l'alphabet hébreu ne se trouvent point dans les douze noms ; chet, theth, zaddt & koph y manquent. Ainsi les autres lettres ne suffisoient pas pour les réponses à toutes les choses sur lesquelles on pouvoit consulter Dieu. De plus, il y a dans l'Ecriture des réponses si longues ; par exemple, II. Samuel, v. 24. que toutes les lettres du pectoral, & celles qui y manquent, & celles qu'on y ajoute encore gratuitement, ne sont pas suffisantes pour les exprimer. Enfin il falloit nécessairement au sacrificateur le don de prophétie, pour combiner les lettres qui s'élevoient au-dessus des autres, & indiquer la vraie réponse de l'oracle.

Ne nous arrêtons pas davantage à des fantômes de l'imagination ; & disons que la conjecture la plus vraisemblable & la seule fondée sur l'Ecriture, c'est que quand le souverain sacrificateur se rendoit devant le voile pour consulter Dieu, la réponse lui parvenoit par une voix articulée qui émanoit du propitiatoire, lequel étoit en-dedans au-delà du voile. Nous voyons que dans presque tous les endroits de l'Ecriture où Dieu se trouve consulté, la réponse porte, l'Eternel dit : lorsque les Israélites firent la paix avec les Gabaonites, ils furent blâmés de n'avoir point consulté la bouche de l'Eternel (Josué, ix. 4.) ces expressions l'Eternel dit & la bouche de l'Eternel, semblent marquer une réponse vocale. C'est aussi pour cette raison que le saint des saints où étoit placé l'arche & le propitiatoire d'où les réponses sortoient, est si souvent appellé l'oracle, Ps. xxxviij. 2. 1. Rois, ch. vj. v. 5. 16. 19. 20. 23. 31. ch. vij. 49. ch. viij. v. 6. 8. 2. Chron. chap. iij. 16. ch. iv. 20. ch. v. vers. 7. 9.

Une autre question, car on ne cesse d'en faire, c'est sur la maniere dont on consultoit Dieu dans le camp. En effet, il paroît par l'Ecriture, que le souverain sacrificateur, ou quelque autre en sa place, accompagnoit toujours les armées d'Israël dans leurs guerres, & portoit avec eux l'éphod & le pectoral, pour consulter Dieu par urim & thummim, sur tous les cas difficiles qui pouvoient arriver. On mettoit l'éphod & le pectoral dans l'arche ou le coffre que le sacrificateur qui étoit envoyé à la guerre, portoit toujours avec lui.

Ce sacrificateur, pour être autorisé à agir en la place du souverain pontife, lorsque l'occasion de consulter Dieu par urim & thummim se présentoit, étoit consacré à cet office par l'onction de l'huile sainte, de la même maniere que le grand-prêtre l'étoit ; c'est pour cela qu'il s'appelloit l'oint pour la guerre ; mais la difficulté est de savoir comment il recevoit la réponse. Car dans le camp il n'y avoit point de propitiatoire devant lequel il pût se présenter, & d'où il pût recevoir la réponse comme dans le tabernacle : cependant il paroît, par plusieurs exemples rapportés dans l'Ecriture, que des oracles de cette espece étoient rendus dans le camp. David seul consulta Dieu par l'éphod & le pectoral jusqu'à trois fois, dans le cas de Kehila, I. Sam. xxiij. & deux fois à Ziglad, I. Sam. xxx. 8. & II. Sam. ij. 1. Et dans chacune de ces occasions, il reçut réponse, quoiqu'il soit certain qu'il n'avoit point avec lui l'arche de l'alliance. Je trouve donc fort apparent que puisque Dieu permettoit qu'on le consultât dans le camp sans l'arche, aussi-bien que dans le tabernacle où l'arche étoit, la réponse parvenoit de la même maniere par une voix articulée.

Au reste l'usage de consulter Dieu par urim & thummim fut souvent pratiqué, tant que le tabernacle subsista, & selon les apparences il continua dans la suite jusqu'à la destruction du temple par les Chaldéens. Nous n'en avons cependant aucun exemple dans l'Ecriture, pendant toute la durée du premier temple ; & il est très-certain que cet usage cessa dans le second. Esdras, ij. 63. & Néhémie, vij. 65. l'insinuent assez clairement. De-là vient cette maxime des Juifs : " que le S. Esprit a parlé aux enfans d'Israël sous le tabernacle, par urim & thummim, sous le premier temple par les prophetes, & sous le second par bath-kol ". Les Juifs entendent par bath-kol une voix qui sortoit d'une nuée, voix semblable à celle qui partit d'une nuée au sujet de Jesus-Christ. Matt. ch. iij. 7. chap. xvij. v. 5. II. Pierre, j. 17. (D.J.)


URINAIRECONDUIT URINAIRE, (Anatom.) est la même chose que l'urethre, & il est ainsi nommé parce qu'il sert à conduire l'urine. V. URETHRE.

Meat urinaire, Voyez MEAT.

Vessie urinaire, Voyez VESSIE.


URINALS. m. (Gram.) vaisseau d'étain, ou de porcelaine, ou de fayance, ou de verre, dont le manche est un canal ouvert, par lequel les urines descendent dans sa capacité. Il est à l'usage des malades.


URINAUX(Chymie) vaisseaux distillatoires, employés par les chymistes pour distiller les mixtes, dont les parties étant aisées à mettre en mouvement par leur volatilité, ont besoin d'être retenues aux parois & au fond du vaisseau, pour ne pas s'échapper. Les anciens alchymistes, comme Raimond Lulle, ont nommé ces sortes de vaisseaux urinaux ; les Allemands & les Hollandois les ont appellés kolven, & les François cucurbites à long col. On donne à ces vaisseaux une figure conique, ou bien une figure sphérique, diminuant insensiblement de grosseur, & se terminant par un long tube.

On conçoit facilement que les parties élevées par l'action du feu, heurtent contre les parois inclinées de ces vaisseaux, en sont arrêtées & repoussées, & retombent vers le fond : ainsi celles qui se meuvent avec le plus de difficulté, montent rarement tout-à-fait au haut, & par conséquent ne s'échappent pas avec les autres. A l'égard de ces vaisseaux, il faut encore observer que plus leur fond est large, & l'ouverture supérieure par où les parties sont arrêtées & repoussées, & plus la séparation des parties les plus volatiles d'avec celles qui le sont moins, s'operera facilement. En troisieme lieu, il faut aussi faire attention à la hauteur de ces vaisseaux, plus ils seront hauts, plus les parties les moins volatiles auront de peine à se sublimer. (D.J.)


URINEurina, est un excrément liquide, qui est séparé du sang dans les reins, & qui étant porté delà dans la vessie, est évacué par l'urethre. Voyez EXCREMENT. Ce mot est formé du grec , qui signifie la même chose.

Les organes du corps animal destinés à la secrétion des liqueurs, sont ceux dont il est plus difficile de découvrir la structure & le jeu ; ce sont aussi ceux dont les anciens anatomistes nous ont donné des descriptions les plus imparfaites ; selon eux, la veine émulgente ayant apporté le sang dans le rein, s'abouchoit avec l'uretere, & le résidu de ce sang qui ne servoit point à la secrétion de l'urine, formoit la substance propre du rein, qu'ils nommoient en conséquence parenchyme ou suc épaissi : ce qui ne donnoit qu'une idée très-fausse de la structure admirable de cette partie.

Des travaux plus suivis ont conduit les anatomistes modernes à des notions plus claires. Carpi observa le premier que l'eau injectée par la veine émulgente, sortoit par une incision peu profonde, faite à la convexité d'un rein, & par la cavité du bassinet ; il en conclut avec raison, qu'il y avoit une communication établie entre la veine émulgente & toutes les parties du rein, & que par conséquent il s'en falloit beaucoup que la substance de cette partie fût un parenchyme, comme on l'avoit pensé jusque là.

Cette découverte l'anima à la recherche de la structure du rein ; il découvrit que les vaisseaux du rein se distribuoient par des ramifications presque infinies, dans toute la substance de ce viscere, & que de plusieurs de ces ramifications, partoient des tuyaux urinaires qui alloient porter l'urine dans le bassin.

On croiroit peut-être qu'une découverte aussi intéressante auroit été adoptée de tous les anatomistes, cependant un petit nombre furent pendant un tems considérable, les seuls dépositaires de la découverte de Carpi, pendant que tous les autres s'occupoient des idées de cribles & de réseaux, qu'ils supposoient placés dans la substance du rein.

Pour entendre plus facilement ce que les anatomistes ont dit de cet organe, voyez son article particulier au mot REIN.

Ruysch & Vieussens ont cru pouvoir conclure de cette structure, que tout le rein étoit vasculeux, en prenant cette expression dans le sens le plus étroit ; c'est-à-dire qu'il se faisoit un abouchement des vaisseaux sanguins, avec les tuyaux urinaires, & que l'urine se filtroit dans les reins, sans le ministere d'aucune glande.

Malpighi au-contraire a pensé que des especes de grains, continus aux vaisseaux, formoient la substance corticale, & que ces grains étoient autant de glandes dont les tuyaux urinaires étoient les canaux excrétoires.

Ces deux systêmes se contredisent formellement ; Malpighi prétendant que la secrétion de l'urine se fait par des glandes ; & Ruysch & Vieussens au-contraire, qu'elle se fait sans ce secours ; cependant Boerhaave les admet tous deux, & il pense qu'une partie de l'urine est séparée du sang par des glandes, & qu'une autre partie en sort par le moyen des abouchemens des vaisseaux sanguins avec les tuyaux urinaires.

M. Bertin ayant entrepris de s'éclaircir sur un point aussi intéressant, a employé tout ce que l'anatomie la plus délicate, aidée du secours des injections & du microscope, a pu lui fournir. Il a vu distinctement les vaisseaux sanguins qui forment la substance tubuleuse, s'aboucher avec les tuyaux urinaires qui se rendent aux papilles, appareil merveilleux qui mérite bien l'attention d'un philosophe ; mais il a vu de plus d'autres fibres qui lui paroissoient être des tuyaux urinaires, se rendant de même aux papilles, & qui partoient des prolongemens de la substance corticale. Il falloit donc de nécessité que celle-ci fût glanduleuse, & que ces tuyaux fussent les canaux excrétoires de ses glandes ; mais ni la dissection, ni l'injection, ne donnoient aucune lumiere sur ce point ; & rien n'est sûr en physique que ce qui est appuyé sur le témoignage de l'expérience. Enfin, M. Bertin s'est avisé de déchirer la substance du rein au-lieu de la couper ; alors les glandes ont paru à découvert, & même sans l'aide de la loupe ou du microscope. Elles sont en si grand nombre, qu'elles forment en entier la substance corticale, & la multitude des tuyaux urinaires qui en sortent, peut aisément suppléer à leur extrême petitesse : aussi n'hésite-t-il pas à avancer qu'elles sont un des organes principaux de la filtration de l'urine.

Il se fait donc réellement dans le rein deux sortes de filtrations ; l'urine la plus grossiere est séparée du sang par la substance tubuleuse ; aussi M. Bertin a-t-il vu distinctement de l'urine chargée des parties terreuses reconnoissables passer au-travers des papilles en les pressant ; mais l'urine la plus claire & la plus subtile est, selon lui, filtrée par les glandes qui composent la substance corticale, & apportée aux papilles par le nombre prodigieux de tuyaux qu'elles y envoyent. Il est vrai que l'injection ne peut pénétrer dans ces tuyaux ; mais les Anatomistes savent qu'il y a une infinité de canaux excrétoires, de glandes crevassées & de petits tuyaux, qui refusent constamment le passage à l'injection faite par les arteres qui portent le sang à ces glandes.

Ce qu'il y a de singulier, c'est que Boerhaave dont le sentiment se trouve être le seul vrai, ne paroît l'appuyer sur aucune expérience, & qu'il semble au contraire ne l'avoir adopté que pour concilier ceux de Malpighi & de Ruysch, qu'il n'osoit soupçonner de s'être trompés, tant il est vrai que, même en matiere de philosophie, l'esprit de déférence pour ceux que nous devons regarder comme nos maîtres, mene souvent à la vérité d'une maniere plus sûre que l'esprit de dispute. Hist. de l'acad. royale des Sciences 1744. Voyez les mémoires de la même année.

L'urine ne se sépare point par attraction, par fermentation, par émulsion, ni par précipitation ; mais le sang poussé dans les arteres émulgentes dilate les ramifications qui se répandent dans la substance des reins ; & comme les canaux qui filtrent l'urine sont plus étroits que les extrémités des arteres sanguines, ils ne peuvent recevoir la partie rouge ni la lymphe grossiere. La partie aqueuse y entrera donc, & la partie huileuse atténuée sortira par ces tuyaux, & par conséquent l'urine sera une liqueur jaunâtre ; car la chaleur qui atténue l'huile, lui donne en même tems cette couleur ; & comme les matieres terrestres & salines passent par les couloirs des reins, il y a tout lieu de présumer que leurs tuyaux secrétoires sont plus gros que ceux des autres organes.

Si le sang est poussé impétueusement dans les couloirs des reins par la force du coeur & des arteres, il forcera les tuyaux qui ne recevoient auparavant que la matiere aqueuse, & l'huile atténuée ; ainsi on pissera du sang ; c'est ce qui arrive dans la petite vérole, dans ceux qui ont quelques pierres aux reins, dans ceux qui ont les couloirs des reins fort ouverts ou fort lâches ; mais s'il arrivoit que les arteres fussent fort gonflées par le sang, alors il arriveroit une suppression d'urine ; car les arteres enflées comprimeroient les tuyaux secrétoires, & fermeroient ainsi le passage à la liqueur qui s'y filtre ; cette suppression est assez fréquente, & mérite de l'attention. Pour que l'urine coule, il faut donc que les arteres ne soient pas extrêmement dilatées ; car par ce moyen les tuyaux secrétoires ne peuvent se remplir ; de-là vient que l'opium arrête l'urine ; mais si le sang en gonflant les arteres empêche la secrétion de l'urine, ses tuyaux peuvent encore y porter un obstacle en se rétrécissant ; de-là vient que dans l'affection hystérique, les urines sont comme de l'eau ; car les nerfs qui causent les convulsions, rétrécissent les couloirs de l'urine ; la même chose arrive dans les maladies inflammatoires ; c'est pour cela que dans les suppressions qui viennent du resserrement des reins, on n'a qu'à relâcher par des délayans ou par des bains qui augmentent toujours la secrétion de l'urine, & ce symptome cessera.

S'il coule dans les reins un sang trop épais, ou que plusieurs parties terrestres soient pressées les unes contre les autres dans les mamelons, on voit qu'il pourra se former des concrétions dans les tuyaux qui filtrent l'urine ; il suffit qu'il s'y arrête quelque matiere, pour que la substance huileuse s'y attache par couches ; car supposons qu'un grumeau de sang ou des parties terrestres unies s'arrêtent dans un mamelon, la matiere visqueuse s'arrêtera avec ces concrétions ; la chaleur qui surviendra fera évaporer la partie fluide, ou bien le battement des arteres & la pression des muscles de l'abdomen l'exprimeront ; ainsi la matiere desséchée ne formera qu'une masse avec ces corps qu'elle a rencontrés.

Les reins sont les égoûts du corps humain ; il ne paroît pas qu'il y ait aucune autre partie qui reçoive la matiere de l'urine ; si on lie les arteres émulgentes, il ne se ramasse rien dans les uretheres, ni dans la vessie ; il y a cependant des anatomistes qui prétendent qu'il y a d'autres voies. La ligature des arteres émulgentes ne leur paroît pas une preuve convaincante contr'eux ; parce qu'alors les convulsions & les dérangemens qui surviennent, ferment les couloirs qui sont ouverts lorsque tout est tranquille. Voici les raisons qui font douter s'il n'y a pas d'autres conduits qui se déchargent dans la vessie ; 1°. les eaux minérales passent dans la vessie, presque dans le même instant qu'on les avale ; la même chose arrive dans ceux qui boivent beaucoup de vin ; 2°. les eaux des hydropiques répandues dans l'abdomen se vuident par les urines, de même que les abscès de la poitrine ; 3°. les lavemens, selon eux, sortent quelquefois par la vessie un instant après qu'ils sont dans le corps. Voyez M. Senac, Essais physiques.

Dans les Transactions philosophiques, on trouve un exemple rapporté par M. Roung, d'un enfant de six ans qui rendoit presque toute son urine par le nombril.

Dans les mêmes Transactions, M. Richardson rapporte l'histoire d'un garçon de North-Bierly, dans le comté d'Yorck, qui vécut dix-sept ans sans jamais uriner, & qui néanmoins étoit en parfaite santé. Il avoit une diarrhée continuelle, mais qui ne l'incommodoit pas beaucoup : il falloit, suivant la remarque de cet auteur, que les reins fussent bouchés ; car il n'avoit jamais envie de lâcher de l'eau.

Les urines sont de différentes sortes, & ont différentes propriétés. Après qu'on a bu abondamment quelque liqueur aqueuse, l'urine est crue, insipide, sans odeur, & facile à retenir. Celle que fournit le chyle bien préparé, est plus âcre, plus saline, moins abondante, un peu fétide, & plus irritante. Celle qui vient du chyle déja converti en sérosité, est plus rouge, plus piquante, plus salée, plus fétide, & plus irritante. Celle que fournissent après une longue abstinence des humeurs bien digérées, & ses parties solides exténuées, est la moins abondante, la plus salée, la plus âcre, la plus rouge, très-fétide, presque pourrie, & la plus difficile à retenir. Ainsi l'urine contient la partie aqueuse du sang, son sel le plus âcre, le plus fin, le plus volatil, & le plus approchant de la nature alkaline ; son huile la plus âcre, la plus fine, la plus volatile, & la plus approchante de la putréfaction, & sa terre la plus fine & la plus volatile. Voyez SANG.

Le sel ammoniac des anciens se préparoit avec l'urine des chameaux. Voyez AMMONIAC. Le phosphore qui est en usage parmi les Anglois, se prépare avec l'urine humaine. Voyez PHOSPHORE. Le salpêtre se prépare aussi avec l'urine, & les autres excrémens des animaux. Voyez SALPETRE.

Les Indiens ne se servent guere d'autre remede que de l'urine de vache. Les Espagnols font grand usage de l'urine pour se nettoyer les dents. Les anciens Celtibériens faisoient la même chose.

L'urine s'employe aussi dans la teinture, pour échauffer le pastel, & le faire fermenter. L'urine teint l'argent d'une belle couleur d'or. Voyez TEINTURE. Les maladies que cause l'urine, sont de différentes sortes. Voyez STRANGURIE, RETENTION, DIABETE, PIERRE, NUBECULE, &c.

URINE, en Médecine, l'urine fournit un des principaux signes par où les médecins jugent de l'état du malade & du train que prendra la maladie. Voyez SIGNE, SYMPTOME, MALADIE, &c.

Dans l'examen de l'urine on considere sa quantité, sa couleur, son odeur, son goût, sa fluidité & les matieres qui y nagent.

Une urine abondante marque un relâchement des conduits des reins, une diminution de la transpiration, de la sueur, de la salive, un sang imparfaitement mélangé, d'où il arrive que les parties aqueuses se séparent aisément du reste, une foiblesse de nerfs, une boisson copieuse de quelque liquide aqueux, ou qu'on a pris quelque diurétique.

Cette sorte d'urine présage un épaississement & une acrimonie des autres liqueurs du corps, une soif, une anxiété, des obstructions & leurs effets, une consomption accompagnée de chaleur, de sécheresse & de soif.

L'état contraire de l'urine indique des choses contraires, & présage la pléthore, l'assoupissement, la pesanteur, des tremblemens convulsifs, &c.

Une urine claire, limpide, insipide, sans couleur ni goût, dénote un grande contraction des vaisseaux des reins, & en même tems un grand mouvement des humeurs, une forte cohésion de l'huile, du sel & de la terre dans le sang, & un mêlange imparfait de la partie aqueuse avec les autres, une indisposition d'esprit, un accès hypocondriaque ou hystérique, une foiblesse des visceres, un crudité, une pituite, des embarras dans les vaisseaux, & dans les maladies aiguës, un défaut de coction & de crise. Cette sorte d'urine pronostique à-peu-près la même chose qu'une urine trop abondante, & dans les maladies aiguës & inflammatoires, elle annonce un mauvais état des visceres, le délire, la phrénésie, les convulsions, la mort.

L'urine fort rouge, sans sédiment, dans les maladies aiguës, indique un mouvement & un froissement violent des parties qui constituent les humeurs, & une action violente des vaisseaux & des liquides les uns sur les autres, un mêlange exact & intime de l'huile, du sel, de la terre, & de l'eau dans les humeurs, & par-là une grande crudité de la maladie, une longue durée & un grand danger. Une telle urine présage des embarras gangréneux dans les plus petits vaisseaux, sur-tout dans ceux du cerveau & du cervelet, & par conséquent la mort. Elle annonce une coction difficile, une crise lente & douteuse, & tout cela à un plus haut degré, suivant que l'urine est plus rouge & plus exempte de sédiment. S'il y a un sédiment pesant & copieux, il dénote un violent froissement qu'ont souffert auparavant les parties des humeurs, un relâchement des vaisseaux, un sang âcre, salin, dissous, incapable de nourrir, des fievres intermittentes & le scorbut.

Cela présage la durée de la maladie, une atténuation des vaisseaux, la foiblesse, des sueurs colliquatives, un flux abondant de salive, l'atrophie, l'hydropisie. Si le sédiment d'une telle urine est sulfureux, écailleux, membraneux, &c. il présage les mêmes choses, & encore pires.

Une urine jaune avec un sédiment, comme le précédent, dénote la jaunisse, & les symptomes de cette maladie à la peau, dans les selles, les hypocondres, &c.

Une urine verte, avec un sédiment épais, dénote un tempérament atrabilaire, & que la bile s'est répandue dans le sang & s'évacue par les reins ; elle annonce par conséquent des anxiétés de poitrine, des selles dérangées, des tranchées & des coliques.

Une urine noire indique les mêmes que la verte, mais à un plus haut degré de malignité.

Le sang, le pus, les caroncules, les filamens, les poils, les grumeaux, le sable, les graviers, la mucosité, au fond de l'urine, dénotent quelque mauvaise disposition dans les reins, les ureteres, la vessie, les testicules, les vésicules séminales, les prostates & l'urethre.

Une urine grasse donne ordinairement lieu à de petits sables, qui sont adhérens à une matiere visqueuse, & de cette maniere produit une espece de membrane ou pellicule huileuse, qui dénote dans le sang une abondance de terre & un sel pesant, & annonce le scorbut, la pierre, &c.

Une urine puante montre que les huiles & les sels sont atténués, dissous, & presque putréfiés : ce qui est très-dangereux, soit dans les maladies aiguës, soit dans les chroniques.

L'urine, qui étant agitée demeure long-tems écumeuse, dénote la viscosité des humeurs, & conséquemment la difficulté de la crise. Elle dénote aussi des maladies du poumon, & des fluxions à la tête.

Mais on consulte principalement l'urine dans les fievres aiguës, où elle est un signe très-certain ; car 1°. l'urine qui a un sédiment blanc, léger, égal, sans odeur, & figuré en cône, depuis le commencement de la maladie jusqu'à la crise, est d'un très-bon augure. 2°. L'urine abondante, blanche, qui a beaucoup de sédiment blanc, & que l'on rend dans le tems de la crise, dissipe & guérit les abscès. 3°. L'urine ténue, fort rouge & sans sédiment, l'urine blanche, ténue & aqueuse, l'urine ténue, uniforme & jaune, l'urine trouble & sans sédiment, dénote dans les maladies fort aiguës une grande crudité, une difficulté de crise, une maladie longue & dangereuse.

URINE, en Agriculture, est excellente pour engraisser la terre. Voyez ENGRAISSER.

Ceux qui se connoissent en agriculture & en jardinage, préferent pour les terres, les arbres, &c. l'urine au fumier, d'autant qu'elle pénétre mieux jusqu'aux racines, & empêche différentes maladies des plantes.

On se plaint beaucoup en Angleterre de ce qu'il ne reste presque plus de ces anciennes pommes reinettes du comté de Kent ; & M. Mortimer observe que la race en seroit totalement perdue, si quelques personnes ne s'étoient remises à l'ancienne maniere de les cultiver, qui, comme savent les anciens jardiniers & engraisseurs de bétail, consistoit à arroser deux ou trois fois dans le mois de Mars, les pommiers moussus, mangés de vers, chancreux & malsains, avec de l'urine de boeuf, &c. ramassée dans des vaisseaux de terre, que l'on mettoit sous les planches des étables où on les engraissoit.

En Hollande & en plusieurs autres endroits, on conserve l'urine du bétail, &c. avec autant de soin que le fumier. M. Hartlib, le chancelier Plot, M. Mortimer, &c. se plaignent conjointement de ce qu'un moyen si excellent d'engraisser & de fertiliser la terre, est si fort négligé parmi les Anglois.

URINE, (Médec. séméiotique) cette partie de la séméiotique qui est fondée sur l'examen des urines, est extrêmement étendue, & fournit des lumieres assez sûres pour connoître dans bien des cas l'état actuel d'une maladie, ou juger des événemens futurs. Etablie & perfectionnée en même tems par un seul homme, par l'immortel Hippocrate, cultivée, ou du-moins soigneusement recommandée par Galien & la foule innombrable de médecins qui ont reçu aveuglément tous ses dogmes, elle est devenue un des principaux objets de leurs recherches, de leurs discussions & de leurs commentaires ; mais elle n'a reçu aucun avantage réel, elle n'a pas été enrichie d'un seul signe nouveau par cette quantité d'écrits qui se sont si fort multipliés jusqu'à cette grande révolution qui a vu finir le regne de l'observation, en même tems que celui du galénisme, par les efforts réunis des chymistes & des méchaniciens ; tous ces ouvrages n'étoient que des commentaires serviles, plus ou moins mal faits des différens livres d'Hippocrate, & d'un traité particulier qu'on attribue assez communément à Galien, & qui paroît lui appartenir, quoiqu'il n'en fasse pas mention dans le catalogue qu'il a laissé de ses écrits. Ainsi il est très-douteux si ces médecins tiroient de l'examen des urines tous les avantages, tous les signes qu'ils décrivoient après Hippocrate, du-moins il ne nous reste d'eux aucune observation qui le constate ; & il paroît très-vraisemblable qu'accoutumés à jurer sur les paroles de leurs maîtres, ils ne croyoient pas avoir besoin de vérifier ce qu'ils avoient avancé, & qu'ils se contentoient d'en chercher dans leurs cabinets les causes & les explications. C'est aussi là tout ce que présentent leurs livres, des dissertations à perte de vue sur les divers sens qu'on peut attacher au texte d'Hippocrate ou de Galien, & des recherches théoriques plus ou moins absurdes sur les causes des faits qu'ils venoient d'expliquer. On n'a pour s'en convaincre qu'à parcourir les ouvrages d'Actuarius, de Theophyllus, d'Avicenne même, de Montanus, de Donatus ab Altomari, de Vassaeus, de Christophe Avega, de Gentilis, de Willichius & de son commentateur Reusnerus, &c. &c. &c. On ne doit à Bellini que quelques expériences assez heureuses sur la cause des variations de l'urine ; il n'a rien ajouté à la partie séméiotique de l'urine, la plus intéressante ; il s'est borné à transcrire quelques axiomes d'Hippocrate. Prosper Alpin en a fait un extrait plus étendu, & cependant encore très-incomplet, mais trop raisonné ; parmi les signes les plus certains, il méle les explications & les aitiologies de Galien le plus souvent fausses & toujours déplacées. Nous nous contenterons à son exemple d'extraire d'Hippocrate les matériaux de cet article, mais plus circonspects que lui, nous en bannirons tout raisonnement inutile. La séméiotique est une science de faits fondée uniquement sur l'observation ; c'est ainsi qu'Hippocrate l'a traitée, & qu'il convient de l'exposer.

On peut dans les urines considérer différentes choses qui sont les sources d'un très-grand nombre de signes, savoir 1°. la quantité trop grande ou trop petite : 2°. la consistance épaisse ou ténue, trouble ou limpide : 3°. l'odeur trop forte ou trop foible, ou différente de la naturelle : 4°. suivant quelques auteurs trop minucieux, & Bellini entr'autres, le son que fait l'urine en tombant dans le pot-de-chambre, plus ou moins éloigné de celui que feroit l'eau pure : 5°. la couleur dont les variations sont très-nombreuses : 6°. les choses contenues dans l'urine, qui, de même que la couleur, sont susceptibles de beaucoup de changemens, & servent à établir la plus grande partie des signes : 7°. enfin la maniere dont se fait l'excrétion de cette humeur. Il n'y a presque point de couleur & de nuances qu'on n'ait quelquefois observées dans l'urine. Au-dessous de la citrine naturelle, on compte l'urine blanche, aqueuse, crystalline, laiteuse, bleuâtre ou imitant la corne transparente, celle qui ressemble à une légere teinture de poix, subspicea & spicea, à l'osier, straminea, à des poils blanchâtres de chameau, ou suivant l'interprétation de Galien, à des yeux de lion, charopa, &c. Lorsque la couleur naturelle se renfonce, est plus saturée, l'urine devient jaune, dorée, safranée, verte, brune, livide, noire ou rougeâtre, ardente, vineuse, pourpre, violette, &c. Les choses contenues dans l'urine sont ou naturelles ou accidentelles ; dans la premiere classe sont compris le sédiment, l'énéoreme & les nuages. Voyez ces mots & URINE, Physiolog. La seconde renferme tous les corps étrangers qui ne s'observent que rarement, & dans l'urine des malades, savoir des bulles, de l'écume, la couronne ou le cercle qui environne la surface de l'urine, du sable, des filamens, des parties rameuses du sang, du pus, de la mucosité, des graviers, de la graisse, de l'huile, des écailles, des matieres furfuracées, de la semence, &c. L'excrétion de l'urine peut être ou facile ou difficile, volontaire ou non, douloureuse ou sans douleur, continue ou interrompue, &c. Tous ces changemens qui éloignent l'urine des malades de son état naturel, sont les effets de quelque dérangement dans l'harmonie des fonctions des différens visceres, ou seulement des reins & des voies urinaires, par conséquent ces mêmes symptomes peuvent en devenir les signes aux yeux de l'observateur éclairé, qui a souvent apperçu cette correspondance constante des causes & des effets ; dans l'exposition de ces signes nous ne suivrons point pas-à-pas chaque vice de l'urine, parce qu'outre que ce détail seroit extrêmement long, il nous feroit tomber dans des répétitions fréquentes, plusieurs vices différens signifiant souvent la même chose. Pour éviter cet inconvénient, nous mettrons sous le même point de vue 1°. les divers états de l'urine qui sont d'un bon augure, 2°. ceux qui annoncent quelque évacuation critique, 3°. ceux qui sont mauvais, 4°. ceux qui indiquent quelque accident déterminé, & 5°. ceux enfin qui sont les avant-coureurs de la mort.

I. Il faut, dit Hippocrate, examiner avec attention les urines, & considérer si elles sont semblables à celles des personnes qui jouissent d'une bonne santé ; parce qu'elles indiquent d'autant plus sûrement une maladie & la dénotent d'autant plus grave, qu'elles s'éloignent plus de cet état. Aphor. lxvj. liv. VII. Cette assertion d'Hippocrate assez généralement vraie, a fait dire à Galien & à tous les Médecins sans exception qui sont venus après lui, que les urines les plus favorables dans les maladies étoient celles qui ressembloient le plus aux urines des personnes bien portantes ; ce qui est le plus communément faux. Lorsque Hippocrate a proposé l'aphorisme précédent, il parloit des urines en général, abstraction faite de l'état de santé & de maladie ; & il n'a prétendu dire autre chose sinon que si on lui présentoit différentes urines, il jugeroit que ceux qui auroient rendu celles qui étoient naturelles, saines, se portoient bien ; & que ceux à qui les urines plus ou moins éloignées de cet état appartenoient, étoient plus ou moins malades. Il s'est bien gardé d'avancer que ces urines fussent un signe funeste, dangereux ; il s'est contenté d'assurer qu'elles étoient un signe plus certain de maladie, &, si l'on peut parler ainsi, plus maladives, . Nous ne dissimulerons cependant pas que cet axiome d'Hippocrate réduit à son vrai sens, ne se vérifie point toujours exactement ; car dans les fievres malignes les plus dangereuses les urines sont tout-à-fait naturelles, ne différant en rien de celles que l'on rend en santé. Mais l'erreur de Galien & de ses adhérens qui ont mal entendu ce passage, est encore bien plus grande, puisque nonseulement l'urine différente de celle des personnes saines, n'est pas toujours mauvaise dans les maladies ; mais encore le plus souvent elle lui est préférable, parce que c'est elle seule qui peut être critique & salutaire, & que l'urine naturelle n'annonce jamais ni coction, ni crise, & quelquefois même est pernicieuse. Les urines noires, huileuses, ne sont-elles pas, comme nous le verrons ensuite, favorables dans certaines maladies ? La strangurie n'est-elle pas aussi quelquefois avantageuse ? Et n'est-il pas nécessaire pour prevenir un abscès, que l'urine soit épaisse, blanche & abondante ? Or dans tous ces cas l'urine s'éloigne plus ou moins de l'état naturel. D'ailleurs on pourroit reprocher aux uns & aux autres que cet état naturel de l'urine n'est rien moins que déterminé ; qu'il differe suivant les âges, les sexes, les tempéramens, l'idiosyncrasie, même les saisons, & suivant les boissons plus ou moins abondantes & de différente nature ; suivant les alimens, les remedes, &c. & par conséquent que cette mesure fautive peut encore induire en erreur lorsqu'il s'agit d'évaluer les divers états de l'urine. On a cependant décidé en général que l'urine naturelle étoit d'une couleur citrine un peu foncée, d'une consistance moyenne entre l'eau & l'urine des jumens, que sa quantité répondoit à celle de la boisson, & qu'elle contenoit un sédiment blanchâtre, égal & poli : & on a prétendu assez vaguement que l'urine des vieillards étoit blanche, ternie, presque sans sédiment ; celle des jeunes-gens plus colorée, mais moins épaisse & moins chargée de sédiment que celle des enfans ; que l'urine des femmes étoit plus bourbeuse, plus épaisse & moins colorée que celle des hommes ; que les tempéramens chauds rendoient des urines plus colorées que les tempéramens froids ; que dans ceux qui vivoient mollement, dans l'oisiveté & dans la crapule, les urines étoient remplies de sédiment, & au contraire ténues, sans sédiment, & d'une couleur animée dans ceux qui faisoient beaucoup d'exercice, qui essuyoient des longues abstinences & des veilles opiniâtres ; qu'au printems elles étoient blanches ou légerement citrinées, subspiceae, abondantes ; & qu'elles contenoient beaucoup de sédiment épais & crud ; qu'en avançant vers l'été elles devenoient plus colorées, presque saffranées, moins épaisses ; que le sédiment étoit moins abondant, mais plus blanc, plus poli & plus égal ; que dans la vigueur de l'été, la quantité en diminuoit de même que le sédiment, & qu'elles devenoient plus foncées ; que dans l'automne la couleur étoit citrine, la quantité très-médiocre, le sédiment peu abondant, assez blanc, égal & poli, & que du reste elles étoient tenues & limpides ; & qu'enfin en hiver elles étoient blanchâtres, plus abondantes ; qu'elles varioient en consistance & contenoient beaucoup de sédiment crud. Tous ces changemens ne sont ni aussi certains ni aussi constans que ceux que produit la trop grande quantité de boissons aqueuses & quelques remedes. On sait sûrement que les urines deviennent limpides, ténues & très-peu colorées, quand on a bu beaucoup d'eau, noirâtres après l'usage de la casse, de la rhubarbe, & des martiaux ; rouges à la suite des bouillons d'oseille, de racines de fraisier & de garence ; que l'usage de la térébenthine leur donne l'odeur agréable de la violette ; & les asperges les rendent extrêmement fétides : c'est pourquoi avant de porter son jugement sur l'urine, il est nécessaire de savoir si le malade n'a usé d'aucun de ces remedes. On peut aussi pour plus grande sureté s'informer de son âge, du sexe, du tempérament, de sa façon de vivre ; il faut aussi être instruit du tems de la maladie & du tems de la journée où l'urine a été rendue ; on préfere celle du matin comme ayant eu le tems de subir les différentes élaborations. Il faut aussi avoir attention que l'urine ne soit pas trop vieille, qu'il n'y ait pas plus de douze heures qu'on l'ait rendue, & qu'elle ne soit pas non plus trop récente, pour que les différentes parties aient eu le tems de se séparer. Le vaisseau dans lequel on examine l'urine doit être très-propre & transparent, pour qu'on puisse bien en discerner toutes les qualités : on recommande encore d'observer que la chambre ne soit ni trop obscure, ni trop éclairée ; enfin les auteurs uromantes exigent encore beaucoup d'autres petites précautions qui nous paroissent très-frivoles & bonnes pour un charlatan qui cherche à donner un air de mystere aux opérations les plus simples. Nous ne prétendons pas même garantir l'utilité de toutes celles que nous avons exposées, nous laissons ce jugement au lecteur éclairé, nous hâtant de passer au détail des signes qu'on tire de l'urine sans qu'il soit besoin d'en avoir toujours devant les yeux de saine & de naturelle, pour servir de point de comparaison.

La meilleure urine est, suivant Hippocrate, celle qui pendant tout le cours de la maladie, jusqu'à ce que la crise soit finie, renferme un sédiment blanc, égal & poli. Elle contribue beaucoup à rendre la maladie courte & exempte de danger ; si l'urine est alternativement pure, limpide, & telle qu'elle vient d'être décrite, la maladie sera longue & sa terminaison est douteuse ; l'urine rougeâtre avec un sédiment égal & poli annonce une maladie plus longue, mais n'est pas moins salutaire que la premiere : les nuages blancs dans l'urine, sont aussi d'un bon augure (Prognost. l. II. n°. xxij. xxvj.) Lorsque les urines ont été pendant le cours d'une fievre en petite quantité, épaisses & grumelées, & qu'elles viennent ensuite abondantes & ténues, le malade en est soulagé : ces urines paroissent ordinairement de cette façon lorsque dès le commencement elles ont renfermé un sédiment plus ou moins copieux (Aphor. lxjx. l. IV.) dans les fievres ardentes, accompagnées de stupidité & d'affection soporeuse dans lesquelles les hypochondres changent souvent d'état, le ventre est gonflé, les alimens ne peuvent passer, les sueurs sont abondantes.... les urines chargées d'écume sont avantageuses. (Prorrhet. l. I. sect. II. n°. xljx.) Les malades qui ayant eu des hémorragies copieuses & fréquentes, rendent par les selles des matieres noirâtres, éprouvent de nouveau ces hémorragies lorsque le ventre se resserre ; les urines dans ces circonstances sont bonnes lorsqu'elles sont troubles & qu'elles renferment un sédiment assez semblable à la semence ; mais le plus souvent elles sont aqueuses. (Prorrhet. l. I. sect. III. n°. xlviij.) Les urines noires sont quelquefois bonnes sur-tout dans les personnes mélancoliques, spléniques, après la suppression des regles & accompagnées de cette excrétion ou d'une abondante hémorragie du nez. Galien dit avoir connu une femme qui avoit été très-soulagée par l'évacuation de semblables urines. (Comment. in épid. l. III. n°. lxxiv. Le même auteur assure que les urines huileuses, c'est-à-dire qui en ont la couleur & la consistance, sans être grasses, sont souvent salutaires lorsqu'elles viennent après que la coction est faite. Hippocrate rapporte que dans une constitution épidémique, la strangurie, ou difficulté d'uriner, fut un des signes les plus assurés & les plus constans de guérison : plusieurs malades dans qui il l'observa, échapperent à un danger pressant ; aucun de ceux dans qui il s'est rencontré, n'est mort. La strangurie dura long-tems & fut même fâcheuse ; les urines étoient d'abord copieuses, changeantes, rouges, épaisses, & sur la fin douloureuses & purulentes. Epidem. l. I. stat. II. n°. x. Pythion, le premier malade dont il est parlé, Epidem. l. III. sect. I. eut le quarantieme jour de sa maladie, après que la crise fut faite, un abscès au fondement qui se termina heureusement par cette difficulté d'uriner.

II. Les urines peuvent être regardées comme un signe de crise prochaine ou comme une excrétion critique qui annonce & détermine la solution de la maladie. L'urine est un signe de crise, quand elle renferme un sédiment constant, blanc & poli ; elle l'annonce d'autant plus prochaine que le sédiment a paru plus tôt. Il en est de même si après avoir été trouble & comme grasse, elle devient aqueuse : l'urine rougeâtre, & qui contient un sédiment de la même couleur, dénote la crise pour le septieme jour ; ou si elle paroît telle avant le tems ; mais si elle ne vient ainsi qu'après, c'est un signe que la crise se fera plus tard & très-lentement. L'urine qui renferme au quatrieme jour des nuages rouges, dénote, si les autres signes concourent, que la solution aura lieu le septieme. On doit s'attendre à une crise certaine dans les pleurésies, lorsque l'urine est rouge, & que le sédiment est poli ; elle sera prompte si le sédiment est blanc & l'urine verdâtre, fleurie, florida, . Si l'urine est rougeâtre & fleurie, mais avec un sédiment verd, poli & bien cuit, la maladie sera longue, orageuse, peut-être changera en une autre, mais ne sera pas mortelle. L'urine aqueuse ou troublée par de petits corpuscules inégaux & friables, indique un dévoiement prochain. Ne peut-on pas espérer une sueur, lorsque l'urine après avoir été ténue, devient épaisse ? Si la sueur a lieu, l'urine se charge d'écume. La même excrétion est annoncée par l'urine inégalement dense. coac. praenot. cap. XXVII. n. j. ij.-lxjv. Lorsqu'au commencement d'une fievre aiguë l'hémorragie du nez est excitée par l'éternuement, & qu'au quatrieme jour l'urine renferme un sédiment, la maladie sera terminée heureusement le septieme. Ibid. cap. III. n°. lxv. L'urine qui paroît après les premiers jours de maladie avec des nuages, ou un sédiment convenable, est appellée cuite ; on la regarde avec raison comme un des signes assurés de coction ; mais les praticiens n'y font pas assez d'attention ; les uns parce qu'ils regardent les coctions & les crises comme des futilités de la doctrine d'Hippocrate qu'ils méprisent & qu'ils ne connoissent assurément pas ; les autres parce qu'ils croient trouver dans d'autres signes des lumieres suffisantes. Les urines sont elles-mêmes la matiere de l'excrétion critique, & en conséquence un signe très-avantageux dans les maladies aiguës, lorsqu'elles viennent les jours critiques en grande quantité, quoique ténues, plus encore si elles sont épaisses, vitrées, purulentes ; si elles renferment beaucoup de sédiment, (coac. praenot. cap. iij. n °. 46 & 48.) les abscès aux oreilles qui surviennent aux fievres ardentes, & qui n'apportent aucun soulagement, sont mortels, à-moins qu'il ne se fasse une hémorragie par le nez, ou que les urines coulant abondamment ne soient remplies d'un sédiment très-épais. (ibid. cap. v. n °. 19.) Les urines sur-tout accompagnées de dévoiement sont aussi critiques dans les boursouflemens assez ordinaires des hypochondres. (ibid. cap. xj. n °. 3.) Les convulsions, soit fixes, soit avec extinction de voix, sont terminées par un flux abondant & subit d'urines vitrées (ibid. cap. xiv. n °. 12 & 13.) Les urines extrêmement épaisses, & contenant beaucoup de sédiment, préviennent les abscès qui ont coutume de se former à la suite des fluxions de poitrine, soit aux oreilles, soit aux parties inférieures ; & si l'abscès se forme, & que l'évacuation des urines n'ait pas lieu, il est à craindre que le malade ne devienne boiteux, ou ne soit considérablement incommodé. (ibid. cap. xvj. n °. 19 & 20.) Les dépôts qu'on a sujet de craindre dans l'articulation, sont empêchés par une excrétion abondante d'urine épaisse & blanchâtre, telle qu'elle se fait ordinairement le quatrieme jour dans les fievres avec lassitude. (aphor. 74. lib. IV.) Archigene, dont il est fait mention, epidem. lib. VI. comment. IV. n °. 2. fut délivré d'un abscès par cette excrétion. Il conste par plusieurs observations que des abscès dans la poitrine, dans le foie, des empyemes, des vomiques, se sont entierement vuidés par des urines bourbeuses & purulentes ; les voyes par lesquelles la nature ménage cette évacuation, sont absolument inconnues ; mais le fait est bien avéré : personne n'ignore de quelle utilité est dans l'hydropisie, la leucophlegmatie, l'anasarque, un flux abondant d'urines. Les urines sont la principale & la plus salutaire crise dans les maladies du foie, leur excrétion se ressent aussi très-promptement des dérangemens dans l'action de ce viscere ; les maladies des reins & des voies urinaires ont aussi leur crise prompte, facile & naturelle par les urines ; l'inflammation de la vessie si dangereuse se termine très-bien par l'excrétion d'urines blanchâtres, purulentes, & qui contiennent un sédiment poli. (prognostic. lib. II. n °. 81.) Le pissement de sang qui arrive rarement sans fievre & sans douleur, n'annonce rien de mauvais, il prouve au contraire la solution des lassitudes. (prorrhet. lib. II.)

Pour porter un jugement plus assuré sur l'état critique des urines, & sur les avantages qu'on doit en attendre, il faut examiner si la coction est faite, si le tems de la crise est arrivé, & si les signes critiques paroissent, sur-tout ceux qui annoncent qu'elle aura lieu par les voies urinaires. Tels sont la pesanteur des hypochondres, la constipation, un sentiment de gonflement vers la vessie, des envies fréquentes d'uriner, des ardeurs en urinant, sur-tout à l'extrémité de l'urethre, l'absence des signes qui indiquent les autres excrétions, l'hiver de l'âge & de l'année, le tissu de la peau serré, concourent aussi à faciliter, & par conséquent à dénoter cette évacuation. Mais de tous les signes, le plus lumineux & le plus sûr est celui qu'on tire de l'état du pouls, tel qu'il a été déterminé par M. Bordeu. Voyez POULS. A l'approche d'urines critiques, le pouls devient, suivant cet exact observateur, inégal, mais avec régularité, plusieurs pulsations moindres les unes que les autres, vont en diminuant se perdre pour ainsi dire sous le doigt, & c'est dans ce même ordre qu'elles reviennent de tems en tems ; les pulsations qui se font sentir dans ces intervalles, sont plus développées, assez égales, & un peu sautillantes ; on peut voir dans les recherches sur le pouls, & dans un recueil d'observations de M. Michel, plusieurs exemples d'excrétions critiques d'urines, précédées & annoncées par le pouls ; il n'est pas rare de le voir compliqué avec celui qui est l'avant-coureur & le signe du dévoiement ; aussi est-il très-ordinaire de voir ces deux excrétions se rencontrer, se suppléer ou se succéder mutuellement ; il n'arrive presque jamais que le flux d'urines soit seul suffisant pour terminer les maladies.

III. On peut s'appercevoir aisément par le détail que nous venons de donner des qualités salutaires de l'urine, quelles sont celles qui doivent servir à établir un pronostic fâcheux ; savoir, celles qui sont opposées, car en général on regarde comme mauvaises les urines qui restent long-tems crues sans nuage, énéoreme ou sédiment. Hippocrate condamne les urines qui renferment un sédiment semblable à de la grosse farine, plus encore celles qui sont laminées, , qui contiennent de petites lames ou écailles, ou des matieres comme du son. Les urines blanches, ténues, limpides, sont très-mauvaises surtout dans les phrénésies ; les nuages rouges ou noirâtres, sont un mauvais signe ; tant que l'urine reste rouge & ténue, c'est un signe que la coction n'est pas faite, & si l'urine persiste long-tems dans cet état, il est à craindre que le malade ne succombe avant qu'elle ait pris un meilleur caractere. Les matieres graisseuses qui nagent dans l'urine, en forme de toile d'araignées, sont aussi d'un sinistre augure ; mais les urines les plus mauvaises sont celles qui sont extrêmement fétides, aqueuses, noires & épaisses ; dans les adultes, les noires sont plus à craindre, & les aqueuses dans les enfans. (prog. l. II. n °. 25. 51.) Dans la classe des urines dangereuses, il faut ranger celle qui est bilieuse ; dans les maladies aiguës, celle qui sans être rougeâtre contient des matieres farineuses, avec un sédiment blanc, qui est d'une couleur changeante, de même que le sédiment, sur-tout dans les fluxions de la tête ; celle qui de noire devient bilieuse & ténue, qui se sépare du sédiment, ou qui en renferme un livide semblable à du limon formé par l'adunation des nuages : l'hypochondre, & surtout le droit, est dans ce cas ordinairement douloureux, les malades deviennent d'une pâleur verdâtre, & il se forme des abscès aux oreilles, le dévoiement survenant dans ces entrefaites, est très-pernicieux. Les urines qui paroissent cuites peu-à-peu & sans raison, sont mauvaises, de même que toute coction qui se fait hors de propos ; les urines rougeâtres dans lesquelles il se forme un peu de verd-de-gris, celles qui sont rendues d'abord après avoir bû, sur-tout dans les pleurétiques & les péripneumoniques, celles qui sont huileuses avant le frisson, celles qui sont dans les maladies aiguës verdâtres jusqu'au fond, celles qui sont noires ou ont un sédiment noir, qui contiennent de petits grains épars, semblables à de la semence, & qui sont en même tems douloureuses ; celles qui sont rendues à l'insçu du malade, ou dont il ne se souvient pas ; celles qui dans le cours des fluxions de poitrine sont d'abord cuites & s'attenuent ensuite après le quatrieme jour ; celles qui sont très-blanches dans les fievres ardentes, &c. toutes ces especes d'urine doivent être mises au nombre des signes pernicieux. (coac. praenot. cap. xxvij. n °. 8. 42.) L'interception de l'urine est extrêmement fâcheuse, lorsqu'elle survient dans les fievres aiguës à la suite d'un frisson, sur-tout si elle est précédée d'assoupissement ; elle est pour l'ordinaire l'effet d'un état convulsif de la vessie ; ce symptome est mortel dans les maladies bilieuses, il est souvent produit par le frisson, & annoncé par des horripilations fréquentes dans le dos, & qui reviennent promptement. (coac. praenot. cap. j. & xxvij. prorrhet. lib. I. sect. j.) La difficulté d'uriner est presque toujours un symptome fâcheux, le pissement de sang l'est aussi pour l'ordinaire, sur-tout dans les défaillances accompagnées de douleurs de tête qui succedent au frisson. (ibid. cap. j. n °. 22. & prorrhet. l. I. sect. xj. n °. 23.) Il en est de même des urines très-blanches & écumeuses dans les maladies aiguës, bilieuses. (ibid. n °. 17.) Dans les hydropisies seches, la strangurie ou l'excrétion d'urine goutte à goutte, & l'urine qui ne renferme que très-peu de sédiment, sont très-mauvaises ; & on a aussi tout sujet de craindre pour un hydropique à qui la fievre est survenue, & dont les urines sont troubles & peu abondantes. (coac. praen. cap. xix. n °. 2 & 5.)

IV. Hippocrate ne s'est pas borné à exposer en général les différens états de l'urine qui donnent lieu à un prognostic fâcheux, il est souvent descendu dans l'énumération plus détaillée de la nature, de l'espece des accidens, ou des symptomes auxquels l'on devoit s'attendre après telle ou telle urine : ainsi, suivant cet habile séméioticien, les convulsions sont annoncées par des urines recouvertes d'une pellicule, chargées de sédiment, & accompagnées de frisson, par celles qui renferment un sédiment semblable à de la farine grossiere, ou des membranes ; s'il survient en même tems des réfroidissemens au col, au dos, ou même par tout le corps, par la suppression d'urine, avec frisson & assoupissement ; on peut aussi espérer dans ce cas un abscès aux oreilles ; par des urines écumeuses jointes au réfroidissement du dos & du col, aux défaillances & à l'obscurcissement de la vue ; par les urines rendues involontairement pendant le sommeil, précédées de frissons qui augmentent la nuit, de veilles & de beaucoup d'agitations ; ordinairement alors l'assoupissement se joint aux convulsions ; dans les maladies convulsives, le retour du paroxysme est indiqué par l'excrétion abondante d'urines ténues & limpides. (coac. praenot. prorrhet. passim.) La même qualité des urines annonce, suivant l'observation de Sydenham, l'invasion d'une attaque d'hystéricité, de colique néphrétique, &c. les urines deviennent aussi ténues & limpides au commencement des accès des fievres intermittentes, des redoublemens ; le frisson par lequel ils commencent ordinairement, est marqué par des urines ténues, dans lesquelles on observe aussi des légers nuages ou des énéoremes, quelquefois aussi par des urines dont le sédiment est semblable à de la salive ou de la matiere des crachats , ou à du limon ; d'autres fois l'urine qui renferme un sédiment, & qui étant troublée, dépose ensuite, annonce un frisson pour tout le tems de la crise, dans les fievres tierces des nuages noirâtres, sont des signes d'horripilation vague. (coac. praenot. cap. xxvij. n °. 22. 29.) L'urine dont le sédiment contient de la graine, dénote la fievre ; celle qui contient un sédiment, & qui étant troublée, dépose de nouveau, annonce quelquefois le passage d'une fievre aiguë, en tierce ou en quarte, & les nuages noirs dans les fievres erratiques, sont un signe qu'elles vont se fixer en quarte. (ibid. n °. 24. 27. 29.) Suivant quelques auteurs, une excrétion d'urine très-abondante dans les fievres d'accès, indique leur dégénération en hectique. L'urine dont la couleur approche de l'ochre ou de la brique, abondante & épaisse, avec un sédiment couleur de rose, est une marque que les fievres lentes deviennent hectiques. On peut juger par l'urine sanguinolente rendue au commencement d'une maladie aiguë qu'elle sera longue : l'urine verte qui contient un sédiment roux semblable à de la farine grossiere, fournit le même présage, mais annonce en même tems que la maladie sera dangereuse. (ibid. n °. 23. 32.) On a sujet de craindre une rechûte lorsque l'urine est troublée, & qu'il y a en même tems des sueurs, ou qu'elle a une inégale densité. (ibid. n °. 23 & 39.) Dans ces maladies aiguës, le malade est menacé de délire ou phrénésie. Lorsque les urines sont blanches sans couleur, , qu'elles renferment un énéoreme noir, & qu'il est extrêmement agité, & ne peut dormir, lorsqu'elles sont ténues, aqueuses au commencement de la maladie, & qu'il y a veille, agitation, hémorragie du nez, rémission, & ensuite redoublement, pour l'ordinaire il survient à ces malades une évacuation copieuse de sang par le nez, qui termine heureusement la maladie. (ibid. & cap. ij. n °. 6 & 12.) Le même symptome est annoncé par des douleurs aux jambes avec des urines qui renferment des nuages très-élevés, par des urines rougeâtres, qui ont un énéoreme, mais qui ne déposent point, lorsqu'elles se rencontrent avec la surdité, par ces mêmes urines qui viennent après qu'une douleur à la cuisse a été dissipée. (prorrhet. lib. I. sect. I. & II.) Lorsque les urines sont troubles, comme celles des jumens, on peut assurer qu'il y a douleur de tête, ou qu'elle sera bientôt. (aphor. 10. lib. IV.) Et si par le repos, elles ne déposent point ces matieres qui les troublent, on peut s'attendre à des convulsions, & ensuite à la mort, suivant les observations d'Hippocrate sur la femme de Philinus, sur celle de Dromedaus, & sur Hermocrate. (épidem. lib. III.) Si avec ces urines troubles, il y a douleur de tête, veille opiniâtre, Baglivi croit qu'il y aura délire & léthargie : si le malade est assoupi, a la tête pesante, & le pouls petit, l'urine qui a un sédiment louable, & qui en est tout-à-coup dépourvue, indique un changement dans la maladie, qui se fera avec peine & douleur. (coac. praenot. cap. xxvij. n °. 29.) L'interception de l'urine à la suite de fréquentes & légeres horripilations au dos avec sueur, signifie des douleurs vagues. (ibid. cap. j. n °. 47.) L'urine épaisse avec un sédiment ténu, annonce des douleurs ou une tumeur aux articulations ; on trouve dans les personnes qui ont ces douleurs ou tumeurs, & dans qui elles disparoissent & reviennent de tems-en-tems, sans qu'il y ait rien d'arthritique, les visceres grands, & l'urine chargée d'un sédiment blanc ; si l'urine ne renferme pas ce sédiment, ou s'il ne vient pas des sueurs, l'articulation s'affoiblira, & il s'y formera une espece d'abscès, dont la matiere aura la consistance du miel, un méliceris, , favus. Ces malades sujets à des douleurs vagues dans les hypocondres, sur-tout dans le droit, rendent, après que la douleur est cessée, une urine épaisse & verte. (prorrhet. lib. II.) Si l'urine reste long-tems crue, & qu'on observe les autres signes salutaires, on doit s'attendre à voir terminer la maladie par des douleurs & un abscès communément dans les parties au-dessous du diaphragme ; il se fera une métastase salutaire à la cuisse, si le malade sent courir des douleurs dans la région des lombes. (coac. praen. cap. xxvij. n °. 21.) Il peut aussi se faire que des urines aqueuses avec un énéoreme blanc, diversement blanchâtres & fétides, déterminent l'abscès aux oreilles. (prorrhet. lib. I. sect. III. n °. 71.) Dans les fievres longues, légeres, erratiques, la ténuité des urines est un signe que la ratte est attaquée. (coac. praenot. cap. xxvij. n °. 40.) Les urines brunâtres semblables à de la lessive, jointes avec difficulté de respirer, indiquent la leucophlegmatie. (ibid. n °. 24.) La suppression d'urine, ou la difficulté d'uriner, donne lieu à l'hydropisie, lorsqu'elle survient à des personnes d'un tempérament bilieux, qui ayant le dévoiement, rendent des matieres muqueuses, semblables à de la semence, & ont des douleurs à la région du pubis. (ibid. cap. xjx. n °. 4.)

Les différentes variétés que nous avons observées dans l'urine ne dépendent souvent que d'un vice local dans les reins ou la vessie, alors elles ne sauroient nous instruire des affections du reste du corps, elles ne peuvent que nous faire connoître le vice de ces parties ; c'est pourquoi Hippocrate, dans l'examen des urines, recommande beaucoup d'y faire attention afin d'éviter des erreurs désavantageuses pour les médecins, & funestes au malade. Prognost. l. II. n °. 33. On peut s'assurer que la vessie ou les reins sont affectés par les causes qui ont précédé, & par les symptomes présens, sur-tout par les douleurs que le malade rapporte à la région de ces parties. Ainsi, lorsque les urines renferment du sang liquide, ou des grumeaux, qu'elles coulent goutte-à-goutte, & que l'hypogastre & le périnée sont douloureux, il n'est pas douteux que la vessie, ou les parties qui l'environnent soient attaquées ; le pissement de sang, de pus & d'écailles extrêmement fétide désigne l'ulcération de cette partie. L'on a lieu de croire que la vessie est attaquée d'une espece de gale, lorsque les urines sont épaisses & charrient beaucoup de matiere, comme du son : le calcul se manifeste par la strangurie & les urines sablonneuses, &c. une douleur subite aux reins avec suppression d'urine, présage l'excrétion d'urines épaisses, ou de petits graviers ; elle indique leur passage par les uretheres. Lorsque l'urine étant épaisse se trouve chargée de caroncules, & d'especes de poils, c'est une marque que l'affection est dans les reins. Le pissement de sang spontané dénote aussi le vice dans la même partie ; savoir, la rupture d'une veine, l. IV. aphor. 75. 81.

Quelques auteurs ont prétendu que les urines brillantes, limpides, qui laissoient des crystaux tartareux aux parois des vaisseaux, étoient un signe d'affection scorbutique & hyppochondriaco-spasmodicoarthritique ; que les urines pourprées, ténues, limpides & écumeuses étoient un indice de pleurésie ; que lorsque dans l'écume il y avoit de petits grains, c'étoit une marque de paralysie d'autant plus certaine, que les grains étoient plus petits ; que l'urine épaisse comme de la saumure, couverte d'une pellicule muqueuse & grasse, indiquoit sûrement la vérole, quand il n'y avoit point de toux : que l'urine dont les nuages étoient comme autant de petits flocons, & dont l'écume étoit long-tems à se dissiper, dénotoit la phthisie ; que l'urine citrine, comme du vin, claire, avec un sédiment couleur de rose, peu abondant & floconeux, annonçoit des mouvemens hémorroïdaux aux personnes bien portantes âgées de 26 ou de 30 ans ; on a été jusqu'à ranger parmi les signes de grossesse l'urine claire & remplie de petits atomes, courant de côté & d'autre ; enfin on a prétendu tirer des urines beaucoup d'autres signes encore moins certains ; Nenter en fait un détail assez long, mais qui est encore bien loin d'être complet. Théor. méd. part. III. cap. viij. Je ne parle pas de ces charlatans effrontés qui prétendent connoître toutes les maladies par la seule inspection des urines, & qu'on voit courir les foires, monter sur des tréteaux, & s'afficher sous le titre important de médecins des urines ; les gens éclairés, parfaitement instruits de l'ignorance & des fourberies de ces imposteurs, ne peuvent que s'en mocquer : ils les honoreroient trop, ou s'abaisseroient trop eux-mêmes, s'ils prenoient la peine de les critiquer : le peuple, pour qui le singulier est une amorce toujours sûre de le frapper & de l'attirer, court en foule porter à ces prétendus guérisseurs son urine & son argent ; il ne s'apperçoit pas qu'il raconte lui-même sa maladie, & il est tout ébahi de se l'entendre détailler en d'autres termes sur le seul examen de son urine ; pénétré d'admiration, il achete la drogue du charlatan, & la prend avec cette aveugle confiance, qui dans les maladies légeres suffit seule pour la guérison ; mais dans les cas graves, il ne tarde pas à ressentir les mauvais effets d'un remede, souvent violent, administré avec aussi peu de connoissance & de précautions, & meurt ordinairement victime de sa crédulité, sans s'en appercevoir, & ce qui est pis, sans corriger les autres. Au reste, quand je dis le peuple, je n'entends pas seulement les gens pauvres destinés à vivre du travail de leurs mains, & à la sueur de leur front ; je suis trop convaincu que sur-tout dans ce qui concerne la santé il y a autant de peuple dans les palais que dans les chaumieres.

V. Il ne nous reste plus qu'à exposer les signes tirés des urines, qui font craindre le plus grave & le dernier des accidens ; je veux dire la mort. Voyez ce mot. Les qualités de l'urine qui servent à établir ce pronostic fâcheux, varient suivant les cas, & les symptomes avec lesquels elles se rencontrent. Ainsi, dans les personnes bilieuses la suppression d'urine est une cause & un signe de mort prochaine ; dans les pleurésies l'urine sanguinolente, d'un rouge foncé, presque noire, ténébreuse, , avec une sédiment peu louable, , est ordinairement mortelle dans quatorze jours : ce symptome est très-fréquent dans les pleurésies dorsales, qui sont si dangereuses. Dans les mêmes maladies l'urine porracée avec un sédiment noir, ou semblable à du son, n'est pas moins funeste ; celle qui renferme des peaux semblables à des toiles d'araignées, indique une colliquation qui emporte en peu de tems le malade. Coac. praenot. cap. xxvij. n °. 18. 19. 24. Dans les péripneumonies les urines d'abord épaisses, ensuite atténuées au quatrieme jour, sont un signe mortel. Ibid. cap. xiv. n °. 40. Il n'y a plus rien à esperer des malades lorsque l'urine sort sans qu'ils s'en apperçoivent, ils tombent dans des foiblesses dont il n'est pas possible de les tirer. Ibid. cap. xxj. n °. 4. Lorsqu'à la strangurie survient la passion iliaque, le malade meurt le septieme jour, la fievre seule excitant une abondante excrétion d'urine, peut prévenir cette fatale terminaison. Ibid. n °. 5. Dans les malades qui sont sur le point de mourir, les urines sont quelquefois rougeâtres & promptes à fermenter. Prorrhet. lib. I. sect. ij. n °. 39. Si dans ces douleurs de vessie, dont nous avons parlé plus haut (11.) l'urine étant devenue purulente n'apporte aucun soulagement, si la vessie n'est pas plus molle, & si la fievre est toujours forte, il est à craindre que le malade succombe. Prognost. lib. II. n °. 82. En général les urines noirâtres, huileuses, très-fétides, fournissent un pronostic de mort, si elles ne sont accompagnées d'aucun signe critique, & si au-contraire elles se rencontrent avec des symptomes graves.

Il ne faut pas s'attendre que toutes les propositions que nous avons données soient toujours rigoureusement vraies, & que tous les signes que nous venons d'exposer soient constamment suivis de leur effet, & par conséquent infaillibles, 1°. parce qu'en médecine il n'y a rien d'absolument certain, & que le plus haut degré de certitude médicinale ne va jamais audelà d'une grande probabilité ; 2°. parce qu'il en est des signes tirés de l'urine comme de ceux que fournissent les autres actions du corps : seuls, ils sont pour l'ordinaire fautifs ; réunis & combinés ensemble, ils se prêtent naturellement de la force & de la sûreté, & concourent à établir des pronostics assez probables : 3°. on pourroit encore ajouter que l'urine peut plus facilement induire en erreur, parce qu'il est très-difficile de connoître en quoi & de combien elle s'écarte dans les maladies de l'état naturel, parce que la même urine peut signifier différentes choses ; l'urine limpide & abondante annonce chez les uns une attaque de néphrétique, chez les autres un redoublement, chez ceux-ci le délire, chez ceux-là peut-être une excrétion critique, chez quelques-autres l'effet d'une boisson aqueuse prise en quantité, &c. parce que la moindre passion d'ame, la plus légere émotion peut changer considérablement l'état de l'urine, parce qu'elle varie suivant qu'elle est vieille ou récente, qu'on l'a laissée long-tems en repos, ou qu'on l'a agitée, &c. c'est pourquoi un médecin prudent, qui ne veut ni risquer sa réputation, ni hazarder le bien de ses malades, ne se contente pas de l'examen de l'urine ; il ne le néglige cependant pas ; il joint les lumieres qu'il en retire à celles qu'il peut obtenir des autres côtés, & parvient par ce moyen à répandre un certain jour sur l'état actuel & futur des malades qui lui sont confiés : il sait d'ailleurs que le principal usage de l'examen des urines est pour connoître le tems de la coction dans les maladies aiguës, qu'il y sert infiniment, & qu'il est aussi utile dans les affections du foie, dans l'hydropisie, le calcul, les ulceres des reins & de la vessie, qu'il est moins avantageux dans les maladies de la tête & de la poitrine, encore moins dans les affections nerveuses, hystériques, hypocondriaques, & qu'enfin ces signes sont les plus souvent fautifs, lorsqu'on prétend s'en servir pour distinguer des maladies particulieres.

On voit encore par-là ce qu'il faut penser de ces gens, qui, sur des urines apportées de loin, agitées, ballotées en divers sens, très-vieilles & par-là souvent décomposées, prétendent décider de l'âge, du tempérament, de l'état de santé, ou de maladie, & de l'espece de maladie de ceux qui les ont rendues. Mais n'insistons pas davantage sur cet article, nous ne parviendrons jamais à corriger ces charlatans, ils trouvent leur intérêt à tromper ; encore moins réussirons-nous à désabuser le peuple de sa sotte crédulité, il veut être trompé, & mérite de l'être. (m)

URINE, maladies de l ', (Médecine) les maladies que nous allons examiner regardent principalement l'excrétion de l'urine, leur division naît des différentes manieres dont cette fonction peut être altérée. Dans l'état naturel l'urine sort à plein canal de la vessie par l'urethre, formant un jet continu, sans douleur, & avec une certaine force ; cette excrétion ne se fait qu'à différentes reprises plus ou moins rapprochées, suivant les âges, les sujets, les tempéramens, les sexes, les saisons, &c. mais toujours par un effort volontaire ; il y aura vice dans cette excrétion, & par conséquent maladie, dès que toutes ces qualités ne se rencontreront pas, ce qui pourra arriver 1°. lorsque l'urine ne coulera point du tout ; cette maladie est connue sous le nom grec , ischurie, qui répond à suppression ou rétention d'urine. 2°. Lorsque l'excrétion sera difficile & douloureuse, ce qui constitue la dysurie, ardeur ou difficulté d'urine. 3°. Lorsque l'urine, au-lieu de sortir sans interruption & de droit-fil, ne coulera qu'avec peine & goutte-à-goutte, ce dérangement a conservé en françois le nom grec strangurie ; les Latins l'appellent indifféremment urinae stillicidium & stranguria. 4°. Lorsque l'urine s'écoule continuellement de la vessie, sans qu'il se fasse aucun effort, & que la volonté y ait part, on nomme ce symptome incontinence d'urine. 5°. Lorsque l'excrétion d'urine sera fréquente & très-copieuse ; si cet accident persiste quelque tems, & si la matiere même des urines est considérablement altérée au point qu'elles aient une consistance huileuse, une saveur douçâtre comme du miel, & une couleur cendrée ou laiteuse ; la maladie qui résulte du concours de ces symptomes s'appelle diabete, ; nous n'en parlerons pas ici, parce qu'elle est suffisamment détaillée à l'article DIABETE, auquel nous renvoyons le lecteur : nous allons exposer en peu de mots ce qui regarde les autres maladies, & nous ajouterons à la suite quelques remarques sur les altérations morbifiques de la matiere même des urines, telles que le pissement de sang, de pus, de poils, &c.

I. Ischurie ou suppression d'urine. Elle est assez caractérisée par l'écoulement suspendu des urines. Il s'y joint quelquefois d'autres symptomes accidentels, comme douleur, tension à l'hypogastre ou aux reins, fievre, vomissement, délire, &c. L'ischurie peut être attribuée à un vice des reins, des uréteres, ou de la vessie, ce qui en constitue deux especes principales, qu'on ne doit point perdre de vue dans la pratique : dans la premiere espece, qu'on nomme fausse ou bâtarde, il ne descend point d'urine dans la vessie, soit qu'il ne s'en sépare point en effet dans les reins, soit que la sécrétion ayant lieu, elle ne puisse sortir des reins obstrués, ou qu'elle trouve un obstacle insurmontable dans les uréteres. Dans la seconde espece, l'urine se ramasse dans la vessie, elle la distend, l'éleve en tumeur, dont la circonscription imite sa figure, & qui présente une fluctuation plus ou moins apparente à l'hypogastre, excite des envies inutiles de pisser, des picotemens dans la vessie ; ces signes distinguent l'ischurie vraie, légitime, de l'autre, dans laquelle on n'apperçoit aucun de ces symptomes, & au-contraire on sent un vuide à la région de la vessie, & on y fait entrer inutilement la sonde, &c.

La même variété que nous venons d'observer dans la maladie, doit nécessairement se rencontrer dans les causes qui lui donnent naissance ; l'ischurie vraie est produite ou par le défaut de la faculté expulsive de la vessie, pour nous servir du langage très-juste des anciens, ou par des obstacles qui s'opposent à son effet, quoique d'ailleurs suffisant, ou par le concours de ces deux causes : 1°. la faculté expulsive n'est autre chose que le muscle de la vessie qui s'étend en forme d'éventail, principalement sur ses parties postérieures & supérieures, & qu'on a appellé la tunique musculaire, dont Morgagni défend vivement, & prouve très-bien l'existence contre Bianchi, Epistol. anat. 1. n °. 62. Mais ce muscle ne jouit de cette propriété de pouvoir chasser l'urine hors de la vessie, qu'autant qu'il est susceptible d'irritation, & capable de contraction : il peut perdre son irritabilité & sa contractilité par la paralysie des nerfs qui vont se répandre dans son tissu, à la suite des attaques ordinaires d'apoplexie, de paralysie générale, & sur-tout par la luxation des vertebres inférieures du dos, comme Galien dit l'avoir vu arriver, lib. de loc. affect. VI. cap. iv. & comme je l'ai observé moi-même sur un jeune homme qui se luxa l'épine en tombant de fort haut, qui ne put uriner pendant très-longtems qu'au moyen de la sonde, & qui cependant ne mourut pas, quoique tous les autres s'accordent à dire que la mort suit constamment ces sortes de luxations. La vessie peut aussi devenir insensible dans un âge très-avancé en se racornissant ; la contraction du muscle excréteur peut être empêchée par la distension trop grande de la vessie qu'occasionnera une quantité considérable d'urines retenues volontairement par paresse, par décence, par modestie, ou par quelqu'autre raison semblable, toujours au-moins déplacée, pour ne pas descendre de cheval, ou d'une voiture, par exemple, pour ne pas sortir d'une église ou d'une compagnie, pour ne pas interrompre une affaire pressante, ou faute de trouver un endroit propre écarté du monde pour satisfaire à ce besoin, qui, étant naturel, ne doit rien avoir de honteux ; dans tous ces cas le muscle distendu au-delà du ton convenable, ne peut pas réagir sur l'urine, & à chaque instant la cause augmente, & l'ischurie s'affermit. Il arrive aussi dans quelques cas de délire & de léthargie, que le malade oubliant d'uriner, donne lieu à une congestion d'urine, & par conséquent à l'ischurie.

2°. Les obstacles qui peuvent empêcher l'effet de la contraction de la vessie ou l'excrétion de l'urine, doivent être placés au col de la vessie ou dans le canal de l'urethre ; le col ou l'orifice de la vessie peut être resserré & bouché par la constriction, l'inflammation du sphincter, par toute sorte de tumeurs qui obstruent au-dedans ou compriment au-dehors, par l'amas de mucosité, de pus, par des grumeaux de sang, & plus fréquemment par des graviers ou un calcul ; les carnosités qui naissent dans l'intérieur de l'urethre à la suite des gonorrhées virulentes inhabilement traitées, & qui peuvent grossir au point de remplir la capacité du canal, sont le vice le plus ordinaire, par lequel ce canal contribue à l'ischurie ; on pourroit ajouter l'imperforation de l'urethre ; mais il n'est pas d'usage qu'on donne le nom d'ischurie à la suppression d'urine, que cette cause produit dans les enfans nouveau-nés.

L'ischurie fausse a lieu, ou lorsqu'il ne se fait point dans les reins de secrétion, ou lorsque l'urine séparée ne peut pas pénétrer des reins, dans les uréteres, ou de ces canaux dans la vessie ; les obstacles qui s'opposent à ce passage peuvent être des grumeaux de sang, des matieres purulentes, & plus souvent des graviers, ce qui cause alors la colique néphrétique ; ce passage peut aussi être empêché par l'inflammation & les diverses tumeurs, soit de ces parties, soit des parties environnantes ; mais il est à-propos de remarquer que pour que la suppression d'urine soit totale, il faut que les deux reins ou uréteres soient également affectés. La secrétion de l'urine est rarement suspendue par le vice des reins, ces organes sont presque passifs, ont peu d'action propre, ils ne font presque que l'effet d'un filtre ; ainsi à-moins qu'ils ne soient extrêmement resserrés par quelque passion subite, par une attaque de convulsion ou d'hystéricité, &c. ou qu'ils ne soient dans un relâchement total, ils n'empêchent pas la filtration de l'urine ; les causes les plus ordinaires sont les hydropisies où la sérosité est déterminée ailleurs, les fievres ardentes où elle est dissipée, les sueurs immodérées, les dévoiemens continuels qui la consomment, &c. cette secrétion est aussi empêchée quelquefois dans certaines fievres malignes, où il y a beaucoup de symptomes nerveux, &c. & dans tous ces cas l'ischurie est appellée symptomatique.

A quelle cause que doive être attribuée l'ischurie, elle est toujours accompagnée d'un danger plus ou moins pressant, (voyez URINE, séméiotiq.) elle est mortelle, si elle dure plus de sept jours ; le tenesme, le hoquet, les vomissemens urineux, une odeur urineuse qu'exhale le malade, sont les signes qui annoncent & préparent cette funeste terminaison ; il y a beaucoup plus à craindre de l'ischurie fausse, que de la vraie, elle est aussi plus rare ; celle qui vient par défaut de secrétion est encore plus fâcheuse. La matiere des urines reste dans le sang, donne lieu à des hydropisies, ou excite des maladies plus graves & moins longues ; j'ai vu survenir une fievre maligne que la mort termina en peu de jours à la suite d'une fausse ischurie ; lorsqu'elle doit son origine à des graviers arrêtés dans les uréteres ou dans le bassinet des reins, elle entraîne comme nous avons déja dit, les symptomes douloureux d'une colique néphrétique, double accident qui rend le danger beaucoup plus prochain ; l'ischurie vraie qui est produite par un calcul arrêté au col de la vessie peut se dissiper assez aisément, en faisant changer de place à la pierre ; celle qu'a occasionné la paralysie du muscle excréteur, quoique pour l'ordinaire incurable, n'est pas dangereuse, parce qu'on peut artificiellement vuider la vessie ; il n'en est pas de même de celle qui reconnoît pour cause l'inflammation du sphincter de la vessie, ou des parties voisines, des tumeurs nées dans ces parties ou dans le canal de l'urethre, parce qu'avant qu'on soit venu à-bout de faire cesser l'action de ces causes, l'ischurie a eu le tems de devenir incurable.

C'est dans les maladies de cette espece, que le fameux axiome principiis obsta, &c. doit être principalement suivi ; chaque instant qu'on tarde d'y apporter remede, aggrave la maladie & rend le secours moins efficace ; le but qu'on doit se proposer ici est de détruire la cause qui a produit & entretient l'ischurie ; comme ces causes varient, il faut examiner attentivement celle qui doit occuper, & lorsqu'on l'a exactement déterminée y diriger le traitement.

1°. L'ischurie fausse où il ne se fait point de secrétion pour l'ordinaire, symptome d'une fievre ardente ou maligne, doit suivre le traitement de la maladie de qui elle dépend, on peut seulement insister davantage sur les diurétiques, froids ou chauds, suivant les circonstances, sur les boissons abondantes, les tisanes nitrées, les lavemens émolliens, &c. Quand elle est une suite de l'hydropisie, il faut avoir recours aux diurétiques un peu actifs, aux sels neutres ou alkalis fixes, aux lessives de cendres, aux sucs apéritifs de cerfeuil, de chien-dent, de persil, dans lesquels on écrase des cloportes, &c. voyez HYDROPISIE ; les diarrhées & les sueurs excessives doivent être combattues avec les remedes qui leur sont propres, combinés avec ceux qui poussent par les urines.

2°. Lorsque la même espece d'ischurie, jointe à la colique néphrétique est produite par de petits graviers arrêtés dans les conduits urinaires ou dans les uréteres, il faut employer les remedes indiqués dans la colique néphrétique & exposés à cet article ; les principaux sont la saignée, les bains ou demi-bains, les fomentations émollientes, les tisanes de même nature, les huileux & les narcotiques. Voyez NEPHRETIQUE, COLIQUE.

3°. Lorsque l'urine parvenue dans la vessie n'en peut pas sortir, soit par le défaut de la faculté expultrice, soit par des obstacles qui s'opposent à son action ; il faut, 1°. tâcher, comme nous l'avons dit, d'emporter la cause ; 2°. si l'on ne peut le faire assez promptement, procurer par l'art une issue à l'urine ; la paralysie de la vessie causée par la luxation de l'épine du dos est incurable ; celle qui succede à l'apopléxie & qui dépend des causes générales de paralysie, doit être combattue par les remedes actifs spiritueux, nervins, & sur-tout par les vésicatoires, dont l'effet porte spécialement sur les voies urinaires qu'on a coutume d'employer dans les cas ordinaires de paralysie, voyez ce mot ; mais comme ce traitement est très-long & souvent infructueux, on est obligé de vuider la vessie par le moyen de la sonde dont l'usage est d'autant plus convenable, qu'il peut se faire sans douleur & sans inconvénient. Si l'orifice de la vessie est bouché par des grumeaux de sang ou de pus, ou autres ; on peut avec la sonde les diviser & donner passage à l'urine qui peut en entraîner une partie, le même instrument est aussi très-convenable si c'est un calcul qui soit engagé dans le col de la vessie, en le repoussant ou le dérangeant, on fait cesser l'ischurie ; on peut aussi le faire changer de place, en faisant coucher le malade sur le dos & le secouant un peu rudement ; ce moyen est plus doux que la sonde, il doit toujours être tenté auparavant. Quand l'inflammation se joint au calcul, ou même qu'elle seule produit l'ischurie, l'usage de la sonde doit être banni, il ne peut qu'avoir de mauvais effets, il faut tâcher de faire cesser l'inflammation par quelques saignées, des fomentations émollientes, des légeres injections, des boissons antiphlogistiques & autres secours qui conviennent à l'inflammation, voyez cet article ; les carnosités dans l'urethre empêchent aussi l'usage de la sonde, on ne peut les détruire que par les bougies, qu'il faut introduire légerement & pousser tous les jours un peu ; mais si ces remedes agissent trop lentement, l'ischurie est déja invétérée ; s'il est à craindre qu'elle n'entraîne des accidens graves, ou même la mort, il faut avoir recours à des secours qui donnent promptement issue à l'urine amassée & qui se corrompt ; on peut essayer encore la sonde, sur-tout ayant soin de l'introduire avec beaucoup de précaution ; que le chirurgien se garde bien de vouloir déployer ses graces & montrer une adresse déplacée, en se servant du tour qu'il appelle communément tour de maître, qui consiste à faire entrer la sonde dans l'urethre, en tournant la partie convexe du côté du ventre, & lorsqu'elle est ou qu'on la croit parvenue au verumontanum, à la détourner subitement & enfiler ainsi la vessie ; cette méthode me paroît fautive, en ce que le chirurgien peut prendre une carnosité pour l'éminence qui doit le guider, qu'il entre trop précipitamment, qu'il risque de déchirer toutes ces parties enflammées & tendues, d'augmenter l'inflammation & d'occasionner la gangrene, & qu'il est enfin exposé à faire de fausses routes ; toutes ces considérations, s'il est capable de faire céder sa satisfaction à l'intérêt du malade, doivent l'engager à préférer la façon ordinaire de sonder, plus grossiere & en même tems plus solide, à une méthode qui n'a que le vain & frivole mérite d'un peu plus d'élégance & de dextérité. Si enfin, on ne peut pas pénétrer par le moyen de la sonde dans la vessie ; il ne faut pas trop insister de peur d'irriter ces parties & de rendre l'engorgement plus considérable, il ne reste plus qu'un expédient qu'il faut absolument prendre ; quoiqu'il soit très-douteux, il rend incertaine une mort, qui à son défaut seroit infailliblement & prochainement décidée ; je parle de la ponction au périnée, ou à l'hypogastre, c'est le cas de suivre l'axiome de Celse, melius est anceps quam nullum experiri remedium. Quelques auteurs vantent beaucoup dans ces cas désespérés, la vertu admirable de la pierre néphritique. Jacques Zabarella a guéri, suivant le rapport de Rhodius, Nicolas Trevisanus, professeur en médecine, d'une suppression d'urine en lui attachant au bras cette merveilleuse pierre ; dès que le malade l'eut, il rendit le calcul qui étoit la cause de sa maladie, & tant qu'il l'a portée, il n'en a plus ressenti aucune atteinte ; ce qui n'est pas fort étonnant, puisque la cause étoit emportée. Le même auteur rapporte, que André Schogargus, célebre médecin de Padoue, éprouva dans un cas semblable le même effet de cette pierre dans un paysan, à la cuisse duquel il l'avoit fait attacher. (Joann. Rhodius, observ. 30. centur. III.) Nicolas Monardes raconte des observations aussi surprenantes (lib. de simplic. medicam. ex novo orbe delatis.) Je suis très-persuadé que ces faits, quoiqu'attestés par des auteurs dignes de foi, trouveront encore beaucoup de lecteurs incrédules qui aimeront bien attribuer les guérisons, si elles sont vraies, à la confiance, aux remedes pris antérieurement & à toute autre cause qu'à un remede, dont la maniere d'agir est si opposée aux idées qu'ils ont ; ils ne manqueront pas de penser que les effets qui ont suivi l'application de ce remede, ont été beaucoup exagérés par les témoins ou intéressés, ou admirateurs enthousiastes, ou trompeurs, ou trompés ; & pour appuyer leur sentiment sur l'inefficacité d'un pareil amulete, ils pourront se fonder sur le témoignage de Luc Tozzi, qui assure avoir employé cette pierre plusieurs fois & toujours fort inutilement, & qui a la bonhommie de rejetter ce défaut de succès sur la falsification. (Medec. pract. part. II.)

Dysurie ou difficulté d'uriner. Le symptome qui constitue cette maladie, est une excrétion pénible & douloureuse de l'urine, qui est le plus ordinairement jointe à un sentiment d'ardeur plus ou moins considérable, rapporté au col de la vessie & tout le long de l'urethre, d'où lui est aussi venu la dénomination familiere d'ardeur d'urine.

Pour que la dysurie ait lieu, il faut ou que l'urine devienne plus irritante, ou que la sensibilité des parties par où elle passe augmente. Le premier vice mérite d'être accusé, 1°. lorsque le phlegme de l'urine se trouve en très-petite quantité & insuffisant pour délayer les parties huileuses & salines, qui seules sont capables d'irriter, c'est ce qui arrive surtout dans les hydropisies & dans les fievres ardentes bilieuses ; 2°. lorsque l'urine se trouve chargée de molécules étrangeres, de petits corps pointus anguleux, comme des graviers, du sable, des débris de calcul, un sédiment trop épais, & suivant l'observation de Sennert, une matiere blanchâtre & laiteuse qu'on a pris mal-à-propos pour du pus, & dont la quantité est souvent si considérable, qu'elle remplit la moitié du pot-de-chambre.

Les causes qui rendent l'urethre & le col de la vessie plus sensibles, plus irritables, sont l'inflammation, l'exulcération, la tension excessive de ces parties ; la légere sensation, que faisoit auparavant l'urine sur ces parties dans l'état naturel, devient alors si forte, si vive, qu'elle en est douloureuse. La douleur n'est le plus souvent qu'une sensation agréable portée à l'excès ; de même que le vice n'est fréquemment qu'une vertu qui a dépassé les bornes qui lui étoient prescrites. Cet état morbifique des parties mentionnées, est la suite & l'effet ordinaire des gonorrhées virulentes ; aussi la dysurie en est un symptome constant ; elle est moins forte dans les femmes que dans les hommes, parce que dans ceux-ci, c'est l'urethre, & sur-tout la partie intérieure, que traverse l'urine, qui est affectée, qui est le siege de l'ulcere & de l'inflammation ; au-lieu que dans les femmes, la gonorrhée occupe les divers glandes du vagin quelquefois loin de l'urethre, mais jamais l'intérieur de ce canal. Souvent la dysurie succede aux gonorrhées, c'est sur-tout lorsqu'un chirurgien imprudent s'est servi pour arrêter l'écoulement d'injections astringentes, ou lorsqu'il reste des carnosités dans l'urethre. Un calcul raboteux engagé dans le col de la vessie peut aussi l'irriter, l'enflammer & l'ulcérer ; enfin, les cantharides appliquées à l'extérieur, ou prises intérieurement, exercent spécialement leur action sur les voies urinaires, sur la vessie, & augmentent considérablement la tension & la sensibilité, & sont aussi une cause très-fréquente de dysurie, lorsqu'on les laisse trop long-tems appliquées à l'extérieur, qu'elles mordent trop, ou qu'on en prend intérieurement une dose considérable, & qu'on insiste longtems sur l'usage.

Cette maladie est pour l'ordinaire plus incommode que dangereuse ; rarement contribue-t-elle a accélérer la mort de ceux qui l'éprouvent, lorsqu'elle survient aux vieillards, sur-tout à ceux qui ont fait un grand usage du vin & des liqueurs spiritueuses ; elle n'est pas susceptible de guérison, & les accompagne jusqu'au tombeau. La dysurie, qui dépend d'autres causes, peut se guérir assez sûrement, quelquefois même avec assez de facilité.

Le traitement qui convient à la dysurie, ne sauroit être uniforme & toujours le même dans les différents cas, il doit varier relativement aux causes auxquelles elle doit être attribuée ; il faut user d'autres remedes quand l'urine est viciée, que quand c'est le vice des parties solides qu'il faut accuser, & les diversifier encore suivant les causes particulieres. Ainsi, 1°. la dysurie qui dépend d'une altération d'urine que nous avons dit se rencontrer dans les fievres ardentes & les hydropisies, doit être combattue par des remedes qui déterminent à la vessie une plus grande abondance de sérosité. Les remedes qui remplissent cette indication dans le premier cas, sont les diurétiques froids, les émulsions, les boissons abondantes, les tisanes acides nitreuses émulsionnées, le petit-lait, l'eau de poulet, &c. Dans le second, ce sont les diurétiques chauds, les sels lixiviels neutres ou alkalis, les insectes, &c. Voyez ISCHURIE.

Ces mêmes remedes sont très-bien indiqués lorsque le sédiment de l'urine est trop épais & trop abondant ; mais lorsqu'il y a des graviers, il faut choisir les médicamens les plus appropriés pour les fondre, ou du-moins pour les chasser & en prévenir la formation : on les appelle lithontriptiques. Voyez ce mot. Dans cette classe, sont la verge d'or, la saxifrage, le bois néphrétique, la chaussetrape, la bouxerole, remede connu & usité depuis long-tems à Montpellier, & qu'on prétend donner aujourd'hui pour nouveau ; la térébenthine, les baumes, l'eau de chaux, dont j'ai éprouvé moi-même sur un malade calculeux l'efficacité, & j'ai appris qu'on ne doit point s'effrayer par la prétendue causticité que lui attribuent ceux qui ne l'ont jamais employée.

2°. La sensibilité de la vessie & de l'urethre portée à un trop haut point, indique en général les émolliens, calmans, anodins, narcotiques. On peut les employer extérieurement, intérieurement, & s'en servir en lavemens & pour matiere d'injections dans la vessie, qu'on fera avec beaucoup de circonspection ; les plus efficaces de cette classe, sont le nymphaea, les semences froides, les racines d'althaea, le lait, les semences de psyllium, &c. & si les douleurs sont trop vives, on en vient aux narcotiques, lorsqu'il y a inflammation, la saignée peut soulager. Dans les gonorrhées violentes, & sur-tout dans celles qu'on appelle cordées, où l'ardeur d'urine est excessive, on peut la diminuer un peu en plongeant la partie affectée dans l'eau, ou le lait tiedes. Les bains généraux sont aussi très-avantageux ; on tire du soulagement des émulsions prises en se couchant, auxquelles l'on ajoute du syrop de nymphaea, ou même de celui de pavot. Tous ces secours ne doivent point être négligés lorsque la dysurie est produite par un calcul anguleux qui irrite le col de la vessie ; mais ils ne peuvent que pallier le mal, ou en diminuer la violence : l'opération est le seul secours vraiment curatif. J'ai réussi avec l'eau de chaux à rendre cette excrétion plus facile & moins douloureuse dans un homme qui avoit la pierre : on pourroit aussi tenter le même remede avant de soumettre le malade à une opération cruelle & incertaine. Le lait est un remede spécifique dans la dysurie qui provient de l'application des cantharides : on peut donner le petit-lait, l'hydrogala, les liqueurs émulsives ; toutes ces préparations du lait sont constamment suivies du succès le plus prompt & le plus complet. Si la médecine possédoit beaucoup de remede aussi efficaces, aussi sûrs que l'est le lait dans ce cas, le projet de l'immortalité deviendroit bien moins chimérique.

Strangurie ou excrétion d'urine goutte-à-goutte. Le nom de cette maladie en indique suffisamment la nature & le caractere ; on peut en compter deux especes relativement aux accidens qui s'y joignent ; quelquefois la strangurie est accompagnée de beaucoup d'ardeur & de douleur, & des autres symptomes qui sont propres à la dysurie, dont elle ne differe alors que par la maniere dont se fait l'excrétion. (Voyez ci-devant DYSURIE.) Les causes sont à-peu-près les mêmes, les plus fréquentes sont un calcul engagé dans le col de la vessie, l'inflammation de cette partie & des carnosités dans l'urethre, qui se rencontrent avec une foiblesse, une atonie du sphincter ; cette espece de strangurie est assez comparable au tenesme. Dans les deux cas, des efforts continuels & douloureux ne produisent qu'une excrétion très-modique ; d'autres fois, l'urine sort sans gêne & sans douleur, ou continuellement à mesure qu'elle se sépare, comme dans l'incontinence d'urine ; ce qui vient d'un relâchement total du sphincter, ou par intervalles, ayant eu le tems de se ramasser en certaine quantité ; alors la continuité du fil de l'urine est pour l'ordinaire rompue par des obstructions placées à la naissance de l'urethre, & par le rétrécissement du col de la vessie.

La premiere espece de strangurie qui a les symptomes & les principes communs avec la dysurie, fournit à-peu-près le même pronostic, & exige les remedes absolument semblables ; elle est un peu plus incommode, & même comme elle approche plus de l'ischurie, elle en devient aussi plus dangereuse. Hippocrate a remarqué que si la passion iliaque survenoit à la strangurie, les malades mourroient dans sept jours, à moins que la fievre ne fût excitée & suivie d'un flux abondant d'urines. (Aphor. 44. lib. VI.) Mais le même auteur a observé que la strangurie étoit quelquefois dans les maladies aiguës un signe très-favorable, une affection critique & salutaire. (Epidem. lib. I. stat. 2. &c.) Voyez URINE, (Séméiotiq.)

La seconde espece de strangurie très-familiere aux vieillards, n'est qu'incommode ; elle n'exige aucun remede, & élude l'efficacité de ceux qu'on verroit les plus appropriés ; ainsi, il faut les laisser vivre avec cette incommodité, plutôt que de les fatiguer inutilement par des drogues détestables, ou même les faire mourir plus tôt, en prétendant les en délivrer. Que de cas semblables se rencontrent dans la pratique où le médecin le plus officieux est souvent désagréable & quelquefois nuisible !

Diabetes ou flux abondant & colliquatif. Voyez DIABETES.

Incontinence d'urine. Cette maladie consiste dans une excrétion plus ou moins fréquente d'urine, faite sans aucun effort, & involontairement ; il y a des cas où l'urine s'échappe ainsi de la vessie, à mesure qu'elle y découle par les uréteres ; cette secrétion se fait goutte à goutte, & forme une espece de strangurie ; il y en a d'autres où l'urine après s'être ramassée pendant quelque tems, sort d'elle-même sans que le malade puisse la retenir, & sans qu'il ait le tems de prendre les précautions convenables ; il y en a enfin, & c'est le cas ordinaire des enfans, où l'excrétion d'urine involontaire ne se fait que pendant le sommeil.

Dans l'état de santé l'urine ne se ramasse dans la vessie que parce que son orifice est garni d'un sphincter, qui par sa contraction le ferme exactement, & bouche tout-à-fait l'issue à l'urine ; jusqu'à ce que la vessie soit distendue à un certain point par la quantité d'urine, & irritée par son acrimonie plus ou moins vive dans les différens sujets & les diverses circonstances, le muscle excréteur reste sans force & sans action. Pour qu'il se contracte il faut une certaine irritation, qui dans l'état naturel dépend plus de la quantité que de l'âcreté de l'urine ; alors la vessie diminue en capacité ; les forces, par la disposition des fibres musculaires, sont toutes dirigées vers l'orifice de la vessie ; elles sont aidées dans cette action par les muscles abdominaux contractés ; mais tous ces efforts seroient vains, si en même tems le sphincter relâché n'ouvroit le passage à l'urine, qui sort alors avec plus ou moins d'impétuosité ; mais tel est l'admirable structure de ces parties, que les mêmes efforts qui font contracter le muscle excréteur, procurent le relâchement du sphincter de la vessie ; quoique leur méchanisme, leur maniere d'agir nous soient tout-à-fait inconnues, quoique nous ne sachions pas ce qu'il faut faire, & la façon dont il faut s'y prendre pour uriner : les efforts que nous faisons n'en sont pas moins soumis à l'empire de la volonté, il nous est libre de ne pas obéir pendant un plus ou moins long espace de tems au stimulus qui les exige & les détermine ; les femmes en général, y résistent moins long-tems que les hommes, elles sont obligées de satisfaire plus souvent à ce besoin ; elles sont aussi beaucoup plus sujettes qu'eux à l'incontinence d'urine. Cette maladie aura donc lieu lorsque le sphincter laissera ouvert l'orifice de la vessie, lorsqu'il cédera sans la participation de la volonté, à la simple pesanteur de l'urine, ou à la légere contraction du muscle excréteur ; ce qui arrivera lorsqu'il sera détruit totalement ou en partie par des ulceres, des déchiremens, lorsqu'il sera relâché, paralytique, ou simplement privé de sa force, & de son ton ordinaire & naturel. Les ulceres qui détruisent le sphincter de la vessie, sont ordinairement vénériens ; il peut s'en trouver dépendans d'autres causes, & survenus à la suite d'une inflammation & d'une rétention d'urine. Les déchiremens de cette partie ont principalement lieu chez les femmes ; les accouchemens laborieux, ou la maladresse du chirurgien, en sont les causes les plus fréquentes ; la paralysie & le relâchement de ce muscle sont quelquefois produits par une chûte sur le dos, comme l'ont observé Amatus Lusitanus, Benivenius, & Alphonsus Rhonius ; d'autrefois par les causes ordinaires de paralysie & de relâchement, dont l'action se porte principalement sur cette partie. J'ai vu, dans une femme, ce vice occasionné par la présence d'un calcul d'une grosseur prodigieuse dans la vessie, sans doute il avoit produit cet effet en pesant continuellement sur le sphincter ; mais après que, par un de ces efforts surprenans de la nature, dont on voit peu d'exemples, la malade eut pour ainsi dire accouché avec les plus cuisantes douleurs, de cet énorme calcul, l'incontinence d'urine fut encore plus considérable ; le sphincter ayant été extrêmement dilaté, perdit absolument son ton & sa contractilité ; enfin la foiblesse du sphincter est un effet très-ordinaire de l'âge trop ou trop peu avancé ; les vieillards sont très-sujets à l'incontinence d'urine, & il est peu d'enfant qui dans les premieres années de sa vie n'éprouve cette incommodité ; la foiblesse du sphincter qui l'occasionne n'étant pas porté à l'excès chez la plûpart, il arrive que l'excrétion involontaire de l'urine, ne se fait que pendant le sommeil ; comme il s'en sépare beaucoup à cet âge, la vessie est bientôt surchargée, l'enfant profondément endormi ne sent pas l'aiguillon qui l'avertit de satisfaire à ce besoin ; le muscle excréteur trop distendu se contracte, le sphincter ne peut pas resister à cet effort & au poids de l'urine, il se relâche, l'urine sort à grands flots, inonde le lit de ce pauvre innocent, & lui prépare des châtimens d'autant plus cruels qu'ils ne sont pas mérités. Meres injustes, qui venez la main armée de verges visiter avec une exactitude inquiete le berceau de ces tendres victimes, & qui vous préparez à leur faire expier sous les coups leur prétendue faute, suspendez pour un moment ces coups, apprenez qu'il ne peut y avoir de faute sans la participation de la volonté, que ce qui vous en paroît une, est une action très-indifférente, que c'est le symptome d'une maladie que l'enfant ne peut pas plus empêcher, qu'un accès de fievre ou de colique, & qui loin d'attirer votre courroux & vos châtimens, doit exciter votre tendresse & vos soins ; prenez garde d'ailleurs que ce ne soit pas l'avarice ou le déplaisir de voir gâter les meubles qui servent au lit de votre enfant, qui arme votre main, déguisé sous le prétexte plausible d'une correction nécessaire ; mais sur-tout pensez que si quelqu'un est coupable, c'est vous qui nourrissez trop mollement votre enfant, qui le gorgez de boissons aqueuses, qui ne lui laissez pas faire l'exercice convenable, & qui enfin négligez de lui procurer les remedes appropriés.

L'incontinence d'urine n'est point une maladie grave ou dangereuse, elle n'est qu'une incommodité très-désagréable ; elle est pour l'ordinaire incurable, surtout chez les vieillards ; les enfans sont les seuls qui en guérissent parfaitement, & même avec assez de facilité, souvent par la seule force du tempérament que l'âge donne en augmentant, quelquefois par l'efficacité des secours que la médecine fournit.

Le peu de succès des remedes ordinaires, administrés suivant les diverses indications, a fait recourir pour emporter cette maladie, à des médicamens singuliers, absurdes, qu'on a regardés comme très-appropriés dans tous les cas, sans avoir égard à la différence des causes, & qu'on a décorés du titre imposant de spécifique. Sous ce beau nom, ont paru successivement recommandés par différens auteurs, le gosier d'un coq roti, desseché & mis en poudre ; la vessie d'une chevre, ou d'un sanglier, préparée de même, & donnée à la dose d'un gros dans un verre de vin rouge ; les parties génitales externes de la truie, cuites avec les choux pommés ; le poisson qui se trouve dans l'estomac des brochets, les cendres d'un hérisson, la gomme arabique, le styrax, la cire, la mirrhe, le calament, la menthe, le gland, le millepertuis, &c. mais de tous les remedes de cette espece, il n'y en a point qui ait eu plus de vogue, & qui soit si généralement vanté, que les souris qu'on fait manger roties, ou dont on donne la cendre ; mais ce remede est particulierement destiné à guérir l'incontinence d'urine qu'éprouvent les enfans. Pline assure que de son tems on s'en servoit avec succès (Hist. nat. lib. XXX. cap. xv.) Dans une édition de Sérénus, cité par Gesner, on voit qu'il recommande :

Ex vino muris tritus (cinis) vel lacte capellae.

Benedictus Vermensis, Bayrus, Forestus, &c. rapportent des observations qui constatent cette vertu dans les souris. Ce dernier assure avoir vu donner ce remede avec un très-grand succès, par les bonnes femmes de Delft (Schol. obs. 22. lib. XXV.). Dans la seconde année des éphémerides des curieux de la nature, il y a une observation encore plus remarquable, d'une fille âgée de dix-huit ans, qui étoit sujette dès son enfance à cette maladie, & dont les regles étoient encore suspendues, elle en fut parfaitement guérie en mangeant quelques souris roties, par le conseil d'une femme qui, pour l'engager à user de ce remede, lui raconta que son propre fils en avoit éprouvé l'efficacité, & avoit été délivré par ce moyen, d'une incontinence d'urine qui l'incommodoit depuis quinze ans. Enfin tout le monde peut avoir vu arriver, ou entendu raconter des histoires semblables. Après un si grand nombre d'observations décisives, & de témoignages authentiques, je ne vois pas trop comment on pourroit nier & méconnoître cette propriété dans les souris ; la maniere dont elles operent cet effet est inconnue, j'en conviens : mais est-on fondé à rejetter un fait, parce qu'on a des lumieres trop bornées pour en trouver la raison, & d'ailleurs est-on plus éclairé sur la façon d'agir des autres remedes ? quoi qu'il en soit, ce remede est innocent, il n'y a aucun mauvais effet à en craindre ; les souris servent de nourriture ordinaire aux peuples de Calecut, & on mange en France, dans certaines provinces, les rats d'eau. Ainsi un médecin prudent, instruit que les plus ignorans peuvent donner de bonnes idées, ne dédaignera point ce remede parce qu'il est conseillé par les bonnes femmes, & pourra dans l'occasion en permettre, ou même en conseiller l'usage.

Il y a un autre remede plus merveilleux encore, & dont l'efficacité, quoique constatée par deux observations dont un médecin célebre dit avoir été le témoin oculaire, est plus inexpliquable & plus douteuse ; c'est une amulete suspendue au col, faite avec la poudre d'un crapaud roti en vie dans un pot neuf. Henri de Heers rapporte qu'une femme étant attaquée d'une incontinence d'urine à la suite d'un accouchement laborieux, pendant lequel une accoucheuse maladroite lui avoit déchiré le sphincter de la vessie, il n'oublia aucun remede pour la guérir de cette incommodité ; il réussit à dissiper quelques symptomes accidentels, mais il ne put jamais arrêter l'excrétion continuelle d'urine, c'est pourquoi il s'avisa de lui faire préparer un syphon d'argent dont la branche la plus courte alloit dans la vessie, & l'autre d'environ quatre pouces aboutissoit à une bouteille ; par ce moyen il détourna le cours de l'urine qui se faisoit par le vagin ; & consolida les ulceres qui étoient dans cette partie ; cette femme ainsi soulagée, & n'ayant d'autre incommodité que le poids de la bouteille, ne s'attendoit pas à une guérison plus complete ; elle pouvoit en ôtant son syphon, recevoir les caresses de son mari, & étant devenue enceinte, elle accoucha très-heureusement. Henri de Heers l'ayant perdu de vue, la rencontra quelque tems après, & fut fort surpris de se voir rendre son syphon, & d'apprendre que la malade parfaitement guérie n'en avoit plus besoin ; il en demanda la cause, & elle lui fit voir le petit sac pendu à son col, où étoit renfermée la poudre du crapaud ; sa surprise augmenta encore, n'ayant jamais ouï parler d'un semblable remede ; il assure qu'ayant eu l'occasion de s'en servir chez un marchand qui avoit une incontinence d'urine, à la suite d'une opération de la taille mal faite, il vit avec étonnement le même miracle se répéter (Henric. ab Heers, obs. 14. lib. I.) ; nous n'avons rien à dire à cela sinon que fides sit penes autorem.

Si j'avois à traiter un malade attaqué de cette maladie, avant d'avoir recours à tous ces prétendus spécifiques, j'essayerois les remedes qui pussent combattre les causes que je connoîtrois ; je conseillerois l'opération de la taille à celui dans qui la maladie dépendroit du calcul ; les astringens spiritueux, aromatiques, pris intérieurement, ou administrés en vapeurs, en bains, en fomentations, en injections, & sur-tout les vésicatoires, à ceux qui auroient le sphincter de la vessie paralytique, ou dans un relâchement plus ou moins considérable ; les balsamiques dans le cas d'ulcere, &c. & je recommanderois aux meres dont les enfans seroient sujets à cette maladie, de s'abstenir des fouets, secours également cruels, inutiles, & déplacés, d'élever leurs enfans moins mollement, de leur laisser faire de l'exercice, de leur donner des alimens moins aqueux, moins relâchans, de leur faire boire un peu de vin, sur-tout ferré, d'avoir soin qu'ils ayent toujours le ventre libre, parce que plus l'excrétion de sérosité aura lieu par les intestins, moins les urines seront abondantes ; & si ces secours sont insuffisans, je crois qu'on peut tirer plus d'utilité des fomentations aromatiques, astringentes, des légeres injections, & de l'usage d'un vin aromatique ferré, du cachou, & de quelqu'autres astringens semblables.

Pissement de sang. Le mêlange du sang avec les urines leur donne une teinte d'un rouge plus ou moins foncé, suivant la quantité & la qualité du sang, qui est le signe distinctif de cette maladie. Lorsque le sang est peu abondant, on risque de confondre l'urine sanguinolente, avec celle dont la rougeur dépend de la trop petite quantité de phlegme, ou du mêlange d'un sédiment rouge & briqueté.

Pour éviter cette erreur, il n'y a qu'à laisser à l'urine le tems de déposer ; si elle contient du sang, il se ramassera en grumeaux, en filamens noirâtres, qui par l'agitation ne pourront plus se dissoudre dans l'urine ; au lieu que les sédimens d'une autre nature paroîtront au fond du vaisseau en forme de poussiere, plus ou moins ténue, & se remêleront facilement avec le reste de l'urine. On peut aussi dans la même vue filtrer de l'urine sur laquelle on a des doutes, à-travers un linge blanc, le sang se fera reconnoître par la couleur rouge qui s'y imprimera : les autres matieres n'altéreront pas sa blancheur.

Après qu'on sera bien assuré de l'existence du pissement de sang, il faudra tâcher de remonter à son origine & à ses causes. Son origine peut varier d'autant de façons, qu'il y a de parties qui servent à la sécretion & à l'excrétion de l'urine ; les reins, les uréteres, la vessie & l'urethre peuvent en être les différentes sources. On connoît que le sang vient des reins, & qu'il est dû à la rupture d'un vaisseau, lorsqu'il sort tout-à-coup (Hippocrate, aph. 78. l. IV.) lorsqu'il est très-abondant, lorsqu'il est bien mêlé avec l'urine, que la couleur est d'un rouge clair, égale & uniforme. Cette excrétion d'ailleurs se faisant par un viscere peu sensible, n'est presque pas douloureuse. Le pissement de sang qui a cette source, est quelquefois occasionné par un effort critique, d'autres fois par la suppression des évacuations sanguines, des regles ou des hémorrhoïdes, comme le prouvent les observations d'Hercules Saxonin, de Rolfinckius, de Reiselius, &c. plus souvent encore par la présence d'un calcul anguleux dans les reins, surtout si le malade use de diurétiques chauds, des prétendus lithontriptiques, ou fait des exercices immodérés : de tous les exercices celui qui est le plus propre à exciter, même seul & sans la présence du calcul, une hémorrhagie rénale, c'est l'équitation, sans doute à cause de la compression des vaisseaux qui se répandent dans les fesses, les cuisses, & le périnée.

Riviere fait mention d'un homme de 50 ans qui pissoit du sang toutes les fois qu'il montoit à cheval, (centur. ij. observ. xiij.) le mouvement d'une voiture mal suspendue, surtout lorsqu'elle roule sur le pavé, ou dans des chemins raboteux, produit le même effet. Sydenham raconte qu'il étoit sujet au pissement de sang en conséquence d'un calcul dans les reins, qui se manifestoit toutes les fois qu'il marchoit trop long-tems, ou qu'il alloit en carosse, à-moins qu'il ne prît des précautions pour prévenir cet accident (de mictu cruent. à calcul. renib. impact.) Les blessures dans les reins, les chûtes, l'action trop vive des cantharides, l'usage continué d'aloës, peuvent aussi donner lieu à l'excrétion du sang par les reins. On peut encore ajouter ici les pissemens de sang symptomatiques, qui surviennent quelquefois à la petite vérole, à la rougeole, à des fievres malignes, & plus souvent aux pleurésies dorsales.

Lorsque les uréteres fournissent le sang qui se mêle avec l'urine, c'est pour l'ordinaire en conséquence d'un calcul trop gros ou raboteux, qui traversant avec peine ces canaux, fait une solution de continuité dans les vaisseaux sanguins ; alors le malade sent une douleur aiguë à la région iliaque, & aux environs des reins, les urines sont moins abondantes, coulent avec peine, & sont chargées de graviers, & enfin on observe les divers symptomes de colique néphrétique.

Le pissement de sang doit être rapporté à la vessie, lorsqu'il est en petite quantité, par grumeaux, de couleur noirâtre ; lorsqu'il y a strangurie, douleur à l'hypogastre & au périnée ; lorsque ce sang se trouve mêlé avec du pus, avec des écailles, & qu'il exhale une odeur très-fétide, c'est un signe que la vessie est ulcérée (Hippocr. aphor. 80. & 81. l. IV.). Les causes ordinaires de cette hémorrhagie sont le calcul, l'espece d'inflammation qu'on nomme systrophique, l'exulcération, la rupture de quelque vaisseau sanguin par un effort, une chûte, &c. La vessie est sujette à une autre espece d'hémorrhagie, dont Caelius Aurelianus fait mention, tract. de morb. chronic. Elle se fait par des especes de tumeurs ou hémorrhoïdes, qui se forment au col de la vessie, comme dans le fondement, le vagin & la matrice. Cette évacuation se fait par intervalles, & est du nombre des pissemens de sang périodiques, qu'Archigène a observés. Elle demande une grande attention, parce que augmentant peu-à-peu, elle devient enfin si considérable qu'elle jette le malade dans des syncopes fréquentes ; elle excite aussi des douleurs aiguës vers le pubis, & quelquefois ces tumeurs grossissent au point de gêner beaucoup, ou même d'intercepter tout-à-fait le passage de l'urine.

L'urethre est la source la moins ordinaire du pissement de sang, & ce n'est guere que dans le cas de gonorrhée virulente, très-vive & cordée, que la semence soit chargée de stries de sang, & se mêle avec l'urine ; il arrive quelquefois que le sang sort périodiquement par l'urethre, ou par les tégumens de la verge, pur & indépendamment de l'excrétion des urines. Les hommes dans qui on observe cette évacuation, passent pour avoir leurs regles. On trouve dans le journal de Médecine, l'histoire d'un berger ainsi réglé, & dont le pere & sept à huit freres, présentoient le même phénomène. Stalpart Vander Wiel rapporte plusieurs exemples semblables, observ. 80. centur. j. & Frédéric Hoffman assure avoir connu plusieurs personnes qui ont rendu pendant quelques semaines, dans des tems réglés, une grande quantité de sang pur par la verge, après avoir auparavant senti des douleurs dans les aînes & dans les cuisses. Il y a lieu de présumer que cette évacuation périodique est une espece de flux hémorrhoïdal, & qu'il se fait par le rameau qui des veines hémorrhoïdales externes va se distribuer dans la verge.

Le détail où nous venons d'entrer sur l'origine du pissement de sang, sur les causes qui l'excitent, & les symptomes qui accompagnent leur différente action, peut nous servir à en distinguer les différentes especes, à connoître quand il est symptomatique ou critique, dangereux ou salutaire, à quelle cause il doit être attribué. Hoffman se trompe quand il prononce généralement que tout pissement de sang est dangereux ; cette assertion est plus fondée sur le raisonnement que sur l'observation. Hippocrate assure le contraire, & il a l'expérience pour lui ; il dit que lorsque le pissement de sang revient rarement, par intervalles & sans douleur, il est avantageux, qu'il termine & dissipe heureusement les lassitudes ; celui qui succede à la suppression des regles & des hémorrhoïdes, est aussi très-salutaire, il supplée à ces évacuations, & prévient les accidens que leur défaut entraîneroit. Il n'est pas douteux que le pissement de sang au commencement des maladies, ne soit un symptome fâcheux ; qu'il ne soit aussi à craindre lorsqu'il est occasionné par un calcul dans les reins, les uréteres, la vessie ; lorsqu'il survient aux scorbutiques ; qu'il est la suite d'une extrême dissolution du sang, &c. & enfin lorsque l'hémorrhagie est trop abondante. Les signes qui nous indiquent que le danger est pressant, sont les nausées, les anxiétés, la petitesse, la fréquence & l'obscurité du pouls ; la foiblesse ; les défaillances, & les sueurs froides, &c. Voyez URINE (Séméiotique).

Le pissement de sang critique n'exige aucun remede ; celui qui est symptome d'une autre maladie, n'en demande point de particulier ; il se guérit lorsque la maladie à laquelle il est survenu prend une bonne tournure, par les efforts de l'art ou de la nature. Le rétablissement des regles & des hémorrhoïdes est la seule indication qui se présente à remplir dans le pissement de sang qui succede à ces évacuations supprimées.

L'excrétion des calculs, des graviers engagés dans les reins, les uréteres, ou le col de la vessie, est le seul secours efficace & vraiment curatif, lorsqu'il est dû à cette cause. Le repos, l'usage des émolliens en tisane, en injection, en lavement, en fomentation, en bain, ne sont que des adoucissans & des palliatifs qu'il ne faut pas négliger dans le paroxysme, & surtout quand il n'est pas possible d'employer la cure radicale. Les décoctions légeres de symphitum, d'althaea, sont très-appropriées dans ce cas ; elles conviennent aussi très-bien lorsque le pissement de sang est dû à la rupture de quelque vaisseau à la suite d'une blessure, d'un effort, & qu'il y a beaucoup d'ardeur & d'inflammation ; la saignée est alors très-bien placée, & dès que les accidens sont calmés par ces secours, il faut recourir aux astringens plus forts, mêlés avec les vulnéraires. C'est sous ce point de vûe qu'on emploie avec succès la millefeuille, la prêle, l'aigremoine, la lierre terrestre, le bursa pastoris, les sommités d'hypericum, les sucs d'ortie & de marguerite, extraits ensemble, &c. Si l'hémorrhagie est considérable, & qu'il soit à craindre que le malade n'y succombe, il ne faut pas balancer à employer les astringens les plus actifs, tels que l'alun, le sang de dragon, le bol d'Arménie, &c. Leur usage n'est pas sans inconvénient ; la crispation trop prompte qu'ils occasionnent, est une des causes fréquentes des ulceres qui succedent aux hémorrhagies des reins, des poumons & des autres parties. Mais la crainte de cet accident doit céder à l'assurance où l'on est d'une mort prochaine, si on ne les emploie pas. De deux maux il faut toujours éviter le pire ; & rien n'est plus conforme aux loix de la nature, que de s'exposer à faire un petit mal, lorsque cela est indispensablement nécessaire pour en éviter un plus grand. Si le danger n'est pas urgent, qu'on s'abstienne scrupuleusement de ces remedes, ils sont inutiles ou dangereux.

Les personnes qui sont sujettes au pissement de sang, doivent pour prévenir le retour des paroxysmes, user des remedes adoucissans, des laitages entremêlés de quelque opiate tonique martiale, & terminer leur traitement par l'usage des eaux minérales acidules ferrugineuses ; ils doivent observer un régime de vie très-sobre, éviter avec circonspection tout excès dans le vin & les plaisirs vénériens, faire peu d'exercice, & point du tout en voiture ou à cheval, avoir attention de ne pas trop se couvrir dans le lit, & de ne pas rester long-tems couchés sur le dos ; avec ces petites attentions on peut réussir à diminuer considérablement les accès, à les beaucoup éloigner, & même à les dissiper entierement.

Pissement de pus. Le pus qui se trouve mêlé avec l'urine, peut avoir sa source dans quelqu'une des parties qui servent à sa sécrétion & à son excrétion, ou être apporté dans les reins de quelqu'autre partie avec la matiere de l'urine ; le pissement de pus dépendant de la lésion des voies urinaires, succede ordinairement au pissement de sang, comme la phthisie succede à l'hémoptysie ; il est le signe & l'effet d'un ulcere ou d'un abscès dans les parties, & se reconnoît par les signes qui ont précédé, savoir ou le pissement de sang ou les symptomes de l'inflammation, & la partie qui a été le siege de ces symptomes doit être censée la source du pissement de pus. Il y a beaucoup plus à craindre de cette excrétion lorsqu'elle vient d'un ulcere, que lorsqu'elle est fournie par un abscès ; dans le premier cas elle est peu susceptible de curation ; elle est bientôt suivie ou accompagnée de fievre lente, maigreur, foiblesse, en un mot, de tous les symptomes de la phthisie, & se termine assez sûrement par la mort du malade ; dans le second cas, l'abscès étant vuidé, le pissement de pus peut cesser, & alors il a été plus favorable que nuisible ; il ne devient dangereux que lorsque l'abscès se renouvelle ou qu'il se change en ulcere ; c'est principalement par la quantité de pus qui est rendue tout-à-la-fois, qu'on peut juger qu'il a été fourni par un abscès ; on peut aussi tirer des éclaircissemens des symptomes précédens & concomitans pour distinguer si le pissement de pus doit sa naissance à cette cause ou à un ulcere.

Lorsqu'on est bien assuré que c'est un abscès qui en est la source, on laisse agir la nature, ou on lui aide par des légers vulnéraires incisifs diurétiques, si le pus est trop épais & gluant ; & quand le pus a presque cessé de couler, on a recours aux balsamiques. Dans le cas d'ulcere, il n'y a rien de plus à faire que dans tous les autres ulceres intérieurs, voyez PHTHISIE, c'est-à-dire, il ne faut pas s'attendre à guérir par le seul usage du lait, mais il faut le couper avec les décoctions vulnéraires détersives, légérement diurétiques, insister plus long-tems sur l'usage des baumes ; on peut s'en servir indifféremment, leurs vertus sont toutes les mêmes ; le plus précieux & le plus vil n'offrent à l'analyse du chymiste éclairé & aux yeux du médecin observateur aucune différence remarquable. Les eaux sulphureuses de Bareges, de Cauterets, Bonnes, sont aussi dans ce cas très-appropriées.

Si le pus est par un effort critique apporté aux reins de quelqu'autre partie, de la poitrine, du foie, de la cuisse, &c. (ce qu'on connoit par l'absence des signes qui caractérisent l'ulcere ou l'abscès des voies urinaires), il faut favoriser cette excrétion par les boissons abondantes peu chaudes, par l'usage des diurétiques un peu forts, des vulnéraires, des balsamiques ; on peut augmenter un peu l'action des reins, en appliquant des linges chauds, en faisant quelque friction sur les parties extérieures qui leur répondent. Ne seroit-il pas à-propos de se servir, dans la même vue, des cantharides, le diurétique par excellence ? On auroit attention d'en modérer extrêmement les doses, & de n'en pas continuer trop long-tems l'usage.

Pissement de poils, pili-miction. Cette altération de l'urine qui consiste dans un mêlange de petits corpuscules longs, déliés & semblables à des poils, étoit connue d'Hippocrate ; mais elle n'a reçu un nom particulier que du tems de Galien. Cet auteur dit " que les médecins modernes appellent du nom de trichiasis, , dérivé de , cheveux, une maladie dans laquelle on voit dans l'urine des especes de poils qui sont pour l'ordinaire blancs ". Comment. in aphor. 76. lib. IV. Les observations de cette maladie étant très-rares, on est fort peu éclairé sur sa nature, ses causes, son siege & sa curation ; il y a lieu de penser que ces petits filets sont formés par l'adunation des parties muqueuses dans les tuyaux des reins ; c'est aussi dans ce viscere qu'Hippocrate en marque l'origine. Lorsqu'il se trouve, dit-il, dans l'urine épaisse des petites caroncules ou des especes de poils, c'est aux reins qu'il faut chercher la source de cette excrétion. Aphor. 76, lib. IV. Il est peu nécessaire de faire observer combien est absurde l'idée de ceux qui prétendent que ces filamens sont de véritables cheveux formés dans les vaisseaux sanguins, & que tout le sang est particulierement disposé à se convertir en cheveux. Voyez PLICA POLONICA. Tulpius paroît donner dans cette idée ; il dit avoir observé un exemple mémorable du trichiasis périodique dans un jeune homme, qui pendant l'espace de quatre ans rendoit tous les quinze jours une assez grande quantité de cheveux avec difficulté d'uriner & des anxiétés générales. " Chaque cheveu étoit, dit-il, de la longueur d'un demi-doigt, & quelquefois même de la longueur du doigt entier, mais ils étoient si couverts, si enveloppés de mucosité, que rarement les voyoit-on à-découvert ; chaque paroxysme duroit environ quatre jours, & hors de ce tems le malade étoit tranquille, bien portant, urinoit sans douleur, & ne rendoit aucun cheveu. " Observat. medic. lib. II. cap. xlij.

Horstius fait aussi mention de cette maladie (epist. medic. sect. V.) ; il nous apprend qu'un des remedes les plus efficaces est l'esprit de térébenthine mêlé du syrop d'althaea : singuliere combinaison !

On peut ajouter à ces altérations de l'urine celle qu'on a quelquefois observée produite par le mêlange de différens corps étrangers, 1°. par des vers, telle étoit l'urine que Hehren-fried-hagen-dorn trouva dans un malade attaqué de la petite vérole, remplie de petits vermisseaux aîlés qui nageoient & se remuoient en divers sens tant que l'urine resta chaude, & qui moururent dès qu'elle fut refroidie. Schenckius rapporte une observation semblable, & quelques auteurs tels que Platerus Ronssaeus, Edmundus de Meara & Rhodius assurent avoir vu des vers sortir par le canal de l'urethre indépendamment de l'urine ; 2°. par des champignons, s'il faut ajouter foi à l'observation que rapporte Christianus Fréderic Germannus, d'un homme qui après avoir senti des douleurs très-vives à la région des reins & du diaphragme, rendit une grande quantité d'urine sanguinolente remplie de champignons qui imitoient la figure d'une cerise avec son pédicule ; le médecin de qui nous tenons cette histoire, assure les avoir ramassés dans le pot-de-chambre pour les conserver ; 3°. enfin, il y a plusieurs observations de personnes qui ont rendu avec les urines différens corps qu'ils avoient avallés, ou qui avoient été introduits dans le corps par d'autres voies. M. Nathanael Fairfax dit qu'une femme rendit en urinant une balle de plomb qu'elle avoit avalée quelque tems auparavant pour se guérir de la passion iliaque. Act. philosoph. angl. mens. Octobr. 1668.

Olaüs Borrichius raconte que la même chose est arrivée à un homme qui avoit avalé des grains de plomb en mangeant du gibier, & qui les rendit avec l'urine. Un malade, suivant le rapport de M. Sigismond Elsholtz, ayant reçu un coup de fusil dans le ventre, rendit par les urines une petite balle de celles que nous appellons en françois chevrotine. Voyez la bibliotheque pratique de Manget, tom. IV. lib. XIX. pag. 1006 & suiv.

Nous laissons aux théoriciens oisifs & jaloux de trouver des raisons par-tout, le soin d'expliquer comment ces corps étrangers ont pu se former, & surtout comment ils ont pu traverser tous les tuyaux si déliés qui se présentent à leur passage jusqu'à l'extrémité de l'urethre ; nous ne prétendons pas non plus redresser ceux qui ne concevant pas comment ces faits se sont passés, se croyent fondés à les nier ; ne pouvant pas délier le noeud, ils le coupent. Nous nous contenterons de remarquer que ce ne sont pas les seuls faits qui soient inexplicables, & que la nature offre plus d'un mystere, lorsqu'on l'examine de près. (m)

URINE, s. f. (Teinture) l'urine est du nombre des drogues non colorantes, dont les Teinturiers se servent à préparer les étoffes avant de les mettre en couleur ; entr'autres usages, elle aide à fermenter & échauffer le pastel ; & on l'emploie aussi au lieu de chaux dans les cuves de bleu. On se sert quelquefois d'urine pour dégraisser les laines, les étoffes, & ouvrages faits de laine, comme draps, ratines, serges, &c. bas, bonnets, &c. mais l'on prétend que ce dégraissage est très-mauvais, qu'il préjudicie beaucoup aux marchandises, & l'on ne devroit y employer que du savon ou de la terre bien préparée. (D.J.)


URINEUXadj. (Gram. & Chymie) il se dit des sels produits par l'urine, ou des sels qui ont l'odeur ou la saveur d'urine, ou l'odeur & la saveur des sels produits par l'urine. On dit aussi une odeur urineuse.


URIUM(Géog. anc.) fleuve de l'Espagne bétique. Pline, l. III. c. j. dit que c'est un des deux fleuves qui coulent entre l'Anas & le Bétis. C'est présentement le Tinto, selon le P. Hardouin. (D.J.)


URNA(Mesure romaine) mesure de capacité chez les Romains, qui contenoit la moitié de l'amphore ; Columelle parle de vignobles dont le jugerum donnoit six cent urnes de vin : ce qui reviendroit en mesure seche à environ cinquante boisseaux par arpent. (D.J.)


URNES. f. urna, (Antiq. rom.) vaisseau de différente matiere, usage, grandeur & figure. On employoit les urnes pour renfermer les cendres des corps après les avoir brûlés ; on les employoit encore pour jetter les buletins de suffrage dans les assemblées des citoyens de Rome pour l'élection des magistrats, & dans les jugemens. On se servoit de l'urne pour la divination ; on tiroit aussi des urnes les noms de ceux qui devoient combattre les premiers aux jeux publics ; enfin on conservoit les vins dans des urnes expresses.

Comme les urnes servoient principalement à contenir les cendres des morts, on fabriquoit des urnes de toutes sortes de matieres pour cet usage. Trajan ordonna qu'on mît ses cendres dans une urne d'or, & qu'elle fût posée sur cette belle colonne qui subsiste encore aujourd'hui. L'urne du roi Démétrius étoit aussi d'or, au rapport de Plutarque. Spartien dit que les cendres de l'empereur Sévere furent apportées à Rome dans une urne d'or. Dion prétend que son urne n'étoit que de porphyre, & Hérodien qu'elle étoit d'albâtre ; Marcellus qui prit Syracuse, avoit une urne d'argent.

Les urnes de verre sont un peu plus communes. Marc Varron voulut qu'on mit ses cendres dans un vaisseau de poterie, avec des feuilles de myrte, d'olivier & de peuplier ; ce que Pline appelle à la pythagoricienne, parce que c'étoient les plus simples.

Les urnes de terre, d'usage pour les personnes du commun, étoient ordinairement plus grandes, parce que comme l'on prenoit moins de soin pour réduire leurs cadavres en cendres, les os qui n'étoient qu'à moitié brûlés tenoient plus de place. D'ailleurs ces urnes servoient pour mettre les cendres d'une famille entiere, du-moins pour celles du mari & de la femme, comme nous l'apprenons de cette inscription antique.

Urna brevis geminum quamvis tenet ista cadaver.

Pour ce qui concerne la figure des urnes, celles de terre étoient faites à-peu-près comme un pot de terre ordinaire, si ce n'est qu'elles étoient plus hautes & plus retrécies vers le col. Il y en a plusieurs dont le pié se termine en pointe ; quelques-unes ont des anses, & d'autres n'en ont point. La plûpart sont sans façon & sans bas-reliefs ; mais il y en a qui portent des figures d'hommes ou d'animaux.

Les urnes de bronze ou d'autre métal étoient pour des personnes opulentes ou de qualité. Il y en a peu qui n'ayent à l'entour quelque sculpture & bas-relief, comme on peut s'en convaincre en consultant les figures qu'en ont donné les Antiquaires.

On a vu des urnes d'Egypte qui sont de terre cuite, chargées d'hiéroglyphes & remplies de momies, ce qui est fort particulier ; parce que les Egyptiens avoient coutume d'embaumer les corps entiers, & qu'on faisoit peu d'urnes pour les y déposer.

Parmi le grand nombre d'urnes qui se voient à Rome, il y en a de rondes, de quarrées, de grandes, de petites ; les unes toutes unies, les autres gravées en bas-relief. Il s'en trouve qui sont accompagnées d'épitaphes, d'autres qui ont seulement le nom de ceux à qui elles appartenoient. Quelques-unes n'ont de caracteres que ces deux lettres D. M. D'autres ont seulement le nom du potier qui les avoit faites, écrit sur le manche ou dans le fond.

Les anciens gardoient leurs urnes dans leurs maisons ; ils en plaçoient aussi sur ces petites colonnes quarrées qui portoient leurs épitaphes, & que nous appellons cippes, à cause de leur figure. On les mettoit encore dans des sépulchres de pierre ou de marbre : cette inscription le dit.

Te, lapis, obtestor, leviter super ossa quiesce,

Et nostro cineri ne gravis esse velis.

Les gens de qualité avoient des voûtes sépulchrales, où ils mettoient dans des urnes les cendres de leurs ancêtres. On a trouvé autrefois à Nîmes une de ces voûtes avec un riche pavé de marqueterie, qui avoit tout-à-l'entour des niches dans le mur ; & dans chaque niche, on avoit mis des urnes de verre doré remplies de cendres.

Les Romains avoient deux sortes d'urnes pour les suffrages ; les premieres, appellées cistae, avoient une large ouverture ; l'on y mettoit les balottes & les tablettes, pour les distribuer au peuple avant que de procéder à l'élection. Les autres urnes, nommées citellae, avoient l'ouverture très-étroite, & c'étoit dans celles-ci que le peuple jettoit son suffrage. Sur la fin de la république, il arriva quelquefois qu'on enleva ces dernieres urnes, afin que les suffrages ne pussent pas être comptés.

Les urnes à conserver le vin étoient distinguées en grandes & petites ; les petites contenoient seulement dix-huit ou vingt pintes de notre mesure ; mais les grandes faisoient la charge d'une charrette, & contenoient cent vingt amphores ; le tout égaloit selon quelques critiques, le poids de seize cent livres, & selon d'autres, de 1920 livres. Columelle les appelle ventrosas, à large ventre ; il paroît qu'elles ne devoient pas être d'une médiocre grandeur, s'il est vrai ce qu'en disent Laërce & Juvenal, qu'elles servissent d'habitation à Diogene. L'on objecte contre leur récit, que le tonneau de ce philosophe étoit de bois, parce qu'il le rouloit souvent au rapport de Lucien ; mais des vases si gros & si matériels, quoique de terre cuite, pouvoient bien sans danger se rouler sur des peaux, de la paille, & même sur le pavé le plus dur.

Quant aux urnes lachrymales, il est vrai qu'on a trouvé dans des tombeaux plusieurs phioles, dans lesquelles, dit-on, les Romains ramassoient les larmes qu'on répandoit pour les morts ; mais la figure de ces phioles annonce qu'on ne pouvoit s'en servir à cet usage, mais bien pour y mettre les baumes & les onguens liquides, dont on arrosoit les ossemens brûlés ; il est donc vraisemblable que tout ce qu'on appelle lacrymatoire dans les cabinets, doit être rapporté à cette espece de phioles uniquement destinées à mettre les baumes pour les morts. (D.J.)

URNE, (Sculpt.) ornement de sculpture ; c'est une espece de vase bas & large, dont on orne quelquefois les balustrades, & qui sert d'attribut aux fleuves & aux rivieres ; on les trouve ainsi représentés sur les médailles & les bas-reliefs antiques. Les Poëtes en parlent sur le même ton. Ils nous peignent le Tibre & le Pô, appuyés sur leur urne, quand ils nous parlent de leurs sources. (D.J.)

URNE cinéraire, (Antiq. rom.) voyez URNE ; nous n'ajouterons que deux mots en passant.

Les urnes cinéraires étoient fort en usage chez les Romains : elles servoient, comme on le voit, à recueillir les cendres des morts qu'on étoit dans la coutume de brûler. Il y en avoit de différentes matieres.

On en a trouvé de verre, & c'est le plus grand nombre ; il y en a où les cendres du mort sont encore enfermées ; M. de Caylus a donné la figure d'une de ces urnes, qui est d'un très-bon goût de travail. Les anses sont d'une composition d'autant plus ingénieuse, qu'elles se lient avec l'ornement général du morceau, c'est-à-dire qu'elles sont formées par les extrémités de deux branches de laurier, qui soutiennent une coquille naturellement & convenablement attachée au corps du vase. Ces deux branches raccordées avec goût, portent les feuilles qui leur sont naturelles ; & pour enrichir le reste du vase, ces feuilles sont mêlées avec celles du lierre, dont l'emblême convient à la destination de l'urne. (D.J.)

URNE funéraire (Archit. décorat.) espece de vase couvert, orné de sculpture, qui sert d'amortissement à un tombeau, une colonne, une pyramide & autre monument funéraire, à l'imitation des anciens, qui renfermoient dans ces sortes d'urnes les cendres des corps des défunts. (D.J.)


UROMANTES. m. (Méd. & Divinat.) nom composé de deux mots grecs, , urine, & , devin, qu'on donne à ceux qui font profession de deviner les maladies par la seule inspection des urines ; il y a eu dans tous les tems de ces charlatans effrontés, qui ont prétendu faire, par ce seul signe souvent fautif, ce dont les médecins les plus éclairés ne viennent que difficilement à bout, en réunissant & combinant toutes les lumieres que la séméiotique fournit. Il y en a même qui ont porté plus loin leurs prétentions, & qui se vantent de connoître aux urines l'âge, le sexe, le tempérament, l'état du corps, &c. des personnes dont ils examinent l'urine. Un homme qui fait des promesses si merveilleuses, est regardé avec admiration par le peuple, qui se garde bien d'examiner s'il les tient ; & le sage ne voit dans lui qu'un imposteur condamnable, qui mériteroit d'être exposé à la sévérité des loix, non pas comme abusant de la crédulité du peuple (car les magistrats auroient trop à faire, s'ils exerçoient leurs droits sur tous ceux qui sont coupables d'une pareille faute), mais comme le trompant sur un article qui intéresse l'état, sur le bien qui est le plus précieux même à chaque particulier, la vie & la santé. Voyez URINE, Séméiotique.

Pour le désabuser sur le compte de ces empiriques, il ne sera pas mal de découvrir ici la manoeuvre qu'ils emploient pour le tromper. Ils commencent par glisser dans l'urine quelque liqueur qui la fait fermenter & sortir par dessus les bords du verre : ce premier phénomene étonne, ils profitent de ce moment de surprise pour faire quelques questions vagues qui les menent à découvrir où est la douleur la plus violente du malade, son sexe, son âge, & là-dessus ils bâtissent leur systême de maladie, & en nomment un si grand nombre les unes après les autres, qu'il n'est presque pas possible que le malade n'y reconnoisse celle dont il est attaqué.

Ils ne se bornent pas à cette seule fourberie, car outre la consultation qu'il faut payer, ils ont encore soin de tirer de l'argent d'une infinité de drogues qu'ils donnent à prendre, dont ils ne connoissent pas eux-mêmes la vertu, & qui sont ordinairement assez violentes pour augmenter la force de la maladie & occasionner d'autres accidens. Ce seroit bien certainement là le cas de faire revivre la loi du talion, & de punir de mort des gens qui la donnent journellement à tant d'autres. (m)


UROMANTIES. f. (Méd. & divin.) nom formé de urine, & , divination, qui signifie l'art de deviner par le moyen des urines l'état présent d'une maladie, & d'en prédire les événemens futurs. Cette partie de la Séméiotique, réduite à un juste milieu, dépouillé de tous les excès du charlatanisme & cultivée avec soin peut fournir beaucoup de lumieres, sur-tout dans les cours des maladies aiguës, des fievres, qu'on appelle communément putrides, (voyez URINE, Séméiotiq.) différens auteurs lui ont donné les noms synonymes d'urocrise, d'uroscopie, &c. urocrise est formé de & de , jugement, & signifie à la lettre le jugement qu'on porte des maladies par l'inspection des urines ; uroscopie est composé de , & d'un dérivé du verbe , je considere, il signifie littéralement le simple examen des urines.


UROUCOLACASS. m. terme de relation, nom qu'on donne dans l'Archipel au prétendu revenant qui a été ranimé par le diable, pour commettre des désordres ; c'est le mot grec moderne estropié ou . Comme il n'y a chez les Grecs d'aujourd'hui qu'ignorance & superstition, il n'est pas étonnant qu'ils admettent des spectres composés d'un corps mort & d'un diable. (D.J.)


URPANUS(Géog. anc.) fleuve de la Pannonie. Pline, l. III. c. xxvj, en fait un fleuve assez considérable, & ajoute qu'il se jette dans le Danube, audessus de la Drave. C'est présentement le Sarwitz. (D.J.)


URRYS. m. (Hist. nat.) nom anglois donné par les habitans du côté de Cheshire & de quelques autres provinces d'Angleterre, à une terre noire fort grasse qui couvre immédiatement les couches de charbon de terre. On a éprouvé que cette substance étoit très-propre à fertiliser les terres.


URSEL(Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne, au cercle du bas-Rhin, dans le comté de Konigstein, à trois lieues de Francfort. Elle appartient à l'électeur de Mayence. Les troupes de Hesse & de Saxe ayant pris cette ville en 1645, la réduisirent en cendres, & elle ne s'est guere relevée depuis. (D.J.)


URSENTINI(Géogr. anc.) peuples d'Italie, dans la Lucanie. Pline, l. III. c. xj. les marque dans les terres. On croit que leur ville s'appelloit Ursa ou Ursentum, & que c'est présentement celle d'Orso. (D.J.)


URSEOLA(Géog. anc.) ville de la Gaule narbonnoise ; elle est placée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route de Milan à Vienne, en prenant par les Alpes cottiennes. On la trouve entre Valence & Vienne, à 22 milles de la premiere de ces villes, & à 26 milles de la seconde. M. de Valois veut que ce soit aujourd'hui Roussillon dans le Dauphiné, près du Rhône, entre Valence & Vienne. (D.J.)


URSERER-THAL(Hist. mod.) en françois le val d'Urseren ; vallée de Suisse, au canton d'Uri. C'est un petit pays de trois lieues de longueur, & d'une lieue de large, sans aucun arbre. Il y a dans cette vallée trois grandes routes ; savoir, celle d'Italie par le mont S. Gothard, celle du Vallais par le mont de la Fourche, & celle des Grisons par le mont de Tavesch. Les habitans de ce val sont les descendans des anciens Lépontiens, qui étoient comptés entre les peuples de la Rhétie ; c'est-à-dire, des Grisons. L'évêque de Coire a la Jurisdiction spirituelle de la vallée d'Urseren ; quant au temporel, les habitans de cette vallée sont regardés comme membres de la ligue Grise, & comme faisant partie des justiciables de l'Abbé de Disentis. (D.J.)


URSINVoyez OURSIN.


URSO(Géog. anc.) ville de l'Espagne bétique, selon Pline, l. III. c. j. C'est l' d'Appien, in iber. p. 291, & l'Ursaon d'Hirtius, de bel. hisp. Pline lui donne le surnom de Genua Urbanorum, ou Gemina Urbanorum, surnom qui lui fut donné, parce qu'il y mena une colonie formée d'une des légions surnommées Gemina ou Gemella ; & parce que les soldats de cette colonie avoient été levés seulement dans la ville de Rome.

On trouve dans Gruter une ancienne inscription avec le nom de cette ville : Resp. Ursonensium. Natalis qualifié presbyter de civitate Ursonensium, souscrivit au premier concile d'Arles. Le nom moderne de cette ville est Ossuna Mariana, l. III. hist. c. ij. (D.J.)


URSULINESS. f. pl. (Hist. ecclés.) congrégation ou ordre de religieuses qui suivent la regle de S. Augustin, & qui prennent ce nom, parce qu'elles ont une dévotion particuliere à Ste. Ursule, comme patrone de leur ordre.

La bienheureuse Angele de Bresce établit premierement cet institut en Italie en 1537, ensuite il fut approuvé en 1544 par le pape Paul III. puis uni sous la clôture & les voeux solemnels en 1572 par Grégoire XIII. à la sollicitation de S. Charles Borromée & de Paul Léon, évêque de Ferrare. Depuis, Magdelaine Lhuillier, dame de Ste. Beuve, fonda en 1611 les Ursulines en France ; le premier monastere est celui de Paris, d'où elles se sont répandues dans tout le reste du royaume.

Une des principales fins de leur institut, est l'éducation des jeunes filles ; elles tiennent à cet effet des écoles pour les enfans du dehors, & prennent des pensionnaires dans leurs monasteres. Le zele & le succès avec lesquels elles s'acquitent de ce devoir, justifient tous les jours l'utilité de leur établissement.


URTICOIDES. f. (Hist. nat. Bot.) urticoïdes, genre de plante dont les fleurs sont imparfaites ; elles n'ont point de pétales, & elles sont attachées à un embryon qui devient dans la suite une semence applatie, renfermée dans un calice composé de deux feuilles ; les étamines & les sommets naissent séparément du fruit, & n'ont point d'embryon. Pontederae anthologia. Voyez PLANTE.


URUCATUS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) Cette plante du Brésil croît sur l'arbre Urucedit iba ; elle pousse quatre ou cinq feuilles larges en bas, & formant une bulbe ovale, longue d'environ quatre doigts, qui renferme une substance médullaire grasse, de même couleur & de même consistance qu'un onguent, d'un blanc verdâtre & entremêlé d'un grand nombre de filets blanchâtres : les feuilles se séparent au-dessus de la bulbe, elles ont un pié de long & sont faites comme une langue ; chacune d'elles a trois nervures qui l'accompagnent dans toute sa longueur. (D.J.)


URUGUAYL ', (Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale, qui se décharge dans le Parana, un peu au-dessus de Buenos-Aires, par le 34 d. de latitude australe : c'est ici que le Parana prend le nom de Rio-de-la-Plata. (D.J.)


USS. m. (Gram. & Jurisprud.) est un vieux terme qui signifie usage, c'est-à-dire, la maniere ordinaire d'agir en certain cas.

On joint ordinairement le terme d'us avec celui de coutumes : on dit les us & coutumes d'un tel lieu, comme si ces termes étoient absolument synonymes ; cependant le terme de coutumes, lorsqu'on l'emploie seul, dit souvent plus qu'us ou usage ; car la coutume s'entend ordinairement d'une loi, laquelle, à la vérité, dans toute son origine, n'étoit qu'un usage non écrit, mais qui par la suite des tems, a été rédigée par écrit ; au lieu que par le terme d'us ou usage, l'on n'entend communément, comme on l'a déja dit, que la maniere ordinaire d'agir, ce qui ne forme point une loi écrite.

Mais quand on joint le terme de coutumes avec celui d'us, on n'entend ordinairement par l'un & par l'autre que des usages non écrits, ou du moins qui ne l'étoient pas dans l'origine.

Ces us & coutumes, lors même qu'ils ne sont pas rédigés par écrit, ne laissent pas par succession de tems d'acquérir force de loi, sur-tout lorsqu'ils se trouvent adoptés & confirmés par plusieurs jugemens, ils deviennent alors une jurisprudence certaine. Voy. COUTUME & USAGE.

Les us & coutumes de la mer sont les usages & maximes que l'on suit pour la police de la navigation & pour le commerce maritime. C'est le titre d'un traité juridique de la marine, fait par Etienne Cléirac. Ces us & coutumes ont servi de modele pour former les ordonnances & réglemens de la marine. Voyez MARINE, NAVIGATION, COMMERCE MARITIME, ASSURANCE, POLICE, FRET, NOLIS, &c. (A)


USADIUMUSADIUM


USAGECOUTUME, (Synonym.) L'usage semble être plus universel : la coutume paroît être plus ancienne. Ce que la plus grande partie des gens pratique, est un usage : ce qui s'est pratiqué depuis longtems est une coutume.

L'usage s'introduit & s'étend : la coutume s'établit & acquiert de l'autorité. Le premier fait la mode, la seconde forme l'habitude ; l'un & l'autre sont des especes de loix, entierement indépendantes de la raison, dans ce qui regarde l'extérieur de la conduite.

Il est quelquefois plus à propos de se conformer à un mauvais usage, que de se distinguer même par quelque chose de bon. Bien des gens suivent la coutume dans la façon de penser, comme dans le cérémonial ; ils s'en tiennent à ce que leurs meres & leurs nourrices ont pensé avant eux. Girard. (D.J.)

USAGE, s. m. (Gram.) La différence prodigieuse de mots dont se servent les différens peuples de la terre pour exprimer les mêmes idées, la diversité des constructions, des idiotismes, des phrases qu'ils employent dans les cas semblables, & souvent pour peindre les mêmes pensées ; la mobilité même de toutes ces choses, qui fait qu'une expression reçue en un tems est rejettée en un autre dans la même langue, ou que deux constructions différentes des mêmes mots y présentent des sens qui quelquefois n'ont entr'eux aucune analogie, comme grosse femme & femme grosse, sage femme & femme sage, honnête homme & homme honnête, &c. Tout cela démontre assez qu'il y a bien de l'arbitraire dans les langues, que les mots & les phrases n'y ont que des significations accidentelles, que la raison est insuffisante pour les faire deviner, & qu'il faut recourir à quelqu'autre moyen pour s'en instruire. Ce moyen unique de se mettre au fait des locutions qui constituent la langue, c'est l'usage. " Tout est usage dans les langues (Voyez LANGUE, init.) ; le matériel est la signification des mots, l'analogie & l'anomalie des terminaisons ; la servitude ou la liberté des constructions, le purisme ou le barbarisme des ensembles ". C'est pourquoi j'ai cru devoir définir une langue, la totalité des usages propres à une nation pour exprimer les pensées par la voix.

" Il n'y a nul objet, dit le P. Buffier (Gramm. fr. n°. 26.), dont il soit plus aisé & plus commun de se former l'idée, que de l'usage [en général] ; & il n'y a nul objet dont il soit plus difficile & plus rare de se former une idée exacte, que de l'usage par rapport aux langues ". Ce n'est pas précisément de l'usage des langues qu'il est difficile & rare de se former une idée exacte, c'est des caracteres du bon usage & de l'étendue de ses droits sur la langue. Les recherches mêmes du P. Buffier en sont la preuve, puisqu'après avoir annoncé cette difficulté, il entre en matiere en commençant par distinguer le bon & le mauvais usage, & ne s'occupe ensuite que des caracteres du bon, & son influence sur le choix des expressions.

" Si ce n'est autre chose, dit M. de Vaugelas en parlant de l'usage des langues (Remarq. préf. art. ij. n. 1.), si ce n'est autre chose, comme quelques-uns se l'imaginent, que la façon ordinaire de parler d'une nation dans le siege de son empire ; ceux qui sont nés & élevés n'auront qu'à parler le langage de leurs nourrices & de leurs domestiques, pour bien parler la langue du pays.... Mais cette opinion choque tellement l'expérience générale, qu'elle se réfute d'elle-même.... Il y a sans doute, continue-t-il (n. 2.), deux sortes d'usages, un bon & un mauvais. Le mauvais se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses, n'est pas le meilleur ; & le bon, au contraire, est composé, non pas de la pluralité, mais de l'élite des voix ; & c'est véritablement celui que l'on nomme le maître des langues, celui qu'il faut suivre pour bien parler & pour bien écrire ".

Ces réflexions de M. de Vaugelas sont très-solides & très-sages, mais elles sont encore trop générales pour servir de fondement à la définition du bon usage, qui est, dit-il (n. 3.), la façon de parler de la plus saine partie de la cour, conformément à la façon d'écrire de la plus saine partie des auteurs du tems.

" Quelque judicieuse, reprend le P. Buffier (n °. 32.), que soit cette définition, elle peut devenir encore l'origine d'une infinité de difficultés : car dans les contestations qui peuvent s'élever au sujet du langage, quelle sera la plus saine partie de la cour & des écrivains du tems ? Certainement si la contestation s'éleve à la cour, ou parmi les écrivains, chacun des deux partis ne manquera pas de se donner pour la plus saine partie... Peut-être feroit-on mieux, ajoute-t-il (n °. 33.), de substituer dans la définition de M. de Vaugelas, le terme de plus grand nombre à celui de la plus saine partie. Car enfin, là où le plus grand nombre de personnes de la cour s'accorderont à parler comme le plus grand nombre des écrivains de réputation, on pourra aisément discerner quel est le [bon] usage. La plus nombreuse partie est quelque chose de palpable & de fixe, au lieu que la plus saine partie peut souvent devenir insensible & arbitraire ".

Cette observation critique du savant jésuite, est très-bien fondée ; mais il ne corrige qu'à demi la définition de Vaugelas. La plus nombreuse partie des écrivains rentre communément dans la classe désignée par M. de Vaugelas comme n'étant pas la meilleure ; & pour juger avec certitude du bon usage, il faut effectivement indiquer la portion la plus saine des auteurs, mais lui donner des caracteres sensibles, afin de n'en pas abandonner la fixation au gré de ceux qui auroient des doutes sur la langue. Or il est constant que c'est la voix publique de la renommée qui nous fait connoître les meilleurs auteurs qui se sont rendus célebres par leur exactitude dans le langage. C'est donc d'après ces observations que je dirois que le bon usage est la façon de parler de la plus nombreuse partie de la cour, conformément à la façon d'écrire de la plus nombreuse partie des auteurs les plus estimés du tems.

Ce n'est point un vain orgueil qui ôte à la multitude le droit de concourir à l'établissement du bon usage, ni une basse flatterie qui s'en rapporte à la plus nombreuse partie de la cour ; c'est la nature même du langage.

La cour est dans la société soumise au même gouvernement, ce que le coeur est dans le corps animal ; c'est le principe du mouvement & de la vie. Comme le sang part du coeur, pour se distribuer par les canaux convenables jusqu'aux extrémités du corps animal, d'où il est ensuite reporté au coeur, pour y reprendre une nouvelle vigueur, & vivifier encore les parties par où il repasse continuellement aux extrémités ; ainsi la justice & la protection partent de la cour, comme de la premiere source, pour se répandre, par le canal des loix, des tribunaux, des magistrats, & de tous les officiers préposés à cet effet, jusqu'aux parties les plus éloignées du corps politique, qui de leur côté adressent à la cour leurs sollicitations, pour y faire connoître leurs besoins, & y ranimer la circulation de protection & de justice que leur soumission & leurs charges leur donnent droit d'en attendre.

Or le langage est le lien nécessaire & fondamental de la société, qui n'auroit, sans ce moyen admirable de communication, aucune consistance durable, ni aucun avantage réel. D'ailleurs il est de l'équité que le foible emploie, pour faire connoître ses besoins, les signes les plus connus du protecteur à qui il s'adresse, s'il ne veut courir le risque de n'être ni entendu, ni secouru. Il est donc raisonnable que la cour, protectrice de la nation, ait dans le langage national une autorité prépondérante, à la charge également raisonnable que la partie la plus nombreuse de la cour l'emporte sur la partie la moins nombreuse, en cas de contestation sur la maniere de parler la plus légitime.

" Toutefois, dit M. de Vaugelas, ibid. n. 4. quelqu'avantage que nous donnions à la cour, elle n'est pas suffisante toute seule pour servir de regle ; il faut que la cour & les bons auteurs y concourent ; & ce n'est que de cette conformité qui se trouve entre les deux, que l'usage s'établit ". C'est que, comme je l'ai remarqué plus haut, le commerce de la cour & des parties du corps politique soumis à son gouvernement est essentiellement réciproque. Si les peuples doivent se mettre au fait du langage de la cour pour lui faire connoître leurs besoins & en obtenir justice & protection ; la cour doit entendre le langage des peuples, afin de leur distribuer avec intelligence la protection & la justice qu'elle leur doit, & les loix qu'elle a droit en conséquence de leur imposer.

" Ce n'est pas pourtant, continue Vaugelas, ibid. n. 5. que la cour ne contribue incomparablement plus à l'usage que les auteurs, ni qu'il y ait aucune proportion de l'un à l'autre.... Mais le consentement des bons auteurs est comme le sceau, ou une vérification qui autorise [qui constate] le langage de la cour, qui marque le bon usage, & décide celui qui est douteux ".

" Dans une nation où l'on parle une même langue (Buffier, n. 30. 31.) & où il y a néanmoins plusieurs états, comme seroient l'Italie & l'Allemagne ; chaque état peut prétendre à faire, aussibien qu'un autre état, la regle du bon usage. Cependant il y en a certains, auxquels un consentement au-moins tacite de tous les autres semble donner la préférence ; & ceux-là d'ordinaire ont quelque supériorité sur les autres. Ainsi l'italien qui se parle à la cour du pape, semble d'un meilleur usage que celui qui se parle dans le reste de l'Italie " [à cause de la prééminence de l'autorité spirituelle, qui fait de Rome, comme la capitale de la république chrétienne, & qui sert même à augmenter l'autorité temporelle du pape]. " Cependant la cour du grand-duc de Toscane paroît balancer sur ce point la cour de Rome ; parce que les Toscans ayant fait diverses réflexions & divers ouvrages sur la langue italienne, & en particulier un dictionnaire qui a eu grand cours (celui de l'académie de la Crusca), ils se sont acquis par-là une réputation, que les autres contrées d'Italie ont reconnu bien fondée ; excepté néanmoins sur la prononciation : car la mode d'Italie n'autorise point autant la prononciation toscane que la prononciation romaine ".

Ceci prouve de plus en plus combien est grande sur l'usage des langues, l'autorité des gens de lettres distingués : c'est moins à cause de la souveraineté de la Toscane, qu'à cause de l'habileté reconnue des Toscans, que leur dialecte est parvenue au point de balancer la dialecte romaine ; & elle l'emporte en effet en ce qui concerne le choix & la propriété des termes, les constructions, les idiotismes, les tropes, & tout ce qui peut être perfectionné par une raison éclairée ; au lieu que la cour de Rome l'emporte à l'égard de la prononciation, parce que c'est sur-tout une affaire d'agrément, & qu'il est indispensable de plaire à la cour pour y réussir.

Il sort de-là même une autre conséquence très-importante. C'est que les gens de lettres les plus autorisés par le succès de leurs ouvrages doivent sur-tout être en garde contre les surprises du néologisme ou du néographisme, qui sont les ennemis les plus dangereux du bon usage de la langue nationale : c'est aux habiles écrivains à maintenir la pureté du langage, qui a été l'instrument de leur gloire, & dont l'altération peut les faire insensiblement rentrer dans l'oubli. Voyez NEOLOGIQUE, NEOLOGISME.

Par rapport aux langues mortes, l'usage ne peut plus s'en fixer que par les livres qui nous restent du siecle auquel on s'attache ; & pour décider le siecle du meilleur usage, il faut donner la préférence à celui qui a donné naissance aux auteurs reconnus pour les plus distingués, tant par les nationaux que par les suffrages unanimes de la postérité. C'est à ces titres que l'on regarde comme le plus beau siecle de la langue latine, le siecle d'Auguste illustré par les Cicéron, les César, les Salluste, les Nepos, les T. Live, les Lucrece, les Horace, les Virgile, &c.

Dans les langues vivantes, le bon usage est douteux ou déclaré.

L'usage est douteux, quand on ignore quelle est ou doit être la pratique de ceux dont l'autorité en ce cas seroit prépondérante.

L'usage est déclaré, quand on connoît avec évidence la pratique de ceux dont l'autorité en ce cas doit être prépondérante.

I. L'usage ayant & devant avoir une égale influence sur la maniere de parler & sur celle d'écrire, précisément par les mêmes raisons ; de-là viennent plusieurs causes qui peuvent le rendre douteux.

1°. " Lorsque la prononciation d'un mot est douteuse, & qu'ainsi l'on ne sait comment on le doit prononcer.... il faut de nécessité que la façon dont il se doit écrire, le soit aussi.

2°. La seconde cause du doute de l'usage, c'est la rareté de l'usage. Par exemple, il y a de certains mots dont on use rarement ; & à cause de cela on n'est pas bien éclairci de leur genre, s'il est masculin ou féminin ; desorte que, comme on ne sait pas bien de quelle façon on les lit, on ne sait pas bien aussi de quelle façon il les faut écrire ; comme tous ces noms, épigramme, épitaphe, épithete, épithalame, anagramme, & quantité d'autres de cette nature, sur-tout ceux qui commencent par une voyelle, comme ceux-ci ; parce que la voyelle de l'article qui va devant se mange, & ôte la connoissance du genre masculin ou féminin ; car quand on prononce ou qu'on écrit l'épigramme ou une épigramme [qui se prononce comme un épigramme ], l'oreille ne sauroit juger du genre ". Rem. de Vaugelas. Préf. art. v. n. 2.

Si le doute où l'on est sur l'usage procede de la prononciation qui est équivoque, il faut consulter l'orthographe des bons auteurs, qui, par leur maniere d'écrire, indiqueront celle dont on doit prononcer.

Si ce moyen de consulter manque, à cause de la rareté des témoignages, ou même à cause de celle de l'usage ; il faut recourir alors à l'analogie pour décider le cas douteux par comparaison ; car l'analogie n'est autre chose que l'extension de l'usage à tous les cas semblables à ceux qu'il a décidés par le fait. On dit, par exemple, je vous prends tous A PARTIE, & non à parties ; donc par analogie il faut dire, je vous prends A TEMOIN, & non à témoins, parce que témoin dans ce second exemple est un nom abstractif, comme partie dans le premier, & la preuve qu'il est abstractif quelquefois & équivalent à témoignage, c'est que l'on dit, en témoin de quoi j'ai signé, &c. c'est-à-dire, en témoignage de quoi, ou, comme on dit encore, en foi de quoi, &c.

La même analogie, qui doit éclairer l'usage dans les cas douteux, doit le maintenir aussi contre les entreprises du néographisme. On écrit, par exemple, temporel, temporiser, où la lettre p est nécessaire ; c'est une raison présente pour la conserver dans le mot temps, plutôt que d'écrire tems, du-moins jusqu'à ce que l'usage soit devenu général sur ce dernier article. Ceux qui ont entrepris de supprimer au pluriel le t des noms & des adjectifs terminés en nt, comme garant, élément, savant, prudent, &c. n'ont pas pris garde à l'analogie, qui réclame cette lettre au pluriel, parce qu'elle est nécessaire au singulier & même dans les autres dérivés, comme garantie, garantir, élémentaire, savante, savantasse, prudente ; ainsi tant que l'usage contraire ne sera pas devenu général, les écrivains sages garderont garants, éléments, savants, prudents.

II. L'usage déclaré est général ou partagé : général, lorsque tous ceux dont l'autorité fait poids, parlent ou écrivent unanimement de la même maniere ; partagé, lorsqu'il y a deux manieres de parler ou d'écrire également autorisées par les gens de la cour & par des auteurs distingués dans le tems.

1°. A l'égard de l'usage général, il ne faut pas s'imaginer qu'il le soit au point, que chacun de ceux qui parlent ou qui écrivent le mieux, parlent ou écrivent en tout comme tous les autres. " Mais, dit le pere Buffier, n. 35. si quelqu'un s'écarte, en des points particuliers, ou de tous, ou presque de tous les autres ; alors il doit être censé ne pas bien parler en ce point-là même. Du reste, il n'est homme si versé dans une langue, à qui cela n'arrive ". [Mais on ne doit jamais se permettre volontairement soit de parler, soit d'écrire d'une maniere contraire à l'usage déclaré : autrement, on s'expose ou à la pitié qu'excite l'ignorance, ou au blâme & au ridicule que mérite le néologisme].

" Les témoins les plus sûrs de l'usage déclaré, dit encore le pere Buffier, n. 36. sont les livres des auteurs qui passent communément pour bien écrire, & particulierement ceux où l'on fait des recherches sur la langue ; comme les remarques, les grammaires & les dictionnaires qui sont les plus répandus, sur-tout parmi les gens de lettres : car plus ils sont recherchés, plus c'est une marque que le public adopte & approuve leur témoignage.

2°. L'usage partagé... est le sujet de beaucoup de contestations peu importantes. Id. n. 37. Faut-il dire je puis ou je peux ; je vais ou je vas, &c.... Si l'un & l'autre se dit par diverses personnes de la cour & par d'habiles auteurs, chacun, selon son goût, peut employer l'une ou l'autre de ces expressions. En effet, puisqu'on n'a nulle regle pour préférer l'un à l'autre ; vouloir l'emporter dans ces points-là, sur ceux qui sont d'un avis ou d'un goût contraire, n'est-ce pas dire, je suis de la plus saine partie de la cour, ou de la plus saine partie des écrivains ? ce qui est une présomption puérile : car enfin les autres croyent avoir un goût aussi sain, & être aussi habiles à décider, & ne seront pas moins opiniâtres à soutenir leur décision. Dès qu'on est bien convaincu que des mots ne sont en rien préférables l'un à l'autre, pourvu qu'ils fassent entendre ce qu'on veut dire, & qu'ils ne contredisent pas l'usage qui est manifestement le plus universel ; pourquoi vouloir leur faire leur procès, pour se le faire faire à soi-même par les autres ? "

Le pere Buffier consent néanmoins que chacun s'en rapporte à son goût, pour se décider entre deux usages partagés. Mais qu'est-ce que le goût, sinon un jugement déterminé par quelque raison prépondérante ? & où faut-il chercher des raisons prépondérantes, quand l'autorité de l'usage se trouve également partagée ? L'analogie est presque toujours un moyen sûr de décider la préférence en pareil cas ; mais il faut être sûr de la bien reconnoître, & ne pas se faire illusion. Il est sage, dans ce cas, de comparer les raisonnemens contraires des grammairiens, pour en tirer la connoissance de la véritable analogie, & en faire son guide.

Pour se déterminer, par exemple, entre je vais & je vas ; pour chacun desquels le pere Bouhours reconnoît (rem. nouv. tom. I. p. 580.) qu'il y a de grands suffrages ; M. Ménage donnoit la préférence à je vais, par la raison que les verbes faire & taire font je fais & je tais. Mais il est évident que c'est ici une fausse analogie, & que, comme l'observe Thomas Corneille (not. sur la rem. xxvj. de Vaugelas), " faire & taire ne tirent point à conséquence pour le verbe aller " ; parce qu'ils ne sont pas de la même conjugaison, de la même classe analogique.

M. l'abbé Girard (vrais princip. disc. viij. t. II. p. 80.) panche pour je vas, par une autre raison analogique. " L'analogie générale de la conjugaison, veut, dit-il, que la premiere personne des présens de tous les verbes soit semblable à la troisieme, quand la terminaison en est féminine ; & semblable à la seconde tutoyante, quand la terminaison en est masculine : je crie, il crie ; j'adore, il adore ; [ je souffre, il souffre ] ; je pousse, il pousse ;... je sors, tu sors ; je vois, tu vois, &c ". Il est évident que le raisonnement de l'académicien est mieux fondé : l'analogie qu'il consulte est vraiment commune à tous les verbes de notre langue ; & il est plus raisonnable, en cas de partage dans l'autorité, de se décider pour l'expression analogique, que pour celle qui est anomale ; parce que l'analogie facilite le langage, & qu'on ne sauroit mettre trop de facilité dans le commerce qu'exige la sociabilité.

La même analogie peut favoriser encore je peux à l'exclusion de je puis ; parce qu'à la seconde personne on dit toujours tu peux, & non pas tu puis, & que la troisieme même il peut, ne differe alors des deux premieres que par le t, qui en est le caractere propre.

Il faut prendre garde au reste, que je ne prétends autoriser les raisonnemens analogiques que dans deux circonstances ; savoir, quand l'usage est douteux, & quand il est partagé. Hors de-là, je crois que c'est pécher en effet contre le fondement de toutes les langues, que d'opposer à l'usage général les raisonnemens même les plus vraisemblables & les plus plausibles ; parce qu'une langue est en effet la totalité des usages propres à une nation pour exprimer la pensée par la parole, voyez LANGUE, & non pas le résultat des conventions réfléchies & symmétrisées des philosophes ou des raisonneurs de la nation.

Ainsi l'abbé Girard, qui a consulté l'analogie avec tant de succès en faveur de je vas, en a abusé contre la lettre x qui termine les mots je veux, tu peux, tu veux, tu peux. " J'avoue l'usage, dit-il, ibid. p. 91. & en même tems l'indifférence de la chose pour l'essentiel des regles... Si je m'éloigne dans certaines occasions des idées de quelques grammairiens ; c'est que j'ai attention à distinguer ce que la langue a de réel, de ce que l'imagination y suppose par la façon de la traiter, & le bon usage du mauvais autant que je les peus connoître... Quant à s au-lieu d'x en cette occasion, j'ai pris ce parti, parce que c'est une regle invariable que les secondes personnes tutoyantes finissent par s dans tous les verbes, ainsi que les premieres personnes quand elles ne se terminent pas en e muet ". Cet habile grammairien n'a pas assez pris garde qu'en avouant l'universalité de l'usage qu'il condamne, il dément d'avance ce qu'il dit ensuite, que de terminer par s les secondes personnes tutoyantes, & les premieres qui ne sont point terminées par un e muet, c'est dans notre langue une regle invariable ; l'usage de son aveu, a varié à l'égard de je peux & je veux. Il réplique que ce dernier usage est mauvais, & qu'il a attention à le distinguer du bon. C'est un vrai parallogisme ; l'usage universel ne sauroit jamais être mauvais, par la raison toute simple que ce qui est très-bon n'est pas mauvais, & que le souverain degré de la bonté de l'usage est l'universalité.

Mais cet usage, dont l'autorité est si absolue sur les langues, contre lequel on ne permet pas même à la raison de réclamer, & dont on vante l'excellence, sur-tout quand il est universel, n'a jamais en sa faveur qu'une universalité momentanée. Sujet à des changemens continuels, il n'est plus tel qu'il étoit du tems de nos peres, qui avoient altéré celui de nos ayeux, comme nos enfans altéreront celui que nous leur aurons transmis, pour y en substituer un autre qui essuiera les mêmes révolutions.

Ut sylvae foliis pronos mutantur in annos,

Prima cadunt ; ita verborum vetus interit aetas,

Et juvenum ritu florent modo nata vigentque...

Nedum sermonum stet honos & gratia vivax,

Multa renascentur quae jam cecidêre, cadentque

Quae nunc sunt in honore vocabula, si volet usus,

Quem penes arbitrium est, & jus, & norma loquendi.

Art poët. Hor.

Quel est celui, de tous ces usages fugitifs qui se succedent sans fin comme les eaux d'un même fleuve, qui doit dominer sur le langage national ?

La réponse à cette question est assez simple. On ne parle que pour être entendu, & pour l'être principalement de ceux avec qui l'on vit : nous n'avons aucun besoin de nous expliquer avec notre postérité ; c'est à elle à étudier notre langage, si elle veut pénétrer dans nos pensées pour en tirer des lumieres, comme nous étudions le langage des anciens pour tourner au profit de notre expérience leurs découvertes & leurs pensées, cachées pour nous sous le voile de l'ancien langage. C'est donc l'usage du tems où nous vivons qui doit nous servir de regle ; & c'est précisement à quoi pensoit Vaugelas, & ce que j'ai envisagé moi-même, lorsque lui & moi avons fait entrer dans la notion du bon usage, l'autorité des auteurs estimés du tems.

Au-surplus, entre tous ces usages successifs, il peut s'en trouver un, qui devienne la regle universelle pour tous les tems, du-moins à bien des égards. " Quand une langue, dit Vaugelas (Préf. art. x. n. 2.) a nombre & cadence en ses périodes, comme la langue françoise l'a maintenant, elle est en sa perfection ; & étant venue à ce point, on en peut donner des regles certaines qui dureront toujours.... Les regles que Cicéron a observées, & toutes les dictions & toutes les phrases dont il s'est servi, étoient aussi bonnes & aussi estimées du tems de Séneque, que quatre-vingt ou cent ans auparavant ; quoique du tems de Séneque on ne parlât plus comme au siecle de Cicéron, & que la langue fût extrêmement déchue. "

J'ajouterai qu'il subsiste toujours deux sources inépuisables de changement par rapport aux langues, qui ne changent en effet que la superficie du bon usage une fois constaté, sans en altérer les principes fondamentaux & analogiques : ce sont la curiosité & la cupidité. La curiosité fait naître ou découvre sans fin de nouvelles idées, qui tiennent nécessairement à de nouveaux mots ; la cupidité combine en mille manieres différentes les passions & les idées des objets qui les irritent, ce qui donne perpétuellement lieu à de nouvelles combinaisons de mots & de nouvelles phrases. Mais la création de ces mots & de ces phrases, est encore assujettie aux loix de l'analogie qui n'est, comme je l'ai dit, qu'une extension de l'usage à tous les cas semblables à ceux qu'il a déja décidés. On peut voir ailleurs, (NEOLOGISME & PHRASE) ce qu'exige l'analogie dans ces occurrences.

Si un mot nouveau ou une phrase insolite se présentent sans l'attache de l'analogie, sans avoir, pour ainsi dire, le sceau de l'usage actuel, signatum praesente notâ (Hor. art poët.) on les rejette avec dédain. Si, nonobstant ce défaut de l'analogie, il arrive par quelque hasard qu'une phrase nouvelle ou un mot nouveau, fassent une fortune suffisante pour être enfin reconnus dans la langue ; je réponds hardiment, ou qu'insensiblement ils prendront une forme analogique, ou que leur forme actuelle les menera petit-à-petit à un sens tout autre que celui de leur institution primitive & plus analogue à leur forme, ou qu'ils n'auront fait qu'une fortune momentanée pour rentrer bientôt dans le néant d'où ils n'auroient jamais dû sortir. (E. R. M. B.)

USAGE, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere plusieurs significations différentes.

Usage d'une chose est lorsqu'on s'en sert pour son utilité.

Le propriétaire d'une chose est communément celui qui a droit d'en faire usage, un tiers ne peut pas de son autorité privée l'appliquer à son usage particulier.

Mais le propriétaire peut céder à un autre l'usage de la chose qui lui appartient, soit qu'il la prête gratuitement, soit qu'il la donne à loyer.

Usage, ou droit d'usage, est le droit de se servir d'une chose pour son utilité personnelle.

L'usage considéré sous ce point de vue, est mis dans le droit romain au nombre des servitudes personnelles, c'est-à-dire, qui sont dues à la personne directement.

Il differe de l'usufruit en ce que celui qui a droit d'usufruit, peut prendre tous les fruits & revenus de la chose même au-delà de son nécessaire, au-lieu que celui qui n'en a que le simple usage ne peut en prendre les fruits que pour ce dont il a besoin personnellement, il ne peut ni vendre son droit, ni le louer, céder ou prêter à un autre, même gratuitement. Voyez aux institutes, liv. II. tit. jv.

Usage en fait de bois & forêts, s'entend du droit que quelqu'un a de prendre du bois dans les forêts ou bois du roi, ou de quelqu'autre seigneur, soit pour son chauffage, soit pour bâtir ou pour hayer.

On entend aussi par usage, en fait de forêts, le droit de mener ou envoyer paître ses bestiaux dans les bois ou forêts du roi ou des particuliers.

Tous droits d'usages dépendent des titres & de la possession, ils ne sont jamais censés accordés que suivant que les forêts peuvent les supporter.

Le droit d'usage pour bois à bâtir, & pour réparer, doit être réduit, eu égard à l'état où étoit la forêt lorsqu'il a été accordé, & à l'état présent ; il faut aussi faire attention à l'état & au nombre des personnes auxquelles le droit a été accordé, pour ne point donner d'extension à ce droit, soit pour la quantité ou la qualité du bois.

L'usage du bois pour le chauffage est réglé différemment selon le pays.

Quand les usagers ont une concession pour prendre du bois, soit verd, soit sec, autant qu'il en faut pour leur provision, sans aucune limitation ; ce droit doit être réduit à une certaine quantité de cordes, autrement il n'y auroit rien de certain, & il pourroit arriver que celui qui jouiroit présentement du droit de chauffage, consommeroit dix fois autant de bois que celui auquel il a été accordé.

En d'autres lieux les usagers ont la branche, la taille ou l'arbre par levée ; cette maniere de percevoir le droit d'usage, est aussi sujette à une infinité d'abus ; c'est pourquoi il est à propos de réduire cet usage à une certaine quantité de cordes, eu égard à l'état ancien & présent de la forêt, & des personnes ou communautés auxquelles le chauffage a été accordé. Quand la cause cesse, le chauffage doit aussi cesser.

L'usage du brisé, du sec & trainant, ou des rémanens ou restes des charpentiers, peut être toléré en tout tems & dans toutes sortes de bois.

L'usage des morts-bois ou bois blancs, doit être absolument défendu dans les taillis ; il peut être toléré dans les futayes de quarante à cinquante ans, mais à condition qu'avant de l'enlever, il sera visité sur les lieux par le garde du triage ; il est même bon de tenir la main à ce que le bois d'usage soit coupé par tronçon, & fendu sur le champ avant que de l'enlever, pour qu'on ne prenne pas de bois à bâtir au-lieu de bois de chauffage.

On ne doit souffrir en aucune façon l'usage du verd en gisant, ce seroit ouvrir la porte aux abus, n'étant pas possible de faire la distinction du bois de délit d'avec celui qui n'est sujet aux droits d'usage, c'est pourquoi l'on ne doit en enlever aucun qu'il ne soit devenu sec.

Pour ce qui est du bois mort en étant, l'usage ne doit point en être permis, quand même l'arbre seroit sec depuis la cime jusqu'à la racine ; il seroit à craindre que l'on ne fît mourir des arbres pour les avoir comme bois morts.

Le chauffage par délivrance de certaine quantité de cordes, ou de sommes de bois, doit être supprimé lorsqu'il a été accordé gratuitement ; si c'est à titre onéreux, il doit être réduit, eu égard à l'état ancien & actuel de la forêt, au nombre & à la qualité des usagers.

Il en est de même du chauffage qui a été accordé par laye ou certaine quantité de perches ou d'arpens.

L'usage qui consiste à prendre du bois pour hayer ; ce qu'en langage des eaux & forêts on appelle la branche de plein poing, ou du-moins pour clorre les vergers & autres lieux, ou pour ramer les lins, doit être entierement défendu dans les taillis ; on peut seulement le tolérer dans les futayes de 50 ans & audessus.

Tous droits d'usage de quelque espece qu'ils soient, n'arreragent point, il faut le percevoir chaque année.

L'ordonnance de 1669 a supprimé tous les droits d'usage dans les forêts du roi, soit pour bois à bâtir ou à réparer, soit pour le chauffage, à quelque titre qu'ils fussent dûs, sauf à pourvoir à l'indemnité de ceux auxquels il étoit dû quelqu'un de ces droits à titre de fondation, donation ou échange ; elle défend d'y en accorder aucuns à l'avenir, & ne conserve que les chauffages accordés aux officiers, moyennant finance, & aux hôpitaux & communautés à titre d'aumône ou de fondation, pour leur être payés non pas en essence, mais en argent, sur le prix des ventes, en se faisant par eux inscrire dans les états arrêtés au conseil.

Les usagers sont responsables de leurs ouvriers & domestiques.

En général pour tous droits d'usage de bois, on doit observer de ne pas étendre le droit de nouvelles habitations qui n'étoient pas comprises dans la concession originaire, de ne pas excéder les termes de la concession ni la personne des usagers, & de ne pas souffrir qu'ils vendent ou donnent ce droit à leurs parens ou amis, de ne point laisser prendre du bois d'une meilleure qualité ou en plus grande quantité, qu'il n'en est dû, ou que la forêt n'en peut supporter, afin que le bois soit bien abattu, & hors le tems de seve.

Le droit d'usage pour le pâturage ou parage a aussi ses regles, dont les principales sont que les usagers ne doivent mener aucuns bestiaux dans les bois, qu'ils ne soient défensables, c'est-à-dire, qu'ils n'aient au-moins trois feuilles.

On distingue même les bêtes chevalines des bêtes à cornes.

Les premieres paissent l'herbe assez assiduement, & touchent moins aux branches ; les autres s'élevent en haut, broutent par tout le bois, & font bien plus de tort aux rejets du bois ; c'est pourquoi l'on peut mener les chevaux dans les taillis de cinq ans, ou au-moins de trois, au-lieu que pour les bêtes à cornes, il faut que les taillis aient au-moins six ou sept années.

Les usagers ne peuvent communément mettre dans les pâturages que les bestiaux de leur nourriture : en quelques endroits on limite l'usage aux bestiaux qu'ils avoient en propre à la Notre-Dame de Mars, avant l'ouverture de la paisson, & aux petits qui en sont provenus depuis ; ceux qu'ils ont d'achat, & dont ils font commerce, n'y sont point compris, non plus que ceux que l'usager tient à louage ou à cheptel ; on les tolere cependant en Nivernois, en indemnisant le seigneur très-foncier.

Les bestiaux de la nourriture que l'on peut mettre pâturer dans les usages ont été fixés à deux vaches & quatre porcs, pour chaque feu ou ménage, de quelque qualité que soient les usagers, soit propriétaires, fermiers ou locataires.

Le pâturage est toujours défendu dans les bois aux usagers pendant le tems du brout & de la fenaison. Voyez l'ordonnance de 1669, tit. 19 & 20, & les mots BOIS, COMMUNES, CHAUFFAGE, PARAGE, PANAGE, PATURAGE, PRES, TAILLIS, USAGERS.

Usage signifie aussi ce que l'on a coutume d'observer & de pratiquer en certain cas.

Le long usage confirmé par le consentement tacite des peuples, acquiert insensiblement force de loi.

Quand on parle d'usage, on entend ordinairement un usage non-écrit, c'est-à-dire qui n'a point été recueilli par écrit, & rédigé en forme de coutume ou de loi.

Cependant on distingue deux sortes d'usages, savoir, usage écrit & non-écrit.

Les coutumes n'étoient dans leur origine que des usages non-écrits qui ont été dans la suite rédigés par écrit, de l'autorité du prince ; il y a néanmoins encore des usages non-écrits, tant au pays coutumier, que dans les pays de droit écrit.

L'abus est opposé à l'usage, & signifie un usage contraire à la raison, à l'équité, à la coutume ou autre loi. Voyez aux institutes, liv. I. tit. 2, & les mots COUTUME, DROIT, LOI, ORDONNANCE. (A)


USAGERS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui a quelque droit d'usage, soit dans les forêts pour y prendre du bois, soit dans les bois, prés & pâtis pour le pâturage & le panage ou glandée.

Francs usagers, sont ceux qui ne payent rien pour leur usage, ou qui ne payent qu'une modique redevance pour un gros usage.

Gros usagers, sont ceux qui ont droit de prendre dans la forêt d'autrui un certain nombre de perches ou d'arpens de bois, dont ils s'approprient tous les fruits, soit pour bâtir ou réparer ou pour se chauffer.

Menus usagers, sont ceux qui n'ont que pour leurs besoins personnels, les droits de pâturage & de panage & la liberté de prendre le bois brisé ou arraché, le bois sec tombé ou non, tous les morts bois, les restes des charpentiers, & ce qu'on appelle la branche de pleing poing, pour hayer, c'est-à-dire pour déclore ou pour ramer les lins. Voyez l'ordonnance des eaux & forêts, tit. 19 & 20, & CHAUFFAGE, GLANDEE, PACAGE, PANAGE, PATURAGE. (A)


USANCES. f. (Gram. & Jurisprud.) est un ancien terme qui signifioit usage, & que l'on emploie encore en certains cas.

On dit encore l'ancienne usance, pour dire l'ancien usage qui s'observoit ou s'observe encore sur quelque matiere.

L'usance de Saintes est l'usage qui s'observe entre mer & Charente : c'est un composé des usages du droit écrit & de quelques coutumes locales non écrites, justifiées par des actes de notoriété du présidial de Saintes.

En matiere de lettres-de-change, on entend par le terme d'usance, un délai d'un mois qui est donné à celui sur qui la lettre est tirée, pour la payer. Dans l'origine, l'usance étoit le délai que l'on avoit coutume d'accorder suivant l'usage ; mais comme l'usage n'étoit pas par-tout uniforme sur la fixation du délai pour le payement des lettres tirées à usance, l'ordonnance du commerce, tit. 5, art. 5, a réglé que les usances pour le payement des lettres, seront de trente jours, encore que les mois aient plus ou moins de jours ; ainsi une lettre tirée à usance, est payable au bout de trente jours ; une lettre à deux usances est payable au bout de deux mois. En Espagne & en Portugal, chaque usance est de deux mois. Voyez le parfait négociant de Savari, tom. I. l. III. ch. v. & les mots CHANGE, LETTRE-DE-CHANGE. (A)


USBECKS(Géog. mod.) ou Tartares Usbecks, peuples tartares qui habitent sur la côte orientale de la mer Caspienne. Ils tiennent une grande étendue de pays, depuis le 72 degré de longitude jusque vers le 80, & depuis le 34 de latitude jusqu'au 40. Ils occupoient au seizieme siecle, & occupent encore le pays de Samarcande. On les distingue en tartares Usbecks de la grande Bucharie, & en tartares Usbecks de Charassin ; mais ils vivent tous dans la pauvreté, & savent seulement qu'il est sorti de chez eux des essains qui ont conquis les plus riches pays de la terre. Voyez TARTARES. (D.J.)


USBIUM(Géog. anc.) ville de la Germanie. Elle est marquée près du Danube par Ptolomée, l. II. c. xij. Lazius qui la met dans l'Autriche, dit que le nom moderne est Persenburg. (D.J.)


USCOPIA(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Servie, à 75 lieues au sud-est de Belgrade. C'est la résidence d'un sangiac & d'un archevêque latin. Long. 40. 8. latit. 42. 15. (D.J.)


USCOQUES(Géog. mod.) peuples voisins de la Hongrie, de la Dalmatie, de la Servie & de la Croatie impériale. Plusieurs gens d'entre ces peuples sortirent de leur pays dans le xvj. siecle pour fuir, dirent-ils, le joug des Turcs. De-là vient, selon quelques-uns, le nom qu'ils prirent, tiré du mot scocò, qui dans la langue du pays veut dire fugitif ou transfuge. La premiere place que les Uscoques choisirent pour s'y domicilier, fut la forteresse de Clissa bâtie au-dessus de Spalatro ; cette place ayant été enlevée par les Turcs l'an 1537, les Uscoques se refugierent à Segna, ville située vis-à-vis de l'île de Veglia. Ces gens féroces firent d'abord des merveilles, & battirent les Turcs ; mais bientôt ils exercerent sur les Chrétiens mêmes, toutes sortes de pirateries, qui obligerent la république de Venise d'armer contr'eux & de les poursuivre pour la sûreté de son commerce avec les sujets du grand-seigneur. Les Vénitiens supplierent l'empereur de réprimer les Uscoques ; mais comme les ministres autrichiens partageoient avec eux les profits, on ne se pressa pas d'expédier les ordres que Venise sollicitoit. Alors les Vénitiens envoyerent une escadre qui ravagea les côtes de Segna, & fit pendre tous les Uscoques qu'elle put attrapper en course. Enfin par le traité conclu à Madrid en 1618, les Uscoques furent contraints de sortir de Segna ; leurs familles furent transférées ailleurs, & leurs barques furent brûlées. (D.J.)


USÉparticipe, (Gram.) voyez USER.

USE, (Jardinage) on dit une terre, une branche altérée pour avoir donné trop de fruit ; on améliore la premiere, & on coupe l'autre un peu court pour lui faire pousser de nouveau bois.

USE, (Maréchal.) un cheval usé est celui qui a tant fatigué, qu'il ne peut plus rendre aucun service.


USEDOM(Géog. mod.) petite île d'Allemagne, sur la mer Baltique, dans la Poméranie, au cercle de la haute Saxe. Elle a environ six milles d'étendue, & contient une ville ou bourg de même nom. Long. 38. 30. latit. 53. 47. (D.J.)


USELLIS(Géog. anc.) ville de l'île de Sardaigne. Ptolomée la marque sur la côte occidentale, & lui donne le titre de colonie. C'est présentement Oristagni, selon Cluvier. (D.J.)


USENS. m. (Hist. nat.) volcan du Japon, qui se trouve dans le voisinage de Sima Baru. Son sommet est aride & toujours couvert d'une matiere blanche calcinée. Le terrein qui y conduit est chaud, & même brûlant en plusieurs endroits. L'eau de la pluie qui tombe sur cette montagne, ne tarde point à bouillonner ; l'on n'y marche qu'en tremblant, parce que le terrein paroît mouvant, & retentit sous les piés des voyageurs. Il en sort des exhalaisons si puantes, que les oiseaux n'en approchent point ; il sort plusieurs sources d'eau minérale de cette montagne : les unes sont froides, & les autres sont chaudes ; la plus fréquentée de ces sources est celle qu'on appelle Obamma ; on lui attribue la vertu de guérir plusieurs maladies, & sur tout le mal vénérien ; mais Kaempfer a observé que cette cure n'étoit point radicale. Les prêtres tirent un grand profit de ces bains, auxquels ils attribuent le pouvoir d'effacer les péchés ; mais chaque fontaine n'a de vertu que pour une espece particuliere de péché, & l'on a soin d'indiquer au pénitent celle qui lui convient pour les crimes dont il veut se purifier.


USERv. act. (Gram.) c'est faire usage ou se servir d'une chose. User, c'est détruire par le service ou l'usage : c'est encore un verbe relatif à la conduite qu'on tient avec les autres. Ma bourse vous est ouverte, vous pouvez en user quand il vous plaira ; vous en pouvez user librement avec moi ; mais usez-en bien d'ailleurs avec moi, & sur-tout n'usez pas ni mon crédit ni ma condescendance pour vos besoins.


USIATIN(Géog. mod.) petite ville de la Pologne, dans le palatinat de Podolie, sur la riviere de Sébrouce. (D.J.)


USILLA(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre, selon Ptolomée, l. IV. c. iij. Elle est qualifiée de municipe dans la table de Peutinger, & de cité dans l'itinéraire d'Antonin, qui la met sur la route de Carthage à Theuae. Elle devint un siege épiscopal de la Byzacène. On croit que c'est à présent Casarceton, village d'Afrique en Barbarie, au royaume de Tunis, à cinq lieues d'Asfach du côté du nord. (D.J.)


USIPETEou USIPIENS, s. m. pl. (Hist. anc.) peuples de l'ancienne Germanie, qui habitoient dans la Westphalie, sur les bords de la riviere de Lippe appellée alors Luppia.

USIPIENS, les, (Géog. anc.) Usipii, peuples de la Germanie, & nommés avec les Teucteri par les anciens auteurs, parce qu'ils ont habité dans le même quartier, & que leurs migrations & leurs expéditions ont été faites en commun. César, l. IV. Florus, l. IV. c. xij. & Tacite, annal. l. I. c. lj. disent Usipetes. Strabon, l. VII. écrit , Nusipios, & Ptolomée .

Quoi qu'il en soit de l'orthographe, voici l'histoire des Usipiens & des Teucteres. Ces peuples habiterent d'abord entre les Chérusques & les Sicambres ; mais les Cattes les chasserent, & après qu'ils eurent erré avec divers autres peuples durant trois ans dans la Germanie, ils vinrent s'établir sur le Rhin, au voisinage des Sicambres. Les Ménapiens, nation d'en-deçà du Rhin, occupoient alors les deux bords de ce fleuve. Il y a apparence que ce fut du consentement des Sicambres, que les Usipiens & les Teucteres s'emparerent du pays des Ménapiens au-delà du Rhin, & passerent ensuite ce fleuve pour s'y fixer, s'étendant jusqu'aux confins des Eburons & des Condruses.

Dans la 698e année de Rome, & la 53e avant Jesus-Christ, les Usipiens & les Teucteres furent presque entierement exterminés par César ; il ne se sauva qu'un petit nombre de gens de cheval, qui ne s'étoient point trouvé à la bataille, parce qu'ils avoient passé la Meuse pour aller chercher des vivres & faire du butin. Ceux-ci après la défaite de leurs compatriotes, repasserent le Rhin, & s'établirent aux confins des Sicambres avec qui ils se joignirent. Cependant sous le regne d'Auguste leur nombre se trouva tellement accru, qu'ils furent en état de tourner leurs armes contre les Romains. Les expéditions de Drusus dans la Germanie nous apprennent que les pays des Usipiens & celui des Teucteres étoient distingués, lorsque les Sicambres habitoient dans leur ancienne demeure.

Les Usipiens s'étendoient le long de la rive droite de la Lippe ; car selon Dion Cassius, l. LIV. Drusus ayant passé le Rhin, & subjugué les Usipiens, il jetta un pont sur la Lippe, pour entrer dans le pays des Sicambres. Il paroît que les Teucteres habitoient à l'occident des Sicambres, & que le Rhin les séparoit des Ménapiens ; mais on ne sauroit décider s'ils demeuroient, de même que les Usipiens, sur la rive droite de la Lippe, ni quel espace les Usipiens occupoient sur le bord du Rhin.

Dans la suite, Tibere ayant transféré les Sicambres dans la Gaule, afin que les garnisons romaines pussent veiller plus aisément sur eux, le pays qu'ils avoient occupé dans la Germanie, fut sans doute cédé par les Romains aux Usipiens & aux Teucteres ; car on voit que ces derniers posséderent les terres que nous avons dit appartenir aux Sicambres. Alors les Teucteres s'étendoient le long du Rhin, depuis le Segus jusqu'à la Rora, & dans les terres le long de la Lippe & de l'Asie. A l'égard des Usipiens, ils demeuroient sur les deux bords de la Lippe & sur le Rhin, peut-être jusqu'à l'endroit où ce fleuve se partage pour former l'île des Bataves. En effet, Dion Cassius les met au voisinage de cette île ; & Tacite qui leur donne pour voisins les Cattes, fait assez entendre que les Usipiens demeuroient au-dessous des Teucteres, ce qui devoit les approcher du commencement de l'île des Bataves.

Les Usipiens & les Teucteres ne demeurerent pas toujours dans cet état. Leurs bornes se trouverent resserrées par des migrations d'autres peuples ; & l'on apprit à Rome, au commencement du regne de Trajan, que les Teucteres avoient été presque détruits par les Chamaves & par les Angrivariens, qui s'étoient emparés d'une grande partie de leurs terres. Si ces peuples ne purent pas détruire aussi les Usipiens, il est du-moins certain qu'ils leur enleverent ce qu'ils possédoient à la droite de la Lippe.

Enfin du tems de Constantin, les Usipiens cesserent en quelque sorte de faire figure dans ces quartiers ; les Bructeres & les Chamaves prirent leur place, & soutinrent avec fermeté la guerre vigoureuse que les Romains leur firent. (D.J.)


USITÉadj. (Gram.) qui est d'usage. C'est une coutume usitée. Ce mot est usité. Voyez USAGE.


USKE(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans la province de Montmouth, à douze milles d'Albergaveny, sur le bord de la riviere qui lui donne son nom. C'est une place ancienne, connue sous le nom de Burrium, & les Gallois l'appellent Brunenbégie. (D.J.)

USKE, l ', (Géog. mod.) riviere d'Angleterre. Elle a sa source dans Brecknocshire, aux confins de Caermarthenshire. Après avoir arrosé quelques endroits de la province de Montmouth, elle se jette dans la Saverne. (D.J.)


USKUP(Terme de relation) corne droite qui est mise par devant le bonnet des janissaires, & qui seule sert à les distinguer des capidgis. (D.J.)


USNÉES. f. (Hist. nat. Bot.) museus arboreus, est une sorte de plante parasite ou mousseuse, qui vient comme une grande barbe sur le chêne, le cédre & plusieurs autres arbres. Voyez MOUSSE, RASITESITE.

USNEE-HUMAINE, (Mat. méd.) ou mousse de crâne humain. Cette mousse ne possede absolument, selon les pharmacologistes raisonnables, que les vertus les plus communes des mousses en général. Voyez MOUSSE. (Mat. méd.)

La célébrité particuliere de celle-ci n'a d'autre origine que la crédulité superstitieuse ou la charlatanerie fanatique puisée dans le paracelsisme ; mais les vaines prétentions de cet ordre ne valent pas même aujourd'hui la peine d'être réfutées sérieusement. Si quelque lecteur étoit cependant curieux de s'instruire de toutes les fadaises qu'on a débitées sur l'usnée-humaine, il trouvera une savante dissertation à ce sujet dans les éphémerides d'Allemagne, déc. I. ann. II. p. 96. composée par le docteur Martin-Bernard à Berniz. Le continuateur de la mat. méd. de Geoffroi qui indique cette dissertation, s'étend aussi assez raisonnablement sur l'usnée-humaine. (b)


USNEN(Botan. arab.) nom donné par Avicennes & Sérapion, à la plante dont on fait le sel alkali appellé potasse, & qui est d'usage dans la composition des savons. Il est vrai qu'en général les Arabes ont appellé usnen, plusieurs choses différentes, employées au nettoyage des hardes, comme l'hyssope, la soldanelle, &c. mais alors ils ajoutent toujours le mot usnen à ces différentes choses ; au-lieu que quand il est seul, il désigne uniquement la plante kali. (D.J.)


USNESparmi les marchands de bois, sont des cables composés de six pouces pour garer les trains sur les ports où on les construit, & en route.


USQUEBAou ESCUBA, s. f. est une liqueur composée, forte & excellente, qui se boit à petits coups, & dont la base est l'eau-de-vie ou l'esprit de vin.

Les drogues qui y entrent sont en grand nombre ; mais la préparation varie un peu. Nous donnerons ici pour échantillon une des plus recommandées autrefois.

Prenez huit pintes d'eau-de-vie ou d'esprit-de-vin ; une livre de réglisse d'Espagne ; demi-livre de raisins séchés au soleil ; quatre onces de raisins de Corinthe ; trois onces de dates coupées par tranches ; sommités de thym, de menthe, de sariette, & sommités ou fleurs de romarin, de chacune deux onces ; canelle, macis, muscade, graines d'anis & de coriandre pilées, de chacune quatre onces ; écorces rapées d'orange & de citron ou de limon, de chacune une once.

Mettez infuser toutes ces drogues pendant quarante-huit heures dans un lieu chaud, remuant souvent le vaisseau. Ensuite mettez-les dans un lieu froid pendant une semaine : après cela décantez la liqueur, & y ajoutez pareille quantité de vin de Portugal & quatre pintes de vin de Canarie. Adoucissez tout cela avec suffisante quantité de sucre fin.


USSEAUX(Géog. mod.) bourg de la vallée de Pragela, frontiere de Dauphiné du côté de Pignerol. Je parle de ce bourg, parce que les réformés ne m'excuseroient pas, & avec raison, si j'oubliois de dire que Saurin (Elie), célebre théologien calviniste, y naquit en 1639. Il servit en 1662 l'église d'Embrun, & fut appellé à Delft en Hollande, en 1667. Il exerçoit le ministere à Utrecht en 1672, lorsque Louis XIV. se rendit maître de cette ville. En 1691 il eut de grands différends théologiques avec M. Jurieu, dans lesquels il régna de part & d'autre (mais sur-tout dans M. Jurieu), beaucoup plus d'animosité qu'il ne convenoit à des gens de leur caractere. M. Saurin mourut en 1703, âgé de 64 ans. Il étoit plein de droiture & d'affabilité, constant dans sa conduite, & grand défenseur de la liberté tant civile qu'ecclésiastique. Il a fait un ouvrage généralement estimé, sur les droits de la conscience, Utrecht 1697 in-8°. son traité de l'amour de Dieu, parut dans la même ville en 1701 en deux volumes in-8°. & après sa mort, on a donné son traité de l'amour du prochain. Utrecht 1704, in-8°. (D.J.)


USSEL(Géog. mod.) petite ville ou plutôt bourg de France dans le Limousin, à deux lieues au nord-est de Ventadour, & le seul lieu de ce duché. (D.J.)


USSON(Géog. mod.) en latin barbare Ucio, Uxo, Uxus, petite ville de France en Auvergne, élection d'Issoire, à quatre lieues de Brioude. Long. 20. 2. lat. 45. 24.

Rien n'a autant fait connoître la petite ville d'Usson, que le long séjour que fit dans son château Marguerite de France, premiere femme du roi Henri IV. princesse douée de beaucoup plus d'esprit & de beauté que de sagesse & de vertu. Elle demeura dans ce château près de vingt années, comme l'histoire nous l'apprend.

" Marguerite (dit le P. Hilarion de Coste) sortit d'Agen en habit de simple bourgeoise, fut portée en trousse par Lignerac, à qui elle donna le nom de chevalier de la fleur, & gagna pays toute la nuit avec un travail qui éprouva son courage, au péril de sa santé. De Martas la vint trouver sur la frontiere avec cent gentilshommes, la logea dans sa maison de Carlat, retourna à Agen pour sauver ses pierreries & recueillir les débris de sa suite ; sa mort l'en fit sortir au bout de dix-huit mois....

Le marquis de Canillac l'emmena & l'enferma à Usson ; mais bientôt après ce seigneur d'une illustre maison, se vit le captif de sa prisonniere : il pensoit avoir triomphé d'elle, & la seule vue de l'ivoire de son bras triompha de lui ; & dès-lors il ne vequit que de la faveur des yeux victorieux de sa belle captive.... Au même instant qu'elle pensoit mourir captive, elle se vit assurée de régner libre en cette forte place, d'où elle délogea ceux qui l'avoient logée.

Pendant ces vingt années, ajoute le P. de Coste, ce château d'Auvergne fut un Thabor pour la dévotion de la reine, un Liban pour sa solitude, un Olympe pour ses exercices, un Parnasse pour ses muses, & un Caucase pour ses actions ". Si le P. Hilarion a toujours pratiqué les autres vertus du christianisme avec la même fidélité qu'il pratique la charité dans cette occasion, nous ne devons pas hésiter à le regarder comme un saint. Il y auroit moins de médisance à comparer le château d'Usson avec l'île de Caprée qui fut la retraite de Tibere, qu'il n'y a de flaterie à le comparer à un Thabor de dévotion, pendant que Marguerite l'habita. Durant cet intervalle elle y eut deux fils, l'un du sieur de Chanlon, & l'autre du sieur d'Aubiac.

De retour à la cour de France, elle donna volontiers les mains à la dissolution de son mariage avec Henri IV. & passa le reste de ses jours dans un mêlange bizarre de galanterie, de dévotion, d'étude, de musique, & de conversations avec des gens de lettres. Elle mourut en 1615, âgée de soixante-trois ans. Le sage & fameux Pibrac avoit été son chancelier & son amant.

Le fort château d'Usson a été rasé en 1634 ; & la ville s'est insensiblement dépeuplée, au point que sa justice royale est la seule chose qui empêche qu'elle ne soit absolument abandonnée. (D.J.)


USSUBIUM(Géog. anc.) ville de la Gaule aquitanique ; l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Bordeaux à Argantomagum, entre Sirione & Fines, à vingt milles du premier de ces lieux, & à vingt-quatre milles du second. Quelques manuscrits portent Usubium, au-lieu d'Ussubium ; & la table de Peutinger lit Vesubium. On croit que c'est aujourd'hui la Réole, sur la rive droite de la Garonne. (D.J.)


USTENSILES. m. (Gram.) au singulier c'est un petit meuble domestique, d'usage dans la cuisine, comme un gril, une broche, un pot, une poële.

Au pluriel, il désigne la collection de tous les instrumens propres à un art, à une manoeuvre. Voyez les articles suivans.

USTENSILES, (Art milit.) ce sont les meubles que l'hôte est obligé de fournir aux soldats qui sont chez lui en quartier ; comme un lit avec sa garniture, un pot, une cuilliere, &c. Il faut aussi qu'on leur donne une place pour se chauffer au feu, & une chandelle.

L'on fournit les ustensiles en argent, ou en nature. Chambers.

USTENSILES de jardinage, (Agriculture) le jardinier doit avoir des charrettes à fumier, des tombereaux, brouettes, civieres, fourches à dents de fer & de bois, pelles, bêches, pics, pioches, piochons, & hottes ; des scies & maillets, des échalas, ou lattes, & osiers pour les treillages d'espaliers, cabinets, & berceaux, des serpes & planes pour les couper & polir, &c. des échelles de toutes sortes, simples, doubles, & à trois piés ; des jalons ou bâtons de bois bien droits qu'on fiche en terre, pour prendre des alignemens des allées & compartimens d'un jardin, & pour servir aussi de jauge, pour mesurer & égaler les tranchées quand on fouille ; des traçoirs pour tracer les compartimens, des battes pour battre la terre des allées, des ratissoires, des rateaux, des rabots, un cylindre pour unir les allées, une serfouette, une pince, des plantoirs, une scie à main, des serpettes, des greffoirs, des ciseaux de jardinier, un croissant, un sarcloir, un échenilloir, un fermoir, des arrosoirs, des pots de fleurs, des caisses, des mannes, de manequins, des baquets, des déplantoirs, des houletes, des truelles, des cribles, des claies, des cloches, des pleyons, paillassons, brise-vents, chassis, &c. (D.J.)

USTENSILES de labourage, (Agricult.) les ustensiles de labourage sont diverses charrues, charrettes, tombereaux, haquets, casse-motte, herse, civieres, brouettes, rateaux, fourches, tire-fiens, échardonnoirs, sarcloirs, houes, pics, pelles, bêches, pioches, piochons, échelles, croissans, fléaux, vans, cribles, faux, faucilles, coignées, haches, serpes, marteaux, maillets, tenailles, scies, vilebrequins, tarieres, vrilles, leviers, broye pour broyer le chanvre, serans pour le peigner, &c. (D.J.)


USTICA(Géog. anc.) 1°. île voisine de celle de Sicile, selon Ptolomée, l. III. c. iv. qui y met une ville du même nom. Pline, l. III. c. viij. dit qu'elle est à l'opposite de Paropus. Ustica est présentement une des îles de Lipari ; elle conserve son ancien nom, mais elle est déserte.

2°. Ustica étoit encore le nom d'une colline du Lucretile, dans le pays des Sabins, au territoire de Bandusie. La maison de campagne d'Horace étoit située sur ce petit coteau, & portoit le même nom : dans l'ode 17. liv. I. il invite Tyndaris, fille spirituelle, & qui aimoit passionnément la Poésie, de venir se retirer pour quelque tems à sa campagne de Sabine ; il lui dit :

Nec metuunt haeduliae lupos

Utcumque dulci, Tyndari, fistulâ

Valles & Usticae cubantis

Laevia personuere Saxa.

" Tyndaris, sur le mont Lucrétile, les chevreaux n'appréhendent point la dent carnaciere des loups, dès que Faune fait entendre sa flûte aux échos des vallons & des collines d'Ustica ".

L'épithete cubans, marque que la pente d'Ustica étoit douce : le vieux Scholiaste cité par Ortélius & par Cellarius, a cru que le nom Ustica, convenoit aussi-bien à la vallée qu'à la montagne, & cela peut être. Ce qui nous intéresse le plus, c'est la maison de campagne d'Horace ; Mécénas la lui procura par la faveur d'Octavien, l'an de Rome 716 ; le poëte avoit alors 28 ans, & fit à cette occasion l'ode laudabunt alii clarum Rhodon aut Mitylenem, dont il ne nous reste plus qu'un fragment. Il ne pouvoit guere manquer après cela de nous donner une description poëtique de sa jolie terre d'Ustique ; & c'est ce qu'il a fait quelquefois, mais particulierement dans son épître à Quintius, épître xvj. livre I.

Ne perconteris, fundus meus, optime Quinti,

Arvo pascat herum, an baccis opulentet olivae,

Pomisne & pratis, an amictâ vitibus ulmo,

Scribetur tibi forma loquaciter, & situs agri.

Continui montes, nisi dissocientur opaca

Valle : sed ut veniens dextrum latus aspiciat sol,

Laevum discedens curru fugiente vaporet.

Temperiem laudes. Quid si rubicunda benignè

Corna vepres & pruna ferant ? si quercus & ilex

Multa frugo pecus, multa dominum juvet umbra ?

Dicas abductum propius frondere Tarentum.

Fons etiam rivo dare nomen idoneus, ut nec

Frigidior Thracam, nec purior ambiat Hebrus.

Infirmo capiti fluit utilis, utilis alvo.

Hae latebrae dulces, etiam (si credis) amoenae

Incolumem tibi me praestant septembribus horis.

" Vous êtes donc curieux, mon cher Quintius, de savoir en quoi consiste le revenu de ma terre ; si c'est en blé, en olives, en fruits, en prés, ou en vins. Afin que vous ne me fassiez plus de pareilles questions, je vais vous faire une description complete de sa nature & de sa situation. Imaginez-vous une chaîne de montagnes, interrompue seulement par une vallée bien couverte, de maniere que j'ai le soleil levant à ma droite, & le couchant à ma gauche. L'air y est fort tempéré ; vous en seriez charmé vous-même. Mais si vous voyez nos haies & nos buissons étaler la pourpre des prunes & des cornouilles dont ils sont chargés, & nos chênes fournir en abondance du gland à nos troupeaux, & nous donner une ombre agréable, vous jureriez sans doute qu'on auroit transporté aux environs de ma maison la campagne de Tarente avec ses délicieux bocages. Outre cela j'ai une fontaine assez considérable pour donner son nom à un ruisseau, dont elle est la source. Ses eaux ne sont ni moins fraîches ni moins pures, que celles de l'Hébre qui baigne la Thrace ; & elles ont encore cet avantage, qu'elles sont souveraines contre les maux de tête, & contre les chaleurs d'entrailles. Ce sont ces paisibles retraites, (le dirai-je, & m'en croirez-vous enfin ?) c'est ce séjour enchanté qui garantit votre ami contre l'intempérie de l'automne ".

Cette terre d'Ustique d'Horace, devoit être réellement fort jolie ; le ruisseau qui la traversoit & qui y prenoit sa source, s'appelloit la Digence. D'ailleurs c'étoit une terre assez considérable, puisqu'il y occupoit toute l'année huit esclaves, & qu'elle avoit suffi autrefois à l'entretien de cinq familles. Elle avoit entr'autres choses des vergers, des bois, & des prairies ; Horace fit faire à la maison plusieurs changemens à différentes fois, & il la fit enfin rebâtir toute entiere de belles pierres blanches de Tivoli, qui étoit dans le voisinage. (D.J.)


USTIONS. f. (Méd. thérap.) en latin ustio, inustio, du verbe urere ou inurere, brûler. L'ustion se prend encore pour cautérisation, comme brûler se prend pour cautériser ; ce dernier terme est même plus de l'art : mais il semble qu'on pourroit établir cette différence entre ces deux premiers mots, que ustion désigne plus absolument l'action du feu actuel ; au lieu que cautérisation peut désigner quelquefois l'effet du cautere actuel, comme celle-ci du cautere potentiel.

L'ustion est un des plus puissans secours & des plus généraux, dont la Médecine ait jamais fait usage contre les maladies obstinées. On pourroit l'appeller le vésicatoire par excellence, ses effets réunissant tous ceux des vésicatoires dans la plus grande célérité & intensité d'action & de vertu. Voyez VESICATOIRE. Les instrumens qui servent à l'ustion ont été appellés par les anciens , cauterium, cautere, c'est-à-dire instrument dont on se sert pour brûler quelque chose ; on les divise en actuels & en potentiels. Voyez CAUTERE.

Les cauteres actuels dont il s'agit ici peuvent être d'or, d'argent, de cuivre, de fer, ou de quelqu'autre matiere. Leurs figures chez les anciens étoient très-variées, il y en avoit en forme de coin, de trident, de forme olivaire, &c. (voyez dans Paul d'Aegine, ch. de alae ustione, hepatis ustione, pag. 569.) Hippocrate employoit les fers chauds, les fuseaux de buis, trempés dans l'huile bouillante, &c. les autres anciens se servoient encore pour cautériser, d'un champignon de lin crud, ou d'une excroissance fongueuse qui se trouve sur les noyers ou sur les chênes, que Paul d'Aegine appelle isca, (voyez Paul d'Aegine, pag. 570.), & qu'on faisoit brûler sur la partie, ce qui revient à-peu-près aux ustions pratiquées chez les Chinois, les Egyptiens, & chez quelques autres peuples des Indes, avec le moxa ou coton d'armoise, voyez MOXA. Enfin, il y avoit les ventouses ignées qu'on pourroit regarder comme un autre moyen de cautériser. Cependant la méthode la plus pratiquée étant celle de brûler avec le fer chaud, c'est celle-là sur toutes les autres, qu'on doit entendre par le mot ustion.

Les anciens employoient les ustions dans toutes les maladies chroniques. L'axiome quae ferrum non sanat ignis sanat, &c. & qui est par-tout, se rapporte principalement à celles-ci. On se servoit en conséquence des ustions dans les phthisies, les suppurations de poitrine, les hydropisies, les asthmes, les maladies de la rate, dans celles du foie, dans la goutte, dans la sciatique, dans les maux de tête, &c. On doit juger par ce que nous dit Hippocrate, de la facilité avec laquelle les Scythes nomades se faisoient cautériser, & par tout ce qu'il nous apprend de sa pratique, combien ce remede étoit familier parmi les anciens. Le reflux des arts en Europe y apporta le même goût pour les ustions. Forestus nous dit que de son tems, c'étoit la coutume en Italie de cautériser les enfans au derriere de la tête, pour les guérir ou les préserver de l'épilepsie ; il ajoute que les femmes de la campagne alloient dans les villes porter leurs enfans aux prêtres, qui, outre les personnes de l'art, se mêloient de cette opération, & y employoient ou le fer chaud, ou les charbons ardens. Voyez Forestus, tom. I. pag. 494.

Les ustions se faisoient donc à l'occiput & à différens endroits de la tête, plus ou moins près des sutures. Elles se faisoient encore au dos, à la poitrine, au ventre, aux environs de l'ombilic, aux hypocondres, aux cuisses, aux jambes, à la plante des piés, aux doigts, &c. en observant néanmoins que ce ne fût que sur les parties charnues : car le cautere potentiel devoit être préféré pour les parties osseuses & les nerveuses. On n'y employoit ordinairement qu'un seul instrument ; mais il étoit des opérations chirurgicales, comme celle qu'on pratiquoit pour l'hydrocele, dont Paul d'Aegine nous a conservé le manuel, où l'on employoit jusqu'à dix à douze cauteres ou fers brûlans. Voyez Paul d'Aegine, cap. de herniâ aquosâ. On entretenoit pendant quelques jours les ulceres produits par l'ustion, ainsi que le recommande Hippocrate, en y jettant du sel ou y appliquant quelqu'autre substance propre à faire fluer ces ulceres. Dans les ustions qui se pratiquoient contre les suppurations de poitrine, on introduisoit dans les escares de la racine d'aristoloche, trempée dans de l'huile. Voyez Paul d'Aegine, lib. VI. de remed. p. 569.

Les ustions sont préférables à beaucoup d'égards aux cauteres potentiels, dans l'ouverture de quelques abscès & le traitement de beaucoup de plaies ; 1°. leur effet est beaucoup plus prompt & beaucoup plus puissant ; 2°. ils purifient les parties en absorbant l'humidité, leur redonnent du ton & les revivifient, pour ainsi dire ; au-lieu que l'effet des autres cauteres est très-lent, qu'ils ajoutent à l'état d'atonie ou de cachexie de la partie, & que leur vertu est beaucoup moindre. On ne laissoit pourtant pas que de les employer dans plusieurs cas avant le cautere actuel, comme pour une préparation à celui-ci, il est même quelques ouvertures de dépôts critiques qu'il seroit plus utile de faire avec le cautere potentiel, qu'avec le bistouri qui est la pratique ordinaire.

Les ustions sont capables de procurer dans beaucoup de cas des révolutions très-propres & très-salutaires. On les employoit très-efficacement pour arrêter les hémorrhagies ; l'irritation & la suppuration des ulceres produits par ce moyen, déchargeoient souvent un organe voisin, du pus ou des autres matieres qui y étoient contenues, & procuroient des guérisons radicales ; les livres, tant anciens que modernes, sont pleins de curations merveilleuses opérées par cette méthode. Je ne sais par quelle fatalité il est arrivé qu'elle soit presque inusitée dans la pratique moderne : des personnes même très-célebres dans l'art ont fait jusqu'ici de vains efforts pour la rétablir en la proposant avec les modifications convenables ; on a fait valoir contre leurs raisons, toutes les horreurs de cette manoeuvre, qu'on a toujours trop exagérées. Article de M. H. FOUQUET, docteur en Médecine de la faculté de Montpellier.


USTIUGou OUSTIOUG, (Géog. mod.) province de l'empire Russien, dans la partie septentrionale de la Moscovie ; elle est coupée du midi au nord par la Dwina, & a pour capitale la ville qui lui donne son nom. Voyez OUSTIOUG. (D.J.)

USTIUGA, (Géog. mod.) ville de l'empire Russien, capitale de la province de même nom, sur le bord de la Dwina, entre Archangel & Wologda. On nomme plus communément cette ville & sa province Oustioug. Voyez OUSTIOUG. (D.J.)


USTRINUM(Littérat.) c'étoit, selon Servius, une place de bucher, sur lequel on brûloit les corps. Cette place chez les Romains, étoit celle où l'on recueilloit les cendres du mort ; & pour cette raison, elle répondoit à la situation du cadavre, posé sur le haut du bucher.

Festus pense que c'étoit un vase destiné dans le brûlement des corps pour en recevoir les cendres. Son sentiment paroît d'autant plus vraisemblable, que dans deux inscriptions antiques, rapportées par Meursius, il est fait mention de cet ustrinum, comme d'une pierre portative, que quelques loix funéraires ou les testamens, défendoient d'être employée à la construction du tombeau de ceux, sur le bucher desquels elle auroit servi. Voici ces deux inscriptions. Premiere inscription ; Huic monumento, ustrinum Applicari Non Licet ; seconde inscription, Ad Hoc Monumentum, ustrinum Applicari Non Licet.

On peut concevoir de-là, que c'étoit une pierre de foyer un peu creusée, pour recevoir les cendres qui tomboient du cadavre, tandis qu'il se consumoit ; cette pierre au moyen de ses bords, pouvoit garantir les cendres d'être dissipées par le vent.

Les bois qui composoient le bucher, étoient éloignés d'un ou deux piés de cette pierre dans toute sa circonférence, & disposés en symmétrie, pour former un quarré plus long que large, autour duquel étoient rangés des cyprès, pour servir de préservatifs contre la mauvaise odeur du cadavre brûlant.

Des gardes du bucher, gens d'une condition servile, appellés ustores & ustuarii, avoient l'oeil à ce qu'aucune branche de cyprès ne fût jettée par le vent sur le corps, de crainte du mêlange des cendres ; & avec des fourches ils repoussoient les buches qui s'écartoient de leur situation, pour qu'elles ne tombassent point dans le milieu du foyer. Servius n'est pas le seul qui nous ait appris l'usage de ces précautions ; Homere les fait remarquer, en décrivant la situation du corps de Patrocle sur son bucher.

Après la consommation de cet assemblage de bois, des prêtres avoient soin de se porter sur le foyer pour y distinguer les restes du corps, & les mettre dans un vase, qui, selon que la quantité des cendres ou des ossemens consumés, dominoit, prenoit le nom de cinerarium ou celui d'ossuarium.

La cérémonie du choix de ces restes, exprimée par les termes de reliquias legere, étoit un devoir si essentiel à la religion, que plus les morts avoient été qualifiés, plus cette cérémonie s'observoit scrupuleusement.

Suétone nous apprend, que ce fut de la maniere qu'on vient de décrire, que se fit le choix des restes du corps d'Auguste. Eutrope rapporte la même chose à l'égard de celui de Trajan, dont les os brûlés furent mis dans une urne d'or, placée sous sa colonne, & ceux de Septime Sévere, selon Xiphilin, furent recueillis dans un vase de porphyre. (D.J.)


USUCAPIONS. m. (Droit natur. & Droit rom.) l'usucapion est une maniere d'acquérir la propriété, par une possession non interrompue d'une chose, durant un certain tems limité par la loi.

Toutes personnes capables d'acquérir quelque chose en propre, pouvoient, selon les jurisconsultes romains, prescrire valablement. On acquéroit aussi par droit d'usucapion, toutes sortes de choses, tant mobiliaires qu'immeubles ; à moins qu'elles ne se trouvassent exceptées par les loix, comme l'étoient les personnes libres ; car la liberté a tant de charmes qu'on ne néglige guere l'occasion de la recouvrer : ainsi il y a lieu de présumer que si quelqu'un ne l'a pas réclamée, c'est parce qu'il ignoroit sa véritable condition, & non pas qu'il consentît tacitement à son esclavage : desorte que plus il y a de tems qu'il subit le joug, & plus il est à plaindre, bien-loin que ce malheur doive tourner en aucune maniere à son préjudice, & le priver de son droit.

On exceptoit encore les choses sacrées, & les sépulcres qui étoient regardés comme appartenans à la religion : les biens d'un pupille, tandis qu'il est en minorité ; car la foiblesse de son âge ne permet pas de le condamner à perdre son bien, sous prétexte qu'il ne l'a pas revendiqué ; & il y auroit d'ailleurs trop de dureté à le rendre responsable de la négligence de son tuteur.

On mettoit au même rang les choses dérobées, ou prises par force, & les esclaves fugitifs, lors même qu'un tiers en avoit acquis de bonne foi la possession : la raison en est que le crime du voleur & du ravisseur, les empêche d'acquérir par droit d'usucapion, ce dont ils ont dépouillé le légitime maître, reconnu tel.

Le tiers, qui se trouve possesseur de bonne foi, ne sauroit non plus prescrire, à cause de la tache du larcin ou du vol, qui est censée suivre la chose : car, quoiqu'à proprement parler, il n'y ait point de vice dans la chose même, cependant comme c'est injustement qu'elle avoit été ôtée à son ancien maître, les loix n'ont pas voulu qu'il perdît son droit, ni autoriser le crime en permettant qu'il fût aux méchans un moyen de s'enrichir, d'autant plus que les choses mobiliaires se prescrivant par un espace de trois ans, il auroit été facile aux voleurs de transporter ce qu'ils auroient dérobé, & de s'en défaire dans quelque endroit où l'ancien propriétaire ne pourroit l'aller déterrer pendant ce tems-là.

Ajoutez à cela qu'une des raisons pourquoi on a établi la prescription, c'est la négligence du propriétaire à réclamer son bien : or ici on ne sauroit présumer rien de semblable, puisque celui qui a pris le bien d'un autre, le cache soigneusement. Cependant comme dans la suite les loix ordonnerent que toute action, c'est-à-dire, tout droit de faire quelque demande en justice, s'éteindroit par un silence perpétuel de trente ou quarante ans ; le maître de la chose dérobée n'étoit point reçu à la revendiquer après ce tems expiré, que l'on appelle le terme de la prescription d'un très-longtems.

Je sais bien qu'il y a plusieurs personnes qui trouvent en cela quelque chose de contraire à l'équité, parce qu'il est absurde, disent-ils, d'alléguer comme un bon titre, la longue & paisible jouissance d'une usurpation, ou du fruit d'une injustice ; mais cet établissement peut être excusé par l'utilité qui en revient au public. Il est de l'intérêt de la société, que les querelles & les procès ne se multiplient pas à l'infini, & que chacun ne soit pas toujours dans l'incertitude de savoir si ce qu'il a lui appartient véritablement. D'ailleurs, le genre humain changeant presque de face dans l'espace de trente ans, il ne seroit pas à propos que l'on pût être troublé par des procès intentés pour quelque chose qui s'est passé comme dans un autre siecle ; & comme il y a lieu de présumer qu'un homme après s'être passé trente ans de son bien, est tout consolé de l'avoir perdu ; à quoi bon inquiéter en sa faveur, celui qui a été si long-tems en possession ? On peut encore appliquer cette raison à la prescription des crimes : car il seroit superflu de rappeller en justice les crimes dont un long tems a fait oublier & disparoître l'effet, ensorte qu'alors aucune des raisons pourquoi on inflige des peines, n'a plus de lieu.

Pour acquérir par droit d'usucapion, il faut premierement avoir acquis à juste titre la possession de la chose dont celui de qui on la tient, n'étoit pas le véritable maître, c'est-à-dire posséder en vertu d'un titre capable par lui-même de transférer la propriété, & être d'ailleurs bien persuadé qu'on est devenu légitime propriétaire ; en un mot posséder de bonne foi.

Selon les loix romaines, il suffit que l'on ait été dans cette bonne foi au commencement de la possession ; mais le droit canonique porte que si avant le terme de la prescription expiré, on vient à apprendre que la chose n'appartenoit pas à celui de qui on la tient, on est obligé en conscience de la restituer à son véritable maître, & qu'on la détient désormais de mauvaise foi, si du moins on tâche de la dérober adroitement à la connoissance de celui à qui elle appartient.

Cette derniere décision paroît plus conforme à la pureté des maximes du droit naturel ; l'établissement de la propriété ayant imposé à quiconque se trouve en possession du bien d'un autre, sans son consentement, l'obligation de faire ensorte, autant qu'il dépend de lui, que la chose retourne à son véritable maître. Mais le droit romain, qui n'a égard qu'à l'innocence extérieure, maintient chacun en paisible possession de ce qu'il a acquis, sans qu'il y eût alors de la mauvaise foi de sa part, laissant au véritable propriétaire le soin de chercher lui-même & de réclamer son bien.

Au reste la prescription ne regarde pas seulement la propriété, à prendre ce mot, comme nous faisons, dans un sens qui renferme l'usucapion, & la prescription proprement ainsi nommée : elle anéantit aussi les autres droits & actions, lorsqu'on a cessé de les maintenir, & d'en faire usage pendant le tems limité par la loi. Ainsi un créancier qui n'a rien demandé pendant tout ce tems-là à son débiteur, perd sa dette. Celui qui a joui d'une rente sur quelque héritage, ne peut plus en être dépouillé, quoiqu'il n'ait d'autre titre que sa longue jouissance. Celui qui a cessé de jouir d'une servitude pendant le même tems, en perd le droit ; & celui au-contraire qui jouit d'une servitude, quoique sans titre, en acquiert le droit par une longue jouissance. Voyez sur toute cette matiere Domat, Loix civiles dans leur ordre naturel ; I. part. l. III. tit. vij. sect. 4. & M. Titius, observ. in Lauterbach. obs. MXXXIII. & seq. comme aussi dans son jus privatum romano-german. lib. II. cap. ix. Voilà pour ce qui regarde le droit romain, consultons à présent le droit naturel.

Par le droit naturel, la prescription n'abolit point les dettes, ensorte que par cela seul que le créancier ou ses héritiers ont été un longtems sans rien demander, leur droit s'éteigne, & le débiteur soit pleinement déchargé. C'est ce que M. Thomasius a fait voir dans sa dissertation : De perpetuitate debitorum pecuniariorum, imprimée à Hall, en 1706.

Le tems, dit-il, par lui-même n'a aucune force, ni pour faire acquérir, ni pour faire perdre un droit : il faut qu'il soit accompagné de quelque autre chose qui lui communique cette puissance. De plus personne ne peut être dépouillé malgré lui du droit qu'il avoit acquis en vertu du consentement d'un autre, par celui-là même qui le lui a donné sur lui. On ne se dégage pas en agissant contre ses engagemens : & en tardant à les exécuter, on ne fait que se mettre dans un nouvel engagement, qui impose la nécessité de dédommager les intéressés. Ainsi l'obligation d'un mauvais payeur devenant par cela même plus grande & plus forte de jour en jour, elle ne peut pas, à en juger par le droit naturel tout seul, changer de nature, & s'évanouir tout d'un coup au bout d'un tems. En vain allégueroit-on ici l'intérêt du genre humain, qui demande que les procès ne soient pas éternels : car il n'est pas moins de l'intérêt commun des hommes que chacun garde la foi donnée ; que l'on ne fournisse pas aux mauvais payeurs l'occasion de s'enrichir impunément aux dépens de ceux qui leur ont prêté, que l'on exerce la justice, & que chacun puisse poursuivre son droit. D'ailleurs ce n'est pas le créancier qui trouble la paix du genre humain, en redemandant ce qui lui est dû ; c'est au-contraire celui qui ne paye pas ce qu'il doit, puisque s'il eût payé, il n'y auroit plus de matiere à procès. En usant de son droit on ne fait tort à personne, & il s'en faut bien qu'on mérite le titre odieux de plaideur, ou de perturbateur du repos public.

On ne seroit pas mieux fondé à prétendre que la négligence du créancier à redemander sa dette, lui fait perdre son droit, & autorise la prescription. Cela ne peut avoir lieu entre ceux qui vivent l'un par rapport à l'autre dans l'indépendance de l'état de nature. Je veux que le créancier ait été fort négligent : cette innocente négligence mérite-t-elle d'être plus punie que la malice nuisible du débiteur ? ou plutôt celui-ci doit-il être recompensé de son injustice ? quand même ce seroit sans mauvais dessein qu'il a si longtems différé de satisfaire son créancier, n'est-il pas du moins coupable lui-même de négligence ? l'obligation de tenir sa parole, ne demande-t-elle pas que le débiteur cherche le créancier, plutôt que le créancier le débiteur ? ou plutôt la négligence du dernier seul, ne devroit-elle pas être punie ? d'autant plus qu'il y auroit à gagner pour lui dans la prescription ; au-lieu que l'autre y perdroit.

Mais en faisant abstraction des loix civiles, qui veulent que l'on redemande la dette dans un certain espace de tems, on ne peut pas bien traiter de négligent le créancier qui a laissé en repos son débiteur, quand même en prêtant il auroit fixé un terme au bout duquel son argent devoit lui être rendu ; car il est libre à chacun de laisser plus de tems qu'il n'en a promis, & il suffit que l'arrivée du terme avertisse le débiteur de payer. Le créancier peut avoir eu aussi plusieurs raisons de prudence, de nécessité, & de charité même, qui le rendent digne de louange, plutôt que coupable de négligence.

Enfin il n'y a pas lieu de présumer que le créancier ait abandonné la dette, comme en matiere de choses sujettes à prescription, puisque le débiteur étant obligé de rendre non une chose en espece, mais la valeur de ce qu'on lui a prêté, il ne possede pas, à proprement parler, le bien d'autrui, & il n'est pas censé non plus le tenir pour sien. Le créancier, au-contraire, est regardé comme étant toujours en possession de son droit, tant qu'il n'y a pas renoncé expressément, & qu'il a en main de quoi le justifier. M. Thomasius explique ensuite comment la dette peut s'abolir avec le tems, par le défaut de preuves, & il montre que, hors de-là, la prescription n'avoit pas lieu par les loix des peuples qui nous sont connus, ni même par celles des Romains, jusqu'au regne de l'empereur Constance.

Il soutient aussi que par le droit naturel, la bonne foi n'est nullement nécessaire pour prescrire, pas même dans le commencement de la possession, pourvû qu'il se soit écoulé un assez long espace de tems, pour avoir lieu de présumer que le véritable propriétaire a abandonné son bien. De quelque maniere qu'on se soit mis en possession d'une chose appartenante à autrui, du moment que celui à qui elle appartient, sachant qu'elle est entre nos mains, & pouvant commodément la revendiquer, témoigne ou expressément ou tacitement, qu'il veut bien nous la laisser, on en devient légitime maître, tout de même que si on se l'étoit d'abord appropriée à juste titre.

Théodose le jeune, en établissant la prescription de trente ans, ne demandoit point de bonne foi dans le possesseur : ce fut Justinien, qui à la persuasion de ses conseillers, ajouta cette condition en un certain cas ; & le droit canonique enchérit depuis sur le droit civil, en exigeant une bonne foi perpétuelle pour toute sorte de prescription. Le clergé romain trouva moyen par-là de recouvrer tôt ou tard tous les biens ecclésiastiques, de quelque maniere qu'ils eussent été aliénés, & quoique ceux entre les mains de qui ils étoient tombés les possedassent paisiblement de tems immémorial. Des princes ambitieux se sont aussi prévalus de cette hypothèse, pour colorer l'usurpation des terres qu'ils prétendoient réunir à leurs états, sous prétexte que le domaine de la couronne est inaliénable, & qu'ainsi ceux qui jouissoient des biens qui en avoient été détachés, étoient de mauvaise foi en possession, puisqu'ils savoient qu'on ne peut acquérir validement de pareilles choses.

De tout cela il paroît que la maxime du droit canon, quelque air de piété qu'on y trouve d'abord, est au fond contraire au droit naturel, puisqu'elle trouble le repos du genre humain, qui demande qu'il y ait une fin à toutes sortes de procès & de différens, & qu'au bout d'un certain tems les possesseurs de bonne foi soient à l'abri de la revendication.

Voilà l'opinion de Thomasius, mais M. Barbeyrac qui paroît être du même avis en général, pense en particulier que si le véritable maître d'une chose prise ou usurpée, acquise en un mot de mauvaise foi, ne la réclame point, & ne témoigne aucune envie de la recouvrer pendant un long espace de tems, quoiqu'il sache fort bien entre les mains de qui elle est, & que rien ne l'empêche de faire valoir son droit ; en ce cas là, le possesseur injuste devient à la fin légitime propriétaire, pourvu qu'il ait déclaré d'une maniere ou d'autre, qu'il étoit tout prêt à restituer, supposé qu'il en fût requis : car alors l'ancien maître le tient quitte, & renonce manifestement, quoique tacitement, à toutes ses prétentions. Que si celui qui est entré de bonne foi en possession du bien d'autrui, vient à découvrir son erreur avant le terme de la prescription expiré, il est tenu à ce qui est du devoir d'un possesseur de bonne foi ; mais si en demeurant toujours dans la bonne foi, il gagne le terme de la prescription, soit que ce terme s'accorde exactement avec les maximes du droit naturel tout seul, ou que les loix civiles le réduisent à quelque chose de moins ; le droit de l'ancien maître est entierement détruit ; tout ce qu'il y a, c'est que comme le possesseur de bonne foi qui a prescrit, est l'occasion, quoique innocente, de ce que l'autre se voit désormais débouté de toutes ses prétentions, il doit, s'il peut, lui aider à tirer raison de l'injustice du tiers qui a transféré un bien qu'il savoit n'être pas à lui, & donné lieu ainsi à la prescription.

Du reste, quoiqu'ici la bonne foi soit toujours nécessaire pour mettre la conscience en repos, cela n'empêche pas que les loix humaines ne puissent négliger cette condition, ou en tout ou en partie, pour éviter un grand nombre de procès. Il semble même que pour parvenir à leur but, il soit plus à propos de ne point exiger de bonne foi dans les prescriptions auxquelles elles fixent un fort long terme, ou de ne la demander du moins qu'au commencement de la possession ; & ainsi la maxime du droit civil est mieux fondée que celle du droit canon.

L'artifice du clergé ne consiste pas tant en ce que les décisions des papes exigent une bonne foi perpétuelle dans celui qui doit prescrire, qu'en ce qu'elles font regarder les biens d'église comme inaliénables, ou absolument, ou sous certaines conditions qui donnent lieu d'éluder à l'infini la prescription.

Pour ce qui est des principes dont parle M. Thomasius, ils prétendent que le domaine de la couronne ne peut jamais être aliéné validement, & que la prescription n'a point de lieu entre ceux qui vivent les uns par rapport aux autres dans l'indépendance de l'état de nature. Voyez Puffendorf, liv. IV. ch. xiij. & liv. VIII. ch. v. si l'aliénation du royaume, ou de quelqu'une de ses parties, est au pouvoir du prince. (D.J.)


USUFRUCTUAIREadj. (Gram. & Jurisprud.) se dit de ce qui appartient à l'usufruit.

Par exemple, les réparations usufructuaires, sont celles qui sont à la charge de l'usufruitier. Voyez REPARATIONS.

Quelquefois usufructuaire se dit pour usufruitier, comme on lit dans différens actes que Gaston, frere du roi Louis XIII. fut souverain usufructuaire de la principauté de Dombes, jusqu'à l'émancipation de mademoiselle de Montpensier sa fille. Voyez USUFRUIT, USUFRUITIER. (A)


USUFRUITS. m. (Gram. & Jurisprud.) est le droit de jouir indéfiniment d'une chose appartenante à autrui, sans en diminuer la substance.

L'usufruit differe de l'usage, en ce que l'usufruitier fait tous les fruits siens, même au-delà de son nécessaire, il peut vendre, louer ou céder son usufruit à un autre ; au lieu que celui qui n'a que l'usage d'une chose, ne peut en user que pour lui personnellement & pour sa famille, & ne peut vendre, louer ni céder son droit à un autre.

On peut constituer un usufruit de toutes sortes de choses mobiliaires ou immobiliaires, même des choses qui se diminuent & se consument par l'usage.

Celui qui a l'usufruit d'animaux, peut non-seulement en tirer le service dont ils sont capables, mais aussi les fruits qu'ils produisent ; par exemple, si ce sont des vaches, en tirer le lait, les veaux ; & si ce sont des moutons, la laine, &c.

L'usufruitier est seulement tenu de conserver le même nombre d'animaux qu'il a reçu, & de remplacer ceux qui manquent ; mais s'ils ne produisent pas de quoi remplacer, l'usufruitier n'est pas tenu de le faire, pourvu que la diminution ne soit pas arrivée par sa faute.

L'usufruit des choses qui se consument par l'usage, comme du grain, des liqueurs, en emporte en quelque sorte la propriété, puisque l'on ne peut en user qu'en les consumant ; mais l'usufruitier ou ceux qui le représentent, sont tenus après la fin de l'usufruit de rendre selon les conditions du titre, ou une pareille qualité & quantité de grains ou autres choses semblables, ou la valeur des choses au tems que l'usufruit a commencé.

La jouissance de l'usufruitier doit se régler suivant les loix & suivant son titre ; il peut vendre, louer ou céder sa jouissance à un autre ; mais il ne doit point changer la destination des choses, ni rien faire de préjudiciable, & en général il doit en user comme un bon pere de famille.

Il doit faire un inventaire des choses mobiliaires sujettes à son usufruit, ou si c'est un immeuble, faire un état des lieux, donner caution pour la restitution des choses ou lieux en bon état.

Toutes les réparations qui surviennent pendant son usufruit sont à sa charge, à l'exception des grosses réparations.

Il doit aussi acquiter les autres charges réelles & annuelles des fonds, si mieux il n'aime abandonner son usufruit pour être quitte des charges.

Le propriétaire de sa part doit laisser jouir l'usufruitier librement de tout ce qui dépend de l'usufruit, il ne peut changer l'état des lieux à son préjudice ; il doit même faire cesser les obstacles qui le regardent, faire les grosses réparations.

S'il y a un bois de haute-futaye, le propriétaire peut l'abattre, en laissant les arbres de lisiere pour la décoration des allées ; & dans ce cas l'usufruit est augmenté par la jouissance du taillis, qui pousse au lieu de la futaye. Voyez au digeste, au code & aux institutes les titres de usufructu, & ci-devant les mots HABITATIONS, JOUISSANCE, USAGE. (A)


USUFRUITIERS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui a la jouissance d'une chose par usufruit, soit pendant sa vie, soit pendant un certain tems limité par son titre.

Usufruitier, se dit aussi de ce qui appartient à l'usufruit, comme les réparations usufruitieres, c'est-à-dire, celles qui sont à la charge de l'usufruitier. Voyez USUFRUIT. (A)


USURA(Droit romain & Littérat.) en françois usure. Il convient dans ce Dictionnaire d'expliquer le mot latin, & tous ceux qui s'y rapportent, sans quoi l'on ne sauroit entendre, je ne dis pas seulement les loix romaines, mais les historiens & les poëtes.

Je remarquerai d'abord que les Latins ont dit nomen, pour signifier une dette, parce que celui qui empruntoit donnoit à celui qui lui prêtoit, une reconnoissance signée de son nom. Les loix défendoient de prêter aux enfans de famille, aux mineurs & à ceux qui étoient au-dessous de vingt-cinq ans : c'est pourquoi les usuriers n'ayant point action contr'eux, ne leur prêtoient qu'à un gros denier, afin de s'indemniser du risque où ils s'exposoient de perdre leur argent.

Horace, sat. 2. l. I. dit : " Fufidius, si riche en fonds de terre & en bons contrats, craint d'avoir la réputation d'un dissipateur & d'un débauché ; il donne son argent à cinq pour cent par mois, & se paye par avance, il exige même un intérêt plus fort des personnes qui se trouvent dans un plus grand besoin ; il aime sur-tout à prêter aux enfans de famille qui commencent à entrer dans le monde, & qui ont des peres trop ménagers ".

Fuffidius vappae famam timet ac nebulonis ;

Dives agris, dives positis in foenore nummis :

Quinas hic capiti mercedes exsecat : atque

Quanto perditior quisque est, tanto acrius urget.

Nomina sectatur, modo sumptâ veste virili,

Sub patribus duris tironum.

Caput, est ce qu'on appelloit autrement sors, le capital, le principal, la somme que l'on plaçoit à intérêt ; merces est l'intérêt que l'on retiroit du capital ; exsecare, signifie déduire les intérêts par avance.

Fufidius dont parle Horace, donnoit, par exemple, cent écus pour un mois, c'étoit le capital, & au bout d'un mois son débiteur devoit lui rendre cent cinq écus, ainsi l'intérêt étoit de cinq pour cent. Mais afin de s'assurer d'avantage du profit de son argent, il se payoit d'avance par ses mains, & ne donnoit que quatre-vingt-quinze écus, en tirant de son débiteur une obligation de la somme de cent écus payable à la fin du mois ; desorte qu'il se trouvoit que dans l'espace de vingt mois, l'intérêt égaloit le capital. Cette usure étoit criante, puisqu'elle étoit quatre fois plus forte que le denier courant, qui étoit de douze pour cent par an, c'est-à-dire d'un par mois. L'intérêt permis & ordinaire revient à-peu-près au denier huit, selon notre maniere de compter, on l'appelloit usura centesima, parce que le capital se trouvoit doublé à la fin du centieme mois, c'est-à-dire, huit ans quatre mois. Voyez USURA centesima.

Cette même usure centesime étoit aussi nommée as usura, & as tout court, parce que toutes les autres usures moindres tiroient d'elle leur qualification, & en étoient comme les parties ; c'est ce que nous allons expliquer.

Usura semis ou semis, étoit lorsqu'on payoit par mois la moitié de ce centieme, demi pour cent par mois, six pour cent par an ; c'est environ le denier dix-sept.

Bes, lorsqu'on payoit les deux tiers de ce centieme par mois ; c'est huit pour cent par an, le denier douze.

Quadrans, lorsqu'on payoit par mois le quart de ce centieme, trois pour cent par an ; le denier trente-trois.

Quincunx, lorsqu'on payoit par mois un cinquieme de ce centieme, environ deux & demi pour cent par an, qui est notre denier quarante.

Triens, lorsqu'on payoit par mois le tiers de ce centieme, quatre pour cent par an, le denier vingt-cinq.

Sextans, lorsqu'on payoit par mois le sixieme de ce centieme, deux pour cent par an, le denier cinquante.

Enfin usura unciaria, lorsqu'on ne payoit par mois que la douzieme partie de ce centieme, un pour cent par an.

La loi des douze tables avoit défendu l'usure à un denier plus haut, ne quis unciario foenore ampliùs exerceret. On diminua encore cette usure de moitié, car on la fit semiunciariam, c'est le denier deux cent par an ; mais tantôt la rareté de l'argent qui étoit sur la place, tantôt la facilité des juges qui connoissoient de l'usure, tantôt les besoins pressans des particuliers, & toujours l'avarice des usuriers habiles à profiter de toutes les conjonctures, rendoient inutiles toutes les loix, & l'usure demeuroit presque arbitraire.

Elle étoit peu réglée du tems de Cicéron : foenus, dit-il à Atticus, ex triente idibus factum erat bessibus. " L'usure avoit monté tout-d'un-coup le jour des ides du tiers au deux tiers ". C'est-à-dire, que du denier vingt-cinq, elle étoit montée au denier douze ; ce qu'il dit-là bessibus, il le dit ailleurs, geminis trientibus. C'est dans le deuxieme livre des lettres à Quintus, idibus quintilibus foenus fuit geminis trientibus. Aux ides de Juillet, l'usure étoit au deux tiers, au denier douze. Quelquefois elle étoit au semis : omninò semissibus magna copia est, dit-il à Sextius. On trouve de l'argent tant qu'on veut à la moitié ; c'est-à-dire, à la moitié du centieme par mois, à six pour cent par an. Quelquefois on la portoit au plus haut denier, au centieme par mois ; à Caecilio, dit-il à Atticus, nummum moveri ne à propinquis quidem minore centesimis posse. On ne peut arracher un sol à Caecilius, non pas même ses plus proches, à un moindre intérêt qu'à un pour cent par mois. (D.J.)

USURA centesima, (Droit romain) intérêt à un pour cent par mois ; on payoit chez les Romains les intérêts par mois, & non par année comme nous faisons ; ainsi c'étoit le centieme de la somme chaque mois, qui désignoit le mot usura centesimis, & par conséquent douze pour cent au bout de l'an. Cette usure étoit exorbitante & contraire à la loi des douze tables, confirmée long-tems après que les tributs eurent réglé les usures à un pour cent par an, ce qui s'appelloit unciarium foenus.

Tacite, liv. V. de ses annales, parle ainsi de l'usure. Le profit particulier, dit-il, renversa le bien de l'état. L'usure est un des plus anciens maux de la république ; c'est pourquoi on a fait tant de loix pour la réprimer, dans le tems même où les moeurs étoient moins corrompues ; car premierement par la loi des douze tables il étoit défendu de prêter à plus haut intérêt qu'au denier huit. Cet intérêt même fut réduit depuis au denier seize à la requête des tribuns. Le peuple fit ensuite plusieurs décrets pour empêcher les fourberies qui se commettoient en ce genre ; mais quelques réglemens qu'on pût faire, l'avarice des hommes trouvoit toujours de nouveaux moyens pour les éluder. (D.J.)


USURAIREadj. (Gram. & Jurisp.) se dit de ce qui est infecté du vice d'usure, comme un contrat usuraire, une clause & condition usuraire. Voy. ANTICHRESE, CONTRAT PIGNORATIF, DENIER, INTERETS, & ci-après les mots USURE & USURIER. (A)


USURES. f. (Morale) Usure légale ou intérêt légitime. La question de l'usure, quoique traitée avec beaucoup de subtilité par les Théologiens & par les Jurisconsultes, paroît encore jusqu'ici en quelque sorte indécise ; il paroît même, quand on l'approfondit, qu'on a plus disputé sur les termes que sur les idées, & qu'on a presque toujours manqué le but qu'on se proposoit ; je veux dire la découverte de la vérité. Cependant cette question également intéressante pour le commerce de la vie & pour la paix des consciences, mérite autant ou plus qu'une autre une discussion philosophique, où la raison ait plus de part que l'opinion ou le préjugé. C'est aussi pour remplir cette vue & dans l'espérance de répandre un nouveau jour sur cette matiere importante, que j'ai entrepris cet article.

Plusieurs pratiques dans la Morale sont bonnes ou mauvaises, suivant les différences du plus ou du moins, suivant les lieux, les tems, &c. Qui ne sait, par exemple que les plaisirs de la table, les tendresses de l'amour, l'usage du glaive, celui des tortures ; qui ne sait, dis-je, que tout cela est bon ou mauvais suivant les lieux, les tems, les personnes, suivant l'usage raisonnable, excessif ou déplacé, qu'on en fait ? Je crois qu'il en est de même du commerce usuraire.

Usura chez les Latins signifioit au sens propre l'usage ou la jouissance d'un bien quelconque. Natura, dit Cicéron, dedit usuram vitae tanquam pecuniae, Tusc. lib. I. n °. 39. Usura désignoit encore le loyer, le prix fixé par la loi pour l'usage d'une somme prêtée ; & ce loyer n'avoit rien d'odieux, comme le remarque un savant jurisconsulte, il n'y avoit de honteux en cela que les excès & les abus ; distinction, dit-il, que les commentateurs n'ont pas sentie, ou qu'ils dissimulent mal-à-propos. Certè verbum usura non est foedum, sed non habere usurae modum & honestam rationem est turpissimum ; quod commentatores non intelligunt, aut calumniosè dissimulant. Oldendorp. lexic. jurid. Calvini, verbo usuram, p. 691. col. 1. in-fol. Genevae 1653.

Pour moi, je regarde l'usure comme une souveraine qui régnoit autrefois dans le monde, & qui devint odieuse à tous les peuples, par les vexations que des ministres avides & cruels faisoient sous son nom, bien que sans son aveu ; desorte que cette princesse malheureuse, par-tout avilie & détestée, se vit enfin chassée d'un trône qu'elle avoit occupé avec beaucoup de gloire, & fut obligée de se cacher sans jamais oser paroître.

D'un autre côté, je regarde les intérêts & les indemnités qui ont succédé à l'usure, comme ces brouillons adroits & entreprenans qui profitent des mécontentemens d'une nation, pour s'élever sur les ruines d'une puissance décriée ; il me semble, dis-je, que ces nouveaux-venus ne valent pas mieux que la reine actuellement proscrite ; & que s'ils sont plus attentifs & plus habiles à cacher les torts qu'ils font à la société, leur domination est, à bien des égards, encore plus gênante & plus dure. Je crois donc que vu l'utilité sensible, vu l'indispensable nécessité d'une usure bien ordonnée, usure aussi naturelle dans le monde moral, que l'est le cours des rivieres dans le monde matériel, il vaut autant reconnoître l'ancienne & légitime souveraine que des usurpateurs qui promettoient des merveilles, & qui n'ont changé que des mots. Je prends la plume pour rétablir, s'il se peut, cette reine détrônée, persuadé qu'elle saura se contenir dans les bornes que l'équité prescrit, & qu'elle évitera les excès qui ont occasionné sa chûte & ses malheurs ; mais parlons sans figure.

L'usure que nous allons examiner est proprement l'intérêt légal & compensatoire d'une somme prêtée à un homme aisé, dans la vue d'une utilité réciproque. L'usure ainsi modifiée & réduite parmi nous depuis un siecle au denier vingt, est ce que j'appelle usure légale ; je prétends qu'elle n'est point contraire au droit naturel, & que la pratique n'en est pas moins utile que tant d'autres négociations usitées & réputées légitimes.

Je prouve encore, ou plutôt je démontre que la même usure sous des noms différens est constamment admise par les loix civiles & par tous les casuistes ; que par conséquent toute la dispute se réduit à une question de mots ; & que tant d'invectives, qui attaquent plutôt le terme que la réalité de l'usure, ne sont le plus souvent que le cri de l'ignorance & de la prévention. Je fais voir d'un autre côté qu'elle n'est prohibée ni dans l'ancien Testament, ni dans le nouveau ; qu'elle y est même expressément autorisée ; & je montre enfin dans toute la suite de cet article que la prohibition vague, inconséquente, déraisonnable que l'on fait de l'usure, est véritablement contraire au bien de la société.

La justice ou la loi naturelle nous prescrit de ne faire tort à personne, & de rendre à chacun ce qui lui est dû, alterum non laedere, suum cuique tribuere. Initio instit. C'est le fondement de cette grande regle que le S. Esprit a consacrée, & que les païens ont connue : " Ne faites point aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît à vous-même ". Quod ab alio oderis fieri tibi, vide ne tu aliquando alteri facias, Tob. 4. 16. ou, si on veut, dans un vers,

Ne facias aliis quae tu tibi facta doleres.

Or quand je prête à des gens aisés à la charge de l'intérêt légal, je ne leur fais pas le moindre tort, je leur rends même un bon office ; & pour peu qu'on les suppose équitables, ils reconnoissent que je les oblige. C'est un voisin que je mets à portée d'arranger des affaires qui le ruinoient en procès, ou de profiter d'une conjoncture pour faire une acquisition avantageuse. C'est un autre qui de mes deniers rétablit une maison qu'on n'habitoit point depuis longtems faute de réparations, ou qui vient à bout d'éteindre une rente fonciere & seigneuriale, tandis que je lui donne du tems pour me rembourser à son aise. C'est enfin un troisieme qui n'a guere que l'envie de bien faire, & à qui je fournis le moyen d'entreprendre un bon négoce, ou de donner plus d'étendue à celui qu'il faisoit auparavant. Quand après cela je reçois de ces débiteurs les capitaux & les intérêts, je ne manque en rien à ce que prescrit la justice, alterum non laedere ; puisque, loin de leur nuire par ce commerce, je leur procure au contraire de vrais avantages ; & qu'en tirant des intérêts stipulés avec eux de bonne foi, je ne tire en effet que ce qui m'appartient, soit à titre de compensation du tort que m'a causé l'absence de mon argent, soit à cause des risques inséparables du prêt.

D'ailleurs un contrat fait avec une pleine connoissance, & dont les conditions respectivement utiles sont également agréées des parties, ne peut pas être censé contrat injuste, suivant une maxime de Droit dont nos adversaires font un principe. Le créancier, disent-ils, est lui-même la cause du dommage qu'il souffre, quand il le souffre de son bon gré & très-volontairement, de sorte que, comme on ne fait aucun tort à celui qui le veut bien, VOLENTI NON FIT INJURIA, le débiteur ne lui doit aucun dédommagement pour tout le tems qu'il veut bien souffrir ce dommage. Confér. ecclés. de Paris sur l'usure, tome I. p. 381. On ne peut rien de plus raisonnable que ces propositions ; mais si elles sont justes quand il s'agit du créancier, elles ne changent pas de nature quand on les applique au débiteur ; c'est aussi en partie sur cette maxime, volenti non fit injuria, que nous appuyons notre prêt lucratif.

Un importun me sollicite de lui prêter une somme considérable, & il en résulte souvent qu'au lieu de laisser mes fonds dans les emprunts publics, au-lieu de les y porter, s'ils n'y sont pas encore, ou de faire quelqu'autre acquisition solide, je cede à ses importunités ; en un mot, je lui donne la préférence, & je livre mon bien entre ses mains à la condition qu'il me propose de l'intérêt ordinaire ; condition du reste que je remplis comme lui toutes les fois que j'emprunte. Peut-on dire qu'il y ait de l'injustice dans mon procédé ? N'est-il point vrai plutôt que je péche contre moi-même en m'exposant à des risques visibles, & que j'ai tort enfin de céder à des sentimens d'humanité dont je deviens souvent la victime, tandis que les dévots armés d'une sévere prudence se contentent de damner les usuriers, laissent crier les importuns, & font de leur argent des emplois plus sûrs & plus utiles. Mais lequel mérite mieux le nom de juste & de bienfaisant de celui qui hasarde ses fonds pour nous aider au besoin en stipulant l'intérêt légal, ou de celui qui, sous prétexte d'abhorrer l'usure, met son argent dans le commerce ou à des acquisitions solides ; qui en conséquence ne prête à personne, & abandonne ainsi les gens dans leurs détresses, sans leur donner un secours qui leur seroit très-profitable, & qui dépend de lui ?

Quoi qu'il en soit, on le voit par notre définition de l'usure, il n'est ici question ni d'aumône, ni de générosité. Ce n'est point d'ordinaire dans cet esprit que se font les stipulations & les contrats. Est-ce pour se rendre agréable à Dieu ; est-ce pour bien mériter de la patrie qu'un homme de qualité, qu'un bourgeois opulent, qu'un riche bénéficier louent leurs maisons & leurs terres ? est-ce pour gagner le ciel qu'un seigneur ecclésiastique ou laïc exige de ses prétendus vassaux des redevances de toute nature ? Non certainement. Ce n'est point aussi par ce motif qu'on prête ou qu'on loue son argent ; mais tous les jours l'on prête & l'on emprunte dans la vue très-louable d'une utilité réciproque. En un mot, l'on prend & l'on donne à louage une somme de mille écus, de dix ou vingt mille francs, comme l'on donne & l'on prend au même titre une terre, une maison, une voiture, un navire, le tout pour profiter & pour vivre de son industrie ou de ses fonds. Et si jamais on prête une grande somme par pure générosité, ce n'est point en vertu de la loi, mais par le mouvement libre d'un coeur bienfaisant. Aussi, comme le dit un illustre moderne, c'est bien une action très-bonne de prêter son argent sans intérêt, mais on sent que ce ne peut être qu'un conseil de religion, & non une loi civile. Esprit des loix, seconde partie, p. 120.

Un homme qui avoit beaucoup bâti, se voyoit encore une somme considérable, & las d'occuper des maçons, résolut d'employer son argent d'une autre maniere. Il mit un écriteau à sa porte, on lisoit en tête : Belle maison à louer, prix quinze cent livres par an. On lisoit au-dessous : Dix mille écus à louer aux mêmes conditions. Un génie vulgaire & borné voyant cet écriteau ; à la bonne heure, dit-il, qu'on loue la maison, cela est bien permis ; mais la proposition de louer une somme d'argent est mal-sonnante & digne de repréhension, c'est afficher ouvertement l'usure, & rien de plus scandaleux. Quelqu'un plus sensé lui dit alors : Pour moi, monsieur, je ne vois point là de scandale. Le proposant offre pour cinq cent écus une maison commode, qui lui coute environ trente mille livres, la prendra qui voudra, il ne fait tort à personne, & vous paroissez en convenir. Il offre pareille somme de trente mille livres à tout solvable qui en aura besoin à la même condition de cinq cent écus de loyer, quel tort fait-il à la république ? Avec son argent il pourroit acquérir un fonds, & le louer aussi-tôt sans scrupule. Que notre proposant offre ses dix mille écus en nature, ou qu'il nous les offre sous une autre forme, c'est la même chose pour lui ; mais quelqu'un qui aura plus besoin d'argent que d'un autre bien, sera charmé de trouver cette somme en especes, & il en payera volontiers ce qu'un autre payeroit pour un domaine de pareille valeur. Rien de plus équitable, rien en même tems de plus utile au public ; & de cent personnes qui seront dans le train des emprunts, on n'en trouvera pas deux qui ne soient de mon avis.

S'il est plusieurs genres d'opulence, il est aussi plusieurs genres de communication. Ainsi tel est riche par les domaines qu'il donne à bail, & par l'argent qu'il donne à louage.

Dives agris, dives positis in foenore nummis.

Horace, l. I. sat. ij.

Celui-ci, comme terrien, se rend utile au public, en ce qu'il loue ses terres, & qu'il procure l'abondance ; il ne se rend pas moins utile comme pécunieux en mettant ses especes à intérêt ou à louage entre les mains de gens qui en usent pour le bien de la société. S'il suivoit au contraire l'avis de certains casuistes, & que pour éviter l'usure il tînt ses especes en réserve, il serviroit le public aussi mal que si, au-lieu de louer ses terres, il les tenoit en bruieres & en landes. Ce qui fait dire à Saumaise dans le savant traité qu'il a fait sur cette matiere, que la pratique de l'usure n'est pas moins nécessaire au commerce que le commerce l'est au labourage, ut agricultura sine mercaturâ vix potest subsistere.... ita nec mercatura sine feneratione stare : de usuris, p. 223.

Par quelle fatalité l'argent ne seroit-il donc plus, comme autrefois, susceptible de louage ? On disoit anciennement locare nummos, louer de l'argent, le placer à profit ; de même, conducere nummos, prendre de l'argent à louage ; il n'y avoit en cela rien d'illicite ou même d'indécent, si ce n'est lorsque des amis intimes auroient fait ce négoce entr'eux, commodare ad amicos pertinet, foenerari ad quoslibet. Salmasius ex Suida, c. vij. de usuris, p. 163.

Un homme en état de faire de la dépense, use de l'argent qu'on lui prête à intérêt, ou, pour mieux dire, qu'on lui loue, comme d'une maison de plaisance qu'on lui prête à la charge de payer les loyers, comme d'un carrosse de remise qu'on lui prête à tant par mois ou par an ; je veux dire qu'il paye également le louage de l'argent, de la maison & du carrosse ; & pour peu qu'il eût d'habileté, le premier lui seroit plus utile que les deux autres. Il est à remarquer en effet au sujet d'un homme riche un peu dissipateur, que l'emprunt de l'argent aux taux légal est tout ce qu'il y a pour lui de plus favorable. Car s'il se procure à crédit les marchandises, le service & les autres fournitures qu'exigent ses fantaisies ou ses besoins, au-lieu de cinq pour cent qu'il payeroit pour le prêt des especes, il lui en coutera par l'autre voie au-moins trente ou quarante pour cent ; ce qui joint au renouvellement des billets & aux poursuites presqu'inévitables pour parvenir au payement définitif, lui fera d'ordinaire cent pour cent d'une usure écrasante.

Au surplus, pourquoi l'argent, le plus commode de tous les biens, seroit-il le seul dont on ne pût tirer profit ? & pourquoi son usage seroit-il plus gratuit, par exemple, que la consultation d'un avocat & d'un médecin, que la sentence d'un juge ou le rapport d'un expert, que les opérations d'un chirurgien, ou les vacations d'un procureur ? Tout cela, comme on sait, ne s'obtient qu'avec de l'argent. On ne trouve pas plus de générosité parmi les possesseurs des fonds. Que je demande aux uns quelque portion de terre pour plusieurs années, je suis par-tout éconduit si je ne m'engage à payer ; que je demande à d'autres un logement à titre de grace, je ne suis pas mieux reçu que chez les premiers. Je suis obligé de payer l'usage d'un meuble au tapissier ; la lecture d'un livre au libraire, & jusqu'à la commodité d'une chaise à l'église.

Envain je représente que Dieu défend d'exiger aucune rétribution, ni pour l'argent prêté, ni pour les denrées, ni pour quelqu'autre chose que ce puisse être. J'ai beau crier, non foenerabis fratri tuo ad usuram pecuniam, nec fruges, nec quamlibet aliam rem. Deut. xxiij. 19. Personne ne m'écoute, je trouve tous les hommes également intéressés, également rebelles au commandement de prêter gratis ; au point que si on ne leur présente quelque avantage, ils ne communiquent d'ordinaire ni argent, ni autre chose ; disposition qui les rend vraiment coupables d'usure, au moins à l'égard des pauvres ; puisque l'on n'est pas moins criminel, soit qu'on refuse de leur prêter, soit qu'on leur prête à intérêt. C'est l'observation judicieuse que faisoit Grégoire de Nisse aux usuriers de son tems, dans un excellent discours qu'il leur adresse, & dont nous aurons occasion de parler dans la suite.

Du reste, sentant l'utilité de l'argent qui devient nécessaire à tous, j'en emprunte dans mon besoin chez un homme pécunieux, & n'ayant trouvé jusqu'ici que des gens attachés qui veulent tirer profit de tout, qui ne veulent prêter gratis ni terres, ni maisons, ni soins, ni talens, je ne suis plus surpris que mon prêteur d'especes en veuille aussi tirer quelque rétribution, & je souffre, sans murmurer, qu'il m'en fasse payer l'usure ou le louage.

C'est ainsi qu'en refléchissant sur l'esprit d'intérêt qui fait agir tous les hommes, & qui est l'heureux, l'immuable mobile de leurs communications, je vois que la pratique de l'usure légale entre gens aisés, n'est ni plus criminelle, ni plus injuste que l'usage respectivement utile de louer des terres, des maisons, &c. je vois que ce commerce vraiment destiné au bien des parties intéressées, est de même nature que tous les autres, & qu'il n'est en soi ni moins honnête, ni moins avantageux à la société.

Pour confirmer cette proposition, & pour démontrer sans réplique la justice de l'intérêt légal, je suppose qu'un pere laisse en mourant à ses deux fils, une terre d'environ 500 livres de rente, outre une somme de 10000 livres comptant. L'aîné choisit la terre, & les 10000 livres passent au cadet. Tous les deux sont incapables de faire valoir eux-mêmes le bien qu'ils ont hérités ; mais il se présente un fermier solvable, qui offre de le prendre pour neuf années, à la charge de payer 500 livres par an pour la terre, & la même somme annuelle pour les 10000 livres : sera-t-il moins permis à l'un de louer son argent, qu'à l'autre de louer son domaine ?

Un fait arrivé, dit-on depuis peu, servira bien encore à éclaircir la question. Un simple ouvrier ayant épargné 3000 francs, par plusieurs années de travail & d'économie, se présenta pour louer une maison qui lui convenoit fort, & qui valoit au moins 50 écus de loyer. Le propriétaire, homme riche & en même tems éclairé, lui dit : " Mon ami, je vous donnerai volontiers ma maison ; mais j'apprens que vous avez 1000 écus qui ne vous servent de rien ; je les prendrai, si vous voulez, à titre d'emprunt, & vous en tirerez l'intérêt qui payera votre loyer : ainsi vous serez bien logé, sans débourser un sou. Pensez-y, & me rendez réponse au plus tôt ".

L'ouvrier revenant chez lui, rencontre son curé, & par forme de conversation, lui demande son avis sur le marché qu'on lui proposoit. Le curé, honnête homme au fond, mais qui ne connoissoit que ses cahiers de morale & ses vieux préjugés, lui défend bien de faire un tel contrat, qui renferme, selon lui, l'usure la plus marquée, & il en donne plusieurs raisons que celui-ci va rapporter à notre propriétaire.

Monsieur, dit-il, votre proposition me convenoit fort, & je l'eusse acceptée volontiers ; mais notre curé à qui j'en ai parlé, n'approuve point cet arrangement. Il tient qu'en vous remettant mes mille écus, c'est de ma part un véritable prêt, qui est une affaire bien délicate pour la conscience. Il prétend que l'argent est stérile par lui-même, que dès que nous l'avons prêté, il ne nous appartient plus, & que par-conséquent il ne peut nous produire un intérêt légitime. En un mot, dit-il, un prêt quelconque est gratuit de sa nature, & il doit l'être en tout & par-tout ; & bien d'autres raisons que je n'ai pas retenues. Il m'a cité là-dessus l'ancien & le nouveau Testament, les conciles, les saints peres, les décisions du clergé, les loix du royaume ; en un mot, il m'a réduit à ne pas répondre, & je doute fort que vous y répondiez vous-même.

Tiens mon ami, lui dit notre bourgeois, si tu étois un peu du métier de philosophe & de savant, je te montrerois que ton curé n'a jamais entendu la question de l'usure, & je te ferois toucher au doigt le foible & ridicule de ses prétentions ; mais tu n'as pas le tems d'écouter tout cela : tu t'occupes plus utilement, & tu fais bien. Je te dirai donc en peu de mots, ce qui est le plus à ta portée ; savoir que le commandement du prêt gratuit ne regarde que l'homme aisé vis-à-vis du nécessiteux. Il est aujourd'hui question pour toi de me prêter une somme assez honnête, mais tu n'es pas encore dans une certaine aisance, & il s'en faut beaucoup que je sois dans la nécessité. Ainsi en me prêtant gratuitement, tu ferois une sorte de bonne oeuvre qui se trouveroit fort déplacée ; puisque tu prêterois à un homme aisé beaucoup plus riche que toi : & c'est-là, tu peux m'en croire, ce que l'Ecriture ni les saints peres, n'ont jamais commandé ; je me charge de le démontrer à ton curé quand il le voudra.

D'ailleurs nous avons une regle infaillible pour nous diriger dans toutes les affaires d'intérêt : regle de justice & de charité que J. C. nous enseigne, & que tu connois sans doute, c'est de traiter les autres comme nous souhaitons qu'ils nous traitent ; or, c'est ce que nous faisons tous les deux dans cette occasion, ainsi nous voilà dans le chemin de la droiture. Nous sentons fort bien que le marché dont il s'agit, nous doit être également profitable, & par conséquent qu'il est juste, car ces deux circonstances ne vont point l'une sans l'autre. Mais que tu me laisses l'usage gratuit d'une somme considérable, & que tu me payes outre cela le loyer de ma maison, c'est faire servir les sueurs du pauvre à l'agrandissement du riche ; c'est rendre enfin ta condition trop dure, & la mienne trop avantageuse. Soyons plus judicieux & plus équitables. Nous convenons de quelques engagemens dont nous sentons l'utilité commune, remplissons-les avec fidélité. Je t'offre ma maison, & tu l'acceptes parce qu'elle te convient, rien de plus juste ; tu m'offres une somme équivalente, je l'accepte de même, cela est également bien. Du reste, comme je me réserve le droit de reprendre ma maison, tu conserves le même droit de répéter ton argent. Ainsi nous nous communiquons l'un l'autre un genre de bien que nous ne voulons pas aliéner ; nous consentons seulement de nous en abandonner le service ou l'usage. Tiens, tout soit dit, troc pour troc, nous sommes contens l'un de l'autre, & ton curé n'y a que faire. Ainsi se conclut le marché.

Les emprunteurs éclairés se moquent des scrupules qu'on voudroit donner à ceux qui leur prêtent. Ils sentent & déclarent qu'on ne leur fait point de tort dans le prêt de commerce. Aussi voit-on tous les jours des négocians & des gens d'affaires, qui en qualité de voisins, de parens même, se prêtent mutuellement à charge d'intérêt ; en cela fideles observateurs de l'équité, puisqu'ils n'exigent en prêtant, que ce qu'ils donnent sans répugnance toutes les fois qu'ils empruntent. Ils reconnoissent que ces conditions sont également justes des deux côtés ; qu'elles sont même indispensables pour soutenir le commerce. Les prétendus torts qu'on nous fait, disent-ils, ne sont que des torts imaginaires ; si le prêteur nous fait payer l'intérêt légal, nous en sommes bien dédommagés par les gains qu'ils nous procurent, & par les négociations que nous faisons avec les sommes empruntées. En un mot, dans le commerce du prêt lucratif, on nous vend un bien qu'il est utile d'acheter, que nous vendons quelquefois nous-mêmes, c'est-à-dire l'usage de l'argent, & nous trouvons dans ce négoce actif & passif, les mêmes avantages qu'en toutes les autres négociations.

Ces raisons servent à justifier l'usage où l'on est de vendre les marchandises plus ou moins cher, selon que l'acheteur paye comptant ou en billets. Car si la nécessité des crédits est bien constante, & l'on n'en peut disconvenir, il s'ensuit que le fabriquant qui emprunte, & qui paye en conséquence des intérêts, peut les faire payer à tous ceux qui n'achetent pas au comptant. S'il y manquoit, il couroit risque de ruiner ses créanciers, en se ruinant lui-même. Car le vendeur obligé de payer l'intérêt des sommes qu'il emprunte, ne peut s'empêcher de l'imputer comme fraix nécessaires, sur tout ce qui fait l'objet de son négoce, & il ne lui est pas moins permis de se le faire rembourser par ceux qui le payent en papier, que de vendre dix sols plus cher une marchandise qui revient à dix sols de plus.

Il n'y a donc pas ici la plus légere apparence d'injustice. On y trouve au contraire une utilité publique & réelle, en ce que c'est une facilité de plus pour les viremens du commerce ; & là-dessus les négocians n'iront pas consulter Lactance, S. Ambroise ou S. Thomas, pour apprendre ce qui leur est avantageux ou nuisible. Ils savent qu'en fait de négociation, ce qui est réciproquement utile, est nécessairement équitable. Qu'est-ce en effet, que l'équité, si ce n'est l'égalité constante des intérêts respectifs, aequitas ab aequo ? Quand le peuple voit une balance dans un parfait équilibre, voilà, dit-il, qui est juste ; expression que lui arrache l'identité sensible de la justice & de l'égalité ;

Scis etenim justum geminâ suspendere lance.

Perse, IV. 10.

Qu'on reconnoisse donc ce grand principe de tout commerce dans la société. L'avantage réciproque des contractans est la commune mesure de ce que l'on doit appeller juste ; car il ne sauroit y avoir d'injustice où il n'y a point de lésion. C'est cette maxime toujours vraie, qui est la pierre de touche de la justice ; & c'est elle qui a distingué le faux nuisible, d'avec celui qui ne préjudicie à personne : nullum falsum nisi nocivum.

Le sublime philosophe que nous avons déja cité, reconnoît la certitude de cette maxime, quand il dit d'un ancien réglement, publié jadis à Rome sur le même sujet. " Si cette loi étoit nécessaire à la république, si elle étoit utile à tous les particuliers, si elle formoit une communication d'aisance entre le débiteur & le créancier, elle n'étoit pas injuste ". Esprit des loix, II. part. p. 127.

Au reste, pour développer de plus en plus cette importante vérité, remontons aux vues de la législation. Les puissances ne nous ont pas imposé des loix par caprice, ou pour le vain plaisir de nous dominer : Sit pro ratione voluntas. Juv. sat. vj. mais pour garantir les imprudens & les foibles de la surprise & de la violence ; & pour établir dans l'état le regne de la justice : tel est l'objet nécessaire de toute législation. Or, si la loi prohibitive de l'intérêt modéré, légal, se trouve préjudiciable aux sujets, cette loi destinée comme toutes les autres à l'utilité commune, est dès-lors absolument opposée au but du législateur ; par conséquent elle est injuste, & dès-là elle tombe nécessairement en désuétude. Aussi est-ce ce qui arrivera toujours à l'égard des réglemens qui proscriront l'intérêt dont nous parlons ; parce qu'il n'est en effet qu'une indemnité naturelle, indispensable ; indemnité non moins difficile à supprimer que le loyer des terres & des autres fonds. C'est aussi pour cette raison que les législateurs ont moins songé à le proscrire, qu'à le régler à l'avantage du public ; & par conséquent c'est n'avoir aucune connoissance de l'équité civile, que de condamner l'intérêt dont il s'agit. Mais cela est pardonnable à des gens qui ont plus étudié la tradition des mots que l'enchaînement des idées ; & qui n'ayant jamais pénétré les ressorts de nos communications, ignorent en conséquence les vrais principes de la justice, & les vrais intérêts de la société.

Qu'il soit donc permis à tout citoyen d'obtenir pour un prix modique ce que personne ne voudra lui prêter gratis ; il en sera pour lors des vingt-mille francs qu'il emprunte, comme des bâtimens qu'il occupe, & dont il paye le loyer tous les ans, parce qu'on ne voudroit, ou plutôt parce qu'on ne pourroit lui en laisser gratuitement l'usage.

Ce qui induit bien des gens en erreur sur la question présente, c'est que d'un côté les ennemis de l'usure considerent toujours le prêt comme acte de bienveillance, essentiellement institué pour faire plaisir à un confrere & à un ami. D'un autre côté, les honnêtes usuriers font trop valoir l'envie qu'ils ont communément d'obliger ; ils gâtent par là leur cause, croyant la rendre meilleure, & donnent ainsi prise sur eux. Car voici le captieux raisonnement que leur fait Domat du prêt & de l'usure, tit. vj. sect. j. p. 76. édit. de 1702. " Toute la conséquence, dit-il, que peut tirer de cette bonne volonté de faire plaisir, le créancier qui dit qu'il prête par cette vue, c'est qu'il doit prêter gratuitement ; & si le prêt ne l'accommode pas avec cette condition qui en est inséparable, il n'a qu'à garder son argent ou en faire quelque autre usage.... puisque le prêt n'est pas inventé pour le profit de ceux qui prêtent, mais pour l'usage de ceux qui empruntent ".

J'aimerois autant qu'on prescrivît aux loueurs de carrosse, ou de prêter leurs voitures gratis à ceux qui en ont besoin, ou de les garder pour eux-mêmes, si la gratuité ne les accommode, par la prétendue raison que les carrosses ne sont pas inventés pour le profit de ceux qui les équipent, mais pour l'usage de ceux qui se font voiturer : qu'on prescrivît à l'avocat & au médecin de faire leurs fonctions gratuitement, ou de se reposer si la condition ne leur agrée pas ; parce que leurs professions nobles ne sont pas inventées pour le lucre de ceux qui les exercent, mais pour le bien des citoyens qui en ont besoin. Comme si l'on faisoit les fraix d'une voiture ou d'un bâtiment, comme si l'on se rendoit capable d'une profession, comme si l'on amassoit de l'argent par d'autre motif & pour d'autre fin que pour ses besoins actuels, ou pour en tirer d'ailleurs quelque profit ou quelque usure. En un mot, il doit y avoir en tout contrat une égalité respective, une utilité commune en faveur des intéressés ; par conséquent il n'est pas juste dans notre espece d'attribuer à l'emprunteur tout l'avantage du prêt, & de ne laisser que le risque pour le créancier : injustice qui rejailliroit bientôt sur le commerce national, à qui elle ôteroit la ressource des emprunts.

Domat, au reste, ne touche pas le vrai point de la difficulté. Il ne s'agit pas de savoir quelle est la destination primitive du prêt, ni quelle est la vue actuelle du prêteur ; toutes ces considérations ne font rien ici : cogitare tuum nil ponit in re. Il s'agit simplement de savoir si le prêt d'abord imaginé pour obliger un ami, peut changer sa premiere destination, & devenir affaire de négoce dans la société ; sur quoi je soutiens qu'il le peut, aussi-bien que l'ont pu les maisons qui étoient destinées dans l'origine que pour loger le bâtisseur & sa famille, & qui dans la suite sont devenues un juste objet de location ; aussi-bien que l'ont pu les voitures que l'inventeur n'imagina que pour sa commodité, sans prévoir qu'on dût les donner un jour à loyer & ferme. En un mot, la question est de savoir si le créancier qui ne veut pas faire un prêt gratuit auquel il n'est pas obligé, peut sans blesser la justice accepter les conditions légales que l'emprunteur lui propose, & qu'il remplit lui-même sans répugnance toutes les fois qu'il recourt à l'emprunt. Décidera-t-on qu'il y a de l'inique & du vol dans un marché où le prétendu maltraité n'en voit point lui-même ? Croira-t-on qu'un homme habile soit lésé dans un commerce dont il connoît toutes les suites, & où loin de trouver de la perte, il trouve au contraire du profit ; dans un commerce qu'il fait également comme bailleur & comme preneur, & où il découvre dans les deux cas de véritables avantages ?

Rappellons ici une observation que nous avons déja faite ; c'est que le trafiqueur d'argent ne songe pas plus à faire une bonne oeuvre ou à mériter par le prêt les bénédictions du ciel, que celui qui loue sa terre ou sa maison, ses travaux ou ses talens. Ce ne sont guere là les motifs d'un homme qui fait des affaires ; il ne se détermine pas non-plus par de simples motifs d'amitié, & il prête moins à la personne qu'aux hypotheques & aux facultés qu'il connoît ou qu'il suppose à l'emprunteur ; desorte qu'il ne lui prêteroit pas, s'il ne le croyoit en état de rendre ; comme un autre ne livre pas sa marchandise ou sa maison à un homme dont l'insolvabilité lui est connue. Ainsi l'on pourroit presque toujours dire comme Martial,

Quod mihi non credis veteri, Thelesine, sodali,

Credis cauliculis, arboribusque meis. l. XII. épig. 25.

Notre prêteur, comme l'a bien observé le président Perchambaut, fait moins un prêt qu'un contrat négociatif ; sa vue premiere & principale est de subsister sur la terre, & de faire un négoce utile à lui-même & aux autres ; & il a pour cela le même motif que l'avocat qui plaide, que le médecin qui voit des malades, que le marchand qui trafique, & ainsi des autres citoyens dont le but est de s'occuper avec fruit dans le monde, & de profiter du commerce établi chez les nations policées ; en quoi ils s'appuient les uns & les autres sur ce grand principe d'utilité commune qui rassembla les premiers hommes en corps, & qui leur découvrit tout-à-la-fois les avantages & les devoirs de la société ; avantage par exemple dans notre sujet de disposer utilement d'une somme qu'on emprunte ; devoir d'en compenser la privation à l'égard de celui qui la livre.

Cujus commoda sunt, ejusdem incommoda sunto.

Quant à l'option que nous laisse Domat, ou de garder notre argent, ou de le prêter gratis, il faut pour parler de la sorte, n'avoir jamais lû l'Ecriture, ou avoir oublié l'exprès commandement qu'elle fait de prêter en certains cas, dût-on risquer de perdre sa créance, Deut. xv. 7. 8.

Il faut de même n'avoir aucune expérience du monde & des différentes situations de la vie ; combien de gens, qui sentent l'utilité des emprunts, & qui n'approuveront jamais qu'on nous prescrive de ne faire aucun usage de notre argent, plutôt que de le prêter à charge d'intérêt ; qui trouveront enfin ce propos aussi déraisonnable que si l'on nous conseilloit de laisser nos maisons sans locataires, plutôt que d'en exiger les loyers ; de laisser nos terres sans culture, plutôt que d'en percevoir les revenus !

Tout est mêlé de bien & de mal dans la vie, ou plutôt nos biens ne sont d'ordinaire que de moindres maux. C'est un mal par exemple d'acheter sa nourriture, mais c'est un moindre mal que de souffrir la faim ; c'est un mal de payer son gîte, mais c'est un moindre mal que de loger dans la rue ; c'est un mal enfin d'être chargé d'intérêts pour une somme qu'on emprunte, mais c'est un moindre mal que de manquer d'argent pour ses affaires ou ses besoins, & c'est injustement le mauvais effet qui suivroit l'abolition de toute usure ; nous le sentirons mieux par une comparaison.

Je suppose que les propriétaires des maisons n'eussent que le droit de les occuper par eux-mêmes, ou d'y loger d'autres à leur choix, mais toujours sans rien exiger. Qu'arriveroit-il de cette nouvelle disposition ? c'est que les propriétaires ne se gêneroient pas pour admettre des locataires dont ils n'auroient que l'incommodité. Ils commenceroient donc par se loger fort au large, & pour le surplus, ils préféreroient leurs parens & leurs amis qui ne se gêneroient pas davantage, & il en résulteroit dès-à-présent que bien des gens sans protection coucheroient à la belle étoile. Mais ce seroit bien pis dans la suite : les riches contens de se loger commodément, ne bâtiroient plus pour la simple location, & d'ailleurs les maisons actuellement occupées par les petits & les médiocres seroient entretenues au plus mal. Qui voudroit alors se charger des réparations ? seroit-ce les propriétaires, qui ne tireroient aucun loyer ? seroit-ce les locataires, qui ne seroient pas sûrs de jouir, & qui souvent ne pourroient faire cette dépense ? On verroit donc bientôt la plus grande partie des édifices dépérir, au point qu'il n'y auroit pas dans quarante ans la moitié des logemens nécessaires. Observons encore que tant d'ouvriers employés aux bâtimens se trouveroient presque désoeuvrés. Ainsi la plûpart des hommes sans gîte & même sans travail seroient les beaux fruits des locations gratuites ; voyons ce que la gratuité des prêts nous ameneroit.

On voit au premier coup d'oeil, que posé l'abolition de toute usure, peu de gens voudroient s'exposer aux risques inséparables du prêt ; chacun en conséquence garderoit ses especes & voudroit les employer ou les tenir par ses mains ; en un mot, dès que la crainte de perdre ne seroit plus balancée par l'espérance de gagner, on ne livreroit plus son argent, & il ne se feroit plus guere sur cela que des especes d'aumônes, des prêtés-donnés de peu de conséquence & presque jamais des prêts considérables ; combien de fabriques & d'autres sortes d'entreprises, de travaux & de cultures qui se verroient hors d'état de se soutenir, & réduites enfin à l'abandon au grand dommage du public ?

Un charretier avoit imaginé d'entretenir quatre chevaux de trait au bas de Saint-Germain, pour faciliter la montée aux voituriers ; il auroit fourni ce secours à peu de fraix, & le public en eût bien profité ; mais quelqu'un donna du scrupule à celui qui fournissoit l'argent pour cette entreprise. On lui fit entendre qu'il ne pouvoit tirer aucun profit d'une somme qu'il n'avoit pas aliénée ; il le crut comme un ignorant, & en conséquence il voulut placer ses deniers d'une maniere plus licite. Les chevaux dont on avoit déja fait emplette, furent vendus aussi-tôt, & l'établissement n'eut pas lieu.

L'empereur Basile, au neuvieme siecle, tenta le chimérique projet d'abolir l'usure, mais Léon le sage, Léon son fils, fut bientôt obligé de remettre les choses sur l'ancien pié. " Le nouveau réglement, dit celui-ci, ne s'est pas trouvé aussi avantageux qu'on l'avoit espéré, au contraire, les choses vont plus mal que jamais ; ceux qui prêtoient volontiers auparavant à cause du bénéfice qu'ils y trouvoient, ne veulent plus le faire depuis la suppression de l'usure, & ils sont devenus intraitables ". In eos qui pecuniis indigent, difficiles atque immites sunt, novella Leonis 83.

Léon ne manque pas d'accuser à l'ordinaire la corruption du coeur humain, car c'est toujours lui qui a tort, & on lui impute tous les désordres. Accusons à plus juste titre l'immuable nature de nos besoins, ou l'invincible nécessité de nos communications ; nécessité qui renversera toujours tout ce que l'on s'efforcera d'élever contr'elle. Il est en général impossible, il est injuste d'engager un homme à livrer sa fortune au hasard des faillites & des pertes, en prêtant sans indemnité à une personne aisée ; c'est pour cette raison que les intérêts sont au moins tolérés parmi nous dans les emprunts du roi & du clergé, dans ceux de la compagnie des Indes, des fermiers généraux, &c. tandis que les mêmes intérêts, par une inconséquence bizarre, sont défendus dans les affaires qui ne regardent que les particuliers : il en faut pourtant excepter le pays de Bugey & ses dépendances, où l'intérêt est publiquement autorisé en toutes sortes d'affaires. Les provinces qui ressortissent aux parlemens de Toulouse & de Grenoble ont un usage presque équivalent, puisque toute obligation sans fraix & sans formalité y porte intérêt depuis son échéance.

Réponse aux objections prises du droit naturel. On nous soutient que l'usure est contraire au droit naturel, en ce que la propriété suit, comme l'on croit, l'usage de la somme prêtée. L'argent que nous avons livré, dit-on, ne nous appartient plus ; nous en avons cédé le domaine à un autre, mutuum, idest ex meo tuum. Telle est la raison définitive de nos adversaires. On fait beaucoup valoir ici l'autorité de S. Thomas, de S. Bonaventure, de Gerson, de Scot, &c. Qui mutuat pecuniam, transfert dominium pecuniae, Thom. XXII. quaest. 8. art. 2. In mutuatione pecuniae transfertur pecunia in dominium alienum. Bonav. in 3. senten. dist. 37.

De cette proposition considérée comme principe de morale, on infere que c'est une injustice, une espece de vol de tirer quelque profit d'une somme qu'on a prêtée ; une telle somme, dit-on, est au pouvoir, comme elle est aux risques de l'emprunteur. L'usage lucratif qu'il en fait, doit être pour son compte ; un tel gain est le fruit de son travail ou de son industrie ; & il n'est pas juste qu'un autre vienne le partager.

De tous les raisonnemens que l'on oppose contre l'usure légale, au-moins de ceux qu'on prétend appuyer sur l'équité naturelle, voilà celui qui est regardé comme le plus fort ; néanmoins ce n'est au fond qu'une misérable chicane ; & de telles objections méritent à peine qu'on y réponde. En effet est-ce la prétendue formation du mot mutuum qui peut fixer la nature du prêt & les droits qui en dérivent ? Cela marque tout-au-plus l'opinion qu'en ont eu quelques jurisconsultes chez les Romains ; mais cela ne prouve rien au-delà.

Quoi qu'il en soit, distinguons deux sortes de propriétés : l'une individuelle, qui consiste à posséder, par exemple, cent louis dont on peut disposer de la main à la main ; & une propriété civile, qui consiste dans le droit qu'on a sur ces cent louis, lors même qu'on les a prêtés. Il est bien certain que dans ce dernier cas, on ne conserve plus la propriété individuelle des louis dont on a cédé l'usage, & dont le remboursement se peut faire avec d'autres monnoies ; mais on conserve la propriété civile sur la somme remise à l'emprunteur, puisqu'on peut la répéter au terme convenu. En un mot, le prêt que je vous fais, est, à parler exactement, l'usage que je vous cede d'un bien qui m'appartient, & qui lors même que vous en jouissez, ne cesse pas de m'appartenir, puisque je puis le passer en payement à un créancier.

Tout roule donc ici du côté de nos adversaires, sur le défaut d'idées claires & précises par rapport à la nature du prêt ; ils soutiennent que l'emprunteur a réellement la propriété de ce qu'on lui prête, au lieu qu'il n'en a que la jouissance ou l'usage. En effet on peut jouir du bien d'autrui à différens titres ; mais on ne sauroit en être propriétaire sans l'avoir justement acquis. Les justes manieres d'acquérir, sont entr'autres l'échange, l'achat, la donation, &c. Le prêt ne fut jamais regardé comme un moyen d'acquérir ou de s'approprier la chose empruntée, parce qu'il ne nous en procure la jouissance que pour un tems déterminé & à certaines conditions ; en conséquence je conserve toujours la propriété de ce que je vous ai prêté, & de cette propriété constante naît le droit que j'ai de réclamer cette chose en justice, si vous ne me la rendez pas de vous-même après le terme du prêt ; mais si vous me la remettez, dès-lors je rentre dans la possession de ma chose, dès-lors j'en ai la pleine propriété, au lieu que je n'en avois auparavant que la propriété nue : c'est l'expression du droit romain, l. XIX. pr. D. de usuris & fructibus... 21-1, §. ult. inst. de usufructu. 2. 4.

L'argent dont vous jouissez à titre d'emprunt, est donc toujours l'argent d'autrui, c'est-à-dire l'argent du prêteur, puisqu'il en reste toujours le propriétaire. C'est d'où vient cette façon de parler si connue, travailler avec l'argent d'autrui ou sur les fonds d'autrui. Tel étoit le sentiment des Romains, lorsqu'ils appelloient argent d'autrui, aes alienum, une somme empruntée ou une dette passive. On retrouve la même façon de s'exprimer dans la regle suivante ; notre bien consiste en ce qui nous reste après la déduction de nos dettes passives, ou pour parler comme eux, après la déduction de l'argent d'autrui. Bona intelliguntur cujusque quae deducto aere alieno supersunt. lib. XXXIX. §. 1. D. de verborum significatione, l. XI. de jure fisci. 49-14.

Mais observons ici une contradiction manifeste de la part de nos adversaires. Après avoir établi de leur mieux que la propriété d'une somme prêtée appartient à l'emprunteur, que par conséquent c'est une injustice au créancier d'en tirer un profit, puisque c'est, disent ils, profiter sur un bien qui n'est plus à lui ; la force du sentiment & de la vérité leur fait si bien oublier cette premiere assertion, qu'ils admettent ensuite la proposition contradictoire ; qu'ils soutiennent en un mot que l'argent n'est pas aliéné par le prêt pur & simple, & que par conséquent il ne sauroit produire un juste intérêt : c'est même ce qui leur a fait imaginer le contrat de constitution, ou comme l'on dit en quelques provinces, le constitut, au moyen duquel le débiteur d'une somme aliénée devenant maître du fond, en paie, comme on l'assure, un intérêt légitime. Mais voyons la contradiction formelle dans les conférences ecclésiastiques du pere Semelier & dans le dictionnaire de Pontas : contradiction du reste qui leur est commune avec tous ceux qui rejettent le prêt de commerce.

Le premier nous assure " que selon Justinien, suivi, dit-il, en cela par S. Thomas, Scot & tous les théologiens, il se fait par le simple prêt une véritable aliénation de la propriété aussi bien que de la chose prêtée, in hoc damus ut accipientium fiant ; ensorte que celui qui la prête, cesse d'en être le maître. ". Conf. eccl. tom. I. pag. 6.

" L'argent prêté, dit-il encore, est tout au marchand, c'est-à-dire, à l'emprunteur, dès qu'il en répond ; & s'il est au marchand, c'est pour lui seul qu'il doit profiter.... Res perit domino, res fructificat domino ". Ibid. p. 319. C'est par ce principe, comme nous l'avons dit, qu'ils tâchent de prouver l'iniquité de l'usure. Mais ce qui montre bien que cette doctrine est moins appuyée sur l'évidence & la raison que sur des subtilités scholastiques, c'est que les théologiens l'oublient dès qu'ils n'en ont plus besoin.

Le pere Semelier lui-même, ce savant rédacteur des conférences de Paris, en est un bel exemple. Voici comme il se dédit dans le même volume, pag. 237. " Quand je prête, dit-il, mes deniers, le débiteur est tenu de m'en rendre la valeur à l'échéance de son billet ; il n'y a donc pas de véritable aliénation dans les prêts ".

De même parlant d'un créancier qui se fait adjuger des intérêts par sentence, quoiqu'il ne souffre pas de la privation de son argent, il s'explique en ces termes, page 390 : " il n'a, dit-il, en vue que de s'autoriser à percevoir sans titre & sans raison, un gain & un profit de son argent, sans néanmoins l'avoir aliéné ".

Remarquons encore le mot qui suit : " dire qu'il y a une aliénation pour un an dans le prêt qu'on fait pour an, c'est, disent les prélats de France, assemblée de 1700, abuser du mot d'aliénation, c'est aller contre tous les principes du droit ". Ibid. p. 235.

" Il est constant & incontestable, dit Pontas, que celui qui prête son argent, en transfere la propriété à celui qui l'emprunte, & qu'il n'a par conséquent aucun droit au profit que celui-ci en retire, parce qu'il le retire de ses propres deniers ". Ce casuiste s'autorise, comme le premier, des passages de S. Thomas ; mais après avoir assuré, comme nous voyons, la propriété de la somme prêtée à l'emprunteur, page de son dictionnaire 1372, il ne s'en souvient plus à la page suivante. " Il est certain, dit-il, qu'Othon ne peut sans usure, c'est-à-dire ici sans injustice, exiger un intérêt ; car quoiqu'il se soit engagé de ne répéter que dans le terme de trois ans, la somme qu'il a prêtée à Silvain, il ne peut pas être censé l'avoir aliénée. La raison en est qu'il est toujours vrai de dire qu'il la pourra répéter au terme échu, ce qui ne seroit pas en son pouvoir, s'il y avoit une aliénation réelle & véritable ".

Après des contradictions si bien avérées, & dont je trouverois cent exemples, peut-on nous opposer encore l'autorité des casuistes ?

Les légistes sont aussi en contradiction avec eux-mêmes sur l'article de l'usure, & je le montrerai dans la suite. Je me contente d'exposer à-présent ce qu'ils disent de favorable à ma thèse. Ils reconnoissent qu'on peut léguer une somme à quelqu'un, à condition qu'un autre en aura l'usufruit & que l'usage par conséquent n'emporte pas la propriété. Si tibi decem millia legata fuerint, mihi eorumdem decem millium ususfructus, fient quidem tua tota decem millia. L. VI. in princip. D. de usufructu earum rerum. 7-5.

" Si vous ayant légué dix mille écus, on m'en laissoit l'usufruit, ces dix mille écus vous appartiendroient en propriété ". On voit donc en effet que la somme qui doit passer pour un tems à l'usufruitier, appartient réellement au légataire, fient quidem tua tota, & il en a si bien le vrai domaine, qu'il peut, comme on l'a dit, le transporter à un autre. C'est donc perdre de vue les principes les plus communs, ou plutôt c'est confondre des objets très-différens, que de disputer la propriété à celui qui prête ; car, comme nous l'avons observé, dès qu'on ne peut lui contester le droit de réclamer ce qu'il a prêté, c'est convenir qu'il en a toujours été le propriétaire, qualité que la raison lui conserve, comme la loi positive. Qui actionem habet ad rem recuperandam, ipsam rem habere videtur, l. XV. D. de regulis juris.

Et quand même pour éviter la dispute, on abandonneroit cette dénomination de propriété à l'égard du prêteur ; il est toujours vrai qu'au moment qu'il a livré, par exemple, ses cent louis, il en étoit constamment le propriétaire, & qu'il ne les a livrés qu'en recevant une obligation de pareille valeur, à la charge de l'usure légale & compensatoire ; condition sincerement agréée par l'emprunteur, & qui par conséquent devient juste, puisque volenti non fit injuria, condition du reste qui ne lui est point onéreuse, d'autant qu'elle est proportionnée aux produits des fonds & du négoce ; d'où j'infere que c'est un commerce d'utilités réciproques, & qui mérite toute la protection des loix.

Sur ce qu'on dit que l'argent est stérile, & qu'il périt au premier usage qu'on en fait, je réponds que ce sont-là de vaines subtilités démenties depuis longtems par les négociations constantes de la société. L'argent n'est pas plus stérile entre les mains d'un emprunteur qui en fait bon usage, qu'entre les mains d'un commis habile qui l'emploie pour le bien de ses commettans. Aussi Justinien a-t-il évité cette erreur inexcusable, lorsque parlant des choses qui se consument par l'usage, il a dit simplement de l'argent comptant, quibus proxima est pecunia numerata, namque ipso usu assiduâ permutatione, quodammodo extinguitur ; sed utilitatis causâ senatus censuit posse etiam earum rerum usum fructum constitui. §. 2. inst. de usufructu. 2-4.

Il est donc certain que l'argent n'est point détruit par les échanges, qu'il est représenté par les fonds ou par les effets qu'on acquiert, en un mot, qu'il ne se consume dans la société que comme les grains se consument dans une terre qui les reproduit avec avantage.

Quant à la stérilité de l'argent, ce n'est qu'un conte puérile. Cette prétendue stérilité disparoît en plusieurs cas, de l'aveu de nos adversaires. Qu'un gendre, par exemple, à qui l'on donne vingt mille francs pour la dot de sa femme, mais qui n'a pas occasion de les employer, les laisse pour un tems entre les mains de son beau-pere, personne ne conteste au premier le droit d'en toucher l'intérêt, quoique le capital n'en soit pas aliéné. Ces vingt mille francs deviennent-ils féconds, parce qu'on les appelle deniers dotaux ? Et si le beau-pere avoit eu d'ailleurs une pareille somme, pourroit-on croire sérieusement qu'elle fût en soi moins fructueuse, moins susceptible d'intérêt ? Qu'une somme inaliénée vienne d'un gendre ou d'un étranger, elle ne change pas de nature par ces circonstances accidentelles ; & si l'excellente raison d'un ménage à soutenir autorise ici le gendre à recevoir l'intérêt de la dot, cette raison aura la même force à l'égard de tout autre citoyen. De même une sentence qui adjuge des intérêts, n'a pas la vertu magique de rendre une somme d'argent plus féconde ; cette somme demeure physiquement telle qu'elle étoit auparavant.

A l'égard des risques du preneur, rien de plus équitable, puisqu'il emprunte à cette condition. Celui qui loue des meubles & à qui on les vole, celui qui prend une ferme & qui s'y ruine, celui qui loue une maison pour une entreprise où il échoue, tous ces gens-là ne supportent-ils pas les risques, sans que leurs malheurs ou leur imprudence les déchargent de leurs engagemens. D'ailleurs on fait souvent de ce qu'on emprunte un emploi fructueux qui ne suppose proprement ni risque ni travail. Quand j'achete, par exemple, au moyen d'un emprunt, tel papier commerçable, telle charge sans exercice, &c. je me fais sans peine un revenu, un état avantageux avec l'argent d'autrui, aere alieno. Quoi l'on ne trouve pas mauvais que j'use du produit d'une somme qui ne m'appartient pas, & l'on trouve mauvais que le propriétaire en tire un modique avantage ! Que devient donc l'équité ? Qui est-ce qui dédommagera le créancier de la privation de son argent, & des risques de l'insolvabilité ? Car si l'on y fait attention, l'on verra que c'est principalement sur lui que tombent les faillites & les pertes ; desorte que le res perit domino n'est encore ici que trop véritable à son égard.

D'un autre côté, que l'emprunteur ne fasse valoir l'argent d'autrui qu'à l'aide de son industrie, il est également juste que le bailleur ait part au bénéfice ; & l'on ne voit encore ici que de l'égalité, puisque l'emprunteur profite lui-même des cinquante années de travail & d'épargne qui ont enfanté les sommes qu'on lui a livrées, & qui ont rendu fructueuse une industrie, toute seule insuffisante pour les grandes entreprises. Réflexion qui découvre le peu de fondement du reproche que S. Grégoire de Nazianze fait à l'usurier, en lui objectant qu'il recueille où il n'a point semé, colligens ubi non seminarat. Orat. 15.

En effet celui-ci peut répondre avec beaucoup de justesse & de vérité, qu'il seme dans le commerce usuraire & son industrie & celle de ses ancêtres, en livrant des sommes considérables, qui en sont le fruit tardif & pénible.

On nous suppose encore l'autorité d'Aristote, & l'on nous dit avec cet ancien philosophe, que l'argent n'est pas destiné à procurer des gains ; qu'il n'est établi dans le commerce que pour en faciliter les opérations ; & que c'est intervertir l'ordre & la destination des choses, que de lui faire produire des intérêts.

Sur quoi, je dis qu'il n'y a point de mal à étendre la destination primitive des especes ; elles ont été inventées, il est vrai, pour la facilité des échanges, usage qui est encore le plus ordinaire aujourd'hui ; mais on y a joint un grand bien de la société, celui de produire des intérêts, à-peu-près comme on a donné de l'extension à l'usage des maisons & des voitures qui n'étoient pas destinées d'abord à devenir des moyens de lucre. C'est ainsi que le premier qui inventa les chaises pour s'asseoir, n'imaginoit pas qu'elles dussent être un objet de location dans nos églises. Toutes ces pratiques se sont introduites dans le monde, à-mesure que les circonstances & les besoins ont étendu le commerce entre les hommes, & que ces extensions se sont trouvées respectivement avantageuses.

On objecte enfin qu'il est aisé de faire valoir son argent au moyen des rentes constituées ; sans recourir à des pratiques réputées criminelles. A quoi je réponds que cette forme de contrat n'est qu'un palliatif de l'usure. Si l'intérêt qu'on tire par cette voie devient onéreux au pauvre, une tournure différente ne le rendra pas légitime. C'est aussi le sentiment du pere Semelier, Conf. ecclés. p. 21. Une telle pratique, dispendieuse pour l'emprunteur, n'est bonne en effet que pour éluder l'obligation de secourir le malheureux ; mais le précepte reste le même, & il n'est point de subtilité capable d'altérer une loi divine si bien entée sur la loi naturelle.

Les rentes constituées sur les riches sont à la vérité des plus licites ; mais on sait que ce contrat est insuffisant. Les gens pécunieux ne veulent pas d'ordinaire livrer leur argent sans pouvoir le répeter dans la suite, parce qu'ayant des vues ou des projets pour l'avenir, ils craignent d'aliéner des fonds dont ils veulent se réserver l'usage ; aussi est-il constant qu'on ne trouve guere d'argent par cette voie, & que c'est une foible ressource pour les besoins de la société.

Les trois contrats. En discutant la question de l'usure, suivant les principes du droit naturel, je ne puis guere me dispenser de dire un mot sur ce qu'on appelle communément les trois contrats.

C'est proprement une négociation ou plutôt une fiction subtilement imaginée pour assurer le profit ordinaire de l'argent prêté, sans encourir le blâme d'injustice ou d'usure : car ces deux termes sont synonymes dans la bouche de nos adversaires. Voici le cas.

Paul confie, par exemple, dix mille livres à un négociant, à titre d'association dans telle entreprise ou tel commerce ; voilà un premier contrat qui n'a rien d'illicite, tant qu'on y suit les regles. Paul quelque tems après inquiet sur sa mise, cherche quelqu'un qui veuille la lui assurer ; le même négociant qui a reçu les fonds, ou quelqu'autre si l'on veut, instruit que les dix mille francs sont employés dans une bonne affaire, assure à Paul son capital, posons à un pour cent par année, & chacun paroît content. Voilà un deuxieme contrat, qui n'est pas moins licite que le premier.

Cependant quelqu'espérance que l'on fasse concevoir à Paul de son association, qui lui vaudra, diton, plus de douze pour cent, année commune, il considere toujours l'incertitude des événemens ; & se rappellant les pertes qu'il a souvent essuyées nonobstant les plus belles apparences, il propose de céder les profits futurs à des conditions raisonnables, posons à six pour cent par année ; ce qui lui feroit, l'assurance du fonds payée, cinq pour cent de bénéfice moralement certain. Le négociant qui assure déja le capital, accepte de même ce nouvel arrangement ; & c'est ce qui fait le troisieme contrat, lequel est encore permis, pourvu, dit-on, que tout cela se fasse de bonne foi & sans intention d'usure ; car on veut toujours diriger nos pensées.

Dans la suite le même négociant ou autre particulier quelconque dit à notre prêteur pécunieux ; sans tant de cérémonies, si vous voulez, je vous assurerai dès le premier jour votre principal & tout ensemble un profit honnête de cinq pour cent par année ; le créancier goûte cette proposition & l'accepte ; & c'est ce qu'on nomme la pratique des trois contrats ; parce qu'il en résulte le même effet, que si après avoir passé un contrat de société, on en faisoit ensuite deux autres, l'un pour assurer le fonds, & l'autre pour assurer les bénéfices.

Les casuistes conviennent que ces trois contrats, s'ils sont séparément pris & faits en divers tems sont d'eux-mêmes très-licites, & qu'ils se font tous les jours en toute légalité. Mais, dit-on, si on les fait en même tems ; c'est dès-lors une usure palliée ; & dès-là ces stipulations deviennent injustes & criminelles. Toute la preuve qu'on en donne, c'est qu'elles se réduisent au prêt de commerce dont elles ne different que par la forme. Il est visible que c'est-là une pétition de principe, puisqu'on emploie pour preuve ce qui fait le sujet de la question, je veux dire l'iniquité prétendue de tout négoce usuraire. On devroit considérer plutôt que l'interposition des tems qu'on exige entre ces actes, n'y met aucune perfection de plus ; & qu'enfin ils doivent être censés légitimes, dès-là, que toutes les parties y trouvent leur avantage. Ainsi, au-lieu de fonder l'injustice de ces contrats, sur ce que l'usage qu'on en fait conduit à l'usure, ou pour mieux dire, s'identifie avec elle, il faudroit au-contraire prouver la justice de l'usure légale par l'équité reconnue des trois contrats, dont la légitimité n'est pas dûe à quelques jours ou quelques mois que l'on peut mettre entre eux, mais à l'utilité qui en résulte pour les contractans.

Au surplus, comme nous admettons sans détour l'usure ou l'intérêt légal, & que nous en avons démontré la conformité avec le droit naturel, nous n'avons aucun besoin de recourir à ces fictions futiles.

Arrêtons-nous ici un moment, & rassemblons sous un point de vue les principes qui démontrent l'équité de l'usure légale entre gens aisés ; & les avantages de cette pratique pour les sociétés policées.

Rien de plus juste que les conventions faites de part & d'autre, librement & de bonne foi ; & rien de plus équitable que l'accomplissement de promesses où chaque partie trouve son avantage. C'est-là, comme nous l'avons observé, la pierre de touche de la justice.

Nul homme n'a droit à la jouissance du bien d'un autre, s'il n'a fait agréer auparavant quelque sorte de compensation : un homme aisé n'a pas plus de droit à l'argent de son voisin, qu'à son boeuf ou son âne, sa femme ou sa servante ; ainsi rien de plus juste que d'exiger quelqu'indemnité, en cédant pour un tems le produit de son industrie ou de ses épargnes, à un homme à l'aise qui augmente par-là son aisance.

Rien de plus fructueux dans l'état que cette équitable communication entre gens aisés, pourvu que le prêt qui en est le moyen, offre des avantages à toutes les parties. De-là naît la circulation qui met en oeuvre l'industrie ; & l'industrie employant à son tour l'indigence, ses oeuvres raniment tant de membres engourdis, qui sans cela, devenoient inutiles.

Le délire de la plûpart des gouvernemens, dit un célebre moderne, fut de se croire préposés à tout faire, & d'agir en conséquence. C'est par une suite de cette persuasion si ordinaire aux législateurs, qu'au-lieu de laisser une entiere liberté sur le commerce usuraire, comme sur le commerce de la laine, du beurre & du fromage, au-lieu de se reposer à cet égard sur l'équilibre moral, déja bien capable de maintenir l'égalité entre les contractans ; ils ont cru devoir faire un prix annuel pour la jouissance de l'argent d'autrui. Cette fixation est devenue une loi dans chaque état, & c'est ce prix connu & déterminé, que nous appellons usure légale ; fruit civil ou légitime acquis au créancier, comme une indemnité raisonnable de l'usage qu'il donne de son argent à un emprunteur qui en use à son profit.

C'est ainsi que les hommes en cherchant leurs propres avantages avec la modération prescrite par la loi, & qui seroit peut-être assez balancée par un conflit d'intérêts, entretiennent sans y penser, une réciprocation de services & d'utilités qui fait le vrai soutien du corps politique.

Montrons à-présent que nous n'avons rien avancé jusqu'ici qui ne soit conforme à la doctrine des casuistes.

C'est une maxime constante dans la morale chrétienne, qu'on peut recevoir l'intérêt d'une somme, toutes les fois que le prêt qu'on en fait entraîne un profit cessant ou un dommage naissant, lucrum cessans aut damnum emergens. Par exemple, Pierre expose à Paul qu'il a besoin de mille écus pour terminer une affaire importante. Paul répond que son argent est placé dans les fonds publics, ou que s'il ne l'est pas actuellement, il est en parole pour en faire un emploi très-avantageux ; ou qu'enfin il en a besoin lui-même pour réparer des bâtimens qui ne se loueroient pas sans cela. Pierre alors fait de nouvelles instances pour montrer le cas pressant où il se trouve, & détermine Paul à lui laisser son argent pendant quelques années, à la charge, comme de raison, d'en payer l'intérêt légal.

Dans ces circonstances les casuistes reconnoissent unanimement le lucre cessant ou le dommage naissant ; & conviennent que Paul est en droit d'exiger de Pierre l'intérêt légal ; & cet intérêt, disent-ils, n'est pas usuraire ; ou, comme ils l'entendent, n'est pas injuste. Consultez entr'autres le pere Sémelier dont l'ouvrage surchargé d'approbations, est proprement le résultat des conférences ecclésiastiques tenues à Paris sous le cardinal de Noailles, c'est-à-dire, pendant le regne de la saine & savante morale.

" Si les intérêts, dit-il, sont prohibés, les dédommagemens bien loin d'être défendus, sont ordonnés par la loi naturelle, qui veut qu'on dédommage ceux qui souffrent pour nous avoir prêté. Conf. ecclés. p. 254. Les saints peres.... saint Augustin entr'autres, dans sa lettre à Macédonius, ont expliqué les regles de la justice que les hommes se doivent rendre mutuellement. N'ont-ils pas enseigné après Jésus-Christ qu'ils doivent se traiter les uns les autres, comme ils souhaitent qu'on les traite eux-mêmes, & qu'ils ne doivent ni refuser, ni faire à leurs freres ce qu'ils ne voudroient pas qu'on leur refusât ni qu'on leur fît. Or cette regle si juste n'est-elle pas violée, si je n'indemnise pas celui qui en me prêtant, sans y être obligé, se prive d'un gain moralement certain, &c. " Ibid. p. 280.

On lit encore au même volume, " que quand pour avoir prêté on manque un gain probable & prochain, le lucre cessant est un titre légitime ; vérité, dit le conférencier, reconnue par les plus anciens canonistes Ancaranus, Panorme, Gabriel, Adrien VI. &c. qui tous forment une chaîne de tradition depuis plusieurs siecles, & autorisent le titre du lucre cessant.... Ces canonistes si éclairés ont été suivis, dit-il, dans cette décision par les évêques de Cahors & de Châlons.... par les théologiens de Grenoble, de Périgueux, de Poitiers, &c. " Ibid. p. 285.

S. Thomas reconnoît aussi que celui qui prête peut stipuler un intérêt de compensation à cause de la perte qu'il fait en prêtant, lorsque par-là il se prive d'un gain qu'il devoit faire ; car, dit-il, ce n'est pas là vendre l'usage de son argent, ce n'est qu'éviter un dommage. Ille qui mutuum dat, potest absque peccato in pactum deducere cum eo qui mutuum accipit, recompensationem damni, per quod substrahitur sibi aliquid quod debet habere ; hoc enim non est vendere usum pecuniae, sed damnum vitare, II. ij. quaest. lxxxviij. art. 2. Ou comme dit saint Antonin, parlant de celui qui paye avant terme, & qui retient l'escompte, tunc non est usura, quia nullum ex hoc lucrum consequitur, sed solum conservant se indemnem. Secunda parte summae theol. tit. 1. cap. viij.

Je conclus de ces propositions que tous ceux qui prêtent à des gens aisés sont dans le cas du lucre cessant ou du dommage naissant. En effet, à qui peut-on dire le mot de S. Ambroise, prosit alii pecunia quae tibi otiosa est ? Où est l'homme qui ne cherche à profiter de son bien, & qui n'ait pour cela des moyens moralement sûrs ? S'il étoit cependant possible qu'un homme se trouvât dans l'étrange hypothèse que fait ce pere, nous conviendrions volontiers que s'il prêtoit, il devroit le faire sans intérêt ; mais en général tout prêteur peut dire à celui qui emprunte, en vous remettant mon argent, je vous donne la préférence sur les fonds publics, sur l'hôtel-de-ville, les pays d'états, la compagnie des Indes, &c. sur le commerce que je pourrois faire, je néglige enfin pour vous obliger des gains dont j'ai une certitude morale ; en un mot je suis dans le cas du lucre cessant, puisque, selon l'expression de S. Thomas, vous m'ôtez un profit que j'avois déja, ou que vous empêchez celui que j'allois faire, mihi aufers quod actu habebam aut impedis ne adipiscar quod eram in via habendi. II. ij. quaest. 64. art. 4. Il est donc juste que vous m'accordiez l'intérêt honnête que je trouverois ailleurs.

Cette vérité est à la portée des moindres esprits ; aussi s'est-elle fait jours au-travers des préjugés contraires, & c'est pour cela qu'on admet l'intérêt dans les emprunts publics, de même que dans les négociations de banque & d'escompte ; ensorte qu'il n'est pas convenable qu'on ose encore attaquer notre proposition. Mais il est bien moins concevable que S. Thomas se mette là-dessus en contradiction avec lui-même ; c'est pourtant ce qu'il fait d'une maniere bien sensible, sur-tout dans une réponse à Jacques de Viterbe qui l'avoit consulté sur cette matiere ; car oubliant ce qu'il établit si-bien en faveur de l'intérêt compensatoire qu'il appelle recompensationem damni, il déclare expressément que le dommage qui naît d'un payement fait avant terme n'autorise point à retenir l'escompte ou l'intérêt, par la raison, dit-il, qu'il n'y a pas d'usure qu'on ne pût excuser sur ce prétexte ; nec excusatur per hoc quod solvendo ante terminum gravatur.... quia eâdem ratione possent usurarii excusari omnes. Mais laissons ce grand docteur s'accorder avec lui-même & avec S. Antonin ; & voyons enfin à quoi se réduit la gratuité du prêt telle qu'elle est prescrite en général par les théologiens.

Quelqu'un, je le suppose, vous demande vingt mille francs à titre d'emprunt ; on avoue que vous n'êtes pas tenu de les prêter ; mais suivant la doctrine de l'école, supposé que vous acceptiez la proposition, vous devez prêter la somme sans en exiger d'intérêts ; car si vous vendiez, dit-on, l'usage d'une somme que vous livrez pour un tems, ce seroit de votre part un profit illicite & honteux, une usure, un vol, un brigandage, un meurtre, un parricide ; expressions de nos adversaires que je copie fidelement : en un mot, vous ne pouvez recevoir aucun intérêt quoique vous prêtiez pour un tems considérable, quand vous ne demanderiez qu'un pour cent par année. L'usure est, disent-ils, tout ce qui augmente le principal, usura est omnis accessio ad sortem. Cependant il vous reste une ressource consolante : comme vos vingt mille francs font une grande partie de votre fortune & qu'ils vous sont nécessaires pour les besoins de votre famille ; que d'un autre côté vous ne manquez pas d'occasion d'en tirer un profit légitime, & qu'enfin vous êtes toujours comme parle S. Thomas in viâ habendi, vous pouvez sans difficulté recevoir l'intérêt légal, non pas, encore un coup, à titre de lucre, non pas en vertu du prêt qui doit être gratuit, dit-on, pour qu'il ne soit pas injuste ; conf. p. 383. en le prenant ainsi tout seroit perdu ; Dieu seroit griévement offensé, l'emprunteur seroit lésé, volé, massacré. Mais rappellez-vous seulement le cas où vous êtes du lucre cessant ; & au lieu d'exiger un profit en vertu du prêt, ne l'exigez qu'à titre d'indemnité, titulo lucri cessantis : dès-lors tout rentre dans l'ordre, toute justice s'accomplit, & les théologiens sont satisfaits. Tant il est vrai qu'il n'y a qu'à s'entendre pour être bientôt d'accord. En effet il faudroit être bien dépravé pour se rendre coupable d'usure en imputant le bénéfice du prêt au prêt même, tandis qu'il est aisé par un retour d'intention, de rendre tout cela bien légitime.

Le dirai-je, sans faire tort à nos adversaires ? Je les trouve en général plus ardens pour soutenir leurs opinions, que zélés pour découvrir la vérité. Je les vois d'ailleurs toujours circonscrits dans un petit cercle d'idées & de mots ; si bien aveuglés enfin par les préjugés de l'éducation, qu'ils ne connoissent ni la nature du juste & de l'injuste, ni la destination primitive des loix, ni l'art de raisonner conséquemment. Qu'il me soit permis de leur demander si les plus grands ennemis de l'usure sont dans l'usage de prêter gratis la moitié ou les trois quarts de leur bien ; s'il est une famille dans le monde, une église, corps ou communauté, qui prête habituellement de grandes sommes, sans se ménager aucun profit ? Il n'en est point ou il n'en est guere ; alligant onera gravia & importabilia & imponunt in humeros hominum, digito autem suo nolunt ea movere. Matt. xxiij. 4. Le désintéressement n'est que pour le discours ; dès qu'il est question de la pratique, les plus zélés veulent profiter de leurs avantages. Tout le monde crie contre l'usure, & tout le monde est usurier : je l'ai prouvé ci-devant, & je vais le prouver encore.

On est, dit-on, coupable d'usure dès qu'on reçoit plus qu'on ne donne ; ce qui ne s'entend d'ordinaire que de l'argent prêté. Cependant la gratuité du prêt ne se borne pas là. Moïse dit de la part de Dieu : vous ne tirerez aucun intérêt de votre frere, soit que vous lui prêtiez de l'argent, du grain ou quelque autre chose que ce puisse être. Non foenerabis fratri tuo ad usuram pecuniam, nec fruges nec quamlibet aliam rem. Deut. xxiij. 19. Il s'explique encore plus positivement au même endroit, en disant : vous prêterez à votre frere ce dont il aura besoin, & cela sans exiger d'intérêt. Fratri tuo absque usurâ id quod indiget commodabis. Donnez, dit le Sauveur, à celui qui vous demande, & ne rejettez point la priere de celui qui veut emprunter ; qui petit à te da ei, & volenti mutuari ne à te avertaris. Matt. 5. 42.

Mais si ces maximes sont autant de préceptes, comme le prétendent nos adversaires, qui d'eux & de nous n'aura pas quelque usure à se reprocher ? qui d'entr'eux n'exige pas les dîmes, les cens & rentes que leur payent des malheureux hors d'état souvent d'y satisfaire ? Qui d'entr'eux ne loue pas quelque portion de terre, quelque logement ou dépendances à de pauvres gens embarrassés pour le payement du loyer ? Qui d'entr'eux ne congédie pas un locataire insolvable ? Est-ce là être fidele à ces grandes regles, fratri tuo absque usurâ id quo indiget commodabis ; qui petit à te da ei, & volenti mutuari, à te ne avertaris.

Qu'on ne dise pas que je confonds ici la location avec le simple prêt. En effet, l'intention de Dieu qui nous est manifestée dans l'Ecriture, est que nous traitions notre prochain, sur-tout s'il est dans la détresse, comme notre frere & notre ami, comme nous demanderions en pareil cas d'être traités nous-mêmes ; qu'ainsi nous lui prêtions gratis dans son besoin de l'argent, du grain, des habits & toute autre chose, quamlibet aliam rem, dit le texte sacré, par-conséquent un gîte quand il sera nécessaire. Il est dit au Lévitique, xxv. 35. craignez votre Dieu, & que votre frere trouve un asyle auprès de vous, time Deum tuum ut vivere possit frater tuus apud te. Tout cela ne comprend-il que le prêt d'argent ? & de telles regles d'une bienfaisance générale n'embrassent-elles point la location gratuite ? L'homme de bien pénétré de ces maximes, exigera-t-il le loyer d'un frere qui a d'ailleurs de la peine à vivre ? Il est dit encore au Deutéronome, xv. 7. Dabis ei, nec ages quidquam callidè in ejus necessitatibus sublevandis ; point de raisons ou de prétextes à opposer de la part de l'homme riche pour esquiver l'obligation de secourir le malheureux ; que ce soit par un prêt, par une location ou par un don pur & simple, c'est tout un : dabis ei, nec ages quidpiam callidè in ejus necessitatibus sublevandis.

Votre frere a besoin de ce morceau de terre, de ce petit jardin ; il a besoin de cette chaumiere ou de cette chambre que vous n'occupez pas au quatrieme ; il vous demande cela gratis, parce qu'il est dans la détresse & dans l'affliction, & quand vous lui en accorderez pour un tems l'usage ou le prêt gratuit, cette petite générosité ne vous empêchera pas de vivre à l'aise au moyen des ressources que vous avez ailleurs. Cependant vous ne lui accordez pas cet usage absque usurâ ; vous en demandez le prix ou le loyer, le cens ou la rente ; vous l'exigez même à la rigueur, & vous congédiez le malheureux, s'il manque de satisfaire ; peut-être vendez-vous ses meubles, ou vous ou vos ayans cause, car tout cela revient au même. Est-ce là traiter votre prochain comme votre frere, ou plutôt fut-il jamais d'usure plus criante ? Ne trouveriez-vous pas bien dur, si vous étiez vous-même dans la misere, qu'un frere dans l'aisance & dans l'élévation oubliât pour vous les maximes de l'Ecriture & les sentimens de l'humanité ? & ne sentez-vous pas enfin que celui qui tire des intérêts modiques du négociant & de l'homme aisé, est infiniment moins blâmable, moins dur, & moins usurier que vous ?

Quoi qu'il en soit, nous l'avons dit ci-devant des princes législateurs, nous dirons encore mieux de l'être suprême, qu'il n'a pas donné des loix aux hommes pour le plaisir de leur commander ; il l'a fait pour les rendre plus justes ou, pour mieux dire, plus heureux. C'est ainsi qu'en défendant l'usure aux Israélites dans les cas exprimés au texte sacré, il visoit sans doute au bien de ce peuple unique qu'il protégeoit particulierement, & auquel il donna des réglemens favorables qui ne se sont pas perpétués jusqu'à nous. Cependant si pour faire le bien de tant de peuples moins favorisés, Dieu leur avoit interdit l'usure en général, même, comme on prétend, vis-à-vis des riches, il auroit pris une mauvaise voie pour arriver à son but, il l'auroit manqué comme l'empereur Basile, en ce qu'il auroit rendu les prêts si difficiles & si rares, que loin de diminuer nos maux, il auroit augmenté nos miseres.

Heureusement la nécessité de nos communications a maintenu l'ordre naturel & indispensable ; ensorte que malgré l'opinion & le préjugé, malgré tant de barrieres opposées en divers tems au prêt lucratif, la juste balance du commerce, ou la loi constante de l'équilibre moral, s'est toujours rendue la plus forte & a toujours fait le vrai bien de la société. Elle a trouvé enfin l'heureux moyen d'éviter le blâme d'une usure odieuse ; & dès-là contente de l'essentiel qu'on lui accorde, je veux dire l'intérêt compensatoire, le recompensationem damni de S. Thomas, elle abandonne le reste aux discussions de l'école, & laisse les esprits inconséquens disputer sur des mots.

Monts de piété. Les monts de piété sont des établissemens fort communs en Italie, & qui sont faits avec l'approbation des papes, qui paroissent même autorisés par le concile de Trente, sess. XXII. Du reste, ce sont des caisses publiques où les pauvres & autres gens embarrassés, vont emprunter à intérêt & sur gages.

Ces monts de piété ne sont pas usuraires, dit le P. Semelier ; notez bien les raisons qu'il en donne. " Ces monts de piété, dit-il, ne sont pas usuraires, si l'on veut faire attention à toutes les conditions qui s'observent dans ces sortes de prêts.

La premiere, qu'on n'y prête que de certaines sommes, & que pour un tems qui ne passe jamais un an, afin qu'il y ait toujours des fonds dans la caisse. La seconde, qu'on n'y prête que sur gages, parce que comme on n'y prête qu'à des pauvres, le fonds de ces monts de piété seroient bientôt épuisés, si l'on ne prenoit pas cette précaution.... La troisieme, que quand le tems prescrit pour le payement de ce qu'on a emprunté est arrivé, si celui qui a emprunté ne paye pas, on vend les gages ; & de la somme qui en revient on en prend ce qui est dû au mont de piété, & le reste se rend à qui le gage appartient. La quatrieme condition est, qu'outre la somme principale qu'on rend au mont de piété, on avoue qu'on y paye encore une certaine somme. " Conf. p. 299.

Toutes ces dispositions, comme l'on voit, portent le caractere d'une usure odieuse ; on ne prête, dit-on, qu'à des pauvres ; on leur prête sur gages, par conséquent sans risques. On leur prête pour un terme assez court ; & faute de payement à l'échéance, on vend sans pitié, mais non sans perte, le gage de ces misérables : enfin l'on tire des intérêts plus ou moins forts d'une somme inaliénée. Si, comme on nous l'assure, ces pratiques sont utiles & légitimes, & peut-être le sont-elles à bien des égards, l'intérêt légal que nous soutenons l'est infiniment davantage ; il l'est même d'autant plus, que la cause du pauvre y est absolument étrangere.

Notre auteur avoue qu'il se peut glisser " des abus dans les monts de piété ; mais cela n'empêche pas, dit-il, que ces monts, si on les considere dans le but de leur établissement, ne soient très-justes & exemts d'usure. "

Si l'on considere aussi les prêts lucratifs, dans le but d'utilité que s'y proposent tant les bailleurs que les preneurs, quelques abus qui peuvent s'y glisser n'empêcheront pas que la pratique n'en soit juste & exempte d'usure.

Du reste, voici le principal abus qu'on appréhende pour les monts de piété, qu'on appelle aussi Lombards. On craint beaucoup que les usuriers n'y placent des sommes sans les aliéner ; & c'est ce que l'on empêche autant que l'on peut, en n'y recevant guere que des sommes à constitution de rente ; ce qui éloigne, dit le P. Semelier, tous les soupçons que l'on forme contre cet établissement, de donner lieu aux usuriers de prêter à intérêt.

Mais qu'importe au pauvre qui emprunte au mont de piété, que l'argent qu'il en tire, vienne d'un constituant, plutôt que d'un prêteur à terme. Sa condition en est-elle moins dure ? Sera-t-il moins tenu de payer un intérêt souvent plus que légal, à gens impitoyables, qui ne donneront point de repit ; qui faute de payement vendront le gage sans quartier, & causeront tout-à-coup trente pour cent de perte à l'emprunteur ? combien d'usuriers qui sont plus traitables ! L'avantage du pauvre qui a recours au Lombard, étant d'y trouver de l'argent au moindre prix que faire se peut, au-lieu d'insister dans un tel établissement pour avoir de l'argent de constitution, il seroit plus utile pour le pauvre de n'y admettre s'il étoit possible, que des sommes prêtées à terme, par la raison qu'un tel argent est moins cher & plus facile à trouver. Mais, dit-on, c'est que l'un est bon & que l'autre est mauvais, c'est que l'un est permis, & que l'autre est défendu. Comme si le bien & le mal en matiere de négoce, ne dépendoit que de nos opinions ; comme si en ce genre, le plus & le moins de nuisance ou d'utilité, n'étoient pas la raison constituante, & la mesure invariable du juste & de l'injuste.

Enfin on nous dit d'après Leon X. que si dans les monts de piété " on reçoit quelque chose audelà du principal, ce n'est pas en vertu du prêt, c'est pour l'entretien des officiers qui y sont employés, & pour les dépenses qu'on est obligé de faire.... Ce qui n'a, dit-on, aucune apparence de mal, & ne donne aucune occasion de peché. " Ibid. p. 300. D'honnêtes usuriers diront, comme Leon X. qu'ils ne prennent rien en vertu du prêt, mais seulement pour faire subsister leur famille au moyen d'un négoce où ils mettent leurs soins & leurs fonds ; négoce d'ailleurs utile au public, autant ou plus que celui des monts de piété, puisque nos usuriers le font à des conditions moins dures.

Mais n'allons pas plus loin sans remarquer un cercle vicieux, où tombent nos adversaires, quand ils veulent prouver le prétendu vice de l'usure légale.

Les canonistes prétendent, " avec St. Thomas, que les loix positives ne défendent si fortement l'usure, que parce qu'elle est un péché de sa nature, & par elle-même. " Conf. eccl. p. 477. Dare pecuniam mutuo ad usuram non ideò est peccatum quia est prohibitum, sed potiùs ideò est prohibitum, quia est secundum se peccatum ; est enim contra justitiam naturalem. Thom. quaest. 13. de malo. art. iv. Sur cela voici la réflexion qui se présente naturellement.

L'usure n'étant prohibée, comme ils le disent, que sur la supposition qu'elle est un péché de sa nature, quia est secundùm se peccatum ; sur la supposition qu'elle est contraire au droit naturel, quia est contra justitiam naturalem ; s'il est une fois bien prouvé que cette supposition est gratuite, qu'elle n'a pas le moindre fondement ; en un mot s'il est démontré que l'usure n'est pas injuste de sa nature, que devient une prohibition qui ne porte que sur une injustice imaginaire ? c'est ce que nous allons examiner.

Le contrat usuraire, ou le prêt lucratif, n'attaque point la divinité ; les hommes l'ont imaginé pour le bien de leurs affaires, & cette négociation n'a de rapport qu'à eux dans l'ordre de l'équité civile. Dieu ne s'y intéresse que pour y maintenir cette équité précieuse, cette égalité si nécessaire d'un mutuel avantage ; or je l'ai prouvé ci-devant, & je le repete ; on trouve cette heureuse propriété dans le prêt lucratif, en ce que d'une part le créancier ne fait à l'emprunteur que ce qu'il accepte pour lui-même ; raison à laquelle je n'ai point encore vu de réponse, & que de l'autre, chacun y profite également de sa mise.

La mise de l'emprunteur est son industrie, cela n'est pas contesté ; mais une autre vérité non moins certaine, c'est que la mise du prêteur est une industrie encore plus grande. On ne considere pas que le sac de mille louis qu'il a livré, renferme peut-être plus de cinquante années d'une économie industrieuse, dont cette somme est le rare & le précieux fruit ; somme qui fait un ensemble, une espece d'individu dont l'emprunteur profite à son aise & tout à la fois ; ainsi l'avantage est visiblement de son côté, puisqu'il ne constitue que quelques mois, ou si l'on veut quelques années, de son travail ; tandis que le créancier met de sa part tout le travail d'un demi siecle. Voilà donc de son côté une véritable mise qui légitime l'intérêt qu'on lui accorde : aussi les parties actives & passives, les bailleurs & les preneurs publient hautement cette légitimité ; ils avouent de bonne foi qu'ils ne sont point lésés dans le prêt lucratif, que par conséquent cette négociation n'est pas inique, vu, comme on l'a dit, qu'il n'y a pas d'injustice où il n'y a pas de lésion, & qu'il n'y a pas de lésion dans un commerce où l'on fait aux autres le traitement qu'on agrée pour soi même, dans un commerce enfin qui opere le bien des particuliers & celui du public.

Ces raisons prises dans les grands principes de l'équité naturelle, font impression sur nos adversaires ; & ils en paroissent tellement ébranlés, qu'ils n'osent pas les combattre de front ; cependant comme l'autorité entraîne, que le préjugé aveugle, & qu'enfin il ne faut pas se rendre, voici comme ils tâchent d'échapper : ils prétendent donc que la bonté du prêt lucratif ne dépend pas de l'utilité qu'en peuvent tirer les parties intéressées, parce que, disent-ils, dès qu'il est mauvais de sa nature, & opposé à l'équité naturelle.... il ne peut jamais devenir licite. Conf. eccl. p. 161. conclusion qui ne seroit pas mauvaise, si elle n'étoit pas fondée sur une pétition de principe, sur une supposition dont nous démontrons la fausseté. Enfin la raison ultérieure qu'ils emploient contre l'équité de l'usure, raison qui complete le cercle vicieux que nous avons annoncé ; c'est qu'elle est, disent-ils, condamnée par la loi de Dieu. ibid. p. 163.

Ainsi l'usure n'est condamnée, dit-on d'abord, que parce qu'elle est injuste, quia est contra justitiam naturalem : & quand nous renversons cette injustice prétendue par des raisonnemens invincibles, on nous dit alors que l'usure est injuste parce qu'elle est condamnée. En bonne foi, qui se laisse diriger par de tels raisonneurs, se laisse conduire par des aveugles.

Après avoir prouvé aux théologiens qu'ils sont en contradiction avec eux-mêmes, attachons-nous à prouver la même chose aux ministres de nos loix. On peut avancer en général que le droit civil a toujours été favorable au prêt de lucre. A l'égard de l'antiquité cela n'est pas douteux : nous voyons que chez les Grecs & chez les Romains, l'usure étoit permise comme tout autre négoce, & qu'elle y étoit exercée par tous les ordres de l'état : on sait encore que l'usure qui n'excédoit pas les bornes prescrites, n'avoit rien de plus repréhensible que le profit qui revenoit des terres ou des esclaves ; & cela nonseulement pendant les ténebres de l'idolâtrie, mais encore dans les beaux jours du christianisme ; ensorte que les empereurs les plus sages & les plus religieux l'autoriserent durant plusieurs siecles, sans que personne réclamât contre leurs ordonnances. Justinien se contenta de modérer les intérêts, & de douze pour cent, qui étoit le taux ordinaire, il les fixa pour les entrepreneurs des fabriques, & autres gens de commerce, à huit pour cent par année ; jubemus illos qui ergasteriis praesunt, vel aliquam licitam negociationem gerunt, usque ad bessem centesimae usurarum nomine in quocumque contractu suam stipulationem moderari. lib. XXVI. §. 1. vers. 1. Cod. de usuris, 4-22.

Nous sommes bien moins conséquens que les anciens sur l'article des intérêts, & notre jurisprudence a sur cela des bisarreries qui ne font guere d'honneur à un siecle de lumiere. Le droit françois, quant à l'expression, quant à la forme, semble fort contraire à l'usure ; quant au fond, quant à l'esprit, il lui est très-favorable. En effet, ce qui montre au mieux qu'ici la loi combat la justice ou l'utilité publique, c'est que la même autorité qui proscrit l'usure, est forcée ensuite de souffrir des opérations qui la font revivre. Chacun sait que les parties, au cas d'emprunt, conviennent de joindre dans un billet les intérêts & le principal, & d'en faire un total payable à telle échéance, ce qui se pratique également dans les actes privés & dans ceux qui se passent devant notaires. Tout le monde connoît un autre détour qui n'est guere plus difficile : on fait une obligation payable à volonté ; on obtient ensuite de concert, une sentence qui adjuge des intérêts au créancier, in poenam morae. Ecoutons sur cela l'auteur des conférences.

" Le profit qu'on tire du prêt est une usure, dit-il, parce que c'est un gain qui en provient ; & cela est défendu, parce que le prêt doit être gratuit, pour qu'il ne soit pas injuste. L'intérêt au-contraire est une indemnité légitime, c'est-à-dire un dédommagement ou une compensation due au créancier, à cause du préjudice qu'il souffre par la privation de ses deniers. Tous les théologiens conviennent que les intérêts qui sont adjugés par la sentence du juge, ne sont ni des gains ni des profits usuraires, mais des intérêts qui sont présumés très-justes & très-équitables. Legitimae usurae, dit le droit ". Conf. eccl. p. 383.

Cette distinction assez subtile, & encore plus frivole entre les profits & l'indemnité d'un prêt, est appuyée sur une décision du Droit, qui nous apprend que les intérêts ne sont pas ordonnés pour le profit des créanciers, mais uniquement pour les indemniser du retardement & de la négligence des débiteurs. Usurae non propter lucrum petentium, sed propter moram solventium infliguntur, l. XVII. §. iij. ff. de usuris & fructibus, I. 22. Voilà, si je ne me trompe, plutôt des mots que des observations intéressantes ; que m'importe en effet, par quel motif on m'attribue des intérêts, pourvu que je les reçoive ?

Quoi qu'il en soit, tout l'avantage que trouve le débiteur dans la prohibition vague de l'usure, c'est qu'il la paye sous le beau titre d'intérêt légitime ; mais en faisant les fraix nécessaires pour parvenir à la sentence qui donne à l'usure un nom plus honnête. Momerie qui fait dire à tant de gens enclins à la malignité, que notre judicature n'est en cela contraire à elle-même, que parce qu'elle se croit intéressée à multiplier les embarras & les fraix dans le commerce des citoyens.

Nous l'avons déja dit, le profit usuraire est pleinement autorisé dans plusieurs emprunts du roi, surtout dans ceux qui se font sous la forme de loteries & d'annuités ; dans plusieurs emprunts de la compagnie des Indes, & dans les escomptes qu'elle fait à présent sur le pié de cinq pour cent par année ; enfin, dans les emprunts des fermiers généraux, & dans la pratique ordinaire de la banque & du commerce. Avec de telles ressources pour l'usure légale, peut-on dire sérieusement qu'elle soit illicite ? je laisse aux bons esprits à décider.

Au reste, une loi générale qui autoriseroit parmi nous l'intérêt courant, seroit le vrai moyen de diriger tant de gens peu instruits, qui ne distinguent le juste & l'injuste que par les yeux du préjugé. Cette loi les guériroit de ces mauvais scrupules qui troublent les consciences, & qui empêchent d'utiles communications entre les citoyens. J'ajoute que ce seroit le meilleur moyen d'arrêter les usures excessives à présent inévitables. En effet, comme il n'y auroit plus de risque à prêter au taux légal, tant sur gages que sur hypotheques, l'argent circuleroit infiniment davantage. Que de bras maintenant inutiles, & qui seroient pour lors employés avec fruit ? que de gens aujourd'hui dans la détresse, & à qui plus de circulation procureroit des ressources ? En un mot, on trouveroit de l'argent pour un prix modique en mille circonstances, où l'on n'en trouve qu'à des conditions onéreuses ; parce que, comme dit de Montesquieu, le prêteur s'indemnise du péril de la contravention. Esprit des loix, deuxieme partie, page 121.

On nous épargneroit les fraix qui se font en actes de notaires, contrôle, assignations, & autres procédures usitées pour obtenir des intérêts ; & dès-là nos communications moins gênées deviendroient plus vives & plus fructueuses, parce qu'il s'ensuivroit plus de travaux utiles. Aussi nos voisins moins capables que nous de prendre des mots pour des idées, admettent-ils l'usure sans difficulté, quand elle se borne au taux de la loi. La circulation des especes rendue par-là plus facile, tient l'intérêt chez eux beaucoup au-dessous du nôtre ; circonstance que l'on regarde à bon droit comme l'une des vraies causes de la supériorité qu'ils ont dans le commerce. C'est aussi l'une des sources de ces prodigieuses richesses dont le récit nous étonne, & que nous croyons à peine quand nous les voyons de nos yeux.

Ajoutons un mot ici contre une espece d'usure qui paroît intolérable : je veux parler du sou pour livre que la poste exige pour faire passer de l'argent d'un lieu dans un autre. Cette facilité qui seroit si utile aux citoyens, qui feroit une circulation si rapide dans le royaume, devient presque de nul usage par le prix énorme de la remise, laquelle au reste peut s'opérer sans fraix par la poste. Ses correspondances partout établies & payées pour une autre fin, ne lui sont pas onéreuses pour le service dont il s'agit. Cependant si je veux remettre cent écus, il m'en coûte quinze francs ; si je veux remettre deux mille livres, on me demande dix pistoles. En bonne foi, cela est-il proposable dans une régie qui ne coûte presque rien aux entrepreneurs ? Il seroit donc bien à desirer que le ministere attentif à l'immense utilité qui reviendroit au commerce d'une correspondance si générale & si commode, obligeât les régisseurs ou les fermiers des postes, à faire toutes remises d'argent à des conditions favorables au public ; en un mot, qu'on fixât pour eux le droit de transport ou de banque à trois deniers par livre pour toutes les provinces de France. Il en résulteroit des avantages infinis pour les sujets, & des gains prodigieux pour la ferme.

Après avoir prouvé que l'intérêt légal est conforme à l'équité naturelle, & qu'il facilite le commerce entre les citoyens, il s'agit de montrer qu'il n'est point défendu dans l'Ecriture : voyons ce que dit sur cela Moïse.

Réponse à ce qu'on allegue de l'ancien-Testament. " Si votre frere se trouve dans la détresse & dans la misere ; s'il est infirme au point de ne pouvoir travailler, & que vous l'ayez reçu comme un étranger qui n'a point d'asyle, faites ensorte qu'il trouve en vous un bienfaiteur, & qu'il puisse vivre auprès de vous. Ne le tyrannisez point, sous prétexte qu'il vous doit ; craignez d'irriter le ciel en exigeant de lui plus que vous ne lui avez donné. Soit donc que vous lui prêtiez de l'argent, des grains, ou quelque autre chose que ce puisse être, vous ne lui demanderez point d'intérêt ; & quoique vous en puissiez exiger des étrangers, vous prêterez gratuitement à votre frere ce dont il aura besoin ; le tout afin que Dieu bénisse vos entreprises & vos travaux ". Exod. xxij. 25. Levit. xxv. 35. Deut. xxiij. 19.

Voici comme il parle encore dans un autre endroit, Deuter. xv. 7. " Si l'un de vos freres habitant le même lieu que vous dans la terre que Dieu vous destine, vient à tomber dans l'indigence, vous n'endurcirez point votre coeur sur sa misere, mais vous lui tendrez une main secourable, & vous lui prêterez selon que vous verrez qu'il aura besoin. Eloignez de vous toutes réflexions intéressées, & que l'approche de l'année favorable qui doit remettre les dettes ne vous empêche point de secourir votre frere & de lui prêter ce qu'il vous demande, de peur qu'il ne réclame le Seigneur contre vous, & que votre dureté ne devienne criminelle. Vous ne vous dispenserez donc point de le soulager sur de mauvais prétextes ; mais vous répandrez sur lui vos bienfaits, pour attirer sur vous les bénédictions du ciel ".

Il est évident que ces passages nous présentent une suite de préceptes très-propres à maintenir le commerce d'union & de bienfaisance qui doit régner dans une grande famille, telle qu'étoit le peuple hébreu. Rien de plus raisonnable & de plus juste, surtout dans les circonstances où Dieu les donna. Il venoit de signaler sa puissance pour tirer d'oppression les descendans de Jacob ; il leur destinoit une contrée délicieuse, & il vouloit qu'ils y vécussent comme de véritables freres, partageant entr'eux ce beau patrimoine sans pouvoir l'aliéner, se remettant tous les sept ans leurs dettes respectives ; enfin, s'aidant les uns les autres au point qu'il n'y eût jamais de misérables parmi eux. C'est à ce but sublime que tend toute la législation divine ; & c'est dans la même vue que Dieu leur prescrivit le prêt de bienveillance & de générosité.

Dans cette heureuse théocratie, qui n'eût vu avec indignation des citoyens exiger l'intérêt de quelques mesures de blé, ou de quelque argent prêté au besoin à un parent, à un voisin, à un ami ? car tels étoient les liaisons intimes qui unissoient tous les Hébreux. Ils ne formoient dans le sens propre qu'une grande famille ; & ce sont les rapports sous lesquels l'Ecriture nous les présente, amico, proximo, fratre. Mais que penser des hébreux aisés, si dans ces conjonctures touchantes que nous décrit Moïse, ils se fussent attachés à dévorer la substance des malheureux, en exprimant de leur misere sous le voile du prêt un intérêt alors détestable ?

L'intérêt que nous admettons est bien différent ; il suppose un prêt considérable fait à des gens à l'aise, moins par des vues de bienfaisance, que pour se procurer des avantages réciproques ; au lieu que les passages allégués nous annoncent des parens, des voisins, des amis, réduits à des extrémités où tout homme est obligé de secourir son semblable ; extrémités au reste qui n'exigent pas qu'on leur livre de grandes sommes. Tout ceci est étranger aux contrats ordinaires de la société, où il ne s'agit ni de ces secours modiques & passagers dont on gratifie quelques misérables, ni de ces traits de générosité qu'on doit toujours, & qu'on n'accorde que trop rarement à ses amis. Il s'agit seulement d'un négoce national entre gens aisés qui subsistent les uns & les autres, soit de leur industrie, soit de leurs fonds ; gens enfin dont il est juste que les négociations soient utiles à toutes les parties ; sans quoi tous les ressorts de la société resteroient sans action.

De plus, il faut observer ici une différence essentielle entre les Juifs & nous ; ce peuple d'agriculteurs sans faste & sans mollesse, presque sans commerce & sans procès, n'étoit pas comme nous dans l'usage indispensable des emprunts. A quoi les Hébreux auroient-ils employé de grandes sommes ? à l'acquisition des seigneuries & des fiefs ? cela n'étoit pas possible. Toutes leurs terres exemtes de vassalité, toutes en quelque sorte inaliénables, ne se pouvoient acquérir qu'à la charge de les rendre aux anciens propriétaires dans l'année de réjouissance ou de jubilé, qui revenoit tous les cinquante ans. Ils ne pouvoient pas acquérir non plus des offices ou des charges, à peine les connoissoit-on parmi eux ; & le peu qu'ils en avoient n'étoit pas dans le cas de la vénalité. Ils ne connoissoient de même ni les parties de la finance, ni la fourniture des colonies, ni tant d'autres entreprises qui sont ordinaires parmi nous. On n'armoit chez eux ni pour la course, ni pour le commerce. J'ajoute qu'on pouvoit être libertin & petit-maître à peu de fraix ; il n'y avoit là ni jeu ni spectacles ; ils se procuroient sans peine de jolies esclaves, plutôt servantes que maîtresses ; & ils en usoient librement sans éclat & sans scandale. Il ne falloit pour cela ni déranger sa fortune, ni s'abîmer par les emprunts.

D'ailleurs, excepté leur capitale que la magnificence de son temple & les pélérinages prescrits par la loi, rendirent très-célebre & très-peuplée, on ne voyoit chez eux aucune ville considérable, aucune place renommée par ses manufactures ; en un mot, excepté Jérusalem, ils n'avoient guere que des bourgades. Il faut donc considérer les anciens Juifs comme de médiocres bourgeois, qui tous, ou presque tous, cultivoient un bien de campagne substitué de droit en chaque famille, qui fixés par-là dans une heureuse & constante médiocrité, se trouvoient également éloignés de l'opulence & de la misere, & qui n'avoient par conséquent ni l'occasion ni le besoin de solliciter des emprunts considérables.

Une autre observation du même genre, c'est que vû l'égalité qui régnoit entre les Israélites, ils n'avoient proprement ni rang ni dignité à soutenir ; ils n'avoient ni éducation frivole & dispendieuse à donner à leurs enfans, ni emplois civils ou militaires à leur procurer ; outre qu'avec des moeurs plus simples, ils avoient moins de serviteurs inutiles, & qu'employant leurs esclaves aux travaux pénibles, ils se chargeoient le plus souvent des soins du ménage. Sans parler de Sara qui, avec des centaines de serviteurs, cuisoit elle-même des pains sous la cendre, Gen. xviij. 6. Sans parler de Rébecca qui, bien que fille de riche maison, & d'ailleurs pleine d'agrément, alloit néanmoins à l'eau elle-même assez loin de la ville, ibid. xxiv. 16. Nous voyons dans des tems postérieurs, Absalon, fils d'un grand roi, veiller lui-même aux tondailles de ses brebis, l. II. Rois xiij. 24. Nous voyons Thamar, sa soeur, soigner son frere Amnon qui se disoit malade, & lui faire à manger, ibid. Nous voyons encore Marthe, au tems de Jesus-Christ, s'occuper des soins de la cuisine, Luc. x. 40.

Cette simplicité de moeurs, si opposée à notre faste, rendoit constamment les emprunts fort peu nécessaires aux Israélites : cependant l'usage des prêts n'étoit pas inconnu chez eux : un pere dont les ancêtres s'étoient beaucoup multipliés, & qui n'avoit dès-lors qu'un domaine à peine suffisant pour nourrir sa famille, se trouvoit obligé, soit dans une mauvaise année, soit après des maladies & des pertes, de recourir à des voisins plus à l'aise, & de leur demander quelque avance d'argent ou de grains, & pour lors ces foibles emprunts, commandés par la nécessité, devenoient indispensables entre gens égaux, le plus souvent parens & amis. Au-lieu que nous qui connoissons à peine l'amitié, nous, infiniment éloignés de cette égalité précieuse qui rend les devoirs de l'humanité si chers & si pressans, nous, esclaves de la coutume & de l'opinion, sujets par conséquent à mille nécessités arbitraires, nous empruntons communément de grandes sommes, & d'ordinaire par des motifs de cupidité encore plus que pour de vrais besoins.

Il suit de ces différences, que la pratique du prêt gratuit étoit d'une obligation plus étroite pour les Hébreux que pour nous ; & l'on peut ajoûter que vu l'influence de la législation sur les moeurs, cette pratique leur étoit aussi plus naturelle & plus facile, d'autant que leurs loix & leur police entretenoient parmi eux certain esprit d'union & de fraternité qu'on n'a point vû chez les autres peuples. Ces loix en effet, respiroient plus la douceur & l'égalité qui doivent régner dans une grande famille, que l'air de domination & de supériorité qui paroît nécessaire dans un grand état.

Nous l'avons déja vu, les acquéreurs des fonds étoient tenus à chaque jubilé, de les remettre aux anciens possesseurs. Anno jubilaei redient omnes ad possessiones suas, Lev. xxv. 13. De même tous les sept ans un débiteur, en vertu de la loi, se trouvoit libéré de ses dettes ; septimo anno facies remissionem.... cui debetur aliquid ab amico vel proximo ac fratre suo repetere non poterit, quia annus remissionis est domini : Deut. xv. 2. D'un autre côté lorsqu'un Israélite avoit été vendu à un compatriote, dès qu'il avoit servi six années plutôt comme mercénaire que comme esclave, il sortoit à la septieme & devenoit libre comme auparavant : on ne devoit pas même le renvoyer les mains vuides, & sans lui accorder quelque secours & quelque protection pour l'avenir : si paupertate compulsus vendiderit se tibi frater tuus, non eum opprimes servitude famulorum, sed quasi mercenarius & colonus erit : Lev. xxv. 39. Cum tibi venditus fuerit frater tuus hebraeus, aut hebraea, & sex annis servierit tibi, in septimo anno dimittes eum liberum, & quem libertate donaveris, nequaquam vacuum abire patieris, sed dabis viaticum, &c. Deut. xv. 12. 13. 14.

Ces pratiques & autres de même nature que la loi prescrivoit aux Israélites, montrent bien l'esprit de fraternité que Dieu, par une sorte de prédilection, vouloit entretenir parmi eux ; je dis une sorte de prédilection, car enfin ces dispositions si pleines d'humanité, si dignes du gouvernement théocratique, ne furent jamais d'usage parmi les Chrétiens ; le Sauveur ne vint pas sur la terre pour changer les loix civiles, ou pour nous procurer des avantages temporels ; il déclara au-contraire que son regne n'étoit pas de ce monde, il se défendit même de régler les affaires d'intérêt, quis me constituit judicem aut divisorem super vos. Luc xx. 14. Aussi en qualité de chrétiens nous ne sommes quittes de nos dettes qu'après y avoir satisfait. Le bénéfice du tems ne nous rend point les fonds que nous avons aliénés ; nous naissons presque tous vassaux, sans avoir pour la plûpart où reposer la tête en naissant ; & les esclaves enfin qu'on voit à l'Amérique, bien que nos freres en Jesus-Christ, ne sont pas traités de nos jours sur le pié de simples mercénaires.

Ces prodigieuses différences entre les Juifs & les autres peuples, suffisent pour répondre à la difficulté que fait S. Thomas, lorsqu'il oppose que l'usure ayant été prohibée entre les Hébreux, considerés comme freres, elle doit pour la même raison l'être également parmi nous. En effet, les circonstances sont si différentes, que ce qui étoit chez eux facile & raisonnable, n'est moralement parlant ni juste ni possible parmi les nations modernes. Joignez à cela que le précepte du prêt gratuit subsiste pour les Chrétiens comme pour les Israélites, dès qu'il s'agit de soulager les malheureux.

Quoi qu'il en soit, tandis que Dieu condamnoit l'usure à l'égard des membres nécessiteux de son peuple, nous voyons qu'il l'autorisoit avec les étrangers, par la permission expresse de la loi, foenerabis alieno, Deut. xxiij. 19. foenerabis gentibus multis, xv. 6. ib. Or peut-on dire sans blasphême que le souverain législateur eût permis une pratique qui eût été condamnée par la loi de nature : n'a-t-il pas toujours reprouvé l'adultere, la calomnie, &c. ? Concluons que dès-là l'usure ne peut être regardée comme proscrite par le droit naturel.

Allons plus loin, & disons que cette usure recommandée aux Hébreux, étoit un précepte d'économie nationale, une équitable compensation que Dieu leur indiquoit pour prévenir les pertes qu'ils auroient essuyées en commerçant avec des peuples qui vivoient au milieu d'eux : advena qui tecum versatur in terra ; mais qui élevés dans la pratique de l'usure, & attentifs à l'exiger, auroient rendu leur commerce trop désavantageux aux Juifs, s'ils n'avoient eu droit de leur côté d'exiger les mêmes intérêts de ces peuples. En un mot les Israélites tiroient des profits usuraires de tous les étrangers, par la même raison qu'ils les poursuivoient en tout tems pour les sommes que ceux-ci leur devoient ; faculté que l'année sabbatique restraignoit à l'égard de leurs concitoyens : cui debetur aliquid ab amico vel proximo ac fratre suo, repetere non poterit, quia annus remissionis est domini, a peregrino & adverso exiges. Deut. xv. 2. 3.

La liberté qu'avoient les Israélites d'exiger l'usure de l'étranger, étoit donc de la même nature que la liberté de le poursuivre en justice toutes les fois qu'il manquoit à payer ; l'une n'étoit pas plus criminelle que l'autre, & bien qu'en plusieurs cas ces deux procedés leur fussent défendus entr'eux, par une disposition de fraternité qui n'a point eu lieu pour les Chrétiens, non plus que le partage des terres, & autres bons réglemens qui nous manquent ; il demeure toujours constant que le prêt de lucre étoit permis aux Juifs à l'égard des étrangers, comme pratique équitable & nécessaire au soutien de leur commerce.

J'ajoute enfin qu'on ne sauroit admettre le sentiment de nos adversaires, sans donner un sens absurde à plusieurs passages de l'Ecriture. Prenons celui-ci entr'autres : non foenerabis fratri tuo.... sed alieno. Ces paroles signifieront exactement, vous ne prêterez point à usure aux Israélites vos concitoyens & vos freres, ce seroit un procédé inique & barbare que je vous défends ; néanmoins ce procedé tout inique & tout barbare qu'il est, je vous le permets vis-à-vis des étrangers, de qui vous pouvez exiger des intérêts odieux & injustes. Il est bien constant que ce n'étoit point là l'intention du Dieu d'Israël. En permettant l'usure à l'égard des étrangers, il la considéroit tout au plus comme une pratique moins favorable que le prêt d'amitié qu'il établit entre les Hébreux ; mais non comme une pratique injuste & barbare. C'est ainsi que Dieu ordonnant l'abolition des dettes parmi son peuple, sans étendre la même faveur aux étrangers, ne fut pour ces derniers en cela rien d'inique ou de ruineux ; il les laissa simplement dans l'ordre de la police ordinaire.

Du reste on ne sauroit l'entendre d'une autre maniere sans mettre Dieu en contradiction avec lui-même. Le Seigneur, dit le texte sacré, chérit les étrangers, il leur fournit la nourriture & le vêtement, il ordonne même à son peuple de les aimer & de ne leur causer aucun chagrin : amat peregrinum & dat ei victum atque vestitum, & vos ergo amate peregrinos, quia & ipsi fuistis advenae : Deut. x. 18. advenam non contristabis : Exod. xxij. 21. peregrino molestus non eris : Exod. xxiij. 9. Cela posé, s'il faut regarder avec nos adversaires les usures que la loi permettoit vis-à-vis des étrangers, comme des pratiques odieuses, injustes, barbares, meurtrieres, il faudra convenir en même tems qu'en cela Dieu servoit bien mal ses protégés : mais ne s'apperçoit-on pas enfin que toutes ces injustices, ces prétendues barbaries, ne sont que des imaginations & des fantômes de gens livrés dès l'enfance à des traditions reçues sans examen, & qui en conséquence de leurs préjugés voient seuls ensuite dans l'usure légale, des horreurs & des iniquités que n'y voient point une infinité de gens pleins d'honneur & de lumieres, qui prêtent & qui empruntent au grand bien de la société ; que ne voient pas davantage ceux qui sont à la tête du gouvernement, & qui l'admettent tous les jours dans des opérations publiques & connues ; horreurs & iniquités enfin que Dieu ne voit pas lui-même dans le contrat usuraire, puisqu'il l'autorise à l'égard des peuples étrangers, peuples néanmoins qu'il aime, & auxquels il ne veut pas qu'on fasse la moindre peine : ama peregrinum.... peregrino molestus non eris, advenam non contristabis.

Quelques-uns ont prétendu que le foenerabis gentibus multis. Deut. xxviij. 12. n'annonçoit pas un commerce usuraire, & qu'il falloit l'entendre des prêts d'amitié que les Juifs pouvoient faire à des étrangers. Mais c'est une prétention formée au hasard, sans preuve & sans fondement. Nous prouvons au-contraire qu'il est ici question des prêts lucratifs, puisque Dieu les annonce à son peuple comme des recompenses de sa fidélité, puisqu'ils se devoient faire à des nations qui étoient constamment les mêmes que celles du foenerabis alieno, nations d'ailleurs qui comme étrangeres aux Israélites, leur étoient toujours odieuses.

Si vous êtes dociles à la voix du Seigneur votre Dieu, & que vous observiez ses commandemens, dit Moïse, il vous élevera au-dessus de tous les peuples qui sont au milieu de vous ; il vous comblera de ses bénédictions, il vous mettra dans l'abondance au point que vous prêterez aux étrangers avec beaucoup d'avantage, sans que vous soyez réduits à rien emprunter d'eux. Si au-contraire vous êtes sourds à la voix du Seigneur, toutes les malédictions du ciel tomberont sur vos têtes ; les étrangers habitués dans le pays que Dieu vous a donné, s'éleveront au-dessus de vous, & devenus plus riches & plus puissans, bien loin de vous emprunter, ils vous prêteront eux-mêmes, & profiteront de votre abaissement & de vos pertes. Deut. xxviij. 1. 11. 12. 15. 43. 44.

De bonne foi tous ces prêts & emprunts que Moïse annonçoit d'avance, pouvoient-ils être autre chose que des opérations du commerce, où l'on devoit stipuler des intérêts au profit du créancier ; sur-tout entre des peuples qui différoient d'origine, de moeurs, & de religion ? peuples jaloux & ennemis secrets les uns des autres ; & cela dans un tems où l'usure étoit universellement autorisée, où elle étoit exigée avec une extrême rigueur, jusqu'à vendre les citoyens pour y satisfaire, comme nous le verrons dans la suite. En un mot, des peuples si discordans ne se faisoient-ils que des prêts d'amitié ? D'ailleurs supposé ces prêts absolument gratuits, les auroit-on présentés à ceux qui devoient les faire comme des avantages & des récompenses ? les auroit-on présentés à ceux qui devoient les recevoir comme des punitions & des désastres ? Peut-on s'imaginer enfin que pour rendre des hommes charnels & toujours intéressés, vraiment dociles à la voix du Seigneur, Moïse leur eût proposé comme une récompense, l'avantage risible de pouvoir prêter sans intérêt à des étrangers odieux & détestés.

Je conclus donc que le foenerabis gentibus multis, de même que le foenerabis alieno, établissent la justice de l'usure légale, quand elle se pratique entre gens accommodés, & que cette usure enfin loin d'être mauvaise de sa nature, loin de soulever des débiteurs contre leurs créanciers, paroîtra toujours aux gens instruits, non-moins juste qu'avantageuse au public, & sur-tout aux emprunteurs, dont plusieurs languiroient sans cette ressource, dans une inaction également stérile & dangereuse.

Réponse à ce qu'on allegue du nouveau Testament. Nous examinerons bien-tôt les passages des prophetes & des saints peres, mais voyons auparavant ceux de l'Evangile ; & pour mieux juger, considérons les rapports qu'ils ont avec ce qui précede & ce qui suit.

" Bénissez ceux qui vous donnent des malédictions, & priez pour ceux qui vous calomnient. Si l'on vous frappe sur une joue, présentez encore l'autre, & si quelqu'un vous enleve votre manteau, laissez-lui prendre aussi votre robe. Donnez à tous ceux qui vous demandent, & ne redemandez point votre bien à celui qui vous l'enleve ; traitez les hommes comme vous souhaitez qu'ils vous traitent. Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment ; si vous ne faites du bien qu'à ceux qui vous en font, quelle récompense en pouvez-vous attendre ? les publicains, les pécheurs en font autant. Si vous ne prêtez qu'à ceux de qui vous espérez le même service, il n'y a pas à cela grand mérite ; les pécheurs même prêtent à leurs amis dans l'espérance du retour. Pour moi je vous dis, aimez vos ennemis au point de leur faire du bien, & de leur prêter, quoique vous ne puissiez pas compter sur leur gratitude ; vous deviendrez par-là les imitateurs & les enfans du très-haut qui n'exclut de ses faveurs ni les méchans ni les ingrats. Soyez donc ainsi que votre pere céleste, compatissans pour les malheureux. Luc, vj. 28. &c. Et travaillez à devenir parfaits comme lui ". Matt. v. 48.

Qui ne voit dans tout cela un encouragement à la perfection évangélique, à la douceur, à la patience, à une bienfaisance générale semblable à celle du pere céleste, estote ergo vos perfecti, mais perfection à laquelle le commun des hommes ne fauroit atteindre ? Ce que nous dit ici Jesus-Christ sur le prêt désintéressé, ne differe point des autres maximes qu'il annonce au même endroit, lorsqu'il nous recommande de ne point répéter le bien qu'on nous enleve, de laisser prendre également la robe & le manteau, de donner à tous ceux qui nous demandent, de présenter la joue à celui qui nous donne un soufflet, &c. toutes propositions qui tendent à la perfection chrétienne, & qui s'accordent parfaitement avec celle qui nous crie, aimez vos ennemis au point de les obliger & de leur prêter, quoique vous ne puissiez pas compter sur leur gratitude.

Observons au-reste sur cette derniere proposition qu'elle renferme plusieurs idées qu'il faut bien distinguer. Je dis donc qu'on doit regarder comme précepte l'amour des ennemis restraint à une bienveillance affectueuse & sincere ; mais que cette heureuse disposition pour des ennemis, n'oblige pas un chrétien à leur donner ou leur prêter de grandes sommes sans discernement, & sans égard à la justice qu'il doit à soi-même & aux siens. En un mot ce sont ici des propositions qui ne sont que de conseil, & nullement obligatoires ; autrement, si c'est un devoir d'imiter le pere céleste, en répandant nos bienfaits sur tout le monde, sans exclure les méchans ni les ingrats, en prêtant à quiconque se présente, même à des libertins & à des fourbes, comme on peut l'induire d'un passage de S. Jérôme, praecipiente domino, feneramini his à quibus non speratis recipere ; in caput xviij. Ezech. S'il faut donner à tous ceux qui nous demandent, s'il ne faut pas répéter le bien qu'on nous enleve, omni potenti retribue, & qui aufert quae tua sunt ne repetas, Luc, vj. 30. Il s'ensuit qu'on ne peut rien refuser à personne, qu'on ne doit pas même poursuivre en justice le loyer de sa terre ou de sa maison ; que le titulaire d'un bénéfice n'en peut retenir que la portion congrue, & que sauf l'étroit nécessaire, chacun doit remplir gratis les fonctions de son état. Mais on sent que c'est trop exiger de la foiblesse humaine, que ce seroit livrer les bons à la dureté des méchans ; & ces conséquences le plus souvent impraticables, montrent bien que ces maximes ne doivent pas être mises au rang des préceptes.

Aussi, loin de commander dans ces passages, notre divin législateur se borne-t-il à nous exhorter au détachement le plus entier, à une bienfaisance illimitée ; & c'est dans ce sens que répondant au jeune homme qui vouloit s'instruire des voies du salut, voulez-vous, lui dit-il, obtenir la vie éternelle ? soyez fidele à garder les commandemens. Mais pesons bien ce qui suit ; si vous voulez être parfait, vendez le bien que vous avez, distribuez-le aux pauvres, & vous aurez un trésor dans le ciel. Si vis ad vitam ingredi, serva mandata.... Si vis perfectus esse, vade, vende quae habes & da pauperibus, &c. Matt. xjx. 17. Paroles qui démontrent qu'il n'y a point ici de précepte, mais seulement un conseil pour celui qui tend à la perfection, si vis perfectus esse ; conseil même dont la pratique ne pourroit s'étendre, sans abolir l'intérêt particulier, & sans ruiner les ressorts de la société : car enfin, s'il étoit possible que chacun se dépouillât de son bien, quel seroit le dernier cessionnaire ; & ce qui est encore plus embarrassant, qui voudroit se charger des travaux pénibles ? De tels conseils ne sont bons que pour quelques personnes isolées qui peuvent édifier le monde par de grands exemples ; mais ils sont impraticables pour le commun des hommes, parce que souvent leur état ne leur permet pas d'aspirer à ce genre de perfection. Si, par exemple, un pere sacrifioit ainsi les intérêts de sa famille, il seroit blâmé par tous les gens sages, & peut-être même repris par le magistrat.

Quand Jesus-Christ fit l'énumération des préceptes au jeune homme dont nous venons de parler, il ne lui dit pas un mot de l'usure. Il n'en dit rien non plus dans une autre occasion où il étoit naturel de s'en expliquer, s'il l'avoit jugée criminelle ; c'est lorsqu'il exposa l'excellence de sa morale, & qu'il en développa toute l'étendue en ces termes ; Matt. v. 33. &c. Il a été dit aux anciens, vous ne ferez point de faux serment ; & moi je vous dis de ne point jurer du tout. Il a été dit, vous pourrez exiger oeil pour oeil, dent pour dent ; & moi je vous dis de présenter la joue à celui qui vous donne un soufflet. Il a été dit, vous aimerez votre prochain, mais vous pourrez haïr votre ennemi, odio habebis inimicum, ibid. 43. & moi je vous dis, aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. C'étoit ici le lieu d'ajouter : Il a été dit, vous pourrez prêter à usure aux étrangers, fenerabis alieno ; & moi je vous dis de leur prêter sans intérêt ; mais il n'a rien prescrit de semblable.

Au-surplus rappellons les passages qu'on nous oppose, & comparons-les ensemble pour en mieux saisir les rapports. Voici sur cela une observation intéressante.

Les actes de bienveillance & d'amitié dont parle Jesus-Christ en S. Matthieu, & qui consistent à aimer ceux qui nous aiment, à traiter nos freres avec honnêteté, si diligitis eos qui vos diligunt, si salutaveritis fratres, v. 46. 47. De même les repas que se donnent les gens aisés, cum facis prandium aut coenam. Luc, xjv. 12. Nous pouvons ajouter d'après Jesus-Christ, les prêts usités entre les pécheurs, peccatores peccatoribus fenerantur. Luc, vj. 34. Tous ces actes opérés par le motif du plaisir ou de l'intérêt sont inutiles pour le salut ; on le sait, quam mercedem habebitis. Cependant quoique stériles, quoique éloignés de la perfection, ils ne sont pas pour cela répréhensibles. En effet seroit-ce un mal d'aimer & d'obliger ceux qui nous aiment, de les recevoir à notre table, de les traiter avec les égards de la politesse & de l'amitié, de leur prêter aux conditions honnêtes auxquelles ils nous prêtent eux-mêmes ; l'Evangile nous déclare seulement qu'il n'y a rien là de méritoire, puisque les publicains & les pécheurs en font autant.

C'est donc uniquement comme acte indifférent au salut, que Jesus-Christ nous annonce le prêt des pécheurs, lorsqu'il nous assure que ce n'est pas un grand mérite de prêter à gens avec qui nous espérons trouver quelque avantage ; si mutuum dederitis his à quibus speratis recipere, quae gratia est vobis ? nam peccatores peccatoribus foenerantur ut recipiant aequalia. Luc, vj. 34. Mais je le répete, cet acte n'est pas criminel, non plus que les bons offices rendus à des amis, à des proches, ou les repas auxquels nous les invitons. Tous ces actes ne sont point condamnés par le Sauveur ; il les déclare seulement infructueux pour la vie éternelle, quae gratia est vobis ?

Et qu'on ne dise pas comme quelques-uns, entr'autres le sorboniste Gaitte, que le prêt des pécheurs non-réprouvés de Jesus-Christ, étoit un prêt de bienveillance où le créancier ne retiroit que sa mise. Il se fonde mal-à-propos sur ces paroles du texte, peccatores peccatoribus foenerantur ut recipiant aequalia ; foenerantur, dit le sorboniste, id est, mutuum dant, non vero foenori dant ; qui enim foenori dat, non aequalia datis, sed inaequalia recipit, quia plus recipit quam dederit. De usurâ, pag. 345. Il est visible que notre docteur a fort mal pris le sens de ces trois mots, ut recipiant aequalia. En effet, s'il falloit les entendre au sens que les pécheurs ne visoient en prêtant qu'à retirer leurs fonds ou une somme égale à celle qu'ils avoient livrée, ut recipiant aequalia ; que faisoient donc en pareil cas les gens vertueux ?

Ne voit-on pas que les pécheurs & les publicains ne pouvoient se borner ici à tirer simplement leur capital, & qu'il falloit quelque chose de plus pour leur cupidité ? Sans cela, quel avantage y avoit-il pour de telles gens, & sur quoi pouvoit être fondé le speratis recipere de l'Evangile ? Plaisante raison de prêter pour des gens intéressés & accoutumés au gain, que la simple espérance de ne pas perdre le fonds ! Ou l'on prête dans la vue de profiter, ou dans la vue de rendre service, & souvent on a tout-à-la-fois ce double objet, comme l'avoient sans doute les pécheurs dont nous parlons ; mais on n'a jamais prêté uniquement pour retirer son capital ; seroit-ce la peine de courir des risques ? Il faut supposer pour-le-moins aux pécheurs de l'Evangile l'envie d'obliger des amis, & de se ménager des ressources à eux-mêmes ; aussi est-ce le vrai, l'unique sens d'ut recipiant aequalia ; expression du-reste qui n'annonce ni le lucre, ni la gratuité du prêt, n'étant ici question que du bien-fait qui lui est inhérent, quand il s'effectue à des conditions raisonnables.

Ces paroles du texte sacré, peccatores peccatoribus foenerantur ut recipiant aequalia, signifient donc que les gens les plus intéressés prêtent à leurs semblables, parce qu'ils en attendent le même service dans l'occasion. Mais cette vue de se préparer des ressources pour l'avenir n'exclut point de modiques intérêts qu'on peut envisager en prêtant, même à ce qu'on appelle des connoissances ou des amis. C'est ainsi que nos négocians & nos publicains modernes savent maintenir leurs liaisons de commerce & d'amitié, sans renoncer entr'eux à la pratique de l'intérêt légal. Il faut donc admettre du lucre dans les prêts dont parle Jesus-Christ, & qu'il dit inutiles pour le salut, mais qu'il ne réprouve en aucune maniere, comme il n'a point réprouvé tant de contrats civils qui n'ont pas de motifs plus relevés que les bons offices, les repas & les prêts usités entre les pécheurs. Il faut conclure que ce sont ici de ces actes qui ne sont ni méritoires, ni punissables dans l'autre vie ; tels que sont encore les prieres, les jeûnes & les aumônes des hypocrites, qui ne cherchant dans le bien qu'ils operent que l'estime & l'approbation des hommes, ne méritent à cet égard auprès de Dieu ni punition, ni récompense, receperunt mercedem suam, Matth. vj. 1. 2. 5. 16.

Une autre raison qui prouve également que le prêt des pécheurs étoit lucratif pour le créancier ; c'est que s'il avoit été purement gratuit, dès-là il auroit mérité des éloges. Cette gratuité une fois supposée auroit mis Jesus-Christ en contradiction avec lui-même, & il n'auroit pu dire d'un tel prêt, quae gratia est vobis ? Elle l'auroit mis aussi en contradiction avec Moïse, puisque ces prêteurs supposés si bienfaisans auroient pû lui dire : " Seigneur, nous prêtons gratuitement à nos compatriotes, & par-là nous renonçons à des profits que nous pourrions faire avec les étrangers ". Moïse, en nous prescrivant cette générosité pour nos freres, nous en promet la récompense de la part de Dieu, fratri tuo absque usura.... commodabis ut benedicat tibi Dominus. Cependant, Seigneur, vous nous déclarez qu'en cela nous n'avons point de mérite, quae gratia est vobis. Comment sauver ces contrariétés ?

Il est donc certain que les pécheurs de l'Evangile visoient tout-à-la-fois en prêtant, à obliger leurs amis & à profiter eux-mêmes ; que par conséquent ils percevoient l'usure de tout tems admise entre les gens d'affaires, sauf à la payer également quand ils avoient recours à l'emprunt. Or le Sauveur déclarant cette négociation simplement stérile pour le ciel, sans cependant la condamner ; le même négoce, usité aujourd'hui comme alors entre commerçans & autres gens à l'aise, doit être sensé infructueux pour le salut, mais néanmoins exempt de toute iniquité.

Expliquons à-présent ces paroles de Jesus-Christ, Luc, vj. 35. diligite inimicos vestros, benefacite & mutuum date nihil inde sperantes. Passage qu'on nous oppose & qu'on entend mal ; passage, au reste, qui se trouve altéré dans la vulgate, & qui est fort différent dans les trois versions persane, arabe & syriaque, suivant lesquelles on doit lire : Diligite inimicos vestros, benefacite & mutuum date, nullum desperantes, nullum desperare facientes.

Le traducteur de la vulgate ayant travaillé sur le grec qui porte, , a été induit en erreur ; en voici l'occasion. Anciennement s'écrivoit avec apostrophe pour l'accusatif masculin, , nullum, afin d'éviter la rencontre des deux a, qui auroient choqué l'oreille dans , nullum desperantes. Ce traducteur, qui apparemment n'avoit pas l'apostrophe dans son exemplaire, ou qui peut-être n'y a pas fait attention, a pris au neutre, & l'a rendu par nihil, desorte que pour s'ajuster & faire un sens, il a traduit non pas nihil desperantes comme il auroit dû en rigueur, mais nihil inde sperantes. En quoi il a changé l'acception constante du verbe , qui, dans tous les auteurs, tant sacrés que profanes, signifie désespérer, mettre au désespoir. Cette observation se voit plus au long dans le traité des prêts de commerce, p. 106. Mais tout cela est beaucoup mieux développé dans une savante dissertation qui m'est tombée entre les mains, & où l'auteur anonyme démontre l'altération dont il s'agit avec la derniere évidence.

Cette ancienne leçon, si conforme à ce que Jesus-Christ dit en S. Matthieu, v. 42. " Donnez à celui qui vous demande, & n'éconduisez point celui qui veut emprunter de vous ". Qui petit à te, da ei, & volenti mutuari à te ne avertaris. Cette leçon, disje, une fois admise, leve toute la difficulté ; car dès-là il ne s'agit plus pour nous que d'imiter le Pere céleste, qui répand ses dons jusque sur les méchans ; il ne s'agit plus, dis-je, que d'aimer tous les hommes, que de faire du bien, & de prêter même à nos ennemis, sans refuser nos bons offices à personne, nullum desperantes. Mais cela ne dit rien contre le prêt de commerce que l'on feroit à des riches ; cela ne prouve point qu'on doive s'incommoder pour accroître leur opulence, parce que l'on peut aimer jusqu'à ses ennemis, & leur faire du bien sans aller jusqu'à la gratuité du prêt. En effet, c'est encore obliger beaucoup un homme aisé, sur-tout s'il est notre ennemi, que de lui prêter à charge d'intérêt ; & on ne livre pas ses especes à tout le monde, même à cette condition. Pollion, dit Juvenal, cherche par-tout de l'argent à quelque denier que ce puisse être, & il ne trouve personne qui veuille être sa dupe, qui triplicem usuram praestare paratus circuit, & fatuos non invenit, sat. ix. vers. 4. On peut donc assûrer que le prêt de commerce conservant toujours le caractere de bienfait, supposant toujours un fonds de confiance & d'amitié, il doit être sensé aussi légitime entre des chrétiens que les contrats ordinaires, d'échange, de louage, &c.

Mais, sans rien entreprendre sur le texte sacré, nous allons montrer que le passage tel qu'il est dans la vulgate, n'a rien qui ne se concilie avec notre opinion. Pour cela je compare le passage entier avec ce qui précede & ce qui suit, & je vois que les termes nihil inde sperantes sont indistinctement relatifs à diligite inimicos vestros, benefacite & mutuum date. Ces trois mots nous présentent un contraste parfait avec ce qui est marqué aux versets précédens, sans toucher du reste ni le lucre, ni la gratuité du prêt. Voici le contraste.

Il ne suffit pas pour la perfection que le Sauveur desire, que vous marquiez de la bienveillance ; que vous fassiez du bien ; que vous prêtiez à vos amis, à ceux qui vous ont obligé, ou de qui vous attendez des services, à quibus speratis recipere. La morale évangélique est infiniment plus pure. Si diligitis eos qui vos diligunt.... Si benefeceritis his qui vobis benefaciunt, quae vobis est gratia ? si quidem & peccatores hoc faciunt. Si mutuum dederitis his à quibus speratis recipere, quae gratia est vobis ? nam & peccatores peccatoribus foenerantur ut recipiant aequalia : verumtamen diligite inimicos vestros, benefacite & mutuum date, nihil inde sperantes, (nullum desperantes), & erit merces vestra multa, & eritis filii altissimi, quia ipse benignus est super ingratos & malos. Estote ergo misericordes, &c.

Faites, dit J. C. plus que les pécheurs, que les publicains ; ils aiment leurs amis, ils les obligent, ils leur prêtent, parce qu'ils trouvent en eux les mêmes dispositions, & qu'ils en attendent les mêmes services. Pour vous, dit-il, imitez le Pere céleste, qui fait du bien aux méchans & aux ingrats ; aimez jusqu'à vos ennemis, aimez-les sincerement au point de les obliger & de leur prêter, nihil inde sperantes, quoique vous n'en puissiez pas attendre des retours de bienveillance ou de générosité.

Maxime plus qu'humaine, bien digne de son auteur, mais qui ne peut obliger un chrétien à ne pas réclamer la justice d'un emprunteur aisé, ou à lui remettre ce qu'on lui a prêté pour le bien de ses affaires ; puisqu'enfin l'on n'est pas tenu de se dépouiller en faveur des riches. Il y a plus, Jesus-Christ ne nous commande pas à leur égard la gratuité du prêt ; il n'annonce que le devoir d'aimer tous les hommes, sans distinction d'amis ou d'ennemis ; que le devoir de les obliger de leur prêter même autant qu'il est possible, sans manquer à ce que l'on doit à soi & à sa famille ; car il faut être juste pour les siens avant que d'être généreux pour les étrangers.

D'ailleurs par quel motif ce divin maître nous porte-t-il à une bienfaisance qui s'étend jusqu'à nos ennemis ? c'est principalement par des vues de commisération, estote ergo misericordes, ibid. 36. Il ne sollicite donc notre générosité que pour le soulagement des malheureux, & non pour l'agrandissement des riches qui ne sont pas des objets de compassion, qui souvent passent leurs créanciers en opulence. Ainsi la loi du prêt gratuit n'a point été faite pour augmenter leur bien-être. Il est visible qu'en nous recommandant la commisération, estote misericordes, le Sauveur ne parle que pour les nécessiteux. Aussi, je le répete, c'est pour eux seuls qu'il s'intéresse ; vendez, dit-il ailleurs, ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, & vous aurez un trésor dans le ciel, Matth. xix. 17. Il n'a ni commandé, ni conseillé de donner aux riches ; il n'a point promis de récompense pour le bien qu'on leur feroit, au-contraire il semble les exclure de nos bienfaits, en même-tems qu'il nous exhorte à les répandre sur les indigens. Au-lieu, dit-il, de recevoir à votre table des gens aisés, prêts à vous rendre la pareille, recevez-y plutôt des pauvres & des infirmes hors d'état de vous inviter, Luc, xiv. 12. 13.

Je demande après cela, quel intérêt Dieu peut prendre à ce que Pierre aisé prête gratis à Paul, également à son aise ? Autant qu'il en prend en ce que l'un invite l'autre à dîner.

Je dis donc, suivant la morale de Jesus-Christ, qu'il faut autant que l'on peut faire du bien & prêter gratuitement à ceux qui sont dans la peine & dans le besoin, même à des ennemis de qui l'on n'attend pas de reconnoissance, & cela pour imiter le Pere céleste qui répand ses dons & sa rosée sur les justes & sur les injustes. Cependant on n'est tenu de prêter gratis que dans les circonstances où l'on est obligé de faire des aumônes, dont le prêt gratuit est une espece, au-moins vis-à-vis du pauvre. D'où il suit qu'on ne manque pas au devoir de la charité en prêtant à profit à tous ceux qui ne sont pas dans la détresse, & qui n'empruntent que par des vues d'enrichissement ou d'élévation.

J'ajoute que, d'aller beaucoup plus loin, en prêtant comme quelques-uns l'entendent, & prêtant de grandes sommes avec une entiere indifférence, quasi non recepturus, dit S. Ambroise, epist. ad Vigil. c'est se livrer à la rapacité des libertins & des aventuriers ; ce n'est plus prêter, en un mot, c'est donner ; ou plutôt c'est jetter & dissiper une fortune, dont on n'est que l'économe, & que l'on doit par préférence à soi-même & aux siens.

Concluons que le prêt gratuit nous est recommandé en général comme une aumône, & dès-là comme un acte de perfection assûré d'une récompense dans le ciel ; que cependant le prêt de commerce entre gens aisés n'est pas condamné par le Sauveur ; qu'il le considere précisément comme les bons offices, de ce qu'on appelle honnêtes gens, ou les repas que se donnent les gens du monde ; actes stériles pour le salut, mais qui ne sont pas condamnables. Or il n'en faut pas davantage pour des hommes qui, en faisant le bien de la société, ne peuvent négliger leurs propres intérêts, & qui prétendent louer leur argent avec autant de raison que leurs terres ou leurs travaux. D'autant plus qu'ils suivent la regle que Jesus-Christ nous a tracée, je veux dire qu'ils ne font aux autres dans ce négoce que ce qu'ils acceptent volontiers pour eux-mêmes. Ce qui n'empêche pas que la charité ne s'exerce suivant les circonstances.

Un hôtelier charitable donne le gîte gratis à un voyageur indigent, & il le fait payer à un homme aisé. Un médecin chrétien visite les pauvres par charité, tandis qu'il voit les riches par intérêt. De même l'homme pécunieux qui a de la religion, livre généreusement une somme pour aider un petit particulier dans sa détresse, le plus souvent sans sûreté pour le fonds ; & en tout cela il n'ambitionne que la récompense qui lui est assûrée dans le ciel : mais est-il question de prêter de grandes sommes à des gens aisés, il songe pour-lors qu'il habite sur la terre ; qu'il y est sujet à mille besoins ; qu'il est d'ailleurs entouré de malheureux qui réclament ses aumônes ; il croit donc pouvoir tirer quelque avantage de son argent, & pour sa propre subsistance & pour celle des pauvres. Conséquemment il ne se fait pas plus de scrupule de prendre sur les riches le loyer de son argent, que de recevoir les rentes de sa terre ; & il a d'autant plus de raison d'en agir ainsi, qu'il est ordinairement plus facile à l'emprunteur de payer un intérêt modéré, qu'il n'est facile au créancier d'en faire l'entier abandon.

Toute cette doctrine est bien confirmée par la pratique des prêts de lucre publiquement autorisée chez les Juifs au tems de Jesus-Christ. On le voit par le reproche que le pere de famille fait à son serviteur, de n'avoir pas mis son argent chez les banquiers pour en tirer du-moins l'intérêt, puisqu'il n'avoit pas eu l'habileté de l'employer dans le commerce : oportuit ergo te committere pecuniam meam nummulariis, & veniens ergo recepissem utique quod meum est cum usurâ ; , cum foenore, Matth. xxv. 27.

Ce passage suffiroit tout seul pour établir la légitimité de l'usure légale : Sicut enim homo peregrè proficiscens vocavit servos suos, & tradidit illis bona sua, ibid. 14. Ce pere de famille qui confie son argent à ses serviteurs pour le faire valoir pendant son absence, c'est Dieu lui-même figuré dans notre parabole, qui prend cette voie pour nous instruire, simile est regnum coelorum, ibid. Et si le passage nous offre un sens spirituel propre à nous édifier, nous y trouvons aussi un sens naturel très-favorable à notre usure. En effet, Dieu nous parle ici de l'argent qu'on porte à la banque, & des intérêts qu'on en tire comme d'une négociation très-légitime, & qu'il croit lui-même des plus utiles, puisqu'il se plaint qu'on n'en ait pas usé dans l'occasion. Du reste, ce n'est pas ici une simple similitude, c'est un ordre exprès de placer une somme à profit. Il est inutile de dire que Jesus-Christ fait entrer quelquefois dans ses comparaisons des procédés qui ne sont pas à imiter, comme celui de l'économe infidele & celui du juge inique, &c. Dans le premier cas, Jesus-Christ oppose l'attention des hommes pour leurs intérêts temporels à leur indifférence pour les biens célestes ; & dans le second, il nous exhorte à la persévérance dans la priere, par la raison qu'elle devient efficace à la fin, même auprès des méchans, & à plus forte raison auprès de Dieu. On sent bien que Jesus-Christ n'approuve pas pour cela les infidélités d'un économe, & encore moins l'iniquité d'un juge.

La parabole des talens est d'une espece toute différente ; ce ne sont pas seulement des rapports de similitude qu'on y découvre, c'est une regle de conduite pratique sur laquelle il ne reste point d'embarras. Le pere de famille s'y donne lui-même pour un homme attentif à ses intérêts, pour un usurier vigilant qui ne connoît point ces grands principes de nos adversaires, que l'argent est stérile de sa nature, & ne peut rien produire, qu'on ne doit tirer d'une affaire que ce qu'on y met, &c. Il prétend au contraire que l'argent est très-fécond, & qu'il doit fructifier ou par le commerce ou par l'usure ; & non-seulement il veut tirer plus qu'il n'a mis, il veut encore moissonner où il n'a rien semé, meto ubi non semino, & congrego ubi non sparsi. Ibid.

Après cela il admet sans difficulté une pratique usuraire qu'il trouve autorisée par la police & sur laquelle il ne répand aucun nuage de blâme ou de mépris ; pratique enfin qu'il indique positivement pour tirer parti d'un fonds qu'on n'a pas eu l'industrie d'employer avec plus d'avantage. Que peut-on souhaiter de plus fort & de plus décisif pour appuyer notre usure ?

Réponse aux passages des prophetes & des saints peres. Il nous reste à voir les passages des prophetes & des peres. A l'égard des premiers, on nous oppose Ezéchiel & David, qui tous deux nous parlent de l'usure comme une oeuvre d'iniquité incompatible avec le caractere d'un homme juste. Pseaume 14 & 54. Ezech. ch. xviij.

J'observe d'abord là-dessus qu'il ne faut pas considérer les prophetes comme des législateurs. La loi étoit publiée avant qu'ils parussent, & ils n'avoient pas droit d'y ajouter. On ne doit donc les regarder quant à la correction des moeurs, que comme des missionnaires zélés qui s'appuyoient des loix préétablies pour attaquer des désordres plus communs de leur tems que du nôtre : ce qui est vrai sur-tout du brigandage des usuriers. Chez les Athéniens, l'usure ne connut de bornes que celles de la cupidité qui l'exerçoit. On exigeoit douze, quinze & vingt pour cent par année. Elle n'étoit guere moins excessive à Rome où elle souleva plus d'une fois les pauvres contre les riches. Elle y étoit fixée communément par mois au centieme du capital : ce qui fait douze pour cent par année ; encore alloit-elle souvent audelà ; desorte que cette centésime ruineuse qui portoit chaque mois intérêt d'intérêt, nova usurarum auctio per menses singulos, dit S. Ambroise de Tobia, c. viij. cette centésime dévorante engloutissoit bientôt toute la fortune de l'emprunteur. Ce n'est pas tout, les créanciers faute de payement, après avoir discuté les biens d'un insolvable, devenoient maîtres de sa personne, & avoient droit de le vendre pour en partager le prix, parteis secanto, dit la loi des douze tables. S'il n'y avoit qu'un créancier, il vendoit de même le débiteur, ou il l'employoit pour son compte à divers travaux, & le maltraitoit à son gré. Tite-Live rapporte là-dessus un trait qu'on ne sera pas fâché de retrouver ici. Liv. II. n °. 23, l'an de Rome 260.

" La ville se trouvoit, dit-il, partagée en deux factions. La dureté des grands à l'égard des peuples & sur-tout les rigueurs de l'esclavage auxquelles on soumettoit les débiteurs insolvables, avoient allumé le feu de la discorde entre les nobles & les plébéïens. Ceux-ci frémissoient de rage, & marquoient publiquement leur indignation, en considérant qu'ils passoient leur vie à combattre au-dehors pour assurer l'indépendance de la république & pour étendre ses conquêtes, & que de retour dans leur patrie, ils se voyoient opprimés & mis aux fers par leurs concitoyens, tyrans plus redoutables pour eux que leurs ennemis mêmes. L'animosité du peuple se nourrit quelque tems de ces plaintes ; un événement singulier la fit éclater enfin par un soulevement général.

On vit un jour un vieillard couvert de haillons qui paroissoit fuir vers la place ; un visage pâle, un corps exténué, une longue barbe, des cheveux hérissés lui donnoient un air hagard & sauvage, & annonçoient en lui le comble de la misere. Quoiqu'il fût ainsi défiguré, on le reconnut bientôt ; on apprit qu'il avoit eu autrefois du commandement dans l'armée, & qu'il avoit servi avec honneur ; il en donnoit des preuves en montrant les blessures dont il étoit couvert. Le peuple que la singularité du spectacle avoit rassemblé autour de lui, parut d'avance fort sensible à ses malheurs ; chacun s'empresse de lui en demander la cause. Il dit que pendant qu'il portoit les armes contre les Sabins, sa maison avoit été pillée & brûlée par les ennemis, qui avoient en même tems pris ses bestiaux & ruiné sa récolte : qu'après cela les besoins de la république ayant exigé de fortes contributions, il avoit été obligé d'emprunter pour y satisfaire, & que les usures ayant beaucoup augmenté sa dette, il avoit vendu d'abord son patrimoine, & ensuite ses autres effets ; mais que cela ne suffisant pas encore pour l'acquiter, il s'étoit vu réduit par la rigueur de la loi à devenir l'esclave de son créancier, qui en conséquence non-seulement l'avoit accablé de travaux, mais l'avoit encore excédé par des traitemens honteux & cruels, dont il montroit les marques récentes sur son corps meurtri de coups. A cette vue il s'éleve un cri qui porte le trouble dans toute la ville. Les plébéïens mutinés se répandent dans tous les quartiers, & mettent en liberté tous les citoyens détenus pour dettes. Ceux-ci se joignant aux premiers, & implorant la protection du nom romain, augmentent la sédition ; à chaque pas il se présente de nouveaux compagnons de révolte, &c. "

Nous trouvons dans l'histoire sainte des traits également intéressans sur le même sujet. Nous y apprenons que l'usure étoit si ruineuse parmi les Juifs, & qu'on en exigeoit le payement avec tant de rigueur, que les emprunteurs étoient quelquefois réduits pour y satisfaire, à livrer leurs maisons, leurs terres & jusqu'à leurs enfans. Néhémie, au tems d'Esdras, vers l'an 300 de Rome, envoyé par Artaxerxès Longuemain pour commander en Judée, & pour rebâtir Jérusalem, nous en parle comme témoin oculaire, & nous en fait un récit des plus touchans. Esdras, l. II. ch. v.

" Les pauvres, dit-il, accablés par leurs freres, c'est-à-dire leurs concitoyens, parurent disposés à un soulevement ; on vit sortir en foule hommes & femmes remplissant Jérusalem de plaintes & de clameurs. Nous avons plus d'enfans que nous n'en pouvons nourrir, disoient les uns ; il ne nous reste plus d'autre ressource que de les vendre pour avoir de quoi vivre. Nous sommes forcés, disoient les autres, d'emprunter à usure & d'engager notre patrimoine, tant pour fournir à nos besoins que pour payer les tributs au roi ; sommes-nous de pire condition nous & nos enfans que les riches qui nous oppriment, & qui sont nos freres ? Cependant nos enfans sont dans l'esclavage, & nous sommes hors d'état de les racheter, puisque nous voyons déja nos champs & nos vignes en des mains étrangeres ".

Néhémie attendri, parla vivement aux magistrats & aux riches, de l'usure qu'ils exigeoient de leurs freres. " Vous savez, leur dit-il, que j'ai racheté, autant qu'il m'a été possible, ceux de nos freres qui avoient été vendus aux étrangers ; vous au contraire, vous les remettez dans l'esclavage, pour que je les en retire une seconde fois. Votre conduite est inexcusable ; elle prouve que la crainte du Seigneur ne vous touche pas ; & vous vous exposez au mépris de nos ennemis ". Ils ne surent que répondre à ce juste reproche. Il leur dit donc alors : " Nous avons prêté à plusieurs, mes freres, mes gens & moi, nous leur avons fourni sans intérêt de l'argent & du grain ; faisons tous ensemble un acte de générosité ; remettons à nos freres ce qu'ils nous doivent, & en conséquence qu'on leur rende sur le champ leurs maisons & leurs terres, & qu'il ne soit plus question de cette centesime que vous avez coutume d'exiger tant pour l'argent que pour les grains, l'huile & le vin que vous leur prêtez. Sur cela chacun promit de tout rendre : ce qui fut aussi-tôt exécuté ". Ibid.

Mais dans quel siecle voyoit-on chez les Juifs une usure si générale ? usure que les prêtres mêmes exerçoient, puisque Néhémie leur en parla, & leur fit promettre d'y renoncer à l'avenir. Vocavi sacerdotes & adjuravi eos us facerent, &c. Ibid. v. 12. Tout cela se pratiquoit au siecle même d'Ezéchiel, au retour de la captivité, c'est-à-dire dans un tems où ces peuples paroissoient rentrer en eux-mêmes, & travailler de concert à réparer les désastres qu'une longue absence & de longues guerres avoient attirés sur leur patrie.

L'usure n'étoit pas moins onéreuse aux pauvres sous le regne de David, puisqu' annonçant en prophete la prospérité future de Salomon, son successeur & son fils, il prédit que cet heureux monarque délivreroit le pauvre de l'oppression des riches, & qu'il le garantiroit des violences de l'usure. Ps. 71. 12. 13. 14.

Voilà donc l'usure établie parmi le peuple de Dieu ; mais remarquons que le roi prophete parle d'une usure qui attaque jusqu'à la vie des nécessiteux, animas pauperum salvas faciet, ex usuris & iniquitate redimet animas eorum. Ibid.

Ezéchiel suppose aussi l'usure exercée par un brigand, qui désole principalement les pauvres & les indéfendus. Latronem... egenum & pauperem contristantem, ad usuram dantem. xviij. 12. 13. Rappellons ici que l'usure légale étoit la centésime pour l'argent, c'est-à-dire douze pour cent par année ; mais c'étoit bien pis pour les grains : c'étoit cinquante pour cent d'une récolte à l'autre. Si summa crediti in duobus modiis fuerit, tertium modium ampliùs consequantur... quae lex ad solas pertinet fruges, nam pro pecuniâ ultra singulas centesimas creditor vetatur accipere. Cod. theod. tit. de usuris. C'étoit véritablement exercer l'usure contre les pauvres ; car on ne voit que de telles gens emprunter quelques mesures de grain ; mais c'étoit exercer une usure exorbitante, & qui paroît telle aujourd'hui aux hommes les plus intéressés.

Après cela faut-il s'étonner que des prophetes aient confondu le commerce usuraire avec l'injustice, avec la fraude & le brigandage ? Combien ne devoient-ils pas être touchés en voyant ces horreurs dans une nation, dont les membres issus d'une souche commune & connue étoient proprement tous freres & tous égaux ; dans une nation à laquelle Dieu avoit donné les loix les plus douces & les plus favorables, & où il ne vouloit pas enfin qu'il y eût personne dans la misere. Omninò indigens & mendicus non erit inter vos. Deut. xv. 4.

Dans ces circonstances, l'usure ne fournissoit aux prophetes que trop de sujets de plaintes & de larmes. Ces saints personnages voyoient avec douleur que de pauvres familles ne trouvoient dans l'emprunt qu'un secours funeste qui aggravoit leur misere, & qui souvent les conduisoit à se voir dépouillés de leurs héritages, à livrer jusqu'à leurs enfans pour appaiser leurs créanciers. Nous l'avons vu dans le récit de Néhémie. Ecce nos subjugamus filios nostros & filias nostras in servitutem, &c. Esdr. ij. 55. On le voit encore dans les plaintes de cette veuve pour qui Elisée fit un miracle, dans le tems qu'on alloit lui enlever ses deux fils. Ecce creditor venit ut tollat duos filios meos ad serviendum sibi. IV. Reg. iv. 1.

Nous avons déja dit que la médiocrité qui faisoit l'état des Hébreux, dispensoit les riches de recourir aux emprunts, & qu'ainsi l'on ne prêtoit guere qu'à des pauvres qui pouvoient seuls se trouver dans le besoin. Du reste s'il se faisoit quelques prêts entre les gens aisés, comme l'usure modérée étoit permise par le droit naturel, Moïse, de l'aveu du P. Semelier, le toléra dans les Juifs ad duritiam cordis.... à l'égard des riches & des étrangers. Conf. eccl. p. 130. Mais le sanhedrin ou le conseil de la nation étoit au-moins dans les dispositions de cette prétendue tolérance, puisque les magistrats eux-mêmes exerçoient l'usure au tems de Néhémie. Increpavi, dit-il, optimates & magistratus, loco cit. v. 7, puisqu'au tems de Jesus-Christ, la police permettoit le commerce usuraire qui se faisoit avec les banquiers, comme on l'a vu par le passage de S. Matthieu ; & comme on le voit dans S. Luc, quare non dedisti pecuniam meam ad mensam, ut ego veniens cum usuris utique exegissem illam. xix. 23.

Au surplus, on ne trouve nulle part que les prophetes se soient élevés contre la pratique respective d'un intérêt modique, ni à l'égard des étrangers, ni même entre leurs concitoyens aisés. Ces hommes divins parlant d'après Moïse, n'ont condamné comme lui que cette usure barbare qui dévoroit la misérable substance du nécessiteux, & qui le réduisoit lui & sa famille aux extrémités cruelles de la servitude ou de la mendicité. Tels étoient les abus qui faisoient gémir les prophetes, & c'est en conséquence de ces désordres, qu'ils mettoient l'usure au rang des crimes, & qu'ils la regardoient comme l'infraction la plus odieuse de cette charité fraternelle dont Dieu avoit fait une loi en faveur des pauvres, populo meo pauperi, Exod. xxij. 23.

Une observation qui confirme ce qu'on vient de dire, c'est que Néhémie ne se plaint de l'usure qu'il trouva établie en Judée, que parce qu'elle s'exerçoit sur des pauvres citoyens, & qu'elle les avoit réduits à de grandes extrémités. On voit même que bien qu'il eût le pouvoir en main, il ne s'étoit pas mis en devoir d'arrêter ce désordre, jusqu'à ce que les plaintes & les clameurs d'un peuple désespéré lui eurent fait appréhender un soulevement. Du reste, on peut dire en général que l'obligation de prêter aux indigens étoit bien mal remplie chez les Hébreux ; en effet, si les plus accommodés avoient été fideles à cet article de la loi, on n'auroit pas vu si souvent les pauvres se livrer comme esclaves à quelque riche compatriote : ce n'étoit à la vérité que pour six années, après quoi la faveur de la loi les rétablissoit comme auparavant, & les déchargeoit de toute dette antérieure ; ce qui étoit toujours moins dur que l'esclavage perpétuel ailleurs usité en pareilles circonstances.

Qu'on me permette sur cela une réflexion nouvelle & qui me paroît intéressante. Qu'est-ce proprement qu'acheter un esclave ? c'est à parler en chrétien avancer une somme pour délivrer un infortuné que l'injustice & la violence ont mis aux fers. A parler selon l'usage des anciens & des modernes, c'est se l'assujettir de façon, qu'au lieu de lui rendre la liberté suivant les vues d'une bienfaisance religieuse, au-lieu de lui marquer un terme pour acquiter par son travail ce qu'on a déboursé pour lui, on opprime un frere sans défense, & on le réduit pour la vie à l'état le plus désolant & le plus misérable. Peut-on pécher plus griévement contre la charité fraternelle & contre la loi du prêt gratuit ? loi constamment obligatoire vis-à-vis des pauvres & des opprimés. Cette observation, pour peu qu'on la presse, démontre qu'il n'est pas permis d'asservir pour toujours tant de malheureux qu'on trafique aujourd'hui comme une espece de bétail, mais à qui suivant la morale évangélique, l'on doit prêter sans intérêt de quoi se libérer de la servitude, & par conséquent à qui l'on doit fixer un nombre d'années pour recouvrer leur liberté naturelle, après avoir indemnisé des maîtres bienfaisans qui les ont rachetés. Voilà un sujet bien plus digne d'allarmer les ames timorées, que les prêts & les emprunts qui s'operent entre gens aisés, dans la vue d'une utilité réciproque.

Quoi qu'il en soit, l'usure étoit défendue aux Israélites à l'égard de leurs compatriotes malheureux ; mais on ne voit pas qu'elle le fût à l'égard des citoyens aisés, & c'est surquoi les prophetes n'ont rien dit : du reste, si l'on veut qualifier cette prohibition de loi générale qui devoit embrasser également les indigens & les riches, il faut la regarder alors comme tant d'autres pratiques de fraternité que Dieu, par une prédilection singuliere, avoit établie chez les Hébreux ; mais cette loi supposée n'obligera pas plus les chrétiens, que le partage des terres, que la remise des dettes & les autres institutions semblables qui ne sont pas venues jusqu'à nous, & qui paroîtroient incompatibles avec l'état actuel de la société civile.

Il résulte de ces observations, que les passages d'Ezéchiel & de David ne prouvent rien contre nos prêts de commerce : prêts qui ne se font qu'à des gens aisés qui veulent augmenter leur fortune. Il ne s'agit pas ici, comme dans les faits que nous offre l'histoire sacrée, de la commisération dûe aux nécessiteux ; ces gens-ci sont fort étrangers dans la question de l'intérêt moderne, & je ne sçais pourquoi on les y produit si souvent. Ils s'offroient autrefois tout naturellement dans la question de l'usure, par la raison entr'autres, que les créanciers avoient sur les débiteurs ces droits exorbitans déja rapportés ; mais aujourd'hui que cette loi barbare n'existe plus, & qu'un insolvable se libere par une simple cession, on n'a proprement aucune prise sur les pauvres. Aussi ne leur livre-t-on pour l'ordinaire que des bagatelles qu'on veut bien risquer ; ou si on leur prête une somme notable, on ne les tourmente pas pour les intérêts, on est très-content quand on retire son capital.

Quant aux peres de l'église que l'on nous oppose encore, ils avoient les mêmes raisons que les prophetes ; ils plaidoient comme eux la cause des infortunés. Ils représentent avec force à ceux qui exerçoient l'usure, qu'ils profitent de la misere des pauvres pour s'enrichir eux-mêmes ; qu'au lieu de les soulager comme ils le doivent, ils les écrasent & les asservissent de plus en plus. Usuras solvit qui victu indiget.... panem implorat, gladium porrigitis ; libertatem obsecrat, servitutem irrogatis. Ambr. de Tobia, c. iij.

S. Grégoire de Nazianze dit que l'usurier ne tire son aisance d'aucun labour qu'il donne à la terre, mais de la détresse, du besoin des pauvres travailleurs ; non ex terrae cultu, sed ex pauperum inopiâ & penuriâ commoda sua comparans. Orat. 15.

S. Augustin considere aussi le prêt lucratif par le tort qu'il fait aux nécessiteux, & il l'assimile à un vol effectif. Le voleur, dit-il, qui enleve quelque chose à un homme riche, est-il plus cruel que le créancier qui fait périr le pauvre par l'usure ? An crudelior est qui substrahit aliquid vel eripit diviti, quam qui trucidat pauperem foenore. Epit. 54. ad Maced.

C'est encore la misere du pauvre qui paroît affecter S. Jérôme sur le fait de l'usure. Il y a, dit-il, des gens qui prêtent des grains, de l'huile & d'autres denrées aux pauvres villageois, à condition de retirer à la récolte tout ce qu'ils ont avancé, avec la moitié en sus, amplius mediam partem. Ceux qui se piquent d'équité, continue-t-il, n'exigent que le quart au-dessus de leur avance, qui justissimum se putaverit, quartam plus accipiet. In cap. xvij. Ezech. Cette derniere condition, qui étoit celle des scrupuleux, faisoit pourtant vingt-cinq pour cent pour huit ou dix mois au plus : usure vraiment excessive, & réellement exercée contre le foible & l'indéfendu.

On le voit, ces dignes pasteurs ne s'intéressent que pour la veuve & l'orphelin ; pour les pauvres laboureurs & autres indigens, sur le sort desquels ils gémissent, & qui par les excès de l'usure ancienne, par la rigueur des poursuites jadis en usage, ne méritoient que trop toute leur commisération. Mais tant de beaux traits qui marquent si bien la sensibilité des peres sur le malheur des pauvres, n'ont aucun rapport avec les prêts de commerce usités entre les riches. En effet, l'agrandissement de ceux-ci ne touchoit pas assez nos saints docteurs pour qu'ils songeassent à leur assurer la gratuité de l'emprunt. C'est dans cet esprit que S. Jérôme écrivant à Pammaque qui vouloit embrasser la pauvreté évangélique, l'exhorte à donner son bien aux indigens, & non à des riches, déja trop enflés de leur opulence ; à procurer le nécessaire aux malheureux, plutôt qu'à augmenter le bien-être de ceux qui vivoient dans le faste. Da pauperibus, non locupletibus, non superbis ; da quo necessitas sustentetur, non quo augeantur opes. Epist. 54. ad Pammaq.

Le soulagement des pauvres étoit donc le grand objet des saints peres, & non l'avantage temporel des riches ; avantage qui dans les vues de la piété, leur étoit fort indifférent. Il l'étoit en effet au point, qu'ils ne discutent pas même les prêts qu'on peut faire aux gens aisés ; ou s'ils en disent un mot par occasion, ce qui est rare, ils donnent tout lieu de croire qu'ils sont légitimes, quand ils se font sans fraude & aux conditions légales ; en voici des exemples.

Saint Grégoire de Nysse ayant prêché vivement contre la pratique de l'usure, toujours alors excessive & souvent accompagnée de barbarie, les gens pécunieux dirent publiquement qu'ils ne prêteroient plus aux pauvres. Minantur se pauperibus non daturos mutuum ; ce qui marque assez qu'ils ne renonçoient pas aux prêts qu'ils faisoient aux personnes aisées ; aussi ne les leur interdisoit-on pas. Cependant si S. Grégoire avoit été dans le sentiment de nos casuistes, il n'auroit pas manqué d'exposer à ses auditeurs que la prohibition de l'usure étoit égale pour tous les cas d'aisance ou de pauvreté ; qu'en un mot, les prêts de lucre étoient injustes de leur nature, tant à l'égard du riche qu'à l'égard du nécessiteux ; mais il ne dit rien de semblable ; & sans chicaner ses ouailles sur les prêts à faire aux gens aisés, il ne s'intéresse que pour les malheureux. Il déclare donc qu'il faut faire des aumônes pures & simples ; & quant aux prêts qui en sont, dit-il, une espece, il assure de même qu'on est tenu d'en faire ; ensorte, ajoute-t-il, qu'on se rend également coupable, soit qu'on prête à intérêt, soit qu'on refuse de prêter ; & cette derniere alternative ne pouvoit être vraie qu'en la rapportant aux seuls pauvres, autrement sa proposition étoit évidemment insoutenable. Aequè obnoxius est poenae qui non dat mutuum, & qui dat sub conditione usurae. Contra usurarios.

Mais écoutons S. Jean Chrysostome, nous verrons que les intérêts qu'on tire des gens aisés, n'étoient pas illicites, & qu'il ne les condamnoit pas lui-même. " Si vous avez, dit-il, placé une somme à charge d'intérêts entre les mains d'un homme solvable, sans doute que vous aimeriez mieux laisser à votre fils une bonne rente ainsi bien assurée, que de lui laisser l'argent dans un coffre, avec l'embarras de le placer par lui-même ". Si argentum haberes sub foenore collocatum & debitor probus esset ; malles certè syngrapham quam aurum filio relinquere ut inde proventus ipsi esset magnus, nec cogeretur alios quaerere ubi posset collocare. Joan. Chrysost. in Matt. homil. lxvj. & lxvij. p. 660. lit. b. tom. VII. édit. D. Bern. de Montfaucon.

Il s'agit, comme l'on voit, d'un prêt de lucre & de l'intérêt que produit un capital inaliéné, puisqu'on suppose que le pere eût pu le retirer pour le laisser à ses enfans, & que d'ailleurs les contrats de constitution n'étoient pas alors en usage entre particuliers. Conf. de Paris, tom. II. l. II. p. 318. Du reste, notre saint évêque parle de cette maniere de placer son argent, comme d'une pratique journaliere & licite ; il ne répand lui-même aucun nuage sur cet emploi, & il n'improuve aucunement l'attention du pere à placer ses fonds à intérêts & d'une façon sûre, afin d'épargner cette sollicitude aux siens. Ces deux passages ne sont pas les seuls que je pusse rapporter, mais je les crois suffisans pour montrer aux ennemis de l'usure légale qu'ils n'entendent pas la doctrine des peres à cet égard.

Au reste, si les docteurs de l'église ont approuvé les prêts de commerce entre personnes aisées, il est d'autres prêts absolument iniques contre lesquels ils se sont justement élevés avec les loix civiles ; ce sont ces prêts si funestes à la jeunesse dont ils prolongent les égaremens, en la conduisant à la mendicité & aux horreurs qui en sont la suite. S. Ambroise nous décrit les artifices infâmes de ces ennemis de la société, qui ne s'occupent qu'à tendre leurs filets sous les pas des jeunes gens, dans la vue de les surprendre & de les dépouiller. Adolescentulos divites explorant per sous.... aiunt nobile praedium esse venale... praetendunt alienos fundos adolescenti ut eum suis spolient, tendunt retia, &c.

Voilà des mysteres d'iniquité que les avocats de l'intérêt légal sont bien éloignés d'autoriser ; mais à ces procédés odieux, joignons les barbaries que S. Ambroise dit avoir vues, & que l'on croit à peine sur son témoignage. L'usure de son tems étoit toujours excessive, toujours la centésime qui s'exigeoit tous les mois, & qui non-payée accroissoit le capital usurae applicantur ad sortem, ibid. c. vij. nova usurarum auctio per menses singulos, cap. viij. Si à la fin du mois l'intérêt n'étoit pas payé, il grossissoit le principal au point qu'il faisoit au bout de l'an plus que le denier huit, & qui en voudra faire le calcul, trouvera qu'un capital se doubloit en moins de six ans. Pour peu donc qu'un emprunteur fût malheureux, pour peu qu'il fût négligent ou dissipateur, il étoit bientôt écrasé. Les suites ordinaires d'une vie licencieuse étoient encore plus terribles qu'à présent : malheur à qui se livroit à la mollesse & aux mauvais conseils. On obsédoit les jeunes gens qui pouvoient faire de la dépense, & comme dit S. Ambroise, les marchands de toute espece, les artisans du luxe & des plaisirs, les parasites & les flatteurs conspiroient à les jetter dans le précipice ; je veux dire, dans les emprunts & dans la prodigalité. Bientôt ils essuyoient les plus violentes poursuites de la part de leurs créanciers, exactorum circum latrantum barbaram instantiam, dit Sidoine lib. IV. epist. 24. On faisoit vendre leurs meubles, & on leur arrachoit jusqu'à la vie civile, en les précipitant dans l'esclavage. Alios proscriptioni addicit, alios servituti, Ambr. de Tob. c. xj. Aussi voyoit-on plusieurs de ces malheureux se pendre ou se noyer de désespoir. Quanti se propter foenus strangulaverunt ! Ibid. cap. viij. Quam multi ob usuras laqueo sese interemerunt vel praecipites in fluvios dejecerunt ! Greg. Niss. contra usurarios.

Quelquefois les usuriers mettoient le fils en vente pour acquiter la dette du pere. Vidi ego miserabile spectaculum liberos pro paterno debito in auctionem deduci. Ambr. ibid. c. viij. Les peres vendoient eux-mêmes leurs enfans pour se racheter de l'esclavage. S. Ambroise l'atteste encore comme un fait ordinaire ; il est difficile de lire cet endroit sans verser des larmes ; vendit plerumque & pater liberos autoritate generationis, sed non voce pietatis. Ad auctionem pudibundo vultu miseros trahit dicens.... vestro pretio redimitis patrem, vestrâ servitute paternam emitis libertatem. Ibid. cap. viij.

Après cela peut-on trouver étrange que nos saints docteurs ayent invectivé contre le commerce usuraire, & qu'ils y ayent attaché une idée d'injustice & d'infamie, que des circonstances toutes différentes n'ont encore pu effacer ? Ne voit-on pas qu'ils n'ont été portés à condamner l'usure qu'à cause des cruautés qui l'accompagnoient de leur tems ? Aussi l'attaquent-ils sans cesse, comme contraire à la charité chrétienne, & à la commisération que l'on doit à ses semblables dans l'infortune. Ils parlent toujours du prêt gratuit comme d'un devoir que la nature & la religion nous imposent ; & par conséquent, je le répete, ils n'ont eu en vue que les pauvres ; car encore un coup, il est constant que personne n'est tenu de prêter gratis aux gens aisés. Ces saints docteurs n'exigent donc pas qu'un homme prête à son désavantage pour augmenter l'aisance de son prochain. En un mot, ils n'ont jamais trouvé à redire que l'homme pécunieux cherchât des emprunteurs solvables pour tirer de ses especes un profit honnête, ou comme dit saint Chrysostome, ut inde proventus ipsi esset magnus. Mais du reste nous ne soutenons que l'intérêt de la loi, intérêt qu'elle n'autorise que parce qu'il est équitable, nécessaire, & dès-là sans danger pour la société. Voyons à présent s'il a toujours été approuvé par la législation, & si elle a prétendu le proscrire, quand elle a sévi contre les usuriers.

Nous dirons donc sur cet objet, que c'est uniquement pour arrêter le brigandage de l'usure, que les législateurs ont si souvent prohibé le commerce usuraire ; mais dans ce cas, il faut toujours entendre un négoce inique, préjudiciable au public & aux particuliers, tel que l'ont fait autrefois en France les Italiens & les Juifs.

Saint Louis qui régna dans ces tems malheureux voyant que l'usure étoit portée à l'excès, & ruinoit ses sujets, la proscrivit tout-à-fait par son ordonnance de 1254. Mais ce n'étoit ni un mot que l'on condamnoit alors, ni ce modique intérêt qu'exige le bien public, & que les puissances de la terre n'empêcheront pas plus que le cours des rivieres. C'étoit une usure intolérable, c'étoit en un mot l'usure des Juifs & des Lombards, qui s'engraissoient dans ce tems-là des miseres de la France. La loi leur accordoit l'intérêt annuel de 4 sols pour livre, quatuor denarios in mense, quatuor solidos in anno pro librâ. Cela faisoit vingt pour cent par année, que l'on réduisoit à quinze pour les foires de Champagne. C'est ce que l'on voit par une ordonnance de 1311 publiée sous Philippe le Bel, qui monta sur le trône quinze ans après la mort de saint Louis. Ce taux excessif ne satisfaisoit pas encore l'avidité des usuriers. Le cardinal Hugue, contemporain de notre saint roi, nous les représente comme des enchanteurs, qui, sans battre monnoie, faisoient d'un tournois un parisis, sine percussione mallei faciunt de turonensi parisiense, Hug. card. in psal. 14. c'est-à-dire, que pour vingt sols ils en tiroient vingt-cinq ; ce qui fait le quart en sus, ou 25 pour cent ; usure vraiment exorbitante, & qui méritoit bien la censure des casuistes & la sévérité des loix.

Ce fut dans ces circonstances que saint Louis, témoin des excès de l'usure, & des vexations qui s'ensuivoient contre les peuples, la défendit tout-à-fait dans le royaume. Mais par-là ce prince manqua le but qu'il se proposoit ; & dans un siecle d'impolitie & de ténebres qui souffroit les guerres particulieres, qui sanctifioit les croisades, dans un siecle de superstition, qui admettoit le duel & l'épreuve du feu pour la conviction des criminels, dans un siecle, en un mot où les vrais intérêts de la religion & de la patrie étoient presque inconnus, saint Louis en proscrivant toute usure, donna dans un autre excès qui n'opéra pas encore le bien de la nation. Il arriva bientôt, comme sous l'empereur Basile, que l'invincible nécessité d'une usure compensatoire fit tomber en désuétude une loi qui contrarioit les vues d'une sage police, & qui anéantissoit les communications indispensables de la société. C'est ce qui parut évidamment en ce que l'on fut obligé plusieurs fois de rappeller les usuriers étrangers, à qui l'on accordoit quinze & vingt pour cent d'un intérêt que la loi rendoit licite ; & qui par mille artifices en tiroient encore davantage.

Il résulte de tous ces faits, que si les puissances ont frappé l'usure, leurs coups n'ont porté en général que sur celle qui attaquant la subsistance du pauvre, & le patrimoine d'une jeunesse imprudente, mine par-là peu-à-peu & ronge insensiblement un état. Mais cette usure détestable ne ressemble que par le nom à celle qui suit les prêts de commerce ; prêts qui ne portent aujourd'hui qu'un intérêt des plus modiques, prêts en conséquence recherchés par les meilleurs économes, & qui par l'utile emploi qu'on en peut faire, sont presque toujours avantageux à l'homme actif & intelligent.

Ces réflexions au reste sont autant de vérités solemnellement annoncées par une déclaration que Louis XIV. donna en 1643, pour établir des monts de piété dans le royaume. Ce prince dit, que les rois ses prédécesseurs.... ont, par plusieurs édits & ordonnances, imposé des peines à ceux qui faisoient le trafic illicite de prêter argent à excessif intérêt... nous voulons, dit ce monarque, employer tous les efforts de notre autorité royale pour renverser tout-à-la-fois & les fondemens, & les ministres de cette pernicieuse pratique d 'usure qui s'exerce dans les principales villes de notre royaume. Et d'autant que le trafic de l'emprunt & du prêt d'argent est très-utile & nécessaire dans nos états... nous avons voulu établir des monts de piété, abolissant de cette sorte & le pernicieux trafic des usuriers, & le criminel usage des usures qu'on y rend arbitraires, à la ruine des familles. Conf. eccl. p. 298.

On voit que ce prince veut empêcher simplement les excès d'une usure arbitraire & ruineuse pour les sujets, & non pas, pesez bien les termes, le trafic de l'emprunt & du prêt d'argent, qu'il déclare très-utile, nécessaire même, quoique l'intérêt dont il s'agissoit alors fût bien au-dessus du denier vingt. On devoit payer par mois trois deniers pour livre au mont de piété ; ce qui fait trente-six deniers ou trois sols par an, triplicam usuram. Conf. eccl. p. 300.

Au surplus, Louis XIV. ne fait ici que suivre des principes invariables de leur nature, & absolument nécessaires en toute société policée. Philippe le Bel, dans l'ordonnance de 1311, ci-dessus alléguée, avoit déja senti cette vérité. Il avoit reconnu plusieurs siecles avant Louis XIV. qu'il est un intérêt juste & raisonnable, que l'on ne doit pas confondre avec une usure arbitraire & préjudiciable à tout un peuple, graviores usuras, ce sont les termes, substantias populi gravius devorantes prosequimur attentius atque punimus. Mais il ne manque pas d'ajouter expressément qu'il ne prétend pas empêcher qu'un créancier n'exige, outre le principal qui lui est dû, un intérêt légitime du prêt, ou de quelqu'autre contrat licite, dont il peut tirer de justes intérêts. Verum per hoc non tollimus quominus impunè creditor quilibet interesse legitimum praeter sortem sibi debitum possit exigere ex mutuo, vel alio contractu quocumque licito ex quo interesse rationabiliter & licite peti possit vel recipi. Guenois, confér. des ordon. t. I. l. IV. tit. j. p. 621 & 623, édit. de Paris, 1678.

Il y avoit donc des prêts alors, qui sans autre formalité, produisoient par la convention même un intérêt légitime, comme aujourd'hui dans le Bugey, interesse legitimum ex mutuo, ou comme on trouve encore au même endroit, lucrum quod de mutuo recipitur, & par conséquent cet intérêt, ce profit s'exigeoit licitement ; sans doute parce qu'il étoit juste & raisonnable ; rationabiliter & licite peti possit. Il n'est rien de tel en effet que la justice & la raison, c'est-à-dire, dans notre sujet, l'intérêt mutuel des contractans ; & nos adversaires sont obligés de s'y rendre eux-mêmes. Voici donc ce que dit le pere Sémelier sur l'ordonnance de 1311. Il est vrai que Philippe le Bel ne prétend pas empêcher qu'un créancier ne puisse exiger au-delà du principal qui lui est dû un intérêt légitime du prêt.... mais l'on n'est pas en droit d'inférer que ce prince ait par-là autorisé le prêt de commerce, [il a pourtant autorisé le lucrum quod de mutuo recipitur].... il en faut seulement conclure qu'il permet que le créancier, par le titre du lucre cessant, ou du dommage naissant, reçoive des intérêts légitimes ; nous le dirons dans le livre sixieme qui suit, mais alors, ajoute notre conférencier, ce n'est plus une usure. Confér. ecclésiast. p. 136.

Puisque cet intérêt si juste que l'on tire du prêt, cet interesse legitimum ex mutuo, ce lucrum quod de mutuo recipitur, n'est pas un profit illicite, ou ce que l'école appelle une usure, nous sommes enfin d'accord, & nous voilà heureusement réconciliés avec nos adversaires ; car c'est-là tout ce que nous prétendons. étoit-ce la peine de tant batailler pour en venir à un dénouement si facile ?

J'avois bien raison de dire en commençant que tout ceci n'étoit qu'une question de mots. On nous accorde en plein tout ce que nous demandons ; desorte qu'il n'y a plus de dispute entre nous, si ce n'est peut-être sur l'odieuse dénomination d'usure, que l'on peut abandonner, si l'on veut, à l'exécration publique, en lui substituant le terme plus doux d'intérêt légal.

Qu'on vienne à présent nous objecter les prophetes & les peres, les constitutions des papes & les ordonnances des rois. On les lit sans principe, on n'en voit que des lambeaux, & on les cite tous les jours sans les entendre & sans en pénétrer ni l'objet, ni les motifs ; ils n'envisagent tous que l'accomplissement de la loi, ou, ce qui est ici la même chose, que le vrai bien de l'humanité ; or, que dit la loi sur ce sujet, & que demande le bien de l'humanité ? Que nous secourions les nécessiteux & par l'aumône, & par le prêt gratuit, ce qui est d'autant plus facile, qu'il ne leur faut que des secours modiques. Voilà dans notre espece à quoi se réduisent nos devoirs indispensables, & la loi ne dit rien qui nous oblige au-delà. Dieu connoît trop le néant de ce qu'on nomme commodités, fortune & grandeur temporelle pour nous faire un devoir de les procurer à personne, soit en faisant des dons à ceux qui sont dans l'aisance, ou, ce qui n'est pas moins difficile, en prêtant des grandes sommes sans profit pour nous. En effet, qu'un homme s'incommode & nuise à sa famille pour prêter gratis à un homme aisé, où est-là l'intérêt de la religion & celui de l'humanité ?

Revenons donc enfin à la diversité des tems, à la diversité des usages & des loix. Autrefois l'usure étoit exorbitante, on l'exigeoit des plus pauvres, & avec une dureté capable de troubler la paix des états ; ce qui la rendoit justement odieuse. Les choses ont bien changé ; les intérêts sont devenus modiques & nullement ruineux. D'ailleurs, grace à notre heureuse législation, comme on n'a guere de prise aujourd'hui sur la personne ; les barbaries qui accompagnoient jadis l'usure, sont inconnues de nos jours. Aussi ne prête-t-on plus qu'à des gens réputés solvables ; &, comme nous l'avons déja remarqué, les pauvres sont presque toujours de trop dans la question présente. Si l'on est donc de bonne foi, on reconnoîtra que les prêts de lucre ne regardent que les gens aisés, ou ceux qui ont des ressources & des talens. On avouera que ces prêts ne leur sont point onéreux, & que bien différens de ceux qui avoient cours dans l'antiquité, jamais ils n'ont excité les clameurs du peuple contre les créanciers. On reconnoîtra même que ces prêts sont très-utiles au corps politique, en ce que les riches fuyant presque toujours le travail & la peine, & par malheur les hommes entreprenants étant rarement pécunieux, les talens de ces derniers sont le plus souvent perdus pour la société, si le prêt de lucre ne les met en oeuvre. Conséquemment on sentira que si la législation prenoit là-dessus un parti conséquent, & qu'elle approuvât nettement le prêt de lucre au taux légal, elle feroit, comme on l'a dit, le vrai bien, le bien général de la société, elle nous épargneroit des formalités obliques & ruineuses ; & nous délivreroit tout-d'un-coup de ces vaines perplexités qui ralentissent nécessairement le commerce national.

C'est affoiblir des raisons triomphantes que de les confirmer par des autorités dont elles n'ont pas besoin. Je cede néanmoins à la tentation de rappeller ici l'anonyme, qui, sur la fin du dernier siecle, nous donna la pratique des billets ; un autre qui a publié dans ces derniers tems un in-4°. sur les prêts de commerce ; ouvrage qui l'emporte beaucoup sur le premier, & qui fut imprimé à Lille en 1738. Je cite encore avec Bayle le célebre de Launoy, docteur de Paris, le pere Séguenot, de l'oratoire, M. Pascal, M. le premier président de Lamoignon, &c. Je cite de même M. Perchambaut, président du parlement de Bretagne ; & pour dire encore plus, Dumoulin, Grotius, Puffendorf, Saumaise & Montesquieu. Tous ces grands hommes ont regardé comme légitimes de modiques intérêts pris sur les gens aisés, & ils n'ont rien apperçu dans ce commerce qui fût contraire à la justice ou à la charité. Voyez Nouvelles de la république des lettres, Mai 1685, p. 571, F. de V.

Victricem meditor justo de faenore causam

Annus hic undecies dum mihi quintus adest.

Article de M. FAIGUET. (1758.)

USURE, s. f. (Jurisprud.) il ne faut pas confondre l'usure avec le profit que l'on tire du louage, ce profit étant toujours permis, lorsqu'on le perçoit pour une chose susceptible de location, & qu'il est réglé équitablement.

On n'entend par usure que le profit que l'on tire du prêt ; encore faut-il distinguer deux sortes de prêts, appellés par les Latins commodatum & mutuum.

Le premier que nous appellons commodat, ou prêt à usage, faute d'expression propre dans notre langue pour le distinguer de l'autre sorte de prêt appellé mutuum, est celui par lequel on donne gratuitement une chose à quelqu'un, pour en user pendant un certain tems, sous condition de la rendre en nature après le tems convenu. Ce prêt doit être gratuit, autrement ce seroit un louage.

L'autre prêt appellé mutuum, quasi mutuatio, est celui par lequel une chose fungible, c'est-à-dire qui peut être remplacée par une autre, comme de l'or ou de l'argent, monnoyé ou non, du grain, des liqueurs, &c. est donnée à quelqu'un pour en jouir pendant un certain tems, à condition de rendre, non pas la même chose identiquement, mais la même quantité & qualité.

Ce prêt appellé mutuum, devoit aussi être gratuit ; & lorsqu'il ne l'étoit pas, ce qui étoit contre la nature de ce contrat, on l'appelloit foenus, quasi foetus, seu partus ; & le profit que l'on tiroit de l'argent, ou autre chose fungible ainsi prêtée, fut ce que l'on appella usura, usure.

On voit dans l'Exode, ch. xxij. que le prêt gratuit appellé mutuum, étoit usité ; mais il n'y est pas parlé du prêt à usure.

Le ch. xxiij. du Deutéronome le défend expressément : Non foenerabis fratri tuo ad usuram pecuniam, nec fruges, nec quamlibet aliam rem, SED ALIENO. Fratri tuo absque usura, id quod indiget commodabis, ut benedicat tibi Dominus, &c.

Il étoit donc défendu de prêter à usure à son frere, c'est-à-dire à toute personne de même nation ou alliée. Il n'y avoit d'exception que pour les étrangers, qui étoient tous regardés comme ennemis. Aussi S. Ambroise regarde-t-il comme deux actions égales, de sévir contre les ennemis par le fer, ou tirer de quelqu'un l'usure du prêt ; & il pense qu'on ne peut l'exiger que contre ceux qu'il est permis de tuer.

Mais la loi de l'Evangile, beaucoup plus parfaite que celle de Moïse, défend de prêter à usure, même à ses ennemis : diligite inimicos vestros, benefacite, & mutuum date, nihil inde sperantes, & erit merces vestra multa. Luc, vj.

Les conciles & les papes se sont aussi élevés fortement contre les prêts à usure. Ils prononcent la suspension des bénéfices contre les clercs, & l'excommunication contre les laïcs qui ont le malheur d'y tomber. On peut voir là-dessus le tit. de usuris, aux decrétales ; le canon episcopis, dist. 47. & plusieurs autres.

Cependant l'usure punitoire ou conventionnelle, est permise en certains cas par le droit canon.

Chez les Romains, comme parmi nous, toute usure n'étoit pas défendue ; mais seulement l'usure lucratoire, lorsqu'elle étoit excessive. Elle ne devoit pas excéder un certain taux dont on étoit convenu, autrement le prêteur étoit déclaré infâme, & puni de la peine du quadruple ; en quoi l'usurier étoit traité plus rigoureusement que les voleurs ordinaires, dont la peine n'étoit que du double.

Aussi les choses étoient-elles portées à un tel excès, que l'on ne rougissoit point de tirer un pour cent par mois d'intérêt, qui est ce que l'on appelloit usure centésime. Cet abus s'étoit perpétué jusqu'au tems de Justinien, malgré les défenses réitérées de ses prédécesseurs, que cet empereur renouvella en prescrivant la maniere dont il étoit permis de percevoir les intérêts.

En France, les ordonnances de nos rois ont toujours réprouvé le commerce d'usure, en quoi l'on s'est conformé à la doctrine de l'Eglise & au droit canon.

On a seulement distingué l'intérêt licite, de celui qui ne l'est pas, auquel on applique plus volontiers le terme d'usure.

Non-seulement on admet parmi nous les usures compensatoires, légales, & celles qu'on appelle punitoires ou conventionnelles, mais même l'usure lucratoire, pourvû qu'elle n'excede pas le taux permis par l'ordonnance : toutes ces usures sont reputées légitimes.

Mais l'usure lucratoire n'a lieu parmi nous qu'en quatre cas ; savoir, 1°. dans le contrat de constitution de rente ; 2°. pour les intérêts qui viennent ex morâ & officio judicis ; 3°. dans les actes à titre onéreux, autres que le prêt, tels que transactions pour intérêts civils ou pour rentes, de droits incorporels, ou de choses mobiliaires en gros ; 4°. pour deniers pupillaires, ce qui n'a lieu que contre le tuteur, tant que les deniers sont entre ses mains.

Il y a cependant quelques pays où il est permis de stipuler l'intérêt de l'argent prêté, comme en Bretagne & en Bresse, & à Lyon entre marchands, ou pour billets payables en payement. Voyez aux décrétales, au digeste & au code, les tit. de usuris ; & les traités de usuris, de Salmasius, & autres auteurs indiqués par Brillon au mot usure, Gregorius Tholosanus, Dumoulin, Donat, tractatus contractuum & usurarum, Bouchel, & les mots CONTRAT DE CONSTITUTION, INTERET, PRET, OBLIGATION, USURIER. (A)

USURE BESSALE, chez les Romains étoit l'intérêt à huit pour cent par an. Elle étoit ainsi appellée du mot bes, qui signifioit huit parties de l'as, ou somme entiere.

USURE CENTESIME n'étoit pas, comme quelques interpretes l'ont pensé, un intérêt de cent pour cent par an ; car jamais une usure si énorme ne fut permise. L'usure centésime la plus forte qui ait eu lieu chez les Romains, étoit celle qui dans le cours de cent mois égaloit le sort principal, au moyen de ce que de cent deniers on en payoit un par mois ; car les anciens avoient coutume de compter avec leurs débiteurs tous les mois, & de se faire payer l'intérêt chaque mois. Un denier par mois faisoit douze deniers par an, ou le denier douze. Ainsi pour appliquer cela à nos valeurs numéraires, cent livres tournois, chacune de vingt sols, & le sol de douze deniers, l'usure centésime auroit été d'une livre tournois par mois, & douze livres tournois par an ; ce qui en huit ans & quatre mois égaleroit le sort principal.

Cette usure considérable s'étoit perpétuée chez les Romains jusqu'au tems de Justinien, malgré les défenses réitérées de ses prédécesseurs qu'il renouvella. Voyez Budaeus de asse, Hermolaus Barbarus, Aegidius Dosanus, Alciatus, Molinaeus de usuris, Gregorius Tholosanus, & les mots INTERET, USURE UNCIALE. (A)

USURE CIVILE, Pline donne ce nom aux usures semisses, parce que c'étoient les plus fortes des usures communes. Voyez Gregorius Tholosanus, liv. II. ch. iij.

USURE COMPENSATOIRE, est celle par laquelle on se dédommage du tort que l'on a reçu, ou du profit dont on a été privé, propter damnum emergens, vel lucrum cessans.

Cette usure n'a rien de vicieux, ni de repréhensible suivant les loix & les canons, parce que hors le cas d'une nécessité absolue, l'on n'est pas obligé de faire le profit d'un autre à son préjudice.

C'est sur ce principe qu'il est permis au vendeur de retirer les intérêts du prix d'un fonds dont il n'est pas payé, & ce en compensation des fruits que l'acquéreur perçoit.

Il en est de même des intérêts de la dot, exigible & non payée, de ceux de la légitime ou portion héréditaire, d'une soute de partage, ou d'un reliquat de compte de tutele.

Cette usure compensatoire est aussi appellée légale, parce qu'elle est dûe de plein droit & sans convention.

USURE CONVENTIONNELLE, est l'intérêt qui est dû en vertu de la stipulation seulement, à la différence des intérêts qui sont dûs de plein droit en certains cas, & que l'on appelle par cette raison usures légales.

L'usure punitoire est du nombre des usures conventionnelles. Voyez USURE LEGALE & USURE PUNITOIRE.

USURE DEUNCE, étoit l'intérêt à onze pour cent par an ; le terme deunce signifiant onze parties de l'as ou somme entiere.

USURE DEXTANTE, étoit l'intérêt à dix pour cent par an, dextans signifiant dix parties de l'as ou principal. Voyez USURE UNCIALE.

USURE DODRANTE, étoit l'intérêt à neuf pour cent par an, car dodrans signifioit neuf parties de l'as. Voyez USURE UNCIALE, USURE SEXTANTE, &c.

USURE LEGALE, c'est l'intérêt qui est dû de plein droit, en vertu de la loi & sans qu'il soit besoin de convention, comme cela a lieu en certains cas, par exemple pour les intérêts du prix de la vente d'un fonds, pour les intérêts d'une dot non payée, d'une part héréditaire, légitime, soute de partage, &c. Voyez USURE COMPENSATOIRE.

USURE LEGITIME, on appelloit ainsi chez les Romains, le taux d'intérêt qui étoit autorisé & le plus usité, comme l'usure trientale, c'est-à-dire à 4 pour 100, ou l'usure quinquunce, c'est-à-dire à 5 pour 100 par an ; on donna cependant aussi quelquefois ce nom à l'usure centesime ou à 12 pour 100 par an ; qui étoit la plus forte de toutes, parce qu'elle étoit alors autorisée par la loi, ou du-moins qu'elle l'avoit été anciennement, & qu'elle s'étoit perpétuée par un usage qui avoit acquis force de loi. Voyez l'histoire de la jurisp. rom. de M. Terrasson.

USURE LUCRATIVE ou LUCRATOIRE, est celle qui est perçue sans autre cause, que pour tirer un profit de l'argent ou autre chose prêtée ; cette sorte d'usure est absolument approuvée par le Droit canonique & civil, si ce n'est lorsqu'il y a lucrum cessans ou damnum emergens, comme dans le cas du contrat de constitution. Voyez CONTRAT DE CONSTITUTION & INTERET.

USURE MARITIME, nauticum foenus, est l'intérêt que l'on stipule dans un contrat à la grosse ou à la grosse avanture ; cet intérêt peut excéder le taux de l'ordonnance, à cause du risque notable que court le prêteur de perdre son fonds. Voyez au digeste le titre de nautico foenore. L'ordonnance de la marine, l. III. tit. 5. le commentaire de M. Valin sur cette ordonnance, & le mot GROSSE AVANTURE.

USURE MENTALE, est celle qui se commet sans avoir été expressément stipulée par le prêteur, lorsqu'il donne son argent, dans l'espérance d'en retirer quelque chose au-delà du sort principal. Cette usure est défendue aussi-bien que l'usure réelle, mutuum date nihil inde sperantes. Luc vj.

USURE NAUTIQUE, voyez USURE MARITIME.

USURE PUNITOIRE ou CONVENTIONNELLE, est le profit qui est stipulé en certains cas par forme de peine, contre celui qui est en demeure de satisfaire à ce qu'il doit.

Cette sorte d'usure, quoique moins favorable que la compensation, est cependant autorisée en certains cas, même par le Droit canon ; par exemple, en fait d'emphytéose, où le preneur est privé de son droit, lorsqu'il laisse passer deux ans sans payer le canon emphytéotique ; 2°. en matiere de compromis, où celui qui refuse de l'exécuter dans le tems convenu, est tenu de payer la somme fixée par le compromis ; 3°. en matiere de testament, dont l'héritier est tenu de remplir les conditions ou de subir la peine qui lui est imposée par le testament. Voyez le traité des crimes, par M. de Vouglans, tit. 5. ch. vij.

USURE QUADRANTE, étoit l'intérêt à 3 pour 100 par an, car le terme de quadrans signifioit la troisieme partie de l'as ou somme entiere.

USURE QUINQUUNCE, étoit l'intérêt à 5 pour 100 par an, quinquunce étant la cinquieme partie de l'as ou somme entiere.

USURE REELLE, est celle que l'on commet réellement & de fait, en exigeant des intérêts illicites d'une chose prêtée ; on l'appelle aussi réelle pour la distinguer de l'usure mentale, qui est lorsque le prêt a été fait dans l'intention d'en tirer un profit illicite, quoique cela n'ait pas été stipulé ni exécuté. Voyez USURE MENTALE.

USURE SEMISSE, étoit l'intérêt à 6 pour 100 par an ; semi étoit la moitié de l'as ou six parties du total qui se divisoit en 12 onces.

USURE SEPTUNCE, étoit l'intérêt à 7 pour 100 par an, ainsi appellé, parce que septunx signifioit sept parties de l'as.

USURE SEXTANTE, c'étoit lorsque l'on tiroit l'intérêt à 2 pour 100 par an, car sextans étoit la sixieme partie de l'as ou 2 onces.

USURE SEMI UNCIALE, étoit celle qui ne produisoit que la moitié d'une once par an, ou un demi denier par mois. Voyez USURE CENTESIME & USURE UNCIALE.

USURE TRIENTALE ou TRIENTE, étoit chez les Romains l'intérêt à 4 pour 100 par an ; en effet, triens étoit la quatrieme partie de l'as, il en est parlé au code de usuris.

USURE UNCIALE, on appelloit ainsi chez les Romains l'intérêt que l'on tiroit au denier 12 d'un principal, parce que l'as qui se prenoit pour la somme entiere étoit divisé en 12 onces ou parties ; desorte que l'usure unciale étoit une once d'intérêt, non pas par mois, comme quelques-uns l'ont crû, mais seulement par an, ce qui ne faisoit qu'un denier par mois ; autrement on auroit tiré 100 pour 100 par an, ce qui ne fut jamais toleré ; ainsi l'usure unciale ou centésime étoit la même chose, voyez ci-devant USURE CENTESIME. Voyez aussi Cornelius Tacitus, annal. lib. XV. Gregorius Tholosanus. (A)


USURIERS. m. (Gram. & Jurispr.) est celui qui prête à usure, c'est-à-dire à un intérêt illicite, soit que ce soit dans un cas auquel il n'est pas permis de stipuler d'intérêt, soit que l'intérêt qui est stipulé excede le taux porté par les ordonnances.

Le terme d'usurier ne se prend jamais qu'en mauvaise part.

On appelle usurier public, celui qui fait métier de prêter à usure.

Les ordonnances de Philippe le Bel en 1311 & 1313, celle de Louis XII. en 1510 & de Charles IX. en 1567, ont défendu le prêt à usure.

L'ordonnance de Blois, art. 202. a pareillement défendu à toutes personnes d'exercer aucune usure, à peine pour la premiere fois, d'amende-honorable, bannissement, & de condamnation de grosses amendes, & pour la seconde fois de confiscation de corps & de biens.

Ces dispositions ne sont pas toujours suivies à la rigueur, par rapport à la difficulté qu'il y a d'acquérir une preuve complete de l'usure, qui prend toujours soin de se cacher sous quelque forme légitime en apparence. Voyez le tr. des crimes, par M. de Vouglans, & ci-devant le mot USURE. (A)


USURPATEURS. m. (Gram. & Jurispr.) est un injuste possesseur du bien d'autrui, & qui s'en est emparé par violence ou du-moins de son autorité privée.

On qualifie d'usurpateur, non-seulement celui qui s'empare induement d'un fonds, mais aussi tous ceux qui s'emparent de quelque droit qui ne leur appartient pas.

Ainsi celui qui prend le nom & les armes d'une famille dont il n'est pas issu, est un usurpateur.

De même celui qui n'étant pas noble, se qualifie d'écuyer ou de chevalier, est un usurpateur de noblesse.

Les sujets rebelles qui veulent s'ériger en souverains, sont des usurpateurs des droits de souveraineté. Voy. ARMES, ARMOIRIES, CHEVALIER, ECUYER, FAMILLE, MAISON, NOM, NOBLESSE, SOUVERAINETE. (A)


USURPATIONS. f. (Gram. & Jurispr.) est l'occupation de quelque bien ou droit de la part d'un injuste possesseur, qui s'en est emparé de son autorité privée ou même par violence. Voyez USURPATEUR.

USURPATION, (Gouvernem.) envahissement injuste de l'autorité, sans en être revêtu par les loix.

Comme une conquête peut être appellée une usurpation étrangere, l'usurpation du gouvernement peut être nommée une conquête domestique, avec cette différence qu'un usurpateur domestique ne sauroit jamais avoir le droit de son côté, au lieu qu'un conquérant peut l'avoir, pourvu qu'il se contienne dans les bornes que la justice lui prescrit, & qu'il ne s'empare pas des possessions & des biens auxquels d'autres ont droit.

Quand les regles de l'équité sont observées, il peut bien y avoir changement de conducteurs, mais non changement de forme & de loix du gouvernement ; car étendre son pouvoir au-delà du droit & de la justice, c'est joindre la tyrannie à l'usurpation.

Dans tous les gouvernemens policés, une partie considérable de la forme du gouvernement & des privileges essentiels des peuples, c'est de nommer les personnes qui doivent gouverner. L'anarchie ne consiste pas seulement à n'avoir nulle forme de gouvernement, mais à n'avoir pas constitué les personnes qui doivent être revêtues du pouvoir. Ainsi les véritables états ont non-seulement une forme de gouvernement établie, mais encore des loix pour revêtir certaines personnes de l'autorité publique. Quiconque entre dans l'exercice de quelque partie du pouvoir d'une société par d'autres voies que celles que les loix prescrivent, ne peut prétendre d'être obéi, quoique la forme du gouvernement soit conservée, parce qu'il n'a pas été désigné à jouir du pouvoir par les loix. En un mot, un tel usurpateur, ni aucun de ses descendans, ne sauroient avoir une domination légitime, jusqu'à ce que le peuple y ait donné son aveu, sans lequel leur pouvoir sera toujours un pouvoir usurpé, & par conséquent illégitime. (D.J.)


USURPERENVAHIR, S'EMPARER, (Synonymes) Usurper, c'est prendre injustement une chose à son légitime maître, par voie d'autorité & de puissance ; il se dit également des biens, des droits & du pouvoir. Envahir, c'est prendre tout-d'un-coup par voie de fait quelque pays ou quelque canton, sans prévenir par aucun acte d'hostilité. S'emparer, c'est précisément se rendre maître d'une chose, en prévenant les concurrens & tous ceux qui peuvent y prétendre avec plus de droit.

Il semble aussi que le mot d'usurper renferme quelquefois une idée de trahison : que celui d'envahir fait entendre qu'il y a du mauvais procédé : que celui de s'emparer emporte une idée d'adresse & de diligence.

On n'usurpe point la couronne, lorsqu'on la reçoit des mains de la nation. Prendre des provinces dans le cours de la guerre, c'est en faire la conquête, & non pas les envahir. Il n'y a point d'injustice à s'emparer des choses qui nous appartiennent, quoique nos prétentions soient contestées. Girard. (D.J.)


UTS. m. en Musique, est la premiere des six syllabes de la gamme de l'Aretin qui répond à la lettre C.

Par la méthode des transpositions, on appelle toujours ut la tonique des modes majeurs. Voyez GAMME, TRANSPOSITION.

Les Italiens trouvant le nom de cette syllabe ut trop sourd, lui substituent la syllabe do en solfiant. (S)


UTERIN(Gram. & Jurisprud.) se dit de celui qui est issu du même ventre. On appelle frere uterin celui qui est né de la même mere qu'un autre enfant. Voyez ci devant les mots FRERE & SOEUR & les mots CONSANGUINITE, DOUBLE LIEN, PARENTE, PROPRES, SUCCESSION. (A)

UTERINE, Pierre, (Hist. nat.) lapis uterinus ; nom donné par quelques auteurs à une pierre qui se trouve dans l'Amérique espagnole & dans d'autres contrées. On dit qu'elle est très-dure & très-pesante, d'un beau noir, & susceptible d'un très-beau poli. Les Indiens l'appliquent sur le nombril dans les douleurs de ventre, & prétendent en sentir beaucoup de soulagement.


UTERUSen Anatomie, ou matrice, est l'organe de la génération dans la femme ; c'est-là que se passe l'oeuvre de la conception, & où le foetus ou l'embryon se loge, se nourrit, & croît pendant la grossesse & jusqu'à la délivrance. Voyez sa description sous l'article MATRICE, sa fonction sous les articles GENERATION, CONCEPTION, GROSSESSE, FOETUS, &c.

UTERUS, maladies de l ', (Médec.) Il faut d'abord se rappeller la structure de cette partie organique, qui ne se trouve que dans le sexe féminin ; elle est attachée aux os du bassin, placée entre la vessie & l'intestin rectum ; son épaisseur approche d'un pouce & demi ; sa longueur depuis l'orifice jusqu'au fond, est d'environ trois pouces ; & sa cavité mitoyenne contiendroit à peine le fruit d'une amande. Il est difficile d'introduire un stilet dans son orifice, qui se dilate si fort pour l'accouchement.

Chez les femmes enceintes, non-seulement la grandeur de l'uterus augmente, pour qu'elle puisse contenir le foetus & l'arriere-faix, mais ses côtés mêmes deviennent plus épais ; les vaisseaux sanguins de ce viscere s'allongent & se grossissent. Sa substance spongieuse se gorge de sang ; dans la partie où est attaché le placenta, on découvre des orifices très-amples ; & les vaisseaux auparavant transparens se trouvent alors rouges ; son ouverture se maintient naturellement fermée pendant tout le tems de la grossesse ; mais quand le moment d'accoucher ou d'avorter approche, elle devient plus molle & plus large ; ensuite dans l'espace de seize jours depuis l'accouchement, elle reprend sa grandeur naturelle.

Les maladies de l'uterus se rapportent 1°. aux parties voisines, telles que le vagin, les trompes, les ovaires, mais spécialement à celles de l'uterus dont il s'agit ici : 2°. elles ont rapport aux maladies de fonction, de menstruation, de conception, de grossesse, d'avortement, d'accouchement & de vuidanges, qu'on a coutume de mettre sous des titres particuliers.

Quant aux maladies propres à l'uterus, elles sont relatives 1°. à ce qui est contenu dans sa cavité : 2°. à son orifice : 3°. à sa position : 4°. à sa figure : 5°. aux affections qui viennent de cause externe : 6°. à celles de toute sa substance : 7°. à l'augmentation de sa masse : 8°. à sa diminution : 9°. à son action : 10°. enfin à ses évacuations.

I. Dans la cavité de l'uterus 1°. sont contenues ses diverses humeurs : 2°. le sang menstruel ou celui des vuidanges, qui s'y arrête par la clôture de l'orifice, par le ralentissement du mouvement, & la quantité du sang augmentée par la stagnation dégénere en pourriture, ou par sa mauvaise qualité, cause un grand nombre de symptomes, auxquels on ne peut remédier qu'en ouvrant l'orifice de l'uterus, qui se trouve resserré, & en modifiant sa partie interne ; 3°. les corps étrangers introduits dans la matrice se couvrent d'une croûte calculeuse ; 4°. les choses qui s'y sont formées comme un grumeau, doivent en être ôtées par la dilatation de l'orifice & par l'usage des emménagogues ; mais 5°. le sarcome qui occupe la cavité de l'uterus, ne peut être tiré dehors par l'orifice ; & comme il n'est pas non plus possible de le ronger, il faut tâcher d'empêcher son accroissement par un bandage extérieur, & par l'application des antiseptiques.

II. L'orifice de l'uterus, qui dans le tems des regles, de l'accouchement, & de l'évacuation des vuidanges, se trouve fermé ou resserré par quelque inflammation, par une tumeur ou par une espece de convulsion de son col, s'oppose à la sortie des humeurs ; on tâchera d'en procurer l'écoulement par le moyen des topiques & des médicamens internes ; mais s'il y a une coalescence, & que l'orifice de l'uterus soit fermé par une membrane, il en résulte une stérilité incurable & la suppression des regles ; si au contraire l'uterus est continuellement ouvert (ce qu'on reconnoît par l'intromission du doigt), il en arrive un écoulement de fleurs blanches, un flux immodéré des regles, un avortement fréquent : cet accident demande les fumigations résineuses, l'application des balsamiques & des lotions astringentes.

III. L'uterus ne s'éleve jamais dans les femmes qui ne sont pas enceintes ; mais dans les femmes grosses, la matrice étant gonflée, elle éloigne le mésentere & les intestins ; elle monte directement en-haut, elle se porte davantage d'un côté ou d'autre, ou quelquefois se panche trop sur l'os pubis ; ce changement de situation produit un travail difficile, à moins qu'on ne le prévienne par une position favorable du corps, par la prudente intromission de la main de l'accoucheur & par quelque soutien. Quand l'uterus vient à descendre, la compression qu'il fait sur les nerfs, les arteres ou les veines iliaques, cause ordinairement l'engourdissement des varices ou l'enflure des piés. La compression que fait cette partie sur l'intestin rectum ou sur la vessie, est suivie de difficulté d'aller à la selle & d'uriner ; mais ces maladies se dissipent par le changement de situation & après l'accouchement. On garantit les piés d'enflure & de varices par le secours d'un soutien artificiel.

Si l'orifice de la matrice, à l'approche des couches, descend trop, il cause un accouchement laborieux, auquel on ne peut remédier qu'en le repoussant adroitement avec la main, & en procurant à la femme qui est en travail, une situation plus déclive.

Quelquefois dans les femmes qui ne sont point grosses, l'uterus tombe à la suite des fleurs blanches, du flux immodéré des regles, d'accouchement, d'avortemens fréquens ; l'uterus tombe quelquefois après un saut considérable, après une toux très-violente, après le vomissement, le ténesme, lorsqu'on a élevé un poids avec force ; car on découvre dans ces cas l'orifice de l'uterus au milieu d'une grosse tumeur ; il faut sur le champ le remettre dans sa place. Mais si la chûte de la matrice est ancienne, il convient, avant toutes choses, d'y faire des fomentations & des ablutions ; & après l'avoir remise dans sa situation naturelle, il l'y faut maintenir par un soutien convenable, en faisant coucher la malade. La partie intérieure de cet organe a ensuite besoin d'être mondifiée & resserrée par les consolidans. Quelquefois la matrice se renverse dans un accouchement laborieux, en procurant imprudemment la sortie du placenta ; si la tumeur se trouve environnée d'une dureté en forme d'anneau, il faut s'appliquer à la fondre sans délai. Quand elle est ancienne, elle demande le même traitement que la chûte de l'uterus, de crainte qu'il ne tombe dans le sphacele, & que la malade ne meure.

IV. Quelquefois la figure de la matrice se trouve déformée par une hernie dans un de ses côtés, ou par une cause externe comprimante, ou par une cicatrice qui y est restée. Ces maladies doivent être traitées par la soustraction de la cause comprimante, & par le moyen d'un soutien convenable.

V. La blessure de l'uterus dans les femmes qui sont enceintes, menace d'avortement & de mort. La contusion de cet organe n'a guere lieu que dans les femmes grosses. Dans celles qui sont fort grasses, la compression de ce viscere cause la stérilité ; mais il arrive quelquefois qu'une tumeur externe donne à la matrice une situation oblique ou une figure difforme. Le moyen d'y remédier consiste à dissiper les causes de la compression.

Il n'y a point d'exemples de rupture de matrice dans les femmes qui ne sont pas enceintes ; mais dans celles qui le sont, si le foetus par un mouvement violent vient à rompre la matrice, & qu'il tombe dans la cavité du bas-ventre, la seule section de cette partie peut conserver la vie de la mere & de l'enfant. On prévient cet accident par un soutien artificiel. Le déchirement trop fréquent de ce viscere doit être attribué à la maniere imprudente dont la sage-femme touche la matrice, ou en arrache le placenta. On en tentera la guérison par des injections d'un émollient balsamique, & en appliquant en même tems un cataplasme sur le ventre, accompagné d'un soutien.

VI. Le trop grand relâchement de l'uterus, suite ordinaire d'un accouchement ou d'un avortement trop fréquent, d'une extension occasionnée par des humeurs morbifiques contenues dans sa cavité, d'un flux immodéré des regles, des vuidanges & des fleurs blanches, produit la stérilité. Si ce relâchement arrive à l'orifice de ce viscere & dans l'accouchement, il cause l'inversion de l'uterus.

De ce dernier accident s'ensuit un travail laborieux, la retenue du placenta, un sentiment de pesanteur & de fréquentes hémorrhagies de matrice. Pour prévenir ces maladies & les guérir, il convient d'appliquer des corroborans sur le ventre, & un léger soutien. La roideur de l'orifice de l'uterus dans les femmes qui accouchent pour la premiere fois, & dans les vieilles femmes, annonce un accouchement difficile, qu'on tâche de faciliter par des onctions & des fomentations faites avec un liniment émollient. Quand cette rigidité vient de convulsion, c'est alors le cas de recourir aux antispasmodiques. Mais la trop grande dureté de l'orifice, & sa callosité qu'on recouvre par le toucher, élude tous les remedes. Si la contraction ou l'inflammation sont cause de cet état, on le traitera comme la roideur. Une matrice trop humide, molle, & plus froide qu'à l'ordinaire, répand une grande quantité d'humeurs & des regles blanches, d'où résulte souvent la stérilité. La cure demande des corroborans chauds appliqués sur le ventre avec un léger soutien. Je ne conseille point les remedes âcres, parce qu'ils sont trop dangereux.

La trop grande & constante sécheresse de l'uterus, dont l'origine est une inflammation ou un érésipele, demande le même traitement que ces maladies. Quand la matrice parvenue à ce degré de sécheresse, est tombée, il est à propos, avant que de la rétablir dans la situation naturelle, d'employer pour l'humecter les fomentations émollientes, humides, & tant soit peu onctueuses. La trop grande chaleur de cette partie, qui est le résultat des maladies inflammatoires ou des érésipèles, ou de quelque humeur âcre, bilieuse, n'exige point un traitement particulier ; mais cette légere affection requiert l'usage des rafraîchissemens tant internes qu'externes. Sa trop grande froideur occasionnée par le rallentissement de son mouvement vital & particulier, est cause que les regles coulent moins abondamment, & moins colorées. Souvent même les femmes deviennent sujettes aux fleurs blanches & à l'avortement. Pour la cure de cet état, il faut recourir aux échauffans & aux corroborans. L'affoiblissement de l'action de la matrice qui vient du mouvement vital, particulier ou général, demande la méthode curative ordinaire, avec l'usage des utérins.

La douleur qu'on ressent dans la matrice, quelle que soit la cause qui la produit, est suivie d'anxiétés, & souvent par sympathie, la vessie & le bas-ventre se trouvent affectés. Dans le traitement on doit avoir égard à la connoissance de la cause ; s'il n'est pas possible de la dissiper, il est à propos d'employer les anodins utérins. La pesanteur de la matrice produite par la rétention d'humeurs, & accompagnée d'une tumeur autour de ce viscere, exige l'évacuation des matieres qui la gonflent ; mais si cette douleur n'est point accompagnée de tumeur, & qu'elle soit accompagnée par le rallentissement de l'action de la matrice, il convient de la traiter comme on traite la foiblesse de cette partie.

VII. L'uterus qui doit son enflure à la grossesse, est un état naturel. Mais la grosseur occasionnée par un air, qui se forme de la corruption des matieres contenues dans cette partie, demande qu'on dilate son orifice pour en faire sortir l'air, & qu'on tâche de prévenir par les antiseptiques, une nouvelle génération du mal. La lymphe amassée dans la cavité de l'uterus, s'évacue de la même maniere, en appliquant en même tems un soutien au bas-ventre ; l'enflure causée par le sang contenu dans les vaisseaux, après la suppression des regles ou des vuidanges, est plus difficile à traiter ; si la fievre putride survient, il faut la guérir en employant les fomentations, & soutenir le ventre. L'enflure qui est une suite de l'hydropisie ou de l'oedème, outre le soutien & l'application des discussifs, exige les diurétiques internes, & les utérins.

Si l'inflammation cause l'enflure, la malade se plaint d'ardeur & de sécheresse, de douleur & d'anxiété dans le bas-ventre, & au périnée. Quelquefois la malade éprouve des stranguries, des douleurs dans les hanches, dans les aînes, le vomissement, la suffocation, la colique & autres maux sympathiques ; la cure de cet état n'est pas différente de celle des autres inflammations. L'érésipele de matrice se distingue avec peine de son inflammation ; il arrive seulement que la chaleur de la partie est plus considérable, l'urine enflammée, le pouls plus prompt. Quand ces maladies viennent à dégénérer en abscès ou en suppuration, il faut tirer le pus en dilatant l'orifice de l'uterus, & traiter l'ulcere comme un sinus purulent.

Le sphacele de la matrice se conjecture par une cessation de douleur, dont on ne voit point la raison, par un pouls foible & vacillant, une sueur froide, un visage cadavéreux, un écoulement d'humeur fétide & ichoreuse ; c'est un mal sans remede. Le skirrhe & le cancer de l'uterus croissent lentement, sur-tout dans les vieilles femmes ; ils produisent un poids dans le bas-ventre, qui semble rouler d'un lieu à un autre par l'inversion du corps ; souvent les mamelles sont flasques & skirrheuses ; enfin par leur masse, ils causent sympathiquement dans les parties voisines grand nombre de symptomes irréguliers ; si l'on conjecture d'abord ce cruel état de la matrice, il faut recourir promptement aux résineux, aux résolutifs, & aux utérins pour l'adoucir : les tubercules, les sarcomes, les verrues, les condylomes adhérens à l'orifice de l'uterus, se connoissent & se traitent comme les mêmes maladies du vagin.

VIII. La matrice consumée par la maladie, & enlevée par la section, ou l'absence naturelle de cette partie, causent nécessairement la stérilité. La diminution de ce viscere dans les vieilles femmes, & avant l'âge de puberté, est dans l'ordre de la nature ; l'ulcération de l'uterus, quelle qu'en soit la cause, se sent par le toucher qui y produit de la douleur ; elle est accompagnée d'une fievre putride, d'un écoulement de pus, de matiere ichoreuse, sanguine, d'une urine épaisse & fétide. La méthode curative est la même que celle d'une fistule ou d'un sinus purulent.

La corruption de l'uterus produit de cruelles morsures dans les parties de la pudeur, des douleurs dans les aînes, dans les hanches, au sommet de la tête, l'assoupissement, le froid des extrémités, la langueur, les inquiétudes, le vomissement, la sueur froide, la mort ; la cure palliative requiert des applications, des injections fréquentes d'antiputrides, & intérieurement tous les remedes qui peuvent retarder le progrès de la pourriture. Il reste toujours de l'ulcération de l'uterus, une cicatrice de cette partie qui est incurable, & qui l'empêche de s'aggrandir, & de se prêter suffisamment dans la grossesse. Il en résulte la stérilité ou l'avortement.

L'action trop foible de l'uterus accumule ordinairement dans ses vaisseaux le sang des menstrues & des vuidanges ; ce manque de force l'empêche de pouvoir expulser suffisamment le foetus dans une fausse ou véritable couche ; on peut suppléer à cette foiblesse par des remedes utérins qui aiguillonnent ce viscere organique. Si les orifices des vaisseaux de l'uterus manquent de ressort, ils produisent un cours immodéré des regles, des vuidanges, ou bien des fleurs blanches ; cet état requiert des utérins corroborans, réunis à des bandages convenables.

Le spasme, la convulsion de l'uterus, soit dans son fonds ou dans son col, supprime le cours des mois, des vuidanges, cause ou l'avortement, ou la difficulté de l'accouchement, maladies opposées qui néanmoins demandent également des remedes utérins, antispasmodiques & anodins.

En général, tout état morbifique de l'uterus exerce par sympathie son empire sur la machine entiere ; de-là vient, en conséquence de la position de ce viscere, de sa connexion aux autres parties, de l'origine commune de ses nerfs, veines & arteres, tous les phénomenes qui suivent l'hystérisme, la constipation, le ténesme, la difficulté d'uriner, l'ischurie, la faim dépravée, le dégoût, la nausée, le vomissement, la pesanteur dans les reins, la respiration lésée, la suffocation, les maux de tête, la douleur du sein, son enflure, son désenflement, & autres maux symptomatiques qui s'évanouissent par la guérison de la maladie, ou qu'on assoupit pendant quelque tems, par les anodins, les utérins, les nervins.

Pour ce qui regarde le flux immodéré des vuidanges, des regles ou leur suppression. Voyez REGLES & VUIDANGES. Les pertes de sang dans les femmes grosses, présagent d'ordinaire une fausse-couche, qu'on ne peut prévenir que par le plus grand repos, les rafraîchissans & des bandages qui resserrent modérément les vaisseaux qui sont si prêts à s'ouvrir. (D.J.)


UTILA(Géog. mod.) île de l'Amérique, dans la nouvelle Espagne, & dans le golfe de Honduras. Son circuit est de trois milles. (D.J.)


UTILEadj. (Gramm.) Voyez UTILITE.

UTILE, (Jurisprud.) cette qualification se donne en cette maniere à plusieurs objets différens.

Action utile, chez les Romains, étoit celle qui étoit introduite à l'instar de l'action directe, & alliée par la loi. Voyez ACTION.

Domaine utile, c'est celui qui emporte le revenu & les fruits d'un fond, à la différence du domaine direct, qui ne consiste qu'en un certain droit de seigneurie ou de supériorité que le propriétaire s'est réservé sur l'héritage.

Jours utiles, sont ceux qui sont bons pour agir, & qui sont comptés pour les délais.

Propriété utile, est opposée au domaine direct. Voyez ci-devant DOMAINE UTILE.

Seigneur utile, est aussi de même opposé à seigneur direct. Voyez les mots SEIGNEUR & SEIGNEURIE. (A)


UTILITÉPROFIT, AVANTAGE, (Synon.) L'utilité naît du service qu'on tire des choses. Le profit naît du gain qu'elles produisent. L'avantage naît de l'honneur ou de la commodité qu'on y trouve.

Un meuble a son utilité. Une terre rapporte du profit. Une grande maison a son avantage.

Les richesses ne sont d'aucune utilité quand on n'en fait point usage. Les profits sont beaucoup plus grands dans les finances que dans le commerce. L'argent donne beaucoup d'avantage dans les affaires ; il en facilite le succès. Girard. (D.J.)


UTINA(Géog. anc.) nom que les Latins donnent à une ville de Frioul, connue vulgairement sous celui d'Udine, & qui est aussi appellée en latin Udinum, & en allemand Weyden, selon Lazius.

Son origine est fort obscure ; on sait seulement que ce n'est pas une ville nouvelle, & qu'elle ne paroît pas avoir été bâtie depuis le tems des Romains. Cluvier, Ital. ant. liv. I. c. xx. veut que les Nedinates de Pline soient les anciens habitans de cette ville. (D.J.)


UTINETS. m. instrument de Tonnelier, c'est un petit maillet de bois, dont la masse est un cylindre de quatre doigts de longueur, & de deux bons doigts de diametre, traversé dans le milieu de sa longueur par un manche de bois fort menu, rond, & de deux piés de long. Les tonneliers se servent de cet instrument pour arranger & unir les fonds des futailles, quand ils sont placés dans le jable.


UTIQUE(Géogr. anc.) ville de l'Afrique propre. Elle est nommée , Ityca par les Grecs, quoique pourtant Dion Cassius, l. XLI. écrive , Utica, à la maniere des Latins. Selon Pomponius Méla, Velléïus Paterculus, Justin & Etienne le géographe, c'étoit une colonie des Tyriens. Elle fut bâtie 184 ans après la prise de Troie. C'est aujourd'hui Biserte, dans le royaume de Tunis, avec un grand port dans un petit golfe sur la côte de Barbarie, à l'opposite de l'île de Sardaigne. Les Romains en firent un entrepôt pour y établir un commerce réglé avec les Africains. Par sa grandeur & par sa dignité, dit Strabon, l. XVII. elle ne cédoit qu'à Carthage ; & après la ruine de celle-ci, elle devint la capitale de la province. Il ajoute qu'elle étoit située sur le même golfe que Carthage, près d'un des promontoires qui formoient ce golfe, dont celui qui étoit voisin d'Utique s'appelloit Apollonium, & l'autre Hermea.

Ses habitans sont appellés , par Polybe, l. I. c. lxxiij. par Dion Cassius, l. XLIX. p. 401. & Uticenses par César, Bel. civ. l. II. c. xxxvj. Auguste leur donna le droit de citoyens romains : Uticenses cives romanos fecit, dit Dion Cassius, ce qui fait qu'on lit dans Pline, l. V. c. iv. Utica civium Romanorum.

On voit deux médailles de Tibere frappées dans cette ville. Sur l'une on lit : Mun. Julii. Uticen. D. D. P. c'est-à-dire, selon l'explication du P. Hardouin, Municipii Julii Uticensis Decuriones posuere. L'autre médaille porte : Immunis Uticen. D. D. ce que le même pere explique de la sorte : Immunis Uticensis (civitas) Decurionum Decreto. Dans la table de Peutinger, cette ville est appellée Utica colonia.

Elle est à jamais célebre par la mort de Caton, à qui l'on donna par cette raison le nom d'Utique. C'est dans ce lieu barbare que la liberté se retira, quittant Rome humiliée, & fuyant César coupable. Caton, pour la suivre à-travers les déserts de Numidie, dédaigna les belles plaines de la Campanie, & tous les délices que verse l'Ausonie. Il fallut bien, après sa mort, que cette fiere liberté pliât un genou servile devant ses tyrans, & qu'elle se soumît à accepter les graces humiliantes qu'ils voulurent lui accorder. Brutus ouvrit, pour ainsi dire, l'âge de la liberté romaine en chassant les rois, & Caton le ferma 473 ans après, en se donnant la mort, nobile lethum, pour ne pas survivre à cette même liberté qu'il voyoit sur le point d'expirer.

Ce grand homme mourut en tenant d'une main le livre de Platon de l'immortalité de l'ame, & de l'autre s'appuyant sur son épée : me voilà, dit-il, doublement armé !

The soul secur'd in her existence smiles

At the drawn dagger, anddefies its point.

Let guilt or fear

Disturb man's rest, Cato knows neither of' em,

Indifferent in his choice to sleep, or die.

Il falloit bien alors que Caton eût un rang distingué dans les champs Elisées ; aussi Virgile nous assure que c'est là qu'il regne & qu'il donne des loix.

His dantem jura Catonem.

Tous les autres auteurs ont, à-l'envi, jetté des fleurs sur le tombeau ; mais voici l'éloge magnifique que fait de ce romain Velléïus Paterculus lui-même, qui écrivoit sous le regne d'Auguste.

" Caton, dit cet historien, étoit le portrait de la vertu même, & d'un caractere plus approchant du dieu que de l'homme. En faisant le bien, il n'eut jamais en vue la gloire de le faire. Il le faisoit, parce qu'il étoit incapable d'agir autrement. Il ne trouva jamais rien de raisonnable qui ne fût juste. Exempt de tous les défauts attachés à notre condition, il fut toujours au-dessus de la fortune ".

Ses ennemis jaloux ne purent jamais lui reprocher d'autre foiblesse, que celle de se laisser quelquefois surprendre par le vin en soupant chez ses amis. Un jour que cet accident lui étoit arrivé, il rencontra dans les rues de Rome ces gens que différens devoirs réveillent de bon matin, & qui furent curieux de le connoître. On eût dit, rapporte César, que c'étoit Caton qui venoit de les prendre sur le fait, & non pas ceux qui venoient d'y prendre Caton. Quelle plus haute idée peut-on donner de l'autorité que ce grand personnage avoit acquise, que de le représenter si respectable tout enseveli qu'il étoit dans le vin ? Nous ne sommes pas arrivés, écrit Pline à un de ses amis, à ce degré de réputation, où la médisance dans la bouche même de nos ennemis soit notre éloge.

Caton, dans les commencemens, n'aimoit pas à tenir table long-tems ; mais dans la suite, il se le permit davantage, pour se distraire des grandes affaires qui l'empêchoient souvent pendant des semaines entieres de converser à souper avec ses amis, ensorte qu'insensiblement il s'y livroit assez volontiers. C'est là-dessus qu'un certain Memmius s'étant avisé de dire dans une compagnie que Caton ivrognoit toute la nuit, Cicéron lui répliqua plaisamment : " Mais tu ne dis pas qu'il joue aux dés tout le jour ".

Aussi jamais les débauches rares de Caton ne purent faire aucun tort à sa gloire. L'histoire nous apprend qu'un avocat plaidant devant un préteur de Rome, ne produisoit qu'un seul témoin dans un cas où la loi en exigeoit deux ; & comme cet avocat insistoit sur l'intégrité de son témoin, le préteur lui répondit avec vivacité : " Que là où la loi exigeoit deux témoins, il ne se borneroit pas à un seul, quand ce seroit Caton lui-même ". Ce propos montre bien qu'elle étoit la réputation de ce grand homme au milieu de ses contemporains. Il l'avoit déja acquise cette réputation parmi ses camarades dès l'âge de 15 ans. A la célébration des jeux troïens, ils allerent trouver Sylla, lui demanderent Caton pour capitaine, & qu'autrement ils ne couroient point sans lui.

Quoique, par la loi de Pompée, on pût recuser cinq de ses juges, c'étoit un opprobre d'oser recuser Caton. En un mot, sa passion pour la justice & la vertu étoit si respectée, qu'elle fit pendant sa vie & après sa mort, le proverbe du peuple, du sénat & de l'armée.

All what Plato thought, godlike Cato was.

Sa vie dans Plutarque éleve notre ame, la fortifie, nous remplit d'admiration pour ce grand personnage, qui puisa dans l'école d'Antipater les principes du Stoïcisme. Il endurcit son corps à la fatigue, & forma sa conduite sur le modele du sage.

Il cultiva l'éloquence nécessaire dans une république à un homme d'état ; & quoique l'éloquence suive d'ordinaire les moeurs & le tempérament, la sienne, pleine de force & de briéveté, étoit entremêlée de fleurs & de graces. Cependant le ton de sa politique étoit l'austérité & la sévérité ; mais sa vertu se trouvant beaucoup disproportionnée à son siecle corrompu, éprouva toutes les contradictions qu'un tems dépravé peut produire, & je crois qu'une vertu moins roide auroit mieux réussi.

Après avoir été déposé de sa charge de tribun, & vu un Vatinius emporter sur lui la préture, il essuya le triste refus du consulat qu'il sollicitoit. Il est vrai que, par la magnanimité avec laquelle il soutint cette disgrace, il fit voir que la vertu est indépendante des suffrages des hommes, & que rien n'en peut ternir l'éclat.

Dans la commission qu'il eut, malgré lui, d'aller chasser de l'île de Cypre le roi Ptolomée, son éloquence seule ramena les bannis dans Bysance, & rétablit la concorde dans cette ville divisée. Ensuite, dans la vente des richesses immenses qui furent trouvées dans cette île, il donna l'exemple du désintéressement le plus parfait, ne souffrant pas que la faveur enrichît aucun de ses amis aux dépens de la justice. A son retour, le sénat lui décerna de grands honneurs ; mais il les refusa, & demanda pour seule grace la liberté de l'intendant du roi Ptolomée, qui l'avoit servi très-utilement.

Il brilla dans toutes ses actions d'homme d'état. Il brigua le tribunat uniquement pour s'opposer à Metellus, homme dangereux au bien public, & en même tems il empêcha le sénat de déposer le même Metellus, jugeant que cette déposition ne manqueroit pas de porter Pompée aux dernieres extrémités ; mais il refusa l'alliance de Pompée, par la raison qu'un bon citoyen ne doit jamais recevoir dans sa famille un ambitieux, qui ne recherche son alliance que pour abuser de l'autorité contre sa patrie.

Il rendit dans sa questure trois services importans à l'état ; l'un de rompre le cours des malversations ruineuses ; le second, de faire rendre gorge aux satellites de Sylla, & dé les faire punir de mort comme assassins ; le troisieme, aussi considérable que les deux premiers, fut d'empêcher les gratifications peu méritées. Il n'y a pas de plus grand desordre dans un état, dit Plutarque à ce sujet, que de rendre les finances la proie de la faveur, au-lieu d'en faire la récompense des services. Il arrive de-là deux choses également pernicieuses ; l'état s'épuise en donnant sans recevoir, & le mérite négligé se rebute, dépérit, & s'éteint enfin faute de nourriture.

Caton étendit ses soins jusque sur la fortune des particuliers, en modérant les dépenses exorbitantes introduites par le luxe d'émulation dans les jeux que les édiles donnoient au peuple. Il y rétablit la simplicité des Grecs, convaincu qu'il étoit nuisible de faire d'un divertissement public, la ruine entiere des familles.

Lorsqu'il n'étoit encore que tribun des soldats, il profita d'un congé, non pour vaquer à ses affaires, suivant la coutume, mais pour se rendre en Asie, & en emmener avec lui à Rome le célebre philosophe Athénodore, qui avoit résisté aux propositions les plus avantageuses que les généraux & des rois même lui avoient faites, pour l'attirer auprès d'eux. Caton, plus heureux, enrichit sa patrie d'un homme sage dont elle avoit besoin, & il eut tant de joie de ce succès, qu'il le regarda comme un exploit plus utile que ceux de Lucullus & de Pompée.

Les intérêts de Rome acquéroient de la force entre ses mains. C'est ainsi qu'il soutint avec éclat la majesté de la république dans l'audience que Juba lui donna en Afrique. Ce prince avoit fait placer son siege entre Caton & Scipion : Caton prit lui-même son fauteuil, & le plaça à côté de celui de Scipion qu'il mit au milieu, déférant tout l'honneur au proconsul, quoique son ennemi. C'est une action pleine de grandeur ; car on ignoroit alors nos petits arts de politesse.

Le désintéressement est une qualité essentielle dans un citoyen, & sur-tout dans un homme d'état. De ce côté-là Caton est un homme admirable. Il vendit une succession de cent cinquante mille écus, pour en prêter l'argent à ses amis sans intérêt ; il renvoya une grosse somme de Menillus, les riches présens du roi Dejotarus, & les sept cent talens (sept cent cinquante mille écus) dont Harpalus l'avoit gratifié.

L'humanité est le fondement de toutes les autres vertus. Caton, sévere dans les assemblées du peuple & dans le sénat, lorsqu'il s'agissoit du bien public, s'est montré dans toutes les autres occasions l'homme du monde le plus humain. C'est par un effet de cette humanité qu'il abandonna la Sicile, pour ne pas l'exposer à son entiere ruine en la rendant le théâtre de la guerre ; il fit ordonner par Pompée qu'on ne saccageroit aucune ville de l'obéissance des Romains, & qu'on ne tueroit aucun Romain hors de la bataille. Scipion, pour faire plaisir au roi Juba, vouloit raser la ville d'Utique, & exterminer les habitans, Caton s'opposa vivement à cette cruauté, & l'empêcha.

Pendant son séjour à Utique, Marcus Octavius vint à son secours avec deux légions, & s'étant campé assez près de la ville, il envoya d'abord à Caton un officier pour regler avec lui le commandement qu'ils devoient avoir l'un & l'autre. Caton ne répondit presque autre chose à cet officier, sinon qu'il n'auroit sur cet article aucune dispute avec son maître ; mais se tournant vers ses amis : " Nous étonnons-nous, leur dit-il, que nos affaires aillent si mal, lorsque nous voyons cette malheureuse ambition de commander regner parmi nous jusque dans les bras de la mort " ?

La veille qu'il trancha le fil de ses jours, il soupa avec ses amis particuliers & les principaux d'Utique. Après le souper, l'on proposa des questions de la plus profonde philosophie, & il soutint fortement que l'homme de bien est le seul libre, & que tous les méchans sont esclaves. Ensuite il congédia la compagnie, donna ses ordres aux capitaines des corps de garde, embrassa son fils & tous ses amis avec mille caresses, se retira dans sa chambre, lut son dialogue de Platon, dormit ensuite d'un profond sommeil.

Il se réveilla vers le minuit, & envoya un de ses domestiques au port, pour savoir si tout le monde s'étoit embarqué. Peu de tems après, il reçut la nouvelle que tout le monde avoit fait voile, mais que la mer étoit agitée d'une violente tempête. A ce rapport, Caton se prit à soupirer, dit à Butas de se retirer, & de fermer la porte après lui. Butas ne fut pas plutôt sorti, que ce grand homme tira son épée & se tua.

Cette nouvelle s'étant répandue, tout le peuple d'Utique arriva dans sa maison en pleurant leur bienfaiteur & leur pere ; c'étoient les noms qu'ils lui donnoient dans le tems même qu'ils avoient des nouvelles que César étoit à leurs portes. Ils firent à Caton les funérailles les plus honorables que la triste conjoncture leur permit, & l'enterrerent sur le rivage de la mer, où, du tems de Plutarque, l'on voyoit encore sur son tombeau sa statue qui tenoit une épée.

Si le grand Caton s'étoit réservé pour la république lorsqu'il en désespéra, il l'auroit relevée sans doute après la mort de César, non pour en avoir la gloire, mais pour elle-même & pour le seul bien de l'état. (D.J.)


UTRECHT(Géog. mod.) ville des Pays-bas, capitale de la province de même nom, sur l'ancien canal du Rhin, au centre, entre Nimegue, Arnheim, Leyde, & Amsterdam. Elle est à environ huit lieues de distance de chacune de ces villes, & à douze lieues nord-ouest de Bois-le-duc.

On croit qu'elle a été bâtie par les Romains, qui la nommerent Trajectum, parce qu'on y passoit le Rhin. De l'ancien nom Trajectum, on a fait Trecht, & on la nommoit encore ainsi sur la fin du treizieme siecle, comme on le voit par l'historien Froissart. Pour distinguer néanmoins cette ville de celle de Maestricht, nommée Trajectum superius, on appella l'autre Trajectum Rheni, Trajectum inferius, & ulterius Trajectum ; comme on le voit par la chronique de Saint-Tron. Enfin de ulterius Trajectum, on a fait Ultrajectum, d'où est venu le mot Utrecht. Longitude, suivant Harris, 22. 26. 15. latit. 52. 50.

Après la ruine de l'empire romain, cette place qui n'étoit alors qu'un château (castellum), fut tantôt occupée par les Francs, & tantôt par les Frisons. Sur la fin du septieme siecle, Pepin, maire du palais, s'empara d'Utrecht, & y établit pour évêque S. Willibrod. Au commencement du neuvieme siecle, cet évêché fut mis sous la métropole de Cologne, & a subsisté de cette maniere jusqu'au seizieme siecle.

La ville d'Utrecht avoit d'abord été bâtie sur le bord septentrional du Rhin, du côté de la Frise ; mais le nombre des habitans s'étant augmenté, on bâtit la nouvelle ville sur le bord méridional du Rhin, dans l'île & le territoire des Bataves. La puissance de ses évêques s'accrut aussi par la libéralité des empereurs. En 1559, le pape Paul IV. érigea cet évêché en métropole, & lui donna pour suffragant les nouveaux évêchés de Harlem en Hollande, de Middelbourg en Zélande, de Leuwarde en Frise, de Déventer dans l'Over-Issel, & de Groningue dans la province de même nom. Le premier archevêque fut Frédéric Skenk de Tautenberg, président de la chambre impériale de Spire en 1561. Après sa mort, arrivée en 1580, les états généraux appliquerent à divers usages les revenus de cet archevêché qui se trouvoient dans l'étendue de la généralité.

La ville d'Utrecht s'est extrêmement aggrandie, embellie, & peuplée, depuis la réformation, ensorte qu'on peut la mettre actuellement au rang des belles villes de l'Europe ; elle est de figure ovale, & peut avoir cinq milles de circuit ; elle a quatre gros fauxbourgs, & quatre paroisses ; mais elle n'est pas forte, quoique munie de quelques bastions & demi-lunes pour sa défense ; ses environs sont charmans, & le long du canal qui mene de cette ville à Amsterdam, on ne voit qu'une suite de belles maisons de plaisance, & de jardins admirablement entretenus.

La magistrature de cette ville est composée d'un grand bailli, de deux bourgmestres, de douze échevins, d'un trésorier, d'un intendant des édifices, d'un président, de trois commissaires des finances, & d'un sénateur ; cette magistrature est renouvellée tous les ans le 12 d'Octobre, & tient ses assemblées à la maison de ville, qui est un bel hôtel.

Utrecht est remarquable par le traité d'union des Provinces-Unies, qui s'y fit en 1579 ; par le congrès qui s'y tint en 1712, & dans lequel la paix de l'Europe fut conclue, le 11 d'Avril 1713, le 13 de Juillet suivant, & le 16 de Juin 1714 ; enfin par son université, l'une des plus célebres de l'Europe. Les états de la province l'érigerent le 16 de Mars 1636 ; & elle a produit un grand nombre d'hommes illustres dans les sciences.

Hadrien VI. nommé auparavant Hadrien Florent, naquit à Utrecht l'an 1459, ou d'un tisserand, ou d'un brasseur de biere, ou d'un faiseur de barques, qui s'appelloit Florent Boyens. Ce pere destina son fils aux études, quoiqu'il n'eût pas le moyen de l'entretenir dans les écoles ; mais l'université de Louvain suppléa à cette indigence domestique ; elle donna gratis à Florent le bonnet de docteur en théologie, l'an 1491, & dans la suite il devint vice-chancelier de l'université.

En 1507, on le tira de cette vie collégiale pour le faire précepteur de l'archiduc Charles, alors âgé de sept ans ; cette place lui valut des recompenses magnifiques, car il fut envoyé ambassadeur en Espagne auprès du roi Ferdinand ; & selon quelques historiens, il ménagea les choses avec plus d'adresse que l'on n'en devoit attendre d'un homme qui avoit humé si long-tems l'air de l'université. Après la mort de Ferdinand il eut une petite part à la régence avec le cardinal Ximenès ; & dans la suite son autorité devint plus grande que celle de ce fameux ministre. L'archiduc Charles partant pour l'Allemagne, lui donna le gouvernement de ses royaumes d'Espagne en lui associant pour collegues le connétable & l'amirante d'Espagne. Léon X. le nomma cardinal en 1517, & Charles-quint eut le crédit de l'élever à la papauté l'an 1522, après la mort de Léon X.

Le sacré college lui-même en fut surpris, & le peuple de Rome ne goûta point l'élection d'un barbare, qui témoignoit en toutes choses un éloignement du faste & des voluptés contre lequel la prescription étoit déja surannée. Les Italiens disoient publiquement que ce n'étoit qu'un tartuffe incapable de gouverner l'Eglise. Il n'est pas jusqu'à sa sobriété dont on n'ait fait des railleries. La cour de Rome passa sous son pontificat d'une extrémité à l'autre. On sait qu'il n'y eut jamais de pape dont la table fut aussi délicate que celle de Léon X. On s'insinuoit dans ses bonnes graces par l'invention des ragoûts, & il y eut quatre grands maîtres en bons morceaux qui devinrent ses mignons ; ils inventerent une sorte de saucisse qui jetta dans l'étonnement Hadrien VI. lorsqu'il examina la dépense de son prédécesseur en ce genre. Il se garda bien de l'imiter, & prit tellement le contrepié, qu'il ne dépensoit que douze écus par jour pour sa table. On ne se mocqua pas moins de la préférence qu'il donnoit à la biere sur le vin, que de celle qu'il donnoit à la merluche sur tous les autres poissons.

Une autre chose le décria chez les Italiens, c'est qu'il n'estimoit ni la poésie, ni la beauté du style ; deux talens dont on se piquoit le plus dans ce pays-là depuis cinquante ans. La fable dont les poëtes embellissoient leurs ouvrages, ne contribua pas peu à la froideur que ce pape leur témoigna, car il n'entendoit point raillerie là-dessus. Il détourna les yeux lorsqu'on lui montra la statue de Laocoon, & dit que c'étoit un simulacre de l'idolatrie du paganisme. Jugez si les amateurs des beaux arts, si les Italiens qui admiroient ce chef-d'oeuvre de sculpture, pouvoient concevoir de l'estime pour un tel homme. Les poëtes lui prouverent qu'on n'avoit pas dit sans raison, genus irritabile vatûm. Voici une épigramme dont Sannazar le régala.

Classe, virisque potens, domitoque oriente superbus

Barbarus in latias dux quatit arma domos,

In vaticano noster latet ; hunc tamen alto,

Christe, vides caelo (proh dolor !) & pateris.

Tous les savans de son tems se promettoient de l'avancement à son avénement au pontificat, à cause qu'il devoit aux lettres son exaltation, & ce qu'il avoit de bonne fortune ; mais ils demeurerent confondus en voyant qu'il étoit plein de mauvaise volonté contre ceux qui se plaisoient à la belle littérature, les appellant Terentianos, & les traitant de telle sorte qu'on croit qu'il eût rendu les lettres tout-à-fait barbares, s'il ne fût mort dans la deuxieme année de sa suprême dignité. Valérianus dit gentiment, qu'il usoit de ce mauvais traitement contre les plus beaux esprits de son siecle, avec le même goût dont il préféroit la merluche de ses Pays-bas, aux meilleurs poissons qui se mangeassent en Italie.

Autre sujet de haine, c'est qu'il ne dissimula point les abus introduits dans l'Eglise, & qu'il les reconnut publiquement dans son instruction au nonce qui devoit parler de sa part à la diete de Nuremberg. Il y déplora la mauvaise vie du clergé, & la corruption des moeurs qui avoit paru dans la personne de quelques papes. Quand il canonisa Antonin & Bennon, non-seulement il retrancha les dépenses ordinaires dans ces sortes de cérémonies, mais il les défendit comme contraires à la sainteté de l'Eglise. Ses successeurs n'ont pas été de son sentiment, ils ont toléré dans les canonisations la pompe mondaine jusqu'à des excès qui ont choqué le menu peuple.

L'histoire nous apprend, pour en citer un exemple, que tout le monde fut scandalisé dans Paris, l'an 1622, de la magnificence avec laquelle les carmes déchaussés y célebrerent la canonisation de sainte Thérese. Voyez le petit livre qui parut alors, & qui est intitulé le caquet de l'accouchée. " Pour moi, (dit dans ce livre la femme d'un avocat du grand conseil) j'eusse été d'avis de mettre toutes ces superfluités à la décoration de l'église de ces moines ; à tout le moins cela leur fût demeuré, & les eût-on estimé davantage ; sans faire évaporer tant de richesses en fumée, cela eût allumé le feu de dévotion dans le coeur de ceux qui les eussent visités ".

On peut dire qu'à tous égards, Hadrien eut très-peu de satisfaction de la couronne papale ; elle étoit pour lui très-pesante, & il connoissoit trop mal le génie des Italiens, pour ne leur pas déplaire en mille choses. Les nouvelles qu'il apprenoit tous les jours des progrès des Ottomans, & son peu d'expérience dans les affaires, le chagrinerent au point de s'écrier qu'il avoit eu plus de plaisir à gouverner le college de Louvain, que toute l'église chrétienne. L'ambassadeur de Ferdinand lui ayant demandé audience, commença ainsi sa harangue : Fabius maximus, sanctissime pater, rem romanam cunctando restituit, tu verò pariter cunctando, rem romanam, simulque europam perdere contendis. Ce début déconcerta le pontife, & les cardinaux qui ne l'aimoient pas penserent éclater de rire. Il mourut le 14 de Septembre 1523. Sa vie a été amplement décrite par Moringus, théologien de Louvain.

Hadrien a mis au jour, avant son exaltation, quelques ouvrages, entr'autres un commentaire sur le maître des sentences. Il soutenoit dans ce commentaire que le pape peut errer même dans les choses qui appartiennent à la foi, & l'on prétend qu'il ne changea point d'opinion quand il fut assis sur la chaire de S. P i erre (comme fit Pie II.) car il laissa subsister cet endroit de son livre, dans l'édition qui s'en fit à Rome durant son pontificat.

Henri V. est mort à Utrecht en 1125, à 44 ans, sans laisser de postérité. Voici le précis de sa vie par M. de Voltaire. Après avoir détrôné & exhumé son pere, en tenant une bulle du pape à la main, il soutint dès qu'il fut empereur, les mêmes droits de Henri IV. contre l'Eglise. Réuni d'intérêt avec les princes de l'empire, il marche à Rome à la tête d'une armée, fait prisonnier le pape Paschal II. & l'oblige de lui rendre les investitures, avec serment sur l'évangile de les lui maintenir. Paschal étant libre, fait annuller son serment par les cardinaux ; nouvelle maniere de manquer à sa parole. Henri se propose d'en tirer vengeance ; il est excommunié ; les Saxons se soulevent contre lui, & taillent ses troupes en pieces près de la forêt de Guelphe. Enfin craignant de périr aussi misérable que son pere, & le méritant bien davantage, il s'accommode en 1523, avec le pape Calixte II. & lui cede ses prétentions. Cet accommodement consistoit en ce que l'empereur consentit à ne plus donner l'investiture que par le sceptre, c'est-à-dire par la puissance royale, au-lieu qu'auparavant il la donnoit par la crosse & par l'anneau.

Ayant terminé à son préjudice cette longue querelle avec les pontifes de Rome, il entre en Champagne, pour se venger d'un affront qu'il prétendoit y avoir reçu dans un concile tenu à Rheims, où il avoit été excommunié à l'occasion des investitures. Le roi rassemble tous ses vassaux : tout marcha, jusqu'aux ecclésiastiques ; & Suger, abbé de saint Denis, s'y trouva avec les sujets de cette abbaye ; l'armée étoit de plus de deux cent mille hommes ; l'empereur n'ose pas se commettre contre de si grandes forces ; il se retire à la hâte, & se rend à Utrecht, où il finit ses jours, détesté de tout le monde, accablé des remords de sa conscience, & rongé d'un ulcère gangréneux qu'il avoit au bras droit.

Je me hâte de passer aux savans nés à Utrecht ; mais je dois me borner à faire un choix entr'eux, dont M. Gaspard Burmann a donné la vie dans son ouvrage intitulé : Trajectum eruditum, Traj. ad Rhenum, 1738. prem. édit. & 1750. in-4°. Cet ouvrage est plein de recherches, & personne n'ignore combien messieurs Burmann, tous nés à Utrecht, brillent dans la littérature.

Heurnius (Jean & Otto), pere & fils, étoient deux savans médecins du seizieme siecle. Jean naquit à Utrecht en 1543, & mourut de la pierre en 1601, âgé de cinquante-huit ans. Il étudia à Louvain, à Paris, à Padoue, à Pavie, & revint dans sa patrie après une absence de douze années. Lorsque l'université de Leyde eut été fondée en 1581, Heurnius y fut appellé pour remplir une chaire de médecine ; & c'est dans ce poste qu'il a passé les vingt dernieres années de sa vie, avec beaucoup de réputation.

Un historien hollandois rapporte une anecdote curieuse sur son esprit dans la pratique de la médecine. Il s'agissoit de la princesse Emilie, qui épousa dom Emanuel de Portugal, fils du roi Antoine de Portugal, dépossedé par Philippe II. roi d'Espagne. Ce prince Emanuel, qui étoit catholique, gagna l'esprit d'Emilie de Nassau, par ses cajolleries & par sa gentillesse ; elle le prit pour mari, tout pauvre qu'il étoit, & de religion contraire ; & quoique le prince Maurice son frere s'opposât fortement à ce mariage, qu'il ne croyoit pas avantageux ni à l'un ni à l'autre.

Après l'avoir fait, la princesse tomba malade, refusant de prendre aucune nourriture, desorte qu'on craignit qu'elle ne se laissât mourir de faim. Les états généraux appellerent Heurnius, pour veiller à la vie de la princesse. Il ne gagna d'abord rien sur son esprit ; mais comme il étoit doux, honnête & ingénieux, il tint à la princesse le discours suivant.

Je suis désesperé, madame, de votre état & du mien ; V. G. qui est pleine de bonté, pourroit me rendre un service, & s'en rendre à elle-même. En quoi ? lui dit-elle. Ce seroit, reprit-il, en suivant mes avis ; je souhaiterois que V. G. voulût prendre quelque chose pour se fortifier, & qu'elle se mît l'esprit en repos, pour rétablir sa santé. Hé quel avantage vous en reviendroit-il, repliqua la princesse ? Très-grand, madame, répondit l'adroit médecin ; c'est une opinion générale que l'amour est une espece de phrénesie incurable ; desorte que si V. G. goûtoit mon conseil, votre cure me mettroit en réputation ; bientôt tous les amoureux auroient recours à moi, & je guérirois la plûpart de ceux qui suivroient mes ordonnances. Je crois bien, mon bon docteur, que vous pourriez réussir sur plusieurs gens, lui répliqua la princesse ; mais personne ne peut guérir mon mal que le prince de Portugal, mon légitime époux, qu'on tient éloigné de moi contre tout droit, & par la plus grande tyrannie du monde, puisque je suis une personne libre, d'un âge mûr, & qui ne dépend de personne. J'ai choisi un époux qui ne deshonore point ma famille ; s'il a le malheur d'être privé de ce qui lui appartient, j'en suis contente, & je saurai me borner, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'en disposer autrement ; cependant voulant vous faire plaisir, je prendrai de la nourriture en attendant l'arrivée de mon frere, pour voir s'il en agira envers moi en frere, ou en tyran.

Il ne s'agit point ici de parler des suites de ce mariage d'amour, mais seulement des conseils d'Heurnius, qui réussirent effectivement à rétablir la princesse. Elle se retira à Genève l'an 1623, avec six filles qu'elle avoit, & l'année suivante elle y mourut de mélancolie. Voilà tout ce qu'en rapportent les auteurs ordinaires ; mais il faut lire l'historien hollandois, dont j'ai parlé, & qui est inconnu à ceux qui n'entendent pas la langue du pays. Cet historien est P. Bor, Ver volg van de Nederlantsche Oorlogen, l. XXXIV. fol. 22. & suiv.

Les oeuvres médicinales de Jean Heurnius ont paru à Leyde en 1609, en deux volumes in-4°. à Amsterdam, en 1650, in-fol. & à Genève, en 1657, in-fol. Il y a dans ce recueil une dissertation qui fait honneur à l'auteur ; elle regarde l'épreuve de l'eau pour ceux qui sont accusés de sortilége, & la décision de ce médecin fit abolir cette épreuve par la cour de Hollande.

Heurnius (Otto), fils de Jean, naquit à Utrecht en 1577. Il pratiqua la médecine avec honneur, & prit pour devise cito, tuto, jucunde, morbi curandi ; on doit guérir promptement, sûrement, & agréablement ; mais le tuto seul est une assez belle besogne. Heurnius le fils a mis au jour une histoire de la philosophie barbare, de barbaricâ philosophiâ, libri duo. Leydae 1600, in-12 ; cet ouvrage n'a pas eu l'approbation des connoisseurs ; il est rempli de choses communes ou étrangeres au sujet.

Leusden (Jean) naquit à Utrecht l'an 1624, & mourut en 1699, âgé de 75 ans. Il s'attacha particulierement à l'étude des langues orientales, & mit au jour un grand nombre d'ouvrages. Ses éditions de la Bible en hébreu, & du nouveau Testament en grec, sont estimées. Il a eu soin de l'édition du synopsis criticorum de Polus, faite à Utrecht ; il a partagé avec Villemandius la peine de l'édition des oeuvres de Lightfoot ; sans parler du nouveau Testament syriaque imprimé à Leyde en 1708, en deux tomes in-4°. auquel il a travaillé conjointement avec Schaaf.

De Roy (Henri), en latin Regius, médecin & philosophe cartésien, naquit à Utrecht en 1598, & mourut en 1679. Il enseigna la nouvelle philosophie de Descartes, mais d'une maniere qui lui attira la haine des théologiens & des partisans d'Aristote. Les curateurs de l'université furent obligés de se mêler de cette querelle, & eurent bien de la peine à l'appaiser. Regius eut encore des disputes avec Primerose & Silvius sur la circulation du sang qu'il admettoit ; cette question médicinale fut traitée de part & d'autre par des discours injurieux & outrageans ; aujourd'hui l'on rit des disputes élevées sur un fait aussi démontré.

Schoockius (Martin), littérateur, naquit à Utrecht en 1614, & mourut à Francfort-sur-l'Oder l'an 1665, âgé de 51 ans. Il a publié quantité de dissertations sur des sujets assez curieux ; par exemple, de naturâ soni ; de ovo & pullo ; de hellenistis ; de harengis ; de scepticismo ; de inundationibus ; de turfis, seù de cespitibus bituminosis ; de butyro ; de ciconiis ; de extasi ; de cerevisiâ ; de sternutatione ; de lino ; de tulippis, &c. Voyez le pere Niceron, mém. des homm. illustres, tom. XII. p. 364. 388.

Mais les Tollius freres (Corneille, Jacques & Alexandre), se sont acquis dans la littérature une réputation fort supérieure à celle de Schoockius.

Tollius (Corneille), mort en 1662, a donné quelques ouvrages, & entr'autres, I. Palaephat. de incredibilibus cùm notis, Amsterdam, 1649, in-12. II. Joannis Cinnami de rebus gestis imperat. Constantinop. Comnenorum histor. l. IV. Utrecht, 1652, in-4°. Tollius a été le premier qui ait publié cet auteur avec une version latine ; mais du Fresne en a donné une magnifique édition à Paris, 1670, in-fol. de l'imprimerie royale.

Tollius (Jacques) mena une vie fort errante, tantôt en Hollande, tantôt en Allemagne, tantôt en Italie ; enfin il mourut très-pauvre dans sa patrie en 1696 ; voici ses ouvrages. I. Une édition d'Ausone, Goudae, 1668 : II. Fortuita, Amsterdam, 1687, in-8°. L'auteur se propose de faire voir dans ce livre, que presque toute la mythologie de l'antiquité, ne contient que des mysteres de la chymie ; rien n'est comparable à cette folie, & à son entêtement pour la pierre philosophale. III. En 1694, il publia à Utrecht son Longin, in-4°. Cette édition est très-belle & très-bonne. Tollius s'est servi d'un exemplaire collationné sur un ms. de la bibliotheque du roi à Paris, & des leçons des trois mss. de la bibliotheque du Vatican. La version latine est entierement de lui. En 1710, M. Hudson donna à Oxford une nouvelle édition de Longin, in-8°. dans laquelle il a conservé la version de Tollius corrigée en quelques endroits. L'année suivante Lchurtzfleisch publia une nouvelle édition de Longin, Wittebergae, 1711, in-4°. & cette derniere mérite la préférence pour les choses sur celle d'Angleterre, mais l'impression en est détestable.

En 1696, Jacques Tollius donna un ouvrage de Bacchini, traduit de l'italien, de sistris, eorumque figuris, cum notis, Utrecht, in-4°. inséré dans le trésor d'antiquités romaines de Graevius, tome VI. La même année notre savant publia : insignia itinerarii Italici, quibus continentur antiquitates sacrae, Utrecht, 1696. Ce volume contient cinq anciennes pieces importantes, tirées des bibliotheques de Vienne & de Leipzig. Quatre ans après sa mort, M. Henninius a donné au public la relation des voyages de Tollius sous ce titre : Jacobi Tollii epistolae itinerariae, Amsterdam, 1700, in-4°. Il y a bien des choses curieuses dans ces lettres, sur-tout dans la cinquieme, qui contient la relation du voyage de Hongrie.

Tollius (Alexandre) mort en 1675, est connu par son édition d'Appien : Appiani Alexandrini roman. histor. Amsterdam 1670, in-8°. deux volumes. Cette édition d'Appien est belle, & d'un caractere fort net.

Utenbogaert, (Jean), célebre théologien parmi les remontrans, naquit à Utrecht en 1557, & mourut à la Haye en 1644, dans la 88e année de son âge. C'étoit un homme très-savant, dont l'esprit, la conduite & les manieres gagnerent d'abord le coeur de Maurice ; mais ce prince finit par le maltraiter sans aucun sujet légitime, ainsi qu'il paroît en ce que Louise de Coligni, & Fréderic Henri son fils, eurent toujours une estime singuliere pour Utenbogaert, étant bien convaincus que le prince d'Orange lui avoit fait tort.

Utenbogaert écrivoit en sa langue avec beaucoup de sagesse & de précision ; c'est ce qui se prouve par son histoire des controverses d'alors, par sa vie, & par plusieurs autres écrits hollandois qu'il publia. S'il n'avoit pas l'étendue & la pénétration de génie d'Episcopius, il le surpassoit peut-être en netteté & en simplicité de style. Mais ils eurent toute leur vie une très-grande déférence l'un pour l'autre, & il n'y eut jamais aucune diminution dans leur amitié, parce que la vertu en serroit les noeuds.

Il nous reste diverses lettres françoises d'Utenbogaert à Louise de Coligni. Si on les compare avec des lettres écrites en ce même tems par nos françois, on les trouvera aussi-bien tournées, & peut-être mieux ; & pour les choses même, on verra qu'il n'y a rien que de sage, & qui ne convienne au caractere d'un homme de bien, prudent & retenu.

Il a publié un grand nombre d'ouvrages tous en hollandois : les deux principaux sont, son histoire ecclésiastique, depuis l'an 400, jusqu'en 1619, imprimée en 1646 & 1647, in-fol. & l'histoire de sa vie, qu'il acheva en sa 82e année, en 1638. Cet ouvrage a paru après sa mort, en 1645, in-4°. & a été réimprimé en 1646. L'article de ce savant théologien, si long-tems persécuté dans sa patrie, a été fait avec grand soin par M. de Chaufepié dans son dictionnaire historique, & c'est un article extrêmement curieux.

Je finis cette courte liste par un homme de goût, écrivain poli, Van-Effen (Juste), né à Utrecht en 1684, & mort à Bois-le-Duc en 1735, étant alors inspecteur des magasins de l'état dans cette ville. Il cultiva de bonne heure la langue françoise, dans laquelle il a composé tous ses ouvrages, & qu'il écrit aussi-bien que peut le faire aucun étranger. Un esprit philosophique, des connoissances diversifiées, une assez grande vivacité d'imagination, & beaucoup de facilité, mirent M. Van-Effen en état de travailler avec distinction sur toutes sortes de matieres. Il a eu beaucoup de part au journal littéraire ; & comme il entendoit fort bien l'anglois, il a donné la traduction entiere du Mentor moderne. Son parallele d'Homere & de Chapelain, qui se trouve à la suite du chef-d'oeuvre de l'Inconnu, par M. de Saint-Hyacinthe, est un badinage heureux, & très-bon dans son genre ; mais le principal ouvrage de cet ingénieux écrivain, est son Misantrope, qu'il fit à l'imitation du spectateur anglois. Cet ouvrage est mêlé de prose & de vers, & l'on peut dire qu'en général, le jugement y domine partout. La meilleure édition est celle de la Haye, en 1726, en deux volumes, in-8°. (D.J.)

UTRECHT, seigneurie d ', (Géog. mod.) province des Pays-Bas, & l'une des sept qui composent la république des Provinces-Unies, entre lesquelles elle a le cinquieme rang. Elle est bornée au nord par la Hollande & le Zuiderzée ; au midi par le Rhin, qui la sépare de l'île de Betau ; à l'orient par le Veluwe & la Gueldre ; à l'occident par la Hollande encore. Ce pays étoit autrefois si puissant, qu'il pouvoit mettre sur pié une armée de quarante mille hommes, & quoiqu'il fût continuellement attaqué par les Bataves, par les Frisons, & par les Gueldrois, qui l'environnent de tous côtés, il se défendit néanmoins vaillamment contre de si puissans ennemis.

On divise aujourd'hui la province d'Utrecht en quatre quartiers, qui sont le diocèse supérieur & inférieur, l'Emsland, & le Montfort-land. On y respire un air beaucoup plus sain qu'en Hollande, parce que le pays est beaucoup plus élevé, & moins marécageux.

Son gouvernement est semblable à celui de la province de Zélande. Il a néanmoins cela de particulier, que huit députés laïcs, représentant l'ordre du clergé, ont séance dans l'assemblée des états de la province avec les députés des nobles, & des villes d'Utrecht, d'Amersfort, de Wyck, de Rhenen, & de Montfort.

Ce sont les cinq anciens chapitres de la ville d'Utrecht, qui fournissent les députés représentans le clergé. Les deux autres ordres élisent leurs députés, & c'est pour cela qu'on les nomme élus.

En 1672 les François se rendirent maîtres de toute la seigneurie d'Utrecht ; mais ils furent obligés l'année suivante, d'en abandonner la conquête. Les Etats-Généraux mécontens de la conduite de cette province, & de son aversion pour le prince d'Orange, l'exclurent du gouvernement de la république, de même que les provinces de Gueldres & d'Over-Issel ; cependant ces trois provinces furent réunies à la généralité le 29 de Janvier 1674, & cette réunion a subsisté jusqu'à ce jour. (D.J.)


UTRICULARIAS. f. (Hist. nat. Bot.) nom donné par Linnaeus au genre de plante que les autres auteurs appellent lentibularia ; son calice est une enveloppe à deux feuilles ; la fleur est labiée & monopétale ; la levre supérieure est droite & obtuse ; la levre inférieure est large & sans découpure ; le nectarium est fait en maniere de corne, il est plus court que le pétale de la fleur, & sort de sa base. Les étamines sont deux filets courts & crochus, leurs bossettes sont petites & adhérentes ensemble, le pistil a le germe arrondi, le stile est délié comme un cheveu & de la longueur du calice ; le stigma est fait en cône, le fruit est une grosse capsule conique, renfermant une seule cavité ; les graines sont très-nombreuses. (D.J.)


UTRICULES. m. (Hist. nat. Bot.) On nomme utricules en botanique, des especes de vésicules, ou de sucs ovoïdes formés par les intervalles que laissent entr'eux les faisceaux des fibres ligneuses. Les vésicules sont placés horisontalement, & paroissent avoir pour fonction principale, celle de préparer le suc nourricier de la plante. (D.J.)


UTZNACH(Géog. mod.) petite ville de Suisse au canton de Zurich, à quelque distance du lac de Zurich. Elle a son chef qu'on nomme avoyer, & son conseil. (D.J.)


UVA URSIS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en forme de cloche ronde ; le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit mou ou une baye sphérique qui renferme de petits noyaux applatis d'un côté & relevés en bosse de l'autre. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


UVAGou EUVAGE, s. m. (Sucrerie) c'est ainsi qu'on appelle dans une sucrerie la partie du glacis garnie en carreaux de terre cuite qui forment l'encaissement de chaque chaudiere à sucre, & en augmente considérablement les bords. Voyez SUCRERIE, EDIFICE.

Les Negres, charpentiers des isles, appellent uvage deux longues planches ou bordages placés le long des côtes d'une pyroque ou d'un canot servant à exhausser les bords. Voyez PYROQUE & EUVAGE.


UVÉEadj. (terme d'Anatomie) ou aciniformis tunica, est la troisieme tunique de l'oeil ; on l'appelle ainsi, parce qu'elle ressemble par sa couleur & par sa figure à un grain de raisin. Voyez OEIL.

C'est un cercle membraneux qui soutient la cornée comme un segment de sphere, dont la face antérieure est particulierement appellée iris, & qui est percé dans son milieu d'un trou qu'on nomme prunelle ou pupille ; il est rond dans l'homme, & quelquefois oblong, comme dans les chats, ou de plusieurs autres figures. Voyez IRIS & PRUNELLE.

La face postérieure de ce cercle, & plus particulierement l'uvée, se distingue à peine dans l'homme ; c'est une lame différente dans la baleine. Elle est de même que l'antérieure faite de fibres rayonnées dans l'homme plus rares & plus courtes. Ruysch les appelle tendineuses, & dit qu'il y en a d'orbiculaires, dans quelques animaux, tels que le veau & la baleine. Winslow admet les orbiculaires, ainsi que Cheselden, &c. mais après Mery, Morgagni les nie. On ne les trouve ni dans l'homme ni dans le boeuf. Ruysch leur a donné le nom de procés ciliaires, & après lui, Winslow, Hovius, &c. Hovius prétend qu'elles sont couvertes de deux lames, l'une nevro-lymphatique, & l'autre papillaire.

Les nerfs ciliaires se distribuent, après avoir fourni quelques filets à la choroïde, aux procés ciliaires.

Quant aux arteres & aux veines, voyez l'article IRIS.


UXACONA(Géog. anc.) ou bien Usacona, Usocona, Usoccona, car les manuscrits varient ; c'est une ville de la grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route du retranchement à Portus Rutupis, entre Uroconium & Pennocrucium. Camden croit que c'est présentement le village Okenyate, dans la province de Shrewsbury, au pié de Wreken-Hill.


UXAMA-ARGELLAE(Géog. anc.) & dans Pline tout simplement Uxama ; ville de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. la donne aux Arévaques. Uxama se nomme aujourd'hui El Borgo d'Osma, bourg de la vieille Castille, sur le bord du Duéro. (D.J.)


UXANTISSENA(Géog. anc.) isle de la mer Britannique. L'itinéraire d'Antonin la met au nombre des isles qui étoient entre les Gaules & la grande-Bretagne. Les manuscrits & les exemplaires imprimés varient beaucoup dans l'orthographe de ce nom. Les uns portent Uxantissena, & les autres Uxantisina, Uxanisina, Usantisina, Vixantissima, Usantisma, Usantisana, Exantisma. Tous ces mots sont corrompus, & outre cela, de deux isles ils n'en font qu'une. Isaac Vossius a fort bien remarqué dans ses observations sur Pomponius Méla, l. III. c. vj. qu'il falloit lire dans l'itinéraire d'Antonin Uxantis-sina. Camden & M. de Valois avoient eu l'idée de cette correction. L'isle Uxantis, l'Axantos de Pline, est présentement l'isle d'Ouessant, & Sina est l'isle des Saints, vis-à-vis de Brest. (D.J.)


UXELA(Géog. anc.) ville de la grande-Bretagne. Ptolémée l. II. c. iij. la donne aux Domnonii. Camden pense que c'est Lestuthiell, dans le comté de Cornouailles. (D.J.)


UXELLODUNUM(Géogr. anc.) ville de la Gaule aquitanique. César, l. VIII. c. xxxij. la place chez les Cadurci, & dit que c'étoit une ville fortifiée par la nature : quelques autres auteurs ont voulu que ce fût la capitale des Cadurci, mais c'est une erreur, la capitale de ces peuples étoit Divona, aujourd'hui Cahors. D'ailleurs, comme César dit qu'Uxellodunum étoit sous la protection de Luterius, prince des Cadurci, cela ne conviendroit pas à la dignité de la capitale de tout un peuple.

Selon Papire Masson, de fluminib. Franciae, pag. 574. Uxellodium étoit à 7 lieues au-dessous de Cahors, dans un lieu nommé aujourd'hui Podium Xolduni, vulgairement le Peuch d'Usselou, ou le Peuch d'Usseldun, parce que c'est un lieu élevé ; & Cadenac ou Capdenac tient la place de l'ancienne Uxellodunum. On voit encore aujourd'hui tout près de Cadenac, la fontaine dont César fait mention, & des ruines de l'ancienne ville. (D.J.)


UXENTUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Calabre & dans les terres. Ptolémée, l. III. c. j. la donne aux Salentins. C'est, selon Léander, Usento, qu'on écrit aussi Ugenti & Ogento. (D.J.)


UXIENSLES, (Géog. anc.) Uxii, peuples d'Asie dans l'Elymaïde. Arrien, in Indic. c. xxxx. qui donne une grande étendue à la Susiane, les place dans cette contrée : Susiorum gens quaedam superne accolit, Uxii vocantur. Un manuscrit porte, Susiorum alia gens, parce que les Susiens étoient partagés en diverses nations.

Le même Arrien, de exped. Alex. c. xvij. dit qu'Alexandre étant parti de Suze avec son armée, & ayant passé le Pasitigris, entra dans le pays des Uxiens ; on lit la même chose dans Quinte-Curce, l. IV. c. iij. desorte que les Uxiens habitoient au-delà de Pasitigris, & aux confins de la Perside propre. Le Pasitigris prenoit sa source dans les montagnes des Uxiens, selon Diodore de Sicile, l. XVII. c. lxvij.

Gronovius, ad Arrian. p. 355. a remarqué qu'il y avoit deux nations différentes d'Uxiens ; l'une qui habitoit dans la plaine, & qui étoit soumise aux Perses ; l'autre qui habitoit les montagnes, & qui se maintenoit en liberté. Diodore de Sicile, l. XVII. c. lxvij. entend parler de la premiere, lorsqu'il dit que le pays des Uxiens est très-fertile, & arrosé de quantité d'eaux ; ce qui lui faisoit produire toutes sortes de fruits en abondance. Strabon, l. XV. p. 729. parle de la seconde nation, c'est-à-dire, de celle qui habitoit les montagnes, & il dit qu'on trouve plusieurs détroits de montagnes, en passant chez les Uxiens, près de la Perside. Le même auteur donne au pays le nom d'Uxia, & ajoute que les peuples étoient de grands voleurs : caractere que leur attribue aussi Pline, l. VI. c. xxvij. qui les appelle Oxii. Dans Diodore de Sicile, l. XVII. c. lxvij. le pays des Uxiens est appellé Uxiana, l'Uxiane. (D.J.)


UXISAMA(Géog. anc.) Strabon, l. I. p. 64. dit que Pithéas nommoit ainsi la derniere des isles qu'il mettoit sur la côte du promontoire des Ostidamniens, autrement nommé Calbium, & qu'il la plaçoit à trois journées de navigation. Si on pouvoit certainement compter sur le rapport de Pithéas, l'isle Uxisama seroit la plus occidentale des Açores ; cependant Strabon déclare que les Ostidamniens, le promontoire Celbium, l'isle Uxisama & toutes celles que Pithéas mettoit aux environs, n'avançoient point vers l'occident, qu'au contraire elles avançoient vers le septentrion, & n'appartenoient point à l'Espagne, mais à la Celtique, ou plutôt que c'étoit autant de fables que Pithéas avoit débitées.

M. Paulmier de Grentemesnil, Exercit. ad Strabon, l. II. a eu raison de sauver l'honneur de Pithéas, en disant que l'isle qu'il mettoit la derniere de toutes, à trois journées de navigation du promontoire Celbium, ou des Ostidamniens, pourroit être l'isle Uxantos, aujourd'hui l'isle d'Ouessant, & que Pithéas ne l'avoit pas imaginée, comme l'en accuse Strabon. Enfin, Pithéas seroit à couvert de toute critique, si on pouvoit supposer qu'il eût connu les isles Açores, comme Ortelius semble en être persuadé ; ce qu'il y a de sûr, c'est que Strabon n'a jamais rendu justice à Pithéas. (D.J.)


UXITIPA(Géog. mod.) province de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Galice, au-dedans du pays, du côté de la province de Xalisco, dont elle est éloignée de 26 lieues ; cette province ne manque pas de fruits ni de gibier, mais l'air en est très-chaud, & la terre inégale dans ses productions.


UZEDou UCEDA, (Géogr. mod.) ville d'Espagne dans la nouvelle Castille, à 7 ou 8 lieues au nord d'Alcala ; c'est le chef-lieu d'un duché. Long. 14. 30. latit. 40. 51. (D.J.)


UZEGS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) arbrisseau des Indes, qui pousse un grand nombre de plantes ménues à la hauteur de trois ou quatre coudées ; ses racines sont fortes, dures, ligneuses & serpentantes ; ses rameaux sont garnis de beaucoup d'épines longues & pointues ; de la base des épines sortent ordinairement quatre feuilles de grandeur inégale, plus petites & plus tendres que celles de l'olivier, mais assez semblables à celle du buis ; ses fleurs sont nombreuses, petites, s'élargissent insensiblement, divisées comme en deux levres, & d'une forme très-agréable à la vue ; elles sont jaunes en-dedans, panachées de quelques taches pourpres à l'endroit d'où partent les pétales ; par-tout ailleurs, elles offrent un mêlange de couleur d'hyacinthe & de violette, mais elles leur sont bien supérieures pour l'excellence du parfum. Quand ces fleurs sont tombées, il leur succede un fruit noir, qui ressemble à celui de l'yeble ; il est lisse par-dessus, & d'un goût amer astringent.

Prosper Alpin pense sur des conjectures fort légeres, que le suc de cet arbrisseau est le lycium indicum des anciens. Il est vrai, dit Veslingius, que le suc apporté en Egypte des parties voisines de l'Arabie & de l'Ethiopie, condensé dans des bouteilles, a manifestement les caracteres du lycium indicum, surtout quand il est bien préparé ; mais Prosper Alpin a reconnu lui-même que le lycium en usage chez les Egyptiens qui le reçoivent d'Arabie, est du faux lycium ; car il est dur, dit-il, noir en-dehors comme le suc d'acacia, & quand on le rompt, on le trouve couleur d'aloës en-dedans ; il a une odeur foible, mais qui n'est pas désagréable ; un goût douçâtre & astringent, mais point du tout amer ; il est visqueux, & quand on le manie il s'attache aux doigts. Ces raisons prouvent que ce n'est point le vrai lycium, ajoutez-y qu'il n'a point d'amertume, & ne rend point quand on l'allume au feu une écume rougeâtre, comme plusieurs auteurs disent que faisoit le vrai lycium.

Les Egyptiens usent de ce suc pour toutes sortes d'ulceres, particulierement ceux de la bouche, des oreilles, des narines, de l'anus & des intestins ; pour l'hémoptysie, la dyssenterie, la diarrhée, & pour tous les flux de ventre & de matrice.

Il y a dans les Ephemer. des curieux de la nature, année 3. observ. I. une méthode de préparer un lycium indicum avec une espece d'acacia. (D.J.)


UZEGE(Géog. mod.) petit pays de France, dans le bas-Languedoc. Une partie de ce canton est couverte de montagnes, mais la plaine produit abondamment de blé & de bons vins ; ce pays a quelques manufactures de soie & de laine, il tire son nom d'Uzès, son chef-lieu. (D.J.)


UZEL(Géog. mod.) petite ville de France, en Bretagne, au diocèse de S. Brieux, dont elle est à 8 lieues, avec un bailliage & une châtellenie. Il s'y fait quelque commerce en toiles. Long. 14. 42. latit. 48. 15. (D.J.)


UZERCHE(Géog. mod.) en latin barbare Uzerca ; petite ville de France, dans le bas-Limousin, au diocèse & à 11 lieues sud-est de Limoges, & au midi de Brive sur la Vezère. Elle n'a qu'une rue bordée d'assez jolies maisons, & une abbaye d'hommes de l'ordre de saint-Benoît. Longit. 19. 20. latit. 46. 24.

Grenaille (François de) né à Uzerche l'an 1616, entra d'abord dans l'état monastique, & le quitta bientôt après. Il fit plusieurs petits livres françois qui ne valent pas grand'chose. Voici ce qu'on en dit dans le Sorbériana, p. 150.

" Il y avoit à Paris un certain Grenaille, sieur de Chateaunieres, limousin, jeune homme de 26 ans, qui décocha tout-à-coup une prodigieuse quantité de livres, dont il nomma les uns, l'honnête fille, l'honnête veuve, l'honnête garçon ; les autres la bibliotheque des dames. Dans les plaisirs des dames, ce que je trouvois de louable, étoit qu'apparemment un homme de cet âge avoit demeuré dans le cabinet, & s'étoit abstenu de plusieurs débauches pour composer des livres ; mais aureste les bonnes choses y étoient fort rares, & ce qu'il y en avoit de bonnes avoient été déja dites si souvent, que ce n'étoit pas grande gloire de les répéter : le style étoit assez fade, & faisoit juger de l'auteur, qu'il n'écrivoit que pour écrire. Son livre des plaisirs des dames est divisé en cinq parties, du bouquet, du bal, du cours, du concert, de la collation. D'abord il traite la question, si c'est le bouquet qui orne le sein, ou si au-contraire, c'est lui qui emprunte de lui toute sa grace ; sur quoi il juge en faveur du dernier, estimant que des deux hémispheres de la gorge d'une dame, il sort une influence qui anime le bouquet, & le rend non-seulement plus beau, mais de plus de durée.

C'est, continue Sorbiere, de ces belles pensées qu'il espere l'immortalité, ayant paré le frontispice de tous ces livres de sa taille-douce, avec l'inscription orgueilleuse : Hâc evadimus immortales ". M. Guéret ne lui pardonne pas dans sa guerre des auteurs. " On veut bien vous laisser, dit-il, votre relation de la révolution du Portugal, à la charge d'en ôter votre portrait, dont l'inscription est trop fanfaronne pour un auteur comme vous. Si vous n'y aviez marqué que le lieu de votre naissance, & que vous vous fussiez contenté d'y joindre, que vous vous êtes fait moine à Bordeaux, & que vous jettâtes le froc à Agen, on l'auroit souffert : mais vous y ajoutez que vous vous êtes rendu immortel à Paris ; c'est un article qui n'a rien de la vérité des trois précédens, & sous le bon plaisir d'Apollon, il sera rayé. (D.J.) "


UZÉSou Usès, en latin, Ucecia, Ucetia, castrum Ucesence, petite ville de France, dans le bas-Languedoc, à 6 lieues au nord de Nîmes, à 9 au couchant d'Avignon, & à 150 de Paris. Elle a un évêché établi dès le v. siecle, & qui est suffragant de Narbonne.

Cet évêché vaut environ vingt-cinq mille livres de rente, & son diocèse ne comprend que 181 paroisses. La vicomté d'Uzès a été érigée en duché en 1565, & en pairie pour Jacques de Crussol, duc d'Uzès en 1572. L'aîné de cette maison, est en cette qualité le premier pair laïc du royaume, mais il n'est pas le premier duc, car le duché de Thouars fut érigé en 1563.

Uzès a eu depuis le xj. siecle des seigneurs particuliers, tantôt nommés decani, & tantôt vicomtes. Cette ville avoit de grands privileges, dont elle a été dépouillée à cause de son vieil attachement au calvinisme. On a trouvé dans cette ville & aux environs quelques inscriptions antiques, que M. Lancelot a recueillies dans les mémoires de l'académie des belles-lettres, t. VII. in-4 °. Le territoire produit du blé, de l'huile, des soies & de bons vins ; le commerce y florissoit autrefois. Long. 22. 6. latit. 41. 4.

Je connois trois ou quatre hommes de lettres nés à Uzès. Charas (Moïse) qui se distinguoit dans la pharmacie, étoit natif de cette ville. Il eut le malheur étant à Madrid, d'être déféré à l'inquisition, & contraint pour sortir des prisons, d'abjurer la religion qu'il croyoit la meilleure. De retour à Paris, il fut reçu de l'académie des scien ces, & mourut en 1698, à 80 ans.

Croi (Jean de), en latin Croius, étoit d'Uzès, où il mourut en 1659, pasteur des calvinistes de cette ville. Son principal ouvrage est intitulé, Observationes sacrae & historiae in novum Testamentum.

Le Mercier (Jean), en latin Mercerus, savant protestant, & l'un des plus habiles hommes de son tems dans la connoissance des langues grecque, latine, hébraïque & chaldaïque. Il succéda à Vatable dans la chaire d'hébreu au college royal de Paris, & mourut à Uzès sa patrie en 1572, à 63 ans. Ses commentaires sur le vieux Testament sont estimés, sur-tout ceux qu'il a faits sur Job & sur les livres de Salomon. Son fils Josias le Mercier marcha sur ses traces en matiere d'érudition. Il mourut en 1526, & a eu pour gendre l'illustre Saumaise.

C'est encore à Uzès qu'est mort en 1724 Jacques Marsollier, chanoine régulier de sainte Génevieve, connu par plusieurs histoires bien écrites ; entr'autres par celle de l'inquisition ; par la vie du cardinal Ximenès, & par celle d'Henri VII. roi d'Angleterre ; ce dernier ouvrage passe pour le meilleur qu'il ait fait. (D.J.)


UZKUNT(Géog. mod.) ville dans la Transoxane, entre le Turquestan & le Zagataï, sur le Sion. Nassir-Eddin & Ulug-Beg la nomment Urkend. Long. 102. 30. latit. 44. (D.J.)


UZZAou ALUZZA, ALOZZA, (Hist. ancien. Mythol.) nom d'une idole adorée par les Arabes idolâtres, avant que ces peuples eussent embrassé la religion de Mahomet. Ce faux prophete, après s'être rendu maître de la Mecque, fit détruire l'idole Uzza qui n'étoit qu'un tronc d'arbre taillé, & fit égorger ses prêtresses.